M. le président. Je suis saisi d'une motion n° 2, présentée par Mme Luc et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la résolution (n° 466, 1995-1996) sur une recommandation de la Commission en vue d'une recommandation du Conseil visant à ce que soit mis un terme à la situation de déficit public excessif en France (n° E 648). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Luc, auteur de la motion.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la troisième fois, le Sénat débat d'une proposition de résolution sur un projet de recommandation du Conseil européen visant à mettre un terme à la situation de déficit public excessif en France.
Cette procédure, comme vous le savez, s'inscrit dans le cadre des dispositions du traité de Maastricht relatif à la constitution de l'Union économique et monétaire, plus particulièrement dans le cadre des règles de contrôle par la Commission et le Conseil des politiques économiques des Etats membres.
Le premier mot qui me vient à l'esprit pour caractériser tant le fond de la proposition de résolution de la commission des finances et le texte sur lequel elle porte que la manière dont le Parlement, en particulier le Sénat, est conduit à se prononcer sur cette proposition d'acte communautaire somme toute essentielle est « caricatural » !
Ainsi, la proposition d'acte communautaire a été mise en distribution le 19 juin dernier.
Par miracle, M. Lambert, rapporteur général de la commission des finances, avait pu déposer une proposition de résolution sur ce texte un jour auparavant, c'est-à-dire le 18 juin, avant même que la Haute Assemblée n'ait pu prendre connaissance du contenu du projet d'acte communautaire.
Cette histoire, symbolique du peu de cas qui est fait de l'avis des sénateurs, comme je l'ai précisé lors de la conférence des présidents, ne s'arrête pas là puisque était immédiatement inscrite à l'ordre du jour de la commission des finances du 19 juin, convoquée à neuf heures trente, la proposition de résolution distribuée ce même 19 juin dans la matinée.
S'il est bien connu que les sénateurs ont un don particulier pour se tenir au fait de l'actualité, leur capacité à travailler sur un texte dont ils ne disposent pas est, en l'espèce, à souligner ! Pour notre part, n'étant pas dans le secret des dieux ou dans les antichambres des ministères, nous n'avons pas cette faculté ! Si j'emploie ce ton, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, c'est parce que c'est grave !
Simples parlementaires de l'opposition attachés au respect de la démocratie, nous avons la faiblesse de penser que le Parlement a un rôle à jouer dans notre pays, qu'il ne doit être ni une chambre d'enregistrement des textes présentés pour la forme par le Gouvernement ni un alibi démocratique.
Cela suppose évidemment de pouvoir travailler dans de bonnes conditions, sans précipitation et avec pour objectif l'organisation de débats constructifs, fructueux pour la France et son peuple, débats dans lesquels l'expression de la minorité serait respectée.
Tel n'est pas le cas aujourd'hui, et je m'étonne que nos éminents collègues de la commission des finances, en particulier M. Lambert, aient accepté d'avaliser de telles procédures.
Point n'était besoin, dans ces conditions, d'adopter la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a introduit dans la Constitution ce fameux article 88-4 afin de permettre au Parlement français de donner un avis - qui n'a, il est vrai, aucune force de loi - sur les propositions d'actes communautaires.
Point n'était besoin non plus de s'insurger, en 1994, contre le fait que le Parlement français n'ait pas disposé du temps nécessaire pour examiner une proposition d'acte communautaire dont l'objet était identique.
Cette procédure d'examen est donc, à notre sens, caricaturale du simple rôle de chambre d'enregistrement que l'on veut faire jouer aujourd'hui au Parlement, ...
M. Emmanuel Hamel. Hélas !
Mme Hélène Luc. ... et ce alors même qu'est en jeu le devenir du Parlement national dans une Europe qui élève encore le niveau des centres de décision, élargissant toujours le fossé entre les pouvoirs, tant politique qu'économique, et le peuple.
La session unique nouvelle, qui se termine dans quelques jours, montre bien qu'il ne s'agit pas de proclamer haut et fort son attachement à quelques principes pour améliorer la qualité du travail parlementaire. Encore faut-il promouvoir effectivement le rôle du Parlement et ne pas se satisfaire seulement du nombre de textes votés, comme le fait la majorité sénatoriale.
Telle n'est pas la volonté du Gouvernement. La succession, en quelques semaines, de débats de grande importance avec le recours quasi systématique à la procédure d'urgence ou au vote bloqué montre bien que le souci premier du Gouvernement, soutenu par une majorité bien silencieuse, ...
M. Emmanuel Hamel. Pas toujours !
Mme Hélène Luc. ... est non pas de débattre, mais d'imposer.
Les propositions de révision du débat budgétaire qui sont à l'étude aujourd'hui s'inscrivent dans cette même logique où le droit des parlementaires à s'exprimer en séance publique, déjà particulièrement mis à mal, serait davantage bafoué.
Il est, en outre, pour le moindre édifiant de constater que la Haute Assemblée est amenée à se prononcer sur une proposition de recommandation de la Commission qui est une mise en demeure faite à la France de mener une politique d'austérité rigoureuse, de soumettre toute décision en matière budgétaire aux impératifs de la monnaie unique, alors même que le Parlement français ne dispose ni du temps ni des moyens nécessaires pour s'exprimer sur l'avant-projet de budget communautaire. Celui-ci fera l'objet, cette année, d'une simple communication en commission des finances.
Bel exemple d'abnégation devant une Commission de Bruxelles souveraine, porte-parole des intérêts des marchés financiers, qui n'a aucune légitimité démocratique !
Je ne développerai pas plus ce point tant le second motif qui fonde le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable mérite également un développement.
Il s'agit, vous l'aurez compris, du contenu même de la proposition d'acte communautaire et des félicitations qu'elle suscite de la part de la commission des finances par le biais de son rapporteur général.
Les termes de la recommandation sont clairs : « Afin que la France soit prête à participer à la troisième phase de l'Union économique et monétaire, selon le calendrier et les modalités fixées dans le traité..., le Conseil recommande au Gouvernement français de présenter avant la fin de l'année un nouveau programme de convergence couvrant 1997 et les années suivantes, et définissant des objectifs ambitieux en vue d'une réduction durable du déficit budgétaire. »
Cette injonction implique en particulier « de réduire les dépenses de l'Etat en termes réels » et « de comprimer rigoureusement les dépenses de l'administration centrale, notamment pour compenser toute perte de recettes et pour réaliser l'objectif fixé en matière de déficit ».
A la fin de 1995, un seul pays - et non des moindres puisqu'il s'agit du Luxembourg ! - respectait les deux critères de convergence relatifs à la dette et au déficit publics et pouvait prétendre à l'entrée dans la troisième phase de l'Union économique et monétaire.
Ainsi, outre le fait que le respect des critères de convergence ne sera pas atteint au 1er janvier 1999 et a fortiori en 1997, cette politique acharnée visant à réduire de façon drastique les dépenses publiques tourne le dos aux aspirations des peuples européens en condamnant l'Europe à la récession, au chômage et à l'exclusion.
« Les politiques d'austérité, qui prennent un caractère obligatoire dans les pays de l'Union européenne en vue du passage à la monnaie unique dès 1999, pourraient s'avérer à terme dangereuses, soulignent les économistes », peut-on lire dans un article titré « Maastricht pourrait peser sur la croissance », publié dans Le Figaro du 21 juin 1996, et consacré aux dernières perspectives bi-annuelles de l'OCDE publiées la veille.
M. Alain Lambert, rapporteur. Vous avez de mauvaises lectures ! (Sourires.)
Mme Hélène Luc. Il y a parfois de bonnes choses !
Y compris dans vos rangs, mesdames, messieurs de la majorité, le procès de l'Europe telle qu'elle se construit est sans appel !
Du fait de cette recommandation et de la logique qu'elles sous-tend, ce sont les traditions françaises de service public qui sont largement remises en cause par la généralisation du principe de libre concurrence, malgré l'attachement proclamé, et si vite oublié, du Président de la République à la notion de « service public à la française ».
Ainsi, la Commission de Bruxelles, en s'appuyant en particulier sur l'article 90-3 du traité de Rome, a imposé à marches forcées la déréglementation du secteur des télécommunications, contribue à la déstructuration des transports ferroviaires, des services postaux et ouvre à la concurrence le service public de l'énergie.
A quelles fins ? La création d'emplois ? Non ! Une meilleure satisfaction des besoins des usagers ? Certes non ! Les récents débats que nous avons eus sur France Télécom sont là pour le démontrer. Aujourd'hui, à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a eu recours à l'article 49-3 de la Constitution, car il ne supporte pas que les députés discutent d'un projet de loi de privatisation. La voilà, la démocratie !
M. Philippe Marini. Le Gouvernement a bien fait !
Mme Hélène Luc. Bien sûr, il va dans votre sens ! C'est cela la nouvelle démocratie !
M. Philippe Marini. C'était de l'obstruction pure et simple !
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie de ne pas interrompre l'orateur.
Mme Hélène Luc. Enfin, la Commission se félicite de la réforme de la protection sociale imposée par le Gouvernement sans réel débat parlementaire ni prise en compte des aspirations populaires exprimées au cours du mouvement des mois de novembre et décembre 1995.
Qu'une telle réforme aboutisse à offrir à notre peuple un système d'accès aux soins au rabais, ne permette pas à notre système de sécurité sociale de répondre à ses objectifs fondamentaux d'égalité entre tous les assurés, sans discrimination d'aucune sorte, la commission et le Gouvernement n'en ont cure.
Par ailleurs, les autorités bruxelloises ne tiennent aucunement compte des fortes mobilisations des travailleurs européens, en particulier en Allemagne, où le samedi 15 juin 1996 a été l'occasion du plus grand rassemblement depuis l'après-guerre - je ne parle évidemment pas des mouvements de décembre 1995 en France - pour dénoncer le plan d'austérité du Chancelier Kohl visant à économiser 50 milliards de marks dans les finances publiques en 1997, en vue de respecter les critères de convergence européens et d'aboutir à une monnaie unique conçue sur le modèle allemand.
A cette Europe du capital, ils opposent une autre Europe, une Europe de progrès - nous la voulons cette Europe ! - de croissance, au service des hommes.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
Mme Hélène Luc. Nous l'avons dit par milliers, avec des représentants d'autres pays européens, à l'Arche, le mois dernier.
A leurs côtés, nous estimons indispensable de faire de la lutte contre le chômage et l'exclusion la priorité des gouvernements et des autorités bruxelloises.
Cela implique de revenir à la fois sur les critères de convergence, dont il faut souligner qu'ils ne comprennent pas le critère de l'emploi, et sur la recherche à tout prix de la rentabilité financière à court terme, au détriment des investissements.
Cela nécessite la remise en cause de la domination allemande sur l'Europe communautaire.
Alors que la conférence intergouvernementale poursuit ses travaux dans le plus grand secret et s'enlise, aux dires de certains commentateurs, incitant le Président de la République à réclamer un avant-projet de traité pour le prochain sommet européen sur la réforme institutionnelle, les questions de l'emploi continuent d'être écartées de toute réflexion européenne.
Or elles prennent un caractère dramatique en France. Tous les jours, la radio annonce de nouveaux licenciements. Hier, c'était le cas, vous le savez, de l'usine Moulinex du Mans, des entreprises d'armement et d'autres. Il est plus que temps d'envisager une telle réflexion.
De même, il est indispensable de réfléchir aux moyens de parvenir à la réduction des déficits publics, objectif que nous partageons, bien sûr.
M. Philippe Marini. Ah bon !
Mme Hélène Luc. Mais les économies ne sont pas à rechercher dans la coupe claire des budgets sociaux. Nous avons eu l'occasion de développer ce point lors de notre intervention générale.
M. le président. Veuillez conclure, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Je conclus, monsieur le président.
L'organisation des débats et le contenu de ces propositions d'acte communautaire et de résolution tournent donc le dos à cette légitime aspiration exprimée chaque jour davantage par les peuples européens, qui luttent à leur manière pour combler le déficit démocratique de l'Union européenne.
Permettre à ces exigences populaires d'investir le champ communautaire, contribuer à développer la réflexion sur les choix économiques et sociaux mis en oeuvre par la Commission de Bruxelles et leurs implications, accepter que la conférence intergouvernementale intègre dans sa réflexion, de manière transparente et constructive, la question de l'emploi, voilà ce qui devrait occuper nos travaux.
La récente enquête sur l'emploi de l'INSEE portant sur la période de mars 1995 à mars 1996 montre l'urgence de cette réflexion. Elle est accablante pour le Gouvernement et la politique de rigueur qu'il impose au nom de cette Europe communautaire ultralibérale. Le taux de chômage avoisine des records : il concerne 12,1 p. 100 de la population et une part encore plus grande des jeunes. Parallèlement, petits boulots, emplois précaires, contrats à durée déterminée se multiplient et les jeunes en viennent à cacher leurs diplômes - dans ma permanence, des jeunes sont venus me dire cela ! - pour accepter n'importe quel travail à n'importe quelle rémunération.
M. le président. Je vous prie de conclure, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Cette société n'est plus capable d'offrir un avenir à la jeunesse.
Pour les raisons que je viens d'exposer, portant à la fois sur le fond et sur la forme de cette résolution, nous demandons au Sénat d'adopter cette motion, et ce par scrutin public.
Avant d'en terminer, je tiens à déplorer, une fois de plus, parce que cela révèle un certain mépris pour nos débats, organisés dans la précipitation, le fait que les groupes de la majorité n'éprouvent même pas le besoin de s'exprimer. Pour moi, ce n'est pas la démocratie parlementaire !
M. Emmanuel Hamel. Je voterai votre motion, puisque vous voulez qu'on s'exprime !
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Lambert, rapporteur. Madame Luc, la commission des finances travaille sur la réduction du déficit public et sur la diminution de la dépense publique depuis plusieurs mois sans discontinuer.
M. Alain Richard. Absolument !
Mme Hélène Luc. Je le sais !
M. Alain Lambert, rapporteur. C'est la raison pour laquelle je puis vous dire qu'il n'y a pas eu de précipitation en la matière.
Nous l'avons fait dès la discussion du projet de budget pour 1996, et vous aviez bien voulu apprécier les travaux que nous avions menés, qui consistaient en une classification des dépenses qui étaient plus ou moins compressibles.
Nous l'avons également fait à l'occasion du débat d'orientation budgétaire.
Ces travaux sont conduits très régulièrement par la commission des finances, de sorte que nous n'avons pas attendu de recevoir la recommandation de la Commission pour travailler sur ce sujet. C'est ce qui nous a permis d'être en état de rapporter dès que cette recommandation nous a été transmise.
Je tiens également à vous dire, madame Luc, que j'ai, avec le souci d'exercer ma mission, exposé à la commission des finances votre proposition de résolution. Je n'ai pas pu en faire état dans mon rapport puisque celui-ci est antérieur à votre propre rapport. Toutefois, je l'ai exposée de la manière la plus objective possible, et je peux vous assurer qu'elle n'a pas recueilli le moindre soutien, y compris d'ailleurs de la part de nos collègues socialistes, qui ne semblent pas, dans ce domaine, partager totalement votre point de vue. Cela ne laisse d'ailleurs rien augurer de bon pour les prochaines échéances !
M. Alain Richard. Vous nous avez montré qu'on pouvait faire des miracles en ce domaine, monsieur le rapporteur !
M. Alain Lambert, rapporteur. Ils seront à faire, monsieur Richard !
En tout cas, après discussion, la commission des finances a rejeté, à l'unanimité, votre proposition de résolution, madame Luc.
Après l'intervention de M. le ministre dans la discussion générale, il me semble que le Sénat dispose de toutes les informations nécessaires pour se déterminer et qu'il n'y a pas lieu d'adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.
C'est la raison pour laquelle la commission des finances vous invite, mes chers collègues, à la repousser.
M. Emmanuel Hamel. Monsieur le président, un sénateur peut-il intervenir à titre personnel ?
M. le président. Non, monsieur Hamel. De toute façon, vous avez déjà dit que vous étiez pour la motion !
M. Emmanuel Hamel. J'aurais souhaité expliquer pourquoi !
M. Philippe Marini. Je demande la parole contre la motion.
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Emmanuel Hamel. Il a la chance de pouvoir s'exprimer, lui !
M. Philippe Marini. Je ne m'exprimerai pas exactement comme l'aurait souhaité M. Hamel, mais je voudrais témoigner de l'examen en commission de cette motion tendant à opposer la question préalable et de l'amendement déposé sur la résolution.
D'ailleurs, cet amendement n'a pas été défendu, madame Luc, puisque, par extraordinaire, votre collègue membre de la commission des finances n'était pas présent à ce moment-là.
Mme Hélène Luc. A cause des conditions de travail dans cette assemblée ! Vous apportez de l'eau à mon moulin !
M. Philippe Marini. Néanmoins, soyez assurée que cet amendement a bien été examiné et qu'il a donné lieu à un débat tout à fait clair, lequel a abouti à la sanction, non moins claire, qu'a rappelée tout à l'heure M. le rapporteur.
A vrai dire, cette motion est assez surprenante. En effet, vous ne pouvez considérer comme étonnant le fait que le Gouvernement applique sa politique.
Nous avons voté, ici même, une loi d'orientation quinquennale relative à la maîtrise des finances publiques. Tout récemment, un débat d'orientation budgétaire a eu lieu sur le projet de budget pour 1997. A chaque fois, nous n'avons cessé de répéter qu'il y a une ardente nécessité de réduire les déficits publics et les dépenses publiques, qu'il s'agisse des dépenses de l'Etat ou des dépenses sociales.
Mme Hélène Luc. Ça c'est clair !
M. Emmanuel Hamel. Agissons librement, et non pas sous la pression de Bruxelles !
M. Philippe Marini. Vous ne pouvez pas être surprise, madame Luc, de l'orientation ainsi donnée à la politique économique de la France.
Mme Hélène Luc. Je n'en suis pas surprise !
M. Philippe Marini. A la vérité - tout le monde le sait bien ici - il existe deux sortes de contraintes : les contraintes économiques générales et la nécessité d'alléger le fardeau de l'endettement pour retrouver notre indépendance économique. Tout le monde, me semble-t-il, ne peut qu'être favorable à l'indépendance économique de la France. L'endettement dont nous souffrons fait obstacle, c'est clair, à l'exercice réel de l'indépendance économique et, s'il se maintenait, il ferait obstacle, demain, à l'exercice réel de l'indépendance politique de notre pays. Telle est la réalité !
Il est urgent de réduire cet endettement à l'égard des bailleurs de fonds internationaux et, bien entendu, de diminuer les déficits publics, Maastricht ou pas Maastricht, mon cher collègue Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Agissons librement et non pas sous la pression de l'extérieur ou des marchés financiers ! Il y a une âme à donner à la politique !
M. Philippe Marini. Il existe une coïncidence entre, d'une part, les nécessités d'une saine gestion, qui ont toujours été enseignées dans les bonnes écoles - on nous a toujours appris que l'endettement était la négation de l'indépendance, et le Gouvernement essaye donc d'alléger ce fardeau de l'endettement - et, d'autre part, les engagements internationaux qu'il s'agit de respecter. L'Europe est pour nous une utile discipline !
M. Emmanuel Hamel. Maastricht, c'est le carcan !
M. Philippe Marini. L'Europe nous rappelle à nos devoirs en matière de rigueur financière et de bonne gestion de l'Etat.
Mme Hélène Luc. La bonne gestion de l'Etat mène à des millions de chômeurs !
M. Philippe Marini. Manifestement, nous pouvons, nous qui appartenons à la majorité, partager à la fois les buts et les moyens.
Tout à l'heure, l'un de nos collègues disait qu'il approuvait les buts mais pas les moyens. Pour ma part, j'approuve, certes, les objectifs, mais j'approuve aussi, mes chers collègues, les moyens, c'est-à-dire la politique qui a été décidée par le Gouvernement. Je félicite à cet égard M. le ministre délégué au budget de soutenir et d'appliquer avec beaucoup de constance et de conviction cette politique.
Par conséquent, il me semble tout à fait logique et opportun, mes chers collègues, que nous repoussions, à une large majorité, la motion présentée par le groupe communiste républicain et citoyen. (M. Philippe de Bourgoing applaudit.)
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Sur le fond, tout a été dit, me semble-t-il, par M. le rapporteur et par M. Marini en ce qui concerne cette motion tendant à opposer la question préalable. Par conséquent, je ne reprendrai pas leurs excellentes démonstrations.
Je ferai simplement deux commentaires à la suite des propos qu'à tenus Mme Luc.
Tout d'abord, en ce qui concerne les délais dont a disposé le Sénat, je rappelle que la Commission européenne a adopté sa proposition de recommandation le 5 juin dernier. Par ailleurs, l'Assemblée nationale et le Sénat ont été saisis le 17 juin, et le prochain conseil des ministres des finances, l'ECOFIN, se tiendra le 8 juillet. Le Parlement français aura donc disposé de trois semaines pour examiner un texte qui tient en une page,...
Mme Hélène Luc. Vous ne parlez pas sérieusement, monsieur le ministre !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. ... et M. le rapporteur a trouvé le temps et les moyens de rédiger un excellent rapport de dix-neuf pages, et même de près de cinquante pages avec les annexes, pour l'analyser.
J'estime donc que le Parlement aura disposé du temps nécessaire pour émettre un avis autorisé sur ce sujet. Je relève d'ailleurs que le groupe communiste républicain et citoyen aura utilisé à lui seul, dans ce débat, plus de la moitié du temps de parole, tous orateurs confondus.
Mme Hélène Luc. C'est heureux ! Regardez les travées des autres groupes ! C'est honteux !
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Dans ce cas, ne vous plaignez pas de ne pas avoir la possibilité de vous exprimer !
Par ailleurs, sur le fond, le texte de votre motion tendant à opposer la question préalable est contraire au droit : c'est en vertu d'un traité ratifié par le peuple français que se déroule la procédure en cause aujourd'hui. Il ne s'agit nullement de nous faire dicter notre politique économique et sociale par les autorités bruxelloises ; il s'agit de mettre en oeuvre une procédure prévoyant l'adoption d'une résolution sur une recommandation du Conseil européen, dont nous sommes nous-mêmes membres.
Il se trouve que la recommandation en question recouvre exactement la politique que nous avons choisie. Le Conseil européen va donc nous recommander de faire ce que nous avons librement décidé de faire au niveau national ! Qui demande mieux ?
M. Emmanuel Hamel. La France !
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 2.
M. Guy Cabanel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dirai tout d'abord que les propos de Mme Luc m'ont touché sur bien des points. En particulier, je pense qu'il n'était pas inutile que M. Alain Lamassoure, actuel ministre du budget mais aussi ministre des affaires européennes dans le gouvernement précédent, entende certains de ces arguments.
Je pense notamment à ce qui a été dit sur la liaison entre les instances européennes et les parlements nationaux et je crois que, à l'occasion de la conférence intergouvernementale, c'est un point qu'il faudra très certainement évoquer.
Je suis de ceux qui pensent, à cet égard, qu'une sorte de « Sénat européen », qui assurerait, par ses liens avec les parlements nationaux, une meilleure liaison au sein des institutions européennes servirait la cause de la construction européenne. Je n'ai donc pas été choqué par vos propos sur ce point, madame Luc.
Bien d'autres de vos arguments m'ont intéressé. Cependant, je suis obligé de vous dire, madame, que je suivrai l'avis de la commission des finances, à laquelle j'appartiens. Votre motion va, en effet, à l'encontre de toute la politique financière actuellement menée par la France et, comme vous l'a dit M. le ministre, ce n'est pas sur l'injonction de Bruxelles que nous changerons de cap, nous alignant ainsi sur je ne sais quelle politique bruxelloise.
Nous avons choisi nous-mêmes la politique de réduction des déficits publics. Il faut aller au bout de notre raisonnement et ne pas nous laisser égarer par des propositions qui surviendraient brusquement à l'occasion des débats parlementaires.
Votre motion me semble donc hors de propos, car en contradiction avec l'ensemble de la politique qui est actuellement conduite.
C'est la raison pour laquelle elle n'a pas pu recueillir l'accord de la commission des finances, et c'est la raison pour laquelle aussi je voterai contre, tout en retenant une partie de son exposé des motifs : certains de vos propos méritaient en effet d'être signalés dans cette enceinte.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 2, repoussée par la commission et par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet de la résolution.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 121 : :
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 241121 |
Pour l'adoption | 16 |
Contre | 225 |
Mme Hélène Luc. Dommage !
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion de la résolution de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
J'en donne lecture :