SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Pacte de relance pour la ville. -
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence (p.
1
).
Discussion générale : MM. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du
territoire, de la ville et de l'intégration ; Eric Raoult, ministre délégué à
la ville et à l'intégration ; Gérard Larcher, rapporteur de la commission
spéciale ; Jean-Pierre Fourcade, président de la commission spéciale ; Serge
Franchis, Philippe Marini, André Vezinhet, Guy Fischer, Paul Girod, José
Balarello, Pierre Lagourgue, Dominique Braye.
Suspension et reprise de la séance (p. 2 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
3.
Politique générale. -
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement (p.
3
).
MM. Alain Juppé, Premier ministre ; Josselin de Rohan, Claude Estier, Mme
Hélène Luc, MM. Bernard Joly, Jacques Habert, Henri de Raincourt, Maurice
Blin.
M. le Premier ministre.
Approbation, par scrutin public à la tribune, de la déclaration du
Gouvernement.
4.
Transmission d'une proposition de loi
(p.
4
).
5.
Dépôt d'une proposition d'acte communautaire
(p.
5
).
6.
Ordre du jour
(p.
6
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
2
PACTE DE RELANCE POUR LA VILLE
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 461, 1995-1996),
adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la
mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville. [Rapport (n° 1,
1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi,
dont les dispositions sont, j'en conviens et je vous demande de m'en excuser
par avance, bien souvent techniques, s'inscrit dans une perspective plus vaste,
que je souhaite évoquer brièvement en préambule, de façon à bien éclairer les
enjeux qui sont, eux, non pas techniques mais politiques, au sens le plus noble
du terme. Cette perspective est celle de la réduction de la fracture
territoriale.
Depuis onze mois, toute mon attention, en tant que ministre de l'aménagement
du territoire, consiste à lutter contre cette fracture territoriale qui éloigne
de la République et de ses valeurs une partie de nos concitoyens et qui
surajoute ses effets à ceux de la fracture sociale, si justement dénoncée par
le Président de la République.
Il est en effet, vous le savez, des parties de notre territoire dont les
habitants sont, plus que d'autres, confrontés à l'exclusion. Ainsi en va-t-il
de certaines de nos campagnes ; là, les jeunes partent pour trouver un emploi,
mais aussi parce qu'ils se font des illusions sur la vie qui sera la leur dans
les villes. Un processus cumulatif se met alors en marche, qui passe par le
vieillissement de la population, la fermeture des commerces, la difficulté de
maintenir des services publics et débouche sur la désertification.
Ainsi en va-t-il également des banlieues, que nous allons aujourd'hui
largement évoquer, ces grands quartiers d'habitat social construits dans
l'urgence au cours des années soixante et soixante-dix, à un moment où les
familles qui venaient s'installer dans les villes, qu'elles soient issues du
monde rural ou de l'immigration, devaient, vaille que vaille, coûte que coûte,
être logées.
Aux effets de l'entassement précipité de populations trop hétérogènes pour
cohabiter harmonieusement, la montée du chômage et le développement de la
petite délinquance et des violences urbaines ont, ces dernières années,
additionné les leurs, aggravant le mal-vivre des banlieues au point que le
risque de voir se constituer des ghettos ne peut plus être écarté. Comment,
d'ailleurs, pourrait-il en être autrement lorsque le taux de chômage est, dans
certains quartiers, deux fois plus élevé que celui de l'agglomération - trois
fois plus élevé en ce qui concerne les jeunes - et lorsque le seul fait
d'habiter dans tel ou tel quartier difficile constitue un handicap
supplémentaire sur le parcours d'obstacles qui mène à l'emploi ?
Le Sénat, notamment à travers la mission sénatoriale d'information sur
l'aménagement du territoire de 1994 et la commission spéciale constituée pour
travailler sur le présent texte, a mis en évidence le parallélisme et la
simultanéité de la dégradation de la situation des banlieues et de l'espace
rural, ainsi que la complémentarité des politiques de la ville et de
développement de l'espace rural.
Votre assemblée a aussi excellemment montré comment des banlieues et des
cantons ruraux pouvaient être victimes d'une économie de marché efficace mais
trop négligente du long terme et des équilibres sociaux.
C'est pour répondre aux problèmes des banlieues que le Premier ministre a
annoncé, le 18 janvier 1996, à Marseille, sur ma proposition et celle de mon
collègue Eric Raoult, le pacte de relance pour la ville, programme d'ensemble
sans précédent au profit des quartiers en difficulté.
C'est pour répondre aux problèmes de certaines zones rurales que, je tiens à
le dire très nettement devant la Haute Assemblée, je soumettrai dans les mois
qui viennent au Parlement un plan pour le monde rural, qui visera à porter
remède aux difficultés de nos campagnes et qui sera le pendant, pour ces
dernières, du pacte de relance pour la ville.
J'en viens plus précisément au projet de loi qui nous occupe aujourd'hui.
Le pacte de relance pour la ville qu'il traduit en termes techniques se
différencie des plans lancés depuis vingt ans en ce qu'il constitue un
programme d'ensemble qui s'attache à traiter tous les aspects de la vie
quotidienne dans les banlieues : le logement et l'urbanisme, bien sûr, mais
aussi - et je sais que vous y êtes très attachés - la sécurité, le
rétablissement de l'ordre républicain, l'égalité des chances à l'école, le
renforcement des services publics de proximité et le développement de la vie
associative.
Vous tenez aussi, à juste titre, à la cohérence et à la continuité des actions
de l'Etat.
C'est dans cet esprit que mon collègue Eric Raoult et moi-même avons jugé
qu'il ne fallait rien supprimer de ce que nos prédécesseurs, quels qu'ils
soient, avaient bâti au titre de la politique de la ville. En effet, à
différentes époques, de bons dispositifs ont été imaginés, même s'ils n'ont pas
toujours été effectivement mis en place. Ainsi, les contrats de ville sont
poursuivis, les opérations « ville-vie-vacances », qui auront touché en 1996
près de 800 000 jeunes contre 12 000 à l'origine, sont renforcées.
Les deux chiffres que je viens de citer donnent à eux seuls la mesure des très
amples moyens supplémentaires qu'apporte le pacte, qui comporte soixante-huit
mesures et dégage plus de 12 milliards de francs de prêts à des taux avantageux
pour les collectivités et les organismes d'HLM, ainsi que près de 15 milliards
de francs de crédits budgétaires sur trois ans.
Mais l'originalité du pacte est de mettre l'accent sur le volet économique. Le
Sénat, dans son rapport d'information sur la politique de la ville, avait
d'ailleurs souligné dès 1992 : « L'inactivité est stigmatisée comme le second
mal, après la violence, qui frappe les banlieues les plus défavorisées et
ajoute à leur exclusion, malgré le travail accompli notamment par les
entreprises d'insertion. »
Sont ainsi privilégiés, dans le pacte de relance pour la ville, l'emploi des
habitants, le retour des activités économiques, l'exaltation de l'esprit
d'initiative, tant il est vrai que le chômage est la cause essentielle de la
dérive des quartiers difficiles.
Afin que leurs habitants perçoivent rapidement des améliorations concrètes
dans leur vie quotidienne et retrouvent l'espoir, j'ai pris, avec Eric Raoult,
le parti de préparer dans les meilleurs délais l'ensemble des textes
législatifs et réglementaires nécessaires à l'application du pacte.
J'ai, par conséquent, choisi de ne pas rassembler toutes les dispositions
législatives nécessaires dans un cadre unique, dont la mise au point aurait été
subordonnée à l'attente de l'accord de la Commission européenne sur les mesures
fiscales et sociales dérogatoires prévues par le pacte. Certaines des
dispositions du pacte ont donc été traduites dans d'autres textes législatifs
que celui qui est examiné aujourd'hui.
Cette méthode était manifestement la meilleure puisque, neuf mois seulement
après l'annonce du pacte, la plupart des textes législatifs sont votés et la
majorité des textes réglementaires publiés. C'était notre ambition, à Eric
Raoult et à moi-même. Ainsi, avec l'aide du Parlement, nous avons pu
concrétiser ces avancées quel qu'ait été le scepticisme de ceux qui doutaient
que nous obtiendrions le feu vert de Bruxelles sur les zones franches
urbaines.
En effet, cinq lois sont d'ores et déjà promulguées : la réforme de la
dotation de solidarité urbaine, avec la loi du 26 mars 1996 ; l'exonération du
supplément de loyer de solidarité pour les logements sociaux situés en zone
urbaine sensible, avec la loi du 4 mars 1996 ; la comparution à délai rapproché
des mineurs délinquants multirécidivistes, ou « multiréitérants ».
Qui plus est, grâce au vote de la loi du 6 mai 1996 portant réforme de
l'apprentissage et à la sortie rapide des deux décrets d'application, les
premiers des 100 000 emplois de ville ont été signés dès le début de l'été.
Trois décrets et quatorze circulaires sont publiés, cinq protocoles nationaux
sont signés et trois appels à projet sont jugés, dont deux portent sur des
thèmes qui, je le sais, sont chers à la Haute Assemblée : l'amélioration des
transports publics, avec quarante-cinq projets primés, et l'amélioration des
services publics dans les quartiers, avec cinquante-deux projets de
plates-formes de services publics sélectionnés.
Dès l'adoption définitive du projet que vous examinez aujourd'hui, les
derniers textes d'application pourront être publiés.
Le Sénat me permettra, à ce stade de mon propos, de m'arrêter un instant sur
les emplois de ville. Nous nous sommes battus, Eric Raoult et moi-même, au sein
du Gouvernement, pour obtenir 100 000 de ces emplois qui offrent un formidable
espoir aux jeunes.
L'engagement qui a été le mien m'autorise aujourd'hui à dire qu'il est du
devoir de chacun de tout mettre en oeuvre pour qu'un nombre non négligeable de
ces emplois soient rapidement signés : j'en espère 10 000 d'ici à la fin de
l'année, afin que puisse être tenu le rythme des 25 000 emplois par an pendant
quatre ans.
J'entends ici et là des critiques sur le dispositif. Si ces critiques sont
constructives...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Toujours, monsieur le ministre !
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
... et si elles permettent d'améliorer le dispositif, de l'assouplir, je saurai
en tenir compte, madame Beaudeau. Mais, de grâce ! n'ayons plus de débats
philosophiques sur le sujet, ne jouons pas avec l'emploi des jeunes et sortons
du scepticisme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je compte sur vous, qui avez souvent des
mandats locaux, pour aider à la réussite de ces emplois de ville, en faveur
desquels j'ai déjà mené plusieurs actions concrètes.
Nous avons signé, Eric Raoult et moi-même, en mai dernier, un protocole avec
les HLM pour la création de 4 000 emplois de ville en quatre ans.
Nous avons signé, début septembre, un protocole avec des transporteurs publics
et des autorités organisatrices de transport pour la création de 3 000 emplois
de ville en quatre ans. Je pense ici, notamment, à celui que nous avons conclu
avec Mme le maire de Strasbourg.
J'ai signé une convention avec le département du Val-d'Oise, qui s'engage à
financer 15 % des emplois de ville en sus des 55 % pris en charge par l'Etat.
D'autres départements, d'autres régions ont pris des initiatives en ce sens, et
c'est pour renforcer ce mouvement que nous avons adressé, Eric Raoult et
moi-même, la semaine dernière, un courrier aux présidents de conseils généraux
et régionaux les incitant à s'engager sur les emplois de ville.
J'ai aussi demandé aux préfets d'organiser dans tous les départements, le 5
septembre, une conférence de presse pour valoriser les emplois de ville.
Désormais, beaucoup de choses sont en place pour permettre que des premiers
résultats concrets soient ressentis sur le terrain. Je mentionnerai, par
exemple, un premier renforcement, dans les quartiers, des effectifs de police,
sans lesquels toute volonté d'améliorer la vie quotidienne serait vaine, ainsi
que 'augmentation du nombre d'appelés du contingent au service de la ville, qui
conduira à ce que 10 000 appelés soient affectés au 1er décembre 1996.
M. Guy Fischer.
Ces appelés vont disparaître !
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
D'ici à l'an 2001, monsieur Fischer, nous avons le temps. Pour la suite, dans
la mesure où le dispositif est plutôt une réussite, je pense que des
volontaires pourront s'engager afin d'assumer aussi ce genre de mission. En
tout cas, permettez-moi de l'espérer.
Je mentionnerai également l'extension des dispositifs « école ouverte » et «
ville-vie-vacance », dont je viens de parler, aux petites vacances scolaires,
la mise en place de 8,5 milliards de francs de prêts aux collectivités locales
et de 5 milliards de francs de prêts aux organismes d'HLM. M. Hoeffel et
moi-même, visitant le quartier Neuhof, à Strasbourg, avons pu constater tout ce
que cela peut représenter comme améliorations pour la réhabilitation de la
ville.
Si beaucoup donc a été fait, le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à
votre approbation, mesdames, messieurs les sénateurs, reste cependant d'une
considérable importance, puisqu'il rassemble l'ensemble des mesures
législatives restant à appliquer pour permettre la complète mise en place du
pacte de relance.
Dans le projet de loi, ces mesures sont organisées en cinq titres.
Le titre Ier resserre tout d'abord la géographie d'application de la politique
de la ville. Le pacte a en effet pour ambition d'adapter les dispositions à la
gravité des situations de façon à proportionner et à concentrer l'effort de
l'Etat sur les quartiers les plus touchés par l'exclusion urbaine. Il organise
ainsi des traitements d'autant plus puissants et dérogatoires du droit commun
que les difficultés auxquelles sont confrontés les quartiers sont
importantes.
Trois types de quartiers sont distingués. Il s'agit, tout d'abord, des sept
cent quarante-quatre zones urbaines sensibles - sept cent neuf en métropole et
trente-cinq en outre-mer - dans lesquelles s'appliquent des mesures de nature
sociale. Sachez que, sur les sept cent neuf zones urbaines sensibles de
métropole, près de trois cents concernent des villes de moins de 30 000
habitants et quatre-vingts des communes de moins de 10 000 habitants.
Comme vous le voyez, j'ai retenu les observations et les suggestions tant de
M. Fourcade que de M. Gérard Larcher pour bien faire en sorte que le dispositif
s'applique non seulement à nos grandes cités urbaines, mais également à
d'autres communes, petites et moyennes. Ces dernières ne sont pas, en tout cas,
laissées pour compte, et c'était bien la volonté expresse de la Haute
Assemblée.
Il s'agit, ensuite, de trois cent cinquante zones de redynamisation urbaine,
choisies parmi les zones urbaines les plus sensibles, auxquelles se rapportent,
outre les mesures sociales applicables dans les zones urbaines sensibles, des
mesures de nature économique.
Ces quartiers sont désormais désignés en fonction de leur situation
géographique dans l'agglomération et de la gravité de leur situation, mesurée
par un indice constitué, à la demande, il faut le dire, de Bruxelles, par le
nombre d'habitants, le taux de chômage, la proportion des non-diplômés, celle
des jeunes et le potentiel fiscal de la commune.
Il s'agit, enfin, d'une nouvelle catégorie de quartiers très difficiles : les
zones franches urbaines, au nombre de trente-huit en métropole et de six dans
l'outre-mer, dans lesquelles s'applique un dispositif de complète exonération
fiscale et sociale.
La liste de ces quartiers en très grande difficulté, qui ont été sélectionnés
parmi ceux comptant plus de 10 000 habitants d'un seul tenant et cumulant les
difficultés les plus graves au regard des critères retenus pour les zones de
redynamisation urbaine, est annexée à la loi.
Un différend épistolaire m'a opposé à ce propos au maire de Rouen. Je m'en
suis expliqué : nous intervenons dès lors que le quartier rassemble plus de 10
000 habitants d'un seul tenant, faute d'avoir les moyens financiers de faire
plus.
Notre ambition, pour ces zones franches, doit être à la mesure des difficultés
auxquelles elles sont confrontées. Pour ma part, je ne souhaite rien d'autre
sinon qu'elles deviennent les vitrines de la politique de la ville et qu'elles
démontrent que cette politique n'a pas simplement pour ambition de gérer vaille
que vaille des situations dégradées, mais qu'elle peut aussi inverser
complètement des tendances aussi longtemps subies qu'elles sont pourtant
intolérables.
Donc, non seulement les zones franches bénéficieront de dispositions fortes en
faveur des entreprises, mais elles pourront aussi profiter de l'ensemble des
mesures du pacte de relance, à un niveau d'intensité supérieur, et ce dans tous
les domaines de la vie quotidienne, qu'il s'agisse d'éducation, de sécurité, de
service public, d'habitat ou de soutien aux associations.
Le titre II du projet de loi traduit la priorité accordée à la revitalisation
économique des quartiers de plus en plus en difficulté que sont les zones de
redynamisation urbaine et les zones franches urbaines.
Un régime fiscal et social puisamment dérogatoire destiné à favoriser le
maintien et la création de l'activité y est donc mis en place.
Ces mesures, qui veulent agir sur le secteur marchand, complètent la création
des 100 000 emplois de ville dont j'ai déjà parlé et dont je ne dirai donc que
très brièvement qu'ils sont réservés à des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans,
d'un niveau de formation pouvant aller jusqu'au baccalauréat.
En ce qui concerne les zones de redynamisation urbaine, les deux apports du
texte du Gouvernement sont, d'une part, d'accorder aux entreprises existantes
une exonération de taxe professionnelle afin de ne pas introduire de
distorsions avec les entreprises nouvelles qui s'implanteront, ce qui répond au
voeu de la commission spéciale ; d'autre part, d'accorder une exonération de
charges sociales patronales de douze mois pour l'embauche des cinquante
premiers salariés. Je vous indique, par la même occasion, que cette mesure
vaudra aussi pour les zones de revitalisation rurale.
En ce qui concerne les zones franches urbaines, le dispositif prévu, et
approuvé par le collège des commissaires européens, est puissant à défaut
d'être toujours simple.
Ainsi, les entreprises de moins de cinquante salariés présentes dans les zones
franches ou qui viendront s'y installer entre le 1er janvier 1997 et le 31
décembre 2001 seront exonérées d'impôts et de cotisations sociales pendant cinq
ans. Cela permettra, non seulement de sauvegarder les emplois existants et
d'aider les rares commerçants ou artisans qui sont restés sur place, malgré
toutes les difficultés majeures que connaisent ces quartiers, mais aussi et
surtout d'attirer de nouveaux emplois.
J'ai souhaité, en outre, et peut-être avant tout, que le dispositif dont les
entreprises bénéficieront apporte un avantage direct aux habitants du quartier
en termes d'emploi. C'est l'un des éléments qui a valu que Bruxelles me donne
son accord sur un tel niveau d'aide.
Ainsi, pour bénéficier des exonérations de charges sociales, l'entreprise
devra-t-elle, dans le cas où elle recrute, soit embaucher au moins un habitant
de la zone franche pour cinq embauches, soit avoir, au sein de ses effectifs,
au moins 20 % d'habitants de la zone franche.
Dans ses propositions d'amendement, la commission spéciale du Sénat souhaite
créer, dans chaque zone franche urbaine, un comité d'orientation et de
surveillance chargé d'évaluer les conditions de mise en oeuvre des mesures
dérogatoires, de prévenir les risques pouvant en résulter, notamment en ce qui
concerne les équilibres économiques et sociaux de la zone, et de lutter contre
les « chasseurs de primes ».
J'avais déjà prévu, vous le savez bien, une clause « anti-chasseur de primes »
dans mon projet de texte. Je pense, cependant, que cette proposition de la
commission sénatoriale est excellente. Elle permettra de renforcer le rôle de
pilotage des maires et des préfets, rôle auquel nous sommes, vous et moi,
attachés.
Enfin, dans les zones franches urbaines, des mesures fiscales spécifiques sont
prévues pour inciter des investisseurs à rénover des copropriétés en difficulté
et à construire des logements locatifs.
Le titre III concerne la mise en place, dans toutes les zones urbaines
sensibles, de nouveaux moyens permettant de rénover le cadre de vie des
quartiers et d'y recréer les conditions d'une plus grande mixité sociale.
Je mentionnerai brièvement certaines innovations, à commencer par la création
d'établissements publics de restructuration urbaine et d'associations foncières
urbaines, qui devra faciliter la mise en oeuvre des grands projets urbains et
des projets d'aménagements.
Je mentionnerai encore la création d'un établissement public national de
restructuration des espaces commerciaux et artisanaux, qui pourra intervenir
sur des opérations lourdes de restructuration d'espaces commerciaux et racheter
des friches commerciales, les restructurer, les réhabiliter, puis les revendre
au mieux-disant. Les députés ont souhaité que cet établissement public puisse
déléguer ses compétences à un établissement public de restructuration urbaine,
ce qui est une bonne chose. Les propositions du Sénat vont dans le sens d'une
grande déconcentration de son fonctionnement, ce qui reçoit, bien évidemment,
tout mon soutien.
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission spéciale.
Très bien !
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Quant à l'obligation faite aux communes ayant une zone urbaine sensible de
réaliser un programme local de l'habitat, elle leur fournira l'occasion
d'élaborer une stratégie de diversification des logements, qui pourra être
discutée au sein d'une conférence communale ou intercommunale du logement, dont
la mise en place est également obligatoire, et qui est chargée de déterminer
avec toutes les parties prenantes les conditions d'attribution des logements
HLM.
Enfin, pour assurer la requalification de certaines copropriétés privées en
difficulté, il est prévu que les préfets puissent prendre des mesures
spécifiques de sauvegarde et que les crédits de l'Agence nationale pour
l'amélioration de l'habitat et du Fonds de solidarité pour le logement puissent
appuyer les démarches des copropriétaires.
M. Guy Fischer.
Un milliard cent millions de francs de moins !
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Sauf que, de temps à autre, il arrive que le conseil municipal prenne en charge
le nettoiement dans les grandes cités urbaines ! Ainsi, à Marseille, j'ai fait
enlever 20 000 tonnes d'ordures ménagères dans un grand ensemble de
copropriétés privées, parfois louées par des « marchands de sommeil ».
Deux problèmes doivent donc être résolus : faire respecter l'ordre républicain
et réhabiliter l'habitat. Rien n'interdit aux communes de participer à l'effort
nécessaire, à l'exemple de la commune de Marseille.
Enfin, dernier volet de ce projet de loi, les associations voient leur rôle
renforcé et leur intervention simplifiée grâce à la possibilité de passer des
contrats d'objectifs pluriannuels et de mettre en place des fonds locaux
associatifs.
Il devient par ailleurs possible de créer des comités d'initiative et de
consultation des quartiers qui permettront d'assurer une meilleure
participation des habitants au devenir de leur cité.
Fondé, selon la terminologie du moment, sur un principe de discrimination
territoriale positive et destiné à compenser les nombreux handicaps auxquels
certains quartiers sont confrontés, le pacte de relance pour la ville, dont le
projet de loi que vous allez examiner forme la clé de voûte, constitue un
effort sans précédent.
La rapidité de sa mise en oeuvre témoigne de la priorité qu'accorde le
Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, à la nécessaire réduction de
la fracture sociale et territoriale dénoncée par M. le Président de la
République. Le sens du résultat des élections intervenues au mois de juin
dernier, des représentants des locataires ne vous a sûrement pas échappé. Je
souligne qu'avec le projet de loi qui vous est soumis le Gouvernement entend
rassembler les Français et briser la logique d'exclusion sur laquelle
prospèrent certains mouvements extrémistes.
Je ne doute pas pouvoir compter sur le Sénat pour, tout à la fois, respecter
cet esprit, né d'une large concertation sur laquelle M. Raoult reviendra, et
améliorer celles des dispositions qui lui paraîtront devoir l'être.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie
d'excuser la longueur de mon propos, mais je tenais à être d'autant plus
complet que je n'ai pas souvent l'occasion de m'exprimer devant vous.
(Applaudissements sur les travées, des Républicains et Indépendants, du RPR,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Monsieur le ministre, votre propos n'a pas été trop long et nous sommes ravis
de vous retrouver aujourd'hui, dans cette Haute Assemblée que vous connaissez
bien.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Eric Raoult,
ministre délégué à la ville et à l'intégration.
Monsieur le président,
monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, après la brillante intervention de
Jean-Claude Gaudin, je veux m'associer à l'hommage qu'il a tenu à rendre à
votre Haute Assemblée, tout particulièrement à sa commission spéciale, présidée
par Jean-Pierre Fourcade, et à son rapporteur, Gérard Larcher. Un travail
approfondi - votre assemblée en est coutumière - a pu être mené avec la
commission, et je m'en félicite à mon tour.
Pour ma part, je souhaite mettre en perspective le projet de loi qui vous est
soumis en répondant aux trois questions suivantes : qu'avons-nous voulu faire
avec ce projet de loi ? Quel est l'état d'avancement du pacte de relance pour
la ville ? Quel est l'apport du Parlement, et spécialement du Sénat, pour
améliorer encore ce projet de loi ?
Jean-Claude Gaudin vous l'a dit : le pacte de relance pour la ville n'est pas
réductible à ce seul projet de loi. Nous avons fixé soixante-huit mesures, qui
ne nécessitent pas toutes une mise en oeuvre législative. Un grand nombre ont
fait l'objet de réformes adoptées par le Parlement et sont déjà entrées en
application.
Je rappelle à cet égard la réforme de la dotation de solidarité urbaine, la
DSU, et du fonds de solidarité de la région d'Ile-de-France, le FSRIF, avec la
loi du 26 mars 1996. Quant à la loi du 4 mars 1996, elle a permis d'exonérer
des suppléments de loyers les logements sociaux situés en zones urbaines
sensibles. S'y ajoute la loi du 6 mai dernier réformant le financement de
l'apprentissage, qui a créé les emplois de ville. Le Sénat avait d'ailleurs
amélioré ce texte, le Gouvernement ayant accepté de l'amender dans le sens
voulu par Jean-Pierre Fourcade et la Haute Assemblée. Il s'agissait alors
d'assouplir la géographie applicable à ces emplois.
Le projet de loi qui nous concerne aujourd'hui s'articule autour de trois axes
: le maintien et la création d'activités et d'emplois, l'aménagement urbain et
l'habitat, la vie associative.
Je ne reviens pas sur l'esprit qui l'anime, qui est de donner une dimension
économique - un « plus » d'activité - à la politique de la ville.
Le texte tient compte, bien entendu, de l'expérience acquise en matière de
politique de la ville. C'est, à partir de 1990 et sous l'impulsion de Michel
Delebarre, une approche globale et transversale de l'intervention urbaine.
C'est encore la nécessaire complémentarité entre la politique de la ville et
l'aménagement du territoire voulue par le ministre d'Etat Charles Pasqua et par
Daniel Hoeffel dès 1994. C'est aussi l'initiative de mon prédécesseur, le
ministre d'Etat Mme Simone Veil, qui a rationalisé la procédure des contrats de
ville. Tous ces acquis, nous ne les abandonnons pas : nous les confortons.
Il s'agit donc bien d'une relance de la politique de la ville et d'un nouvel
élan. Mais une relance doit être rapidement mise en oeuvre pour être efficace.
C'est pourquoi nous avons pris garde de ne pas trop renvoyer, dans la loi, à
des décrets d'application. Je sais que la commission des lois et son président
y sont particulièrement attentifs.
Pour le texte que nous vous soumettons, moins il y aura de décrets
d'application, plus nous aurons de chances de le mettre en oeuvre avec
succès.
Ayant été moi-même rapporteur du bugdet de la ville à l'Assemblée nationale,
je n'oublie pas que la loi d'orientation pour la ville de 1991 avait nécessité
près de cinquante décrets d'application, élaborés puis publiés durant près de
dix-huit mois.
C'est pourquoi, avec Jean-Claude Gaudin, nous avons fait le choix de ne vous
soumettre que des instruments très ciblés et des procédures claires sans excès
de renvoi à des décrets d'application.
Objectivement, par-delà toutes les sensibilités et les clivages partisans, je
pense que ce projet de loi est un texte de maturité de la politique de la
ville. Il conforte l'existant, le remet en ordre, tout en le complétant. Je
tiens à le réaffirmer devant votre Haute Assemblée : aucun des volets déjà mis
en oeuvre de la politique de la ville n'est et ne sera remis en cause. Les
contrats de ville ou encore les grands projets urbains continueront à recevoir
les moyens financiers appropriés.
Ce projet de loi répond aux attentes exprimées dans l'excellent rapport de
Gérard Larcher sur la politique de la ville, rapport élaboré dès 1992 et qui
fait date.
Avec le pacte de relance pour la ville, le Gouvernement a tenu aussi le plus
grand compte des analyses et propositions pertinentes de la commission spéciale
sur l'aménagement du territoire, présidée par M. Jean François-Poncet.
Gérard Larcher a eu raison de relever que, « à force d'accuser le béton de
tous les maux, on a trop oublié les hommes ». Notre pacte y répond en
conjuguant désormais l'urbain et l'humain.
Aujourd'hui, à la cohérence historique, si je puis dire, nous apportons deux
nouvelles cohérence, l'une géographique, l'autre économique.
La cohérence géographique, établie par le titre Ier du projet de loi, se
traduit par l'échelle des interventions dans les 700 zones urbaines sensibles,
les 350 zones de redynamisation urbaine, les 38 zones franches urbaines de
métropole et les 6 zones franches urbaines d'outre-mer sur lesquelles je ne
reviendrai pas.
Le présent projet de loi permettra d'harmoniser mieux encore la politique de
la ville avec celle de l'aménagement et du développement du territoire. C'est
dans cette perspective que nous vous proposons de modifier la « loi Pasqua » du
4 février 1995, qui a su relancer la politique d'aménagement du territoire dans
notre pays.
S'agissant toujours de géographie et de politique de la ville, le Gouvernement
a parfaitement conscience des efforts qu'il reste encore à faire en matière
d'harmonisation. Je pense, en particulier, aux zones d'éducation prioritaire,
les ZEP.
Quant à l'économique, comme l'a souligné le Président de la République,
c'était le « chaînon manquant » de la politique de la ville. Nous souhaitons
rééquilibrer la dépense sociale par des dépenses d'investissement économique.
C'est l'objet du titre II du projet de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le caractère global et cohérent de la
politique de la ville ne doit pas rester un effet de langage. Au Sénat, Grand
Conseil des communes de France, l'on sait bien que dans les quartiers, là plus
qu'ailleurs, c'est le chômage qui détruit la vie sociale. Vous avez tous,
quelle que soit la travée où vous siégez, dénoncé le chômage comme la cause
essentielle de la dérive des quartiers et de la destruction du lien social.
Eh bien ! nous en tirons aujourd'hui pleinement les enseignements. J'ai été,
personnellement, très sensible aux faits concrets, relevés sur le terrain,
qu'ont bien voulu évoquer devant la commission spéciale, en présence de
Jean-Caude Gaudin et de moi-même, Mme Nelly Olin, MM. José Balarello, François
Trucy, Alain Richard, Serge Franchis, Guy Fischer ou Philippe Marini.
En pariant sur le retour à l'activité des habitants des quartiers, nous
parions aussi sur l'intégration et le retour à la citoyenneté. Comme vous
l'avez dit avant-hier en présentant le rapport de la commission, monsieur
Fourcade : « Il n'y aura pas d'intégration, s'il n'y a pas de mixité sociale ».
A cela aussi, nous souhaitons répondre dans le titre III du projet de loi.
S'agissant de la mixité de l'habitat, 460 communes de plus de 20 000 habitants
insuffisamment pourvues en logements sociaux sont désormais tenues d'engager un
programme triennal de construction de ce type de logements. Ce dispositif est
conforté par le projet de loi.
Vous noterez aussi que nous prenons en compte le « logement social de fait » -
ce qui constitue une première en France - en proposant des mesures de
sauvegarde permettant de réhabiliter des copropriétés dégradées, comme vient de
le rappeler M. le ministre.
Enfin, le titre IV concerne la participation des habitants des quartiers et
leur représentation. Se trouve ainsi posée une question de principe pour la
démocratie. En effet, sur le terrain, les associations expriment fortement le
besoin d'une représentation démocratique formalisée des habitants des
quartiers. J'ai encore pu le constater vendredi, au cours de mon déplacement au
Mans, notamment dans le quartier des Sablons.
Le projet de loi permet la création de comités d'initiative et de consultation
pour les quartiers en zone urbaines sensibles. Ces comités, s'ils sont mis en
place, pourraient être utiles en matière de services publics de proximité et
d'équipements de quartier. Bien entendu, la loi n'impose en la matière aucune
obligation. Elle donne simplement aux maires qui le souhaiteront la possibilité
de créer de tels comités.
De manière plus classique, nous confortons l'action des associations en
prévoyant la possibilité, pour les partenaires financiers des contrats de
ville, d'instituer des fonds locaux associatifs.
Le Premier ministre a déjà signé la circulaire relative aux conventions
d'objectifs passées avec les associations subventionnées par l'Etat. C'est la
concrétisation de l'engagement pris dans le pacte de respecter la règle « Juppé
» des « trois ans, trois mois », c'est-à-dire un objectif d'actions sur trois
ans et le versement de la subvention dans les trois mois qui suivent la
signature. Cette mesure est, vous le savez, très attendue par les
associations.
J'en viens à présent à l'état d'avancement des mesures du pacte de relance
pour la ville qui ne sont pas contenues dans ce projet de loi. Cela me paraît
important pour la bonne information du Sénat, qui voudra bien me pardonner cet
inventaire à la Prévert et peut-être, aussi, certaines redites par rapport aux
propos de Jean-Claude Gaudin.
C'est tout d'abord l'emploi.
Jean-Claude Gaudin et moi-même signons actuellement dans les départements des
emplois de ville. Ce dispositif étant récent, nous allons assister
prochainement à sa montée en puissance. Déjà quatre régions et dix départements
ont décidé de s'engager aux côtés de l'Etat pour le cofinancement de ces
emplois.
Des conventions d'objectifs sont également conclues avec des réseaux
d'employeurs, on l'a rappelé tout à l'heure. On peut signaler 4 000 emplois
prévus avec les HLM, 3 000 avec les transporteurs. D'autres partenaires tels
que les régies de quartier ou des grands délégataires de services publics s'y
associeront.
Notre objectif est de mettre en place 10 000 emplois de ville d'ici à la fin
de l'année.
C'est l'école : 2 000 appelés supplémentaires sont en fonction dans les
établissements scolaires depuis la rentrée de septembre ; en outre, quarante
sites classés en zones urbaines sensibles ont déjà aménagé les rythmes
scolaires ; les opérations « école ouverte » se tiennent dans la plupart des
quartiers sensibles et sont, depuis l'été 1996, en augmentation de 20 %. Enfin,
le processus de rapprochement de la géographie des ZEP et des zones urbaines
sensibles est lancé et ne devrait prendre que deux ans, comme nous le
souhaitons.
C'est la sécurité : 1 000 policiers supplémentaires ont déjà été affectés dans
les zones urbaines sensibles et 1 000 policiers supplémentaires le seront avant
la fin de l'année, comme le Gouvernement s'y était engagé.
C'est la justice : les nouvelles mesures législatives concernant les mineurs
délinquants sont entrées en application puisque seize unités d'éducation à
encadrement renforcé sont en cours de création, la première ayant ouvert ses
portes voilà quelques jours à Rouen. Cela doit permettre d'en finir avec le
sentiment d'impunité qui est ressenti par nos concitoyens dans les quartiers,
notamment pour les plus jeunes.
C'est le transport : de nouvelles lignes de desserte des quartiers sensibles
ont été mises en place ; quarante-quatre projets d'amélioration de la desserte,
de la qualité et de la diversité de l'offre, mais aussi de la politique
tarifaire, ont été retenus au cours du mois de septembre dernier pour favoriser
le désenclavement de ces quartiers, grâce à l'appel à projet organisé par la
délégation interministérielle à la ville.
C'est le service national « ville » : 10 000 appelés sont en poste au 1er
octobre 1996 et ils seront 10 000 chaque année jusqu'en 2001. L'objectif du
pacte sur trois ans a été atteint dès sa première année d'application.
Ce sont les prêts « projets urbains ». Le protocole a été signé le 7 mai 1996
avec la Caisse des dépôts pour un volume de prêts « projets urbains » porté à
2,5 milliards de francs par an et un taux abaissé à 5,5 %. Un autre protocole a
été signé le 14 mai 1996 avec le Crédit local de France, qui ouvre une
enveloppe de 1 milliard de francs pour les prêts « développement de quartiers »
au taux variable de 5,3 % à 5,8 %. Un troisième protocole a été signé avec la
Caisse des dépôts pour l'amélioration des logements sociaux, avec une enveloppe
de 5 milliards de francs de prêts. Leur montée en puissance est conforme aux
prévisions, puisque les prêts « projets urbains » étaient en augmentation de 50
% au 31 août 1996.
J'évoquerai enfin les zones franches urbaines.
Après la sélection de quarante-quatre zones franches urbaines, un projet de
convention est actuellement soumis aux maires et aux partenaires locaux
concernés. La délimitation exacte de ces zones sera fixée d'ici à la fin de
l'année par décret en Conseil d'Etat, pris pour l'application de la loi sur la
mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville.
Cette délimitation interviendra après la finalisation des conventions locales.
Ces dernières doivent confirmer la mobilisation des partenaires sur l'accueil
et le soutien économique aux entreprises qui s'installent, leurs efforts sur
les emplois de ville, mais aussi sur les projets de re-structuration et de
requalification des quartiers.
A cet égard, nous tenons à rassurer de nouveau M. Philippe Marini sur la
concertation que le Gouvernement a entrepris avec les maires des zones franches
urbaines, quant à la délimitation des futurs périmètres. Concertation il y a
eu, concertation il y a et je suis persuadé que concertation il y aura encore
dans les jours à venir.
Le complément nécessaire du Sénat est donc apporté et prouvé.
Le projet de loi qui est soumis à votre examen doit donner une cohérence à cet
ensemble. D'ores et déjà, l'Assemblée nationale a amélioré sensiblement le
texte. Au total, vingt-neuf amendements ont été adoptés par les députés.
Je ne reviens pas sur ces modifications qui sont examinées dans le rapport
écrit de Gérard Larcher ; Jean-Claude Gaudin a eu l'occasion, avant moi, d'en
faire état.
Au cours de l'audition du 3 septembre dernier, devant votre commission
spéciale, nous avons pu mesurer combien le Sénat avait à coeur de défendre et
de représenter les territoires dans ce projet de loi, parce qu'un sénateur
envisage les choses du point de vue du département, alors qu'un député le fait
parfois à l'échelon du quartier. Nous avons aussi pu mesurer combien le Sénat
avait à coeur d'améliorer le dispositif des emplois de ville à l'issue de la
contractualisation des cinq ans.
Ce texte contient des dispositions économiques, fiscales, sociales, parfois
complexes. Aussi, votre Haute Assemblée a fait un choix judicieux en décidant
d'instituer une commission spéciale, car cela permet effectivement une approche
transversale du texte.
Avec Jean-Claude Gaudin, nous avons tenu compte, et nous tiendrons compte, au
cours de l'examen des articles, de votre expérience, en particulier en matière
de fiscalité locale.
Je veux souligner notamment vos propositions : sur le suivi des zones franches
urbaines avec la création des comités d'orientation et de surveillance ; sur
les améliorations concernant les investissements immobiliers, avec un
renforcement notable du texte inspiré de la loi Malraux ; sur le coup de pouce
donné au changement d'usage aux locaux d'habitation ; enfin, sur la souplesse
nécessaire pour la mise en place du dispositif du pacte de relance dans
l'outre-mer.
Par ailleurs, vos propositions ouvrent un débat important, notamment sur les
exonérations de charges sociales pour les travailleurs indépendants et sur le
dispositif d'assurance chômage pour les emplois de ville. Nous aurons
l'occasion, au cours de l'examen du texte par votre Haute Assemblée,
d'approfondir ces questions.
Nous savons tous ici combien le président Jean-Pierre Fourcade, qui est aussi
le président du Comité des finances locales, tient à ce que l'Etat respecte sa
parole et sa signature avec les maires. Comme nous l'avons fait devant votre
commission spéciale, je tiens à réaffirmer, comme Jean-Claude Gaudin vient de
le faire, cet engagement devant votre Haute Assemblée.
Le projet de loi de finances pour 1997, que vous allez étudier prochainement,
contient bien les mesures de compensations financières, prévues par ce projet
de loi, en matière d'exonération de taxe professionnelle notamment. A cet
égard, l'audition par votre commission de mon collègue Alain Lamassoure a été
sans ambiguïté.
Etant moi-même maire d'une ville située dans un département sensible, la
Seine-Saint-Denis, je sais combien nos communes ont besoin non seulement de
connaître les règles du jeu, mais surtout que ces règles soient pérennes. Je ne
peux donc que partager la préoccupation du président Jean-Pierre Fourcade qui,
je le sais, a été également exprimée, au sein de votre Haute Assemblée, par le
président de l'Association des maires de France, M. Jean-Paul Delevoye, ainsi
que par le Sénat tout entier.
Je voudrais enfin renouveler mes remerciements sincères aux administrateurs de
votre commission spéciale, qui ont déjà effectué un travail remarquable aux
côtés du président et du rapporteur.
Je sais aussi combien l'expérience de M. André Diligent vous a été précieuse,
lui qui réfléchit depuis de nombreuses années, notamment à la tête du Conseil
national des villes avec Gilbert Bonnemaison, sur ces problématiques urbaines
et d'exclusion.
Toutes les conditions sont donc réunies pour que nous puissions engager
l'examen du projet de loi, article par article, et pour que le travail du Sénat
enrichisse ce texte.
Il est de notre intérêt à tous, je dis bien « à tous », de travailler à la
cohésion nationale. Ce que nous préparons, c'est une véritable intégration
urbaine.
Qui aurait en effet à gagner à une aggravation des facteurs d'éclatement qui
existent dans les quartiers sensibles ?
Personne ! Ou plutôt si, Jean-Claude Gaudin l'a rappelé tout à l'heure :
chacun sait, ici, qui serait gagnant !
Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la politique de la
ville est un sujet de société suffisamment complexe et grave pour que nous
sachions, ensemble, dépasser nos clivages politiques traditionnels. Ce pacte,
nous pouvons peut-être aussi le conclure entre les différentes sensibilités de
cet hémicycle.
Il y va de l'intérêt national, et je sais que le Gouvernement peut compter sur
le soutien et la compréhension du Sénat.
Voilà soixante ans, alors qu'il parcourait l'ancien département de la Seine
autour de La Courneuve et d'Aubervilliers, Léon Blum avait été interrogé sur ce
qu'était à son avis la fonction d'un quartier populaire. Il avait répondu : «
C'est remettre au coeur d'une ville ceux qui ont été mis sur le bord. »
Avec ce pacte, nous voulons remettre les villes et les quartiers au coeur de
notre pays, ainsi que ceux qui sont au bord de la nation, en leur tendant la
main, comme l'a souhaité le chef de l'Etat. Ce pacte, nous pouvons le rédiger
ensemble.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et
des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission spéciale.
Monsieur le président, messieurs
les ministres, mes chers collègues, « La cité est un discours et ce discours
est un véritable langage : la ville parle à ses habitants, nous parlons notre
ville, la ville où nous nous trouvons, simplement en l'habitant, en la
parcourant, en la regardant. » Tel est le regard que Roland Barthes portait sur
la ville, et je crois le partager.
Oui, ce discours est véritablement un langage. Voilà trois mois, le Sénat a
décidé de confier à une commission spéciale composée de trente-sept membres
l'examen du projet de loi relatif à la mise en oeuvre du pacte de relance pour
la ville. Au cours de cet été, les commissaires et votre rapporteur ont
auditionné - c'était souvent passionnant - près de cinquante personnalités
impliquées à des niveaux divers dans la politique de la ville : élus,
entrepreneurs, commerçants, éducateurs, animateurs, journalistes, policiers et
bailleurs sociaux.
Je tiens particulièrement à rendre hommage à M. Jean-Pierre Fourcade, qui a
dirigé, avec le talent que chacun lui connaît, nos travaux et nous a fait
bénéficier de son expérience, notamment en matière de finances et d'aménagement
régional.
Je voudrais aussi saluer les vice-présidents qui ont pris une large part à
cette entreprise, notamment MM. Serge Franchis, Paul Girod, Philippe Marini,
Alain Richard et Jean-Marie Girault.
Les membres de la commission spéciale ont été très assidus aux auditions, dont
certaines ont été tardives.
Je souhaiterais remercier les deux ministres, MM. Jean-Claude Gaudin et Eric
Raoult, ainsi que leurs collaborateurs, qui ont été attentifs et
particulièrement disponibles pour préparer ensemble ce projet de loi.
Le texte qui nous est proposé n'est pas un texte de circonstance. Il se situe
dans le droit-fil d'une réflexion qui se poursuit depuis près de vingt ans et à
laquelle le Sénat a contribué. Il repose sur un diagnostic : les problèmes, les
difficultés de la ville sont le résultat de plusieurs facteurs dont celui qui
est lié à l'urbanisme a trop longtemps occulté la diversité de nature. Seule
une approche globale peut permettre de les traiter. D'ailleurs, le pacte de
relance prévoit - mais j'y reviendrai - outre le volet législatif sur lequel
portent nos travaux, de nombreuses mesures réglementaires et initiatives pour
aider à la résolution des problèmes des quartiers en difficulté dans des
domaines aussi variés et essentiels que l'école, les transports, les
assurances, la santé, la culture et la maîtrise de l'immigration.
Sur le fond, nous sommes convaincus de la nécessité de replacer l'homme, avec
ses espoirs, ses aspirations personnelles et collectives, au coeur des
préoccupations du politique.
Notre pays doit d'abord répondre aux attentes de nos concitoyens qui vivent
dans les quartiers défavorisés, en leur permettant de mener une vie paisible.
C'est pourquoi - le président Fourcade y reviendra, car c'est un point très
largement partagé par la commission spéciale - il est essentiel et préalable de
rétablir, lorsqu'il en est besoin, l'ordre républicain.
Seul le respect des lois de notre pays permettra de recréer les conditions de
la confiance et de remettre à niveau ces quartiers, de faire barrage aux
aventuriers de tous bords qui exploitent comme un fonds de commerce politique
la violence, l'insécurité, l'immigration clandestine et la crainte qu'elle
suscite chez nos concitoyens.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Très bien !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
De même le président Fourcade évoquera l'importance du couple
décentralisation-déconcentration. D'un côté, le maire, de l'autre, le préfet
doté de l'autorité sur l'ensemble des services de l'Etat dans le département
sont les socles de toute politique efficace en direction de la ville.
Je souhaite souligner d'emblée que, dans notre esprit - mais cela est clair
dans l'esprit des ministres - il ne saurait être question d'opposer la ville au
reste du pays et tout spécialement au monde rural. Depuis cinq ans, le Sénat a
beaucoup travaillé sur la question de l'aménagement du territoire et, mes chers
collègues, votre commission spéciale est convaincue que la politique de la
ville et la politique de développement rural sont deux faces indissociables de
toute politique d'aménagement du territoire.
(M. Machet applaudit.)
Le Parlement examinera d'ailleurs, dès que le
Gouvernement en aura achevé l'élaboration et je crois que c'est en bonne voie,
le plan pour l'espace rural, actuellement préparé par vos services, monsieur le
ministre.
Quels sont les grands défis auxquels sont confrontés les pouvoirs publics dans
la conduite de la politique de la ville ?
Le défi premier me paraît être politique : sur quel idéal républicain notre
démocratie entend-elle se fonder dans les décennies à venir ? Je considère,
pour ma part, que le modèle français républicain d'intégration et de solidarité
entre les citoyens, qui repose sur une égalité des droits mais aussi des
devoirs, n'est pas compatible avec l'existence de communautés repliées sur
elles-mêmes.
A la différence des Etats-Unis, nous ne pouvons accepter que des portions de
notre territoire soient définitivement exclues, abandonnées à d'autres, et
dérivent dans la violence et la misère sous l'oeil désabusé ou lâche des
pouvoirs publics.
La politique de la ville s'inscrit donc dans un grand dessein républicain, à
la fois respectueux des familles religieuses et de pensées, mais exigeant dans
la primauté des principes qui fondent la République. C'est pourquoi, demain, un
« Islam de France » libéré de tutelles étrangères est indispensable aux valeurs
de l'intégration réglant les rapports entre cette religion et la République,
comme se sont réglés, depuis neuf décennies, les rapports de la République avec
les religions chrétiennes et le judaïsme.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Très bien !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Le deuxième défi me paraît être économique : il est
indispensable d'administrer un antidote aux effets de la crise économique, qui
touchent en premier lieu les plus défavorisés de nos concitoyens. Une très
large majorité d'entre eux souhaitent gagner leur vie sans avoir recours à
l'assistance. Il nous faut donc créer des activités et emplois, permettre à
l'initiative individuelle de s'exprimer, y compris dans les quartiers les plus
défavorisés.
A cette fin, le plan poursuit l'oeuvre commencée par la loi du 4 février 1995
d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, en
modifiant la géographie de la politique de la ville et en créant des zones
franches. Il renforce le dispositif des emplois de ville résultant de la loi du
6 mai dernier portant réforme du financement de l'apprentissage.
Le troisième défi concerne l'urbanisme et l'organisation de la ville elle-même
: il reste indispensable de continuer à améliorer les conditions de vie de nos
concitoyens, leur environnement, ainsi que la desserte de leur quartier en
transports et en services publics. Nous ne résoudrons pas les problèmes en
faisant imploser les tours et les barres d'immeubles, même si cette opération
est parfois nécessaire. D'ailleurs, bien souvent, les habitants de ces
quartiers ne souhaitent pas partir ; c'est en effet là que résident leurs
parents et leurs amis, là qu'ils ont des souvenirs qui sont parfois les seuls
depuis leur enfance. Mais il nous faut rétablir les échanges, la diversité au
sein de toute la ville, rompre avec l'assignation à résidence de ceux qui
seraient enfermés, repliés dans leur quartier et mis au ban de la société.
Le projet de loi s'insère dans un dispositif ambitieux, volet législatif du
pacte de relance pour la ville. Nous l'avons déjà dit, les ministres viennent
de le présenter, le pacte de relance rompt avec l'approche antérieure des
problèmes de la ville en visant simultanément, ce qui nous paraît important,
six objectifs principaux. Il tend à maintenir et à créer des activités et des
emplois, notamment pour les jeunes, qu'il convient d'insérer pleinement en tant
que citoyens au sein de notre société. Il vise à rétablir la paix publique. Il
a pour but de rétablir l'égalité des chances grâce à une meilleure prise en
charge scolaire et périscolaire. Il a pour objet de rénover et de diversifier
les logements, de renforcer l'action des partenaires de la politique de la
ville, d'améliorer le fonctionnement et de renforcer la présence de services
publics dans ces quartiers.
M. Guy Fischer.
Ah ça, oui !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Le pacte de relance pour la ville prévoit, en outre, des
mesures en matière de santé et d'insertion sociale et culturelle. Sans
m'appesantir sur l'ensemble de ces mesures qui ont été rendues publiques au
mois de janvier dernier, je souhaite insister sur l'originalité de l'une des
plus importantes que nous allons examiner, à savoir la création de zones
franches.
En décidant de créer des zones franches urbaines au sein des zones de
redynamisation urbaine, le Gouvernement n'a pas choisi la voie de la facilité.
Il a dû mettre en oeuvre un vaste dispositif et recueillir l'assentiment de la
Commission européenne. Chargée de faire respecter les règles de concurrence
entre les Etats de l'Union européenne, la Commission a finalement approuvé le
dispositif.
Le Gouvernement est allé aussi loin qu'il lui était possible dans le cadre
fixé par nos engagements vis-à-vis de nos partenaires européens en ce qui
concerne la superficie et le nombre des zones franches, dont la population ne
peut dépasser 1 % de la population nationale.
Les zones franches sont délimitées dans les quartiers particulièrement
défavorisés compte tenu d'indices objectifs tels que le taux de chômage, le
pourcentage des jeunes et des non-diplômés, le potentiel fiscal des
communes.
Devant la commission spéciale, le ministre chargé de l'aménagement du
territoire et le ministre délégué à la ville et à l'intégration ont indiqué que
le dispositif serait adapté pour cerner au plus près les réalités locales au
sein de chaque commune ou de chaque quartier considéré et pour permettre
d'utiliser au mieux les espaces situés autour des quartiers en difficulté.
Voyant poindre, ici ou là, un certain scepticisme, la commission spéciale
s'est intéressée aux exemples étrangers en matière de zones franches, notamment
aux expériences belge et britannique.
Les autorités de Londres avaient choisi des zones en difficulté, mais sur des
sites déjà équipés en infrastructures. Globalement, les Britanniques ont pris
le parti d'abaisser très largement la fiscalité sur la production, notamment
sur l'amortissement et - c'est un point très important - d'assouplir
considérablement le dispositif administratif applicable dans les zones
franches. En un peu plus de dix ans, sur vingt-sept zones, ils sont ainsi
parvenus à créer plusieurs dizaines de milliers d'emplois pour un coût moyen de
29 000 francs par emploi, soit un coût légèrement inférieur au montant par
emploi de la prime d'aménagement du territoire.
A l'opposé, la Belgique, suivant les conseils de la Commission européenne, a
choisi de partir d'une
tabula rasa,
en situant ses zones franches sur
des terrains dépourvus d'infrastructures et en soumettant les entreprises à des
conditions d'éligibilité et à des conditions administratives très strictes et
fort compliquées. Cette politique n'a pas créé d'emplois ou n'en a engendré que
fort peu.
Aux Etats-Unis, un système d'apparence coûteuse, orienté d'abord vers
l'investissement en capital et secondairement vers l'emploi, a été institué
depuis un an.
Le pragmatisme britannique, même si nos zones franches urbaines n'ont pas tout
à fait le même objet ni la même localisation, doit nous enseigner les vertus
non seulement de la simplification fiscale et administrative, mais également
d'un certain esprit d'indépendance vis-à-vis de la Commission européenne.
A ce point du rapport, je souhaiterais rappeler succinctement l'économie même
du texte que nous allons examiner, mes chers collègues.
Le projet de loi tend tout d'abord à revitaliser l'activité économique, à
maintenir et à créer des emplois grâce à des dispositions fiscales et
sociales.
Parmi les dispositions fiscales figurent l'extension aux établissements
existants dans les zones de redynamisation urbaine du bénéfice de l'exonération
de taxe professionnelle - c'est nouveau par rapport à la loi du 4 février 1995
- ainsi que les dispositions applicables dans les zones franches urbaines. Ces
mesures sont les suivantes : exonération d'impôt sur le revenu et d'impôt sur
les bénéfices, exonération de taxe professionnelle sur une base élargie à trois
millions de francs au lieu de un million de francs, exonération de taxe
foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles affectés à des activités
économiques de proximité.
Par ailleurs, la commission spéciale proposera une réduction de la taxe sur
les assurances.
L'arme fiscale est également utilisée afin de mener une politique du logement
dynamique, grâce à des encouragements à la réhabilitation des immeubles lors
des opérations de restructuration urbaine et à l'investissement locatif
intermédiaire.
Le volet social n'est pas moins ambitieux. Il prévoit une exonération des
charges sociales patronales dans les zones franches urbaines, applicable aux
salaires inférieurs à une fois et demie le SMIC pour les entreprises de moins
de cinquante salariés, sous réserve qu'un cinquième des salariés embauchés
réside dans la zone franche.
Le pacte de relance dote les pouvoirs publics de moyens accrus pour améliorer
le cadre de vie dans les quartiers en difficulté. En effet, si, comme nous
l'avons dit, le malaise des quartiers n'est pas uniquement le résultat de choix
d'urbanisme, il en procède malgré tout largement.
Le projet de loi tend en conséquence à faciliter la réalisation d'opérations
d'aménagement urbain et d'opérations complexes. A cette fin, il permet, d'une
part, la création d'établissements publics
ad hoc
et, d'autre part, la
création d'associations foncières urbaines qui conduiront les opérations de
restructuration ; la plupart du temps, en effet, il s'agit de restructurer.
Désormais, les opérations de remembrement foncier s'opéreront de façon plus
aisée par l'exercice de prérogatives, telles que le droit de préemption ou
l'expropriation pour cause d'utilité publique, notamment à l'égard des
copropriétés dégradées. Cela n'interdit d'ailleurs pas l'intervention des
communes dans ces copropriétés dégradées pour maintenir ces dernières dans un
état convenable en attendant les procédures d'expropriation.
Par ailleurs, un établissement public national d'aménagement et de
restructuration des espaces commerciaux et artisanaux permettra de restructurer
les équipements commerciaux, puis de les remettre sur le marché.
Si la dimension « vitale » du commerce, pour les quartiers, est sans doute
aujourd'hui bien connue, il faut cependant insister sur l'importance d'une vie
commerciale diverse dans sa nature et dans ses activités et sur la nécessité de
veiller à ce qu'elle ne devienne pas le monopole de tel ou tel groupe humain ou
financier.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Très bien !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Des mesures importantes sont proposées pour préserver la
diversité de l'habitat. Elles prévoient notamment l'élaboration de programmes
locaux de l'habitat pour obtenir une répartition équilibrée de l'offre de
logements ainsi que la création de conférences intercommunales du logement
destinées à harmoniser les attributions des bailleurs sociaux.
Le texte vise à permettre la réhabilitation des copropriétés dégradées dans le
cadre fixé par le plan de sauvegarde arrêté sous l'autorité du préfet.
Enfin, les fonds de solidarité logement seront ouverts aux propriétaires
occupant leur logement situé dans une zone urbaine sensible et connaissant des
difficultés.
Comme M. le ministre délégué l'a indiqué, le projet de loi s'intéresse
également au renforcement de la vie associative. Il tend en effet à permettre
de créer des comités d'initiative et de consultation de quartier, sur
l'initiative du conseil municipal. Le texte propose également des mesures
facilitant la mise en paiement des dotations et subventions au profit des
associations, grâce à la constitution de fonds locaux associatifs.
J'en viens aux propositions de la commission spéciale. Cette dernière a
approuvé l'esprit et les principes du projet de loi : si elle considère que ce
texte constitue une importante avancée, elle juge néanmoins souhaitable d'en
enrichir encore le contenu.
La commission spéciale a voulu tout d'abord que, dans chaque zone franche
urbaine, un comité d'orientation et de surveillance soit chargé d'évaluer les
conditions de mise en oeuvre des mesures dérogatoires et de prévenir les
risques pouvant en résulter : distorsions de concurrence à l'intérieur des
zones et à l'égard des quartiers périphériques, lutte contre les « chasseurs de
primes », même si un dispositif existait déjà, mise en cause des équilibres
économiques et sociaux de la zone, particulièrement, comme le soulignait un
chef de projet au cours d'une audition à laquelle j'ai procédé, les risques de
« préemption ethnique », dans le domaine commercial notamment, facteur de
non-mixité.
La commission spéciale a estimé ensuite que la compensation des pertes de
recettes qui résulteront, pour les collectivités locales et leurs groupements,
des exonérations d'impôts locaux doit être prévue expressément par le texte de
loi - nous y tenons, messieurs les ministres - et ce pour la totalité de la
durée d'application de ces exonérations.
En outre, il lui a paru nécessaire de permettre aux collectivités locales qui
ont délibéré avant le 1er juillet 1996 sur les exonérations de taxe
professionnelle de délibérer à nouveau, afin de tirer les conséquences de
l'entrée en vigueur de la loi à compter du 1er janvier 1997.
La commission spéciale a aussi souhaité renforcer le dispositif fiscal. A cet
égard, M. Fourcade, président de la commission spéciale, M. Philippe Marini et
moi-même avons travaillé en liaison avec M. Lamassoure, ministre délégué au
budget. La commission spéciale a jugé utile de substituer aux critères actuels
qui permettent de déterminer le bénéfice exonérable des établissements situés
en zone franche une clé de répartition prenant mieux l'emploi en compte.
En outre, elle a introduit une clause expresse de localisation des
établissements exonérés d'impôts dans les zones franches urbaines afin d'exiger
d'elles qu'elles y possèdent des moyens d'exploitation.
Enfin, elle a souhaité rendre le dispositif fiscal plus incitatif pour les
entreprises installées dans les zones franches urbaines et pour les
contribuables qui investissent dans l'immobilier locatif neuf.
Par ailleurs, la commission spéciale a voulu élargir le régime d'exonération
sociale pour favoriser l'emploi. Considérant que le maintien du petit commerce
est indispensable à l'animation de ces zones et compte tenu du fait qu'un
certain nombre d'établissements implantés dans les futures zones franches n'ont
actuellement aucun salarié - vous avez évoqué tout à l'heure les rares
commerçants et artisans, monsieur le ministre - la commission spéciale souhaite
ardemment - elle est tout à fait déterminée à cet égard - étendre le dispositif
d'exonération sociale aux cotisations personnelles des commerçants et artisans.
C'est une mesure concrète de justice et de survie de l'activité commerciale et
artisanale dans nombre de ces quartiers, et nous y tenons vraiment beaucoup !
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Bravo ! Nous y tenons !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
La commission spéciale a également jugé indispensable
d'étendre aux entreprises d'insertion, aux associations intermédiaires et aux
régies de quartiers le bénéfice des exonérations sociales déjà prévues pour les
autres entreprises. Il lui est apparu nécessaire que la clause d'embauche des
résidents ne puisse conduire à une mise en cause de la responsabilité des
maires et que ses conditions d'application soient clarifiées afin de ne pas
constituer un frein aux embauches. A cette fin, elle a écarté toute durée de
résidence préalable.
Les emplois de ville sont une disposition importante du pacte de relance et,
sur ce sujet, je vous demande, au nom de la commission spéciale, chers
collègues élus et élus locaux, de ne pas laisser la place à un doute paralysant
alors que ces 100 000 emplois peuvent représenter une espérance importante. La
commission spéciale, sous l'impulsion notamment de notre collègue M.
Eckenspieller, souhaite - elle tient là encore beaucoup à cette disposition -
qu'un mécanisme d'assurance chômage soit mis en place pour les emplois de ville
dans des conditions analogues à celui qui existe d'ores et déjà pour les
contrats emploi-solidarité.
Je désire par ailleurs, messieurs les ministres, que soit engagé une réflexion
pour que cette possibilité d'emploi ne soit pas limitée aux seuls quartiers et
pour que les maires puissent l'étendre de façon motivée à tout ou partie de
leur ville. Voilà qui constitue peut-être aussi une réponse au besoin de
mixité. A cet égard, je me fais l'écho de mes collègues, Mmes Dominique Braye
et Nelly Olin qui, à Mantes-la-Jolie et à Garges-lès-Gonesse, mettent en place
actuellement une telle expérience.
Pour renforcer les instruments de la politique du logement, il est apparu
souhaitable à la commission spéciale que les conférences communales du logement
se réunissent au moins deux fois par an et que les bailleurs sociaux et les
titulaires de droits de réservation communiquent leurs objectifs en ce qui
concerne les travaux d'entretien, de réhabilitation et d'attribution des
logements.
La commission spéciale a également jugé nécessaire de mettre l'accent sur le
dispositif de garantie de paiement de loyer et de prévoir que ces fonds se
fixeront des objectifs généraux en termes de garantie de loyers aux personnes
et aux ménages installés en zone urbaine sensible.
Dans le cadre de l'élaboration de programmes locaux de l'habitat dans les
communes et groupements de communes dotés d'une zone urbaine sensible, le
principe de mixité sociale doit être affirmé comme un objectif. Pour favoriser
l'implantation de nouvelles activités, nous proposons de facilier la
transformation de locaux d'habitation en surfaces commerciales ou artisanales
ou en locaux professionnels par un régime de simple déclaration.
Pour résorber l'habitat dégradé dans les copropriétés, la commission spéciale
a prévu tout d'abord l'établissement d'un plan de sauvegarde du cadre de vie
des occupants de l'immeuble, qui constituera le cadre cohérent des mesures
nécessaires à une requalification des copropriétés dégradées. Elle a prévu
également la définition d'une procédure d'expropriation pour cause d'utilité
publique des copropriétés afin de lever les difficultés juridiques, tout en
l'accompagnant des garanties de fonds et de procédure au profit des
propriétaires intéressés.
Pour en revenir, une fois encore, à la vie commerciale, nous proposerons des
procédures déconcentrées pour l'aménagement et la restructuration des espaces
commerciaux et artisanaux. Un établissement public national nous paraît
nécessaire pour conduire ces opérations. Il doit pouvoir déléguer la maîtrise
d'ouvrage de ces opérations aux établissements publics d'aménagement et
recueillir, dans un court délai, l'avis - nous ne disons pas l'avis conforme
et, pour nous, un court délai signifie un mois - de la commission
départementale d'urbanisme commercial.
Il nous est également apparu nécessaire de ne pas négliger la place des
collectivités locales - nous retrouvons là encore le couple Etat-maire - dans
le fonctionnement de l'établissement public national. Ainsi, celui-ci pourra
passer des conventions avec les collectivités locales concernées.
Tout comme à vous, messieurs les ministres, il nous apparaît nécessaire de
mieux prendre en compte les associations dans la politique de la ville. Nous
avons cependant souhaité affirmer le caractère volontaire et conventionnel de
l'intervention des collectivités locales vis-à-vis de ces fonds. Nous devons
éviter de rigidifier les procédures pour ne pas bouleverser ce qui fonctionne
déjà - nous pensons, notamment, aux comités consultatifs - et il faut préserver
l'autonomie de décision des assemblées élues démocratiquement.
La commission spéciale a enfin souhaité, répondant en cela aux propos et aux
réflexions de M. Eric Raoult, adapter le dispositif législatif aux spécificités
de l'outre-mer. Pour ce faire, elle a aussi entendu un certain nombre des élus
concernés.
Six zones franches devant être créées outre-mer, nous avons estimé qu'il
convenait que la délimitation de ces zones tienne compte des particularités de
l'habitat local et que l'octroi des exonérations fiscales et sociales soit pris
en compte. Nous avons donc souhaité favoriser une meilleure articulation avec
le dispositif de la loi Perben, et notamment supprimer - nous verrons ce que
sera la réaction bruxelloise, mais soyons un peu « britanniques » sur ce sujet
- les restrictions à l'exportation.
Voilà donc, présentées à grands traits - pas trop longuement, je l'espère -
les principales lignes directrices des travaux de la commission spéciale.
Avant de conclure, j'aimerais vous faire part de quelques-unes des remarques
que m'ont suggérées ces semaines tout à fait passionnantes de travail, de
réflexion et de rencontre.
Il me paraît très important que la ville, qui est longtemps apparue comme un
facteur de promotion sociale et culturelle, retrouve une image positive dans
l'opinion publique. A cette fin, il est essentiel de ne pas associer au mot «
ville » les seules difficultés et de montrer les richesses que la cité peut
offrir à ses habitants, à ceux qui viennent y vivre, tant au plan social et
culturel qu'au plan économique. Pour cela, la ville doit rester un
millefeuilles de diversité, et non pas un amalgame non fusionné de communautés
refermées et repliées sur elles-mêmes.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - MM. les
ministres applaudissent également.)
Le père Delorme, que nous avons entendu, nous parlait des quartiers en
difficulté et évoquait « leurs ombres et leurs lumières ». Evitons, dans ce
clair-obscur, de ne voir que la seule ombre en ne regardant que les seules
images médiatiques trop souvent négatives. Oui, les médias contribueraient - à
leur mesure, qui est immense - à transformer l'image de la cité en renvoyant
aussi l'image des efforts de tous ceux qui y vivent et qui travaillent à la
modeler selon les besoins de nos concitoyens.
Enfin je voudrais, monsieur le ministre, évoquer la situation de celles et de
ceux qui, au quotidien, dans nos collectivités locales, accueillent jeunes et
moins jeunes dans les ateliers de quartiers, sur les terrains de sport, dans le
cadre des opérations ville-vie-vacances - vous avez évoqué, messieurs les
ministres, les 800 000 jeunes qui ont été accueillis cet été - et qui sont à
nos villes devenus tout aussi importants que ceux qui assument les services
techniques ou d'urbanisme. Ils ne sont toujours pas reconnus !
Etre animateur, ce n'est pas faire un petit boulot, un « job » du soir, du
mercredi ou des vacances, c'est aussi et d'abord être un référent, un «
accueillant ». C'est un service public de relations humaines qui atteint
aujourd'hui sa maturité et a besoin d'être reconnu par la création d'une
véritable filière. Qu'en est-il, messieurs les ministres, des propositions en
cours de discussion sur ce sujet devant le Conseil supérieur de la fonction
publique ?
Croire en l'homme et croire en la cité, refuser le développement séparé, voilà
l'objectif. Sans doute ce pacte de relance est-il l'une des dernières chances
pour le pacte républicain et contre le développement séparé, milieu de culture
- un biologiste dirait boîte de Petri - qui conduit à l'exclusion.
Ce sont peut-être des mots, sans doute de trop grands mots, mais il nous faut
réussir cette politique. Nous pouvons, sur ces travées, avoir des approches
différentes, douter ou être las. Pourtant, nous devons partager une même
volonté de faire réussir la société urbaine non pas contre la société rurale,
mais avec elle.
La société urbaine sera la société du siècle qui arrive, une société diverse
mais non éclatée, une société qui préserve les principes fondamentaux de notre
République.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
- MM. les ministres applaudissent également.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Monsieur le président, messieurs les
ministres, mes chers collègues, la constitution d'une commission spéciale pour
examiner un projet de loi portant sur plusieurs domaines d'application n'est
pas une tradition au Sénat. Si nous avons tenu à constituer une telle
commission, c'est d'abord pour rassembler toutes les compétences qui, dans
cette assemblée, connaissent par le menu les problèmes de la vie dans les
quartiers en difficulté ; c'est aussi parce que, au-delà des clivages
politiques et des différences de sensibilité, nous avons été conscients que
nous pourrions ainsi focaliser l'examen de ce projet de loi, en auditionnant
largement tous ceux qui sont intéressés à cette activité tout en dressant de
manière précise l'inventaire - M. le rapporteur vient de le montrer pour les
zones franches - de ce qui se fait à l'étranger afin d'éviter de répéter
certaines erreurs et de prendre exemple sur ce qui a pu réussir à
l'extérieur.
Vous avez pu constater, messieurs les ministres, en entendant notre excellent
collègue Gérard Larcher - tout le monde connaît et son talent et son
volontarisme, et les deux sont essentiels dans cette affaire - que notre
commission spéciale a très largement auditionné et beaucoup inventorié.
Elle vous proposera d'apporter à ce projet, sans remettre en cause ni la liste
ni le nombre des zones franches, ni même l'équilibre général du texte, un
certain nombre de modifications qui vont, je l'espère, dans le bons sens.
Après avoir remercié tous nos collègues qui ont participé activement aux
travaux de la commission spéciale tout au long du mois de septembre, je
bornerai mon propos à quatre observations relatives à la sécurité, à
l'insertion des jeunes, à l'unicité de l'Etat et au rôle du maire.
Dans un souci dialectique, je réunirai ces observations en deux propositions.
Je crois en effet, conforté en cela par les auditions auxquelles nous avons
procédé, que, s'il est fondamental de rétablir l'ordre et la sécurité, il faut
en même temps faciliter davantage l'insertion des jeunes dans la vie
professionnelle, car les deux sont liés. Il est, par ailleurs, nécessaire
d'assurer l'unicité de l'Etat et de faire cesser les querelles entre
administrations. Mais cette restauration du rôle de l'Etat et de son unicité
dans une déconcentration accrue des pouvoirs en direction des préfets implique
un renforcement du rôle du maire, qui doit être au coeur du dispositif du pacte
de relance pour la ville.
Premier point : la sécurité.
M. le rapporteur l'a dit avant moi, le rétablissement de l'ordre et de la
sécurité des personnes et des biens constitue un objectif prioritaire car, s'il
n'était pas atteint, l'argent que nous allons affecter aux incitations
financières serait gaspillé en pure perte. Un certain nombre des dirigeants
d'entreprises que nous avons auditionnés nous ont indiqué qu'en moyenne les
dépenses de sécurité pour les établissements situés dans des zones urbaines
sensibles représentaient aujourd'hui le quart de leurs charges. Les activités
ne se développeront, grâce aux incitations fiscales, que si ces zones
retrouvent des conditions normales de sécurité ; autrement, les exonérations
prévues ne compenseraient pas les risques ou les inconvénients, et j'ai peur
que le découragement que nous avons senti fuser un peu partout, à Creil autant
qu'à Garges-lès-Gonesse, à Mantes autant qu'à Vaulx-en-Velin, à Roubaix autant
que dans l'Ouest, ne se généralise.
Nous avons longuement interrogé le directeur général de la police nationale,
dont le rôle est essentiel en la matière. Il nous a déclaré que la délinquance
accompagnée d'actes de violence progressait, contrairement à un certain nombre
de déclarations lénifiantes que nous entendons ici et là. Ainsi, au premier
semestre de 1996, les plaintes pour coups et blessures volontaires ont augmenté
de 12 % par rapport à la même période de 1995. Par ailleurs, la délinquance des
mineurs s'est aggravée entre 1995 et 1996. Elle représentait 16 % de l'ensemble
des actes de délinquance en 1995, contre 18,5 % du total en 1996. Or un lien
étroit existe entre l'augmentation de la délinquance des mineurs et la
progression de la délinquance assortie d'actes de violence, et tous nos
interlocuteurs nous ont dit que la délinquance était de plus en plus le fait de
mineurs de douze à quinze ans.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Ce phénomène rend très difficiles
les réponses à apporter à ce type de délinquance et rend nécessaire, pour les
forces de police, une formation complémentaire. En effet, les très jeunes
délinquants ne peuvent être traités comme ceux qui manifestent, par exemple,
pour des revendications salariales ou politiques. Il est donc évident que la
formation doit être, aujourd'hui, au coeur de notre politique en matière de
police.
La mise en place des procédures de comparution à délai rapproché - dans un
délai de trois mois pour le mineur - ou de plans départementaux de prévention
va dans le bon sens, comme le redéploiement des effectifs de police. Ces
mesures, vous les avez annoncées au mois de janvier. Mais il faut prévoir à
bref délai un élargissement des horaires d'ouverture des équipements et des
services publics. A quoi sert, en effet, un poste de police implanté dans un
quartier en difficulté s'il ferme à dix-neuf heures alors que, chacun le sait,
les actes de délinquance sont le plus souvent commis entre vingt heures et
minuit ?
Il faut également améliorer la répartition des effectifs. A cet égard, M. le
ministre délégué à la ville et à l'intégration ne sera pas étonné que je
rappelle devant cette assemblée - cela figure dans un document officiel ! - que
les effectifs de sécurité publique des sept départements périphériques de la
région d'Ile-de-France sont identiques à ceux de la seule ville de Paris, alors
que le nombre de plaintes et de délits y est deux fois plus élevé que dans la
capitale.
On me rétorquera qu'il y a d'un côté un préfet de police et de l'autre des
directeurs départementaux de sécurité urbaine, que de vieilles habitudes
demeurent. Mais tout cela ne résiste pas devant la montée de la délinquance et
devant le fait que nos policiers sont insuffisamment nombreux, insuffisamment
formés et qu'ils travaillent peu pendant les heures où sont commis les actes de
délinquance. Des réformes doivent donc être menées à bien par l'Etat et nous
attendons du Gouvernement qu'il les mette en oeuvre de manière claire.
Quelles que soient les dispositions prises - M. le rapporteur a évoqué la
place du service national ou le rôle que peuvent jouer les gardiens d'immeuble
ou les responsables d'association - les mesures financières et sociales qui
sont prévues n'auront pas d'effet si la sécurité n'est pas partout rétablie.
Les Français doivent se sentir tranquilles, la protection de leurs biens et de
leur personne doit être assurée.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Et, disant cela, je crois
traduire l'avis unanime de la commission spéciale.
Etroitement lié à ces problèmes de sécurité, le défi fondamental que nous
avons à relever - c'est mon deuxième point - c'est celui de l'insertion
professionnelle des jeunes qui vivent dans ces quartiers et qui, du fait de
l'origine de leurs parents, sont en général plus nombreux et plus exigeants que
ceux des autres quartiers.
Le pacte ne servirait à rien si nous ne saisissions pas l'occasion, en nous en
donnant les moyens, d'aider les jeunes à entrer dans la vie active. Dois-je
rappeler, mes chers collègues, que les dernières statistiques de l'ANPE
montrent que 600 000 jeunes de catégorie I, soit 24,5 % de la population active
du même âge, sont au chômage et que - M. Gaudin l'a dit tout à l'heure - dans
les quartiers dont nous parlons, ce taux de chômage des jeunes est parfois
multiplié par 1,5 ou 2, ce qui soulève un certain nombre de difficultés ?
Notre expérience de maires et d'élus locaux sur le terrain, corroborée par les
auditions auxquelles nous avons procédé, nous montre que ce problème de
l'insertion professionnelle est particulièrement grave lorsqu'il s'agit de
familles où les parents sont au chômage ou font l'objet de mesures d'assistance
depuis longtemps. Ces fils ou filles de chômeurs, d'assistés ou de RMistes
posent un problème particulier que l'on ne peut pas traiter avec des méthodes
standard de type ANPE ou assistance sociale. Nous devons d'abord leur expliquer
comment on peut organiser sa vie à partir du travail, et non pas à partir de
l'attente de la pension mensuelle, et comment on peut essayer d'organiser sa
propre insertion professionnelle.
Les propositions contenues dans le pacte de relance pour la ville qui ont
trait au problème de la qualification des jeunes doivent viser à mettre en
place autre chose que des « petits boulots » et des « stages parking ».
Quand on questionne les jeunes de ces quartiers sur leurs éventuelles
motivations ou sur leur demande en matière de vie professionnelle, tous
répondent qu'ils en ont assez de se faire renvoyer d'un guichet à l'autre pour
apprendre quelque chose qui n'apporte pas de réponse aux problèmes de fond, à
savoir, très souvent, l'illettrisme et l'absence de qualification.
A cet égard, trois filières doivent être développées de manière forte et
continue.
La première, c'est l'apprentissage, qui, à condition que les maîtres
d'apprentissage, dans le secteur privé ou dans le secteur public, soient bien
choisis, permet aux jeunes de s'insérer dans une structure qui est faite pour
eux et permet d'accéder à un métier.
La deuxième filière, ce sont les emplois de ville - c'est ce que vous nous
proposez, messieurs les ministres - emplois qui doivent offrir des perspectives
au-delà de la période couverte par le contrat lui-même, notamment, comme l'a
demandé M. le rapporteur, en matière d'assurance chômage.
Enfin, la troisième filière, c'est l'ensemble des mécanismes d'alternance, que
nous devons développer dans nos collèges et nos lycées et que nous pouvons
mettre en oeuvre avec les entreprises. A cet égard, aucune réforme d'ensemble
ne sera efficace si elle ne s'accompagne pas, sur le terrain, d'une discussion
quotidiennne entre les chefs d'entreprises - petites, moyennes ou grandes - les
autorités municipales, les associations et les jeunes.
Il faut trouver des systèmes de recherche d'emploi qui correspondent aux
attentes des jeunes aujourd'hui.
Après la sécurité, l'insertion professionnelle est donc bien le deuxième point
fondamental de notre dossier.
Le troisième point - M. le rapporteur l'a évoqué - c'est l'unicité de
l'Etat.
Que ce soit au cours de nos auditions ou sur le terrain, nous avons été
frappés de constater, messieurs les ministres, que, alors que la
décentralisation est entrée dans les faits, la déconcentration suscite toujours
beaucoup de difficultés au sein des administrations de l'Etat.
Voir l'administration fiscale venir vérifier un commerçant en grande
difficulté dans un quartier où les affaires ne vont plus, voir un recteur ou un
inspecteur d'académie, qui a sa propre logique en matière de zones d'éducation
pédagogique, s'opposer à un maire qui souhaiterait qu'on avantage plutôt tel
groupe scolaire ou tel quartier, voir qu'à Strasbourg, par exemple, ainsi que
nous l'a signalé son maire, on ferme un hôpital militaire dont plus du tiers du
personnel réside dans le périmètre de la future zone franche - et ce alors
qu'on parle d'insertion professionnelle et de développement des activités dans
cette même zone franche ! - voir que l'on diminue un certain nombre de
financements en matière de logement et de transport, voir qu'il y a une absence
totale de politique volontariste de désenclavement des quartiers en difficulté
grâce à des systèmes de transport comportant des plages horaires et des
mécanismes de prise en charge des dépenses différents, tout cela souligne la
nécessité d'une réorganisation des services administratifs sur le terrain.
Le préfet ou le sous-préfet chargé de la ville doit pouvoir faire travailler
ensemble les services sociaux, fiscaux, les services de l'emploi, de la
sécurité, de l'équipement, etc.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Il est là pour cela !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Ce retour à la cohérence entre les
différents services publics, sous l'autorité du préfet, est donc la troisième
condition fondamentale pour que cette réforme aboutisse. Sans amélioration de
la sécurité, sans réponse positive à la demande d'insertion des jeunes dans la
vie professionnelle, sans rétablissement de la cohérence de l'action
administrative, nous dépenserons de l'argent sans obtenir de résultats
satisfaisants.
M. le rapporteur a parlé en des termes que j'approuve entièrement du problème
de la mixité sociale. Un certain nombre d'outils existent, notamment les
conférences communales du logement, la dispense de paiement du surloyer -
permettez-moi de vous renvoyer à tous les textes connus.
M. le rapporteur a également évoqué le problème de l'organisation de l'islam,
problème de fond qui concerne la totalité de nos villes et de nos quartiers en
difficulté. Par « organisation de l'islam », nous entendons simplement,
messieurs les ministres, que les imams qui disent la prière le vendredi ne
soient pas recrutés n'importe où et par n'importe qui.
Nous souhaitons que la religion musulmane s'enracine parce que, en dépit de ce
que racontent certains médias ou certains ignorants en matière de religion,
elle porte des valeurs qui sont nécessaires à l'encadrement des jeunes et à
leur développement harmonieux. Simplement, nous souhaitons que, à l'inverse de
ce qui se passe pour d'autres religions, ce ne soit pas n'importe qui qui
raconte n'importe quoi à l'ensemble des jeunes qui se réclament de cette même
religion !
M. Philippe Marini.
Très juste !
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Mgr Gaillot !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Vous avez tout à fait raison de
souligner que cela dépasse l'islam, monsieur le ministre !
J'en viens à mon quatrième et dernier point.
Messieurs les ministres, que ce soit dans le texte du projet, par certains
aspects, ou dans certaines interventions de nos collègues de l'Assemblée
nationale, nous avons senti comme une légère défiance à l'égard des maires : on
donne davantage de pouvoirs aux comités locaux associatifs, on fait traiter un
certain nombre d'affaires par le sous-préfet à la ville, on organise un certain
nombre de mécanismes, on crée des établissements publics nationaux, etc.
Ce serait une erreur d'aller dans cette voie, quelle que soit la qualité
fondamentale des fonctionnaires qui s'occupent de ces questions.
En effet, je rappelle, tout d'abord, que le maire est élu - il est bon
de le rappeler aux fonctionnaires de temps à autre !
(Sourires.)
Il
soumet son mandat tous les six ans au suffrage de ses concitoyens.
Je relève aussi que ses administrés peuvent chasser un maire.
M. Philippe Marini.
Et non un fonctionnaire !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Notamment lors des dernières
élections, ce fut le cas d'un certain nombre d'entre eux !
La sanction populaire est beaucoup plus importante que les sanctions
administratives ou les fléchettes... pardon ! les observations des chambres
régionales des comptes.
Le maire doit être placé au coeur du dispositif parce que c'est lui qui a la
légitimité démocratique, parce que c'est lui qui est l'interlocuteur normal de
l'ensemble des acteurs de la ville, parce que c'est lui qui constate sur le
terrain les éléments positifs et négatifs de l'ensemble des politiques
nationales, régionales, départementales et locales.
Hier, lors d'une réunion des maires de mon département - il faut bien que les
sénateurs rencontrent les maires de leur département ! - j'ai rencontré le
maire d'une ville qui, cette année, va perdre à la fois la dotation de
solidarité urbaine, la DSU et la dotation spéciale de solidarité de la région
d'Ile-de-France. Et comme dans cette même ville, hélas ! à la suite d'une
gestion précédente déséquilibrée, la chambre régionale des comptes a proposé
une majoration des impôts locaux de plus de 50 %, le malheureux maire, qui a 76
% d'HLM dans son parc immobilier, est confronté à des problèmes budgétaires
importants. Ce n'est pas en organisant des comités locaux associatifs ou en
créant des établissements publics gérés sur le plan national qu'on réglera ces
problèmes !
Messieurs les ministres, pensez aux maires ! La réussite de la politique de la
ville passe par la démocratie locale et par le respect des élus locaux. Nous
sommes ici au Sénat de la République, dont vous avez été membre, monsieur le
ministre.
Il est clair que, dans le dossier qui nous occupe, les quatre clés de la
réussite sont la sécurité, l'insertion des jeunes, la cohésion des services de
l'Etat et le rôle irremplaçable du maire.
Tel est le message que la commission spéciale m'a chargé de vous transmettre,
messieurs les ministres. Puisse-t-il être entendu, non seulement ici - je pense
qu'il le sera - mais également dans l'autre assemblée, et surtout dans le pays.
En effet, comme l'a dit très justement M. Gérard Larcher avec le talent et la
conviction qu'on lui connaît, ce pacte de relance est un peu la dernière chance
pour éviter d'en arriver, comme d'autres pays, aux ghettos et aux heurts entre
communautés.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis.
Vous avez choisi l'expression juste, monsieur le ministre de l'aménagement du
territoire, en exprimant votre volonté de réduire une « fracture territoriale
». Cette fracture territoriale regroupe les caractéristiques de la fracture
sociale et d'un urbanisme qui tend à mettre à part une fraction de la
population urbaine.
Les effets du chômage, d'une part, ceux d'une insuffisante intégration de la
population immigrée, d'autre part, conduisent tout à la fois vers la pauvreté,
la désespérance, la délinquance et l'insécurité dans certaines zones
urbaines.
Je ne voudrais cependant pas aborder les nouvelles perspectives qu'ouvre le
projet de loi relatif à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville
sans reprendre, comme l'a fait M. le rapporteur, l'expression employée par le
père Christian Delorme au cours de son audition par la commission spéciale : «
Ces quartiers sont faits d'ombre et de lumière », a-t-il dit, en mettant en
garde contre toute stigmatisation et aussi contre trop de médiatisation.
« Il faut en parler moins, a-t-il ajouté, il n'y a pas de climat de haine,
mais beaucoup de sang-froid : 60 % des habitants sont bien insérés socialement
et professionnellement. Il faut admirer les gens qui font tant d'efforts et
leur dire : " Vous êtes formidables ! " »
Nous devons donc veiller à ce que la population de ces quartiers ressente la
même considération de la part de la société que celle qui lui serait accordée
dans d'autres lieux et prendre en compte sa diversité et son besoin de
reconnaissance sociale.
Nous savons que les zones recensées comme zones sensibles, zones de
redynamisation ou zones franches présentent des traits communs, mais elles
relèvent de traitements gradués et différenciés selon leurs difficultés
propres.
Les mesures les plus efficaces seront non pas forcément les plus
spectaculaires, mais plutôt celles dont l'effet préventif se fera sentir à
temps.
Permettez-moi, messieurs les ministres, mes chers collègues, de donner mon
sentiment sur quelques aspects du pacte de relance et du projet de loi relatif
à sa mise en oeuvre, à savoir la sécurité, les mesures de nature économique, la
restructuration urbaine, les bailleurs sociaux et les emplois de ville.
Je traiterai d'abord, pardonnez-moi d'y insister, de la sécurité.
Sans un effort significatif, sans un effort accru en faveur du maintien de la
sécurité des biens et des personnes, le pacte de relance pour la ville ne
saurait porter de fruits, tout au plus créerait-il une embellie sans
lendemain.
A elle seule, la délinquance des mineurs pose un problème essentiel. Or,
jusqu'ici, elle évolue dans une relative impunité. Allons-nous enfin connaître
une véritable réponse judiciaire à cette délinquance juvénile ? La comparution
à délai rapproché, la création d'unités d'encadrement éducatif renforcé
constituent des moyens nouveaux. MM. Eric Raoult et Jean-Pierre Fourcade y ont
fait allusion. Mais ces moyens seront-ils suffisants ?
Par ailleurs, pour préparer l'avenir, une politique globale est-elle
réellement mise en place à partir de la petite enfance jusqu'à l'adolescence
?
Nous devrions nous occuper davantage de faire en sorte que de véritables liens
puissent être noués entre l'enfant, les parents, l'école et les intervenants
sociaux.
L'investissement personnel de chaque responsable doit s'insérer dans une
concertation forte des acteurs locaux avec deux objectifs : assurer la mise en
confiance de l'enfant à l'égard des lieux et des personnes, lui donner le goût
de la pratique d'activités telles que le sport, la musique...
L'accompagnement réussi des adolescents dans ces quartiers passe, bien sûr,
par des perspectives d'emploi mais aussi par la prise en considération des
problèmes de la famille et de l'enfance.
Les mesures à caractère économique, quant à elles, sont les plus innovantes du
projet de loi. Elles vont donner plus d'ampleur aux mesures d'exonération
d'impôts et de charges sociales préexistantes, notamment à celles qui furent
instituées par la loi d'orientation du 4 février 1995.
L'instauration d'une procédure d'agrément des entreprises susceptibles de
s'installer dans les zones franches urbaines aurait permis de se prémunir
contre les risques de distorsion de concurrence et de veiller à la cohésion des
zones.
La commission spéciale s'est finalement prononcée en faveur de la mise en
place d'un comité d'orientation et de surveillance ayant pour mission de
présenter un bilan retraçant l'évolution des activités économiques de la zone
et de faire toutes propositions destinées à renforcer l'efficacité du
système.
Cette disposition est à rapprocher de celle qui prévoit le dépôt par le
Gouvernement, chaque année, sur le bureau de chacune des assemblées, d'un
rapport sur l'application de la loi, notamment sur les effets de la création
des zones franches urbaines.
Je souhaite que ces procédures n'aient pas un caractère purement formel.
La transformation de l'usage d'appartements situés en pied d'immeubles dans
les zones sensibles est également à encourager. Elle est de nature à faciliter
l'accueil d'activités les plus diverses - petits commerces, artisanat - et, par
suite, à permettre le développement d'une véritable vie urbaine.
Notre proposition - que vous ferez vôtre, je l'espère - tendant à
l'exonération d'une partie des cotisations sociales des travailleurs
indépendants - commerçants et artisans - dans les zones franches se fonde sur
la même préoccupation : la vie au pied des immeubles.
Je traiterai maintenant de la restructuration urbaine.
Des perspectives très intéressantes sont ouvertes par la création d'organismes
habilités à conduire des opérations de restructuration urbaine et d'aménagement
d'espaces commerciaux et artisanaux.
Par une série d'interventions « chirurgicales », il faut résolument s'éloigner
des utopies urbanistiques, prendre la ville traditionnelle comme modèle,
reconstituer des noyaux d'urbanité. C'est dans sa globalité, dans sa
géographie, à partir de son centre historique que la ville doit être objet de
recherches pour corriger le mal-être urbain.
De telles opérations devront permettre de réintroduire une stratégie de mixité
sociale et de contrecarrer les évolutions de densification jugées
défavorables.
Elles requerront l'accord des maires, qui doivent être placés au coeur du
dispositif - M. le président Fourcade l'a rappelé en termes persuasifs - comme
ils le furent jusqu'ici pour toutes les actions d'aménagement et de
développement sur le territoire de leur commune.
Je traiterai enfin des bailleurs sociaux.
Les offices, les sociétés d'HLM et les sociétés d'économie mixte ont été les
partenaires des collectivités territoriales pour la réalisation des grands
ensembles immobiliers. Ils le demeurent pour leur gestion. Ils sont aujourd'hui
concernés par le pacte de relance pour la ville. Qu'ils soient largement
associés à sa mise en place me paraît opportun. En particulier, il convient
qu'ils deviennent compétents pour procéder aux actions d'aménagement et de
restructuration urbaine.
Les mêmes bailleurs sociaux ont à faire face à un taux d'impayés élevé dans
les zones sensibles : en moyenne 6 %, soit quatre fois plus que sur l'ensemble
du parc.
Ce problème ne pourra être ignoré ni lors de l'élaboration des programmes
locaux de l'habitat ni par les conférences communales du logement.
En outre, pour accompagner tant l'élargissement de leur mission aux
propriétaires en difficulté que la dégradation de la situation financière des
familles, le fonds de solidarité du logement nécessitera de larges compléments
de dotation.
Je vous dirai à présent quelques mots au sujet de la création des emplois de
ville, initiative parallèle au soutien de l'embauche, par les entreprises, de
salariés qui résident dans les zones franches.
Ces emplois doivent être considérés comme de véritables emplois, répondant à
de vrais besoins. Ils relèvent toutefois de la discrimination positive qui a
présidé à la définition des zones.
Je suggère que, dans un souci de lisibilité, de clarification et de
simplification, les contrats d'emplois consolidés établis par les collectivités
territoriales - cadre réglementaire dont relèvent les emplois de ville -
reçoivent eux-mêmes l'appellation d'emplois de ville. Par ailleurs, je souhaite
bien évidemment le maintien d'un quota au bénéfice de jeunes qui habitent dans
les zones sensibles.
En conclusion, je tiens à vous dire, messieurs les ministres, que le groupe de
l'Union centriste apportera son soutien à votre projet de loi, judicieusement
amendé par la commission spéciale.
Au nom de mon groupe, j'adresse au président de la commission spéciale, M.
Jean-Pierre Fourcade, et à son rapporteur, M. Gérard Larcher, mes compliments
pour la qualité très remarquable du rapport et des amendements qui seront
présentés.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Merci !
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je tiens
à dire d'emblée que je me félicite d'avoir participé aux réunions de la
commission spéciale, présidée par M. Jean-Pierre Fourcade. J'ai par ailleurs pu
apprécier une nouvelle fois - comme vous tous, mes chers collègues - la force
de conviction et la rigueur de pensée de notre rapporteur, M. Gérard Larcher.
Je leur rends hommage pour la manière dont ils ont conçu leur tâche, car ils
nous ont permis d'aller au fond du débat.
Nous voilà donc réunis pour traiter de ce pacte de relance pour la ville.
Permettez-moi tout d'abord de formuler quelques remarques sur cet intitulé.
Celui-ci revêt tout son sens.
M. Guy Allouche.
Il est impropre !
M. Philippe Marini.
Nous parlons d'un pacte. De quoi s'agit-il ?
M. Guy Fischer.
On en parle de plus en plus !
M. Ivan Renar.
Il ne s'agit pas du pacte germano-soviétique !
M. Philippe Marini.
Je vous en prie, mes chers collègues, soyez sérieux, n'ayez pas d'obsession
orientale !
M. Ivan Renar.
C'est une expiation !
(Sourires.)
M. Philippe Marini.
Revenons, je vous en prie, à l'histoire telle qu'elle se fait et aux problèmes
de société !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
S'il est question de pacte, c'est
bien parce qu'il s'agit d'un problème de société.
Il s'agit d'un « contrat social » passé entre trois catégories de partenaires,
à savoir l'Etat, les collectivités territoriales, essentiellement les communes,
et les habitants des quartiers. Et c'est ensemble que nous arriverons à traiter
et, éventuellement, à régler certains des problèmes qui se posent.
Il s'agit également d'une relance, ce qui signifie que la politique de la
ville existe mais, comme MM. les ministres ont le réalisme et la modestie de le
reconnaître, qu'elle nécessite un nouveau souffle, un nouveau départ.
Il s'agit enfin de la ville, c'est-à-dire du creuset où viennent se fondre des
personnes d'origines extrêmement diverses. Selon moi, il faut avoir une vision
positive de la ville, comme cela a été indiqué à de nombreuses reprises. Mes
chers collègues, la ville doit redevenir ce qu'elle était dans le passé,
c'est-à-dire synonyme de liberté. Au xixe siècle, elle était perçue comme le
lieu de l'égalité des chances, plus que la campagne où l'on était enfermé par
une sorte de conformisme social. Je ne fais pas nécessairement miennes ces
distinctions, mais il faut reconnaître qu'elles ont du sens.
Quand nous évoquons la ville, faisons preuve d'esprit positif et valorisons
les initiatives, très nombreuses, qui y existent.
Si nous ne le faisions pas ou si, au contraire, nous développions
essentiellement une vision négative,catastrophique, de ce qui se passe dans ces
quartiers, nous prendrions naturellement le risque, que certains prennent parce
qu'ils y sont intéressés, d'y développer les extrémismes, les haines entres les
communautés ou entre leurs habitants.
Que devons-nous inscrire dans ce pacte ? Pour ma part, je vois trois chapitres
: changer l'urbanisme, respecter la loi et développer l'emploi. Nous couvrons
ainsi l'ensemble du problème.
Tout d'abord, il convient de changer l'urbanisme. Nous héritons d'un urbanisme
du quantitatif, celui des années soixante et soixante-dix, celui des « trente
glorieuses » où il convenait de fabriquer des logements qui furent conçus comme
des produits de consommation répétitifs.
On a eu parfois l'ambition de casser les rues, de casser les places et
d'imaginer une sorte de modèle nouveau avec cet urbanisme de barres, qui était
une utopie. Il faut revenir à l'urbanisme des quartiers, l'urbanisme de la
place, retrouver des ambiances de convivialité...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Très bien !
M. Philippe Marini.
... dans des lieux qui, il faut le reconnaître, sont parfois, sur le plan
esthétique, des lieux de laideur et d'inhumanité.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Très bien !
M. Philippe Marini.
Il faut donc d'abord changer l'urbanisme, c'est-à-dire le cadre extérieur,
faire en sorte qu'il soit respecté, puis arriver à une certaine mixité sociale
- c'est l'un des objectifs essentiels du projet de loi - avec les programmes
locaux de l'habitat, des progrès à réaliser en matière d'attribution des
logements grâce à des systèmes de nature partenariale tels que les conférences
communales et intercommunales du logement. Il faut faire en sorte que les
différentes catégories sociales reviennent dans ces quartiers périphériques,
grâce notamment aux mesures qui, dans le projet de loi, tendent à faciliter la
réhabilitation des copropriétés ou à relancer, on peut l'espérer,
l'investissement privé dans certaines conditions.
En deuxième lieu, mes chers collègues, et c'est évidemment tout à fait
essentiel, il faut respecter la loi, la loi pour tous, la loi républicaine, qui
définit les situations régulières et les situations irrégulières, qui permet de
prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le travail clandestin,
contre les situations irrégulières dans lesquelles se trouvent certains
étrangers au détriment de tous les autres, etc.
Respecter la loi, cela veut dire, lorsque l'on incarne l'Etat ou la
collectivité locale, être en mesure d'aller partout, donc ne pas accepter de
zones de non-droit, faire prévaloir partout une atmosphère de sécurité, par
exemple mettre en place les moyens nécessaires en matière d'îlotage, notamment
le soir et surtout la nuit, comme l'a très justement dit M. le président
Fourcade. En effet, lorsque l'on organise une police municipale ou un
commissariat de police, il est clair que l'on doit tenir compte des besoins
sociaux et que ces derniers se situent essentiellement dans les créneaux
horaires qui ont été cités.
Bien sûr, respecter la loi suppose la participation de tous. Cela suppose
aussi d'être en mesure de raisonner en termes de prévention et de répression :
prévention avec toutes les actions sociales qui vont être développées,
notamment grâce aux contrats de ville et aux médiateurs urbains ; répression,
par exemple, dans un domaine auquel j'attache personnellement beaucoup
d'importance : la lutte contre la toxicomanie.
Mes chers collègues, il est clair qu'il n'y a pas drogues « douces » et
drogues « dures ». Nous sommes en présence d'un seul circuit économique de la
drogue qui obéit à une logique : la recherche incessante de nouveaux
consommateurs que l'on appâte, pour qu'ils fassent comme les autres, par la
consommation de drogues dites douces, et qui apportent évidemment leur force de
consommation et leur argent à des circuits qui sont beaucoup plus sophistiqués
et étendus, qui relèvent de la criminalité organisée et qui représentent un
chancre dans la société.
Ne baissons pas la garde en ce domaine ! Sachons que bien des problèmes dans
les quartiers dégradés proviennent de la drogue de l'argent facile de la drogue
et des tentations que cela induit : tentations d'être libres grâce à l'argent
gagné en dehors de toute norme et de tout circuit. Il en résulte le risque de
créer des modèles, ou des antimodèles, pour toutes sortes de jeunes que l'on
peut ainsi appâter, car ils sont désorientés et donc sujets à ces
tentations.
Bien entendu, messieurs les ministres, le troisième chapitre du pacte, qui est
l'essentiel, car il doit permettre de répondre aux deux autres, c'est le
développement de l'emploi. Je l'évoquerai brièvement.
Je crois aux zones franches urbaines, à condition que l'on y crée des emplois,
c'est-à-dire si vous acceptez ou si vous obtenez de les délimiter en y incluant
des zones d'entreprises. En effet, ce n'est pas uniquement avec quelques
activités commerciales au pied des immeubles, même si l'on admet qu'elles
échappent à la préemption ethnique qu'évoquait M. Larcher, que l'on arrivera à
créer ce mouvement de dynamisation, de création d'emplois.
Il faut que, en quelques endroits au moins, il y ait, côte à côte, des zones
d'habitat et des zones d'emploi pour que l'effet de levier soit suffisant et
suffisamment efficace ; nous y reviendrons certainement au cours du débat.
Il faut développer l'emploi en veillant à la concurrence avec ce qui se passe
à l'extérieur des zones et en maintenant l'équilibre non seulement entre le
commercial et le non-commercial, le productif et les services, mais aussi en
termes de mode de vie et de représentation de modèles sociaux.
Bien entendu, si l'on veut développer l'emploi, cela suppose de manier comme
il convient l'incitation fiscale. Les propositions de la commission spéciale
visent à rendre plus effectifs les mécanismes que vous nous soumettez.
Nous souhaitons, en particulier, un critère de localisation dans les zones
concernées ainsi qu'une meilleure prise en compte de la variable emploi grâce à
une pondération accrue. Nous souhaitons aussi que les partenaires se réunissent
pour orienter et surveiller l'application du mécanisme d'incitation fiscale.
Nous avons fait toutes les propositions qui ont été évoquées par le rapporteur,
M. Larcher. Nous souhaitons que le dispositif soit étendu aux activités
individuelles, à l'artisanat en particulier, par un mécanisme d'exonération de
charges. Tout cela me paraît relever d'une approche cohérente.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, le pacte de relance pour la
ville peut être un excellent jalon dans cette lutte contre l'exclusion et
contre la fracture sociale si l'on a bien présentes à l'esprit ces trois idées
directrices : changer l'urbanisme, respecter la loi et développer l'emploi.
Bien entendu, le groupe du RPR vous apportera, pour ces efforts difficiles à
faire dans une période où l'on ne dispose pas toujours des marges de manoeuvre
que l'on voudrait, tout son soutien actif et déterminé dans la discussion et
pour l'adoption de ce projet de loi,
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vezinhet.
M. André Vezinhet.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au regard
de l'histoire, c'est en un temps d'une exceptionnelle brièveté que notre
société a quitté le monde agricole et rural pour adopter un mode urbain, qui
s'impose aujourd'hui non seulement aux habitants des villes, mais aussi -
faut-il le dire ? - à l'ensemble des Françaises et des Français où qu'ils se
trouvent sur le territoire.
Cette mutation, en à peine quelques décennies, ne s'est pas faite sans
bouleverser profondément les perspectives, sans faire naître des changements
considérables de comportement. Aujourd'hui, on parle du mal-vivre des
banlieues, des quartiers à risques, de la ville duale, etc. En fait, ces
phénomènes ne sont que la résultante de l'émergence du monde urbain.
Vous avez dit, sûrement à juste raison, monsieur le ministre de la ville, que
le chômage était la principale cause du malaise urbain. Mais ne peut-on se
demander sérieusement si une situation de plein emploi, qui améliorerait
considérablement les choses, certes, parviendrait néanmoins à effacer ce
phénomène ?
Tous les pays à forte économie y sont aujourd'hui confrontés. Les pays pauvres
le connaissent avec d'autant plus d'acuité qu'ils sont totalement démunis pour
envisager des correctifs. Beaucoup ont démissionné et ont laissé s'installer
des villes à deux vitesses où l'économie et l'argent règnent en maîtres dans
les quartiers d'affaires et les zones résidentielles tandis que la misère, la
violence et l'insécurité qu'elles engendrent ont envahi les quartiers pauvres à
très forte densité de population.
Pendant ce qu'il est communément convenu d'appeler les « trente glorieuses »,
notre France urbaine s'est développée. Elle s'est, dirais-je, installée dans le
plus grand désordre, créant les conditions de ce que vous nous appelez
aujourd'hui à réviser.
Hubert Dubedout, avec bien d'autres, avait en son temps été l'un des premiers
à oeuvrer pour tenter d'enrayer cette dérive.
M. Guy Allouche.
Il avait vu juste !
M. André Vezinhet.
Au début des années quatre-vingt-dix, MM. Michel Delabarre, ministre d'Etat,
ministre de la ville et de l'aménagement du territoire, et Louis Besson,...
M. Guy Allouche.
Lui aussi !
M. André Vezinhet.
...ministre de l'équipement, du logement, des transports et de la mer, avaient
proposé une loi d'orientation pour la ville dont le principal mérite était bien
de prévoir des solidarités pour que tous les Français se sentent concernés, y
compris ceux qui résident dans les communes à faible démographie. Tout le
monde, en effet, est confronté à l'urgence et à l'importance de ce problème.
Nous nous plaisons à souligner aussi l'effort de Mme Veil pour proposer des
solutions à la question urbaine. Hélas ! l'un des premiers soucis de M.
Balladur fut de proposer au Parlement la suppression des louables « intentions
» de la loi d'orientation pour la ville et d'y substituer des mesures destinées
à épargner à certains l'obligation de solidarité.
M. Guy Allouche.
N'est-ce pas, monsieur Larcher ?
M. André Vezinhet.
Voilà dix mois, le 18 janvier 1996, le pacte de relance pour la ville, qui
nous a été présenté à Marseille par le Premier ministre lui-même, était la
concrétisation d'une promesse du candidat Jacques Chirac, devenu depuis
Président de la République. Il avait, à ce moment-là été qualifié de plan
Marshall des banlieues.
Après avoir été annoncé par M. le ministre Eric Raoult en septembre 1995, il a
été repoussé en novembre, puis en décembre 1995. On peut se demander ce qu'il
en est aujourd'hui, un an plus tard, après avoir fait l'objet de la procédure
d'urgence et après avoir été adopté par l'Assemblée nationale au mois de juin
dernier.
Ce texte est décrit comme la pierre angulaire, la clé de voûte du nouveau
dispositif en faveur de la ville. Il affiche des ambitions comme celles qui
consistent à dynamiser l'activité économique, à créer des emplois dans les
quartiers en difficulté et à améliorer la vie quotidienne de leurs habitants au
moyen d'un dispositif social et fiscal dérogatoire.
De nouveaux outils de restructuration urbaine et un renforcement du pouvoir
des associations sont prévus par ce texte. Mais, selon la formule consacrée, il
y a loin de la coupe aux lèvres !
La loi portant réforme du financement de l'apprentissage ne prévoit la
création que de 100 000 emplois de ville. Le coût en est partagé au départ par
l'Etat et les collectivités locales, mais il sera en fin de compte à la seule
charge de ces dernières. Or il est clair qu'elles n'en pourront mais, le moment
venu, étant donné l'étroitesse de leur budget et les ponctions successives que
les gouvernements Balladur et Juppé ont opéré sur leurs finances : ce n'est pas
au maire de Marseille que je l'apprendrai.
Pour illustrer mon propos, et faisant en cela écho à ceux qui ont été tenus
voilà quelques instants par le président Fourcade, la ville de Montpellier,
dont je suis un élu, a subi, en quatre années budgétaires, une ponction de 83
millions de francs par rapport à ce qu'elle aurait effectivement perçu de
l'Etat à législation constante. Je tiens à votre disposition, monsieur le
ministre, les preuves chiffrées de cette inquiétante dérive.
M. Claude Estier.
Il le sait bien !
M. André Vezinhet.
Je disais donc qu'il n'est prévu la création que de 100 000 emplois, alors que
les besoins avaient pourtant été estimés au départ à 300 000 emplois par Mme
Françoise de Veyrinas, éphémère secrétaire d'Etat aux quartiers en
difficulté.
Ainsi, les mesures concernant l'emploi des jeunes, qui ont été annoncées à
grand renfort de publicité, sont sans rapport avec les besoins : mille emplois
par an sont à espérer dans les zones franches, selon un rapport confidentiel de
la délégation interministérielle à la ville et au développement social urbain,
et ce, pour un coût de 1,2 milliard de francs.
Je vous laisse le soin d'estimer le coût unitaire d'un emploi.
Au titre des moyens, le pacte de relance pour la ville, qui comporte 68
mesures pour les quartiers en difficulté, affiche 12 milliards de francs de
prêts, destinés aux collectivités et aux organismes d'HLM, et négociés à des
taux avantageux, et près de 15 milliards de francs de fonds budgétaires sur
trois ans. Où se trouve, dans tout cela, le plan Marshall annoncé à grands
renforts médiatiques ?
Si les intentions sont louables et si tout ne doit pas être rejeté en bloc, il
faut reconnaître que les mesures proposées ne sont pas à la mesure des
transformations à apporter pour répondre aux besoins du tissu urbain.
L'idée des zones franches et d'une redynamisation urbaine peut se révéler
utile ; je le dis parce que ma loyauté intellectuelle me le commande.
Ainsi, à Montpellier, dans un quartier qui m'est particulièrement cher, celui
de La Paillade - j'ai l'honneur d'en être le conseiller général - nous sommes
décidés à jouer le jeu et à nous battre pour la réussite de ce dispositif.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Je vous en félicite !
M. André Vezinhet.
Mais comment allons-nous éviter des désagréments semblables à ceux qu'a connus
l'Angleterre, où la politique de la zone franche a dû être abandonnée en raison
de son peu d'efficacité ?
Le journal
Le Monde
du 19 janvier 1996 indique que des activités
voisines se sont déplacées pour profiter des avantages fiscaux.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
C'est en Angleterre !
M. André Vezinhet.
J'ai bien noté que vous aviez mis en place un certain nombre de garde-fous.
Mais, au moins, n'allons pas créer de nouvelles zones.
Quant aux coûts des emplois nouveaux, ils ont été jugés prohibitifs par les
tenants de la politique thatchérienne eux-mêmes !
Nous considérons qu'une véritable politique de la ville ne peut être abordée
par le biais d'une juxtaposition de mesures ponctuelles, voire d'un
saupoudrage.
Le texte qui nous est proposé manque singulièrement d'ambition. Il se limite à
une définition par quartiers de la politique de la ville. Il ne traduit aucune
vision d'ensemble et, comme nous l'indiquions précédemment, la solidarité
intercommunale, qui fondait la loi d'orientation sur la ville, a disparu.
Tenter de limiter, voire de résoudre, par un colmatage à court terme, les maux
qui frappent notre société urbaine dans son ensemble en traitant tel ou tel
périmètre géographique, telle ou telle banlieue n'a rien à voir avec notre
conception d'une politique de la ville efficace et réaliste. Celle-ci devrait
concerner l'ensemble des villes de notre territoire pour la promotion d'une
civilisation urbaine pour tous les habitants.
Le projet de loi qui nous est soumis - excusez-moi ce trait que vous jugerez
peut-être excessif - offre une vision archaïque de l'aménagement du territoire
qui conduit à une logique de blocs faisant abstraction de toute mesure de
solidarité entre communes riches et communes pauvres. C'est en cela que réside
le risque majeur d'une ville à deux vitesses.
Si l'on considère les mesures budgétaires en faveur du logement social, elles
apparaissent aujourd'hui, après un douloureux été au cours duquel l'aide au
logement social a subi des coupes claires, bien dérisoires.
Evidemment, lorsque ce problème a été évoqué à l'Assemblée nationale, on ne
savait pas encore ce qui nous attendait : moins 4 milliards de francs au titre
des prêts locatifs aidés ; moins 2 milliards de francs au titre de l'APL, avec
prise en compte, dans le revenu des ménages, des allocations pour handicapés ou
de l'allocation maternité, entre autres ; moins 7 milliards de francs au titre
du 1 % - en fait, à dater de ce jour, on peut dire que le 1 % n'existe plus
puisque, en deux années successives, la totalité de sa collecte devra être
reversée au budget de l'Etat.
M. Guy Fischer.
Il est pillé !
M. André Vezinhet.
C'est une mesure d'exécution capitale.
Si l'on ajoute, à ce qui précède la non-reconduction de l'abattement
temporaire de 2 % des droits de mutation et la suppression de la déduction des
intérêts, mesures estimées entre 5 milliards et 7 milliards de francs, c'est au
total une ponction de 20 milliards de francs qui est opérée sur le logement
social.
Il s'agit d'un véritable plan de démantèlement du secteur locatif social, et
ce n'est pas le relatif succès du prêt à taux zéro pour l'accession à la
propriété qui va nous rassurer.
Certes, nous voudrions tous, ici, que l'ensemble des locataires des logements
sociaux puissent prétendre à l'accession à la propriété et nous voudrions même
ne pas avoir à débattre du logement locatif, qu'il disparaisse de nos
préoccupations.
Mais, monsieur le ministre, monsieur le maire de Marseille, ne connaissez-vous
pas, comme moi à Montpellier en ma qualité de président de l'OPAC, la trop
longue liste d'attente des candidats à un logement social ?
Le vrai besoin social, en France, est un besoin locatif et votre gouvernement
travaille à contre-sens de la demande réelle des Français, des plus démunis
surtout.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Laissez-moi vous conter une anecdote.
Hier, la Caisse des dépôts et consignations - j'aperçois mon collègue et ami
M. Vidal, qui était à mes côtés lors de l'inauguration - a installé son antenne
régionale de Montpellier. Nous avons entendu, lui comme moi, le discours de M.
Lagayette, qui est assis sur un tas d'or : il a parlé de 1 000 milliards de
francs d'épargne. Je suppose que M. Lagayette sait de quoi il parle.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Il sait sur quoi il est assis !
(Sourires.)
M. André Vezinhet.
Comme le disait le poète, on n'est jamais assis que sur son derrière !
(Nouveaux sourires.)
Cette somme de 1 000 milliards de francs est
considérable, et devant l'urgente nécessité de remédier aux difficultés de nos
banlieues, on aurait peut-être pu penser à ponctionner, au-delà de 5 milliards
de francs, cette manne financière qui, après tout, dans sa définition, est
destinée à subvenir au logement social.
MM. Claude Estier, Marcel Vidal et Guy Allouche.
Très bien !
M. André Vezinhet.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que, lorsque l'Etat - il me semble que
c'était en 1995 - a affecté 90 milliards de francs à la construction de
logements sociaux, il en a retiré, toutes ressources confondues, 130 milliards
de francs. On ne peut donc pas dire que ce soit une aberration que de favoriser
le logement social, puisqu'il constitue une source de revenus assez
substantiels pour l'Etat. Le moment est peut-être venu d'y songer.
Vous envisagez de remédier à la situation dramatique des copropriétés
dégradées. Il s'agit, je vous l'accorde, monsieur le ministre, d'une heureuse
initiative, car elle répond bien à la réalité. C'est bien souvent à partir
d'une copropriété dégradée que se révèlent les ingrédients des difficultés
sociales. C'est également dans ce contexte que le phénomène de ghettoïsation
prend toute son ampleur.
En effet, lorsque la valeur vénale des copropriétés s'effondre, elles
deviennent - dans le plus mauvais des cas - la proie des marchands de biens,
qui réalisent ensuite des bénéfices scandaleux.
Dans les autres cas, cette dépréciation fait fuir le propriétaire occupant,
qui tente, avant qu'il ne soit trop tard, de sauver ce qu'il peut de sa mise de
fonds initiale. Par la suite, une politique de peuplement non maîtrisée se met
en place. On observe très fréquemment des regroupements ethniques, amorce d'une
ghettoïsation qui devient rapidement irréversible.
Pour résoudre ce problème, le Gouvernement envisage d'étendre à la copropriété
les mesures relatives au fonds social du logement. Je ne m'étendrai pas sur
l'insuffisance de cette disposition et la perte financière qu'elle créera pour
le secteur locatif. Il aurait été bien préférable d'inciter massivement la
puissance publique, les offices d'HLM et tous les intervenants du logement
social maîtrisé à se porter acquéreurs de ces copropriétés, pour y appliquer
d'autres mesures de peuplements et traiter le problème tant sur le plan
technique que sur le plan social. Il conviendrait pour cela de renforcer la
dotation en Palulos - primes à l'amélioration des logements à usage locatif et
à occupation sociale - des régions et de proposer de véritables solutions de
mixité sociale.
Quant aux nombreuses mesures fiscales que comporte votre projet de loi, je
laisserai, monsieur le ministre, à mon ami et collègue M. Richard, beaucoup
plus compétent que moi en la matière, le soin de vous dire son sentiment.
En tout cas, j'ose espérer que certaines de ces mesures pourront être étendues
au monde associatif.
Sur proposition de MM. Cathala et Dray, notamment, un amendement allant en ce
sens a été adopté par l'Assemblée nationale. S'il devait en être ainsi dans
notre assemblée, j'espère que vous ne demanderez pas une deuxième délibération
pour faire échec à cette louable intention.
En conclusion, je dirai que ce projet de loi ne contient en fait qu'une
nouvelle panoplie de mesures qui n'auront pas les effets escomptés - je le
regrette - parce que non relayées par une véritable priorité budgétaire.
Après examen, ce texte est bien loin de traduire l'ambition et l'originalité
que vous aviez prétendu y mettre, monsieur le ministre.
Il laisse planer beaucoup d'inquiétudes si j'en juge par les nombreux
amendements qui ont été présentés par la majorité à l'Assemblée nationale,
avant d'être, bien entendu, retirés - discipline oblige - selon une méthode
bien connue...
Le pacte de relance pour la ville ne répond pas aux espoirs suscités lors de
sa présentation très médiatisée. Il semble qu'il en sera ainsi du projet de loi
contre l'exclusion qui, à ce jour, et après des mois de gestation difficile,
semble bien loin d'être en mesure d'atteindre son objectif, à savoir renforcer
la cohésion sociale.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu de
Vénissieux, des Minguettes, j'ai été, avec mes collègues conseillers municipaux
et le père Christian Delorme, l'un des premiers à être confrontés à ce que
d'aucuns appellent improprement le « mal des banlieues ». Une telle expérience,
vous le comprendrez aisément, est une raison supplémentaire d'examiner avec
attention et sans esprit partisan ce que la puissance publique propose pour
lutter contre l'aggravation des difficultés au sein des quartiers classés zones
sensibles.
Aujourd'hui, le Gouvernement, appuyé par sa majorité, nous promet que la
politique de la ville va trouver un nouvel essor avec ce pacte.
Première remarque d'importance : l'utilisation du terme « pacte » relève, à
mon sens, de la supercherie.
Ce souci d'en appeler au pacte dans de nombreux domaines - je pense, par
exemple, au pacte de stabilité financière - est loin d'être anodin, et ce n'est
pas M. le président Fourcade qui me démentira.
Il vise à faire croire à l'opinion qu'il y a un consensus sur les objectifs et
les moyens, que des négociations ont eu lieu entre les uns et les autres et que
les élus locaux seront d'accord pour prendre place dans ces démarches.
C'est vrai dans certains cas mais, en l'occurrence, c'est faire fi de toutes
celles et de tous ceux, associations et élus, qui estiment urgent de faire du
neuf dans la politique de la ville, d'en finir avec la stigmatisation des
quartiers et des populations, d'en finir avec l'emploi précaire comme seul
avenir.
Sur le fond, votre projet de loi ne prévoit aucune mesure novatrice. Il
affiche une succession de bonnes intentions et d'assertions qui, à mon sens, se
heurtent à quatre obstacles majeurs.
Le premier tient à un traitement de type caritatif des problèmes.
Je m'explique en prenant un exemple tout récent. Voici ce qu'on peut lire dans
un article du
Progrès de Lyon
d'aujourd'hui commentant les propos que de
M. Claude Baptiste, directeur général des hospices civils de Lyon à l'occasion
des « Entretiens Jacques Cartier », qui se sont tenus la semaine dernière à
Québec et à Montréal : « A Montréal comme à Québec, la prise en charge des
problèmes de santé liés à la précarité est essentiellement assurée par les
associations d'entraide implantées dans les quartiers. » Je reviendrai plus
amplement sur ce point lors de la discussion des articles.
Deuxième obstacle : les moyens mis en oeuvre sont d'une rare indigence au
regard de l'ampleur des difficultés. Je m'attacherai à prouver, monsieur le
ministre, qu'il ne s'agit à mon sens, bien souvent, que de redéploiements et de
recours à l'emprunt.
Le troisième obstacle réside dans le fait - et le président Fourcade a
beaucoup insisté sur ce point - que l'Etat n'assume plus, ou assume de plus en
plus difficilement, ses fonctions régaliennes dans ces quartiers.
Enfin, quatrième obstacle : le recours de plus en plus massif aux
collectivités locales, qui sont pourtant déjà asphyxiées sur le plan
financier.
Quand je parle de « traitement caritatif », c'est évidemment le concept même
de discrimination positive que je vise. L'origine de ce concept est d'ailleurs,
en elle-même, tout à fait instructive. Le modèle historique de la
discrimination positive est américain : il se fonde sur l'identification
objective de minorités défavorisées - les Noirs, les Chicanos, les femmes -
...
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Les femmes passent après les Chicanos ?
(Rires et
exclamations.)
M. Guy Claude Fischer.
... dont il vise à compenser les handicaps sociaux par l'instauration de
quotas dans les écoles, les universités, les emplois publics.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Pas de quotas !
(Sourires.)
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Les quotas, c'est une tribu indienne, non ?
(Nouveaux sourires.)
M. Guy Fischer.
Quand on voit ce que vivent certaines communautés américaines, croyez-moi, il
n'y a pas de quoi sourire ! Et je sais de quoi je parle !
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Très bien !
M. Guy Fischer.
Il n'est pas besoin d'ajouter que les « non-élus » de ces minorités
défavorisées ne bénéficient plus d'aucune solidarité nationale.
Certes, la France n'en est pas là. Il n'empêche que la stigmatisation à
outrance des populations en difficulté qui vivent dans les grands ensembles
pousse dans ce sens.
Les auditions auxquelles a procédé la commission spéciale ont révélé que,
depuis que des politiques de la ville ont été lancées, la ségrégation s'est
renforcée inexorablement et que la territorialisation de l'exclusion s'est
trouvée, elle aussi, confortée.
Il n'est que d'observer la façon dont les médias rendent compte des incidents
qui peuvent se produire pour comprendre que la communauté nationale, et au
premier chef la puissance publique, l'Etat, ne porte pas toujours un regard
juste sur les banlieues.
A ce propos, je voudrais rappeler ce qu'écrivait mon ami Maurice Charrier -
que nous avons auditionné et avec qui je travaille depuis longtemps sur ces
questions - dans
Le Monde
il y a un an :
« C'est bien de la France, de son état de santé, de ses souffrances que l'on
parle lorsque l'on commente les images des "nouvelles flambées de
violence" à Vaulx-en-Velin. Ce sont les convulsions de la société
française que nous analysons lorsque nous essayons de trouver des raisons au
"malaise des banlieues". C'est de nos villes, de nos jeunes, de nos
concitoyens qu'il s'agit et pas d'un autre monde, d'un pays
"outre-périphérique", d'un continent à la dérive nommé
"Banlieue", dont on pourrait suivre les événéments à la télévision en
se rassurant : pour les Banlieusards, comme pour les Bosniaques et les Serbes,
nos gouvernants savent judicieusement prodiguer en alternance aide humanitaire
et opérations "coup de poing". »
Oui, il est temps que les populations en difficulté qui vivent dans ces
quartiers bénéficient d'un réel traitement de leurs problèmes. Le chômage,
l'échec scolaire, la crise du logement, la peur, voire la haine de l'autre ne
trouveront pas de réponse dans des solutions localisées, dans des niches de
précarité, dans des mesures de bricolage.
Vous pourrez avancer les plus beaux arguments qui soient, avec les emplois de
ville ou contrats d'initiative locale, vous continuerez d'enfermer des milliers
de jeunes dans le sous-emploi, sans possibilité d'avoir un logement, de fonder
une famille, sans réelle perspective, sinon celle d'une véritable assignation à
résidence.
Bien sûr, vous allez rétorquer que cela est mieux que rien, que les
collectivités locales jouent le jeu...
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Ce n'est pas si mal que cela !
M. Guy Fischer.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, monsieur le ministre !
Pour nous, il ne peut s'agir, à travers la mise en place de contrats d'emplois
de ville, de créer en fait une sous-fonction publique. Il ne saurait être
question de contribuer au démantèlement de la fonction publique.
Je rappelle que la Cour des comptes elle-même, après une analyse des
dispositifs mis en place au cours des dernières années et portant notamment sur
les contrats emploi-solidarité, estime que, la plupart du temps, ces contrats
se sont substitués à des emplois stables.
Plus personne aujourd'hui ne croit honnêtement à ces formules ; il faut en
tout cas être conscient qu'elles mènent généralement à des impasses, qu'elles
sont tout juste des soupapes destinées à éviter que la marmite n'explose.
Permettez-moi, pour illustrer mon propos, de vous livrer un passage d'une
lettre adressée par un entrepreneur « nouvelle mode » à l'un de mes amis maire
qui frise la caricature : « En devenant "petit cireur", sous forme
d'entreprise individuelle, le courage des jeunes chômeurs sera récompensé à la
juste mesure de l'effort fourni en indépendant, dans l'exercice d'un métier qui
demande professionnalisme et responsabilité... »
Je trouve cela vraiment outrageant.
Ce que l'on va proposer aux jeunes avec les contrats d'initiative locale - et
ceux-ci doivent être comptés parmi les 300 000 emplois qui viennent d'être
annoncés par M. Barrot, que cela soit bien clair - est-ce autre chose que
l'illusion pour le plus grand nombre ? A cette question, nous en sommes
intimement convaincus, la réponse est non.
Sans doute certains trouveront-ils qu'il s'agit d'un progrès social, à
l'instar de ce qui peut se dérouler dans les pays en voie de développement.
Effectivement, nous avons tendu la main aux jeunes en difficulté de ces
quartiers.
Le zonage que vous mettez en oeuvre permet tous ces excès. Il est fort
contestable - 744 zones urbaines sensibles, dont 43 zones franches - et
participe de la généralisation de la charité là où il faudrait restaurer la
solidarité nationale par une vraie politique nationale de développement.
Car le pari du retour à l'activité par le biais des zones franches ne peut
guère convaincre si l'on se réfère aux exemples anglais et américains, dont
tout le monde s'accorde à dire qu'ils ont eu pour conséquence non la création
mais la délocalisation d'entreprises.
Je voudrais maintenant insister sur les moyens mis en oeuvre.
Monsieur le ministre, vous nous annoncez l'octroi de 15 milliards de francs
sur trois ans, comme s'il s'agissait d'un effort incommensurable. Je crois
qu'il convient de remettre cet effort à sa juste proportion : 5 milliards de
francs, c'est 0,3 % des dépenses de l'Etat !
En outre, on le sait, les ministres ont tendance à compter plusieurs fois les
mêmes choses : la réalité des dépenses supplémentaires annuelles se situe en
dessous du milliard de francs !
J'évoquerai ici simplement le tour de passe-passe qui consiste à financer les
contrats emploi-ville par la suppression de 200 000 contrats emploi-solidarité
dans la loi de finances de 1996. Voilà comment l'on finance ce qu'on présente
comme une nouveauté !
En fait, les dépenses nouvelles pour la mise en oeuvre de ce pacte sont
minimes. Passons rapidement sur les prêts aux collectivités et aux organismes
d'HLM, sinon pour souligner qu'il est tout de même incohérent de fustiger
l'endettement des communes d'un côté et de les pousser à l'emprunt de
l'autre...
D'ailleurs, je tiens à dire ici - mais nous allons avoir un débat sur ce point
- que le logement social est sabordé ! L'année 1997 restera sans doute comme
l'année noire du logement social, celle de son démantèlement .
En fait, vous allez vous attaquer au minimum social pour financer la loi de
cohésion sociale. Les moins pauvres paieront pour les plus pauvres !
La garantie des compensations d'exonération des taxes locales à 100 % doit
devenir une réalité, mais on sait bien que cette mesure sera financée en grande
partie par le biais du fonds national de péréquation de taxe professionnelle,
fonds qui a reçu une manne inattendue grâce à l'augmentation de la cotisation
des principaux contributeurs : France Télécom et La Poste, notamment.
L'abondement de la part de l'Etat dans le fonds de solidarité pour le logement
est, lui, assuré par la ponction du produit des surloyers. C'est là une
conception édifiante de la solidarité nationale puisqu'elle suppose des
transferts des familles modestes vers les plus démunis.
On voit donc bien, malgré tous les artifices dont vous usez, que c'est de
redéploiements qu'il s'agit. Ces redéploiements limitent, par définition, la
portée de ce texte.
La mission de l'Etat dans ces quartiers est fondamentale. Or votre projet de
loi se résume à mon sens encore trop à une liste de recommandations.
Ainsi, on parle de politique publique exemplaire sans que soit assuré le
maintien de tous les agents publics qui travaillent actuellement au sein de ces
zones difficiles. Je pense particulièrement à l'école, à propos de laquelle un
syndicaliste explique : « Ce ne sont pas quelques moyens éparpillés et un
aménagement des rythmes scolaires qui ramèneront la sérénité dans ces
établissements et régleront les graves problèmes des banlieues. »
On le sait, la ségrégation fait des ravages et amène bon nombre de familles
populaires à faire en sorte que leurs enfants se retrouvent dans d'autres
établissements, quand elles ne les inscrivent pas purement et simplement dans
le privé.
On ne s'en sortira que par un retour réel de l'Etat. Combien d'îlotiers
supplémentaires ? Combien d'enseignants dans le primaire et le secondaire ?
Quand rétablira-t-on, par exemple, les deux emplois qui ont été supprimés à la
poste des Minguettes sous prétexte qu'elle a été rénovée ? Combien de
structures d'accueil et de soins pour les jeunes toxicomanes ? Quels moyens
supplémentaires pour la culture ou le sport ?
Ce sont là les vraies questions, que vous devriez vous poser pour permettre un
retour de l'Etat dans ces quartiers. Or le projet de loi de finances pour 1997
est bien loin de répondre à ces demandes sociales.
En fait, l'Etat délègue de plus en plus ses missions aux collectivités
locales, voire aux associations.
Quant aux établissements publics de restructuration urbaine, ils doivent être
définis de telle manière que de réelles codécisions soient prises.
Enfin, mes chers collègues, je voudrais évoquer la situation qui est faite aux
communes par ce projet de loi.
Je l'ai dit, leur situation financière est si inquiétante qu'elles sont à
l'affût de tout ballon d'oxygène, si minime soit-il. Elles sont étranglées par
les prélèvements qui ont été opérés au cours des dernières années. On leur
demande toujours plus en les plaçant sous la pression des populations.
On dit que la dotation de solidarité urbaine, la DSU, a enregistré une
progression importante, ce qui attesterait l'effort accompli par l'Etat. Mais,
selon la lecture que nous faisons du projet de loi de finances pour 1997,
celui-ci verra diminuer la dotation globale de fonctionnement en francs
constants pour la quatrième année consécutive.
Vous oubliez aussi de dire que l'augmentation de la DSU sera certainement
minorée l'année prochaine. Vous oubliez de dire que la mise en place des zones
de revitalisation rurale...
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Me permettez-vous de vous interrompre ? Pour le moment, monsieur Fischer, je
n'en suis pas encore au budget futur, et vous ne pouvez nier que votre ville,
en particulier, a d'ores et déjà enregistré une augmentation significative de
sa DSU !
M. Alain Richard.
C'est un fusil à un coup !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Il a déjà encaissé, mais il a oublié !
(Sourires.)
M. Guy Fischer.
Non, je n'oublie pas, mais je crains qu'il n'y ait de nouveaux débours et de
nouvelles charges pour les communes.
Ce que nous reprochons à ce projet de loi, c'est qu'il s'inscrit dans une
démarche d'ensemble qui contrecarre tout effort des uns et des autres.
Je terminerai en citant un proverbe chinois
(Exclamations amusées sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)
: « Il faut marcher avec les deux jambes : la moderne,
celle qui va loin, et puis celle de tous les jours, qui assure le pas à pas
quotidien. »
Or, aujourd'hui, je crains que vos choix économiques et sociaux, soumis aux
marchés financiers et à la course vers l'euro, n'entraînent le pays dans
l'abîme et ne soient pas de nature à relever le défi de l'avenir de nos cités,
l'avenir de notre jeunesse.
Nous présenterons des amendements ; néanmoins, pour être cohérents avec ce
qu'ont fait nos collègues de l'Assemblée nationale, nous nous opposerons à ce
texte.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.
- M. Vezinhet applaudit également.)
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
C'est malheureux !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Quel dommage !
(Sourires.)
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Je citerai un autre proverbe chinois, monsieur Fischer : « Si tu lances un pot
de fleurs en l'air, prends garde qu'il ne te tombe pas sur la tête ! »
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. Guy Fischer.
Ça, c'est du chantage, monsieur le ministre !
(nouveaux sourires.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais
emprunter mon exorde à la conclusion de l'orateur qui m'a précédé à cette
tribune.
Monsieur Fischer, ce n'est pas un mauvais proverbe, celui des deux jambes.
Simplement, s'agissant de la jambe ancienne, à la date d'aujourd'hui je
rappelle qu'il existe, pour des communes comme la vôtre, la fameuse DSU : cette
manne « tombe » tous les ans, on ne l'a pas mise en place pour la supprimer par
la suite.
Par conséquent, monsieur Fischer, pour assurer votre avenir, vous avez cette «
jambe ancienne » qui a fort opportunément été décidée par le Gouvernement. Ce
dernier, dès qu'il a eu un peu de marge de manoeuvre sur la DGF, a eu en effet
l'honnêteté d'en faire bénéficier les communes les plus défavorisées.
(Rires et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
Il faut porter cela à son crédit. Pour autant, le texte que nous
examinons pose quelques autres problèmes.
Monsieur le ministre, nous disposons d'une maxime républicaine et d'une
Constitution.
La maxime républicaine comprend trois mots : liberté, égalité, fraternité.
Pour ce qui est de l'égalité, les constituants y tenaient tout
particulièrement, et les Français y sont tout autant attachés.
Or le projet de loi dont nous discutons est un texte de dérogations
successives. Par conséquent, il nous faut le manipuler avec une certaine
précaution. Certes, la dérogation positive a été reconnue, mais assortie tout
de même de certains encadrements. Or, monsieur le ministre, à trop vouloir
faire les choses, on prend parfois des risques qui pourraient se révéler
inconsidérés.
Ainsi, l'octroi d'avantages fiscaux dans les zones urbaines ne doit pas
méconnaître le principe de la libre administration des collectivités
locales.
Le Conseil constitutionnel a considéré, s'agissant de la loi du 4 février
1995, en particulier de l'exonération de plein droit de la taxe professionnelle
prévue en son article 52, sur le fondement des articles 72 et 34 de la
Constitution qui, le premier, précise que les collectivités territoriales «
s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues
par la loi », et, le second, réserve au législateur la détermination des
principes fondamentaux « de la libre administration des collectivités locales,
de leurs compétences et de leurs ressources » ainsi que de la fixation des
règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des
impositions de toutes natures », que le législateur pouvait édicter de telles
règles « sans qu'elles aient pour effet de restreindre les ressources des
collectivités territoriales au point d'en entraver leur libre administration
».
Néanmoins, le Conseil constitutionnel avait relevé, au préalable, que le
paragraphe III de l'article 52 précité prévoyait « un mécanisme de compensation
financière à la perte de recettes résultant des exonérations fiscales
envisagées ». Or ce mécanisme de compensation, monsieur le ministre, tel qu'il
nous arrive de l'Assemblée nationale et tel qu'il est prévu au paragraphe E de
l'article 4, qui se borne à renvoyer aux « conditions prévues par la loi de
finances pour 1997 », risque de se trouver très fortement contraire aux
décisions du Conseil constitutionnel. En effet, il prévoit de confier à l'Etat
la charge de la compensation des pertes de recettes résultant des exonérations
liées aux créations d'activités, mais uniquement selon les bases de calculs qui
seront déterminées dans la loi de finances pour 1997.
Je crois qu'il y a lieu d'attirer l'attention du Gouvernement sur le risque
qu'il prend en la matière. On peut se demander effectivement si cette
précaution serait considérée comme suffisante pour éviter que les exonérations
en cours n'aient pour effet « de restreindre les ressources des collectivités
au point d'entraver leur libre administration ».
Le Conseil constitutionnel a en outre relevé, dans sa décision du 26 janvier
1995, que la liberté des élus étaient préservée dans la loi de 1995, puisque, «
en tout état de cause, ils conservent la faculté de faire obstacle, par leurs
délibérations, à l'application de ces mesures ». Ne serait-ce que pour ce
motif, la liberté de décision des élus doit être préservée dans tous les cas de
figure.
C'est vous dire, monsieur le ministre, mon attachement au texte proposé par la
commission spéciale pour l'article additionnel après l'article 4, texte qui me
semble correspondre, beaucoup mieux que le paragraphe E de l'article 4, dans la
rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, à ce souci de
constitutionnalité.
Mais il est une autre disposition du projet de loi qui peut également soulever
un certain nombre de questions, encore que, d'après ce que je sais, elles
recueille l'assentiment de tous. Cela étant, qu'il en soit ainsi au Sénat comme
à l'Assemblée nationale ne signifie pas pour autant que le Conseil
constitutionnel, si le texte lui était déféré, considérerait que cela va de
soi. Je veux parler ici de la condition de résidence prévue pour bénéficier des
exonérations sociales.
Certes, il est toujours possible d'argumenter sur les situations particulières
et l'exception constructive. La différence de traitement qui résultera de ces
exonérations entre les entreprises exerçant dans la zone franche et celles qui
exercent en dehors de cette zone paraît en effet « en rapport avec l'objet de
la loi », selon les termes utilisés par le Conseil constitutionnel dans des
décisions antérieures, notamment celle du 7 janvier 1988, objet qui est de
lutter contre les phénomènes d'exclusion et de favoriser l'insertion, notamment
professionnelle, des populations des quartiers défavorisés.
Néanmoins, à l'article 13 du projet de loi, on subordonne le bénéfice de ces
exonérations de charges sociales, à partir d'un certain seuil de recrutement -
cinq salariés dans le texte initial, deux salariés dans le texte de l'Assemblée
nationale - à une condition : une proportion de salariés justifiant d'une durée
minimale de résidence dans la zone - un an - qui soit égale au cinquième des
embauches ou des salariés employés par l'entreprise.
Cette condition de résidence pourrait aboutir à traiter différemment, sur le
fondement d'un critère qu'elles ne maîtrisent pas, des entreprises se trouvant
dans des situations quasi identiques.
En outre, cette condition pourrait, le cas échéant, être plus difficilement
remplie par de très petites entreprises, qui seraient, par exemple, contraintes
de recruter des personnes très qualifiées ne résidant pas dans la zone franche
que par des entreprises plus grandes devant faire face à la même contrainte
mais atteignant la proportion de résidents requis parce qu'elles emploient en
outre des personnels moins ou non qualifiés résidant dans la zone franche.
Dans sa décision du 3 juillet 1986, qui concernait les conditions d'exercice
du droit de reprise par l'administration fixées par la loi de finances
rectificative pour 1986, le Conseil constitutionnel a censuré, sur le fondement
du principe d'égalité des citoyens devant la loi, des différences de traitement
entre des contribuables qui, selon les termes mêmes de la décision, pouvaient «
être placés dans des conditions quasiment identiques ». On peut donc se
demander si cette différence de traitement entre les entreprises serait
considérée par le Conseil comme correspondant bien à des « différences
objectives de situation ».
Le Conseil constitutionnel a pu sanctionner ce qu'il a considéré comme « une
rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques de
tous les citoyens » dans sa décision du 16 janvier 1986 sur la loi relative à
la limitation des possibilités de cumul entre pensions de retraite et revenus
d'activité qui, modifiant le régime de la contribution de solidarité, prévoyait
notamment un taux de 50 % au-delà d'un plafond égal à deux fois et demie le
montant du salaire minimum de croissance.
Monsieur le ministre, nous nous trouvons devant une difficulté. Certes, M.
Idrac a indiqué à la commission spéciale que le Conseil d'Etat, consulté, avait
considéré qu'en dessous de la proportion d'un tiers on restait dans les limites
de ce qu'il estimait être acceptable par le Conseil constitutionnel.
Cependant, la question n'a jamais été soumise au juge constitutionnel.
Monsieur le ministre, je voudrais, très modestement, attirer votre attention
sur le fait que cette disposition, qui me semble acceptée par tous, risquerait
d'être fragilisée, dans des conditions que nous ne connaissons pas, si,
d'aventure, le texte, sur le fondement d'une autre de ses dispositions, devait
être déféré au Conseil constitutionnel.
C'est pourquoi je me permets ce rapprochement entre l'article 4, revu et
corrigé par la commission spéciale et auquel j'apporte tout mon soutien, et
l'article 13, dont le sort pourrait être remis en question dans la mesure où
l'article 4, exagérément anticonstitutionnel, provoquerait la saisine ; même
sur ce seul point, du Conseil constitutionnel, lequel ne manquerait pas, comme
c'est son droit et, probablement, son devoir, d'élargir cette saisine à
l'ensemble du texte.
Je vous supplie donc, monsieur le ministre, de prendre en considération cet
argument supplémentaire et de faire en sorte que la rédaction de l'article 4,
telle que la commission vous la propose, soit effectivement celle qui figurera
définitivement dans le projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Je souhaite simplement rappeler à M. Fischer, en ce qui concerne la DSU, que la
commune de Vénissieux a bénéficié d'une dotation d'un montant de 3 826 941
francs en 1995 et en 1996 - et pas par l'intermédiaire du Saint-Esprit,
monsieur Fischer, même si je n'ai rien contre - de 7 095 181 francs, soit 65 p.
100 d'augmentation !
M. Hubert Falco
Eh oui !
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Avec une telle dotation, la commune peut certainement supporter quelques
emplois de ville !
M. Guy Fischer.
Heureusement !
M. le président.
La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans les
décennies cinquante et soixante, la France a édifié de grands quartiers
d'habitat social. Ils étaient à l'époque nécessaires. La crise du logement
sévissait. Il fallait payer, je vous le rappelle, des pas-de-porte élevés, bien
qu'interdits, pour louer un logement souvent sans aucun confort. Par ailleurs,
les organismes d'HLM voyaient d'impressionnantes listes de demandeurs
s'allonger.
Ces grands quartiers vont représenter souvent des îlots de confort.
Conformément au credo de l'époque des grands noms de l'architecture, on a créé
les ZUP, zones à urbaniser en priorité, et on y a édifié des ensembles avec
barres, tours, étages élevés, afin de concilier la nécessité des espaces verts
avec le coût du foncier.
On pratiquait dans ces zones une architecture répétitive, industrialisée, afin
de limiter les coûts par la politique dite des « modèles ». La vie y était
relativement agréable : peu de chômage ; pas d'insécurité ; une population
essentiellement européenne ; des loyers peu élevés grâce à une aide à la pierre
massive ; un vandalisme peu important et un taux d'échec scolaire guère plus
élevé que dans d'autres quartiers.
Puis, au fil des ans, la situation s'est détériorée. Il y eut le regroupement
familial de 1974. Les travailleurs immigrés, qui avaient participé massivement,
il faut le rappeler, à la reconstruction du pays, passèrent des foyers pour
célibataires aux appartements HLM. Cette catégorie de population ne fut pas
logée dans les meilleurs quartiers. Il apparaît aujourd'hui que près de 50 %
des ménages originaires de Tunisie, d'Algérie, du Maroc, de Turquie et
d'Afrique noire peuvent être considérés comme très mal logés alors que cette
proportion ne s'élève qu'à 11 % pour la population française.
Une étude de l'INSEE fait d'ailleurs apparaître un décalage de dix ans entre
les conditions de logement des immigrés et celles des Français. A en croire
l'une des analyses de l'Institut national des études démographiques, l'INED, le
décalage serait encore plus important et tendrait à s'aggraver. Quant au
chômage, je vous rappelle que la barre du million de chômeurs a été franchie en
1975, celle des 2 millions en 1982, et que nous avons dépassé celle des 3
millions en 1993.
Pris dans la spirale des impayés et des emprunts à taux élevé, obligés de
louer à tout prix et de ne pas laisser vacants des logements, beaucoup
d'organismes d'HLM vont entasser les unes avec les autres des familles de
toutes ethnies dans les mêmes immeubles et, ensuite, dans les mêmes ensembles.
C'est ainsi que se forment les ghettos, les familles logées à l'origine dans
ces ensembles demandant à partir pour d'autres quartiers.
Résultat ? Le taux de chômage dans ces grands ensembles est deux fois plus
élevé que celui de l'agglomération dont ils font partie. Il est trois fois plus
élevé pour les jeunes, l'adresse constituant souvent un cas de refus
d'embauche. La petite délinquance y est, de même, très développée.
Tous les responsables d'organismes d'HLM connaissent ce processus qu'ils n'ont
souvent pas pu éviter à cause de la très forte pression des demandeurs de
logements.
Se dissimuler cette réalité, ne pas en tirer les leçons aurait pour résultat
d'amputer d'une grande partie de son efficacité le présent projet de loi, qui
est le fruit d'un long travail de réflexion. C'est en effet dès 1974 que la
France a choisi la voie - c'est la bonne - qui consiste, d'une part, à freiner
fortement l'immigration et à intégrer les immigrés présents sur notre
territoire, et, d'autre part, à ne pas accepter les ghettos et donc à
diversifier le peuplement des quartiers concernés.
Cette constatation étant faite, je dois dire, monsieur le ministre, que
l'arsenal de mesures qui nous est aujourd'hui proposé est impressionnant. Il
devrait être efficace, à la condition toutefois que nous n'ayons pas peur des
mots et des lobbies à la mode, lesquels ne fournissent aucune solution.
Le pacte de relance pour la ville dont vous nous proposez la mise en oeuvre
vient compléter la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du
territoire du 4 février 1995 en adaptant les remèdes à la gravité des
situations et en prévoyant des traitements dérogatoires au droit commun
d'autant plus puissants que la situation du quartier est plus dégradée. Sont
ainsi concernés 709 zones urbaines sensibles en métropole et 35 outre-mer, 350
zones de redynamisation urbaine et 43 quartiers très difficiles - 38 en
métropole, 5 outre-mer - dénommés « zones franches urbaines ».
Je limiterai mon propos à ces zones franches urbaines, car la bataille que
nous y engageons aux côtés du Gouvernement contre l'exclusion de toute une
partie de la population est vitale. Si nous perdons cette bataille, les
conséquences de notre échec sur la société française seront très graves :
accroissement de la délinquance, de la toxicomanie, de l'échec scolaire,
création de zones de « non-droit » échappant aux lois de la République. Ce
n'est pas une vue de l'esprit - il suffit de se rendre dans certains quartiers
des grandes villes d'Amérique du Nord et du Sud pour s'en convaincre - et le
Président de la République s'en est d'ailleurs inquiété dans le discours qu'il
a prononcé au Havre le 29 septembre 1995.
Nous approuvons les critères qui déterminent le choix des zones franches :
population de plus de 10 000 habitants, taux de chômage élevé, proportion de
jeunes supérieure à 36 %, proportion importante de personnes n'ayant aucun
diplôme, potentiel fiscal inférieur à 3 800 francs par habitant. Environ 500
000 personnes sont concernées.
Nous estimons, monsieur le ministre, que le dispositif mis en place par le
Gouvernement sera attractif pour les entreprises : pas de taxe professionnelle,
pas d'impôts sur les sociétés ou sur les bénéfices industriels et commerciaux,
pas de taxes foncières en cas d'usage économique du bâtiment ou du terrain, pas
de cotisations patronales pour les embauches dans la zone, pas de droits de
mutation sur les commerces.
A cette panoplie s'ajoutent un appui particulier au système éducatif ainsi que
la majoration du montant des prêts à taux zéro afin d'assurer la mixité de
l'habitat.
Sur ce dernier point cependant, je souhaiterais être tranquillisé, monsieur le
ministre. J'ai ouï dire que, dans le budget pour 1997, le Gouvernement
prévoyait la suppression des prêts à taux zéro pour l'habitat ancien. C'est, à
mon avis, une erreur à ne pas commettre. Elle aurait des conséquences sur tout
le territoire, mais plus particulièrement dans les zones franches urbaines. Ne
rêvons-pas ! Les promoteurs ne s'y précipiteront pas. Seul l'immobilier ancien,
souvent vide ou délabré, sera sur le marché et il est indispensable qu'il soit
acquis par des particuliers et non par des sociétés d'investissement à fin de
location. D'où l'impérieuse nécessité de maintenir en faveur de l'habitat
ancien les prêts à taux zéro, et nous comptons sur vous, monsieur le ministre,
pour intervenir auprès de M. Périssol.
Parmi les mesures prévues, on compte encore la création d'équipements sportifs
de proximité, la délocalisation d'emplois publics et l'application d'indices
majorés pour les agents publics affectés dans ces quartiers, ainsi que
l'amélioration du réseau commercial.
Cette dernière mesure nous apparaît primordiale afin de casser l'effet «
cité-dortoir » dans de trop nombreux ensembles. Ne nous faisons toutefois pas
trop d'illusions. A cet égard, M. le rapporteur a fort justement cité dans son
rapport l'avis du Conseil national des villes : « Il serait illusoire de penser
attirer des activités économiques quelles qu'elles soient dans des quartiers où
la sécurité des biens et des personnes n'est pas assurée. »
La commission spéciale a pu se convaincre de cette réalité en auditionnant des
représentants du commerce et des chefs d'entreprise. La plupart de ses membres
en avaient d'ailleurs déjà conscience. J'ajoute que, bien souvent, les
commerces de ces quartiers sont concurrencés par les hypermarchés situés dans
l'agglomération, qui, il faut bien le dire, sont plus attractifs, en
particulier aux yeux de la clientèle des jeunes.
Il importe donc, mes chers collègues, d'obtenir - M. Fourcade en a parlé avant
moi - la réouverture, de jour comme de nuit, des commissariats de police de
quartier mettant des effectifs importants à la disposition des habitants.
L'îlotage n'est pas une situation alternative valable. Il faut que les
habitants de ces quartiers reconnaissent leurs policiers, comme les ruraux
reconnaissent leurs gendarmes. Les policiers pourront ainsi maîtriser bien plus
efficacement le vandalisme et la petite délinquance, qui prépare la grande et
qui atteint les jeunes de nos banlieues.
Lorsque j'étais président du cinquième office d'HLM de France, ce dernier
subventionnait un club sportif, qui recevait également l'aide du ministère de
l'intérieur, dont tous les moniteurs étaient des policiers. Avec les deniers de
l'office avaient même été construit un gymnase et achetés deux cars d'occasion
pour transporter les équipes de football composées de jeunes des cités d'HLM et
pour les amener faire du ski le mercredi. Beaucoup n'avaient encore jamais vu
la neige.
Les résultats de ce centre de loisirs pour la jeunesse sont étonnants. Le
policier n'est plus seulement perçu comme un personnage répressif mais comme un
exemple sportif. Près d'un millier de jeunes, de toutes origines, font partie
du centre, qui contribue ainsi à la tranquillité des quartiers et à
l'intégration.
Je me félicite donc que, à compter de la rentrée scolaire 1996, 4 700 appelés
du contingent soient affectés aux établissements scolaires difficiles.
Reste le problème le plus délicat à traiter, celui du logement dans ces
quartiers dégradés. Nombre de logements ont cependant déjà été réhabilités dans
le cadre des contrats de ville signés voilà quelques années. Nous en avons
ainsi signé un ensemble, monsieur le ministre - vous, en tant que président de
la région PACA -, le 11 juillet 1994, dans le cadre du pacte Etat-région-Ville
de Nice.
J'ai noté, monsieur le ministre, que vous aviez obtenu de la Caisse des dépôts
et consignations le déblocage de prêts locatifs aidés très sociaux - les PLATS
-, à hauteur de 5 milliards de francs en trois ans, qui permettront de
réhabiliter 500 000 logements dégradés. En outre, cette même caisse sera en
mesure de mettre 7,5 milliards de francs à la disposition des communes sous
forme de prêts au taux de 5,5 % pour l'amélioration de l'entretien et de la
gestion des logements sociaux, le Crédit local de France faisant de même à
hauteur de 1 milliard de francs pour améliorer l'environnement urbain dans ces
zones difficiles.
C'est donc un effort financier considérable, surtout dans le contexte
budgétaire actuel, que vous avez obtenu. Il couvrira également le secteur de la
santé, ainsi que celui de l'insertion sociale et culturelle.
Le pacte de relance prévoit également en son article 32 l'obligation, pour les
communes où se situe une zone urbaine sensible telle que définie à l'article 42
de la loi du 4 février 1995, de créer une conférence communale - ou
intercommunale si le quartier dégradé est situé sur le territoire de plusieurs
communes - du logement.
Cette conférence aura une tâche très importante à accomplir, puisqu'il lui
reviendra d'élaborer la charte communale ou intercommunale des attributions de
logements et de veiller à son application. La charte fixe « notamment les
objectifs généraux d'attribution, le cas échéant quantifiés, visant à
l'amélioration de l'équilibre résidentiel au sein des communes concernées et en
premier lieu dans la zone urbaine sensible ».
Les dispositions de la charte devront être compatibles avec celles du
règlement départemental prévu à l'article L. 441-2. Cet article et le rôle de
ces commissions seront capitaux. J'avais déjà évoqué ce problème des
attributions de logements devant notre Haute Assemblée, le 3 avril 1990, lors
de la discussion du projet de loi portant sur le droit au logement. M. Gérard
Larcher s'en souvient puisque nous étions tous deux rapporteurs du texte. Du
contenu de ces chartes, de la volonté exprimée par les participants, de leur
vision des équilibres de peuplement et de leur diversité dépendront la création
ou non, la destruction ou non des ghettos qui ont commencé à se former dans
notre pays.
A ce propos, monsieur le ministre, n'hésitons pas à raser quelques tours ou
barres et à laisser des logements vides avant même que ne se traduise sur le
terrain la dynamique engendrée par ce texte.
Cependant, mes chers collègues, si un certain transfert des responsabilités
s'opérera des responsables d'organismes sociaux vers les membres de la
conférence communale ou intercommunale, les uns et les autres ne seront pas à
l'abri de tracasseries judiciaires, de même d'ailleurs que les administrateurs
de l'établissement public dont la création est prévue à l'article 27 du projet
de loi et qui s'occupera de la redistribution des commerces.
C'est la raison pour laquelle j'avais déposé, le 18 juin 1991, lors de
l'examen du projet de loi d'orientation pour la ville, un amendement portant
sur la répartition des logements, amendement que notre assemblée avait voté. M.
Fourcade m'avait d'ailleurs apporté son appui. Mais cet amendement fut repoussé
à l'époque par l'Assemblée nationale.
Je viens donc de déposer un amendement ayant le même objectif, à savoir
permettre aux organismes d'HLM de veiller à une répartition équilibrée des
populations dans les grands ensembles sans risquer la sanction pénale qui fut
infligée à M. Frédéric Pascal, président de la Société centrale immobilière de
la Caisse des dépôts, la SCIC, et ancien président d'Amnesty International.
Le défi que vous venez de lancer au nom de l'Etat, monsieur le ministre, ne
pourra être relevé que grâce à l'engagement d'un tissu associatif dense, à
vocation notamment sportive et culturelle, qu'il faut encourager - l'article 38
du projet de loi y pourvoit d'ailleurs -, à l'engagement des comités des
habitants du quartier qu'il faut responsabiliser, car ils sont à l'heure
actuelle totalement déresponsabilisés, à l'engagement des centres
d'apprentissage et de formation, mais surtout, monsieur le ministre, à
l'engagement total des collectivités locales dont le Sénat est certainement le
représentant le plus qualifié.
Je pense que le présent projet de loi, dont l'importance apparaîtra rapidement
à tous, permettra de dépasser les clivages politiques et de recueillir un large
consensus. Vous avez en effet, monsieur le ministre, réalisé avec M. Raoult un
travail dont je me plais à souligner la qualité.
L'enjeu est vital pour assurer la paix publique, l'intégration et l'ordre
républicain dans les décennies à venir. Si ce pacte était voué à l'échec, les
conséquences seraient dramatiques pour la France. Aussi, monsieur le ministre,
vous pouvez compter sur l'appui inconditionnel du groupe des Républicains et
Indépendants.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certains travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lagourgue.
M. Pierre Lagourgue.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je constate
avec satisfaction que le projet de loi relatif à la mise en oeuvre du pacte de
relance pour la ville, que nous examinons aujourd'hui, tient compte des
conditions économiques, sociales et géographiques des départements
d'outre-mer.
En effet, nous avions pu regretter que la loi d'orientation pour l'aménagement
et le développement du territoire du 4 février 1995 n'ait pu profiter
pleinement aux départements d'outre-mer, certains des critères retenus y étant
inapplicables. Ainsi, pour être classées zones de redynamisation urbaine, les
communes concernées devaient être éligibles à la dotation de solidarité
urbaine, la DSU. Or, cette dotation n'étant pas prévue pour l'outre-mer, aucune
zone de redynamisation urbaine ne put y être créée. Dans le présent projet de
loi, le critère relatif à la DSU disparaît pour la définition des zones de
redynamisation urbaine.
Je tiens à en remercier M. Gaudin, ainsi que M. Raoult, qui, lors de son
voyage aux Antilles au mois de juillet dernier, a expressément déclaré que les
dispositions de ce texte devaient être adaptées à l'outre-mer. Je remercie
également M. Fourcade et M. Gérard Larcher, qui, au nom de la commission, ont
proposé des améliorations notables en faveur des départements d'outre-mer.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission spéciale.
Nous y sommes très attachés.
M. Pierre Lagourgue.
Le présent projet de loi, monsieur le ministre, est ambitieux tant par ses
moyens - le coût des mesures fiscales qui seront instituées est très important
- que par ses objectifs. Ils sont multiples : accroître l'activité et créer des
emplois, restaurer la paix publique, rétablir l'égalité des chances par
l'école, rénover les logements et, enfin, renforcer la position des partenaires
de la politique de la ville.
Je ne m'attarderai que sur le premier de ces objectifs : l'emploi, car c'est
aussi le premier souci dans les départements d'outre-mer, qui, je le rappelle,
détiennent les records en matière de taux de chômage : 30 % aux Antilles, 37 %
à la Réunion, soit quelque trois fois plus qu'en métropole.
Les zones prioritaires d'action en faveur de l'emploi sont classées en trois
catégories, par ordre croissant des difficultés que l'on y rencontre, et donc
des avantages fiscaux qui y seront liés.
En ce qui concerne la Réunion, les critères retenus pour la définition de la
zone urbaine sensible, c'est-à-dire, « la présence de grands ensembles ou de
quartiers d'habitat dégradé et le déséquilibre entre habitat et emploi »
correspondent, en fait, à la situation de la majeure partie des quartiers de
chaque commune de mon département.
Nous avons, hélas ! les critères les meilleurs - c'est-à-dire que nous
connaissons les pires situations - pour bénéficier de mesures spécifiques.
J'irai même plus loin, puisque je considère que la définition de la « zone de
rédynamisation urbaine », appréciée dans les départements d'outre-mer, comme
ailleurs, en fonction « du taux de chômage, du pourcentage de jeunes de moins
de vingt-cinq ans et de la proportion de personnes sorties du système scolaire
sans diplôme » s'applique, toujours en ce qui concerne mon département, aux
quartiers qui seront classés en zones urbaines sensibles selon la liste
figurant dans le décret du 28 mai 1996.
Il faudra donc que les futurs décrets qui énuméreront les zones urbaines
sensibles et les zones de redynamisation urbaine soient beaucoup plus larges
que les avant-projets dont nous avons pu avoir connaissance.
La création de quarante-quatre zones franches urbaines, dont six dans les
départements d'outre-mer, permettra aux entreprises qui y sont installées, ou
qui s'y installeront, de bénéficier pendant cinq ans de nombreuses
exonérations, qu'il s'agisse de la taxe professionnelle, de la taxe foncière,
de l'impôt sur les sociétés ou sur les bénéfices industriels et commerciaux, ou
bien encore de l'exonération des cotisations sociales.
J'avais cependant, à ce sujet, deux inquiétudes, mais les propos de M. le
rapporteur m'ont rassuré.
D'une part, ces exonérations ne devraient concerner que les entreprises qui
réalisent moins de 15 % de leur chiffre d'affaires à l'exportation. Or, cette
condition imposée par les instances européennes ne tient compte ni de la
situation ultrapériphérique des départements d'outre-mer, ni de l'étroitesse
des marchés locaux de ces régions. Le bon sens impose en effet que les
entreprises d'outre-mer se tournent vers des débouchés extérieurs si elles
veulent se développer et ainsi créer des emplois.
Aussi, monsieur le rapporteur, j'approuverai avec enthousiasme l'amendement
que vous nous soumettrez et visant à supprimer ce critère en ce qui concerne
les départements d'outre-mer.
D'autre part - et c'est une préoccupation que j'ai très souvent entendue de la
part des entreprises - les avantages attachés à l'implantation dans une zone
franche urbaine ne manqueront pas de fausser le jeu de la concurrence entre les
entreprises situées à l'intérieur du périmètre délimité et, par voie de
conséquence, éligibles aux diverses exonérations, et celles qui sont établies
en dehors de ce périmètre même si elles sont à la périphérie immédiate de la
zone franche. Nos espaces sont limités. Nous n'avons donc pas les mêmes
conditions qu'en métropole.
La création envisagée de comités d'orientation et de surveillance dans chaque
zone franche devrait certes prévenir la survenance de ces effets pervers en
faisant la chasse aux chasseurs de primes. Cependant, la tâche de ces comités
ne sera ni facile ni exempte de critiques.
Cela dit, je persiste à penser que si la création de zones franches urbaines
est nécessaire, elle est cependant insuffisante dans les départements
d'outre-mer, compte tenu de leurs handicaps en matière économique et sociale,
notamment de leur taux de chômage et de leur éloignement.
La notion de zone franche doit être étendue à l'ensemble du territoire de
chacun des départements d'outre-mer, comme cela a été proposé pour la Corse,
département qui a pourtant une situation économique bien meilleure que la
nôtre, ne serait-ce qu'en raison d'une compensation financière dans le domaine
du transport. A tout le moins conviendrait-il d'accorder à tous les
établissements économiques d'outre-mer - et c'est important - le statut d'«
entreprises franches » et les avantages qui y sont attachés.
C'est donc un appel au secours que je lance aujourd'hui aux responsables
gouvernementaux pour que la situation économique des départements d'outre-mer
fasse l'objet d'un examen d'urgence et pour que des mesures exceptionnelles
soient prises.
Sous le bénéfice de ces observations que je livre à votre méditation, monsieur
le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez a le mérite de proposer
une véritable politique pour la ville, que nous approuvons : il constitue une
réelle avancée en ce domaine.
Pour terminer, permettez-moi de formuler un voeu : je souhaite en effet que,
dans le cadre de l'action en faveur de l'aménagement du territoire -, dont vous
avez la charge, monsieur le ministre - le futur pacte de relance de l'espace
rural intervienne rapidement pour corriger, en faveur des départements
d'outre-mer, la loi du 4 février 1995, comme s'y est engagé votre collègue M.
de Peretti, ministre délégué à l'outre-mer. En effet, force est de constater
que les départements d'outre-mer ont été les laissés-pour-compte de cette loi
d'aménagement du territoire, qui a exclu, de fait, l'outre-mer du bénéfice de
nombreuses de ses dispositions.
C'est avec cet espoir que je réitère ma confiance en votre action, monsieur le
ministre, et que je voterai ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Merci, monsieur Lagourgue.
M. le président.
La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en abordant
l'examen de ce projet de loi il faut, je crois, être avant tout d'accord sur un
objectif et un constat. Après seulement, nous pourrons discuter des moyens à
mettre en place pour atteindre cet objectif.
L'objectif est bien de remédier à la situation dramatique que connaissent les
nombreux quartiers difficiles et de refuser de continuer à laisser s'aggraver
par l'absence ou l'inadéquation de nos interventions, les tensions sociales
dans certains endroits de notre territoire national. Je suis sûr que notre
désir et notre but à tous est de tout faire pour empêcher cette dérive.
Le constat est, nous sommes tous bien obligés de l'admettre, l'échec de toutes
les politiques de la ville précédemment initiées, qui n'ont pu empêcher la
montée d'une exclusion profonde et durable. Ces échecs répétés sont dus
essentiellement à deux erreurs fondamentales de diagnostic.
La première est le fait que l'on ait considéré que tous les problèmes
rencontrés dans les banlieues étaient imputables à l'urbanisme théoriquement
déshumanisé et concentrationnaire de ces grands ensembles : c'est la fameuse «
théorie de la pierre » dont parlait M. le rapporteur. Pour avoir vécu au
Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie et pour avoir ensuite suivi, en tant qu'élu
local, avec une très grande attention, l'évolution de ce quartier et sa rapide
dégradation, je puis vous affirmer que si ceux qui avançaient de telles
théories étaient venus y vivre ne serait-ce que deux semaines, ils se seraient
rapidement rendu compte de leur erreur.
La seconde erreur a été de croire que l'on pourrait résoudre tous les
problèmes en assistant de façon systématique et, à tous les niveaux cette
partie de notre population.
J'y ajouterai, pour ma part, un troisième élément, qui, selon moi, est non pas
une erreur, mais une faute : cette politique de la ville, qui est née au début
des années quatre-vingt et pour laquelle des sommes considérables ont été
dépensées, a été menée sans contrôle, sans évaluation et sans remise en cause
des deux dogmes dont je vous ai parlé précédemment et qui pourtant étaient
totalement erronés.
Puisque nous sommes tous d'accord sur les objectifs de la politique de la
ville et apparemment aussi sur le constat concernant celle qui a été menée
jusqu'à ce jour, il est donc nécessaire de mettre en place les mesures pour
atteindre le but que nous souhaitons tous atteindre.
Eh bien, mes chers collègues, ces mesures figurent pour l'essentiel dans le
pacte de relance pour la ville annoncé par le Premier ministre le 18 janvier
dernier à Marseille, et dont une partie nous est aujourd'hui soumise.
Il s'agit d'une partie seulement, car compte tenu de la volonté et de
l'engagement du Président de la République, le Gouvernement avait décidé d'agir
le plus rapidement possible, et un certain nombre de mesures réglementaires et
de textes législatifs ont déjà été adoptés. C'est ainsi que la circulaire
relative aux emplois de ville a été signée en juin dernier, comme vous l'avez
rappelé, monsieur le ministre, et permettra l'embauche de 100 000 jeunes âgés
de dix-huit à vingt-cinq ans pour une durée de cinq ans, grâce à une aide
importante de l'Etat.
Je pense aussi à l'exonération de supplément de loyer de solidarité pour les
logements sociaux situés en zone urbaine sensible, loi dont j'ai eu l'honneur
d'être le rapporteur devant la Haute Assemblée au début de l'année. Je songe
encore à la réforme de la dotation de solidarité urbaine, votée le 26 mars et
qui apporte aux municipalités concernées un important supplément de ressources,
et, enfin, à la réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance
délinquante et qui vise les mineurs multirécidivistes, problème émergent majeur
de nos cités.
Si ce projet de loi qui est soumis à notre approbation ne représente qu'une
partie des mesures du pacte de relance, je partage totalement l'avis de notre
rapporteur, Gérard Larcher, selon lequel il constitue une avancée décisive pour
la politique de la ville et une réponse tout à fait novatrice au vaste problème
des banlieues en difficulté.
En effet, jusqu'à présent, jamais un gouvernement n'avait envisagé un plan
d'une telle envergure. Ce projet de loi est nouveau et ample. Surtout, il
propose pour la première fois une approche systématique et globale du
traitement des problèmes des quartiers en difficulté.
Je ne reprendrai naturellement pas les différentes mesures de ce projet de
loi, qui nous ont été présentées de façon magistrale, comme à l'accoutumée, par
notre rapporteur mais j'insisterai sur un certain nombre de points qui me
paraissent particulièrement importants.
D'abord, c'est la première fois que le développement économique et donc
l'emploi sont au centre du système. Il était grand temps d'abandonner cette
culture de l'assistanat social systématique générateur de dépendances, de
stagnations et d'injustices. La remplacer par une organisation dynamique et
active privilégiant la responsabilité et l'engagement des citoyens concernés
est la seule voie de la réussite. Ils seront ainsi des partenaires actifs du
changement de leur cadre de vie, dont ils pourront à terme, sans fausse
démagogie, s'approprier une part importante du succès, retrouvant ainsi leur
dignité et une véritable citoyenneté.
Encore faut-il donner à ceux qui le souhaitent les chances d'y arriver, et
cela conduit normalement au débat sur le principe de la discrimination positive
mis en avant par certains pour s'opposer à ce projet de loi, principe dont on
aurait pu d'ailleurs croire qu'ils seraient les premiers défenseurs au nom de
la solidarité.
Eh bien, pour ma part, mes chers collègues, je n'ai aucun état d'âme, bien au
contraire.
J'estime que les mesures présentées manifestent la solidarité de l'ensemble de
la nation à l'égard des zones et des concitoyens les plus déshérités de notre
territoire national. Ne pas appliquer ce principe dans ce cas-là serait
éminemment condamnable et relèverait moralement de la non-assistance à citoyen
en danger.
A côté de cela, nous avons le devoir d'affirmer notre détermination, car rien
ne serait pire que de faire preuve d'utopisme ou d'angélisme.
C'est dans cet esprit que la commission spéciale a présenté un certain nombre
d'amendements, notamment ceux qui concernent l'article 4, lesquels, s'ils sont
adoptés, favoriseront dans les zones franches l'implantation de vraies
entreprises de main-d'oeuvre avec de véritables moyens d'exploitation pouvant,
au terme de cinq ans, sortir de façon progressive du système d'exonérations.
De la même façon, le projet de loi en son état actuel ne prévoit pas
d'exonération pour les cotisations personnelles des commerçants, artisans et
professions libérales dans ces zones franches. Pour ma part, il me paraîtrait
profondément injuste que soient écartés de ce dispositif ces acteurs de terrain
qui ont réussi, grâce à leur courage et à leur ténacité, à rester dans ces
quartiers, dans des conditions souvent terriblement difficiles, maintenant
ainsi ce lien social indispensable avec les habitants. Mes chers collègues, je
suis sûr que vous aurez à coeur de corriger cette lacune en adoptant
l'amendement visant à insérer un article additionnel après l'article 7.
Le deuxième point sur lequel je voudrais insister, après les mesures d'ordre
économique qui permettront de rétablir les équilibres habitat-activité et
habitat-commerce, vise les mesures concernant le logement, qui doivent
permettre de rétablir l'équilibre de l'habitat en y instaurant une réelle
mixité sociale.
Le projet de loi prévoit l'obligation pour les communes dotées d'une zone
urbaine sensible d'élaborer un plan local de l'habitat : cette mesure est
capitale, car elle engagera une réflexion globale de la politique de l'habitat
sur un territoire précis et permettra donc de rectifier les tendances et de
corriger les dérives qui ont pu apparaître au cours du temps. Je formulerai
cependant le regret que le territoire concerné reste celui de la commune alors
que, comme nous le savons tous, il serait fortement souhaitable, pour trouver
une solution optimale à ces problèmes de l'habitat, de l'élargir à un espace
intercommunal, voire à l'espace d'un bassin de vie.
De la même façon, les conférences communales ou intercommunales du logement
doivent garder la plus grande transparence pour parvenir à rétablir la mixité
sociale là où elle a disparu et à la garantir dans les sites où elle existe
encore.
Quant au dispositif sur les copropriétés dégradées, qui est particulièrement
intéressant pour résoudre ce problème difficile, la commission spéciale propose
un certain nombre d'amendements qui visent à engager les procédures nécessaires
le plus précocement possible, tout en constatant que l'on intervient presque
toujours pour remédier à des situations très dégradées.
Le troisième et dernier point sur lequel je voudrais attirer votre attention -
il me paraît capital, car il conditionne non seulement la réussite des deux
premiers points mais aussi la réussite globale du pacte de relance pour la
ville - est le problème de la sécurité.
Le rétablissement de l'ordre républicain et de la sécurité des biens et des
personnes est le préalable indispensable à la réussite de toute politique de la
ville. Ce point est tellement important qu'aucun des orateurs n'a oublié de le
mentionner et d'y insister depuis le début de la matinée.
Du point de vue économique, la défiscalisation est nécessaire pour attirer
activités et commerces. Mais tous les chefs d'entreprise, sans exception, vous
diront qu'elle n'est pas suffisante et qu'il faut, de plus, recréer un
environnement propice à l'exercice de leur activité, ce qui passe
nécessairement par le rétablissement de la sécurité.
De même, la mixité sociale de l'habitat ne se décrète pas, pas plus que l'on
ne contraint des familles à revenus intermédiaires à venir s'installer dans
certains quartiers. Cela se fera spontanément quand les quartiers concernés
feront à nouveau partie du parcours résidentiel classique des jeunes ménages et
des classes moyennes, c'est-à-dire quand toutes les conditions seront réunies
pour que les différentes populations puissent vivre ensemble de façon
harmonieuse.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que président du district
urbain de Mantes-la-Jolie et sénateur des Yvelines, je suis confronté
quotidiennement à cette dualité culturelle, économique et sociale, que j'ai vu
d'ailleurs s'aggraver considérablement pendant les quinze années au cours
desquelles j'ai exercé un mandant d'élu local.
Pour beaucoup, les Yvelines sont l'un des départements les plus beaux et les
plus riches de France. Il n'est d'ailleurs nul besoin de citer ces villes
emblématiques que sont Versailles, Saint-Germain-en-Laye, Rambouillet,...
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Bien sûr !
M. Dominique Braye.
... dont le maire est le rapporteur de la commission spéciale, Gérard Larcher,
villes qui sont connues pour la beauté de leurs sites, de leurs forêts et de
leurs châteaux.
Mais les Yvelines, c'est sont aussi Mantes-la-Jolie avec le Val-Fourré, Les
Mureaux avec la Vigne-Blanche, Chanteloup-les-Vignes, Trappes, Sartrouville et
bien d'autres villes.
Mes chers collègues, face au désarroi de certains habitants de ces quartiers,
des entrepreneurs et des commerçants qui y sont installés, de cette jeunesse
désoeuvrée, il fallait apporter à l'échelon national une réponse forte, claire,
globale et adaptée.
Le projet de loi que vous nous soumettez, monsieur le ministre, apporte
manifestement cette réponse ; je voudrais à cette occasion vous en rendre
hommage, car ce texte est de toute évidence le fruit, d'une part, d'une longue
concertation avec tous les partenaires concernés, qu'ils soient élus locaux,
représentants du monde socio-économique ou associatif, et, d'autre part, d'un
travail considérable de deux ministres qui connaissent parfaitement le sujet
grâce à l'exercice de leurs mandats locaux.
C'est donc avec enthousiasme et réalisme que je voterai ce projet de loi ainsi
que les améliorations proposées par M. le rapporteur, au nom de la commission
spéciale du Sénat. Je le voterai avec enthousiasme pour les raisons que j'ai
citées précédemment, et avec réalisme, car je sais qu'il nous faudra mobiliser
tous les acteurs pour que le marché vienne, au moment propice, prendre le
relais des interventions publiques qui, si elles sont, certes, très
importantes, ne sont cependant pas inépuisables.
Il nous faudra donc continuer à faire preuve, de façon durable, de courage et
de ténacité, car les difficultés ne s'effaceront pas du jour au lendemain.
Sachez en tout cas, monsieur le ministre, que je suivrai naturellement de très
près l'application de ce projet de loi, qui, s'il n'est pas un aboutissement,
constitue néanmoins une étape très importante de la politique de la ville et
est le signe de notre réelle et très forte volonté de réduction de la fracture
sociale et territoriale de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
Mes chers collègues, la suite de la discussion de ce projet de loi est
renvoyée à la séance de demain.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize
heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures cinq, est reprise à seize heures, sous
la présidence de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président. La séance est reprise.
3
POLITIQUE GÉNÉRALE
Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration de politique générale du Gouvernement,
suivie d'un débat et d'un vote sur cette déclaration, en application de
l'article 49, quatrième alinéa, de la Constitution.
La parole est à M. le Premier ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, compléter, renforcer, dynamiser notre politique pour l'emploi, telle
est la priorité de l'action que nous sommes décidés à conduire au cours des
prochains mois.
Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes donnés trois armes.
La première, c'est le projet de loi de finances pour 1997, qui vous sera
soumis dans quelques semaines et qui repose sur des principes tout simples, à
savoir qu'on ne peut obtenir de créations d'emplois sans croissance et qu'il
n'y a pas de croissance sans un rétablissement des grands équilibres
budgétaires et financiers. C'est la raison pour laquelle, pour la première fois
depuis bien des années, nous sommes parvenus à stabiliser les dépenses de
l'Etat, qui ne seront pas plus élevées en 1997 qu'elles ne l'ont été en 1996.
Nous avons également réduit le déficit public et nous engageons une réforme de
l'impôt sur le revenu, qui sera sensiblement abaissé.
Cette réforme est une réforme juste. Vous savez à quelle idée générale elle
répond : tout au long des années qui viennent de s'écouler, on a
systématiquement, du point de vue fiscal, privilégié les revenus de ce qu'un
Président de la République appelait « l'argent qui dort », au détriment des
revenus du travail. C'est cette injustice-là que nous souhaitons corriger et
c'est toute la philosophie de la réforme qui vous est proposée.
Cette réforme est simple : elle consiste à abaisser tous les taux de toutes
les branches du barème. Elle est ambitieuse, puisque l'on n'a jamais proposé au
Parlement une réduction du quart du montant de l'impôt sur le revenu comme nous
le faisons cette année. Elle est durable, puisque nous vous demanderons de
voter le barème de l'impôt sur le revenu des cinq prochaines années, ce qui
donnera la lisibilité nécessaire à tous les acteurs économiques. Il s'agit donc
d'un projet de loi de finances qui innove.
Ensuite - c'est notre deuxième arme dans cette lutte pour l'emploi - nous vous
proposerons un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui, par
définition, innove, puisqu'il est le premier que la représentation nationale
aura l'occasion de discuter.
Je le rappelle, ce dispositif était au coeur de la réforme de la sécurité
sociale que je vous ai proposée l'an dernier. Depuis bien des années, le
Parlement souhaitait être saisi périodiquement d'un débat sur les grands
équilibres de notre protection sociale. Eh bien ! grâce à la réforme mise en
oeuvre, c'est désormais chose faite. Il ne s'agit pas, contrairement à ce que
j'ai lu ici ou là, d'un énième plan élaboré en catastrophe, mais bien du
rendez-vous annuel entre la représentation nationale et la sécurité sociale.
Ce débat sera, j'en suis sûr, l'occasion de faire avancer la réforme que nous
sommes en train de mettre en place et qui sera notamment marquée, dans le
courant du mois d'octobre, par la diffusion du carnet de santé, qui sera l'un
des instruments les plus efficaces de maîtrise de la dépense. Je recevais, ce
matin même, le président du conseil de l'Ordre des médecins, qui nous a
beaucoup aidés dans la définition de ce carnet de suivi médical et qui m'a
assuré du soutien de l'Ordre dans sa diffusion et sa mise en oeuvre.
Enfin, la troisième arme de cette politique pour l'emploi, c'est la stabilité
de la monnaie, qui nous assure la baisse des taux d'intérêt.
Je voudrais, sur ce point, souligner les résultats, inattendus par leur
ampleur, qui ont été obtenus depuis un an. Je me souviens qu'à l'été 1995, à
une époque où les taux d'intérêt à court terme étaient supérieurs à 6 %, l'on
rêvait d'une détente de ces taux qui nous ramènerait entre 4 % et 4,5 %. Vous
connaissez les derniers chiffres : nous sommes en dessous de 3,5 % et aux
alentours de 6 % pour les taux à long terme.
Cette évolution exceptionnellement favorable ne peut pas ne pas avoir d'effets
diffus dans l'ensemble de l'économie, au profit des collectivités
territoriales, au profit des entreprises qui investissent, au profit des
particuliers qui équipent leur ménage ou qui achètent leur logement.
Quant à notre monnaie, elle se tient aujourd'hui remarquablement, ce qui est
un facteur d'indépendance, de rayonnement et de prospérité pour la France.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Cette stabilité de la monnaie et cette détente jusque-là jamais
enregistrée des taux d'intérêt nous permettent d'avancer dans notre marche vers
la monnaie unique, qui a désormais conquis sa crédibilité et qui constitue le
coeur du projet politique susceptible de renforcer l'Union européenne dans un
monde qui s'organise.
Cette monnaie unique nous apportera beaucoup. A deux conditions, il est vrai,
que je voudrais rappeler devant la Haute Assemblée.
La première de ces deux conditions, c'est l'existence, entre les pays qui
seront entrés dans l'Euro et les pays dont la monnaie sera toujours candidate,
d'une règle du jeu claire qui nous mette à l'abri des dévaluations compétitives
que nous avons subies au cours des dernières années. La France est arrivée à
faire accepter cette idée par ses partenaires, ce qui n'était pas évident voilà
quelques mois seulement. A Dublin, récemment, les ministres de l'économie et
des finances ont ainsi fait des progrès tout à fait décisifs dans la mise en
place d'un système monétaire européen
bis
, qui garantira cette règle du
jeu entre les pays qui seront dans l'Euro et ceux qui n'y seront pas encore.
La seconde condition pour que la monnaie unique soit un atout dans la
compétition internationale, c'est que sa parité avec les grandes monnaies du
monde, tout particulièrement avec le dollar, soit gérée conformément aux
réalités économiques. De ce point de vue, nous ne nous lasserons pas de répéter
que se pose un problème de sous-évaluation chronique du dollar, auquel il
faudra porter remède lorsque nous en aurons les moyens grâce à la constitution
de la monnaie unique et de l'Euro.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Les premiers signes encourageants de cette politique sont apparus.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Eh oui ! hormis quelques
observateurs frappés de cécité, tout le monde le dit aujourd'hui !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je ne
connais pas un seul observateur économique, une seule organisation nationale ou
internationale qui ne prédise pas pour 1997 une croissance deux fois plus
rapide qu'en 1996,...
M. Pierre Mauroy.
Vous devriez vous méfier des observateurs !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... hormis le groupe socialiste du Sénat, qui manifeste
ainsi son originalité !
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Quelles que soient les difficultés du temps - et sachez bien que je ne
les sous-estime pas : je connais les difficultés, la souffrance des familles
dont les enfants sont frappés par le chômage - nous voyons apparaître
aujourd'hui des signes encourageants : une inflation maîtrisée, un commerce
extérieur très excédentaire, ce qui donne du travail à un Français sur
quatre,...
M. René-Pierre Signé.
C'est la méthode Coué !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... des taux d'intérêt historiquement bas, je l'ai
rappelé tout à l'heure, et les perspectives de croissance que je viens de
souligner.
De nombreux sénateurs socialistes.
Et les sondages ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je ne fais pas, moi, d'économie avec les sondages.
C'est une nouvelle différence avec le groupe socialiste du Sénat !
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
C'est toute la
différence entre une politique à la petite semaine et une politique qui prend
en compte l'intérêt national.
(Vifs applaudissements sur les mêmes travées. - Protestations sur les travées
socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Ivan Renar.
Et le chômage ?
Mme Hélène Luc.
Oui : le chômage, pas les sondages !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je suis affligé, mesdames, messieurs les sénateurs, par
le niveau de l'argumentation qui me parvient aux oreilles en provenance de la
gauche.
(Vives protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Attendez que nous nous exprimions !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je ne suis pas le seul à voir apparaître ces signes
encourageants puisqu'un grand journal, qui n'est pas spécialisé dans la
propagande pro-gouvernementale, titrait ce matin : « L'immobilier repart enfin
». Il se passe donc bien quelque chose aujourd'hui dans le domaine de
l'économie !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Protestations
sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
M. Ivan Renar.
Oui : la spéculation est en hausse.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. Périssol a rappelé récemment que la période au cours
de laquelle nous avons vécu le sinistre le plus important en matière
d'accession à la propriété et de mise en construction de logements a été celle
qui s'est étendue entre 1989 et 1993, au cours de laquelle vous avez fait vos
preuves en matière de logement, messieurs les socialistes !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La spéculation n'a jamais atteint le degré auquel elle est parvenue en
1989, en 1990 et en 1991. Et qui était alors au pouvoir ?
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Claude Estier.
Et la mairie de Paris ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Est-ce à dire, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il
suffit de continuer et que l'amélioration qui se dessine est de nature à
répondre à toutes nos attentes ? Evidemment non : il faut aller plus loin afin
que cette croissance retrouvée soit aussi plus riche en emplois.
A cet égard, il faut accroître l'aide aux petites et moyennes entreprises, qui
ont été si surtaxées et pressurées pendant la précédente période.
(Vifs
applaudissements sur les mêmes travées.)
M. René-Pierre Signé.
C'est une caricature !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Nous venons, de ce point de vue, de franchir une étape
décisive avec la jonction de ce qui j'appellerai la ristourne Balladur et la
ristourne Juppé au 1er octobre 1996, qui assure désormais une baisse de 13 %
des charges sociales sur les entreprises qui emploient de la main-d'oeuvre peu
qualifiée.
Nous irons plus loin pour aider les entreprises à se créer, à exporter, en
réformant le code des marchés publics.
De façon plus générale, conformément aux excellentes propositions qui figurent
dans le rapport de l'un d'entre vous, le sénateur Philippe Marini
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE),
nous
réformerons le droit des sociétés de façon à leur donner un cadre juridique
clair et précis.
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Il nous faut ensuite, mesdames, messieurs les sénateurs, aller plus loin dans
le développement des emplois de proximité, parce qu'il est vrai que c'est une
bonne manière de conforter la croissance et l'emploi. Nous l'avons fait avec
les emplois de ville, nous l'avons fait avec le contrat initiative-emploi pour
les jeunes sans qualification.
(Protestations sur les travées
socialistes.)
Eh oui ! le chômage des jeunes s'est stabilisé depuis un an
(Nouvelles
protestations sur les mêmes travées),
ce qui n'avait pas été le cas entre
1990 et 1993. Nouvelle vérité difficile à entendre !
(Brouhaha sur les
travées socialistes.)
Nous le ferons à nouveau au 1er janvier 1997, grâce au Sénat en grande partie,
qui nous a permis de trouver la bonne solution pour mettre en oeuvre la
prestation autonomie au début de l'année prochaine.
(Applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce texte vous sera prochainement
soumis, conformément aux orientations que vous avez proposées.
Il faut aller plus loin dans l'encouragement au temps choisi parce que nous
savons bien qu'un partage du temps de travail, dans le monde où nous vivons,
est l'une des façons de répondre au problème du chômage.
M. Alain Richard.
Vous n'avez pas toujours dit cela !
M. Philippe Labeyrie.
Vous étiez contre !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
La majorité a adopté récemment un texte important
relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail. Il est désormais
opérationnel puisque les textes d'application sont parus au
Journal
officiel.
Il commence à être utilisé par de nombreuses entreprises.
Il faut, enfin, aller plus loin dans l'alternance et dans l'insertion
professionnelle des jeunes. Après la réforme réussie de l'apprentissage, menée
à bien par M. Jacques Barrot au début de cette année, il nous faut mettre en
oeuvre la réforme de l'éducation nationale, dont l'une des grandes ambitions,
vous le savez, est le développement de toutes les formations en alternance, que
ce soit à l'intérieur des établissements scolaires ou directement dans le monde
de l'entreprise.
M. Jean-Louis Carrère.
En réduisant les crédits budgétaires !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Voilà quelques-unes des directions dans lesquelles je
vous propose d'aller plus loin pour mobiliser l'ensemble des énergies
nationales contre ce fléau que constitue le chômage, et tout particulièrement
le chômage des jeunes.
Le Gouvernement est ouvert, dans ce domaine, à toute proposition nouvelle. Je
suis particulièrement attentif à celles que formule M. le président du Sénat
sur la base de l'expérience qu'il a sur le terrain.
Je crois, en effet, que la mobilisation de tous les acteurs de l'économie, des
collectivités décentralisées et des entreprises dans ce que j'ai appelé un
véritable devoir national d'insertion est aujourd'hui nécessaire si nous
voulons faire entrer 300 000 à 400 000 jeunes dans le circuit des
entreprises.
Je souhaite donc élaborer avec les élus et avec les entrepreneurs qui
l'accepteront de véritables plans d'action décentralisés pour l'insertion
professionnelle des jeunes ; nous allons commencer à le faire, sur la
proposition de M. Barrot et de Mme Couderc, dans un certain nombre de
départements témoins.
Voilà un rappel, sans doute rapide mais nécessaire, de cette première grande
orientation de la politique du Gouvernement :...
M. François Autain.
Et les sondages ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... la mobilisation de toutes et tous contre le chômage
et pour l'emploi.
Je souhaitais également dessiner une seconde orientation pour les mois qui
viennent. Cette orientation, je l'ai organisée autour de l'idée d'une nouvelle
démocratie pour le citoyen de l'an 2000.
A chaque période de son histoire, lorsqu'elle a vécu des mutations profondes,
comme c'est le cas aujourd'hui, la France a su renouveler le pacte social qui
unit ses citoyens.
M. René-Pierre Signé.
Ne parlez pas de social !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Aujourd'hui, la montée des difficultés nous amène à
faire preuve à nouveau d'imagination et à mieux entendre les aspirations de nos
concitoyens.
La première aspiration, c'est l'aspiration à un nouveau mode de relation avec
l'Etat, une relation qui soit plus simple, plus directe et plus proche, ce qui
pose à la fois le problème de l'achèvement de la décentralisation et de progrès
véritablement décisifs en matière de déconcentration.
A ce sujet, je voudrais d'abord rappeler que, s'il s'agit de rendre l'Etat
plus simple, plus transparent et plus proche, il nous faut aussi - c'est loin
d'être contradictoire, je dirai même que c'est complémentaire - nous assurer
qu'il assume bien ses missions régaliennes, à commencer par le respect de la
loi et de l'autorité de la République sur l'ensemble du territoire national.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je voudrais, sur ce point, vous redire la détermination du Gouvernement
en ce qui concerne le problème dans lequel vit la Corse.
Plusieurs sénateurs du RPR.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Lorsque je suis allé en Corse, les 17 et 18 juillet
dernier, j'ai tendu la main à tous ceux qui siègent à l'assemblée territoriale
de Corse, car ils ont tous reçu la légitimité du suffrage.
La réponse, vous la connaissez, de la part de certaines organisations ; c'est
la fuite en avant dans la violence et le terrorisme. L'Etat républicain ne
faiblira pas et se donnera tous les moyens de faire respecter la loi en Corse
comme sur le continent.
(Applaudissements prolongés sur les mêmes travées.)
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
A cet effet, nous avons renforcé les moyens de la
police, de la gendarmerie et de la police judiciaire. Les autorités judiciaires
se sont mobilisées. On a enfin, ce qu'on n'avait pas fait depuis longtemps,
engagé de véritables enquêtes...
(Protestations sur les travées socialistes...),
qui permettent de réunir
les charges nécessaires.
M. François Giacobbi.
C'est vrai !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Certains d'entre vous le disent et le pensent,
messieurs les socialistes, lorsqu'ils ont un peu de bonne foi et de cohérence.
Demandez à vos députés corses ! Demandez à vos sénateurs corses !
M. Pierre Mauroy.
Demandez aux vôtres !
M. Alain Richard.
Ne soyez pas trop dur avec M. Balladur !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Ces enquêtes, lorsqu'elles ont été diligentées, nous
ont d'ores et déjà permis d'arrêter et de traduire devant les tribunaux plus
d'une vingtaine de délinquants et de criminels. Nous continuerons sur cette
voie, qui est celle de la légalité et de l'autorité de l'Etat.
Dans le même temps - c'est le deuxième pilier de ce que j'avais proposé en
Corse - nous ferons preuve de solidarité pour aider au développement
économique, social et culturel de la Corse.
J'ai annoncé, au mois de juillet, un plan d'ensemble qu'on a trop souvent
réduit à la zone franche, qui n'en est qu'un des aspects. Il comporte bien
d'autre volets concernant l'agriculture, le désendettement, mais aussi les
aspects culturels et linguistiques. C'est avec détermination et continuité que
nous le mettrons en oeuvre.
Cet Etat qui, je le disais, assume ses fonctions régaliennes, doit être aussi
plus transparent et plus proche. C'est la philosophie qui anime le projet de
loi sur les relations entre les administrations et les citoyens, qui vous sera
soumis d'ici à quelques semaines.
C'est également la philosophie qui animera les mesures de déconcentration
nouvelles que le Gouvernement est en train de préparer.
La nouvelle citoyenneté, c'est aussi un mode de relations nouveau entre le
citoyen et la justice.
Les Français aspirent à une justice sereine, rapide, égale.
(Exclamations et rires sur les travées socialistes.)
C'est ce qui
inspire le projet de loi sur la détention provisoire, que vous avez d'ores et
déjà examiné.
M. Gérard Delfau.
Ah oui !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
C'est ce qui inspirera également le projet de loi
modifiant la procédure de jugement en matière criminelle, qui, après une large
concertation menée en 1995,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Demain, on rasera gratis !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... a fait l'objet d'un consensus et marquera une très
grande étape dans la rénovation de notre système judiciaire.
Nous sommes prêts à aller plus loin. J'ai évoqué la possibilité, sur la base
des propositions qui sont faites ici ou là, d'organiser une grande réflexion
sur la responsabilité du juge dans la société française et sur le point
d'équilibre à trouver entre la nécessaire protection des libertés individuelles
et l'autorité de l'Etat, garant de la cohésion nationale. Je vous invite à ce
débat dans le courant de l'année 1997.
Troisième aspiration qui constitue cette nouvelle citoyenneté, cette nouvelle
démocratie dont je parlais il y a quelques instants : une plus grande
participation à la prise de décision au niveau tant national que local.
Il y a parmi vous nombre d'élus locaux. Tous savent que nos concitoyens
souhaitent être impliqués dans les décisions, ne veulent plus les voix
descendre d'en haut, que ce soit de Paris, d'ailleurs, ou d'échelons de
décision décentralisés.
Il faut donc que nous réfléchissions à ce qu'on a appelé - la formule n'est
pas de moi - « la modernisation de la vie politique ». C'est dans cet esprit
que j'ai écrit, hier, à toutes les formation politiques représentées à
l'Assemblée nationale ou au Sénat pour les interroger sans
a priori
sur
un certain nombre de problèmes qui, me semble-t-il, se posent aujourd'hui dans
notre société : la place des jeunes et des femmes dans la vie politique, le
cumul des fonctions ou des mandats, le statut de l'élu, le rôle des fondations
politiques, les modes de scrutin, le cas échéant, qu'il s'agisse du scrutin
législatif ou du scrutin régional.
J'ai souhaité que les formations politiques me fassent connaître leur avis
d'ici à la fin du mois de novembre. Sur cette base, j'essaierai de dégager des
points d'accord que je vous soumettrai. Nous verrons alors s'il est possible
d'introduire dans notre législation telle ou telle modification. Nous le
ferons, je le répète, en tenant très largement compte des avis que vous aurez
exprimés.
Une autre aspiration qui se manifeste est l'aspiration à la cohésion sociale
dans notre pays.
De ce point de vue, il m'apparaît que le texte que nous venons de transmettre
au Conseil économique et social, et qui s'intitule « loi d'orientation pour le
renforcement de la cohésion sociale », fera date.
J'ai eu l'occasion de rencontrer récemment, à Matignon, la Fédération
nationale de l'action pour la réinsertion sociale, qui regroupe un grand nombre
d'associations. Tout en soulignant, bien évidemment, qu'il aurait mieux valu
que les moyens fussent plus abondants, elle m'a fait part d'un accord de fond
sur les grandes orientations de ce texte, sur les droits nouveaux qu'il
institue et sur la philosophie générale qui l'inspire.
C'est un texte qui fera date, je le répète, parce qu'il réaffirme l'accès de
tous aux droits de tous : accès aux soins par la mise en oeuvre de l'assurance
maladie universelle, par une action nouvelle face à certains fléaux sanitaires,
comme la tuberculose, qui avait été perdue de vue ; accès au logement,
également, par la réforme des procédures d'attribution du logement social et le
rôle accru donné à l'Etat dans ce domaine ;...
M. René-Pierre Signé.
Le logement HLM !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... accès, enfin, à la citoyenneté et au droit de
vote.
Ce texte marque aussi un progrès décisif au regard de l'une des grandes idées
que le Président de la République avait lancées pendant sa campagne, à savoir
la réactivation des dépenses passives en matière sociale. Vous connaissez
l'idée : avec l'argent public, il vaut mieux aider quelqu'un à s'insérer dans
la vie de travail plutôt que de l'indemniser à ne rien faire.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
D'où l'idée des 300 000
contrats d'initiative locale, qui se substitueront peu à peu - en cinq ans - à
certains RMI, aides sociales spéciales ou allocations de parent isolé. Ainsi,
c'est une grande orientation du Président de la République contre la fracture
sociale qui sera concrétisée par ce texte.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Autre volet de ce texte, parmi bien d'autres : un programme ambitieux de
lutte contre l'illettrisme. Vous êtes tous bien conscients que l'illettrisme,
aujourd'hui, frappe 10 % de la population française, d'après les enquêtes qui
ont été faites. Il nous faut réagir, devant cette situation, dès l'école, et
l'éducation nationale se mobilisera, mais aussi grâce à la mise en place, qui
vous sera bientôt proposée, du rendez-vous citoyen. Ce sera un moment de
détection des situations d'illettrisme et d'orientation de nos jeunes vers des
formules qui leur permettront de sortir de cette situation qui les empêche de
s'intégrer dans le circuit du travail et de la citoyenneté.
Aspiration, donc, à la cohésion sociale. Elle sera, je l'espère, mieux
satisfaite grâce à ce texte.
Aspiration aussi à la cohésion nationale. Etre citoyen au XXIe siècle, ce sera
vivre de nouveaux droits et de nouveaux devoirs. Ce sera également concilier la
modernité, l'ouverture, la mondialisation avec le besoin de ressourcement et
d'attachement aux racines, qui est dans nos coeurs aux uns et aux autres.
On nous parle souvent du droit à la différence, et je le respecte. Mais ne
faut-il pas aussi respecter le droit à l'identité ?
(« Bien sûr ! » sur les travées du RPR.)
Cela me conduit à dire un mot d'un sujet difficile, mais que je ne veux
pas éluder : la politique de l'immigration. En la matière, la politique que je
vous propose repose sur trois piliers.
Premier pilier : la fidélité de la France à sa tradition d'accueil et d'asile
et à une politique généreuse d'intégration de ceux qui acceptent les règles du
jeu de la communauté internationale. C'est notre honneur, et nous le
conserverons !
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Deuxième pilier : l'engagement pour le développement et la coopération.
Là encore, il m'apparaît qu'on ne dit pas assez aux jeunes Françaises et aux
jeunes Français qu'ils vivent dans un pays qui, par rapport à sa population,
est le plus généreux, le plus ambitieux et le plus en pointe sur la scène
mondiale pour aider les peuples qui souffrent et qui sont dans la misère.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Vous l'avez vu à Lyon, lors du G 7 : alors que tous nos
grands partenaires étaient en retrait sur l'aide au développement, les
positions du Président de la République ont prévalu, et elles viennent de se
concrétiser lors de la session de la Banque mondiale et du Fonds monétaire
international. Oui, je le dis ici avec fierté : la France est exemplaire dans
l'aide au développement !
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Enfin, troisième pilier de cette politique de l'immigration,
indissociable des deux autres : le refus déterminé de l'immigration
illégale.
De ce point de vue, notre législation comporte des lacunes et des
incohérences.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Encore ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Le Gouvernement proposera deux projets de loi : l'un
pour mieux lutter contre le travail clandestin, qui sera présenté par le
ministre du travail et des affaires sociales ; l'autre qui tendra à modifier
l'ordonnance du 22 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour
des étrangers en France,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Une fois de plus !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... et qui sera présenté par le ministre de
l'intérieur.
Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques
indications que je voulais vous donner sur les orientations de la politique que
nous allons mener ensemble pendant cette session qui s'ouvre et qui nous
conduira à l'été 1997.
Pour cela, il nous faut évidemment faire preuve de cohésion et de solidarité
(Exclamations et rires sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
Je sais que la majorité en fait preuve.
(Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Je lui dis toute ma
gratitude pour le soutien sans faille qu'elle m'a toujours apporté depuis un an
et demi dans les conditions et dans les circonstances les plus difficiles.
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Cela contrarie certains, et pourtant c'est vrai ! C'est d'ailleurs
pour cela que je le disais.
(Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Vous voyez !
Il nous faut aussi entraîner nos concitoyens. De ce point de vue, j'en ai
conscience, beaucoup reste à faire,...
M. René-Pierre Signé
On se demande s'il croit à ce qu'il dit !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... car je perçois bien le climat de scepticisme et de
morosité qui se perpétue dans notre pays - peut-être un peu moins qu'on ne le
dit dans le microcosme ! - tant il est vrai que les difficultés existent.
Pour cela, il nous faut donner confiance, montrer la direction, insuffler cet
esprit d'entreprise et cet esprit de conquête que le Président de la République
a évoqués si souvent.
Les bons résultats qui sont en train de s'esquisser nous permettront de le
faire encore mieux demain qu'aujourd'hui.
Il nous faut aussi ramener souvent le débat sur le terrain des valeurs. C'est
notre responsabilité d'élu parce que nous vivons dans un monde où la morale
républicaine qui soude le pacte républicain est parfois contestée, écornée,
déstabilisée.
Il y va de la liberté, que menacent à la fois la complexité d'un monde de plus
en plus bureaucratique et technicien, et le sectarisme de certains extrêmes.
Il y va de l'égalité, qui doit non pas brider l'esprit d'entreprise et
l'esprit de conquête, mais leurs permettre de s'épanouir en chacun et chacune
d'entre nous, avec des chances égales pour tous.
Il y va de la fraternité, qui est non pas l'assistance démotivante, mais la
solidarité entre personnes responsables, la tolérance, la générosité,
l'harmonie de la vie familiale, l'affirmation du sentiment national dans le
respect de toute personne humaine.
De ce point de vue, je veux vous dire ma détermination, quelles que soient les
difficultés juridiques que cela soulève, à faire en sorte qu'un certain nombre
de provocations au racisme, à l'antisémitisme et à la xénophobie ne restent pas
impunies dans notre pays, et je vous ferai des propositions en ce sens.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Voilà pourquoi mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite
aujourd'hui, à l'occasion de ce débat, à exprimer cette confiance que, je le
sais, vous avez dans la politique que nous menons, de façon que cette confiance
puisse se diffuser autour de nous et chez les Français.
(Murmures sur les travées socialistes.)
C'est pour que s'exprime clairement le soutien que vous nous apportez que
j'ai l'honneur de solliciter de votre Haute Assemblée, au titre de l'article
49-4 de la Constitution, votre approbation sur la déclaration de politique
générale que je viens de prononcer.
(Mmes et MM. les sénateurs du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que certains sénateurs du RDSE se lèvent et
applaudissent.)
M. le président.
Nous allons procéder maintenant au débat sur la déclaration de politique
générale du Gouvernement faite devant le Sénat.
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé l'organisation de ce
débat.
Elle a accordé un temps de parole de quinze minutes à l'orateur de chaque
groupe et de cinq minutes pour l'orateur de la réunion administrative des
sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
La parole est à M. de Rohan.
(Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur plusieurs travées des
Républicains et Indépendants et de l'Union Centriste.)
M. Josselin de Rohan
Monsieur le Premier ministre, permettez-moi, au début de mon propos, de vous
exprimer l'indignation que nous éprouvons devant l'odieux attentat dont a été
victime la mairie de Bordeaux.
Nous formons le voeu que les coupables soient prochainement appréhendés, jugés
et châtiés comme ils le méritent.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)
En sollicitant notre confiance, le Gouvernement suscite un débat qui doit
nous permettre d'aller au fond des choses.
Quel est le sens de la politique sur laquelle nous sommes appelés à nous
prononcer ? Quelles sont ses implications et ses chances de succès ?
Existe-t-il une alternative crédible à cette politique ? Telles sont les
questions que nous nous posons en ce début de session.
Si l'on en croit les chroniqueurs, les observateurs, les sondeurs, les
politologues et les sociologues, les éditorialistes et les analystes, la France
se partage en deux camps : celui des agitateurs prêts à toutes les révolutions
à l'occasion de conflits sociaux dont on nous prédit le déchaînement proche et
celui des amorphes, en proie au découragement et au scepticisme, qui
engloberait une majorité de nos compatriotes.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Des noms !
M. René-Pierre Signé.
Il y a beaucoup de Français !
M. Josselin de Rohan.
Que l'opinion se montre inquiète ou désabusée devant la persistance et la
recrudescence d'un chômage qui frappe indistinctement toutes les régions,
toutes les catégories sociales et toutes les professions, il n'y a rien là qui
puisse nous surprendre.
Que l'insupportable écart entre la France vulnérable et exposée et la France
protégée, que l'on nomme « fracture sociale », soit loin d'être réduit, est,
hélas ! une évidence.
Cette situation, comme cet état d'esprit, montrent combien il est important
que le Gouvernement et sa majorité expliquent clairement au pays les réalités
auxquelles il est confronté, l'effort auquel il est convié et les perspectives
qui se présentent à lui.
Il faut donner un cap et tracer une voie sur laquelle on se tiendra avec
résolution, mais il faut aussi, vous l'avez dit, monsieur le Premier ministre,
convaincre et obtenir l'adhésion des esprits et des coeurs.
(Rires sur les travées socialistes.)
Que nous le voulions ou non, nous sommes confrontés, du fait de la
mondialisation de l'économie, des formidables changements techniques ou
technologiques qui affectent notre planète et de l'émergence de nouvelles
puissances économiques, à la nécessité impérieuse de modifier nos comportements
et nos habitudes, de lutter contre nos déficiences ou nos carences.
Nous sommes en quelque sorte contraints à l'excellence si nous voulons
conduire notre destin et non le subir.
(« Très bien ! » sur les travées du RPR.)
Les défis sont rudes mais nous pouvons les relever. Nous en avons connus
jadis de plus redoutables encore, que nous avons relevés avec succès. Je songe
à cette France de 1945, totalement détruite, qui s'est rétablie grâce au
courage de ses habitants : leurs fils ne seront pas indignes de leurs aînés.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste.)
Pour l'heure, nous devons chercher à atteindre trois objectifs : tout
d'abord, l'apurement du passé grâce à l'assainissement de nos dépenses
publiques et au redressement de nos comptes sociaux ensuite, la réforme de
l'Etat et des entreprises publiques, et, enfin, la construction européenne.
L'action que nous mènerons dans ces trois domaines conditionne la reprise de
l'emploi et doit la faciliter.
Sans diminution sensible du chômage, nous savons qu'il est vain d'escompter de
la part des Français une grande foi en l'avenir.
Apurer le passé nous oblige à diminuer le poids considérable de nos dépenses
publiques et de nos comptes sociaux, qui situent nos prélèvements obligatoires
au niveau le plus élevé d'Europe et constituent désormais le mal français, ou
l'exception française.
Quelle est, pour un particulier, l'incitation à investir, si la moitié de ses
gains lui est confisquée par les cotisations sociales ou l'impôt ?
Comment une entreprise peut-elle emprunter sur le marché si la quasi-totalité
des emprunts du marché obligataire est ponctionnée par l'Etat ?
Parce que nous n'aurions pas le courage de réaliser ce que tous nos
partenaires européens ont entrepris, depuis la Suède sociale-démocrate jusqu'à
l'Italie ou l'Espagne, en passant par l'Allemagne - certains depuis longtemps,
d'autres dans un passé récent - à savoir la réduction des dépenses budgétaires
ou la maîtrise des dépenses sociales, devons-nous continuer à rejeter sur les
générations futures les charges financières ?
(M. Jean-Luc Mélenchon s'exclame.)
Croyons-nous sincèrement qu'il soit possible d'attirer des investisseurs
internationaux et même de trouver des prêteurs si nous ne remettons pas de
l'ordre dans nos affaires ?
Comment peut-on parler d'indépendance nationale si nous devons dépendre, pour
nos fins de mois, du bon vouloir des créanciers étrangers ?
Monsieur le Premier ministre, vous avez engagé un effort remarquable et
méritoire de compression des dépenses publiques. Le budget pour 1997 en est
l'illustration, puisque, en francs constants, ces dépenses diminueront de 2 %,
ce qui est sans précédent dans notre pays depuis 1958.
Pour la sécurité sociale, des réformes de structure ont été adoptées et des
orientations ont été prises, qui doivent permettre de mettre un terme aux
expédients et aux replâtrages auxquels on a eu trop longtemps recours pour
remédier aux déficits. (
« C'est Balladur ! » scandent plusieurs sénateurs
socialistes.)
S'il est trop tôt pour recueillir les fruits de cette politique, au moins
pouvez-vous vous prévaloir d'un résultat indiscutable : la baisse des taux
d'intérêt à court et à long terme. Ce résultat témoigne de la confiance des
marchés en la crédibilité de votre action. Il permet aux chefs d'entreprise
d'investir à des coûts raisonnables et à l'Etat de réduire très sensiblement le
poids de son endettement.
(Murmures sur les travées socialistes.)
Quant à ceux qui, dans l'opposition, vous critiquent - et avec quelle
âpreté - nous les invitons à plus d'humilité et à moins d'amnésie ! Pendant les
dix années de leur gestion, les dépenses publiques n'ont cessé de croître. Nous
avons hérité de plus de 3 000 milliards de francs d'endettement.
(Vives protestations sur les travées socialistes.)
Cet endettement
représente aujourd'hui 60 000 francs par Français et par an et 170 000 francs
par actif !
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants,
et de l'Union centriste !)
M. Jean-Louis Carrère.
C'est Balladur !
M. Josselin de Rohan.
Et, puisque la réforme fiscale ne trouve pas grâce à leurs yeux, peut-on leur
rappeler que, sous les gouvernements socialistes, les placements financiers
étaient mieux traités que les revenus du travail ?
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées. - Vives protestations sur
les travées socialistes.)
La réforme de l'Etat et des entreprises publiques ne saurait être
ralentie.
Comme vous, nous souhaitons que l'Etat soit plus fort dans les domaines qui
relèvent de ses attributions régaliennes, qu'il soit plus proche des citoyens
et qu'il relâche son emprise dans la vie quotidienne sur le secteur
marchand.
La mise en oeuvre d'une déconcentration poussée est indispensable. Elle rendra
possible les expérimentations sur le terrain et, comme on l'a déjà dit,
permettra de libérer les collectivités locales qui veulent se livrer à un
certain nombre d'expériences. En outre, elle donnera des interlocuteurs à tous
ceux qui ont des projets qui dorment aujourd'hui à cause des tracasseries
administratives ou parce qu'il faut faire remonter des projets aux
administrations centrales et obtenir au moins une vingtaine d'accords !
La poursuite des privatisations est également indispensable.
Les tristes exemples du Crédit lyonnais, du Crédit foncier
(Protestations sur les travées socialistes)
et du Comptoir des
entrepreneurs démontrent l'impérieuse nécessité d'une modification du contrôle
et de la gestion de certains établissements publics, ainsi d'ailleurs que de
l'obligation morale de demander des comptes aux responsables de ces dérives.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE - Vives
protestations sur les travées socialistes.)
Vous avez mené avec succès la réforme du statut de France Télécom.
M. René-Pierre Signé.
Les dés sont pipés !
M. Josselin de Rohan.
De la même façon, il faut réussir la réforme de cette grande entreprise qu'est
la SNCF en conciliant ses obligations de service public avec les impératifs de
modernisation de ses structures et de modification de ses pratiques
commerciales.
Le débat intervenu au printemps dernier devant la Haute Assemblée montre que
les orientations dégagées par le Gouvernement recueillent notre appui.
Vous avez également initié une réforme capitale de notre système de défense et
de nos industries de l'armement.
Le Sénat a beaucoup réfléchi sur les aléas et les conséquences de ces
réformes. Son apport dans la discussion législative a été très remarquable.
Nous jugeons les réformes inéluctables et conformes aux changements intervenus
dans notre environnement international, conformes aux impératifs de
modernisation de nos forces armées. Mais nous ne nous dissimulons pas que les
incidences sur l'emploi ou sur le tissu industriel de certaines
restructurations doivent entraîner, de la part de l'Etat, un important effort
d'accompagnement.
La réforme fiscale que vous avez amorcée ne pouvait être éludée, tant ceux qui
produisent ou ceux qui travaillent sont pénalisés par une imposition complexe,
souvent confiscatoire et parfois antiéconomique. Vous avez choisi de procéder
par étapes mais, enfin, vous avez enclenché un processus. Non seulement nous
vous en donnons acte, mais encore nous appuyons votre démarche.
En dépit de tous les conservatismes et de tous les corporatismes, l'adaptation
de notre système d'enseignement aux changements de la société ne peut être
différée. Le souci d'agir avec prudence en raison de la sensibilité propre au
milieu ne peut nous dispenser d'une remise en cause profonde de certaines
structures. Qu'il s'agisse de notre enseignement professionnel, des modalités
d'accès à l'enseignement supérieur, du mode de fonctionnement de nos
établissements,...
M. Jean-Louis Carrère.
Et la recherche !
M. Josselin de Rohan.
... beaucoup reste à faire pour éviter que notre système éducatif ne produise
un nombre croissant d'exclus ou de frustrés.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
On nous dira que, en ces temps difficiles, il n'est guère sage de
troubler encore les esprits avec des réformes qui dérangent. A-t-on songé que
les pesanteurs, les rigidités, les frilosités de notre société ont bien
davantage comme conséquence de retarder l'adaptation de notre économie aux
grandes mutations de cette fin de siècle et, corrélativement, le retour à la
croissance et à l'emploi ?
La France ne peut être perpétuellement condamnée au choix entre l'immobilisme
qui pétrifie et la révolution qui emporte tout. La voie du progrès demeure dans
la seule réforme : seule l'audace est espérance.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants
ainsi que sur quelques travées de l'Union centriste. - Exclamations sur les
travées socialistes.)
Il nous revient aussi d'oeuvrer pour renforcer la construction
européenne.
Nous partageons avec vous cette ambition, sachant que vous avez comme nous le
souci de maintenir l'identité de notre pays et sa vocation à faire entendre sa
voix et reconnaître son indépendance dans le nouvel ensemble qui s'édifie.
La Conférence intergouvernementale, qui procède à l'étude des futures
institutions européennes, n'entraînera pas l'adhésion des peuples de l'Europe
si ceux-ci ressentent peu ou prou que leur destin est décidé par des organismes
ou des instances sur lesquels ils n'ont pas de prise et qu'ils ne peuvent
contrôler.
La nécessaire coordination des politiques étrangères ou des politiques de
dépense doit tenir compte d'une réalité difficilement contournable : nombre de
nos partenaires, et non des moindres, considèrent que l'impulsion ne peut venir
dans ces domaines que d'outre-Atlantique, et ne sont guère favorables à une
totale liberté d'action européenne. Dans ces conditions, il importe que la
France puisse continuer à faire valoir ses idées, car son audience dans le
monde est encore grande et ses prises de position attendues.
Vous le savez, dans le domaine monétaire, nous ne souhaitons pas l'avènement
d'une Europe des gouverneurs qui imposerait aux gouvernements et aux Etats des
contraintes économiques et sociales trop rigoureuses qui les empêcheraient
d'exercer leurs activités. Je sais que vous ne partagez pas cette façon de voir
et que vous ferez en sorte de maintenir l'équilibre. Mais je devais vous faire
part de cette crainte.
MM. François Gerbaud et Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Enfin, autant nous sommes convaincus des bienfaits de la libre circulation des
hommes et des capitaux au sein de l'Union européenne, autant nous croyons à la
nécessaire limitation des entraves au commerce internationale, autant nous
sommes opposés à des concessions par l'Union européenne, sans contreparties, à
des pays qui multiplient les obstacles tarifaires ou paratarifaires et
utilisent leur monnaie comme un instrument de combat.
L'élargissement de l'Union européenne ou son approfondissement ne peut pas non
plus donner prétexte aux adversaires de toute politique commune ou à ceux qui
refusent la spécificité de nos services publics pour démanteler des systèmes
qui ont contribué à notre cohésion sociale ou au développement et à la
modernisation de notre économie.
Vous avez fait preuve d'une assez grande détermination sur ce point pour qu'il
ne soit point besoin d'insister. Sachez cependant que vous pouvez compter dans
votre tâche sur notre soutien constant.
Nous sommes appelés aujourd'hui à nous prononcer sur une politique qui a sa
consistance, sa cohérence et sa logique, et dont les objectifs ont été définis
à plusieurs reprises tant par le chef de l'Etat que par vous-même. Cette
politique a demandé des choix courageux, imposé des sacrifices, dérangé bien
des habitudes, suscité bien des oppositions. Elle ne peut pas donner de
résultats spectaculaires tant que la croissance de l'économie européenne
n'atteindra pas un taux suffisant pour assurer de nouveaux emplois.
Nous le savons, à cause des trop nombreux handicaps qui frappent encore notre
économie, même si la croissance repart, nous attendrons encore un certain temps
avant d'en tirer les avantages que nous pourrions en escompter.
M. René-Pierre Signé.
Vous ne serez plus au pouvoir !
M. Josselin de Rohan.
Mais une chose est certaine : seule une politique de réduction des dépenses
publiques menée avec persévérance peut faciliter le retour à la croissance et
la diminution des charges qui pèsent sur les particuliers et les
entreprises.
Il existe une autre politique,...
M. René Régnault.
Laquelle ?
M. Josselin de Rohan.
... celle qui a été menée par vos précédesseurs socialistes
(Exclamations sur les travées socialistes.)
et qui a conduit à la dérive
budgétaire et monétaire,...
M. Alain Richard.
Balladur !
M. Raymond Courrière.
Balladur et Pasqua !
M. Josselin de Rohan.
... à l'augmentation considérable de l'endettement, à la multiplication par
trois du nombre des chômeurs depuis 1981 et aux trois dévaluations.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Ça, c'est la signature de M.
Mauroy !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Pierre Mauroy.
N'importe quoi ! C'est nul !
M. le président.
Monsieur de Rohan, vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Josselin de Rohan.
En vain, les hiérarques socialistes essaient-ils de donner le change. Ils ont
dépeint comme des innovations quelques vieilles lunes, telles l'autorisation
administrative de licenciement...
M. Alain Richard.
Créée par qui ?
M. Josselin de Rohan.
... ou la réduction obligatoire et uniforme de la durée du travail...
M. René Régnault.
Mais votre solution ?
M. Josselin de Rohan.
... et, par renfort de potage, ils dénoncent une pression fiscale qui est,
hélas ! la triste contrepartie de leur gestion !
(Protestations sur les
travées socialistes. - Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
Mais les Français ont déjà donné, et trop donné ! pour se
laisser prendre au piège.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est ce qu'on va voir !
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le Premier ministre, aucune critique ne vous a été épargnée et vous
êtes trop souvent la cible de toutes les impatiences et de toutes les
contestations.
J'emprunte à un texte vieux de deux cent vingt-deux ans...
M. le président.
Vous avez épuisé votre temps de parole, monsieur de Rohan.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Respectez le règlement !
M. Josselin de Rohan.
Si vous me le permettez, monsieur Dreyfus-Schmidt, je vais conclure.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Monsieur le Premier ministre, vous n'êtes pas seul. Nous sommes avec vous dans
votre combat pour le redressement de notre économie et nous vous soutiendrons
de toutes nos forces parce que vous êtes un homme de talent, de fidélité et de
courage, parce que nous adhérons aux principes que vous défendez et aux
objectifs que vous poursuivez.
Nous ne nous reconnaissons pas dans le spectacle qu'on veut donner d'une
France découragée et démoralisée. Le combat que vous avez engagé, la France le
gagnera grâce à ses ressources, à ses capacités,...
M. René Régnault.
On n'y croit plus !
M. Josselin de Rohan.
... à la volonté de ses habitants qui, quoi qu'on dise ou qu'on écrive, ont
conservé intactes leur ardeur au travail et leur foi en l'avenir.
(« Bravo !
» et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. Claude Estier.
Monsieur le Premier ministre, avant toute chose, je voudrais, moi aussi, vous
exprimer notre indignation et notre solidarité après l'attentat commis dans la
nuit de samedi à dimanche dernier à l'hôtel de ville de Bordeaux.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du RDSE,
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Au-delà
de tout ce qui peut nous séparer, notre réprobation contre de tels actes est
totale. Face au terrorisme, d'où qu'il vienne, il est indispensable que nous
parlions tous d'une même voix avec la plus grande fermeté.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Claude Estier.
Compte tenu des circonstances, je ne polémiquerai pas avec vous sur la
politique menée en Corse. Nous aurons certainement l'occasion d'en reparler,
monsieur le Premier ministre.
Une semaine après avoir sollicité et obtenu de votre majorité à l'Assemblée
nationale un vote de confiance, dont certains disent et écrivent qu'il vous a
été accordé du bout des doigts, vous accomplissez aujourd'hui la même démarche
au Sénat. Nul doute que vous y obtiendrez le même résultat. Mais en quoi ce
vote aura-t-il changé la situation dans laquelle vous vous trouvez et qui
semble, permettez-moi de vous le dire, vous rendre par moments bien agressif ?
(Murmures sur les travées du RPR.)
M. René Régnault.
Très bien !
M. Claude Estier.
Sans doute pourrez-vous faire valoir, et c'est bien le but de l'opération, que
même ceux qui vous critiquent au sein de cette majorité vous auront apporté
leur adhésion. Mais même si vous en tirez publiquement argument, vous n'êtes
pas assez naïf pour croire que cette adhésion signifie approbation et fin des
critiques du dimanche contre l'action de votre Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen.)
Dans votre déclaration de mercredi dernier, et tout à l'heure encore,
vous avez voulu définir un projet politique dont l'objectif serait de « bâtir
une nouvelle démocratie pour le citoyen de l'an 2000 ». Noble ambition et
belles paroles que vous avez prononcées, comme si vous veniez d'accéder aux
fonctions de chef de gouvernement.
Mais ces fonctions, vous les occupez déjà depuis plus de seize mois, et l'on
peut vous juger aujourd'hui non seulement sur un projet, mais bien aussi sur un
bilan et sur des faits qui sont, malheureusement, en contradiction avec vos
paroles.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye.
Parlons-en du bilan !
M. Claude Estier.
Vous affirmez que l'action que vous menez, et qui selon vous commencerait à
produire des effets, a pour première priorité de redonner à l'économie
française la capacité de créer des emplois. Mais, dans le même temps, vous
devez bien admettre - vous n'en avez pas parlé aujourd'hui d'ailleurs - que les
derniers chiffres du chômage sont mauvais et même, dites-vous,
inacceptables.
M. Philippe Marini.
On dirait que vous vous en réjouissez !
M. Claude Estier.
Non, nous ne nous en réjouissons absolument pas ! Nous le constatons
simplement !
Ces chiffres montrent en effet que le chômage en France a augmenté de 5 % pour
les seuls douze derniers mois, alors même que dans la plupart des pays voisins
la courbe s'est inversée. C'est bien là votre bilan, à vous, monsieur le
Premier ministre,...
M. Dominique Braye.
Le vôtre, c'est deux millions de chômeurs de plus !
M. Claude Estier.
... et non pas l'héritage des quinze dernières années derrière lequel vous
avez un peu trop facilement tendance à vous abriter, dans ce domaine comme dans
beaucoup d'autres. Et ce d'autant plus facilement que vous semblez oublier que,
sur ces quinze dernières années, vos amis et vous-même avez été au Gouvernement
de 1986 à 1988, et sans interruption depuis 1993 !
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Vives protestations sur les
travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Calmez-vous, mes chers collègues, calmez-vous !
Vous affirmez dans votre déclaration que la maîtrise des dépenses, c'est
d'abord « la réforme de la sécurité sociale qui a d'ores et déjà brisé la
tendance à l'accroissement indéfini des dépenses ».
Mais, là encore, je vous rappelle que vous ne vous présentez pas devant nous
pour la première fois. Ici même, il y a exactement un an, exposant le fameux
plan qui porte votre nom, vous nous expliquiez qu'il réduirait le déficit de la
sécurité sociale à 17 milliards en 1996, et qu'il aboutirait à un excédent en
1997.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. Philippe Marini.
Si on ne l'avait pas fait, on en serait où aujourd'hui ?
M. Claude Estier.
Or le déficit pour cette année est actuellement évalué à 52 milliards de
francs, soit trois fois plus que votre prévision. En fait d'excédent, les
prévisions pour 1997 laissent penser que le déficit sera encore de 40 milliards
de francs l'an prochain, soit près de 100 milliards de francs en deux ans, qui
s'ajoutent au chiffre du même ordre enregistré sous le gouvernement Balladur,
dont vous aviez un jour, monsieur le Premier ministre, qualifié la gestion de
calamiteuse. Mais peut-être vos paroles avaient-elles ce jour-là dépassé votre
pensée ?
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
C'est une déformation de mes propos !
M. Claude Estier.
Là encore, c'est votre bilan et celui de vos amis, sans que vous puissiez
invoquer l'héritage des socialistes.
Un sénateur socialiste.
Edouard, le calamiteux !
M. Claude Estier.
Que vous le vouliez ou non - et c'est bien là la raison de la grogne et de
l'inquiétude de vos amis politiques - la réalité est très loin de ce que vous
annonciez voilà un an, encore plus loin des promesses faites et des engagements
pris par le candidat Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle du
printemps 1995. En fait, ces engagements ont constitué une véritable tromperie
dont les Français vous font aujourd'hui grief et dont vous payez les
conséquences.
Plusieurs sénateurs socialistes.
Eh oui !
M. Robert Calmejane.
Mitterrand nous a trompés pendant quinze ans !
M. Claude Estier.
On peut donc comprendre que votre cote de confiance soit aujourd'hui si faible
dans l'opinion. Certes, vous pouvez obtenir au Parlement une confiance que mes
amis ont justement qualifiée de « disciplinaire », mais les dernières enquêtes
n'en ont pas moins montré que, s'ils étaient députés, près des deux tiers des
Français vous refuseraient cette confiance.
M. René-Pierre Signé.
Oh oui, alors !
M. Claude Estier.
Sans doute ne gouverne-t-on pas seulement en fonction des sondages, et vous
avez raison de le dire. Mais quand ils vont tous dans le même sens, ils
traduisent un état de l'opinion dont vous devriez mieux analyser les causes.
M. René Régnault.
Eh oui !
M. Claude Estier.
Or, loin de tenir compte du fait que la politique que vous avez définie se
traduit par une série d'échecs, vous appelez à la persévérance, sans
considération pour l'adage latin qui la jugerait diabolique. Vous nous affirmez
que cela ira mieux l'année prochaine, mais vous nous aviez déjà dit la même
chose l'année dernière. Si vous persévérez dans la même direction, pourquoi les
résultats seraient-ils meilleurs demain ?
Un sénateur socialiste.
Très bien ! Très bon discours !
M. Claude Estier.
Vous prédisez, avec une série d'experts, que la croissance en 1997 sera double
de celle de cette année, c'est-à-dire de l'ordre de 2 % ou un peu plus.
Mes chers collègues, espérons que, pour une fois, les experts ne se trompent
pas ! Mais même si ce chiffre se vérifie et permet de créer environ 100 000
emplois, vous savez bien que cela ne sera pas suffisant pour inverser la courbe
du chômage !
Il ne suffit pas non plus d'annoncer des réformes pour que la vie des Français
en soit changée. J'en donnerai quelques exemples.
Le Sénat va examiner, à partir de la semaine prochaine, une proposition de loi
créant une prestation pour les personnes âgées dépendantes. Excellente
intention que nous soutiendrions volontiers,...
M. Philippe Marini.
Ce seront des emplois !
M. Claude Estier.
... sauf que le texte que l'on nous propose a un caractère restrictif et
transitoire,...
M. Lucien Neuwirth.
Il a le mérite d'exister !
M. Claude Estier.
... en attendant une réelle prestation d'autonomie dans le financement de
laquelle l'Etat prendrait sa part,...
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Descours.
Et alors ? Il ne fallait rien faire ?
M. Claude Estier.
... alors que, pour l'instant, et vous le savez bien, mes chers collègues,
l'Etat continue de se décharger sur les collectivités locales, qui sont de plus
en plus accablées financièrement.
(« Eh oui ! » et applaudissements sur les travées socialistes.)
Ne peut-on dire la même chose du projet de loi contre l'exclusion, qui
représente, lui aussi, une grande idée, mais dont on ne voit pas bien avec
quels moyens il pourrait être mis en oeuvre efficacement ?
Le troisième exemple, tout aussi grave, concerne le logement. Vous parlez
aujourd'hui d'accession à la propriété. Mais vous avez affirmé à plusieurs
reprises votre volonté d'accorder une priorité au logement social. Fort bien,
mais que constate-t-on ? Les crédits de réhabilitation - PALULOS - qui
concernaient 200 000 logements en 1992, sont désormais réduits à 70 000. L'aide
personnalisée au logement, pour la troisième année consécutive, n'est pas
revalorisée. Le Crédit foncier est menacé. Les PLA sont gravement rognés.
L'application des surloyers entraîne des conséquences lourdes pour de
nombreuses familles. Les crédits de réhabilitation du privé baissent de 10 %.
Les PLA très sociaux risquent de n'être financés, là encore, que par appel aux
collectivités locales.
M. René Régnault.
C'est la vérité !
M. Claude Estier.
En outre, l'équilibre du budget du logement n'est assuré pour l'an prochain
que grâce à un prélèvement de 14 milliards de francs sur les crédits du 1 % du
logement, ...
M. René-Pierre Signé.
Eh oui !
M. Claude Estier.
... c'est-à-dire grâce à l'utilisation par anticipation des ressources des
deux ans à venir.
En fait de priorité, l'Etat est en train de se désengager dans ce domaine
essentiel pour notre économie, pour l'emploi et pour la cohésion sociale. Le
mouvement HLM se réunit d'ailleurs cette semaine pour exprimer sa protestation
contre ce désengagement.
Vous dites que vous n'entendez personne proposer une autre politique.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je n'en entends pas en ce moment, en tout cas !
M. Claude Estier.
Vous écoutez mal, monsieur le Premier ministre !
M. René Régnault.
Il est sourd !
M. Claude Estier.
Une autre politique, en tout cas une autre logique...
(Exclamations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains
et Indépendants.)
On prétend que nous ne proposons jamais d'autre politique, alors
laissez-moi m'exprimer !
M. Dominique Braye.
Une autre politique crédible !
M. Claude Estier.
Une autre politique, en tout cas une autre logique consisterait non pas à
aggraver les prélèvements obligatoires comme vous l'avez fait depuis un an,
après ceux qui furent effectués par le gouvernement Balladur auquel vous
apparteniez, non pas à accorder des exonérations de charges aux entreprises
sans contrepartie d'embauche, mais à redonner à celles-ci des perspectives
d'avenir grâce à une vraie relance de la consommation rendue elle-même possible
par une amélioration du pouvoir d'achat des catégories les plus modestes.
M. Dominique Braye.
Cela a déjà été fait !
M. Jean Chérioux.
On a vu le résultat en 1981 !
M. Claude Estier.
J'entendais ce matin, sur une radio, M. Raffarin affirmer que 55 % des
entreprises françaises - je n'ai pas vérifié - se portent bien. Si cela est
vrai, ne peut-on les inciter à faire un effort sur les salaires ?
Un grand quotidien parisien - celui-là même que vous brandissiez tout à
l'heure, monsieur le Premier ministre - a commencé hier la publication d'une
enquête édifiante sur les difficultés dans lesquelles se débattent les deux
millions et demi de Français qui ne gagnent plus que les 5 000 francs mensuels
du SMIC, sans parler évidemment de toutes celles et de tous ceux qui ne
disposent même pas de cette somme. Ces millions de Français, y compris ceux qui
ont la chance d'avoir encore un emploi, sont obligés de se priver de presque
tout. Une fois payés leur loyer, les charges et le minimum de nourriture, il ne
leur reste pratiquement rien pour d'autres achats. Toute augmentation de leur
revenu aurait des effets immédiats sur la consommation. Au lieu de rester
médiocre comme c'est le cas actuellement, celle-ci repartirait à la hausse. Les
entreprises y trouveraient rapidement leur compte et l'investissement,
présentement au point mort, serait également relancé. Une nouvelle dynamique
serait ainsi créée qui aurait forcément et sans doute rapidement des effets
bénéfiques pour l'emploi. Car, vous le savez bien, monsieur le Premier
ministre, les entreprises n'embaucheront pas parce que le Président de la
République ou vous-même leur demandez d'embaucher. Elles embaucheront quand
leurs carnets de commandes se rempliront et qu'elles auront alors besoin de
personnel.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
On n'entend vraiment que des vérités premières !
M. Claude Estier.
Faute de vous engager dans cette voie, vos appels seront d'autant moins
entendus que, dans le même temps, vous pratiquez des licenciements dans le
secteur public, ce que savent bien, par exemple, les milliers de maîtres
auxiliaires qui viennent d'être au chômage au moment même où vous vous flattez
de réussir une nouvelle réforme de l'éducation nationale, ce que savent aussi
les ouvriers de GIAT-Industrie ou ceux des arsenaux de Brest ou de Cherbourg,
qui sont bien décidés à se battre contre le plan Millon. Vous dressez peu à peu
contre vous l'ensemble de la fonction publique, qui le manifestera le 17
octobre.
Cela m'amène à souligner un autre aspect de votre politique qui, en plus
d'être injuste et inefficace, est également incohérente.
Pour illustrer mon propos, je prendrai deux exemples récents.
Le premier concerne une mesure annoncée avec une minutieuse préparation et
dont vous attendiez une relance de la dynamique gouvernementale : je veux
parler de la fameuse baisse de 25 milliards de francs de l'impôt sur le revenu.
Comme on dirait à La Poste : « Pour une bonne nouvelle, c'était une bonne
nouvelle ! »
Mais, outre que la réalité de cette baisse de 25 milliards de francs a été
immédiatement contestée au sein même de votre Gouvernement, vous avez brouillé
votre propre message en évoquant soudain une réforme du mode de scrutin
législatif, qui a provoqué aussitôt une remarquable cacophonie dans votre
majorité.
Et comme si cela ne suffisait pas, deux jours après a été annoncée une hausse
sensible des impôts locaux, en même temps d'ailleurs qu'une nouvelle
augmentation des taxes sur les carburants, le tabac et l'alcool.
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Marcel Debarge.
Transferts de charge !
M. Claude Estier.
N'est-ce pas vrai ? N'y-a-t-il pas une hausse des impôts locaux ? Demandez à
ceux qui reçoivent leur avis de recouvrement de la taxe d'habitation ou de la
taxe foncière s'il n'y a pas de hausse des impôts locaux !
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées. - Applaudissements sur les
travées socialistes.)
Cela a donné aux Français le sentiment, d'ailleurs parfaitement justifié,
qu'on leur reprenait d'une main, et tout de suite, ce qu'on leur aurait donné
d'une autre un peu plus tard. Du coup, l'annonce dont vous attendiez tant a
abouti à un « flop » retentissant qu'ont traduit tous les sondages dans les
jours suivants. Et encore n'aviez-vous pas parlé à ce moment de l'allégement de
l'impôt sur les grandes fortunes,...
M. Dominique Braye.
Voilà le mythe qui reparaît ! Voilà le catéchisme qui revient !
M. Claude Estier.
Vous avez déjà supprimé une fois l'impôt sur les grandes fortunes, et cela ne
vous a pas réussi ! Alors, faites attention ! En tout cas, monsieur le Premier
ministre, je vous ai trouvé, à ce propos, un peu plus circonspect que M. le
Président de la République.
Deuxième exemple d'une politique incohérente : l'affaire des « sans-papiers »
dits de Saint-Bernard.
(Exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
Vous l'avez laissée se développer pendant près de six mois et devenir le
feuilleton médiatique du mois d'août pour en arriver finalement à cette image,
répercutée par les télévisions du monde entier, d'une porte d'église enfoncée à
coups de hache, et ce pour aboutir à quoi ?
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Vives exclamations sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur celles de
l'Union centriste.)
M. Josselin de Rohan.
Mgr Estier !
M. Claude Estier.
Sur les quelque 300 personnes qui, participaient à ce mouvement, quelques
dizaines ont vu leur situation régularisée, ce qui aurait pu être fait beaucoup
plus tôt. Un petit nombre a été renvoyé par charters et la grande majorité a
été relâchée dans la nature, renvoyée au su et au vu du ministre de l'intérieur
à cette clandestinité dont elles voulaient précisément sortir.
Le bilan est peu glorieux sinon qu'il a démontré que les lois dites « Pasqua
», que nous avions dénoncées en leur temps, sont inapplicables.
« (Oh ! » sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. Dominique Braye.
Elles sont insuffisantes ! A cause de vous, nous ne sommes pas allés assez
loin !
M. Claude Estier.
Vous en venez d'ailleurs vous-mêmes, comme vous l'avez répété tout à l'heure,
à parler de « lacunes » et d'« incohérences »...
M. Claude Braye.
A cause de vous !
M. Claude Estier. ...
et vous nous annoncez un nouveau dispositif législatif, dont un journal du
soir publiait, aujourd'hui, un avant-projet. Nous aurons donc un débat à ce
sujet et nous aurons, nous aussi, des propositions concrètes à présenter pour
répondre à ce problème lancinant de l'immigration clandestine, qui doit être
traité sérieusement, car le problème est grave, mais dans un souci de justice
et de respect de la dignité des personnes humaines.
(Murmures sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. Philippe Marini.
On a vu ce que vous-mêmes avez réalisé dans ce domaine !
M. le président.
Mes chers collègues, veuillez ne pas interrompre trop fréquemment l'orateur,
dont le temps de parole est limité.
Veuillez poursuivre, monsieur Estier.
M. Claude Estier.
Aujourd'hui même, vous nous annoncez, d'autre part, une consultation de tous
les groupes politiques sur les questions touchant à la modernisation de la vie
politique. Nous viendrons volontiers à cette consultation en vous soumettant
les propositions que le parti socialiste, après des débats approfondis, a mis
au point dans ce domaine important.
Mais, s'agissant du mode de scrutin pour les prochaines législatives, vous
nous trouverez fermement opposés - je crois que nous ne serons pas les seuls -
à tout ce qui pourrait ressembler à une manipulation destinée à vous tirer de
la situation difficile dans laquelle vous risquez de vous trouver en 1998.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Dominique Braye.
Ne vendez pas la peau de l'ours avant de l'avoir tué !
M. Charles Descours
Et vous, qu'avez-vous fait en 1986 ?
M. Claude Estier.
Vous êtes toujours tournés vers le passé, jamais vers l'avenir.
J'ai bien dit en 1998 puisque vous nous assurez catégoriquement qu'en dépit
des rumeurs qui ont pris corps au sein même de votre majorité il n'y aura pas
de dissolution ni d'élections anticipées, ni même de remaniement du
Gouvernement dans la mesure où - vous l'avez dit dimanche à
7 sur 7
- vous jugez celui-ci « excellent », ce qui montre qu'en matière
d'autosatisfaction vous n'êtes jamais en retrait.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
En tout cas, je ne suis pas le seul.
M. Claude Estier.
Je ne peux pas, dans le temps qui m'est imparti, traiter de tous les sujets
que j'aurais souhaité évoquer.
J'aurais voulu, par exemple, vous interroger sur le sort que vous entendez
réserver au rapport dont il a été beaucoup question ces jours derniers qui,
sous prétexte de protéger le secret de l'instruction, nous paraît être une
machine à faciliter l'étouffement de certaines affaires en même temps qu'une
menace sur la liberté de l'information.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. Charles Descours.
Et les écoutes téléphoniques de l'Elysée ?
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Estier.
M. Claude Estier.
Sur un tout autre plan, je voudrais en quelques mots exprimer l'inquiétude des
Européens que nous sommes devant le manque de fermeté de votre Gouvernement
face notamment aux problèmes qui se posent en matière d'approfondissement de
l'Union européenne, ce qui nous amène soit à l'immobilisme, comme le montre le
piétinement actuel de la Conférence intergouvernementale, soit à nous placer à
la remorque de l'Allemagne, ce qui semble être le cas dans le domaine monétaire
; nous aurons, je crois, l'occasion d'y revenir dans un prochain débat.
Vous ne serez évidemment pas surpris que, au terme de ces observations, je
vous confirme que le groupe socialiste vous refusera sa confiance.
(Rires et exclamations sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. -
Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Quelle surprise !
M. Claude Estier.
Je terminerai par deux remarques.
J'ai évoqué au début de mon propos l'héritage que vous continuez à invoquer
pour rejeter sur les socialistes la responsabilité de vos échecs
d'aujourd'hui.
Un sénateur sur les travées du RPR.
C'est la vérité !
M. Claude Estier.
Je constate là encore une contradiction. En effet, vous vantez désormais les
mérites de la décentralisation, que vous aviez dénoncée, et de quelle manière !
à l'époque où Gaston Defferre la mettait en oeuvre et vous utilisez abondamment
la CSG, que vous aviez âprement combattue lorsqu'elle fut proposée par le
gouvernement de Michel Rocard.
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Ce n'est pas vrai !
M. le président.
Veuillez conclure, je vous prie, monsieur Estier.
M. Claude Estier.
Permettez-moi une note un peu plus humoristique pour finir.
Mercredi dernier, en lisant ici le texte du discours que vous prononciez à
l'Assemblée nationale, M. le garde des sceaux a commis un lapsus en affirmant
que 1987 - au lieu de 1997 - serait une année d'amélioration. Voulant se
rattraper, il a vanté l'action du gouvernement de Jacques Chirac en 1987, en
oubliant toutefois que, quelques mois plus tard, en mai 1988, François
Mitterrand avait été largement réélu contre lui.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Veuillez conclure, s'il vous plaît !
M. Claude Estier.
Vous vantez, aujourd'hui, vos propres mérites. Il se pourrait bien que
pareille mésaventure vous guette pour 1998 !
(Vifs applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les
ministres, mes chers collègues, jamais, depuis longtemps, le fossé entre les
citoyens et la politique mise en oeuvre par un gouvernement de la France n'aura
été aussi profond qu'aujourd'hui. D'un côté, 80 % de parlementaires formant les
majorités de droite de l'Assemblée nationale et du Sénat approuvent le Premier
ministre et ses choix, de l'autre, l'opinion rejette, dans les mêmes
proportions, les mêmes choix du même Premier ministre ! Quel divorce !
Le discrédit de votre politique, monsieur le Premier ministre, est massif,
c'est incontestable. Comme moi, mes collègues du groupe communiste républicain
et citoyen n'ont jamais rencontré autant de malaise, d'inquiétude et d'angoisse
chez nos concitoyens.
Monsieur le Premier ministre, la France d'aujourd'hui est une nation qui
souffre, qui subit un véritable cataclysme social et humain. La France voit sa
jeunesse brisée dans ses espérances parce qu'elle se voit aujourd'hui soumise
au carcan de Maastricht, à la marche forcée vers la monnaie unique, support de
cette logique ultralibérale impitoyable que vous voulez pousser toujours plus
loin, toujours plus durement.
Cet avenir délibérément sacrifié est d'autant plus insupportable que la France
est une grande nation, riche de multiples potentiels, de multiples réalisations
de femmes et d'hommes qui lui donnent une identité forte.
Hier encore, au sein de la délégation des parlementaires bretons reçus par le
Président Chirac, notre collègue M. Félix Leyzour a fait part de notre opinion
sur les problèmes qui secouent aujourd'hui la Bretagne. Nous revenons pour
témoigner de ces villes, de ces villages, de ces quartiers sinistrés par le
massacre de l'emploi au rythme effrayant de 35 000 licenciements par mois. La
France est sinistrée des saignées d'entreprises qui alignent plans sociaux sur
plans sociaux, sinistrée de cette fracture sociale toujours plus béante.
Comble du comble, dans un pays de millions d'exclus et de victimes de la
crise, alors que quatre-vingt-onze familles disposent à elles seules du quart
du budget de la nation, c'est vers celles-ci que se tournent les préoccupations
du Président de la République quand il évoque l'allégement possible de l'impôt
sur la fortune, quand il faudrait, au contraire, comme nous le proposons, le
quadrupler pour financer un plan d'urgence contre la pauvreté.
Il y a cette France insoutenable de tous les « sans » : sans emploi, sans
revenu, sans domicile, sans affectation, sans sécurité, sans droit, sans
papiers, donc sans perspective !
Mais cette France que nous connaissons est en même temps ce pays de femmes,
d'hommes et de jeunes avec qui nous vivons, nous résistons et nous construisons
: salariés de la SFP, de Bally-Myrys, du secteur bancaire, enseignants,
fonctionnaires, médecins, salariés des arsenaux, éleveurs qui refusent de faire
les frais de la crise de la vache folle, enfant naturel du marché unique,
cheminots, qui continuent, comme en décembre 1995, par leur magnifique
engagement, à repousser toute tentative de démantèlement de la SNCF. Tous et
bien d'autres refusent, comme nous, que les valeurs boursières passent avant
les valeurs humaines.
Monsieur le Premier ministre, il y a toute une France qui se bat, qui se rend
compte que votre politique mène le pays dans une impasse totale. Elle est
responsable, lucide et bâtisseuse d'avenir, cette France qui, à l'image de sa
jeunesse, vous oppose de véritables et belles ambitions, celles du droit à un
vrai métier, à une vraie formation, à une vraie vie.
Les jeunes n'acceptent pas d'être la génération sacrifiée, et il leur faut de
la détermination et du courage - beaucoup en ont - à l'instar de ces centaines
de lycéens et d'étudiants sans place à la rentrée, aux côtés desquels nous nous
sommes battus, souvent avec succès, en créant avec eux SOS-rentrée.
Le discrédit et l'impopularité de votre politique, monsieur le Premier
ministre, ne sauraient surprendre après tant de reniements, tant d'engagements
non tenus et tant de fausses promesses, alors même que vous n'exercez le
pouvoir que depuis dix-huit mois. Vous persistez en répétant que vous ne
varierez en rien. Vous voulez avoir raison seul contre tous, mais les faits
vous donnent tort.
Ainsi en est-il de la sécurité sociale, dont la réforme devait porter ses
fruits dès 1996 et dont le déficit allait être définitivement enrayé en 1997.
On connaît le résultat !
Après un plan de démantèlement obtenu à marche forcée par ordonnances, en
passant au-dessus du Parlement, le déficit sera de 60 milliards de francs, non
de 17 milliards de francs comme prévu, et ce en dépit des lourdes ponctions
supplémentaires infligées aux salariés.
La sécurité sociale est avant tout malade du manque de ressources provoqué par
le chômage, l'explosion de la précarité et des CES au détriment de vrais
emplois stables, comme vient de le confirmer la Cour des comptes. Elle est
malade des exonérations de cotisations en tout genre pour le grand patronat.
Dans l'opinion, grandit l'écho de notre proposition tendant à prélever le même
taux de cotisation sur les revenus financiers - qui représentent la somme
colossale de 1 145 milliards de francs - que sur les salaires, ce qui
rapporterait 167 milliards de francs à la sécurité sociale.
Alors, monsieur le Premier ministre, qu'allez-vous faire ?
Il en est de même pour cette réforme truquée des impôts. Tout le monde a
compris que vous augmentiez les impôts indirects et les impôts locaux, qui sont
les plus injustes, pour permettre l'allégement des impôts sur les gros revenus.
Voilà la véritable politique de classe que vous menez !
La réduction des dépenses publiques relève de la même mystification. Ce sont
tous les budgets touchant la vie quotidienne des Français qui seront
amputés.
Ainsi, les 13 milliards de francs retirés au logement social : c'est un
véritable séisme ! Les responsables des organismes d'HLM sont révoltés et ils
convoquent jeudi une convention spéciale pour dénoncer ce désengagement de
l'Etat qui déstructure tout le logement social. Il faut rétablir ces crédits,
monsieur le Premier ministre !
Et les baisses touchent bien d'autres secteurs : 15 % pour l'aménagement du
territoire, 5 % pour la ville, 29 % pour l'industrie.
De même, les 5 000 suppressions de postes dans l'éducation nationale sont
inacceptables quand des milliers de maîtres auxiliaires ne sont pas réemployés
et que 800 000 heures supplémentaires imposées aux enseignants peuvent être
immédiatement transformées en milliers de nouveaux emplois. C'est la qualité de
la formation qui est en jeu, monsieur le Premier ministre ! Qu'attendez-vous
?
Si votre politique est un échec pour notre pays, pour notre peuple, ce n'est
pas par imprévoyance ou par incohérence, car elle n'est pas un échec pour tout
le monde. Elle répond parfaitement et totalement aux exigences des puissances
dominatrices que M. Chirac, alors en campagne électorale, stigmatisait ainsi :
« Ces détenteurs de gros capitaux qui s'enrichissent sans effort, par de
simples jeux d'écritures, tant il est vrai que l'argent appelle l'argent ».
En Europe et en France, la clé de voûte de cette logique ultracapitaliste est
le traité de Maastricht, avec ses critères, sa monnaie unique, entièrement
conçus pour libérer totalement la circulation des capitaux, ce qui, comme
l'affirme le commissaire européen de Silguy, « fait des marchés financiers les
gendarmes de la politique économique que mènent les gouvernements ».
Eh bien, ces gendarmes, ils sont exigeants : il leur faut moins de dépenses
publiques utiles, car c'est de l'argent stérile pour la spéculation, moins de
protection sociale, moins de charges salariales, moins d'emplois, moins
d'entraves à la recherche effrénée de la rentabilité financière. Et cela permet
à cent vingt entreprises françaises de réaliser, au cours du seul premier
semestre de cette année, 51 milliards de francs de profits : un record !
Le summum est atteint quand un cours boursier flambe à la simple annonce d'un
plan de licenciements, comme chez Moulinex ou Rhône-Poulenc. Quel cynisme,
quelle inhumanité dans ce système qui fait gagner de l'argent en brisant les
êtres humains !
Il vous faut déréglementer, démanteler les services publics, même si l'on
aboutit à des absurdités, à des gâchis financiers et humains incroyables, en
même temps qu'à une régression du service offert à l'usager : le transport
aérien en fournit une illustration. Et vous voulez faire de même pour la SNCF
ou EDF !
L'ouverture à la concurrence sauvage des liaisons que Air Inter assurait en
équilibrant rigoureusement ses comptes déstabilise non seulement la compagnie
française mais également tous ses nouveaux concurrents privés, qui sont dans le
rouge, alignant des milliards de francs de déficit. Cette expérience en
grandeur réelle montre bien que l'Europe ultralibérale ne peut être synonyme
d'efficacité économique et humaine. Et je ne ferai qu'évoquer ici l'insécurité
et les nuisances pour les riverains des aéroports.
Il faut renoncer à l'ouverture totale du ciel européen prévue pour le 1er
avril prochain.
Les Echos
titrent : « Un budget 1997 sur mesure pour la monnaie unique
».
Mais, monsieur le Premier ministre, mesurez à quel point cette Europe-là
s'éloigne inexorablement de l'Europe des peuples, des coopérations mutuellement
fructueuses entre les pays, de la croissance, de l'emploi et de la démocratie.
Elle se fait contre les intérêts des 300 millions d'Européens.
A cet égard, le Président de la République serait bien inspiré de respecter
son engagement de consulter les Français par référendum sur l'entrée de la
France dans le système de la monnaie unique. Au nom des sénateurs du groupe
communiste républicain et citoyen, j'appelle solennellement le Président de la
République à le faire.
Comment ne pas s'inquiéter de l'instauration d'un véritable système monétaire
européen
bis
au récent sommet de Dublin, sans aucun contrôle
démocratique ?
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Très bien !
Mme Hélène Luc.
Face à la brutalité et à la violence de votre politique, le pays a besoin
d'une politique radicalement différente, inversant les choix actuels et
replaçant l'être humain au coeur des décisions, en lieu et place de la finance
et de l'argent dominateurs.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen y oeuvrent en
avançant des propositions réalistes, novatrices, à l'écoute du mouvement
social, à l'unisson de ses attentes de changement.
Lors de la présentation de votre plan de casse de la sécurité sociale, vous
aviez relevé qu'il y avait deux logiques opposées en présence, la vôtre et la
nôtre. C'est bien exact.
Cette nouvelle politique que nous voulons doit faire de la démocratie le fil
rouge de la construction et de la gestion d'une société moderne. Cela passe,
selon nous, par des institutions démocratiques rénovées, un Parlement doté de
pouvoirs réels assurant, par le scrutin proportionnel intégral - et, à cet
égard, il ne faudra pas oublier les élections sénatoriales -, la représentation
de toutes les composantes de la société ; je pense particulièrement à la
représentation des salariés, des jeunes, des femmes.
Le groupe communiste républicain et citoyen a, sur ce sujet, des propositions
fortes à formuler. Il le fera notamment dans le cadre de la mission sénatoriale
d'information sur la place des femmes dans la vie publique, dont je salue
d'autant plus volontiers la naissance que nous en avons pris l'initiative après
le retour de la conférence de Pékin de mon amie Michelle Demessine, recueillant
l'accord unanime des sénatrices, du président du Sénat et des présidents de
tous les groupes. Nous allons nous mettre au travail.
S'agissant de l'attentat de Bordeaux, nous le condamnons avec toute la force
et la vigueur nécessaires. Je le redis : le terrorisme fait mal à la Corse, mal
à la France et mal à la démocratie.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes, ainsi que sur de nombreuses travées du RDSE, de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
La population corse n'a rien à voir avec ceux qui se réclament
abusivement d'elle. Vous devez, monsieur le Premier ministre, faire appliquer
la loi dans toute sa rigueur. Il faut exclure toute complaisance à l'égard des
terroristes. Pour notre part, nous n'avons jamais cessé de le faire.
Dans le même temps, comme je l'ai demandé lors du débat du 6 juin sur la Corse
et comme je l'ai répété à l'occasion du déplacement d'une délégation en Corse
une semaine plus tard, il faut une politique de réel développement économique,
qui s'attaque au cancer du chômage et au désespoir de la jeunesse corse.
Je vous demande aujourd'hui, monsieur le Premier ministre, du haut de cette
tribune, ce que je vous ai déjà demandé par écrit : répondez à la proposition
de M. Charpak et du comité scientifique tendant à installer le synchrotron à
Bastia, comme le souhaite le maire de cette ville.
M. le président.
Madame Luc, je vous prie de conclure.
Mme Hélène Luc.
Les orateurs précédents ont dépassé leur temps de parole, monsieur le
président !
M. le président.
D'une ou deux minutes seulement !
Mme Hélène Luc.
Malheureusement, monsieur le Premier ministre, vous n'avez rien engagé de
significatif dans ce sens depuis le voyage que vous avez effectué en
juillet.
Nous serons des acteurs déterminés pour nous opposer à vos mauvais coups, pour
appeler à recréer les conditions de la croissance, donc de la création
d'emplois par la relance de la consommation, qui passe par celle du pouvoir
d'achat.
Le SMIC à 7 500 francs, 1 000 francs de plus pour tous les salaires inférieurs
à 15 000 francs et 600 francs pour les retraites : c'est indispensable pour que
chacun vive correctement aujourd'hui, et ce serait efficace immédiatement,
comme le serait le passage sans attendre aux trente-cinq heures, qui
permettrait de créer 500 000 emplois en deux ans.
Robert Hue a avancé une grande proposition progressiste...
M. le président.
Pardonnez-moi, madame Luc, mais je vous enjoins de conclure maintenant !
Mme Hélène Luc.
Je termine, monsieur le président. Mais je m'aperçois que vous n'avez pas la
même attitude avec tous les orateurs !
(Protestations sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
J'ai agi de même avec ceux qui vous ont précédé !
Mme Hélène Luc.
Robert Hue, disais-je, a avancé une grande proposition progressiste, aussi
innovante que le fut la sécurité sociale à la Libération et à laquelle nous
travaillons : il s'agit de la création d'une sécurité d'emploi et de formation
pour chacun, de la sortie de l'école jusqu'à la retraite.
Elle permettrait à chaque citoyen d'avoir une vie active rémunérée alternant
formation, recherche, expériences professionnelles renouvelées, à l'opposé
d'une mobilité qui précarise.
Il faut stopper les 200 000 nouvelles suppressions d'emplois programmées dans
les entreprises, comme l'a proposé mon ami Alain Bocquet.
Il faut stopper immédiatement le processus dévastateur qui est engagé et
changer complètement de cap. Avec notre peuple, qui ne se résigne pas, avec la
jeunesse, avec toutes celles et tous ceux qui n'ont pas renoncé à avoir une
haute idée de la France, avec toutes celles et tous ceux qui déploieront leur
énergie dans des mouvements porteurs d'avenir, les sénateurs du groupe
communiste républicain et citoyen seront de ce combat, qui passe aujourd'hui
par le rejet de la confiance à votre Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
En choisissant de soumettre les orientations politiques du Gouvernement à
l'appréciation des parlementaires, vous avez eu, monsieur le Premier ministre,
une lecture éclairée de notre Constitution ; je m'en réjouis comme l'ensemble
de mes collègues, car le fonctionnement de notre démocratie n'oblige nullement
le Gouvernement à présenter sa déclaration de politique générale devant la
Haute assemblée, et encore moins à la faire approuver par un scrutin public.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il ne risque rien !
M. Bernard Joly.
Les sénateurs du groupe du Rassemblement démocratique et social européen vous
sont reconnaissants de la confiance que vous leur témoignez ainsi. Ils sauront
s'en montrer dignes et participeront activement aux travaux de la session.
La démarche retenue revêt un aspect solennel. Un peu plus d'un an après votre
déclaration d'investiture, dans laquelle vous définissiez les orientations de
la politique à mener, voici une nouvelle étape, tout à la fois bilan et
prospective. Il faut simultanément expliquer pourquoi les résultats escomptés
ne sont pas au rendez-vous et comment les nouveaux objectifs pourront être
atteints. De nombreux Français, en proie aux difficultés engendrées par une
conjoncture économique et sociale défavorable, s'interrogent sur leur capacité
à rebondir. Lors d'une épreuve, les dernières forces sont rassemblées et jetées
pour franchir la ligne d'arrivée. Pour beaucoup, elle apparaît, aujourd'hui,
comme un mirage.
Pour remobiliser, pour redonner foi dans un avenir où chacun aura sa place, le
moyen à notre disposition, nous qui sommes ici réunis, est la concertation
entre élus et gouvernants témoignant de leur volonté d'avancer ensemble pour,
comme vous le disiez, « insuffler à nos concitoyens l'esprit de réforme,
l'esprit de conquête » et, j'ajouterai, la volonté indispensable du
redressement. Seule une cohésion affichée entre les différents acteurs de la
vie politique et l'empreinte d'un pouvoir fort permettront d'apaiser les
clivages et d'effacer les tensions qui contribuent à différer la relance.
Notre conviction doit être assez forte pour porter la flamme du relais qui
permettra de réveiller le pays. Churchill avait promis du sang et des larmes,
de Gaulle exhortait à reprendre le combat. La rage de vaincre est venue de la
dimension de l'enjeu. Les termes ont changé mais le levier du dépassement reste
le même. Un idéal n'est pas un rêve.
M. Philippe Labeyrie
N'importe quoi !
M. Bernard Joly.
Monsieur le Premier ministre, nul ne met en cause la qualité des efforts
déployés par votre gouvernement pour parvenir à assainir les finances
publiques, redresser les comptes de la sécurité sociale et lutter contre le
chômage.
Toutefois, les Français sont impatients, et parfois en colère. Il gronde à
nouveau des menaces de manifestations dont la lecture doit être faite avec les
précautions d'usage, mais qui n'en mobilisent pas moins au-delà des
professionnels du genre. Pour atteindre les objectifs que vous avez fixés afin
de redresser la France, nos concitoyens ont dû et doivent encore consentir de
nombreux sacrifices qui, en l'absence de résultats immédiatement tangibles, se
révèlent souvent douloureux.
Aussi était-il nécessaire de réaffirmer solennellement que les efforts
consentis ne seraient pas vains. Néanmoins, il faut regarder la vérité en face.
Vous avez, monsieur le Premier ministre, nous avons, mes chers collègues,
annoncé des résultats. Si nos compatriotes savent fort bien que le redressement
de la nation n'interviendra qu'après plusieurs années, ils n'oublient pas pour
autant nos promesses : 1997 a été présentée comme l'année décisive de la
réforme ; 1998 sera l'année du renouvellement. L'échéance est donc brève ! A
nous de nous y tenir.
Pour ce faire, la majorité des membres du groupe du Rassemblement démocratique
et social européen, au nom duquel je m'exprime à cette tribune, a choisi
d'adhérer à l'unique politique budgétaire envisageable, qui, ainsi que vous
l'avez démontré, s'avère nécessairement être une politique volontariste.
Elle a également choisi de participer au redressement de notre système de
protection sociale, en adoptant, en février dernier, le texte relatif aux lois
de financement de la sécurité sociale. Elle vous a enfin soutenu sur les
différents textes qui visaient à faire reculer le chômage.
Ce soutien vous est maintenu pour les échéances à venir, même si certains
d'entre nous, tout en renouvelant la confiance qu'ils vous avaient déjà
accordée, regrettent le parallélisme trop rigoureux entre votre déclaration de
mercredi dernier et vos propos plus anciens.
Monsieur le Premier ministre, les préoccupations essentielles des Français
concernent l'éducation et l'emploi, la protection sociale, l'impôt et la
justice.
En matière de lutte contre le chômage, nous ne pouvons que nous réjouir des
avancées accomplies, même si la route est encore longue. Les membres du groupe
que je représente dans ce débat ont pu constater avec satisfaction la mise en
place de mesures visant à aménager le temps de travail. Nous accueillerons
également avec bienveillance le projet de loi relatif au pacte de relance pour
la ville, dans la mesure où l'emploi se révèle être le moteur des dispositions
envisagées.
Cependant, ces avancées ne constituent qu'un premier pas, et la lutte contre
l'exclusion sociale doit rester la première priorité du Gouvernement. A ce
sujet, certains d'entre nous, moi le premier, regrettent la disparition de
l'aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprise. Pour malaisée que
soit apparue leur application, il n'en demeure pas moins que ces dispositions
devront être réétudiées, afin d'être présentées sous une autre forme ; le futur
chef d'entreprise, encouragé par une telle mesure à quitter les sentiers de
l'exclusion, pourra en effet, dans sa fuite salutaire, entraîner d'autres
demandeurs d'emploi, contribuant ainsi à l'abaissement du taux de chômage. Il
convient, également, d'encourager les représentants des services déconcentrés
de l'Etat à une lecture des textes prenant en compte une réalité appelant une
appréciation adaptée quant à l'attribution de l'aide.
Par ailleurs, et notre collègue Fernand Demilly avait déjà attiré l'attention
du garde des sceaux lors du débat sur le projet de loi relatif à l'enfance
délinquante, aucune avancée significative en matière d'emploi ne pourra être
accomplie si, parallèlement, des efforts ne sont pas consentis dans le domaine
de l'éducation.
Enfin, la lutte contre le chômage n'aboutira jamais tant que nous ne nous
déciderons pas à encourager une politique nataliste, laquelle aurait des effets
salutaires au regard tant de l'emploi que celui de la protection sociale.
La protection sociale est directement liée à l'emploi. Sans le second, il est
quasi impossible de bénéficier de la première. Une lourde tâche nous attend,
car c'est nous, parlementaires, qui, ayant accepté d'intervenir dans les
comptes de la sécurité sociale, devron procéder à son redressement, et ce sous
notre entière responsabilité.
Monsieur le Premier ministre, cette entreprise sera d'autant plus difficile
que les Français, reconnaissons-le, peuvent, à juste titre, être déçus par les
chiffres récemment communiqués.
M. Claude Estier.
Ah oui !
M. Bernard Joly.
Alors que nous leur avions annoncé une amélioration rapide de la situation en
ce domaine, force est de constater que les résultats n'ont pas été à la hauteur
de nos espérances.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Voilà la franchise !
M. Bernard Joly.
Il nous faut donc persévérer afin de tenir nos promesses, même si l'on sait
désormais que ce sera avec retard.
Quoi qu'il en soit, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen
entend contribuer à l'amélioration des conditions de vie de ses concitoyens.
C'est dans cet esprit que M. Guy Cabanel, président de notre formation, a
cosigné la proposition de loi relative à la prestation autonomie à laquelle je
suis, également, particulièrement attaché, mais j'aurai l'occasion de
m'exprimer sur ce sujet lors d'une prochaine séance. Cette mesure, si elle
était adoptée, contribuerait à plus de justice sociale, ainsi que le prônait M.
le Président de la République lors de son investiture.
Le volet essentiel de la récente déclaration du Gouvernement concerne l'impôt.
Dans ce domaine, il nous faut reconnaître que des progrès ont déjà été
accomplis.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et la TVA ?
M. Bernard Joly.
Si le Gouvernement cherche à s'attirer la confiance des Français, notamment
pour pouvoir mener à bien sa politique de réduction des déficits budgétaires,
c'est parce qu'il a lui-même confiance dans la capacité qu'ont nos concitoyens
à contribuer au redressement du pays.
Cette confiance, monsieur le Premier ministre, vous avez su en témoigner en
annonçant une baisse conséquente de l'impôt sur le revenu. Cette réduction
fiscale, qui devrait favoriser la relance, même modeste, de la consommation,
peut constituer le déclic tant attendu, qui permettrait d'encourager la
croissance indispensable à la relance de notre économie.
Cette mesure constitue donc une avancée importante qui devra être poursuivie
jusqu'à la refonte complète de notre système fiscal. Il faut, notamment,
rechercher un ajustement des prélèvements et des redistributions, c'est-à-dire
tenter de ne pas prélever ce qui va revenir sous forme d'allocation.
Européens convaincus, nous pensons qu'il y a lieu de continuer dans la voie de
la rigueur budgétaire, et ce non seulement afin de pouvoir accéder dans les
meilleures conditions au marché européen qui nous attend, mais surtout parce
qu'il est primordial d'assainir la situation financière de notre pays.
Ayant récemment pris connaissance des propos tenus par le Président de la
République en matière d'impôt sur la fortune, et sans être opposés à sa
reconsidération, nous tenons, toutefois, à mettre en garde le Gouvernement afin
qu'il ne retombe pas dans les erreurs du passé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ah ! Quand même !
M. Bernard Joly.
Si la fuite des capitaux et l'exil des foyers fiscaux à l'étranger est un
fléau qu'il faut éradiquer, il n'en demeure pas moins que la solidarité entre
les plus fortunés et ceux qui le sont moins reste un excellent facteur de
cohésion sociale.
En tout état de cause, il nous faut agir vite pour qu'à son tour la France
devienne « une niche » fiscale, mobilisatrice de compétences et de capitaux
extérieurs, afin de favoriser l'implantation de nouvelles entreprises qui
contribueront au développement et au maintien de l'emploi.
J'en viens à un autre volet de la politique gouvernementale : la justice et
l'immigration.
En ce qui concerne la première, en particulier dans son mode d'appréhension de
la vie carcérale, le groupe auquel j'appartiens entend participer activement à
la mise en place d'une législation novatrice. C'est la raison pour laquelle
j'invite mes collègues à soutenir la proposition de loi du président de notre
groupe, M. Guy Cabanel, relative au placement sous surveillance électronique,
qui viendra très prochainement en discussion dans cet hémicycle.
Ce texte, qui a reçu l'assentiment de tous les membres de la commission des
lois, est la preuve d'un réel progrès dans le domaine des libertés publiques,
dans la mesure où le « bracelet électronique » constitue une garantie
supplémentaire de lutte contre la détention excessive.
Par ailleurs, le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, en
consacrant une journée de réflexion à la lutte contre le terrorisme, le 18
octobre prochain, souhaite contribuer à l'amélioration de la législation dans
ce domaine, afin que cette forme particulière de criminalité, nouvelle forme de
guerre, ne vienne pas troubler la paix mondiale que de nombreux pays se doivent
de léguer aux générations à venir. Je continue à penser, et ce malgré les
démonstrations de certains de mes éminents collègues, que l'imprescriptibilité
convient pour ce type d'actes.
Une cause, si juste soit-elle, ne justifie jamais le recours au terrorisme.
Nous sommes à vos côtés au lendemain de l'attentat de Bordeaux et nous nous
associons, monsieur le Premier ministre, à vos déclarations par lesquelles vous
condamnez un acte aveugle qui endommage le patrimoine national, donc la mémoire
collective, et met en péril la vie d'innocents.
A mi-chemin entre police et justice se trouve le délicat problème de
l'immigration.
Beaucoup d'entre nous sont convaincus qu'il s'agit là d'un domaine dans lequel
aucun laxisme n'est permis. Toutefois, nous sommes particulièrement attachés à
ce que le Gouvernement fasse d'abord connaître sa fermeté à l'encontre des
employeurs d'immigrés illégaux avant de procéder à l'expulsion des étrangers
indésirables qui, bien souvent, se révèlent plutôt victimes qu'acteurs.
Tel était, d'ailleurs, le sens de l'intervention de notre collègue Jacques
Bimbenet au cours d'une séance de questions orales. Nous constatons avec
satisfaction que sa démarche a été entendue et nous étudierons favorablement le
projet de loi que le Gouvernement déposera prochainement sur l'initiative de M.
Jacques Barrot.
Monsieur le Premier ministre, il convient, enfin, d'accorder une attention
particulière à la Corse. Notre éminent collègue François Giacobbi...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous n'allez pas les citer tous !
M. Bernard Joly.
... estime, en effet, que votre politique concernant la Corse est à la fois
clairvoyante et courageuse. Vous êtes le seul qui, depuis presque vingt ans,
ait su appréhender avec rectitude la complexité d'une situation délicate. Nous
vous en félicitons.
Ainsi, confiant parce que convaincu que les orientations que vous avez
choisies dans le cadre du dossier corse sont les seules qui soient susceptibles
de fournir des résultats, François Giacobbi apportera son soutien à l'ensemble
de votre politique, suivi en cela par la grande majorité des membres du groupe
du Rassemblement démocratique et social européen, attitude qui reflète la
spécificité de notre formation.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste et du RPR.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et Paul Girod, vous ne l'avez pas cité ?
M. le président.
La parole est à M. Habert, pour cinq minutes.
M. Jacques Habert.
« Nos compatriotes sont inquiets et désorientés... Ils nous disent aujourd'hui
leurs attentes, leurs impatiences, leurs déceptions, leurs mécontentements, et
nous le comprenons. » Telles sont, monsieur le Premier ministre, vos propres
paroles dans la déclaration de politique générale du Gouvernement. En ces
quelques mots lucides l'essentiel est exprimé. Il vous faut maintenant, bien
sûr, répondre à ces attentes, calmer ces impatientes, éradiquer ces
mécontentements.
Facile à dire, très difficile à faire ! Surtout quand on se trouve - c'est le
cas aujourd'hui - dans une période de mutation qui implique des changements
radicaux, des réformes profondes, nécessaires pour élever notre pays au niveau
du XXIe siècle, mais tout à fait déconcertantes, démoralisantes, parce qu'elles
heurtent nos habitudes, bouleversent nos certitudes et touchent à des droits
que l'on croyait acquis.
D'où cette conséquence que vous avez nommée : la « sinistrose », une morosité
qui d'ailleurs, comme vous l'avez remarqué, monsieur le Premier ministre,
frappe davantage le « microcosme » politique et médiatique que les Français
eux-mêmes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas du tout !
M. Jacques Habert.
Mais cette maladie bien de chez nous n'est pas nouvelle. Permettez-moi à ce
sujet une rapide digression. A l'époque romantique, on l'appelait « le mal du
siècle ». Après les heures exaltantes de la Révolution et du Premier Empire,
ceux qui avaient conduit nos soldats jusqu'à Rome, Vienne, Berlin, Moscou, se
retrouvaient en demi-solde.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ceux qui n'étaient pas morts !
M. Jacques Habert.
Les jeunes, eux aussi, cherchaient leur voie. Alfred de Musset avait donné à
cette mélancolie un nom poétique : la « désespérance ».
Eh bien ! nos compatriotes de ce temps-là avaient tort de se désespérer ! La
France a connu ensuite Victor Hugo et Louis Pasteur, l'unité italienne et une
épopée mondiale que l'on entend parfois dénigrer, mais qui nous a permis d'être
présents sur tous les continents ; ce grâce à quoi une trentaine de nations
parlent maintenant notre langue et se retrouvent solidaires d'un même idéal.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A l'église Saint-Bernard, par exemple !
M. Jacques Habert.
Aujourd'hui comme autrefois, nous aurions tort de désespérer, même s'il existe
de réels motifs d'inquiétude. Nous aurions tort de voir tout en noir, même si
certains, dans des buts assez clairs, s'activent pour tout peindre d'une
couleur de deuil.
Il est indéniable que nous disposons d'atouts considérables - vous l'avez
rappelé, monsieur le Premier ministre, et tout le monde le reconnaît - à savoir
la qualité et la richesse de nos ressources humaines, les performances de nos
secteurs de pointe, le dynamisme de nos entreprises, surtout reconnu hors de
nos frontières, un commerce extérieur fortement excédentaire et des taux
d'intérêts au plus bas permettant les investissements. Tous ces indicateurs
sont très positifs.
Il faut se féliciter de l'attention spéciale que vous portez aux petites et
moyennes entreprises, principales sources d'emplois dans notre économie. Nous
devons les aider à étendre leurs activités sur les marchés internationaux où se
trouvent les principaux potentiels de croissance.
A cet égard, vous avez eu raison de souligner, monsieur le Premier ministre,
comme d'ailleurs le président du Sénat, M. René Monory, le fait souvent, la
nécessité d'encourager les jeunes Français à partir à l'étranger pour favoriser
nos exportations et participer au rayonnement de notre pays.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La France occupe une place centrale en Europe. Elle doit en poursuivre
l'édification. A l'heure où s'organisent de grands ensembles, l'ALENA, le
Mercosur ou l'ASEAN, il ne faut pas prendre le risque de laisser l'Union
européenne se distendre.
Méfions-nous cependant : l'euroscepticisme existe, et avec quelques raisons.
Comment être sûrs, par exemple, que la monnaie unique sera le remède miracle
que l'on annonce ? Faut-il vraiment en poursuivre la réalisation avec tant de
hâte ? Sommes-nous obligés de montrer tant de zèle dans l'application de
certaines directives venues de Bruxelles ? Nous aurions souhaité parfois une
défense plus ferme de nos spécificités.
Plus ferme aussi doit être la protection des frontières, non seulement celles
de l'Hexagone, mais aussi celles de l'ensemble de l'Europe.
La France, fidèle à sa tradition de terre d'asile, demeure certainement le
pays le plus accueillant du monde. Mais, dans la situation économique actuelle,
peut-on se permettre de pousser plus loin notre générosité ? Celle-ci ne doit
s'exercer que dans le respect des lois, et nos lois n'autorisent pas
l'immigration clandestine.
La France est aussi l'un des deux pays du monde qui dépensent le plus, tant en
hommes qu'en contributions financières, pour le progrès des nations en voie de
développement. Elle conduit avec celles-ci une politique de coopération qui, à
bien des égards, a été exemplaire. Cependant, le but de cette politique ne doit
pas être d'amener chez nous tous ceux qui cherchent - nous les comprenons - à
venir y résider et à bénéficier - ce qui est normal - de notre protection
sociale, qui reste la meilleure du monde. La finalité de notre coopération doit
être de permettre à nos amis et partenaires de se fixer dans leur propre pays,
qui profitera des compétences et des enseignements qu'éventuellement nous
aurons pu leur donner.
En conclusion, je citerai une phrase qui m'a frappé dans la déclaration du
Gouvernement : « Plus que jamais, nous avons besoin, dans un monde sans
frontières et apparemment sans règle du jeu, de retrouver les fondements de la
morale républicaine et le sens de quelques grands idéaux, simples mais que je
crois immortels : la liberté, l'égalité et la fraternité. On peut ajouter la
responsabilité, le goût du travail, le regard d'autrui, le sentiment familial,
l'amour de la paix et l'amour de la France. »
Telle est, fort bien exposée en quelques mots, la hauteur de vos vues et de
l'espérance qui sous-tend votre politique. Ces mots résument les raisons pour
lesquelles la majorité d'entre nous, monsieur le Premier ministre, vous
accordera sa confiance.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Je vous remercie, monsieur Habert, d'avoir respecté votre temps de parole, qui
était fort court.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, il
est des moments où la répétition n'est pas lancinante. Je voudrais, comme
d'autres avant moi, m'adresser au maire de Bordeaux pour lui exprimer, au nom
de l'ensemble des membres du groupe des Républicains et Indépendants, toute
notre sympathie.
Un attentat est toujours odieux en soi mais lorsqu'il est perpétré dans une
mairie, c'est-à-dire dans la « maison commune » des habitants d'une ville,
c'est parfaitement inacceptable. En cet instant, ce sont tous les Bordelais qui
sont blessés ; nous leur témoignons notre solidarité.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union
centriste, du RPR et du RDSE.)
Monsieur le Premier ministre, nous vous réaffirmons notre soutien, pour
les mesures que vous venez d'annoncer et pour votre détermination à combattre
les attentats, quels qu'en soient les auteurs. Nous sommes à vos côtés pour
vous soutenir dans l'action que vous menez, afin que sur l'ensemble du
territoire national soient respectées les lois de la République.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Monsieur le Premier ministre, vous demandez une nouvelle fois à notre Haute
Assemblée un vote d'approbation sur votre politique générale. Au nom des
sénateurs Républicains et Indépendants, je vous remercie.
Chargé d'assurer, depuis le 1er octobre dernier, la coordination de la
majorité sénatoriale, je pense pouvoir dire au nom de celle-ci que la Haute
Assemblée est sensible à cette marque de considération, que nous n'avons pas
connue sous tous les gouvernements.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
Vous avez choisi de conduire une politique de redressement national,
nécessaire pour que les engagements pris au plan européen puissent être
tenus.
La maîtrise des déficits, la limitation de la dépense publique, l'allégement
de la fiscalité prévu pour 1997 sont autant de conditions indispensables pour
redonner oxygène et élan à notre économie.
J'observe d'ailleurs, après d'autres, que les gouvernements occidentaux
agissent tous de la même manière quelle que soit la sensibilité politique de
leurs dirigeants. Les exemples récemment donnés par l'Italie et par l'Espagne
devraient d'ailleurs inciter ceux qui vous critiquent à une certaine
retenue.
Il convient également de rappeler que les ministres des finances des pays du G
7 ont constaté que, dans le monde, les perspectives de croissance sont
favorables pour les mois à venir et pour 1997. La France, engagée dans un
processus crédible, pourra bénéficier pleinement de ces perspectives
encourageantes.
Dans bien des domaines, des réformes courageuses - et périlleuses - ont été
entreprises. Je ne citerai comme exemples que la réforme de la SNCF, celle de
France Télécom ou encore celle de notre système de protection sociale dont il
convenait, tout simplement, d'assurer la pérennité, ce qui est énorme.
L'emploi, la consommation, la croissance et la confiance sont intimement mêlés
pour inverser des tendances accentuées par l'immobilisme et le
conservatisme.
L'esprit d'assistance s'est développé au détriment de l'esprit d'entreprise.
Nous savons bien que, dans ces conditions, la réforme est difficile. On peut
aisément comprendre les réticences de nos compatriotes alors que nombre d'entre
eux sont confrontés à des problèmes économiques et sociaux redoutables. Aucune
famille n'est aujourd'hui épargnée.
Nous savons aussi que nous traversons une époque de profonde mutation qui
impose l'imagination et l'audace pour ouvrir de nouveaux horizons.
Mais ce n'est pas la première fois que notre pays est confronté à une telle
situation. A chaque fois, il a su relever le défi. Sachons le relever à notre
tour afin de redonner confiance aux Français.
Pour cela, il nous semble qu'il faut répondre à deux de leurs préoccupations
majeures : le chômage et l'insécurité, sujets que vous avez d'ailleurs
largement développés dans votre intervention, monsieur le Premier ministre.
Pour l'emploi, nous constatons la limite des politiques mises en oeuvre ces
dernières années par des gouvernements différents. Les solutions
traditionnelles ne suffisent plus. Nos systèmes d'intervention, beaucoup trop
dirigistes, sont à bout de souffle et trop onéreux. Même si leur exemple n'est
pas intégralement transposable en France, reconnaissons que les Etats-Unis
obtiennent des résultats et que, là-bas, la pauvreté recule.
M. Philippe Labeyrie.
Ce n'est pas vrai !
M. Henri de Raincourt.
Il y a chez nous des blocages culturels et administratifs qui détruisent des
emplois. L'heure est plus que jamais à l'intelligence prospective afin de faire
émerger en nombre de nouveaux métiers.
Après l'ère agricole puis l'ère industrielle, voici venue celle de la haute
technologie et de la communication. Ce secteur, si nous le voulons, ouvre des
perspectives. Acceptons de changer d'état d'esprit si nous désirons monter dans
le train du futur.
Les collectivités territoriales représentent en termes d'investissement un
poids considérable. Si elles avaient un peu plus de libertés elles pourraient
faire preuve d'initiative tant en matière d'investissement qu'en matière de
création d'emplois. Des exemples existent ; il faut mieux les connaître et les
faire connaître.
Investir est pourtant devenu pour les collectivités territoriales un véritable
parcours du combattant comportant de nombreux risques.
Elles sont aujourd'hui quasi paralysées par la lourdeur du code des marchés
publics et le harcèlement des contrôleurs. Il faut être téméraire de nos jours
pour oser signer un marché public.
Plus d'emplois, c'est moins de délinquance, donc une tranquillité de vie
retrouvée dans certaines zones d'habitation. Pour combattre l'insécurité, nous
avons des moyens, et je souscris à ce que vous avez exprimé tout à l'heure à
propos de la Corse.
La sécurité englobe aussi la question de l'immigration, dangereuse à terme si
elle n'est pas traitée. Peut-on, en la matière, avoir enfin une réglementation
simple, claire et humaine ? Ne pas y consacrer nos efforts, c'est nourrir le
racisme et l'extrémisme. L'immigration illégale doit être combattue.
L'immigration régulière doit permettre une intégration réussie respectant la
dignité des personnes.
Il convient, monsieur le Premier ministre, de ne pas disperser nos efforts. Il
me semble que, sur ces deux sujets, nous pouvons mobiliser notre énergie et
concentrer l'action publique, afin de montrer à nos compatriotes que nous
agissons pour améliorer la situation du pays, mais aussi leur vie
quotidienne.
Nous sommes tous responsables devant eux. C'est pourquoi l'humilité et la
modestie s'imposent quant aux méthodes à appliquer. Qui peut ici affirmer qu'il
détient la solution la plus adaptée et la plus efficace pour créer des emplois
et pour combattre l'immigration illégale ?
M. Christian Poncelet.
Personne !
M. Henri de Raincourt.
Poser la question, c'est déjà y répondre !
Les membres du groupe des Républicains et Indépendants sont résolus à
participer à cette oeuvre de modernisation. Ils considèrent que le Parlement à
un rôle essentiel à jouer. Il doit être ou redevenir le centre du débat
républicain.
Dans la situation présente, nous avons, dans la majorité, un devoir d'union. A
cet égard, la distillation des petites phrases, singulièrement le dimanche, a
un effet ravageur.
(« Ah ! » sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac.
Absolument !
M. Henri de Raincourt.
L'échange démocratique vu à travers le prisme déformant des médias est par
trop réducteur, d'autant que certains acteurs n'exercent pas de responsabilités
électives : c'est donc un appauvrissement du débat qui concourt à éloigner les
élus des électeurs et à manipuler l'opinion. Pour nous, parlementaires, il est
toujours désagréable d'apprendre certaines décisions par la presse et après
elle.
On voudrait nous faire tomber dans un piège. Si, dans la majorité, nous ne
sommes pas d'accord sur tout, nous n'aurions, nous dit-on, d'autre choix que
l'« opposition intérieure » ou le mutisme. Pour notre part, nous pensons que
nous pouvons éviter ce piège par une confiance réciproque entre le Gouvernement
et sa majorité.
La démocratie, c'est le dialogue et le respect des opinions d'autrui. Cela
doit se vérifier au Parlement, et en premier lieu entre la majorité et le
Gouvernement.
Les ministres doivent être attentifs à ce que dit la majorité sénatoriale, en
respectant, bien entendu, les sensibilités respectives des groupes qui la
composent.
En contrepartie, nous ne devons pas venir compliquer la tâche, souvent si
difficile, du Gouvernement en le critiquant systématiquement, ce que nos
compatriotes, au fond, ne comprennent pas et ne nous pardonnent pas.
Notre groupe se trouve tout à fait dans cet état d'esprit. Oui, nous soutenons
la politique du Gouvernement. Nous souhaitons aussi être associés le plus en
amont possible à son élaboration et nous entendons continuer à nous exprimer
librement sur tel ou tel texte.
Le Gouvernement ne doit pas, bien au contraire, redouter ou regretter la
discussion avec ceux qui le soutiennent.
Monsieur le Premier ministre, en application de l'article 49-4 de la
Constitution, vous avez souhaité consulter le Sénat sur la politique générale
du Gouvernement.
Cette démarche est utile, car elle pemet de vérifier si les deux chambres du
Parlement soutiennent la politique que vous conduisez avec constance et
courage.
Le groupe des Républicains et Indépendants appartient à la majorité choisie
par les Français en 1993 et confirmée l'année dernière à l'occasion de
l'élection présidentielle.
Nous avons au moins trois raisons d'émettre un vote favorable à l'issue de ce
débat : vous donner acte, monsieur le Premier ministre, de l'action du
Gouvernement ; vous confirmer notre soutien ; vous manifester notre volonté
d'union.
Pour ce qui concerne notre comportement politique futur, nous resterons
attentifs aux projets gouvernementaux, nous resterons responsables dans nos
propositions de loi ou amendements, mais toujours solidaires sur l'esentiel.
Nous avons un devoir de soutien à l'égard du Gouvernement ; c'est un acte de
solidarité politique. Nous avons aussi un droit de proposition, et les deux
choses ne sont pas incompatibles. Que ce soit par notre vote ici ou par nos
déclarations à l'extérieur, nous continuerons à vous apporter notre soutien.
Cela n'exclut ni la discussion, ni la réflexion, ni même le droit à la
différence sur tel ou tel aspect d'un texte.
Dans cette période si compliquée, n'est-il pas bon, parfois, de rappeler des
évidences aussi simples ? Le Gouvernement a besoin de marcher en utilisant les
deux jambes qui composent sa majorité. Ceux qui envisageraient de construire
une majorité avec un parti fort et quelques auxiliaires nous conduiraient à
l'échec ; quant à ceux, appartenant à la majorité, qui rêveraient d'un échec du
Gouvernement pour connaître un succès personnel, ils rencontreraient bien des
désillusions.
M. Roland du Luart.
Bravo !
M. Henri de Raincourt.
L'union est un outil politique dans l'intérêt du pays.
Certes, la crise est complexe. Elle n'est pas seulement économique ; on ne la
réglera donc pas par une logique exclusivement comptable.
La crise est également morale. Nous avons perdu nos repères sans qu'il en
surgisse d'autres. C'est peut-être le signe de la permanence de certaines
valeurs.
Monsieur le Premier ministre, ou bien nous considérons que, désormais, notre
glorieux passé et l'héritage de notre longue histoire sont trop lourds à
porter, alors nous accepterions comme une fatalité de devenir un petit peuple
dans un petit pays, ou bien nous, parlementaires, quelles que soient les
travées sur lesquelles nous siégeons, nous considérons que nous avons une
mission, je dirai même une vocation : celle qui consiste à proposer à nos
compatriotes de continuer à travailler pour que notre pays reste fort, respecté
et influent en occupant toute sa place en Europe et dans le monde. Je suis
convaincu que cette France-là, c'est la vraie France, et c'est celle que nous
aimons.
(« Bravo ! » et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Blin.
M. Maurice Blin.
Monsieur le Premier ministre, je m'associe à mon tour, au nom du groupe de
l'Union centriste, au témoignage de solidarité qui a été formulé par l'ensemble
des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, à la suite de l'attentat
perpétré contre la mairie de Bordeaux. Il ne faut pas que le terrorisme, d'où
qu'il vienne, puisse prévaloir sur la République.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Vous avez voulu, monsieur le Premier ministre, solliciter l'avis de notre
Haute Assemblée sur une déclaration de politique générale du Gouvernement. Vous
n'y étiez pas obligé. Nous nous en félicitons doublement : d'abord parce que
votre choix témoigne de l'intérêt que vous portez aux travaux du Sénat et de
l'importance de son rôle dans nos institutions, ensuite parce que la politique
de réforme dans laquelle vous vous êtes engagé, qui est si contraire à la
tradition d'un pays qui lui a souvent préféré la révolution, même sans effets
ni lendemains, demande, pour aboutir, le soutien du Parlement.
La réponse de la France aux contraintes d'un monde nouveau, celui du XXIe
siècle, sa faculté d'adaptation à un contexte international en plein
bouleversement politique, économique et financier sont les clés de son
avenir.
Ses institutions politiques sont solides, mais, après cinquante ans d'usage,
d'autres, dans les domaines financier, économique, fiscal ou social, ont
vieilli. Avec elles, se sont créées des habitudes. Sur elles, se sont greffés
des intérêts, d'où les résistances que votre politique de réforme suscite chez
certains.
D'autres estiment que ses résultats sont trop lents à venir. Ils ne
comprennent pas que l'on n'efface pas en quelques mois les effets du laxisme
budgétaire
(M. Chérioux applaudit),
le déficit des entreprises publiques, le
gouffre financier que creusent, année après année, les comptes sociaux de la
nation. Il y faut de la persévérance et du temps. Reste que, çà et là, on sent
dans l'opinion comme une nostalgie des temps anciens, ceux qui étaient
caractérisés par une croissance facile et forte, par une monnaie sous-évaluée
et par une économie soutenue et encadrée par l'Etat. Or, mes chers collègues,
ce temps n'est plus et ne reviendra pas : un pays qui exporte plus de 20 % de
sa production, qui a une dette dont quelque 20 % sont détenus par des mains
étrangères, est condamné à vivre au rythme du monde et à pratiquer une gestion
qui inspire confiance.
Une dernière critique est opposée à ceux qui, comme vous, comme nous, monsieur
le Premier ministre, sont convaincus de la nécessité d'une remise en ordre de
la maison « France ». Elle séduit, car elle relève de la pratique immémoriale
du bouc émissaire : l'Europe, plus précisément la contrainte monétaire que nous
impose la création de sa monnaie de demain serait à l'origine de tous nos maux.
L'argument est cependant fallacieux à un double titre.
D'abord, la France aurait été de toutes les façons dans l'obligation de
rétablir l'équilibre de ses finances. Continuer à vivre d'emprunts, c'était
imposer à nos enfants les sacrifices que nous nous serions épargnés à
nous-mêmes. C'était rompre la solidarité des générations et mettre en péril la
continuité de la nation. Qui d'entre nous, mes chers collègues, quelle que soit
son appartenance politique, accepterait d'en prendre le risque ?
Et puis, et surtout, la monnaie européenne de demain est la condition
incontournable hors de laquelle l'Europe ne resterait qu'un marché convoité par
ses concurrents d'Amérique ou d'Asie. Elle ne résistera à leur emprise, en
particulier au dumping monétaire du plus puissant d'entre eux, elle ne
deviendra un partenaire économique respecté que si elle dispose d'une monnaie
propre. Parlons plus clair encore : sa dispersion entre seize pays aux monnaies
différentes dont les uns pourraient être tentés demain, comme ils le furent
hier, par les facilités d'une dévaluation aboutirait tôt ou tard, ainsi le veut
la loi du marché monétaire, à faire de l'une d'entre elles, là encore celle du
pays le plus puissant, le pôle auquel toutes les autres seraient obligées de se
rallier, c'est-à-dire en fait de se soumettre. La monnaie européenne de demain
sera le résultat d'une oeuvre commune ou ne sera pas.
A cette oeuvre, votre Gouvernement, monsieur le Premier ministre, prend
aujourd'hui toute sa part. Et c'est pourquoi mon groupe et moi-même vous
soutenons. Toute autre politique constituerait une régression et vouerait
l'Europe et notre pays au déclin.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Maurice Blin.
Telle est l'évidence. Telle est « l'ardente obligation » que nous fait
l'histoire. Pourquoi cependant, mes chers collègues, faut-il qu'elle continue
de se heurter au scepticisme des uns et de susciter l'inquiétude chez beaucoup
d'autres ?
C'est qu'elle bute sur un obstacle de taille : le drame de l'emploi. Aussi
longtemps que le chômage restera chez nous ce qu'il est, c'est-à-dire, hélas !
l'un des plus élevés des nations industrielles, tant que des milliers de jeunes
auront le sentiment d'être sans avenir...
Mme Hélène Luc.
Eh oui !
M. Maurice Blin.
... et que des centaines de milliers de sans-travail seront condamnés à
l'assistance, la politique que vous conduisez, monsieur le Premier ministre,
aussi nécessaire, aussi pertinente qu'elle soit, sera privée de l'adhésion
forte de l'opinion. Or celle-ci est la condition absolue de son succès.
Certes, le projet de budget pour 1997, que vous nous présenterez bientôt,
comporte pour la première fois une réduction de la dépense publique. Mais il ne
s'accompagne pas d'un allégement assez significatif, nous semble-t-il, des
formalités administratives qui entravent aujourd'hui la création d'emplois, en
particulier dans les petites et moyennes entreprises, qui, pourtant, sont
aujourd'hui les seules capables d'en générer.
Cet effort méritoire et sans précédent, avec pour conséquence la mise à la
disposition des entreprises de capitaux nouveaux, risque donc de ne pas avoir
l'effet d'entraînement que vous en attendez. Disons-le tout net : la lourdeur
de l'appareil de contrôle qui pèse aujourd'hui sur les entreprises est devenu
intolérable.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
C'est encore cette lourdeur qui explique les hésitations qui se
manifestent au sein d'un Etat terriblement centralisé à faire confiance aux
collectivités territoriales, régions, départements ou villes pour gérer au plus
près du terrain le problème du chômage. Elles seules peuvent lutter
efficacement, comme elles l'ont fait hier pour certaines dépenses sociales,
contre les excès manifestes dont souffre un système qui a vu l'assistance,
c'est-à-dire, en fait, la perpétuation du non-travail, se répandre aux dépens
du retour à l'emploi. Mais elles n'y parviendront que si latitude leur est
laissée d'user avec souplesse de l'arsenal devenu trop lourd, trop compliqué
des aides à l'insertion.
Faut-il par ailleurs rappeler que ces collectivités locales, dont il est
aujourd'hui de bon ton de critiquer le poids de l'impôt qu'elles lèvent,..
M. Christian Poncelet.
Eh oui !
M. Maurice Blin.
... ont assuré depuis des années, à elles seules, près des deux tiers de
l'investissement public ? Il est temps, monsieur le Premier ministre, de mettre
un terme à cette querelle d'un autre âge. Le soutien le plus sûr que l'Etat
puisse recevoir dans ces deux domaines clés et sensibles de l'emploi et de
l'investissement, ce sont les collectivités locales qui peuvent le lui
apporter. Elles aspirent à plus de responsabilités. Je vous en prie, ne les
découragez pas !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, ainsi que sur
certaines travées des Républicains et Indépendants.)
En effet, la méfiance dont elles font l'objet pèse sur la conjoncture.
J'en donnerai un exemple. La durée du contrat de plan va être prolongée d'un
an. Or, les collectivités locales, qui apportent une contribution décisive au
financement de maints équipements, ont souvent mis en réserve ou pourraient
encore leur consacrer demain des crédits importants. Pourquoi ne pas leur en
laisser la libre utilisation ? Pourquoi ne pas consentir, comme ce fut le cas
pour les régions avec les lycées, comme c'est souvent le cas aujourd'hui pour
les bâtiments universitaires, à ce qu'elles deviennent maîtres d'ouvrage,
quitte à ce que l'Etat, plus tard, quand il en aura retrouvé les moyens,
rattrape son retard ? Elles ont fait la preuve qu'elles pouvaient construire
mieux et plus vite que lui. Pourquoi, modestement, ne pas le reconnaître ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées des Républicains et Indépendants.)
Une voie nouvelle pourrait s'offrir encore en matière d'emploi des
jeunes. La France ne retrouvera la croissance qu'à la condition de participer à
celle des pays d'Asie ou d'Amérique, qui est aujourd'hui deux, voire pour
certains, trois fois supérieure à la sienne. Pour cela, il lui faut renforcer
sa présence à l'étranger.
Or, la transformation attendue des conditions du service national libérera à
l'avenir, chaque année, des dizaines de milliers de jeunes diplômés. Ces
derniers ne pourraient-ils servir leur pays soit dans nos différents services
économiques à l'étranger, soit dans les entreprises, grandes ou moyennes,
aujourd'hui engagées dans le combat pour l'exportation ? Cette idée est chère -
nous le savons - au président de la Haute Assemblée. Elle mérite, nous
semble-t-il, d'être creusée.
M. Alain Gournac.
Tout à fait !
M. Maurice Blin.
Elle pourrait obtenir, j'en suis sûr, l'appui de certains départements et de
certaines régions. Elle répond aux besoins de nombreuses entreprises,
conscientes à la fois de leur responsabilité envers une société minée par le
chômage et de l'urgence où elles se trouvent de promouvoir la vente de nos
produits, la présence de nos techniques dans des pays où la consommation et
l'investissement explosent.
Répétons-le à l'intention de ceux qui ne voient en eux que des concurrents
destructeurs de nos emplois : la vraie menace est non pas dans leur dynamisme,
mais en nous-mêmes. Elle est dans le poids de charges sociales qui, en
aggravant son coût, détruit le travail non qualifié et pousse les entreprises à
se délocaliser. Elle tient aux charges fiscales qui pèsent aujourd'hui sur les
hauts salaires et conduisent soit les sociétés étrangères à se détourner de la
France, soit certains de nos cadres les plus compétents à s'expatrier. Mais de
cela, nous savons que vous avez conscience, monsieur le Premier ministre. Les
lignes de force du projet de budget pour 1997 en témoignent.
Permettez-moi de formuler une dernière suggestion : pourquoi ne pas réorienter
une partie des importants crédits consacrés à l'aide à l'emploi, soit plus de
140 milliards de francs chaque année, vers une baisse encore accrue des charges
sociales qui pèsent sur les postes les moins qualifiés ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Une franchise sur les charges patronales pour les emplois payés au SMIC
permettrait de réduire le coût du travail, de répondre aux coups de boutoir des
industries situées dans les pays à très bas salaires, de freiner les
délocalisations et de rendre toutes leurs chances à nos entreprises les plus
exposées.
Mais j'arrête là ces suggestions - j'en aurais bien d'autres - et j'en reviens
à l'essentiel.
Monsieur le Premier ministre, nous approuvons les différents projets de loi
que vous nous avez annoncés dans votre déclaration de politique générale
concernant le renforcement de la cohésion sociale, l'insertion des jeunes et
leur formation en entreprise, le traitement des problèmes de la ville,
l'incitation, fût-elle coûteuse, à la réduction du temps de travail et une
application plus stricte de la politique en matière d'immigration. Celle-ci -
j'insiste sur ce point - doit rester fondée sur le principe républicain de
l'intégration - je vous remercie d'ailleurs de l'avoir rappelé tout à l'heure -
et éviter par-dessus tout le piège mortel d'un développement séparé des
communautés que de bons mais faux esprits croient pouvoir défendre au nom d'un
« multiculturalisme mythique ».
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RPR.)
En réalité, celui-ci signifierait bel et bien la fin de l'identité
nationale.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. René-Pierre Signé.
Oh !
M. Maurice Blin.
Mais ces mesures, si opportunes soient-elles, ne constituent qu'un pâle remède
au drame qui est à l'origine de tous nos maux, le chômage. Elles tentent d'en
tempérer les effets. Elles ne l'attaquent pas tout à fait à la racine. Or,
l'insécurité qui affecte le temps présent est fille de celle qui pèse sur ses
lendemains.
C'est cette dernière qu'il faut, en priorité, combattre. Nous savons, vous et
nous, monsieur le Premier ministre, que l'Etat ne peut pas tout. Mais il peut
peut-être faire confiance au Parlement ou, tout au moins, à la majorité
parlementaire qui vous soutient, aux jeunes qui, aujourd'hui autant qu'hier,
aspirent à servir leur pays et attendent simplement qu'on leur en donne
l'occasion, aux collectivités locales prêtes à le relayer, aux entreprises qui
s'appliquent à défendre leurs positions commerciales dans le monde.
Bref, la confiance que votre gouvernement mérite et doit obtenir de toutes
celles et de tous ceux qui souhaitent le soutenir et l'accompagner dans son
effort de rénovation du pays est très exactement à la mesure de celle qu'il
saura, le premier, leur accorder.
Qu'il vous faille, pour ce faire, vaincre les hésitations, les réserves, les
habitudes d'une administration qui a pu croire, pendant longtemps, qu'elle
avait pour principale mission de régenter le pays, que soient remis en cause
des structures, des statuts, des monopoles qui ont vieilli et qu'il faut
impérativement élaguer, assouplir, dépoussiérer, qu'importe, et même tant mieux
!
Quant aux Français, monsieur le Premier ministre, j'ai l'intime conviction
qu'il faudrait peu de chose pour qu'ils cessent d'être les spectateurs passifs
de leur propre destin et qu'ils se remettent à croire : un peu plus d'audace
peut-être et les signes sensibles d'un renouveau qui tardent à venir mais que,
au fond d'eux-mêmes, ils espèrent. En effet, la raison, le bon sens leur disent
qu'il n'y a pas d'autre voie.
Ils verraient alors que la réforme est en marche et qu'elle peut réussir. Le
groupe de l'Union centriste le souhaite pour votre gouvernement et pour la
France, monsieur le Premier ministre. C'est pourquoi vous pouvez compter sur
son appui !
(« Bravo ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le Premier ministre.
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier tous les orateurs, sur quelque
travée qu'ils siègent dans cet hémicycle, pour les paroles de sympathie et de
solidarité qu'ils ont prononcées vis-à-vis des habitants de Bordeaux. J'associe
bien évidemment à ces derniers nos concitoyens d'Aix-en-Provence, également
touchés par un attentat, et d'abord et avant tout nos concitoyens de Corse, qui
vivent aujourd'hui une période difficile.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai été frappé par la qualité du soutien
qu'ont exprimé les porte-parole des groupes de la majorité sénatoriale.
L'adhésion qu'ils ont exprimée à la politique du Gouvernement sous ses
différents aspects, la chaleur que j'ai sentie dans leurs propos sont le
meilleur démenti à ce que j'entends ici ou là sur les réticences de la majorité
à l'égard du Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ils ont
apporté ainsi la démonstration du contraire, ce dont je les remercie.
J'ai bien sûr écouté les orateurs de l'opposition, comme c'est aussi mon
devoir et comme cela pouvait être mon intérêt, pour essayer de glaner telle ou
telle proposition intéressantes.
(Sourires sur certaines travées du RPR.)
Mais je dois dire que j'ai été
un peu déçu !
M. René-Pierre Signé.
Nous aussi, nous avons été déçus !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. Estier m'a conseillé de tenir plus compte des
sondages. C'est ce qu'ont fait un certain nombre de mes prédécesseurs
socialistes avec une conséquence que vous connaissez tous : les réformes
nécessaires ont été remises au lendemain,...
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. René-Pierre Signé.
Ce n'est pas vrai !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... ce qui explique d'ailleurs la situation devant
laquelle nous nous sommes trouvés !
Monsieur Estier, je vous dis donc de tout coeur que je ne tiendrai pas compte
de ce conseil et que je ne gouvernerai pas en fonction des sondages ! Ce n'est
pas ma conception de l'Etat et du rôle du politique.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère.
Ce n'est pas sérieux !
M. Claude Estier.
On n'aurait jamais aboli la peine de mort si l'on avait tenu compte des
sondages !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. Estier m'a demandé les suites que nous comptions
donner à tel ou tel rapport sur la réforme de la justice. J'ai indiqué très
clairement dans mon propos introductif, tout à l'heure, que, sur les bases de
ces rapports qui, pour l'instant, n'engagent que leurs auteurs, le Gouvernement
saisira le Parlement, et qu'il me paraissait opportun d'engager en 1997, sans
a priori
et sans préjugés, une réflexion de fond sur l'organisation de
notre système judiciaire et sur la responsabilité du juge dans la société
française.
Enfin, M. Estier, indiquant qu'il allait tracer les voies d'une nouvelle
politique, a préconisé de procéder à une relance de la consommation par une
hausse des salaires. C'est une recette qui a déjà servi !
Puis-je vous faire observer respectueusement, monsieur Estier, qu'en toute
hypothèse cela appartient aux partenaires sociaux ? Nous avons changé d'époque
! Ce n'est plus l'Etat qui fixe les salaires !
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur
certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. Guy Penne
Pas dans la fonction publique !
M. Claude Estier.
C'est un peu court !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Quant à Mme Luc, elle nous a tracé un tableau
apocalyptique de la France : cataclysme humain et jeunesse brisée !
(Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Je sais que certains jeunes souffrent et sont en difficulté.
J'ai moi aussi enfants et je m'inquiète comme les autres parents de leur
devenir et de leur capacité à trouver un emploi. Mais je connais aussi une
jeunesse - et pas forcément une jeunesse privilégiée ou avantagée ! - qui a
envie de créer, de travailler, qui croit en la France et que nous n'avons pas
le droit de désespérer !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Là encore, j'ai essayé de trouver un conseil avisé dans le propos de Mme
Luc. Mais cette dernière n'a fait qu'une seule proposition concrète : la
semaine de travail de trente-cinq heures pour créer 500 000 emplois.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la mise en place de la semaine de travail
de trente-neuf heures s'est soldée par un million de chômeurs : De grâce, ne
recommençons pas ! C'est le voeu que je peux formuler du fond du coeur.
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE -
Protestations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Ivan Renar.
On y viendra quand même !
M. Claude Estier.
C'est une caricature !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Vous observerez d'ailleurs, mesdames, messieurs les
sénateurs, que, dès que l'on essaie de rétablir quelques vérités, un vent
d'intolérance souffle sur la gauche !
(Protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Un sénateur socialiste.
Il nie l'évidence !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Pour le nourrir un peu, je voudrais reprendre les
propos que tenait voilà moins de deux heures M. André Périssol, à l'Assemblée
nationale, en réponse à une question portant sur le logement, que M. Estier a
d'ailleurs évoqué. Voici ce qu'indiquait M. le ministre du logement : « Entre
1988 et 1992, le nombre des accédants à la propriété sociale a été divisé par
cinq. Depuis un an, il a été multiplié par quatre grâce au prêt à taux zéro.
»
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Eh oui !
« En dix-huit mois, nous avons créé 20 000 logements d'insertion et logements
d'urgence pour les plus démunis, ce qui n'avait jamais été fait avant 1993 !
»
(« Eh oui ! » sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
« Depuis un an et demi, nous avons réquisitionné des logements vacants
pour nous occuper des plus démunis, ce qui n'avait jamais été fait avant 1993
!
(Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des
Républicains et Indépendants.)
« Enfin, grâce à la politique que nous avons menée, les taux d'intérêt
consentis aux organismes d'HLM ont baissé de 20 %, ce qui n'avait jamais été
fait avant 1993. »
(« Eh oui ! » sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Et voici comment concluait M. Périssol : « A chacun sa spécialité : aux
uns, la casse du droit au logement, à nous la construction ! » Je trouve qu'il
a bien parlé !
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste. - Exclamations sur les travées socialistes.)
MM. Pierre Mauroy et Claude Estier.
Quelle mauvaise foi !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Evidemment, j'ai été également très attentif aux propos
tenus par les orateurs des groupes de la majorité. J'ai ressenti chez eux une
adhésion profonde au processus de réforme que nous avons engagé.
M. René-Pierre Signé.
Allez voir dans les mairies !
M. Alain Juppé.
Premier ministre.
Comme plusieurs d'entre vous l'ont dit - MM. de Rohan
et Joly, notamment - les réformes prennent du temps.
Nous avons engagé une réforme de la défense nationale de grande importance.
Nous avançons, et vous serez bientôt saisis du texte sur le rendez-vous citoyen
et le volontariat qui, dans un monde qui a profondément changé, remplaceront le
service national que nous connaissons.
Nous avons aussi engagé une réforme de la sécurité sociale sur laquelle on a
beaucoup parlé et écrit depuis quelque temps. Permettez-moi de vous rendre
attentifs au fait que, si cette réforme n'avait pas été engagée, c'est 90
milliards de francs de déficit que nous aurions en 1996, et non pas 50
milliards de francs comme les comptes de la sécurité sociale l'annoncent.
M. Charles Descours.
Très bien !
M. Pierre Biarnès.
Et non pas 17 milliards comme c'était prévu !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Il y a donc eu un effort de redressement tout à fait
spectaculaire qui n'avait jamais été engagé auparavant.
Il a fallu du temps pour faire voter cette réforme et pour élaborer les textes
qui l'ont organisée. Prenons un seul exemple : le carnet de suivi médical, qui
sera l'un des éléments essentiels de la maîtrise médicalisée, est disponible
depuis quelques jours seulement. Il sera diffusé dans les mois qui viennent et
je suis sûr que cette réforme produira peu à peu des effets. Au demeurant, très
curieusement, le porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, M.
Laurent Fabius, y donnait, voilà quelques jours, son adhésion s'agissant du
fond,...
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... tant sont rares aujourd'hui les idées alternatives
quand il s'agit de réforme de la sécurité sociale.
La monnaie a aussi été un sujet qu'ont évoqué plusieurs d'entre vous.
M. de Rohan a dit que je ne partageais pas certaines des craintes qu'ont été
exprimées dans son groupe sur le risque de voir se constituer une sorte
d'Europe des gouverneurs. Mais je partage cette crainte, monsieur de Rohan !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
C'est la raison pour
laquelle je suis très attentif à la manière dont la monnaie unique sera mise en
oeuvre.
J'ai évoqué tout à l'heure deux des conditions de sa réussite. La première,
c'est l'existence d'une discipline entre ceux qui seront dedans et ceux qui
seront dehors. Je n'y reviens pas. La seconde, c'est une gestion réaliste des
parités entre l'Euro et les autres grandes monnaies du monde. Je n'y reviens
pas non plus. Une troisième raison, que j'ajoute volontiers, c'est que cette
politique doit être conduite par les organes qui ont la responsabilité de la
conduire, chacun à sa place. Or, dans le traité sur l'Union européenne, ce
n'est pas à la Banque centrale qu'il revient de tracer les grandes orientations
de la politique économique, ni même de la politique des changes : c'est au
conseil des ministres et au pouvoir politique, qui devra assumer demain cette
responsabilité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Joly a approuvé la réforme de l'impôt sur le revenu que nous mettons en
oeuvre, et je l'en remercie. Il a évoqué les propos qui ont été tenus par M. le
Président de la République au sujet de l'impôt de solidarité sur la fortune.
J'ai bien lu ces propos. Il a dit : « L'impôt de solidarité sur la fortune est
un instrument de cohésion sociale, et il n'est pas question de le remettre en
cause. » Nous verrons donc, au cours d'un débat parlementaire, si, sur telle ou
telle modalité, il convient d'améliorer le dispositif.
MM. Habert et Blin ont mis l'accent - c'est un point sur lequel je les
rejoints tout à fait - sur la nécessité d'inciter nos jeunes à se consacrer
davantage à la présence de la France à l'étranger. Il y a là un grand enjeu, et
la réforme du service national ne doit pas aboutir à diminuer cette présence de
nos jeunes expatriés, parce que c'est une force pour l'avenir.
M. Pierre Biarnès.
Et la politique de la France vis-à-vis du Mali ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Par conséquent, il faudra veiller à ce que, dans le
cadre du volontariat, les précautions soient prises pour que cette présence
puisse se développer.
M. Guy Cabanel.
Tout à fait !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. de Raincourt a évoqué la lourdeur du code des
marchés publics. Il sait que nous sommes en train de préparer une réforme
ambitieuse, dont les travaux préparatoires arrivent pratiquement à leur terme.
Cette réforme vous sera soumise à la fin de cette année ou au début de l'année
prochaine.
J'ai noté, dans les propos de M. de Raincourt comme dans ceux de beaucoup
d'orateurs de la majorité, une très forte adhésion aux principes de la
politique de l'immigration que j'ai exposée tout à l'heure. Cela mérite, me
semble-t-il, d'être souligné. D'ailleurs, si la lucidité l'emportait sur la
mauvaise foi politicienne...
M. Claude Estier.
Où est la mauvaise foi ?
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
... peut-être ce consensus pourrait-il s'élargir
au-delà de la seule majorité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère.
Voilà une phrase qui vous aidera à remonter dans les sondages !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
M. de Raincourt a également parlé « politique », si je
puis dire. J'ai beaucoup apprécié les propos qu'il a tenus sur la nécessité de
concilier le devoir de soutien et le droit de proposition. Je n'ai jamais rien
dit d'autre ! J'ai également apprécié l'équilibre qu'il a souhaité entre ces
deux aspects de la fonction d'un parlementaire de la majorité. J'avais moi-même
évoqué les « dérives dominicales » et je me réjouis de constater que, en tant
que président du groupe des Républicains et Indépendants, il partage mon souci
sur ce point. Je peux lui dire que nous serons très ouverts à toute proposition
parlementaire au cours du débat.
Enfin, M. Blin a évoqué plusieurs sujets, parlant notamment de l'opportunité
de poursuivre la baisse des charges sociales. Je suis en plein accord avec lui
sur ce point. Je rappellerai simplement que, l'année dernière, lorsque le
Gouvernement a développé sa politique, le consensus sur ce point était beaucoup
moins grand qu'il ne l'est aujourd'hui. A l'époque, on me l'avait beaucoup
reproché ! Le patronat lui-même avait déclaré qu'il n'en avait pas besoin, que
ce n'était pas utile. Aujourd'hui, on voit que le dispositif fonctionne et
qu'il est en train d'enrichir la croissance en emplois. Aujourd'hui, tout le
monde veut aller plus loin, et je m'en réjouis.
Puis-je insister sur le fait - qui n'est pas suffisamment connu - que, le 1er
octobre dernier, il y a quelques jours, les anciennes mesures d'allégement des
cotisations familiales décidées par mon prédécécesseur ainsi que la ristourne
dégressive que je vous avais moi-même soumise l'année dernière pour les
salaires compris entre 1 fois et 1,2 fois le SMIC ont été simplifiées et
fusionnées en une mesure unique, donc plus simple, s'appliquant à tous les
salaires compris entre 1 fois et 1,33 fois le SMIC, quelles que soient la durée
du travail et la date d'embauche ?
Cette mesure concerne 4,5 millions de salariés - ce qui est loin d'être
négligeable - dont les trois quarts travaillent dans des PME. Plus de 30 % des
salariés du secteur des travaux publics sont concernés. L'effet de cette
disposition sera donc très significatif. Je vous donnerai un seul exemple
chiffré : pour un salaire de 7 500 francs, la ristourne sera de 567 francs,
c'est-à-dire un peu plus de 5 % du coût du travail. Pour un salaire voisin du
SMIC, cette ristourne atteindra 13 % du coût du travail. Vous constaterez donc
l'effort que nous avons réalisé à cet égard ! Je n'ai d'ailleurs aucune
réticence, aucune objection à ce que, au fur et à mesure que notre situation
s'améliorera et que les finances publiques en retrouveront la capacité, nous
allions plus avant dans cette voie.
Comment ne pas souscrire également aux propos de M. Blin sur la nécessité de
simplifier les formalités administratives ? Nous avons franchi quelques étapes
dans ce domaine, et le ministre du commerce, de l'artisanat et des PME a été
particulièrement pugnace et imaginatif dans cette voie. Mais il est nécessaire
de progresser encore.
Anticipant sur le discours que je vais prononcer dans quelques instants devant
le congrès de la Fédération nationale des travaux publics, je veux répondre dès
à présent à M. Blin. Vous souhaitez, monsieur le sénateur, que l'Etat autorise
les collectivités territoriales - principalement les régions, mais d'autres
encore - à anticiper, au titre des contrats de plan Etat-région, sur l'Etat
lorsque celui-ci a quelques difficultés à suivre le rythme. Je suis d'accord
avec vous et j'ai demandé au ministère de l'économie et des finances d'étudier
rapidement comment cette anticipation pourrait être autorisée et
accompagnée.
Enfin, M. Blin a fort justement dit que l'un des meilleurs services que nous
pouvions rendre à nos enfants était de leur laisser un pays moins endetté.
C'est ce à quoi nous travaillons aujourd'hui !
Allant peut-être un peu plus loin, je vous dirai aussi que ce qui sous-tend la
politique que nous menons ensemble, vous et nous, vous la majorité et nous le
Gouvernement, c'est précisément la préoccupation de cette France que nous
allons laisser à nos enfants. Je voudrais qu'elle soit une France respectée,
indépendante et puissante, qui leur donne tant des raisons de fierté que les
moyens de la prospérité à laquelle ils aspirent.
Je voudrais aussi que, dans cette France-là, nos jeunes, garçons et filles,
puissent être des citoyens véritablement responsables, participant aux
décisions qui les concernent. J'ai souvent pris l'exemple de la violence à
l'école. Il faut, bien sûr, davantage de moyens pour assurer la sécurité à
l'école ; des personnels supplémentaires seraient bienvenus, et nous avons fait
récemment un effort en ce sens ; mais rien ne se fera si les Françaises et les
Français ne font pas acte de responsabilité, si la communauté scolaire, les
familles, les enseignants et les enfants ne prennent pas ces problèmes en
charge. La France de demain doit être d'abord et avant tout une France
responsable !
(Applaudissements prolongés sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Le Sénat va procéder maintenant au vote sur la déclaration de politique
générale du Gouvernement.
En application de l'article 39, alinéa 2, du règlement, le scrutin public est
de droit.
Conformément à l'article 60
bis
du règlement, il va être procédé à un
scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l'article 56
bis
du règlement.
Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l'appel nominal.
(Le sort désigne la lettre O.)
M. le président.
Le scrutin sera clos quelques instants après la fin de l'appel nominal.
Le scrutin est ouvert.
Huissiers, veuillez commencer l'appel nominal.
(L'appel nominal a lieu.)
M. le président.
Le premier appel nominal est terminé.
Il va être procédé à un nouvel appel nominal.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
Mme et MM. les secrétaires vont procéder au dépouillement.
Voici le résultat du scrutin n° 8 sur la demande d'approbation de la
déclaration de politique générale formulée par M. le Premier ministre :
:
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 313 |
Majorité absolue des suffrages | 157219 |
Contre | 94 |
Le Sénat a approuvé la déclaration de politique générale du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
4
TRANSMISSION
D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'examen des pourvois devant la
Cour de cassation.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 11, distribuée et renvoyée
à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
5
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- communication de la commission au Conseil et au Parlement européen
concernant la révision du règlement sur les concentrations. Propositions de
règlement CE du Conseil modifiant le règlement du Conseil n° 4064/89 du 21
décembre 1989 sur le contrôle des concentrations entre entreprises. Proposition
de règlement CE du Conseil n° 4064/89 du 21 décembre 1989 sur le contrôle des
concentrations entre entreprises (articles 87 et 235).
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 707 et
distribuée.
6
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mercredi 9 octobre 1996, à quinze heures :
1. - Nomination des membres de la commission spéciale chargée de vérifier et
d'apurer les comptes du Sénat.
2. - Suite de la discussion du projet de loi (n° 461, 1995-1996), adopté par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la mise en oeuvre
du pacte de relance pour la ville.
Rapport (n° 1, 1996-1997) de M. Gérard Larcher, fait au nom de la commission
spéciale.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus
recevable.
Aucun amendement à ce projet de loi n'est plus recevable.
Délai limite pour les inscriptions de parole et pour le dépôt des amendements
Proposition de loi de M. Jean-Pierre Fourcade et plusieurs de ses collègues
tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie
pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des
personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance (n°
486, 1995-1996).
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 14 octobre 1996, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 14 octobre 1996, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES
Mme Danielle Bidard-Reydet a été nommée rapporteur du projet de loi n° 10
(1996-1997) autorisant l'approbation de l'accord portant création de la
commission des thons de l'océan Indien.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Conséquences pour les musiciens
de la suppression de déductions fiscales supplémentaires
pour les frais professionnels
456.
- 4 octobre 1996. - Le Gouvernement a annoncé un certain nombre de projets
fiscaux visant à supprimer les déductions supplémentaires pour frais
professionnels accordés à certaines professions, dont les musiciens. Les
conséquences d'une telle mesure, si elle était appliquée, sont multiples. Pour
les musiciens eux-mêmes, dont le pouvoir d'achat régresse alors que les frais
professionnels augmentent. Pour les orchestres enfin, dont les cotisations
salariales des musiciens sont calculées sur le salaire brut minoré de
l'abattement fiscal actuellement remis en cause. En conséquence,
M. Ivan Renar
demande à
M. le ministre de la culture
quelles mesures il compte prendre afin de favoriser le retrait de ce projet.
Situation des artisans du bâtiment
457.
- 4 octobre 1996. -
M. Roland Courteau
attire l'attention de
M. le Premier ministre
sur la situation alarmante des artisans du bâtiment, en raison de la
détérioration de l'activité de la construction. Il insiste sur le constat
unanime de la profession, d'une chute des commandes de la clientèle
particulière, dans le domaine de l'entretien et de la réhabilitation de
l'habitat existant, qui se traduit par la nécessité douloureuse de supprimer
des emplois. Il rappelle la contrainte aggravante des charges administratives
sur la gestion quotidienne qui paralyse les petites et moyennes entreprises
(PME). Il insiste sur le caractère dissuasif du taux de la TVA et le manque de
mesures de compensations fiscales, susceptibles d'inciter à la relance des
investissements privés et publics. Il déplore que le cri d'alarme lancé par les
artisans et petits entrepreneurs n'ait pas à ce jour été entendu. C'est
pourquoi, il lui demande quelles sont les dispositions qu'il entend mettre en
oeuvre en faveur de l'artisanat du bâtiment, tant sur le plan fiscal
qu'administratif, et dans quels délais.
Financement des contrats de qualification
458.
- 7 octobre 1996. -
M. Jean-Jacques Robert
attire l'attention de
M. le ministre du travail et des affaires sociales
sur la situation de la formation en alternance ainsi que sur le projet de
fusion des collectes des taxes de l'alternance et de l'apprentissage. Il
constate que les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), auxquels
seraient confiés les fonds collectés, tardent cette année encore à reverser aux
entreprises et aux centres de formation les taxes de l'alternance. Il semble
que 2,5 milliards de francs soient bloqués à l'Association de gestion du fonds
des formations en alternance (AGEFAL), alors que 20 000 contrats de
qualification n'ont pas trouvé de financement. C'est pourquoi il lui demande
quelles mesures il compte mettre en oeuvre pour remédier à cette situation
particulièrement préoccupante.
Avenir du centre de recherches du Bouchet (Essonne)
459.
- 7 octobre 1996. -
M. Jean-Jacques Robert
attire l'attention de
M. le ministre de la défense
sur l'inquiétude des 330 salariés du centre de recherches du Bouchet,
établissement dépendant de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE)
située à Vert-le-Petit (Essonne). En effet, le renouvellement des contrats
annuels d'études, prévu normalement début septembre, n'a pas été notifié au
centre, ce qui place le personnel en chômage technique. De plus, le montant
prévisionnel de cette notification par la Direction générale de l'armement
serait réduit d'environ quarante millions de francs pour 1997. Le volume des
contrats à venir laisserait même présager l'abandon du centre de recherches.
C'est pourquoi il lui demande de bien vouloir lui indiquer s'il entend
poursuivre ses engagements contractuels avec la SNPE et lui préciser quels sont
ses projets concernant l'avenir de cet établissement et de ses deux cents
chercheurs de haut niveau.
Délocalisation des services centraux de la SNCF
460.
- 7 octobre 1996. -
Mme Nicole Borvo
attire l'attention de
M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme
sur les conséquences dramatiques qu'aurait la délocalisation des services
centraux de la SNCF envisagée par la direction pour Paris mais aussi pour
l'ensemble de l'entreprise. Cette délocalisation irait contre les intérêts des
usagers et des cheminots qui ont montré leur attachement à ce grand service
public. Elle irait également à l'encontre des intérêts de Paris qui verrait une
fois de plus un service d'intérêt national et des milliers d'emplois quitter la
ville. Alors que le Gouvernement s'était engagé à geler toutes les opérations
projetées par la SNCF pendant la réécriture du plan, cette décision est
inacceptable. Pourtant les salariés et leurs organisations syndicales sont
porteurs d'autres choix. Il faut les écouter. Par ailleurs, le conseil de Paris
sur proposition des élus communistes a voté à l'unanimité le voeu que les
activités parisiennes de la SNCF soient maintenues à Paris. Pour toutes ces
raisons, elle lui demande ce qu'il compte faire pour s'opposer à cette
délocalisation et garantir l'emploi et le développement du service public à
Paris.
Situation des candidats admis sur les listes complémentaires
aux concours d'enseignement du second degré
461.
- 8 octobre 1996. -
M. André Vezinhet
souhaite obtenir de
M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la
recherche
des explications et des engagements précis concernant l'éviction des candidats
admis sur les listes complémentaires aux concours d'enseignement du second
degré. Ces listes rassemblent des candidats qui ont été jugés aptes à enseigner
ou à éduquer par des jurys de concours et il est d'usage chaque année que le
ministère ait recours à elles pour pallier les désistements survenus sur les
listes principales. Il rappelle au ministre que cette année, comme les
précédentes, des désistements massifs ont bien eu lieu mais que, courant août,
il a été décidé, fait sans précédent, et sans aucune justification, de ne pas «
puiser » dans ces effectifs, laissant les reçus-collés dans le plus grand
désarroi et sans aucune perspective. Se heurtant à une absence totale
d'information, ces derniers se sont organisés en collectifs régionaux puis en
collectif national et se sont adressés par lettre à leur ministre de tutelle,
au Premier ministre et au Président de la République. Devant l'absence de
réponse des responsables politiques, ils ont réussi à obtenir une audience
auprès de la direction du ministère le 30 septembre dernier, sans résultat
concret ni satisfaisant. A ce jour, en effet, seulement 183 personnes admises
sur listes complémentaires ont été recrutées pour enseigner alors que plus de
500 désistements ont été enregistrés. Il demande au ministre s'il est en mesure
de lui annoncer, plus d'un mois après la rentrée scolaire, le déblocage de
toutes les listes complémentaires à hauteur des désistements ou s'il entend
sacrifier sur l'autel de la rigueur budgétaire ces jeunes enseignants lauréats
d'un concours national, motivés par la mission d'enseigner, les reléguant ainsi
dans une situation matérielle aléatoire et extrêmement précaire et moralement
inacceptable.
Avenir du Crédit foncier
462.
- 8 octobre 1996. -
M. André Vezinhet
appelle l'attention de
M. le ministre de l'économie et des finances
sur les derniers résultats économiques et financiers publiés par le conseil
d'administration du Crédit foncier, le 29 août 1996, pour le premier semestre
de 1996, qui affiche un bénéfice net de 402 millions de francs. A la lecture de
ces chiffres, il apparaît que la situation de cet établissement est aujourd'hui
fort éloignée des difficultés avancées par le Gouvernement et qui avaient
conduit ce dernier à présenter un plan d'ensemble le 26 juillet 1996. Ce
projet, qui programme le démantèlement d'un établissement reconnu par tous pour
ses compétences dans le financement du logement social, ne nous paraissait pas
une réponse adaptée ; à ce jour, il est totalement inacceptable. Il interroge
le ministre sur ses intentions. Compte-t-il persister dans la direction qu'il
s'était fixée il y a quelques mois ou bien compte-t-il profiter du débat
parlementaire annoncé pour rechercher des solutions autres, qui sont
souhaitables et possibles et qui ouvriraient de meilleures perspectives pour
les 3 300 salariés du Crédit foncier. Il lui indique enfin que, si la première
hypothèse devait être privilégiée, son groupe politique combattrait avec force
et détermination un ensemble de mesures qui, d'un trait de plume, gommerait
l'existence et le savoir-faire d'une institution fondée il y a 150 ans.
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance du mardi 8 octobre 1996
SCRUTIN (n° 8)
sur la demande d'approbation de la déclaration de politique générale du
gouvernement formulée par M. le Premier ministre, en application de l'article
49, alinéa 4, de la Constitution.
Nombre de votants : | 315 |
Nombre de suffrages exprimés : | 313 |
Pour : | 219 |
Contre : | 94 |
Le Sénat a approuvé.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (15) :
Contre :
15.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (23) :
Pour :
17.
Contre :
5. _ MM. François Abadie, Jean-Michel Baylet, André Boyer,
Yvon Collin et Mme Joëlle Dusseau.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Robert-Paul Vigouroux.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (94) :
Pour :
93.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Emmanuel Hamel.
GROUPE SOCIALISTE (75) :
Contre :
74.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Claude Pradille.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (60) :
Pour :
60. dont M. René Monory, président du Sénat.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (44) :
Pour :
42.
Abstention :
1. _ M. Henri Torre.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Jean-Philippe Lachenaud.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (10) :
Pour :
7.
Abstention :
1. _ M. Philippe Darniche.
N'ont pas pris part au vote :
2. _ MM. Jean-Pierre Lafond et Paul
Vergès.
Ont voté pour
Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Bernard Barbier
Janine Bardou
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Pierre Croze
Charles de Cuttoli
Marcel Daunay
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Charles Descours
Georges Dessaigne
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
François Gerbaud
François Giacobbi
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Jean Grandon
Francis Grignon
Georges Gruillot
Yves Guéna
Jacques Habert
Hubert Haenel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Pierre Laffitte
Pierre Lagourgue
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Maurice Lombard
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Kléber Malécot
André Maman
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
François Mathieu
Serge Mathieu
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Louis Moinard
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Sosefo Makapé Papilio
Charles Pasqua
Michel Pelchat
Jean Pépin
Alain Peyrefitte
Bernard Plasait
Régis Ploton
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Jean Puech
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Guy Robert
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Maurice Schumann
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Jean-Pierre Vial
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
René Monory, président du Sénat.
Ont voté contre
François Abadie
Guy Allouche
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Jean-Michel Baylet
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Monique ben Guiga
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Jacques Bialski
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Claude Billard
Marcel Bony
Nicole Borvo
André Boyer
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Gilbert Chabroux
Michel Charasse
Marcel Charmant
Michel Charzat
William Chervy
Yvon Collin
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Michelle Demessine
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Michel Dreyfus-Schmidt
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Joëlle Dusseau
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Jacqueline Fraysse-Cazalis
Aubert Garcia
Claude Haut
Roland Huguet
Philippe Labeyrie
Dominique Larifla
Guy Lèguevaques
Félix Leyzour
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
Michel Manet
Jean-Pierre Masseret
Marc Massion
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jean-Luc Mélenchon
Louis Minetti
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Robert Pagès
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Roger Quilliot
Jack Ralite
Paul Raoult
René Régnault
Ivan Renar
Alain Richard
Roger Rinchet
Michel Rocard
Gérard Roujas
René Rouquet
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Fernand Tardy
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber
Abstentions
MM. Philippe Darniche et Henri Torre.
N'ont pas pris part au vote
MM. Emmanuel Hamel, Jean-Philippe Lachenaud, Jean-Pierre Lafond, Claude
Pradille, Paul Vergès et Robert-Paul Vigouroux.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.