ENCOURAGEMENT FISCAL À LA SOUSCRIPTION
DE PARTS DE COPROPRIÉTÉ DE NAVIRES

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 348, 1995-1996) relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce. [Rapport (n° 410, 1995-1996).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la flotte de commerce française enregistre, depuis vingt ans, un déclin prononcé, alors même que le commerce maritime international connaît une croissance soutenue, de 6 p. 100 par an en moyenne. Depuis le premier choc pétrolier, la France est passée du huitième rang au vingt-cinquième rang mondial et sa marine marchande de 500 à 210 navires.
Les pouvoirs publics ont réaffirmé, au fil des temps, que la France ne pouvait abandonner sa vocation à disposer d'une marine marchande.
M. Lucien Neuwirth. C'est sûr !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Faut-il rappeler qu'à l'importance économique de ce secteur pour une nation qui dépend autant de ses importations et de ses exportations, il faut ajouter une dimension stratégique incontestée ?
Les appuis financiers de l'Etat à l'armement au commerce n'ont pas été ménagés au cours de ces dernières années. Ils ont fait preuve, dans le respect de nos engagements communautaires, d'inventivité dans la création de mécanismes de soutien tant juridiques que financiers. Pourtant, le résultat s'est révélé - malgré l'excellence des intentions - n'être que l'accompagnement du déclin.
Si l'on veut s'attaquer résolument à un problème, il faut en identifier les causes. En l'occurrence, elles sont au nombre de deux.
La première est liée aux coûts d'exploitation élevés en raison du prix du travail et de l'importance des charges sociales dans notre pays. Sans faire de comparaison avec les pays maritimes à bas salaires et à couverture sociale réduite, il faut remarquer que des pays de l'OCDE ont su répondre à des préoccupations de même nature. Ainsi, le Japon a fait le choix de la productivité et le Danemark a réduit, par le jeu croisé de la fiscalisation des charges sociales et de la défiscalisation des marins, le coût du travail maritime.
Dans ce domaine, l'effort de l'Etat s'est manifesté : ce sont les dispositions du plan « marine marchande » initié par M. Ambroise Guellec, à la demande de M. Jacques Chirac, en 1987, puis la réduction des charges sociales décidée par M. Bernard Bosson, avec l'appui de M. Edouard Balladur, en 1994. Elles ont été encore récemment améliorées, que ce soit par l'aide à la consolidation et à la modernisation de la flotte, dont la dotation a été considérablement augmentée dès 1995, ou que ce soit au titre de l'aide à l'investissement, dont les modalités d'attribution ont été élargies. Ces dispositions ne peuvent traiter qu'une partie du problème. Il faudra prochainement poursuivre notre effort avec imagination et détermination.
La seconde cause, c'est l'extrême importance du capital dont le transport maritime a besoin pour ses investissements en navires.
En France, l'armement est confronté à une faiblesse récurrente de ses fonds propres du fait de l'équilibre précaire des comptes d'exploitation. Il lui faut donc pouvoir accéder à l'épargne disponible dans notre pays.
Encore faut-il que cette épargne soit attirée vers le secteur maritime plutôt que de la laisser s'investir dans des placements divers et flottants. La copropriété de navires par le quirat constitue, je le crois, la réponse appropriée.
La loi du 26 juin 1987 du plan « marine marchande » avait, en conséquence, profondément aménagé le droit quirataire. Les copropriétaires non gérants peuvent depuis - je tiens à le rappeler - limiter par voie contractuelle leur responsabilité au montant de leurs apports.
Mais cela n'est pas suffisant, d'autant plus que la traditionnelle transparence fiscale au titre des bénéfices et des amortissements n'a plus lieu d'être aujourd'hui, en raison de la règle d'affectation des déficits à des bénéfices de même nature qui a été instituée par la loi de finances pour 1996.
La mobilisation de l'épargne disponible vers le secteur maritime a besoin d'un levier fiscal.
Cet objectif n'est pas nouveau. Son principe est largement pratiqué à l'étranger, notamment en Europe du Nord.
Au mois de juin 1988, un rapport de la commission des affaires économiques et du Plan du Sénat, présenté par M. Josselin de Rohan, contenait une mesure d'encouragement fiscal à l'acquisition des quirats. Son principe a été repris dans les propositions formulées dans le rapport du député Jean-Yves Le Drian en mai 1989.
Mais, en France, les esprits n'étaient sans doute pas prêts ! Jusqu'au moment où le Président de la République a fixé le cap. J'ai alors pu, avec le soutien déterminé de M. le Premier ministre, engager la réflexion qui aboutit au projet de loi qui vous est soumis.
Ce projet de loi innove sensiblement par rapport au droit fiscal actuellement en vigueur. L'article 163 vicies du code général des impôts, voté dans la loi de finances pour 1991, n'a apporté qu'une ouverture trop limitée. En conséquence, il n'a pas connu d'application pour mobiliser l'épargne en faveur de l'investissement dans le transport maritime.
En second lieu, la loi portant aide fiscale à l'investissement productif dans les départements et territoires d'outre-mer ne bénéficie à un investissement qu'à condition que celui-ci soit réalisé et exploité dans un département ou un territoire d'outre-mer. Il ne peut donc, par définition, constituer une réponse adaptée à la nécessaire dispersion géographique des navires qui opèrent sur le marché mondial.
En conséquence, il convient - c'est l'objet du projet de loi - de mettre en oeuvre une fiscalité attractive pour l'épargne investie dans les navires de commerce, à l'instar des nations maritimes chez qui la réussite est probante.
Cet encouragement fiscal vise à favoriser le renforcement de la flotte de commerce sous pavillon français et le développement du transport maritime européen. Il s'inscrit pleinement dans les objectifs de la politique des transports de l'Union européenne et arrive à point nommé pour conforter la réorientation politique maritime communautaire. Celle-ci vient d'être annoncée en mars 1996 par la communication produite par la Commission au Conseil des ministres et intitulée : « Vers une nouvelle stratégie maritime ».
Le régime fiscal proposé incite les personnes physiques et morales dont l'armement n'est pas l'activité principale à placer leur épargne dans des parts de navires neufs ou de navires d'occasion récents.
Le dispositif envisagé permet aux personnes physiques de déduire, au titre de l'impôt sur le revenu afférent à l'année de versement, les sommes investies jusqu'au 31 décembre 2000, dans la limite annuelle de 500 000 francs pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et de 1 000 000 francs pour un couple marié.
En matière d'impôt sur les sociétés, les sommes investies par des personnes morales seront déduites du bénéfice imposable de l'exercice de versement.
Telle est, mesdames, messieurs les sénateurs, l'économie de ce projet de loi, conforme aux engagements pris par le Président de la République, qui est attentif à la situation de ce secteur vital pour notre pays et à ses conséquences sociales, économiques et stratégiques.
S'agissant des conséquences sociales, la mesure fiscale envisagée s'inscrit dans la politique du Gouvernement en faveur de l'emploi, notamment de l'emploi maritime. Sont concernés ici non seulement les créations directes d'emplois liées à l'entrée en flotte de nouveaux navires - emplois de navigants et de personnels à terre - mais également tous les emplois indirects, en plus grand nombre, qui se situent en amont comme en aval, que ce soit dans les armements, au niveau des infrastructures portuaires ou, plus généralement, dans le secteur des transports. Faut-il ajouter, mesdames, messieurs les sénateurs, que la construction navale française saura trouver dans cette mesure des raisons de retrouver une clientèle nationale indispensable à son renouveau ?
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logements, des transports et du tourisme. Les conséquences économiques sont à souligner. Si la voie de la croissance s'ouvre devant les armements français, cette croissance profitera à l'ensemble de l'économie industrielle du pays, qui trouvera, à l'instar des industries allemande et japonaise, le vecteur national capable de porter ses produits directement chez sa clientèle, au-delà des mers.
Comme le Président de la République l'a rappelé le 10 juillet 1995, lors d'un discours prononcé à la Corderie royale de Rochefort : « Aucune grande nation économique ne peut se passer de la maîtrise du transport maritime. »
Il poursuivait en s'interrogeant : « Qu'adviendrait-il de notre capacité exportatrice, de notre compétitivité, si nous renoncions à notre marine marchande au moment même où le transport est une composante de plus en plus essentielle du prix de revient des produits ? » M. le Premier ministre a eu l'occasion de s'exprimer dans des termes à peu près identiques.
Enfin, les conséquences stratégiques ne sont pas moindres, au moment où la doctrine de projection devient pour les prochaines années la stratégie de notre pays. Quelle en serait la crédibilité s'il y manquait la composante de transport maritime ?
Le projet de loi que nous allons examiner montre qu'il n'y a pas de fatalité de l'option zéro si nous savons, comme je vous y engage, mettre en oeuvre les moyens juridiques et financiers du développement volontariste, mais ordonné, de la flotte française.
Ce projet s'inscrit dans le contexte international du commerce par voie maritime, dans lequel les conditions de compétition, en raison de l'existence de pavillons de complaisance installés dans des paradis fiscaux, ne sont pas équitables. Il y a là non pas, comme certains pourraient le penser, contradiction avec la politique de réforme fiscale engagée par le Gouvernement, mais volonté de lutter au profit des entreprises nationales d'armement au commerce contre un environnement social et fiscal hostile.
La plupart des grandes nations maritimes européennes ont déjà mis en place une fiscalité adaptée à cette situation internationale.
L'objectif du Gouvernement est de rompre radicalement et définitivement avec le déclin historique du pavillon français, pour permettre de nouveau son expansion. Il convient de restituer à notre flotte marchande une place significative dans le contrôle de notre transport maritime, au profit de notre commerce extérieur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Oudin, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis d'avoir aujourd'hui l'honneur de rapporter devant vous le projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce ou, pour parler de façon plus brève, au régime fiscal des quirats.
Ce projet de loi très attendu est l'aboutissement d'une longue réflexion - à laquelle le groupe de la Mer du Sénat, que j'ai l'honneur de présider, et l'amicale interparlementaire de la Mer ont participé - sur les moyens de redynamiser notre flotte de commerce et de renouer avec l'ambition de la France.
J'avais, à cet effet, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1995, déposé un amendement en vue de reconduire le régime antérieur des quirats et j'avais fait de même lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1996. Au cours de la discussion qui eut lieu dans cet hémicycle le 9 décembre, M. Arthuis, au nom du Gouvernement, m'avait demandé de retirer cet amendement au motif que le Gouvernement déposerait prochainement un projet de loi. Il a tenu ses promesses : merci, monsieur le ministre, de nous permettre de nous retrouver aujourd'hui pour débattre de ce projet de loi particulièrement important.
Le moment est en effet venu de retrouver une grande ambition maritime. Le Président de la République l'a réaffirmé à plusieurs reprises au cours de ces deux dernières années. Je me souviens d'un discours qu'il prononça salle Clemenceau, devant l'Institut de la mer, au printemps 1994.
En juillet dernier, dans son discours de Rochefort, auquel vous avez fait allusion, monsieur le ministre, M. le Président de la République déclarait : « L'identité de la France est indissociable de la mer. Parce qu'elle est seule à s'ouvrir sur quatre mers, la France a depuis toujours le destin d'une grande puissance maritime, qui suppose une politique inspirée au plus haut niveau de l'Etat ». On reconnaît là l'esprit de Colbert.
Cette politique doit être affirmée dans tous les domaines d'activité liés à la mer : l'aménagement et la protection du littoral, la marine nationale, la surveillance de nos côtes et la lutte contre la pollution marine, la recherche océanographique - nous occupons une place importante dans ce domaine - le tourisme, la navigation et la plaisance, la pêche, les ports, la construction navale, mais aussi, et surtout, la marine marchande.
En effet, dans ce dernier domaine, vous l'avez dit, monsieur le ministre, la situation est grave, voire dramatique. Bien que nous soyons la quatrième puissance commerciale du monde, notre flotte a rétrogradé de la septième place mondiale à la vingt-huitième place en vingt ans. Déjà, en 1988, notre excellent collègue M. Josselin de Rohan relevait, dans un rapport d'information sur l'avenir de la flotte marchande, que « l'avenir de la flotte de commerce française pourrait sous peu se poser en termes de survie. A tel point que, faute d'agir, on peut raisonnablement se demander s'il y aura encore à un horizon de dix ans une marine marchande d'un tonnage significatif sous pavillon français et si les marins français retrouveront encore des emplois. » Cette phrase illustrait bien une évolution qui n'a pas cessé depuis.
A l'époque, la flotte de commerce française était composée de 240 navires. Il y a vingt ans, elle était composée de 500 navires. Elle n'en compte plus aujourd'hui que 209, dont près de la moitié sous pavillon des Kerguelen. Ainsi, notre flotte ne représente même pas 1 p. 100 de la flotte mondiale !
A la suite de ce déclin préoccupant, la France n'achemine désormais plus que 15 p. 100 de son commerce extérieur maritime sur des navires battant pavillon français. Notre marine marchande, qui était forte de 30 000 hommes voilà vingt ans, n'en compte plus que 4 500. Cette situation peut fragiliser les positions commerciales elles-mêmes, sans parler de notre indépendance stratégique qui se trouve compromise.
Or, au centre de toute politique maritime, il y a le navire. Sans les navires, les autres activités liées à la mer n'ont plus de raison d'être.
Le navire justifie les ports, les canaux, la construction navale ; il fait fonctionner de nombreuses activités et services annexes - chargements, équipements et surveillance des côtes - c'est le véhicule de nos mouvements commerciaux ; c'est l'instrument de travail de nos pêcheurs ; il attire sur notre littoral les amateurs de plaisance ; bref, le navire génère l'activité maritime et engendre de très nombreux emplois.
M. le Président de la République ajoutait, dans son discours de Rochefort : « Aucune grande nation économique ne peut se passer de la maîtrise du transport maritime. » Je ne poursuivrai pas la citation, vous l'avez lue dans son ensemble, monsieur le ministre.
Or le développement - ou la survie - de notre flotte, de toute notre flotte, pêche et plaisance comprises, se heurte à un problème majeur : celui de son financement. Le financement des flottes est au coeur de toute politique maritime. Car les armateurs en général, et les armateurs français en particulier, manquent de fonds propres. Ils n'ont pas la capacité financière suffisante pour renouveler, et a fortiori pour accroître leur parc de navires.
Certes, nos armateurs d'un certain nombre d'aides budgétaires, fiscales ou sociales qui compensent dans une certaine mesure le surcoût du pavillon français par rapport aux navires sous pavillon de complaisance.
Mais ils ne peuvent soutenir la concurrence d'armateurs européens qui disposent d'une épargne bon marché à travers des régimes quirataires adaptés.
Nos voisins allemands ont ainsi institué, voilà dix ans déjà, un dispositif fiscal attractif qui a permis, en 1995, de réunir plus de 7 milliards de francs en faveur des investissements dans les navires, entraînant plus de 20 milliards de francs de travaux. Ce sont 159 navires, dont 126 neufs, qui ont pu être financés grâce à ce système et alimenter les carnets de commandes des chantiers navals allemands, alors que les chantiers navals français n'ont construit que quelques unités en dix ans. La flotte française compte 200 bateaux, la flotte allemande 1 145 : ces chiffres parlent d'eux-mêmes !
Que dire des Danois et des Norvégiens, qui disposent de flottes bien plus importantes que la nôtre, notamment grâce à des dispositifs fiscaux adaptés.
En effet, ne l'oublions pas, l'investissement dans un navire requiert une capacité financière solide. Quand nous parlons de navires, il s'agit de montants supérieurs à 200 millions de francs, voire, parfois, à un milliard de francs pour les navires gaziers spécialisés ou pour les navires à passagers. Le ferry Napoléon Bonaparte , qui assure la liaison entre le continent et la Corse, a coûté 1 200 millions de francs - la dotation de continuité territoriale a bien facilité les choses !
Or la rentabilité d'investissements si importants n'est ni immédiate, ni systématique.
Un rapprochement peut être fait à cet égard avec la situation des compagnies aériennes : sans les subventions de l'Etat, Air France aurait disparu depuis longtemps. Il en est de même pour la CGM, la Compagnie générale maritime, dans le transport maritime. Rares sont les armateurs étrangers qui peuvent se payer le luxe de financer en quasi-fonds propres leurs investissements.
Pour des secteurs dont l'intérêt stratégique national est avéré - la marine marchande en fait partie - un coup de pouce à l'investissement est nécessaire afin de pallier la « myopie » du marché.
Or le secteur des transports maritimes est, nous l'avons vu, un secteur stratégique pour l'indépendance commerciale et militaire de la France. Je crois que l'on peut souligner ce dernier point car, dans une période d'ajustement des capacités de notre flotte militaire, la flotte civile peut être utile en cas de crise. C'est donc bien d'une incitation fiscale en faveur de l'épargne nous avons besoin dans ce domaine.
L'objet du présent projet de loi est précisément de rendre fiscalement plus attractif un régime séculaire, celui des « quirats » - un quirat désignant en fait un vingt-quatrième de la propriété d'un navire - pour orienter l'épargne vers l'investissement maritime. Et les difficultés de l'heure ne sauraient servir de prétexte au nouveau report d'une mesure nécessaire et différée depuis déjà trop longtemps : les chiffres décrivant notre flotte parlent d'eux-mêmes.
En effet, le régime actuel est insuffisamment attractif et n'a pas eu d'impact significatif sur l'investissement maritime.
Certes, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 26 juin 1987, la responsabilité financière des copropriétaires non gérants des copropriétés maritimes, ou quirataires, peut être limitée à proportion de leur apport initial, ce qui sécurise les investisseurs.
Mais faute d'une incitation fiscale substantielle, l'investissement maritime est trop risqué et trop peu rentable pour mobiliser une épargne suffisante.
Or le régime quirataire actuel ne permet aux souscripteurs de parts de navires de déduire de leur revenu global que 25 p. 100 des sommes investies, avec un plafond de 25 000 francs pour une personne seule et de 50 000 francs pour un couple. De plus, cette mesure n'est ouverte qu'aux personnes physiques et non aux entreprises.
En raison de l'avantage fiscal limité qu'il apporte, ce dispositif n'a été employé qu'accessoirement dans quelques opérations de navires de pêche, qui auraient d'ailleurs probablement été réalisées sans son concours. En dehors du secteur de la pêche, il n'a permis de financer que six navires en cinq ans, ce qui prouve l'inefficacité du système.
Dès lors, seule une amélioration sensible de l'avantage fiscal lié au régime quirataire accordé, telle celle que prévoit le présent projet de loi, permettra d'attirer l'épargne vers le secteur maritime. Il s'agit donc d'une mesure d'orientation et d'attraction de l'épargne.
Le dispositif envisagé permet aux personnes physiques de déduire de leurs revenus l'intégralité de leurs investissements quirataires dans des navires civils de charge, dans la limite annuelle de 500 000 francs pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et de 1 million de francs pour les couples mariés. Je reviendrai dans quelques instants sur la notion de navires civils de charge, après avoir décrit l'économie du projet de loi.
Les sociétés pourront, quant à elles, déduire de leur bénéfice imposable la totalité des sommes investies dans des parts de copropriété de navires.
La souscription devra être effectuée avant le 31 décembre 2000 : il s'agit donc d'un régime temporaire ; cela permettra au Parlement de revenir sur une mesure qui aura fait ses preuves ou qui, au contraire, n'aura pas atteint son objectif.
La commission des finances proposera d'ailleurs que soit dressé un bilan quantitatif et qualitatif de la mesure deux ans seulement après son entrée en vigueur, afin d'en évaluer plus promptement l'impact.
Pour garantir le sérieux et la responsabilité de l'armateur, il est prévu que ce dernier doit détenir au moins un cinquième des parts de la copropriété du navire, pendant la même durée de détention minimale que les autres quirataires, c'est-à-dire cinq ans ; une telle disposition donne un fondement réel à la communauté d'intérêts entre l'armateur et les investisseurs.
Mais ce fondement serait plus concret encore si l'armateur s'engageait auprès des autres membres de la copropriété à conserver ses parts pendant cinq ans.
Cet engagement exprès est d'autant plus nécessaire que la vente de ses parts par l'armateur avant le délai prescrit fait perdre à l'ensemble de la copropriété le bénéfice de l'exonération fiscale, alors qu'ils ne peuvent être tenus pour responsables du manquement de l'armateur. L'armateur fautif n'est pas sanctionné puisque, par définition, il n'a pas bénéficié de l'exonération fiscale.
En revanche, si l'engagement de l'armateur a un fondement contractuel, les copropriétaires lésés pourront obtenir de l'armateur fautif la réparation du préjudice subi. C'est l'objet d'un autre amendement de la commission des finances.
Quant à l'exclusion de l'armateur du bénéfice de l'exonération fiscale, elle est conforme à la philosophie du projet : il s'agit en effet d'orienter l'allocation de l'épargne des personnes ou des sociétés dont l'armement n'est pas l'activité principale vers les placements quirataires et de compléter ainsi les fonds propres insuffisants des armateurs. Au demeurant, ces derniers bénéficient d'aides budgétaires à l'investissement dans le cadre du plan marine marchande.
A cet égard, il convient d'interdire le cumul de l'exonération fiscale et des aides budgétaires. En effet, aux termes de la réglementation existante, tous les copropriétaires du navire bénéficient des aides budgétaires.
Nous voilà donc dans une situation où tous les quirataires, à l'exclusion de l'armateur, peuvent cumuler l'exonération fiscale et les aides budgétaires à la construction, tandis que l'armateur n'a droit qu'aux aides budgétaires.
Pour rétablir l'équité fiscale, il serait donc judicieux que le Gouvernement prévoie, dans la réglementation relative aux aides budgétaires à l'investissement maritime, l'interdiction du cumul des aides budgétaires et de l'exonération fiscale.
Les projets de copropriété quirataire seront soumis à un agrément préalable du ministre chargé du budget, après avis du ministre chargé de la marine marchande. Il s'agit ici de garantir la normalité du coût financier de l'investissement ainsi que son intérêt économique au regard des besoins du secteur concerné de la flotte de commerce et, bien entendu, de nos chantiers navals.
La commission propose cependant de lier l'octroi de l'agrément au respect des prix du marché, afin de prévenir une éventuelle inflation des prix des navires.
Une étude d'impact nous a été fournie à l'appui du projet du Gouvernement, étude fouillée, intéressante. Le Gouvernement estime, sur la base des flux d'investissement actuels, que cette mesure attirera vers l'investissement maritime environ la moitié des sommes nécessaires au renouvellement annuel de la flotte, soit un milliard de francs par an - chiffre à rapprocher des 7 milliards de francs investis chaque année par les Allemands - pour une moyenne de huit navires annuels. La dépense fiscale correspondante s'élèvera à 400 millions de francs environ.
Le Gouvernement évalue à cinq cents environ le nombre d'emplois créés par an, sur la base de trente emplois de navigants par bateau, auxquels il convient d'ajouter au moins autant d'emplois à terre. Ces chiffres me paraissent tout à fait réalistes. N'oublions pas l'impact indirect, mais non négligeable, qu'aura cette mesure sur le tissu social des régions littorales en y pérennisant des secteurs d'emplois hautement qualifiés, où la France a su faire valoir ses atouts.
Le projet de loi est donc très bien cadré : l'avantage fiscal proposé n'est accordé que sous de multiples conditions ; l'agrément préalable du ministre du budget, après avis de son collègue chargé de l'industrie, protégera les investisseurs ignorants des choses de la mer et garantira la viabilité économique des projets fiscalement aidés.
A ce propos, je voudrais appeler votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que l'administration devra veiller à répondre aux demandes d'agrément dans un délai raisonnable, de deux ou trois mois ; nous reviendrons sur ce point lors de la discussion des articles.
Cet agrément marque, en outre, la supériorité du futur régime français sur le régime allemand. En effet, l'absence d'agrément en Allemagne a permis aux investisseurs de se concentrer sur le secteur le plus rentable de la flotte de commerce, celui des porte-conteneurs. Ce segment du marché se trouve aujourd'hui saturé sans que les autres segments, moins rentables mais tout aussi utiles, aient pleinement bénéficié de la mesure ; cette observation doit toutefois être relativisée, compte tenu des 1 145 navires que possède l'Allemagne, nombre considérable en regard des 209 bâtiments qui composent la flotte française.
Cela dit, il a semblé souhaitable à la commission des finances, au-delà des amendements déjà évoqués, d'améliorer le projet du Gouvernement sur quatre points.
Premièrement, il apparaît nécessaire d'introduire une « clause de pavillon français ».
Dans sa forme actuelle, le projet de loi ne réserve pas expressément le bénéfice de l'incitation fiscale aux souscripteurs de navires battant pavillon français. La commission des finances propose d'introduire dans ce texte une clause de pavillon, assortie d'une obligation de maintien sous le pavillon français pendant la durée de l'opération fiscalement encouragée.
Deuxièmement, il semble opportun d'élargir le bénéfice de la mesure aux navires à passagers.
Le projet de loi prévoit que pourront bénéficier de l'exonération les investissements dans les « navires civils de charge ». Cette notion exclut non seulement les navires de pêche et de plaisance mais aussi les navires à passagers.
La commission des finances propose de substituer la notion de « navires armés au commerce », qui inclut tous les navires à passagers, et pas seulement ceux qui opèrent sur des lignes régulières, à la notion de « navires civils de charge ».
Troisièmement, le dispositif mériterait d'être étendu aux navires de pêche. En effet, les armateurs de navires de pêche subissent les mêmes contraintes de financement que les armateurs de navires de commerce et doivent se conformer, de surcroît, au plafonnement des aides à la construction imposé par Bruxelles.
Il convient cependant de distinguer les navires de pêche industrielle des navires de pêche artisanale. Si les premiers peuvent bénéficier des dispositions du projet de loi dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les navires armés au commerce, les seconds appellent un aménagement du dispositif afin que soient prises en compte certaines spécificités de la pêche artisanale, notamment le désir des patrons pêcheurs de rester propriétaires de leur outil de travail à 51 p. 100.
Quatrièmement, pour préserver l'activité de location de navires de plaisance, qui a pâti du nouveau régime des bénéfices industriels et commerciaux introduit par l'article 72 de la loi de finances initiale pour 1996, la commission des finances propose d'autoriser de nouveau l'imputation des déficits industriels et commerciaux non professionnels sur le revenu global pour les propriétaires de navires de plaisance donnés en location à des loueurs professionnels agréés pendant une période minimale de cinq ans, ce qui garantirait le sérieux de cet investissement.
En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est la première démarche significative tendant à mettre en conformité notre politique maritime avec l'ambition maritime affirmée et réaffirmée par le Président de la République.
En l'espèce, il s'agit non pas de créer une quelconque niche fiscale mais de rendre efficace et performant un dispositif d'orientation globale de l'épargne vers ce qui est le coeur de la politique maritime, c'est-à-dire le financement des navires. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement nous soumet aujourd'hui un projet de loi dont l'objet affiché est de permettre le développement de notre flotte de commerce, en déclin depuis plusieurs années, par l'instauration d'un système quirataire nouveau.
Nous pouvons, une fois n'est pas coutume, nous entendre sur le constat à dresser de la situation dans ce secteur, sur l'importance de celui-ci dans notre économie, comme sur la nécessité de prendre des mesures fortes, propres à relancer la croissance de nos activités maritimes.
La crise que traverse le secteur de la construction navale en France est grave. Non seulement la flotte française a vieilli, l'âge moyen de nos navires étant maintenant supérieur à quinze ans, mais nos carnets de commandes ont chuté, alors que, dans le même temps, les pays de l'Union européenne, notamment l'Allemagne, ont vu leurs carnets de commandes se gonfler fortement.
Il importe de préserver le statut de puissance maritime de la France en raison de la participation accrue de ce secteur à notre commerce extérieur, de l'importance de notre littoral et de notre passé maritime prestigieux.
Il importe également de remobiliser nos concitoyens autour de la politique de la mer, de ses dimensions stratégique, économique et sociale.
Il va de soi que tout effort consenti dans ce domaine ne peut, ou ne devrait avoir que des retombées positives en termes de création d'emplois sur nos chantiers navals comme dans toutes les activités sous-traitantes, qui profiteront aussi de cette relance.
Il est d'autant plus indispensable de s'en préoccuper que la situation de la construction navale française risque d'être fortement secouée par la ratification de l'accord OCDE sur la construction navale qui devrait être bientôt signé par les Etats-Unis et, dans la foulée, par le Japon. Il me semble que nous n'en parlons pas assez.
Si les Etats-Unis ratifient, comme prévu, l'accord dès le 16 juillet prochain, tombera en désuétude la septième directive européenne autorisant les Etats à subventionner leurs chantiers à hauteur de 9 p. 100 du coût de la construction. Cette nouvelle configuration induira une hausse des prix des navires et, ipso facto, un fort risque de baisse des commandes.
Certains pays, dont la situation est déjà ô combien meilleure, s'en sortiront mieux que nous, en particulier l'Allemagne. D'une part, ce pays pratique également, via les Länder, des aides indirectes qui ne seront pas touchées par la ratification ; d'autre part, on le sait, d'importantes aides - pour 6 milliards de marks - ont été accordées par Bruxelles en faveur des chantiers de l'ex-RDA, aides dont une partie a été détournée au profit des chantiers de l'ouest.
En France, la situation risque d'être dramatique. En effet, d'une part, nos secteurs maritimes civils et militaires sont totalement déconnectés, ce qui empêche tout transfert d'aides, et, d'autre part, notre pays n'a pratiqué que des aides directes de l'Etat, qui disparaîtront en fumée dès la ratification. Nos chantiers navals ne pourront pas suivre, et des faillites seront à craindre.
Au cours de ces dernières années, nous avons enregistré la fermeture de nombreux chantiers, notamment ceux de la Normed, dont les effectifs sont malheureusement passés de 32 500 à 5 800 salariés.
Nous avons eu l'occasion, dans le passé, de nous insurger contre cet accord OCDE, qui, je vous le rappelle, avait d'ailleurs été rejeté à l'unanimité par l'Assemblée nationale voilà un an. Et la majorité n'a pas changé !
Aux premières critiques que je viens de brièvement rappeler s'en ajoute une autre : l'accord est un accord partiel, tant dans son champ d'application géographique que dans sa problématique, puisqu'il ne prend en compte ni les problèmes de dumping monétaire de la Corée, ni le problème des subventions croisées, inexistantes en France du fait de l'absence d'armateurs de taille suffisamment importante, ni le système protectionniste américain. Par ailleurs, la Chine comme les pays de l'Europe de l'Est ne sont pas concernés.
En dépit de nos avertissements, cet accord est sur le point d'entrer en application. Nous n'allons pas revenir sur le passé mais il est opportun de penser à l'avenir pour limiter les graves dangers que je viens de rappeler.
Ce projet de loi parvient-il à répondre aux nouveaux enjeux ? Je souhaiterais répondre par l'affirmative, mais, dans sa rédaction actuelle, je ne le puis, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, le Gouvernement met en place un nouveau système d'incitation à l'investissement qui ne vise que les navires de charge, ce qui, je le souligne au passage, ne correspond pas à l'espérance suscitée par le titre du projet de loi qui, lui, vise les navires de commerce.
Il ne s'agit pas ici de faire uniquement de la sémantique. Vous savez qu'en visant les navires de charge, monsieur le ministre, vous excluez notamment les navires de passagers. C'est une grossière erreur d'appréciation de votre part.
Nos deux zones portuaires qui comportent des chantiers navals - je veux parler de Saint-Nazaire et du Havre - construisent essentiellement des paquebots. Quelles seront, pour eux, les retombées positives du projet de loi ? Elles seront nulles ou fort peu nombreuses. C'est, selon nous, une première erreur, et elle est d'autant plus grave que les navires de passagers sont, nous le savons, tout particulièrement créateurs d'emplois.
Deuxièmement, alors que l'exposé des motifs prévoit que ce projet de loi doit contribuer « au renouvellement, à l'augmentation et au renforcement de la flotte de commerce sous pavillon français », cette mention ne figure nulle part dans le texte. Quel est l'objectif recherché, sachant que notre pays manque d'armateurs français ? S'agit-il de favoriser les armateurs étrangers, sous couvert d'une épargne de nos concitoyens ? J'ose à peine le croire mais, si tel était le cas, il s'agirait d'une deuxième erreur.
Troisièmement, vous encadrez le nouveau dispositif de défiscalisation dans un délai, que j'estime trop court, de cinq ans. Or, vous le savez, pour reprendre de l'allant, un secteur économique doit pouvoir compter sur la stabilité des fonds dont il peut disposer. Pourquoi, dans certains secteurs, incitez-vous à l'épargne longue alors qu'en l'espèce vous sollicitez une épargne de moyen terme ? Voilà qui constitue une troisième erreur.
Quatrièmement, vous encadrez le dispositif par un système d'agrément, ce qui est une très bonne chose, mais encore faut-il, et là je me place du côté des intéressés, que les procédures administratives ne prennent pas trop de temps. En effet, aucune date butoir par rapport au dépôt du projet n'est fixée. Mais, ce qui est plus grave, vous n'intégrez pas dans le processus d'agrément, ce qui est ennuyeux, le ministère chargé de la construction navale, et j'emploie à dessein cette expression générique, car il n'y a plus de ministre de la mer.
La septième directive européenne interdit, vous le savez, toute localisation spécifique sur le territoire français de la construction des navires. Or, il revient au ministre chargé de la construction navale de veiller aux emplois dans ce secteur. Il eût donc été judicieux de l'associer à l'agrément. Il s'agit, pour nous, d'une quatrième erreur.
Cinquièmement, le Gouvernement a choisi de mettre en place un système de déduction du revenu imposable pour les personnes physiques qui souhaitent investir dans ce secteur à concurrence de montants que je n'hésiterai pas à qualifier d'« exorbitants ».
Certes, me direz-vous, monsieur le ministre, nous avions mis en place, dans la loi de finances pour 1991, un système quirataire équivalent dans son esprit puisqu'il s'agissait en effet d'accorder une déduction du revenu à des personnes physiques. Mais je rappelle que les montants en cause, à savoir 25 000 francs pour un célibataire et 50 000 francs pour un couple, étaient beaucoup moins élevés.
Un système de déduction du revenu peut s'envisager, comme nous l'avions fait en 1991, pour des sommes relativement modestes, mais tel n'est pas le cas en l'espèce. Qui pourra investir des sommes aussi importantes ? Ce ne seront certainement pas des contribuables ayant des revenus moyens.
Mais, au moment même où le Gouvernement nous annonce son intention de diminuer les dépenses publiques et de supprimer ce qu'il appelle lui-même des « niches fiscales », voilà qu'il se propose d'introduire dans la panoplie de l'impôt sur le revenu une nouvelle niche, dont je souhaiterais connaître le coût pour l'Etat en termes de dépenses fiscales.
Permettez-moi de dire que le chiffre de 400 millions de francs avancé par M. le rapporteur dans son rapport est audacieux. Une vérification s'impose. De toute façon, nous verrons de quelle manière il évoluera au fil des années.
A quoi sert de se lamenter, comme le fait le Gouvernement, sur la diminution des rentrées fiscales, qui est certes due en grande partie à une baisse de la croissance résultant de sa politique, si, par ailleurs, il persiste dans la voie qu'il dénonce lui-même ?
Je pense malheureusement que vos intentions ne sont nullement contradictoires. Elles sont le fruit d'une politique pernicieuse en matière fiscale, que je déplore une nouvelle fois, et qui consiste à supprimer les fameuses niches fiscales quand elles profitent à tous les contribuables, même les plus modestes, et à garder celles qui ne profitent qu'à ceux qui ont les moyens d'effectuer ce type d'investissement important.
J'en veux pour preuve les dernières déclarations du Gouvernement sur l'abattement dont bénéficient les salariés ou les non-salariés lorsqu'ils adhèrent à des organismes agréés ou les abattements supplémentaires dont bénéficient certaines professions. Pourtant, vous le savez très bien, la contrepartie en termes d'avantages pécuniers a influé au fil du temps sur la politique salariale dont ils ont fait les frais.
Il y a, de votre part, deux poids, deux mesures. Vous supprimez des avantages fiscaux pour le plus grand nombre et vous en multipliez d'autres au profit d'une petite catégorie de contribuables, ceux qui sont les plus fortunés. Voilà qui, de notre point de vue, constitue une cinquième erreur.
Nous aurons, lors de l'examen des articles, l'occasion de revenir sur tous ces points et, naturellement, notre position à l'égard de ce projet de loi dépendra de la volonté ou non du Gouvernement et de la majorité du Sénat de prendre en compte nos objections.
A tout le moins, et dans sa rédaction actuelle, ce texte profitera, me semble-t-il, plus aux armateurs, notamment étrangers, qu'à nos chantiers navals. Ces derniers devraient pourtant constituer, dans l'optique d'un tel projet de loi, la première des priorités.
N'oublions pas que le système quirataire peut entraîner des effets pervers. J'en veux pour preuve l'exemple de l'Allemagne où l'engouement du public pour ce type de financement a été exemplaire mais où le Gouvernement envisage de le supprimer, car il ne profite pas suffisamment à la construction navale locale.
Je n'ai donc pas l'impression, monsieur le ministre, que nous nous placions dans la même logique. Nous refusons celle qui consiste à créer un effet d'aubaine pour les contribuables dont les revenus sont suffisamment élevés pour avoir déjà fait le plein de tout l'arsenal d'avantages fiscaux que recèle notre impôt sur le revenu.
En revanche, nous voulons qu'un effort substantiel soit engagé en faveur d'un investissement maritime qui profite à nos concitoyens, même si cela ne peut pas figurer aussi explicitement dans le texte. Les différents amendements que nous aurons l'occasion de défendre lors de l'examen des articles ont tous le même objectif : ils tendent, d'une part, à favoriser l'investissement maritime, l'emploi et la politique maritime de la France et, d'autre part, à accroître la portée du projet de loi pour permettre au secteur de la construction navale d'en bénéficier pleinement sur le long terme.
Telles sont les quelques remarques que je voulais formuler, au nom du groupe socialiste, à l'ouverture de ce débat. Notre position, je le répète, dépendra du sort qui sera réservé notamment à nos amendements.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention reprendra pour l'essentiel les points importants qui ont été évoqués par notre collègue René Régnault. Elle aura simplement une connotation un peu particulière, celle d'un sénateur de Loire-Atlantique, qui plus est élu local de Saint-Nazaire.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui a pour principal objet de contribuer à relancer l'activité de notre secteur maritime, en ciblant plus précisément celle de nos armateurs.
Comment peut-on susciter l'enthousiasme d'investisseurs potentiels ? Le Gouvernement nous propose des mesures de déduction fiscale en contrepartie de l'achat de parts de copropriété de navires.
Il s'agit d'affirmer une volonté de restaurer la souveraineté de notre pays en matière de transport maritime et d'exploiter nos potentialités en ce domaine. Celles-ci sont nombreuses, puisque 50 p. 100 de notre commerce extérieur se fait par voie maritime, mais 15 p. 100 seulement de nos exportations s'effectuent sous pavillon français.
A l'heure où l'on commence à s'interroger sur la légitimité du « tout routier », la filière maritime me semble constituer une alternative plausible, à condition d'intensifier nos efforts afin de doter la flotte française d'une capacité suffisante et de renforcer les normes de sécurité. Je songe ici notamment à la construction de bâtiments à double coque et aux contrôles renforcés de vétusté des navires.
Il s'agit également, et peut-être surtout, de favoriser la création d'emplois directs et indirects dans toute la filière.
Selon toute vraisemblance, les conséquences pour le budget de l'Etat seront loin d'être minimes : le ministère les évalue à 400 millions de francs par an, ce qui est déjà beaucoup, et je souscris aux commentaires que faisait tout à l'heure mon collègue M. René Régnault sur ce chiffre.
Il est vrai que prévoir jusqu'à un million de francs de déduction fiscale pour des particuliers et ne fixer aucun plafond pour les entreprises, ce n'est pas mince. Permettez-moi de vous rappeler, mes chers collègues, que le budget de 1996, que nombre d'entre vous ont approuvé, amputait la subvention versée aux ports autonomes pour le remboursement des frais de dragage permettant un meilleur accès à nos ports.
Monsieur le rapporteur, vous déploriez tout à l'heure les handicaps auxquels sont confrontés nos ports, en citant en référence les ports d'Europe du Nord. Mais savez-vous que le seul port d'Anvers a reçu une dotation pour le dragage qui est trois fois plus élevée que la dotation budgétaire française ?
Je vous rappelle également, mes chers collègues, que le budget que vous avez voté réduisait de 44 millions de francs les aides publiques à la construction navale, laquelle se situe pourtant bien au coeur de la filière maritime.
Il n'est pas inutile de mettre en perspective ces diverses données budgétaires avec le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui.
On nous promet à la clé de ces déductions fiscales un apport important de capitaux, à l'instar de ce qui s'est passé chez nos voisins européens, tels que l'Allemagne, la Norvège et le Danemark, qui ont instauré un système quirataire similaire. C'est en effet prévisible.
Monsieur le ministre, vous estimez que ce dispositif permettrait la construction de huit navires par an.
Je suis originaire et élue d'un département du littoral, la Loire-Atlantique, dont le développement économique est fondé essentiellement sur l'activité maritime. Je connais donc parfaitement le coût, très important, de tout investissement dans ce secteur : un porte-conteneurs coûte, en moyenne, 200 millions de francs, alors que le prix d'un portique de déchargement moderne et puissant varie entre 25 millions de francs et 30 millions de francs.
Nous en sommes tous conscients, il est nécessaire de solliciter des capitaux extérieurs. Je souhaitais cependant attirer votre attention, monsieur le ministre, sur une industrie qui, bien que concernée au premier chef par la relance du transport maritime, risque de ne bénéficier que très peu des retombées de cette manne, je veux parler de la construction navale civile.
Les conséquences de la restructuration de cette industrie ont été particulièrement douloureuses. Ainsi, en vingt ans, les effectifs ont chuté de 68 p. 100 et atteignent désormais à peu près 5 000 personnes, sachant que, dans ce secteur, les emplois induits sont très nombreux.
Ainsi, pour prendre l'exemple de la construction d'un paquebot, près des trois quarts sont assurés par la sous-traitance. Dans un site comme les chantiers de Saint-Nazaire, les emplois directs sont au nombre de 4 300, les emplois indirects induits dans les Pays de la Loire sont au nombre de 3 000, alors que soixante-neuf départements en France travaillent pour le site nazairien.
Notre industrie déploie désormais l'essentiel de son activité sur le marché international. La majeure partie de ses commandes, notamment en matière de transport de passagers, provient d'armateurs norvégiens. Or les conditions de concurrence sont particulières dans ce secteur où dominent le dumping monétaire pratiqué, notamment par la Corée du Sud, les subventions publiques à géométrie variable selon les circuits de financement de chaque Etat, voire le protectionnisme le plus affiché, comme aux Etats-Unis.
Un accord a été signé au sein de l'OCDE en juillet 1994. Il concerne les Etats de l'Union européenne, les Etats-Unis, la Norvège, la Corée du Sud et le Japon. Il prévoit le démantèlement des aides directes à ce secteur. Je vous précise qu'en France notre soutien à ce secteur se fait au moyen d'aides directes, contrairement à ce qui se passe en Allemagne.
Nous nous sommes, à l'époque, élevés contre la signature de cet accord ; une résolution a même été déposée sur le bureau de chacune de nos deux assemblées dans laquelle nous dénoncions les disparités des circuits d'aides et où nous soulignions la difficulté d'établir des comparaisons équitables, comme nous dénoncions le fait que la Chine, désormais au troisième rang mondial, n'ait pas été concernée par cet accord.
Après s'être engagé à bloquer les négociations, le gouvernement d'Edouard Balladur a pris la responsabilité de signer ce texte négocié par son ministre des affaires étrangères... dont il est inutile de vous rappeler le nom, monsieur le ministre ! C'est donc aujourd'hui au gouvernement de M. Juppé d'assumer les conséquences de cet accord, qui place la France dans une situation particulièrement délicate sur le marché mondial.
A ce stade de mon intervention, je ne résiste pas à l'envie de vous rappeler les engagements pris, lors de sa campagne électorale, par le candidat Jacques Chirac qui avait fait connaître à la fois son refus de la logique de l'accord de l'OCDE et son attachement à la relance de l'outil national de production.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Il n'était pas au Gouvernement !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il était candidat !
M. Josselin de Rohan. Et alors, que voulez-vous démontrer, madame ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il me semble que les engagements d'un candidat doivent prévaloir lorsque celui-ci devient Président de la République.
M. Josselin de Rohan. Madame, savez-vous que nous avons des partenaires...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout à fait !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous les choisissez mal, vos partenaires !
M. Josselin de Rohan. ... et que nous ne faisons pas la loi ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. On nous dit que ce dispositif ne peut explicitement orienter les investisseurs vers des projets se réalisant dans des chantiers français sous peine, sinon, de sanctions qui seraient décidées précisément par nos partenaires au sein de la Commission européenne. Le risque existe pourtant de voir cet engagement important octroyé par l'Etat français profiter aux chantiers navals coréens et autres.
Ce qui se passe en Allemagne doit nous mettre en garde contre cette dérive possible. En effet, dans ce pays, on constate que les deux tiers du tonnage commandé ces dernières années grâce au système quirataire l'ont été dans des chantiers étrangers, coréens et polonais notamment. Un représentant du syndicat IG-Metall a fait une évaluation : par le biais de cette défiscalisation, le gouvernement allemand a subventionné, en quelque sorte, les chantiers polonais pour 950 millions de francs et les chantiers sud-coréens pour près d'un milliard de francs !
A l'heure où, dans notre pays, la mobilisation de tous, politiques et partenaires sociaux, doit se faire autour de la priorité à l'emploi, on ne pourrait tolérer que de tels engagements financiers de l'Etat soient totalement détournés de cet objectif.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement se donne pour ambition de redynamiser la flotte française ; c'est important. Nous avons la chance de posséder en France des chantiers hautement qualifiés sur lesquels repose la vie économique de plusieurs départements. Comment imaginer que ce dispositif ne profite pas à l'ensemble de la filière afin que nous disposions d'une flotte plus complète dotée de navires performants ?
Nous souhaitons donc que le bénéfice de ces mesures s'étende notamment aux navires à passagers. C'est ici un créneau sur lequel nos chantiers se sont spécialisés et ont acquis une excellente réputation avec l'aval des autorités gouvernementales.
J'insiste également sur le fait que, pour l'octroi de l'agrément ministériel, l'ensemble des paramètres devra être apprécié, évalué, y compris au regard du maintien des emplois en amont de la chaîne. De même, ces procédures d'agrément devront être l'occasion d'une sensibilisation des armateurs aux intérêts intelligemment compris de tous les acteurs de la filière maritime.
C'est dans ce sens que nous avons déposé des amendements. Nous souhaitons que la Haute Assemblée les adopte et notre vote final dépendra du sort qui leur aura été réservé. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Charles Revet. On ne désespère pas !
M. le président. La parole est à M. Revet.
M. Charles Revet. Je représente dans cet hémicycle, avec mon ami Patrice Gélard, qui va intervenir dans quelques instants, un grand département maritime, dans lequel vous étiez il y a peu, monsieur le ministre.
Pour nous, l'activité maritime est tout à fait essentielle. Elle conditionne notre développement. C'est pourquoi je me sens concerné au premier chef par le vote qui va intervenir sur le projet de loi que vous nous soumettez.
La première question que l'on doit se poser, monsieur le ministre, est la suivante : doit-on accepter comme inéluctable le déclin de notre flotte de commerce ?
M. Oudin, que je félicite de son rapport, a cité les chiffres, mais je vais les rappeller, car il faut voir les choses en face.
La France est passée du huitième au vingt-troisième rang mondial. Notre flotte, qui était composée de cinq cents navires, n'en compte plus aujourd'hui que deux cents environ. La France ne peut assurer, avec sa flotte, que 15 p. 100 de ses propres échanges. Ces données sont tout à fait éclairantes ; elles constituent un défi qu'il nous faut relever.
J'ai eu la chance, voilà quelque dix-sept ou dix-huit ans, de participer à la conférence internationale pour le droit de la mer. Il y a encore beaucoup de travail à faire dans ce domaine, mais j'en ai tiré un certain nombre de leçons. La France, autant qu'il me souvienne, est la troisième puissance mondiale par ses zones économiques liées à son implantation sur le globe. Elle est la quatrième puissance exportatrice. Peut-elle, dans ces conditions, accepter de dépendre autant de l'extérieur ? Peut-on considérer que l'orientation actuelle, qui est par ailleurs liée à nombre de paramètres sur lesquels je reviendrai, est inéluctable ? Je réponds : "Non".
Par ce projet de loi, monsieur le ministre, qui deviendra notre loi lorsque nous l'aurons voté vous entendez renverser la situation ; nous souhaitons vous y aider.
Permettez-moi quelques réflexions sur les conséquences de ce texte important.
Son premier effet sera d'augmenter le nombre des bâtiments de notre flotte de commerce ; cela va de soi. Il faudra qu'il ait aussi un effet bénéfique sur l'activité de nos chantiers navals.
Il est clair que, si nous parvenons à augmenter le nombre de nos navires grâce à l'engagement financier de nos concitoyens, il faut, autant que possible, que cette augmentation profite directement à nos chantiers navals, et donc aux emplois, aujourd'hui si précieux.
Le texte doit, en outre, nous permettre d'inverser la courbe de notre dépendance.
Il n'est pas acceptable que la France, qui doit au courage de ses femmes et de ses hommes son rang de quatrième puissance exportatrice mondiale, dépende autant de l'étranger. Il faut donc à tout prix que nous retrouvions, là encore, notre vraie place.
J'en reviens, monsieur le ministre, à mon propos liminaire.
Il est clair que l'activité des ports est liée à la propriété des navires. Tel ou tel armateur choisira tel ou tel port en fonction du pavillon. L'on peut espérer que, dès lors que davantage de navires battront pavillon français, nos ports ayant la préférence y trouveront une nouvelle dynamique.
Monsieur le ministre, je connais votre action et celle de vos services dans ce domaine. Elle est essentielle. Vous êtes venu à Rouen il y a quelques semaines et vous étiez au Havre il y a quelques jours, ce dont je vous remercie. Vous avez pu mesurer sur place combien les responsables du département étaient tous convaincus du rôle que peut jouer le complexe portuaire Rouen-Le Havre, qui, je dois le rappeler, est le premier complexe du nord de l'Europe ouvert sur l'Atlantique.
Si nous arrivons à renforcer et à développer notre flotte de commerce, c'est bien entendu l'activité portuaire qui en bénéficiera, ainsi que tout ce qu'elle induit dans cette région, puisque 40 p. 100 de l'activité économique, en amont et en avale dépendent de l'activité portuaire. Il, y a certes, d'autres facteurs, la domanialité, notamment, mais ils sont étrangers à l'objet du débat.
Monsieur le ministre, votre projet de loi va donc dans le bon sens. Je pense cependant qu'il faudra peut-être aller plus loin.
Plusieurs de mes collègues ont évoqué les chantiers navals. Il est vrai que nous souffrons de la concurrence déloyale de chantiers navals étrangers. Il faudra prendre les dispositions qui s'imposent.
Par ailleurs, s'il est bon d'avoir des navires, encore faut-il les faire fonctionner. Ils vont probablement transporter d'abord de la marchandise française, mais ils peuvent aussi être amenés à traiter avec l'extérieur. Il faut qu'ils soient compétitifs. Or, monsieur le ministre, dans ce domaine comme dans d'autres, nous devrons avoir un jour le courage de mettre les choses à plat et de ramener de l'ordre dans ce qui est, en fait, une véritable loi de la jungle et qui se traduit précisément par des phénomènes de concurrence déloyale. A défaut, nous aurons beau agir, ce sera en vain.
Monsieur le ministre, à deux reprises, en 1989 puis en 1994, ce grand département de Seine-Maritime a accueilli l'Armada de la liberté, qui devait rassembler, à Rouen et au Havre, une multitude de navires, du voilier au bâtiment de guerre. Dans quelques jours, d'anciens paquebots doivent, de même, revenir au Havre pour témoigner de l'importance qu'a eue l'activité maritime pour nos ports et pour la place de la France dans le monde.
A chacune de ces manifestations, nous sommes fiers. L'Armada de la liberté a rassemblé 7, 8, 10 millions de personnes. Cela signifie que, au fond d'eux-mêmes, nos concitoyens sont en lien direct avec tout ce qui concerne l'activité maritime.
Je souhaite que nos ports ne connaissent pas uniquement des flambées périodiques à travers des festivités, et que demain, et de plus en plus, des navires battant pavillon français viennent jeter l'ancre dans nos ports et participent à nos échanges.
Je voudrais souligner un autre aspect, qui a un lien direct avec le présent projet de loi.
Grâce aux incitations fiscales proposées, nos concitoyens pourront souscrire directement des parts de copropriété de navires. Autrement dit, nous allons accentuer le sentiment de propriété qui existe dans d'autres domaines, et cet aspect n'est pas le moins important. D'autres pays, notamment l'Allemagne et le Danemark, ont agi ainsi, et nous ne faisons, à la limite, que les imiter.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants soutient votre projet de loi et le votera. A travers cette démarche, nous souhaitons que la France retrouve progressivement la place qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'avoir dans l'activité maritime mondiale. De tout temps, la France a été une grande puissance maritime, mais, compte tenu des circonstances, un déclin s'est engagé. Vous nous proposez de renverser la vapeur, monsieur le ministre, nous vous y aiderons ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est également en tant qu'élu normand du Havre et de la Seine-Maritime que je vais m'exprimer sur un certain nombre de points, complétant ainsi les propos de M. Revet et de mes autres collègues élus de la frontière atlantique.
Ce projet de loi vient enfin en discussion : nous ne pouvons que nous en féliciter. En effet, il était temps de prendre des mesures pour éviter le déclin et le vieillissement constant de notre flotte battant pavillon national, alors même que - on le sait maintenant - les transformations affectant à court terme le transport international ne feront que valoriser le transport maritime et les activités portuaires dans les années à venir ; vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, au Havre, vendredi dernier.
En fait, ce texte répond à une attente du monde maritime : les armateurs, les constructeurs et tous les milieux intéressés, notamment portuaires, bien sûr. Il s'agit, je crois, d'un acte fort que vous nous présentez aujourd'hui, et nous sommes prêts à le défendre avec vous.
Toutefois, on ne peut que regretter que nous ayons mis aussi longtemps pour nous doter de cet instrument d'incitation et d'encouragement à investir dans le domaine naval.
Certains craignaient peut-être de voir se développer, grâce aux quirats, ce que d'aucuns ont appelé des « niches fiscales ». Or, en l'occurrence, tel n'est pas le cas. Il s'agit d'une simple mesure d'équité par rapport à d'autres investissements, immobiliers ou boursiers, et liés à l'épargne.
Ce texte répond à une nécessité économique puisque, sans celui-ci, notre flotte nationale serait à terme condamnée à disparaître, avec toutes les conséquences qui en résulteraient sur le plan tant économique que social.
Alors que l'on sait que, demain, des supertransporteurs seront capables d'accueillir 5 000 ou 6 000 conteneurs, à une époque où il convient de réaffirmer avec force la vocation maritime de la France, comme l'avait souligné le Président de la République, et où les grands ports français redécouvrent leur vocation à être la porte maritime de l'Europe, trop longtemps confisquée par les ports du Nord, nous devions nous doter des moyens juridiques nous permettant d'assurer cette ambition.
Je me félicite du travail qui a été accompli par la commission des finances et de l'excellent rapport de M. Jacques Oudin. Cela a permis, je crois, d'améliorer le projet de loi, je pense aux amendements visant à étendre le champ d'application du dispositif aux navires de passagers, aux navires de plaisance et aux navires de pêche.
Je me félicite également des propositions faites par la commission en ce qui concerne le pavillon. Sur ce point, un bon travail a été fait.
Par ailleurs, il était bon de réfléchir un peu à l'avenir de la flotte fluviale. Avec mon collègue M. Marini, nous avons déposé des amendements sur ce point.
Monsieur le ministre, permettez-moi, après les autres orateurs, d'attirer votre attention sur le fait que nos chantiers navals ne sont pas sûrs d'être gagnants dans l'opération. Nous connaissons tous la fragilité des carnets de commandes de nos chantiers navals, malgré le savoir-faire de ces derniers, la qualité des personnels et les technologies de pointe dans un certain nombre de secteurs. En tant que Havrais, je citerai les performances des ACH dans le domaine des voiliers et des navires de très haute technologie.
Il aurait peut-être été souhaitable que l'agrément prévu pour un projet de copropriété quirataire soit délivré non seulement après avis du ministre chargé de la marine marchande - ce que prévoit le texte en l'état actuel - mais aussi après avis du ministre chargé de la construction navale. Cela constituerait, selon moi, une mesure de sauvegarde à l'égard des préoccupations exprimées par les constructeurs.
On peut sans doute également regretter que les problèmes de la mer soient éclatés actuellement entre plusieurs ministères : les transports, l'industrie, l'agriculture et la pêche, ces deux dernières allant, bien sûr, ensemble. Intervient aussi le comité interministériel de la mer, qui pourrait être appelé à jouer un rôle dans cette opération.
En fait, le projet de loi que vous nous proposez aujourd'hui va créer un dynamisme et susciter un optimisme dont nous avions besoin.
Monsieur le ministre, au Havre, vendredi dernier, vous avez offert un ballon d'oxygène à l'ensemble de la communauté portuaire havraise. Vous nous avez ouvert des perspectives, que nous vous avions d'ailleurs suggérées et sur lesquelles nous insistions depuis de nombreuses années. Je dois rendre ici hommage à un travail de fond qui a été fait au sein de notre assemblée, par exemple depuis 1988, dans le cadre du groupe de travail que présidait M. Josselin de Rohan et auquel participait déjà M. Jacques Oudin. Ce travail trouve aujourd'hui non pas son aboutissement, mais le point de départ de ce qui sera une nouvelle aventure, car, nous qui sommes des maritimes, nous avons parfois l'impression que Paris a des préoccupations plus industrielles, plus terriennes, plus éloignées des problèmes de la mer.
Nous nous félicitons que le Gouvernement prenne enfin à bras le corps les problèmes maritimes. Nous avons l'impression qu'une nouvelle aventure maritime de la France va pouvoir commencer.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, le groupe du Rassemblement pour la République vous apportera son soutien lors de la discussion de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Arzel.
M. Alphonse Arzel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner aujourd'hui présente une importance majeure pour l'avenir maritime de notre pays. En effet, il illustre une forte volonté de reconquérir les positions commerciales de la France dans le monde.
La flotte de commerce de notre pays connaît depuis vingt ans un recul certain, alors même que le commerce maritime international croît de 6 p. 100 en moyenne par an.
Dois-je vous rappeler que, depuis le premier choc pétrolier, la France est passée du huitième au vingt-troisième rang mondial, et sa marine marchande de 500 à 210 navires ?
L'encouragement fiscal apparaît ici comme un levier formidable de soutien et de relance de l'activité.
Mettre en place en France, aujourd'hui, une fiscalité attractive pour l'épargne investie dans les navires civils de charge afin d'enrayer le déclin déjà très prononcé de la marine marchande nationale relève d'une véritable stratégie maritime que nous ne pouvons que soutenir.
Les problèmes du transport maritime sont identifiés depuis longtemps : surcoût de la main d'oeuvre par rapport à celle de pays maritimes à bas salaires et besoins très importants d'investissements en capital.
S'il n'est pas question de remettre en cause le régime social des marins, nous pouvons en revanche faire en sorte de résoudre le second problème en attirant des capitaux vers ce secteur stratégique.
La mobilisation de l'épargne disponible a cependant besoin d'un réel encouragement fiscal. Ce projet de loi y répond de manière satisfaisante.
La Commission européenne nous encourage dans cette voie à travers une communication qu'elle vient de présenter aux Etats membres et qui s'intitule : « Vers une nouvelle stratégie maritime ».
Je précise que l'encouragement de l'épargne investie dans les navires de commerce existe déjà en Allemagne, en Finlande et en Norvège. C'est un succès qui a permis d'enrayer un déclin que l'on considérait, avant ces mesures, comme inéluctable.
L'encouragement fiscal à l'orientation de l'épargne des personnes physiques et morales vers la souscription de parts de copropriété de navires civils de charge est un dispositif dont nous apprécions la grande simplicité.
La commission des finances a souhaité élargir le champ d'application de cette mesure à tous les navires armés au commerce et à la pêche, ce qui inclut les navires à passagers, les ferries ainsi que la flotte de pêche industrielle et artisanale.
Elu d'un département maritime durement frappé par les difficultés que connaît la pêche et qui n'est pas épargné non plus par les restructurations des constructions navales militaires ou civiles, je suis particulièrement attaché à cet élargissement.
Il est important aussi de réserver le bénéfice de l'exonération fiscale aux navires battant pavillon français.
Ce texte est primordial. Il apporte des éléments nouveaux dans le débat sur l'avenir du transport maritime français. Force est de constater que l'action passée des pouvoirs publics n'a pas suffi à enrayer le déclin global de la flotte sous pavillon national.
A cet égard, j'ouvrirai une parenthèse : mes collègues et moi-même regrettons que les propositions de la mission d'information du Sénat sur le transport maritime, présidée par M. Louis de Catuelan et M. Jean-François Le Grand étant rapporteur, n'aient pas été suivies de décisions concrètes.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Tout à fait !
M. Alphonse Arzel. Heureusement, l'industrie maritime est devenue pour vous un sujet de préoccupation, monsieur le ministre.
Relever le défi de la compétitivité de la flotte française, lui donner les moyens de faire face à la compétition mondiale est la meilleure façon de préparer l'avenir de la France maritime.
Ce texte sert autant à redynamiser le tissu social du littoral, par exemple les chantiers navals, qu'à renforcer notre présence sur les marchés mondiaux.
La France est historiquement un Etat tourné vers le grand large. Il nous appartient de lui rendre une forte ambition maritime.
Le projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre, répond à cet impératif de reconquête et de développement. C'est pourquoi le groupe de l'Union centriste le votera, tout en restant vigilant pour son application et les résultats qu'il produira. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la souscription de parts de copropriété de navires de commerce est surprenant dans sa philosophie, mais il soulève des problèmes réels et appelle d'autres solutions.
La France est encore la quatrième puissance mondiale. Sa flotte et sa marine marchande, qui furent l'un des fleurons de cette puissance, déclinent. Les emplois dans ce secteur économique sont en chute constante. Le taux de couverture du pavillon français baisse inexorablement. Parallèlement, nous assistons à un effacement de la construction navale française et à un affaiblissement des sociétés françaises.
Vous ne le contestez pas, monsieur le ministre. Dans l'exposé des motifs de ce projet de loi, vous affirmez, à juste titre, ceci : « Depuis le premier choc pétrolier, la France est passée du huitième au vingt-troisième rang mondial et sa marine marchande de 500 à 210 navires ».
M. Oudin, rapporteur de la commission, le confirme de façon plus sévère : « La flotte de commerce française ne représente plus que 0,95 p. 100 de la flotte mondiale avec un tonnage de 3,95 millions de jauge brute en 1996, contre 6,5 en 1970. En vingt ans, les effectifs de la marine marchande ont été divisés par sept. »
Le projet de loi qui nous est soumis est-il susceptible de modifier cette situation ?
J'en rappelle l'objet.
En fait, aux termes de l'article 1er, un propriétaire de parts de copropriété d'un navire de commerce pourra déduire de son revenu imposable la totalité de l'investissement dans la limite de 500 000 francs pour un contribuable célibataire et d'un million de francs pour un contribuable marié. En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, aucune limite n'est prévue.
Mes chers collègues, une première remarque s'impose : au moment où le Gouvernement souhaite s'orienter vers plus de justice sociale, cette mesure n'est-elle pas en complète contradiction avec une telle intention ? L'exonération atteint un record absolu !
Je citerai un extrait du rapport de synthèse du groupe de travail sur la réforme des prélèvements obligatoires du 31 mai 1996 établi sous la responsabilité de M. de La Martinière, inspecteur général des finances : « Des engagements ont été pris envers les personnes qui participent au financement des navires de commerce et aux investissements réalisés outre-mer. Ces engagements doivent être respectés. Dès l'instant où l'imposition des revenus serait normalisée, en revanche, il serait opportun que les dispositifs en cause ne soient pas prorogés et que cette orientation soit confirmée dès maintenant.
« Il ne serait pas inutile non plus de vérifier dans quelle mesure les déductions autorisées, qui intéressent principalement les titulaires de revenus élevés, bénéficient autant à notre marine et au développement de notre outre-mer qu'aux intermédiaires spécialisés dans l'exploitation de ces facilités. »
Personne à la commission des finances n'a contesté une telle analyse, réaliste, mais posant problème.
Monsieur le ministre, les exonérations et les nouvelles niches fiscales importantes que vous prévoyez sont en totale contradiction avec une réforme de justice fiscale, même si vous vous en défendez.
Plus la construction navale s'effondre et plus vous exonérez ceux qui bénéficient de cet effondrement ou qui l'organisent. Vous récompensez, vous encouragez. Ainsi, 15 p. 100 du commerce extérieur sont acheminés sur des navires battant pavillon français. Et M. Oudin note : « Outre les conséquences négatives pour l'emploi, cette situation peut fragiliser les positions commerciales de la France et menacer son indépendance stratégique ».
Monsieur le ministre, votre mesure d'exonération n'apparaît-elle pas inefficace et grave pour la justice fiscale et le devenir de notre marine ?
Mes chers collègues, une telle disposition est approuvée par la Commission européenne, qui affirme que le régime mis en place par le Gouvernement français contribuera à la modernisation de la flotte sous pavillon français, permettra de maintenir une capacité stratégique et d'encourager l'emploi des marins communautaires.
Autrement dit, cette disposition pourrait-elle favoriser l'emploi ? Nous pourrions alors devenir moins sévères pour votre projet de loi. Mais qu'en est-il réellement ?
Tout d'abord, la Communauté européenne estime condamnable ce qui est réalisé, pourtant de façon modeste, en faveur du développement de l'emploi : les aides françaises à la construction navale française, les conditions de nationalité exigées des armateurs pour accéder au pavillon national, en application de l'article 3 de la loi du 3 janvier 1967 et de la loi du 26 février 1996, et ne permettant pas à certaines sociétés d'armement de la Communauté d'exploiter en France un navire financé par le système des quirats.
M. Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, n'a-t-il pas été contraint, ces jours derniers, de refuser toute nouvelle diminution de la flotte de pêche française et de laisser réduire le rôle des ports français ?
La diminution des capacités de la pêche que veut imposer la Communauté européenne pourrait atteindre 40 p. 100 pour certaines espèces de poissons. Le Comité européen veut bien admettre les exonérations, mais, en même temps, il exige de pouvoir continuer à réduire le nombre d'emplois.
Cette politique est d'autant plus préjudiciable à la France que celle-ci n'a pas atteint les quotas de capture de poissons. On veut porter de nouveaux mauvais coups à la pêche française.
Votre projet de loi coûtera 400 millions de francs au budget de la France, mais l'ensemble de la politique européenne aura un coût beaucoup plus important.
Pour un navire battant pavillon français, ayant entraîné un montant d'investissement de 50 millions de francs, l'aide se chiffrerait à 20 millions de francs.
Une question vient aussitôt à l'esprit : ces mesures permettront-elles de créer de nombreux emplois ? Bien entendu, dans l'affirmative, nous approuverions ce projet de loi. Mais qu'en est-il ?
En termes d'emplois, dans le monde de la mer, on doit se référer à trois secteurs : la construction navale, le personnel embarqué et le négoce.
Tout d'abord, nous observons que les navires de recherche, les navires scientifiques, les câbliers sont exclus du projet de loi. Or ce sont ces types de navires qui sont aujourd'hui construits dans les chantiers français.
Ensuite, il apparaît que, actuellement, la moitié des navires commandés auprès des chantiers navals nationaux sont des navires à passagers : 58 p. 100 de la capacité en jauge brute compensée. Ils sont également exclus du champ d'application de la loi.
Par conséquent, nous ne voyons pas l'influence de vos mesures sur la construction navale. En revanche, réouvrir les chantiers de la Ciotat, toujours prêts à cette réouverture, serait créateur d'emplois, tout comme le serait le renforcement des aides aux chantiers de l'Atlantique.
Sur le nombre de marins embarqués, je vous rappelle que la France ne compte guère plus de 5 000 marins navigants et 210 navires.
Je constate également que la modernisation des navires sur les lignes Continent-Corse se solde par de nombreuses suppressions d'emplois et, peut-être, de rotations.
J'observe, enfin, que la loi de 1996, si elle prévoit que, à bord des navires battant pavillon français, le capitaine et l'officier chargé de sa suppléance doivent être français, elle prévoit également que les autres membres de l'équipage doivent être ressortissants d'un Etat membre de la Communauté européenne dans une proportion minimale fixée par arrêté, ce qui laisse le champ libre à d'autres recrutements.
Autrement dit, l'équipage sera composé d'un maximum de marins du tiers-monde sans statut social. On fait travailler des Malgaches à 500 francs par mois, a-t-on déclaré dans cet hémicycle, voilà quelques mois. Comment pouvez-vous prétendre favoriser la création d'emplois pour la construction navale quand le personnel est embarqué dans de telles conditions ?
Pouvez-vous nous garantir, monsieur le ministre, que les lignes budgétaires d'aide à la construction navale, à la marine et à la pêche ne seront pas amputées à la suite du vote de votre projet de loi ? Ma question demande une réponse claire.
Votre projet de loi s'applique aux navires d'occasion. Par conséquent, nous craignons que les mises en chantier naval soient réduites d'autant et qu'il n'y ait donc pas de retombées en matière d'emplois.
Enfin, s'agissant des emplois de négoce, compte tenu de la libre circulation des capitaux et des hommes, nous n'avons aucune assurance de création d'emplois. D'ailleurs, le même problème se pose dans le domaine de l'aviation.
Seules une très forte production et une reconquête de la place de la France au sein du trafic maritime mondial permettraient de relancer l'ensemble de ces types d'emplois.
La dernière question que je souhaite évoquer concerne la possibilité d'une relance de la production navale.
Depuis dix ans, le chiffre d'affaires du transport maritime mondial croît de 5 p. 100 par an. Pour quelle raison notre pays, dont la culture maritime est l'une des plus anciennes et des plus riches au monde, demeure-t-il à l'écart de cette progression ? Peut-être n'existe-t-il pas une seule explication, mais, pour corriger une telle situation, il faut une volonté dont le Gouvernement français semble dépourvu.
Monsieur le ministre, ce contexte n'est pas dû à la fatalité ! Dès lors, il nous faut dénoncer les choix politiques des gouvernements qui se sont succédé, choix qui sont maintenant effectués à l'échelon européen.
En 1995, le chiffre global de l'armement français accusait un recul de 5 p. 100. Le journal de la marine marchande peut titrer : « Quirats, la grande espérance » ! Faut-il en déduire que c'est l'une des solutions possibles pour la relance ?
Vous notez à juste titre, monsieur le rapporteur, que les récents résultats financiers des armateurs font apparaître un redressement. Sans l'exonération proposée, on peut d'ores et déjà observer des efforts de productivité, la diminution de la dette, une perspective de renouvellement de la flotte. Par conséquent, les affaires ne vont pas si mal pour les armateurs ! Votre projet de loi ne prévoit pas moins une aide aux armateurs plutôt qu'à l'emploi !
Pour nous, la construction navale nécessite une aide gouvernementale pour des bateaux français, avec un pavillon français et des marins français. Or les quirats profitent en grande partie aux chantiers navals étrangers et aux armateurs.
L'exemple allemand a été cité par d'autres collègues : le marché quirataire est euphorique ; il a connu une progression de 33 p. 100 entre 1994 et 1995, ce qui représente 7,5 milliards de francs.
Si la construction navale allemande est toujours en tête, elle est néanmoins talonnée par la Corée et la Pologne, qui bénéficient des quirats allemands. D'ailleurs, gouvernement et syndicats s'en émeuvent. Des chantiers sont en faillite, comme le chantier Bremer-Vulkan. Les quirats allemands sont donc remis en question.
Le moment était-il bien choisi de les développer dans notre pays ? Ne va-t-on pas aussi favoriser la construction étrangère, les pavillons étrangers, l'embauche de personnels du monde entier, sans statuts et avec des degrés d'exploitation inimaginables ?
Nous sommes inquiets ! Nous ne sommes donc pas favorables à votre projet de loi dans sa rédaction actuelle. Si vous le modifiiez profondément au cours du débat, nous pourrions réexaminer notre position.
Notre volonté est simple, monsieur le ministre : rendre à la France son pavillon par un investissement important dans la construction navale nationale ; nous pensons, par exemple, à la réouverture du chantier de La Ciotat, à la modernisation de sa flotte, au rayonnement du pavillon français et au développement de la pêche française.
Alors, et alors seulement, les créations d'emplois réapparaîtraient dans une marine rénovée, modernisée et conquérante. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Pons, ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme. Je tiens tout d'abord à remercier M. le rapporteur pour le travail remarquable et approfondi qu'il a accompli, ainsi que Mmes et MM. les sénateurs qui se sont exprimés sur toutes les travées de la Haute Assemblée.
Monsieur le rapporteur, le Gouvernement est attentif aux problèmes de la pêche, de la plaisance et de la flotte fluviale. Mais ce projet de loi concerne la flotte de commerce ouverte aux vents de la concurrence qui naît de la liberté des mers.
Dans l'attente hypothétique d'une régulation par la voie d'un accord multinational, que malheureusement on ne voit pas venir, l'étalon de concurrence est la complaisance, et cette complaisance n'a lieu d'être ni dans la pêche, ni dans la flotte fluviale, ni dans la plaisance.
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur, la question des navires à passagers. Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse, et je peux d'ores et déjà vous confirmer que le Gouvernement sera ouvert à des propositions parlementaires étendant cette mesure aux navires à passagers. Faut-il rappeler, en effet, que les deux premiers employeurs de navigants sont des armements à passagers ? On compte 2 600 emplois à la BAI - Bretagne-Angleterre-Irlande - et 2 000 emplois à la société nationale Corse-Méditerranée, la SNCM.
Les navires à passagers sont, dans le secteur maritime, les principaux créateurs d'emplois, et nous ne pouvons les exclure, eux qui ont été le meilleur client français de notre construction navale au cours de ces dernières années.
Monsieur le rapporteur, je suis très attaché à ce que les agréments soient délivrés le plus rapidement possible. Vous souhaitez qu'un délai soit fixé à l'administration, mais cela pose une difficulté technique que je m'engage à résoudre après m'en être entretenu avec M. Arthuis. Je pense que nous pourrons trouver une solution lors de la lecture de ce texte devant l'Assemblée nationale.
Sur le pavillon français, monsieur le rapporteur, je partage tout à fait votre approche. Si le projet de loi ne vise pas spécifiquement ce pavillon, c'est parce qu'en droit fiscal, jusqu'à nos jours, cette condition n'avait pas été introduite. Mais la Commission de Bruxelles - qui, je le répète, a approuvé ce texte - a encouragé le Gouvernement français à développer son pavillon. Le texte qu'elle a adressé à M. le ministre des affaires étrangères contient ainsi la phrase suivante : « Ce régime encourage l'investissement pour promouvoir l'immatriculation des navires sous pavillon français et l'emploi. »
Monsieur Régnault, s'agissant des navires à passagers, de la défiscalisation et de l'agrément, je vous fais la même réponse qu'à M. le rapporteur.
Sur l'équité fiscale, vous avez cru pouvoir critiquer, avec Mme Beaudeau, le Gouvernement, parce que, selon vous, ce régime nouveau pourrait ne pas être utilisé par un très grand nombre de contribuables, mais seulement par les nantis.
Faut-il rappeler que, en 1987, M. Lang et vous-même avez institué un régime de déduction fiscale en faveur des sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle, les SOFICA, qui profite à moins de 2 000 contribuables aisés ? La déduction fiscale que nous proposons, monsieur Régnault - 500 000 francs pour un célibataire et 1 million de francs pour un couple - constitue un plafond. Et vous savez très bien que l'article 163 vicies n'a eu aucun effet sur la flotte de commerce. En Allemagne, par exemple, il n'y a pas de plafond, et la moyenne des investissements s'établit entre 100 000 francs et 250 000 francs par foyer fiscal.
J'ajoute, monsieur Régnault, car je comprends et partage votre inquiétude, que les banques pourront mettre en place des systèmes en divisant les quirats pour permettre à la petite épargne de s'investir.
M. Régnault et Mme Dieulangard ont insisté, comme M. le rapporteur, sur les retombées du secteur de la construction navale.
Nous avons l'espoir commun - je l'ai dit dans mon propos initial - de voir les armateurs français orienter leurs commandes vers nos chantiers navals. Le respect de nos engagements communautaires nous oblige à faire en sorte que l'ensemble des chantiers européens soient placés sur un pied d'égalité. Mais nous comptons sur un élément réel et connu, à savoir l'excellence et la haute technologie de nos chantiers, pour gagner le plus grand nombre de parts de marchés.
S'agissant de l'accord OCDE, madame Dieulangard, je confirme ce que je vous ai dit tout à l'heure : M. Chirac n'était pas alors membre du Gouvernement, et l'accord n'est actuellement ratifié ni par les Etats-Unis ni par le Japon ; nous attendons de voir ce qu'il deviendra.
Vous avez exprimé des inquiétudes à propos des ports et vous craignez les effets des difficultés de nos finances publiques sur leur entretien.
Vous avez cité les ports de Nantes et de Saint-Nazaire. S'agissant des accès de la basse Loire, je vous confirme que j'ai affecté, au début de l'année 1996, une dotation exceptionnelle de 15 millions de francs pour le rétablissement des profondeurs. C'est le montant de la participation de l'Etat dans une opération d'un coût global de 35 millions de francs.
Monsieur Revet, selon vous, l'activité de notre armement dépend de la vigueur de nos exportations - c'est votre expression - et l'activité de nos ports de celle de nos navires. Je partage totalement votre opinion, l'activité maritime et portuaire est un tout indissociable. C'est pourquoi la politique maritime engagée par le Gouvernement, dont témoigne ce très important projet de loi, doit être un tout.
A cette fin, j'ai engagé, vous le savez - je l'ai évoqué au Havre voilà quelques jours - une réflexion sur l'avenir de nos ports, avec la ferme volonté, je vous le confirme, de déboucher sur un ensemble de mesures de modernisation. Vous avez vous-même participé à cette réflexion et j'espère vous présenter, lors de la prochaine session, un projet de loi d'orientation portuaire afin de donner à nos ports les moyens nouveaux dont ils ont besoin.
Monsieur Gélard, je vous remercie très vivement de votre analyse, et encore plus vivement du soutien que le groupe du RPR apporte à ce texte.
Vous avez déploré que cette mesure soit si tardive. Je partage votre sentiment. Pendant de trop nombreuses années, en effet, le déclin de notre flotte a été considéré comme un phénomène conjoncturel alors qu'il était dû à une cause structurelle : l'émergence de flottes armées dans des pays à bas salaire, sans couverture sociale et dotés d'une fiscalité symbolique. Aujourd'hui nous prenons enfin acte - et j'ai confiance, car il n'est pas trop tard - de cette situation économique.
Vous avez également considéré, avec d'autres orateurs - M. Régnault en particulier -, que l'agrément prévu par ce texte pourrait être subordonné à l'avis du ministère chargé de la construction navale.
Le Gouvernement n'a pas retenu cette idée, pour deux raisons. La première, c'est que l'on donnerait ainsi l'impression que nous mettons en place une aide à la construction navale, ce qui n'est pas le cas et ce que les règles internationales ne nous permettent d'ailleurs pas. La seconde, c'est qu'il faut simplifier les procédures et éviter la multiplication bureaucratique des avis ministériels.
Monsieur Arzel, je tiens à vous remercier du soutien que vous apportez à ce texte et j'apprécie beaucoup que vous partagiez la confiance que nous portons dans ses conséquences, en particulier dans ses conséquences sociales pour le littoral, qui souffre aujourd'hui particulièrement du chômage.
Non, madame Beaudeau, les navires de travail maritime ne sont pas exclus de la mesure proposée, je tiens à vous rassurer. A titre d'exemple, les câbliers sont armés au commerce et assimilés à des navires de charge. Par ailleurs, en ce qui concerne la critique que vous avez adressée au Gouvernement à propos de l'équité fiscale, permettez-moi de vous rappeler, comme je l'ai fait tout à l'heure pour M. Régnault, que le groupe communiste républicain et citoyen est vigoureusement intervenu à l'automne dernier, lors du débat budgétaire, pour que soit maintenue la déduction fiscale des achats de parts de SOFICA, qui profite à 2 000 producteurs et qui permet de défiscaliser sans plafond jusqu'à 25 p. 100 de son revenu. (M. Régnault et Mme Beaudeau protestent.)
Vous vous inquiétez des conséquences de la mesure proposée en matière d'emplois maritimes. Je suis, comme vous, très attentif à cette question et, pour vous démontrer la confiance que m'inspire le dispositif proposé, je vous indique que j'ai décidé d'augmenter de 20 p. 100 le nombre des élèves de première année des écoles nationales de la marine marchande, qui forment les capitaines de première classe. (M. Gélard applaudit.)
J'ai, par ailleurs, mis à l'étude un programme de croissance des effectifs et d'adaptation des brevets, pour que ceux-ci soient parfaitement en harmonie avec les règles internationales de qualité établies par l'Organisation maritime internationale. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Poncelet, président de la commission. Avant que nous abordions la discussion des articles, je souhaiterais, monsieur le président, une suspension de séance d'une vingtaine de minutes, pour que nous puissions, avec M. le ministre et M. le rapporteur, revoir la rédaction de certains amendements.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures cinquante.)