ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT
M. le président.
Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, je
vais peut-être déroger aux habitudes, car j'ai déjà adressé une lettre à tous
les sénateurs pour leur dire comment s'était déroulée cette première session
unique à la suite de la réforme de la Constitution.
Je voudrais vous en faire un compte rendu à cette tribune. J'estime que cette
première session unique ne s'est pas trop mal passée, même s'il ne faut pas
occulter les problèmes qui restent à résoudre. Toutefois, il faut noter une
nette amélioration dans l'organisation de notre travail.
M. Emmanuel Hamel.
Vous êtes optimiste !
M. le président.
Vous avez l'air de le contester, monsieur Hamel, mais je vais vous en donner
des preuves.
Je voudrais vous remercier, monsieur le Premier ministre, non seulement de
votre présence, mais aussi de la compréhension que vous avez manifestée chaque
fois que nous vous avons demandé de faciliter le travail du Sénat en harmonie
avec celui de l'Assemblée nationale. Vous avez également simplifié la vie du
Sénat en ce qui concerne l'organisation correcte de l'examen des textes que de
leur suivi, puisque les décrets d'application ont en général été pris plus
rapidement que par le passé.
Le bilan de la session est, selon moi, positif, car l'organisation des travaux
a été meilleure. La conférence des présidents a d'ailleurs, me semble-t-il,
bien fonctionné.
J'ai souvent déclaré, comme d'autres d'ailleurs, que trop de lois tue la loi.
Nous avons peut-être été entendus puisque seules cinquante-cinq lois ont été
votées contre soixante-dix en 1994, que je prendrai comme année de référence,
l'élection présidentielle ayant atténué le rythme de nos travaux en 1995. C'est
donc quinze lois de moins qui ont été adoptées, et la France n'a pas l'air de
se porter plus mal !
Nous aurons siégé cent dix jours, soit sept cents heures de travail, contre
cent vingt-trois jours en 1994, et huit cent treize heures de travail.
Quant au travail de nuit, je n'ai jamais pensé - mais tout le monde ne partage
pas mon avis - que le meilleur travail se faisait à trois heures ou quatre
heures du matin, même s'il est plus rapide. Nous pouvons constater une
amélioration, puisque seulement 14 p. 100 de notre travail législatif s'est
effectué la nuit contre 27 p. 100 en 1994, année au cours de laquelle nous
avions siégé plus longtemps.
Par ailleurs, nous n'avons siégé que quatre lundis et quatre vendredis, et
encore pas complètement. Voilà qui permet d'exercer deux mandats sans
difficultés, puisque le lundi, le vendredi et le samedi sont maintenant
libres.
Enfin, le Sénat souhaitait que ses commissions travaillent sérieusement. Il
fallait donc qu'elles disposent d'un certain temps pour étudier les textes et
pour procéder à des auditions.
Ainsi, cent vingt jours, en moyenne, se sont écoulés entre le dépôt d'un
projet de loi en première lecture au Sénat et son vote définitif, c'est-à-dire
vingt-sept jours en moyenne de plus qu'avant la réforme de la Constitution.
Cela va dans le bon sens.
Désormais, une séance par mois est réservée à l'ordre du jour fixé par chaque
assemblée. Ces séances ont été très fructueuses puisque, pour la première fois
au cours de cette session, six propositions de loi émanant du Sénat ont été
définitivement approuvées et quatre autres sont en navette. Que dix
propositions de loi soient d'origine sénatoriale, voilà qui est tout à fait
nouveau. Auparavant, l'inscription d'une proposition de loi à l'ordre du jour
était toujours subordonnée à l'accord du Gouvernement, que nous n'obtenions pas
très souvent. C'est un point extrêmement important, qui méritait d'être
souligné.
Le Sénat a été de plus en plus influent. En dehors d'une loi qui a été votée à
la fin de l'année 1992 sans l'accord du Sénat, aucune loi en 1993, 1994 et 1995
n'a été votée sans l'accord des deux assemblées.
Pour 1995-1996, 80 p. 100 des textes adoptés l'ont été après une navette, ce
qui traduit un travail constructif.
Enfin, 89 p. 100 des amendements du Sénat ont été retenus, intégralement ou
modifiés pour seulement 12 p. 100 d'entre eux.
Cela prouve le poids du Sénat, contrairement aux affirmations d'un éminent
président d'une autre assemblée, qui déclarait que nous ne touchions qu'aux
virgules. Ce sont, en fait, de grosses virgules.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Ivan Renar.
Sacré Mazeaud !
M. le président.
Le renforcement du contrôle du Sénat, c'est aussi très important. Comme vous
l'avez remarqué, la proposition de résolution tendant à modifier le règlement a
été votée à l'unanimité. Or, elle a ouvert à l'opposition la possibilité de
s'exprimer plus encore qu'avant. Ainsi, certaines des propositions de loi dont
je parlais émanent de l'opposition, ainsi que la plus grande partie des
questions.
D'octobre 1995 à juin 1996, le Gouvernement aura répondu à 163 questions
d'actualité, retransmises à la télévision, et à 219 questions sans débat, le
mardi matin, soit 110 p. 100 de plus qu'en 1994.
Il s'agit bien là de l'exercice d'un contrôle sur l'exécutif.
Enfin, dix débats portant sur de grands sujets ont été organisés tant à
l'Assemblée nationale qu'au Sénat, soit deux fois plus qu'en 1994.
Nous vous suggérons pour l'avenir, monsieur le Premier ministre, afin d'éviter
que la discussion de la loi de finances ne soit trop lourde, d'organiser tout
au long de l'année des débats sur de grands sujets plutôt que d'attendre la loi
de finances. Ainsi, chacun pourra apporter en amont sa contribution à
l'élaboration du budget, dont la discussion intervient en fin d'année.
Je tiens également à parler des travaux d'investigation du Sénat et à rendre
hommage aux commissions.
Elles ont tenu 360 réunions au cours de cette session, ce qui est
extraordinaire, et procédé à l'audition de 230 personnes, dont un certain
nombre étaient des personnalités importantes.
De plus, certaines auditions ont été publiques, ce qui est nouveau et
constitue un moment privilégié pour la démocratie.
Je comprends que les commissions se plaignent parfois que leurs réunions se
télescopent avec la séance publique. Mais elles ont travaillé 665 heures cette
année contre 514 heures l'année dernière. Elles ont pu ainsi approfondir leur
travail, ce qui a sans doute permis d'écourter les navettes entre les deux
assemblées.
Il convient également de relever que 290 rapports législatifs ont été publiés,
ainsi que 14 rapports d'information. Ainsi, au total, plus de 300 rapports ont
été élaborés par les sénateurs au cours de la session.
Le Sénat avait également souhaité contrôler plus étroitement la politique
communautaire. Je ne dirai pas que tous les textes ont été examinés ;
néanmoins, cent quatre-vingts textes ont été transmis au Sénat et huit
résolutions ont été adoptées.
Enfin, s'agissant des offices parlementaires, il a été difficile de les mettre
en place mais, avant la fin de la session, le Sénat en désignera les membres.
Ainsi, la machine sera en route et les contrôles pourront s'effectuer.
Cela dit, tout n'est pas idyllique. Des procédures restent à améliorer.
Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, je vous remercie de la
grande part de responsabilité que vous avez prise dans le bon déroulement de
nos travaux. En conférence des présidents ou ailleurs, vous avez toujours une
parole aimable pour arranger la situation.
Je vous ai souvent dit que nous souhaitions une prévision de nos travaux à
plus long terme. Vous nous avez donné, c'est vrai, un programme approximatif
pour six mois. Mais, pour ce qui est de l'inscription des textes à l'ordre du
jour, vous ne parvenez pas à les prévoir plus de trois à quatre semaines à
l'avance. Des efforts sont encore nécessaires, car une prévision sur deux ou
trois mois serait souhaitable.
Ce laps de temps faciliterait la vie des ministres : ils n'auraient pas besoin
de se précipiter en fin de session pour vous demander de prolonger celle-ci et
ils seraient beaucoup plus décontractés lors de l'examen de leurs textes. Il
faut leur demander de les prévoir assez tôt pour laisser le temps au Sénat de
les examiner.
Pour ce qui est du nouveau règlement, tout le monde a participé à son
élaboration, majorité et opposition, sous la brillante présidence de M. Guéna.
Les différentes parties sont parvenues à un accord, puisqu'il a été voté à
l'unanimité. Pourtant, il n'était pas facile de faire plaisir à tout le
monde.
Notre règlement sera à nouveau modifié pour organiser les nouvelles modalités
de discussion du projet de loi de finances. Une nouvelle réunion aura lieu
jeudi, puis le président et le rapporteur général de la commission des finances
dégageront une solution au sein du groupe de travail.
Il est certain que l'on va également améliorer la discussion du projet de loi
de finances pour éviter les séances de nuit, mais aussi pour assouplir le
carcan assez étroit dans lequel elle est enfermée si toutefois, comme je vous
le suggère, suffisamment de débats ont lieu au cours de l'année afin que les
débats de politique générale n'interviennent pas pendant la discussion du
budget.
Il faut aussi - c'est une critique qui est faite de temps en temps - concilier
les réunions de commission et les séances publiques. Mais comment faire ? Ce
n'est pas facile.
Le Sénat a siégé cette année un peu moins longtemps en séance publique. En
revanche, les commissions ont beaucoup siégé ; elles ont procédé à des
auditions publiques, à des auditions à l'extérieur. Doivent-elles apporter plus
de souplesse à leurs horaires ? Doivent-elles travailler plus longtemps ? C'est
un problème auquel je n'ai pas de réponse.
Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, nous comptons donc
beaucoup sur vous pour une prévision à plus long terme de nos travaux. Le jour
où nous obtiendrons le calendrier de nos travaux trois mois à l'avance, nous
serons les plus heureux parlementaires de France !
Nous devons également approfondir encore le dialogue que nous avons avec le
Gouvernement. Je voudrais vous en donner une raison.
Récemment, des représentants d'organisations professionnelles m'ont téléphoné
pour me dire que le Sénat n'était pas raisonnable d'avoir modifié un texte
qu'ils avaient préparé avec le Gouvernement. Je leur ai répondu qu'ils se
trompaient, car ce n'est pas à eux de préparer les textes avec le Gouvernement
; c'est bien au Parlement de le faire avec le Gouvernement. Plus nous les
préparerons en amont, moins nous aurons à les modifier après. En revanche, si
les textes sont préparés par les organisations professionnelles, qui n'ont pas
de comptes à rendre, contrairement aux sénateurs, qui sont élus par l'ensemble
des citoyens, ces textes seront forcément modifiés par nous ! Je vous raconte
cela car j'ai été surpris par cette réaction de ces personnes. Si nous
modifions les textes préparés par les milieux professionnels avec le
Gouvernement, cela prouve que nous avons encore quelque pouvoir, et cela me
fait plaisir !
M. Emmanuel Hamel.
Nous ne sommes pas à la botte des grands intérêts capitalistes !
(Applaudissements sur les travées du RPR. - Exclamations sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. Ivan Renar.
Nous allions le dire !
M. le président.
Mais, monsieur Hamel, ce ne sont pas forcément des intérêts capitalistes ; ce
peuvent être des intérêts corporatistes tout simplement, sans considération de
revenus !
Enfin, nous avons essayé, pendant cette session, de moderniser le Sénat.
Comme vous l'avez vu, les commissions disposent de la salle Médicis pour les
auditions publiques. Nous avons un studio et une télévision parlementaire,
encore embryonnaire, qui va se développer.
Nous avons également fortement encouragé, sur l'initiative des sénateurs, ce
dont je les remercie, les colloques sur la prospective. Beaucoup de sénateurs
m'ont écrit pour me demander d'en organiser et j'en ouvre même quelques-uns.
C'est tout à fait important parce que nous devons travailler en amont et
apporter au Gouvernement des idées. Ainsi, le travail sera mieux fait. Je ne
sous-estime pas du tout les collaborateurs des ministres ou du Premier ministre
; mais les nôtres font aussi un bon travail.
Je voudrais dire également combien la communication du Sénat a évolué. En
particulier, en 1995 et en 1996, on l'a beaucoup dirigé vers les jeunes et vers
les élus, qui nous sont très reconnaissants de recevoir des informations du
Sénat aussi souvent que possible, informations que l'on communique aussi au
Gouvernement.
Enfin, nous avons beaucoup ouvert le Sénat vers l'extérieur. Savez-vous que
cent personnalités étrangères ont été reçues au cours de la session, soit par
la présidence, soit par les commissions, pour un déjeuner ou un échange de vues
important. Ainsi, onze chefs d'Etat et de gouvernement, vingt présidents ou
vice-présidents d'assemblée ont été reçus par les commissions ou par moi-même.
C'est une ouverture considérable sur l'extérieur.
Nous ne pouvons comprendre le travail que nous faisons, en particulier
lorsqu'il s'agit de politique étrangère, et, au-delà, de l'évolution du monde
économique, si nous n'avons pas ces contacts permanents avec les responsables
étrangers qui cherchent actuellement leur voie, comme cela nous arrive
également.
Enfin, pour terminer, je dirai qu'il y a beaucoup plus d'aspects positifs que
d'aspects négatifs dans mon propos. Je suis convaincu que notre travail s'est
considérablement amélioré. Il est vrai que si, de temps en temps, nous nous
apercevons que les habitudes ont changé, nous sommes un peu conservateurs, sans
le dire et sans le savoir !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
On le savait !
M. Guy Allouche.
Beaucoup trop !
M. le président.
Vous en particulier !
M. Philippe de Bourgoing.
Voilà !
M. Gérard Larcher.
L'aile conservatrice !
M. Guy Allouche.
Moi ?
M. le président.
Sans être méchant, j'ai entendu des discours de votre part qui n'ont pas
beaucoup évolué depuis quinze ans !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants. - Exclamations sur les travées
socialistes.)
M. Guy Allouche.
Il y a quinze ans, je n'étais pas là !
M. le président.
Monsieur le Premier ministre, je vous remercie beaucoup de votre présence, de
vos efforts pour engager des réformes. Nous vous soutiendrons, car il faut en
faire !
Je remercie le Gouvernement, les ministres qui manifestent toujours une grande
disponibilité à notre égard, et tout spécialement mon ami Roger Romani, qui
nous apporte une grande aide et qui est toujours de bonne humeur.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je remercie également les fonctionnaires, aussi bien ceux de la maison
que ceux des ministères, qui se sont toujours également rendus très
disponibles.
Nous avons la chance d'avoir une équipe de collaborateurs de très grande
qualité, qui nous aident grandement lorsqu'il faut arbitrer, étudier ; ils
n'hésitent d'ailleurs pas - c'est arrivé à certains qui ne sont pas loin de moi
- à passer une nuit complète à mettre au point des textes dont le Sénat doit
débattre le lendemain.
(Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur
les travées socialistes.)
Je tiens à remercier tous les journalistes, qui rendent compte plus
qu'avant de nos travaux.
J'aurai l'occasion, mes chers collègues, de vous adresser également une lettre
sur la communication. Vous verrez que le nombre d'articles consacrés au Sénat
publiés dans la presse a beaucoup évolué, tout comme le nombre de séquences
télévisées. Les journalistes ont des contraintes qu'il ne leur est pas toujours
facile de surmonter, mais ils y parviennent.
Je remercie, bien sûr, les commissions du travail formidable qu'elles ont
accompli, comme d'habitude, mais encore plus cette année, et, bien sûr, tous
les sénateurs qui sont beaucoup plus présents dans l'hémicycle que l'opinion ne
le croit.
En effet, il est facile de critiquer l'absentéisme des parlementaires en
séance publique. Encore faut-il savoir que, dans le même temps, ils travaillent
en commission. Je viens de le prouver ; comment faire 660 heures de travail en
commission, sauf à prendre ce temps quelque part ? Le grand public ne perçoit
pas cette subtilité ; c'est pourtant la vérité.
Je remercie aussi les assistants des groupes, hommes et femmes de qualité, qui
préparent bien le travail et qui contribuent grandement au renom du Sénat.
Je remercie également les membres du bureau que je réunis tous les mois et
dont le travail n'est pas simple puisqu'il nous faut souvent décider sur des
sujets contradictoires et difficiles. Ce sera sans doute encore le cas
demain.Quel que soit l'ordre du jour du bureau - chargé ou non - nous avons
réussi à tenir tous les mois une réunion. Je voudrais vous remercier de votre
contribution et de votre compréhension. Ce n'est pas un bureau « béni-oui-oui
», ce sont des réunions performantes qui autorisent les grandes discussions,
parfois âpres et difficiles, mais je crois que c'est aussi ce qui fait la
richesse du Sénat.
Voilà ce que je voulais vous dire en quelques mots. Je me réjouis du climat
qui existe entre le Gouvernement et le Sénat, entre les sénateurs, qu'ils
appartiennent à la majorité ou à l'opposition, car le Sénat demeure
convivial.
Je me réjouis que la réforme de la Constitution, un peu crainte au départ, ait
atteint la plupart de ses objectifs. Dans la mesure du possible, nous ferons
mieux encore en 1996 et en 1997. Je suis sûr en tout cas que nous sommes sur la
bonne voie !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et indépendants et du RDSE, ainsi que sur quelques travées
socialistes.)
M. Ivan Renar.
Cela mérite une prime exceptionnelle pour tous !
M. le président.
La joie de travailler dans cette maison doit suffire.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, dans quelques jours va donc s'achever la première session
parlementaire unique de l'histoire de la Ve République. Ces neuf mois de
session continue ont été, je le crois, particulièrement riches en innovations
et en réformes.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ah là là !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Il est sans doute encore prématuré de dresser le bilan
définitif des conséquences de la révision contitutionnelle du 4 août 1995
voulue par le chef de l'Etat. Je crois pouvoir néanmoins affirmer que le
rééquilibrage des institutions qu'il avait souhaité est en bonne voie.
La réorganisation du rythme des sessions a incontestablement contribué à
améliorer l'organisation des travaux parlementaires, vous le constatiez à
l'instant même, monsieur le président. C'est un élément de satisfaction pour le
Parlement tout entier, et en particulier pour la Haute Assemblée.
Surtout, la session a permis de donner un caractère plus permanent aux
fonctions de contrôle que le Parlement exerce sur l'action gouvernementale.
Ainsi, renforcé dans ses missions essentielles, le Parlement prend une part
sans cesse plus active aux grand enjeux d'aujourd'hui et de demain.
La contribution du Sénat aux réformes de ces derniers mois en fournit la
pleine illustration, j'en suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le
président.
A l'heure des premiers bilans, je voudrais, mesdames, messieurs les sénateurs,
revenir brièvement sur quelques aspects qui me paraissent particulièrement
significatifs dans cette évolution.
La réorganisation du rythme des sessions avait comme corollaire indispensable
une meilleure répartition du calendrier des travaux parlementaires. Cet
objectif est, je crois, en passe d'être atteint, et je m'en réjouis, même si
des améliorations, bien sûr, peuvent et doivent encore être apportées, en
particulier pour éviter la surcharge que génère traditionnellement la fin de
chaque session. Le règlement de votre assemblée a fixé le calendrier des
semaines et des horaires de séances, ce qui est une très bonne chose. De son
côté, le Gouvernement a usé avec une grande modération de la faculté qui lui
laisse la nouvelle loi constitutionnelle d'ouvrir des séances
supplémentaires.
Ainsi, dans la limite des 120 jours fixée par l'article 28 de la Constitution,
six jours supplémentaires seulement, si on ne tient pas compte de la loi de
finances, ont été ouverts à ce jour.
Par ailleurs, comme vous le rappeliez à l'instant, monsieur le président, la
prolongation des séances au-delà de vingt heures a été considérablement
réduite. Si l'on compare aux autres années, là encore, hormis la loi de
finances, 24 séances sur un total de 82 ont été prolongés au-delà de 20 heures
; et je partage votre point de vue, monsieur le président, ce n'est pas
forcément parce qu'il est cinq heures du matin que l'on travaille mieux. Des
souvenirs de ministre du budget à ce banc m'ont laissé quelques marques.
En parallèle, le Gouvernement a fait un gros effort de programmation en amont
des textes législatifs. Conformément à l'article 29 du règlement de votre
assemblée, les grandes lignes du calendrier du travail parlementaire vous ont
été communiquées en début d'année. Le ministre chargé des relations avec le
Parlement - je vous remercie en son nom, puisqu'il est provisoirement muet, des
éloges que vous lui avez à juste titre décernés - a par ailleurs veillé à
informer chaque semaine la conférence des présidents de l'ordre du jour
prioritaire du Sénat des trois semaines et, souvent, des quatre semaines à
venir. J'ai bien noté, monsieur le président, que vous en vouliez plus. Nous
progresserons pas à pas avec le temps.
La bonne organisation des travaux parlementaires ne va pas non plus sans un
dépôt plus équilibré des projets de loi examinés par les deux assemblées. Des
projets de loi de première envergure ont été déposés sur le bureau du Sénat. Je
citerai, pour la période la plus récente, le projet de loi relatif à la
détention provisoire, le projet de loi sur l'air et l'utilisation rationnelle
de l'énergie, le projet de loi relatif à l'encouragement fiscal en faveur de la
souscription des parts de copropriété de navires de commerce ou encore le
projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom.
Autre élément appréciable de ce bilan, le recours à la procédure d'urgence a
été relativement réduit. En outre, le Gouvernement veille, autant qu'il est
possible, à ne pas surcharger le Parlement d'un trop grand nombre de textes. Je
sais, monsieur le président, qu'il s'agit d'une de vos préoccupations majeures.
« Trop de lois tue la loi. », dites-vous souvent. Dans les statistiques qui ont
été publiées, j'ai pu observer que nous étions sur la bonne voie. Je veillerai
à ce que les efforts soient poursuivis en ce sens, conformément aux voeux du
Président de la République.
L'organisation des travaux parlementaires est encore, bien sûr, largement
perfectible, mais je crois pouvoir dire que les conditions d'un réel
renforcement des missions du Parlement ont été posées. Un des aspects les plus
immédiats de la réforme concerne, je l'ai indiqué, les missions de contrôle du
Parlement sur l'action gouvernementale, missions de contrôle renforcées de par
leur caractère plus permanent et continu. Ce contrôle s'est exercé bien
évidemment en premier lieu au travers des diverses séances de questions prévues
par le règlement de chacune des assemblées, séances qui ont permis d'assurer
une large présence des membres du Gouvernement tout au long de l'année
parlementaire. Au total, je crois que vous avez cité ces chiffres, monsieur le
président, 163 questions d'actualité et 219 questions orales sans débat auront
été posées au Sénat.
Les nombreux débats qui ont été organisés en liaison avec l'actualité
politique constituent également un élément appréciable de cette mission de
contrôle. Ils ont parmis à chacun ici d'exprimer la diversité des approches, de
confronter les opinions, de nourrir utilement la réflexion du Gouvernement sur
des sujets aussi divers que la réforme de l'accession à la propriété, l'union
économique et monétaire, la politique de défense ou plus récemment encore la
situation en Corse.
Au cours de ces derniers mois, le Parlement a pu conforter ses pouvoirs de
contrôle dans deux domaines particulièrement importants : celui des finances
publiques d'abord, grâce à l'organisation - c'était une première - d'un débat
annuel d'orientation budgétaire en juin - je crois d'ailleurs que cela a été un
succès et qu'il a été apprécié par les parlementaires - et bientôt - ce sera là
aussi un grand moment dans la vie parlementaire - la discussion et le vote à
l'automne d'une loi de financement de la sécurité sociale, ensuite celui des
activités communautaires avec l'adoption continue de résolutions
parlementaires.
La mise en place des deux offices parlementaires devrait permettre aux
assemblées d'évaluer plus efficacement la législation et les politiques
publiques et leur donner ainsi les moyens d'exercer un contrôle plus efficace
de l'action gouvernementale.
Mais c'est sans doute dans le rééquilibrage de l'initiative parlementaire que
le renforcement des pouvoirs du Parlement est le plus évident.
L'organisation prévue par le nouvel article 48, alinéa 3, de la Constitution,
d'une séance mensuelle réservée par priorité à l'ordre du jour fixé par chaque
assemblée a permis la discussion au Sénat de nombreuses propositions de loi :
six propositions de loi émanant du Sénat ont été définitivement adoptées par le
Parlement et quatre autres sont en navettes ; c'est également un grand
changement par rapport aux décennies précédentes.
Je citerai pour mémoire la proposition de loi relative à la responsabilité
pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, la proposition de loi
relative à la prorogation de la suspension des poursuites engagées à l'encontre
des rapatriés installés, la proposition de loi tendant à faire du 20 novembre
une journée nationale des droits de l'enfant ou encore la proposition de loi
tendant à actualiser la loi locale de chasse régissant les départements du
Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Ces propositions de loi, dont certaines ont été inscrites à l'ordre du jour
prioritaire afin de faciliter la navette entre les deux assemblées, sont, au
même titre que les amendements déposés par les parlementaires, l'expression
d'un dialogue fructueux entre le Gouvernement et le Parlement.
Renforcée dans ses missions essentielles, la Haute Assemblée a pris une part
active aux réformes entreprises par le Gouvernement, et je voudrais l'en
remercier de tout coeur. Il est vrai, comme vous l'avez dit, monsieur le
président, que ces réformes ont été nombreuses depuis le début de cette
session, et qu'elles ont concerné des volets essentiels de la vie économique et
sociale de notre pays. Elles avaient, la plupart du temps, beaucoup trop tardé,
qu'il s'agisse de la réduction des déficits
(protestations sur les travées
socialistes),
de la préservation et du développement de l'emploi
(nouvelles protestations sur les mêmes travées),
de la défense et de
l'encouragement des petites et moyennes entreprises, de l'amélioration de la
sécurité des Français, de la modification du statut des
télécommunications,...
Mme Hélène Luc.
Eh oui, parlons-en !
M. Alain Juppé,
Premier ministre
... deux fois tentée et deux fois avortée, pour tenir
compte des nouvelles donnes de la concurrence, de l'adaptation et de la
modernisation de notre outil de défense, pour lequel rien n'avait été fait
comme s'il ne s'était rien passé en 1989, en Europe et dans le monde.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Eh oui, beaucoup d'occasions manquées ont été enfin saisies depuis
maintenant un an !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc.
Les salariés sont dans la rue !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Eh oui, c'est cela le conservatisme, madame Luc ! Comme
le disait justement M. Monory, c'est s'opposer à toutes les réformes !
(Applaudissements sur les mêmes travées. - Protestations sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
C'est cela, la vraie définition du mot conservatisme !
Dans chacune de ces réformes, le Sénat, en tout cas sa majorité, s'est montré
soucieux d'économiser les deniers publics.
Mme Hélène Luc.
Parlez-nous du chômage !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Eh oui, le chômage augmente beaucoup moins vite que
quand vos amis étaient au gouvernement, dans les années quatre-vingt !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il y a toujours plus de trois millions de chômeurs !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Il a même tendance à diminuer !
Dans chacune de ses réformes, le Sénat s'est donc montré soucieux d'économiser
les deniers publics, de défendre l'intérêt général et de préserver les grands
équilibres de l'aménagement du territoire. Outre les textes importants dont il
conviendra d'achever l'examen dès le mois d'octobre - je pense en particulier
au pacte de relance pour la ville - de grands chantiers législatifs nous
attendent à l'automne : le service national, la lutte contre l'exclusion et,
bien sûr, la loi de finances pour 1997, qui devra nous permettre de poursuivre
les efforts d'assainissement de nos finances publiques et de redynamisation de
notre économie.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la session qui
s'achève marque un changement dans la pratique de nos institutions, car elle a
vu les moyens d'action et de contrôle du Parlement se renforcer de manière
conséquente.
Mme Hélène Luc.
Le Sénat est toujours une chambre d'enregistrement !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Le bilan de cette session unique est doublement
encourageant : la Haute Assemblée a su tirer, sur le plan de la pratique
institutionnelle, le meilleur parti possible de la réforme du 4 août 1995 ;
elle a également largement contribué, par son appui constant, constructif et
vigilant, à améliorer les textes de lois qui lui étaient soumis. Très nombreux
en effet ont été les amendements positifs apportés par le Sénat dans la
discussion parlementaire. C'est dire - il est parfois nécessaire de le rappeler
- à quel point le bicamértisme apporte régulièrement la preuve de ses vertus.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
La volonté que le Chef de l'Etat exprimait dans le message qu'il vous
adressait le 19 mai 1995 de « faire passer un nouveau souffle dans nos
institutions » est en train de devenir une réalité.
On le doit en partie aux initiatives prises par le Gouvernement. On le doit en
très grande partie à la réponde qu'a apportée le Sénat à ces initiatives, et je
voudrais vous remercier tous et toutes de l'excellent climat de travail qui
s'est instauré entre la Haute Assemblée et le Gouvernement, mais aussi
remercier tout particulièrement M. le président du Sénat, qui a toujours été
prompt à favoriser les réformes parce que c'est dans son tempérament. Il aime
les réformes, il les promeut et les facilite, nous lui devons une grande
gratitude sur ce plan.
Je voudrais également, comme il l'a fait, remercier l'ensemble des
fonctionnaires du Sénat, qui ont su s'adapter à une nouvelle donne dans le
fonctionnement de la Haute Assemblée, avec la compétence et le dévouement qui
les caractérisent.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques réflexions que je
voulais faire au terme de cette session unique en remerciant plus précisément -
j'espère que personne ne s'en offusquera - la majorité du Sénat de l'aide
qu'elle apporte avec constance et confiance au Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc.
Vous avez raison de la remercier !
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques
instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures
quarante-cinq, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)