ENFANCE DÉLINQUANTE
Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire
M. le président.
L'ordre du jour apelle la discussion des conclusions du rapport (n° 403,
1995-1996) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur
les dispositions restant en discussion du projet de loi portant modification de
l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Rufin,
rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Monsieur le
président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, il y a un mois,
le Sénat adoptait le projet de loi portant modification de l'ordonnance du 2
février 1945 relative à l'enfance délinquante.
Quoique aucun des articles n'ait été voté dans les mêmes termes par les deux
assemblées, le texte de l'Assemblée nationale et celui du Sénat étaient en fait
proches l'un de l'autre.
A l'article 1er, relatif à la convocation par officier de police judiciaire,
la seule modification que nous avions apportée consistait à exiger un écrit du
procureur de la République pour recourir à cette procédure.
Ce point a donné lieu à un très large débat au sein de la commission mixte
paritaire. Pour les uns, l'exigence d'un écrit devait réduire les risques de
nullité en garantissant de manière indiscutable que le procureur de la
République a bien eu connaissance de la procédure engagée. Pour les autres,
cette exigence aurait été une cause d'alourdissement de la procédure non
seulement inutile, mais même souvent impossible à respecter, puisque les
gendarmes ne sont pas pourvus, ni équipés de télécopieurs, et que par ailleurs
chacun des bureaux, et du Parquet et de l'officier de police judiciaire, a une
main courante où sont indiquées toutes les communications téléphoniques et les
visites reçues.
C'est cette seconde position, qui avait d'ailleurs été celle du Gouvernement
lors de la première lecture, qui a été retenue par la commission mixte
paritaire. Celle-ci a donc adopté l'article 1er dans la rédaction issue des
travaux de l'Assemblée nationale.
En revanche, à l'article 2, relatif au jugement du mineur après convocation
par officier de police judiciaire, c'est le texte du Sénat qui, sous réserve
d'une modification purement rédactionnelle, a été adopté par la commission
mixte paritaire. Je vous rappelle que nous avions complété cet article en
précisant, notamment, que le juge des enfants ne pourrait statuer selon la
nouvelle procédure de convocation par officier de police judiciaire s'il ne
disposait pas d'informations suffisantes sur les moyens appropriés à la
rééducation du mineur.
A l'article 2
bis,
relatif aux personnes convoquées et informées par le
juge des enfants, la commission mixte paritaire est revenue à la rédaction de
l'Assemblée nationale, afin que les personnes convoquées soient les mêmes que
les personnes tenues informées. Je vous rappelle que le Sénat avait notamment
estimé que le service auquel un mineur est confié ne serait pas convoqué, ledit
service n'ayant pas vocation à représenter le mineur en justice.
Pour ce qui est des articles 3 à 4
ter,
c'est la rédaction du Sénat qui
a été retenue par la commission mixte paritaire.
L'article 3, relatif à la consultation du service éducatif auprès du tribunal
dans le cadre d'une comparution à délai rapproché, avait été complété par le
Sénat afin que cette consultation intervienne non seulement lorsque la
comparution à délai rapproché serait décidée dès le début de la procédure, mais
également lorsqu'elle serait décidée en cours de procédure.
A l'article 4, qui institue la comparution à délai rapproché, nous avions
notamment exigé que les renseignements sur le mineur dont dispose le juge des
enfants soient versés au dossier dès le début de la procédure et que les
formalités relatives aux droits de la défense du mineur soient mentionnées au
procès-verbal sous peine de nullité.
L'article 4
bis
avait été inséré par le Sénat à la suite d'une
initiative de nos collègues du groupe socialiste, du groupe communiste
républicain et citoyen et du groupe de l'Union centriste. Cet article supprime
toute condition d'âge pour la mise sous protection judiciaire.
L'article 4
ter
avait également été inséré par le Sénat. Il étend la
procédure d'ajournement devant le tribunal pour enfants afin d'aboutir à une
procédure similaire, en pratique, à la césure pénale, procédure réclamée par
nombre de nos collègues. Ce faisant, cet article donne satisfaction aux
praticiens entendus par la commission, qu'ils soient avocats, magistrats ou
éducateurs, qui avaient appelé de leurs voeux l'extension de la césure pénale
devant le tribunal pour enfants.
Le dernier article du projet de loi, l'article 5, concerne l'application du
texte dans les territoires d'outre-mer et à Mayotte. Le Sénat l'avait complété
pour préciser que cette application trouverait ses limites dans les compétences
dévolues à ces collectivités par leur statut respectif. La commission mixte
paritaire, jugeant une telle précision inutile, est revenue au texte de
l'Assemblée nationale.
J'en ai terminé, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes
chers collègues, avec la présentation du texte de la commission mixte
paritaire. Je me suis efforcé d'être bref car, ainsi que je l'ai indiqué au
début de mon intervention, le texte de loi adopté par le Sénat était en fait
fort proche de celui qui a été adopté par l'Assemblée nationale. En
conséquence, le texte que nous vous soumettons aujourd'hui est également fort
proche de celui que vous aviez voté le 15 mai dernier. C'est pourquoi, je pense
qu'il devrait, dans une large mesure, recevoir l'approbation de notre
assemblée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l'ai dit dans les mêmes termes
voilà un instant, à propos du projet de loi relatif à la lutte contre le
terrorisme, je me réjouis que, le Sénat et l'Assemblée nationale soient encore
une fois, parvenus, en commission mixte paritaire, à élaborer un texte commun
qui est examiné ce matin par la Haute Assemblée et qui a été adopté hier soir
par l'Assemblée nationale.
Votre rapporteur, M. Michel Rufin, nous a excellemment fait part des
discussions qui ont eu lieu et des décisions prises par la commission mixte
paritaire.
Je n'y reviendrai donc pas ; je me contenterai de souligner que le
Gouvernement approuve les propositions que vous a faites la commission mixte
paritaire et demande au Sénat de les adopter.
J'ajouterai simplement que le texte, tel qu'il ressort des travaux de la
commission mixte paritaire, présente bien la caractéristique que le
Gouvernement avait voulu imprimer au projet de loi, c'est-à-dire l'équilibre.
En effet, de nouvelles dispositions de procédure pénale adaptées aux mineurs
permettent que le rappel au respect de la loi du mineur délinquant soit plus
rapide et plus effectif, et qu'ainsi la justice des mineurs puisse prendre
réellement toute sa place dans la lutte contre la délinquance juvénile,
laquelle, malheureusement, s'accroît aujourd'hui.
Par ailleurs, cette procédure et les autres dispositions prises dans le cadre
du plan de relance pour la ville, telles que la création d'unités à encadrement
éducatif renforcé, préservent le principe fondamental qui régit la justice des
mineurs en France, à savoir le primat de l'éducatif.
Le projet de loi initial comportait cet équilibre ; le Gouvernement a fait le
nécessaire pour que, lors des débats dans les deux assemblées, les majorités le
respectent. Aujourd'hui, le texte de la commission mixte paritaire permet lui
aussi parfaitement d'atteindre l'objectif recherché.
Les dernières dispositions adoptées par la commission mixte paritaire
permettront, si elles sont votées, d'assurer l'environnement éducatif
nécessaire pour mettre en oeuvre la décision prise par le juge, dans le cadre
de la nouvelle procédure pénale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les raisons pour lesquelles
j'invite le Sénat à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire,
qui sont, je le crois, à l'honneur du Parlement.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues,
avant de donner l'avis de notre groupe sur les conclusions de la commission
mixte paritaire, je voudrais rappeler brièvement, d'une part, notre position
sur le problème de la délinquance des mineurs, et, d'autre part, les raisons
qui ont justifié notre vote contre ce projet de loi en première lecture et qui
continuent de motiver notre opposition.
La crise que traverse notre société frappe la jeunesse. Elle frappe encore
plus fortement les jeunes de certains quartiers où se concentrent les
difficultés et la pauvreté. L'échec scolaire, les conditions de vie difficiles
dans certaines cités, enfin et surtout le chômage font, hélas ! basculer de
nombreux jeunes dans la délinquance.
Tous ces faits sont connus ; ils ont d'ailleurs été largement développés lors
de la discussion du projet de loi en première lecture.
S'il est nécessaire de faire appliquer la loi, s'il ne saurait être question
d'excuser les comportements délictueux de mineurs, il est encore plus urgent de
s'attaquer aux causes de cette délinquance.
Le Gouvernement est-il décidé à développer et à mettre en oeuvre une véritable
politique de prévention ?
Le projet de loi dont nous débattons actuellement, monsieur le garde des
sceaux, s'inscrirait dans le contexte d'un pacte de relance pour la ville, qui
comporte un volet relatif à la prévention de la délinquance juvénile.
Si j'ai bien écouté votre intervention en première lecture, trois mesures sont
prévues : la mise en place de plans départementaux de prévention de la
délinquance, dont l'objectif est de renforcer la cohérence des actions en la
matière ; la création de vingt unités à encadrement éducatif renforcé pour
septembre 1996 ; enfin, l'institution d'une cellule d'information qui
facilitera la recherche de lieux d'accueil pour les jeunes délinquants.
Vraiment, l'effort consenti et annoncé par le Gouvernement est dérisoire !
Tant que celui-ci ne se décidera pas à remédier à la pénurie des moyens
humains et matériels en matière de prévention sociale, toute mesure ne sera que
pur effet d'annonce.
Venons-en maintenant au volet législatif du pacte de relance pour la ville,
c'est-à-dire à la réforme de procédure de la justice pénale des mineurs.
L'attitude du groupe communiste républicain et citoyen en ce qui concerne le
traitement de la délinquance juvénile est claire : les mesures éducatives
doivent être la règle et les sanctions pénales l'exception.
Rien n'est plus inefficace que la répression dans un tel domaine ; elle
conduit de manière quasi systématique les jeunes à la récidive - on parle d'un
taux de 74 p. 100 sur trois ans ; elle les entraîne dans un processus de
marginalisation et d'exclusion accrues.
Le projet de loi a pour objectif d'accélérer le cours de la justice pénale des
mineurs afin d'accroître son efficacité.
Ce souci est parfaitement légitime, mais ce faisant on porte atteinte à
l'esprit de l'ordonnance de 1945.
Cette ordonnance, qui régit le droit pénal des jeunes délinquants, est la
consécration du principe de primauté de l'éducatif. Cette législation organise
une procédure spécifique dirigée par le juge des enfants, qui prend en compte
la personnalité du mineur et conduit à des mesures éducatives.
La voie que le Gouvernement a choisi d'emprunter pour remédier à la lenteur de
la justice me paraît inquiétante.
L'intervention de la police judiciaire et du parquet est renforcée au
détriment du juge des enfants. Les deux nouvelles procédures constituent, selon
les propos de M. le rapporteur lui-même, une dérogation au principe, jusqu'à
présent absolu, selon lequel, en matière de délinquance des mineurs, le
jugement ne peut avoir lieu qu'après une information préalable. Cette
information est essentielle - faut-il le rappeler ? - pour une appréciation de
la personnalité du mineur et donc pour le choix de la mesure éducative
adéquate.
Le projet de loi tend à rapprocher le droit pénal des mineurs du droit
applicable aux majeurs, risquant ainsi de priver, à terme, les mineurs de la
protection originale qui avait été mise en place par l'ordonnance de 1945.
Comment pouvons-nous accepter de telles entorses alors qu'on pourrait remédier
au problème de la lenteur de la justice sans réforme de procédure ? Je veux
parler, bien sûr, de l'accroissement des ressources financières de l'appareil
judiciaire et de la création de nouveaux postes à tous ses niveaux.
Comment, en effet, envisager une politique d'envergure en matière de
délinquance juvénile avec seulement trois créations de poste de juge des
enfants en 1996 ?
Vous savez bien, monsieur le garde des sceaux, que l'option éducative exige,
par sa nature même, du temps et des moyens. Vous savez aussi que ceux-ci font
défaut et que tous les professionnels de la justice s'en plaignent.
C'est donc à cette carence de moyens tant matériels qu'humains qu'il faut
s'attaquer en priorité, car c'est elle qui rend impossible le respect de délais
raisonnables entre la date de l'infraction commise par le mineur et la date du
jugement ; c'est elle aussi qui rend difficile un bon suivi éducatif.
Une vraie politique de lutte contre la délinquance juvénile devrait donc
développer avant tout la capacité de l'appareil judiciaire et la capacité du
service éducatif.
Comme on pouvait s'y attendre, les conclusions de la commission mixte
paritaire n'apportent pas de modifications substantielles au projet de loi. Les
deux nouvelles procédures proposées par le Gouvernement et adoptées par les
deux assemblées en première lecture, à savoir la convocation par l'officier de
police judiciaire et la comparution à délai rapproché, sont maintenues.
Néanmoins, on peut se féliciter, à titre de consolation, de l'adoption par la
commission mixte paritaire des deux articles additionnels 4
bis
et 4
ter
, introduits par le Sénat.
Ainsi, la procédure d'ajournement devant le tribunal pour enfants devient
applicable aux délits les plus graves, et les mesures de protection judiciaire
sont étendues aux mineurs de plus de seize ans ; c'est bien.
Quoi qu'il en soit, le texte du Gouvernement étant reconduit dans ces grandes
lignes, les modifications apportées par la commission mixte paritaire ne
sauraient, à elles seules, nous satisfaire. Le groupe communiste républicain et
citoyen confirme donc qu'il votera contre ce projet de loi.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement,
lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la
commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur
l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :