SOMMAIRE


PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

1. Procès-verbal (p. 0 ).

2. Décès d'un ancien sénateur (p. 1 ).

3. Demande d'autorisation d'une mission d'information (p. 2 ).

4. Etats généraux de l'université. - Débat sur une déclaration du Gouvernement (p. 3 ).
MM. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles.

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

MM. Jean-Pierre Camoin, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Lorrain, Ivan Renar.

Rappel au règlement (p. 4 )

MM. Emmanuel Hamel, le président.

Débat sur une déclaration du Gouvernement (suite) (p. 5 )


MM. Jean-Louis Carrère, le ministre.

Suspension et reprise de la séance (p. 6 )

PRÉSIDENCE DE M. YVES GUÉNA

5. Conférence des présidents (p. 7 ).
MM. le président, Emmanuel Hamel.

6. Scrutins pour l'élection de juges de la Haute Cour de justice et de la Cour de justice de la République (p. 8 ).

7. Etats généraux de l'université. - Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement (p. 9 ).
MM. François Lesein, André Maman, Patrice Gélard, Hubert Falco, Michel Rocard, Bernard Joly.

8. Election d'un juge suppléant de la Haute Cour de justice (p. 10 ).

9. Election d'un juge titulaire et d'un juge suppléant de la Cour de justice de la République (p. 11 ).

10. Prestations de serment (p. 12 ).

11. Etats généraux de l'université. - Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement (p. 13 ).
MM. Jean-Philippe Lachenaud, Claude Saunier, Jean Clouet, François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Clôture du débat.

12. Réglementation des télécommunications. - Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p. 14 ).
Discussion générale : M. François Fillon, ministre délégué à La Poste, aux télécommunications et à l'espace.

Suspension et reprise de la séance (p. 15 )

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

MM. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques ; le ministre délégué, François Trucy, Daniel Hoeffel, Claude Billard, Mme Danièle Pourtaud, MM. René Trégouët, Roland du Luart, Jean Cluzel, Mme Marie-Claude Beaudeau.
Renvoi de la suite de la discussion.

13. Communication de l'adoption définitive de propositions d'acte communautaire (p. 16 ).

14. Dépôt de propositions de loi organique (p. 17 ).

15. Dépôt d'une proposition de loi (p. 18 ).

16. Transmission d'une proposition de loi (p. 19 ).

17. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 20 ).

18. Dépôt d'une proposition d'acte communautaire (p. 21 ).

19. Dépôt de rapports (p. 22 ).

20. Ordre du jour (p. 23 ).



COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY

M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.

2

DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR

M. le président. J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Jean Bénard-Mousseaux, qui fut sénateur de l'Indre de 1971 à 1989.

3

DEMANDE D'AUTORISATION
D'UNE MISSION D'INFORMATION

M. le président. J'ai été saisi d'une demande conjointe des présidents des commissions des affaires culturelles, des affaires économiques, des affaires sociales, des finances et des lois, aux termes de laquelle ces cinq commissions demandent au Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information commune chargée d'étudier les conditions de la contribution des nouvelles technologies de l'information au développement économique, social et culturel de la France.
Le Sénat sera appelé à statuer sur cette demande dans les formes fixées par l'article 21 du règlement.

4

ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'UNIVERSITÉ

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur les états généraux de l'université.
La parole est à M. le ministre. M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est au Sénat que s'achève la phase préparatoire des états généraux de l'université. Rien n'est plus conforme à nos institutions que de voir le Sénat, assemblée du long terme, intervenir en clé de voûte d'un grand débat national.
C'est pourquoi, d'emblée, je remercie les sénateurs de leur participation à ce débat. Je veux également remercier M. Monory d'avoir tenu à le présider personnellement, lui dont je n'oublie pas qu'il eut, deux années durant, la charge de ce si difficile dossier.
Dossier difficile, en effet : s'il est une seule certitude touchant à l'éducation en général et à l'université en particulier, c'est celle-là. Gouvernement après gouvernement, majorité après majorité, alternance après alternance, la France a découvert qu'elle ne savait pas répondre aux questions de son enseignement supérieur. Election après élection, sitôt proclamés le désir ardent et l'impérieuse nécessité de réforme universitaire, la politique universitaire retrouvait une ornière creusée par plusieurs décennies d'échecs politiques successifs. Sitôt présenté le projet de réforme, ou son idée seulement - parfois son fantasme suffisait - un mouvement étudiant se formait pour le contester ; le projet de réforme était retiré, et les problèmes de l'université retrouvaient leur calendrier habituel, celui des calendes grecques !
Je n'ai pas l'intention d'être animé, à cette tribune, d'un esprit partisan. Il est vrai qu'il y a eu des périodes plus fastes sur le plan budgétaire. Il faut en rendre hommage à ceux qui ont su conduire cet effort, et, pour ma part, je ne discuterai pas cet hommage qu'il convient de leur rendre.
Des moyens ont été accordés, mais les problèmes des étudiants et de l'université n'ont pas trouvé de réponse susceptible de rassurer les intéressés et la nation dans son ensemble. Au contraire, la succession des crises a braqué le projecteur sur un Himalaya de difficultés qui ont fini par donner l'impression qu'il y avait là, pour la société française, un lieu de résignation et d'incapacité politique.
Cette impression est désastreuse. Elle l'est pour ceux, universitaires et personnels, qui font vivre notre enseignement supérieur. Elle l'est aussi pour les étudiants, spécialement pour ceux qui font le choix de la formation universitaire et qui sont victimes de cette mauvaise image en même temps qu'ils souffrent des difficultés d'organisation et d'accueil constatées dans notre système d'enseignement supérieur.
C'est pourquoi il n'était pas imaginable de laisser cette question sans réponse. Dès que M. le Premier ministre, il y a un an exactement, m'a confié la responsabilité de l'enseignement supérieur et de la recherche, notamment nous avons examiné ensemble le calendrier de l'action indispensable en ce domaine. C'est ainsi que, dans son discours de politique générale, M. Alain Juppé a indiqué que le Gouvernement était déterminé à agir vite dans les domaines touchant à l'enseignement supérieur, en particulier l'orientation et le premier cycle universitaire.
Agir vite, c'était, et c'est toujours agir avec méthode, tant le danger de confondre vitesse et précipitation s'est déjà révélé pernicieux. Ce n'est pas seulement une question de rythme. C'est une conception de l'action qui s'impose chaque fois que l'on touche à des sujets de société, à ceux qui font la trame de la vie de nos compatriotes, à ceux qui ont pour enjeu leur destin, à ceux dans lesquels ils placent leurs espoirs, pour eux et pour leurs enfants.
Ma conviction est que, dans ces domaines, les politiques ne détiennent pas de chèque en blanc. Un peuple à haut niveau de formation et d'information ne se gouverne pas par blanc-seing. Le débat ne sert pas seulement à l'information des gouvernants, il sert d'abord à former la décision.
D'une manière certaine, les citoyens doivent être partie prenante à l'orientation et à la décision. Ils ne sont pas des sujets, même d'une monarchie éclairée ; ils ont leur mot à dire avant que la décision ne se noue. C'est même la condition pour qu'ils comprennent la portée et le sens, pour qu'ils l'acceptent, ou acceptent, en tout cas, de la considérer comme fondée. Je crois que c'est ce que le général de Gaulle avait à l'esprit lorsqu'il fit de la participation, à la fin de sa vie publique, la pierre angulaire de sa conception de la société.
La participation est un mode de gouvernement encore à explorer, tant il comporte de remises en cause, dont la moindre n'est pas celle du temps médiatique, ce temps de la précipitation et de l'obsolescence immédiate des faits et de leurs causes. En effet, la construction d'une conscience commune, le mûrissement d'une volonté commune demandent que l'on respecte le temps qui commande aux décisions profondes. Les politiques devraient méditer l'organisation du panthéon grec, qui voyait le dieu Cronos dévorer ses enfants.
Si nous voulons retrouver l'équilibre et l'harmonie de nos sociétés et réconcilier celles-ci avec la démocratie, il importe que nous apprenions à maîtriser le temps, en sachant deviner ses logiques secrètes aussi bien que les plus apparentes.
Vaclav Havel l'a dit d'une autre manière, évoquant l'impatience de ceux qui croient que l'action publique peut porter ses fruits du jour au lendemain : « Ils sont comme ces enfants qui, pour faire pousser les arbres plus vite, leur tirent sur les feuilles. »
Il convenait donc de prendre le temps nécessaire, au moins une année universitaire, pour conduire ce projet à son terme. C'est pourquoi j'annonçais dès la rentrée de l'enseignement supérieur, le 21 octobre dernier, à Cergy, le projet de cette année de réforme et le plan de ces états généraux en trois phases : la phase des questions, celle de l'élaboration des principes qui commanderaient à la réforme et, enfin, celle de l'entrée en vigueur, nécessairement progressive, des décisions, des textes, des changements à prévoir et à construire. Nous sommes au terme de la deuxième phase : celle des principes.
Comme chacun s'en souvient, les mois de novembre et de décembre ont été marqués, dans les universités comme dans le pays tout entier, par une période de tension peu propice à la réflexion organisée. C'est donc en janvier que j'ai commencé à recevoir toutes les organisations rassemblant les acteurs de l'université et de l'enseignement supérieur, quelle que soit leur nature : syndicats d'universitaires ou d'étudiants, associations de parents d'élèves, conférences des présidents, des directeurs, mutuelles ou conseils nationaux de l'université.
Plus de cent rencontres approfondies ont ainsi été organisées, sans compter des dizaines de rencontres informelles avec les acteurs individuels.
Je n'ai bien entendu pas non plus négligé, comme c'était mon devoir, la consultation du Parlement, en particulier du Sénat ; elle s'est déroulée lors d'une réunion spéciale des commissions compétentes des assemblées.
Pendant cette période, la conférence des présidents d'université - instance légitime puisqu'elle est entièrement formée d'élus de l'ensemble des acteurs locaux - a été mon interlocuteur constant au long de débats souvent passionnés, dont je veux la remercier publiquement, comme je remercie les trois présidents successifs qui ont accepté la charge de l'animer.
A l'issue de cette première phase, il m'a semblé que les problèmes de l'université française pouvaient être résumés en dix questions principales. J'ai vérifié auprès de mes interlocuteurs que ces dix questions leur paraissaient pertinentes et qu'elles recouvraient toutes leurs interrogations. Nous avons publié ces questions en livre de poche : dix dossiers de réflexion pour dix questions, rappelant des faits établis, vérifiables par tous, ainsi que l'ensemble des interrogations de nos interlocuteurs. Ce livre de poche a été tiré à 500 000 exemplaires et distribué gratuitement dans les universités.
Le débat s'est ensuite organisé localement dans toutes les universités françaises. Les conseils se sont réunis, élargis le plus souvent à des forums de réflexion. On m'a dit que les étudiants de base n'avaient pas été assez nombreux à participer à ces forums. C'est sans doute vrai. Pour qui est-ce une surprise ? Surtout pas pour ceux qui, comme moi, considèrent que l'absence de participation des étudiants dans les universités depuis des décennies doit être considérée comme le véritable symptôme de la crise endémique que connaît l'université française.
Toutefois, j'ai été encouragé par les débats dans nombre d'universités et je n'ai pas été découragé par les difficultés rencontrées ailleurs. Les universitaires et les personnels IATOS - ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service - ont donné leur avis. C'est bien ! Les élus étudiants aussi. C'est donc un mouvement qui commence. Le jour viendra, si nous sommes assidus et de bonne foi, décidés à rechercher tous les moyens d'un engagement des étudiants dans l'université, où ces derniers vérifieront que leur avis est écouté sur des sujets qui les concernent au premier chef. Ce jour-là, la vie citoyenne sur les campus aura fait un pas décisif.
A ce jour, j'ai reçu, en réponse à cette consultation, la contribution écrite des trois quarts des universités françaises. Presque toutes les organisations nationales consultées m'ont adressé leurs réflexions. J'ai été invité - c'est une première - à participer aux bureaux nationaux de trois des principales organisations nationales d'étudiants, l'UNEF-ID, l'Union nationale des étudiants de France indépendante et démocratique, l'UNI, l'Union nationale interuniversitaire, et la FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, qui m'ont présenté leurs travaux. Un débat a été organisé à la fin du mois de mai à l'Assemblée nationale, un débat a lieu aujourd'hui au Sénat.
Il reviendra au Gouvernement, dans quelques jours, de rassembler l'ensemble des attentes exprimées, de proposer les voies et les moyens, les principes qui organiseront cette réforme profonde et de longue haleine que les Français attendent.
Viendra, ensuite, le troisième acte : la mise en oeuvre. Je n'ai pas besoin de vous dire que cela ne se fera pas en un jour. Il faudra un calendrier d'application et une organisation méthodique pour conduire cette réforme jusqu'au détail de la réalité de son application, jusqu'au changement concret et perceptible par tous, évalué dans ses conséquences, défini par des textes et pris en compte dans l'organisation locale.
Je voudrais maintenant, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, reprendre devant vous les dix questions qui sont en résonance les unes avec les autres et qui décrivent l'ampleur de la tâche à accomplir.
Les deux premières questions sont commandées par l'observation, si souvent soulignée, de l'augmentation géométrique du nombre des étudiants au cours des dernières années.
Nombreux sont ceux qui s'interrogent sur l'importance du nombre de nos étudiants. La plupart d'entre eux considèrent qu'il s'agit d'un phénomène irrépressible mais ils en regrettent l'ampleur, estimant qu'il eût été préférable qu'un certain nombre de ceux qui sont présents dans les universités eussent fait un autre choix. Tel n'est pas, selon moi, le bon angle d'approche.
Toutes les sociétés développées ont mis leur enseignement supérieur en question. Toutes observent que la demande d'éducation et de formation supérieure croît, et nombre d'entre elles concluent que, dans le contexte de très grande compétitivité où nous nous trouvons, ce sont les peuples les mieux formés qui seront le mieux armés pour remporter la bataille.
La question n'est donc pas tant celle du nombre des étudiants présents à l'université que celle du choix qu'ils ont fait et qui, le plus souvent, les place en situation de grande difficulté.
Ces jours derniers, malgré un effort d'information très important en direction des lycéens de terminale avant leur inscription dans l'enseignement supérieur - effort qui a donné des résultats satisfaisants à peu près pour toutes les voies de formation proposées - nous observons un effet de mode qui porte des dizaines de milliers de lycéens à choisir la voie de la formation en éducation physique et sportive. La vérité oblige à dire que ni les débouchés ni la place dans les universités n'existent pour ces jeunes qui croient trouver là un accomplissement pour leur future carrière.
Il est très important que nous sachions apporter aux jeunes des réponses concrètes, leur montrer de manière efficace, suffisamment tôt, où sont les voies de succès pour eux, où est leur intérêt. Il est très important que nous sachions, s'il le faut, établir des règles du jeu claires de façon que ces années de formation ne soient pas, pour la plupart d'entre eux, une impasse.
La question du nombre d'étudiants commande donc les deux questions qui ouvrent ce débat, c'est-à-dire celle de la transmission du savoir et celle de l'orientation.
J'examinerai d'abord la transmission du savoir.
C'est l'échec d'un très grand nombre d'étudiants, notamment dans le premier cycle, qui explique l'inquiétude d'une partie des observateurs et de nombreux jeunes inscrits à l'université. Dans certaines filières, cet échec s'élève à 60 p. 100, et on peut trouver jusqu'à moins de 20 p. 100 des étudiants qui obtiennent leur diplôme de premier cycle en deux ans. C'est là un sujet d'inquiétude réel pour nous tous.
Cette inquiétude touche en particulier aux questions de méthodologie. Elle commande l'élaboration d'un programme raisonné afin de montrer aux étudiants que l'édification du savoir n'est pas de même nature dans l'enseignement supérieur et dans le deuxième cycle. Il existe une différence profonde entre la démarche autonome qui doit être celle des étudiants et la démarche davantage assistée qui concerne les lycéens. Nous devons conduire les étudiants à cette adaptation. Aussi la charnière, l'articulation entre l'université et le lycée doit-elle faire l'objet de tous nos soins.
La question de la transmission du savoir va évidemment de pair avec celle de la conception même des diplômes de premier cycle. Quelle est leur vocation, quelle est leur architecture ? Quelles compétences souhaite-t-on que les étudiants acquièrent au cours de ces deux premières années ? Quelle est la relation entre les diplômes de premier cycle et les diplômes de deuxième et de troisième cycle ? Quelle est l'architecture de la certification dans l'université française ?
La deuxième question est celle de l'orientation. C'est là, bien sûr, que les débats sur la sélection ont pris place.
La sélection me semble un faux problème. L'idée selon laquelle nous aurions comme objectif d'interdire à un très grand nombre d'étudiants de tenter leur chance, alors qu'ils ont su faire la preuve au baccalauréat de leur capacité à atteindre la fin des études du lycée, est absurde.
Cette question ne peut pas être posée en termes d'exclusion. En revanche, elle doit l'être en termes d'éducation, de choix que le jeune doit faire...
Mme Hélène Luc. Et de réussite !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... pour s'inscrire à l'université. Cette politique d'orientation doit donc être conçue très en amont, au lycée, peut-être même au collège. Elle doit commander l'organisation du premier cycle, de manière qu'il y ait là un continuum permettant de répondre clairement aux questions que se posent les étudiants, et que ceux-ci puissent exercer leur liberté de manière responsable.
Cette politique d'orientation est naturellement la condition même de la réforme que nous avons à construire pour notre université. J'ai été très heureux de constater, à l'Assemblée nationale - je serais très heureux si c'était également le cas aujourd'hui au Sénat - que tous les groupes se sont exprimés dans le même sens, classant, d'une certaine manière, au nombre des débats du passé, ceux qui ont tellement agité la société universitaire française et l'opinion publique sur ces sujets.
C'est un très grand pas en avant que toutes les sensibilités aient pu se rencontrer pour observer, les unes que l'exclusion n'était plus à l'ordre du jour, qu'elle n'était pas possible et qu'elle n'était pas souhaitable, les autres qu'il convenait, en effet, de traiter ce problème d'éducation pour que les choix prononcés par l'étudiant soient en cohérence avec son intérêt propre.
La troisième question, très vaste, a trait au statut des étudiants à l'université.
Je veux rappeler devant vous - je l'ai dit à l'Assemblée nationale - que je ne prends pas le mot « statut » au sens de protection contre tous les risques de la vie. Il ne s'agit pas de placer les étudiants dans une situation de fonctionnaire avant l'heure. Ce serait d'ailleurs une très grande et très profonde injustice à l'égard de ceux qui, n'étant pas à l'université, se trouveraient eux-mêmes dans une situation d'exclusion par rapport à des avantages dont les étudiants bénéficieraient.
En revanche, se pose la question de l'équité et de l'efficacité des aides que nous apportons.
Une observation simple de la distribution de ces aides permet de conclure qu'il existe deux catégories d'étudiants qui sont particulièrement aidés par la nation : d'une part, les étudiants issus des milieux les moins favorisés, les plus pauvres, d'autre part, les étudiants issus des milieux les plus favorisés, les plus riches. On aide autant les plus riches que les plus pauvres, ce qui constitue naturellement une injustice.
En théorie, on pourrait défendre l'idée - certains l'ont défendue par le passé, mais telle n'est pas ma position - qu'il faut aider également l'ensemble des étudiants, que l'Etat n'a pas à juger de leur position d'origine. Ce n'est pas, je le répète, mon avis, et même je ne crois pas qu'il s'agisse d'une position de bon sens. Mais, à la limite, on pourrait défendre cette idée.
Toutefois, aider de façon préférentielle les plus pauvres et les plus riches, et non pas ceux qui se trouvent entre les deux, entraîne une situation d'injustice.
Il convient de réfléchir non seulement à la question de l'équité des aides que l'on apporte, mais également au canal par lequel ces aides sont accordées, à leur transparence et à leur efficacité.
Mais cette réflexion n'épuise pas celle qui concerne le statut de l'étudiant. En effet, la place, la reconnaissance due aux étudiants au sein de l'université et de la société française dépasse de beaucoup la simple question des aides sociales.
Il y a une réflexion à conduire sur la participation des étudiants, il y a une réflexion à conduire sur les aspects pédagogiques, il y a une réflexion à conduire, sur la vie des campus, sur la manière dont ils sont animés, enfin, il y a une réflexion à conduire sur l'accueil et le rôle qui sont réservés aux étudiants à leur sortie de l'université.
Je suis de ceux qui croient que l'on peut imaginer une nouvelle distribution des rôles et une tout autre reconnaissance de l'étudiant au sein de la société française.
La quatrième question concerne l'équilibre entre les filières que l'université propose aux étudiants.
Un vieil héritage de l'histoire intellectuelle française nous a conduits à privilégier, au travers du temps, les voies de formation les plus intellectuelles et les plus abstraites, et nous avons considéré que le seul savoir intellectuel suffisait à épuiser l'ensemble des préoccupations de la société française. En raison de cette espèce d'esprit de caste, la France a négligé les sujets d'application pratique et la filière technologique. Elle n'a pas su construire des voies de formation susceptibles de montrer aux lycéens et aux familles qu'on pouvait autant valoriser les aptitudes au concret que les aptitudes à l'abstrait.
Aujourd'hui, il faut corriger ce défaut de notre système d'enseignement et essayer d'apporter une réponse nouvelle par la construction d'une voie technologie cohérente qui irait jusqu'au sommet des formations universitaires et qui pourrait présenter aux étudiants, de manière efficace, très tôt, la perspective d'une réalisation dans des domaines de connaissance et d'affirmation personnelle où, jusqu'alors, ils ne rencontraient pas le succès.
La cinquième question est celle de la voie professionnelle.
J'ai distingué la question de la filière technologique de celle de la voie professionnelle. C'est la première fois que cela est fait. Jusqu'à présent, en France, on disait communément « techniques professionnelles », comme si - c'est toujours ce vieil héritage d'un esprit de caste ! - l'impératif de professionnalisation ne s'adressait qu'à ceux qui ne pouvaient pas « suivre », comme l'on dit, dans les voies les plus abstraites.
Or l'observation de bon sens conduit, au contraire, à penser que l'exigence de formation professionnelle s'adresse à tous, et sans doute spécialement à ceux qui ont choisi les voies de formation les plus conceptuelles.
Je ne crois pas qu'il faille professionnaliser davantage en matière de mécanique appliquée que dans le domaine de la sociologie. C'est aux étudiants qui choisissent les filières les plus générales qu'il faut montrer et prouver, dès le début de leur entrée à l'université, qu'ils devront un jour rechercher la voie de la professionnalisation.
Cet impératif nouveau, qui n'était pas reconnu dans l'histoire de l'université parce qu'il semblait évident à tous que le diplôme valait emploi, doit aujourd'hui être mis au premier plan.
J'en viens à ma sixième question, la recherche universitaire.
Cette question, très importante, est souvent mal connue. Si l'on interrogeait la société française, au sens large - pour moi, la société française va de l'opinion publique à la direction du budget ! - sur les missions de l'université, bien évidemment, c'est la mission d'enseignement supérieur qu'elle placerait au premier plan. La mission de recherche est très largement ignorée par les décideurs.
Il convient de rappeler à cette tribune que, nulle part dans le monde, il n'y a d'université sans recherche...
M. Jean-Louis Carrère. Et il n'y a pas de recherche sans argent !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... et que tous les systèmes qui ont essayé de construire une université coupée de la recherche ont très largement échoué. Il n'y a pas de transmission du savoir sans création du savoir. Il n'y a pas de maintien d'un haut niveau de connnaissances sans mise à jour de ces connaissances. C'est pourquoi la recherche universitaire doit être présentée - c'est la loi, mais c'est également la réalité - comme l'une des missions majeures de notre organisation universitaire.
Cependant, il existe un problème spécifiquement français : nous avons fait le choix, voilà des décennies, de construire de grands organismes dont la recherche est la vocation unique. Ces organismes, qui, me semble-t-il, ont réussi dans leur ensemble, ont monopolisé la mission de recherche dans l'esprit de l'opinion publique.
Il y a donc un problème de réglage, toujours difficile à résoudre, entre l'organisation et la direction de la recherche dans les grands organismes, et l'organisation et la direction de la recherche au sein des universités. C'est cette question de l'organisation de la recherche universitaire, de ses relations avec les grands organismes, que nous avons voulu traiter ici.
La septième question, que je présenterai de manière succincte tant elle me paraît évidente, concerne l'ouverture internationale des universités.
Il n'y a pas d'université sans ouverture internationale, comme il n'y a pas d'université sans recherche. Il n'y a pas de recherche sans ouverture internationale et, désormais, il n'y aura plus de formation supérieure sans ouverture internationale.
C'est sur cette notion, sur cette exigence qu'il convient de s'interroger. Comment définir les principes qui assureront à tous les étudiants et à tous les universitaires l'ouverture internationale indispensable au rayonnement de leur université en même temps qu'à leur formation personnelle ?
La huitième question, celle des personnels, est, elle aussi, très difficile à traiter.
Je voudrais revenir au quiproquo que j'ai évoqué à l'occasion de la sixième question et qui portait sur la mission d'enseignement supérieur et la mission de recherche.
L'opinion publique dans son ensemble, depuis les décideurs majeurs jusqu'aux citoyens, confie à l'université une mission d'enseignement supérieur. Profondément surpris seraient les citoyens, ainsi que les décideurs majeurs, s'ils savaient que les carrières universitaires ne sont organisées que selon un seul critère d'évaluation, celui de la recherche.
Voilà donc une société moderne qui assigne une mission majeure à l'université, la mission pédagogique, et qui organise les carrières de ceux qui sont chargés de cette mission selon un seul critère, celui des publications des recherches.
Il y a là, me semble-t-il, des sources de dysfonctionnements majeurs qui expliquent que les universitaires les mieux disposés mais qui ont le désir légitime de faire carrière, formulent des choix quant à l'organisation de leur métier qui les conduisent, en réalité, à s'intéresser moins à l'animation des universités ou aux charges d'enseignement qu'à leurs publications.
Il s'agit de problèmes qu'il convient de traiter enfin, en y apportant des réponses cohérentes et homogènes.
De la même manière, je rappelle que, pour la première fois cette année, le nombre des emplois créés dans les universités françaises pour les personnels IATOS, qui sont si précieux, s'est situé au même niveau que pour les personnels enseignants : ce nombre s'élève, de part et d'autre, à 2 000. C'est la première fois qu'est recherché l'équilibre entre ces deux types de personnels qui font vivre nos universités.
Cependant, parmi les personnels IATOS - qui remplissent pourtant les mêmes missions - coexistent toujours des corps différents de gestion, de recrutement et de carrières. Il est très difficile de les homogénéiser, et c'est ce qui explique les débats très nombreux et parfois très agressifs que suscite la question du temps de travail des personnels IATOS et de leur engagement dans les universités.
Tout cela résulte, en réalité, d'une très grande incompréhension, qui s'explique par le maquis des carrières et des corps régissant les personnels IATOS.
Les neuvième et dixième questions concernent la gestion des universités.
Quel type d'organisation ? Quelles relations avec les partenaires ? Quelles relations avec l'Etat ? Quelles normes de répartition et quelle programmation dans le temps des moyens des universités ou de l'effort de l'Etat ? Quel type de relation entre la programmation nationale et la programmation régionale ? Quelle organisation de la décision à l'intérieur des universités ? Quel type de conseils ? Quel type de présidence ?
Toutes ces questions ont été versées au débat. Elles sont, naturellement, en très étroite relation avec une interrogation majeure que le Sénat a si souvent reprise : quel aménagement du territoire universitaire ?
Vous savez que la question des contrats entre l'université et l'Etat a dominé la réflexion ces dernières années. Il ne vous surprendra donc pas que je me range au nombre de ceux qui considèrent que le contrat doit être la clé de voûte des relations entre la puissance publique et les établissements d'enseignement supérieur et qu'il doit y être envisagé l'attribution des moyens à travers des critères transparents pour que cette attribution ne soit pas discutée.
Telles sont les dix questions qui sont soulevées. Aurait-on pu les poser autrement ? Sans doute, mais les réalités traitées auraient été les mêmes.
Nous n'avons esquivé aucun des problèmes principaux apparus lors des consultations et il a été très encourageant pour moi de vérifier que les questions n'étaient, dans leur formulation, discutées par personne ; c'est suffisamment rare pour qu'on le note.
Je voudrais, avant d'écouter le Sénat, faire deux réflexions complémentaires pour répondre à des remarques entendues ici ou là.
La première concerne le but des états généraux, qui est quelquefois mal compris.
Certains imaginent qu'il s'agit d'une recherche du consensus à tout prix. Ce n'est pas le but que je me propose : si je jugeais que, sur tel ou tel des sujets que nous traitons, le consensus ne pouvait être atteint qu'en sacrifiant le changement nécessaire, je le dis au Sénat, je choisirais le changement contre le consensus. C'est le devoir des gouvernants de choisir lorsqu'il le faut. Nous ne sommes pas ces notaires emmanchés de lustrine chargés de noter aussi scrupuleusement que possible ce qu'exposent les interlocuteurs. Ma conviction est précisément que seul ce vaste effort de consultation, de concertation, de participation, de respect des acteurs peut rendre le changement possible.
Pardonnez-moi de reprendre les métaphores agricoles qui sont celles de mes origines : c'est parce que nous aurons suffisamment labouré, hersé, fertilisé, parce que nous aurons soigneusement semé, sarclé, désherbé, que nous pourrons espérer, comme dit Charles Le Quintrec, « de belles moissons bleues » . Car ces moissons ne demandent qu'à pousser !
Contrairement à ce que nous avons cru pendant trente ans, le changement est possible à l'université, c'est ma conviction.
De la gauche à la droite de l'échiquier universitaire en passant par le centre, les zones de rencontre se sont élargies, les esprits ont bougé. Ce que j'appelle la politique du triple respect - respect des acteurs, respect du temps nécessaire au travail en profondeur, respect des réalités - a porté ses fruits, comme l'ont montré les débats de la semaine dernière à l'Assemblée nationale et comme, je l'espère, le montreront aujourd'hui ceux du Sénat.
La recherche de la conciliation et, s'il le faut, de la réconciliation, ce n'est pas l'immobilisme, c'est la condition même du mouvement.
Ma seconde réflexion complémentaire concerne les moyens. Il ne serait pas honnête de ne pas traiter de cette question, car le problème de la dépense publique se pose désormais en termes identiques dans tous les pays du monde, quelle que soit leur majorité. Vous aurez ainsi observé que, dans deux grands pays latins voisins, l'Italie et l'Espagne, des élections générales ont été organisées en même temps, à quelques jours près, et qu'elles ont vu la victoire de deux majorités antagonistes : une majorité de gauche et de centre gauche en Italie, une majorité de droite et de centre droit en Espagne. Et quelle a été la première déclaration publique des chefs des deux gouvernements qui sont issus de ces élections, dont l'un est assez à droite et l'autre très à gauche, puisque les anciens communistes italiens ont obtenu neuf sièges sur vingt dans le gouvernement italien ? MM. Aznar et Prodi ont annoncé qu'ils allaient baisser la dépense publique dans leur pays ! Cette conjonction de deux démarches politiques en principe opposées mais dont la première ligne directrice se rejoint sur le même choix politique doit, me semble-t-il, nous conduire à nous poser des questions.
Nous sommes, d'un bord à l'autre de cet hémicycle, suffisamment familiers des débats politiques en Europe et dans les pays développés pour savoir qu'il n'est pas un seul pays développé dans le monde qui n'ait procédé aujourd'hui au même choix.
Cette exigence s'impose à la France et s'imposera à elle, quelles que soient les majorités qui, dans les années qui viennent, la gouverneront.
Cela ne m'empêchera pas de défendre l'idée qu'en temps de difficultés budgétaires plus qu'à toute autre époque il faut répondre à trois impératifs.
En premier lieu, lorsque l'argent est rare, il faut choisir ses priorités, il faut le dépenser pour l'essentiel. Or, comme vous l'avez souvent dit dans d'autres enceintes, monsieur le président du Sénat, l'éducation, c'est de l'investissement ; c'est par l'éducation que l'on peut éviter des dérives ultérieures, celles qui coûteront très cher un jour ; c'est par l'éducation que se prépare la compétitivité de demain.
Ensuite, lorsque l'argent est rare, il faut savoir programmer l'effort dans le temps. C'est pourquoi je crois à la politique des contrats que la nation se donne à elle-même et des contrats que l'Etat négocie avec ses partenaires, en particulier les universités.
Enfin, lorsque l'argent est rare - et précisément à ce moment-là - il faut savoir entreprendre les réformes en profondeur permettant de donner au pays les fondamentaux sains qui feront ses succès.
C'est au moment des difficultés qu'il est le plus malaisé de réformer, c'est vrai, mais c'est au moment des difficultés qu'il est le plus urgent et le plus important de le faire. L'expérience montre même qu'il n'y a qu'à ce moment-là qu'on le fait.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la démarche et son objet. Cette démarche est de bonne foi. Elle ne vise pas à préparer la victoire d'un camp sur un autre, d'un clan sur un autre, d'une idéologie sur une autre. Le temps des camps, des clans et des idéologies fermées sur elles-mêmes, ce temps, j'en ai la conviction - et je servirai cette conviction - est derrière nous.
Je sais que, si la réforme apparaissait comme marquée d'esprit partisan, elle échouerait. Or je crois que cette réforme est indispensable et qu'après six mois de préparation elle est devenue possible. Je sais qu'elle ne marquera pas un aboutissement. Elle sera le point de départ d'une étape nouvelle pour l'université et pour l'enseignement supérieur français.
Je suis heureux que le Sénat ait accepté de participer à chacun des actes qui l'ont préparée. J'ai la conviction qu'en le faisant, en mettant ce que nous avons de volonté au service de cette entreprise, nous préparons l'avenir, nous construisons une société généreuse et efficace, nous agissons en citoyens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie. Si je ne présidais pas la séance, ce qui m'impose un devoir de neutralité, je vous aurais félicité ! (Sourires.)
M. Ivan Renar. C'est fait ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure qu'il ne fallait plus que l'université soit un lieu de résignation et d'incapacité politique. Vous savez bien que nous partageons cet objectif et cette volonté.
Vous avez décrit une démarche que nous ne pouvons qu'approuver dans ses fondements et ses justifications. En effet, s'il a existé, le temps où le ministre décidait seul est, nous en sommes tout à fait conscients, sans doute définitivement révolu. Cette attitude ne correspondait ni à l'exigence de participation - j'ai relevé, comme d'autres, que vous aviez insisté sur le mot - ni à la complexité des problèmes posés et à leur évolution dans le temps.
Nous approuvons assez largement la démarche sur ces travées. Nous pouvons approuver aussi la solennisation que vous avez recherchée en choisissant l'expression d'« états généraux » pour marquer l'importance du sujet traité et l'incidence sur notre société des évolutions qui seront engagées.
Vous l'avez dit, la préparation a été méticuleuse.
Les questions sont claires. Je ne sais pas si elles résument tout le sujet, mais elles sont claires. Elles peuvent donc recevoir, espérons-le, des réponses précises et claires.
Je ferai maintenant part d'une légère insatisfaction, que vous-même n'avez d'ailleurs pas cachée tout à l'heure. Elle a trait au fait que ces états généraux ont donné lieu à des débats qui n'ont pas été suivis par beaucoup d'étudiants. Sans doute l'époque y est-elle pour quelque chose ! Y a-t-il des raisons plus profondes ? J'ai cru comprendre que c'était votre avis.
Par ailleurs, je regrette un peu que la consultation soit restée à l'intérieur des murs de l'université. L'évolution de l'université, son avenir, c'est l'affaire de la nation tout entière.
Bien sûr, le Parlement est consulté, notamment aujourd'hui, et je pense que nous ne sommes pas au bout du processus, comme vous l'avez vous-même laissé entendre.
Sur ce point, je crois que l'on peut attendre beaucoup. Le face-à-face entre le ministre et les organisations syndicales, ce face-à-face fait d'esquives, de tactiques, ne correspond pas à la noblesse du sujet et à son importance, vous l'avez parfaitement compris. On peut souhaiter que la nation soit largement associée à cette réflexion.
J'examine maintenant le fond du sujet pour m'arrêter à quelques points seulement.
Après beaucoup d'autres, je veux rappeler le paradoxe français de l'enseignement supérieur, qui est caractérisé par l'existence de deux secteurs : un secteur protégé, si je puis dire, en tout cas sélectif, celui des grandes écoles, des IUT, des BTS et de certaines écoles d'ingénieurs, et un secteur beaucoup plus ouvert, le secteur universitaire. Paradoxalement, c'est dans ce second secteur que se trouvent les maîtres les plus titrés, ceux dont la mission - vous l'avez rappelé en y insistant - est non seulement de transmettre le savoir, mais de l'élaborer, de le « fabriquer », ce qui est évidemment une difficulté supplémentaire.
Pourtant, le secteur sélectif croît. Son importance augmente en valeur absolue, ainsi qu'en pourcentage, d'après les indications qui me sont données. Cette opposition, toutefois, ne suffit pas à rendre compte de la réalité, beaucoup plus bigarrée : les BTS évoluent. Le nombre des étudiants qui suivent cette filière augmente de façon très sensible, mais ces brevets sont de moins en moins sélectifs, à l'instar me dit-on, des IUT, du moins de certains d'entre eux.
Faut-il mettre fin à une situation marquée par cette opposition ? Dans la mesure où elle correspond à une tradition forte dans notre pays et où elle permet certains ajustements et une certaine souplesse, je ne pense pas qu'il soit possible de la modifier.
En revanche, il faudrait sans doute en corriger certains effets pervers.
On ne peut pas ne pas observer que les étudiants relevant du secteur le plus protégé sont ceux qui bénéficient des crédits les plus importants, que le coût d'un élève ou d'un étudiant de ce secteur est beaucoup plus élevé que celui d'un étudiant du secteur universitaire proprement dit.
Il y a là une anomalie, un déséquilibre, qu'il conviendrait de corriger.
Je signalerai une autre « bizarrerie » : lorsqu'un bon élève devenu étudiant d'IUT a l'ambition légitime de continuer son cursus, il revient à l'université, mais pas toujours dans de très bonnes conditions, ce qui en fait un insatisfait de plus.
Je voudrais maintenant parler du défi de l'échec, de ce défi lancé à la société française.
Ainsi que vous l'avez rappelé tout à l'heure, la situation actuelle n'est pas satisfaisante. Une réponse par la sélection ne conviendrait pas. Vous l'avez dit, monsieur le ministre, et je tiens à vous dire que nous partageons largement votre opinion.
On ne peut pas réduire les effets des échecs en anticipant leur constat. Ce n'est pas la solution. Il faut simplement essayer de corriger les échecs.
Parler de sélection, ce serait oublier l'extraordinaire demande sociale. Ce serait aussi oublier que le taux d'entrée dans les universités n'est pas, dans notre pays, supérieur à ce qu'il est dans les autres grands pays, qu'il est même parfois légèrement inférieur.
J'en viens aux solutions. Vous en avez évoqué plusieurs, et certaines d'entre elles sont tout à fait essentielles. Je voudrais y revenir, si vous le permettez, monsieur le ministre.
Parlons d'abord de l'orientation. Il s'agit de donner enfin un contenu à ce mot.
Il convient sans doute de commencer très tôt, beaucoup plus tôt que la classe terminale, car il est déjà bien tard et les projets se sont souvent figés. Il importe donc de regarder bien avant comment se forment les projets des futurs étudiants.
Une remarque me paraît refléter la difficulté dans ce domaine. L'orientation, elle existe dans le second degré, elle est même parfois assez autoritaire. Certaines procédures ont été mises en place à la fin de la quatrième et à la fin de la seconde. Un élève scolarisé au lycée ou au collège ne fait pas tout ce qu'il veut, il ne va pas là où il veut, ou même là où ses parents voudraient qu'il aille.
Le baccalauréat efface tout : le baccalauréat donne liberté à l'étudiant d'entrer dans quelque filière que ce soit de l'enseignement universitaire.
Cette situation exige une analyse approfondie, non pas pour introduire la contrainte, mais pour aider les lycéens à bâtir leurs projets et à élaborer leurs choix.
La commission des affaires culturelles, vous le savez, monsieur le ministre, a constitué une mission qui vous transmettra ses propositions, sans doute après l'énoncé des principes que vous annoncerez bientôt. J'espère toutefois que les propositions de la commission vous seront utiles et qu'elles seront prises en compte.
S'agissant encore de l'orientation, il faut également éviter la fracture entre le lycée et l'université.
Cette fracture tient à l'extrême et brutale spécialisation. Elle tient aussi à la présence, théoriquement du moins, de maîtres qui ont comme charge principale l'enseignement, bien sûr, mais aussi le progrès du savoir dans leur discipline. La fracture tient par ailleurs à des modes de vie différents, ainsi que, sans doute, à l'organisation même de l'année universitaire.
Sans doute y a-t-il des formules à rechercher. Elles sont variées et diverses. Je suis persuadé que des progrès sensibles peuvent être faits dans ce domaine.
Je traiterai enfin de l'insertion professionnelle, je terminerai sur ce point, mais il y aurait encore beaucoup à dire.
Vous avez, à très juste titre, évoqué la professionnalisation. Cette professionnalisation est nécessaire dans toutes les filières, à condition, évidemment, qu'on ne la conçoive pas de manière trop étroite. Elle est nécessaire, mais elle exige sans doute un autre mode de fonctionnement, d'organisation des universités, peut-être même une autre distribution des pouvoirs dans les universités. C'est un vaste sujet, celui de l'autonomie des universités.
Comment faire pour affirmer la pérennité des diplômes nationaux dans un pays comme le nôtre et l'adaptation aux besoins et aux réalités ? C'est un beau « challenge », c'est en tout cas un vaste sujet de réflexion.
Je suis persuadé, pour ma part, qu'on n'y parviendra qu'en donnant aux universités une capacité d'agir qu'elles n'ont pas peut-être suffisamment aujourd'hui, en contractualisant leurs relations aussi - vous l'avez recommandé tout à l'heure - et, bien entendu, d'abord leurs relations financières avec le ministère dont elles dépendent.
Monsieur le ministre, vous avez tout à l'heure parlé du calendrier. Je terminerai mon propos en traitant brièvement de ce sujet.
Alain disait : « Un calendrier est un avenir divisé en cases où je vais pouvoir distribuer mes projets et mes espérances. » Nous aurons besoin de savoir comment vous répartissez vos projets dans les cases que nous laisse le calendrier de la politique, puisque personne ne peut méconnaître cette nécessité.
M. Jean-Louis Carrère. Voilà ! C'est comme pour la réforme de la fiscalité : avant les législatives et avant la présidentielle !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Je me demande, monsieur le ministre, si l'un des sujets que vous avez à traiter en priorité, et sur lequel vous avez tout à l'heure justement insisté, ne serait pas celui de l'aide aux étudiants et du statut de l'étudiant.
Il me semble qu'il y a des choses à accomplir rapidement dans ce domaine, et qu'on peut y parvenir à condition d'avoir, bien entendu, du courage. Mais nous savons que vous en avez et que le Gouvernement a la volonté politique d'avancer.
Victor Hugo campe, dans une scène assez étonnante de Choses vues, je crois, Louis XV. Il le montre recevant un projet de réforme et le jetant dans un tiroir en disant : « Voilà pour mon successeur ! ». Certes, Louis XV n'est pas votre personnage historique préféré...
M. Ivan Renar. Louis XVI non plus !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. ... vous en aimez mieux un autre ! (Sourires.)
Eh bien, monsieur le ministre, inspirez-vous de la détermination et du panache de votre préféré. Nous vous faisons confiance, lucidement, mais nous vous faisons confiance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jacques Valade remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE

vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Camoin.
M. Jean-Pierre Camoin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est aujourd'hui appelé à débattre sur les états généraux de l'université qui ont été initiés par le Gouvernement pour préparer l'avenir et les nécessaires réformes de notre enseignement supérieur.
Comme vous le savez, cette concertation s'inscrit dans une floraison d'initiatives et d'instances de réflexion créées sur le même thème, dont les calendriers ne coïncident pas nécessairement, ce qui risque de provoquer une certaine perplexité dans l'opinion.
Sans reprendre la totalité des problèmes qui doivent être abordés au cours des états généraux, je voudrais évoquer quelques thèmes qui me paraissent essentiels pour l'avenir de l'enseignement supérieur : l'image de l'université dans l'opinion, l'orientation dans les premiers cycles, le nécessaire développement de la recherche universitaire, auxquels j'ajouterai quelques réflexions relatives à l'opportunité de légitimer par la voie référendaire les réformes qui seront proposées.
S'agissant du premier point, tout le monde peut constater que l'université ne bénéficie pas d'une image flatteuse dans l'opinion. On souligne souvent l'inadaptation de ses formations aux besoins des entreprises ; on dénonce un enseignement trop académique ; on la tient pour responsable des taux d'échec constatés dans les premiers cycles et du chômage ou de la déqualification de ses diplômés.
Je voudrais, à cet égard, souligner que notre système universitaire a été confronté depuis une dizaine d'années à un défi considérable, celui de la « massification », et l'on peut considérer que l'université y a répondu d'une manière aussi satisfaisante que possible, compte tenu des moyens qui lui sont accordés.
Je rappellerai à ce propos que 10 p. 100 d'une génération obtenait le baccalauréat en 1960, que ce pourcentage est passé à 30 p. 100 en 1985 et à 60 p. 100 en 1995, l'objectif de conduire 80 p. 100 d'une classe d'âge au baccalauréat étant ainsi en passe d'être réalisé, et que 2,2 millions d'étudiants sont aujourd'hui accueillis par le système universitaire, soit un doublement des effectifs étudiants au cours des dix dernières années.
L'université a donc, contrairement à une opinion trop répandue, surmonté dans des conditions convenables le choc démographique des dernières décennies et elle a sans doute plus évolué que la société française au cours des mêmes années, notamment que le secteur de la protection sociale.
Il convient également de remarquer qu'une partie très importante de notre enseignement supérieur fonctionne d'une manière satisfaisante : c'est le cas des filières sélectives à finalité technologique et professionnelle - classes préparatoires et grandes écoles, instituts universitaires de technologie, sections de techniciens supérieurs, instituts universitaires professionnalisés - mais aussi des cycles supérieurs, même si les deuxièmes cycles risquent, dans les années à venir, de connaître comme les premiers cycles des difficultés.
J'ajouterai, contrairement à ce qu'on peut en dire, que le diplôme universitaire reste un atout pour la recherche d'un emploi et que le chômage touche dans des proportions bien supérieures les jeunes dépourvus de qualification.
Il reste que les premiers cycles qui accueillent, sans sélection, l'ensemble des bacheliers concentrent l'essentiel des difficultés rencontrées par l'université et enregistrent un échec universitaire trop important qui est source de gaspillages humains et financiers inacceptables.
Encore convient-il de ne pas dramatiser et exagérer le discours tenu sur l'échec dans les premiers cycles puisque 57 p. 100 des étudiants inscrits en DEUG passent en licence, soit un taux non négligeable qui peut être rapporté à celui des classes préparatoires scientifiques - 60 p. 100 - que de nombreux étudiants se réorientent vers d'autres filières et que les autres auront retiré de toute façon de leur passage à l'université un bénéfice qui pourra être valorisé lors de leur embauche.
La situation apparaît, certes, plus préoccupante pour les bacheliers technologiques, dont 75 p. 100 ne passent pas en licence et, surtout, pour les bacheliers professionnels qui se présentent en nombre de plus en plus grand dans les premiers cycles généraux avec des chances de réussite excessivement faibles.
C'est donc en priorité pour ces deux types de bacheliers qu'il importe, d'une part, de développer un véritable dispositif d'information et d'orientation, dès l'enseignement secondaire, et de prévoir, d'autre part, des formations adaptées, afin de réduire la fréquence de leur échec à l'université.
J'en terminerai avec ce premier point en notant que l'enseignement supérieur apparaît, à bien des égards, comme le parent pauvre de notre système éducatif et que la dépense que nous consacrons à chaque étudiant reste inférieure de moitié à celle de pays comparables, comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis : il conviendra, à cet égard, sans doute, de réexaminer la part des crédits consacrés à chaque degré d'enseignement et d'envisager un certain transfert des moyens du primaire, voire du secondaire, vers le supérieur, ainsi que de revoir la répartition des crédits entre les filières sélectives, notamment les grandes écoles et les filières générales universitaires.
J'aborderai ensuite le deuxième thème de mon intervention, déjà rapidement évoqué, celui de l'orientation des lycéens et des étudiants, qui constitue un moyen privilégié pour réduire l'échec dans les premiers cycles.
Comme vous le savez, la commission des affaires culturelles a pris l'initiative de créer une mission d'information sur l'information et l'orientation des étudiants des permiers cycles. Cette mission a pu constater, tout au long de ses auditions, que le système actuel ne fonctionnait pas d'une manière satisfaisante, du fait, en particulier, d'un manque de moyens - 4 500 conseillers d'orientation pour 6 millions d'élèves et 2,2 millions d'étudiants - mais aussi d'une mauvaise organisation n'assurant pas une articulation convenable entre le lycée et l'université et ne prenant pas suffisamment en compte les réalités des entreprises et les besoins de l'économie.
L'information dispensée aux lycéens et aux étudiants en vue de leur orientation, en dépit d'expériences engagées dans de nombreux lycées et universités, présente en effet de graves lacunes concernant le contenu, les débouchés et le devenir des étudiants des diverses filières supérieures, et l'évaluation des universités apparaît à cet égard inexistante.
Ce constat est d'autant plus regrettable qu'une véritable rupture existe, notamment sur le plan méthodologique - vous avez insisté sur ce point tout à l'heure, monsieur le ministre -, sur le contenu des enseignements et sur les modalités d'encadrement entre le lycée et l'université.
La massification de notre enseignement supérieur ne sera une chance pour le pays que si les nouveaux étudiants ont la possibilité de s'orienter vers des filières correspondant à leurs capacités, après une information dispensée très en amont de leur entrée à l'université.
J'ajouterai que la « demande sociale » qui s'exprime en matière d'études supérieures commande de maintenir le principe du libre accès à l'université, en permettant à chaque bachelier de tenter sa chance dans les premiers cycles. La prise en compte de cette réalité conduit, en conséquence, à exclure toute idée de sélection après le baccalauréat, qui doit rester le premier des grades universitaires.
Afin de répondre à ce défi du grand nombre, une véritable politique d'orientation devra être développée. Quels pourraient en être les grands axes ?
Il faudrait d'abord sans doute rechercher une simplification des DEUG, qui apparaissent aujourd'hui trop spécialisés autour de quelques grands types de formation.
Il serait souhaitable ensuite de s'orienter vers une diversification et une professionnalisation des filières supérieures, soit en créant une grande voie technologique, soit en instillant une formation technologique dans l'ensemble des filières, même générales, qui s'accompagnerait d'un développement des stages en entreprises.
Il conviendrait également d'envisager une période d'observation et d'orientation au cours de la première année d'université, complétée, le cas échéant, par une remise à niveau, notamment pour les bacheliers technologiques et professionnels, un système de passerelles permettant des réorientations rapides entre les diverses filières et un renforcement de l'encadrement dans les premiers cycles.
Une politique efficace d'orientation constituerait ainsi l'une des principales réponses à la démocratisation de notre système universitaire et permettrait de réduire la fréquence des choix fantaisistes ou dictés par les modes qui contribuent à réduire la motivation des nouveaux étudiants et à alimenter l'échec universitaire dans les premiers cycles.
J'en viens maintenant au troisième volet de cette intervention : le nécessaire soutien qu'il convient d'apporter à la recherche universitaire.
Il convient d'abord de rappeler que le niveau de la recherche d'aujourd'hui commande notre prospérité de demain et que la recherche universitaire constitue un enjeu décisif tant pour la formation des étudiants que pour le développement scientifique du pays.
A cet égard, un débat s'est engagé sur la place des enseignants-chercheurs dans les premiers cycles et sur la part qu'il conviendrait d'accorder aux professeurs agrégés du secondaire dans le fonctionnement de ces derniers. Afin d'éviter une « secondarisation » des premiers cycles, de préparer les étudiants à la poursuite d'études et de garantir l'actualité des enseignements dispensés, il semble indispensable de conserver une part importante d'enseignants-chercheurs qui devraient sans doute, en sens inverse, accorder plus d'importance à l'animation pédagogique, à l'encadrement et à l'orientation des étudiants.
Cet objectif implique un aménagement de la carrière des enseignants-chercheurs, qui ne serait plus fondée exclusivement sur leur activité de recherche, et un recours plus large aux jeunes docteurs pour renforcer l'encadrement des premiers cycles.
Monsieur le ministre, la brillante démonstration que vous avez faites tout à l'heure montre que vous partagez tout à fait cette opinion.
Il conviendrait également que la recherche universitaire développe une véritable synergie avec les entreprises, que l'université soit davantage associée à leurs projets et que les stages en entreprises des chercheurs et des étudiants se trouvent multipliés. Au total, alors que la « dualisation » de l'enseignement supérieur constitue une tentation permanente, il ne faudrait pas que l'affectation de toutes ses ressources à un enseignement de masse, sans orientation et sans finalité, aboutisse à sacrifier la recherche universitaire qui se réfugierait alors dans les grands établissements et les grands laboratoires.
J'en terminerai par quelques remarques relatives à la nécessité de légitimer la réforme de notre enseignement supérieur, ce qui soulève la question de l'organisation éventuelle d'un référendum sur le système éducatif.
A titre personnel, je ne peux qu'être favorable au principe d'une légitimation référendaire, à la condition que cette procédure réponde à certaines exigences.
D'abord, un référendum sur l'organisation de notre enseignement supérieur ne saurait être utilisé pour permettre à une majorité, même parlementaire, d'imposer une réforme contre le monde universitaire et sans aucune concertation préalable.
M. Claude Saunier. Très bien !
M. Jean-Pierre Camoin. Il ne saurait s'agir, en l'espèce, de faire passer en force une série de mesures contre les principaux acteurs de l'université, qu'ils soient enseignants ou étudiants.
J'apprécie l'approbation de M. Rocard à sa juste valeur !
M. Michel Rocard. Il s'agissait de M. Saunier !
M. Jean-Louis Carrère. Nous n'avons pas tous approuvé !
M. Jean-Pierre Camoin. A cet égard, la méthode de concertation engagée par le ministre avec l'ensemble des organisations représentant le monde universitaire, les présidents d'université, les étudiants et les enseignants au sein de chaque établissement doit être saluée, ce que je fais à cette tribune.
Il importe cependant de remarquer que, pour des raisons tenant à l'organisation de l'année universitaire, cette concertation se déroule dans les établissements, à un moment peu propice à la participation directe des étudiants et que la consultation de la centaine d'organisations entendues par le ministre, si elle présente un intérêt évident, ne peut masquer une réalité, celle d'une faible représentativité des organisations enseignantes et étudiantes, qui est traditionnelle dans l'enseignement supérieur.
Je tiens à vous remercier, ensuite, monsieur le ministre, d'avoir associé le Parlement à cette concertation. Vous l'avez fait voilà quelques semaines en venant devant notre commission des affaires culturelles et en organisant un débat à l'Assemblée nationale ; vous le faites aujourd'hui devant le Sénat tout entier. J'ose espérer que ces débats permettront de lever une certaine incompréhension, voire une certaine méfiance, qui subsistent entre les parlementaires et le monde universitaire.
A titre personnel, je souhaite porter témoignage en indiquant que les nombreuses auditions qui se sont déroulées au sein de notre mission d'information sur les premiers cycles ont permis de réduire notablement cette incompréhension, que j'éprouvais d'ailleurs moi-même sans m'en rendre bien compte.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. C'est tout à fait vrai. Très bien !
M. Jean-Pierre Camoin. Je crois qu'une attitude didactique doit être adoptée vis-à-vis des parlementaires pour leur apprendre l'université. Certes, ils l'ont connue pour la plupart mais elle a tellement évolué depuis quelques dizaines d'années que certains d'entre nous ont besoin de la réapprendre.
La représentation nationale a ainsi naturellement vocation à participer à cette réflextion sur l'avenir de notre enseignement supérieur, qui ne doit pas être laissée à la seule compétence des spécialistes et des acteurs universitaires. Le Parlement sera éventuellement conduit à examiner les modifications législatives, voire la programmation budgétaire que vous lui proposerez.
Il reste que la logique de votre démarche commande de prolonger cette concertation par une consultation des citoyens et que, à l'issue d'un débat approfondi dans le cadre des états généraux, tous les Français soient invités à se prononcer par voie référendaire pour légitimer une réforme qui commande l'avenir de notre jeunesse.
Si le pays doit être appelé à se prononcer par référendum sur une réforme de société essentielle, celle du service national, pourquoi ne pas l'inviter à se prononcer, selon la même procédure, sur un dossier aussi important, celui du nécessaire aménagement de notre système universitaire ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, permettez-moi, au nom de mon groupe, de saluer votre volonté, d'une part, d'engager la réforme de notre système universitaire, domaine considéré comme impossible à traiter, d'autre part, d'avoir voulu qu'un sujet aussi important fasse l'objet d'un débat avec les représentants de la nation. Soyez-en remercié, car vous avez raison sur le fond et sur la forme.
Sur la forme, vous avez choisi la concertation, la participation. Vous avez raison car, dans ce domaine comme dans de nombreux autres, les corporatismes sont forts et retardent, ralentisssent, voire interdisent souvent les réformes pourtant jugées nécessaires.
La seule méthode est bien celle du dialogue et du partenariat : en effet, ce n'est pas en dressant les uns contre les autres que nous avancerons.
Il est vrai qu'au terme de cette phase de concertation il nous faudra faire preuve de volonté, de courage et, si besoin, de fermeté, tant sur les choix, sur les orientations, que sur le calendrier.
Sur le fond, cette réforme est indispensable et urgente tant au niveau économique qu'au niveau social.
Le contexte social nous l'impose. Malgré les efforts conjugués de l'Etat, des collectivités locales, des professions, un jeune sur quatre, à l'issue de son cursus, est conduit à pousser la porte de l'ANPE. Cela n'est pas acceptable. On estime à 40 p. 100 le nombre d'étudiants en situation d'échec au terme de leur première année d'université, et, parmi eux, 60 p. 100 sont issus des bacs professionnels ou technologiques.
Certes, les titulaires d'un diplôme délivré à l'issue d'études longues trouvent plus facilement un emploi. Mais à quel prix, car nous sommes dans cette logique infernale de « qui peut le plus peut le moins » !
Nous formons chaque année 160 000 étudiants de niveau I et II pour seulement 65 000 offres d'emploi. Le risque social est là : nous sommes en train de faire une génération de frustrés et d'aigris, qui, tôt ou tard, nous réclamera des comptes.
Cette réforme est également urgente au niveau économique en raison du formidable « gâchis » humain d'abord, financier, ensuite auquel nous assistons. En effet, depuis vingt ans, face aux difficultés, aux corporatismes, les gouvernements successifs, quelle que soit d'ailleurs leur couleur politique, ont répondu par l'inflation budgétaire. Pour quels résultats ? Ceux que je viens d'énoncer.
Aujourd'hui, la situation financière du pays, la charge de la dette, le poids énorme de secteur public nous mettent le dos au mur et nous interdisent une nouvelle dérive budgétaire. Mais, même si nos moyens financiers étaient meilleurs, je ne suis pas convaincu que la situation s'en trouverait améliorée. En effet, le problème est plus profond ; il s'agit d'un problème culturel, d'un problème de société presque inscrit dans nos gènes.
Depuis des décennies, notre société ne reconnaît qu'une forme d'intelligence : l'intelligence abstraite. Notre société tout entière est atteinte par le « syndrome de la diplômite », qui a dévoyé notre système éducatif.
Des décisions qui a l'origine sont bonnes et adaptées engendrent souvent des résultats à l'opposé de ceux qui sont recherchés.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de prendre l'exemple des bacs professionnels. Cette voie répondait à la fois aux besoins de notre économie et aux aspirations de jeunes qui souhaitaient une scolarité courte. Leur diplôme en poche, la grande majorité d'entre eux devait normalement intégrer la vie professionnelle ; quelques-uns, bien sûr, pensaient poursuivre par un BTS.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
La plupart de ces jeunes sont obligés soit de pousser la porte de l'ANPE, soit d'entrer à l'université, filière pour laquelle ils sont le moins bien préparés.
Pourquoi sont-ils confrontés à une telle situation ? Pour deux raisons au moins.
Le manque d'analyse des besoins de l'économie et le phénomène de mode ont fait orienter la moitié des bacs professionnels vers le secteur tertiaire, où les débouchés sont limités et où, aujourd'hui, les titulaires d'un bac sont concurrencés par leurs camarades détenteurs d'un BTS ou d'un DUT, n'ayant plus comme seul recours que l'université.
Quelles conclusions peut-on tirer de tout cela ?
Une décision qui était a priori justifiée se solde aujourd'hui par un double échec : pour le titulaire d'un bac professionnel, mais aussi pour le titulaire d'un bac général, qui, après le BTS ou le DUT, décidera sans doute de poursuivre son cursus en université.
Notre système est à la fois très sélectif au niveau des grandes écoles, des BTS et des DUT - même si c'est dans une moindre mesure dans ces derniers cas - et très ouvert pour les autres filières.
Considérée sur le plan de l'éthique, la sélection n'est peut-être pas souhaitable. Mais la réalité est souvent tout autre. La sélection est là. Elle s'opère par l'échec et très souvent par défaut.
En fait, nous oublions trop souvent la triple réponse que doit apporter tout système éducatif : une réponse d'ordre économique, une réponse sociale, une réponse d'aménagement du territoire. C'est parce que nous avons en permanence oublié ce triptyque que le système s'est dévoyé.
Pendant les « trente glorieuses », le contexte économique nous a fait privilégier la réponse sociale. La crise économique actuelle nous inciterait, aujourd'hui à privilégier une réponse strictement utilitaire, certes nécessaire, mais dangeureuse, car les besoins évoluent très vite. Je n'insisterai pas sur la réponse en matière d'aménagement du territoire : vous savez comme moi que l'inégalité du domicile est sans doute, après celle de l'emploi, l'une des plus flagrantes ; mais il est vrai que les délocalisations universitaires trouvent leurs limites.
Cette triple réponse est bien sûr sélective, mais au sens noble du terme, car elle doit être ou devrait être, la résultante d'une action qui, aujourd'hui, fait terriblement défaut : l'orientation.
Aujourd'hui, l'orientation est vécue comme un échec par le jeune à qui l'on dit : « On va t'orienter. Tu vas aller voir le conseiller d'orientation ».
Monsieur le ministre, le déficit d'orientation est sûrement la raison majeure de nos difficultés. S'il est un domaine où notre action doit se porter en urgence, c'est bien celui-ci.
Pour réussir, elle doit être le fait des trois partenaires du système éducatif : la communauté éducative, le monde économique, le jeune et sa famille.
S'agissant de la communauté éducative, il faut réduire le gué, pour ne pas dire le fossé, qui existe entre le lycée et l'université. Les liens ne sont pas assez forts entre l'orientation au lycée et celle qui est faite à l'université. Construisons un véritable dispositif d'information entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, mais aussi entre le monde universitaire et le monde économique, qui trop souvent se rejettent les responsabilités. Ce dernier devrait s'impliquer d'avantage, comme il le fait pour les filières professionnelles.
Le jeune et sa famille sont les premiers acteurs de l'orientation. Ce n'est pas facile, le parcours est complexe.
La plupart des parents souhaitent que leurs enfants soient étudiants. Pour beaucoup d'étudiants, c'est la première fois qu'un membre de la famille arrive en université.
Par ailleurs, la carrière des enseignants-chercheurs se fait plus sur les publications que sur les actions pédagogiques. Ils sont donc de ce fait peu incités à faire du soutien. C'est la raison pour laquelle le témoignage, voire le parrainage d'étudiants auprès des élèves de terminale, doit être encouragé.
Il est pourtant un corps dont ce devrait être la mission : celui des conseillers d'orientation. Force est de reconnaître que les résultats ne sont pas satisfaisants. Et pourtant ces conseillers sont le point de contact privilégié entre le jeune, l'établissement et le monde économique. Mais leur nombre est insuffisant : 4 500 pour 8 millions d'élèves. Le temps qu'ils peuvent passer par élève ne dépasse pas en moyenne trois quarts d'heure à une heure. C'est surréaliste lorsque l'on sait que l'orientation, avant d'être un problème de logiciel, de plaquette ou d'information, est d'abord un problème d'hommes.
Il est clair que la situation budgétaire nous interdit d'en augmenter considérablement le nombre. Alors améliorons d'abord leur connaissance de l'entreprise - ils le souhaitent - et ensuite confions-leur la mission de chef d'orchestre autour d'un réseau constitué par des compétences disponibles : celles des retraités du monde économique et industriel et celles des étudiants capables, plus que quiconque, de témoigner de leur expérience auprès des lycéens.
Un tel dispositif permettrait d'améliorer l'orientation des jeunes, qui aujourd'hui relève pour beaucoup du hasard et de la méconnaissance des filières, et qui souvent intervient de façon tardive : en effet, un tiers seulement des lycéens arrêtent leur choix avant la terminale, tandis que la moitié d'entre eux prennent une décision pendant l'année du baccalauréat et un quart après celui-ci.
Par ailleurs, un étudiant sur quatre, au terme de la première année d'université, dit regretter son choix et prendrait une autre orientation si c'était à refaire.
C'est une mesure urgente qui peut être mise en place sans conséquences financières importantes.
Une autre mesure à court terme consiste à favoriser la réorientation des jeunes en situation d'échec au terme du premier trimestre à l'université en les dirigeant vers des classes de BTS.
Des expériences existent ; elles donnent de bons résultats, et je crois qu'il convient de les encourager.
Voilà quelques pistes pour le court terme, mais, monsieur le ministre, notre action doit aussi s'inscrire dans la durée, car il s'agit d'un problème de société.
Dans cette optique, permettez-moi de formuler trois propositions.
En premier lieu, je pense que l'orientation doit faire partie intégrante des programmes scolaires et universitaires, et ce le plus en amont possible : au collège, et j'oserai même dire à l'école primaire, à destination non pas des enfants, mais des enseignants. Pour cela, développons les conventions entre le monde économique local et les IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres. En effet, les futurs maîtres ont souvent une image très négative du secteur industriel et de l'entreprise, qui fait souvent référence à Zola.
Or c'est cette image qu'ils transmettront à nos jeunes. Comment s'étonner dès lors qu'aujourd'hui à peine 14 p. 100 d'entre eux soient attirés par les secteurs de l'industrie ou de l'artisanat, qu'ils jugent sales, bruyants, « ringards » ? En revanche, un tiers des jeunes veulent être fonctionnaires, alors que le secteur productif est sûrement aussi indispensable au développement économique d'une grande nation que la fonction publique.
Il faudrait aussi modifier les rythmes scolaires, non pas au sens du calendrier ou de l'horloge, fût-elle biologique, mais en vue de donner une place à d'autres acteurs de l'orientation, de l'emploi et de l'économie au sein de nos collèges, de nos lycées et de nos universités.
En deuxième lieu, il faudrait que la première année d'université présente des filières plus larges, au moins au cours du premier semestre, afin de favoriser une préorientation permettant au jeune de choisir véritablement sa spécialité. L'alternance, qui devrait être une partie intégrante de tout cursus universitaire, doit, bien sûr, être développée.
En troisième lieu, il conviendrait de proposer aux jeunes un parcours plus itératif et une insertion plus précoce dans la vie professionnelle, en leur donnant unticket de retour vers la formation s'ils le souhaitent.
Ce ne sont, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que quelques mesures parmi tant d'autres, car s'il est une solution qu'il nous faut bannir à jamais, c'est la solution unique.
Elle a été enfantée par les corporatismes, les beaux discours, les idéologies et les dogmes. Elle a toujours nié les réalités, qui, il est vrai, sont parfois dures à accepter. Ainsi, on sait par exemple qu'un enfant qui redouble le cours préparatoire n'a que 5 p. 100 de chance de réussir au baccalauréat !
C'est de l'avenir de nos enfants qu'il s'agit, et, comme vous l'avez dit à juste titre, monsieur le ministre, « c'est un peu de la France qui est en jeu ». Sachons donc créer le cadre favorable à l'expérimentation autour de la triple réponse dont j'ai parlé.
Monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants est et sera à vos côtés pour donner à nos jeunes une autre espérance que la fatalité du chômage, en leur offrant le meilleur investissement qui soit, celui de la connaissance, afin de leur permettre de réussir au mieux leur vie. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons longtemps vécu dans l'idée que rien ne pouvait faire fondre le glacis universitaire français.
Quelle loi, quel règlement, quelle circulaire, quel rapport - oserai-je dire « quelle rumeur » ? - n'a pas provoqué sur l'épiderme sensible des étudiants un prurit, un urticaire douloureux et parfois dramatique ? Etudiants, personnels enseignants ou administratifs ont en effet souvent montré une forte réticence à tous changements profonds dès lors qu'ils n'en maîtrisaient ni les tenants ni les aboutissants.
Il est cependant vrai que l'Etat n'a jamais pu ou su rénover en profondeur la citadelle universitaire, se heurtant tour à tour à une forte capacité de résistance et aux difficultés budgétaires. Il n'a pas réussi les réformes qui pourtant s'imposaient, malgré les attentes des étudiants, des enseignants et de l'opinion publique en général. N'est-ce pas là un étrange paradoxe s'agissant d'un enjeu d'ordre national, voire européen ?
Il serait donc inexact de dire que l'université n'a pas évolué depuis vingt ans. L'offre de formation s'est accrue de façon importante, les facultés se sont ouvertes sur l'extérieur, des expériences pédagogiques ont été menées avec succès. Mais elle n'a pas pu faire face au flot toujours croissant des jeunes frappant à sa porte et s'adapter au marché de l'emploi. Elle n'a pas su, non plus, faire suffisamment preuve de pragmatisme et de créativité pour suivre les mutations de notre société.
Je tiens en cet instant, monsieur le ministre, à saluer, au nom du groupe de l'Union centriste, votre courage et votre détermination. Alors que les problèmes de l'université ont depuis longtemps été cernés, il méritaient d'être affinés. Il est temps, aujourd'hui, de mettre en place les moyens de les résoudre ou tout au moins de tenter de le faire.
Les états généraux que vous avez lancés en octobre dernier témoignent du fait que l'université n'est pas une bastille imprenable. En effet, tous les partenaires concernés ont adhéré totalement à la méthode que vous avez choisie. Ils ont participé visiblement sans tabou ni arrière-pensée à la consultation débouchant sur une sorte de « nouveau contrat pour l'université ».
Cette méthode, à laquelle nous apportons tout notre soutien, est importante ; elle a l'avantage d'éviter l'immobilisme, cet immobilisme que l'on rencontre souvent dès lors qu'un consensus est difficle à trouver.
Sur les dix questions autour desquelles s'est organisée la réflexion, je retiendrai cinq points qui me tiennent particulièrement à coeur : les premiers cycles, la création d'une vraie filière technologique, la vie des étudiants, l'affirmation d'une recherche universitaire plus proche des réalités économiques et un aménagement du territoire réfléchi.
En ce qui concerne les premiers cycles, monsieur le ministre, vous n'avez pas choisi la facilité. Vous avez affirmé que le grand principe républicain de l'égalité d'accès de tous à l'université ne devait pas être remis en cause.
Pour autant, la dure réalité à laquelle sont confrontées les universités, à chaque rentrée et tout au long de l'année, impose une refonte totale des premiers cycles.
Il est clair que le premier cycle conditionne quasi totalement le destin universitaire des étudiants. Initialement cycle d'initiation et d'apprentissage, il ne remplit plus son rôle intégrateur et perd de plus en plus son caractère généraliste primordial.
La confusion s'est introduite à travers un empilage systématique des premiers cycles, et cela pour le malheur des étudiants. Si la sélection n'existe pas à l'entrée de l'université, il faut bien le reconnaître, elle s'installe au grand jour au cours et à l'issue des deux années de DEUG.
Toute la difficulté est d'offrir aux étudiants tout juste sortis du lycée une période d'adaptation et d'éducation. Améliorer la scolarité des premiers cycles passe vraisemblablement par une restructuration des programmes proposés, laissant une place plus importante à la méthode et à la culture générale. Il est également essentiel d'informer les étudiants sur les ressources disponibles dans leur propre université.
Demeure le problème de la mauvaise orientation : orientation par défaut ou, le plus souvent, orientation par hasard. Elle résulte certainement d'une carence en matière d'information, une information qui devrait être prodiguée dès le lycée.
Les actions que vous avez menées cette année dans les classes témoignent de l'importance que vous accordez à cette information. Plus les choix sont larges, plus la décision est difficile. Il est donc essentiel que les futurs étudiants puissent appréhender concrètement toutes les implications de leur décision. Plus l'effort d'information sera grand, plus le taux d'échec sera susceptible de diminuer.
L'enjeu des premiers cycles est surtout de bien orienter les étudiants vers un métier qu'ils pourront exercer dès la fin de leurs études. Il s'agit de trouver un équilibre entre les aspirations de chacun et les possibilités offertes par le marché de l'emploi.
La création d'une vraie filière technologique universitaire est un objectif majeur. Serpent de mer, Arlésienne de tout ministre, elle n'a jamais pu voir le jour, malgré l'impérieuse nécessité que chacun s'accorde à lui reconnaître.
Longtemps dévalorisée, cette filière, à laquelle vous avez le grand mérite de vouloir donner des lettres de noblesse, monsieur le ministre, correspond à une forte attente des acteurs économiques. Sa création permettrait d'établir le lien qui n'a jamais véritablement existé entre l'université et l'entreprise.
L'effort à accomplir à cet égard ne doit surtout pas négliger la formation professionnelle. Celle-ci doit même en être l'aiguillon.
Telles sont les conditions d'une valorisation de tous les acteurs concernés, dont l'attente légitime l'ensemble de la démarche.
Il faut donner à cette filière technologique à fort potentiel professionnel les attributs de l'excellence, c'est-à-dire le sérieux, la qualité et l'efficacité, gages de débouchés.
Le souci de bien orienter et celui de bien former sont au centre d'une réforme que nous appelons de nos voeux.
Si une réforme de cette ampleur ne s'accompagnait pas d'une amélioraiton de la vie des étudiants à l'intérieur des universités, elle serait un échec.
Nombre d'étudiants souffrent d'un mal-être dès leur arrivée en première année. Juste sortis du lycée, ils ont parfois du mal à trouver les repères qui les guideront à l'intérieur d'un milieu nouveau. Amphithéâtres et salles de travaux dirigés surchargés, emplois du temps compliqués, collecte d'informations souvent hasardeuse sont autant d'éléments qui ne favorisent guère l'épanouissement de chacun.
Le statut social de l'étudiant doit permettre d'aplanir ces difficultés, autant qu'introduire plus de clarté, de transparence et surtout de justice dans l'attribution des aides.
J'en viens au thème de la recherche.
L'université constitue, selon moi, le milieu naturel de cette activité, de son développement, de sa transmission. Mais la recherche universitaire souffre d'un trop grand cloisonnement. Afin de conserver son troisième rang mondial, la recherche française doit miser sur l'université, quitte à privilégier l'application par rapport à l'abstraction.
Les enseignants-chercheurs doivent pouvoir partager équitablement leur temps entre l'enseignement et la recherche. Ils doivent également pouvoir bénéficier non seulement des réseaux établis entre les universités, mais aussi de l'association nécessaire aux grands organismes de recherche comme le CNRS, le Centre national de la recherche scientifique, l'INRA, l'Institut national de la recherche agronomique, l'INSERM, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, etc.
La recherche universitaire doit avoir les moyens humains, matériels et financiers de son ambition nationale. Cette ambition doit être en adéquation avec les besoins de notre société et servir le développement des entreprises innovantes.
La recherche est le poumon de l'université. Elle doit être en mesure de la mettre en contact avec les réalités économiques et sociales, et nous espérons, monsieur le ministre, que votre action permettra de traduire concrètement cet impératif.
J'évoquerai enfin l'aménagement du territoire, thème cher au Sénat puisque c'est sur l'initiative de notre assemblée que les schémas de l'enseignement supérieur et de la recherche ont été inscrits dans la loi.
Dans ce domaine, les relations entre l'université et l'Etat concernent la localisation des structures. Le foisonnement des sites de formation et de recherche n'est pas forcément souhaitable, dans la mesure où une dissémination trop large peut poser des problèmes aux universités, notamment en matière de gestion, mais aussi en matière pédagogique. En 1960, il n'existait que seize sites universitaires ; aujourd'hui, il y en a près de quatre-vingts. Quelle agglomération de 100 000 habitants n'a pas accédé au rang très envié de ville universitaire ?
Afin d'éviter un éclatement trop brutal de la collectivité des étudiants, il faut maîtriser l'implantation des sites. Nous devons trouver le juste équilibre entre un nécessaire aménagement du territoire et une université efficace. L'université doit non pas subir l'aménagement du territoire, mais devenir un élément de structuration du territoire.
Dans cette perspective, les schémas régionaux de l'enseignement supérieur et de la recherche peuvent constituer un outil précieux, car ils permettent de procéder de façon cohérente au niveau académique, voire inter-académique.
Il semble par ailleurs essentiel de tenir compte des phénomènes de proximité non seulement à l'intérieur du territoire national mais aussi dans un cadre européen.
La proximité d'établissements universitaires étrangers permet, à moindre coût, l'ouverture à l'international, notamment pour les étudiants. Le principe des universités en réseau, auquel je vous sais très attaché, monsieur le ministre, prendra ainsi tout son sens.
Je crois souhaitable de développer la spécificité des établissements frontaliers capables de jouer le jeu de l'intégration grâce à des contacts de proximité avec leurs partenaires étrangers.
Dans ce cadre, il convient de définir clairement le rôle des collectivités locales. L'élaboration des schémas régionaux appelle quelques remarques, notamment sur la place qui leur sera dévolue.
Selon la procédure retenue par l'Etat, celui-ci confie la responsabilité de cette élaboration aux autorités déconcentrées, qui reçoivent un pouvoir d'arbitrage, et à un comité national de pilotage. Elle donne donc lieu à une procédure déconcentrée et non décentralisée.
Concernant les implications financières, il conviendrait, me semble-t-il, de clarifier la question des engagements susceptibles de résulter de ces schémas. Se traduiront-ils, par exemple, par une programmation des investissements impliquant financièrement les collectivités locales ?
Restructuration des premiers cycles, meilleure orientation, meilleure formation technique, mise en place d'une vraie filière technologique, épanouissement plus grand des étudiants, renforcement de la recherche universitaire, souci de l'aménagement du territoire : voilà autant d'objectifs répondant à une logique de réforme, que nous nous devons de transformer en logique du succès.
Nous sommes conscients que cette réforme ne pourra pas se faire en un seul jour, compte tenu, notamment, de l'impératif de maîtrise des dépenses publiques. Elle doit s'inscrire dans la durée. Pour exister, elle doit être programmée.
Certes, il est toujours difficile de différer des mesures qui font l'objet d'une très forte attente. Il vous faudra expliquer pour convaincre, monsieur le ministre, avec toute la pédagogie dont vous avez déjà su faire preuve.
Sachez que le groupe de l'Union centriste dans son ensemble apportera tout son soutien à la politique courageuse et ambitieuse que vous avez définie. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, bien peu de temps se sera écoulé entre l'annonce des états généraux de l'enseignement supérieur et de l'université et la présentation de leurs conclusions, qui devrait être faite à la presse dans quelques jours.
Le débat se précipite, comme en témoigne la période choisie pour associer le Parlement, alors que la majorité des étudiants et des enseignants sont occupés, en ce moment même, à préparer et à passer ou à faire passer des examens, et ne peuvent donc participer à ces travaux, comme il conviendrait qu'ils puissent le faire.
La hâte mise à clore la réflexion entamée sur notre enseignement supérieur est le reflet d'une concertation étriquée. Cette concertation, nous l'aurions voulue plus large, plus ouverte, plus démocratique, de manière que chacun des acteurs de la communauté éducative - les étudiants, les enseignants, les familles - puisse s'exprimer.
Cette précipitation est peu propice au recul nécessaire pour aborder du dedans et du dehors les problèmes de l'université et de son devenir.
Débattre de l'université et de son avenir, évoquer ce qui est le symbole de l'ensemble de la communauté éducative, de la connaissance et, plus largement, du savoir, ne peut se faire sans un grand dessein : dessein pour l'institution elle-même et, à travers elle, pour notre pays ; dessein ambitieux pour des millions de jeunes qui attendent tant, et même le plus souvent tout, de notre système éducatif.
L'ambition nécessaire à notre débat est-elle au rendez-vous ? On peut, hélas ! en douter.
Il est des questions essentielles auxquelles votre majorité ne répond pas, monsieur le ministre : le chômage, la casse du service public, l'affaiblissement de la place de la France au sein de l'Europe, le libéralisme sauvage. Ce sont là autant de maux qui broient l'individu et que la politique menée actuellement dans notre pays accentue.
Comment ne pas voir qu'une chape de plomb pèse sur la jeunesse de notre pays : l'hypothèque de l'emploi ?
Dès lors, il peut paraître vain de s'attaquer à la question de notre enseignement sans avoir, au prélable, manifesté quelque volonté de s'attaquer aux différents maux qui rongent la société française.
L'université, nous dit-on, doit s'adapter. L'université doit se préparer au siècle qui s'annonce. Adaptation à quoi et, serais-je tenté de dire, à quel type de siècle ? Celui qui verra augmenter les revenus du capital, ou les revenus du travail ?
Ces questions, approchées timidement durant la campagne de l'élection présidentielle, sont à présent prudemment contournées.
Mais je voudrais en revenir à l'université, même si je n'ai jamais véritablement quitté ce sujet.
L'université, qui accueillait 1 200 000 étudiants en 1981, en accueille aujourd'hui près de 2 200 000, soit un doublement du nombre d'étudiants en quinze ans.
Dans la tranche d'âge des dix-neuf à vingt et un ans, désormais, 30 p. 100 des garçons et 38 p. 100 des filles suivent des études dans l'enseignement supérieur, et cela concerne une famille sur deux.
Il s'agit là d'un développement quantitatif sans précédent. Dois-je rappeler que ce développement, nous l'avons défendu, promu ? Nous continuons à le faire.
Les raisons de cette demande croissante d'enseignement sont multiples, et nous les avons très souvent abordées ici même : volonté de maîtriser son avenir, transformation des modes de production, perte de repères structurant le pourquoi d'un « ici » et « maintenant », - absence de cohérence apparente de notre monde actuel. A ces facteurs, il convient d'ajouter la pression de la crise et du chômage.
A tout cela, l'université tente de répondre. On peut même dire, et je veux rendre hommage aux immenses efforts accomplis par les personnels, qu'à tout cela l'université répond bien, au-delà même des moyens dont elle dispose.
Mais les confusions sont grandes, les attentes démesurées, et parfois contradictoires, proportionnelles aux aspirations massives de notre jeunesse. Mais, à ces aspirations, nous nous devons de répondre.
Le désir d'apprendre, le désir d'enseigner, le désir de chercher, désirs résolus, accompagnés parfois d'une grande souffrance, constituent la clef de voûte de notre édifice universitaire ; ils lui ont permis de se maintenir debout et en bonne place au niveau international.
Pourtant, aujourd'hui, les interrogations se font plus pressantes, et il faut chercher des réponses nouvelles.
Le glissement de sens qui s'est opéré entre les « états généraux de l'université » et les « états généraux de l'enseignement supérieur » est-il une amorce de réponse ?
En effet, la mission de l'université ne s'arrête pas à la simple fonction de transmission du savoir, aussi noble soit-elle.
Aujourd'hui, trop peu de nos compatriotes ont une claire vision de la spécifité de notre université, qui associe de manière étroite enseignement supérieur et recherche. Le glissement qui s'opère dans les discussions autour des états généraux de l'enseignement supérieur n'est-il pas de nature à faire oublier que l'enseignement et la recherche devraient faire l'objet d'un même traitement attentif ?
Nous ne sommes pas des défenseurs absolus du statu quo, encore moins quand il s'agit de répondre à l'enjeu de civilisation que constitue la modernisation de notre université. Mais nous nous devons d'agir avec prudence, discernement et responsabilité, mus par la volonté d'ouvrir à tous les portes de la connaissance et de l'épanouissement individuel et collectif.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Ivan Renar. Les révélations qui nous sont faites, ici ou là, concernant les travaux de la commission Fauroux, par exemple, ne vont pas dans ce sens, et si des propositions devaient malheureusement en résulter, nous nous y opposerions avec détermination.
Chaque gouvernement apporte son lot de réformes de l'université, mais quand se creusent les difficultés, alors que les choix économiques commandés par la seule recherche du profit immédiat laissent sur le bord de la route un nombre toujours plus grand de nos concitoyens, soyons attentifs à doter notre pays de l'enseignement et de la recherche qui lui permettront de préparer l'avenir.
Deux millions d'étudiants, c'est une chance pour notre pays, une chance pour l'ensemble de nos concitoyens et un formidable moyen de création de richesses.
Mesure-t-on suffisamment l'impact de l'ouverture de l'université sur notre vie quotidienne ? J'en veux pour preuve les pratiques culturelles qui se diversifient et s'enrichissent. Mais je pense aussi aux gains de productivité qui découlent très largement d'une formation plus approfondie de nos compatriotes.
L'université doit être modernisée, mais est-ce bien de réforme qu'elle a besoin ?
La loi du 20 janvier 1984 rappelait les principes humanistes et citoyens qui n'ont rien perdu de leur qualité pour l'université de demain. Ainsi, ce texte indiquait que l'enseignement supérieur participe « au développement de la culture et à la diffusion de la connaissance. Il favorise l'innovation, la création individuelle et collective dans le domaine des arts, des lettres, des sciences et techniques... l'enseignement supérieur et la recherche contribuent à promouvoir l'acquisition, le progrès et le transfert du savoir et constituent une richesse culturelle et scientifique exceptionnelle ». Cette pétition de principe est toujours valable.
Les réformes passées ont souffert non pas d'un excès d'application, mais d'une insuffisante prise en compte de ces principes. En particulier, de très nombreuses universités qui avaient amorcé l'application des réformes ont vu leurs efforts annihilés par un manque absolu de moyens leur permettant de les mener à terme. Ce n'est pas le fond qui a manqué : ce sont les fonds !
Dans le même temps, la modernisation dans le sens du progrès s'est révélée incompatible avec le démantèlement du service public.
Afin que nos deux millions d'étudiants soient une réelle chance pour notre pays, nous avons besoin d'un service public d'éducation et de recherche efficace, moderne. Voilà qui appelle d'autres moyens financiers que ceux qui sont consacrés par un budget de l'éducation nationale en régression pour la troisième année consécutive. Cette question reste incontournable. Monsieur le ministre, vous avez fait état de votre estime et de votre considération pour l'université, mais sans assortir vos propos de propositions quant aux moyens. Vous le savez, le poète Jean Cocteau disait que, en amour, ce ne sont pas les déclarations qui comptent, ce sont les preuves.
M. Jean-Louis Carrère. Et les actes !
M. Ivan Renar. Il y a quelques mois, de la même façon, je vous rappelais les propos de Prévert à la femme aimée : « Tu dis que tu aimes les fleurs, et tu leur coupes la queue ; alors, quand tu dis que tu m'aimes, j'ai un peu peur ! » (Sourires.) Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, la méfiance des étudiants, des enseignants et des chercheurs.
Mme Hélène-Luc. Très bien !
M. Ivan Renar. L'avenir de notre pays, sa capacité à inventer, à produire de nouvelles formes de démocratie, de citoyenneté, un mieux être économique, social, culturel, voilà qui appelle une ouverture toujours plus grande de notre enseignement supérieur.
C'est vrai, l'université s'est ouverte et un nombre toujours plus grand de jeunes accèdent à l'enseignement supérieur. Néanmoins, l'enseignement universitaire reste marqué par une sélection sociale elle aussi toujours forte. Ainsi, en 1992, il y avait 41 enfants de cadres pour 100 enfants d'ouvriers scolarisés ; chez les bacheliers, ce chiffre s'inverse et l'on passe à 142 enfants de cadres pour 100 enfants d'ouvriers.
Les mouvements de décembre ont porté haut et fort la question du statut de l'étudiant, passage obligé et incontournable de l'ouverture et de l'accueil à l'université du plus grand nombre. A ce titre, le préambule de la Constitution instituant la gratuité de l'enseignement doit être respecté et les droits d'inscription, y compris en thèse, doivent être remplacés par des dotations de l'Etat.
Non seulement il convient d'augmenter le nombre des boursiers mais encore il faut élever impérativement le montant des bourses.
Les problèmes de logement sont au premier rang des difficultés rencontrées par les étudiants. En effet, notre pays ne compte que 150 000 logements universitaires. Les étudiants, appelés à une mobilité toujours plus grande, devraient pouvoir bénéficier, en Ile-de-France, de la gratuité des transports et de réductions importantes dans les autres régions.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Ivan Renar. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je vous écoute avec attention, monsieur Renar, et une question me brûle les lèvres : avez-vous bien conscience que chacune des mesures que vous déclinez vaut augmentation des impôts pour nos concitoyens ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça dépend lesquels !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il n'y a pas de miracle : soit nous considérons que la pression fiscale a atteint des seuils qu'il est difficile de dépasser, soit nous décidons de reporter la charge sur le futur, et nous augmentons sans mesure l'endettement de la France, dont vous savez qu'il est d'ores et déjà limite pour nombre d'observateurs. Quel est votre choix ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous avons une autre politique à vous proposer.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En vous écoutant, je faisais marcher le compteur : au point de votre intervention où je vous ai interrompu, vous en étiez déjà à une vingtaine de milliards de francs de dépenses supplémentaires !
M. Ivan Renar. Un peu plus, monsieur le ministre !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je sais bien qu'il y a des jeux de rôle. Je sais bien que les discours ne feront qu'illustrer les sensibilités qui s'expriment habituellement sur les différentes travées de cette assemblée. C'est légitime, et je ne ferai pas de polémique sur ce point. Simplement, il faut que nous sachions les uns et les autres que, les marges ayant toutes été absorbées, chaque mesure nouvelle augmente directement la pression fiscale sur nos concitoyens.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Et le plan de sauvetage du Crédit Lyonnais ?
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. On ne peut pas plaider à la fois pour la baisse de l'impôt et pour l'augmentation de la dépense publique.
Mme Hélène Luc. Les choses ne se passent pas comme cela, monsieur le ministre !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Les deux sont inconciliables.
Il me paraissait juste de le relever, pour que les positions soient claires.
Mme Danielle Bidard-Reydet. On peut toujours taxer les profits financiers, monsieur le ministre !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Renar.
M. Ivan Renar. Il s'agit effectivement d'un débat de fond, monsieur le ministre. Vous parliez tout à l'heure de l'Espagne et de l'Italie, mais la question qui est posée pour toute l'Europe, je le disais tout à l'heure, est de savoir si nous allons vers un système dans lequel les revenus du capital croîtront de façon exponentielle aux dépens de ceux du travail.
De surcroît, quand on mesure ce que coûte un porte-avions ou l'explosion d'une seule bombe nucléaire à Mururoa, on constate que notre pays a les moyens de financer un enseignement supérieur de qualité.
C'est une question de choix politique, j'en suis bien d'accord avec vous !
Mme Hélène Luc. L'enseignement doit être la priorité absolue !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le syndicat CGT des arsenaux est-il d'accord avec vous, monsieur Renar ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il ne s'agit pas des arsenaux. Il s'agit des essais nucléaires !
M. le président. Mes chers collègues, M. Renar a seul la parole !
M. Ivan Renar. J'évoquais les expérimentations nucléaires et le coût du porte-avions Charles-de-Gaulle, monsieur le ministre.
Mais je reprends le cours de mon propos, en espérant que je ne serai pas de nouveau interrompu, car j'ai encore des dépenses à vous proposer. (Sourires.)
Le droit à la santé, dont il est beaucoup question aujourd'hui, doit concerner aussi notre communauté étudiante. A cet égard, la médecine préventive et l'action sociale doivent être développées, c'est urgent alors que l'on ne compte qu'une infirmière pour trois mille étudiants et une assistante sociale pour dix-sept mille étudiants.
Tout manquement dans ces domaines contribue à accentuer l'échec.
Il est un autre sujet de préoccupation, je veux parler de l'orientation des étudiants.
Le taux d'échec dans les premiers cycles universitaires soulève nombre de problèmes.
Avant tout, sur le plan du principe, il n'est d'orientation acceptable que celle qui est librement acceptée et mise en oeuvre par l'étudiant lui-même. Autant dire qu'il s'agit d'un acte fondamental qui appelle la responsabilité de l'ensemble des acteurs de la communauté universitaire.
Certes, l'université doit apprendre à savoir faire, mais elle doit aussi apprendre à savoir être : être citoyen, être individu et pleinement acteur de sa vie.
Prenons garde à ne pas instrumentaliser l'université de demain dans le sens de la seule perspective professionnelle.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Très bien !
M. Ivan Renar Ce serait toute l'activité universitaire, sa richesse, sa diversité, la recherce publique appliquée et fondamentale qui seraient menacées de disparition.
J'évoquais il y a un instant le désir des étudiants et des enseignants, mais peut-être convient-il de rajouter le plaisir, car sans désir ni plaisir il n'est pas de savoir humaniste et de connaissance universelle, voire pas de savoir du tout.
L'orientation des étudiants est au centre de cette problématique.
Une juste orientation impose une préparation aux méthodes de travail universitaire et une meilleure adéquation entre les contenus de l'enseignement des classes de terminale et de la première année de DEUG.
Cette orientation doit être individualisée au maximum. Cela suppose, bien entendu, le renforcement massif du nombre des conseillers d'orientation et de nouvelles coopérations entre professeurs du secondaire et universitaires.
Le premier cycle doit prendre en compte la diversité des acquis antérieurs et les attentes d'une population étudiante plus nombreuse.
Des passerelles et des offres de formation doivent être aménagées alors que les diplômes d'IUT, les DUT, les BTS, dont le caractère qualifiant est aujourd'hui reconnu par tous, rendent difficile, parfois impossible, la poursuite des études.
Au nom de l'équité, et pour le développement de la connaissance, nous sommes résolument hostiles à des solutions qui acculeraient les victimes de l'échec universitaire à modérer leurs ambitions pour se diriger vers des filières écourtées ou peu valorisantes.
L'orientation et la sélection existent d'ores et déjà dans l'enseignement supérieur. Les clauses de numerus clausus, les filières élitistes sont là pour nous le rappeler.
Cette façon de faire, de l'avis même d'un grand nombre de chercheurs, n'est pas le gage d'une meilleure efficacité sociale et économique, ni même d'une meilleure efficacité scientifique.
Un accès élargi à l'enseignement supérieur et à la recherche exige que soient traitées conjointement massification et qualité de l'enseignement.
Le renforcement de la qualité appelle des moyens nouveaux - on y revient toujours - notamment un renforcement des équipes pédagogiques.
Une meilleure pédagogie exige que la part des travaux pratiques et dirigés augmente : les enseignants évoquent une augmentation de 60 p. 100 de l'horaire total. Un nombre de quinze étudiants par travaux pratiques et de trente pour les travaux dirigés est avancé. Quant au nombre d'étudiants des cours en amphithéâtre, il ne devrait pas excéder deux cents.
Or quels sont aujourd'hui les moyens donnés aux enseignants pour aller dans le sens d'une nécessaire personnalisation de la relation enseignant-enseigné ?
La constante dégradation des taux d'encadrement étudiants-enseignants et étudiants-IATOS, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service, est dénoncée. Encore ces taux ne prennent-ils pas en compte l'ensemble des actes éducatifs qu'il conviendrait de renforcer pour parvenir à un enseignement de plus grande qualité et valorisant pour tous.
Il y a trop d'économies contre-productives. Les revendications de décembre exigeaient la création de 5 000 postes d'enseignants-chercheurs et de 5 000 postes IATOS, compte non tenu d'une amélioration des conditions d'études et du remplacement des emplois vacants. La titularisation des emplois précaires et la suppression des heures supplémentaires permettraient la création de 26 000 postes.
Toutes ces mesures montrent la place capitale que l'Etat doit prendre dans la modernisation de notre université : c'est une responsabilité publique nationale.
Si l'enseignement public est malade, il l'est des choix politiques qui ont cours dans notre pays.
Ainsi, ce n'est pas au système de formation d'assurer seul l'insertion professionnelle des diplômés ; cette tâche revient, au premier chef, au système économique, aux entreprises.
L'explosion du chômage frappe, depuis 1990, les emplois de cadres, de techniciens et d'agents de maîtrise.
Les emplois recrutés au niveau du BTS et du DUT, par exemple, ne se sont pas taris et chacun s'accorde à reconnaître l'efficacité de ces formations. Pour autant, les choix économiques et sociaux portent les diplômés de ces secteurs vers le chômage.
Nous pensons que, pour répondre aux besoins d'une croissance nouvelle à partir de l'ensemble des besoins humains, pour reconquérir enfin une présence dans nombre de secteurs économiques, l'ouverture d'une grande voie technologique en prise sur les changements techniques actuels et à venir est indispensable. Cela commence dès l'enseignement secondaire, et la meilleure façon d'y parvenir n'est pas de supprimer les lycées techniques.
Vous avez rappelé à l'instant, monsieur le ministre, qu'il n'y a point d'actualisation permanente des connaissances sans recherche dès la formation initiale. En cela, je vous rejoins pleinement. Il n'est pas possible d'assurer un véritable enseignement supérieur qui ne soit pas lié au mouvement du savoir, donc de la recherche. Cela était vrai au fondement même des institutions universitaires ; c'est dire combien ce principe, au regard de l'accumulation des savoirs, reste plus que jamais nécessaire.
La présidence de l'Académie des sciences a exprimé dernièrement son inquiétude devant la carence en chercheurs et enseignants-chercheurs. Dans le même temps, 50 p. 100 des docteurs formés sont au chômage, ne l'oublions pas.
Les réductions, annulations et gels de crédits pour la recherche pèsent sur notre université, comme sur le CEA, le CNRS et l'INSERM.
Au-delà, l'absence de réinvestissement des entreprises dans la recherche, alors même qu'elles profitent de crédits d'impôts recherche, ainsi que le désengagement de l'Etat menacent la recherche publique dans notre pays, alors que tout le monde en reconnaît l'excellence et le sérieux.
L'université, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est cet ensemble que je me suis efforcé de vous dépeindre. La connaissance et le savoir se nourrissent du doute scientifique, mais il nous faut avancer, pour que l'ensemble de notre jeunesse ne perde pas le désir que j'évoquais tout à l'heure.
Collaborer, avec l'ensemble de la population, à l'articulation entre les besoins du développement moderne et de qualification et le développement de notre système universitaire permettrait de redonner confiance à notre jeunesse, bien malmenée aujourd'hui.
Le savoir, la connaissance et la culture ignorent les frontières et participent à gommer des différences trop souvent sources de totalitarisme.
Notre enseignement supérieur joue un rôle important dans la coopération et les échanges, dans l'ouverture sur le monde et il paraît absurde, dès lors, de fermer à présent la porte à des milliers d'étudiants et de chercheurs.
Encore faut-il que notre pays s'accorde à donner à notre enseignement supérieur les moyens de jouer ce rôle.
Seul cet échange entre moyens financiers de la nation et savoirs permettra, comme il l'a permis par le passé, d'amener notre pays vers plus de développement et de richesses.
Monsieur le ministre, nous voulons débattre du système éducatif sans fuir les questions les plus difficiles. Mais, en même temps, je veux être clair. Le débat est pour nous l'occasion de dire à vous-même ainsi qu'à M. le Premier ministre et à M. le Président de la République que nous nous opposerons à tout rabougrissement du service public, à toute réforme qui conduirait, en fait, à ce que l'Etat prenne en charge une espèce de SMIC éducatif, le reste étant à la charge des collectivités et des familles.
Nous riposterons aussi aux insultes envers les fonctionnaires.
Le débat est également pour nous l'occasion de dire ses quatre vérités à la commission Fauroux,...
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. La pauvre ! Qu'a-t-elle fait ?
M. Ivan Renar. ...de lui préciser, en particulier, que ce qui semble l'effrayer, ce sont moins les échecs du système éducatif que ses réussites.
Cela étant, nous ne voulons pas d'un statu quo ou d'un développement à l'identique. Nous voulons plus d'égalité et plus d'atouts pour les jeunes. Nous voulons faire en sorte que les jeunes soient plus libres dans le monde où ils vivent, qu'ils en comprennent le fonctionnement, qu'ils en relèvent les défis, qu'ils en infléchissent le sens.
Cela appelle nécessairement un niveau d'exigences qui n'a plus grand-chose à voir avec le « certif » ou le « bachot » des années vingt.
Notre souci est de réfléchir à ces questions, dans une démarche qui refuse à la fois de noircir le tableau ou de s'installer dans l'existant, qui veut s'appuyer sur les potentialités réelles du système, sur ses dynamiques pour améliorer et pour innover, et qui exige, bien sûr, des moyens à la hauteur de ses ambitions.
Peut-on dire que le débat touche à sa fin ? Je ne le pense pas.
La question de la place de la recherche, de son lien avec le savoir vivant qui s'élabore et se transmet à l'université, la réflexion sur les personnels nécessaires pour encadrer les premiers cycles, sur leur qualification, leur complémentarité doivent être approfondies.
Plus au fond, il faut encore creuser l'enjeu de démocratisation des enseignements supérieurs. Il faut refuser clairement la sélection, qu'elle soit larvée ou sauvage. Il n'y a pas trop d'étudiants ; leur nombre se justifie non seulement pour des raisons de justice sociale, mais aussi pour le développement à venir de notre société sur le plan économique et social, pour l'épanouissement des individus et pour le développement des valeurs et de la citoyenneté.
Il faut donc accueillir et faire réussir tous ces jeunes dans leur diversité sociale et culturelle, dans l'hétérogénéité de leurs acquis. Cela pose le problème de l'articulation, notamment en termes de moyens, entre le lycée et l'université, des nécessaires continuités et ruptures, de la diversification positive des structures, de la mise en place de dispositifs à passerelles, de réorientations, etc.
Il faudra bien, pour en sortir, que ces propositions et réflexions soient entendues et prises en compte.
La réussite reste une idée neuve en France et en Europe. C'est pourquoi je ne saurais considérer que nous en sommes à la fin de la discussion. Quoi que vous décidiez, celle-ci ne fait que commencer.
Evoquant un printemps célèbre, monsieur le ministre, je dirai : ce n'est qu'un début, continuons le débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Claude Saunier applaudit également.)

Rappel au règlement

M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Je voudrais simplement indiquer à la Haute Assemblée que le discours, très fort, de notre collègue M. Renar a été attribué par la télévision interne à un autre de nos collègues, M. Lorrain, membre du groupe de l'Union centriste ; cette confusion a pu tromper certaines personnes.
M. le président. Je vous remercie de cette information importante, monsieur Hamel. Les rectifications nécessaires seront faites.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, je peux recommencer ! (Sourires.)
M. le président. Nous verrons cet après-midi, en accord avec M. le ministre, si cela est nécessaire ! (Nouveaux sourires.)

Débat sur une déclaration du Gouvernement (suite)

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'entends beaucoup parler d'éducation ces temps-ci et, pourtant, il me semble qu'aucune mesure réglementaire ou législative concrète ne voit le jour. Tout vient à point à qui sait attendre, me répondrez-vous, monsieur le ministre !
Pour l'heure, une grande confusion entoure les différents débats qui ont parallèlement lieu. Entre les innombrables fuites sur les travaux de la commission Fauroux, l'idée sans cesse relancée, différée puis relancée, du référendum sur l'éducation, les états généraux, qui ont fait quasiment « amphi vide », et le débat assez tardif au Parlement à ce sujet, il semble y avoir télescopage des initiatives.
Avons-nous affaire à une mascarade ? Certainement pas. Mais, monsieur le ministre, pourquoi avoir lancé vos états généraux parallèlement à la commission Fauroux, dont le champ d'investigation s'étend à l'ensemble de l'éducation nationale, sans attendre ses conclusions ? Le débat relatif aux états généraux ne serait-il qu'un prétexte afin de tâter le terrain, de faire le décompte de vos alliés pour la programmation - nous pourrions d'ailleurs en être - et de ceux qui sont partisans - là, nous n'en serions plus - d'un référendum sur l'éducation ?
Je sais que vous n'êtes guère favorable à ce référendum, monsieur le ministre, dont on ignore s'il concernerait l'ensemble de l'éducation nationale, donc l'enseignement supérieur et la recherche, ou une fraction de celle-ci. Je voudrais d'ailleurs souligner, préalablement au débat de fond sur les états généraux de l'enseignement supérieur, que la question du référendum ne signifie rien en tant que telle... au risque de décevoir un certain nombre de mes collègues.
Le référendum, monsieur Camoin, est un instrument de la démocratie. Ce qui importe, c'est la pertinence de la question qui est posée, le contenu et non le contenant. Alors, être « pour » ou être « contre » le référendum, cela ne veut pas dire grand-chose. Il existe d'autres débats plus sérieux, plus urgents et, me semble-t-il, plus essentiels. Ne dissimulons pas le vrai débat !
Monsieur le ministre, vous faites mine de vous atteler à ce débat. Vous avez, par dix questions fondamentales, recensé les problèmes et les missions essentiels auxquels doit faire face l'université. Sur ce point, il y a unanimité. L'identification est juste.
Comme d'autres l'ont relevé avant moi, ces dix questions constituent le plus petit dénominateur commun entre tous les partenaires du système éducatif de l'enseignement supérieur : les étudiants, les enseignants et les élus.
Les problèmes relevés sont fondamentaux.
Il ne faut pas se voiler la face : une augmentation des crédits permettrait de résoudre nombre d'entre eux. Or, depuis trois exercices, c'est-à-dire depuis le retour de la droite au Gouvernement, nous assistons à une dégradation des crédits, et donc à une détérioration importante des conditions de vie et d'études à l'université.
Vous nous avez expliqué, monsieur le ministre, le parallélisme des choix effectués en Italie et en Espagne, par des gouvernements pourtant différents, l'un de droite, en Espagne, et l'autre de gauche, en Italie. Même si nous ne sommes pas fermés à ce qui se passe dans notre environnement immédiat - et vous le savez bien, monsieur le ministre - il s'agit tout de même de l'université française, avec ses spécificités. Il s'agit, de surcroît, des promesses du candidat Chirac, devenu Président de la République. Donc, cherchons des solutions pour honorer ses promesses. On y tient !
Depuis 1993, les crédits destinés à l'enseignement supérieur n'ont progressé, en moyenne, que de 3,7 p. 100 par an, alors que, de 1990 à 1993, la moyenne annuelle s'élevait à 13,2 p. 100 ; vous l'avez fait observer et vous avez rendu hommage à ces chiffres.
Si je fais ce rappel, ce n'est pas uniquement à votre intention, monsieur le ministre. En effet, nous avons aujourd'hui la chance d'avoir au fauteuil de la présidence M. Valade, qui a été rapporteur du budget de l'enseignement supérieur. Je me souviens de certaines critiques qu'il formulait en matière de budget au nom de la commission des finances, critiques que je partageais.
Pour venir à bout des problèmes que connaît actuellement l'enseignement supérieur, il lui faut donc des moyens humains, matériels, des moyens de fonctionnement et d'aide sociale. Pour moi, ce point est primordial, et je vous ai trouvé discrets, voire gênés, messieurs Gouteyron et Camoin. Certes, la remarque sur les moyennes par étudiant formulée par M. Camoin est juste et courageuse, mais elle reste au niveau du constat. C'est pourtant vous, messieurs, qui gouvernez la France, et donc qui devriez nous indiquer les voies.
Pour moi, je le répète, ce point est essentiel. Il devrait constituer l'effort numéro un. Si vous le permettez, monsieur le ministre, j'en ferai ma proposition numéro un.
Il est nécessaire que l'éducation redevienne la priorité budgétaire. Quand je dis « priorité », ne jouons pas sur les mots : je sais l'effort et le volume que cela représente. Toutefois, la progression de ce budget doit être vraiment significative. S'il est un domaine qui doit échapper à la rigueur, c'est bien celui-là. L'investissement dans l'avenir ne saurait supporter une pause.
Malheureusement, les derniers échos dont nous avons eu vent concernant les réductions draconiennes demandées pour la prochaine loi de finances laissent présager le pire. Selon la presse, aux termes du mandat de préparation qu'il vous a transmis, M. le Premier ministre vous a demandé de limiter la hausse des crédits de votre ministère à 1,3 p. 100 pour 1997, soit, autant le dire, une baisse des moyens octroyés à l'éducation en francs constants.
Alors, débattre, aborder tous les sujets inhérents à l'éducation, pourquoi pas ? Mais si on nous dit d'entrée de jeu que l'on n'a pas les moyens d'honorer les propositions qui seraient faites, c'est de la poudre aux yeux !
M. Claude Estier. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Selon vos propos à l'Assemblée nationale, qui m'ont été rapportés par l'écho des Pyrénées, la loi de programmation de l'université n'est plus à l'ordre du jour. Or, le 16 avril dernier, devant la commission des affaires culturelles du Sénat, en répondant à une de mes interrogations, vous vous étiez engagé - et je sais que vous avez beaucoup de mémoire, monsieur le ministre - à déposer une loi de programmation permettant de faire aboutir les démarches des états généraux de l'université.
Je vous avais d'ailleurs dit que quatre possibilités s'offraient à vous : la première, programmation et argent ; la deuxième, argent sans programmation ; la troisième, programmation sans argent ; enfin, la quatrième : ce que nous sommes en train de faire. A l'époque, je craignais que l'on n'en soit parvenu à la troisième possibilité. Aujourd'hui, je crains que l'on n'ait abandonné la loi de programmation et que l'argent ne soit toujours pas là.
Quand bien même cette loi de programmation serait encore à l'ordre du jour, je m'interroge un peu - je vous l'avais dit en son temps - sur les redéploiements énormes qui s'imposeraient pour en honorer les termes. Tous les secteurs de l'éducation nationale sont exsangues ; vous le savez, on ne peut déshabiller Pierre pour habiller Paul !
Ma première proposition, c'est un financement prioritaire.
Ma deuxième proposition consiste à commencer un deuxième volet du plan « Université 2000 ».
Je ne reviendrai pas sur les raisons en termes économiques et en termes d'emplois. On sait, là encore, que la réalisation de ce plan a été freinée depuis le retour de la droite au pouvoir, notamment par votre prédécesseur, M. François Fillon. Je m'employais d'ailleurs à chacune de nos rencontres à le lui faire observer et à dénoncer cette situation.
Ce deuxième volet est plus que nécessaire. Il permettrait un aménagement du territoire éducatif harmonieux, non en ajoutant encore des centres de formation supérieure, mais en consolidant ceux qui ont été créés au cours des dernières années dans les villes moyennes. Ainsi, on ferait réellement de l'aménagement du territoire et on améliorerait les conditions d'accueil des étudiants.
J'en viens au troisième point essentiel et donc à ma troisième proposition, qui a trait au statut de l'étudiant.
Ce statut constituait l'une des principales promesses du candidat Chirac - mais il en a fait tant et tant, et j'en ai déjà évoqué quelques-unes ! Depuis, c'est le silence radio !
Cette promesse devrait être tenue. Le nombre d'étudiants ayant doublé en dix ans, leurs conditions de vie se dégradent sans cesse. Les représentants des étudiants - vous avez d'ailleurs participé à leurs travaux - par exemple l'UNEF-ID, ont fait des propositions raisonnables, notamment pour que le système d'aide soit plus juste.
Mais il ne faudrait surtout pas que cette réforme marque un désengagement de l'Etat. Sur ce point, je préférerais donc que l'on parle d'une allocation personnalisée d'insertion et de formation pour tous les jeunes, et non pas seulement pour les étudiants, ce qui permettrait de créer un véritable statut des jeunes de seize à vingt-cinq ans, en incluant aussi bien le système des bourses que l'allocation de logement sociale et l'instauration d'un RMI jeunes. Toutefois, ce système ne sera viable que si les entreprises y participent, en s'engageant à la fois sur le terrain de l'alternance et sur celui de l'insertion.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, je formulerai une quatrième proposition : une incitation fiscale ciblée pour les entreprises qui accueillent des jeunes en alternance, et pas seulement en apprentissage.
La réforme des premiers cycles est à l'ordre du jour. Tous s'accordent à le dire : elle passe par une meilleure orientation.
Je me félicite, monsieur le ministre, de ce que, sur toutes les travées, ce mot soit à l'ordre du jour et qu'il ait remplacé celui de « sélection », en vogue encore il y a une dizaine d'années, même si - j'ai l'oreille fine ! je crois entendre encore, mais à mi-voix, au sein de la commission, quelques velléités de sélection... Mais, honnêtement, elles s'estompent. Je sais, par exemple, qui ni M. le président de la commission, ni M. le ministre n'y sont favorables.
Cette orientation - il s'agit de ma cinquième proposition - commencerait dès le lycée, avant la terminale, avec rencontre entre étudiants et lycéens. Je ne suis pas en mesure de vous dire, monsieur le ministre, si c'est au collège qu'elle doit commencer. Là où je suis d'accord avec vous, c'est qu'elle doit absolument intervenir avant la classe de terminale parce que, souvent, les choix sont alors figés - et même les non-choix - et leur remise en cause est quelquefois compliquée.
Les mondes du lycée et de l'université ont tous deux leurs particularismes propres. Point n'est besoin de les gommer. Cependant, ces deux mondes se doivent d'être plus perméables et plus proches. Des échanges d'enseignants et d'étudiants pourraient voir le jour. Cette proposition me paraît intéressante et relativement aisée à mettre en oeuvre.
Ma sixième proposition a directement trait à cette réforme des premiers cycles. Ainsi, en conséquence directe de ma cinquième proposition, je proposerai que la première année du premier cycle universitaire commence par un semestre - pourquoi pas unique ? - permettant de réaliser trois objectifs : mise à niveau, apprentissage des méthodes de travail, complément d'information sur les différentes filières.
Ces deux propositions déboucheraient même sur des économies budgétaires, monsieur le ministre ! En effet, une meilleure orientation, une réussite plus rapide, moins de redoublements, moins de sorties de l'université d'étudiants sans diplôme, ne peuvent qu'engendrer des économies budgétaires.
Enfin, ma septième proposition concerne la voie technologique.
Tous les ingrédients existent pour en faire une filière d'excellence à part entière, du CAP à l'agrégation. Il reste à régler le conflit sur la charnière IUT-IUP. Mais ce problème, qui n'a besoin que d'un peu de liant, est en panne depuis trois ans !
En faire une filière d'excellence passe par la généralisation de l'alternance sous statut scolaire et de la validation des acquis professionnels. Tout le dispositif législatif existe. Il a été mis en place par les gouvernements de gauche, notamment par la loi sur la validation des acquis professionnels. Il ne reste qu'à l'appliquer !
Monsieur le ministre, j'ai noté que, lors des débats à l'Assemblée nationale, vous aviez reproché aux socialistes, et plus particulièrement à mon ami Jean Glavany, de ne pas être constructifs, de critiquer et de ne pas émettre de propositions.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Vous avez fait le contraire ! C'est bien, monsieur Carrère !
M. Jean-Louis Carrère. Vous ne pouvez pas généraliser cette critique à l'ensemble des socialistes, puisque j'ai pris la précaution de vous énumérer les propositions qui me paraissaient constituer les avancées les plus significatives en les numérotant.
Non seulement vous ne pouvez pas réitérer ces critiques, mais je vous invite également à revenir sur celles que vous avez formulées à l'Assemblée nationale : en relisant les débats, ce que j'ai fait ; et vous verrez que la plupart des propositions que je viens de formuler figuraient, certes de manière disséminée, un peu difficile à repérer, dans le discours que vous aviez incriminé.
Monsieur le ministre - je sais que vous êtes attaché à une certaine cohérence - vous ne pouvez pas nous dire : vous êtes négatifs, vous ne proposez rien et, dans le même temps, lorsqu'on formule des propositions, comme l'a fait notre collègue Ivan Renar, déclarer : vous n'êtes pas sérieux, cela va coûter trop cher.
Dans une démocratie, les rôles respectifs d'une majorité et d'une opposition sont clairs, même si l'opposition que nous constituons essaie d'être la plus sérieuse, la plus cohérente et la plus conséquente possible.
Comme je le disais à l'instant, certaines de mes propositions trouveraient un écho dans la simple application de lois élaborées par des gouvernements antérieurs, qu'il s'agisse de la mise en oeuvre du plan « Université 2000 » ou de l'amélioration de la voie technologique.
Vous me reprocherez sans doute d'être un peu critique, monsieur le ministre, mais je ne peux m'empêcher de constater que la politique éducative des gouvernements auxquels vous avez appartenu depuis 1993 est bien différente de celle qui a été menée par les gouvernements socialistes pendant dix ans, sous la conduite, notamment, d'un ancien Premier ministre qui s'adressera à vous cet après-midi ; je veux parler, bien sûr, de Michel Rocard.
Pendant ces dix années, de grandes réformes ont vu le jour. Il n'a pas toujours été facile de convaincre les organisations représentatives, les usagers et les parlementaires, mais une détermination réelle de changer en mieux l'éducation nationale a toujours animé les gouvernements de gauche et les a poussés à mener leurs réformes jusqu'au bout.
La postérité leur a donné raison : qui songe aujourd'hui à remettre en cause, dans leur principe, la loi Savary, les mesures de revalorisation en faveur des personnels de l'éducation nationale, le plan « Université 2000 » ou la création des IUFM, même si, je vous l'accorde, les modalités de fonctionnement de ceux-ci ont été révisées - et elles devaient l'être - par vos soins ?
Il a existé un réel souffle en faveur de l'enseignement. Qu'est-il devenu aujourd'hui, sous l'égide de votre gouvernement, monsieur le ministre ? Je ne vois qu'effets d'annonce, consultations, commissions, disputes au sein de la majorité et, au bout du compte, rien, sauf quelques tentatives de réforme pour le moins revanchardes ou ultralibérales, que le Conseil constitutionnel, saisi par nous, n'a d'ailleurs pas manqué de censurer, qu'il s'agisse de la loi sur les universités nouvelles ou de la réforme de la loi Falloux.
Je disais en commençant mon propos : j'entends beaucoup parler d'éducation, ces temps-ci. J'ajouterai : je vois peu d'actes concrets en faveur de l'éducation. Je vous semble peut-être un peu sévère, monsieur le ministre, mais l'heure est grave.
Je souhaite, d'abord, que l'université française puisse conserver le renom qu'elle avait, qu'elle puisse former le plus d'étudiants possible, le mieux possible, en leur garantissant des conditions d'études décentes, en leur permettant l'accès à l'emploi et en les armant pour la vie.
Je souhaite, ensuite, que les enseignants et les personnels qui travaillent dans les universités ne voient pas leurs conditions de travail se dégrader.
Je souhaite, enfin, que les échanges inter-universités, notamment avec l'étranger, continuent de fonctionner, garantissant ainsi l'enrichissement réciproque des étudiants et des enseignants.
En revanche, je tiens à souligner le danger que présenterait la dénaturation de l'université si on lui appliquait des solutions qui ne lui sont pas inhérentes.
La France est l'un des rares pays qui connaissent une aussi forte dualité de système au sein de l'enseignement supérieur : universités et grandes écoles.
L'université à la française comporte des spécificités, notamment ses méthodes de travail et l'espace de liberté qu'elle représente, qui nécessitent une certaine tournure d'esprit. Il serait donc dangereux de vouloir appliquer à notre université les méthodes des grandes écoles.
L'information et l'orientation - je ne reviendrai pas sur ce point - doivent jouer un rôle prépondérant : le nouvel étudiant doit s'habituer à l'université et à son mode de fonctionnement, mais l'université doit être prête, pédagogiquement, à accueillir ce nouvel étudiant.
N'allez surtout pas voir dans mes propos, monsieur le ministre, un refus de changer quoi que ce soit dans le système universitaire. Je vous ai clairement exprimé mes propositions et incité à agir concrètement au plus vite. Simplement, je ne voudrais pas que notre université perde son âme. Mais - j'y reviens en guise de conclusion - il faut des crédits, voire une véritable loi de programmation.
Je citerai, pour terminer, la conférence des professeurs d'université, la CPU, votre meilleure alliée depuis deux ans, monsieur le ministre, mais qui semble actuellement vous « lâcher » sur un point, puisque, selon elle, il n'y a « pas de grande réforme à budget constant dans l'université française. L'Etat doit réaffirmer son engagement en faveur de l'enseignement supérieur. Il doit le faire dans une loi de programmation ».
Monsieur le ministre, les jeunes, les enseignants, les personnels attendent une réponse concrète de votre part, de la part du Premier ministre et du Président de la République. Ils attendent des crédits pour l'université et des dispositions significatives. Rassurez-les, rassurez-nous ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Emmanuel Hamel. Vous êtes devenu d'une grande sagesse, mon cher collègue !
M. Michel Rocard. Il l'a toujours été !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Carrère, je ne suis pas un esprit systématique et je ne pratique pas volontiers la polémique, même si, lorsque j'y suis contraint, je me rends à cette nécessité. Je vous donne volontiers acte que, cette fois, au Sénat, tel n'a pas été le cas.
A l'Assemblée nationale, des propositions concrètes, positives pour beaucoup d'entre elles, ont été formulées par votre groupe.
M. Guy Allouche. Il fallait les reprendre !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je considère - je l'ai d'ailleurs noté dans mon discours - que les points de vue exprimés au cours de ces six derniers mois, grâce au travail qui a été réalisé, se sont considérablement rapprochés ; je pense, en particulier, à la proposition du semestre unique en début de première année - à défaut d'être unique, il pourrait être commun à de nombreuses filières - pour donner aux étudiants des méthodes de travail, pour leur présenter les différentes filières. Je ne sais pas si nous pouvons la retenir telle qu'elle - la mise à niveau pourrait induire des effets de « secondarisation » - mais c'est une bonne piste. Ce que vous avez dit à propos de l'orientation ou de la voie technologique me paraît également intéressant.
Pour une fois, le débat a progressé ; il a tout à gagner à sortir des frontières idéologiques traditionnelles. Il me semble trouver là la justification d'une méthode à la fois de bon sens et de représentation démocratique de l'avenir, que d'autres - je m'adresse notamment à M. Michel Rocard ici présent - ont employée à certaines époques sur des sujets encore plus dramatiques que ceux qui ont été évoqués aujourd'hui, même si nous en connaissons tous le poids.
Je constate - et c'est pour moi un motif de très grande satisfaction - que les points de vue deviennent compatibles, même s'ils ne sont évidemment pas identiques. Bien entendu, monsieur Carrère, le rôle de l'opposition et celui de la majorité ne se confondent pas. Il est naturel que l'affirmation de l'opposition comporte une part d'utopie et une part de critique. Quoi de plus normal lorsque la critique et l'utopie sont de bonne foi et ne sont pas directement en contradiction avec la réalité ?
Comme nous sommes dans ces rôles-là, je vous citerai à mon tour deux chiffres.
Vous avez évoqué le très grand effort budgétaire - je l'ai moi-même noté à la tribune - qui a été accompli à certaines époques. Permettez-moi de vous dire qu'il souffrait cependant de quelques lacunes. Je vous en donne une en exemple, qui n'est pas négligeable : la traduction de cet effort budgétaire en emplois.
Puisque je viens de parler de M. Michel Rocard d'une manière positive, je citerai, à titre d'exemple, les deux lois de finances de 1989 et 1990, années où il était Premier ministre. En 1989, le nombre des étudiants augmentait de près de 80 000 ; en 1990, il s'accroissait de 70 000 - je vous communiquerai les chiffres précis s'ils vous intéressent.
M. Emmanuel Hamel. Ils baissent !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En 1989, M. Rocard a créé 1 000 emplois d'enseignants et 242 emplois de personnels IATOS. Les chiffres sont du même ordre en 1990 : 1 479 emplois d'enseignants et 254 emplois de personnels IATOS. Cette année, au lieu des 80 000 étudiants supplémentaires constatés en 1989, on en a compté 10 000 de plus. Combien ai-je créé d'emplois d'enseignants ? J'en ai créé 2 000 !
M. Jean-Louis Carrère. Il y a trois ans qu'il n'y en avait pas eu !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Combien ai-je créé d'emplois de personnels IATOS ? J'en ai créé 2 000 cette année, au lieu de 254 en 1990 ! (Exclamations sur les travées socialistes.) Ce n'est pas une critique !
M. Guy Allouche. Et avant !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Avant, je vous donne les chiffres : 1 625 et 1 100 dans les précédentes lois de finances !
C'est donc dire qu'il faut demeurer prudent dans l'utilisation des chiffres.
Nous savons tous dans cet hémicycle qu'il existe des contraintes budgétaires, et qu'elles étaient moins lourdes voilà quelques années qu'elles ne le sont aujourd'hui. Personne ne s'en exonérera !
M. Emmanuel Hamel. Libérons-nous de Maastricht !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Par conséquent, nous devrions - singulièrement ceux qui croient à l'Europe - ...
M. Emmanuel Hamel. J'y crois aussi, mais je suis pour une Europe positive, qui libère l'homme des contraintes monétaires, pour son épanouissement !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... essayer de faire progresser encore cette recherche d'un accord, sinon général, du moins largement partagé, en y incluant les contraintes. Nous commencerions alors à dire la vérité à nos interlocuteurs, aux universitaires, aux personnels et aux étudiants, puisque ce sont ces contraintes qui borneront l'avenir et qui délimiteront les grands axes du devenir de l'université que nous cherchons à construire ensemble.
Il ne s'agissait donc pas, monsieur Carrère, de l'une de nos polémiques habituelles...
M. Guy Allouche. Ah ! ces Pyrénéens...
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... mais je souhaitais vous indiquer que j'avais retenu à la fois ce qui me paraissait positif et ce qui me paraissait discutable dans le discours que vous avez prononcé au nom du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents devant se réunir dans quelques instants, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures, sous la présidence de M. Yves Guéna.)

PRÉSIDENCE DE M. YVES GUÉNA
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

5

CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat, sous réserve de l'application de l'article 32, alinéa 4, du règlement :
A. - Mercredi 5 juin 1996 :
A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République islamique du Pakistan en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole) (n° 225, 1995-1996) ;
2° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant (ensemble un échange de lettres) à l'accord du 25 juillet 1977 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Malte tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu (n° 224, 1995-1996) ;
3° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat d'Israël en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (n° 289, 1995-1996) ;
4° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivienne en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole) (n° 223, 1995-1996) ;
5° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 19 décembre 1980 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Norvège en vue d'éviter les doubles impositions, de prévenir l'évasion fiscale et d'établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole et un protocole additionnel), modifiée par l'avenant du 14 novembre 1984 (n° 286, 1995-1996) ;
6° Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord fiscal sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama (n° 160, 1995-1996) ;
A quinze heures et le soir :
7° Désignation d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

Ordre du jour prioritaire

8° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de réglementation des télécommunications (n° 357, 1995-1996).
B. - Jeudi 6 juin 1996 :
A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi de réglementation des télécommunications.
A quinze heures et le soir :
2° Questions d'actualité au Gouvernement.
L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance, avant onze heures.

Ordre du jour prioritaire

3° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la situation en Corse.
La conférence des présidents a fixé :
- à dix minutes le temps réservé au président de la commission des lois ;
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mercredi 5 juin 1996.
4° Suite de l'ordre du jour du matin.
C. - Lundi 10 juin 1996, à quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

Projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom (n° 391, 1995-1996).
La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 10 juin, à douze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;
- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant douze heures, le lundi 10 juin 1996.
D. - Mardi 11 juin 1996 :
A neuf heures trente :
1° Dix-huit questions orales sans débat :
L'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement.
- N° 371 de M. Nicolas About à M. le ministre de l'intérieur (politique gouvernementale à l'égard des gens dits « du voyage ») ;
- N° 382 de M. Michel Mercier à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (situation des enseignants des écoles municipales de musique) ;
- N° 383 de M. Michel Mercier à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (situation des agents publics travaillant à mi-temps) ;
- N° 390 de M. François Gerbaud à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (conditions de délivrance de la dotation globale d'équipement) ;
- N° 391 de M. Dominique Leclerc à M. le secrétaire d'Etat à la recherche (restrictions budgétaires appliquées au Centre national de la recherche scientifique) ;
- N° 392 de M. Georges Mouly à M. le ministre du travail et des affaires sociales (situation de l'institut médico-éducatif de Sainte-Fortunade (Corrèze) ;
- N° 393 de Mme Danielle Bidard-Reydet à Mme le ministre délégué pour l'emploi (conséquences du départ de schweppes de Pantin) ;
- N° 394 de Mme Danielle Bidard-Reydet à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (rentrée scolaire en Seine-Saint-Denis) ;
- N° 395 de M. Charles Metzinger à M. le ministre de l'intérieur (application des circulaires relatives aux autorisations collectives de sortie du territoire des élèves mineurs) ;
- N° 396 de M. René Rouquet à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (carte scolaire 1996-1997 pour le Val-de-Marne) ;
- N° 397 de M. Alain Richard à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (conditions de vente de logements HLM par le groupe Maisons familiales) ;
- N° 398 de M. Gérard Delfau à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (dégradation de la situation des professions du bâtiment et des travaux publics) ;
- N° 399 de M. Nicolas About à M. le ministre de l'intérieur (pouvoirs de police des maires pour la mise en fourrière des véhicules en stationnement gênant) ;
- N° 400 de M. François Lesein à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (conditions de rémunération des agents territoriaux chargés de mission) ;
- N° 401 de M. Louis Souvet à Mme le secrétaire d'Etat aux transports (coût financier du canal Rhin-Rhône) ;
- N° 402 de M. Louis Souvet à Mme le secrétaire d'Etat aux transports (avenir professionnel des élèves pilotes de l'ENAC) ;
- N° 403 de M. Louis Souvet à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (avancement de grade de certains fonctionnaires territoriaux) ;
- N° 404 de M. Henri Weber à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (élargissement de la route nationale 27).
A seize heures et le soir :

Ordre du jour prioritaire

2° Suite du projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
E. - Mercredi 12 juin 1996 :
A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce (N° 348, 1995-1996).
A quinze heures et le soir :
2° Suite du projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
F. - Jeudi 13 juin 1996 :

Ordre du jour établi en application de l'article 48,
troisième alinéa, de la Constitution

A neuf heures trente :
1° Propositions de loi organique de M. Charles de Cuttoli et plusieurs de ses collègues :
- tendant à compléter la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République (n° 270, 1994-1995) ;
- tendant à modifier et compléter la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République (n° 271, 1994-1995) ;
La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion générale commune de ces deux propositions de loi organique ;
2° Proposition de loi de M. Serge Vinçon et plusieurs de ses collègues tendant à autoriser les élus des communes comptant 3 500 habitants au plus à conclure avec leur collectivité des baux ruraux (N° 239, rapport n° 314, 1995-1996) ;
A quinze heures :
3° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme (n° 249, 1995-1996) ;
4° Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant diverses mesures en faveur des associations (n° 340, 1995-1996).
G. - Vendredi 14 juin 1996 :
A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Eventuellement, suite du projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom ;
2° Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer (n° 333, 1995-1996) ;
La conférence des présidents a fixé au mercredi 12 juin 1996, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;
3° Proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, complétant la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française (n° 376, 1995-1996) ;
La conférence des présidents a fixé au mercredi 12 juin 1996, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi organique) ;
A quinze heures :
4° Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin ;
5° Deuxième lecture du projet de loi. adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales (N° 392, 1995-1996).
H. - Lundi 17 juin 1996, à quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat (N° 381, 1995-1996).
La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 17 juin 1996, à douze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant douze heures, le lundi 17 juin 1996.
I. - Mardi 18 juin 1996 :
A dix heures :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
A seize heures :
2° Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de modernisation des activités financières.
3° Suite de l'ordre du jour du matin.
J. - Mercredi 19 juin 1996 :
A dix heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Eventuellement, suite du projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
A quinze heures :
2° Sous réserve de sa transmission, projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 (urgence déclarée) (A.N., N° 2766).
La conférence des présidents a fixé à six heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mardi 18 juin 1996.
K. - Jeudi 20 juin 1996 :
A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Suite du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002.
A quinze heures :
2° Questions d'actualité au Gouvernement.
L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance, avant onze heures.

Ordre du jour prioritaire

3° Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin.
4° Eventuellement, deuxième lecture du projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale.
L. - Vendredi 21 juin 1996, à neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

1° Sous réserve de sa transmission, projet de loi portant règlement définitif du budget de 1994 (A.N., N° 2455).
2° Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales.
La conférence des présidents a fixé un délai limite général pour le dépôt des amendements expirant, dans chaque cas, la veille du jour où commence la discussion, à dix-sept heures, pour tous les projets de loi et propositions de loi ou de résolution inscrits à l'ordre du jour, à l'exception des textes de commissions mixtes paritaires et de ceux pour lesquels est déterminé un délai limite spécifique.
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Monsieur le président, je vais me répéter pour dire une fois de plus - peut-être pas la dernière - que nous allons encore être en état de faute, et ce, dès cet après-midi, puisque le débat sur les états généraux de l'université va poursuivre en séance publique alors qu'à seize heures trente la commission des finances reçoit le premier président de la Cour des comptes et qu'à la même heure la délégation du Sénat pour l'Union européenne, tient une réunion très importante sur un projet qui concerne la mer et les océans.
Nous sommes obligés, compte tenu de la manière dont nos travaux sont organisés, d'être en faute.
Dès lors, qu'on ne s'étonne pas que le Parlement n'ait pas l'image qu'il mériterait d'avoir, car les personnes qui sont dans les tribunes et voient ces travées vides s'imaginent que nous sommes des plaisantins, alors que nous sommes simplement des sénateurs contraints, de par le règlement, de déserter l'hémicycle, pour travailler en commission.
Quand pourrons-nous enfin, par une coopération du Gouvernement et de la présidence du Sénat, avoir des conditions de travail normales, c'est-à-dire, en fait, plus efficaces ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. Monsieur Hamel, j'ai déjà eu l'occasion de dire qu'il ne pouvait pas y avoir d'« interactivité » entre l'hémicycle et les tribunes, que le public présent dans les tribunes n'a pas le droit de manifester et qu'il n'est pas convenable, de la part d'un sénateur, de l'invoquer, ou de l'évoquer.
Cela étant dit - qui n'est en rien une critique envers le sénateur exemplaire que vous êtes - il est vrai qu'en cette fin de session, dont l'ordre du jour est très chargé, il est probablement difficile pour les présidents de commission de se glisser dans les interstices de la séance publique.
L'essentiel - et c'est ce qui figure dans notre règlement - est que la matinée du mercredi soit exclusivement réservée aux commissions.
Acte vous est cependant donné de votre déclaration, qui était pertinente.
Y a-t-il d'autres observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...
Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents s'agissant de l'ordre du jour établi en application de l'article 48, alinéa 3, de la Constitution ?...
Ces propositions sont adoptées.

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SCRUTINS POUR L'ÉLECTION DE JUGES
DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE ET DE
LA COUR DE JUSTICE DE LA RÉPUBLIQUE

M. le président. L'ordre du jour appelle les scrutins pour l'élection d'un juge suppléant de la Haute Cour de justice et pour l'élection d'un juge titulaire et d'un juge suppléant de la Cour de justice de la République.
Je rappelle qu'en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 et de l'article 1er de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour ces élections.
Conformément à l'article 61 du règlement du Sénat, les scrutins auront lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à la disposition de nos collègues.
Pour être valables, les bulletins de vote pour l'élection d'un juge titulaire et d'un juge suppléant de la Cour de justice de la République doivent comporter deux noms, le nom du titulaire devant être obligatoirement assorti du nom de son suppléant ; la radiation de l'un ou des deux noms, soit celui du titulaire, soit celui du suppléant, entraîne la nullité du vote pour l'autre.
Je rappelle aussi que les juges nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie M. Daniel Millaud, secrétaire du Sénat, de bien vouloir présider les bureaux de vote.
Il va être procédé au tirage au sort de deux scrutateurs titulaires et d'un scrutateur suppléant qui opéreront le dépouillement du scrutin pour l'élection d'un juge suppléant à la Haute Cour de justice.
(Le tirage au sort a lieu.)
M. le président. Le sort a désigné :
Scrutateurs titulaires : MM. Paul Masso et Jean-Luc Bécart.
Scrutateur suppléant : M. Hubert Durand-Chastel.
Le scrutin pour l'élection d'un juge suppléant à la Haute Cour de justice est ouvert.
Il sera clos dans une heure.
Il va être procédé au tirage au sort de deux scrutateurs titulaires et d'un scrutateur suppléant qui opéreront le dépouillement du scrutin pour l'élection d'un juge titulaire et de son suppléant à la Cour de justice de la République.
(Le tirage au sort a lieu.)
M. le président. Le sort a désigné :
Scrutateurs titulaires : MM. Emmanuel Hamel et Jacques Bimbenet.
Scrutateur suppléant : M. Jean-Claude Carle.
Le scrutin pour l'élection d'un juge titulaire et de son suppléant à la Cour de justice de la République est ouvert.
Il sera clos dans une heure.

7

ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'UNIVERSITÉ
Suite du débat
sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur les états généraux de l'université.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Monsieur le ministre, c'est avec satisfaction que je constate que le rendez-vous pris au cours de l'hiver dernier est honoré aujourd'hui.
En effet, à la suite des manifestations sociales du mois de décembre dernier, auxquelles de nombreuses universités avaient pris part, vous aviez promis aux étudiants d'engager un débat réfléchi sur l'avenir de l'université française et sur la place des étudiants dans notre société.
Ces étudiants, mais également les membres du corps enseignant, vous seront, je pense, reconnaissants d'avoir mené cette réflexion. Ils sauront, par ailleurs, en prenant connaissance de notre débat, qu'ils ont été entendus.
Les mouvements étudiants de l'année dernière ont eu pour mérite d'attirer notre attention, et la vôtre, sur un fait que nous avions peut-être un peu tendance à oublier : à l'image de notre société, l'université française est malade, sous-alimentée du moins, ne serait-ce qu'en matière de budget - mais peut-être aussi et surtout la flamme intellectuelle ne brille-t-elle plus autant qu'elle ne l'a fait - malade de certains choix opérés depuis des décennies, malade de n'avoir pu tenir ses promesses à l'égard des étudiants, malade enfin de ne plus pouvoir s'affirmer comme la clé de la réussite dans notre environnement social.
Pendant de nombreuses années, et jusqu'à une époque récente, le passage par la faculté assurait un emploi à chaque étudiant qui la quittait. En quelque sorte, « diplôme » était synonyme d'« embauche » et de « garantie de travail ».
A l'heure actuelle, aucun étudiant, qu'il soit en première année ou en troisième cycle, n'est assuré de trouver un emploi à sa sortie de l'université.
Pourtant, bien que les jeunes soient conscients de l'extrême difficulté de la situation que nous connaissons en matière d'emploi, nombreux sont ceux qui persistent à vouloir être admis en faculté.
Pourquoi cela ?
Parce que, en dehors des diplômes, point de salut ! Cette opinion est gravée dans les esprits. C'est ainsi. A une époque, le baccalauréat constituait une garantie en matière d'emploi. Cette époque est révolue et la situation est peut-être aggravée par l'exigence que 80 p. 100 d'une classe d'âge obtienne le baccalauréat. Cet objectif a sans doute bouleversé notre système éducatif, en amont comme en aval !
Monsieur le ministre, depuis un certain temps, il est de bon ton d'affirmer que l'éducation nationale ne doit pas se montrer sélective à l'égard des jeunes qu'elle forme. Cette intention est très louable, mais elle est utopique.
En effet, la vraie sélection existe là où elle se révèle le plus difficile à accepter, c'est-à-dire à l'entrée dans le monde du travail. C'est là qu'on retrouve la sélection !
La refuser lors du choix des études, c'est conduire assurément de nombreux jeunes à l'échec. Il faut la remplacer par une véritable orientation, que tous les partenaires réclament.
Il est effectivement malhonnête de laisser envisager à des étudiants de première année qu'ils parviendront à coup sûr à obtenir un diplôme de fin d'études lorsque l'on connaît les statistiques d'échec en DEUG. Il faut une orientation plus « lourde » que celle que l'on connaît. Je n'ai pas aujourd'hui de recette. Mais je sais qu'il s'agit là d'une de vos préoccupations, car nous nous en sommes déjà entretenus en commission.
Si le système universitaire autorise un redoublement, voire deux avec dérogation, lors des deux premières années d'études - la dérogation étant accordée souvent avec facilité - il n'est pas rare de rencontrer des jeunes qui, au terme de trois ou quatre années d'études, ne parviennent pas à obtenir un DEUG. Ces jeunes doivent donc s'orienter dans une nouvelle voie, avec pour seul bagage leur baccalauréat.
Il est grand temps, monsieur le ministre, de revenir à des objectifs plus réalistes. L'université ne peut continuer d'être la panacée de l'enseignement.
C'est ce message, certes délicat, qu'il convient de transmettre aux futurs étudiants. Il faut revaloriser les métiers manuels dès les plus petites classes et, surtout, faire comprendre aux collégiens et lycéens, et ce en faisant preuve de beaucoup de doigté mais en s'y tenant, qu'il n'est en aucun cas dégradant de ne pas poursuivre d'études supérieures lorsqu'on n'en a pas les moyens intellectuels.
Parmi les nombreuses dérives dénoncées par les étudiants l'année dernière, le manque de moyens financiers consacrés aux universités était fermement critiqué.
Les nombreuses inquiétudes exprimées à ce sujet se sont toutes révélées entièrement fondées. Les critiques portaient sur le manque de places, de professeurs et de crédits. Vous y avez en grande partie remédié.
En ce qui concerne le manque de places - vous l'aurez compris dès le début de mon propos - je pense qu'une première solution consisterait à réduire le nombre des étudiants intégrant l'université. Il s'agit non pas de les contraindre à renoncer à l'université, mais de les y encourager par la revalorisation d'autres filières. Vous en avez parlé ce matin, monsieur le ministre, et j'en suis très heureux.
Certes, même si une telle solution aboutissait, il y a fort à craindre qu'elle n'effacerait pas définitivement les problèmes de surnombre.
J'ai conscience - et de nombreux Français avec moi - que la période n'est pas propice à l'augmentation des dépenses budgétaires. Dès lors, la création, l'amélioration ou le développement de pôles universitaires ne semblent pas envisageables.
En revanche, pour un coût bien moindre, nous pourrions, à n'en pas douter, moderniser le système actuel de fonctionnement des facultés pour arriver à doubler, ou presque, le nombre des places dans certaines facultés.
En effet, en dehors des périodes d'examen, les locaux universitaires sont occupés six mois tout au plus. Pourquoi laisser vacantes des salles de cours qui pourraient accueillir une nouvelle session d'étudiants ? Les campus américains, eux, sont occupés, pour la plupart, par des sessions d'été.
D'ailleurs, je m'interroge : faut-il investir de nouveau alors que l'on sait que la chute démographique se fera prochainement sentir ? On a déjà connu ce problème à l'échelle des collèges et de l'enseignement primaire. Répétera-t-on la même erreur avec les universités ?
Je voudrais rappeler un exemple d'occupation à temps complet : les entreprises qui ont réussi leur projet de réduction du temps de travail sont, en majorité, celles qui ont accepté de rester en fonction toute l'année et de ne plus avoir de vacances avec des locaux et des personnels inoccupés. Cette idée est révolutionnaire, me direz-vous ! Mais pourquoi pas ?
Aussi, monsieur le ministre, je vous encourage à mettre en place un planning qui permettrait d'assurer une occupation à 100 p. 100 des salles de travail, ce qui augmenterait corrélativement la capacité d'acccueil pour les étudiants.
Un autre point sur lequel je souhaite attirer votre attention concerne l'information des étudiants.
Les étudiants manquent très souvent d'informations quant aux perspectives de carrière que laisse envisager leur cycle d'études et quant aux arcanes des différents examens à passer. Nombreux sont ceux qui découvrent avec retard et amertune que leur formation ne correspond pas forcément à la carrière qu'ils entendaient embrasser.
Il serait bon d'informer les étudiants des choix qu'ils auront à faire, et ce dès la première année.
Pour comprendre la nécessité de ce concept, je ne citerai qu'un exemple, très significatif.
Un étudiant titulaire d'une maîtrise en droit peut se présenter à l'examen d'entrée à un centre régional de formation professionnelle à la profession d'avocat. Cet examen comporte une série d'épreuves écrites obligatoires et d'épreuves orales facultatives. Facultatives, parce que, si, au cours de sa formation antérieure, dès la deuxième année, l'étudiant juriste a choisi des matières spécifiques dans lesquelles il a obtenu la moyenne, il sera dispensé des épreuves d'admission à l'examen d'entrée au centre.
Or, aucun étudiant de deuxième année ou de licence ne choisit ses enseignements en fonction de cet objectif, d'autant qu'il n'a connaissance de ces possibilités qu'en maîtrise.
Le manque d'information pénalise nos étudiants. Il serait pourtant très simple d'y remédier.
Par cet exemple, simple mais précis, on constate que, dans certains cas, l'université n'informe pas assez les étudiants.
Monsieur le ministre, avec un système d'information national, simple à mettre en place, il serait possible de pallier de nombreuses difficultés rencontrées par les étudiants en matière d'orientation.
Je ne me bornerai pas à parler de l'hexagone je veux aussi évoquer l'« université éclatée » en Guyane, à la Martinique et à la Guadeloupe, sans oublier la Réunion et le Pacifique Sud.
Le contrat prévu jusqu'à l'an 2000 pour rattraper les déficits universitaires antérieurs sera-t-il conforté, amélioré, reconduit, monsieur le ministre ?
J'insiste sur la création impérative du premier cycle des études médicales dans ces départements. Sinon, sachez que, avant dix ans, vous n'aurez plus un seul médecin antillais, guyanais ou natif de l'un des départements d'outre-mer.
Le troisième cycle existe, c'est vrai, mais le premier cycle se fait en métrople et les étudiants ne viennent plus.
Avant de conclure, je tiens à attirer une nouvelle fois votre attention sur le fait que les étudiants et leurs professeurs attendent beaucoup de vous, monsieur le ministre, comme vous attendez certainement beaucoup d'eux.
Il faudra donc jouer le jeu. Pour cela, il conviendrait, à une heure où de nombreux jeunes sont inquiets quant à leur avenir, de prendre des mesures dynamiques qui leur soient favorables, pour éviter que les classes qui leur succéderont ne soient découragées à l'idée d'intégrer le monde du travail.
Je ne doute pas de votre volonté de relancer notre université, monsieur le ministre. Certes, des voix se sont élevées pour dénoncer un simple discours de la méthode - vous l'avez certainement lu dans la presse. Mais vous avez eu raison de privilégier la concertation et de choisir la prudence. Je ne doute pas que toutes les réponses et les rapports que vous avez reçus ne soient autant de cahiers de doléances qui nourrissent bien ce que vous appelez des « états généraux. »
La plupart des membres du RDSE sont disposés à vous aider dans votre mission, monsieur le ministre. J'ajouterai, à titre personnel, des souhaits de réussite, non pas pour donner satisfaction à un ministre, mais pour que nos jeunes soient mieux armés et plus heureux à l'avenir dans l'Hexagone. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le ministre, je voudrais à mon tour rendre hommage à la méthode que vous avez définie et obstinément appliquée depuis que le Premier ministre a fait de la réforme de notre organisation universitaire l'une des priorités de la politique de son gouvernement.
C'était il y a un peu plus d'un an, et force est de constater aujourd'hui que, si la réflexion a considérablement progressé sur le sujet toujours sensible de l'université, c'est que le travail de concertation, d'écoute et d'information que vous avez mené depuis plusieurs mois a permis à tous les acteurs du monde éducatif de se rencontrer et, finalement, de se retrouver autour des dix questions que vous avez formulées devant nous et qui semblent définir la problématique de la réforme nécessaire de l'université française.
Monsieur le ministre, nous avons besoin de faire évoluer nos institutions universitaires. Nous avons besoin de lutter contre ce que vous avez appelé, à juste titre, la « dévaluation implicite de l'université française ». Nous avons besoin d'adapter aux exigences sans cesse plus rudes de notre temps notre université, qui est un service public primordial, au sens étymologique du terme.
Nous avions donc besoin de ce vaste débat. Le mérite de cette méthode fondée sur la concertation et le dialogue est d'avoir su donner vie à ces dix questions essentielles, dans un climat - et ce n'est pas le moindre de vos mérites - que l'on peut objectivement considérer comme apaisé, puisque j'ai observé que beaucoup sont prêts aujourd'hui à envisager des réformes dont ils rejetaient hier et l'idée et le principe.
Tous ensemble, nous avons progressé dans la définition de ces questions. Il nous appartient désormais d'apporter des réponses pertinentes à ces interrogations, même si nous ne pouvons malheureusement guère spéculer sur les contours exacts du budget pour 1997.
A cet égard, j'aurais aimé dire un mot sur les problèmes - également essentiels - de l'équilibre de nos filières universitaires, de la recherche ou du contenu des programmes. Mais, par manque de temps, je me bornerai à faire quelques observations sur trois sujets qui me tiennent à coeur, en tant que parlementaire, bien sûr, mais aussi en tant qu'ancien enseignant : il s'agit de l'échec scolaire, de l'orientation et, enfin, et de la formation professionnelle, les deux premiers me paraissant intimement liés.
Aujourd'hui - tous les observateurs en conviennent - l'université française est fondamentalement malade de son premier cycle. Plus de la moitié de nos étudiants s'y concentrent, et quatre sur dix d'entre eux n'accéderont jamais au deuxième cycle. Ce chiffre est à la fois dramatique et symptomatique.
Il est dramatique pour les étudiants eux-mêmes, qui, faute d'avoir été informés et orientés avant leur entrée à l'université, se retrouvent purement et simplement écartés à jamais de la voie du succès universitaire, et donc d'une carrière épanouissante.
Il est symptomatique, car il témoigne du grand paradoxe de notre système, qui, refusant obstinément toute idée de sélection, la pratique pourtant, et cela sous la pire des formes puisque nous sommes confrontés en l'espèce, monsieur le ministre, à ce qu'il faut bien nous résoudre à appeler la « sélection par l'échec », c'est-à-dire la sélection la plus injuste, la plus aveugle, celle qui frappe, quasi systématiquement, les plus démunis socialement ou les plus faibles.
Nous ne pouvons naturellement pas nous satisfaire plus longtemps de ce formidable gâchis par notre pays. Pour remédier à ce drame, il faut donc mettre en place une politique d'orientation, fondée sur une information complète et systématique des lycéens - c'est-à-dire qu'il faut remonter au moins trois ans avant l'entrée à l'université - car cette politique d'information, que j'ai toujours suggérée depuis que je suis entré au Sénat, doit commencer dès le lycée.
Il faut également que les parents, dont nous n'avons pas beaucoup parlé, bénéficient largement de cette information.
En effet, nous devons observer que, contrairement à certaines idées reçues, l'offre universitaire s'est considérablement diversifiée et qu'aujourd'hui ce sont plus de 280 diplômes nationaux différents qui sont délivrés chaque année.
Les parents, même lorsqu'ils sont eux-mêmes des produits du système universitaire, ignorent souvent tout de ces formations nouvelles et se trouvent placés dans l'impossibilité d'apporter à leurs enfants l'aide dont ils ont besoin. C'est pour cette raison d'évidence qu'il conviendrait que les parents fussent associés à cette vaste politique d'information.
Mais l'information seule ne suffira pas. Aussi faudra-t-il, comme d'autres l'ont proposé avant moi, et je souscris pleinement à cette idée, faire de la première année du premier cycle une année d'orientation articulée autour de travaux dirigés, de conseils méthodologiques et de rencontres entre étudiants et enseignants, afin que se dégage une convivialité plus forte. Les jeunes se plaignent de la solitude dont ils souffrent dès qu'ils entrent à l'université.
Cette année faite de prises en charge et d'échanges constructifs permettrait certainement aux étudiants de trouver leurs marques dans un environnement nouveau, dont ils ignorent souvent, par manque d'apprentissage, les méthodes et la culture, et parfois même, par manque d'informations élémentaires, la topographie.
Information avant, orientation après, telles me paraissent être, mes chers collègues, les deux phases qui permettront à notre pays de faire l'économie de cet immense naufrage pédagogique qui marque chaque année, pour notre jeunesse, le passage du premier au deuxième cycle.
Je forme des voeux, monsieur le ministre, pour que les états généraux de l'université constituent un premier pas vers ces changements, qui me paraissent être le préalable nécessaire à toute réforme de notre système.
Je voudrais également dire deux mots des problèmes relatifs à la formation professionnelle, c'est-à-dire de la nécessité d'établir une passerelle stable et ouverte à tous entre le monde du travail et celui de l'enseignement supérieur.
Il me semble que notre pays souffre d'un certain retard dans la façon dont il appréhende les rapports qui devraient exister entre les entreprises et l'université. Comme vous l'avez remarqué vous-même, monsieur le ministre, ce retard s'explique sans doute par une certaine tradition académique française qui a toujours exagérément choyé le conceptuel au détriment du concret.
Je crois, de ce point de vue, que l'expérience américaine, dont je connais bien les vices et les vertus, pourrait nous permettre de dégager quelques voies simples qui permettraient au système français d'évoluer positivement tout en conservant son âme.
Il faudra repenser les rapports entre universités et entreprises, en multipliant les rencontres et les contacts. Il faudra également imaginer, dans certaines filières, des programmes dont le contenu sera susceptible de varier en fonction des réalités économiques du moment.
Toutes ces questions relatives à la nécessité de renforcer le lien entre le monde universitaire et le monde économique ont été évoquées avant moi, je n'y reviendrai pas.
En revanche, je voudrais insister sur une idée très simple et peu onéreuse. Elle a trait au rôle que peuvent jouer les amicales d'anciens étudiants. Il y en a des milliers aux Etats-Unis, et elles jouent un rôle fondamental dans l'établissement et le maintien d'un pont permanent entre les entreprises dans lesquelles sont entrés les anciens étudiants et les universités qu'ils ont fréquentées.
J'ai toujours regretté qu'en France l'université - bien que l'on y passe en moyenne quatre ans - soit un lieu vers lequel on ne revient plus, avec lequel on n'a plus aucun contact, alors qu'il me paraît essentiel que l'université soit le centre des activités culturelles, scientifiques et industrielles, de toutes les activités vitales de la nation. C'est une chose que l'on a pas comprise ou que l'on ne veut pas établir, ce qui m'a toujours un peu surpris. Les étudiants, les entreprises et, naturellement, les universités elles-mêmes en tireraient le plus grand profit.
Cette pratique, conviviale sur le plan social, et très efficace sur le plan économique, n'est pas développée en France, sauf pour les grandes écoles dont nous admirons les résultats et apprécions l'efficacité. Pourquoi ne pas l'étendre à d'autres établissements que les grandes écoles ?
Il est regrettable qu'une telle pratique ne soit pas développée, car les étudiants auraient, je pense, tout à gagner à voir se créer et s'animer de telles structures.
Nous en convenons tous, la réforme de l'université française est une nécessité absolue pour notre pays. Le débat que vous avez su initier, monsieur le ministre, a eu le mérite de nous le rappeler, et tous les collègues non-inscrits se joignent à moi pour vous en remercier.
Je ne saurais cependant, monsieur le ministre, terminer mon intervention sans appeler votre attention sur la situation dans laquelle se trouvent nos compatriotes expatriés.
En effet, toutes les difficultés qui ont été mises en lumière tout au long de ce débat et auxquelles un étudiant hexagonal a du mal à échapper se multiplient naturellement dès lors que l'on est éloigné de la France.
Les informations sont plus difficiles à recueillir, les communications sont souvent hasardeuses et les démarches les plus simples deviennent soudainement beaucoup plus complexes.
Aujourd'hui, pour un jeune bachelier expatrié - et nous en avons beaucoup dans le monde - l'entrée dans une université française s'apparente encore trop souvent à un véritable parcours du combattant.
J'espère donc, monsieur le ministre, que nos jeunes expatriés ne seront pas oubliés et que la vaste politique d'information que j'appelais tout à l'heure de mes voeux franchira la porte de tous nos établissements scolaires à l'étranger, ainsi que celle de toutes nos ambassades. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut qu'approuver la démarche qui a conduit aux états généraux de l'université ainsi que la définition, dans les dix questions retenues, de l'essentiel des problèmes qui se posent actuellement au monde universitaire.
On peut presque estimer que la question a été abordée dans sa globalité au cours de ces états généraux, que j'ai personnellement suivis de près.
Certaines universités se sont passionnées pour cette technique puisqu'elles ont décidé de prolonger dans les années à venir de tels états généraux et d'en faire une structure permanente.
Il convient également de noter que les conclusions de ces états généraux ont été, non pas des cahiers de doléances - c'est là un élément tout à fait important - mais un recueil et un examen lucide des propositions émanant non seulement du ministre, mais des universités elles-mêmes.
Il a été de bon ton, tout au long de ce débat, de souligner la crise de l'université, qui est surtout une crise de croissance due à la démocratisation de l'université et à la « massification » à laquelle elle doit faire face. Au départ, l'université n'était en effet pas faite pour faire du quantitatif. Elle était faite pour faire du qualitatif.
La situation a été, conjoncturellement, je l'espère, aggravée par le développement du chômage, qui a induit un allongement de la durée des études et, dans une certaine mesure aussi, le développement d'« études refuges » destinées à retarder autant que faire se peut l'entrée dans le monde du travail.
Cette situation a été compliquée, en outre, par une absence autrefois de prospectives au niveau des ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. En effet, la plupart du temps, les problèmes universitaires ont été réglés à chaud, à l'issue de crises, après de longues périodes de répit. Pour la première fois, on va essayer de régler les problèmes de l'université non pas à chaud, mais à froid, à l'issue d'une longue période de concertation.
On a trop longtemps manqué de prévisions sur les perspectives de débouchés ou sur les besoins à moyen terme du marché du travail. On a également trop longtemps manqué de prévisions sur les perspectives de recrutement dans l'enseignement, ce qui a entraîné, comme chacun le sait, des effets d'accordéon entre les années où nous ne recrutions pas et celles où nous recrutions, ce qui est particulièrement néfaste pour les perspectives dans certaines branches de formation.
Trop longtemps, le ministère n'a pas analysé non plus les coûts réels des études supérieures.
On ne peut que se féliciter que cet aspect des choses ait été, au cours des dernières années, pris en charge par l'observatoire des coûts et par la mise en place du système analytique de répartition des moyens, baptisé à l'époque San Remo, qui a permis d'améliorer la connaissance en profondeur du coût réel de l'étudiant. Beaucoup de progrès restent à faire dans ce domaine : notamment, il ne faut pas systématiquement prendre comme élément de référence le taux actuel d'encadrement des diverses formations, qui est précisément une cause de discrimination.
On peut aussi regretter que l'université classique ait eu à faire face à des difficultés qui auraient dû, dans une certaine mesure, être prises naturellement en charge par le système des grandes écoles.
On doit constater que l'essentiel des nouveaux étudiants est allé vers l'université faute de capacités d'accueil dans les grandes écoles. Le pourcentage des élèves des grandes écoles, par rapport à celui d'il y a vingt ans, a, je crois, diminué, malgré l'augmentation du nombre des élèves.
Après ces quelques remarques générales, permettez-moi, monsieur le ministre, d'aborder quelques éléments techniques, toujours en tant qu'universitaire.
Tout d'abord, on n'a pas suffisamment dit que les universités ne sont ni comparables ni égales. Elles n'ont pas le même âge : les unes sont anciennes et fort connues ; d'autres sont nouvelles et ont des difficultés à se faire connaître. Les unes sont grandes, comptant parfois plus de 30 000 étudiants ; les autres sont petites, accueillant 5 000, 6 000, 7 000 étudiants. Certaines sont pluridisciplinaires, d'autres bidisciplinaires voire monodisciplinaires. Enfin, certaines peuvent faire de la recherche, d'autres n'en ont pas véritablement les moyens, les capacités ou les concours.
Or toutes ces universités sont en fait traitées de la même façon par une centralisation qui, au cours des années, s'est renforcée et développée, et est devenue plus excessive. Je crois bon de rappeler la volonté toujours affirmée de l'autonomie des universités, mais souvent contrariée par un renforcement des contrôles ou une rigidité trop grande dans les procédures.
Par conséquent, il faut consentir une plus grande autonomie aux universités, notamment en ce qui concerne le fonctionnement statutaire. Je crois qu'il n'est pas normal que toutes les universités, quelle que soit leur taille, quelle que soit leur spécificité, doivent fonctionner de la même façon. De même, est-il normal de multiplier les conseils comme cela s'opère ici ou là ?
En fait, cette autonomie statutaire est la seule qui permette le développement du partenariat des universités avec, par exemple, les collectivités territoriales, les partenaires économiques et sociaux et - pourquoi pas ? - celles dont on n'a pas parlé au cours des états généraux et qui sont en dehors des universités mais qui dispensent aussi de l'enseignement supérieur : les grandes écoles, les classes préparatoires, les classes de techniciens supérieurs.
Un mot en ce qui concerne les personnels.
Il faut rendre hommage à la plus grande partie d'entre eux. Les enseignants du supérieur ont témoigné d'un sens du service public et d'un dévouement assez remarquable au cours de toutes ces transformations qui ont touché l'université. Je tiens à saluer les présidents, les vice-présidents, les directeurs, les doyens, les membres des bureaux, les responsables de filières et les directeurs d'IUT ; qui se sont donnés à fond en faveur de l'adaptation et de la transformation de l'université.
Vous le savez aussi bien que moi, monsieur le ministre, il n'est tenu que très peu compte de ce dévouement et de ces qualités pédagogiques dans le déroulement de carrière de ces enseignants. Il est souhaitable, à côté de la promotion par la recherche, d'envisager une autre promotion, qui est la reconnaissance des services rendus, parfois dans des conditions très difficiles, par toute une série d'universitaires et de personnels administratifs, techniques, ouvriers ou de service.
En ce qui concerne les filières, enfin, on a dit beaucoup de choses au cours du débat. On a notamment évoqué le taux d'échec dans le premier cycle universitaire.
Je voudrais tout de même attirer votre attention, mes chers collègues, sur le fait que cet échec est en France - mais les données ne sont pas les mêmes - très largement comparable à ce qu'il est à l'étranger.
Faut-il rappeler qu'en Allemagne, où l'étudiant passe ses examens non pas à la fin de l'année universitaire mais à la fin de ses études, le pourcentage d'échecs est comparable à celui que l'on enregistre en DEUG ? Cela ne veut pas dire que les étudiants qui ont échoué à l'université, souvent d'ailleurs parce qu'ils n'ont pas passé leurs examens, ne trouvent pas à s'insérer dans la vie professionnelle. On reconnaît en effet aux jeunes qui ont passé trois ou quatre années à l'université des talents, une maturité et des connaissances, certes non sanctionnés par un diplôme, mais utilisables dans la vie professionnelle.
Cela dit, il existe un moyen de remédier à l'échec. Il s'agit, tous les universitaires le savent, d'assurer, dans les filières classiques, dans les DEUG, le même encadrement pédagogique que dans les IUT et dans les BTS. Je vous garantis qu'alors le taux d'échec diminuera considérablement. Quand on travaille au sein d'un petit groupe de vingt-cinq ou de trente étudiants, que l'on est suivi, que l'on passe des examens toutes les semaines, il n'y a pratiquement plus d'échec. Evidemment, cela a un coût ; chacun sait qu'un étudiant en IUT coûte beaucoup plus cher qu'un étudiant en filière classique.
On a envisagé la mise en place de DEUG plus généraux. Cela pose un problème qui n'a pas encore été abordé.
En effet, les DEUG plus généraux risquent d'induire un effet pervers, à savoir l'allongement de certaines études. Si l'on rétablit une sorte de propédeutique, où les étudiants feront un peu de tout, mais où ils n'apprendront pas les bases essentielles de la discipline dans laquelle ils veulent se spécialiser, il sera fréquent de considérer qu'à l'issue de ce cycle ils devront faire une année supérieure.
Cela m'amène à poser un problème qui n'a pas été abordé au cours des états généraux, celui de notre système d'études en deux plus deux : deux ans de DEUG, deux ans de second cycle avec licence et maîtrise.
Ce système n'est pas universel, loin de là ! Dans un certain nombre de pays, c'est plutôt trois plus deux ; il en est ainsi notamment en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Cette question nous intéresse parce que nous savons que, dans le cadre de la réforme des études technologiques supérieures, se pose le problème de l'allongement éventuel des études en DUT ou du passage des titulaires du DUT dans le second cycle.
Un autre problème se pose à propos des filières : celui de l'ouverture.
Ainsi, en France, on fait des études immédiatement après le bac et il est extrêmement rare de revenir à l'université - sauf au niveau du troisième âge - contrairement à ce qui se fait dans d'autres pays. Je crois que les universités ont raté le tournant de la formation continue qualifiante, de la formation adressée à un adulte qui, à un moment donné de sa vie, avec ses acquis professionnels, son expérience, reprend des études à quelque niveau que ce soit. Je viens d'apprendre que l'on peut maintenant préparer par correspondance sur Internet un MBA, un master of business administration, destiné aux adultes, cette préparation s'effectuant naturellement en langue anglaise et contre espèces sonnantes et trébuchantes. Tenez-vous bien : 20 000 étudiants sont d'ores et déjà inscrits à ce MBA !
Cela pose le problème de la professionnalisation et des filières technologiques, qui est l'un des éléments clés de la réforme.
On a beaucoup parlé de la professionnalisation ; mais permettez-moi d'être un peu plus nuancé qu'un certain nombre de mes collègues, car il ne faut pas mélanger plusieurs choses.
En effet, professionnaliser les études, c'est faire éclater l'université en une multitude d'écoles professionnelles, avec tous les risques que cela comporte.
Le premier risque, c'est de préparer les étudiants à des métiers qui auront disparu lorsqu'ils quitteront l'université.
Le deuxième risque, c'est qu'en professionnalisant on spécialise ; or, en spécialisant, on pourrait rendre peu adaptables à des changements et à des mutations les étudiants qui ont été formés.
En réalité, l'objectif à atteindre est d'assurer aux étudiants un bon niveau de qualification et de formation et de leur apporter une connaissance du monde économique, grâce à l'intervention des professionnels, grâce surtout aux stages et à l'enseignement en alternance. Mais professionnaliser trop étroitement des études supérieures comporte de nombreux risques et obligera ceux qui auront été ainsi spécialisés à revenir tôt ou tard sur les bancs de l'université pour se réadapter à des professions nouvelles.
Quant à la filière technologique, elle existe déjà, mais son organisation n'est pas claire : elle englobe les STS - sections de techniciens supérieurs - les IUT - instituts universitaires de technologie - les MST - maîtrises de sciences et techniques - les IUP - instituts universitaires professionnalisés - les DESS - diplômes d'études supérieures spécialisées - ainsi que les nombreux diplômes de troisième cycle qui seront mis en place.
A ce propos, j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur un risque qui tient à la tentation de créer, en marge des universités, des universités technologiques formant les étudiants depuis « bac + 1 » jusqu'à « bac + 6 », et de couper les filières technologiques de leur environnement scientifique naturel qui est souvent dispensé dans les filières plus classiques.
Je souhaite que cette idée de la filière technologique soit examinée avec beaucoup d'attention et qu'elle ne soit pas définie de façon autoritaire. Je suis convaincu qu'il peut y avoir des solutions différentes, parfaitement adaptées, d'une université à l'autre.
Enfin, monsieur le ministre, je terminerai mon propos en évoquant deux points qui me préoccupent particulièrement.
Le premier, et je crains que l'on n'en parle pas assez, réside dans la nécessité absolue pour tous nos étudiants d'apprendre les langues étrangères. Un étudiant qui, à l'heure actuelle, ne parle pas l'anglais est aveugle ; un étudiant qui ne parle que l'anglais est borgne.
Je sais qu'un tel objectif représente un coût assez important, mais peut-être pourrions-nous y parvenir en faisant des économies sur certaines matières à option, qui font plaisir à tel ou tel, à tel ou tel endroit. En tout cas, l'enseignement des langues est absolument primordial, notamment pour assurer la mobilité de nos étudiants dans d'autres universités au cours de leur formation. Cet échange d'étudiants qui permet aux uns et aux autres de voir ce qui se passe ailleurs, les rend plus adaptables et plus performants dans la lutte sur le marché du travail international dans lequel nous vivons.
J'aborde le second point qui me semble un peu inquiétant.
Comme on l'a dit ce matin, la France se situe en troisième position pour la qualité de sa recherche. Malheureusement, le nombre de chercheurs étrangers diminue d'année en année. Aussi, je demande solennellement que, parallèlement aux programmes européens, nous donnions la possibilité aux post-graduate de suivre toutes nos disciplines, comme cela se faisait voilà encore peu. En particulier, l'apparition de nombreux Etats à l'Est nous impose d'accueillir ceux qui seront sensibles à la qualité de notre science et qui, en même temps, deviendront des ambassadeurs de la francophonie.
M. Jean-Louis Carrère. Ça ne va pas avec les réductions budgétaires !
M. Patrice Gélard. Le processus que vous avez engagé est positif, monsieur le ministre, mais, hélas ! chacun le sait, la voie est difficile. Il ne faut pas se cacher les réalités : améliorer l'efficacité de l'université, l'adapter aux exigences du monde contemporain, faire en sorte qu'elle offre aux étudiants et aux enseignants des perspectives réelles de concrétisation de leurs espoirs, cela a, nous le savons tous, un coût.
Ne pas confronter les objectifs aux moyens serait la plus grande erreur et engendrerait de graves désillusions.
En conclusion, monsieur le ministre, nous tenons à vous assurer de notre confiance, mais aussi de notre vigilance. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Falco.
M. Hubert Falco. Vous êtes, monsieur le ministre, confronté à une tâche difficile mais essentielle : réformer avec ambition et cohérence l'enseignement supérieur de notre pays.
Vous avez ainsi la charge de concilier les missions de l'université avec les exigences du marché de l'emploi tout en préservant la vocation traditionnelle mais essentielle de l'université française, dispensatrice d'un savoir désintéressé qui consiste à transmettre à notre jeunesse notre patrimoine culturel et, par là même, une certaine vision du monde.
Vous devez donc, pour réconcilier l'université avec ses étudiants, donner à chacun des chances égales de réussite universitaire et d'accès à l'emploi.
L'université ne doit plus être considérée par nos lycéens comme un pis-aller. Elle doit constituer, au contraire, une filière d'excellence conduisant aux portes du succès.
Certains, à tort, ont critiqué votre méthode. Les échecs passés démontrent pourtant qu'il n'y a pas d'autre voie que le dialogue pour répondre aux défis que l'université française doit relever.
En ce sens, je souhaiterais, monsieur le ministre, vous faire part de quelques réflexions sur les liens unissant l'université et ses partenaires et, plus particulièrement, sur le rôle que les collectivités locales sont amenées à tenir en ce domaine.
La première concerne le maintien d'une « université de proximité ».
Les études supérieures signifient en effet trop souvent, pour de nombreux étudiants, le départ vers les départements voisins.
C'est le cas dans le Var, où, notamment du fait de l'augmentation considérable de la population, les structures universitaires ne permettent pas de répondre aux besoins.
Au déracinement familial qui en résulte s'ajoutent les difficultés financières qui concourent à rendre plus difficile encore la nécessaire adaptation des étudiants passant du lycée à l'université.
Livrés à eux-mêmes, sans véritable encadrement universitaire et familial, les nouveaux étudiants rencontrent de réelles difficultés à intégrer des modalités de travail différentes et, trop souvent, survient l'échec.
Pour ces différentes raisons, il apparaît essentiel de préserver et d'encourager une université de proximité participant au « maillage » des grands pôles universitaires.
Il s'agit de garantir l'accès du plus grand nombre aux études supérieures et, comme vous l'avez très justement dit, monsieur le ministre, de donner à chacun les conditions matérielles de sa réussite.
Préserver l'université de proximité, cela signifie, pour un département comme le Var, qu'il ne soit pas le parent pauvre par rapport aux Alpes-Maritimes et aux Bouches-du-Rhône. Il importe donc que l'Etat accentue son effort en faveur de l'université varoise afin de réduire rapidement l'écart existant avec ses voisines.
Le département du Var, pour sa part, a réalisé un effort sans précédent dans le cadre du plan université 2000. C'est ainsi que plus de 400 millions de francs ont été accordés pour rénover et étendre les structures de l'université et donner à nos étudiants des locaux modernes et adaptés.
Notre département accorde en outre, annuellement, 1,5 million de francs de subventions de fonctionnement aux structures universitaires, auquel s'ajoutent plus de 2 millions de francs pour financer l'antenne délocalisée de la faculté de droit implantée à Draguignan.
A ce propos, monsieur le ministre, certains critiquent la mise en place d'antennes universitaires. Il est vrai que cette politique doit être contenue dans certaines limites si l'on veut éviter le risque de voir exploser le budget de votre ministère.
Il faut toutefois rappeler le rôle éminent de ces petites unités qui permettent l'accès des plus démunis - ce n'est pas vous qui me contredirez sur ce point, monsieur le ministre - aux études supérieures et qui s'intègrent parfaitement dans la logique d'aménagement du territoire voulue par l'Etat.
Cet effort des collectivités locales, qui s'impliquent au-delà des compétences qui leur ont été transférées du fait de la décentralisation, impose qu'elles ne soient pas considérées comme de simples financeurs.
Si leur intervention ne doit pas se traduire par une immixtion dans la conduite de la politique universitaire, qui est de la seule compétence de l'Etat, elle doit consister à établir un partenariat constructif avec l'université afin que celle-ci s'adapte mieux aux besoins des populations et aux conditions socio-économiques des unités géographiques concernées.
La confiance des jeunes en l'université passe par la capacité de celle-ci à mettre en place un soutien adapté et personnalisé à l'étudiant afin de favoriser son intégration et, en fin d'études, de permettre son accès à l'emploi.
Là encore, le dialogue entre collectivités locales et université doit s'instaurer pour prendre des formes nouvelles.
Le département du Var explore, en partenariat avec son université, différentes formes de soutien visant à améliorer et à faciliter le travail des étudiants, ainsi qu'à éviter l'échec scolaire qui touche 60 p. 100 des étudiants en premier cycle universitaire.
De même, nous envisageons la mise en place d'un système d'aide à l'insertion économique postuniversitaire.
Il appartient, me semble-t-il, aux collectivités locales, là encore en concertation avec l'université, qui doit s'ouvrir au monde, d'oeuvrer à favoriser l'accès des jeunes à la vie active.
Voilà, monsieur le ministre, les quelques pistes de réflexion que je souhaitais mettre en avant dans l'examen des liens unissant l'université et ses partenaires.
Les collectivités locales sont prêtes à s'investir en faveur de leur jeunesse, en allant bien sûr au-delà, pour ce faire, de leur simple aide financière.
Le monde universitaire, de son côté, connaît une profonde évolution et il souhaite, par-delà la simple transmission du savoir, avancer lui aussi dans cette concertation que de nombreux élus locaux appellent de leurs voeux.
Il nous reste à trouver un cadre adapté, qui nous permette de progresser ensemble avec l'Etat sur la voie d'une université française moderne, riche de son histoire et tournée vers l'avenir, dans l'intérêt de notre jeunesse et, donc, de notre pays.
Monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants est à vos côtés dans la tâche difficile que vous menez. Nous connaissons votre ténacité, votre opiniâtreté et nous sommes certains que vous mènerez cette tâche à bonne fin, pour le bien de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Rocard.
M. Michel Rocard. Monsieur le ministre, il était temps !
En effet, si ce débat sur l'enseignement supérieur intervient au Sénat quelques semaines avant que vous ne fassiez connaître vos propositions formelles, il arrive aussi après plus de trois années où la même majorité - sinon les mêmes hommes : c'est votre excuse - a exercé le pouvoir. Or, pendant ces trois années, jusqu'à ce que s'ouvre ce débat, cette majorité n'a pas dit grand-chose ni fait vraiment grand-chose en ce qui concerne l'enseignement supérieur. Mais je ne veux pas, ici, polémiquer.
Vous le savez, on m'a reproché de n'avoir pas assez fait, pas assez rapidement ! Pourtant, en trois années, mon gouvernement avait consenti le plus grand effort budgétaire accompli depuis la guerre, revalorisé la condition enseignante en sachant reconnaître et distinguer les fonctions de recherche et les fonctions pédagogiques, créé les instituts universitaires de formation des maîtres, les instituts universitaires professionnalisés, redonné vie à la recherche universitaire, mis en place le plan Université 2000, sans lequel l'université aurait croulé sous le nombre.
Vous permettrez à l'inventeur des contrats de plan - j'étais alors ministre du Plan - de se réjouir au passage de l'hymne que vous leur avez consacré tout à l'heure, indiquant l'usage que vous souhaitez en faire, pour le bien de l'université. Avant que cette méthode ne soit mise au point, l'Etat, arrogant, supérieur à tous ses « sujets », n'aurait su contracter avec aucun de ses administrés !
Mais, je n'entends pas en dire plus sur le passé. Il reste que comparaison vaut parfois raison !
Nous vous attendions. Il était temps !
J'entends, bien sûr, consacrer mon court propos à l'avenir, d'abord en posant quelques questions, puisque nous sommes dans l'attente de décisions, ensuite en vous faisant part de quelques-unes de mes convictions, tout en vous assurant au passage, vous vous en doutez, de mon entier soutien à chacune des propositions de mon ami M. Carrère, qui a accompli un travail très précis, ainsi que vous l'avez reconnu ; nous serons attentifs aux suites qui seront données à ces propositions.
Depuis maintenant plus de trente années, le débat sur l'enseignement supérieur et, plus généralement, sur l'éducation n'a pas cessé.
Il n'y a là rien que de naturel, à condition que nous gardions en mémoire que nous sommes en présence non pas d'une crise française de l'enseignement supérieur mais - vous le disiez d'ailleurs à peu près dans ces termes - d'une crise mondiale, liée aux changements structurels que tous les systèmes ont dû connaître ces dernières décennies. Nous passons d'une structure pyramidale à une structure cylindrique, avec des effectifs gigantesques, et cela change tout dans notre manière d'aborder et de traiter les problèmes.
Faut-il le regretter, comme certains - pas vous, monsieur le ministre - le font dans votre majorité ? Cela serait d'abord inutile, car cette évolution est générale. Cela serait ensuite une erreur, car l'élévation du niveau d'éducation est une absolue nécessité.
Cette évolution, aujourd'hui comme hier, pose trois types de problèmes.
Elle pose d'abord un problème économique : qui doit payer et comment ? Le coût de l'enseignement supérieur est évidemment lourd.
Elle pose ensuite un problème de création de postes d'enseignant, mais aussi de formation des enseignants, sachant qu'en 1950 il y avait 3 000 enseignants dans le supérieur et que vous avez aujourd'hui la charge d'en former 3 000 par an pour combler les besoins. Quelle différence !
Elle pose enfin un problème de logique d'ensemble : comment orienter les jeunes bacheliers ? Comment lier la formation initiale et la formation continue tout au long d'une vie ?
Ces questions essentielles exigent des réponses claires. Pour avoir une chance de les apporter, nous devons prendre conscience que le malthusianisme serait une erreur majeure au regard de l'avenir de notre pays.
Une certaine droite - je répète que vous n'en êtes pas, mais je veux l'incriminer - a pensé et pense encore peut-être qu'il faut avant tout réduire le nombre d'étudiants. Cela s'est dit, mais, heureusement, pas dans cette enceinte.
Non, la sélection a priori n'est pas une réponse, vous l'aviez dit ailleurs, monsieur le ministre, vous l'avez répété ici ce matin, et j'espère que cela engagera tout le Gouvernement à vos côtés.
J'ai pourtant quelques inquiétudes, car, dans les choix budgétaires du Gouvernement et dans nombre de déclarations venant de la droite, je ne vois rien qui soit à la hauteur des problèmes qui se posent à nous tous, et particulièrement à vous.
Je prendrai trois exemples de nature différente.
Premier exemple : nous sommes face à un budget qui prévoit une augmentation quelque peu factice et qui conduira à des restrictions notables. En décembre 1995, vous aviez annoncé la création de 3 000 postes par an jusqu'en 1999. Vous ne fûtes pas tout à fait suivi : en 1996, il doit y avoir, si nous avons bien lu, 1 344 postes, dont 525 régularisations.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Quatre mille postes, dont 2 000 postes d'enseignant !
M. Michel Rocard. Alors, quelque part, des chiffres sont à rectifier dans un document officiel, car je n'ai évidemment pas inventé ceux que j'ai cités !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Vous avez pris le premier projet de loi !
M. Michel Rocard. Merci de cette précision, qui ira droit au coeur de beaucoup de gens, notamment au mien.
Nous allons chercher, en tout cas, pourquoi le chiffre de 1 344 postes, dont 525 régularisations, circule.
Issu de la grande maison des finances, j'ai une déformation : je préfère m'en tenir aux documents d'application plutôt qu'à des documents plus généraux. C'est sûrement un travers. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite victoire face à Bercy !
Il reste que cela augure mal des moyens qui pourront être avancés demain, alors que la deuxième tranche du plan Université 2000 doit être mise en oeuvre.
Deuxième exemple : dans les rapports de MM. Bourg-Broc et Dubernard, j'ai découvert le projet de donner aux universités un « statut analogue aux collectivités locales ». Premièrement, ce n'est pas très clair. Deuxièmement, c'est un peu inquiétant.
La remise en cause de la loi Savary est une antienne dans votre camp. Cela ne lui a pourtant pas porté chance. La droite a déjà échoué deux fois dans cette entreprise : en 1986 et en 1993. Je ne vous souhaiterai pas bonne chance sur ce sujet. Je souhaite que vous apportiez vite les clarifications nécessaires.
Je crois beaucoup à l'autonomie des établissements supérieurs. Permettez-moi une anecdote à ce sujet.
Une de mes premières décisions en arrivant à Matignon a été d'arracher une amélioration substantielle du règlement comptable des universités. Je vous dois l'aveu que je n'ai eu que le tiers de ce que je voulais. Bercy est toujours là !
Nous sommes toujours en train de faire attendre nos professeurs associés invités, leur payant leurs frais de mission et leur premier salaire avec trois ou quatre mois de retard, alors que nos propres professeurs, lorsqu'ils sont associés invités à l'étranger, reçoivent leur chèque en arrivant. C'est un problème que je vous engage à régler rapidement. Moi, je n'ai pas pu le régler ; il n'y a donc pas de leçon de ma part, monsieur le ministre, et je serais éperdu d'admiration si vous parveniez à le faire, car cela compte dans la dignité de la maison dont vous avez la charge.
Quoi qu'il en soit, autant nous pouvons privilégier l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, jusqu'à cette conséquence comptable, en favorisant la contractualisation avec l'Etat - associez à chaque université une fondation, dotez-les patrimonialement ; si vous commencez comme cela, personne ne discutera et, petit à petit, on les verra riches, un jour ; mais, naturellement, ce n'est pas un socialiste partageur et nationalisateur qui vous l'aura dit ! (Sourires.) -, autant nous ne pouvons accepter le pur et simple accroissement des inégalités entre universités riches et universités pauvres, qui est aussi une forme de sélection.
Troisième exemple : le jeu sur l'idée du référendum. Je crois savoir, monsieur le ministre, que vous n'y êtes pas absolument favorable ; en tout cas, on ne vous a pas entendu vous déchaîner pour soutenir la cause du référendum ; mais la proposition est sans cesse remise en avant par le RPR.
Or que voudrait dire réformer l'université par référendum ? A quelle question sur les premiers cycles universitaires, sur les rapports avec les collectivités locales, etc., peut-on répondre par oui ou par non ?
Il y a là un vrai danger de rallumer un antagonisme profond. En tout cas, monsieur le ministre, dans l'histoire de la Ve République, c'est la toute première fois qu'il est ainsi largement fait état d'un référendum sans que quiconque ait la moindre idée de la question sur laquelle il pourrait porter.
Cela figurait dans mes notes avant l'ouverture de cette séance. Cependant, après avoir écouté mes collègues avec une attention soutenue, je crois que vous allez pouvoir quitter cette enceinte en clamant que vous avez gagné. En effet, presque aucun des orateurs de votre majorité n'a évoqué le sujet. Le seul qui l'ait fait, qui appartient au groupe du RPR, s'est exprimé avec une extrême prudence, qui devrait conforter votre position : il a posé des conditions rendant le référendum proprement impraticable.
Dites donc que vous avez gagné ! Débarrassez-nous de cela ! Croyez-moi, monsieur le ministre, il y aura des gens pour vous comprendre.
Cela ne veut pas dire que je suis prêt à vous approuver sur beaucoup d'autres sujets. Il y a entre nous des divergences majeures. J'appartiens à la gauche, je lui suis fidèle, je crois à des choses auxquelles vous ne croyez pas beaucoup. Mais au moins avons-nous là un combat commun. Ne laissez pas mettre le feu à cette convergence des volontés tendues vers le refus de la simplification des problèmes de notre université et à laquelle un référendum improvisé mettrait sans doute fin.
Tout cela dessine un contexte qui explique que la confiance n'est pas, aujourd'hui, vraiment au rendez-vous.
Les états généraux de l'enseignement supérieur ont été tout aussi formels que le débat sur le service national !
Jusqu'ici, monsieur le ministre, vous avez tenu des propos généraux. Je vois dans l'attention de votre écoute que vous vous préparez à sortir de l'ambiguïté - il est temps ! - quitte à subir, de ce fait, quelques inconvénients.
J'en viens à la deuxième partie de mon propos, qui me conduira à vous faire part de quelques-unes de mes convictions.
L'éducation doit retrouver une priorité budgétaire, celle-ci étant interrompue depuis trois ans. La question budgétaire est d'ailleurs la seule sur laquelle vous avez choisi de répondre déjà à tel de nos collègues.
Permettez-moi de donner un peu de solennité à ce volet de mon propos.
Je suis de ceux - nous sommes peu - qui ont eu la charge de réduire significativement le décifit public, et qui l'ont fait. J'ai fait cela ! J'ai eu à faire le choix de procéder ici ou là à des amputations sévères, douloureuses, parfois dramatiques. On ne s'y fait pas toujours que des amis, je le sais.
Mais, monsieur le ministre, il y a dans l'activité publique deux domaines - et, à ma connaissance, deux seulement - à propos desquels l'opinion considère que le pays leur affecte une part de la richesse qu'il produit chaque année inférieure aux exigences du service qu'elle attend : l'un correspond à un petit budget, la justice, l'autre, à un très gros budget, le vôtre, l'éducation.
Notre dépense par étudiant est de 33 p. 100 à 50 p. 100 inférieure à ce que font toutes les autres grandes nations démocratiques. Or notre avenir se joue principalement là.
Nous savons tous - enfin, presque tous ! - que le budget de la République ne s'équilibre pas comme cela. L'« autre politique » n'est pas à portée de main si vite, et je vous ai compris, monsieur le ministre, dans certaines de vos réponses. Mais vous qui êtes le ministre de l'avenir - un de vos prédécesseurs revendiquait même ce titre ; on ne le lui a pas donné administrativement mais c'est bien ce que vous êtes -, vous ne pouvez pas accepter la limitation et la réfaction ou la réduction proportionnelle.
L'école et l'université de notre pays ont absolument besoin de vous voir gagner sur la nécessité de préserver l'éducation, car celle-ci n'obtient pas la hauteur du sacrifice public dont elle a besoin.
C'était ma première phrase après mon retrait des fonctions de Premier ministre, en 1991 : cet effort devra être continué. Il venait de quelqu'un qui avait fait les économies correspondantes. Je vous souhaite bonne chance, monsieur le ministre, car nous sommes tous attachés à votre succès à cet égard, même si nous ne sommes que modérément optimistes.
En tout cas, le succès de la réforme que vous préparez, il est là, vous le savez fort bien.
Nous devons, en outre, penser l'enseignement supérieur dans son ensemble et ne pas nous contenter du dualisme entre les grandes écoles et les universités.
Nous devons attaquer de front trois problèmes difficiles, à savoir l'orientation, la professionnalisation et la décentralisation.
Nous devons être très attentif à la recherche universitaire qui, seule, fait un enseignement supérieur. Toutefois, je vous le répète, les traductions budgétaires doivent être assurées.
Nous devons également éviter la démagogie en privilégiant le dialogue avec les enseignants, les personnels universitaires et les étudiants.
Nous devons, enfin, inciter clairement l'université à prendre sa part dans la préparation du monde de demain. J'y reviendrai tout à l'heure.
Permettez-moi d'aborder brièvement les trois problèmes difficiles que je viens d'évoquer pour que je ne tombe pas moi-même dans le travers que je dénonçais voilà quelques instants, à savoir le bavardage généraliste. Etre dans l'opposition peut être synonyme d'esprit de responsabilité !
Je lierai les problèmes de l'orientation et de la professionnalisation. L'orientation se fait aujourd'hui par l'échec. C'est vrai, vous en êtes vous-même convenu. Mais les grandes écoles, les écoles spéciales et les IUT constituent autant de filières sélectives en amont. Le dualisme est bien installé et tend à s'accroître. Les universités ont donc du mal à attirer les étudiants qu'elles méritent.
L'Etat doit se porter garant de l'accès à l'enseignement supérieur pour une fraction grandissante d'une classe d'âge. Mais, cet accès étant garanti, tout peut et tout doit être réexaminé.
Bien sûr, comme il en est question aujourd'hui, une information complète doit être donnée dès le lycée, voire dès le collège.
Monsieur le ministre, chacun de vos orienteurs professionnels doit, dans l'enseignement secondaire, traiter une population de 1 200 élèves. La véritable priorité réside bien dans la crise des effectifs, qu'il s'agisse des personnels enseignants ou administratifs, par rapport aux besoins.
Mais l'accès à une filière doit être un contrat passé entre l'institution et ses enseignants, d'une part, et les étudiants, d'autre part. Nous devons mettre en avant l'idée de premiers cycles en trois ans, avec une première année pluridisciplinaire, qui faciliterait l'acquisition par tous les étudiants d'une qualification reconnue, qui les situerait professionnellement et faciliterait leur insertion à bac + 3. Nombre de mes collègues ont déjà évoqué cette idée, pour laquelle vous avez manifesté votre intérêt.
Il faut consolider - et tel est bien l'enjeu - le sort de quelque 800 000 étudiants sur les 2 200 000 que compte notre pays.
Ensuite, et cela est lié, l'enseignement supérieur doit développer les possibilités de retour à l'université après des périodes de travail. Il s'agit de la formation continue - M. Falco a également abordé ce sujet - qui doit inclure les niveaux les plus élevés, être valorisée et constituer la priorité de la mission pédagogique.
Ce qui est intolérable dans notre système, nous devons bien le comprendre, ce n'est pas tant qu'il sélectionne des élites que le fait que les situations soient trop tôt figées. La promesse démocratique consiste non pas à dire que tous les étudiants seront polytechniciens ou normaliens, mais à donner des chances réelles de réussite à tous les niveaux et à tous les âges.
J'aborderai brièvement aussi la décentralisation et les structures universitaires.
Une université n'est pas un lycée. Elle a besoin d'être fécondée par la recherche, et je sais, monsieur le ministre, que vous partagez cette vision.
L'utilité de centres universitaires de proximité est certaine, mais ils doivent être pensés dans le cadre de pôles et de réseaux universitaires forts. Ne faisons pas de démagogie en la matière ; telle n'est d'ailleurs pas votre intention monsieur le ministre. La fertilisation par la force du pôle central irriguera ces centres universitaires de proximité.
L'Etat doit demeurer le garant d'un enseignement supérieur de qualité dans un monde de plus en plus marqué par la concurrence et les échanges. Le moyen d'avoir des établissements forts et capables d'être autonomes c'est, vous l'avez souligné vous-même, la contractualisation.
Les établissements doivent pouvoir contracter avec l'Etat, les organismes nationaux de recherche, les collectivités locales et même des demandeurs privés dès l'instant qu'un savoir nouveau peut être expérimenté. C'est un soulagement budgétaire qu'il faut savoir rechercher. Il faut donc éviter une recentralisation tatillonne, qui n'a d'ailleurs pas les moyens de ses politiques, et une décentralisation sans principe qui interdirait toute politique nationale efficace.
Les conditions d'une contractualisation réussie tiennent dans la stabilité des engagements. Je n'y ai pas totalement réussi, monsieur le ministre, mais peut-être n'aurez-vous pas plus de succès que moi. L'Etat doit respecter sa signature lorsqu'il a conclu un contrat. Si vous n'accroissez que de 5 p. 100 le taux des engagements tenus par l'Etat, vous aurez bien oeuvré pour la République et pour l'éducation.
Nous devons enfin, disais-je voilà un instant - votre regard s'est alors perdu dans le vague - inciter clairement l'université à prendre sa part dans la préparation du monde de demain. Vous me direz peut-être qu'il s'agit d'une lapalissade car tel est bien son rôle. Mais je n'en suis pas aussi certain. Je ne traiterai ici que d'un aspect précis, celui du temps dans la vie.
Vous avez la chance, monsieur le ministre - tel n'est pas toujours le cas - de regrouper sous votre autorité tous les ordres d'enseignement. Vous êtes donc le metteur en scène de la réflexion sur les programmes et de leur modification. Vous êtes le patron des personnels administratifs, des instituts universitaires de formation des maîtres. Vous fixez donc les orientations de l'université, car vous êtes en charge de celle-ci à l'enseignement primaire, et vous êtes, de par vos responsabilités en matière d'enseignement supérieur et de recherche, l'un des principaux responsables de la formation non seulement des savoirs, mais aussi des comportements de demain.
Or, monsieur le ministre, nous vivons dans une société tout entière organisée autour du travail salarié, mais que le travail fuit, comme le disait Hannah Arendt. Aucun intervenant à cette tribune n'a abordé ce problème avant moi, mais j'ai la conviction que c'est votre plus grand défi, en tout cas celui qui est, et de très loin, le plus lourd de conséquences.
Durant près d'un siècle, les emplois que détruisait la machine en se substituant aux hommes étaient directement compensés - Alfred Sauvy appelait cela le « déversement » - par les emplois dont la machine elle-même appelait la création de trois façons.
Il fallait d'abord inventer, roder, mettre au point et fabriquer les machines, ce qui engendrait des emplois. Il convenait ensuite d'assurer aux usines puissamment mécanisées une véritable régularité de fonctionnement, ce qui entraînait la création de très nombreux emplois, en amont dans le secteur des achats ou de la gestion et en aval dans le service à la clientèle. Enfin et surtout, la machine créait une richesse dont la consommation appelait une production et contribuait par conséquent aussi à la création d'emplois.
Vous le savez comme moi, mais nous ne l'avons peut-être pas assez dit à nos concitoyens, avec la dernière étape technico-scientifique, qu'il convient d'appeler - l'expression n'est pas très jolie mais elle dit bien ce qu'elle veut dire - la « révolution informationnelle » ; le processus s'arrête et le « déversement » ne se fait plus.
Lorsque la machine remplace l'homme dans les tâches non seulement pénibles ou répétitives, mais aussi de conception, de régulation et de contrôle lorsqu'elle s'évalue et rectifie elle-même son propre fonctionnement, l'homme n'a plus sa place dans le processus.
Monsieur le ministre, en 1900, nos arrière-grands-parents travaillaient 3 200 heures par an. Nous en sommes actuellement à quelque 1 650 heures. Ce chiffre s'est stabilisé depuis une quinzaine d'années, ce qui va de pair avec la montée en France d'un chômage massif. Nous nous situons à une période où les consciences mûrissent et où l'on se dit que, décidément, c'est la seule variable possible.
Il faut se faire à l'idée que les étudiants que vous formez travailleront, d'ici à vingt-cinq ans, moins de trente heures, voire de vingt-cinq heures par semaine. C'est à cette société-là qu'il vaudrait mieux songer à les préparer. Mon sentiment est que nous nous engageons de toute façon dans cette voie. Aussi conviendrait-il de le faire de bon gré car la pression des faits est là. En tout cas, l'éducation, c'est vous qui la dispenserez ; la vision prospectiviste viendra de vos services.
Le problème de la durée n'est cependant pas le seul : le travail éclate lui-même. Parmi les quinze millions de salariés appartenant au secteur privé, auxquels s'ajoutent 3 millions de chômeurs, 5 millions ont un statut atypique, travaillant soit à temps partiel, soit sous contrat à durée déterminée, bénéficiant d'un emploi aidé ou travaillant dans la sous-traitance - les définitions sont innombrables. N'oublions pas également tous ceux qui, avec un contrat de type normal, travaillent chez eux et même, d'après une expérience récente, sans bureau. Ainsi, une grande entreprise internationale n'offre plus de bureaux permanents à ses employés, qui travaillent la plupart du temps sur le terrain. Lorsqu'ils ont besoin d'un bureau pour recevoir un client, par exemple, ils en font la demande. Les gains immobiliers sont importants. Ces hommes et ces femmes n'ont pas de racine professionnelle. Leur relation avec leur employeur se fait par écran d'ordinateur interposé. Telle est la voie dans laquelle nous nous engageons.
Il n'est pas question que notre protection sociale reste fondée sur l'activité professionnelle des hommes, tant pour la maladie que pour la retraite. Elle doit devenir une assurance d'un fait de civilisation.
Mais la principale question qui se pose est celle de l'utilisation de son temps. Prescient du mécanisme d'évolution de la productivité et de la technique, Keynes affirmait, en 1930 : « Avant la fin du siècle, il suffira de trois heures par jour ou de quinze jours par semaine pour que l'humanité subvienne à ses besoins. » Dans un essai sur l'emploi et la monnaie, il ajoute : « Mais quand je vois ce que les classes aisées de notre temps font de leur temps et de leur argent, je crains la dépression nerveuse universelle. »
Nous avons connu, monsieur le ministre - nous sommes de cette génération - les inquiétudes qui se sont exprimées à propos de la société de consommation - elle est un peu derrière nous. Le constat selon lequel les pures consommations marchandes n'ont jamais épanoui personne non seulement est en train d'être assimilé par ceux qui écrivent et qui pensent - je songe à nos enseignants - mais aussi se traduit dans la morosité de la consommation marchande et de la conjoncture actuelle.
Voilà ce que nous vivons. Nous savons, en tout cas, que l'épanouissement d'un être humain réside dans ce qui est créé, fût-ce à l'occasion d'un acte sportif ou culturel.
Monsieur le ministre, la démocratie fut inventée à Athènes voilà 2 500 ans. On a passé 1 500 ans à essayer de la retrouver car elle s'était perdue en route. Ceux qui l'ont inventée avaient en commun le goût de la liberté, le respect de la pensée de l'autre et l'horreur du travail, qui n'est en rien une référence à cette époque. La dignité d'un citoyen d'Athènes tenait dans sa pratique sportive ou culturelle, dans la formidable intensité de ses rapports avec les autres et dans la joie dans laquelle s'exerçait la vie publique.
La machine nous donne aujourd'hui la possibilité d'un retour. Le travail n'est pas une nécessité de l'art de vivre en démocratie. Mais au moins faut-il développer les sensibilités depuis l'enfance, et je m'adresse là au ministre de l'avenir. Il ne faut pas « assassiner Mozart », comme l'a dit Saint-Exupéry, ni détruire la capacité de tout être humain de valoriser entre vingt et quarante ans, ses talents, surtout sportifs, culturels, picturaux, graphiques ou musicaux.
Monsieur le ministre, nous vous adjurons : la société de demain sera musicienne, mais réveillez les enseignements artistiques, c'est un devoir. Si les hommes que vous formez aujourd'hui ne travaillent plus, d'ici à trente ans, que vingt-cinq heures par semaine, leur joie de vivre dépendra de l'épanouissement de leur talent.
Il vous incombe donc d'être prophétique. Si vous en avez la volonté, nous serons, vous le savez, quelques-uns à vous suivre. Au besoin, nous le ferons sans vous, mais il est préférable d'oeuvrer ensemble.
Ce n'est évidemment pas d'un référendum dont l'enseignement supérieur a besoin - quelle question voulez-vous d'ailleurs poser ? - ni d'une réforme en trompe-l'oeil, qui navrerait les enseignants et les étudiants.
Ce qui pourrait arriver de mieux à l'enseignement supérieur, et donc au pays, est qu'une réforme solide puisse voir le jour, organisant la démocratisation, prolongeant l'effort budgétaire de la fin des années quatre-vingt, définissant des orientations claires, renforçant les structures d'accueil et l'encadrement, répartissant intelligemment l'offre éducative sur le territoire et pensant, monsieur le ministre, à demain autant qu'à après-demain. Est-ce trop demander ?
Nous attendons votre réponse. (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Camoin et Diligent applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la famille et le milieu scolaire sont les deux lieux de vie des individus jusqu'à un âge de plus en plus avancé.
La première transmet un ensemble de valeurs constitutif de l'homme et de la femme futurs. Ils tiendront de ce milieu d'appartenance un fonds culturel dont l'acquisition est à la fois quotidienne et diffuse et qui relève également de pratiques servant de modèles aux comportements à venir.
Le milieu scolaire, quant à lui, est plus spécifiquement celui de la transmission du savoir codifié. Toutefois, dans certains cas, il supplée l'environnement familial dans la constitution du patrimoine culturel et moral.
Il convient donc d'être extrêmement attentif à ce que nous mettons en place pour la France de demain.
Les mutations du monde moderne sont tout à la fois profondes et rapides. L'université doit être capable de s'adapter à ces changements et de répondre aux besoins qu'ils engendrent. Or, le marché du travail se révèle actuellement incapable de dégager, de façon immédiate, un nombre d'emplois correspondant à celui des sorties du système éducatif ; par ailleurs, il y a une inadéquation entre la nature des formations et celle des emplois offerts.
La dignité de l'homme à la tête bien faite et bien pleine passe toujours par l'exercice d'une activité lui permettant d'assumer ses responsabilités, et nous constatons que plus l'exclusion gagne du terrain, plus ce droit recule.
J'ai retenu, monsieur le ministre - et je m'en félicite - que l'un des dix points sur lesquels portent vos propositions de réforme de l'université concerne le contenu des études, plus spécifiquement des premiers cycles. Cette nécessité résulte de l'importance des échecs, qui atteignent 60 p. 100.
Au-delà de la transmission des connaissances, les enseignements primaire et secondaire jouent-ils suffisamment leurs rôles de filtre et d'orienteur ? Apprennent-ils aux bacheliers à apprendre ? Combien d'échecs sont dus à l'absence de méthodologie ?
On est également en droit de se demander, comme vous l'avez fait, monsieur le ministre, si l'université prépare bien la jeunesse de la France à la compétition internationale et dans quelle mesure le pays fait encore confiance à cette institution.
Si l'on ne veut pas voir le choix de la filière des écoles d'ingénieurs ou des écoles de commerce devenir, en quelque sorte, une assurance sur l'avenir et celui de l'enseignement universitaire un pis-aller, au-delà de la réforme des contenus, il faut garantir des moyens qui ne peuvent pas être conservés à niveau constant.
L'impératif de réduction des déficits n'autorise pas à demander des crédits supplémentaires, fussent-ils nécessaires. Parlons donc du redéploiement des 23 milliards de francs distribués de votre budget, monsieur le ministre. Vous avez souligné qu'il fallait revoir la répartition des aides aux étudiants ; une meilleure saisie des situations permettra une appréciation plus juste des besoins.
Les filières universitaires ont traditionnellement valorisé les disciplines générales. Il est impératif, aujourd'hui, d'intégrer les disciplines technologiques. Les activités industrielles, tertiaires et de techniques appliquées dont est fait le monde actuel sont trop souvent absentes de l'enseignement supérieur.
Par ailleurs, la recherche est le pendant indissociable pour maintenir un équilibre et la valeur de nos universités. Il faut la soutenir, la recherche !
La Franche-Comté s'enorgueillit de posséder une université pluridisciplinaire et des écoles d'ingénieurs où s'effectue une recherche de qualité, qui constitue des pôles forts de renommée internationale. Cette complémentarité est une richesse, car elle couvre les exigences de la pensée et de l'action ; encore faut-il que chaque établissement conserve son originalité tout en développant un partenariat actif.
Je viens d'évoquer nos structures régionales et vous-même avez parlé de la politique d'aménagement du territoire universitaire menée par le Gouvernement. Aussi, pour éviter le désarroi de nombreux étudiants, j'aimerais être fixé sur le sort de l'habilitation de second cycle AES, administration économique et sociale, de Belfort. Il répond à un enseignement de proximité souhaité.
Déjà, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1996, en intervenant dans la discussion du budget de l'enseignement supérieur, j'avais, notamment, souligné qu'il serait souhaitable que les universités puissent créer des formations spécifiques, qui répondent à des demandes des milieux socioprofessionnels et économiques. Les maquettes actuelles sont trop nationales et trop figées.
L'université ne doit pas être un endroit clos. La fin de siècle n'est plus aux isolats. Les partenariats initiés avec l'Etat et les collectivités locales doivent être poursuivis et étendus. Les milieux ouverts ont une meilleure adaptabilité, dimension indispensable pour s'inscrire dans un univers où les frontières sont gommées. Pour les utilisateurs, un viatique seul ne suffit pas. Il convient d'apprécier leur aptitude et de prévoir un accompagnement, faute de quoi la situation se dégradera.
Au lendemain des états généraux, la mise à plat du système vient à point. Il était urgent d'identifier les blocages pour les traiter avec l'adhésion des acteurs. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)

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ÉLECTION D'UN JUGE SUPPLEANT
DE LA HAUTE COUR DE JUSTICE

M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l'élection d'un juge suppléant de la Haute Cour de justice :
Nombre de votants : 139
Suffrages exprimés : 121
Majorité absolue des suffrages exprimés : 61
A obtenu : M. Hubert Falco, 121 voix.
M. Hubert Falco ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, je le proclame juge suppléant de la Haute Cour de justice.

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ÉLECTION D'UN JUGE TITULAIRE
ET D'UN JUGE SUPPLEANT
DE LA COUR DE JUSTICE DE LA REPUBLIQUE

M. le président. Voici les résultats du scrutin pour l'élection d'un juge titulaire et de son suppléant à la Cour de justice de la République :
Nombre de votants : 140
Suffrages exprimés : 121
Majorité absolue des suffrages exprimés : 61
Ont obtenu :
M. Hubert Falco : 121 voix.
M. Philippe de Bourgoing : 121 voix.
M. Hubert Falco et M. Philippe de Bourgoing ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, je les proclame respectivement juge titulaire et juge suppléant de la Cour de justice de la République.
M. Emmanuel Hamel. Qu'ils jugent bien !

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PRESTATIONS DE SERMENT

M. le président. M. Hubert Falco, qui vient d'être élu juge suppléant de la Haute Cour de justice, va être appelé à prêter devant le Sénat le serment prévu par l'article 3 de l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice.
Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu'elle figure dans la loi organique.
Je prie M. Hubert Falco de bien vouloir se lever et de dire, en levant la main droite : « Je le jure ».
Voici la formule du serment :
« Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
(M. Hubert Falco, juge suppléant, se lève et dit, en levant la main droite : « Je le jure ».)
M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d'être prêté devant lui.
M. Hubert Falco, juge titulaire de la Cour de justice de la République, et M. Philippe de Bourgoing, juge suppléant, vont être appelés à prêter devant le Sénat le serment prévu par l'article 2 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu'elle figure dans la loi organique.
Je prie M. Hubert Falco, juge titulaire, et M. Philippe de Bourgoing, juge suppléant, de bien vouloir se lever à l'appel de leur nom et de dire, en levant la main droite : « Je le jure ».
Voici la formule du serment :
« Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
(M. Hubert Falco, juge titulaire, et M. Philippe de Bourgoing, juge suppléant, se lèvent à l'appel de leur nom et disent, en levant la main droite : « Je le jure ».)
M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d'être prêté devant lui.

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ÉTATS GÉNÉRAUX DE L'UNIVERSITÉ

Suite du débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. Nous reprenons le débat consécutif à une déclaration du Gouvernement sur les états généraux de l'université.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos pourrait se placer sous le titre : « L'étudiant dans la cité. » A cette phase essentielle du débat sur les états généraux de l'université, qui ont été lancés à Cergy-Pontoise, le 21 octobre 1995, le Parlement est très heureusement associé, notamment, aujourd'hui, le Sénat.
Je vais m'efforcer d'apporter une libre contribution à ce débat, en m'attachant à des réflexions sur le statut de l'étudiant, que j'articulerai autour de trois points. Ainsi, après avoir tenté un diagnostic de la situation des étudiants dans la société française, je traiterai successivement de la légitimité d'une aide nationale et des orientations possibles pour une réforme.
Le diagnostic sur la situation des étudiants en France et dans la société française a, je crois, ceci de caractéristique qu'il fait l'objet d'un très large accord, un consensus même. Chacun s'accorde ainsi à reconnaître la démocratisation de notre enseignement supérieur, le nombre des étudiants ayant été multiplié par dix depuis dix ans, pour atteindre un effectif de 2 200 000 étudiants, soit 40 p. 100 à 50 p. 100 d'une classe d'âge. Cela dit, ces derniers temps, on note une tendance à la stabilisation des effectifs après une période de très rapide croissance.
S'il y a démocratisation, il y a aussi inégalité des chances. Cette inégalité est, certes, fonction du choix des filières, comme cela a été souligné par nombre d'orateurs avant moi ; mais elle est due aussi à des difficultés d'ordre familial, économique, social et géographique, qui peuvent, sans en être la cause principale, expliquer des taux d'échec pouvant atteindre parfois 60 p. 100 dans le premier cycle.
On n'a sans doute pas assez souligné jusqu'ici l'importance de l'effort national fait en faveur des étudiants. Cet effort est estimé, à la fois pour l'Etat et pour les collectivités locales, à plus de 23 milliards de francs chaque année, à comparer au budget de l'enseignement supérieur, qui atteint une quarantaine de milliards de francs.
Tout le monde le reconnaît, avec 70 p. 100 d'aides directes et 30 p. 100 d'aides indirectes, le système est complexe et manque de transparence. Il est donc important de le réformer.
Mais, plus grave encore, il est inéquitable.
Cette inéquité résulte d'un certain nombre de facteurs que je rappellerai très brièvement, car ils sont dans tous les esprits. Il s'agit du système actuel des bourses, de l'avantage « progressif » de la demi-part fiscale et du bénéfice de l'allocation de logement à caractère social, l'ALS, égal pour toutes les familles.
Comme vous l'avez rappelé dans votre propos introductif, monsieur le ministre, il n'est pas exagéré de dire qu'aujourd'hui les classes moyennes sont défavorisées par le système d'aide aux étudiants. C'est ainsi que, selon une étude publiée par le journal l'Etudiant, l'avantage fiscal peut aller de 2 000 francs à 33 000 francs pour un foyer.
Toujours dans ce diagnostic, j'insisterai maintenant sur une autre source de difficultés, que je vois dans l'intégration inégale des étudiants dans la cité. Il faudrait procéder à une enquête approfondie - un hebdomadaire l'avait entamée - sur la situation réelle des étudiants à Paris, en province, dans un grand pôle universitaire ou dans une ville moyenne, comparée à la situation des étudiants inscrits dans des universités nouvelles, à Cergy-Pontoise, par exemple. Il faudrait se pencher sur les inégalités en matière de restauration, de résidence universitaire, ainsi que sur les grandes difficultés ressenties en matière de transports, élément trop méconnu, alors que la carte orange représente souvent pour un étudiant un coût supérieur à celui de son inscription. De même, il faudrait s'intéresser aux inégalités dans l'accès aux bibliothèques universitaires, voire aux équipements sportifs et culturels.
Oui ! il y a un problème tout à la fois d'efficacité et d'équité en ce qui concerne l'aide nationale aux étudiants.
Si ce diagnostic recueille l'accord général, en revanche - et c'est le deuxième point de mon propos - la légitimité de l'aide nationale aux étudiants pose problème et fait débat.
Monsieur le ministre, en introduisant le débat, vous avez vous-même annoncé qu'il n'était pas question de mettre en place pour les étudiants un « statut » de haute protection et d'uniformité juridique, qui serait comme un cadre administratif ou fonctionnarisé. Nous nous inscrivons donc dans la perspective de donner plus de chances aux étudiants. Je pose cependant la question : est-il légitime que la collectivité nationale les privilégie par rapport à d'autres catégories de jeunes, qui ont parfois des difficultés bien plus grandes qu'eux ? Et cet effort est d'importance puisqu'il atteindra sans doute 24 milliards de francs cette année.
Pourquoi, comment et à quelles conditions une aide aux étudiants est-elle légitime à l'échelon national ? Les objectifs qui doivent être poursuivis sont multiples.
Il s'agit bien évidemment d'accroître et d'égaliser les chances des étudiants. C'est là le premier point. Il s'agit aussi d'améliorer l'efficacité de l'appareil de formation, d'éviter notamment les redoublements, trop nombreux et excessifs, qui détériorent le rendement de l'appareil de formation. Il s'agit enfin d'équilibrer l'aménagement du territoire pour que chacun, à travers toute la France, ait ses chances d'accéder à une formation.
C'est donc bien, ainsi que le demandait Michel Rocard tout à l'heure, investir pour l'avenir que d'aider les étudiants à l'échelon national en leur consacrant un important effort.
Cela étant, la réforme est nécessaire. Selon quels principes devrait-elle être conduite ?
Tout d'abord, l'équité.
L'équité ? Quel débat difficile ! Sans reprendre les analyses d'Alain Minc, sans revenir sur les difficultés d'une société qui, au nom de la justice sociale, prend souvent des mesures allant précisément contre l'équité, nous devons tout de même nous interroger.
Deux conceptions de l'équité et de l'aide aux étudiants s'affrontent. Il y a ceux qui estiment que l'on doit faire un effort vis-à-vis de l'étudiant en tant qu'individu entièrement autonome, complètement détaché de sa famille. Personnellement, ce n'est pas mon choix. L'autre option est, il est vrai, discutée, mais c'est la mienne : j'estime que l'on doit considérer les revenus et les capacités de travail de l'étudiant ainsi que ses possibilités d'évolution en essayant d'apprécier sa relation avec sa famille.
Voilà pour l'équité.
Il est un deuxième problème difficile à résoudre, celui de la globalisation. Face à un système aussi peu transparent, aussi peu clair et si inéquitable, la tentation est grande de globaliser l'aide, de fusionner en une allocation unique à la fois l'élément bourses et l'élément aide au logement.
C'est là une méthode un peu irréaliste qui, si elle devait être retenue, aboutirait sans doute à faire capoter la réforme.
Je ne pense pas qu'il faille tout globaliser et tout unifier. En effet, l'allocation - c'est là un autre principe que je voudrais défendre - doit être différenciée. Certains prônent une différenciation radicale, réservant l'allocation aux deuxième et troisième cycles, à l'exclusion du premier cycle. C'est tout à fait excessif, d'autant que l'on connaît les difficultés du premier cycle ! En revanche, l'idée de différencier en distinguant les trois cycles me paraît un principe intéressant.
Autre thème et autre principe à débattre : donner une deuxième chance. C'est là un point difficile. Certains considèrent que le mieux est d'instaurer une aide et de la systématiser lorsqu'il y a redoublement. C'est la thèse de l'UNEF-ID. Il s'agit d'une thèse dangereuse. Autant l'année joker est intéressante, autant l'idée de donner une deuxième chance est valable, autant il faut, évidemment, veiller à l'effort, à l'assiduité, à la participation et aux résultats des étudiants dans leurs cycles universitaires.
Donc, il faut clarifier, simplifier, mais non de manière abusive ou irréaliste.
Je ne préconise donc pas le choix d'un « statut étudiant », au sens propre. En effet, ce serait injuste par rapport à d'autres catégories de jeunes. Ce serait sclérosant, à l'imitation un peu d'un statut de fonctionnaire. Ce serait coûteux pour la collectivité. Ce serait, par certains côtés, démobilisant. L'étudiant citoyen a des devoirs, il faudra le dire aussi lors du débat sur le statut de l'étudiant, et son premier devoir est d'étudier.
J'ajouterai que l'idée de statut, un peu comme un statut octroyé, est contraire à un autre des objectifs que l'on doit chercher à atteindre dans la réforme de la participation des étudiants notamment à la gestion des oeuvres universitaires et à la gestion des fonds ainsi qu'à la vie des universités.
Cela me conduit au dernier chapitre de mon propos, qui veut tracer quelques réflexions et orientations pour une réforme.
Certes, le document des états généraux que vous avez diffusé au mois de juin, monsieur le ministre, et qui est très intéressant, pose l'ensemble des problèmes du statut de l'étudiant mais aucun choix - et c'est tout à fait normal à ce stade - n'est effectué. Avant de définir quelques orientations, j'ai relu quelques programmes d'action.
Tout d'abord, dans son document, l'UNEF-ID propose une allocation d'études individualisée, l'AEI. Il s'agit d'une aide sociale directe garantissant l'autonomie de l'étudiant. C'est une aide modulée, globale, avec un guichet unique, l'Etat s'engageant fortement sur le plan de l'aide aux étudiants, mais aussi sur le plan des résidences universitaires et sur celui de la restauration. Par ailleurs, la garantie des soins est assurée par les mutuelles.
La revue l'Etudiant a remis au Président de la République, en mars 1995, un projet spécifique sur le statut de l'étudiant et l'a ensuite diffusé dans une publication spécifique. L'objectif fixé est que tout étudiant dispose de revenus s'élevant à 30 000 francs par an. La revue l'Etudiant estime que c'est l'objectif qu'il faut atteindre. Son projet vise à combiner la réforme fiscale, la revalorisation des bourses, les « chèques-job » - une idée très intéressante - et l'extension d'un système de prêts à intérêts déductibles lorsque l'étudiant exercera son activité professionnelle.
Quant à la MNEF, ses propositions ne sont pas sans intérêt, qu'il s'agisse de la gestion de la couverture santé et de la prévention, ou de sa thèse sur le logement. Elle estime que l'effort pour le logement des étudiants - l'ALS, l'APL, les avantages fiscaux de la loi Méhaignerie et les prêts - représente 8,7 milliards de francs, mais rapporte aux collectivités locales et à l'Etat 11,4 milliards de francs. Elle pense donc qu'il faut poursuivre dans cette voie, elle ne fait pas de propositions de réforme si ce n'est de développer l'investissement privé en résidences universitaires ou en logements loués aux étudiants. En effet, vous le savez sans doute, 143 000 étudiants sont logés en résidence universitaire et 1,3 million résident en dehors de leur famille. Cela montre bien que la solution du logement universitaire doit être diversifiée.
Par ailleurs, la MNEF propose de développer - c'est une expérience très intéressante qui est menée à Niort, à Biarritz et dans quatre ou cinq universités - avec le soutien du CROUS, les chèques-déjeuner, qui donnent la liberté et évitent de faire des investissements considérables en matière de restauration collective.
Au vu de ces réflexions et de ces documents, compte tenu de la vie quotidienne des étudiants et de la manière dont je les vois s'intégrer dans l'université nouvelle de Cergy-Pontoise, je tracerai quelques orientations.
La première, c'est le choix du guichet social unique. Il s'agit, monsieur le ministre, d'un choix difficile. Ce sera, je crois, un gage d'efficacité et de transparence.
Les autres orientations sont les suivantes : choix de l'aide globale différenciée, choix de la réforme fiscale en profondeur, choix de la combinaison des modes de financement, enfin, choix de la démocratie et de la participation.
Nous souhaiterions que, au cours des prochains mois, soient étudiés, de manière approfondie, plusieurs points.
Il s'agit, d'abord, de la révision du système des bourses, qui concerne aujourd'hui 407 000 étudiants, avec une moyenne de 15 000 francs. Il s'agit, ensuite, de la suppression de la demi-part étudiant au-delà d'un certain seuil ou son plafonnement à 5 000 francs par exemple. Il s'agit, en outre, de l'évaluation globale des bourses avec l'ALS, qui devrait d'ailleurs disparaître pour certaines catégories de familles ; en disant cela, je ne cède pas à la facilité, je ne cherche pas la popularité, mais c'est la conclusion à laquelle on aboutit quand on examine le problème globalement.
Il convient également d'étudier le développement du parc des résidences universitaires, des logements, du chèque-déjeuner et du chèque-job. Il faut aussi étudier l'extension et l'amélioration du dispositif de prêts.
Des propositions assez intéressantes ont été formulées, qui portaient sur les prêts étudiant. On compte aujourd'hui à peu près 40 000 prêts étudiant en France, ce qui représente un chiffre très faible et qui pourrait très vraisemblablement être multiplié par quatre ou cinq. Il faudrait pouvoir travailler sur la durée de ces prêts et sur le différé de leur remboursement à partir de la fin des études, ainsi que sur la déductibilité des intérêts. Il y a là, selon moi, des pistes intéressantes.
Monsieur le ministre, vous en êtes convaincu et vous l'avez dit dans votre propos liminaire : la réforme est indispensable. Le Président de la République l'a annoncée, vous l'avez inscrite parmi les objectifs majeurs des états généraux et vous avez bien défini la méthode à suivre : la réforme doit être concertée, progressive - il conviendra de prévoir des étapes, car ce n'est pas en une année que l'ensemble de ce que l'on appelle le statut de l'étudiant sera mis en place - globale, elle intégrera la dimension fiscale, faute de quoi rien ne sera possible - et le budget devra être maîtrisé.
Voilà un point difficile, mais il s'agit d'une exigence absolue, pour vous et pour la collectivité nationale. La revue l'Etudiant affirme : « Cette réforme-là ne coûte rien, elle redistribue. » Elle affirme sans le démontrer ! A nous d'essayer d'apporter la preuve que l'on peut rendre le statut de l'étudiant plus juste et plus efficace. Je sais que vous mènerez cette réforme en respectant l'idéal républicain qui est le nôtre, celui de l'égalité des chances, car il faut rétablir des rapports stables et confiants entre la nation et les étudiants. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Saunier.
M. Claude Saunier. Monsieur le ministre, nous parvenons quasiment au terme d'un débat qui a été tout de même d'une grande densité et - reconnaissons-le - d'une réelle qualité.
Vous avez pu observer - mais de notre part, cela ne vous a pas surpris - que les parlementaires de l'opposition ont apporté à ce débat beaucoup de sérieux et ont fait preuve d'un esprit constructif. Il est vrai que depuis un certain nombre de semaines, à un titre ou à un autre, nous avons examiné les dix dossiers sur les dix questions, votre préambule, avec beaucoup d'attention.
Nous avons pris connaissance avec une grande satisfaction des références républicaines, auxquelles l'orateur qui m'a précédé a fait allusion, même si, par ailleurs, s'agissant de la méthode - et les travées de cette assemblée en témoignent, hélas ! - les états sont peut-être un peu moins généraux que vous auriez pu le souhaiter et que nous l'aurions nous-mêmes souhaité.
Notre autre sujet de satisfaction est d'avoir assisté, au cours de ce débat, de ces semaines, de ces échanges que vous avez eus, de ces auditions, à un rapprochement des points de vue. En effet, d'une certaine façon, notre République y a gagné. Allons-nous nous orienter vers une approche plus rationnelle, plus raisonnable, moins passionnelle de ce qui a pendant longtemps divisé la France ? On peut l'espérer. En tout cas, à travers les intentions, les approches un peu théoriques pour le moment, les choses semblent avancer de façon positive... sauf que nous n'avons pas encore atteint le coeur du sujet, je veux parler des finances. Mais vous me rétorquerez, monsieur le ministre, que telle n'était pas la question. Pourtant, vous le savez, les élus nationaux et les élus locaux ne sont jamais insensibles à ce type de question.
Sur la méthode, vous avez expliqué ce matin, que Cronos ne devait pas dévorer ses enfants. Cela m'a rappelé quelques cours de sixième ; c'est sympathique. Mais notre expérience, en particulier d'élus locaux, nous amène à considérer qu'il faut... oserai-je dire « donner du temps au temps ». Eh oui, il faut donner du temps au temps, en tout cas donner le temps aux esprits de s'approprier certaines évolutions.
Mais, d'un autre côté, la dilution excessive risque d'« effilocher » les volontés. Or, dans cette affaire, comme dans les autres, il faut de la volonté pour passer des intentions à l'action.
Le dernier élément de satisfaction très générale est constitué par notre échange sur la voie référendaire.
Cela ne vous surprendra pas, monsieur Camoin, vos propos nous ont comblés de satisfaction. Bien entendu, nous resterons extrêmement vigilants, car plus nous avançons dans le débat, plus nous nous rendons compte qu'il s'agit d'un sujet extrêmement complexe et plus nous mesurons que la simple réponse par un oui ou par un non à une réforme de cette ampleur n'a pas de véritable signification, sauf si c'est en effet la sanction d'une longue démarche qui permet de rapprocher les points de vue. Nous verrons comment les choses se dérouleront. En tout cas, nous serons extrêmement vigilants.
J'organiserai mon propos autour de deux ou trois axes de réflexion. Je serai aussi bref que possible car beaucoup de choses ont été dites.
Sur l'enjeu de l'enseignement supérieur, le débat a permis d'évoluer. Il est aujourd'hui très clair, parce que cela apparaît dans la société et maintenant dans notre assemblée, que l'enseignement supérieur constitue l'un des enjeux majeurs du troisième millénaire. C'est comme cela que les choses sont vécues, c'est la réalité. C'est comme cela que les parlementaires que nous sommes le mesurent.
Il s'agit d'un enjeu économique à l'heure de la mondialisation. Il s'agit également d'un enjeu social déterminant dans une société à vocation démocratique comme la nôtre. On se rend compte de ce que représente le passage en quelques années de un million d'étudiants à 2,2 millions, et bientôt 2,5 millions ou davantage.
Il s'agit aussi d'un enjeu géographique. C'est une énorme question. Tout le monde le pense, le dit et le constate : là où est l'intelligence, il y a les emplois. Or l'intelligence continue à se concentrer sur un certain nombre de lieux privilégiés. C'est un paradoxe à l'heure où les nouvelles technologies d'information et de communication permettent la répartition du savoir sur l'ensemble du territoire. C'est une des questions que je souhaiterais aborder.
Je serai concis en ce qui concerne la situation de l'enseignement supérieur. Bien entendu, nous avons les uns et les autres notre histoire, notre point de vue, notre perception des choses. Il y a encore, ici ou là, quelques formules sans doute un peu malthusiennes, un peu frileuses, un peu timorées.
Mais revenons à l'essentiel. La lucidité consiste à mesurer que notre nation a en effet besoin d'un enseignement supérieur rénové, modernisé, adapté, ouvert sur la vie. La justice conduit à constater que notre pays a su se doter d'un enseignement supérieur qui, à l'extérieur, est souvent considéré avec quelque envie. Il ne ressemble pas à un champ de ruines, comme on pourrait le dire un peu trop rapidement. Il a su, comme je le rappelais, passer de un million à plus de deux millions d'étudiants en quelques années, ce qui constitue une véritable révolution ; cette dernière, loin de conduire à l'explosion du système, s'est opérée finalement dans des conditions acceptables, et ce grâce aux réformes antérieures : la loi Savary, la politique des contrats avec l'université, la volonté de l'Etat - je le dis devant Michel Rocard - de mettre à la disposition des universités, en particulier, des moyens financiers qu'elles n'avaient jamais eus auparavant, sans oublier l'engagement des collectivités locales, qui, vous le savez, ont été fortement sollicitées par différents gouvernements - le maire que je suis aurait un peu tendance à dire « hélas ! ».
Telle est la situation actuelle : malgré un bilan qui n'est pas si mauvais que cela, se fait jour une nécessité de réformes.
L'aspect positif de l'échange que nous avons eu est, à mes yeux, le constat d'une volonté collective de nous engager dans un enseignement supérieur fondé sur une démarche de réussite non seulement individuelle, pour chacun des jeunes, mais aussi collective, pour la nation tout entière.
J'aborderai simplement trois des dix questions que vous avez rappelées, monsieur le ministre.
S'agissant tout d'abord de la transmission du savoir et de l'orientation, ce matin, notre collègue M. Carrère a fait part d'un certain nombre de propositions qui, semble-t-il, ont retenu votre attention.
Nous n'échapperons pas, à mon avis, à la rénovation des premiers cycles. Je ne reviendrai pas sur le taux d'échec, si ce n'est tout de même pour en souligner les coûts, en termes non seulement financiers, mais aussi humains : les jeunes se retrouvent, au seuil de la vie, avec un sentiment d'échec.
Je ferai donc, à cet égard, une proposition très précise : la simplification des premiers cycles.
Pour parvenir à ce résultat, il importe tout d'abord de réduire le nombre des DEUG, lesquels devront être moins calés sur la multiplicité des disciplines universitaires que sur les grandes sensibilités, les grandes orientations scientifique, littéraire et juridique.
Par ailleurs, des passerelles entre les filières devront être créées.
Enfin, il faudra probablement instituer un cycle d'observation permettant aux enfants de mesurer qu'ils passent d'un mode de transmission des informations et du savoir sous contrôle, sous haute surveillance - le lycée - à un autre mode pédagogique fondé sur l'autonomie - l'université. Faut-il parler de la renaissance de la propédeutique ? Pourquoi pas ! En tout cas, on voit bien qu'il y a là une articulation difficile à assumer.
Quant à l'orientation, on a souvent évoqué ici, sur toutes les travées, la nécessité d'une orientation précoce. Sans doute ! Mais n'oublions jamais que les jeunes sont des êtres en formation dont la personnalité se dessine et auxquels nous devons reconnaître la possibilité de choisir et de changer d'avis. Il faut donc aborder cette question avec beaucoup de prudence.
J'en viens à la voie technologique, dont je ne dirai qu'un mot : en ce domaine, l'enseignement supérieur n'a fait, depuis maintenant vingt ou trente ans, que du bricolage ! A chaque fois que se posait un problème, un sigle était inventé ! Lequel d'entre nous est capable d'identifier derrière ces sigles la réalité des formations dispensées ?
Il va donc falloir simplifier et rendre cohérent tout cela. Telle est, à vous écouter, votre intention, monsieur le ministre.
Cette simplification est d'autant plus nécessaire que nous assistons à une irruption massive de la dimension scientifique et technologique dans notre vie quotidienne, sociale et professionnelle. C'est d'ailleurs bien la vocation fondamentale de l'enseignement supérieur, au titre aussi bien de sa mission de formation professionnelle que de sa mission culturelle, que d'embrasser le champ scientifique et technologique beaucoup plus fortement qu'il ne le fait aujourd'hui.
Mon dernier propos portera sur l'aménagement du territoire. Nous avons eu l'occasion d'échanger nos points de vue sur ce sujet, monsieur le ministre. Vous savez quelles sont nos préoccupations. Je ne veux pas voir un signe particulier dans le fait que l'aménagement du territoire figure en dixième position dans votre liste de dix questions ! J'espère simplement qu'il ne s'agit pas, de votre part, d'un manque d'attention à ce dossier, qui me paraît essentiel.
Des débats sur l'aménagement du territoire ayant déjà eu lieu voilà quelques mois dans cette enceinte, je tiens à lever quelques ambiguïtés, pour le cas où ce serait nécessaire.
Je rappellerai donc que la mission de base de l'enseignement supérieur, en particulier de l'université, est, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, la création, la conservation et la transmission du savoir, et non pas une préoccupation d'aménagement du territoire.
Cela dit, la répartition de la matière grise sur le territoire national a des conséquences tout à fait importantes sur les plans économique et démographique.
L'inégalité que nous constatons est tout à fait paradoxale à l'heure des nouvelles technologies, alors que la transmission des informations est possible instantanément sur n'importe quel point du territoire.
Faut-il pour autant préconiser une sorte de pulvérisation de la structure universitaire ? Telle n'est ni l'avis personnel du maire d'une ville moyenne que je suis ni la position de la fédération des villes moyennes.
La multiplication d'universités départementales aurait à mon avis pour risque majeur la création de sites universitaires de second rang pour des jeunes défavorisés dans des régions marginalisées.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Claude Saunier. Ce serait un alibi, une fausse réponse apportée à une véritable question !
Au contraire, dans les villes moyennes, nous devons imaginer la constitution de plates-formes intégrant la diversité des composantes de l'enseignement supérieur de ces villes. Ces plates-formes doivent travailler en réseau fortement charpenté avec d'autres sites, et, en particulier, être fortement articulées avec les grandes universités régionales qui, seules, sont à même d'assurer la qualité de la recherche, la sûreté scientifique et les perspectives d'ouverture liées à la réflexion et au travail universitaire.
Mais, au-delà de leur fonction naturelle de sites de premier cycle, ces plates-formes situées dans des villes moyennes doivent se voir reconnaître la possibilité, lorsqu'elles ont des centres de recherche, de se positionner sur des créneaux d'excellence. Je ne vois pas pourquoi la présence de plusieurs dizaines de milliers d'étudiants serait nécessaire pour autoriser un centre d'enseignement supérieur à participer à l'innovation, à la recherche et à l'invention. Encore une fois, je crois qu'il y a là quelque chose à inventer.
Une redéfinition du positionnement des villes moyennes dans le dispositif universitaire permettrait, à mon avis, d'avancer dans trois domaines.
Tout d'abord, la souplesse des petites structures et leur proximité du terrain permettraient de procéder à des expériences concluantes sur l'utilisation des nouvelles technologies. En effet, les équipes pédagogiques des villes moyennes sont peut-être mieux à même que celles des grandes cathédrales universitaires de s'adapter, d'évoluer et de s'emparer des nouvelles technologies. Mais ce n'est pas dans cette assemblée où siègent nos éminents collègues que sont MM. Sérusclat et Laffitte qu'il est nécessaire de plaider ardemment en faveur des nouvelles technologies !
Par ailleurs, si, pour des raisons démographiques, les besoins en formation initale plafonneront dans les prochaines années, en revanche, les besoins en formation continue, en formation permanente - Michel Rocard en a parlé tout à l'heure - exploseront véritablement. L'université, l'enseignement supérieur doivent répondre à ce besoin social, j'allais dire « investir ce marché ».
Enfin, le fait de disposer de centres de recherche sur le terrain, dans les villes moyennes, peut aussi constituer un élément d'amélioration du transfert des technologies en direction des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes industries.
Monsieur le ministre, comme vous pouvez le constater, nous avons procédé à un examen tout à fait attentif, vigilant et positif de votre travail, et nous avons fait preuve d'un esprit constructif. Mais je dois à la vérité de dire que nous jugerons naturellement le Gouvernement à ses actes, en particulier lorsque le ministre de l'enseignement supérieur que vous êtes passera au stade des propositions concrètes.
Nous serons notamment extrêmement attentifs au contenu financier de vos propositions, y compris en matière de partenariat avec les collectivités locales. Ainsi, le maire d'une ville moyenne que je suis se demande combien paient les contribuables de cette ville pour un étudiant accueilli par rapport aux contribuables des grandes métropoles, sans parler de la région parisienne. Est-il normal, est-il légitime d'imposer aux contribuables des villes moyennes un engagement financier pour développer une mission qui doit être d'abord celle de l'Etat ?
Nous serons donc extrêmement attentifs, monsieur le ministre, aux conditions du partenariat entre l'Etat et les villes auquel vous faites souvent allusion. J'affirme notre attachement à la nécessaire solidarité nationale incarnée par l'Etat.
Monsieur le ministre, vous avez de bonnes intentions. Si ces dernières sont nécessaires, elles ne suffisent néanmoins pas à transformer une société. Il faudra donc, au-delà des intentions, de la volonté et des actes. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout ayant été dit, et même à plusieurs reprises, je me bornerai à aborder un point particulier non dénué d'importance.
Monsieur le ministre, il y a deux catégories de ministres de l'éducation nationale : ...
M. Emmanuel Hamel. Les bons et les mauvais ! (Rires.)
M. Jean Clouet. ... ceux qui partent avant que le toit ne leur soit tombé sur la tête et ceux qui en prennent le risque ! Vous figurez parmi ces derniers. Ce ne sont pas les moins courageux...
M. Emmanuel Hamel. Il est parmi les bons !
M. Jean Clouet. ... même si, sans doute, ce ne sont pas nécessairement les plus réalistes. (M. le ministre rit.) Les uns gèrent avec prudence, les autres ambitionnent de réformer.
« Vaste programme », eût dit le général de Gaulle, lorsque l'on connaît l'immense conservatisme des différentes composantes du monde enseignant. (Exclamations sur les travées socialistes) : conservatisme de résignation pour les uns, conservatisme de corporatisme pour les autres, même et surtout s'il est fréquemment dissimulé derrière un nuage de revendications très souvent contradictoires.
Dans ce monde où j'ai moi-même enseigné dans les trois ordres,...
M. Jean-Louis Carrère. Ce n'est pas étonnant !
M. Jean Clouet. ... ce qui m'en a donné une certaine connaissance, et où le meilleur - vraiment le meilleur - côtoie le pire - vraiment le pire - c'est de l'enseignement supérieur qu'il s'agit aujourd'hui.
Deux millions d'étudiants - ou présumés tels - constituent sa population : près de 80 p. 100 de chaque classe d'âge y affluent.
Qualité contre quantité, c'est l'éternel débat, sauf, précisément, dans l'enseignement supérieur où il est entendu, acquis, proclamé que les deux concepts ne font qu'un. Il convient donc de ne pas les séparer car, alors, on tomberait dans cette abomination dont on ose à peine prononcer le nom de peur de révulser les pharisiens pointilleux, toujours prêts à déchirer leur tunique.
M. Michel Rocard. Oh la la !
M. Jean Clouet. Je ne le prononcerai donc pas.
M. Henri de Raincourt. C'est dommage !
M. Jean-Louis Carrère. On l'a entendu !
M. Jean Clouet. Il n'a cours que dans le monde sportif, les prix littéraires ou au festival de Cannes.
D'ailleurs, dans l'état actuel du droit, et même si l'on acceptait de prononcer ce mot et de s'inspirer de son contenu, on s'en trouverait empêché par le seul fait que le baccalauréat est un grade universitaire, le premier d'entre eux, et que, dès lors, un bachelier n'a pas à entrer dans l'université : en tant que tel, il s'y trouve.
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Tout à fait !
M. Jean Clouet. Il s'y trouve, dans le premier cycle de l'enseignement supérieur, que chacun s'accorde à considérer comme une quasi-catastrophe pédagogique, où les malheureux professeurs se débattent avec une foule de jeunes, dont beaucoup sont malheureusement incapables d'accéder au niveau de l'enseignement que l'on tente de leur dispenser.
De même qu'en quittant le primaire de très nombreux enfants ne sont pas au niveau du secondaire - c'est une remarque que personne ne conteste - de même, en quittant le secondaire, de très nombreux élèves ne sont pas au niveau du supérieur.
M. Jean-Louis Carrère. Et en quittant le Sénat ? (Sourires.)
M. Jean Clouet. Devant cette situation, chacun y va de ses suggestions, toujours généreuses, souvent utopiques, jamais adoptées.
Permettez-moi, monsieur le ministre, d'entrer dans ce concert, même si je suis persuadé de n'être pas entendu.
L'historien que vous êtes m'autorisera à m'inspirer de la formule quelque peu rebattue de Guillaume d'Orange.
Tout le problème tourne autour du baccalauréat, puisqu'il est la clef de l'enseignement supérieur. Dès lors, une rectification de frontière, me paraît s'imposer. Elle peut être réalisée selon l'une ou l'autre des deux formules suivantes.
La première solution consisterait à prolonger de deux années la durée des études secondaires et à décaler d'autant la date de passage du baccalauréat. Pendant ces deux années, les lycéens pourraient acquérir, grâce à une pédagogie mieux adaptée que celle du premier cycle, les connaissances nécessaires et entrer ainsi à l'université mieux aptes à entamer leurs études, qui mériteraient alors vraiment le qualificatif de « supérieures ».
La seconde solution serait de faire passer le baccalauréat non plus à la fin des études secondaires, mais à l'issue de l'actuel premier cycle : ce n'est qu'à ce moment que, devenu alors bachelier, on entrerait véritablement dans l'enseignement supérieur, la fin des études secondaires pouvant être sanctionnée par la délivrance d'un diplôme approprié.
J'aurais tendance à préférer la première formule, car il me paraît évident que ce qui manque aux actuels étudiants du premier cycle pourrait mieux leur être apporté par une pédagogie de type secondaire que par une pédagogie de type supérieur.
Mais tout cela importe peu, monsieur le ministre, car, comme vous le savez à vos dépens, en matière d'enseignement, penser tout haut c'est déjà prendre un risque. Mettons que j'aie pensé tout bas. (Rires et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt. Il a le sens de la formule !
M. François Bayrou. ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Emmanuel Hamel. Il va penser tout haut !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur Clouet, en essayant de répondre aux différents orateurs, je m'efforcerai de ménager la solidité de la coupole du Sénat, afin de ne pas la voir tout de suite tomber sur ma tête, même si je connais la nature du risque auquel est nécessairement exposé un ministre de l'éducation nationale. (Sourires.)
Tout d'abord, je tiens à souligner la qualité - je ne suis pas le premier à le faire - le ton et la sérénité du débat que nous avons eu aujourd'hui et qui me semble, en effet, marquer une évolution profonde, que nous étions nombreux à attendre.
Peut-être notera-t-on que, au milieu de la dernière décennie du siècle, les esprits ont suffisamment mûri pour que des problèmes, hier entièrement livrés à la passion, puissent aujourd'hui être examinés avec davantage de sérénité, de solidarité nationale et sans doute aussi de générosité. Cela ne sera pas le moindre des mérites de ceux qui, depuis longtemps, se battent pour que la priorité à l'enseignement supérieur soit reconnue par la nation de manière plus unanime.
Je reprendrai très brièvement les principaux points évoqués par les orateurs qui se sont succédé à la tribune. Ils me pardonneront de ne pas pouvoir leur répondre dans le détail en raison de l'heure.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles, a fait allusion au double paradoxe français.
Le premier paradoxe concerne l'invocation de la participation des étudiants au moment des crises et la très grande difficulté qu'il y a à leur faire prendre leur part des réflexions sur l'évolution de l'enseignement supérieur lorsqu'on est hors des crises.
Il n'est pas le seul orateur à avoir observé que, en effet, l'un des maux que notre pays connaît en matière d'enseignement supérieur, c'est l'incapacité à traiter les problèmes à froid, de manière dépassionnée, la quasi-obligation où l'on se trouve de ne les affronter qu'à chaud, en période de crise.
C'est de ce cercle vicieux que les états généraux ont voulu sortir, et je donne volontiers acte à tous ceux qui ont noté - je fais notamment allusion à M. Saunier - que nous aurions tous souhaité que les états fussent plus généraux qu'ils ne l'ont été en réalité.
Pour ma part, je considère que c'est un premier pas. J'ai dit à l'Assemblée nationale - et je le répète devant le Sénat - que si la démarche d'association des acteurs de toute nature, qu'il s'agisse des acteurs de terrain - étudiants, personnels, universitaires - ou des acteurs nationaux que vous êtes, devait s'arrêter aux alentours du 15 juin, lorsque je m'efforcerai de tirer les conclusions de ces états généraux et de proposer des principes, ce serait, me semble-t-il, un grave échec.
Voilà des décennies que l'on constate l'incapacité où nous sommes d'organiser une véritable participation à l'université, une vraie vie citoyenne, intellectuelle, culturelle, démocratique. Désormais, c'est l'un de nos premiers objectifs. Il ne pourra être atteint que par la poursuite du mouvement que nous avons engagé, que par la certitude qu'acquerront peu à peu les étudiants que ce qu'ils disent est important. Je voudrais noter, en effet, que lorsque les étudiants arbitrent contre leur participation à ce genre de discussions et en faveur des autres aspects de leur vie universitaire ou personnelle, ils n'ont pas foncièrement tort.
Jusqu'à maintenant, à quoi ont servi leurs paroles, leur réflexion et leur engagement ? En raison de ce syndrome français d'incapacité à traiter les problèmes autrement qu'à chaud leur engagement n'a servi à rien !
Ils participaitent à des « amphis » passionnés, enfumés et sympathiques, dans lesquels ils se forgeaient des souvenirs. Mais, la plupart du temps, leur réflexion et leurs paroles étaient oubliées dès que les quinze jours nécessaires pour amortir l'effet d'une crise avaient passée.
Il dépend de nous - mais c'est une oeuvre très complexe et de très longue haleine - de prendre au sérieux ce qu'ils ont à dire, c'est-à-dire de construire les institutions de la réforme continue que j'appelle de mes voeux et que j'ai placée au premier rang de mes objectifs. Celle-ci devra montrer à chacun des acteurs, par exemple à l'étudiant de première année qui commencera son itinéraire universitaire, que, en effet, sa voix peut être entendue dans le cadre de l'organisation de notre enseignement supérieur.
C'est très difficile, mais je suis persuadé qu'il s'agit d'un enjeu essentiel.
Le second paradoxe, monsieur Gouteyron, porte, en effet, sur les places respectivces du secteur sélectif et du secteur ouvert dans notre université.
Je reviens sur l'incapacité où nous sommes - de nombreux orateurs sont en effet intervenus sur ce point, soit pour s'en féliciter, soit pour le regretter ; M. Clouet a menacé de voir en nous des pharisiens déchirant leur tunique dès l'instant que le mot « interdit » serait prononcé - je reviens, dis-je, sur l'incapacité où nous sommes de parler sereinement d'un problème qui concerne pourtant la vie quotidienne des étudiants de notre pays.
Je m'attarderai quelque instants sur cette question de la sélection interdite, de la sélection taboue.
Monsieur Clouet, vous avez raison, la sélection existe ! Elle existe non seulement dans la vie sportive, culturelle, médiatique ou politique - nous sommes nombreux à en savoir quelque chose ! (Sourires.) - mais également à l'université.
Un grand nombre d'étudiants - entre 30 et 40 p. 100 - font le choix serein, médité, volontaire d'une filière sélective. Ils s'inscrivent dans une filière où ils savent qu'ils auront des concours à passer. Ils postulent à une inscription où leur dossier sera examiné : BTS, IUT, classes préparatoires aux grandes écoles, grandes écoles, facultés de médecine... dans ces cinq domaines, la sélection existe !
Les autres étudiants, qui auraient pu être inscrits dans le secteur ouvert, le sont en réalité dans un secteur où la sélection est féroce : plus de 60 p. 100 d'échecs dans certains cycles et moins de 20 p. 100 de réussites à l'issue des deux années dites « normales ».
Par conséquent, la sélection existe, et elle est féroce !
Mais la question de la sélection ne se limite pas à ce constat. Elle recouvre deux interrogations. Premièrement, la sélection actuelle est-elle juste ? Deuxièmement, faut-il la renforcer encore en choisissant le principe de l'exclusion d'un certain nombre d'étudiants avant même qu'ils puissent tenter leur chance ?
Mme Hélène Luc. Non !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Telles sont les deux questions qui se posent et auxquelles j'ai répondu non.
La sélection actuelle n'est pas juste ! Comme M. Maman l'a dit, me semble-t-il, avec beaucoup de justesse, naturellement, l'échec touche toujours les mêmes, c'est-à-dire ceux dont la formation dans l'enseignement secondaire n'a pas eu la solidité que l'on aurait souhaitée, soit par manque d'attention familiale, soit par manque de conseil, ceux pour qui la jungle n'a pas été défrichée par la connaissance subtile qu'ont les familles les plus avantagées de ce qu'est une véritable formation universitaire. Ils n'ont pas été guidés comme ils auraient dû l'être ni pour leur orientation ni pour leur travail. Bien entendu, ce n'est pas la seule raison et, tout à l'heure, en réponse à un orateur, je dirai ce que je pense de l'effort.
La sélection actuelle n'est pas juste ! Faut-il la renforcer en interdisant à un grand nombre des jeunes de tenter leur chance ? Ma réponse est « non ». Je considère qu'il n'y a pas de plus grande injustice, lorsqu'un jeune a satisfait aux épreuves du baccalauréat, que de lui interdire de tenter sa chance ensuite.
Permettez-moi de vous rappeler que, parmi ceux qui sont reçus au baccalauréat, un très grand nombre, sinon la majorité, sont les premiers à avoir réussi cet examen dans leur famille ! Nous l'oublions parce que nous vivons dans des milieux où les diplômes pleuvent, mais la vérité est que, pour beaucoup, la réussite au baccalauréat se traduit par une promotion et par une émotion profonde. Qui aura le front, dans ces conditions, de regarder ces jeunes dans les yeux en leur interdisant de tenter leur chance ? Surtout pas moi !
Notre expérience commune, aux uns et aux autres, celles dont nous avons connaissance dans notre entourage, montrent bien que ce n'est pas à dix-sept ans que se photographient les succès ultérieurs. Beaucoup d'entre nous ont mûri après cet âge-là, beaucoup d'entre nous ont eu des scolarités secondaires cahotiques alors que, au contraire, tel qui paraissait promis au plus brillant avenir s'est révélé, en réalité, en panne lorsqu'il s'est agi d'entamer des études supérieures.
Je considère que, outre une injustice sociale, il y a une injustice culturelle à refuser à un jeune de tenter sa chance. La question de la sélection, pour moi, doit donc être tranchée de la manière suivante : étant donné ce qui constitue la tradition française, étant donné ce qu'est l'intimité entre l'idée d'école et l'idée de République, on n'a pas le droit d'interdire à un jeune de tenter sa chance. Qui plus est, on n'a pas le droit de l'abandonner sans aide dans la jungle impitoyable que représente, pour beaucoup d'entre eux, notamment les moins favorisés socialement et culturellement, le premier cycle de notre enseignement supérieur.
La réforme des premiers cycles et celle de l'orientation sont très étroitement liées et il est d'enjeu national que nous arrivions à nous retrouver autour d'une architecture qui puisse satisfaire à la fois deux exigences : permettre raisonnablement à chacun de tenter sa chance et offrir les garanties de justice indispensables pour faire en sorte que la sélection, inévitable s'agissant d'études et de formation supérieures, soit considérée comme indiscutable par tous ceux qui, précisément, auront tenté leur chance.
Voilà pourquoi je pense que la question de la sélection, que certains considèrent comme taboue, est en réalité, si l'on appronfondit la réflexion, une question vide, l'une de ces questions qui déchirent au lieu de rassembler.
M. Gouteyron, enfin, a insisté sur l'insertion professionnelle, en posant une question très simple : quel doit être le degré d'initiative des universités dans le travail sur l'insertion professionnelle ? Je crois qu'il y a là un axe tout à fait intéressant pour la rénovation en profondeur des modes de gestion de notre université.
M. Camoin a insisté sur le caractère pénalisant de l'incapacité où nous sommes de changer notre université. Il a relevé - nous devons également y réfléchir - que la dépense pour l'université, en France, est nettement inférieure à celle qui est pratiquée partout ailleurs.
Qu'il me permette de dire, pour être tout à fait exact, que la France a fait, pour son enseignement élémentaire, des choix de dépenses publiques qui n'ont été faits nulle part ailleurs non plus. La France est ainsi le seul pays au monde à avoir une école maternelle...
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... et je crois que nous avons le droit d'en être fiers.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Je ne partage pas le jugement sommaire porté ici ou là - je l'ai entendu dans une autre assemblée - selon lequel il suffirait, pour faire quelques économies, de supprimer quelques années d'école maternelle, en considérant que les enfants ne s'en porteraient pas plus mal.
M. Gérard Delfau. Ce sont des illettrés qui s'expriment ainsi !
Mme Hélène Luc. Il faut la développer, au contraire !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Soyons honnêtes : la plupart des enfants de milieux favorisés ne s'en tireraient pas si mal, mais, s'il est un point sur lequel les études sont unanimes, c'est que l'école maternelle est un atout pour les enfants des milieux socialement et culturellement les moins favorisés de la nation, et il est juste de les défendre. Nous devons donc prendre cette dépense en compte dans l'effort national pour l'éducation.
Certes, dans les temps difficiles que nous allons connaître, nous pouvons imaginer la réorientation d'un certain nombre de moyens, à condition qu'aucun enfant n'en souffre. Et il n'y aura pas là quadrature du cercle !
Je sais bien que l'expression « déshabiller Pierre pour habiller Paul » est un des lieux communs de la rhétorique parlementaire en matière d'éducation...
M. Jean-Louis Carrère. Pas seulement en matière d'éducation !
M. François Bayrou. ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... mais, depuis trois ans et demi maintenant que j'assume la charge de ministre de l'éducation, en commençant par le primaire et le secondaire et en poursuivant par l'enseignement supérieur, ma conviction est qu'il existe des marges et que certains moyens pourraient être utilisés de manière plus utile et plus efficace.
Toutefois, cette conviction s'accompagne d'une autre : la réorientation de ces moyens ne peut se faire que dans le temps. Croire que, d'un claquement de doigts, nous pourrions brutalement amputer des emplois, fermer des classes, supprimer des écoles pour nourrir tel autre secteur de notre éducation nationale qui en aurait besoin, c'est une vue de l'esprit.
Ce n'est pas au Sénat, où les représentants de tous les groupes m'ont régulièrement interpellé sur telle fermeture de classe dans telle école primaire de notre pays - fermeture considérée toujours comme abusive et excessive, et je vois des sourires entendus sur toutes les travées - ...
M. Claude Estier. Oui, sur toutes les travées !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... que j'aurai besoin d'insister sur la très grande attention que nous devons apporter au maillage du territoire national par l'éducation nationale.
M. Emmanuel Hamel. Maintenez le maillage !
M. François Bayrou. ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Des marges existent, mais il faut beaucoup de soin, de vigilance et de travail en profondeur pour les dégager et les réutiliser. Elle peuvent, en tout cas, nous ouvrir des voies positives.
M. Camoin a également parlé de la simplification des DEUG. Ce sujet a d'ailleurs été évoqué par beaucoup d'entre vous et j'y répondrai peut-être plus longuement tout à l'heure.
M. Camoin est le seul, en tout cas, à avoir abordé la question des professeurs agrégés dans l'enseignement supérieur. Ces PRAG - vous connaissez tous ce sigle - assument une charge d'enseignement dans notre enseignement supérieur, mais ils sont régulièrement montrés du doigt et on leur fait des procès totalement injustes.
Je ne peux pas dire, à cette tribune, que ceux qui réussissent le concours de l'agrégation sont moins bons que les autres, je ne serais pas crédible.
M. Henri de Raincourt. Ah non !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En tout cas, je n'aurai pas ce masochisme-là.
Il existe cependant une interrogation légitime au sein de la communauté universitaire à propos de la possibilité, pour ces enseignants, de conduire des recherches s'ils le souhaitent. Nous aurons à traiter de cette question. En effet, si je considère que, pour l'instant, la situation n'est pas satisfaisante, la simple idée que l'on va transférer des professeurs du secondaire vers le supérieur pour écluser la charge de travail qui règne ici ou là - M. Rocard parlait de Bercy, mais je ne vise personne - me semble toutefois de nature à déséquilibrer la réalité universitaire.
Ce n'est pas pour autant que nous devons négliger la contribution, à mon avis exceptionnelle, que beaucoup de jeunes agrégés brillants peuvent apporter à l'enseignement supérieur dans les matières littéraires, dans les domaines de gestion et peut-être aussi - je sais bien que ce n'est pas habituel d'y faire référence depuis quelques années - dans les matières scientifiques.
Je suis persuadé qu'un chemin peut être trouvé pour concilier ces deux exigences. Je m'efforcerai de le trouver, et de le définir.
M. Carle a parlé de la triple réponse - économique, sociale et en termes d'aménagement du territoire - que nous devions apporter. Il a surtout focalisé son intervention sur l'orientation, qui est en effet l'un des très grands sujets qui sont posés, nous l'avons vu tout au long de cette journée.
Il a émis une idée que je trouve juste : il faut essayer d'élargir le champ des intervenants, de ceux qui sont susceptibles d'apporter une information aux lycéens pendant toute la période - et elle doit être longue -, où leur orientation, leurs choix se préparent. Que ce soit en direction des retraités, d'un côté, ou des étudiants, de l'autre, je suis persuadé que nous avons beaucoup à faire.
A ce sujet, je dirai tout à l'heure à M. Rocard à quel point j'ai été intéressé par ce qu'il a dit à cette tribune, notamment concernant le temps. Cela me permettra d'ajouter une dimension à la réflexion de M. Carle : je crois profondément que nous devons travailler sur la solidarité entre générations.
Autant il faut poser la question du meilleur équilibre, de la meilleure harmonie à trouver dans nos vies personnelles compte tenu des données nouvelles avec lesquelles nous ne pourrons pas ne pas vivre, autant je crois nécessaire de la poser en termes de solidarité et de chaleur humaine. L'une des menaces du monde vers lequel nous nous dirigeons, c'est l'anonymat qui pèse de plus en plus lourd sur les épaules, notamment des plus fragiles. L'idée que l'on puisse faire de l'ingénierie sociale, pour reprendre une expression chère à certains d'entre vous, autour de principes de générosité un peu idéalistes - je le reconnais volontiers, mais, après tout, pourquoi sommes-nous là ? - c'est-à-dire l'idée que nous puissions modeler l'architecture de nos institutions pour favoriser cette solidarité-là me paraît tout à fait intéressante.
Elle n'est pas seulement un voeu pieux, je crois que les moyens pratiques existent pour nous orienter vers cet échange de générosités-là. Après tout, nous pouvons imaginer qu'il y a là un des axes de cette nouvelle orientation que nous cherchons ensemble !
Je veux enfin, monsieur Carle, vous dire à quel point je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il n'y a pas de solution unique à construire. L'idée napoléonienne selon laquelle c'est à Paris, rue de Grenelle, que doit se décider l'ensemble des dispositions qui vont régir, sur le terrain, l'université ou l'éducation nationale, est heureusement obsolète... en tout cas pour moi.
C'est la raison pour laquelle nous avons grand intérêt à favoriser la politique des contrats, c'est-à-dire à reconnaître la capacité d'initiative, d'inventivité, d'innovation, d'imagination, de création des acteurs de terrain. C'est en effet la seule qui, me semble-t-il, peut répondre de manière fine aux problèmes fins qui se posent sur le terrain et qui ne sont pas tous identiques.
M. Jean-Louis Lorrain a posé des questions tout à fait fondamentales, et il ne s'étonnera pas que je sois en accord profond avec lui, notamment sur l'aménagement du territoire, sujet sur lequel je voudrais m'arrêter un instant. Je répondrai ainsi également à M. Claude Saunier, qui a abordé ce point dans son intervention.
Chacun sait bien qu'il y a en la matière deux attentes, qui peuvent paraître contradictoires. Elles ont d'ailleurs été exprimées chacune en leur temps par le Sénat.
Il s'agit, en premier lieu, d'une attente traditionnelle dans une assemblée pour laquelle l'aménagement du territoire est particulièrement cher : l'université doit être un service public de proximité et vivifier le territoire national, tout en répondant à une demande sociale.
Beaucoup d'entre vous ont exprimé cette attente, et M. Lorrain en particulier. Certains jeunes auraient ainsi plus de chances si le service public universitaire était plus proche d'eux. En outre, la charge financière de leurs études serait naturellement moins lourde pour leurs parents.
Cette première exigence est corroborée, je le souligne, par une observation qui ressort de l'évaluation des universités effectuée par le ministère, à savoir que le taux de réussite est plus important dans les universités de proximité que dans les très grands centres universitaires. Cet élément n'est pas sans intérêt.
Il s'agit donc là d'une attente forte - et ce n'est pas l'élu pyrénéen que je suis qui pourrait dire le contraire - corroborée par les évaluations menées par le ministère.
En second lieu, certains disent, à juste titre, que l'université c'est la recherche et que, sans structures de recherche de dimension suffisante, il ne s'agit plus d'université. A en croire les grandes universités, ce que l'on installe dans vos chefs-lieux de canton, ce ne sont pas des universités !
Je crois, mesdames, messieurs les sénateurs, que les deux sont vrais.
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas dans les chefs-lieux de canton, mais dans les chefs-lieux de département !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Elles disent « chefs-lieux de canton » de manière ironique et péjorative !
Les deux sont vrais. Je ne veux citer à l'appui de cette thèse que le débat que vous avez eu vous-mêmes sur la proposition faite l'année dernière par M. Jean François-Poncet d'universités expérimentales qui permettrait de construire ces universités de proximité dont il rêve à juste titre.
J'ajoute que les deux systèmes sont conciliables par le biais du réseau, non encore systématisé, ni organisé pour l'instant, excepté dans quelques universités par nature multipolaires.
Je crois qu'il est possible de réaliser des appareils de recherche et d'enseignement de taille suffisante décentralisés, surtout à l'ère des technologies de l'information, où les données peuvent circuler sans aucune limite.
Nous avons à inventer cette université du troisième type, notamment pour la France provinciale, qui en a, je le crois, le plus urgent besoin.
Ainsi seront vidées un certain nombre de querelles stupides - nous en connaissons, y compris dans le département des Pyrénées-Atlantiques - qui visent à la scission, à la « scissiparité » perpétuelle des universités pour affirmer la dignité universitaire de telle région ou de telle ville. Ces querelles et ces méthodes sont d'un autre temps ; je les crois absurdes. L'université en réseau peut répondre à un certain nombre des demandes que nous avons constatées, je voulais le dire à M. Lorrain.
M. Renar a listé un certain nombre d'attentes, et je ne m'inscrirai pas en faux contre celles-ci.
Dans un monde idéal, un monde où le compte en banque serait abondamment crédité, je serais infiniment, sincèrement heureux, monsieur Renar, d'adopter la démarche que vous avez proposée. Je ne crois pas, pour autant, que tous les problèmes seraient résolus...
Mme Hélène Luc. Ça aiderait !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... mais, sans aucun doute, un certain nombre des attentes des étudiants, des universitaires, des personnels seraient satisfaites.
Nous sommes cependant bien obligés de vivre dans le temps qui est le nôtre, avec les contraintes qui s'imposent à nous comme elles se sont imposées au fil du temps à tous les gouvernements, y compris à ceux que vous avez soutenus.
Il faut naturellement conserver cette orientation républicaine que vous avez défendue à la tribune, et dont je vous donne volontiers acte. Mais il importe aussi de savoir que cela ne pourra se faire qu'au prix d'effort prolongé dans le temps. Pour ma part, je m'efforcerai d'aller dans ce sens.
Monsieur Carrère, j'ai déjà répondu à l'essentiel de votre intervention.
M. René-Pierre Signé. Excellente !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. En effet, quelques-unes des idées que vous avez émises à cette tribune me paraissent intéressantes, et vous avez pu constater que, reprises par les uns ou par les autres, elles ont fait progresser l'accord que nous recherchons.
Je vous remercie d'avoir noté que l'identification des problèmes est juste. Je n'ai pas une volonté irénique à tout prix, car je sais que nous serons en désaccord sur un certain nombre de points. Quoi de plus légitime ? Mais quoi de plus heureux aussi de voir les différentes composantes d'une nation être capables de se rencontrer pour désigner du doigt les causes des problèmes dont elle souffre et, peut-être, d'en dessiner ensemble les futures solutions ?
Il est donc normal et légitime que je qualifie d'intéressante l'intervention de M. Carrère, ce qui n'a pas été toujours le cas dans cet hémicycle et à cette tribune...
MM. René-Pierre Signé et Robert Castaing. On a tous le souvenir ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Eh oui !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Oui, on a le droit d'avoir des souvenirs ! (Nouveaux sourires.)
M. Ivan Renar. Il se souvient des bagarres dans la cour de récréation !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. M. Lesein a noté qu'en effet nous avions vécu dans un temps où le diplôme était synonyme d'embauche et que là réside la vraie révolution culturelle que nous sommes en train de vivre. Il a noté que cela changeait considérablement les données de l'université que de découvrir un monde, notamment pour les étudiants, dans lequel il n'existe plus d'automaticité entre l'acquisition du diplôme et la situation protégée qui lui était hier liée.
Devant cette découverte, nous devons nous poser la question de savoir si, pour protéger le lien indissoluble diplôme-statut, diplôme-fonction de cadre, comme un certain nombre d'intervenants l'ont noté, nous devons interdire à un certain nombre de jeunes d'acquérir des diplômes, ou au contraire conduire avec eux le mouvement d'éducation pour que, outre leur droit à l'obtention du diplôme, ils puissent construire leur parcours professionnel.
Sans doute cette double démarche doit-elle se substituer aujourd'hui à la démarche unique qui prévalait hier, où il suffisait d'acquérir un diplôme pour trouver un emploi. Aujourd'hui, certes ceux qui le souhaitent peuvent obtenir un diplôme, mais il faut qu'en plus ils choisissent une orientation professionnelle et accomplissent un parcours qualifiant pour réussir d'abord leur entrée dans la vie professionnelle et, plus tard, leur carrière professionnelle.
Il est vrai, j'y reviendrai, que l'université comme lieu de formation continue joue alors un rôle majeur.
Vous ne pouvez pas non plus dire que seuls auront droit à un parcours professionnel ceux qui seront restés le plus longtemps possible à l'université. Il convient, c'est un grand enjeu - et j'y reviendrai également parce qu'un orateur s'y est intéressé - de favoriser autant que possible la mobilité qui permet la sortie de l'université, même précoce, puis le retour à l'université.
M. Lesein a posé une question sur laquelle je voudrais m'intéresser à cette tribune, c'est la question de l'année universitaire.
Nous avons en effet des équipements extrêmement coûteux qui ne sont utilisés que cinq mois et demi par an pour les cours, le reste de l'année étant voué aux examens ou aux congés universitaires.
Il y a là une piste d'amélioration de la productivité de nos dépenses éducatives en matière d'enseignement supérieur. Mais, ne nous y trompons pas, c'est très difficile, très compliqué. Cela est pourtant essentiel, et je m'efforcerai de proposer, d'ici à quelques semaines, des réponses.
J'ai noté, monsieur Lesein, votre observation sur les premiers cycles d'études médicales aux Antilles et en Guyane : je regarderai de près ce que cette demande de formation recouvre de besoins réels.
Je remercie M. Maman pour les propos chaleureux qu'il a eu à l'égard de la méthode suivie. Il a lui aussi noté le paradoxe de la sélection et il a insisté pour que les parents soient associés au travail d'orientation.
Vous avez raison, monsieur Maman. Traditionnellement, en effet, les parents n'étaient pas reconnus comme ayant leur mot à dire à l'université. On considérait que le rôle des parents, notamment des associations de parents d'élèves, s'arrêtait lorsque le baccalauréat était obtenu.
Monsieur Maman, vous avez raison parce que la société change et il n'y a pas de raison d'exclure des acteurs qui, en réalité, sont majeurs de la réflexion sur l'avenir de notre université et du travail d'orientation mené auprès des jeunes lorsqu'ils fréquentent encore le lycée.
Tout reste à inventer dans ce domaine. A cet égard, vous savez que j'ai fait distribuer, pour la première fois cette année, une brochure à tous les élèves de terminale leur permettant d'apprécier le choix qu'ils devront faire à l'université, notamment en leur indiquant leurs chances de succès.
Nous avons obtenu des résultats satisfaisants, maintenant que nous commençons à disposer de statistiques, pour toutes les formations, à l'exception de l'une d'entre elles, l'éducation physique et sportive, pour laquelle, je le signalais ce matin, la demande est pléthorique : les candidats se comptent par dizaines de milliers. Cela nous obligera à arrêter les procédures ou du moins à mener un travail d'orientation spécifique.
Il y a là un phénomène profond, auquel n'est pas étrangère la place croissante qu'occupe le sport dans la société française. Il n'est pas étonnant, quand les événements sportifs recueillent les plus grandes audiences audiovisuelles, que de nombreaux jeunes demandent à s'engager dans cette voie. Ces deux faits sont liés. Il faudra donc que nous y réfléchissions longuement.
Mais la vérité que nous devons à ces jeunes oblige à dire que, pour l'instant, la société française, notamment l'éducation nationale, n'offre pas le dixième des débouchés qui permettraient de satisfaire la vocation sincère qui est la leur. Nous sommes contraints, sauf à les trahir et à être irresponsables vis-à-vis d'eux, d'harmoniser dans la mesure du possible l'offre de débouchés et la demande de diplômes que nous constatons.
Nous ne pouvons pas construire les centaines de stades, de gymnases universitaires qui conviendraient pour, d'un seul coup, demain, répondre aux demandes de dizaines de milliers d'étudiants. C'est là, me semble-t-il, un signal de l'évolution des sociétés dans lesquelles nous allons vivre.
Raison de plus, monsieur Rocard, pour poser les questions que vous avez soulevées à cette tribune ! Cependant, nous ne pouvons pas, aujourd'hui, sur ce sujet, apporter les réponses, et il est, bien entendu, très important, monsieur Maman, de réfléchir au rôle des parents dans cette affaire.
J'ai noté vos remarques sur la formation professionnelle. Je les crois très justes. Il s'agit de faire évoluer positivement le système tout en lui conservant son âme.
La réflexion qui a été la vôtre sur ce point vaut également pour notre université.
Nous vivons dans un monde qui est constamment fasciné par l'herbe qui se trouve dans le pré du voisin. On nous propose en exemples les universités allemandes, britanniques, américaines, japonaises, sans discerner la multitude de débats qui, dans chacun de ces pays, met en cause les systèmes de formation qu'ils ont choisis. L'Allemagne, par exemple, considère aujourd'hui - j'en parlais avec le chancelier Kohl voilà à peine quarante-huit heures - que son système de formation supérieure est devenu insupportable non pas seulement pour les budgets publics mais pour la société allemande, parce que l'âge moyen de sortie des étudiants est de vingt-neuf ans !
A cet égard, M. Gélard a signalé à très juste titre qu'en Allemagne la certification n'avait lieu qu'au terme des études et que le taux d'échec y est le même qu'en France. Naturellement, la société allemande considère que ce taux est trop élevé. Le chancelier Kohl était fondé à me dire qu'après tout les Français et les Anglais n'étaient pas moins bien formés que les Allemands, même s'ils restaient moins longtemps à l'université que ces derniers.
Cependant, les Français sont portés, par un esprit de fascination pour l'autre qui caractérise souvent notre société, à regarder toujours ailleurs, sans avoir conscience des problèmes qui s'y posent, et, partant, à adopter les systèmes des autres.
Pour ma part, je vous dis ma conviction : ce que nous construirons, c'est l'université française et non pas l'université allemande, britannique, américaine, japonaise ou autre. Nous construirons l'université française, avec sa tradition intellectuelle, avec ses principes d'organisation. Nous ne transplanterons pas chez nous des universités étrangères, tant la nature d'un système éducatif est profondément liée à l'identité nationale.
Je crois donc que ce n'est pas ailleurs qu'il faut chercher l'âme de notre université. Nous avons une âme profondément enracinée, il est juste de le dire et de le rappeler.
Enfin, j'ai été très frappé, parce que c'est aussi ma conviction, par la référence aux amicales d'anciens étudiants. C'est en effet une des faiblesses françaises que l'absence d'identitié de nos universités. Dans notre pays, il est difficile de rendre les étudiants fierts de l'établissement dans lequel ils ont fait leurs études, si ce n'est pour les très grandes écoles.
Si l'université de Bordeaux, où j'ai fait mes études, suscitait la même fierté que l'Ecole polytechnique - après tout, pourquoi pas ? - il me semble que, pour ses étudiants, les choses iraient mieux. En effet, monsieur Maman, le pont entre les générations jouerait dès lors un rôle beaucoup plus important.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes tout à fait au coeur du débat que nous avons eu au commencement : construire, au travers de l'institution universitaire, un peu de la société dont nous rêvons, celle où l'on se tient la main, plutôt que celle qui favorise l'anonymat, qui enfonce les plus faibles.
Monsieur Gélard, je signale votre très intéressante intervention à propos de la certification. Si vous n'êtes pas le seul à avoir évoqué cette question, vous êtes celui qui a le mieux posé le problème, puisque vous vous êtes référé au changement nécessaire de l'évolution des carrières.
En effet, notre incapacité à tenir compte de l'engagement pédagogique et administratif des universitaires est l'une des grandes faiblesses de notre système.
Les carrières de certains se sont achevées parce qu'ils avaient été obligés de devenir doyen ou président d'université. Pendant cette période, ils n'avaient pas publié, ils n'ont donc pas pu réunir les critères de recherche leur permettant de postuler à d'autres postes.
Un système qui pénalise ceux qui le portent sur leurs épaules est voué à l'échec à court terme !
Dans de telles conditions, il n'est pas étonnant que des personnalités éminentes ne soient pas animées par la vocation d'assurer des responsabilités dans l'université. Voilà une question à laquelle nous aurons à apporter une réponse.
Monsieur le sénateur, vous me permettrez de ne pas répondre à tous les points très intéressants que vous avez abordés, mais je tenais à insister sur celui-là.
Monsieur Falco, j'ai déjà répondu d'une certaine manière à votre intervention en parlant des universités de proximité. Vous avez cité l'exemple du département du Var.
En ce qui concerne le partenariat entre l'université et les collectivités locales, il est destiné, non seulement à servir l'université, mais aussi à proposer aux universités de participer de manière citoyenne à la lutte contre l'échec scolaire, par exemple, ou à la préparation de l'entrée dans la vie active.
Je suis persuadé qu'il y a là une piste tout a fait intéressante, qui est également suivie ailleurs, même si elle n'est absolument pas généralisée. Elle me paraît de nature à changer le climat et à créer ces liens de reconnaissance que j'évoquais à l'instant. Je trouve donc très riches les propositions que vous avez faites sur ce sujet, monsieur le sénateur.
Monsieur Rocard, monsieur le Premier ministre, tout le monde a perçu - sur toutes les travées - la richesse de votre intervention. Je n'en relèverai cependant qu'un ou deux points !
Tout d'abord, j'ai trouvé très intéressante et originale votre idée d'accoler une fondation à chaque université. Cela reviendrait à renforcer l'autonomie universitaire sans porter atteinte ni aux principes républicains, ni au rôle de l'Etat, ce que je trouve juste et profond.
En effet, on « bricole » sur ce sujet depuis très longtemps et vous savez que gravitent autour des universités une forêt d'associations qui sont « limites de la loi de 1901 », et qui permettent en fait aux universités françaises de contourner des règles comptables - vous avez fait allusion aux plans comptables - trop strictes et profondément pénalisantes.
Votre idée, que je n'avais jamais entendue, constitue une piste tout à fait intéressante pour tenter d'ouvrir de nouvelles voies. En revanche, je résiste quelque peu à propos du premier cycle en trois ans. Je note, d'ailleurs, que votre proposition n'est pas exactement la même que celle de M. Carrère.
Vous avez commencé votre intervention en annonçant l'unité profonde du groupe socialiste sur les propositions de M. Carrère. Puis vous avez présenté une proposition radicalement différente de la sienne, même si, on le voit bien, l'inspiration est la même.
Un premier cycle en trois ans, je vous l'accorde, est le mode de certification habituel en Europe. Je crois d'ailleurs que M. Gélard l'a noté lui aussi. Mais un tel dispositif aurait pour conséquence d'allonger les études pour un fruit que je n'aperçois pas.
Vous savez à ce propos combien l'un de mes prédécesseurs, M. Jospin, et son conseiller spécial en matière d'enseignement supérieur, M. Allègre, ont résisté de toutes leurs forces au « cylindrage » des études technologiques - BTS, IUT - puisqu'ils ont créé une chicane entre l'IUT et l'IUP qui obligeait l'étudiant ayant été admis en deuxième année d'IUT à reprendre ses études un an plus bas pour entrer dans un IUP. C'était une manière d'éviter que le « cylindrage » ait lieu.
Je résiste donc à cet allongement mécanique de la durée des études, même si je reconnais l'impératif d'orientation que vous avez ainsi mis en valeur.
Enfin, monsieur Rocard, vous avez mis l'accent sur le temps dans la vie. Voilà l'un des sujets essentiels et extrêmement complexes dont nous aurons à traiter dans les décennies qui viennent.
Vous avez de même relevé qu'au cours de certaines périodes de l'histoire de l'humanité le travail n'était pas considéré comme un lien social et qu'il était même rejeté en tant que tel.
Vous avez cité l'exemple d'Athènes à fort juste titre. Voilà seulement 250 ans, en France, on dérogeait si l'on travaillait, on était en rupture avec son milieu social si l'on travaillait.
Pourtant, en deux siècles, le travail est devenu le lien social par excellence. Et, aujourd'hui - c'est un paradoxe des temps que nous vivons ! - le travail est le seul lien social reconnu par la société et par les cellules élémentaires qui la composent.
Réfléchir à cette évolution est une tâche immense.
Quoi qu'il en soit, j'ai été tout à fait intéressé par vos remarques. Mais vous mesurez bien, monsieur le sénateur ce que cela représente comme changement dans les systèmes de valeurs de la société dans laquelle nous vivons.
M. Michel Rocard. Oh oui !
M. François Bayrou , ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Notre société décide ainsi de mettre la valeur et la reconnaissance dans autre chose que le matériel.
Elle décide d'accomplir enfin la mission humaniste qu'elle invoque verbalement, mais qu'elle réalise peu dans son organisation.
Elle décide que l'être humain a vocation à la création, à la rencontre, à la compréhension des autres et du monde.
Comme, dans le même temps, la mondialisation de l'économie et l'autonomisation de la sphère financière font que, d'une seconde à l'autre, des milliards de dollars arbitrent contre ces valeurs-là ou, en tout cas, oeuvrent dans le désintérêt le plus complet de ces valeurs, nous sommes confrontés à un conflit non de société mais de civilisation. C'est précisément sur ce point que vous avez mis le doigt.
Je suis persuadé que notre débat d'aujourd'hui sur l'université porte exactement sur ce sujet. Telle est la question qui nous est posée par la tentative de définition de l'université française de demain.
Je voulais enfin vous remercier, monsieur le Premier ministre, d'avoir assisté d'un bout à l'autre au débat que nous avons eu sur ce sujet tellement important.
M. Joly est intervenu principalement pour me demander des informations sur Belfort, à propos de la certification. Je veux lui donner des nouvelles assez rassurantes.
En effet, la mission scientifique et technique avait émis un avis défavorable, comme il l'a laissé entendre, mais nous avons examiné de près l'impératif d'aménagement du territoire à l'égard de cette région. J'ai donc proposé qu'un avis favorable soit donné à la reconnaissance de la formation que vous avez défendue à cette tribune, monsieur le sénateur.
J'ai pris cette décision voilà quelques semaines, et non à l'issue de votre intervention, mais je suis heureux de vous rassurer sur ce point.
M. Lachenaud est intervenu de manière tout à fait argumentée sur le statut, la place de l'étudiant dans la cité et les exigences qui s'imposaient à nous en matière de nouvelles définitions des aides.
Il a tout à fait raison sur un point : une telle réforme ne peut pas être brutale et simpliste.
Il n'est pas facile de sortir d'un système à interventions multiples et inéquitables, à canaux administratifs divers, pour passer d'un seul coup à un système unique qui serait réputé équitable. Cela ne pourrait qu'engendrer des problèmes.
Il n'en demeure pas moins, monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison de le dire, que, désormais, nous ne pouvons plus laisser cette question sans réponse. Nous ne pouvons plus, maintenant que les débats l'ont établi, maintenant que ce qui se chuchotait est sur la place publique, avoir un système qui aide préférentiellement les plus pauvres et les plus riches mais pas ceux qui sont entre les deux. Il faudra trouver une solution.
Comme vous, je l'ai dit à la tribune, je ne crois pas à l'égalité de traitement pour tous. Il me semble qu'il est injuste de traiter également les pauvres et les riches.
Bien entendu, la revendication d'autonomie des jeunes est une revendication légitime. Et il est vrai aussi qu'un certain nombre d'entre eux ne sont pas forcément aidés sous prétexte qu'ils appartiennent à un milieu favorisé. Mais des dispositifs nous permettront d'aller dans le sens que vous avez signalé.
En tout cas, je voulais vous remercier pour la richesse des remarques que vous avez faites sur ce sujet, qu'il s'agisse du guichet social unique, de l'aide globale différenciée... la réforme fiscale étant naturellement au coeur de cette réflexion.
J'en viens à l'intervention de M. Saunier, à laquelle j'ai fait plusieurs fois allusion.
J'ai noté également dans vos propos, monsieur Saunier, une tension entre deux impératifs contraires. Ne croyez pas que ce soit une obsession centriste qui me les fait remarquer à cette tribune ! Bien des domaines de la société jouent sur ce registre.
Vous avez dit, à très juste titre, qu'il ne fallait pas que le débat s'arrête là. Mais vous avez ajouté : « Attention à une dilution excessive du débat ! ». C'est bien pour cette raison que j'ai tenu à conclure ces états généraux avant la fin de l'année universitaire. En effet, ma conviction était - les temps médiatiques étant ce qu'ils sont - que si l'on avait recommencé l'année prochaine, on aurait donné l'impression que le Gouvernement voulait noyer le poisson, ce qui évidemment n'est pas notre objectif.
Je suis très heureux que vous ayez noté, monsieur Saunier, que l'université n'était pas le champ de ruines que beaucoup dénonçaient. Je crois que c'est la multiplication des crises qui donne cette impression de champ de ruines ; c'est la succession des messages lancés sur la difficulté de vivre à l'université qui impose ce genre d'images noires. Vous avez tout à fait raison de dire qu'après tout l'université a relevé le défi du nombre et y a apporté une réponse sans se dévaloriser, sans trahir la mission qui était la sienne.
Elle rencontre des difficultés, mais elle a su absorber le choc de la démocratisation ou de la « massification », comme certains disent en utilisant un mot horrible que je ne reprends pas à mon compte. La révolution du nombre a été maîtrisée, et il est juste de mettre cela au crédit des universités.
Vous avez raison de dire que cette réforme est nécessaire pour que l'université retrouve la réputation qui n'aurait jamais dû cesser d'être la sienne et que les efforts de très nombreux universitaires méritent.
Vous avez à votre tour évoqué - vous n'êtes pas le seul - la réduction du nombre des DEUG, M. Gélard a également émis une réserve sur ce point. Là encore, il nous faudra concilier les contraires, arbitrer entre ceux qui dénoncent les DEUG trop spécialisés, lesquels conduisent les étudiants dans des impasses sans leur donner les armes nécessaires à la construction d'une véritable personnalité, à l'acquisition d'une véritable culture générale, et ceux qui redoutent les formations passe-partout, qui obligeraient à allonger d'autant les études ultérieures pour retrouver un bon niveau de formation spécialisée. Une conciliation peut sans doute être trouvée parce que je crois à la justesse des deux attentes, auxquelles je m'efforcerai de répondre.
Mon dernier mot s'adressera à M. Clouet, que je remercie de son intervention, qui fut comme toujours franche et talentueuse, ironique et subtile, pour lui dire que je suis en désaccord avec lui sur un point. Ce désaccord porte sur l'image si souvent véhiculée d'un monde enseignant réactionnaire, conservateur, incapable de mouvement. Les organisations syndicales qui représentent le monde enseignant, qu'on charge généralement de tous les maux, sont traitées à peu près de la même manière. Ce que je vais vous dire pourrait naturellement être considéré comme une captatio benevolentiae. Ce n'est pas le cas ; Je vous livre ma pensée après avoir effectivement écrit les propos que vous m'attribuez. Il est vrai que j'ai autrefois écrit sur les organisations syndicales des pages souriantes mais un peu sévères, du même ordre que celles que vous évoquez.
Je vous dirai sincèrement que, quels qu'aient été les conflits passés, les organisations syndicales que j'ai rencontrées dans le monde de l'éducation nationale ont constamment entendu l'appel au changement et à un meilleur service des valeurs républicaines que je leur lançais.
Je n'ai pas trouvé la puissance réactionnaire à laquelle je m'attendais, au contraire : j'ai constamment rencontré - cela paraît difficile à croire ! - ...
M. Jean-Louis Carrère. Il nous joue un peu de violon !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Non, monsieur Carrère ! Ne démolissez pas vos amis !
Mme Hélène Luc. Il aurait du mal !
M. Jean-Louis Carrère. Je ne les démolis pas, je parle de violon !
M. François Bayrou, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. ... j'ai constamment rencontré, disais-je, parmi les responsables d'organisations des femmes et des hommes très positifs et profondément avertis de ce qui se passe sur le terrain.
On ne gère pas un corps de 1 200 000 personnes sans organisations intermédiaires. Ceux qui croient qu'on pourrait y parvenir s'engagent dans une impasse. Il faut trouver une façon de faire vivre et travailler ensemble organisations syndicales et responsables gouvernementaux. Les enseignants nourrissent profondément cet espoir. Ils constatent les mêmes problèmes que nous et en souffrent plus que nous. Ce sont eux qui sont au premier rang lorsque des difficultés surgissent dans les « amphis » ou lorsqu'ils n'arrivent pas à faire passer leur message de formation. Ce sont eux qui sont en première ligne et qui, d'une certaine manière, sont les premières victimes.
Si les esprits ont tant évolué au cours de ces derniers mois, n'est-ce pas en raison d'une pression venant de la base qui se serait exercée pour éviter que les problèmes de l'université française ne soient encore éludés ?
Voilà une raison de plus pour choisir comme mot d'ordre de faire confiance au terrain. C'est une telle attitude qui assurera le succès de la réforme à laquelle nous avons, je crois, utilement travaillé aujourd'hui. Et, en cet instant, permettez-moi, monsieur le président, d'exprimer au Sénat ma gratitude pour sa contribution. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le n° 399 et distribuée.

12

RÉGLEMENTATION
DES TÉLÉCOMMUNICATIONS

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 357, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de réglementation des télécommunications. [Rapport n° 389, (1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre délégué à La Poste, aux télécommunications et à l'espace. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'évoquer le projet de loi portant réforme de la réglementation des télécommunications, vous me permettrez d'évoquer l'échec du premier tir du lanceur Ariane 5.
Cet échec est douloureux pour l'Europe spatiale, en particulier pour tous ceux qui, depuis dix ans, préparaient le premier vol de ce qui devra être le lanceur européen pour les vingt ans à venir.
Cet échec, douloureux je le répète, n'était pas complètement improbable puisqu'il s'agissait d'un vol de qualification, donc d'un vol expérimental. L'histoire spatiale européenne, comme l'histoire spatiale des Etats-Unis ou celle de l'Union soviétique, est pleine de ces échecs qui ont permis ensuite la qualification des lanceurs.
Nous ignorons encore les causes qui ont conduit la fusée à quitter sa trajectoire et amené les responsables du centre spatial guyanais à la faire exploser en vol. Les premières indications qui nous ont été fournies semblent incriminer les systèmes de guidage, ce qui serait moins grave que si la structure même du lanceur était en cause.
Une mission d'enquête vient, comme c'est normal, d'être diligentée. Elle devra, avant le 15 juillet, rendre un rapport technique, à partir duquel nous établirons le calendrier du second tir, le vol 502, qui était prévu pour le mois de septembre. Il sera sans doute décalé de quelques mois mais il aura lieu : la détermination du Gouvernement français comme celle des gouvernements européens qui sont associés à l'aventure Ariane 5 est totale.
La mise au point de ce lanceur est essentielle pour que l'Europe conserve la première place dans le domaine des lanceurs de satellites commerciaux et qu'elle assure son indépendance dans le domaine des vols habités.
M. Emmanuel Hamel. Maastricht porte toujours malchance !
M. François Fillon, ministre délégué. C'est un très mauvais exemple, monsieur le sénateur, car la coopération spatiale européenne est une histoire faite de succès et, comme vous le savez, elle dépend non pas de l'Union européenne, mais d'une agence gouvernementale qui fonctionne fort bien. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi dont vous allez maintenant débattre marque un tournant dans l'histoire des télécommunications françaises puisqu'il consacre la fin du monopole de l'Etat sur le téléphone.
Contrairement à une idée reçue, ce sont moins les réglementations européennes que les évolutions technologiques qui rendent aujourd'hui nécessaire cette réforme de la réglementation.
Dans notre histoire, ce sont souvent les évolutions technologiques qui ont provoqué les changements de société. On peut dire que c'est la maîtrise de l'énergie qui a introduit la société industrielle. Ce seront sans doute les technologies de l'information qui nous feront entrer dans ce qu'il est convenu d'appeler, à la fin de ce siècle, la société de l'information.
Cette révolution des technologies de l'information est déjà en marche, c'est le fruit du mariage de l'informatique et des télécommunications. Elle a déjà débouché sur une croissance exponentielle des services de télécommunications et sur l'avènement de ce qu'il est convenu d'appeler le multimédia.
Nous allons assister à la fin du vieux téléphone tel que nous le connaissions et à l'apparition de terminaux plus intelligents, capables d'échanger des informations sous forme aussi bien visuelle ou écrite que vocale. Ces terminaux nous relieront à toutes les sources d'information disponibles à travers le monde. La révolution de la société de l'information, c'est, au fond, la réalisation de réseaux de télécommunications mondiaux interactifs, c'est-à-dire sur lesquels chacun est à la fois récepteur et émetteur d'informations.
Les enjeux de cette révolution des technologies de l'information sont considérables, aussi bien sur le plan économique que sur le plan culturel ou social. Tous les pays développés ont d'ailleurs engagé, souvent depuis plusieurs années, la réforme de leur réglementation pour s'adapter à l'arrivée de ces nouvelles technologies.
Cette réforme, l'Union européenne l'a également entreprise, et on peut dire qu'elle a anticipé très largement ces évolutions puisque c'est en 1984 que, pour la première fois, a été décidée, par le conseil des ministres des télécommunications, la rédaction d'un livre vert des télécommunications qui faisait pressentir toutes les étapes de la libéralisation du marché à laquelle nous sommes en train de procéder.
En 1986, l'Acte unique a, d'une certaine manière, dessiné les contours d'un marché unique des télécommunications. Cette même année, le livre vert des télécommunications a lancé un mouvement de libéralisation qui s'est poursuivi depuis lors sans interruption. Je crois essentiel de souligner que ce mouvement a été soutenu par tous les gouvenements français, qu'ils aient été de droite ou de gauche.
C'est même sous présidence française, en 1989, que la décision fondamentale d'ouvrir progressivement à la concurrence la plupart des services de télécommunications, à l'exclusion de la téléphonie vocale, a été prise.
M. Gérard Delfau. C'est inexact !
M. François Fillon, ministre délégué. C'est la stricte réalité, mais elle vous gêne ! Et je vous défie de m'apporter la moindre preuve que les gouvernements français n'ont pas accompagné la libéralisation des télécommunications.
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas une raison pour continuer !
M. Gérard Delfau. On s'expliquera !
M. Michel Pelchat. Ayez donc l'obligeance d'écouter M. le ministre !
M. François Fillon, ministre délégué. En 1989, sous présidence française, il a été décidé à l'unanimité d'ouvrir à la concurrence tous les services de télécommunications, à l'exclusion de la téléphonie vocale. Si vous voulez tout à l'heure m'apporter la preuve du contraire, je l'attends !
Mme Hélène Luc. Mais pourquoi poursuivre dans cette voie ?
M. François Fillon, ministre délégué. Cela, c'est une autre question, madame Luc.
La continuité de la position française a permis justement - et chacun devrait ici s'en réjouir - la transcription à l'échelon communautaire, dans le domaine des télécommunications, des principes fondamentaux qui sont ceux du service public à la française, c'est-à-dire la continuité et la qualité du service, l'égalité du traitement et de l'accès, l'universalité et l'adaptabilité.
Pourquoi une telle convergence de vues de la part de gouvernements aussi différents depuis dix ans ? Au fond, nous n'avions pas d'autre choix que de devancer les mutations en cours pour tenter de les tourner à notre avantage. Chercher à s'y soustraire, comme le souhaitent ceux qui sont tentés par la chimère du statu quo , ce serait aller nécessairement à l'échec.
Aujourd'hui, déjà, le monopole de l'Etat est très fortement entamé par les nouvelles technologies.
Je pense à Internet, qui permet de communiquer avec le monde entier pour le prix d'une communication locale, c'est-à-dire en échappant déjà aux règles du jeu et à la tarification mises en place par l'opérateur national.
Je pense aux techniques de call back , auxquelles ont recours certaines entreprises et qui permettent de détourner des flux considérables de communications par l'intermédiaire des pays où, du fait de l'ouverture à la concurrence, les tarifs sont plus bas.
Lorsque le téléphone mobile direct par satellite apparaîtra, c'est-à-dire dans moins de deux ans, un autre coup sera porté aux monopoles nationaux.
En outre, les consommateurs, les usagers, exigent de plus en plus, et avec raison, de nouveaux services - et de nouveaux services moins chers - qu'il est difficile d'offrir dans le contexte du monopole.
Pour la France, il s'agit bien sûr d'un défi. Or tous les défis inquiétent. Pourtant, il y a peu de domaines où nous disposions d'autant d'atouts.
France Télécom, chacun le sait, est le quatrième opérateur mondial. Nos entreprises de télécommunications comptent parmi les toutes premières du monde ; je pense en particulier à Alcatel, à Matra, à la SAGEM. Notre expérience de la télématique est pratiquement unique au monde, que ce soit du point de vue des concepteurs de services en ligne ou de celui des usagers. Enfin, notre recherche dans le domaine des télécommunications se situe au meilleur niveau.
Dans ces conditions, la libéralisation du secteur des télécommunications doit être une chance pour l'économie française.
J'ai toujours été convaincu que, dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres d'ailleurs, il fallait renvoyer dos à dos l'ultralibéralisme, pour lequel le marché est censé tout régler, et le conservatisme, qui est une défense inadaptée du service public.
Le Gouvernement a voulu une libéralisation du secteur des télécommunications qui soit à la fois maîtrisée et équilibrée : maîtrisée parce que nous voulons garantir le service public ; équilibrée parce que nous voulons une concurrence ouverte et stimulante, qui soit au service de l'usager.
C'est, au fond, ce double objectif qui fonde l'originalité du projet de loi de réglementation des télécommunications qui vous est aujourd'hui soumis.
Nous avons recherché l'équilibre entre le respect des valeurs républicaines auxquelles nous sommes attachés et l'ouverture sur l'avenir. Nous voulons démontrer que, en cette matière comme en d'autres, la concurrence, à condition qu'elle soit encadrée, n'est pas l'ennemi du service public.
Nos concitoyens, aujourd'hui, se posent, à propos de cette réforme du secteur des télécommunications trois questions essentielles.
Les usagers s'interrogent sur l'intérêt de la libéralisation pour eux-mêmes ; ils se demandent notamment quel en sera l'impact sur le service public.
Les entreprises s'interrogent sur les règles du marché et se demandent si la compétition sera réellement équitable.
Enfin, chacun s'interroge sur l'avenir de France Télécom.
Je voudrais essayer de répondre à ces trois questions.
L'ouverture à la concurrence profitera d'abord à l'usager. La concurrence, c'est le choix de l'opérateur, c'est-à-dire, en réalité, le choix de services et de conditions tarifaires adaptés aux besoins de chaque usager.
Dans les pays qui ont déjà libéralisé leur secteur des télécommunications, en particulier en Grande-Bretagne, beaucoup de services qui, chez nous, aujourd'hui, soit n'existent pas encore, soit existent mais sont payants, sont offerts gratuitement. C'est le cas de la facturation détaillée, du transfert d'appel, de l'identification du numéro d'appel ou encore du poste téléphonique lui-même.
En réalité, la concurrence aboutit, partout où elle a été introduite dans le secteur des télécommunications, à une baisse des prix pour toutes les catégories d'utilisateurs.
On profère beaucoup trop de contrevérités à ce sujet. Partout où la libéralisation est intervenue, les prix du téléphone ont baissé.
Mme Hélène Luc. Ça dépend pour qui !
M. François Fillon, ministre délégué. Si l'on appliquait aujourd'hui à la facture moyenne d'un ménage français les tarifs de British Telecom ou ceux de Télia, l'opérateur dominant suédois, cette facture devrait baisser de 30 p. 100.
M. Gérard Delfau. On verra !
M. François Fillon, ministre délégué. Oui, on verra, et plus tôt que vous ne le croyez !
Mme Hélène Luc. Vous pouvez le faire avec le service public !
M. François Fillon, ministre délégué. La concurrence va en fait provoquer un accroissement de l'offre de services ainsi qu'une augmentation du trafic.
En France, l'augmentation du trafic téléphonique est de l'ordre de 3 p. 100 par an, contre 7 p. 100 à 10 p. 100 par an dans les pays qui ont libéralisé le secteur des télécommunications, notamment aux Etats-Unis.
Je rappelle qu'un Français utilise son téléphone en moyenne huit minutes par jour, quand un Américain l'utilise vingt minutes.
Je veux démontrer par là que l'augmentation du nombre des services et la baisse des tarifs ont pour conséquence l'augmentation du trafic, qui entraîne elle-même une croissance de l'activité dans le secteur des télécommunications, donc la création d'emplois.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement affirme que la réglementation nouvelle qu'il souhaite mettre en place, c'est-à-dire l'ouverture à la concurrence, se traduira globalement par la création de nombreux emplois dans le secteur des télécommunications. Nous avons estimé à 70 000 les nouveaux emplois qui seront créés, soit par les nouveaux opérateurs, soit par ceux qui mettront en place les services nouveaux qui seront diffusés sur le réseau téléphonique.
Dans tous les pays où la libéralisation a eu lieu, le secteur des télécommunications, globalement, a vu ses effectifs croître.
Il suffit, pour s'en convaincre, de comparer la part du secteur des télécommunications dans le produit intérieur brut de différents pays : 2,4 p. 100 aux Etats-Unis, 2,2 p. 100 à 2,3 p. 100 en Grande-Bretagne et en Suède, pour seulement 1,6 p. 100 en France.
Par ailleurs, la concurrence fera réellement entrer notre pays dans la société de l'information.
Il faut bien dire que la France est aujourd'hui, en Europe, l'un des pays les plus en retard dans le domaine de la diffusion des services en ligne. Une des principales raisons de ce retard tient à la tarification trop élevée qui est pratiquée pour l'utilisation de ces services. Un service en ligne ne peut fonctionner que s'il est facturé au coût d'une communication locale, et sans même que la durée de la communication soit prise en compte. Il en est ainsi aux Etats-Unis : lorsqu'on se connecte sur Internet, on paie le prix d'une communication locale, et cela quelle que soit la durée de la connexion, une minute ou une journée.
L'ensemble des services en ligne qui pourront être mis en oeuvre demain - Internet, la télévision à la demande, des services en ligne offerts par des opérateurs français ou européens - n'auront un véritable succès populaire que si le coût d'accès est extrêmement bas.
Nous avons commencé à rattraper notre retard en offrant, depuis deux mois, un accès au réseau Internet sur l'ensemble du territoire français au prix d'une communication locale ; mais la durée reste prise en compte. France Télécom vient d'ouvrir un service en ligne qui offre lui-même des accès à Internet : Wanadoo.
Nous réfléchissons à l'adaptation de la législation française sur le contrôle des contenus, qui constitue sûrement un point central pour le développement de ce service en ligne.
L'ouverture à la concurrence devra également être simple pour les usagers, qui peuvent craindre que la multiplication des opérateurs ne rende compliqué cet acte aujourd'hui très simple qu'est le fait de téléphoner.
Nous avons d'abord voulu, évidemment, que les réseaux soient interconnectés : ainsi, pour l'utilisateur, ils seront sans couture ; on n'aura pas le sentiment de passer d'un opérateur à l'autre.
Nous avons prévu la « portabilité » des numéros, c'est-à-dire la possibilité pour un usager de garder son numéro de téléphone tout au long de sa vie, même s'il change de résidence ou d'opérateur.
Nous avons également prévu l'édition d'un annuaire universel, de manière que chacun puisse, à tout moment, trouver les numéros téléphoniques de tous les abonnés au téléphone, quel que soit l'opérateur.
Enfin, l'ouverture à la concurrence ne se fera pas contre le service public.
Nous avons, dans ce domaine, une tradition. Je me fais, pour ma part, une certaine idée de la République, comme beaucoup d'entre vous, et je considère que le service public - l'égalité des chances, au fond - est au coeur de cette idée de la République. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu conforter et garantir le service public comme il ne l'avait jamais été.
C'est en effet la première fois que le service public des télécommunications fait l'objet, dans la loi, d'une définition et que ses moyens de financement sont clairement exposés.
Il s'agit en fait de définir un droit nouveau du citoyen : le droit à la communication. Chaque Français, quelle que soit sa situation financière, doit pouvoir, en tout point du territoire, accéder au réseau de télécommunications.
Ce droit à la communication est consacré par le présent projet de loi.
J'entends dire, ici ou là, que nous proposons un service public minimum des télécommunications. Rien n'est plus faux.
M. Gérard Delfau. Ce n'est pas sûr !
M. François Fillon, ministre délégué. D'ailleurs, lors des débats à l'Assemblée nationale, ceux qui défendaient cette idée n'ont jamais été capables de proposer une autre définition du service public ni, en particulier, d'indiquer quel type de service nouveau devrait être intégré à la définition du service public des télécommunications.
En réalité, le service public que nous proposons, c'est le service de la téléphonie vocale tel qu'il fonctionne aujourd'hui...
M. Gérard Delfau. Justement !
M. François Fillon, ministre délégué. ... mais avec la perspective d'une évolution en fonction des technologies et des besoins de la société.
La clé de cette évolution nous ne la donnons ni au Gouvernement ni à l'opérateur : c'est le Parlement qui la détiendra. Nous proposons en effet que ce soit le Parlement qui décide, à intervalles réguliers - nous avions prévu tous les cinq ans, mais l'Assemblée nationale a préféré un délai plus court, et je crois que le Sénat a des idées précises à ce sujet - du contenu de la définition du service public des télécommunications et de l'évolution de son mode de financement.
Le service public tel que nous le proposons dans ce projet de loi, ce sera d'abord le service universel, c'est-à-dire le téléphone pour tous au même prix, abordable, où que l'on se trouve sur le territoire, avec des cabines téléphoniques, un annuaire complet et un service de renseignements.
Nous avons maintenu ce qui est au fond le coeur du service public de téléphone, c'est-à-dire la péréquation géographique.
En outre, le service universel ne sera pas divisé. Certains pays, l'Allemagne notamment, ont choisi de diviser le service universel en le proposant à plusieurs opérateurs, essentiellement privés. Nous avons, nous, souhaité que France Télécom soit désigné par la loi comme l'opérateur public du service universel du téléphone.
Quant au financement de ce service universel, il est clairement indiqué dans ce projet de loi : il sera assuré par l'ensemble des opérateurs privés intervenant sur le territoire national puisque ceux-ci paieront une redevance d'interconnexion, qui permettra de financer le coût de la péréquation géographique et, de manière temporaire, le coût du déficit d'accès, et qu'ils participeront à un fonds de service universel, qui permettra de financer le coût des cabines téléphoniques, des services d'urgence et de renseignements, ainsi que le coût de l'annuaire.
Le deuxième élément constitutif du service public, ce sont les services obligatoires. Il s'agit de permettre, sur tout le territoire et dans le respect des principes du service public, l'accès aux services spécialisés de télécommunications, pour les entreprises comme pour les particuliers. Par services spécialisés de télécommunications, j'entends, aujourd'hui, le réseau numérique à intégration de services, le RNIS, les liaisons louées, les transmissions de données et le télex. Je le répète, ces services obligatoires devront être offerts par France Télécom sur l'ensemble du territoire et selon les principes du service public. La seule différence, au fond, avec le service universel, c'est, dans le respect des principes de service public, la liberté de tarification qui est laissée à France Télécom sur ces services obligatoires.
Enfin, j'en viens au troisième élément constitutif du service public, à savoir les missions d'intérêt général, les missions de sécurité publique, de défense, d'enseignement supérieur et de recherche, qui seront totalement assumées par l'Etat.
Cette définition du service public est la plus large et la plus généreuse que l'on puisse trouver dans tous les Etats de l'Union européenne. Cette définition sera évolutive puisque, au moins tous les cinq ans, comme le prévoit le texte en l'état actuel - mais je sais que, dans un amendement du Sénat, une périodicité de quatre ans est proposée - le Parlement pourra réviser cette définition et introduire de nouveaux services. Je prends l'exemple du visiophone, qui permettra peut-être, demain, à chacun de voir son interlocuteur au téléphone. Si l'on estime, dans quatre ans, que le visiophone doit être introduit dans le système universel, il reviendra au Parlement de l'y introduire.
J'insiste sur le fait que l'Etat reste le garant du service public, puisque c'est lui qui en contrôlera le contenu, le prix et le financement. Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, notre conception du service public.
Mme Hélène Luc. Ce n'est plus le service public !
M. François Fillon, ministre délégué. Elle préserve le service du téléphone tel que nous le connaissons aujourd'hui, comme elle respecte l'ouverture à la concurrence qui a été décidée par l'Union européenne.
Cette ouverture à la concurrence devra être équitable pour tous les acteurs du marché.
Qu'on ne se méprenne pas : le Gouvernement souhaite l'ouverture à la concurrence, une concurrence libre et stimulante. D'ailleurs, à quoi servirait de libéraliser notre marché des télécommunications si cela devait conduire les opérateurs privés à s'installer chez nos voisins pour « écrémer » le marché français ? Nous voulons que les nouveaux opérateurs s'installent dans notre pays pour participer au service des télécommunications, en particulier au financement du service universel.
Pour cela, nous avons prévu que les autorisations délivrées aux nouveaux opérateurs ne seront pas limitées, sous réserve de réciprocité s'agissant des opérateurs étrangers. Nous avons également prévu que le cahier des charges et les modalités de financement du service public seront transparents, afin que chacun puisse juger, lorsqu'il s'engagera sur le marché français, des conditions réelles de l'exercice de la concurrence.
Surtout, et c'est la pièce maîtresse du dispositif dont nous souhaitons la mise en place, le Gouvernement vous propose de créer une autorité de régulation des télécommunications indépendante, qui permettra à l'Etat de continuer à assumer ses responsabilités en matière de service public et d'exercer ses responsabilités d'actionnaire majoritaire de France Télécom, tout en laissant la régulation du marché sous l'autorité d'un certain nombre de femmes et d'hommes désignés de manière à leur assurer une réelle indépendance, par rapport aux opérateurs comme par rapport au Gouvernement.
Il a été dit, lors des débats qui ont présidé à l'introduction de cette autorité de régulation des télécommunications dans notre projet de loi, qu'au fond elle n'était pas conforme à nos traditions juridiques. Ce serait vrai si un très grand nombre d'autorités indépendantes n'avaient pas été introduites dans notre système juridique depuis quinze ans, et par tous les gouvernements. Permettez-moi d'en citer quelques-unes : le Conseil supérieur de l'audiovisuel...
M. Gérard Delfau. Cela n'a rien à voir !
M. François Fillon, ministre délégué. Cela a beaucoup à voir ! Nous y reviendrons.
Je poursuis mon énumération : la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la Commission des sondages, la Commission des opérations de bourse, le Conseil de la concurrence, la Commission de la réglementation bancaire, le Comité des établissements de crédit, le Conseil de la politique monétaire, ou encore la Commission de contrôle de la concurrence, pour ne citer que quelques exemples.
En réalité, l'autorité de régulation des télécommunications n'est pas une innovation juridique. Au contraire, la répartition des pouvoirs entre l'autorité de régulation et le Gouvernement s'inscrit parfaitement dans notre tradition républicaine, puisque le Gouvernement conserve les prérogatives essentielles, celles d'édicter la réglementation, de délivrer les licences ainsi que contrôler le contenu et les tarifs du service universel.
Pour ce qui est de l'avenir de France Télécom, le projet de loi de réglementation prévoit très clairement que France Télécom est l'opérateur public du service universel et donc que cet opérateur doit rester sous le contrôle de l'Etat.
Vous l'aurez noté, le projet de loi ne dit rien ni sur le statut futur de l'entreprise, ni sur les ambitions du Gouvernement pour notre champion national. Ce choix, c'est le mien ; j'en assume la responsabilité.
En août 1995, j'avais indiqué que le Gouvernement s'était fixé trois priorités dans le domaine des télécommunications. Il s'agissait, dans un premier temps, de réussir l'alliance entre France Télécom, Deutsche Telekom et l'américain Sprint, ce qui semblait, à l'été 1995, difficile, compte tenu, en particulier, de l'opposition de la Commission de Bruxelles et des autorités américaines. La deuxième étape devait être la concertation en vue de la mise au point d'un projet de loi sur la réglementation, de manière que le paysage des télécommunications pour « l'après 1er janvier 1998 » soit clair et que les salariés de France Télécom puissent constater que le Gouvernement entendait bien leur conserver le rôle qui est le leur aujourd'hui en matière de service public. Ce pouvait être, après tout, une de leurs inquiétudes majeures tant que le projet de loi de réglementation n'était pas connu.
Ce texte est maintenant connu. Il a fait l'objet d'une très large concertation et reprend d'ailleurs nombre de propositions des organisations syndicales qui ont souhaité négocié le texte avec le Gouvernement. Maintenant que ce projet de loi est sur la place publique, qu'il a déjà fait l'objet d'un débat à l'Assemblée nationale et qu'il vient devant votre assemblée, le Gouvernement estime nécessaire d'indiquer clairement la troisième étape, celle du changement de statut de notre opérateur national.
Ce changement de statut est rendu nécessaire par l'abandon du monopole. Dans une situation de monopole, on peut considérer qu'un établissement administratif qui fonctionne, pour une large part, selon des règles administratives est viable. Dans un monde ouvert à la concurrence, il est incontestable que seul un établissement disposant des mêmes règles de fonctionnement et de gestion que ses partenaires ou ses concurrents peut tirer son épingle du jeu.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vient de déposer un texte qui modifie le statut de France Télécom pour en faire une société commerciale dotée d'un capital social.
Il faut bien voir que le monde des télécommunications est en train de changer à très grande vitesse. La nécessité de mettre en oeuvre ce qu'on appelle des « réseaux mondiaux sans couture » a conduit les grands opérateurs de téléphone à se regrouper. Nous le voyons bien aujourd'hui, le marché des télécommunications est en passe de s'organiser autour de trois ou quatre grandes alliances internationales. La première s'est organisée autour de ATT et de plusieurs opérateurs européens ; la deuxième autour de British Telecom et d'un opérateur américain ; la troisième autour de France Télécom, de Deutsche Telekom et de l'américain Sprint.
Pour que France Télécom puisse être, demain, un opérateur performant en France, en Europe, en Amérique et en Asie, c'est-à-dire sur l'ensemble du marché mondial, son alliance avec Deutsche Telekom et Sprint doit être durable. Or, mesdames, messieurs les sénateurs, cette alliance ne sera durable que si les règles de fonctionnement à l'intérieur de ces trois entreprises sont identiques.
Comment imaginer, en effet, une alliance durable entre des entreprises qui, par exemple, n'ont pas la même façon d'établir leur bilan, de gérer leurs comptes ou de décider leurs investissements ?
J'ajoute que la possibilité donnée à France Télécom d'échanger des participations croisées avec ses partenaires Deutsche Telekom et Sprint est incontestablement un atout supplémentaire pour permettre à notre opérateur national de consolider autour de lui cette alliance mondiale essentielle.
Nous voulons que France Télécom puisse se battre à armes égales avec les grands opérateurs de téléphone, dont aucun dans le monde, en dehors de France Télécom, n'est doté d'un statut administratif.
M. Gérard Delfau. Ce n'est plus le cas !
M. François Fillon, ministre délégué. Tous les grands opérateurs, monsieur Delfau, sont aujourd'hui des sociétés commerciales dotées d'un capital social. C'est le cas pour les vingt premiers opérateurs de téléphone du monde et pour tous les opérateurs de l'Union européenne, à l'exception des opérateurs grec et autrichien, qui ont entrepris leur transformation en société commerciale dotée d'un capital social.
D'ailleurs, nous avons l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire avec la société Air France. Lorsqu'il a été décidé d'ouvrir à la concurrence le transport aérien, le gouvernement français aurait dû adapter l'entreprise Air France aux nouvelles conditions du marché. Il ne l'a pas fait, et l'un des fleurons de l'économie française est aujourd'hui l'une des entreprises les plus mal en point du transport aérien.
Nous ne voulons pas faire la même erreur avec France Télécom. C'est la raison pour laquelle nous ne laisserons pas France Télécom affronter la concurrence le 1er janvier 1998 sans l'avoir dotée d'un statut de société commerciale,...
Mme Hélène Luc. Vous bradez tout !
M. François Fillon, ministre délégué... d'une autonomie de gestion et de la possibilité de recourir à des financements extérieurs pour assurer son développement et réduire son endettement.
M. Robert Pagès. Et licencier plus facilement !
M. François Fillon, ministre délégué. Pour conduire cette réforme, le Premier ministre a choisi le dialogue et la concertation.
Mme Hélène Luc. Avec des milliers de manifestants dans la rue ? C'est cela, la concertation ?
M. Michel Pelchat. Ah oui !
M. François Fillon, ministre délégué. N'en parlez pas trop, madame Luc ! Je vais y venir.
Le Premier ministre a donc engagé le dialogue avec les organisations syndicales, en commençant par leur donner un certain nombre d'assurances.
C'est la garantie pour tous les personnels de France Télécom qui sont fonctionnaires de conserver leur statut de fonctionnaire et tout ce qui s'y attache. C'est la garantie que l'Etat prendra à sa charge les retraites des agents de France Télécom qui sont fonctionnaires. C'est la garantie que tous les personnels de France Télécom, y compris les fonctionnaires, pourront devenir actionnaires de la future entreprise. C'est la possibilité ouverte à France Télécom de continuer à engager un certain nombre d'agents fonctionnaires jusqu'en 2002. C'est, enfin, la garantie que l'Etat conservera 51 p. 100 du capital de France Télécom. Il s'agit non seulement de permettre le fonctionnement du service public qui est confié à France Télécom, mais aussi, vous le savez, de respecter notre droit constitutionnel, qui en fait une condition pour que l'intégration des fonctionnaires dans une société commerciale dotée d'un capital social puisse se réaliser.
Il n'y a donc pas, vous le voyez bien, privatisation. (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Gérard Delfau. Mais si, il y a privatisation !
Mme Hélène Luc. Monsieur le ministre, il faut appeler les choses par leur nom !
M. Robert Pagès. Il faut avoir le courage de ses actes !
M. François Fillon, ministre délégué. Si vous parlez de privatisation au sujet d'une entreprise qui reste détenue par l'Etat à 51 p. 100, dont le personnel est à 90 p. 100 composé de fonctionnaires de l'Etat...
M. Claude Billard. Jusqu'à quand ?
M. François Fillon, ministre délégué... et qui a des missions de service public,...
M. Guy Fischer. Pour mieux brader par la suite !
M. François Fillon, ministre délégué... alors, évidemment, nous n'avons pas la même conception de la privatisation !
Mme Hélène Luc. On ne maintient pas le service public en le privatisant !
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Voyez les propositions de Michel Rocard !
M. François Fillon, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, ces garanties qui ont été offertes par M. le Premier ministre à l'ensemble des salariés de France Télécom sont intégralement reprises dans le projet de loi qui a été adopté par le Conseil des ministres la semaine dernière et dont le Sénat débattra dans quelques jours.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous allons procéder à une réforme historique. Il s'agit pour la France de prendre toute sa place dans la société de l'information sans pour autant sacrifier ses valeurs républicaines. Nous avons choisi une démarche originale, qui consiste à donner une place prédominante au service public tout en ouvrant la concurrence dans l'intérêt des usagers. Pour cela, nous sommes allés jusqu'au bout de ce que nous permettait la réglementation européenne.
Ne tournons pas le dos au progrès, et sachons saisir la chance qui nous est offerte de prendre une place de premier plan dans un secteur clé de notre économie, qui comptera demain plus d'emplois que l'industrie automobile. Ne soyons pas frileux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, une nouvelle société est en train de naître. Il vous appartient de décider de la place que la France y occupera. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jacques Valade.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de réglementation des télécommunications.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de réglementation que nous avons à examiner aujourd'hui est un texte d'équilibre. Je dirai même, après vous avoir entendu, monsieur le ministre, que c'est un texte sage : il répond en effet aux orientations souhaitées par le Sénat à travers le rapport d'information sur l'avenir de France Télécom qui a été présenté par sa commission des affaires économiques ; or, la sagesse ne compte-t-elle pas au nombre des qualités que l'on prête traditionnellement au Sénat ?
Ce projet de loi de réglementation est aussi un texte d'équilibre et un texte sage car il assure la réponse aux défis de la modernité et aux mutations du secteur des télécommunications tout en préservant des valeurs collectives de solidarité auxquelles les Français sont très attachés.
En effet, les années à venir vont être décisives pour le secteur des télécommunications. Peu de secteurs de l'activité humaine ont connu - chacun en est bien conscient, je crois - une évolution technologique aussi accélérée que celui-ci. Songeons seulement au poste de téléphone que nous utilisions lorsque nous étions enfants - pour moi, dans le département de l'Orne, c'était encore l'automatique rural ! - et aux moyens en téléphonie dont disposent aujourd'hui les entreprises et les ménages dans notre pays. Ce n'est pas une évolution ; c'est réellement un bouleversement ; c'est un monde nouveau qui s'ouvre rapidement devant nous.
Pourrions-nous conquérir ce monde nouveau avec nos outils institutionnels et juridiques forgés pour l'essentiel à la fin du siècle dernier ? C'est la question à laquelle nous sommes aujourd'hui conviés à répondre. C'est aussi la question que nous serons conduits à trancher la semaine prochaine, lorsque viendra en examen au Sénat, en première lecture, le projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
L'entreprise est hardie, l'entreprise est difficile. La commission des affaires économiques l'avait appelée de ses voeux dans son rapport intitulé L'avenir de France Télécom : un défi national. Elle est résolue à contribuer à l'élaboration d'un bon projet de loi, c'est-à-dire d'un texte clair et facilement applicable.
Les enjeux de la mutation que vont connaître les télécommunications sont considérables.
Ils sont d'abord politiques, puisque le texte qui est soumis à notre vote est le fruit d'une constance politique depuis la signature du traité de Rome. Tous les gouvernements quels qu'ils soient - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - ont en effet travaillé à la mise en oeuvre progressive des orientations ainsi tracées depuis 1957. Dans le domaine des télécommunications, aujourd'hui, leur aboutissement est clair : fin des monopoles, ouverture à la concurrence.
Cette mutation est aussi lourde d'enjeux économiques, puisqu'un marché des télécommunications ouvert à la concurrence sera amené à se développer, favorisant ainsi la croissance, donc l'emploi.
En effet, la part du secteur des télécommunications dans le produit intérieur brut n'est aujourd'hui que de 1,6 p. 100 en France, alors que ce chiffre dépasse 2 p. 100 dans les principaux pays ayant déjà mis fin au monopole. Cela laisse donc espérer une croissance réelle de l'activité dans notre pays.
Le secteur de la radiotéléphonie est d'ailleurs, me semble-t-il, un exemple du phénomène de rattrapage dont notre pays pourrait bénéficier : depuis l'annonce de l'arrivée sur le marché d'un troisième opérateur, Bouygues Télécom, qui a présenté le 29 mai dernier sa première offre de services, on constate une très forte croissance du marché et du nombre d'abonnés, ainsi qu'une diminution très nette des tarifs.
Le monopole public, inefficace dans les années cinquante et de 1960 à 1967, a permis à notre pays, après 1967, de bénéficier progressivement d'un service téléphonique de grande qualité. Mais il est temps, aujourd'hui, de passer, si j'ose dire, à la vitesse supérieure, celle de la concurrence régulée. C'est ce que nous proposent les auteurs du projet de loi de réglementation des télécommunications.
Les enjeux de la mutation que nous nous apprêtons à opérer sont enfin - j'allais dire « surtout » - des enjeux de techniques qui vont modifier notre vie quotidienne. Il serait faux, en effet, de penser que l'ouverture à la concurrence n'est que le fruit d'une volonté politique. Elle est au contraire inéluctable, et c'est pourquoi il est nécessaire de l'accompagner et de la maîtriser.
Face aux évolutions technologiques actuelles, le monopole ne serait, dans quelques années, qu'un bouclier de carton. Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui du call back , que vous avez d'ailleurs cité, monsieur le ministre : ce système permet déjà, de manière simple - ce sera, demain, de plus en plus simple, dans le cadre de l'adaptation des terminaux - de contourner le monopole en passant par des opérateurs implantés à l'étranger. On obtient ainsi, pour des communications internationales vers New York ou Londres, un tarif inférieur de 30 à 45 p. 100, voire parfois plus, par rapport aux tarifs français. Je pourrais aussi citer les nouvelles possibilités offertes par le réseau Internet ou par les réseaux de communication par satellite.
Mais cette mutation nécessaire que nous nous apprêtons à accomplir doit, à mon avis, être maîtrisée.
L'ouverture à la concurrence de la téléphonie entre points fixes doit s'effectuer non pas dans l'anarchie, mais, au contraire, dans un cadre clair qui fixe des règles du jeu non seulement précises, mais aussi loyales et équilibrées. C'est pourquoi la commission des affaires économiques se félicite des dispositions du projet de loi qui organisent une concurrence soigneusement régulée par le ministre chargé des télécommunications et l'autorité de régulation des télécommunications.
La création d'une autorité administrative indépendante - ce n'est pas chose nouvelle dans notre pays - est un gage pour les nouveaux entrants sur le marché, même si son instauration ne signifie en aucun cas, à mes yeux, que l'impartialité de l'Etat puisse être mise en cause. C'est d'ailleurs le ministre chargé des télécommunications qui délivrera les autorisations les plus importantes et fixera les règles générales dans le cadre du pouvoir réglementaire dévolu au pouvoir exécutif. Cela devrait rassurer ceux qui craignent le trop grand pouvoir d'une autorité de régulation.
Cette évolution, que nous voulons maîtrisée et équilibrée, doit aussi nous permettre de consolider des acquis essentiels et d'ouvrir de nouveaux droits. La commission des affaires économiques a été particulièrement attentive à poursuivre dans cette voie dans trois domaines : le service public, l'aménagement du territoire, les droits des consommateurs.
Le service public est une option politique majeure du texte qui nous est soumis. En effet, celui-ci précise le contenu du service public, qui repose sur trois piliers auxquels s'appliquent les principes fondamentaux d'égalité, de continuité et d'adaptabilité.
Le premier pilier est le service universel, qui englobe le service téléphonique tel qu'on le connaît aujourd'hui, c'est-à-dire le téléphone pour tous, à un prix abordable qui soit le même quel que soit l'endroit où l'on se trouve sur le territoire, des cabines téléphoniques et un service d'annuaire et de renseignements.
Il s'agit d'autant moins d'un service « minimum », comme ont pu le dire certains, que la loi prévoit une clause de « rendez-vous » entre le Parlement et le Gouvernement, dont la commission des affaires économiques vous proposera, mes chers collègues, de rapprocher l'échéance pour mettre en oeuvre plus rapidement l'enrichissement à terme du contenu du service universel qu'elle vous présentera par ailleurs.
En outre, le service universel ne sera pas régionalisé, à la différence de ce qui est prévu en Allemagne : il devra être fourni sur l'ensemble du territoire. France Télécom sera chargé par la loi de fournir le service universel.
La loi prévoira un financement par tous les opérateurs des obligations du service universel. Des tarifs adaptés devront être proposés aux personnes souffrant d'un handicap ou de revenus insuffisants.
Les services obligatoires de télécommunications sont le deuxième pilier du service public. Ils comprennent l'accès au réseau numérique à intégration de services, les liaisons louées et la transmission de données. Ces services seront offerts sur tout le territoire, dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité.
Les missions d'intérêt général dans le domaine des télécommunications représentent la troisième composante du service public : elles concernent la défense, l'enseignement supérieur, la recherche, et seront prises en charge par l'Etat.
La commission des affaires économiques approuve pleinement le choix qu'opère le texte d'une définition ambitieuse - c'est la plus ambitieuse au sein de l'Union européenne - du service public.
Il ne fait nul doute que la position française a conduit d'autres pays de l'Union européenne à élargir leurs conceptions mêmes du service universel et du service public. C'est en effet la conception française qui, sous l'impulsion du Gouvernement, s'est peu à peu imposée à l'échelon européen. Il me paraît opportun de le rappeler ici ce soir.
La commission des affaires économiques vous proposera des amendements tendant à consolider ce service public, mes chers collègues : ces amendements viseront tout d'abord à permettre de rendre insaisissable la ligne téléphonique d'un abonné en situation financière difficile, lui conservant ainsi pendant un certain temps ce fil de vie, avec la possibilité à la fois de recevoir des appels et de joindre les services d'urgence ; ils tendront également à rapprocher de cinq à quatre ans, je l'ai déjà dit, la périodicité de la clause de « rendez-vous » permettant d'élargir le service universel et à inclure toutes les cabines situées sur le domaine public dans le champ du service universel.
Après le service public, la deuxième préoccupation de la commission des affaires économiques et du Plan a concerné l'aménagement du territoire. Cela n'étonnera personne !
Le texte pose déjà nombre de garanties, puisqu'il préserve le principe de la péréquation, dont il assure le financement par l'ensemble des opérateurs, et qu'il inscrit l'aménagement du territoire au titre des « exigences essentielles ».
La commission vous proposera malgré tout d'aller plus loin, en permettant notamment un accès à des tarifs préférentiels aux services les plus avancés de télécommunications - on pense aujourd'hui à Internet mais, demain, ce peut être un autre service - pour les établissements d'enseignement situés en zones de redynamisation rurale et en zones de revitalisation urbaine. Cet accès privilégié, notamment pour les écoles, existe dans la loi américaine du 8 février 1996 et n'a pas aujourd'hui d'équivalent en Europe.
Il importe, me semble-t-il, d'appliquer cette discrimination positive pour les territoires en difficulté : elle favorise leur développement, leur attractivité et les met en même temps au contact des technologies et des moyens de communication de demain.
La commission vous suggérera, par ailleurs un dispositif propre à accélérer la couverture par la radiotéléphonie numérique des zones faiblement peuplées du territoire, pour lesquelles le téléphone mobile représente un outil majeur de désenclavement et de redynamisation.
Je crois, à titre personnel, que les technologies hertziennes numériques, terrestres ou satellitaires, constituent l'une des clés de l'avenir de l'espace rural français. Il sera nécessaire que cette ressource rare soit préservée prioritairement pour l'espace rural.
Au cours des débats, nous devrions avoir l'occasion de revenir sur cette priorité essentielle qu'est l'aménagement du territoire.
Le troisième axe majeur de réflexion de la commission concerne les droits du consommateur.
L'utilisateur, qu'il soit particulier ou entreprise, est l'horizon et la justification de la mutation qui nous est aujourd'hui proposée. Le projet de loi précise déjà que les baisses des tarifs à venir devront bénéficier à l'ensemble des utilisateurs. Les utilisateurs profiteront également de l'accroissement de la diversité des offres qui seront proposées en univers concurrentiel, sans parler des possibilités nouvelles comme la portabilité des numéros de téléphone.
La commission a souhaité approfondir certains droits des utilisateurs. Il s'agit, dans le domaine social, de l'insaisissabilité de la ligne téléphonique, que j'ai déjà évoquée, mais aussi, sur des points touchant à la vie quotidienne, de la garantie d'un accès simple au service téléphonique ou de la possibilité de ne pas faire figurer dans l'annuaire son adresse complète.
En définitive, au vu de l'oeuvre - on peut employer ce terme - accomplie sur cette question complexe de la nouvelle réglementation des télécommunications par le Gouvernement et par nos collègues de l'Assemblée nationale, et compte tenu des amendements que nous avons prévu de vous soumettre, nous formulerons ce soir, non pas un seul regret, mais un seul souhait : nous désirons aboutir, au cours du débat, à la mise au point d'un dispositif faisant l'objet d'un accord complet sur deux points qui nous semblent importants.
Le premier point a trait à la délimitation du champ de la responsabilité des prestataires d'accès à des réseaux informatiques ou télématiques. En effet, ces prestataires se trouvent parfois, en l'état actuel du droit, sanctionnés - on l'a vu il y a bientôt trois semaines pour les prestataires reliés à Internet - en raison du comportement de l'utilisateur de ces réseaux, alors même qu'ils n'ont aucune influence sur lesdits utilisateurs.
Si cette situation gênante n'est pas dissipée, on risque d'aboutir à une entrave du développement des nouveaux moyens de communication que nous offrent les progrès techniques. Il me paraît important de relever cette préoccupation de modernité exprimée constamment par notre Haute Assemblée, donc de résoudre ce problème.
Le second point sur lequel nous souhaitons apporter une réponse avant la fin de ce débat est lié au précédent : il s'agit de l'absence d'un organisme compétent pour contrôler le contenu des services proposés sur les réseaux précités et pour recommander aux autorités de régulation la prise de sanctions adaptées si lesdits services portent atteinte à la dignité de la personne humaine.
La commission supérieure de la télématique, actuellement instituée par décret et qui tend à jouer ce rôle, a en effet désormais un champ trop restreint au regard de la multiplication des réseaux et des services qui résulteront de l'application de la loi. C'est pourquoi l'instauration d'une nouvelle instance ayant vocation à couvrir tout le champ des réseaux et des services et pouvant, éventuellement, être placée sous l'autorité du Conseil supérieur de l'audiovisuel m'apparaît indispensable.
Je sais, monsieur le ministre, que vous partagez ces deux soucis. Vous l'avez dit en fin d'après-midi à la tribune, comme vous l'aviez indiqué à la commission des affaires économiques lorsqu'elle vous a interrogé à ce propos au cours de votre audition sur le projet de loi.
Je sais également que vous avez engagé votre réflexion sur ces questions depuis longtemps.
Je vous exprime donc très sincèrement mon espoir que, dans les deux jours à venir, nous puissions, ensemble, avec nos collègues qui sont intéressés par ces sujets, aboutir à un texte qui réponde à la fois aux ambitions du Gouvernement et à l'attente du Sénat.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire ce soir sur le projet de loi de réglementation des télécommunications.
Comme vous ne l'ignorez pas, mes chers collègues, la commission des affaires économiques avait déjà eu l'occasion, dans le rapport d'information qu'elle a publié, d'appeler de ses voeux une loi de « démonopolisation » qui soit également une loi de consolidation du service public.
Le texte qui nous est proposé répond aux grands enjeux du monde contemporain tout en respectant les priorités essentielles qui sont les nôtres.
Ne pas l'adopter serait faire courir à notre système de télécommunications le risque d'un repli frileux sur des acquis brillants, certes, mais qui, face aux possibilités de contournement qu'offre désormais la technologie, serait bientôt synonyme d'obsolescence et de décadence.
En outre, ce serait ne pas tenir parole à l'égard de nos engagements européens. Ce serait nous mettre à l'écart. Voulons-nous être la Grèce, l'Irlande ou le Portugal en demandant des délais ?
L'heure est au risque, sans doute, mais au risque calculé. Le Sénat va, dans les jours à venir, contribuer à une autre grande réforme de la législation française sur les télécommunications. Nous devons en avoir bien conscience : ce sont des décisions fondamentales, et pas seulement des décisions à caractère technique, que nous aurons à prendre dans les prochains jours.
Sur tous les continents - en Europe, bien sûr, mais aussi en Amérique, en Asie, dans des pays comme le Japon, l'Inde, l'Australie, la Nouvelle-Zélande - on assiste à un vaste mouvement de décloisonnement des marchés des télécommunications. Notre pays dispose de nombreux atouts, avec France Télécom, quatrième opérateur mondial, pour tirer un large profit de cette ouverture.
Il importe aujourd'hui de n'être ni apeuré ni naïf. La concurrence sera rude, mais, je le répète, nous avons des atouts, et le plus beau d'entre eux est indéniablement France Télécom. En effet, comme beaucoup d'entre vous, j'ai confiance en France Télécom, en ses capacités, en sa compétence, en son sens de l'avenir.
L'application du projet de loi d'équilibre qui est soumis à notre examen sera, je vous le dis comme je le pense, un instrument essentiel de confortation de ces atouts et de succès pour les entreprises de notre pays.
Aujourd'hui, nous examinons un projet de loi de réglementation des télécommunications ; demain, nous discuterons d'un texte portant sur l'évolution du statut de l'opérateur public France Télécom, qui doit devenir société nationale. Au cours de ces journées où nous débattrons des télécommunications, les enjeux concerneront non pas des problèmes techniques, mais la préparation de notre pays aux défis de l'avenir : les télécommunications joueront demain, dans la dimension sociale, dans la dimension du développement économique et de l'emploi, un rôle essentiel.
Ces deux réformes figurent, me semble-t-il, parmi les réformes majeures conduites depuis maintenant plus d'un an. Elles méritent que notre Haute Assemblée, qui a apporté sa contribution, et qui l'enrichira au cours du débat, ressente bien qu'il s'agit d'un choix primordial pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. François Fillon, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à rendre hommage à la qualité du travail effectué par votre rapporteur, M. Gérard Larcher, qui a fait preuve à la fois d'une très grande sagesse, du sens du service public que nous lui connaissions déjà, d'une forte capacité d'écoute des différents acteurs de ce monde des télécommunications et d'une vive imagination.
Que ce soit dans son rapport sur le projet de loi de réglementation des télécommunications ou dans son rapport d'information sur l'avenir de France Télécom, il a contribué à éclairer le débat. Le Gouvernement s'est d'ailleurs très largement inspiré des solutions qu'il a préconisées dans son second rapport, après avoir notamment entendu l'ensemble des intervenants, qu'il s'agisse des représentants des organisations syndicales, des dirigeants de l'entreprise ou des autres acteurs de ce monde des télécommunications.
M. Gérard Larcher a évoqué, à la fin de son intervention, une question d'actualité très importante : le cadre juridique qui régit l'activité des sociétés qui offrent des accès au réseau Internet.
Nous savons tous que, ces dernières semaines, plusieurs affaires ont défrayé la chronique. Certaines des entreprises qui offrent ces accès ont ainsi fait l'objet de poursuites judiciaires. J'ai eu l'occasion de dire que ces poursuites me paraissaient résulter d'une sorte de contresens sur le rôle des entreprises concernées.
En réponse à la question que vient de poser M. Gérard Larcher, je peux indiquer au Sénat que le Gouvernement, s'inspirant pour une part des propositions votre rapporteur et des réflexions que je mène sur ce sujet, déposera un amendement qui permettra d'adapter la législation française à ces nouvelles technologies, à ces nouveaux services que sont les services en ligne.
Loin de vouloir censurer un réseau de nature internationale, par cet amendement, le Gouvernement proposera, d'abord, des outils permettant à la responsabilité individuelle de chacun de s'exercer : les parents notamment pourront décider des accès qui peuvent être laissés ouverts aux mineurs.
Ensuite, il suggérera d'instituer auprès du CSA un Conseil supérieur de la télématique. Ce dernier pourra faire des recommandations dans le domaine de la déontologie et pourra aussi, saisi par les usagers, donner un avis sur le contenu d'un certain nombre de serveurs qui pourraient être en contradiction avec les principes fondamentaux de la législation française ; je pense, en particulier, à ces serveurs qui mettent en cause l'intégrité de la personne humaine ou à ceux qui constituent des incitations à la haine raciale ou encore qui font oeuvre de révisionnisme.
Enfin, il proposera que les pourvoyeurs d'accès, ceux qui, techniquement, offrent des accès sur le réseau Internet, soient exonérés de responsabilité pénale sous deux conditions : d'une part, ils devront respecter les règles que je viens d'évoquer, c'est-à-dire la mise à disposition d'outils de responsabilité individuelle, de logiciels permettant le filtrage des accès ; d'autre part, ils devront fermer les accès aux serveurs que le Conseil supérieur de la télématique, placé au sein du CSA, aura désignés comme contrevenant à la législation française.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Très bien !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 61 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 52 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a excellemment dit M. le rapporteur, les télécommunications joueront dans l'avenir pour l'aménagement du territoire un rôle aussi important que les infrastructures de transport. Elles sont en effet devenues le système nerveux d'un pays ; sa sécurité et son économie en dépendent.
Je rappellerai quelques faits.
Premièrement, si depuis plus de dix ans, près de quarante accords de prises de participations et d'alliances sont intervenus entre les grands opérateurs de télécommunications mondiaux, France Télécom n'a été présent que dans deux d'entre eux : la privatisation du réseau mexicain et celle des télécommunications d'Argentine.
Deuxièmement, à partir du 1er janvier 1998, il ne devra plus y avoir de monopoles sur les services de télécommunications européens.
Troisièmement enfin, et cela sera souvent dit dans les prochains jours, la mondialisation des marchés fait exploser tous les cadres de l'activité. Partout, les monopoles et les situations acquises sont battus en brèche, et la concurrence s'annonce totale. Pour nous Français, entrer dans la concurrence - M. le ministre l'a clairement énoncé - c'est accepter la loi du marché, tout en restant attachés à une tradition qui impose l'accès de tous aux communications et sur tout le territoire. La réforme du statut de France Télécom est dès lors inévitable. L'enjeu est de taille : permettre à l'opérateur national de jouer gagnant sur un marché en pleine expansion.
Dans la suite de mon propos, je m'attacherai à développer les termes de l'équilibre entre l'ouverture à la concurrence et le maintien des obligations de service public, tandis que mes collègues du groupe des Républicains et Indépendants aborderont sans doute davantage de leur côté le contexte international qui rend cette réforme impérative.
Il convient de souligner que l'objet de ce projet de loi est de garantir un service public du téléphone de qualité tout en permettant la construction progressive et équilibrée du marché français des télécommunications dans le marché européen.
Notons au passage, monsieur le ministre, que vous avez déjà réussi à convaincre Bruxelles de respecter les exigences de l'offre d'un service universel et de services obligatoires de télécommunications. C'est sans doute une contribution française qui n'est pas négligeable.
Notons aussi que de bons travaux préparatoires à l'élaboration du projet de loi ont été conduits.
Je citerai le rapport d'étape du groupe d'expertise présidé par M. l'inspecteur général Champsaur, qui a montré l'importance de l'interconnexion des opérateurs privés au réseau de France Télécom. Celle-ci devra être soumise à une régulation forte, précise le rapport, et selon des modalités révisables périodiquement. En contrepartie, une plus grande liberté tarifaire devra être laissée à France Télécom dans le cadre de contrats de plans successifs.
Ainsi, les conditions techniques et financières de l'inteconnexion évolueront vers le droit commun de la concurrence. Cette démarche refuse donc une régulation asymétrique et émet des réserves sur les possibilités de compensation tarifaire du déficit d'accès résiduel après le 1er janvier 1998.
De même, l'étude d'impact accompagnant ce projet de loi a présenté un certain intérêt. On peut toutefois regretter qu'elle soit empreinte à nos yeux d'un trop bel optimisme. Elle ne laisse que peu de place aux interrogations que l'on peut se poser dans le domaine des emplois industriels, ou du développement réel du trafic en Europe. Toutes les mesures proposées dans le texte y sont justifiées sans réserve aucune.
Aussi, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous préciser la valeur juridique réelle de ce document ? Doit-il être considéré comme formant un tout avec l'exposé des motifs ?
En effet, ce dernier est d'autant plus important que le projet de loi modifie une partie essentielle du code des télécommunications, sans rappeler les articles laissés en l'état. Une fois n'est pas coutume, il est complet et précis ; il exprime la volonté du Gouvernement de mettre en place des règles équitables tant pour France Télécom que pour ses concurrents, qui déboucheront sur un traitement symétrique des différents acteurs du marché. Dans ces conditions, la simplification et l'allégement des différentes procédures d'autorisations permettant aux nouveaux entrepreneurs d'entrer sur le marché ne peut être que bénéfique.
Venons-en maintenant, monsieur le ministre, à votre projet de loi.
Je ne peux qu'approuver la démarche du Gouvernement visant à introduire dans la loi une définition claire et lisible du service public selon la conception française. Cette définition recouvre ainsi le service universel destiné à l'ensemble des usagers, l'offre de services obligatoires pour les entreprises et des missions d'intérêt général.
Ce texte a le grand mérite de garantir l'offre du service universel et des services obligatoires, de désigner l'opérateur public, France Télécom, pour la fourniture de services qu'il rend actuellement, tout en ouvrant la possibilité à d'autres acteurs de se porter candidats.
Toutefois - c'est une marque de regret - les dispositions visant le partage des prestations autres que le service universel du téléphone, par découpage géographique ou par catégories de prestations proposées, conduiront, à coup sûr, à des difficultés d'interprétation et à de nombreux conflits.
Il faudra donc laisser ouvert le débat parlementaire sur cette question : quelle sera l'avenir de ces dispositions ? Ne vont-elles pas affaiblir l'opérateur du service universel ? La loi ne devrait-elle pas préciser plus clairement, sans renvoi aux décrets d'application, les méthodes qui seront retenues ?
En effet, l'intérêt premier doit être celui de l'usager, mais n'oublions pas que seul l'équilibre économique global du service universel permettra d'en pérenniser l'offre sur l'ensemble du territoire.
Il est affirmé dans le projet de loi que ce service public sera de qualité. Bien ! Cependant, il faudra veiller à ce que toutes les dispositions soient prises dans le cahier des charges des opérateurs pour la mesurer selon des critères précis et indiscutables.
Face aux exigences de cohésion sociale et d'aménagement du territoire, qui, tout spécialement ici, au Sénat, préoccupent les élus que nous sommes, le projet de loi garantit l'offre d'un service universel du téléphone partout à un prix abordable.
L'Etat s'engage donc à définir clairement et à imposer, après consultation de la commission supérieure du service public des postes et télécommunications, deux types de prix : un prix plafond, qui assurera dans les meilleurs délais l'équilibre économique du service universel du téléphone, et des tarifs spécifiques destinés à des catégories sociales dites défavorisées, dont la liste sera précisée par décret.
Aussi permettez-nous, monsieur le ministre, de nous interroger sur les critères de définition de ces catégories et sur ceux d'attribution de ces tarifs spécifiques.
Par ailleurs, l'Etat se doit de garantir l'offre sur tout le territoire des services obligatoires plus particulièrement destinés aux entreprises. Pour ce faire, il faudra, à mon sens, veiller tout particulièrement à ce que le contrat de plan ne comporte pas de dispositions créant une dissymétrie entre l'opérateur public et les opérateurs privés.
Le texte dispose que l'Etat est responsable des missions d'intérêt général et qu'il les prend à sa charge. Concernant la défense et la sécurité, les dispositions déjà contenues dans la loi de 1990 sont étendues à tous les opérateurs autorisés. Sur ce point, il semble donc qu'il y ait bien symétrie complète entre les opérateurs.
La recherche publique est également expressément mentionnée. Puisqu'elle est publique, elle est à la charge de l'Etat. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous vous demandons, à l'occasion de ce débat parlementaire, de continuer à rassurer les personnels du Centre national d'étude des télécommunications, le CNET, et de leur confirmer encore que le CNET reste le laboratoire de l'entreprise France Télécom.
De même, pour l'enseignement supérieur, pouvez-vous monsieur le ministre, indiquer au Parlement quelles sont les mesures prises pour permettre, en 1997 et au-delà, le maintien et le développement d'un enseignement de très haute qualité ? Vous savez l'importance des garanties que vous apportez.
Le projet de loi prévoit également des mesures propres à assurer la pérennité d'un service de qualité.
Nous le savons bien, ce service universel se doit d'être viable dans le cadre d'un marché concurrentiel. Il en va donc de l'intérêt public de préparer l'économie française aux conditions nouvelles du marché.
Un des éléments majeurs de ce rééquilibrage sera l'évolution de la tarification du service téléphonique. Or, s'il s'avère que l'équilibre économique du service universel ne pourra être atteint au 1er janvier 1998, tout le monde le sait, il fallait trouver un terme raisonnable à la participation des opérateurs dans le rééquilibrage des tarifs de France Télécom. La date du 31 décembre 2000, qui figure dans le projet de loi, nous paraît raisonnable.
La pérennité de la qualité du service exige un contrôle de sa mise en oeuvre. La loi de 1990 avait confié cette tâche à la commission supérieure du service public des postes et télécommunications, à laquelle, monsieur le ministre, vous rendez souvent hommage. Sa mission est maintenue dans un marché ouvert ; le service universel, partie du service public, entre donc dans la compétence de cette commission. Il est vrai qu'elle est un lieu de dialogue entre les acteurs du secteur et des parlementaires de sensibilités politiques différentes ; son rôle d'observateur et de « conscience du service public » s'exprime par des avis et des rapports rendus au Gouvernement. Envisagez-vous, monsieur le ministre, d'ouvrir, au vu des travaux de la commission et chaque fois qu'il sera nécessaire, un débat public au Parlement ?
Si l'on peut se réjouir de la volonté que traduit le projet de loi d'instaurer un droit commun applicable à l'ensemble des opérateurs de télécommuncations dans des domaines ou France Télécom disposait jusqu'alors de droits réservés ou exclusifs, qu'en est-il de son application indifférenciée aux réseaux câblés ?
Sur ce point, une disposition législative pourrait-elle réserver les droits spécifiques des opérateurs sur les réseaux dont ils sont propriétaires mais qui sont exploités par d'autres opérateurs ?
Sensible au principe de transparence des futures règles du jeu, le groupe des Républicains et Indépendants soutient les principes du texte en matière de tarification.
Le principe d'autorisation accordant des droits équivalents pour des obligations équivalentes devra être clairement réaffirmé. Il est donc souhaitable que les positions du conseil de la concurrence soient étendues au secteur des télécommuncations et qu'elles servent de référence permanente tant à l'autorité de régulation des télécommunications qu'à vous-même, monsieur le ministre.
Concernant la réglementation de l'interconnexion, qui sera l'élément clé de la rentabilité pour la plupart des nouveaux opérateurs, l'obligation faite à France Télécom d'ouvrir son réseau, suivant les conditions de la loi, est logique.
Je me félicite que le projet de loi prévoie pour la tarification d'interconnexion une distinction entre les exploitants de réseaux et les fournisseurs de services.
Nous le savons, la recherche d'un nouvel équilibre des pouvoirs sera certainement difficile. La création de l'autorité de régulation des télécommunications fera respecter cette répartition conforme à l'esprit du droit français entre le pouvoir réglementaire réservé au Gouvernement et le pouvoir de régulation attribué à une instance indépendante. Elle n'aura cependant de réalité que s'il existe une indépendance effective. Dans cet esprit, le mode de désignation qui prévoit la nomination de deux membres par les assemblées parlementaires nous semble de nature à renforcer l'indépendance de cette autorité.
Monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants vous apportera son soutien car ce projet de loi traduit également la volonté du Gouvernement de faciliter l'activité de l'ensemble des acteurs du secteur en matière de numérotation, de gestion des fréquences et d'adaptation des réglementations des droits de passage et du cryptage.
Toutefois, de nombreuses dispositions feront l'objet de décrets. Ne conduiront-elles pas, monsieur le ministre, à soustraire au contrôle du Parlement certaines évolutions importantes du droit français ?
Vous connaissez les réticences habituelles du Sénat dans ce domaine.
Monsieur le ministre, vous avez le courage politique de procéder à une grande réforme ; vous ne trompez personne. L'examen de ce projet de loi vous conduira sans doute vers deux autres chantiers, l'un concernant la réécriture complète du code des télécommunications, l'autre la formulation des règles relatives aux nouveaux services ouverts au public sous une forme multimédia comme les réseaux de type Internet.
Soyez assuré, monsieur le ministre, que notre groupe soutiendra votre action politique, considérant que l'essentiel des règles du jeu proposées est propre à garantir un service public du téléphone de qualité et permet la construction progressive et équilibrée du marché français des télécommunications, dans le cadre du marché européen.
Relever aussi le défi de la réforme de France Télécom dans le projet de loi que nous examinerons la semaine prochaine, c'est donner à cette société, au moment où il le faut et comme il faut, les moyens de figurer parmi les grands dans la compétition mondiale d'aujourd'hui et donc de pouvoir, demain, créer de nouveaux emplois. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le ministre, notre groupe approuve les orientations du projet de loi que vous avez défendues avec conviction, et que notre excellent collègue, M. Gérard Larcher, a présenté avec talent en laissant d'ailleurs prévoir au cours du débat des avancées nouvelles que nous approuvons également.
Les Etats membres de l'Union européenne ont décidé à l'unanimité l'ouverture à la concurrence de l'ensemble du secteur des télécommunications.
C'est le résultat d'un long processus lié à l'évolution rapide des technologies, et non le fruit d'une idéologie. Ce processus est mondial : le Japon, les Etats-Unis viennent de déréglementer. En tout état de cause, l'Europe ne pouvait échapper à cette évolution.
M. Michel Pelchat. Tout à fait !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Acceptation non pas résignée mais résolue de la concurrence et recherche de coopération avec des partenaires sont dès lors indispensables pour s'imposer. C'est dans ce contexte qu'il convient de placer l'alliance entre France Télécom et Deutsche Telekom, qui est un exemple concret de ce que doit être la coopération franco-allemande.
Pour élargir l'assise territoriale de leur alliance, les deux sociétés ont d'ailleurs signé un accord avec le troisième opérateur américain afin de constituer ensemble une filiale présente sur tous les continents.
En effet, dans un contexte de globalisation des échanges, où il s'agit de répondre au mieux aux besoins des clients ayant des activités dans plusieurs pays et à la restructuration internationale du secteur, on reconnaît l'importance stratégique d'alliances avec de grands opérateurs étrangers afin de couvrir l'ensemble de la planète.
Ce processus est donc mondial. Rien ne sert de s'opposer à ce mouvement général de libéralisation. En l'acceptant, nous devons rendre hommage à l'effort de modernisation exceptionnel que les télécommunications françaises ont réalisé au cours des vingt dernières années et exprimer nos sentiments de reconnaissance à celui et à ceux qui en ont été les chevilles ouvrières et qui ont été parfois des visionnaires. J'en ai été le témoin à l'automne 1980. Il faut aujourd'hui faire en sorte que cette libéralisation s'opère dans le sens de l'intérêt général et produise des avantages pour tous, y compris pour les usagers et les personnels oeuvrant dans ce secteur.
Le projet de loi qui nous est présenté répond à cet objectif en s'efforçant de concilier trois exigences : d'abord, l'affirmation des principes du service public et du service universel ; ensuite, l'organisation d'une concurrence réelle et efficace ; enfin, l'utilisation des télécommunications comme une opportunité dans l'aménagement du territoire. Monsieur le rapporteur, il y a quelques années, nous avons eu l'occasion d'en débattre âprement.
La première exigence est l'affirmation des principes du service public à la française et du service universel.
Quel est le contenu du service public ?
Il s'agit de défendre une spécificité française, sans pour autant mal interpréter ce vocable qui peut se révéler ambigu et susciter des illusions.
Fondé sur le respect des trois principes fondamentaux du service public - égalité, continuité et adaptabilité - le projet de loi fixe le contenu du service public des télécommunications. Il s'agit, tout d'abord, du service universel du téléphone, c'est-à-dire du service public du téléphone tel qu'il est fourni aujourd'hui en France, ensuite, des services obligatoires de télécommunications, qui doivent être fournis sur tout le territoire et dont les tarifs sont libres, et, enfin, des missions d'intérêt général dans le domaine des télécommunications assurées par ou pour le compte de l'Etat et prises en charge par l'Etat, à savoir la défense et la sécurité, la recherche publique et l'enseignement supérieur, dont le Sénat a largement débattu cet après-midi.
Le projet de loi garantit qu'il y aura bien, au 1er janvier 1998, un opérateur en charge du service universel - France Télécom - seul capable de l'assurer dans sa totalité. Son rôle d'opérateur de service public national est ainsi confirmé.
France Télécom assurera la fourniture sur l'ensemble du territoire des services obligatoires.
L'Etat, lui, aura des missions propres d'intérêt général dans le secteur des télécommunications qu'il assurera ou confiera à des opérateurs qu'il rémunérera.
Quant au financement de ce service, vous l'avez rappelé, le projet prévoit deux modalités : une redevance versée à l'occasion de l'interconnexion et une contribution au fonds de service universel.
Il apparaît nécessaire d'affirmer clairement la notion de service universel, notion qui n'est pas inconnue du droit communautaire, où l'on parle de service public universel. A titre d'exemple, les rapports Théry et Bangemann prévoient un service universel dans le domaine des autoroutes de l'information visant à raccorder la majeure partie de la population, sans aucune discrimination géographique.
Nous devons être heureux que les quinze membres de l'Union européenne aient pris une résolution affirmant - et je vous remercie, monsieur le ministre, de l'influence que vous avez exercée dans ce sens - le maintien du développement d'un service universel.
Le corollaire du service public est l'organisation d'une concurrence effective et efficace.
Il n'y a pas incompatibilité, quoi qu'on dise, entre les deux notions. Le projet de loi vise à instaurer une concurrence loyale, effective, favorable aux utilisateurs, et s'exerçant selon des règles de jeu claires et prévisibles, ce qui est fondamental.
La concurrence ne peut, ne doit pas être une simple façade pour satisfaire à une décision politique ou à un engagement international. Elle ne peut pas non plus pénaliser France Télécom.
La libéralisation ne doit pas conduire à l'abandon de tout contrôle collectif sur le fonctionnement du marché des télécommunications. L'irruption de la concurrence dans un secteur antérieurement sous monopole ne signifie en aucune façon l'avènement de la « loi de la jungle ». Bien au contraire, puisque ce secteur a une forte résonance sociale et fait l'objet de l'organisation d'un service public. Tel est le cas pour la réglementation des télécommunications.
Il appartient au cadre législatif de concilier le maintien du service public avec le développement de la concurrence et de servir de référence visible à tous les acteurs. Il se doit d'établir les fondations d'une compétition loyale et contrôlée. D'où aussi l'importance de l'autorité de régulation des télécommunications.
Cette concurrence doit être réelle et soigneusement organisée.
Elle doit éliminer les barrières qui pourraient s'opposer aux nouveaux entrants. Elle doit également être maîtrisée, et le texte de loi prévoit les conditions d'interconnexion, c'est-à-dire de liaison des réseaux de télécommunications des différents opérateurs.
La réalité de la concurrence passe également par une vraie « portabilité » des numéros. Comment voyez-vous, monsieur le ministre - vous y avez fait une allusion dans votre présentation tout à l'heure - la mise en oeuvre de cette mesure encore mal définie bien que déterminante pour réunir les conditions d'une véritable concurrence ?
Cette concurrence, j'en suis persuadé, ne peut être que favorable à l'utilisateur, que ce soit l'individu ou l'entreprise. Elle sera en effet profitable à l'éclosion de nouveaux services de meilleure qualité à des tarifs plus intéressants. Elle provoquera une demande accrue et une multiplication des services, je pense notamment à Internet.
Cette concurrence ne peut être que favorable à l'économie. Elle va en effet provoquer d'importants investissements, tant chez les prestataires de services que chez les équipementiers et leurs sous-traitants.
Ce marché en fort développement, qui exigera d'importants investissements, devrait donc être - je crois qu'il faut souligner ce fait - favorable au développement de l'emploi. En effet, l'apparition de nouveaux services, le développement des infrastructures susciteront de nouvelles activités et amèneront la création d'emplois.
Enfin, les télécommunications sont aussi un outil puissant en matière d'aménagement du territoire.
Le rapporteur du projet de loi, notre collègue M. Gérard Larcher, insiste à juste titre - et cela ne date pas d'aujourd'hui - sur cet aspect. Il faut rendre hommage au Sénat d'avoir su, très tôt, mettre l'accent sur le rôle fondamental qui incombe aux télécommunications dans la mise en oeuvre d'une politique volontariste d'aménagement du territoire.
Le rapport de la mission d'information présidée par M. Jean François-Poncet affirmait déjà très clairement, voilà quelques années, que les télécommunications joueront dans l'avenir, pour l'aménagement du territoire, un rôle aussi important que les infrastructures de transport.
La suite logique de ce constat a été, sur l'initiative du Sénat - et vous y avez pris une large part, monsieur le rapporteur - l'établissement du schéma des télécommunications prévu par l'article 20 de la loi du 4 février 1995. Celui-ci fixe l'objectif suivant : à l'horizon 2015, les réseaux de télécommunications, notamment les réseaux interactifs à haut débit couvrant la totalité du territoire, devront être accessibles à l'ensemble de la population, des entreprises et des collectivités territoriales et offrir des services équitablement répartis sur l'ensemble du territoire et disponible dans les zones rurales notamment.
Plus que jamais, l'exigence d'aménagement du territoire doit rester une priorité dans notre pays. Les télécommunications en sont un vecteur essentiel. Le projet qui nous est soumis peut et doit en être un facteur de concrétisation. L'égalité territoriale par la péréquation géographique, la baisse des communications à longue distance, la prise en compte de l'aménagement du territoire par les opérateurs de réseaux et les fournisseurs de services, les redevances d'occupation du domaine public pour les collectivités locales sont autant d'avancées positives qu'avec M. le rapporteur nous devons saluer.
En conclusion, le groupe de l'Union centriste approuve le projet de loi qui nous est soumis. Il nous est présenté à un moment où l'évolution européenne et mondiale le rend inéluctable. Il s'agit, en l'occurrence, non pas de se conformer à une quelconque mode doctrinale, mais de tenir compte des réalités auxquelles nous sommes confrontés et auxquelles la France ne peut échapper.
Dans ce contexte, il s'agit donc de veiller à ce que le service public des télécommunications s'adapte dans les meilleures conditions possible au contexte concurrentiel qui s'impose à lui. Il s'agit d'organiser une concurrence qui soit à la fois utile et efficace. Il s'agit de faire des télécommunications un vecteur concret d'une politique d'aménagement du territoire qui doit représenter une chance pour chacun de nos territoires.
La réforme qui nous est proposée entraîne des transformations profondes, qui sont inévitables lorsque l'on passe d'un monopole à la concurrence. Elle suppose des adaptations à la fois des structures et des mentalités. Aucune réforme d'ailleurs ne peut réussir si structures et mentalités n'évoluent pas parallèlement.
La réforme des télécommunications doit non pas générer l'inquiétude, source de paralysie, mais constituer un nouveau départ, une nouvelle chance. Les télécommunications françaises ont été, au cours des dernières décennies, un des facteurs de la modernisation de notre pays. Elles l'ont été grâce à la capacité d'innovation, à la compétence, au sens de l'intérêt général, des personnels qui, du sommet à la base, en ont fait un instrument efficace au service d'une France tournée vers l'avenir. Je suis certain que ces mêmes qualités permettront à France Télécom et à ses personnels ainsi qu'à toutes les entreprises qui oeuvrent dans ce secteur de s'engager avec confiance et résolution vers l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de réglementation des télécommunications vise à ouvrir les réseaux et les services de télécommunication de cet important secteur d'activité à la concurrence et organise la suppression du monopole de France Télécom sur l'établissement des infrastructures filaires publiques et la fourniture au public du service de téléphone fixe.
Ce texte prétend apporter la réponse adaptée à l'évolution extrêmement rapide des technologies. Je voudrais d'emblée affirmer que cet argument est un fallacieux prétexte. A son origine, il y a tout simplement une décision du Conseil des ministres européens de déréglementer pour organiser la concurrence.
Monsieur le ministre, il est abusif de justifier la déréglementation et la concurrence par les évolutions technologiques et le besoin d'interconnexion des réseaux. Le service public et l'entreprise publique sous monopole ont pourtant largement montré leur capacité et leur efficacité à coopérer au niveau international. On doit même noter leur supériorité en ce qui concerne les compatibilités techniques - et donc les réseaux - la recherche et les programmes de développement communs qui font progresser les technologies et l'industrie.
Dans les pays développés, les réseaux sont maîtrisés par des entreprises publiques qui, comme France Télécom, marchent fort bien. Pourquoi changer ? En réalité, la technologie et ses évolutions ont bon dos.
Non, le vrai motif qui explique la déréglementation à laquelle vous voulez vous livrer, monsieur le ministre, est ailleurs : c'est l'entrée des télécommunications dans le marché mondial et le souhait pour un certain nombre de grandes entreprises de pénétrer sur ce marché. Ce sont les multinationales privées qui frappent à la porte d'un marché d'équipements et de services en pleine expansion, qui progresse de 4 p. 100 en moyenne chaque année.
Dans notre pays, ce sont notamment la Générale des eaux et Bouygues qui sont sur les rangs et piaffent d'impatience et qui, je le note au passage, seraient déjà, avec les autres opérateurs privés, favorisés puisqu'ils ont obtenu une réduction de leur participation au financement de ce qu'il est convenu d'appeler le « service universel ».
Dans ce secteur, les services publics sont les empêcheurs de tourner en rond, car les critères sociaux et d'intérêt national sur lesquels ils se fondent doivent, coûte que coûte, être destructurés au profit de la rentabilité financière.
Les besoins d'emplois qualifiés, l'accès pour tous aux multimédias, l'aménagement équilibré du territoire, les coopérations entre entreprises publiques et privées pour économiser les financements publics et lutter contre les gâchis financiers représentent des enjeux décisifs que ne satisferont jamais quelques multinationales privées se livrant une guerre destructrice.
Au prix d'alliances internationales, de rachats, de regroupements au détriment de l'emploi - comme, par exemple, la récente fusion des deux plus grandes compagnies régionales américaines de téléphone, qui se traduira par la suppression de quelque 3 000 emplois - on assiste à la concentration rapide autour de quelques mastodontes ; les experts prévoient que cinq grands groupes seront ainsi en concurrence au plan mondial.
Faire à terme place nette à ces groupes, voilà beaucoup plus prosaïquement la raison fondamentale de la déréglementation de ce secteur. Elle permettrait à quelques sociétés multinationales privées d'accaparer le fruit de quelque vingt-cinq ans d'investissements publics pour réaliser de gigantesques profits au détriment des usagers du téléphone et des services qui lui sont attachés, au détriment du développement économique et social et d'un aménagement équilibré du territoire.
Loin d'être une conséquence fatale de la mondialisation et de l'évolution des technologies, la libéralisation et la déréglementation des services de télécommunications répondent donc, avant tout, aux seules exigences de groupes industriels et financiers qui cherchent à s'approprier les parts les plus rentables de ces services et à s'assurer la domination des marchés.
Avec votre projet de loi, il est évident que le service public perdra en importance et en qualité sur l'ensemble du territoire, que les usagers domestiques seront mis à contribution, pour le plus grand profit des entreprises et des marchés financiers, et que les agents subiront des pressions renforcées sur leurs emplois, leurs rémunérations, leurs conditions de travail et leurs garanties statutaires.
Je voudrais d'ailleurs relever que ce sont ces craintes, ces inquiétudes, mais aussi le refus de cette évolution néfaste qu'ont exprimés ce matin les personnels de France Télécom dans l'unité de leurs syndicats. Ils ont bien perçu tous les dangers que recèlent vos projets, et le groupe communiste républicain et citoyen, qui était présent à leurs côtés ce matin, salue leur lutte et les soutient pleinement.
La déréglementation et l'ouverture à la concurrence que vous voulez introduire seraient particulièrement lourdes de conséquences négatives dans deux domaines : les tarifs et l'emploi.
A vous en croire, monsieur le ministre, les ménages français ne pourraient être que les heureux bénéficiaires de la mise en concurrence acharnée du marché des télécommunications puisque leur facture devrait baisser. Vous avez assuré que la hausse de l'abonnement serait accompagnée d'une baisse des communications locales.
L'expérience dans les pays où la déréglementation est déjà mise en oeuvre démontre en fait tout le contraire.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. En Belgique, le tarif des appels internationaux a certes baissé de 15 p. 100 mais celui des abonnements a été relevé du même taux. Le Canada, pays le moins cher pour ses appels urbains et internationaux, est, en revanche, en tête du hit-parade pour le coût de l'abonnement. La restructuration tarifaire en vigueur rendrait payants les appels urbains actuellement gratuits. En Allemagne, la baisse est de 30 p. 100 à l'international, mais l'augmentation est de 5 p. 100 sur les appels interurbains. Que ce soit en Italie ou bien encore aux Pays-Bas, la tendance est la même puisque si, dans ce dernier pays, les appels interurbains ont baissé de 10 p. 100, ils sont en tête du classement mondial pour le prix des appels urbains à la suite d'une hausse de près de 90 p. 100.
En France, les tarifs des communications ont baissé pour les communications internationales et les longues distances nationales. Il n'en est pas de même pour la taxe de raccordement, l'abonnement et les communications locales, qui ont augmenté, après avoir déjà connu une hausse en 1994. L'ouverture à la concurrence implique obligatoirement le rééquilibrage des tarifs, par une augmentation importante de l'abonnement et des liaisons locales afin de rapprocher ceux-ci des coûts réels.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. La première conséquence de l'ouverture à la concurrence sera donc, inéluctablement, l'augmentation de la facture téléphonique de la plus grande partie des usagers.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. Il faudra bien que quelqu'un paie le « dumping » qui va s'opérer entre les grands groupes sur les liaisons longues distances ; ce n'est pas à l'usager de base d'en supporter le coût.
En entérinant la fin du monopole de France Télécom, vous remettez en fait en cause les notions fondamentales et républicaines de péréquation sociale et géographique. Reprenant le vocabulaire bruxellois...
M. Michel Pelchat. C'est le nouveau vocabulaire !
M. Claude Billard. ... votre loi parle d'un « prix abordable » ; c'est une notion pour le moins floue. En fait, par le biais de la hausse des abonnements, vous allez accélérer le transfert de la charge financière des entreprises vers les particuliers, au détriment des usagers les plus modestes.
Votre projet de loi reste aussi volontairement très vague sur la notion de péréquation géographique, importante non seulement pour les particuliers, mais aussi pour l'aménagement du territoire. Les entreprises par exemple, à coup sûr, ne voudront plus s'installer dans les zones où le prix des communications sera plus élevé qu'ailleurs.
M. Gérard Delfau. C'est évident !
M. Claude Billard. Ce processus est inévitable dans une situation de concurrence.
Ce que vous nommez « le déséquilibre tarifaire historique de la tarification française » constitue en fait ce que vous voulez remettre en cause avec l'égalité tarifaire assurée par le service public entre tous les usagers, quelle que soit leur position géographique ou économique. Les appels longues distances permettaient de compenser le coût des communications locales et des missions de service public, les gros consommateurs payaient pour les petits. La perte du monopole ne permettra donc plus d'assurer une réelle péréquation tarifaire.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. C'est bien l'inverse que vous voulez programmer avec la destruction du mode de financement du service public.
La logique veut donc que, sur un marché ouvert à la concurrence, France Télécom, avec ses obligations de service universel, véritable RMI du service public, reste seul à garantir un droit minimum à toutes les catégories de la population en tout lieu du territoire, aussi longtemps que cela ne sera pas jugé suffisamment rentable par ses concurrents.
Mais, placé en compétition avec le secteur privé sur les services à haute valeur ajoutée destinés essentiellement aux entreprises et aux professionnels, l'opérateur public sera inéluctablement contraint de trouver ses équilibres financiers dans la hausse des facturations aux usagers domestiques. C'est cette évolution qui est engagée avec le rééquilibrage entre l'urbain, l'interurbain et l'international, rendue possible par la hausse de l'abonnement, qui a été décidée.
C'est une logique imparable, qui avait d'ailleurs été dénoncée en 1995, dans un rapport bien connu de notre assemblée, et je ne résiste pas au plaisir d'en citer un passage : « Il ne sert à rien de garantir une desserte universelle s'il y a éviction des usagers par les prix. Or la Commission européenne entend manifestement remettre rapidement et totalement en cause la péréquation implicite entre les tarifs locaux et les tarifs longues distances.
« En d'autres termes, la Commission souhaite notamment une augmentation rapide et très forte du coût des communications locales afin d'accroître la concurrence au détriment notamment des consommateurs de base, qui ne passent pas majoritairement des appels internationaux. La totale égalité entre la tarification et les coûts serait socialement encore plus douloureuse puisque environ 60 p. 100 des ménages font perdre de l'argent à France Télécom... ». Ces propos sont tirés du rapport sur les services publics et l'Europe de M. le ministre Franck Borotra.
Autre grave conséquence de la mise en concurrence de l'opérateur public avec des groupes privés : les suppressions d'emplois. La concurrence entre les opérateurs amènera les entreprises à privilégier dans leurs critères de gestion la rentabilité financière maximale et, à court terme, la recherche d'une productivité accrue par la pression sur la masse salariale et l'emploi. Cela sera également valable pour France Télécom soumis aux mêmes règles et qui n'aura plus les moyens d'équilibrer les coûts engendrés par ses obligations de service universel. Vous avez beau prétendre, monsieur le ministre, comme vous l'avez fait sur une station de radio périphérique, que 70 000 emplois pourraient être créés en cinq ans, là encore, les expériences étrangères démentent vos prévisions optimistes.
M. François Fillon, ministre délégué. C'est faux !
M. Claude Billard. En Grande-Bretagne, la déréglementation et l'éclatement de British Telecom ont conduit à la suppression de 100 000 emplois. Le seul concurrent notable, Mercury, a lui aussi licencié.
Deutsche Telekom envisage, pour sa part, plusieurs dizaines de suppressions d'emplois. Aux Etats-Unis, American Telecom en prévoit 40 000.
M. François Fillon, ministre délégué. Puis-je vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Claude Billard. Certainement, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. François Fillon, ministre délégué. Je voudrais simplement demander à M. Billard combien d'emplois ont été créés aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne chez les nouveaux opérateurs. Quand il connaîtra ces chiffres, il constatera que le solde est positif.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Billard.
M. Claude Billard. Le solde n'est pas positif et ne le sera pas compte tenu des suppressions d'emplois qui sont déjà programmées.
M. François Fillon, ministre délégué. Mais si, il est positif !
M. Claude Billard. Non, je ne partage pas votre point de vue. Les mêmes causes auront les mêmes effets, et on voit mal comment notre pays échapperait à cette logique. Vous avez vous-même avancé, devant le secrétaire général de Force ouvrière, le chiffre de 30 000 postes excédentaires.
Un autre aspect du caractère nocif de votre projet de loi est d'imposer des obligations à France Télécom qui désavantageraient l'opérateur public par rapport à ses futurs concurrents, eux-mêmes nettement favorisés dans la compétition acharnée qui s'instaure.
Je ne prendrais que quelques exemples.
Ainsi, en ce qui concerne la possibilité de proposer sur le câble des services de télécommunications, France Télécom serait très désavantagé puisqu'il a réalisé 25 milliards de francs pour l'établissement du réseau câblé et qu'elle ne recevrait que 350 millions de francs des câblo-opérateurs pour la location des réseaux câblés à des fins audiovisuelles. Voilà un bel exemple d'investissements très lourds supportés par une entreprise publique et qui bénéficieraient à peu de frais à des intérêts privés.
L'ouverture desdits réseaux aux services téléphoniques risque d'entraîner une véritable captation des investissements réalisés par l'Etat au profit d'un écrémage par d'autres opérateurs du marché des abonnés au câble.
Autre exemple : à l'Assemblée nationale, vous avez accepté un amendement qui, en substituant à la notion de domaine public celle de voie publique, conduit à exclure les publiphones les plus rentables, comme ceux des gares et des aéroports, du champ du service public. C'est encore là une façon d'avantager des intérêts privés en leur réservant des créneaux rentables.
Il en va de même pour cet autre amendement qui exonère les opérateurs de radiocommunication mobile - il s'agit notamment de la SFR et du groupe Bouygues - d'une partie du financement du service universel et de la contribution additionnelle liée à la résorption du déséquilibre tarifaire. Comme vous l'aviez crûment déclaré dans une interview à un grand quotidien économique, il s'agissait, selon votre propre expression de « donner un coup de pouce supplémentaire » à ces groupes privés.
En ce qui concerne l'autorité de régulation, qui aura pouvoir sur les tarifs d'interconnexion et en matière d'arbitrage, on peut penser que, là aussi, le projet de loi met en place un dispositif de nature à rassurer les nombreux opérateurs privés.
L'instauration de cette autorité, en apparence indépendante, s'inspire des modèles anglo-saxons ultralibéraux et s'appuie, en France, sur un courant de pensée selon lequel l'Etat doit abandonner certains de ses pouvoirs de préservation de l'intérêt général.
Ainsi, la compétence de fixer les tarifs d'interconnexion, qui ont une importance stratégique, serait confiée à une autorité qui serait en fait jugée sur sa capacité à établir la concurrence et dont la vocation serait, au bout du compte, de faire baisser les parts de marché de France Télécom.
J'ajoute que le fait de voir des personnalités inamovibles et n'ayant de comptes à rendre à personne réglementer et contrôler le secteur des télécommunications est profondément antidémocratique.
Au demeurant en créant cette autorité qui fixerait les règles du jeu tout en étant arbitre, votre texte va encore plus loin que ne l'exigent les directives européennes en matière de compétences des autorités de régulation.
Cela est révélateur de votre démarche générale : dans ce domaine, vous avez choisi non seulement de ne pas résister mais encore de surenchérir sur les exigences de la Commission européenne.
Invoquer les engagements européens de la France pour justifier que nous soyons contraints de déréglementer le secteur des télécommunications n'est donc pas un argument recevable.
En effet, les traités fondant l'Union européenne n'impliquent pas obligatoirement la libéralisation du marché des télécommunications. Même si le traité de Rome, confirmé en la matière par celui de Maastricht, ne reprend qu'incidemment, en son article 77, le terme de « service public », il faut se rappeler que l'article 90 du traité de Rome utilise notamment la notion de « service économique d'intérêt général » qui en recouvre pratiquement le contenu. Il existe donc dans les textes européens des moyens juridiques de lutter contre la mise en cause de nos services publics par la concurrence.
Je relève que le Gouvernement a, sur ce sujet, capitulé en rase campagne, car, contrairement à l'engagement pris au mois de décembre par le Premier ministre, il a renoncé à inscrire dans la Constitution la notion de service public qui les protégerait et n'a entrepris aucune démarche, dans le cadre de la conférence intergouvernementale, pour faire inscrire dans les traités une définition des services publics conforme à l'acceptation française de cette notion.
L'obligation d'ouvrir à la concurrence l'ensemble des activités économiques de la Communauté n'est fondée que sur la volonté politique de la Commission et des gouvernements, qui interprètent de manière très restrictive l'article 90, voulant sacrifier à tout prix les monopoles publics sur l'autel de l'argent-roi et des intérêts privés.
Non, les enjeux contemporains du développement des télécommunications ne nécessitent aucunement le démantèlement du service public. Ces enjeux ne sont pas qualitativement différents de ceux qui avaient conduit à confier ce secteur à une entité de service public bénéficiant d'un monopole.
Il s'agit aujourd'hui, après que le téléphone a été developpé, avec la qualité que l'on sait, à l'échelle du pays, d'aménager le territoire en réseaux donnant accès aux nouveaux services de transmission des données, d'images et de sons.
Il est impératif, étant donné l'importance économique et sociale de ce secteur, de le faire suivant les principes mêmes de défense de l'intérêt général dont est porteur le service public : en assurant, en particulier, une égalité d'accès aux services en tout lieu du territoire, pour toutes les catégories d'usagers, ce qui constitue un facteur de lutte contre les inégalités de toutes sortes, qu'elles soient sociales, économiques ou encore régionales.
C'est dans cette optique que se situe le groupe communiste républicain et citoyen. C'est cette conception de l'activité des télécommunications au service du développement de la société et des hommes qui fonde notre conviction selon laquelle il faut aujourd'hui préserver l'existence d'un monopole public sur les infrastructures et équipements de réseaux.
Cette conviction ne nous amène nullement à nier la nécessité d'établir de nouveaux rapports entre le pôle organisateur que doit être l'opérateur public et ceux qui fournissent les services et informations circulant sur les réseaux.
Nous ne sommes pas pour le statu quo. Au contraire, nous sommes pour un service public sachant se rénover et évoluer à la fois vers la décentralisation et la démocratisation pour répondre au mieux aux besoins des populations, un service public également capable de véritables coopérations à l'échelle de l'Europe.
Ce sont là les réponses qu'il est nécessaire et possible d'apporter aux défis auxquels est confronté aujourd'hui le secteur des télécommunications. Elles sont incompatibles avec votre projet de loi, monsieur le ministre, et c'est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'histoire de l'humanité nous enseigne que le développement de la civilisation et le progrès économique ont toujours été étroitement liés au développement des moyens de communication.
Ce n'est pas être grand prophète que d'affirmer que la prochaine décennie et, sans doute, tout le début du XXIe siècle seront marqués par l'explosion des télécommunications.
La progression prévisible pourrait être symbolisée par celle qu'évoquait récemment M. John Patrick, vice-président d'IBM, concernant le nombre d'utilisateurs d'Internet qui, de 30 millions aujourd'hui, pourrait, dans les cinq ans à venir, atteindre 500 millions. Le secteur des télécommunications représentera, selon certaines estimations, 10 p. 100 du PIB mondial en l'an 2 000.
M. Michel Pelchat. C'est faux !
Mme Danièle Pourtaud. La France a su, grâce à la forte implication de l'Etat et en s'appuyant sur la doctrine des services publics, développer de puissants réseaux d'infrastructures. Qu'il s'agisse des routes et des autoroutes, des chemins de fer, de l'énergie ou du téléphone, ces réseaux d'infrastructures ont puissamment contribué au développement économique de notre pays en y associant l'ensemble du territoire et l'ensemble des citoyens.
Depuis 1993, j'insiste sur cette date, les gouvernements de droite ont entrepris de casser, secteur après secteur, ce modèle, que je qualifierai, en paraphrasant le Président de la République, de « modèle social français ». Vous avez entrepris de le casser au nom, il faut le dire, de l'idéologie libérale et de son credo unique : la libre concurrence, censée satisfaire les besoins de tous, mais qui, les Français le savent bien, ne profite qu'à quelques grands groupes.
En fait, vous nous proposez un véritable changement de société pour faire entrer la France dans un monde fondé sur la libre concurrence et des services publics réduits au minimum ; certains ont parlé de « voiture-balai ». L'Europe n'est utilisée ici que comme prétexte.
Sinon, pourquoi tant de précipitation, alors que, parallèlement, vous prétendez négocier dans le cadre de la conférence intergouvernementale la reconnaissance des services publics au niveau européen ?
J'ajoute que le rapport de M. Renaud Denoix de Saint-Marc sur le service public, qui a visiblement fortement inspiré votre projet de loi, prévoit « la nécessité d'inscrire » les fondements du service public dans le traité d'Union européenne. Il deviendrait ainsi plus clair que la construction européenne se fonde sur les deux piliers du « marché et de la cohésion ».
Si, comme vous le prétendez, votre objectif est de préserver le service public, pourquoi ne pas faire porter tous les efforts du Gouvernement sur cette négociation européenne et vous en prévaloir pour garder en France nos services publics structurants et garants à la fois du progrès économique et de la cohésion sociale ?
Face aux enjeux économiques mais aussi sociaux de la civilisation de l'information, vous l'aurez compris, monsieur le ministre, votre texte ne nous paraît pas accepttable.
Ce projet de loi ne nous semble pas, en effet, garantir la pérennité du service public : il amorce le désengagement de l'Etat, dont vous nous proposerez l'étape suivante dès la semaine prochaine, avec le projet de loi sur le changement de statut de France Télécom, et il porte en germe le risque de voir casser l'opérateur France Télécom, qui se situe aujourd'hui au quatrième rang mondial.
Il s'agit donc d'un texte qui non seulement ne garantit pas la pérennité du service public mais risque en outre d'instaurer le « téléphone à deux vitesses ».
Il est proclamé, à l'article 2, que « les activités de télécommunications s'exercent librement ». Le secteur sera donc, au 1er janvier 1998, ouvert totalement à la concurrence, et vous nous avez dit, monsieur le ministre, que votre texte visait à protéger le service public au sein de ce secteur dérégulé. Malheureusement, cette pétition de principe ne résiste guère à l'examen.
Il n'est pas inutile de rappeler, d'abord, que 90 p. 100 des Français sont aujourd'hui contents du téléphone.
Le service public, est caractérisé en France par quelques grands principes : j'en citerai quatre.
Premier principe : l'égalité d'accès pour tous, c'est-à-dire la péréquation sociale et la péréquation géographique, autrement dit le droit d'être raccordé au téléphone au même prix, que l'on habite au centre de Paris ou à... Sablé-sur-Sarthe. (Sourires.)
M. Michel Pelchat. Au hasard !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Ou à Rambouillet !
Mme Danièle Pourtaud. Deuxième principe : un prix abordable.
Troisième principe : l'adaptabilité, ce qui signifie la constante modernisation, non pas au service de quelques-uns mais au service de tous.
Quatrième principe : la prise en compte de l'intérêt général.
Or votre texte, en saucissonnant la notion de service public entre service universel, services obligatoires et missions d'intérêt général, la dénature totalement pour cacher la réalité : un service public réduit à sa portion congrue, le service universel, qu'en d'autres temps, pas si éloignés, comme cela vient d'être rappelé, votre collègue M. Borotra qualifiait lui-même de conception « misérabiliste » du service public.
On peut légitimement craindre l'instauration à terme d'un téléphone à deux vitesses, le service public n'étant, en réalité, plus constitué que par le téléphone de base entre points fixes.
En effet, seuls les prix du service universel devront rester abordables et seront surveillés par l'Etat. Les services obligatoires seront certes fournis sur l'ensemble du territoire mais leurs prix seront libres.
Ainsi, qu'il s'agisse de téléphone mobile ou de l'accès aux réseaux à forte capacité qui donneront accès aux autoroutes de la communication ou, plus généralement, à la société de l'information, il n'est plus question d'en rendre l'accès possible à tous les citoyens.
Pis, on peut craindre que, contrairement à ce qu'annonce le Gouvernement, la grande majorité des petits consommateurs ne voient leur facture augmenter, tandis que les gros utilisateurs, c'est-à-dire principalement les entreprises, bénéficieront de la concurrence.
En effet, afin de permettre l'entrée de nouveaux opérateurs, le projet de loi prévoit l'augmentation des tarifs de l'abonnement pour résorber ce que l'on nomme pudiquement les « déséquilibres de la structure tarifaire ». Je vous rappelle qu'aujourd'hui encore la France a l'abonnement le moins cher de toute l'Europe.
Le mouvement est d'ailleurs déjà entamé puisqu'on est passé de 35 francs hors taxes par mois en 1994 à 53 francs et qu'il est prévu de passer à 70 francs, voire à 90 francs hors taxes, c'est-à-dire à 110 francs toutes taxes comprises, avant l'an 2000, selon le souhait des députés. Ce mouvement a été en outre accompagné du raccourcissement de la durée de la communication de base.
Le Gouvernement parle de baisse du coût du panier moyen des communications et focalise l'attention des consommateurs sur la baisse des communications internationales. Mais, là encore, qui en bénéficie ? Avant tout, les entreprises.
La hausse sera en revanche importante pour les 10 millions d'abonnés faibles consommateurs, dont on sait qu'il s'agit de personnes âgées ou à ressources modestes, pour lesquelles l'abonnement représente aujourd'hui au moins 50 p. 100 de la facture.
C'en est donc fini de l'égalité d'accès, de la péréquation géographique et de l'adaptabilité.
Enfin, la pérennité du service universel n'est pas assurée. On peut en effet craindre que l'affaiblissement de l'opérateur France Télécom qui doit résulter de ce texteou sa soumission aux règles du marché financier après sa privatisation partielle ne l'obligent à renoncer à fournir ledit service universel.
Enfin, on peut légitimement éprouver quelques inquiétudes quant au devenir de ce que le projet de loi appelle « les missions d'intérêt général », en particulier l'enseignement supérieur et la recherche, à la lumière du désengagement actuel de l'Etat du secteur de la recherche.
Par ailleurs, ce projet de loi marque, avec la création de l'ART, la première étape du désengagement de l'Etat, qui se poursuivra par la privatisation partielle de France Télécom.
Votre philosophie politique amène votre majorité à rechercher systématiquement l'amoindrissement du rôle de l'Etat, que ce soit par la réduction des moyens budgétaires d'intervention ou par le dessaisissement de ses missions. La création de l'ART en est une illustration.
Vous nous proposez la création d'une nouvelle autorité, dotée du pouvoir de sanction, indépendante de l'Etat puisque ses membres sont inamovibles, nommés pour six ans et non renouvelables.
Cette autorité est surprenante et contestable, tant dans son principe que dans sa composition et ses missions.
Les seuls exemples en droit français d'autorités de régulation sont, me semble-t-il, la Commission des opérations de bourse, la COB, et le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA. L'ART semble plus s'inspirer du CSA, mais on peut se demander pourquoi.
Créer une autorité pour affirmer l'indépendance des médias audiovisuels par rapport à l'Etat et couper le fameux cordon ombilical avait avant tout une valeur symbolique. Je dirai que, avant d'être le gendarme du secteur, le CSA a eu pour principale fonction, aux yeux de l'opinion, de nommer le président de France Télévision.
Plus fondamentalement, les trois attributs les plus usuels de ce genre d'autorité sont : l'attribution des licences, la régulation du marché entre secteur public et secteur privé, la surveillance du respect de leur cahier des charges par les opérateurs publics et privés, avec le pouvoir de sanctionner les manquements.
En revanche, il ne semble pas légitime de transférer sur une autorité indépendante une partie du pouvoir réglementaire, l'Etat étant, en particulier, le garant de l'intérêt général à travers le principe d'égalité et le principe de neutralité, qui sont des principes fondamentaux du service public et du pacte républicain.
Or cette nouvelle autorité de régulation n'attribue pas les licences. En revanche, elle est investie d'une partie du pouvoir réglementaire ; en particulier associée à la définition du service public, elle propose les modalités de son financement, que le Gouvernement ne fait que constater. Montesquieu, avec sa théorie de la séparation des pouvoirs, y perdrait son latin !
Par ailleurs, sa composition - cinq membres, dont trois nommés par décret par le Gouvernement - rend le dessaisissement de l'Etat encore moins justifié. Elle ne garantit pas la prise en compte de l'intérêt général, notamment celui des consommateurs. On peut aussi s'étonner que, pourvue d'un pouvoir de sanction, elle ne comprenne aucun magistrat. Nous y reviendrons lors de l'examen de nos amendements.
Le désengagement de l'Etat aboutira inéluctablement à la prédominance des intérêts privés sur l'intérêt général dans le secteur des télécommunications.
Or la France est le seul pays à avoir pu mettre gratuitement à la disposition de la population le minitel, ancêtre d'Internet. Croyez-vous que cela aurait pu être possible avec une entreprise dont 49 p. 100 du capita aurait été détenu par le privé ?
Nos concitoyens savent bien que nos intérêts privés ne s'investissent pas au nom de l'intérêt général. Ils savent aussi que, derrière l'ouverture des télécommunications à la concurrence, se cache la guerre de grands groupes privés dont ils seront eux-mêmes les victimes.
Et que dire de l'emploi, qui, selon le Gouvernement, est une « priorité » ? On connaît les effets bénéfiques qu'ont eus les situations de concurrence pour les salariés dans la plupart des pays. British Telecom a supprimé 100 000 emplois en dix ans, Deutsche Telekom va an supprimer 60 000 en cinq ans, et ne parlons pas des Etats-Unis, où les suppressions d'emplois se comptait par centaines de milliers. France Télécom prévoyait depuis quelque temps 2 000 à 3 000 suppressions de postes d'ici à l'an 2000, mais, le 29 mai, monsieur le ministre, vous avez annoncé 20 000 départs anticipés sur dix ans en plus des quelque 35 000 agents qui prendront normalement leur retraite.
Ces emplois seront effectivement supprimés si vous menez à bien votre projet de privatisation de France Télécom. En revanche, les 70 000 emplois dont vous prévoyez la création dans le secteur privé ne sont même pas des promesses puisqu'ils ne dépendent pas de vous, mais sont simplement des supputations.
Par ailleurs, de l'avis même du Conseil de la concurrence, les frontières de compétences mal définies entre ce conseil et l'autorité de régulation des télécommunications, l'ART, risquent de provoquer une insécurité juridique pour les opérateurs.
Laissez-moi enfin vous exprimer une dernière inquiétude concernant les pouvoirs de l'autorité de régulation.
Elle sera aussi associée aux négociations internationales. Là encore, on peut s'étonner, tant il est vrai que c'est à l'Etat de défendre les intérêts de la France dans les négociations internationales, je pense en particulier aux difficiles négociations engagées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, qui devraient aboutir à une dérégulation mondiale des télécommunications.
Enfin, et ce sera mon troisième et dernier point, au nom de la concurrence à tout prix, le projet de loi prend le risque d'affaiblir ou de casser le plus grand opérateur français : France Télécom.
Permettez-moi, là encore, monsieur le ministre, de citer Renaud Denoix de Saint-Marc : « La concurrence est un moyen et non une fin. L'exemple britannique souvent cité ne saurait tenir lieu de référence car il repose sur l'idée que la concurrence doit être introduite dans la plus grande mesure possible. »
A la lecture du projet de loi, et en écoutant la présentation que vous en avez faite tout à l'heure, on a malheureusement l'impression que vous n'avez pas suivi ce conseil et que vous avez effectivement cherché à suivre l'exemple britannique et à introduire la concurrence « dans la plus grande mesure possible », sans que rien ne l'impose.
Nous avons, avec France Télécom, opérateur public, une société que tout le monde nous envie. France Télécom est aujourd'hui le quatrième opérateur mondial ; sa technologie, son efficacité ne sont plus à prouver. L'absence de liens capitalistiques n'a pas empêché la conclusion d'accords internationaux avec Deutsche Telekom et Sprint.
Depuis la réforme de 1990, France Télécom a accru son chiffre d'affaires de 1,5 million de francs par an en moyenne. Globalement, le désendettement a été massif, de 25 milliards de francs. France Télécom a connu une baisse de ses tarifs de 3 p. 100 par an en francs constants, cela en accroissant sa productivité. Tout en maintenant l'ensemble de son personnel, France Télécom dispose d'une productivité supérieure à celle de British Telecom, qui annonce encore la suppression de 50 000 emplois. Cette situation a permis à l'opérateur public de réaliser les investissements nécessaires à son développement, qui s'élèvent à 30 milliards de francs par an.
Par ailleurs, la possibilité d'effectuer des investissements à long terme a permis à France Télécom de se doter d'un pôle de recherche extrêmement important, le Centre national d'études, le CNET. Aujourd'hui, la France dispose ainsi du plus grand réseau numérique du monde et d'une position mondiale au travers des différentes coopérations nationales.
Or, dans le projet de loi, loin de chercher à renforcer cette réussite, vous semblez considérer que France Télécom est en « abus de situation dominante » et que l'urgent, et l'essentiel, est de l'affaiblir.
Nous sommes, vous l'avez dit, monsieur le ministre, dans une bataille mondiale de parts de marché. Jugez-en plutôt. Il y a quinze jours, lors de la conférence de Midrand, en Afrique du Sud, sur la société de l'information, le vice-président américain, Al Gore, a annoncé que les Etats-Unis allaient consacré 15 millions de dollars au développement de l'accès à Internet dans une vingtaine de pays africains, de manière à « accélérer la participation de l'Afrique à la société de l'information globale ». Comme on ne peut guère soupçonner M. Al Gore d'être uniquement animé par la philantropie, il semble évident qu'il s'agit là d'investissements destinés à réserver des parts de marchés.
Les télécommunications sont certainement le secteur économique amené à connaître le plus gros développement dans les années à venir. Pourtant, les risques d'affaiblissement de France Télécom, sous-jacents dans le texte que vous nous proposez, sont importants sans que, malgré tous vos efforts, l'on soit certain de voir apparaître d'autres opérateurs français de taille mondiale. Je citerai quelques exemples.
Tout d'abord, en laissant les segments du marché les plus porteurs à la concurrence, vous allez affaiblir France Télécom et l'inciter à procéder à des restructurations qui réduiront, à terme, sa capacité d'innovation et d'investissement.
Par ailleur, le projet de loi, dans le calcul des charges d'interconnexion, ne prévoit pas explicitement la prise en compte de l'amortissement des investissements réalisés par France Télécom dans les réseaux. C'est un appauvrissement considérable pour France Télécom et cela risque fort de décourager, également à terme, ses investissements dans la modernisation du réseau.
M. Roland du Luart. Il y en a qui ont la mémoire courte !
Mme Danièle Pourtaud. Autre exemple, des charges particulières sont imposées à France Télécom, en particulier la publication de ses offres tarifaires et techniques d'interconnexion.
En fait, en étudiant toutes les dispositions contenues dans le projet de loi pour lutter contre la position dominante de France Télécom et permettre une entrée plus facile sur le marché à ses concurrents, j'ai irrésistiblement pensé à ce qui s'est passé il y a quelques années dans le secteur de l'audiovisuel et qui a abouti à la faillite de la société française de production, la SFP.
En effet, afin de faire émerger un secteur de production indépendant, on a contraint les chaînes de télévision à acheter au moins 10 p. 100 de leur programmation à la production indépendante pour lutter contre la position dominante de la SFP. Or, quelques années plus tard, la SFP n'avait même plus 10 p. 100 des commandes des chaînes, et l'on connaît le résultat. Je trouve dommage que l'on prenne, toutes proportions gardées bien entendu, le même risque pour France Télécom.
La France doit donc se préparer, nous en sommes d'accord, monsieur le ministre, à prendre sa place dans le développement international des télécommunications. Mais là s'arrête notre accord : sur les moyens, nous ne pouvons en aucun cas vous suivre.
En effet, face aux défis que je viens d'évoquer, votre projet de loi nous propose comme une baguette magique qui tout à la fois permettra, selon vous, à la France de se renforcer dans la compétition internationale et d'accroître la satisfaction des usagers, j'ai nommé la libre concurrence, qui jouera au détriment du service public, réduit au service universel.
Nous pensons exactement l'inverse. Nous pensons que c'est le service public qui, parce qu'il est un facteur de cohésion économique et sociale, parce qu'il est un puissant moteur d'aménagement du territoire, permet le progrès économique et la compétitivité de l'ensemble de l'économie nationale.
Par ailleurs, nous estimons qu'avec ce texte votre gouvernement prend le risque - à moins que ce ne soit un souhait - de casser la plus grande entreprise française dans le secteur, au profit d'autres groupes désireux d'entrer sur le marché et, éventuellement, de sociétés étrangères, alors que la conférence intergouvernementale n'a pas encore abouti à l'inscription des « fondements du service public » dans le traité sur l'Union européenne, ce que bien entendu nous souhaitons.
Notre crainte, si ce garde-fou n'est pas établi, c'est qu'effectivement la concurrence se développe au détriment de la satisfaction des missions de service public, et pas seulement au détriment de l'opérateur, et que le tristement célèbre « 22 à Asnières » de Fernand Reynaud ne redevienne une réalité, certes pas à Asnières, mais à... Sablé, par exemple. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
M. Roland du Luart. Ne vous inquiétez pas pour Sablé !
Mme Danièle Pourtaud. Dans ces conditions, vous le comprendrez, monsieur le ministre, le groupe socialiste votera contre ce projet de loi. Nous vous proposerons néanmoins des amendements tendant à modifier l'esprit de ce texte en renforçant le service public. Parmi ces amendements, je tiens à le préciser, certains ont déjà été défendus à l'Assemblée nationale par le groupe socialiste mais aussi par certains membres de la majorité.
Avec Jaurès, nous pensons que « les sociétés humaines doivent trouver leur équilibre par le haut », ce qui n'est malheureusement pas le sens de votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Monsieur le ministre, il me semble que vous êtes maintenant dans l'obligation d'inviter Mme Pourtaud à Sablé, car ce n'est que sur place qu'elle pourra constater les efforts qui auront été faits ! (Sourires.)
M. Roland du Luart. M. le ministre l'invitera certainement !
M. Michel Pelchat. Avec Jaurès !
M. le président. La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la voie est étroite. D'une part, nous voulons préserver la prééminence de notre opérateur public sur notre marché national, ce qui est non seulement naturel mais aussi primordial pour la place de notre pays dans l'Europe du xxie siècle. D'autre part, les règles du marché s'imposant de plus en plus rapidement et avec de plus en plus de force, il nous faut définir une réglementation qui, à la fois, permette à France Télécom, comme ce fut le cas avec d'autres opérateurs nationaux d'Europe, de conserver sa première place dans son pays d'origine, et respecte les règles d'une saine concurrence afin que notre droit, au travers de recours contentieux, ne nous soit pas dicté peu à peu par la Cour européenne de justice ou par la Commission de Bruxelles.
La voie à suivre est d'autant plus mal aisée à tracer que les balises qui devraient la border changent continuellement de place. En effet, les technologies qui entourent non seulement les télécommunications mais aussi l'informatique et l'image, étroitement imbriquées dans les changements qui feront notre monde de demain, évoluent si rapidement, les capitaux mis en jeu sont d'une telle importance - une importance sans précédent dans une économie moderne en temps de paix - et les stratégies planétaires sont encore si mal définies que nous nous trouvons dans l'impossibilité de dessiner avec précision ce que sera le paysage des télécommunications d'ici seulement quatre ans, quand nous entrerons dans le xxie siècle.
Pour ce qui est de la concurence mondiale, nous sommes un peu dans la situation du pilote d'un avion long-courrier qui, en décollant, ne saurait pas sur quel aéroport il devra se poser au bout de son voyage, et pire encore, ne saurait même pas si cet aéroport est déjà construit et si les installations d'approche seront compatibles avec ses appareils de bord afin de lui permettre une approche par tout temps. Car, de toute façon, il ne sait qu'une seule chose : un vrai temps de chien l'attend à destination ! (Sourires.)
Par ce projet de loi sur la réglementation des télécommunications, nous allons essayer de définir le cap que vont devoir suivre les pilotes de ce secteur stratégique des télécommunications. Nous allons aussi essayer d'allumer le plus grand nombre de balises ; mais, il faut avoir l'humilité de le reconnaître, nous n'avons pas encore pu définir les protocoles mondiaux qui permettraient à l'ensemble du secteur des télécommunications de se poser sans dommage à la fin du long et périlleux voyage qu'il entreprend aujourd'hui.
En effet, la montée en puissance des réseaux Internet et Intranet à l'échelle mondiale, la capacité que pourrait acquérir l'informatique à capter les trafics vocaux dans ces prochaines années, le développement ou non des network computers , qui décideront de l'endroit où se placera l'intelligence demain, soit dans les terminaux, soit dans les réseaux, mais aussi le lancement de très nombreux satellites de communication sont autant de paramètres, parmi beaucoup d'autres, qui auront une influence considérable sur l'avenir de l'ensemble du secteur des télécommunications, selon les options qui auront été finalement retenues.
Il faut comprendre la crainte de ceux qui sont dans l'obligation aujourd'hui de s'embarquer pour un tel voyage. Depuis de nombreuses décennies, respectant des règles internes très précises, nous connaissions toutes les conditions du vol avant même notre départ et, ainsi, il n'y avait pour ainsi dire aucune place à l'incertitude. A tous ceux qui s'embarquent aujourd'hui pour ce voyage, il nous faut dire avec force que, tous ensemble, nous allons nous mobiliser jour après jour, pendant toutes ces prochaines années, pour que ce voyage, qui les fera entrer dans un monde nouveau, se déroule sans heurts et qu'ils puissent arriver à bon port, c'est-à-dire entrer dans le troisième millénaire dans les meilleures conditions.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. René Trégouët. Dans ce débat sur la réglementation des télécommunications, j'interviendrai successivement sur quatre points. En premier lieu, je traiterai de la définition du service universel et, en deuxième lieu, du nécessaire défi qui doit être lancé pour accélérer l'implantation du téléphone mobile sur l'ensemble de notre pays, afin que nous réussissions l'aménagement du territoire du xxie siècle.
En troisième lieu, je vous ferai part de quelques réflexions sur la responsabilité concernant les contenus portés par les réseaux de télécommunication.
Enfin, en quatrième lieu, je conclurai sur la manière dont il faut préparer les Français à exercer les métiers de demain par l'acquisition de savoirs nouveaux grâce aux outils modernes de télécommunication.
Parlons tout d'abord du service universel. Le texte qui nous est soumis limite le service universel à la fourniture d'un service téléphonique de base, d'un annuaire et de cabines téléphoniques publiques. Il en exclut clairement Numeris, puisqu'il place l'accès au réseau numérique à intégration de services, le RNIS, dans les services obligatoires.
Bien que je comprenne la position des autres pays européens qui, ne disposant pas encore de cette technologie, ne peuvent l'intégrer dans leur propre définition du service universel, je pense qu'il est dommageable, pour la réussite de l'aménagement du territoire de notre pays et pour l'avenir de France Télécom, que nous n'ayons pas la volonté d'intégrer dès maintenant le RNIS dans le service universel.
M. Gérard Delfau. Evidemment !
M. René Trégouët. Pourquoi est-ce dommageable pour l'aménagement du territoire ? Pour des raisons évidentes d'équité.
M. Gérard Delfau. Bien sûr !
M. René Trégouët. Les entreprises doivent pouvoir accéder, à même coût - ce qui ne sera pas le cas dans le service obligatoire - à des lignes numériques, quel que soit leur lieu d'implantation. Ces lignes RNIS sont devenues ou vont devenir très prochainement le service de base de très nombreuses entreprises, même parmi les plus petites. Comment expliquerons-nous qu'une entreprise installée à Aurillac ou à Barcelonnette doive payer beaucoup plus cher qu'une entreprise de Paris ou de Lyon pour disposer d'une ligne Numéris,...
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. René Trégouët. ... alors que très bientôt ces lignes leur seront aussi indispensables que l'est l'électricité aujourd'hui ?
Par ailleurs, il est grand temps pour France Télécom d'amortir très rapidement le RNIS, qui a été inventé il y a quinze ans déjà et pour lequel notre opérateur public a réalisé d'importants investissements au cours des dernières années.
Si nous attendons le rendez-vous dans trois ou quatre ans pour placer le RNIS dans le service universel, il est alors à craindre que ce ne soit trop tard. En effet, en intégrant Numéris immédiatement dans le service universel, nous aiderions France Télécom à amortir beaucoup plus rapidement tous les investissements déjà réalisés dans cette technologie, et nous l'inciterions à entrer dès maintenant sur le champ où se déroulera la véritable bataille de demain : celui des larges débits. En effet, l'explosion d'Intranet, qui est maintenant une certitude, la montée en puissance prévisible de l'approche « Network computer » et l'exigence de plus en plus forte des usagers de pouvoir télécharger des images animées de haute définition sans temps d'attente vont faire que les débits de 155 mégabits - il faut rappeler que le débit de Numéris n'est que de 64 K - vont très vite devenir des débits standards.
En intégrant Numéris dans le service universel, nous enverrions un message très fort à l'ensemble des équipes de France Télécom, non seulement en leur permettant de garder la première place en France en nombre d'abonnés, mais aussi en les incitant à rester au niveau technologique l'un des meilleurs spécialistes mondiaux, ce qui sera très précieux demain pour France Télécom afin de conquérir de nombreuses parts de marché au niveau international.
Abordons maintenant le second point : pourquoi est-il nécessaire d'accélérer l'implantation du téléphone mobile sur l'ensemble de notre territoire ?
Au cours des dernières semaines, en ma qualité de rapporteur spécial des budgets des télécommunications, de l'espace mais aussi de la recherche, j'ai rencontré plusieurs grands acteurs qui préparent le futur paysage des télécommunications non seulement au niveau national, mais aussi au niveau mondial.
Ainsi, malgré l'échec aujourd'hui du lancement de notre première fusée Ariane 5, échec qui sera vite effacé, j'en suis convaincu, tant les hommes qui animent ce programme sont compétents et passionnés, oui, malgré cet échec, de très nombreux satellites de télécommunications seront lancés, soit en orbite géostationnaire, soit en orbite basse, dans les prochaines années. Un très grand nombre d'entre eux seront des satellites de télécommunications directes, ce qui veut dire qu'avec un portable et à des coûts qui baisseront très rapidement chacun d'entre nous, quel que soit l'endroit où il se trouvera, pourra communiquer avec le reste du monde.
Aussi, en raison de l'urgence, il est important que nous prenions conscience qu'il n'est plus possible de conserver le même rythme, donc les mêmes règles, pour finir la converture de l'ensemble de notre territoire national par un réseau de téléphonie mobile numérique.
Il faut que, au nom du Gouvernement, monsieur le ministre, vous lanciez un défi pour que, avant l'an 2001, l'ensemble de notre territoire soit couvert par un réseau de téléphonie mobile numérique. Si nous ne lançons pas ce défi, nous laisserons alors largement ouverte la porte à la concurrence venant sinon des cieux, du moins des satellites.
En effet, les réseaux satellitaires permettront des échanges internationaux sans passer par les réseaux filaires terrestres : c'est une part non négligeable des trafics à longue distance qui pourrait ainsi échapper aux opérateurs couvrant le territoire français.
Je sais qu'il nous est encore difficile d'intégrer dans nos réflexions ce réseau planétaire qui, dans quelques années, couvrira l'ensemble de la surface de notre globe. Il nous faut pourtant bien comprendre en ce jour, alors que nous définissons les règles qui dessineront le paysage national de nos télécommunications, que l'avenir de nos réseaux nationaux filaires et celui de nos réseaux téléphoniques portables sont intimement liés et totalement complémentaires en vue de résister à l'assaut qui viendra très bientôt des satellites.
Si la couverture de notre territoire national en ce qui concerne les appareils portables est mitée, cela voudra dire, dans le raisonnement planétaire de demain, qu'il sera plus facile de téléphoner à un Touareg dans le Sahara qu'à un Basque dans les Pyrénées avec nos réseaux filaire et portable nationaux. Si notre téléphone portable terrestre nous permet d'appeler demain à la fois le Touareg et le Basque, alors, nous aurons gagné. Mais si, demain, seul le portable satellitaire nous donne cette possibilité, alors oui, c'est le téléphone satellitaire qui l'emportera.
Oui, il y a là un véritable défi, et c'est pourquoi je vous demande de prévoir, pour le 1er octobre 1997, un grand rendez-vous, dont vous auriez la responsabilité, monsieur le ministre, et qui permettrait à la France d'arrêter solennellement un programme en vue de rattraper, avant le 1er janvier 2001, le retard qu'elle a pris par rapport à la plupart de ses concurrents anglo-saxons dans le domaine de la téléphonie mobile.
Ce défi pourrait être relevé en changeant les règles qui ont prévalu jusqu'à ce jour. Pour couvrir les régions les moins peuplées, les opérateurs nationaux de téléphonie portable pourraient être incités à unir leurs efforts pour investir dans un seul réseau numérique, et non dans trois comme actuellement. En contrepartie, les zones couvertes par ce réseau numérique unique seraient ouvertes à l'itinérance, c'est-à-dire que, quel que soit l'opérateur choisi par l'abonné, celui-ci pourrait accéder au réseau du téléphone mobile. Bien entendu, pour ne pas fausser, au niveau national, les règles de concurrence, cette itinérance ne serait possible que dans ces régions peu peuplées où les opérateurs auraient cofinancé le réseau numérique unique.
Pour inciter les opérateurs nationaux de téléphonie mobile à couvrir l'ensemble du territoire avant le 1er janvier 2001, les décisions prises lors de ce grand rendez-vous d'octobre 1997 pourraient permettre à ces compagnies d'être exonérées de certaines charges prévues par le texte dont nous commençons l'examen aujourd'hui au sein de notre assemblée.
Je vous demande instamment, monsieur le ministre, d'accepter ce rendez-vous d'octobre 1997 sur l'avenir du radiotéléphone mobile dans notre pays.
Ce rendez-vous aura l'avantage de ne rien coûter aux finances publiques et il montrera au monde que la France a la volonté, sans tarder, de relever les défis essentiels qui lui permettront d'entrer la tête haute dans le XXIe siècle.
Vous pourriez me répondre que nous pourrions attendre le rendez-vous déjà prévu dans le texte, c'est-à-dire 1999 ou l'an 2000, pour analyser cette situation. Je le dis avec toute ma détermination, monsieur le ministre : cette réponse ne serait pas acceptable. En effet, il serait alors trop tard pour définir une stratégie face aux satellites qui, en l'an 2000, seront déjà nombreux à faire concurrence à nos opérateurs nationaux.
Nous aurions alors manqué un rendez-vous, ce qui pourrait durablement pénaliser l'avenir de la France. Connaissant votre volonté, monsieur le ministre, de relever les défis pour que notre pays connaisse un meilleur avenir, je suis convaincu que vous comprendrez la volonté qui m'anime.
Pour les deux derniers que j'aborderai, je serai beaucoup plus concis.
D'abord, qui est responsable des contenus portés par les réseaux de télécommunications ? M. le rapporteur et vous-même, monsieur le ministre, en avez parlé voilà quelques instants, mais je voudrais ajouter quelques réflexions complémentaires.
Quand nous savons qu'avec les moteurs de recherche de plus en plus rapides il est possible à tout abonné à Internet d'accéder chaque jour à des millions d'informations, nous avons bien conscience que notre droit actuel ne répond plus à la problématique posée par le transport automatique au niveau mondial d'un nombre sans fin de messages.
Notre réaction ne doit certainement pas être du type « dissuasion nucléaire », comme a essayé de le faire le président Clinton il y a quelques mois. En effet, de nouvelles passerelles ont été immédiatement créées, qui permettent avec autant de facilité de diffuser des messages incitant à la violence, au racisme, à la drogue, à la pédophilie et à bien d'autres barbaries encore. Seul le pays de résidence du serveur a changé, mais les « Cybernautes » mondiaux ont toujours les mêmes facilités d'accès.
Par ailleurs, des logiciels ont été créés pour interdire, par exemple, toute diffusion de messages pornographiques. Mais nous arrivons alors à l'excès inverse dont les seuls juges sont les ordinateurs : les congrès de médecins ne peuvent plus parler de cancer du sein sur le réseau mondial car, bêtement - oui, il faut bien le savoir, les ordinateurs sont des machines bêtes - car bêtement, disais-je, l'ordinateur classe ce congrès comme étant une démarche pornographique. La réponse ne peut être que de bon sens.
Il faut profiter de la prochaine réunion du G 7, qui doit avoir lieu à Lyon dans quelques jours, pour que les chefs d'Etat décident la mise en place d'une autorité morale planétaire qui, dans ce domaine des réseaux, pourrait interdire telle ou telle source d'information.
Je pense que c'est à ce niveau qu'il faut placer la réflexion. Il faudrait qu'une synergie se place entre le niveau mondial et le niveau national, comme vous l'avez proposé tout à l'heure. Je pense qu'il faut établir des synergies entre ces deux niveaux parce que c'est important pour l'avenir.
Enfin, dernier point : comment préparer les Français à exercer les métiers de demain par l'acquisition de savoirs nouveaux grâce aux outils modernes de télécommunication ?
J'ai déjà eu l'occasion, à plusieurs reprises, de définir de façon générique ce que seront les métiers de demain : le métier de demain sera d'ajouter du savoir à un signal.
Depuis le début de ce débat nous parlons de signal de qualité auquel devrait avoir accès tout Français quel que soit son lieu de résidence.
Mais, pour exercer ce métier de demain, il faudra aussi détenir les savoirs qui permettront d'enrichir ce signal qui parcourra le monde à la vitesse de la lumière.
Or la plus grande des injustices de demain serait de ne pas permettre un accès au savoir de même qualité quel que soit le lieu de résidence de nos enfants sur le territoire national. A ce jour, un enfant du monde rural profond a, selon des études sérieuses, cent fois moins de chance qu'un élève résidant à moins de 500 mètres d'une classe de taupe célèbre de devenir un jour ingénieur ou docteur - je ne parle pas d'énarque.
La matière première de demain, certains disent le pétrole de demain, sera le savoir. Aussi, il est nécessaire que les moyens d'accès au savoir grâce aux nouvelles technologies de télécommunications soient diffusés sur l'ensemble de notre territoire.
C'est pourquoi je soutiens totalement l'initiative prise par la commission des affaires économiques et son excellent rapporteur M. Gérard Larcher, et tendant à favoriser la connection des écoles, des collèges, des régions rurales et urbaines les plus défavorisées aux réseaux modernes de télécommunications. La semaine prochaine, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'évolution du statut de France Télécom, je ferai une proposition en ce sens. En effet, je pense que France Télécom peut devenir un acteur privilégié pour mettre en oeuvre sur le plan technologique cette priorité d'accès au savoir à l'échelon national.
Avant de conclure, je voudrais me tourner vers deux hommes qui sont présents dans cet hémicycle et qui ont joué un rôle tout à fait singulier dans la compréhension et la conduite du texte que nous examinons aujourd'hui et du projet de loi que nous étudierons la semaine prochaine.
Je voudrais tout d'abord m'adresser à vous, monsieur Gérard Larcher, vous qui êtes aujourd'hui le rapporteur du présent projet de loi. Le rapport que vous avez publié en mars dernier fait honneur à notre assemblée. Il dresse un constat pertinent de la situation des télécommunications dans le monde et propose une démarche cohérente et pragmatique pour mieux préparer l'avenir de notre opérateur national.
Enfin, pour conclure, permettez-moi de m'adresser à vous, monsieur le ministre. Voilà quelques mois seulement, nombreux étaient ceux qui considéraient que la France ne trouverait pas la voie pour être prête en temps utile pour affronter, le 1er janvier 1998, la libéralisation des télécommunications.
Sous l'autorité du Premier ministre, vous avez su, dans la transparence, mais aussi avec détermination, éclairer le chemin qui doit mener jusqu'au nouveau statut de France Télécom. Vous avez agi avec un grand savoir-faire. Vous avez défini une méthode et, sans jamais faillir, vous avez suivi le cap que vous vous étiez fixé. Cette démarche vous fait honneur et je suis convaincu que tous - même si, aujourd'hui, certains disent encore le contraire - vous sont reconnaissants d'avoir tenu à définir les règles du jeu, ce que nous allons faire avec ce texte avant que notre grande équipe nationale entre sur un terrain où, malheureusement, trop souvent, tous les coups sont permis.
C'est à l'honneur du Gouvernement. Aussi, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, je suis heureux de vous dire que nous vous apporterons notre total soutien. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, d'ici au 1er janvier 1998, tous les Etats membres de l'Union européenne devront ouvrir à la concurrence le secteur des télécommunications. La France doit respecter ses engagements européens pris par les gouvernements successifs, quelle que soit leur sensibilité. Je pense en particulier à la loi de 1990. Cependant, justifier ce projet de loi uniquement par cette nécessité juridique est réducteur de l'enjeu réel. En effet, cette libéralisation des télécommunications est le résultat d'un long processus lié à l'évolution des technologies, processus qui est d'ailleurs non seulement européen mais mondial.
Dans le passé, l'exploitation des télécommunications était soit un monopole d'Etat, soit, comme aux Etats-Unis, un monopole d'industrie. Plusieurs causes expliquaient leur existence. Entre autres éléments, figuraient l'importance des transmissions militaires et l'investissement très lourd des infrastructures.
Depuis, l'évolution des techniques et la mondialisation de l'économie ont engendré une situation d'abondance de services et une demande croissante, notamment de la part des entreprises. Désormais, le marché des télécommunications est porteur. Il repose sur des investissements importants. Les entreprises privées ont la volonté de financer le développement de ce secteur d'avenir. Encore faut-il que le cadre réglementaire s'y prête.
C'est ainsi que, depuis les années quatre-vingt, les monopoles sont bousculés par la déréglementation. Cette dernière expression désigne non pas la suppression de toute réglementation, comme certains tentent de le faire croire, mais la mise en place de nouvelles règles.
C'est dans ce contexte international et européen que s'inscrit ce projet de loi qui met fin au monopole de France Télécom, propulsant ainsi au premier plan le problème de l'équilibre à trouver entre le secteur public et le secteur privé.
Ce monopole, conforme à l'environnement international de l'époque, a permis à France Télécom de se développer et de devenir le quatrième opérateur de téléphonie du monde. La mise en concurrence ne sanctionne donc nullement un échec.
Le projet de loi n'a pas pour objectif de faire régresser France Télécom. Au contraire, la préservation de son futur nécessite de l'adapter à un environnement qui a changé. Les nouvelles technologies, comme les satellites, se jouent désormais des frontières et des monopoles nationaux. Les nouvelles techniques permettent aux opérateurs étrangers de concurrencer France Télécom sur les communications internationales. Les tarifs qu'ils proposent sont d'autant plus avantageux que le coût de la transmission satellitaire dépend peu de la distance.
En conséquence, la vérité des prix affecte France Télécom, qui devra baisser ses tarifs internationaux. Or, le fondement même de sa rentabilité financière repose sur des tarifs internationaux anormalement élevés actuellement pour compenser des prix d'abonnement historiquement bas.
Cette réalité incontournable des nouvelles technologies s'impose à France Télécom, et ce quel que soit le gouvernement au pouvoir.
M. Michel Pelchat. Très bien !
M. Roland du Luart. Quelle position adopter face à cette réalité ? Certains proposent le statu quo. Outre le fait que ce serait contraire à notre engagement européen, nous n'aurions rien à gagner au fait que notre cadre réglementaire empêche l'implantation de nouveaux opérateurs sur notre territoire : ces derniers n'investiraient pas chez nous et concurrenceraient France Télécom de l'extérieur, ce qui serait sans doute encore plus redoutable.
Nous devons accepter la réalité de cette concurrence et faire en sorte qu'elle s'opère dans le sens de l'intérêt général. Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui répond à cet objectif.
La nouvelle réglementation anticipe sur le problème du déséquilibre des tarifs de France Télécom. Le milieu concurrentiel lui impose une adaptation. Afin de rendre acceptables les hausses du prix de l'abonnement à nos concitoyens, le projet de loi prévoit un rééquilibrage progressif qui sera cofinancé par les concurrents de France Télécom.
Il était nécessaire, comme l'ont fait les députés, de déterminer la date à laquelle cette contribution additionnelle cessera, car les règles qui s'imposeront aux nouveaux entrants doivent être précises.
Cette loyauté vis-à-vis des nouveaux opérateurs nécessite aussi de leur donner des garanties pour que le monopole de droit ne soit pas remplacé par un monopole de fait leur interdisant l'accès aux réseaux par des barrières techniques ou tarifaires. Une directive européenne exige que le système de régulation soit indépendant vis-à-vis des opérateurs.
Le Gouvernement a fait le choix politique que l'Etat demeure l'actionnaire majoritaire de France Télécom. Par conséquent, l'Etat ne pourrait pas être le régulateur sans faire courir un risque certain de suspicion, et ce d'autant que France Télécom sera en position dominante.
Nous soutenons donc la création de l'autorité de régulation des télécommunications, qui pourra de façon indépendante régler les litiges d'accès aux réseaux.
La volonté de promouvoir la concurrence a pourtant une limite : celle de maintenir notre tradition du service public.
Si le projet de loi tient compte de la réalité internationale, l'aménagement de notre territoire n'est pas pour autant oublié.
Le Gouvernement a pris la précaution nécessaire d'inscrire dans le texte la définition du service public et son financement, préservant ainsi les acquis d'aujourd'hui.
Le service universel du téléphone n'est pas un service minimum. Il correspond au monopole actuel de France Télécom, ni plus ni moins. Demain comme aujourd'hui, c'est l'Etat qui fixera les tarifs et France Télécom qui assurera le service. L'originalité est de demander une contribution financière à tous les opérateurs pour couvrir les coûts de ce service universel.
Peut-être aurait-on pu être plus ambitieux encore, en ajoutant dès à présent des applications comme la télé-éducation ou la télé-santé.
L'essentiel est que le contenu du service universel n'est pas figé dans le temps : sa révision est prévue tous les cinq ans, ce qui permettra de procéder aux ajouts nécessaires pour tenir compte des changements technologiques et des besoins. Vu la rapidité de ces évolutions, il me semble plus judicieux de retenir une durée de révision plus courte, comme le suggère le rapporteur de la commission des affaires économiques, notre ami M. Gérard Larcher.
Monsieur le ministre, vous avez trouvé, dans ce projet de loi, un bon équilibre entre la concurrence internationale qui s'impose et la volonté de maintenir notre service public.
Je me réjouis par ailleurs de l'examen par le Sénat, la semaine prochaine, du projet de loi relatif au statut de France Télécom. Nous ne pouvons plus retarder davantage cette réforme sans lui porter préjudice face à ses concurrents internationaux.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera ces textes qui nous paraissent, dans les circonstances actuelles, indispensables pour la nation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Cluzel.
M. Jean Cluzel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mettre fin au monopole public sur la téléphonie entre points fixes et mettre en place une régulation indépendante du Gouvernement constituent les deux axes de ce projet de loi. Ce texte va donc dans le bon sens pour renforcer l'économie de l'audiovisuel.
L'autorisation donnée au service des télécommunications d'emprunter les réseaux câblés permettra d'éviter un gaspillage des ressources d'investissement dont disposent les acteurs économiques. La rémunération versée par le fournisseur de service aux câblo-opérateurs devra couvrir les prestations fournies autres qu'audiovisuelles. Il s'agit là d'une excellente formule de notre rapporteur M. Gérard Larcher, dont il faut souligner la qualité et la minutie du travail dans un domaine qu'il connaît parfaitement bien.
L'agence nationale des fréquences radio-électriques pourra percevoir des redevances d'usage définies par les lois de finances successives. En décembre 1995, je m'étais prononcé en faveur d'une telle mesure, qui va constituer une véritable révolution dans le domaine audiovisuel. Elle était, hélas ! monsieur le ministre - et vous le savez mieux que quiconque - passée pratiquement inaperçue. Cette mesure devra cependant respecter l'égalité entre opérateurs publics et opérateurs privés.
La libéralisation du secteur des télécommunications s'inscrit - nous le savons les uns et les autres, et certains, ce soir, l'ont regretté - dans un mouvement international de déréglementation qui favorise la dérégulation. Si ce concept, d'origine anglo-saxonne, a bénéficié d'un terreau juridique favorable en Grande-Bretagne, il a aussi touché la France avec, dans les années 1985-1986, le passage du monopole d'Etat à l'économie de marché dans le secteur de la radio-télévision.
L'une des principales différences entre la régulation nord-américaine et la régulation européenne tient à la séparation organique et fonctionnelle qui existe en Europe entre la régulation du secteur des télécommunications et celle de l'audivisuel.
La tentation pourrait être grande de créer chez nous une instance de régulation unique ; d'ailleurs, pour tout vous avouer, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été un peu tenté par cette formule. Mais il est trop tard pour mettre en place dans notre pays une autorité comparable à l'autorité américaine. Notre histoire juridique du droit des télécommunications et de l'audiovisuel s'y oppose.
Par conséquent, l'examen de ce projet de loi doit être l'occasion - tous les orateurs, me semble-t-il, se sont heureusement livrés à cet exercice - de mieux préciser la frontière entre audiovisuel et télécommunications et, partant, entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et les nouvelles instances de régulation qui vont être créées.
Je voudrais essayer de mieux préciser la frontière existant entre audiovisuel et télécommunications.
Services et supports de communication audiovisuelle, d'une part, et de télécommunications, d'autre part, sont aujourd'hui soumis à deux régimes juridiques fondamentalement différents, sous l'égide d'une instance indépendante, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, d'un côté, et d'un service ministériel, la direction générale des postes et télécommunications de l'autre. Cet après-midi, monsieur le ministre, dans votre excellent propos, vous avez d'ailleurs énoncé toutes les autorités indépendantes qui ont été créées depuis un certain nombre d'années.
Le fondement de l'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel réside dans la mise en oeuvre et la sauvegarde de tels principes. Certains - sachons-le bien, mes chers collègues - sont de valeur constitutionnelle, tel le pluralisme des courants d'expression socio-culturels ou politiques. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel est indépendant du pouvoir politique, alors que le juge administratif le contrôle. Cette logique s'oppose à celle de la direction générale des postes et télécommunications, c'est-à-dire à un mode de fonctionnement lié au Gouvernement.
Mais la déréglementation des supports de télécommunications, postérieure à celle des supports de communication audiovisuelle, se caractérise par sa très grande rapidité autant que par son ampleur.
La différence est tout aussi remarquable pour les services. En effet, les services de communication audiovisuelle restent fortement réglementés, cependant que les services de télécommunications ne sont soumis à aucune règle de contenu, ainsi que notre ami M. Trégouët y faisait allusion à l'instant même.
Dès lors, on comprend qu'il est primordial de définir avec précision les critères permettant de rattacher un service donné soit à la communication audiovisuelle, soit aux télécommunications.
A cet égard, les réglementations relatives à la communication audiovisuelle et aux télécommunications reposent traditionnellement, d'une part, sur le caractère de la correspondance privée ou non, et, d'autre part, sur la communication vers le public de l'émission.
Au surplus, en droit français, le support de diffusion utilisé ne présuppose pas le régime applicable au service diffusé. En revanche, la nature audiovisuelle du service entraîne l'application de la loi du 30 septembre 1986. Celle-ci légitime l'intervention du Conseil supérieur de l'audiovisuel, alors que le caractère de correspondance privée du service le soumet à la compétence de la direction générale des postes et télécommunications.
Partout dans le monde, cette frontière s'estompe sous l'effet conjugué d'une double évolution : l'apparition de services d'une nature nouvelle et l'utilisation indifférenciée de l'ensemble des supports de communication existants.
Ces nouveaux services - tout le monde en parle et ils ont longuement été évoqués cet après-midi et ce soir - sont le paiement à la séance, la vidéo à la demande, les services interactifs sur sites ou sur réseaux.
Ils entrent difficilement dans seulement l'un ou l'autre de ces deux régimes. En bref, ils jouissent d'une double nature : ils ont un aspect de correspondance privée indéniable en ce qui concerne l'échange de données personnalisées, tel que l'acte d'achat ; en revanche, dans la plupart des cas, la présentation des produits est bien destinée à un large public, ce qui les fait ainsi relever de la communication audiovisuelle.
En matière de support, la compression numérique fait progressivement disparaître la logique législative, qui nous est chère et sur laquelle nous avons fondé toute notre action pendant des décennies, de gestion de la rareté des ressources sur tous les supports. Or l'architecture de la loi du 30 septembre 1986 est fondée sur le triptyque « un programme - une fréquence - un service ». Elle devra donc être révisée aussitôt que possible, afin de mettre en place un régime où la régulation des services primera sur la gestion des supports. Il s'agit là, me semble-t-il, d'un point essentiel de notre débat.
On doit également s'attendre, sous l'effet de la compression numérique, à une utilisation de plus en plus indifférenciée des supports de diffusion.
Si, depuis longtemps, les satellites de télécommunications sont utilisés à des fins de communication audiovisuelle, on va bientôt assister à une montée en puissance des services de télécommunications sur les réseaux câblés autorisés par le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Il en sera ainsi de la téléphonie vocale entre points fixes qui pourra être offerte par les câblo-opérateurs en Europe après 1998. Il en sera de même de l'utilisation des réseaux de télécommunications par des services de communication audiovisuelle, comme la vidéo à la demande, et, cette fois-ci, sur les réseaux autorisés par la Direction générale des postes et télécommunications.
Ce rapprochement indéniable des services et des supports, prévisibles à court terme, plaide incontestablement en faveur d'une actualisation des pouvoirs du CSA ; il s'agira du deuxième point de mon intervention.
A moyen terme, certaines des compétences actuelles du CSA vont se trouver atténuées par l'évolution de la technologie.
Premièrement, les quotas de diffusion et obligations de production semblent menacés, en particulier dans leur application aux nouveaux services.
Deuxièmement, le régime d'autorisation devra prendre en compte la multiplication des capacités de diffusion.
Nous en avons eu l'exemple ces temps-ci, mes chers collègues, avec le premier bouquet numérique de Canalsatellite, qui sera suivi dans quelques mois par le deuxième bouquet de France-Télévision et de TF 1, puis peut-être par un troisième bouquet d'ici à la fin de l'année, celui d'AB Productions.
Enfin, plus généralement, la logique de la loi, pour l'action même du CSA, fondée sur la gestion de la rareté des ressources de diffusion s'en trouvera nécessairement modifiée.
Une classification opératoire entre services de communication audiovisuelle et services de télécommunications doit donc être affirmée.
Pourtant, aucune classification opératoire n'a été à ce jour définie et cette question semble abordée sans cohérence apparente à l'échelon international. Je pense, non pas à vous, monsieur le ministre, mais à l'ensemble des services de notre pays. C'est la raison pour laquelle la réflexion ne me paraît pas suffisamment approfondie.
Pour ne prendre qu'un exemple, le téléachat est soumis aux dispositions de la directive « télécommunications » du 28 juin 1990. Or la législation française, comme les autres législations européennes, régit l'activité du téléachat comme dépendant de la communication audiovisuelle, tout en y appliquant des règles particulières relatives à la protection du consommateur.
Quelle approche alors envisager ?
Tout d'abord, il faut savoir que certains de ces « nouveaux services » nécessiteront un micro-ordinateur, tels les services accessibles sur Internet, d'autres un simple téléviseur, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, notamment cet après-midi dans votre exposé.
La nature du terminal de réception n'influe donc pas sur la nature du service véhiculé ou sur la nature du contrôle auquel le service est soumis, autre idée sur laquelle il me semble nécessaire d'insister. Ainsi, le programme de TF 1 devenant accessible sur micro-ordinateur demeure un programme de communication audiovisuelle et, à ce titre, continue à relever de la compétence du CSA.
Deux critères primordiaux pourraient être retenus pour définir clairement la frontière entre les services qui devront relever du régime de la communication audiovisuelle et ceux qui ne seront soumis qu'aux règles relatives aux télécommunications : d'une part, le caractère de destination du message au public en général ou à une catégorie de public ; d'autre part, le contenu des messages transmis, qui ne doit pas revêtir le caractère de correspondance privée.
Une approche à partir du seul contenu du programme ne peut donc être retenue dans la mesure où elle permet toutes les interprétations possibles.
Cette approche semble être la seule opératoire, les critères objectifs ainsi posés permettant de couvrir l'ensemble des cas de figure.
Les compétences du CSA ne doivent pas seulement être actualisées, monsieur le ministre, elles doivent avant tout être préservées.
J'en arrive au dernier point de mon intervention : préserver les compétences du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
L'autorité du CSA pourrait se voir affaiblie par les deux instances que le projet de loi se propose de créer. Pour éviter toute tutelle technique, l'agence nationale des fréquences devra donc respecter les attributions du CSA.
Quant aux compétences de l'autorité de régulation des télécommunications, l'ART, elles ne devront pas chevaucher celles du CSA.
C'est pourquoi, monsieur le rapporteur, je me réjouis de l'amendement tendant à supprimer l'article 11 bis introduit par l'Assemblée nationale et qui entendait confier à l'ART l'attribution de certaines fréquences de transmission actuellement gérées par le CSA.
Je sais, monsieur le ministre, qu'il s'agit d'un problème important, et, sur ce point précis, nous devrions aboutir à un bon accord entre le Gouvernement et les deux assemblées pour que les choses soient parfaitement claires et qu'aucune obscurité ne subsiste dans ce domaine.
Mais, au-delà, en raison des évolutions que j'évoquais à l'instant, ne risque-t-on pas de s'orienter vers une cohabitation difficile entre les deux instances - l'une pour la régulation a posteriori des contenus, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'autre pour la réglementation des infrastructures, cette fameuse autorité de régulation des télécommunications - ce qui serait en contradiction avec l'esprit de la loi de 1986 ?
Ce problème risque de se poser même si l'on tient compte - et l'on doit en tenir compte - de l'évolution technologique, caractérisée par un mouvement de convergence des télécommunications et de la communication audiovisuelle !
Or la philosophie de ces deux instances est fort différente.
L'autorité de régulation des télécommunications serait principalement chargée de déréglementer ce secteur, en application des directives communautaires qui prévoient une libre concurrence à compter du 1er janvier 1998.
Mais le CSA, lui, a pour fonction de réguler le contenu des services audiovisuels. On peut donc naturellement imaginer que, grâce aux progrès de la technologie numérique, le rôle du CSA se concentrera sur la seule régulation du contenu et la sauvegarde indispensable du pluralisme.
La réglementation audiovisuelle devrait donc conserver un caractère universel pour être appliquée à l'ensemble des services de communication audiovisuelle, quel que soit le support concerné.
De toute façon, monsieur le ministre, mes chers collègues, les lacunes et les imperfections, bien normales dix ans après la loi de 1986, doivent, à très court terme - j'insiste sur l'échéance - conduire le législateur à procéder à d'indispensables retouches dans le sens de l'actualisation.
En conclusion, sachez, monsieur le ministre, que, compte tenu du contexte de crise de l'audiovisuel public que nous vivons depuis quelques semaines et des nécessaires réformes, tant pour son organisation que pour son financement, le Sénat souhaite de telles modifications.
En définitive, c'est à une réflexion d'ensemble et à des décisions cohérentes que ce texte nous appelle les uns et les autres. Le Sénat et le Gouvernement sauront répondre à cet appel. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons au Parlement du devenir de France Télécom, mais, dans le pays, l'heure est aussi à la réflexion et à l'action pour la défense de cet opérateur public : des dizaines de milliers de salariés sont mobilisés pour la défense de leur entreprise et pour la sauvegarde et le développement du service public des télécommunications et nous voulons, ce soir, saluer leur lutte.
Ouviers, employés, cadres, techniciens, chercheurs en télécommunication, c'est à eux, à leur intelligence, à leur travail, que nous devons les performances techniques remarquables qui ont permis de faire fructifier les investissements publics et de doter notre pays de l'un des meilleurs réseaux de télécommunications au monde.
Ils ont construit la réussite économique et financière de l'opérateur public. Il s'agit d'une corporation de haute conscience professionnelle au service d'une grande technicité.
Ce sont eux les modernes et c'est en comptant sur eux, sur leurs compétences et sur leur dévouement au service du public que l'on peut imaginer et bâtir les réseaux de télécommunications du futur.
Nous serons plus sévères pour les serviteurs de la haute finance internationale qui cherchent à s'accaparer les créneaux les plus rentables du secteur des télécommunications.
Monsieur le ministre, vous prétendez que la remise en cause du service public serait techniquement et politiquement inéluctable. Vous prétendez également qu'elle aurait fait l'objet d'une vaste concertation.
En réalité, nous savons bien, et avec nous tous les agents de France Télécom, qu'il n'en est rien.
Vous me permettrez de vous rappeler, monsieur le ministre, que l'expression « se concerter » a un sens très précis : elle signifie s'entendre pour agir de concert.
Vous noterez, mes chers collègues, que les grèves et manifestations qui se sont déroulées aujourd'hui dans tout le pays ne résultent pas d'une quelconque entente pour agir de concert avec les salariés.
Vous vous êtes refusé, monsieur le ministre, à retenir les points de vue exprimés par la CGT, SUD-PTT, FO ou la CFDT, ainsi que celui de la CFTC, organisations qui représentent la quasi-totalité des agents de l'entreprise publique et qui appelaient aujourd'hui à l'action contre vos deux projets de loi.
Le seul point de vue retenu est celui du CNPF qui, soit dit en passant, joue ainsi un bien mauvais tour aux entreprises, notamment aux PME, qui ne sont pas actuellement situées à proximité immédiate des grands réseaux de télécommunications.
La concertation avec les parlementaires que nous sommes a, elle aussi, été réduite au minimum puisque la commission des finances, dont je suis membre, ne s'est même pas saisie de votre projet de loi.
Avec ses 150 000 agents et le monopole qui est le sien, France Télécom rapporte annuellement un bénéfice de près de 10 milliards de francs et assure 35,8 milliards de francs d'investissements.
Le devenir d'un tel secteur financier ne valait-il pas un débat et un avis de la commission des finances ?
Monsieur le ministre, vos deux textes préparent et organisent la privatisation des principales activités et de la moitié du capital de l'opérateur public. Ils ne répondent en fait - vous le savez bien - qu'à des considérations purement idéologiques qui vous conduisent à livrer l'activité des télécommunications aux intérêts privés et de le faire au plus vite pour tenter d'éviter les difficultés que le marché boursier a connu pour absorber les précédentes privatisations.
On dirait que vous craignez de voir cette privatisation rendue impossible du fait de l'occupation du marché boursier par Deutsche Telekom, qui sera privatisée à l'automne. Ne voulez-vous pas ainsi profiter des vacances estivales pour démanteler le service public des télécommunications et en privatiser les activités les plus rentables ?
Il semble déjà bien loin le temps où M. Juppé affirmait son intention de faire inscrire une définition d'un service public dans la Constitution, voire au frontispice du traité de Maastricht à l'occasion de la conférence intergouvernementale qui, je le rappelle, se tient actuellement.
Qu'il semble loin le temps où M. le député Borotra prétendait vouloir défendre le service public et nous gratifiait d'un rapport parlementaire dans lequel il parlait « des méfaits du credo libre-échangiste de la Commission » et où il affirmait que « les propositions de la Commission européenne en matière de télécommunications menaçaient l'accès de tous au téléphone », ajoutant que ce « projet fondé sur l'article 90-3 du traité était inacceptable tant pour des raisons de principe, de base juridique, que pour des raisons de fond ».
M. le député Borotra s'exprimait ainsi le 6 octobre 1995, à peine quelques semaines avant qu'il ne devienne M. le ministre Borotra. Aujourd'hui, on comprend ses réticences à venir s'expliquer. Les conclusions que tirait alors M. le député ne seraient-elles plus valables aujourd'hui ?
Certes, les traités européens successifs privilégient les notions de marché et de liberté de la concurrence et n'accordent qu'un statut d'exception aux services publics ; c'est même l'un de leur principal défaut. Il convient cependant de considérer que la notion de service économique d'intérêt général, qui recouvre l'essentiel de la conception française des services publics, figure à l'article 90 du traité de Rome toujours en vigueur.
Je vous ferai également observer que la notion de service public apparaît textuellement à l'article 77 du traité précité qui dispose que « les aides correspondant au remboursement de certaines servitudes inhérentes à la notion de service public sont compatibles avec le traité ».
Même modifiés par celui de Maastricht, les articles 2 et 3 de ce traité indiquent que la construction européenne doit se faire notamment par un progrès économique et social équilibré, durable, et par l'approfondissement de la cohésion économique et sociale, de la citoyenneté européenne, de la solidarité, de la réalisation de réseaux transeuropéens, de la protection des consommateurs.
C'est en tenant compte de cela, et aussi sur la base de l'article 90-2, que la Cour européenne de justice a reconnu en 1992 et 1993 dans ses arrêts Corbeau, concernant l'acheminement du courrier, et commune d'Almelot, concernant la distribution d'énergie électrique, que des entreprises chargées de missions particulières de type service public pouvaient déroger aux règles de la concurrence : cela implique que le maintien des monopoles publics n'est pas contradictoire avec les traités européens en vigueur.
Nous affirmons que la Commission, avec des directives outrancières, outrepasse ses droits. La référence à l'article 85 et aux suivants est abusive en la matière et ne peut pas s'appliquer systématiquement.
J'ajouterai même que la Commission le fait, hélas, d'autant plus facilement que le conseil des ministres européen n'a cessé de l'encourager dans cette voie qui creuse jour après jour le fossé qui existe entre la construction européenne et les Européens eux-mêmes.
Les gouvernements français qui se sont succédé depuis dix ans aux affaires portent assurément la lourde responsabilité d'avoir laissé passer ou impulser les situations pour parvenir à la plus insupportable qui aboutit aujourd'hui à la remise en cause des entreprises publiques et des conditions de réalisation du service public et à sacrifier l'emploi et le développement économique aux appétits de quelques grands groupes économiques et financiers internationaux.
Nous considérons, pour notre part, que les activités qui concourent à l'intérêt général et qui, par conséquent, sont décisives pour le développement économique et social, doivent être prioritairement exercées par des entreprises dont la recherche du profit ne doit pas être le moteur.
Nous ne pouvons en aucune manière accepter l'évolution dangereuse que nous propose le Gouvernement en matière de télécommunications et nous nous opposerons donc résolument à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur le stravées socialistes.)
M. le président. La suite de la discussion du projet de loi de réglementation des télécommunications est renvoyée à la prochaine séance.

13

COMMUNICATION DE L'ADOPTION DEFINITIVE
DE PROPOSITIONS D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, une communication, en date du 31 mai 1996, l'informant que :
- la proposition d'acte communautaire E-588 « proposition de directive du Conseil modifiant la directive 94/80/CE du Conseil fixant les modalités de l'exercice de droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un Etat membre dont ils n'ont pas la nationalité » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 14 mai 1996 ;
- la proposition d'acte communautaire E-614 « proposition de décision du Conseil concernant la conclusion des résultats des consultations avec la Thaïlande dans le cadre de l'article XXIII du GATT » a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 14 mai 1996 ;
- et que la proposition d'acte communautaire E-460 « communication de la Commission concernant un programme communautaire pluriannuel visant à stimuler le développement d'une industrie européenne de contenu multimédia et à encourager l'utilisation de ce contenu multimédia dans la nouvelle société de l'information (Info 2000). Proposition de décision du Conseil adoptant un programme communautaire pluriannuel visant à stimuler le développement d'une industrie européenne de contenu multimédia et à encourager l'utilisation de ce contenu multimédia dans la nouvelle société de l'information (Info 2000) » a été adoptée difinitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 20 mai 1996.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication, en date du 3 juin 1996, l'informant que :
- la proposition d'acte communautaire E-584 « propositions de décision du conseil relatives à la conclusion du protocole à l'accord sous forme d'échange de lettre entre la CEE et la principauté d'Andorre - protocole à l'accord de coopération entre la CEE et la République algérienne démocratique et populaire - protocole à l'accord de coopération entre la CEE et le royaume hachémite de Jordanie - protocole à l'accord de coopération entre la CEE et la République libanaise - protocole à l'accord de coopération entre la CEE et la République arabe syrienne - protocole à l'accord de coopération entre la CEE et la République arabe d'Egypte, à la suite de l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du royaume de Suède à l'Union européenne. Projets de protocole à l'accord entre les Etats membres de la CECA et la République algérienne démocratique et populaire - protocole à l'accord entre les Etats membres de la CECA et la République algérienne démocratique et populaire - protocole à l'accord entre les Etats membres de la CECA et le royaume hachémite de Jordanie - protocole à l'accord entre les Etats membres de la CECA et la République libanaise - protocole à l'accord entre les Etats membres de la CECA et la République arabe syrienne, - protocole à l'accord entre les Etats membres de la CECA et la République arabe d'Egypte, à la suite de l'adhésion de la République d'Autriche, de la République de Finlande et du royaume de Suède à l'Union européenne », a été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du Conseil du 14 mai 1996 ;
- et que la proposition d'acte communautaire E-574 « proposition de règlement CE du Conseil modifiant le règlement CE n° 2178/95 portant ouverture et mode de gestion de contingents et de plafonds tarifaires communautaires pour certains produits industriels et de la pêche originaires d'Estonie, de Lettonie et de Lituanie, ainsi que les modalités d'adaptation desdits contingents et plafonds et le règlement n° 1798/94 portant ouverture et mode de gestion de contingents tarifaires communautaires pour certains produits agricoles originaires de Bulgarie, de Hongrie, de Pologne, de Roumanie, de Slovaquie et de la République tchèque ainsi que les modalités d'adaptation desdits contingents (1994-1997) », a été adoptée définitivement par les instances communautaires, par décision du Conseil du 14 mai 1996.

14

DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI ORGANIQUE

M. le président. J'ai reçu de Mme Monique ben Guiga, MM. Guy Penne et Pierre Biarnès une proposition de loi organique tendant à modifier la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le numéro 397, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de Mme Monique ben Guiga, MM. Guy Penne et Pierre Biarnès une proposition de loi organique tendant à compléter la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République.
La proposition de loi organique sera imprimée sous le numéro 398, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

15

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. Guy Cabanel une proposition de loi relative au placement sous surveillance électronique pour l'exécution de certaines peines.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 400, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

16

TRANSMISSION D'UNE PROPOSITION DE LOI

M. le président. J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à l'adoption.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 396, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.

17

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président. J'ai reçu de M. Denis Badré une proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de révision des perspectives financières présentée par la commission au Parlement européen et au Conseil en application des paragraphes 11 et 12 de l'accord interinstitutionnel du 29 octobre 1993 sur la discipline budgétaire et l'amélioration de la procédure budgétaire (n° E-628).
La proposition de résolution sera imprimée sous le numéro 395, distribuée et renvoyée à la commission des finances, du contrôle budgétairre et des comptes économiques de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

18

DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE

M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution : proposition de décision du Conseil relatif à la conclusion de l'accord sous forme d'échange de lettres entre la Communauté européenne et la République arabe d'Egypte sur l'adaptation du régime d'importation dans la Communauté européenne d'oranges originaires et importées d'Egypte.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-637 et distribuée.

19

DÉPÔT DE RAPPORTS

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marie Girault, un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer (n° 333, 1995-1996).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 401 et distribué.
J'ai reçu de M. Paul Masson, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique ou chargées d'une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 402 et distribué.
J'ai reçu de M. Michel Rufin, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant modification de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 403 et distribué.

20

ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui mercredi 5 juin 1996 :
A neuf heures quarante-cinq :
1. - Discussion du projet de loi (n° 225, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République islamique du Pakistan en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole).
Rapport (n° 386, 1995-1996) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
2. - Discussion du projet de loi (n° 224, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale autorisant l'approbation de l'avenant (ensemble un échange de lettres) à l'accord du 25 juillet 1977 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Malte tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu.
Rapport (n° 385, 1995-1996) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
3. - Discussion du projet de loi (n° 289, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat d'Israël en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.
Rapport (n° 388, 1995-1996) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
4. - Discussion du projet de loi (n° 223, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivienne en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole).
Rapport (n° 384, 1995-1996) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
5. - Discussion du projet de loi (n° 286, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 19 décembre 1980 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Norvège en vue d'éviter les doubles impositions, de prévenir l'évasion fiscale et d'établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole et un protocole additionnel), modifiée par l'avenant du 14 novembre 1984.
Rapport (n° 387, 1995-1996) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
6. - Discussion du projet de loi (n° 160, 1995-1996) autorisant l'approbation de l'accord fiscal sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama.
Rapport (n° 383, 1995-1996) de M. Jacques Chaumont, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
A quinze heures et le soir.
7. - Désignation d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
8. - Suite de la discussion du projet de loi (n° 357, 1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de réglementation des télécommunications.
Rapport (n° 389, 1995-1996) de M. Gérard Larcher fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.

Délai limite général pour le dépôt des amendements

Le délai limite pour le dépôt des amendements à tous les projets de loi et propositions de loi ou de résolution prévus jusqu'à la fin de la session ordinaire, à l'exception des textes de commissions mixtes paritaires et de ceux pour lesquels est déterminé un délai limite spécifique, est fixé, dans chaque cas, à dix-sept heures, la veille du jour où commence la discussion.

Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements

1. - Débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la situation en Corse :
- délai limite pour les inscriptions de parole dans ce débat : mercredi 5 juin 1996, à dix-sept heures.
2. - Projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom (n° 391, 1995-1996) :
- délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : lundi 10 juin 1996, à douze heures.
- délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 10 juin 1996, à douze heures.
3. - Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer (n° 333, 1995-1996) :
- délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 12 juin 1996, à dix-sept heures.
4. - Proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, complétant la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française (n° 376, 1995-1996) :
- délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 12 juin 1996, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 5 juin 1996, à zéro heure trente-cinq.)

Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON





ERRATA
Au compte rendu intégral de la séance du 22 mai 1996
DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE

Dans l'intervention de M. Michel Charasse :
1. Page 2756, deuxième colonne, 6e alinéa, 8e ligne :
Au lieu de : « ..., vous avouez une dérive spontanée des dépenses de 60 milliards de francs plus 46 milliards, cela fait 106 milliards ! »
Lire : « ..., vous avouez une dérive spontanée des dépenses de 60 milliards de francs. Soixante milliards plus 46 milliards, cela fait 106 milliards ! »
2. Page 2756, deuxième colonne, 10e alinéa, 3e ligne :
Au lieu de : « ..., je ne manque moi aussi de quelques idées. »
Lire : « ..., je ne manque pas moi aussi de quelques idées. »
3. page 2757, deuxième colonne, 3e alinéa, 3e ligne :
Au lieu de : « M. Cluzal »,
Lire : « M. Cluzel ».

ORDRE DU JOUR
DES PROCHAINES SÉANCES DU SÉNAT
établi par le Sénat dans sa séance du mardi 4 juin 1996
à la suite des conclusions de la conférence des présidents
Ordre du jour prioritaire

1° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République islamique du Pakistan en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu (ensemble un protocole) (n° 225, 1995-1996) ;
2° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant (ensemble un échange de lettres) à l'accord du 25 juillet 1977 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Malte tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu (n° 224, 1995-1996) ;
3° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat d'Israël en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (n° 289, 1995-1996) ;
4° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République bolivienne en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole) (n° 223, 1995-1996) ;
5° Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'avenant à la convention du 19 décembre 1980 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Norvège en vue d'éviter les doubles impositions, de prévenir l'évasion fiscale et d'établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole et un protocole additionnel), modifiée par l'avenant du 14 novembre 1984 (n° 286, 1995-1996) ;
6° Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord fiscal sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Panama (n° 160, 1995-1996) ;
A quinze heures et le soir :
7° Désignation d'un membre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.

Ordre du jour prioritaire

Jeudi 6 juin 1996 :
A neuf heures trente :

Ordre du jour prioritaire

A quinze heures et le soir :
2° Questions d'actualité au Gouvernement.
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance, avant onze heures.)

Ordre du jour prioritaire

(La conférence des présidents a fixé :
- à dix minutes le temps réservé au président de la commission des lois ;

- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 5 juin 1996.)
4° Suite de l'ordre du jour du matin.

Lundi 10 juin 1996 :

A quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

(La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 10 juin, à douze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;

- à quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant douze heures, le lundi 10 juin 1996.)

Mardi 11 juin 1996 :

1° Dix-huit questions orales sans débat (l'ordre d'appel des questions sera fixé ultérieurement) :
- n° 371 de M. Nicolas About à M. le ministre de l'intérieur (Politique gouvernementale à l'égard des gens dits « du voyage ») ;

- n° 382 de M. Michel Mercier à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (Situation des enseignants des écoles municipales de musique) ;

- n° 383 de M. Michel Mercier à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (Situation des agents publics travaillant à mi-temps) ;

- n° 390 de M. François Gerbaud à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (Conditions de délivrance de la dotation globale d'équipement) ;

- n° 391 de M. Dominique Leclerc à M. le secrétaire d'Etat à la recherche (Restrictions budgétaires appliquées au Centre national de la recherche scientifique) ;

- n° 392 de M. Georges Mouly à M. le ministre du travail et des affaires sociales (Situation de l'institut médico-éducatif de Sainte-Fortunade (Corrèze) ;

- n° 393 de Mme Danielle Bidard-Reydet transmise à Mme le ministre délégué pour l'emploi (Conséquences du départ de Schweppes de Pantin) ;

- n° 394 de Mme Danielle Bidard-Reydet à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (Rentrée scolaire en Seine-Saint-Denis) ;

- n° 395 de M. Charles Metzinger à M. le ministre de l'intérieur (Application des circulaires relatives aux autorisations collectives de sortie du territoire des élèves mineurs) ;

- n° 396 de M. René Rouquet à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (Carte scolaire 1996-1997 pour le Val-de-Marne) ;

- n° 397 de M. Alain Richard à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (Conditions de vente de logements H.L.M. par le groupe Maisons familiales) ;

- n° 398 de M. Gérard Delfau à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (Dégradation de la situation des professions du bâtiment et des travaux publics) ;

- n° 399 de M. Nicolas About à M. le ministre de l'intérieur (Pouvoirs de police des maires pour la mise en fourrière des véhicules en stationnement gênant) ;

- n° 400 de M. François Lesein à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (Conditions de rémunération des agents territoriaux chargés de mission) ;

- n° 401 de M. Louis Souvet à Mme le secrétaire d'Etat aux transports (Coût financier du canal Rhin-Rhône) ;

- n° 402 de M. Louis Souvet à Mme le secrétaire d'Etat aux transports (Avenir professionnel des élèves pilotes de l'E.N.A.C.) ;

- n° 403 de M. Louis Souvet à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation (Avancement de grade de certains fonctionnaires territoriaux) ;

- n° 404 de M. Henri Weber à M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme (Elargissement de la route nationale 27).

A seize heures et le soir :

Ordre du jour prioritaire

Mercredi 12 juin 1996 :

Ordre du jour prioritaire

1° Projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce (n° 348, 1995-1996).
A quinze heures et le soir :
2° Suite du projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.

Jeudi 13 juin 1996 :

Ordre du jour établi en application de l'article 48,
troisième alinéa, de la Constitution

A neuf heures trente :
1° Propositions de loi organique de M. Charles de Cuttoli et plusieurs de ses collègues :
- tendant à compléter la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République (n° 270, 1994-1995) ;

- tendant à modifier et à compléter la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 sur le vote des Français établis hors de France pour l'élection du Président de la République (n° 271, 1994-1995) ;

(La conférence des présidents a décidé qu'il sera procédé à une discussion générale commune de ces deux propositions de loi organique.)
2° Proposition de loi de M. Serge Vinçon et plusieurs de ses collègues tendant à autoriser les élus des communes comptant 3 500 habitants au plus à conclure avec leur collectivité des baux ruraux (n° 239, rapport n° 314, 1995-1996) ;
A quinze heures :
3° Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, modifiant la loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme (n° 249, 1995-1996) ;
4° Deuxième lecture de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant diverses mesures en faveur des associations (n° 340, 1995-1996).

Vendredi 14 juin 1996 :

Ordre du jour prioritaire

A neuf heures trente :
1° Eventuellement, suite du projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom ;
2° Deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer (n° 333, 1995-1996) ;
(La conférence des présidents a fixé au mercredi 12 juin 1996, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi.)
3° Proposition de loi organique, adoptée par l'Assemblée nationale, complétant la loi organique n° 96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française (n° 376, 1995-1996) ;
(La conférence des présidents a fixé au mercredi 12 juin 1996, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à cette proposition de loi organique.)
A quinze heures :
4° Eventuellement, suite de l'ordre du jour du matin ;
5° Deuxième lecture du projet de loi. adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales (n° 392, 1995-1996).

Lundi 17 juin 1996 :

A quinze heures :

Ordre du jour prioritaire

(La conférence des présidents a fixé :
- au lundi 17 juin 1996, à douze heures, le délai limite pour le dépôt des amendements à ce projet de loi ;

- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant douze heures, le lundi 17 juin 1996.)

Mardi 18 juin 1996 :

Ordre du jour prioritaire

1. Suite du projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat.
A seize heures :
2. Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi de modernisation des activités financières.

3. Suite de l'ordre du jour du matin.

Mercredi 19 juin 1996 :

Ordre du jour prioritaire

A quinze heures :
2. Sous réserve de sa transmission, projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 (urgence déclarée) (A.N., n° 2766).
(La conférence des présidents a fixé à six heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel il a été procédé au début de la session et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant dix-sept heures, le mardi 18 juin 1996.)

Jeudi 20 juin 1996 :

Ordre du jour prioritaire

A quinze heures :
2° Questions d'actualité au Gouvernement.
(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance, avant onze heures.)

Ordre du jour prioritaire

4° Eventuellement, deuxième lecture du projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale.

Vendredi 21 juin 1996 :

Ordre du jour prioritaire

2455).
2° Conclusions de la commission mixte paritaire ou nouvelle lecture du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales.
(La conférence des présidents a fixé un délai limite général pour le dépôt des amendements expirant, dans chaque cas, la veille du jour où commence la discussion, à dix-sept heures, pour tous les projets de loi et propositions de loi ou de résolution inscrits à l'ordre du jour, à l'exception des textes de commissions mixtes paritaires et de ceux pour lesquels est déterminé un délai limite spécifique.)

A N N E X E
Questions orales sans débat
inscrites à l'ordre du jour du mardi 4 juin 1996

le ministre de l'intérieur sur la législation relative aux gens dits « du voyage » (non pas sur les textes en vigueur - dont les maires connaissent hélas trop bien les insuffisances qui les placent dans des situations intenables -, mais sur ce que le Gouvernement envisage de faire pour que les questions qui se posent trouvent enfin une réponse). Quand un Gouvernement aura-t-il le courage de s'attaquer véritablement au problème, en considérant que les gens dits « du voyage » doivent être soumis à la rigueur de la loi comme toute personne vivant dans notre pays ? Nous savons qu'un groupe de travail de la commission des lois du Sénat se penche sur le sujet. Nous savons, pour y participer, que le groupe des sénateurs-maires y travaille également. Mais rien n'avancera concrètement sans une volonté forte du Gouvernement. Peut-on espérer une loi réaliste et l'abrogation des dispositions prévues dans la loi Besson (n° 91-662 du 13 juillet 1991 d'orientation pour la ville) ? Cette dernière, en effet, pénalise les communes sans aucune contrepartie ou garantie. La presse est pleine d'articles rapportant les agressions d'élus, les dégradations de biens publics et privés, le squat des parkings d'entreprises et des zones commerciales vouées à la faillite par la fuite des clients. Le sujet est complexe, certes, mais cela fait des années que l'ensemble des questions qui se posent sont répertoriées. Le diagnostic est connu. Il faut maintenant agir. Il lui demande donc s'il est prêt à proposer une loi donnant aux autorités et à la justice de véritables moyens d'intervention, en requalifiant la faute lorsqu'il y a violation de la propriété publique ou privée. Il faut pouvoir qualifier ces actes de délits, ce qui permettrait la mise en oeuvre de procédures de flagrant délit. Il lui demande également s'il est prêt à revenir, sur la loi Besson, qui ne prévoit que des contraintes pour les élus locaux sans leur accorder aucune garantie.
N° 382. - M. Michel Mercier appelle l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la situation des écoles municipales de musique au regard de leurs enseignants. La grande majorité de ces enseignants sont soit des contractuels, soit des vacataires, ce qui est justifié par le fait que ces écoles doivent assurer le maximum d'enseignements spécialisés, notamment en instrument, en faisant appel à des spécialistes mais pour peu d'heures d'enseignement. Actuellement, les administrations de tutelle s'opposent au renouvellement des contrats au motif qu'il existe une filière de la fonction publique territoriale relative aux enseignants de musique. Malheureusement, cette filière est tout à fait inadaptée, notamment pour les écoles à effectif faible ou moyen réparti en un grand nombre de disciplines : il est impossible d'offrir des postes à temps plein ou au moins 31 h 30 dans l'ensemble des disciplines. Si le ministère ne permet pas de continuer à recourir à des contractuels, ces écoles municipales de musique, dont le rôle est très important, devront disparaître. Il souhaite donc que les communes ou groupements de communes qui ont des écoles municipales de musique et qui assurent des enseignements de solfège et d'un assez grand nombre de disciplines instrumentales soient autorisées à recourir à des contractuels pour assurer ces enseignements lorsque le temps d'enseignement ne correspond pas à un temps plein de fonctionnaire.
N° 383. - M. Michel Mercier attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la situation des fonctionnaires publics territoriaux désirant travailler à mi-temps. Il y a un triple intérêt à développer le travail à temps partiel dans la fonction publique territoriale : pour le service public qui peut s'adapter aux besoins réels du service, des usagers et du territoire ; pour le fonctionnaire qui le désire et qui peut ainsi avoir la maîtrise de son temps consacré à la vie professionnelle et de son temps consacré à la vie familiale ; pour l'emploi en général. Or, face à cet intérêt, il y a des freins du développement du travail à temps partiel, et notamment du travail à mi-temps. L'un des freins essentiels est la non-application à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (C.N.R.A.C.L.) pour les agents effectuant moins de 31 heures 30 par semaine. Il souhaite que le Gouvernement lève cette barrière au développement du travail à mi-temps pour les fonctionnaires territoriaux car il est bien évident que l'application à la C.N.R.A.C.L. constitue un élément du statut du fonctionnaire local. Cet agent local n'acquerrait des droits à retraite qu'en fonction de la cotisation et de son temps de travail comme cela est fait pour les fonctionnaires de l'Etat.
N° 390. - M. François Gerbaud attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur les difficultés que rencontrent les communes en raison du retard pris pour la publication du décret relatif à la commission départementale des élus, chargée de se prononcer sur les catégories d'investissements éligibles à la dotation globale d'équipement (D.G.E.), les taux d'intervention ainsi que, nouveauté résultant de la réforme de la D.G.E. prévue par la loi de finances initiale pour 1996, sur la répartition de l'enveloppe départementale entre les communes et groupements de 2 000 habitants au plus et ceux compris entre 2 000 et 20 000 habitants. En l'absence de ce décret qui modifie le nombre et la composition des collèges d'élus, la commission n'a pu se réunir, ni celle qui est chargée d'examiner les subventions de dotation de développement rural (D.D.R.). Dans les départements, comme l'Indre, où plusieurs associations d'élus existent, le retard sera aggravé par la nécessité de procéder à des élections. Les communes ne peuvent en conséquence commercer des travaux bien souvent urgents puisque l'arrêté de subvention de D.G.E. doit être préalable, en application de l'article 10 du décret du 10 mars 1972, relatif au régime des subventions de l'Etat. Le retard est non seulement préjudiciable aux budgets communaux mais également aux entreprises locales, qui réalisent la très grande majorité de ces travaux. Ainsi, pour l'Indre, on peut estimer à 130 MF le montant des travaux D.G.E. et D.D.R. qui sont ainsi bloqués dans l'attente des arrêtés que le préfet ne peut légalement prendre. Cette situation se complique puisque, au 15 mai, le préfet n'a toujours pas reçu l'autorisation de programme de D.G.E. et ne pourrait pas prendre les arrêtés de subvention quand bien même la commission d'élus se serait réunie. Aussi, il lui propose dans le cadre des réflexions relatives à la réforme de l'Etat, la possibilité de donner aux préfets le droit d'autoriser le commencement des travaux avant l'arrêté de subvention, droit qui actuellement appartient au ministre de l'économie et des finances, sauf cas particulier d'urgence prévu à l'article 11 du même décret (sinistre, catastrophe naturelle...). D'une façon plus générale, et pour adapter le vieux décret du 10 mars 1972 relatif au régime des subventions de l'Etat qui ne pouvait prévoir la décentralisation et la globalisation des subventions, l'autorisation de commencer les travaux avant l'arrêté de subvention pourrait être attribuée aux préfets de département pour ce qui concerne les financements de catégorie III et aux préfets de la région en ce qui concerne les financements de catégorie II. Qui mieux que l'ordonnateur est à même de juger de l'intérêt d'autoriser ou non le commencement des travaux ?
N° 391. - M. Dominique Leclerc souhaite attirer l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la recherche sur les inquiétudes des chercheurs français à l'égard des mesures qui ont été récemment prises afin d'assainir la situation du Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.). Ces derniers craignent effectivement que ces restrictions budgétaires ne viennent compromettre la réussite de certains programmes européens en cours dont des laboratoires français sont les coordonnateurs et ne découragent les jeunes qui se sont orientés vers la recherche. C'est pourquoi il lui serait reconnaissant de bien vouloir lui faire connaître les mesures qu'il envisage de prendre afin d'assurer une certaine stabilité à la politique de recherche française.
N° 392. - M. Georges Mouly attire l'attention de M. le ministre du travail et des affaires sociales sur la situation difficile que connaît l'Institut médico-éducatif de Sainte-Fortunade en Corrèze. Des efforts importants ont été consentis par le personnel (redéploiement) et l'association gestionnaire (abandon d'un projet de centre de préorientation professionnelle). Malgré des demandes réitérées depuis plus de trois ans, le financement des indispensables travaux de conformité et de sécurité fait toujours défaut. Il lui demande donc si l'État entend assurer ce financement, faute de quoi les arrêtés du 26 mai 1993 en application du décret du 27 octobre 1989 vont hypothéquer sérieusement le bon fonctionnement de l'établissement.
N° 393. - Mme Danielle Bidard-Reydet attire l'attention de M. le ministre délégué à la ville et à l'intégration sur les conséquences du départ de la société Schweppes de la ville de Pantin (93500). Cette entreprise emploie actuellement 95 personnes. Alors que la raison invoquée est le manque de place pour se développer, un examen attentif des comptes de Schweppes-France indique une stratégie axée sur la recherche de la rentabilité financière au détriment de l'emploi. Ainsi de 1991 à 1994 les bénéfices de l'entreprise se sont accrus de 404 p. 100. Dans le même temps les frais de personnel ont baissé de 20 p. 100 passant de 233 millions de francs à 186 million de francs. Schweppes-France s'apprête vraisemblablement à demander l'aide publique dans trois domaines : le financement pour le départ de Pantin et la suppression d'emplois, le financement pour la création d'une nouvelle implantation et enfin le financement au titre de l'aide à l'embauche. Alors que le Gouvernement affirme publiquement sa volonté de maintenir et même d'implanter des entreprises dans les villes de banlieues, acceptera-t-il de favoriser le départ de Schweppes de Pantin en lui attribuant des financements publics ? (Question transmise à Mme le ministre délégué pour l'emploi).
N° 394. - Mme Danielle Bidard-Reydet attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les conditions de la rentrée scolaire dans le département de la Seine-Saint-Denis. La réalité économique et sociale de ce département rend les conditions d'enseignement particulièrement difficiles. Dans ce contexte, l'échec scolaire est important et les résultats départementaux aux examens sont inférieurs à ceux de la région parisienne et à ceux de notre pays. Cette situation appelle donc un effort exceptionnel de rattrapage. Elle souhaite qu'il lui expose ses propositions pour la rentrée prochaine afin de permettre la réduction de l'échec scolaire et la promotion de la réussite scolaire en Seine-Saint-Denis.
N° 395. - M. Charles Metzinger appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la circulaire n° 81-46 et n° 81-252 du 9 juillet 1981 relative aux modalités d'établissement des autorisations collectives de sortie du territoire pour des élèves mineurs. Dans les régions frontalières, et c'est le cas en Moselle, l'enseignement précoce d'une langue étrangère à l'école primaire, en l'occurrence l'allemand, est devenue une pratique courante et les enseignants y associent souvent des projets d'échanges et de rencontres avec des écoles allemandes qui ont élaboré des programmes similaires. L'obligation faite par cette circulaire au chef d'établissement ou au directeur d'école de s'assurer de la nationalité française de l'élève en demandant communication de sa carte nationale d'identité ou de son passeport périmé depuis moins de cinq ans revêt souvent un caractère dissuasif pour l'élève de participer à ces projets pédagogiques. Depuis 1981, des traités admettent la libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté européenne. Afin que tous les élèves puissent sans difficulté participer à ces échanges transfrontaliers, il lui demande de bien vouloir reconsidérer cette circulaire pour en assouplir les modalités.
N° 396. - M. René Rouquet appelle l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les mesures de carte scolaire présentées pour le Val-de-Marne au conseil départemental de l'éducation nationale. Ces mesures laissent présager pour la rentrée 1996-1997 une détérioration des conditions d'enseignement marquées par le recul des structures d'encadrement par rapport à la situation actuelle et un traitement inégalitaire des écoles qui soulève de nombreuses interrogations relatives aux critères d'évaluation des établissements scolaires. Alors que le Val-de-Marne ne peut être considéré comme un département facile et que les effets du nouveau contrat pour l'école devraient être ressentis dans le premier degré, il est prévu une diminution du taux d'encadrement générée par une augmentation des moyennes d'élèves par classe et la non-prise en compte de l'ensemble des établissements situés en zone sensible, ceci alors que le Gouvernement manifeste son intention de s'attaquer aux problèmes des quartiers difficiles. Il lui demande donc de bien vouloir lui faire part de son sentiment sur cette situation et de lui indiquer s'il envisage de prendre des mesures relatives aux différents points évoqués.
N° 397. - M. Alain Richard attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur le non-respect par la société anonyme H.L.M. Carpi, filiale du groupe Maisons familiales, de la réglementation en matière de logements construits en accession à la propriété et acquis au moyen de prêts aidés. L'étude de cette affaire démontre que les logements construits par le groupe Maisons familiales et vendus par sa filiale la S.A. H.L.M. Carpi, ont fait l'objet de deux agréments ministériels rendus successivement en 1976 et 1979 sur le fondement d'un concours d'Etat, le concours C.N.B.S. créé par le Comité national des bâtisseurs sociaux et ayant pour objectif de permettre aux particuliers disposant de revenus les plus modestes, de devenir propriétaires grâce à une réduction obligatoire du prix des logements agréés. Des documents publicitaires diffusés par le groupe Maisons familiales insistaient d'ailleurs sur l'opportunité d'acquérir de tels logements à des prix inférieurs de 10, voire le même de 20 p. 100, aux prix plafonds H.L.M. Or, il s'est révélé que la société H.L.M. Carpi n'a pas répercuté cette réduction de prix sur les logements vendus et a pratiqué des prix de vente correspondant au barème ordinaire des prix H.L.M. accession. Il lui demande donc : pourquoi aucune des directions départementales de l'équipement n'a procédé à un contrôle des prix de référence des logements construits par la S.A. H.L.M. Carpi en application des règles spéciales issues du concours C.N.B.S., alors que les fiches d'opération déposées auprès d'elles par la société pour obtenir le versement de prêts aidés faisaient expressément référence audit concours C.N.B.S. ; pourquoi le rapport de contrôle de 1989 de l'inspection générale de l'équipement établi à l'encontre de la société Carpi à la demande du ministère de la construction ne fait aucune allusion au concours C.N.B.S. et se fonde exlusivement sur les barèmes réglementaires des prix plafonds H.L.M. accession.
N° 398. - M. Gérard Delfau attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur la très forte dégradation de la situation des professions du bâtiment et des travaux publics : atonie du marché des particuliers, désengagement budgétaire de l'Etat, fiscalité excessive, désintérêt des banques, travail au noir, etc. Il lui demande quelles mesures il compte prendre pour apaiser les inquiétudes et relancer le marché.
N° 399. - M. Nicolas About attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les pouvoirs de police des maires en matière de mise en fourrière de véhicules automobiles en stationnement gênant. Il rappelle tout d'abord qu'en vertu des articles L. 2211, L. 2212 et L. 2213 du code général des collectivités locales, les maires, en tant qu'officiers de police judiciaire, sont censés disposer des pouvoirs de police liés à l'exercice de leurs missions de sécurité publique. Le maire peut ainsi, en matière de sécurité routière, prendre des arrêtés de circulation afin de réglementer le stationnement des véhicules sur sa commune. Il dispose par ailleurs d'une police municipale, chargée spécifiquement d'assurer la sécurité et d'appliquer ses arrêtés. Or, il semble que, en l'état actuel des choses, seul un agent de la police nationale puisse signer le procès-verbal de mise en fourrière lorsqu'un véhicule en stationnement n'a pas respecté le code de la route. Tel est le cas lorsqu'un véhicule stationne sur des passages pompiers, sur des passages piétons, sur des emplacements réservés aux personnes handicapées ou sur tout autre lieu d'interdiction : le maire ne peut pas procéder à l'enlèvement du véhicule en infraction et doit nécessairement faire appel à la police nationale. De cette procédure administrative lourde découlent des difficultés concrètes sur le terrain pour obtenir les enlèvements souhaités. Pourquoi attendre la venue des agents de police nationale alors que la police municipale se trouve déjà sur les lieux de l'infraction ? Pourquoi la police municipale est-elle qualifiée pour sanctionner ces infractions et non pour y mettre un terme ? La sécurité routière de nos concitoyens passe pourtant par des interventions rapides et efficaces. Il lui demande quelles mesures il entend prendre pour remédier à cette situation aberrante et permettre enfin aux maires d'exercer pleinement les pouvoirs de police qui sont les leurs, afin qu'ils puissent autoriser eux-mêmes les enlèvements de véhicules susceptibles de mettre en danger la sécurité de leurs administrés ?
N° 400. - M. François Lesein expose à M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation que la loi n° 1134 du 27 décembre 1994, modifiant certaines dispositions relatives à la fonction publique territoriale, ainsi que la circulaire du 13 février 1995 laissent encore sans réponse un certain nombre de questions concernant la situation et la gestion des cadres A territoriaux, momentanément privés d'emploi. Il lui demande s'il envisage de publier prochainement des décrets d'application, notamment sur l'article 97 de la loi du 27 décembre afin de préciser l'organisation et les conditions de rémunération des missions pouvant être confiées à cette catégorie de fonctionnaires.
N° 401. - M. Louis Souvet attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat aux transports sur les différentes estimations financières concernant le coût global du canal à grand gabarit Rhin-Rhône. Il rappelle que des divergences importantes apparaissent quant aux paramètres financiers selon les sources fournissant les évaluations. En conséquence, il lui demande, d'une part, de lui préciser si tous les aménagements techniques de ce projet particulièrement complexe ont été pris en compte et, d'autre part, de lui donner des informations quant à la rentabilité future d'une telle liaison.
N° 402. - M. Louis Souvet attire l'attention de Mme le secrétaire d'Etat aux transports quant à l'avenir professionnel des élèves pilotes formés à l'Ecole nationale de l'aviation civile (E.N.A.C.). Il précise que les pouvoirs publics doivent être conscients du taux de chômage très élevé au sein de cette élite de l'aéronautique française. En conséquence, il lui demande si elle envisage d'initier une réflexion quant au reclassement social de ces jeunes, soit dans leur métier initial, soit dans une branche connexe.
N° 403. - M. Louis Souvet attire l'attention de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur l'avancement de grade destiné à promouvoir le titulaire d'un emploi fonctionnel et les contraintes des seuils démographiques. Il lui précise que le décret n° 96-101 du 6 février 1996 ne règle que partiellement les difficultés administratives rencontrées par les élus locaux. Il estime regrettable que le fonctionnement harmonieux des collectivités locales soit remis en cause par un certain nombre de contraintes liées au recrutement des emplois de direction. En conséquence, il lui demande s'il n'estime pas opportun de compléter le critère démographique par un ratio en matière d'équipement brut.
N° 404. - M. Henri Weber interroge M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur l'arrêt des travaux de mise à deux fois deux voies de la R.N. 27 entre Rouen et Dieppe. Décidée en 1993 pour désenclaver le littoral haut-normand, la mise à deux fois deux voies de la route nationale 27 devait être inaugurée au printemps 1996, « quels que soient les aléas ». Or, les travaux viennent d'être suspendus pour deux ans, au titre des économies budgétaires décidées par le Gouvernement, alors que les ouvrages d'art ont déjà été édifiés et qu'il ne reste plus qu'à poser le revêtement définitif et à procéder à quelques travaux de finition, ce qui pourrait être fait en quelques semaines. Il lui demande quelles initiatives il compte prendre pour lever cette décision scandaleuse qui porte un préjudice considérable à une région déjà très éprouvée par le chômage et le marasme économique.

NOMINATION D'UN RAPPORTEUR
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

391 (1995-1996) relatif à l'entreprise nationale France Télécom.



Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)


Tracé du TGV Est : préservation du site de Bonne-Fontaine
situé dans le parc naturel des Vosges du Nord

416. - 31 mai 1996. - M. Charles Metzinger signale à Mme le secrétaire d'Etat aux transports que le tracé du TGV Est, tel qu'il est envisagé actuellement, ne manquera pas d'avoir des conséquences économiques et environnementales préjudiciables pour la commune mosellane de Danne et Quatre-Vents, limitrophe du Bas-Rhin, en particulier pour son annexe, Bonne-Fontaine, enclavée dans le parc naturel des Vosges du Nord. Celle-ci bénéficie d'un environnement paysager et d'un patrimoine culturel qui en font un ensemble remarquable composé d'un couvent, d'un établissement hôtelier et d'une maison forestière. La combinaison-nature-culture tourisme draine quelque 30 000 visiteurs par an, ce qui constitue, pour une petite commune de 517 habitants, un intérêt économique indéniable. Dans la procédure administrative, la commission d'enquête a émis un avis favorable à la déclaration d'utilité publique pour la construction d'une ligne ferroviaire nouvelle sur l'ensemble du tracé. L'aménagement définitif n'est cependant pas encore arrêté. Les élus de la commune n'ont pas ménagé leurs efforts pour faire valoir leurs arguments et demander une traversée couverte du site de Bonne-Fontaine. N'est-il pas envisageable de consentir un effort particulier pour la préservation de ce site ? Par ailleurs, on entend dire que l'utilisation de l'ancienne ligne pourrait être envisagée sur quelques dizaines de kilomètres à proximité de Danne et Quatre-Vents. Est-ce vrai, et peut-elle en dire plus sur cet aspect de la question ?

Reconversion du site du plateau d'Albion

417. - 31 mai 1996. - M. Alain Dufaut attire l'attention de M. le ministre de la défense sur l'avenir de la région du plateau de Sault et de la ville d'Apt en Vaucluse, suite à l'annonce officielle du démantèlement des missiles sol-sol du premier groupement de missiles stratégiques (GMS) installés sur la base aérienne d'Albion. La fermeture de ce site de défense nucléaire, qui s'inscrit dans le cadre plus général de la réforme de notre défense nationale, vaste chantier que le Président de la République a eu le courage de mettre en oeuvre, pose néanmoins le problème de sa reconversion. Les études entreprises depuis plusieurs mois, et notamment celle commanditée par le comité de liaison des élus d'Albion, mettent en évidence l'impact économique et social considérable d'une telle décision. C'est ainsi que 1 200 emplois directs, environ 3 300 personnes, une quarantaine de classes et près de 170 entreprises seront touchés. Les incidences en termes de démographie et de maintien des services publics sont également très importants. L'ampleur des conséquences ainsi cernées permet de confirmer la nécessité de mettre en oeuvre un projet de développement de longue durée particulièrement complet, tenant compte des propositions formulées par les acteurs locaux. Le rapport annexe de présentation du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002, projet dont la discussion aura lieu dans les jours prochains au sein de la Haute Assemblée, précise justement que « l'importance des mesures de restructuration militaire et industrielle et la durée de la phase de transition d'un modèle d'armée à l'autre nécessitent un effort d'accompagnement économique et social exceptionnel ». A cet égard, il sollicite de M. le ministre de la défense une audience des parlementaires vauclusiens et des élus directement concernés par la fermeture du site d'Albion, afin de définir une procédure de travail devant déboucher sur la mise en oeuvre de mesures de reconversion adaptées. La récente nomination d'un délégué interministériel aux restructurations de défense, qui s'est engagé à organiser très rapidement une première réunion dans le Vaucluse, permet d'envisager une réelle concertation sur le terrain, en liaison avec les autorités administratives concernées et les représentants de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Il n'en demeure pas moins vrai que l'efficacité de cette phase dépend en grande partie des propositions de l'Etat, lesquelles devront absolument s'appuyer et répondre aux engagements du Président de la République, visant à ce que la « reconversion du site et l'implantation de nouvelles activités militaires ou civiles soient étudiées, en concertation avec les parlementaires et élus locaux, avec le souci prioritaire du maintien du niveau d'emploi et des activités économiques de la région ». Il lui demande par conséquent de bien vouloir lui préciser ses intentions à ce sujet.

Conditions d'attribution et montant
de l'allocation de veuvage

418. - 31 mai 1996. - M. Jacques Machet appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale sur les conditions d'attribution et le niveau de l'allocation de veuvage. Les fonds collectés au titre de l'assurance veuvage sont excédentaires, chaque année, de plus d'un milliard de francs depuis dix ans. Or le nombre total de bénéficiaires de cette allocation oscille, sur la même période, autour de 15 000 personnes par an seulement, sur environ 350 000 veuves de moins de cinquante-cinq ans. Ceci paraît d'autant choquant que la précarité des personnes touchées par le veuvage et leurs difficultés pour retrouver un emploi se sont accrues en proportion de la montée du chômage, depuis la création de l'assurance veuvage, en 1979. Il juge donc souhaitable que le plafond de ressources limitant l'octroi de l'allocation de veuvage soit relevé, et le montant de cette allocation substantiellement augmenté, afin que les fonds de l'assurance veuvage soient utilisés en faveur des personnes pour lesquelles une cotisation spécifique est prélevée sur les salaires. Il lui demande donc quelles sont les perspectives d'amélioration de cette situation.

Situation des agents hospitaliers de l'hôpital
de l'assistance publique Georges-Clemenceau à Champcueil (Essonne)

419. - 1er juin 1996. - M. Jean-Jacques Robert attire l'attention du M. le ministre de l'économie et des finances sur la situation des personnels hospitaliers en fonction à l'hôpital Georges-Clemenceau de Champcueil dans son département. Des inégalités de traitement (relatives notamment aux indemnités de résidence) dues à une réglementation archaïque conduisent à des situations difficilement supportables. C'est pourquoi il lui demande de bien vouloir supprimer ces zones anciennement appelées zones territoriales d'abattement de salaires pour une plus juste équité entre les personnels de l'Assistance publique.

Insécurité dans les stades en Ile-de-France

420. - 3 juin 1996. - M. Jean-Jacques Robert attire l'attention de M. le ministre délégué à la jeunesse et aux sports sur l'insécurité croissante à l'occasion des compétitions du samedi et du dimanche dans les stades d'Ile-de-France, et plus particulièrement de l'Essonne. Cette insécurité se caractérise au niveau des compétitions amateurs et des réunions de fin de saison, puisque dans ces championnats et coupes des classements inférieurs, il n'y a pas souvent d'arbitre officiel. Il lui demande quelles mesures immédiates il entend prendre pour faire cesser cette situation dangereuse et nuisible au plaisir de jouer pour ces jeunes sportifs.