M. le président. « Art. 1er - Il est inséré dans la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications un article 1-1 ainsi rédigé :
« Art. 1-1. - 1. La personne morale de droit public France Télécom mentionnée à l'article premier est transformée à compter du 31 décembre 1996 en une entreprise nationale dénommée France Télécom, dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social.
« Cette entreprise est soumise aux dispositions de la présente loi en tant que celle-ci concerne l'exploitant public France Télécom et, dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la présente loi, aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes.
« 2. Les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public France Télécom sont transférés de plein droit, au 31 décembre 1996, à l'entreprise nationale France Télécom à l'exception de ceux mentionnés à l'alinéa suivant. Les biens de la personne morale de droit public France Télécom relevant du domaine public sont déclassés à la même date.
« Les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public France Télécom nécessaires aux missions de service public d'enseignement supérieur des télécommunications sont transférés à l'Etat. Un arrêté des ministres chargés de l'économie, du budget et des télécommunications détermine la liste des biens, droits et obligations dont il s'agit.
« Les transferts mentionnés aux deux alinéas précédents sont effectués à titre gratuit et ne donnent lieu ni à indemnité, ni à perception de droits ou taxes, ni au versement de salaires ou honoraires.
« 3. Le dernier alinéa de l'article 37 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 modifiée relative à la démocratisation du secteur public est applicable à l'entreprise nationale France Télécom. »
Sur l'article, la parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en abordant la discussion de l'article 1er, nous entrons dans le vif du sujet de ce projet de loi, puisqu'il s'agit de créer les conditions de la privatisation partielle de l'opérateur public et historique France Télécom qui, je le rappelle, est en parfaite santé, emploie près de 150 000 agents, rapporte bon an mal an à l'Etat près de 10 milliards de francs de bénéfices et assure avec dynamisme la gestion d'un service public de toute première importance pour notre économie autant que pour l'ensemble des habitants de notre pays.
On ne peut donc que s'étonner du relatif désintérêt de notre Haute Assemblée pour ce texte qui, après celui que nous avons examiné la semaine dernière, prévoit de franchir une nouvelle étape dans la mise en cause d'un outil national performant au service de l'intérêt général.
En ne déposant que quelques rares amendements qui, pour l'essentiel, ne sont que de pure forme, la commission des affaires économiques et les groupes de la droite prouvent que, de toute évidence, leur objectif est d'en finir au plus vite avec la discussion d'un projet de loi qui, de surcroît, a été déclaré d'urgence par le Gouvernement.
L'enjeu considérable qu'il revêt pour les 150 000 agents de France Télécom est totalement escamoté, ce qui est tout à fait révélateur du peu de cas que la droite fait de leur statut, de leur emploi et de leur avenir.
Il n'est pas convenable qu'une majorité parlementaire use et abuse de sa position pour se croire tout permis et s'autorise à mettre à l'encan un bien de la nation aussi important pour son devenir.
Ce débat tronqué n'est pas digne du Parlement français.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne sont pas prêts, pour leur part, à laisser brader le patrimoine national et l'intérêt général sans rien dire ni sans rien faire.
Défenseurs du service public des télécommunications, nous sommes décidés à faire notre travail de parlementaires, pour montrer la réalité des objectifs que vous poursuivez et que vous dissimulez.
Les 102 amendements que nous avons déposés témoignent que nous sommes déterminés à mettre le doigt sur chacun des aspects contestables que recèle votre texte.
Le groupe communiste républicain et citoyen n'abdiquera donc pas ses responsabilités. Soyez assurés de notre volonté de défendre pied à pied le service public des télécommunications et le statut des agents de France Télécom. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Si j'ai souhaité m'exprimer sur cet article, c'est d'abord pour donner acte à M. le ministre que, comme il l'a dit tout à l'heure dans la réponse qu'il m'a faite - et qui ne contenait pas que des insultes : il restait quelques menus arguments ! - nous sommes parfaitement conscients de payer dans l'affaire qui nous occupe aujourd'hui le prix de la défaite électorale de la gauche.
Hier, j'ai démontré, me semble-t-il - sans cependant recevoir de réponse - que l'arrêt du Conseil d'Etat sur lequel s'appuie votre argumentation pour soutenir qu'en aucun cas l'entreprise France Télécom telle qu'elle est ne pourrait être privatisée n'était applicable que pour autant que les conditions qui y étaient énumérées se trouvaient toujours réalisées. Il suffirait en effet que l'une de ces conditions ne soit plus remplie pour qu'alors se pose la question du statut véritable de la nouvelle société nationale instituée par l'article 1er du projet de loi.
J'ai montré qu'un tel glissement pouvait se produire dans les faits parce que d'autres entreprises que France Télécom pouvaient assurer des missions de service public ou des missions de service universel.
J'ai montré également qu'il suffirait d'une nouvelle loi pour que les conditions dans lesquelles la société est constituée aujourd'hui changent de nature. Personne ne peut nier qu'une loi peut en compléter - ou en défaire, c'est selon l'appréciation que l'on porte - une autre !
J'ai montré aussi que la filialisation était inéluctable, et plusieurs de mes collègues du groupe socialiste ont également fait la démonstration de la force de cet argument. En effet, dès lors que l'entreprise devra accomplir les objectifs que vous lui assignez pour l'avenir, cela nécessitera une recapitalisation épisodique, laquelle nécessitera l'intervention de l'Etat. Ce dernier n'étant pas en mesure d'y pourvoir, que se passera-t-il alors ? La solution la plus simple sera évidemment la filialisation, et donc l'éclatement progressif de l'ancienne société France Télécom et du service public à travers une poussière de sociétés, le noyau stable, France Télécom, se voyant progressivement vidé de sa substance.
J'ai dit tout à l'heure qu'à côté de cette privatisation qui, je pense en avoir fait la démonstration, est à l'ordre du jour, se profile une autre privatisation que je qualifierai d'« organique ». Et personne ici ne m'en voudra de créer quelques néologismes après M. le rapporteur, qui en a lui-même inventé un grand nombre.
A M. le rapporteur, qui est l'auteur de ce projet de loi - ou en tout cas son inspirateur le plus évident puisque, à bien des égards, il semble souvent ne supporter aucune concurrence de paternité en la matière - je voudrais demander un éclaircissement : dès lors que vous allez charger le bilan de France Télécom - ou trop ou pas assez, je m'en suis expliqué tout à l'heure - avec la soulte et que la composition de son capital verrouillera la capacité de l'entreprise à s'épanouir dans les objectifs que vous lui octroyez, comment empêcherez-vous qu'à côté d'une France Télécom empêtrée de cette manière, n'émergent des compagnies privées susceptibles, depuis la précédente loi de déréglementation des télécommunications, d'accéder à l'ensemble des activités de la télécommunication ?
Autrement dit, comment allez-vous vous y prendre pour garantir que, tandis que France Télécom se trouvera liée et les autres entreprises déliées, c'est-à-dire à même d'accomplir des missions de service public ou des missions de service universel, voire des missions de service obligatoire, ces dernières n'assument pas les fonctions qui, aujourd'hui, sont assumées par France Télécom ?
Cette privatisation organique sera d'autant plus facile que vous aurez permis auparavant, comme l'a relevé mon collègue Gérard Delfau tout à l'heure, qu'entrent dans le capital de la société France Télécom ses principaux concurrents qui ont par ailleurs eux-mêmes des activités dans ce secteur privé distinctes de celles qu'ils auraient en étant coactionnaires de la société France Télécom.
Tout un dispositif est en place, soit par la privatisation tendancielle, soit par la privatisation organique, qui dément totalement les intentions affirmées dans cet article 1er.
Je souhaiterais donc que M. le rapporteur et M. le ministre - s'il en a le temps ! - veuillent bien nous éclairer pour apprécier totalement la signification de la transformation de France Télécom en société nationale anonyme.
M. le président. Sur l'article 1er, je suis saisi de dix-huit amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune. Pour la clarté du débat, je les appellerai les uns après les autres.
Les deux premiers amendements sont identiques.
L'amendement n° 7 est déposé par Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Garcia, Mélenchon, Pastor, Peyrafitte et Saunier, les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 19 est présenté par MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à supprimer l'article 1er.
La parole est à Mme Pourtaud, pour défendre l'amendement n° 7.
Mme Danièle Pourtaud. Par cet amendement de suppression de l'article 1er, le groupe socialiste du Sénat affirme sa totale opposition à la transformation de France Télécom en société anonyme, quand bien même le capital est détenu majoritairement par l'Etat.
Nous considérons en effet que le statut de France Télécom issu de la loi du 2 juillet 1990 a donné à notre opérateur national la capacité de se développer dans un environnement concurrentiel tout en restant un service public performant.
Je rappellerai quelques données pour vous convaincre. France Télécom est l'entreprise qui réalise aujourd'hui les plus gros bénéfices : ses profits ont atteint 9,2 milliards de de francs en 1995 pour un chiffre d'affaires de 147,8 milliards de francs. C'est aussi le plus gros investisseur français, largement devant les banques : 32 milliards de francs en 1995. Son endettement ne cesse de décroître : sa dette financière nette ne s'élève plus qu'à 87,3 milliards de francs contre 96,6 milliards de francs en 1994. Ses frais financiers sont inférieurs à certains de ses alliés mais aussi concurrents comme Deutsche Telekom. Enfin, avec ses 150 000 agents, c'est le cinquième employeur français. Voilà pour les données chiffrées.
Par ailleurs, France Télécom mène une politique très active d'investissements à l'étranger - Telmex au Mexique, Telecom Argentina en Argentine - et développe des alliances internationales : c'est l'accord Atlas qui fédère les offres de services entre France Télécom et Deustche Telekom en matière de transmission de données, de réseaux privés virtuels et de liaisons internationales ; c'est également l'accord Global One signé avec l'opérateur nord-américain Sprint pour constituer une filiale présente sur tous les continents.
Ce qui fait la force et le succès de France Télécom, c'est sa performance, c'est la qualité et la compétence de ses salariés, c'est sa capacité à innover, à devancer les attentes, à susciter les progrès technologiques et non pas uniquement à les accompagner. Bref, c'est ce bel outil que vous voulez démanteler. Peu vous importe ses réussites, peu vous importe que les Français plébiscitent à plus de 90 p. 100 France Télécom, vous êtes aveuglés par votre volonté de privatiser France Télécom.
Je rappellerai pour mémoire vos tentatives passées : 1967, Valéry Giscard d'Estaing alors député, propose la création d'une société nationale de téléphone. Robert Galley, ministre des PTT, reprend l'idée. Mais la très dure grève des postes en 1974 enterre le projet jusqu'en 1987, où Gérard Longuet, ministre chargé des postes et télécommunications de Jacques Chirac, au nom de ce que vous appeliez alors « les chantiers de la liberté » - terme que vous n'osez plus utiliser, sachant que de liberté il n'est nullement question - concocte un avant-projet de loi transformant la direction générale des télécommunications en une entreprise à capitaux d'Etat. Puis ce fut l'épisode de 1993, toujours par l'entremise de M. Longuet, devenu alors ministre de l'industrie, des postes et télécommunications et du commerce extérieur d'Edouard Balladur. Ce projet tomba dans les oubliettes à la suite de la grève du personnel de France Télécom suivie par 75 p. 100 des agents.
Monsieur le ministre, la constance de votre majorité vous honorerait s'il ne s'agissait pas de saper notre opérateur national et s'il ne s'agissait pas de réduire le service public à sa portion congrue, à un ersatz de service public, le service universel qui consiste à fournir à tous à un prix abordable le téléphone filaire, à savoir ce que l'on considérera bientôt comme le téléphone de nos grands-mères.
Il ne sert à rien de prévoir des schémas sectoriels d'établissements de réseaux à haut débit, dès lors que vous soumettez à la seule loi du marché les réseaux avancés de téléphonie. Il y aura donc désormais deux catégories de citoyens : ceux qui seront contraints de se satisfaire du « 22 à Sablé » - pardonnez-moi de reprendre cette plaisanterie que j'avais faite la semaine dernière - et ceux qui auront les moyens d'avoir accès aux nouveaux modes de télécommunication. C'en est fait d'un service public de qualité, offert non pas à quelques-uns mais à tous. Or, s'il est aujourd'hui un secteur qui relève des missions d'intérêt général et qui doit donc expressément être confié à l'Etat, c'est bien le secteur des télécommunications. Dois-je vous rappeler que les télécommunications, c'est aujourd'hui l'accès au travail, l'accès au savoir ? N'est-ce pas là par essence un objectif de service public ? N'est-ce pas là le rôle de la puissance publique que de permettre à l'ensemble de la population d'avoir accès à ces services ? C'est en tout cas ce que, pour notre part, nous croyons.
Cela n'est pas votre choix. Vous préférez laisser faire le marché. C'est la démission de l'Etat face aux intérêts particuliers. C'est la démission du politique ! Nous ne pouvons l'accepter.
M. le président. Veuillez conclure, madame Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Je conclus, monsieur le président.
Vous tentez, monsieur le ministre, de rassurer les Français en affirmant qu'il s'agit non pas d'une privatisation, mais d'une « sociétisation ». Mais, dès lors que vous aurez permis à des actionnaires privés d'entrer dans le capital de France Télécom, l'Etat se retrouvera pieds et poings liés, obligé de se plier à leurs exigences. Dès lors que l'Etat ne détiendra plus que 51 p. 100 du capital, comment ferez-vous pour nouer de nouvelles alliances, puisque c'est au nom de celles-ci que vous motivez la modification du statut de France Télécom ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Billard, pour présenter l'amendement n° 19.
M. Claude Billard. L'article 1er est incontestablement le pilier du dispositif de ce projet de loi.
Après le texte de la semaine dernière qui visait à privatiser une partie des activités de France Télécom, il contient tous les ingrédients du changement de statut, de la privatisation progressive de France Télécom.
Il prévoit d'insérer un nouvel article 1-1 dans le corps de la loi Rocard-Quilès de 1990 qui autoriserait l'entrée des capitaux privés dans le capital de l'entreprise publique. Il prévoit même les modalités du passage du statut actuel d'exploitant public à celui de société anonyme.
Or on sait très bien que des investissements privés n'ont pas pour objectif de concourir à la réalisation de l'intérêt général, mais cherchent au contraire à rentabiliser au mieux et le plus rapidement possible leur mise de fonds initiale.
Cet article tente donc de faire l'amalgame entre deux logiques contradictoires, celle du service public et celle de l'utilisation de l'outil économique de l'entreprise, payé à des fins essentiellement mercantiles.
Nous avons déjà l'exemple de ce que peut donner le mélange des intérêts publics et privés dans la gestion de la distribution de l'eau avec les compagnies fermières que sont la Lyonnaise des eaux, la Générale des eaux et la filiale de Bouygues qui, toutes trois, lorgnent sur les bénéfices que réalise France Télécom dans le secteur des télécommunications et rêvent, bien évidemment, de se les accaparer.
Le résultat de leur activité dans le domaine des eaux se traduit en effet par une gestion aléatoire de la ressource, autant que par l'absence de péréquation tarifaire nationale conduisant à payer des prix au mètre cube très différents selon les communes et les régions, ce qui nuit, bien évidemment, à un aménagement équilibré du territoire et génère une inégalité flagrante des usagers devant le service public.
Ce texte prévoit donc d'aligner à terme le service public des télécommunications sur celui de la distribution de l'eau, ce qui laisse augurer un service public moins efficace, moins performant et, entre nous, moins audacieux.
Il ne fait pas de doute que les orientations nouvelles qu'implique l'intrusion de capitaux privés dans l'entreprise publique vont se traduire à terme par une concentration plus ou moins grande de ses efforts sur les activités et les réseaux les plus producteurs de valeur ajoutée au détriment de ceux qui le sont moins, c'est-à-dire des activités que vous qualifiez, monsieur le ministre, d'activités de service universel.
De plus, cette privatisation, pour le moment partielle, de l'opérateur public, ne peut, à l'expérience, que se révéler catastrophique pour les finances publiques.
Les actionnaires privés vont en effet rapidement s'approprier la moitié de la dizaine de milliards de francs de bénéfices réalisés par l'opérateur public, ce qui fera incontestablement moins d'argent dans les caisses de l'Etat et ne manquera pas de creuser à long terme les déficits publics dans une période où le Gouvernement ne cesse de prétendre vouloir les réduire.
Si, comme l'on peut le prévoir, le prix de l'entreprise était estimé à quelque 60 milliards de francs, pour encaisser les 30 milliards de francs qui représentent la moitié du capital, l'Etat renoncerait définitivement et chaque année à au moins 4 à 5 milliards de francs de recettes assurées, sans compter ce que lui coûtera le réaménagement du régime de retraite des agents de l'entreprise.
Au terme d'une période de trois à quatre ans, l'opération sera donc blanche avant de grever pour longtemps les comptes de la nation.
L'entreprise publique aura été livrée aux appétits du privé. Elle perdra de son efficacité économique. Les usagers paieront dans l'ensemble plus cher des services de moindre qualité. En définitive, ils paieront une deuxième fois la note de l'opération en tant que contribuable.
Des emplois qualifiés et statutaires seront supprimés pour laisser le champ libre aux opérateurs privés.
Pour notre part, nous refusons une telle perspective. Pour se développer et assurer à tous et sans distinction des services de télécommunications modernes et performants, France Télécom n'a pas besoin d'une privatisation, même partielle, de son capital. Elle l'a prouvé par le passé.
Aussi, et pour toutes ces raisons, nous demandons par cet amendement n° 19, la suppression de l'article 1er du projet de loi, et ce par scrutin public, monsieur le président.
M. le président. Par amendement n° 20, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen, proposent de rédiger comme suit l'article 1er :
« Afin de garantir, dans le respect des lois de la République, le plein exercice du droit inaliénable de tous à communiquer au moyen des technologies et des réseaux de télécommunications les plus modernes et performants, France Télécom assure le service public des télécommunications reposant sur les principes d'égalité, de neutralité, d'adaptabilité et de continuité, et sur le développement de la recherche et de l'enseignement supérieur en matière de télécommunications.
« Les entreprises ou les filiales d'entreprises exploitant à la date de promulgation de la présente loi un ou plusieurs réseaux publics filaires ou hertziens sont nationalisées et leurs personnels intégrés à France Télécom dans les mêmes conditions statutaires que ses salariés fonctionnaires.
« Les biens, droits et obligations de ces personnes morales de droit privé sont transférés de plein droit à France Télécom et leurs propriétaires indemnisés selon les modalités appliquées en 1946 à l'occasion de la nationalisation de la production, de la distribution et de l'importation de l'énergie qui a permis la création d'Electricité de France. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Cet amendement est pour nous tout à fait fondamental. Il tend en effet à créer un véritable service public des télécommunications dans notre pays.
Ce grand service public serait assuré par le regroupement de France Télécom et de toutes les entreprises privées intervenant dans le domaine des télécommunications en une seule entité. Elle serait placée sous le contrôle de l'Etat, gérée démocratiquement et destinée à répondre aux besoins grandissants des entreprises, petites et grandes, et de l'ensemble de la population de notre pays.
Dans le domaine qui est encore le sien, et malgré les dispositions législatives et budgétaires qui ont freiné son développement, il nous faut bien constater que l'opérateur public a su faire la preuve d'une remarquable efficacité, tant du point de vue de la qualité des prestations fournies que de celui de la modicité des tarifs pratiqués.
France Télécom permet l'effectivité d'une péréquation tarifaire qui garantit l'égalité d'accès aux services de télécommunications les plus modernes, à tous et sur l'ensemble du territoire.
France Télécom, c'est également l'enseignement supérieur en matière de télécommunications, qui ne doit être déconnecté ni de la recherche fondamentale ni de la recherche appliquée.
Les réseaux de l'entreprise publique lui offrent le vaste terrain d'expérimentation indispensable à son développement.
C'est donc à partir de France Télécom qu'il faut construire et sans cesse renouveler le service public, pour repousser toujours plus avant les limites du progrès technologique.
Le secteur des radiocommunications mobiles, qui a été libéralisé voilà maintenant une dizaine d'années, accuse un important retard de développement qui se traduit par une couverture nationale très insuffisante et par des tarifs encore très prohibitifs par rapport aux besoins des gens et aux possibilités qui existent en ce domaine.
Cela s'explique par l'insuffisance des investissements des opérateurs privés dans ce qui est pourtant, aujourd'hui, leur domaine de prédilection. Si France Télécom n'investit pas suffisamment dans ce domaine, c'est pour deux raisons : d'une part, à cause de l'importance des prélèvements de l'Etat sur ses résultats et, d'autre part, parce que l'entreprise publique, qui craint les conséquences de la déréglementation en cours, ne veut pas investir pour favoriser ses futurs concurrents.
Cette situation est très préjudiciable à l'intérêt général, et les projets de loi en discussion ne risquent pas d'y porter remède, bien au contraire.
Quand on voit aujourd'hui Bouygues, la Générale des Eaux et la Lyonnaise des Eaux, qui détiennent une sorte de monopole de la distribution de l'eau dans notre pays, négliger la gestion de la ressource et augmenter régulièrement et inconsidérément les tarifs qu'elles pratiquent, il est particulièrement inconvenant qu'elles viennent perturber à des fins lucratives la gestion du service public des télécommunications.
Nous proposons donc également, par cet amendement, la nationalisation des filiales de ces entreprises, spécialisées dans le domaine des télécommunications et l'intégration des personnels qui le souhaiteraient dans le corps de la fonction publique de l'Etat.
Les actionnaires de ces entreprises seraient indemnisés de la même manière que ceux des compagnies électriques lors de la loi de nationalisation qui procéda à la création d'EDF et de GDF.
Sous le bénéfice de ces quelques explications, je demande au Sénat d'adopter notre amendement n° 20 et de le faire, là aussi, par scrutin public.
M. le président. Par amendement n° 21, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen proposent de supprimer les deux premiers alinéas du paragraphe 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.
La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par notre amendement n° 21, nous proposons de supprimer les deux premiers alinéas du texte proposé pour l'article 1-1 de la loi du 2 juillet 1990.
Cette disposition constitue le coeur du dispositif de privatisation progressive de France Télécom, qui, comme nous l'avons dit à maintes reprises, est une entreprise extrêmement rentable pour l'Etat, tant du point de vue financier et de sa capacité d'impulsion de l'activité économique, que du point de vue de la satisfaction des besoins des particuliers en matière de télécommunications.
Les deux alinéas que nous voulons maintenant supprimer prévoient en effet deux mesures capitales : la première, c'est la possibilité d'ouverture de 49 p. 100 du capital de France Télécom aux intérêts privés ; la seconde, c'est qu'à part quelques petites différences, notamment à propos de la composition de son conseil d'administration, France Télécom verra son statut glisser vers le droit commun des sociétés anonymes.
Ainsi, même si l'Etat continuait à détenir la majorité des parts du capital de l'entreprise, celle-ci se verrait appliquer les règles juridiques et surtout économiques prévalant dans les entreprises privées, ce qui signifie indiscutablement que la recherche du profit capitaliste prendrait le pas sur la recherche de la satisfaction de l'intérêt général.
D'ailleurs, rien ne garantit que la détention par l'Etat de la majorité des parts de France Télécom soit une réalité permanente.
Il n'est qu'à voir le sort de Renault pour s'en convaincre, car l'engagement du gouvernement de M. Balladur n'a pas été tenu par celui de M. Juppé et la part de l'Etat est passée en dessous de la part fatidique des 51 p. 100.
Si l'on n'avait pas examiné la semaine dernière le texte relatif à la déréglementation du secteur des télécommunications, on pourrait en déduire que France Télécom deviendrait petit à petit une entreprise comme les autres. Ce serait oublier qu'elle a la charge d'assurer le maintien du service minimum des télécommunications qu'est le service dit « universel » et même que, d'ici à quelques années, elle en assumera seule la charge financière.
Il ne fait donc aucun doute que les futurs actionnaires privés tenteront de positionner l'entreprise sur les créneaux des services qualifiés d'obligatoires et sur ceux des activités ouvertes à la concurrence, comme les radiocommunications mobiles où, malgré les difficultés qu'elle rencontre, l'entreprise publique utilise son savoir-faire.
En tout cas, une chose est sûre : les dispositions que le Gouvernement propose d'introduire ne permettront pas à l'entreprise de maintenir et de nouer les coopérations nécessaires pour son développement.
Les multinationales frappent à la porte du marché français des télécommunications et ce qui les intéresse, bien entendu, c'est l'énorme potentialité financière que génère ce secteur. Encore une fois, la construction européenne aura servi de prétexte facile à ceux dont la pensée et la vue se limitent à l'horizon de leurs profits.
Il est d'ailleurs à cet égard tout à fait symptomatique que le représentant du CNPF, le Conseil national du patronat français, M. Alain Bravo, se soit montré en plusieurs occasions l'un des plus fervents supporters de la privatisation progressive de France Télécom.
Les salariés et les usagers ont donc tout à craindre des dispositions prévues.
Les usagers résidentiels et les contribuables seraient ainsi amenés à financer de leurs deniers la baisse des tarifs des abonnements et des communications consentie aux entreprises, aux hommes et femmes d'affaires.
Nous ne pouvons accepter une telle situation et, par conséquent, nous vous demandons de voter notre amendement n° 21.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 22, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le premier alinéa du paragraphe 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, après les mots : « France Télécom » d'insérer les mots : « chargée de l'organisation et du développement du service public des télécommunications ».
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la loi ».
L'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que nous avions déjà évoqué lors du précédent débat portant sur la réglementation des télécommunications, illustre, selon nous, la nécessité de doter notre pays d'un service de communication - de télécommunications, doit-on dire aujourd'hui - moderne et adapté aux enjeux de ce siècle.
L'avancement des techniques, de la recherche, des nouveaux outils de communication, a été rendu possible grâce à l'existence d'un grand service public.
Les capacités du service public à s'adapter, à répondre aux enjeux du développement sont à l'image de ce qu'en fait le pouvoir politique. J'en veux pour preuve l'extraordinaire développement de la téléphonie mise en oeuvre par le service public des postes et télécommunications à la fin des années 1970.
Le développement du capitalisme d'alors imposait cette croissance.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
L'ensemble de notre territoire est couvert par le réseau téléphonique filaire. D'énormes investissements publics ont été réalisés dans le secteur du numérique. De nouveaux équipements ont vu le jour en matière de téléphonie mobile. Le moment est donc venu de permettre aux entreprises privées de réaliser de substantiels bénéfices.
Le choix que vous ferez, monsieur le ministre, mes chers collègues, est décisif pour la liberté même de la communication dans notre pays.
Les sirènes du modernisme que vous évoquez sont les mêmes qui ont servi le démantèlement de l'audiovisuel français. Nous observons le résultat de cette déréglementation sur le paysage audiovisuel. Nul doute que nos compatriotes apprécient !
A présent, après l'automobile, avec Renault, après les banques, les assurances du secteur national, la Société française de production, il faut aussi livrer aux appétits de quelques-uns le service public des télécommunications.
Cela n'est pas acceptable !
Aussi, l'amendement que nous vous demandons d'adopter a pour objet de préciser le rôle que doit tenir France Télécom dans la réalisation des missions de service public.
Seul un grand service public est à même, selon nous, d'assurer non seulement pour le présent, mais aussi pour l'avenir, l'ensemble des missions relatives aux télécom-munications.
C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir adopter notre amendement.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 23, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen proposent, dans le premier alinéa du paragraphe 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, de remplacer les mots : « plus de la moitié » par les mots : « la totalité ».
La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. L'amendement n° 23 est motivé par notre opposition à la privatisation, même partielle, du capital de l'entreprise France Télécom, qui est chargée d'assurer le service public des télécommunications. Nous refusons catégoriquement l'entrée des opérateurs et des multinationales privés dans le capital de l'entreprise publique.
Une telle opération se révélerait en effet vite catastrophique pour les usagers, comme pour les personnels de l'entreprise.
France Télécom, et, avant elle, la DGT l'ont prouvé : il n'est pas besoin de participation croisée pour coopérer avec les opérateurs étrangers. Bien au contraire, une telle situation, dont chacun sait le caractère souvent éphémère, évoluant au gré de l'intérêt des marchés financiers internationaux, va toujours à l'encontre de l'intérêt national.
Je ne développerai pas à nouveau les arguments que nous avons avancés à ce sujet depuis le début de l'examen de ce texte et de celui de la semaine dernière sur la déréglementation. J'indiquerai cependant le caractère essentiel, à nos yeux, de cet amendement qui tend à préserver le caractère public de France Télécom.
Vous savez très bien, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il ne peut y avoir d'entreprise vraiment nationale sans un contrôle démocratique de son fonctionnement et de ses objectifs par l'Etat. Affirmer le contraire, c'est leurrer les salariés de France Télécom comme les usagers, c'est surtout préparer le terrain pour une future privatisation complète de l'ensemble des activités rémunératrices de l'entreprise.
En conséquence, par cet amendement n° 23, nous nous opposons résolument à toute tentative de privatisation de l'entreprise publique, car elle se ferait immanquablement au détriment de son développement, de l'exercice de ses missions de service public, de l'enseignement supérieur des télécommunications, de la recherche fondamentale et appliquée, ainsi que des finances publiques, dont le Gouvernement prétend par ailleurs vouloir assurer le redressement.
Voilà pourquoi les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen demandent au Sénat d'adopter cet amendement.
M. le président. Par amendement n° 24, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen, proposent, dans le premier alinéa du paragraphe 1 du texte proposé par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, de remplacer les mots : « de la moitié » par les mots : « des trois quarts ».
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Il s'agit d'un amendement de repli. Il n'est cependant pas inintéressant, puisqu'il vise à garantir que l'Etat conserve, quoi qu'il advienne, au moins les trois quarts du capital de France Télécom.
Cela permettrait à l'entreprise publique de privilégier l'exercice de l'ensemble de ses missions de service public et d'être moins soumise aux impératifs financiers à court terme.
Une disposition de ce texte prévoit que 10 p. 100 du capital de la nouvelle société France Télécom seraient réservés à son personnel. Notre amendement n° 24 limiterait donc, en fait, à 15 p. 100 la participation des entreprises privées, françaises et étrangères.
Comme vous semblez, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, attacher une importance toute particulière aux participations croisées et à l'interpénétration des capitaux, cet amendement devrait pouvoir vous satisfaire, sans mettre trop en cause le caractère national de l'entreprise, ni le meilleur exercice du service public des télécommunications.
Vous considérerez, sans doute, que ce n'est pas parce que ce type d'opération n'a pas connu le succès escompté pour la participation de Volvo au capital de Renault que l'opération serait techniquement impossible.
En réservant les trois quarts du capital de France Télécom à l'Etat et 10 p. 100 au personnel, nous sommes persuadés d'installer des garde-fous contre tout dérapage mettant en cause la pérennité de la péréquation tarifaire au bénéfice des usagers ou l'emploi et le statut de ses agents.
Si notre volonté de limiter la participation de sociétés privées au capital de France Télécom était suivie, il ne fait également aucun doute que sa politique de filialisation des activités les plus productrices de valeur ajoutée serait approfondie au détriment de la réalisation des activités de base que vous regroupez, monsieur le ministre, sous le vocable de « service universel ».
A cet égard, l'exemple de l'activité de la filiale COGECOM est tout à fait révélateur, puisque cela a abouti à la multiplication par dix des placements financiers à l'étranger, sans que les usagers en voient vraiment les retombées concrètes.
Nous estimons, pour notre part, que le développement des coopérations industrielles, financières et technologiques convient plus que celui d'une concurrence effrénée, avec les alliances souvent circonstancielles et éphémères qu'elle implique.
Par conséquent, l'adoption de cet amendement n° 24, qui présente l'avantage de prévoir un seuil minimum pour les participations privées, permettrait de réaliser une sorte de compromis entre la situation actuelle et celle que prévoit le Gouvernement.
Nous souhaitons donc que le Sénat fasse preuve de sagesse en lui réservant un accueil favorable.
M. le président. Par amendement n° 25, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen proposent de compléter le premier alinéa du paragraphe 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications par le mots : « , le reste étant réparti entre des entreprises du secteur public ou nationalisé. »
La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement traite, entre autres, des conditions de la cession du capital de France Télécom que va abandonner l'Etat, comme le prévoit le projet de loi que nous examinons.
Il importe d'ailleurs, d'entrée de jeu, de souligner que l'un des objets inavoués, et d'ailleurs inavouables, du projet de loi est de donner une impulsion particulière à l'activité des marchés financiers.
La valeur France Télécom va-t-elle, à l'avenir, supplanter dans le coeur des spécialistes du CAC 40 la valeur aujourd'hui leader qu'est CIT-Alcatel ?
On est en droit de se poser la question quand on connaît les aspects financiers du dossier France Télécom.
En 1994, selon les éléments fournis par le rapport sur la situation du secteur public nationalisé, France Télécom présentait en effet un chiffre d'affaires de 142 585 millions de francs et diffusait une valeur ajoutée de 101 700 millions de francs, soit environ 70 p. 100 du chiffre d'affaires.
Dans les faits, France Télécom présente en fait une particularité bien simple : celle d'être l'entreprise française la plus profitable et d'offrir les perspectives de croissance parmi les plus élevées.
Cela motive totalement la volonté de certains de voir cet outil industriel et commercial performant tomber dans les mains d'intérêts privés, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils ont, depuis quelques années, des difficultés notables avec la rentabilité du capital.
Comme le souligne l'économiste Michel Dauba : « France Télécom est un service public dont le seul tort est d'avoir trop bien réussi, au point d'exciter la convoitise des groupes privés et des marchés financiers internationaux. »
M. Gérard Delfau. Il a raison !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est le fond de l'affaire !
M. Louis Minetti. Bien sûr qu'il a raison, mon cher collègue !
Dans les faits, la réussite industrielle de France Télécom nous appelle naturellement à faire valoir la nécessité d'alliances stratégiques fortes entre les diverses entreprises du secteur public.
Par exemple, il est vrai que Electricité de France ou la SNCF, dans leur réseau spécifique, ont à disposition des moyens techniques pour favoriser le développement des services de l'opérateur public en téléphonie.
Il existe des réseaux appartenant à la SNCF qui permettent, par exemple, une utilisation au profit d'un développement du câblage par fibre optique qui appelle à des coopérations entre les entreprises publiques. Cette coopération peut prendre des formes diverses, et il n'est dès lors pas à exclure qu'elle recouvre les formes de la participation conjointe au capital de l'une ou de l'autre des entreprises de service public.
C'est le sens de l'amendement n° 25 de notre groupe, qui tend à favoriser une telle démarche, dans le souci de faire participer chacune des grandes entreprises publiques au devenir de France Télécom.
Il s'agit également d'éviter la diffusion du capital de France Télécom dans le secteur privé avec, pour corollaire, l'abandon progressif, dans le cadre des résolutions diverses d'assemblées générales d'actionnaires, des critères de service public définissant l'existence même de France Télécom.
C'est là, évidemment, une sorte de pis-aller, un moindre mal vis-à-vis de la prolongation de la situation actuelle, c'est-à-dire la pleine possession du capital de France Télécom par l'Etat.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite à adopter cet amendement, qui, de plus, permet d'utiliser pleinement le service public que nous avons créé après la Libération. (M. Mélenchon applaudit.)
M. le président. Par amendement n° 26 rectifié, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter le premier alinéa du paragraphe 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications par une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions de l'article 11 de la loi n° 93-223 de privatisation du 19 juillet 1993 ne sont pas applicables à la cession des titres de France Télécom à des personnes physiques. »
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'article 11 de la loi de privatisation auquel fait référence cet amendement précise : « Pour les offres destinées aux personnes physiques de nationalité française ou résidentes, il peut être fixé un nombre de titres dans la limite duquel leurs demandes sont servies intégralement. Dans l'hypothèse où elles ne pourraient être satisfaites entièrement, les demandes sont réduites dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
« Les personnes visées à l'alinéa précédent peuvent bénéficier de délais supplémentaires de paiement sans que les délais totaux de paiement excèdent trois ans. Elles peuvent bénéficier d'une attribution gratuite d'actions qui ne saurait excéder une action pour dix actions acquises directement de l'Etat et conservées au moins dix-huit mois après leur paiement intégral, dans la limite, pour ces dernières, d'une contre-valeur ne dépassant pas 30 000 francs.
« Les personnes physiques ayant la qualité de ressortissants de l'un des Etats membres de la Communauté économique européenne peuvent avoir accès à ces offres dans les mêmes conditions ».
Dans les faits, cette disposition particulière du projet de loi de privatisation avait comme principe de fond de favoriser la réalisation des opérations de privatisation prévues par le texte du projet de loi.
En supprimant la contrainte du paiement comptant des actions des sociétés privatisées, on tendait en fait à assurer aux opérations de cession de titres de l'Etat une plus grande souplesse, sous le célèbre prétexte de développer la propriété collective de nos entreprises.
Dans les faits, il en fut tout à fait autrement puisque la possibilité de payer à tempérament les actions des sociétés privatisées a été largement utilisée pour permettre à certains de dégager des plus-values de cession de titres, attendu que l'on avait dès lors tout intérêt à faire jouer le bon vieux principe de l'aller-retour.
Il est donc à craindre que la privatisation éventuelle de 49 p. 100 des parts sociales de France Télécom ne conduise à de telles dispositions, faisant de la spéculation sur la valeur des titres une forme de dopant pour une activité boursière qui appelle toujours plus de spéculation et de gâchis financiers.
Evidemment, on continuera à nous faire observer que les conditions de la cession au privé de 49 p. 100 des parts de France Télécom n'ont que peu de choses à voir avec les conditions de la privatisation des entreprises concernées par la loi de privatisation.
Il nous est même indiqué - lisez l'article 10 - que la modification statutaire de la nouvelle entreprise France Télécom pourra intervenir très simplement par décision de l'assemblée générale ordinaire, par conséquent sans sollicitation nouvelle de la représentation nationale.
Il est en fait précisé dans la logique même du projet de loi que la privatisation partielle de France Télécom présente des caractéristiques propres qui assimilent en fait le présent projet de loi à une loi de privatisation spécifique, d'autant que le rapport de la commission des affaires économiques fait plutôt état d'une sociétisation.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Absolument !
Mme Hélène Luc. Le problème est que la nation et ses représentants sont largement dépourvus, dans le cadre de ce projet de loi, de toute possibilité ultérieure de contrôle et d'appréciation de la politique qui sera menée par le futur conseil d'administration de l'entreprise.
Il nous paraissait donc important d'insérer dans le texte de loi la précision qu'apporte notre amendement n° 26 rectifié. C'est sous le bénéfice de ces observations que je vous invite à l'adopter.
M. Robert Pagès. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 27, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de compléter le premier alinéa du paragraphe 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications par une phrase ainsi rédigée : « Le statut de service public national et le caractère de monopole de fait reconnus à France Télécom interdisent toute participation étrangère au capital de l'entreprise. »
La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Cette proposition d'amendement est fondamentale pour permettre le respect de la souveraineté nationale. Il ne s'agit aucunement d'une démarche chauvine, teintée de nationalisme ou de xénophobie. Il s'agit de maintenir la possibilité pour le peuple, pour les salariés, pour les usagers, de contrôler le destin d'un grand service national.
La mondialisation que vous invoquez, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, pour justifier l'ouverture du capital aux multinationales étrangères ne doit pas justifier le retrait de tout pouvoir de contrôle populaire au nom de la concurrence et du libéralisme les plus effrénés.
Ce débat est important, il a déjà eu lieu et revient régulièrement au rythme des privatisations.
Faut-il rappeler que le train de privatisations de 1993 avait été accompagné d'un plafond de participation étrangère fixé à 20 p. 100 du capital, ce que nous avions déjà jugé à l'époque largement excessif ?
Faut-il rappeler que, lors de l'examen du texte portant diverses dispositions d'ordre économique et financier voilà quelques semaines, le Gouvernement et sa majorité ont fait disparaître très discrètement cette obligation de restriction de l'intrusion des capitaux étrangers ?
Comme nous l'avons déjà indiqué, cette mise en cause de l'indépendance nationale est manifestement contraire à la Constitution et à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
M. Rivero, professeur de droit émérite, rappelait dans son ouvrage, le Droit constitutionnel et les libertés, en commentant les privatisations de 1986 : « Le respect de l'indépendance nationale qui exige des précautions contre la mainmise d'intérêts étrangers sur les entreprises dont dépend en partie le développement de l'économie française ». Il apparaît évident que France Télécom non seulement participe au développement de l'économie, mais en constitue l'un des piliers. De plus, comment nier que le secteur des télécommunications est vital pour l'indépendance nationale ?
La jurisprudence du Conseil constitutionnel indique, dans le soixante et unième paragraphe de sa décision des 25 et 26 juin 1986, qu'en matière de privatisation « l'indépendance nationale devra être préservée ». Nous estimons indispensable de préciser dans le présent texte : « toute participation étrangère au capital de l'entreprise ».
Cette disposition est essentielle pour garantir le respect de la souveraineté nationale. Nous vous proposons par conséquent de l'adopter par scrutin public. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Par amendement n° 28 rectifié, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après le premier alinéa du paragraphe 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, un alinéa rédigé comme suit :
« Quel que soit le mode de cession, le montant total des titres cédés directement ou indirectement par l'Etat à des personnes physiques ou morales de droit privé ne peut excéder un tiers du capital de France Télécom, ni détenir une quelconque minorité de blocage des décisions du conseil d'administration ou des assemblées générales. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Cet amendement n° 28 rectifié de notre groupe aborde la question de la cession des parts de France Télécom actuellement détenues par l'Etat.
Au-delà des positions de principe que nous avons d'ores et déjà exprimées quant à la privatisation de France Télécom, qui demeure un bien de la nation inaliénable et constitutif d'un service public de caractère constitutionnel, il tend à spécifier les conditions grâce auxquelles cette privatisation ne pourra servir à remettre en cause les missions de service public assignées à l'exploitant public.
Il s'agit ici de faire valoir, dans les faits, la notion même de service public et d'entreprise de caractère public, au travers d'une gestion spécifique de l'entreprise.
L'amendement que nous proposons vise en effet à instaurer l'incapacité, pour les actionnaires de droit privé, de disposer d'une minorité de blocage destinée à faire valoir, dans l'éventualité d'un désaccord dans la gestion de l'entreprise, des impératifs qui ne seraient pas ceux de l'intérêt général et des décisions qui ne se situeraient pas dans la perspective de l'atteinte des missions de service public dévolues à France Télécom.
Le problème que nous pose en effet l'actuel projet de loi est bien celui de ne pas placer France Télécom dans la perspective d'un respect des missions de service public auxquelles elle est habituée à répondre, et que ses agents ont, de tout temps, tenu à accomplir.
En effet, le projet de loi fait de notre opérateur public de téléphonie une entreprise comme les autres, où les décisions du conseil d'administration seront souveraines, pouvant, par exemple, aboutir à remettre en cause les objectifs de service public qui ont pu habiter les contrats de plan depuis leur mise en oeuvre à compter de 1982 et qui avaient marqué la vie de l'opérateur avant même le statut issu de la loi Quilès.
Illustre tout à fait cette situation le fait que France Télécom, en vertu de la loi sur la réglementation dont nous avons discuté la semaine dernière, pourra fort bien, pour des raisons de strict équilibre financier, décider de majorer les tarifs d'abonnement ou les tarifs des communications locales, sans autre opposition éventuelle que celle d'une instance de régulation non élue.
Ce strict équilibre financier sera celui qui sera avancé par les actionnaires de droit privé pour assurer, dans la pratique, la rémunération de leur investissement.
Rémunération que la situation financière de France Télécom peut permettre d'assumer, au demeurant, si l'on garde en mémoire les 48 700 millions de francs de marge brute d'autofinancement dégagés en 1994 par l'activité de France Télécom.
Il y a là sans aucun doute de quoi dégager, pour quelques investisseurs bien informés - et ils le sont des marges de manoeuvre intéressantes et une rapide valorisation de leur investissement.
Qui nous dit en effet que, demain, l'entretien, le renouvellement du matériel ou encore la politique de recherche et de développement ne seront pas sacrifiées sur l'autel de la stricte rentabilité financière par une décision adéquate d'un conseil d'administration où les intérêts privés jouiraient de la minorité de blocage ?
C'est sous le bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter cet amendement.
M. le président. Par amendement n° 30, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après le premier alinéa du paragraphe 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, un alinéa rédigé comme suit :
« Quel que soit le mode de cession, le montant total des titres cédés directement ou indirectement par l'Etat à des personnes physiques ou morales étrangères ou sous contrôle étranger au sens de l'article 355-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1996 sur les sociétés commerciales ne pourra excéder 10 p. 100 du capital de France Télécom. »
La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement porte sur la question posée par la cession de parts sociales de France Télécom, en particulier dès lors que cette cession peut être réalisée au profit de personnes morales d'origine étrangère.
Céder aujourd'hui France Télécom, c'est un peu vendre une partie de nos acquis nationaux, puisque, sur la durée, ce sont les impôts des Français et les factures de l'ensemble des usagers qui ont permis à l'opérateur public de parvenir là où il en est aujourd'hui.
De la même façon, nous sommes contraints d'observer, dans le cadre de l'examen de cet amendement, que notre opposition de principe à la cession de France Télécom trouve un certain nombre de justifications.
Premièrement, l'ouverture du capital de France Télécom va-t-elle apporter le moindre centime de plus à l'opérateur public pour financer le développement de ses activités ? A l'évidence non, à moins que notre rapporteur ou M. le ministre nous assurent du contraire tout à l'heure.
Deuxièmement, la commission de Bruxelles a-t-elle fait de la transformation de la nature juridique des opérateurs de télécommunications une nécessité absolue, un passage incontournable, une quasi-obligation pour les Etats membres de l'Union ?
Non, cela procède pleinement de la volonté du Gouvernement et s'inspire directement de la convoitise de certains groupes privés, spécialisés d'ores et déjà dans l'inégalité tarifaire en matière de services publics concédés.
Il importe de noter que toutes les décisions de la Commission de Bruxelles conduisent en fait à l'ouverture des marchés et à la mise en oeuvre de la concurrence dans le secteur de la téléphonie, sans tenir compte des choix nationaux en matière de structures et de nature juridique des opérateurs.
Or France Télécom est loin d'avoir failli à sa mission de service public, et ce malgré les ponctions diverses et variées opérées par l'Etat, malgré la définition du principe de l'autonomie de gestion, inscrit notamment dans la loi Quilès.
Troisièmement, l'ouverture des marchés appelle naturellement de nouvelles coopérations entre entreprises publiques et privées.
Ces coopérations peuvent et même doivent répondre à des objectifs précis : partage des coûts d'innovation, de recherche, de maintenance et d'entretien des réseaux et des services ; recherche d'économies d'échelle par large diffusion de l'innovation technologique.
Eu égard au degré de satisfaction de la clientèle et à la position acquise par France Télécom dans le palmarès international de la téléphonie, la notion de service public à la française a, dans les faits, toutes les qualités requises pour mériter d'être défendue et même transposée dans d'autres pays européens.
Le problème est que l'appareil technocratique social-démocrate-démocrate-chrétien de la Commission européenne ne jure que par la libre concurrence...
Pourtant, on pourrait parfaitement concevoir que France Télécom passe des accords de coopération avec Belgacom, British Telecom, Deutsche Telekom ou la Telefonica, pour assurer un certain nombre de services à l'échelle européenne, sans que l'on soit contraint de modifier la nature juridique de notre opérateur.
Mais il se trouve que la logique du projet de loi sur la réglementation des télécommunications que nous venons d'examiner a pour philosophie profonde celle qui se résume dans le célèbre adage : « socialisation des pertes, privatisation des profits ».
Dans ce contexte, la cession éventuelle de France Télécom au secteur privé recèle de grands dangers.
Quelles personnes morales de droit étranger risquent, en effet, de s'intéresser à notre opérateur ? S'agira-t-il des opérateurs européens qui, de partenaires, deviendront des concurrents ? Ou s'agira-t-il des opérateurs nord-américains, désireux de se débarrasser d'un concurrent pour le moins gênant et actuellement très performant ?
Demain, si une entreprise comme AT&T ou Packard-Bell vient mettre la main sur une partie de France Télécom, ne verrons-nous pas monter une pression défavorable à l'emploi, se traduisant par le choix d'équipements fabriqués outre-Atlantique, venant supplanter ceux d'une entreprise française comme Alcatel ?
La guerre économique a quelquefois, ne l'oublions pas, des détours surprenants.
Telles sont les raisons pour lesquelles le maintien de la maîtrise nationale de notre opérateur est absolument nécessaire.
M. le président. Par amendement n° 29 rectifié bis , MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après le premier alinéa du 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, un alinéa rédigé comme suit :
« Quel que soit le mode de cession, le montant total des titres cédés directement ou indirectement par l'Etat à des personnes physiques ou morales étrangères ou sous contrôle étranger au sens de l'article 355-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales ne pourra excéder 20 p. 100 du capital de France Télécom. »
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Cet amendement revient sur les conditions de cession des titres de l'entreprise France Télécom.
Dans quel contexte sommes-nous placés ? L'Etat est en posture délicate du fait de la situation des comptes publics. Engagé dans le processus devant permettre de satisfaire aux critères de convergence du traité sur l'Union européenne, il se trouve confronté à la double nécessité de réduire les déficits d'exécution du budget général et de contenir l'effet dynamique de progression de la dette publique.
Le récent débat d'orientation budgétaire a montré que la voie choisie pour réduire le déficit d'exécution du budget était celle de la réduction de la dépense publique, ce qui n'ira pas sans poser de sérieux problèmes de cohérence quant aux choix budgétaires et risque fort d'avoir des effets pervers aussi redoutables que ceux que l'on constate aujourd'hui en matière d'intervention publique.
Concernant la réduction de l'encours de la dette publique, apparaissent de nouvelles difficultés. L'une d'elles réside dans le processus de croissance de la dette par augmentation du taux réel de celle-ci.
En effet, dans le contexte de sérieux ralentissement de la croissance que nous connaissons - on est passé de 2,6 p. 100 à 1,3 ou 1,4 p. 100 de croissance du produit intérieur brut en volume -, le taux réel frappant la dette s'est trouvé accru d'autant.
En fait, le gain réalisable sur la réduction du taux moyen de la dette, qui est passé de 8 p. 100 à 6,5 p. 100, se retrouve quasiment réduit à néant ; et le processus de boule de neige de reprendre !
Alors, le Gouvernement, dans sa logique pleinement libérale, décide clairement d'accélérer le processus de privatisation.
On fait encore plus fort avec les 55 milliards à 70 milliards de francs attachés à la cession partielle de France Télécom.
Pour donner le change et doper encore un peu plus les marchés, voilà qu'on lance, en outre, sur le marché obligataire, le premier des emprunts émis par la caisse d'amortissement de la dette sociale, emprunt soldé en bout de course par la cotisation RDS, laquelle est payée majoritairement par les salariés, les chômeurs et les retraités.
Toutes ces initiatives conduisent à vassaliser toujours plus notre pays, ses entreprises, la politique budgétaire de la nation et le financement de la protection sociale - besoin collectif par excellence - vis-à-vis des marchés financiers.
Loin d'engendrer l'effet d'éviction relevé par le rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire, cette situation a, en fait, tout pour exciter les appétits des spéculateurs de tous les pays, particulièrement attirés par le caractère pour le moins rassurant des revenus dégagés par les émissions obligataires dans notre pays.
La cession de France Télécom ne peut évidemment échapper à cette tourmente.
Même si le montant de l'opération est important - plus de 50 milliards de francs et, sans doute, autour de 70 milliards, à moins que l'estimation finale ne réduise sensiblement cette somme - il paraîtra modeste en regard de la dette publique cumulée, qui dépassera la barre des 3 300 milliards de francs, pour atteindre progressivement le seuil des 50 p. 100 du PIB.
La cession de France Télécom serait donc un gâchis de plus à ajouter à un bilan pour le moins critiquable d'un gouvernement incapable de réduire les déficits sans accroissement des prélèvements effectués sur les ménages.
Nous aussi, nous voulons réduire les déficits, mais pas de cette manière !
Il importe donc, et c'est le sens de cet amendement, que ledit gâchis ne puisse bénéficier encore à ceux qui, non-résidents, sont déjà fortement favorisés par l'étonnante fiscalité qui concerne le placement de la dette publique de notre pays.
C'est pourquoi notre amendement n° 29 rectifié bis tend à limiter à 20 p. 100 la participation étrangère au capital de France Télécom.
Je rappelle que ce plafond de participations étrangères est celui qui avait été fixé dans la loi de privatisation votée du temps de M. Balladur. Les risques que faisait alors entrevoir la pénétration des multinationales dans le capital de nos entreprises publiques privatisées seraient-ils moins importants dans le cas de France Télécom ? Nous ne le pensons pas et nous estimons même que, compte tenu de la nature du secteur des télécommunications, ils sont encore plus importants pour notre économie et pour la population de notre pays.
M. le président. Par amendement n° 31, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le deuxième alinéa du 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.
La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Cet amendement tend à supprimer la disposition de l'article 1er qui assimile, au moins partiellement, la nouvelle entreprise France Télécom à une société anonyme.
Une telle transformation du statut de France Télécom ne peut être tolérée par ceux qui, comme nous, entendent défendre non seulement la notion de service public, mais aussi sa réalité.
Or, depuis la loi du 12 juillet 1990, nous assistons, sous prétexte de suivre les évolutions technologiques, à un processus de filialisation et de privatisation du service public de la poste et des télécommunications.
En 1990, les PTT étaient scindées en deux entités distinctes, pour lesquelles était créé un statut spécifique : celui d'exploitant public, forme particulière d'établissement public.
L'objectif de la privatisation n'était encore que latent. Le changement de statut visait néanmoins à rapprocher la gestion du service public de la poste et des télécommunications de celle des entreprises privées en priviligiant, notamment, les activités les plus rentables au détriment des autres.
Le projet de loi présenté aujourd'hui par le Gouvernement tend, quant à lui, à transformer France Télécom en société anonyme, autrement dit à confier la gestion d'un service public à une entreprise privée.
Un tel changement est inadmissible. Comment un service public, dont la finalité est de veiller à l'intérêt général, peut-il être géré par une société anonyme, qui place au premier plan les intérêts de ses actionnaires, et donc la recherche du profit ? La contradiction est flagrante.
Le projet de loi, me direz-vous, monsieur le ministre, prévoit une participation majoritaire de l'Etat. Certes, mais rien ne nous garantit que, dans quelques années, cet ultime verrou ne sautera pas. Tout laisse même présager le contraire !
Les risques d'un désengagement progressif de l'Etat sont sérieux. France Télécom sera, dans les prochaines années, amené à augmenter son capital, et il est peu probable que l'Etat soit alors en mesure d'assumer ses responsabilités d'actionnaire majoritaire, pour des raisons budgétaires. Son retrait du capital de l'entreprise sera alors inévitable.
Le pas franchi aujourd'hui par le Gouvernement fait donc peser une lourde menace sur l'avenir des services publics en France, sur le service public des télécommunications en particulier.
C'est pourquoi nous avons déposé cet amendement, qui refuse l'assimilation de France Télécom à une société anonyme ordinaire.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. le président. Par amendement n° 32, MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, après le deuxième alinéa du 1 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, d'insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé :
« Le statut de service public national et le caractère de monopole de fait reconnus à France Télécom interdisent toute remise en cause de la participation majoritaire de l'Etat au capital. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Il s'agit là d'un amendement de repli puisque nous estimons que la propriété de la nation doit rester pleine et entière, eu égard aux caractéristiques qui font de France Télécom un « service public constitutionnel ».
Cependant nous estimons important que soient confirmées dans le texte même de la loi les garanties apportées par M. Gérard Larcher dans son rapport écrit.
Sous le titre « Une disposition conforme à la logique constitutionnelle », vous rappelez en effet, monsieur le rapporteur, à la page 9 de votre rapport, les termes du neuvième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
Vous réaffirmez ensuite la valeur constitutionnelle de ce préambule.
Vous concluez votre démonstration en affirmant : « Il est clair que, dans le cadre de la nouvelle réglementation des télécommunications, France Télécom aura, à la fois, les caractères d'un service public national et d'un monopole de fait. »
Et vous ajoutez un peu plus loin : « Dans ces conditions, la fixation à 51 p. 100 de la part du capital de France Télécom conservée par l'Etat prémunit contre le risque de non-conformité à ces dispositions de valeur constitutionnelles. »
Nous avons critiqué ce jugement lors du débat sur l'inconstitutionnalité du texte en indiquant que, selon nous, la Constitution impose, pour ce type de service public, une propriété pleine et entière de la nation.
Notre critique nous apparaît d'autant plus fondée que le projet ne comprend pas de disposition empêchant toute privatisation à l'avenir.
Bien au contraire, l'article 10 confère à la future assemblée générale des actionnaires la possibilité de décider de la privatisation totale de France Télécom, sans contrôle de la part du Gouvernement ou du Parlement. Cet article 10 est manifestement contraire à la Constitution.
C'est pour ces raisons que nous estimons indispensable de préciser explicitement dans la loi que la part de l'Etat dans le futur capital de France Télécom demeurera majoritaire.
M. le président. Par amendement n° 33, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste republicain et citoyen proposent de supprimer les troisième, quatrième et cinquième alinéas (2) du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.
La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. L'article 1er de votre projet de loi, monsieur le ministre, consacre la privatisation partielle de France Télécom en créant une « entreprise nationale », terme qui dissimule en fait un statut de société anonyme. Il transfère à cette nouvelle entité l'ensemble des biens, droits et obligations de l'ancienne, à l'exception de ceux qui sont liés à l'enseignement supérieur des télécommunications et qui relèveront désormais de l'Etat.
Concernant ce second point, il convient de remarquer que, compte tenu du manque chronique de crédits de l'éducation nationale, en particulier dans le domaine de la recherche, une telle disposition ne pourra qu'engendrer une diminution des ressources et une moindre qualité des recherches et, de fait, de l'enseignement supérieur.
En outre, « les transferts sont effectués à titre gratuit et ne donnent lieu ni à indemnité, ni à perception de droits ou taxes, ni aux versements de salaires ou honoraires ».
Cela signifie concrètement un bradage de l'outil technologique et technique, de l'infrastructure mise en place durant de longues années par France Télécom qui a contribué à une politique d'aménagement du territoire équilibrée. L'ensemble des biens mobiliers et du savoir-faire de France Télécom est ainsi offert aux appétits privés. Je l'ai déjà démontré tout à l'heure.
Dans le même temps, les procédures d'évaluation de France Télécom sont loin d'être transparentes et on peut lire dans la presse que le patron de l'entreprise concentre les mauvaises nouvelles sur le dernier exercice à 100 p. 100 public, c'est-à-dire celui de 1996, pour mieux séduire les actionnaires de la future société privatisée à 49 p. 100.
Ainsi, le bilan de 1996 sera alourdi par une provision de 20 milliards de francs pour les départs en préretraite à cinquante-cinq ans. Il sera, en outre, plombé par la dépréciation des actifs immobiliers de France Télécom, évalués, en 1990, à 230 milliards de francs.
Il s'ensuit, comme nous l'avons indiqué tout à l'heure, que France Télécom, l'opérateur le plus rentable en Europe avec plus de 9 milliards de francs de bénéfices en 1995, plongerait brutalement dans le rouge en 1996, sans parler de la fameuse « soulte ».
En conclusion, je tiens à m'élever vigoureusement contre un projet de loi qui offre sur un plateau d'argent une entreprise publique performante, à la pointe de la recherche dans les nouvelles technologies, et vous invite, mes chers collègues, à adopter notre amendement de suppression.
M. le président. Par amendement n° 34, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de supprimer le dernier alinéa 3 du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Cet amendement a trait aux conditions de mise en place de la sociétisation de France Télécom, pour reprendre votre expression, monsieur le rapporteur.
Dans le dispositif de la loi Quilès modifiée - telle est la filiation de ce projet de loi, même s'il peut être interprété comme une dérive libérale d'un cadre fixé en 1990 qui ne prévoyait aucunement la privatisation de France Télécom - il nous est proposé de céder gratuitement à France Télécom ce qui est aujourd'hui la propriété de la nation, c'est-à-dire les éléments constitutifs du « capital » de l'exploitant public.
Les problèmes que pose le texte proposé pour l'article 1-1 de la loi du 2 janvier 1990 modifiée sont multiples. Je me verrai donc dans l'obligation d'y revenir en détail.
Le premier problème est lié aux modalités de la cession.
Le « capital » de France Télécom est constitué par tout ce que les dotations budgétaires ou les concours du fonds de développement économique et social ont pu, dans le passé, apporter à l'administration des postes et télécommunications.
Il est aussi constitué par le cumul des résultats économiques dégagés par l'exploitation industrielle et commerciale de notre réseau téléphonique.
Ces résultats sont le bien de tous les abonnés de France Télécom. C'est le cumul de leur contribution par l'abonnement et par le paiement de taxes de base de communications téléphoniques réalisé de longue date pour permettre à l'opérateur public de faire face à ses coûts d'innovation, d'investissement, d'entretien ainsi que maintenance du réseau de développement de la couverture du territoire national pour l'ensemble des prestations.
Aujourd'hui, on nous propose une cession gratuite de cet acquis, laquelle cache d'ailleur mal les ponctions que l'Etat a pu réaliser, à divers titres, sur les résultats d'exploitation de France Télécom et qu'il s'apprête d'ailleurs, sous des formes appropriées, à renouveler.
Je songe en particulier à l'opération qui risque de conduire à la désaffectation des provisions pour paiement des retraites des fonctionnaires en règlement de la soulte mise en place par l'article 6 du projet de loi.
La cession gratuite n'est pas un cadeau, d'autant qu'elle s'opérerait dans le contexte d'une seconde opération de cession, celle des 49 p. 100 de parts du capital de la société nationale nouvellement constituée pour, soi-disant, assurer la présence de l'opérateur public sur le marché international des télécommunications ouvert à la concurrence sous la chaude recommandation des lobbies bruxellois.
Elle est la condition sine qua non d'une opération de plus grande envergure qui consiste, dans un premier temps, à modifier la nature juridique de l'exploitant public, puis, dans un second temps, à laisser au conseil d'administration de la nouvelle entreprise le soin de décider d'abandonner les missions de service public, d'instaurer une politique tarifaire renforcée pour les clients les plus modestes et généreuse pour les gros clients ou de participer à la liquidation de l'actif par des opérations de « cession par appartement » du patrimoine de France Télécom.
On ne peut, en effet, oublier que l'on pourra fort bien demander demain aux membres du conseil d'administration de France Télécom de décider de la cession de 3 p. 100, de 4 p. 100, de 5 p. 100 ou de 6 p. 100 des parts sociales, conduisant à rendre majoritaire le capital privé dans le capital social global de l'entreprise. Cette situation n'est pas, en soi, particulièrement acceptable.
C'est en effet le bien commun, l'acquis de toute la nation qui serait ainsi dilapidé au nom d'une concurrence et d'une ouverture du marché des télécommunications qui participe, dans les faits, non pas d'une stratégie industrielle et commerciale globale, mais seulement d'une démarche de recherche de profits par conquête de segments de marché porteurs de haute valeur ajoutée.
Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure que la privatisation ne serait pas totale. J'en prends acte, mais j'espère que ceux qui vous succéderont tiendront cet engagement. Je ne souhaite pas vous voir quitter le Gouvernement mais j'aurais préféré que vous meniez une meilleure politique en faveur des télécommunications.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter cet amendement.
M. le président. Par amendement n° 35, MM. Billard, Leyzour et Minetti, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le dernier alinéa - 3 - du texte présenté par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 précitée, de supprimer les mots : « l'entreprise nationale ».
La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Nous avons expliqué à de multiples reprises les raisons qui nous conduisent à refuser la transformation de France Télécom en entreprise nationale.
Pourtant, le traité de Maastricht impose progressivement de nouvelles règles, notamment celle de l'abandon des monopoles dans les entreprises publiques.
Aujourd'hui, les logiques libérales imposent la division. La notion même de service public est éclatée : service universel, services obligatoires, missions d'intérêt général. La nouvelle logique qui est mise en place n'ira pas dans le sens d'un service public plus performant dans l'intérêt de tous.
Qu'en est-il du statut des fonctionnaires et des missions de service public ? Seul l'intérêt financier devrait guider les futurs actionnaires de la société anonyme France Télécom.
Si ce même intérêt financier avait été le seul moteur, la place de cette entreprise ne serait pas ce qu'elle est, et les recherches en matière de télécommunication ne placeraient pas notre pays en bonne place.
Aussi, par notre amendement, je vous propose de retirer du texte que nous examinons les références au changement de France Télécom en entreprise nationale ayant le statut de société anonyme.
Tel est l'objet de cet amendement que je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble des amendements portant sur l'article 1er ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. A l'occasion de la discussion générale, puis lors de l'examen des motions de procédure, nous nous sommes déjà amplement expliqués. Aussi, je donnerai l'avis de la commission de façon très concise.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est de la désinvolture.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Les amendements identiques n°s 7 et 19 vident le projet de loi de sa substance en empêchant la transformation de France Télécom en société nationale ayant le statut de société anonyme. Nous y sommes donc défavorables.
Mme Danièle Pourtaud. Pour être concis, c'est concis !
M. Gérard Larcher, rapporteur. L'amendement n° 20 comporte deux aspects.
France Télécom est l'opérateur public chargé du service universel. Vous avez donc partiellement satisfaction, monsieur Pagès, avec la formulation que nous avons adoptée la semaine dernière lors de l'examen du projet de loi de réglementation des télécommunications.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous ne semblez pas en être très sûr.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Quant à la proposition de nationalisation, nous y sommes défavorables.
Nous sommes également hostiles à l'amendement n° 21, qui tend à supprimer le texte proposé par l'article 1er pour l'article 1-1 de la loi du 2 juillet 1990. Cet article transforme France Télécom en une entreprise nationale dont le capital est majoritairement détenu par l'Etat.
L'amendement n° 22 nous semble déjà satisfait par l'article L. 35-2 du code des postes et télécommunications, aux termes duquel, je le répète, « France Télécom est l'opérateur public chargé du service universel », ainsi que par l'article 3 non modifié de la loi du 2 juillet 1990, aux termes duquel France Télécom assure « tous services publics de télécommunications dans les relations intérieures et internationales ». La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Nous sommes également hostiles à l'amendement n° 23, qui vise à empêcher l'entrée d'actionnaires minoritaires dans le capital de France Télécom.
Nous remercions les auteurs de l'amendement n° 24 d'avoir fait l'effort d'entrer dans la logique du texte que nous soutenons puisqu'ils proposent d'ouvrir le capital de France Télécom à concurrence de 25 p. 100. Si nous reconnaissons donc que les auteurs de cet amendement ont tenu compte de la logique qui sous-tend ce projet de loi, nous ne jugeons pas suffisante l'ouverture du capital proposée. Nous souhaitons, en effet, que celle-ci atteigne 49 p. 100.
L'amendement n° 25 tend à empêcher l'entrée des salariés ainsi que des partenaires stratégiques dans le capital de France Télécom qui ne serait pas détenu majoritairement par l'Etat français. Or nous souhaitons voir se conclure des accords et des échanges croisés de capitaux, notamment avec Deutsche Telekom.
L'amendement n° 26 rectifié n'a pas sa place, à nos yeux, au sein de l'article 1er, car celui-ci ne traite nullement des questions évoquées. En effet, il ne s'agit pas d'un projet de loi de privatisation. Par conséquent, les dispositions relatives aux lois de privatisation ne s'appliquent pas en l'espèce. Nous nous sommes d'ailleurs déjà exprimés sur ce sujet. Nous sommes donc défavorables à l'amendement n° 26 rectifié.
L'amendement n° 27 est satisfait, nous semble-t-il, en partie puisque l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications, à l'article 5 du projet de loi de réglementation des télécommunications, limite la participation étrangère à 20 p. 100, sauf accord de réciprocité. Nous nous sommes également déjà expliqués sur ce point.
J'en viens à l'amendement n° 28 rectifié. Pourquoi limiter la liberté de l'Etat, alors qu'il restera l'actionnaire majoritaire et donc maître du destin de France Télécom ? En dépit de la démarche tendant à ouvrir le capital de cette entreprise à concurrence de 33 p. 100 du capital, nous ne jugeons pas celle-ci suffisante.
M. Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous y sommes donc défavorables.
Pour les mêmes raisons que celles que j'ai indiquées pour les amendements n°s 28 rectifié et 29 rectifié bis, nous sommes défavorables à l'amendement n° 30.
Nous sommes également hostiles à l'amendement n° 29 rectifié bis, car le paragraphe III de l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications figurant dans le projet de loi de réglementation des télécommunications limite déjà à 20 p. 100 la participation des sociétés étrangères dans le capital des opérateurs de télécommunications. Cette préoccupation me semble donc satisfaite.
Mme Hélène Luc. Pourquoi n'avez-vous pas limité cette participation ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous nous sommes déjà expliqués sur ce sujet.
Mme Hélène Luc. Vous ne répondez pas. Dans ces conditions, je demande un scrutin public sur cet amendement.
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous sommes défavorables à l'amendement n° 31. En effet, il supprime une disposition essentielle de l'article 1er relative à la transformation de France Télécom en société anonyme ordinaire.
Nous estimons que l'amendement n° 32 est redondant avec la rédaction proposée pour l'article 1er aux termes duquel la participation majoritaire de l'Etat au capital de France Télécom ne peut être remise en cause que par la loi, et nous avons rappelé les dispositions constitutionnelles applicables en ce domaine.
Sur l'amendement n° 33, présenté par les mêmes auteurs, je voudrais simplement dire, en réponse à l'affirmation selon laquelle France Télécom serait l'entreprise la plus rentable d'Europe, que c'est Deutsche Telekom qui, malheureusement pour France Télécom, est actuellement la plus rentable.
Mme Hélène Luc. Restons en France !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Quoi qu'il en soit, la commission est défavorable à l'amendement n° 33, qui n'est qu'une variante de la stratégie utilisée par nos collègues, qui visent la suppression non plus de l'article dans son entier mais de différents alinéas.
Elle est également défavorable à l'amendement n° 34, qui constitue encore un « grignotage » du texte de l'article 1er.
Quant à l'amendement de cohérence n° 35, nous nous en sommes déjà expliqués, la commission y est défavorable.
Tel est l'avis de la commission sur l'ensemble de ces amendements présentés, à l'article 1er, par nos collègues du groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble des amendements portant sur l'article 1er ?
M. François Fillon, ministre délégué. Le Gouvernement est défavorable aux amendements identiques n°s 7 et 19, qui visent tout simplement à rendre sans objet le projet de loi dans sa totalité.
Aucun des arguments que Mme Pourtaud a développés n'est resté sans réponse depuis huit jours...
Mme Danièle Pourtaud. Si !
M. François Fillon, ministre délégué. ... mais, manifestement, elle refuse d'entendre ces réponses.
Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui de la définition du service universel, qui reste inlassablement dans sa bouche un « service réduit aux acquêts », un « service minimum », alors que ce service universel, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, n'est ni plus ni moins que le service du téléphone tel que nous le connaissons aujourd'hui avec, en plus, la possibilité donnée au Parlement de l'enrichir de nouveaux services à l'avenir. D'ailleurs, personne n'a été capable depuis le début de ce débat de me citer un seul service qu'il faudrait ajouter aujourd'hui à la définition du service universel.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 19 puisqu'il revient à refuser la transformation de France Télécom en entreprise nationale.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 20, qui vise à nationaliser les activités privées de télécommunications, ainsi qu'à l'amendement n° 21, qui tend à s'opposer à la création de la société anonyme.
Je note que l'orateur qui a défendu cet amendement n° 21 a évoqué l'idée que le service universel pourrait, à l'avenir, être assumé financièrement par France Télécom seule. C'est une lecture très originale de la loi votée par le Parlement la semaine dernière, qui prévoit très clairement que le service universel est financé à la fois par le fonds de service universel et par la redevance additionnelle à l'interconnexion.
Le Gouvernement est opposé à l'amendement n° 22, qui tend à préciser que France Télécom est chargée de l'organisation et du développement du service public des télécommunications, car il appartient au Parlement de décider des modalités d'organisation du service public, et non à l'entreprise. Certes, l'entreprise est chargée d'exécuter les missions de service public qui lui sont confiées ; cela résulte, là encore, très clairement des dispositions de la loi de réglementation que vous venez d'adopter, mesdames, messieurs les sénateurs. J'ajoute que l'article 2 de la loi du 2 juillet 1990, qui prévoyait ces missions de service public, n'a pas été modifié.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 23, qui tend à interdire l'ouverture du capital social de France Télécom afin de maintenir le caractère public de l'exploitant public France Télécom. Or, devrai-je le répéter encore et encore, ce caractère public est préservé dès lors que l'Etat détient plus de la moitié du capital social. J'ajoute que, dans cette situation, la loi satisfait l'avis du Conseil d'Etat du 18 novembre 1993.
Le Gouvernement est aussi défavorable à l'amendement n° 24, qui vise à assurer le maintien, dans le secteur public, de France Télécom en limitant l'ouverture de son capital à un quart du capital. J'ai bien compris qu'il s'agissait d'un amendement de repli, mais le groupe communiste républicain et citoyen ne devrait pas mettre le doigt dans cet engrenage et, pour préserver sa pureté, je propose à la Haute Assemblée de rejeter cet amendement.
Mme Danièle Pourtaud. Merci du conseil !
M. François Fillon, ministre délégué. J'ai parlé de la pureté du groupe communiste républicain et citoyen, madame !
Le Gouvernement est opposé à l'amendement n° 25, qui tend à développer des coopérations entre France Télécom et les autres entreprises du secteur public nationalisé en limitant l'ouverture du capital de France Télécom aux seules entreprises de ce type. Le caractère public de France Télécom est préservé dès lors que l'Etat détient plus de la moitié du capital social. L'actionnariat et le partenariat d'autres entreprises publiques ne sont pas exclus, mais il serait contraire à l'esprit de cette réforme de limiter à ce type d'entreprise l'ouverture du capital.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 26 rectifié, qui vise à empêcher la vente des actions de France Télécom à tempérament, parce que cet amendement revient, en réalité, à supprimer l'avantage que constitue l'actionnariat salarié. Je m'en étonne, persuadé que tel n'était pas l'objectif du groupe communiste républicain et citoyen en déposant cet amendement.
Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° 27, qui vise à interdire les participations étrangères dans le capital de France Télécom. J'ai indiqué à plusieurs reprises, tout au long de ce débat, que l'objet du texte était justement de permettre de nouer des alliances internationales.
L'amendement n° 28 rectifié tend à défendre l'intérêt général et un bon exercice des missions de service public en limitant l'ouverture du capital à un tiers. J'ai déjà affirmé que le caractère public de France Télécom était préservé. Dans ces conditions, le bon exercice des missions de service public est assuré tant par la loi de réglementation que par ce projet de loi.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 29 rectifié bis , qui vise à interdire les participations étrangères excédant un seuil de 15 p. 100 du capital de France Télécom. Comme vous le savez, la loi de réglementation a prévu que les entreprises non européennes ne pourront pas détenir plus de 20 p. 100 du capital de France Télécom, ni d'ailleurs plus de 20 p. 100 du capital de n'importe quel autre opérateur exploitant des fréquences hertziennes pour le public, ce qui est évidemment le cas de France Télécom, mais ce qui sera également le cas de la plupart des autres opérateurs de télécommunications privés, sauf si leur pays d'origine offre la réciprocité.
Je suis défavorable à l'amendement n° 30, qui reprend l'amendement précédent, mais en descendant le seuil à 10 p. 100, comme je suis défavorable à l'amendement n° 31, qui vise à ne pas appliquer le régime des sociétés anonymes.
Je suis également défavorable à l'amendement n° 32, qui précise que l'Etat doit rester majoritaire en s'appuyant sur le préambule de la Constitution de 1946.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer, le principe constitutionnel auquel il est fait allusion s'oppose à la privatisation de France Télécom, c'est-à-dire au transfert au secteur privé de la majorité de son capital tant qu'il dispose d'un monopole de fait sur le service téléphonique. Or, vous en conviendrez, ce n'est pas demain la veille que France Télécom ne disposera plus d'un monopole de fait sur le service téléphonique.
Je suis défavorable à l'amendement n° 33, qui reprend, en réalité, les amendements n°s 7, 21 et 31.
Je suis également défavorable à l'amendement n° 34, qui refuse la donation à titre gratuit à la nouvelle société des biens appartenant à l'Etat gérés et utilisés jusqu'à présent par France Télécom, pour la seule raison que ces biens sont aujourd'hui non pas la propriété de l'Etat, mais bien celle de France Télécom. C'est la loi de 1990 qui a transféré ce patrimoine à l'entreprise France Télécom.
Enfin, je suis défavorable à l'amendement n° 35. Ses auteurs, qui s'opposent au principe même de la transformation de France Télécom, reconnaissent eux-mêmes qu'il s'agit d'un amendement de cohérence présenté à chaque fois qu'il est question dans le texte d'« entreprise nationale » ; ce sera le cas dans les amendements n°s 58, 60, 62, 68, 76, 79, 103, 105, 108 et 110.
Eh bien ! par cohérence aussi, j'y suis défavorable tout en précisant au Sénat que l'expression n'est pas nouvelle et qu'elle figure déjà dans la loi de démocratisation du secteur public de 1983 !
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 7 et 19.
M. Pierre Laffitte. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je profite de cette explication de vote pour rappeler que le Sénat avait créé, en 1986, une mission d'information, que j'ai eu l'honneur de présider, sur l'avenir des télécommunications en France et en Europe. A certains égards, le rapport rédigé par M. Jean-Marie Rausch avait dix ans d'avance. C'est dire que, pour ce qui est des réflexions, en tout cas des réflexions sénatoriales, la précipitation est toute relative.
J'avais d'ailleurs rédigé une proposition de loi qui tendait à transformer la DGT en société nationale, et ce dès 1986. Le sujet a visiblement mûri. La loi de 1990 a consacré une certaine évolution, à mon sens insuffisante, surtout quand on considère l'évolution galopante des techniques, la compétition internationale croissante qui accompagne l'entrée de l'humanité dans la société de l'information. Tout cela transforme profondément notre univers. En particulier, les satellites n'ont pas de frontière. Or, dans trois ans, les projets comme Global Star ou Iridium auront vu le jour. D'ores et déjà, l'Aérospatiale à Cannes doit produire soixante-neuf satellites dès l'année prochaine à une cadence extrêmement rapide, au rythme d'un par semaine.
Il y aura donc une compétition entre les différents réseaux, une compétition entre les réseaux et les opérateurs de type GSM, mais aussi une concurrence qui viendra du ciel.
Cela dit, en dépit des efforts méritoires de MM. Marcel Roulet et Michel Bon, ainsi que des cadres techniques de France Télécom, la France perd petit à petit des avantages compétitifs.
N'oublions pas, par ailleurs, que les résultats bénéficiaires de France Télécom, en situation de monopole, ne doivent pas nous faire illusion. En effet, les tarifs pratiqués sont parfois de loin supérieurs aux tarifs pratiqués dans beaucoup d'autres pays, parfois dix fois supérieurs pour les trafics internationaux.
Ne nous leurrons pas : la compétition va être dure et il ne faut pas brider notre opérateur national dans cette compétition internationale. Sur ce plan, il est essentiel de changer son statut. Le statut du personnel n'est pas en cause. C'est la souplesse de l'organisme qui l'est.
Les débats, à notre avis, proviennent plus de querelles idéologiques que de réalités économiques et sociales concrètes.
Pour parler de l'essentiel, ce que nous voulons tous, à droite comme à gauche me semble-t-il, c'est garantir le service universel et le rendre évolutif.
A cet égard, dans la loi d'orientation sur l'aménagement et le développement du territoire, nous avons déjà inscrit, mes chers collègues, l'évolution future puisque nous avons prévu une égalité de services et de coûts, notamment pour Numeris. Nous sommes en avance sur les autres pays en matière de service universel, puisque Numeris est disponible partout en France au même tarif, ce qui n'est pas le cas dans bien d'autres pays.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je pense que le Sénat peut vous proposer un élément de réflexion supplémentaire. Il s'agit de procéder au câblage à prix coûtant en réseaux large bande des écoles, des collèges, des lycées et des hôpitaux. Quelques pays l'ont déjà fait, notamment le Canada, ainsi que certaines villes, certaines régions et certains Etats des Etats-Unis, comme j'ai pu le constater lors d'un déplacement très récent. Ces régions sont en train de prendre une avance considérable sur ce terrain, mais aussi sur le plan social. Il y a là une véritable dynamique à laquelle nous devons participer.
France Télécom serait chargée de ces raccordements, qui seraient aidés financièrement par le fonds de service universel, comme M. le ministre vient de le rappeler. Nous serons à même de connaître un élargissement du service universel. La loi de réglementation prévoit que le Parlement peut y contribuer.
J'étudie ces questions depuis dix-huit mois, dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et, à ce titre, j'estime que supprimer l'article premier serait se priver des outils qui nous permettront d'entrer dans la société de l'information. C'est tout à fait capital. Il ne faut pas brider le fonctionnement de France Télécom. Cela conduirait l'opérateur public à une stagnation et, à court terme, à une décroissance, au plus grand dam de la population française tout entière, notamment du personnel de France Télécom.
Je suis donc hostile aux deux amendements n°s 7 et 19 comme la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication devote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, vous tentez de faire croire dans le débat que la tranformation de France Télécom en société anonyme ne change rien, ni pour le service public des télécommunications, ni même pour les personnels, qui demeureront fonctionnaires et dont les retraites seront pérennisées. Et vous avancez ce que vous considérez être un argument choc : les modifications apportées par ce projet de loi sont relativement minimes puisque, à vos yeux, le texte ne fait que procéder au toilettage de la loi du 2 juillet 1990.
Après cette contre-vérité, vous allez même jusqu'à maintenir l'ambiguïté en parant France Télécom du titre d'« entreprise nationale ». Mais qui pensez-vous tromper ainsi ? Personne n'est dupe ! Tout le monde sait que France Télécom n'est désormais plus une personne publique, et qu'il s'agit d'une entreprise de droit privé comme une autre.
Vous enlevez à la France l'un de ses leviers économiques les plus puissants en le livrant aux appétits des intérêts privés. Vous sabordez un modèle d'organisation du travail qui mettait en exergue le sens du collectif, de l'intérêt général, et participait de la sorte à la cohésion sociale.
Vous obérez l'avenir en renonçant à définir une politique industrielle dans le secteur des télécommunications. Vous nous dites qu'il faut modifier le statut de l'opérateur pour développer des alliances internationales. Mais quelles alliances voulez-vous ? Avez-vous une vision européenne des télécommunications ? S'agit-il d'accroître les échanges, la circulation d'informations au sein de l'Union européenne ? Rien de tel ! Vous n'avez pas de projet d'entreprise, pas de projet industriel, encore moins, si j'ose dire, de projet de société.
Les opérateurs européens partent tous en ordre dispersé, et vous n'en avez cure. Vous laissez faire BT, qui s'allie avec l'opérateur américain longue distance MCI, la Générale des eaux, qui lorgne sur le réseau câblé de France Télécom et qui s'allie à Unisource, un consortium réunissant les exploitants téléphoniques suédois, néerlandais, espagnol et suisse. Bref, chacun part à la bataille de son côté, et cela, apparemment, ne vous dérange pas.
La privatisation de France Télécom - voilà la véritable question - mettra-t-elle un terme à ce processus, y apportera-t-elle quelque cohérence ? Nous ne le pensons pas. Désormais, la politique française des télécommunications se fera au palais Brongniart et à Wall Street.
Cette démission de l'Etat, que vous préparez depuis longtemps, nous ne pouvons l'accepter. Depuis longtemps, disais-je, car, sans revenir à la période 1986-1988, je rappellerai seulement les décisions que vous avez prises depuis 1993. Vous avez préparé sciemment France Télécom à sa mise sur le marché et, surtout, à l'habillage de l'argumentation que vous alliez développer.
Tout d'abord, ce fut le lancement de ce que vous appelez la résorption du déséquilibre tarifaire. Vous avez procédé, le 15 janvier 1994, à une première hausse du prix de l'abonnement, qui est passé de 39 francs à 45 francs. Vous avez ensuite effectué, le 2 mars 1996, une seconde hausse, l'abonnement étant alors facturé 52,80 francs ; vous avez accompagné cette hausse du prix de l'abonnement, qui a touché tous les Français indistinctement, d'une baisse des tarifs des communications internationales, qui n'a bénéficié qu'à quelques-uns.
Puis, dans le contrat de plan signé le 15 avril 1995, vous avez engagé l'entreprise France Télécom à diminuer son endettement pour mieux la vendre sur le marché. Vous lui avez fixé comme objectif, dans ce contrat, de ramener son endettement à 50 milliards de francs en 1998, ce qui se comprend dans une logique purement boursière, mais pas dans une logique industrielle, car, pour atteindre un tel objectif, l'opérateur n'a qu'un seul moyen : désinvestir. Voilà à quoi mène votre culte de la concurrence.
Enfin - comble d'incohérence ! - vous qui vouliez désendetter l'entreprise France Télécom pour la livrer au marché, vous ne réussissez, par cette opération, qu'à accroître son endettement : 87,3 milliards de francs, auxquels s'ajouteront les 40 milliards de francs de la soulte, soit 127,3 milliards de francs.
Quel est donc votre objectif ? Affaiblir France Télécom, je le crains, et plus largement le service des télécommunications.
Vous n'avez pas répondu, monsieur le ministre, à mes questions sur l'ouverture du capital. Hormis les salariés, qui en bénéficiera ?
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Delfau.
M. Gérard Delfau. Je termine, monsieur le président.
Les concurrents de France Télécom y auront-ils accès ? Dans ce cas, qui défendra l'intérêt de l'entreprise publique ? Comment ne pas craindre une privatisation rampante dont il vous resterait, le moment venu, à constater qu'elle a vidé de l'intérieur France Télécom de sa substance au profit des intérêts privés ? C'est un problème fondamental sur lequel le Sénat doit à tout prix être informé.
Après un tel exposé - et j'aurais pu ajouter d'autres éléments - vous ne serez pas étonné que je m'oppose à l'article 1er, et donc que je vote l'amendement tendant à le supprimer.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. Vous avez apparemment quelques mots à ajouter, monsieur Mélenchon, vous avez donc la parole.
M. Jean-Luc Mélenchon. Si vous veniez à me solliciter chaque fois de cette manière, je me sentirais en état d'avoir quelques mots à ajouter sur les seize amendements suivants, monsieur le président !
M. le président. C'est votre droit le plus strict !
M. Jean-Luc Mélenchon. Je fais observer au passage que la qualité de nos débats aurait été meilleure si nous avions pu discuter les amendements un par un et non en paquet.
M. le président. Monsieur Mélenchon, il faudra refaire le règlement, car en l'état, son application stricte nous conduit à travailler de cette façon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Mais l'appréciation du président permet aussi que l'on ait un débat, et non pas une addition de monologues, d'autant que M. le rapporteur se donne ensuite des objectifs de concision qui confinent au silence chargé de bruit. Il prend la série d'amendements et indique simplement que la commission s'oppose à leur adoption, sans autre forme d'explication. M. le ministre nous a fait la bonne grâce de quelques raisons, mais on ne peut pas dire que son propos ait été réellement plus dense. Voilà ce que je tenais à préciser sur ce point, car vous m'aviez interpellé, monsieur le président.
J'en viens à mon explication de vote.
Je voudrais, si c'est possible et si cela ne vous dérange pas trop, monsieur le ministre, que vous soyez assez aimable pour répondre à quelques questions qui restent en suspens. Elles concernent évidemment la composition du capital.
A plusieurs reprises, nous avons démontré qu'il y avait, y compris dans la logique du schéma que vous nous proposez, une difficulté. Si dans une entreprise l'Etat possède 51 p. 100 des actions, il reste 49 p. 100. Tout développement de France Télécom nécessitant une recapitalisation pose le problème de cet équilibre ou conduit, par la nécessité, à ce qu'il y ait filialisation. Sur ce point, vous ne dites rien depuis le début, et nous voudrions comprendre dans quelle logique vous vous inscrivez. L'un des amendements du groupe communiste républicain et citoyen envisageait que cette ouverture du capital soit réservée aux entreprises nationalisées. M. le ministre vient de nous dire à l'instant qu'il ne l'excluait pas. Alors, nous n'y comprenons plus rien ! Si vous ne l'excluez pas, on peut même ne pas exclure le fait que ce ne soit que des entreprises nationalisées qui abondent cette part de 49 p. 100 du capital.
Quelle est la signification de tout cela ? Que l'on cesse de nous amuser avec des faux-semblants ! A plusieurs reprises, quelques intervenants ont évoqué une prise de participation de Deutsche Telekom ou ont fait allusion à d'autres éventualités. Mais à quoi ou à qui pensez-vous ? Nous avons besoin de le savoir. Il me semble que c'est le minimum que puisse attendre notre assemblée à cet instant ! Sinon, que signifient tous les discours qui nous ont été assénés sur les capacités et les perspectives nouvelles qui s'offriraient à France Télécom grâce à cette ouverture de son capital ? Aucun élément concret ne nous a été apporté.
De la même manière - je suis certain que M. le rapporteur voudra bien faire un ultime effort d'explication, nous n'en sommes après tout qu'à l'article 1er - je souhaiterais savoir en quoi le statut actuel de France Télécom serait un obstacle y empêchant d'atteindre les objectifs qui seront assignés à l'opérateur national dans sa nouvelle forme juridique. Nous ne l'avons toujours pas compris.
Vous avez évoqué hier - je crois m'en souvenir, et je ne prendrai que cet exemple - l'idée selon laquelle ce serait un moyen d'apporter à France Télécom une plus grande souplesse lui permettant de s'adapter aux mutations technologiques. Fort opportunément, paraît aujourd'hui dans Le Monde un article qui concerne le lancement d'une prochaine génération d'outils informatiques ; il s'agit d'une espèce de version simplifiée d'ordinateur domestique, qui n'offre pas toutes les possibilités des ordinateurs actuels. Cet article nous apprend qu'un certain nombre de fabricants se sont groupés pour essayer de produire un matériel à très bas prix, aux Etats-Unis et - je pense que c'est la proposition qui va être faite - dans le reste du monde. Il s'agit du Network Computer, il faut bien l'appeler, dans cet affreux idiome, par le nom qu'il porte dans ces peuplades. Le fonctionnement du Network computer dépend entièrement du réseau auquel il est connecté.
En France, Internet donne aujourd'hui de plus en plus de signes de saturation et on nous apprend que notre outil, le Minitel, est le précurseur de cette forme qui est considérée à l'heure actuelle comme l'avant-garde de ce qui va se faire en matière d'équipements domestiques. De surcroît, notre réseau Numéris est l'idéal des réseaux par lesquels ce type de diffusion pourrait être assuré.
Ces faits ont pour objet, une fois de plus, non pas de faire l'apologie de France Télécom, mais d'apporter la preuve que le système permet actuellement ces audaces, ces innovations technologiques.
Le seul inconvénient de tout cela, nous dit-on, c'est qu'il n'est pas possible de communiquer avec les Etats-Unis. Dans ces conditions, évidemment, on comprend qu'il faille aussitôt se mettre en règle et tout céder. Au motif de ne pas avoir à céder de force demain, autant le faire de bon gré aujourd'hui, M. le ministre l'a encore répété tout à l'heure, lui qui est un anti-Maastrichtien convaincu...
M. Gérard Delfau. Qui l'était !
M. Jean-Luc Mélenchon. Qui l'était en effet. Depuis l'article du président Philippe Séguin, je suppose, monsieur le ministre, que vos convictions ont dû également évoluer dans ce domaine. Vous vous en targuez, si bien que l'on ne comprend plus pourquoi vous le faites.
Vous nous invitez à ne pas nous cacher derrière l'Europe. Sachez que jamais nous ne nous sommes cachés derrière l'Europe s'agissant des décisions que nous avons à prendre. En revanche, vous ne sortez pas de ce raisonnement selon lequel si vous le faites, c'est parce que les autres le font et que nous ne pourrions pas participer à ces ensembles mondiaux sans changer le statut de France Télécom. Eh bien ! démontrez-le, puisque nous avons la preuve que les coalitions peuvent se faire, même avec des opérateurs de la nature de France Télécom.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Puisque vous insistez, monsieur le président, je réserve le reste de mes arguments pour mes explications de vote sur les seize amendements suivants.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 7 et 19, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant l'une du groupe socialiste et l'autre du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 102:
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 93 |
Contre | 223 |
7