SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire de Mongolie
(p.
1
).
3.
Convention d'entraide judiciaire en matière pénale avec la Corée.
- Adoption d'un projet de loi (p.
2
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; M. Hubert Durand-Chastel, rapporteur de la commission des
affaires étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
4.
Convention relative au statut des forces stationnées en Allemagne.
- Adoption d'un projet de loi (p.
3
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; M. Serge Vinçon, rapporteur de la commission des affaires
étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
5.
Convention avec la Suisse relative au service militaire des
double-nationaux.
- Adoption d'un projet de loi (p.
4
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; M. Guy Penne, rapporteur de la commission des affaires
étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
6.
Accord avec l'Argentine relatif à l'emploi des personnes à charge des membres
des missions officielles.
- Adoption d'un projet de loi (p.
5
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; M. André Boyer, rapporteur de la commission des affaires
étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
7.
Accord avec l'Afrique du Sud sur l'encouragement et la protection réciproques
des investissements.
- Adoption d'un projet de loi (p.
6
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; M. Nicolas About, rapporteur de la commission des affaires
étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
8.
Convention relative à l'admission temporaire.
- Adoption d'un projet de loi (p.
7
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; M. André Boyer, rapporteur de la commission des affaires
étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
9.
Accord avec l'Arménie sur l'encouragement et la protection réciproques des
investissements.
- Adoption d'un projet de loi (p.
8
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; M. Hubert Durand-Chastel, rapporteur de la commission des
affaires étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
10.
Accord avec Hong Kong sur l'encouragement et la protection réciproques des
investissements.
- Adoption d'un projet de loi (p.
9
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; M. Jacques Habert, rapporteur de la commission des affaires
étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
11.
Accord sur la coopération transfrontalière.
- Adoption d'un projet de loi (p.
10
).
Discussion générale : Mme Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; MM. Michel Alloncle, rapporteur de la commission des affaires
étrangères ; Daniel Hoeffel.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
12.
Accord portant création de la commission des thons de l'océan Indien.
- Adoption d'un projet de loi (p.
11
).
Discussion générale : Mmes Margie Sudre, secrétaire d'Etat chargé de la
francophonie ; Danielle Bidard-Reydet, rapporteur de la commission des affaires
étrangères.
Clôture de la discussion générale.
Adoption de l'article unique du projet de loi.
Suspension et reprise de la séance (p. 12 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
13.
Candidature à une commission
(p.
13
).
14.
Rappel au règlement
(p.
14
).
MM. Emmanuel Hamel, le président.
15.
Défense.
- Débat sur une déclaration du Gouvernement (p.
15
).
MM. Charles Millon, ministre de la défense ; Xavierde Villepin, président de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ;
Jean-Luc Bécart.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
MM. Paul Girod, François Trucy, Jacques Machet, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë,
Claude Billard, André Vallet, Jean-Claude Carle, Philippe de Gaulle, Philippe
Madrelle, François Lesein, Nicolas About, Jacques de Menou, André Rouvière.
M. le ministre.
Clôture du débat.
16.
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
(p.
16
).
17.
Nomination d'un membre d'une commission
(p.
17
).
18.
Dépôt de propositions d'acte communautaire
(p.
18
).
19.
Renvoi pour avis
(p.
19
).
20.
Dépôt d'un rapport
(p.
20
).
21.
Dépôt d'un rapport d'information
(p.
21
).
22.
Ordre du jour
(p.
22
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
1
PROCE`S-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
DE MONGOLIE
M. le président.
J'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une
délégation du Grand Khoural de Mongolie, conduite par le nouveau président de
cette assemblée parlementaire, M. Gonchigdorj.
La délégation est accompagnée par M. l'ambassadeur de Mongolie en France, Son
Excellence M. Bekbat.
La visite en France de nos collègues mongols leur permettra notamment de
participer à une conférence internationale sur les Etats en voie de
transition.
Au nom du Sénat de la République française, je leur adresse nos meilleurs
souhaits de bienvenue et les assure de l'amitié et de l'intérêt que le Sénat
porte à la Mongolie.
Je sais d'ailleurs que le rapporteur du texte dont le Sénat va discuter dans
quelques instants s'associe tout spécialement à ces voeux, puisque notre
excellent collègue M. Durand-Chastel est aussi président du groupe d'amitié
France-Mongolie.
(Applaudissements.)
3
CONVENTION D'ENTRAIDE JUDICIAIRE
EN MATIÈRE PÉNALE AVEC LA CORÉE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 425, 1995-1996),
adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention
d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République de Corée. [Rapport n° 4
(1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, à la suite du
développement des relations économiques avec la République de Corée, une
coopération plus étroite dans le domaine des relations judiciaires est apparue
nécessaire. Entamées en septembre 1993, les négociations ont abouti à la
signature d'une convention d'entraide judiciaire en matière pénale, le 2 mars
1995, à l'occasion de la visite officielle du président Kim Young-sam à
Paris.
Cette convention est très largement inspirée des dispositions de la convention
européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1957.
Les deux parties contractantes s'engagent à s'accorder mutuellement l'entraide
judiciaire dans toute enquête, poursuite ou procédure pénale qui relève, au
moment où l'entraide est demandée, de la compétence des autorités judiciaires
de la partie requérante.
Comme il est d'usage, la convention ne s'applique ni à l'exécution des
décisions d'arrestation et de condamnation ni aux transferts des procédures
pénales.
S'agissant de la France, le ministère public est compris au nombre des
autorités judiciaires compétentes citées par la convention pour recevoir et
exécuter les demandes d'entraide.
Sur le plan formel, les transmissions et les réceptions des demandes
d'entraide sont opérées entre autorités centrales. Il s'agira, pour la France,
du ministère de la justice et, pour la Corée, du ministère de la justice ou
d'un fonctionnaire désigné par ledit ministère.
Les autorités centrales communiqueront entre elles par la voie diplomatique,
la communication directe ne se faisant qu'en cas d'urgence.
L'entraide peut être refusée si la demande se rapporte à des infractions
considérées par l'Etat requis comme des infractions politiques ou connexes à
des infractions politiques ; si l'Etat requis estime que l'exécution de la
demande risque de porter préjudice à sa souveraineté, à sa sécurité, à l'ordre
public ou à d'autres intérêts essentiels de son pays ; si l'affaire qui fait
l'objet d'enquêtes, de poursuites ou de procédures dans la partie requérante ne
constitue pas une infraction aux termes de la législation de la partie
requise.
La convention précise également le domaine de l'entraide : accomplissement «
d'actes d'instruction » ou communication de « dossier, de documents ou de
pièces à conviction ainsi que la restitution à la victime d'objets ou de
valeurs ».
Lorsque les demandes de citation à comparaître en tant que témoin par la
partie requérante concernent une personne détenue, le transfèrement de cette
personne n'est possible que si elle y consent.
Les témoins ou les experts bénéficient, selon l'usage, en application de la
règle de la spécialité des poursuites, d'une immunité de poursuite ou
d'arrestation pour des faits ou condamnations antérieurs à leur départ du
territoire de l'Etat requis.
Enfin, la convention précise, comme il est d'usage, que tout refus d'entraide
ainsi que son ajournement doit être motivé.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention
d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République de Corée qui fait l'objet du
projet de loi proposé aujourd'hui à votre approbation.
(M. Serge Vinçon applaudit.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Hubert Durand-Chastel,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'intérêt de la convention d'entraide judiciaire entre la
France et la Corée ne se résume pas au renforcement, certes nécessaire, d'une
coopération qui, dans ce domaine, reste limitée puisque chaque année on ne
recense guère plus de deux demandes d'enquête entre nos pays.
L'intérêt de cette convention tient aussi à sa valeur symbolique, à la
reconnaissance, dont elle porte témoignage, des progrès accomplis par la Corée
du Sud dans la construction d'un Etat de droit digne d'un pays ayant atteint ce
haut degré de développement économique.
En effet, une convention d'entraide judiciaire, malgré les garanties sérieuses
dont les procédures sont entourées, ne peut se concevoir qu'entre des Etats
respectueux des principes du droit. Deux observations me paraissent ici
nécessaires.
La vie démocratique coréenne s'est renforcée au cours des dernières années
sous l'impulsion de M. Kim Young-San, premier président civil de la Corée. J'en
veux pour preuve la levée de l'immunité qui s'attachait aux responsables de
coups d'Etat ou de tentatives de reddition, mais aussi la lutte contre la
corruption. Cette double orientation a d'ailleurs conduit à la prison deux
anciens chefs d'Etat coréens, généraux de leur état.
En outre, le pluralisme politique n'est pas un vain mot : la majorité
présidentielle a vacillé lors des dernières élections législatives de 1996, et
le chef de l'opposition, M. Kim Dae-jung, se pose comme un rival sérieux pour
l'actuel président en vue des prochaines échéances électorales de 1997. Certes,
il existe toujours quelques restrictions à l'exercice des libertés. Certaines,
comme la loi sur la sécurité nationale, qui autorise l'arrestation de toute
personne susceptible d'agir en faveur du régime nord-coréen, demeurent
justifiées, aux yeux du gouvernement sud-coréen, par les contraintes d'un
voisinage imprévisible.
Dans un contexte politique favorable au renforcement de l'état de droit, le
système judiciaire coréen - c'est ma seconde observation - s'est modernisé. Il
importe avant tout de souligner l'adoption, en 1994, d'un nouveau code de
procédure pénale, dont les principes se rapprochent beaucoup des dispositifs
occidentaux. Je citerai notamment la stricte obligation des mandats judiciaires
pour les mesures de contrainte, le renforcement du système d'avocats commis
d'office, la procédure contradictoire pour permettre à l'accusation et à la
défense de jouer les rôles moteurs lors de procès et, enfin, l'obligation de
preuves corroborant les aveux.
Voilà quelques témoignages d'une évolution dont on ne peut que se réjouir.
Cette convention s'inscrit, en outre, dans un contexte favorable caractérisé
par le développement des relations bilatérales. La Corée cherche en effet à
diversifier ses partenaires. Elle s'est tournée vers l'Europe, et
singulièrement vers la France.
Le présent projet de loi constitue une pierre supplémentaire dans le
rapprochement entre nos deux pays et c'est pourquoi la commission, mes chers
collègues, vous en recommande l'adoption.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation de la convention
d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République de Corée, signée à Paris le 2
mars 1995, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
4
CONVENTION RELATIVE AU STATUT
DES FORCES FRANÇAISES
STATIONNÉES EN ALLEMAGNE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 452, 1995-1996)
autorisant la ratification de l'accord du 18 mars 1993 modifiant l'accord du 3
août 1959 modifié par les accords du 21 octobre 1971 et du 18 mai 1981
complétant la convention entre les Etats parties au traité de l'Atlantique Nord
sur le statut de leurs forces, en ce qui concerne les forces stationnées en
République fédérale d'Allemagne. [Rapport n° 5 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la France, la
République fédérale d'Allemagne, le Royaume de Belgique, le Canada, les
Etats-Unis d'Amérique, le Royaume des Pays-Bas et le Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord ont signé à Bonn, le 18 mars 1993, un
accord modifiant l'accord du 3 août 1959, modifié par les accords du 21 octobre
1971 et du 18 mai 1981, complétant la convention de 1951 entre les Etats
parties au traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, en ce qui
concerne les forces stationnées en République fédérale d'Allemagne.
Le statut des forces alliées en Allemagne tel qu'il est défini par le
convention de 1951, complétée par l'accord du 3 août 1959, se fondait, dans un
contexte historique particulier, sur des dispositions largement dérogatoires au
droit allemand ; il était d'ailleurs perçu, particulièrement par les
gouvernements des Lander, comme le « statut des forces d'occupation ». La
République fédérale d'Allemagne, au lendemain de son unification et du traité
portant règlement définitif concernant l'Allemagne du 12 septembre 1990 qui
consacrait sa pleine souveraineté, a souhaité une révision générale de l'accord
de 1959 afin de l'expurger de l'ensemble des dispositions dérogeant au droit
applicable à ses propres forces armées, notamment dans des domaines de plus en
plus sensibles sur le plan politique, comme l'environnement.
Les négociations, engagées en septembre 1991, ont abouti à l'accord signé à
Bonn le 18 mars 1993.
Cet accord permet de concilier, d'une part, la reconnaissance du souhait
légitime de l'Allemagne de retenir comme principe l'application du droit
allemand et, d'autre part, la nécessaire prise en compte des besoins
spécifiques des forces. Ainsi l'accord pose-t-il le principe général
d'application du droit allemand au statut des forces alliées, mais en
l'atténuant afin, notamment, de préserver l'autonomie des forces dans les
domaines essentiels, tels les manoeuvres et exercices, ou la mise en oeuvre du
droit du travail et notamment des plans sociaux.
L'accord permet également d'éviter l'application trop soudaine des normes
nouvelles du droit allemand, ou encore de limiter les conséquences financières
qui pourraient résulter d'une application trop rigide de ce droit en matière de
règles de construction, de normes des véhicules, de réparation des dommages
causés à l'environnement.
Nos forces stationnées en Allemagne devront procéder à un certain nombre
d'adaptations : information du personnel sur le droit allemand qui leur sera
applicable, développement de relations plus étroites et plus suivies avec les
autorités allemandes. Enfin, les installations et les matériels stationnés en
Allemagne seront mis progressivement aux normes allemandes en vigueur.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principales dispositions de l'accord signé à Bonn le 18 mars 1993 modifiant
l'accord du 3 août 1959 modifié par les accords du 21 octobre 1971 et du 18 mai
1981, complétant la convention entre les Etats parties au traité de
l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces en ce qui concerne les forces
étrangères stationnées en Allemagne, qui fait l'objet du projet de loi soumis à
votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Vinçon,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'accord qui nous est soumis entend permettre l'application
prioritaire du droit allemand dans les différents domaines du stationnement de
forces étrangères, bénéficiaires jusqu'alors de nombreuses mesures
dérogatoires.
Peu après la conclusion du traité de l'Atlantique Nord, le 4 avril 1949, les
Etats signataires avaient conclu à Londres, le 19 juin 1951, la convention
entre les Etats parties au traité de l'Atlantique Nord sur le statut de leurs
forces.
Conséquence de l'accession, en mai 1955, de la République fédérale à l'OTAN,
fut signé, le 3 août 1959, un accord complétant cette convention de 1951 et
précisant le régime des forces de l'OTAN stationnées en RFA. C'est cet accord
complémentaire qu'il nous est aujourd'hui proposé de modifier à nouveau par
l'accord du 18 mars 1993.
Les six nations dont les forces ont été ou sont encore présentes en Allemagne
ont d'ores et déjà procédé et procéderont encore à des réductions
substantielles de leurs effectifs présents en territoire allemand.
En 1962, les forces françaises en Allemagne comptaient 68 000 hommes.
Aujourd'hui réduites à 18 000 hommes, elles n'atteindront plus, en application
des restructurations récemment décidées, que 2 500 hommes à l'horizon 1999.
Seules quatre unités demeureront stationnées en Allemagne. Les Etats-Unis, qui
disposaient de 420 000 hommes à l'époque de la guerre froide, ont un effectif
actuel de 135 650 hommes. La Grande-Bretagne a, pour sa part, réduit les
effectifs de ses forces à 32 000 hommes en 1995. La Belgique réduira ses forces
de 27 300 hommes à 2 150 hommes au 31 décembre 1997.
Les forces néerlandaises avaient autrefois un effectif d'environ 8 000 hommes.
Elles seront réduites à 2 500 hommes à brève échéance.
Enfin, les derniers soldats du contingent canadien, fort à l'origine de 7 900
hommes, ont quitté l'Allemagne en 1993. A l'avenir, quelque 100 militaires
seront maintenus au sein des quartiers généraux OTAN et dans le cadre de la
formation AWACS de l'OTAN.
J'évoquerai à présent les principales dispositions de l'accord du 18 mars
1993.
La philosophie générale du texte qui nous est soumis consiste donc à
réaffirmer la règle de l'application du droit allemand et à réduire les
dérogations accordées.
Dans cette logique, certains domaines font l'objet de modifications
significatives. Je me bornerai à les rappeler, Mme le secrétaire d'Etat en
ayant développé, voilà un instant, l'économie générale, laquelle est également
exposée dans mon rapport écrit. Il s'agit de la circulation des forces, des
immatriculations ou du contrôle technique des véhicules, des manoeuvres et
exercices, de l'utilisation des biens immobiliers affectés aux forces,
concernant par exemple les conditions d'accès des autorités allemandes ou les
règles présidant aux travaux à y réaliser. Il s'agit également du respect des
prescriptions de sauvegarde de l'environnement, ainsi que du système de la
cogestion appliqué aux personnels civils des forces et des questions
juridictionnelles.
Enfin, le texte innove en prévoyant une procédure de règlement des
différends.
Ce texte est l'occasion de réfléchir au maintien de forces françaises en
République fédérale, six ans après la réunification de l'Allemagne, dans un
contexte géostratégique rénové. Nous sommes de ceux qui considèrent que, dans
la perspective de plus en plus nécessaire d'unités de pays partenaires appelées
à s'entraîner et à intervenir éventuellement ensemble dans un cadre interallié
européen, la coopération franco-allemande, élargie à d'autres partenaires, est
un symbole fécond qu'il importe d'entretenir et de conforter.
Pour cet ensemble de raisons, la commission des affaires étrangères, de la
défense et des forces armées s'est déclarée favorable à l'adoption du projet de
loi qui nous est soumis.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique.
- Est autorisée la ratification de l'accord modifiant
l'accord du 3 août 1959, modifié par les accords du 21 octobre 1971 et du 18
mai 1981 complétant la convention entre les Etats Parties au traité de
l'Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, en ce qui concerne les forces
stationnées en République fédérale d'Allemagne, fait à Bonn le 18 mars 1993 et
dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
5
CONVENTION AVEC LA SUISSE
RELATIVE AU SERVICE MILITAIRE
DES DOUBLE-NATIONAUX
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 453, 1995-1996)
autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la
République française et le Conseil fédéral suisse relative au service militaire
des double-nationaux (ensemble une annexe). [Rapport n° 6 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, la France et la Suisse sont liées depuis
1958 par une convention tendant à éviter que les double-nationaux
franco-suisses n'effectuent leurs obligations militaires dans chacun des deux
pays.
Cette convention a fait l'objet d'un arrangement administratif à la même date,
d'un protocole additionnel du 3 mars 1961 et de l'accord, sous forme d'échange
de lettres, du 14 février 1989.
Des difficultés d'application ont surgi, en 1990, pour régulariser la
situation au regard des obligations militaires des jeunes gens qui devenaient
suisses par naturalisation ou français par déclaration consécutive à leur
mariage, après l'âge de dix-neuf ans dans les deux cas. Ces deux catégories de
double-nationaux ne remplissaient pas alors les conditions de l'article 1er de
la convention de 1958, puisqu'au moment de leur majorité ils n'avaient pas «
vocation pour » la double nationalité.
Pour éviter d'amender à nouveau la convention de 1958, une nouvelle convention
a été élaborée et signée à Berne le 16 novembre 1995.
Le nouveau texte vise à préserver le principe selon lequel les
double-nationaux ne peuvent être astreints à l'accomplissement des obligations
militaires qu'à l'égard d'un seul pays et en fixe les conditions
d'application.
Après avoir déterminé son champ d'application, à savoir les double-nationaux
au regard de la loi en vigueur dans chacun des deux Etats - la notion de «
vocation pour » n'a pas été reprise - la convention définit les obligations
militaires : le service national sous toutes ses formes pour la France et, pour
la Suisse, le service militaire, le service civil et le paiement de la taxe
d'exemption.
Les double-nationaux effectuent leurs obligations militaires dans le pays où
ils ont leur résidence permanente au 1er janvier de l'année au cours de
laquelle ils atteignent l'âge de dix-huit ans. Cependant, sur proposition
française, une nouvelle disposition a été introduite : un droit d'option entre
les deux pays, à la condition qu'il soit exercé avant les dix-neuf ans
révolus.
Les deux parties ont inclus dans le champ d'application de la nouvelle
convention les jeunes gens qui deviennent double-nationaux ultérieurement,
vidant ainsi le contentieux qui avait surgi dès 1990. Pour eux également, c'est
le principe de la résidence qui a été retenu, mais au moment de l'acquisition
de la seconde nationalité, qui détermine l'Etat dans lequel les obligations
seront accomplies. Toutefois, une dérogation a été apportée à ce principe
lorsque des prestations ont déjà été fournies auparavant : le double-national
n'est tenu qu'à l'égard du pays dans lequel il accomplit ces prestations. Ces
dernières s'entendent de tout service militaire ou civil, quelle qu'en soit la
durée, y compris les périodes de préparation militaire en France, le paiement
de la taxe d'exemption en Suisse, ou encore l'exemption ou la dispense dans les
cas prévus par la législation applicable. Le seul recensement administratif
n'est pas considéré comme prestation au sens de la convention.
Le nouveau texte définit les critères de la résidence, les obligations de
réserve ainsi que les conditions de mobilisation, qui dépendent des textes
applicables dans l'Etat où le service militaire a été accompli.
Des dispositions transitoires permettent de régulariser les situations
contentieuses nées de l'application de la convention de 1958.
La perspective du profond remaniement des obligations militaires en France ne
rend pas inutile la présente convention, notamment pour régler tous les cas
d'acquisition de la double nationalité au-delà de l'âge de dix-neuf ans.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principales dispositions de la convention entre la France et la Suisse relative
au service militaire des double-nationaux qui fait l'objet du projet de loi
soumis aujourd'hui à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Penne,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, aujourd'hui, les ressortissants français qui acquièrent la
nationalité suisse après l'âge de vingt et un ans se trouvent dans une
situation intenable vis-à-vis de leur obligations militaires : contraints
d'accomplir leur service national en France, ils risquent d'être poursuivis par
la justice militaire suisse à leur retour ; en revanche, s'ils ne répondent pas
à leur ordre d'appel, ils seront déclarés insoumis et donc poursuivis en
France.
Cette aberration résulte des failles du droit actuel destiné à éviter aux
double-nationaux l'accomplissement de leurs obligations militaires dans les
deux pays.
La convention de 1958, complétée par un échange de lettres de 1989, ne
concernait en effet que les double-nationaux de moins de vingt et un ans.
Or, les modifications intervenues dans les législations intérieures en France
comme en Suisse ont eu pour effet de retarder la date où les intéressés peuvent
se prévaloir de l'une ou l'autre des nationalités.
La Confédération helvétique a notamment abrogé le principe suivant lequel le
candidat à la naturalisation suisse était tenu de renoncer à sa nationalité
d'origine. Dès lors, le problème du double service se posait pour les personnes
majeures acquérant la nationalité suisse par naturalisation.
La convention du 16 novembre 1995, dont la ratification est aujourd'hui
soumise à notre accord, apporte trois grandes modifications au dispositif
antérieur.
Première innovation : le texte ouvre, pour l'intéressé, la faculté non prévue
initialement de choisir librement, avant l'âge de dix-neuf ans, le pays où il
souhaite accomplir ses obligations militaires. L'exercice de cette option ne
requiert qu'une simple déclaration adressée aux deux Etats.
La présente convention se conforme ainsi au principe posé par la convention du
Conseil de l'Europe et des textes de même nature signés par la France avec
douze autres Etats européens.
Deuxième innovation : la convention prend en compte le cas des ressortissants
ayant acquis la double nationalité au-delà de vingt et un ans. Les personnes
intéressées sont alors en principe tenues d'accomplir leurs obligations
militaires dans l'Etat de leur résidence permanente.
Enfin, troisième innovation : le texte de 1995 ne reprend pas les dispositions
de la convention de 1958, aux termes desquelles un double-national pouvait être
soumis aux obligations de réserve dans l'Etat où il avait établi sa résidence
principale sans y avoir accompli son service national. En effet, l'accord de
1995 précise que le double-national n'est soumis aux obligations de réserve que
dans le pays où il est tenu d'accomplir ses obligations militaires.
Ce principe n'est pas tout à fait indifférent quand on sait que, en Suisse,
les appelés sont tenus d'effectuer, après leurs quinze semaines de service, des
« cours de répétition » de douze à dix-neuf jours tous les deux ans, jusqu'au
terme de leur obligation. Celle-ci peut aller jusqu'à quarante-deux ans, voire
cinquante-deux pour certains officiers supérieurs.
En conclusion, on peut s'interroger sur la pérennité d'un accord portant sur
le service militaire des double-nationaux, alors que la France s'apprête à
réformer en profondeur son service national. L'objection appelle cependant
trois observations.
D'abord, le présent accord permettra de régler les cas litigieux, au nombre de
soixante aujourd'hui.
Ensuite, il a vocation à s'appliquer à l'ensemble des jeunes gens encore
soumis à l'obligation du service national, notamment aux bénéficiaires d'un
sursis d'incorporation. Les double-nationaux concernés sont aujourd'hui au
nombre de 500.
Enfin, la France, sous la forme du « rendez-vous citoyen », devrait maintenir
une forme d'obligation : il appartiendra dès lors aux autorités helvétiques, si
elles jugent trop disparates les obligations existant dans nos deux pays, de
demander une renégociation de la convention. Celle-ci, pour l'heure, constitue
une utile clarification des règles applicables à nos double-nationaux dans le
domaine des obligations militaires.
C'est pourquoi la commission vous invite, mes chers collègues, à adopter le
présent projet de loi.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation de la convention entre
le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse
relative au service militaire des double-nationaux (ensemble une annexe),
signée à Berne le 16 novembre 1995, et dont le texte est annexé à la présente
loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
6
ACCORD AVEC L'ARGENTINE RELATIF
À L'EMPLOI DES PERSONNES À CHARGE
DES MEMBRES DES MISSIONS OFFICIELLES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 480, 1995-1996)
autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République
argentine relatif à l'emploi des personnes à charge des membres des missions
officielles d'un Etat dans l'autre. [Rapport n° 7 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, l'usage diplomatique ainsi que, à une époque
plus récente, les conventions de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques
et de 1963 sur les relations consulaires ont accordé et reconnu un certain
nombre de privilèges et d'immunités aux représentants d'un Etat en mission
officielle dans un autre Etat, de même qu'à leur conjoint et aux autres membres
de leurs familles. En contrepartie de ces privilèges, ni le conjoint ni les
autres membres de la famille n'étaient autorisés à exercer un emploi
salarié.
Or l'époque actuelle est caractérisée par une généralisation du travail des
deux conjoints. Pour que le représentant de l'Etat n'ait pas à renoncer à des
fonctions à l'étranger, il est devenu nécessaire de permettre à son conjoint de
poursuivre une activité professionnelle dans le pays d'accueil.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement, répondant d'ailleurs au souhait
des autorités argentines, a signé l'accord qui vous est soumis aujourd'hui,
deuxième accord de ce type après celui qui a été signé avec le Canada en
1987.
Cet accord précise les conditions dans lesquelles les membres de la famille
des agents de chacun des deux Etats peuvent être autorisés à exercer, dans
l'autre Etat, une profession salariée, à l'exclusion des professions
réglementées. Le texte complète les dispositions des conventions de Vienne sur
les relations diplomatiques et consulaires s'agissant des conséquences de
l'occupation d'un emploi sur la levée des privilèges et immunités dont
bénéficient les membres de la famille en vertu de ces conventions.
Il rappelle que les immunités en matière civile et administrative prévues aux
articles 31 et 37 de la convention de Vienne du 18 avril 1961 ne s'appliqueront
pas, pour les questions liées à l'exercice de cet emploi, aux personnes qui ont
obtenu l'autorisation d'occuper un emploi salarié.
En matière pénale, si le texte ne prévoit pas la levée irrévocable de
l'immunité de juridiction lorsqu'une personne entrant dans le cadre de l'accord
est accusée d'avoir commis une infraction en relation avec son emploi, il
contient néanmoins une formule très contraignante, stipulant que « l'immunité
de juridiction pénale sera levée par l'Etat accréditant si l'Etat d'accueil le
demande, lorsque l'Etat accréditant juge que la levée de cette immunité n'est
pas contraire à ses intérêts essentiels ».
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principales dispositions de l'accord sous forme d'échange de lettres entre la
France et l'Argentine relatif à l'emploi des personnes à charge des membres des
missions officielles d'un Etat dans l'autre, signé à Buenos Aires le 29 octobre
1994, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre
approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. André Boyer.
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, à l'heure actuelle, en effet, les deux conventions de Vienne
de 1961 et 1963 sur les relations diplomatiques et consulaires, qui étendent
aux personnes à la charge des diplomates les divers privilèges et immunités
accordés aux diplomates eux-mêmes, ne permettent pas aux membres de leur
famille, en particulier à leur conjoint, d'exercer facilement dans leur pays de
résidence un emploi rémunéré. Or une telle possibilité éviterait aux conjoints
de diplomates de fréquentes ruptures dans l'exercice de leur carrière
professionnelle.
Ces privilèges et immunités diplomatiques sont de deux ordres.
En vertu de l'immunité juridictionnelle, tout d'abord, l'agent diplomatique et
les membres de sa famille ne peuvent être traduits devant la juridiction pénale
de l'Etat accréditaire, ou Etat d'accueil. Cette immunité vaut également, avec
des limites spécifiques, pour les juridictions civiles ou administratives.
Cette immunité ne s'exerce que « territorialement » : elle n'entraîne pas, pour
l'agent, une immunité à l'égard de ses juridictions nationales.
Les conventions de Vienne précisent qu'il est possible, de la part de l'Etat
accréditant, de renoncer à cette immunité juridictionnelle, notamment sur
demande de l'Etat d'accueil. Cette renonciation ne s'applique pas
systématiquement à l'immunité d'exécution, qui doit faire l'objet d'une demande
séparée.
Par ailleurs, la convention de Vienne précise que « l'agent diplomatique est
exempt de tout impôt et taxes, personnels ou réels, nationaux, régionaux et/ou
commerciaux ». Cela étant, des tempéraments à cette immunité sont prévus,
concernant, par exemple, la fiscalité indirecte.
Les mêmes textes prévoient, en outre, l'exemption de droits de douane, taxes
et redevances connexes tant sur les objets destinés à un usage officiel que sur
les objets à l'usage personnel de l'agent diplomatique ou des membres de sa
famille.
L'accord a pour objet de lever certaines de ces immunités pour les conjoints
de diplomates désireux d'exercer une activité rémunérée.
Premièrement, l'immunité de juridiction en matière civile et administrative
fera l'objet, de la part de l'Etat d'origine, d'une renonciation pour les
questions ayant trait à l'emploi du conjoint de diplomate dans l'Etat
d'accueil.
Deuxièmement, s'agissant de l'immunité de juridiction pénale, en cas
d'infraction pénale en relation avec l'emploi de la personne à charge, l'Etat
accréditant s'engage à « étudier sérieusement toute demande de renonciation à
l'immunité présentée par l'Etat d'accueil ».
Troisièmement, les privilèges douaniers ne bénéficieront plus à la personne à
charge occupant un emploi salarié.
Il convient également de préciser que celle-ci relèvera du régime de
protection sociale du pays de résidence et qu'elle sera autorisée à transférer
dans son pays d'origine ses salaires et indemnités accessoires.
Le gouvernement français, soucieux de permettre à nos diplomates en poste
d'effectuer leur carrière à l'étranger sans que leur conjoint s'en trouve trop
pénalisé sur le plan professionnel, entend développer des accords du même type
que celui que nous examinons.
A ce jour, cinquante-sept membres des familles de nos diplomates en poste en
Argentine et cent vingt-cinq personnes de l'entourage des diplomates argentins
en poste à Paris sont susceptibles de bénéficier de cet accord.
Un accord similaire ayant été conclu en 1987 avec le Canada, vingt-cinq
Français et un Canadien ont obtenu un emploi salarié, respectivement au Canada
et en France.
Des négociations en vue de la conclusion de tels accords sont en cours avec
six autres pays.
Sous le bénéfice de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à
adopter le projet de loi qui nous est soumis.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique.
- Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme
d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République argentine relatif à l'emploi des personnes à
charge des membres des missions officielles d'un Etat dans l'autre, signé à
Buenos Aires le 26 octobre 1994, et dont le texte est annexé à la présente loi.
»
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
7
ACCORD AVEC L'AFRIQUE DU SUD SUR L'ENCOURAGEMENT ET LA PROTECTION RÉCIPROQUES
DES INVESTISSEMENTS
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 481, 1995-1996)
autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République d'Afrique du Sud sur
l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un
protocole). [Rapport n° 8 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, la France a récemment signé un certain
nombre d'accords d'encouragement et de protection réciproques des
investissements. Ces accords ont pour objet d'établir un cadre juridique sûr de
nature à favoriser l'activité de nos entreprises.
L'approbation de trois de ces accords, ceux qui ont été signés avec l'Afrique
du Sud, l'Arménie et Hong Kong, est à l'ordre du jour de la présente séance.
Les textes de ces accords sont presque identiques ; ils contiennent les grands
principes figurant habituellement dans les accords de ce type et constituant la
base de la protection des investissements telle que la conçoivent aujourd'hui
les pays de l'OCDE.
Il s'agit, premièrement, d'octroyer aux investisseurs un traitement juste et
équitable, conforme au droit international et au moins égal au traitement
accordé aux nationaux ou à celui de la nation la plus favorisée, à l'exclusion
des avantages consentis à un Etat tiers en raison de l'appartenance à une
organisation économique régionale.
Il s'agit, deuxièmement, de garantir le libre transfert des revenus et du
produit de la liquidation des investissements, ainsi que d'une partie des
rémunérations des nationaux de l'une des parties contractantes.
Il s'agit, troisièmement, de prévoir le versement, en cas de dépossession,
d'une indemnisation prompte et adéquate, dont les modalités de calcul sont
précisées dans l'accord.
Il s'agit, quatrièmement, d'ouvrir le recours à une procédure d'arbitrage
international en cas de différend entre l'investisseur et le pays d'accueil.
Il s'agit, cinquièmement, de permettre au gouvernement français d'accorder sa
garantie aux investissements que réaliseront à l'avenir nos entreprises dans
ces pays, conformément aux dispositions de la loi de finances rectificative
pour 1971, qui subordonne l'octroi de cette garantie à l'existence d'un tel
accord.
Comme vous le voyez, les principes auxquels nous sommes attachés et qui
fondent la protection des investissements sont réaffirmés dans ces différents
textes. Ils s'inscrivent dans un processus global destiné à offrir la plus
grande sécurité possible à nos investisseurs. Cette démarche, suivie avec
constance, a permis de passer des accords de ce type avec plus de cinquante
pays.
Le premier de ces accords figurant à votre ordre du jour concerne celui qui a
été signé le 11 octobre 1995 avec l'Afrique du Sud, et je souhaiterais
seulement souligner l'intérêt qu'il présente au regard de nos rapports avec ce
pays.
En effet, l'Afrique du Sud est en train d'effectuer des réformes de structures
extrêmement importantes. Les investisseurs des pays occidentaux y sont déjà
bien implantés, et souvent de manière bien plus significative que nos propres
opérateurs.
Ce double constat, à savoir l'importance du développement des investissements
étrangers et la faiblesse de notre participation, souligne logiquement le souci
qui inspire cet accord : aider, autant que faire se peut, les entreprises
françaises à renforcer leur présence et à prendre toute leur place dans cette
région du monde.
Dans cette perspective, l'accord qui vous est présenté aujourd'hui m'apparaît
comme un instrument nécessaire, et je vous invite à l'approuver.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Le projet de loi qui nous est soumis a en effet pour objet
d'autoriser l'approbation d'un accord sur l'encouragement et la protection
réciproques des investissements ; il a été conclu le 11 octobre 1995 entre la
France et l'Afrique du Sud.
On retrouve dans cet accord les éléments essentiels de notre doctrine en
matière de protection des investissements : traitement juste et équitable des
investissements de l'autre partie, libre transfert des revenus et du capital
investi, indemnisation en cas de dépossession, recours éventuel à une procédure
d'arbitrage international en cas de différend entre l'investisseur et le pays
d'accueil.
L'accord du 11 octobre 1995 prévoit également, comme tous les accords de ce
type, une définition extensive des investissements et des revenus protégés,
afin de limiter les éventuels contentieux susceptibles d'opposer un
investisseur à l'Etat d'accueil.
De manière classique, le seul critère véritablement posé par le présent accord
est que les investissements doivent avoir été réalisés conformément à la
législation de la partie contractante sur le territoire de laquelle sont
effectués ces investissements.
Je souhaite évoquer maintenant l'évolution récente de l'Afrique du Sud et de
ses relations avec la France.
Parmi les succès, la réussite de la transition politique doit être soulignée.
Les deux étapes de cette transition ont été, d'une part, les premières
élections démocratiques et multiraciales d'avril 1994 et, d'autre part,
l'adoption, en mai 1996, d'une constitution très libérale, fondée sur
l'attachement aux droits de l'homme et aux valeurs démocratiques.
En dépit de ces réussites, l'Afrique du Sud est désormais confrontée, dans une
perspective à plus long terme, à des défis majeurs. Le moindre n'est pas la
construction d'une identité nationale forte, dans un pays aux particularismes
très affirmés, où cohabitent onze langues officiellement reconnues et au moins
douze groupes nationaux.
La réduction des déséquilibres sociaux est un autre défi, sachant que l'on
compte en Afrique du Sud cinq à huit millions de personnes sans abri ou mal
logées et que le revenu moyen de la communauté noire est dix fois moins élevé
que celui de la communauté blanche, lequel est équivalent à celui de l'Europe.
Ce rattrapage social paraît une tâche d'autant plus immense que l'économie
sud-africaine est aujourd'hui soumise à la nécessité de rechercher des gains de
productivité, afin d'exporter dans les meilleures conditions, alors même que le
chômage, qui touche environ 50 % de la population noire, accroît les
déséquilibres sociaux, sources d'un développement préoccupant de la
délinquance.
Dans ce contexte, quelles peuvent être les perspectives ouvertes au
partenariat franco-sud-africain ?
La présence française en Afrique du Sud est fondée sur une longue histoire.
Dans la période actuelle, la condamnation vigoureuse de l'apartheid par la
France et son association aux sanctions internationales ont assuré à notre pays
la sympathie de la nouvelle Afrique du Sud, et des contacts réguliers de haut
niveau sont désormais acquis entre les deux partenaires. Toutefois, les
rapports privilégiés qu'entretient naturellement l'Afrique du Sud avec
l'Allemagne et le monde anglo-saxon ne sauraient faire de la France un
partenaire de premier plan, en dépit des efforts accomplis par notre pays sur
le plan commercial et en matière d'aide.
A cet égard, l'aide française est, de loin, avec 86 millions de dollars en
1995, la première des aides européennes apportées à l'Afrique du Sud, devant
les aides britannique et allemande. Néanmoins, la France n'est que le sixième
partenaire commercial, avec seulement 3,9 % du marché sud-africain en 1996, et
le quatrième investisseur étranger en Afrique du Sud.
Notons que le respect scrupuleux - peut-être un peu naïf, selon moi - par la
France des sanctions économiques anti-apartheid est à l'origine d'un certain
retard en termes de présence économique. Il est cependant possible que cette
situation s'améliore.
Les exportations françaises ont progressé de 10 % en 1995. C'est ainsi que
l'Afrique du Sud est devenue le premier débouché de la France en Afrique
sub-saharienne, devant la Côte d'Ivoire.
Par ailleurs, des intérêts régionaux convergents constituent un atout pour la
France, parmi les partenaires de l'Afrique du Sud. La République sud-africaine
est intéressée par le développement de ses échanges avec l'Afrique francophone.
L'Afrique pourrait donc être un terrain privilégié de la coopération
franco-sud-africaine.
D'autre part, l'Afrique du Sud joue un rôle majeur dans la création d'une
association des pays riverains de l'océan Indien, dans laquelle la Réunion
pourrait trouver sa place. A cet égard, la Réunion est, avec la région
Bretagne, un acteur important de la coopération décentralisée entre la France
et l'Afrique du Sud.
On ne peut donc que conclure favorablement à l'adoption d'un projet de loi qui
vise à autoriser l'approbation d'un accord susceptible de conforter la
situation d'un pays où la France dispose d'atouts certains et où notre
présence, notamment économique, mérite d'être encouragée.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République
d'Afrique du Sud sur l'encouragement et la protection réciproques des
investissements (ensemble un protocole), signé à Paris le 11 octobre 1995, et
dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
8
CONVENTION RELATIVE
À L'ADMISSION TEMPORAIRE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 487, 1995-1996)
autorisant la ratification de la convention relative à l'admission temporaire
(ensemble cinq annexes). [Rapport n° 17, 1996-1997.]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le régime de
l'admission temporaire définit le traitement fiscal à appliquer aux
marchandises en transit sous douane. Ce régime a pour effet de suspendre les
droits et taxes à l'importation de certaines marchandises qui sont importées
pour ensuite être réexportées dans un délai déterminé et sans avoir subi de
modifications.
Actuellement, un grand nombre de conventions douanières internationales
régissent l'admission temporaire. Cette situation n'est pas satisfaisante. Les
professionnels concernés sont confrontés à l'éparpillement des textes, à la
multiplicité et à la diversité des formalités, qui sont autant de sources de
complication et de facteurs de perte de temps et d'argent.
L'idée est donc apparue de substituer au grand nombre de conventions
existantes un instrument international unique destiné à simplifier et à
harmoniser les procédures douanières d'admission temporaire. A l'issue de
quatre années de négociations au sein du Conseil de coopération douanière,
auxquelles la France a activement participé, la convention a été finalisée à
Istanbul le 26 juin 1990.
Au 30 juin 1996, cette convention avait recueilli plus d'une trentaine de
signatures, dont celle de la Communauté européenne et de ses Etats membres, et,
parmi ces signataires, douze l'avaient déjà ratifiée. La France, pour sa part,
a signé la convention le 28 juin 1990.
Le contenu de la convention répond bien au projet initial. Il ne s'agit pas
d'ajouter des normes ou des contraintes nouvelles à celles qui existent déjà.
Tout au contraire, les dispositions de la convention permettent de simplifier
l'existant en ramenant la diversité des situations nationales à une règle et à
un comportement communs.
En pratique, la convention établit d'abord, à l'article 1er, une définition
unique et commune de l'admission temporaire.
L'article 4 pose, ensuite, le principe d'un modèle international de document
douanier d'admission temporaire destiné à remplacer les titres nationaux
existants. Un document douanier établi en référence à ce modèle comporte,
notamment, une garantie valable à l'échelon international en vue de couvrir les
droits et taxes à l'importation.
Les articles suivants précisent la portée et les conditions du régime ainsi
que les délais de l'admission temporaire.
L'article 15 de la convention engage les parties contractantes à réduire au
minimum leurs formalités douanières et leur impose de publier, dans les plus
brefs délais, les règlements correspondants.
Enfin, l'article 22 met en place un comité de gestion chargé de veiller à la
bonne application de la convention et, le cas échéant, de formuler des
recommandations pour aider au règlement de différends que les parties
n'auraient pu régler par voie de négociation directe.
Ce cadre, il faut le souligner, n'est pas figé puisqu'il permet d'étendre le
bénéfice des facilités d'admission temporaire à de nouvelles marchandises
lorsque le besoin s'en fait sentir.
Il est clair que la France, qui est un grand pays exportateur, a un intérêt
certain aux simplifications administratives qui vont résulter de cette
procédure qui, de surcroît, n'entraîne aucune dépense budgétaire.
D'une part, l'allégement des procédures est de nature à abaisser les coûts des
transactions pour les opérateurs économiques impliqués dans les échanges
internationaux.
D'autre part, un système de garantie administré par une organisation
internationale apporte également une sécurité juridique aux opérateurs et
facilite la gestion par les administrations douanières.
La Communauté et ses Etats membres ont joué un rôle déterminant dans
l'élaboration de cette convention et ont tenu à marquer leur engagement en
figurant au nombre des premiers signataires.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle la convention
qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. André Boyer,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
La convention relative à l'admission temporaire définit,
comme Mme le secrétaire d'Etat nous l'a rappelé à l'instant, le régime douanier
applicable aux biens importés mais destinés dans un délai déterminé à la
réexportation.
Je ne reviendrai pas sur un dispositif dont le contenu, très technique, ne
doit pas dissimuler l'intérêt pratique. L'accord vise en effet à harmoniser et
à simplifier entre les pays signataires des procédures qui concernent deux
types de mouvements de marchandises en plein essor.
En premier lieu, l'admission temporaire s'applique à tous les flux de
marchandises liés aux mouvements de biens ou de personnes.
A titre d'exemple, la circulation des navires de commerce ou de plaisance
entre malaisément dans le régime douanier de droit commun et relève de
l'admission temporaire. En contrepartie d'une déclaration systématique lors de
leur introduction dans les eaux territoriales, ces bateaux sont exonérés des
droits de douane habituels.
En second lieu, l'admission temporaire vise tous les produits introduits sur
le territoire dans le cadre d'une démarche de précommercialisation.
Elle s'applique à ce titre aux produits présentés dans les foires et les
expositions ou utilisés à titre d'essai. Les biens concernés présentent une
grande variété, même si, en valeur, la prépondérance revient aux objets d'art
ou de collection exposés à l'occasion de manifestations internationales telles
que les foires d'art contemporain et autres biennales.
Qu'elle concerne les mouvements de biens ou de personnes ou les démarches de
précommercialisation, l'admission temporaire permet de prendre en compte deux
évolutions majeures de la vie économique internationale.
Même s'il faut prendre garde à tout risque de détournement et de fraude, il
importe de ne pas contrarier l'indispensable ouverture de nos économies par des
procédures lourdes et complexes. La convention répond à cette nécessaire
clarification des normes. C'est pourquoi la commission vous en recommande
l'adoption.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique
. - Est autorisée la ratification de la convention
relative à l'admission temporaire (ensemble cinq annexes), faite à Istanbul le
26 juin 1990 et signée par la France le 28 juin 1990, et dont le texte est
annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
9
ACCORD AVEC L'ARMÉNIE SUR L'ENCOURAGEMENT ET LA PROTECTION RÉCIPROQUES DES
INVESTISSEMENTS
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 495, 1995-1996)
autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République d'Arménie sur l'encouragement et
la protection réciproques des investissements. [Rapport n° 18 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord
d'encouragement et de protection réciproques des investissements avec l'Arménie
a été signé le 4 novembre 1995.
Le texte soumis à votre approbation contient les grands principes qui figurent
habituellement dans les accords de ce type, et que j'ai rappelés
précédemment.
Je crois utile de mentionner l'intérêt que présente cet accord dans nos
rapports avec l'Arménie. En effet, on ne saurait trop souligner qu'il a été
signé avec un pays qui est en train d'effectuer des réformes de structures
importantes. Cette réalité n'a bien évidemment pas échappé aux investisseurs
des pays occidentaux, qui y sont déjà bien implantés.
Le souci du Gouvernement est d'aider, autant que faire se peut, les
entreprises françaises à renforcer leur présence et à prendre toute leur place
dans une région du monde qui nous est de plus en plus proche.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle l'accord entre
le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République
d'Arménie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements,
qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Hubert Durand-Chastel,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'accord de protection des investissements conclu le 5
novembre 1995 entre la France et l'Arménie s'inspire très largement de la
quarantaine de conventions comparables signées avec des Etats étrangers.
Il comporte des dispositions telles que le principe de l'octroi aux
investisseurs étrangers d'un traitement « juste et équitable », au moins aussi
favorable que celui qui est appliqué aux nationaux, un dispositif de protection
et un mécanisme d'arbitrage international pour le règlement des différends.
L'intérêt de cet accord réside davantage dans le fait qu'il concerne un pays
dont les relations avec la France sont étroites et anciennes, mais dont la
situation économique et politique est aujourd'hui encore très préoccupante.
Certes, le conflit avec l'Azerbaïdjan sur l'enclave à dominante arménienne du
Haut-Karabakh s'est apaisé puisque le cessez-le-feu est respecté depuis mai
1994, et les dirigeants arméniens et azéris semblent convaincus de la nécessité
de mettre un terme à un conflit qui ruine leurs espoirs de développement
économique.
Malheureusement, la situation politique intérieure demeure encore troublée.
Les conditions de la réélection du président Ter Petrossian, le 22 septembre
dernier, démontrent que l'évolution démocratique est encore fragile. Je
rappelle que, à la suite de contestations sur la régularité du scrutin, le
Parlement avait été envahi. L'ordre n'a été rétabli qu'à l'issue d'une
intervention de l'armée, et plusieurs parlementaires de l'opposition ont été
arrêtés.
Cette crise politique intervient dans un contexte économique très difficile. A
peine remise des conséquences dramatiques du séisme de 1988, l'économie
arménienne a subi de plein fouet le blocus économique de l'Azerbaïdjan et de la
Turquie, qui la prive notamment de ses approvisionnements énergétiques.
Elle demeure confrontée à des handicaps naturels considérables, à savoir
l'enclavement, l'absence de ressources minières et énergétiques, et
l'insuffisance d'une agriculture pénalisée par le climat et le relief.
La crise économique a été particulièrement sévère. La pénurie s'est
généralisée et le niveau de vie a fortement chuté, ce qui a entraîné une
émigration massive, notamment vers la Russie. Malgré tout, depuis le
cessez-le-feu au Haut-Karabakh, certains signes d'amélioration sont
perceptibles.
Des réformes de structure en vue de passer à l'économie de marché ont pu,
progressivement, être mises en oeuvre. Le produit intérieur brut, qui avait
chuté de 60 % depuis 1991, s'est accru de plus de 5 % en 1995. C'est la plus
forte croissance économique de tous les Etats de la CEI. L'inflation s'est
atténuée et la pénurie, toujours présente, est moins sévère. L'effort de
stabilisation économique a été reconnu par les institutions financières
internationales, qui ont accordé à l'Arménie une aide importante.
Toutefois, cette légère amélioration ne peut se poursuivre sans apport massif
d'investissements étrangers. On peut se demander si, dans la situation que
connaît l'Arménie, nombre d'investisseurs étrangers sont disposés à y
intervenir.
S'agissant de la France, je rappelle tout d'abord que les relations
culturelles et politiques avec l'Arménie sont anciennes et étroites.
L'importance de la communauté arménienne en France, soit quelque 400 000
personnes, en est l'une des raisons.
La France a reconnu l'Arménie dès son indépendance en 1991 et c'est avec notre
pays qu'elle entretient le dialogue politique le plus nourri. Près du quart des
jeunes arméniens étudie le français et un enseignement bilingue est dispensé à
Erevan.
Si les affinités culturelles sont à l'évidence très fortes, les relations
économiques sont, en revanche, encore embryonnaires. Les exportations
françaises se limitaient à 58 millions de francs en 1995 et, inversement, la
France n'a importé que pour 1,4 million de francs de produits arméniens.
Un protocole financier a été signé avec l'Arménie en décembre 1995 pour un
montant de 20 millions de francs de dons et de 24,5 millions de francs de
prêts.
En dehors de cet élément, les investissements français sont pratiquement
inexistants, mais de grandes entreprises s'intéressent à l'Arménie dans le
cadre de grands travaux de réhabilitation ou de modernisation des
infrastructures.
J'ajoute que les autorités arméniennes sont très conscientes de l'impérieux
besoin d'apport en capitaux et qu'elles ont adopté, en 1994, une loi ouvrant
largement les différents secteurs de l'économie aux investissements
étrangers.
En conclusion, tout laisse à penser que les incertitudes sur la situation
politique intérieure, les difficultés économique persistantes et le problème du
Haut-Karabakh qui reste en suspens créent un climat assez défavorable à cet
afflux de capitaux que le gouvernement arménien appelle de ses voeux.
Néanmoins, certaines de nos entreprises sont d'ores et déjà impliquées en
Arménie ou envisagent d'y intervenir.
C'est pourquoi l'accord d'investissement qui nous est soumis conserve son
utilité et, en conséquence, la commission des affaires étrangères vous demande
de bien vouloir l'adopter.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. -
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République
d'Arménie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements,
signé à Erevan le 4 novembre 1995, et dont le texte est annexé à la présente
loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
10
ACCORD AVEC HONG KONG SUR L'ENCOURAGEMENT ET LA PROTECTION RÉCIPROQUES DES
INVESTISSEMENTS
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 496, 1995-1996)
autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de Hong Kong sur l'encouragement et la protection
réciproques des investissements. [Rapport n° 19 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord
d'encouragement et de protection réciproques des investissements, signé le 30
novembre 1995 entre la France et Hong Kong, a pour objet d'établir un cadre
juridique sûr, qui permette de favoriser l'activité de nos entreprises dans ce
territoire.
On ne saurait trop souligner que cet accord a été signé avec un territoire qui
devrait être intégré à la République populaire de Chine en 1997. Cette réalité
n'a bien évidemment pas échappé aux investisseurs français, qui y sont déjà
bien implantés : ainsi, plus de 500 entreprises, dont une part importante de
PME-PMI, s'y sont installées, en raison de son rôle de plate-forme financière
et commerciale pour la Chine. De nombreux jeunes entrepreneurs sont venus y
créer, souvent avec succès, leur propre activité, et contribuent de façon
significative au développement du territoire.
Or l'accord qui est aujourd'hui soumis à votre examen restera en vigueur après
l'intégration de Hong Kong à la République populaire de Chine, conformément à
la déclaration sino-britannique du 19 décembre 1984, qui donne entièrement
compétence à Hong Kong pour négocier et signer des conventions
internationales.
Ce double constat, à savoir l'importance du développement des investissements
français et la nécessité de les garantir après l'intégration du territoire à la
République populaire de Chine, souligne logiquement le souci qui inspire cet
accord : aider, autant que faire se peut, les entreprises françaises à
renforcer leur présence et à prendre toute leur place dans cette région du
monde.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle l'accord entre
le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Hong Kong sur
l'encouragement et la protection réciproques des investissements, qui fait
l'objet du projet de loi aujourd'hui soumis à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Habert,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'accord d'investissement conclu le 30 novembre 1995 entre la
France et Hong Kong présente au moins deux particularités notables.
D'abord, il a été conclu par un gouvernement qui n'existera plus dans quelques
mois ; je parle, naturellement, du gouvernement de Hong Kong. Ensuite, cet
accord intervient à une date relativement très proche de son échéance, puisque
c'est le 1er juillet 1997 que Hong Kong redeviendra chinoise.
L'île était anglaise depuis cent cinquante-cinq ans, depuis le traité de
Nankin de 1842, par lequel la Chine avait cédé, après la première guerre dite
de l'opium, ce territoire à perpétuité à la Couronne britannique. Apparemment,
il n'existe rien ici-bas de perpétuel et à l'occasion de la renégociation des
accords de location des nouveaux territoires, la Chine a demandé, voilà une
quinzaine d'année, le retour de Hong Kong, ce qui a été accordé, comme vous
l'avez dit, madame le secrétaire d'Etat, par l'accord de rétrocession conclu
entre Britanniques et Chinois le 19 décembre 1984.
Il s'agit d'un accord sans précédent, car il comporte des dispositions
différentes sur le plan politique et sur le plan économique. Il prévoit, en
particulier, pour ce qui est de l'économie, que la région gardera une
administration spéciale, qui se traduit par la formule : « un pays, deux
systèmes » - un pays du point de vue politique, deux systèmes du point de vue
économique.
Douze ans ont passé depuis cet accord. Où en est-on aujourd'hui ?
Il apparaît que, sur le plan politique, Pékin n'entend pas laisser une grande
marge de manoeuvre à la future région administrative.
Certes, la loi fondamentale chinoise du 4 avril 1990, qui représente une sorte
de « mini-constitution », mais octroyée de façon unilatérale par Pékin et non
négociée avec les responsables de Hong Kong, reconnaît à la future région un
haut degré d'autonomie.
Cependant, le refus par la Chine des réformes engagées par le gouverneur
britannique, M. Christopher Patten, en vue de développer les institutions
démocratiques dans le territoire et l'annonce de la dissolution, après le 1er
juillet 1997, du Conseil législatif élu et actuellement mis en place traduisent
une conception très restrictive de ces dispositions.
Le gouvernement chinois entend, par exemple, conserver toute latitude pour le
choix du futur chef de l'exécutif, qui aura des pouvoirs très étendus, à peu
près équivalents à ceux qu'exerce le gouverneur aujourd'hui.
On peut donc s'inquiéter du sort qui sera réservé aux libertés politiques à
Hong Kong et on peut être quelque peu pessimiste sur l'avenir de la démocratie
dans cette région du monde, comme dans l'ensemble de la Chine.
Cependant, ce pessimisme n'a d'égal que la sérénité et l'optimisme des milieux
d'affaires, ainsi que des observateurs et des experts, sur les conséquences
économiques de ce rattachement à la Chine.
La loi fondamentale chinoise de 1990 garantit pour cinquante ans le maintien
du système capitaliste. Elle prévoit explicitement la protection de la
propriété privée, le maintien d'une politique fiscale de faible imposition, du
statut de port franc sans droits de douane, le maintien du dollar de Hong Kong,
la libre convertibilité des changes et le libre fonctionnement des marchés
financiers.
Au-delà de ces textes, les observateurs constatent que les deux économies sont
déjà largement intégrées : la Chine est en effet le premier partenaire
commercial de Hong Kong et les deux tiers des investissements étrangers en
Chine proviennent de Hong Kong, qui a délocalisé en Chine du Sud la plupart de
ses industries. Quant à la Chine, elle contrôle déjà 15 % de l'économie de Hong
Kong.
L'intérêt de la Chine est donc de préserver la prospérité de Hong Kong, car ce
territoire lui permet de recueillir d'importants capitaux et lui assure son
insertion dans le commerce international.
Ce contexte est évidemment favorable à la poursuite du développement des
relations bilatérales avec la France.
La communauté française de Hong Kong est en fort accroissement : on y dénombre
aujourd'hui plus de 5 750 de nos compatriotes, c'est-à-dire un chiffre presque
équivalent à celui des Français immatriculés au Japon - 5 800. Ces deux pays
sont d'ailleurs ceux où les Français sont les plus nombreux en
Extrême-Orient.
Notons tout de même la faiblesse de ces chiffres et remarquons en passant que
seulement 2 500 Français résident dans la vaste Chine continentale. Le
Gouvernement français fait actuellement des efforts pour que l'immigration
française s'accroisse. L'exemple de Hong Kong et de la Chine, parfois cités par
le président René Monory, qui attache à cette question une importance
particulière, montre à quel point il est nécessaire que nos compatriotes
émigrent en plus grand nombre dans tous ces pays auxquels on accorde un très
fort potentiel de développement.
Je dirai un mot du domaine culturel, et vous en serez sans doute tout à fait
satisfaite, madame le secrétaire d'Etat.
Nous avons à Hong Kong un grand lycée français international, le lycée
Victor-Segalen, qui compte près de mille élèves, et pour lequel des plans
d'agrandissement considérables viennent d'être conclus. A quelques mois du
retour de Hong Kong à la Chine, c'est, de la part de nos compatriotes, une
marque de confiance tout à fait symbolique. Le ministère des affaires
étrangères et l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ont d'ailleurs
donné leur aval aux investissements ainsi entrepris.
Sur le plan culturel également, il existe à Hong Kong, comme vous le savez,
madame le secrétaire d'Etat, une très grande Alliance française, qui comporte
plusieurs centres d'enseignement et permet à plusieurs milliers de jeunes
Chinois d'apprendre notre langue. C'est l'une des Alliances françaises les plus
actives du monde.
J'en reviens à l'aspect strictement financier. C'est avec Hong Kong que la
France dégage l'un de ses plus forts excédents commerciaux, grâce à
l'aéronautique, mais aussi aux produits très liés à l'image française tels que
les vins et spiritueux, la maroquinerie de luxe ou les parfums. Il faut noter
que, s'agissant d'importations ou d'exportations, une part importante des
échanges se fait en réalité avec la Chine, Hong Kong ne jouant qu'un rôle
d'écran.
Vous l'avez dit, madame le secrétaire d'Etat, plus de cinq cents entreprises
françaises sont implantées à Hong Kong, surtout des PME-PMI, qui opèrent
notamment dans les secteurs de la finance ou des travaux publics. Récemment
encore, six sociétés françaises ont remporté des contrats représentant
plusieurs milliards de francs dans le cadre du projet de construction du nouvel
aéroport qui se propose d'être le plus grand du monde.
En 1995, l'investissement français à Hong Kong dépassait déjà les 4 milliards
de francs. La perspective de la rétrocession n'a nullement entamé la résolution
des entreprises qui considèrent Hong Kong comme la porte d'accès privilégiée à
ce marché chinois qui suscite tant d'intérêt.
Aujourd'hui, les appréhensions, sur le plan politique, pour la date fatidique
du 1er juillet 1997 demeurent très sérieuses, et tout à fait compréhensibles.
Mais elles sont largement contrebalancées par l'optimisme des milieux
financiers et par la confiance dont témoignent nos compatriotes de Hong Kong.
Ils se déclarent assurés que les dispositions économiques de l'acte de
rétrocession seront appliquées et, par conséquent, que les investissements
seront respectés et protégés, comme le prévoit le texte que nous venons
d'examiner.
Dans ces conditions, la commission des affaires étrangères vous invite, mes
chers collègues, à adopter le projet de loi autorisant l'approbation de
l'accord entre Hong Kong et la France.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Hong Kong sur
l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Paris
le 30 novembre 1995, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
11
ACCORD SUR LA COOPÉRATION
TRANSFRONTALIÈRE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 503, 1995-1996)
autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République
française, le Gouvernement de la République fédérale d'Allemagne, le
Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le Conseil fédéral suisse,
agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne,
d'Argovie et du Jura, sur la coopération transfrontalière entre les
collectivités territoriales et organismes publics locaux (ensemble une
déclaration). [Rapport n° 20 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord entre le
Gouvernement de la République française, le Gouvernement de la République
fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le
Conseil fédéral suisse, agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville,
de Bâle-Campagne, d'Argovie et du Jura, sur la coopération transfrontalière
entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux, fait à
Karlsruhe le 23 janvier 1996, trouve sa raison d'être dans la volonté d'asseoir
la coopération transfrontalière, qui ne cesse de se développer, à différents
niveaux et sous diverses formes, sur une base juridique fiable. Il concerne une
zone de quatre cents kilomètres de diamètre dans le centre de l'Europe de
l'Ouest, ce qui est sans précédent.
La nécessité d'une telle démarche avait été évoquée lors du sommet
franco-allemand de Bonn des 29 et 30 novembre 1994, qui avait posé le principe
d'un accord bilatéral. Celui-ci, qui a été paraphé le 3 mai 1995 à Paris, s'est
révélé d'un tel intérêt pour nos voisins luxembourgeois et suisses qu'il a fait
l'objet d'une extension : au Luxembourg, qui l'a paraphé le 23 octobre 1995, et
à la Suisse, qui l'a paraphé à Berne le 14 décembre 1995.
Cet accord quadripartite s'appuie sur la convention-cadre relative à la
coopération transfrontalière entre collectivités territoriales signée à Madrid
le 21 mai 1980. Il détermine, à l'article 2, le champ d'application
géographique et institutionnel de chacune des parties contractantes qui relève
du domaine transfrontalier : toutes les collectivités locales sont concernées
par l'accord ainsi que les organismes publics locaux, expression qui désigne
pour la France les établissements publics territoriaux, pour l'Allemagne des
organismes ayant un statut local, pour les cantons suisses les établissements
publics juridiquement autonomes.
L'instrument juridique de la coopération transfrontalière est la « convention
de coopération » passée par les collectivités locales intéressées - article 3 -
qui définit par son objet le domaine de la coopération décentralisée :
coordonner des décisions, réaliser et gérer ensemble des équipements ou des
services publics d'intérêt local commun et création à ces fins d'organismes
ad hoc
. A la suite sont fixées les règles applicables aux conventions -
article 4 - au mandat, délégation et concession de service public - article 5 -
à la passation de marchés publics en exécution de conventions - article 6.
Dans l'article 7, est établie la responsabilité des parties. Les Etats
souverains - France, Allemagne, Luxembourg, Confédération helvétique - ne sont
pas responsables des obligations contractuelles découlant des conventions qui
engagent seulement les collectivités territoriales ou les organismes publics
locaux signataires.
Les articles les plus novateurs de l'accord concernent la création
d'organismes de coopération transfrontalière - article 8 - les dispositions qui
leur sont applicables variant selon qu'ils ont - article 10 - ou non - article
9 - la personnalité juridique, notamment la possibilité de fonder un «
groupement local de coopération transfrontalière » - articles 11 à 15 - dont la
forme juridique devra être précisée par les ministères de l'intérieur et de la
réforme administrative, de la fonction publique et de la décentralisation. Il
s'agit d'un maître d'ouvrage tout à fait nouveau qui caractérise l'originalité
de cet accord.
On relève dans les clauses finales habituelles - articles 16 à 18 - une
particularité, à savoir celle qui vise à préserver les mesures et les
dispositions se rapportant à la coopération transfrontalière mises en oeuvre
avant un délai de cinq ans à partir de l'entrée en vigueur de l'accord.
Une déclaration finale accompagne le texte de l'accord : elle réserve les
conditions d'adaptation ultérieure à l'économie générale de l'accord de la
commission intergouvernementale franco-suisse et de la commission
intergouvernementale franco-germano-luxembourgeoise.
Cet accord devrait permettre de répondre aux attentes de l'ensemble des
collectivités locales d'Alsace et de Lorraine dans tous les domaines
frontaliers.
Ainsi, en matière d'emploi et de formation, un plus grand nombre d'emplois
transfrontaliers pourraient être créés de part et d'autre des frontières. C'est
là une priorité qui avait été évoquée lors du sommet franco-allemand de
Baden-Baden du 7 décembre 1995.
En outre, dans tous les domaines transfrontaliers - culturel, communications,
transports, environnement, etc. - la coopération commune permettrait des
économies d'échelle.
Enfin, l'accord constitue le complément transfrontalier indispensable du
dispositif législatif français, notamment sur les aspects suivants :
reconnaissance de la capacité des collectivités de la zone concernée à
coopérer, mise en place d'un cadre juridique reconnu mutuellement et définition
conjointe des limites fixées à ces opérations.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames,
messieurs les sénateurs, les principales dispositions de l'accord entre le
Gouvernement de la République française, le Gouvernement de la République
fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le
Conseil fédéral suisse agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville,
de Bâle-Campagne, d'Argovie et du Jura, sur la coopération transfrontalière
entre les collectivités territoriales et les organismes publics locaux, qui
fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Alloncle,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, l'accord quadripartite signé à Karlsruhe le 23 janvier 1996
entre la France, l'Allemagne, le Luxembourg et la Suisse permet de réaliser une
avancée supplémentaire dans le domaine de la coopération transfrontalière entre
les collectivités territoriales, qui s'est beaucoup développé ces quinze
dernières années sous le double effet de l'intégration européenne et de la
décentralisation.
Certes, un cadre juridique existe déjà. La loi de 1992 sur l'administration
territoriale et celle de 1995 sur l'aménagement du territoire ont reconnu aux
collectivités locales françaises le droit de contracter avec des collectivités
locales étrangères et la possibilité d'adhérer à des organismes étrangers.
Elles rendent également possible l'adhésion de collectivités étrangères à des
organismes français.
Une convention cadre du Conseil de l'Europe du 21 mai 1980, dite convention de
Madrid, a été ratifiée par la France en 1984. Elle est complétée par un
protocole additionnel plus précis ouvert à la signature le 2 août 1995.
L'Union européenne, pour sa part, a encouragé des projets des collectivités
frontalières dans le cadre du programme INTERREG.
L'accord quadripartite de Karlsruhe, dont nous discutons aujourd'hui, n'a pas
pour objet de mettre en oeuvre une action ou un projet particulier de
coopération. Il laisse une totale liberté d'initiative aux collectivités
locales, tout en créant un cadre juridique propice à leur réalisation.
Il permet de compléter le dispositif déjà en vigueur dans notre droit interne
pour bien l'adapter à la coopération transfrontalière avec les collectivités
locales des autres pays ; surtout, il crée un nouveau type d'organisme, le
groupement local de coopération transfrontalière, dont on peut penser qu'il
sera plus approprié et plus efficace que les organismes déjà existants.
L'accord concerne toutes les collectivités françaises incluses dans les
régions Alsace et Lorraine, ainsi que les collectivités voisines du Luxembourg,
d'Allemagne et de Suisse. Il s'agit donc, côté français, de la zone frontalière
qui s'étend de Longwy à Mulhouse.
S'agissant des organismes de coopération, l'accord rappelle qu'une
collectivité ne peut adhérer à un organisme étranger qu'après avoir obtenu
l'autorisation préalable éventuellement requise par le droit interne. Il
permettra à des collectivités étrangères d'adhérer, en France, à des
établissements publics locaux, et non plus seulement à des groupements
d'intérêt public ou à des sociétés d'économie mixte. Cette possibilité ne sera
plus réservée aux collectivités relevant de l'Union européenne puisqu'elle sera
également ouverte aux collectivités suisses.
L'innovation principale de l'accord de Karlsruhe réside dans la possibilité de
créer des organismes de type nouveau, les groupements locaux de coopération
transfrontalière, qui seront plus adaptés aux besoins des collectivités locales
que les organismes existant déjà en droit interne, comme les groupements
d'intérêt public ou les sociétés d'économie mixte. Dotés de la personnalité
morale et de l'autonomie budgétaire, ils seront alimentés par des contributions
obligatoires de leurs membres et, éventuellement, par des recettes
d'exploitation. Ils pourront assurer la maîtrise d'ouvrage d'une opération.
En conclusion, on peut considérer que cet accord marque une avancée très
significative pour la coopération transfrontalière, qui est de plus en plus
ressentie comme une nécessité par les collectivités locales, car elle ouvre des
perspectives à des régions qui ont longtemps souffert de leur situation
périphérique.
Dans la zone couverte par l'accord, de multiples initiatives ont déjà été
prises par des collectivités locales : je citerai non seulement la conférence
du Rhin supérieur, le district des trois frontières, mais aussi l'Euro-institut
de Kiel, ou encore les agences INFOBEST, instance d'information et de conseil
sur les problèmes transfrontaliers, installées en partenariat entre l'Alsace et
ses voisins allemands et suisses pour améliorer la résolution pratique des
problèmes frontaliers. D'autres projets, tels les projets concernant le parc
rhénan frontalier, sont en cours et pourront s'intégrer dans le cadre proposé
par l'accord de Karlsruhe.
Cet accord constitue un progrès très appréciable dans un domaine où les
différences de structures administratives, d'ordre juridique ou de régime
financier sont souvent un obstacle considérable à la mise en oeuvre de projets
extrêmement utiles.
C'est pourquoi, mes chers collègues, la commission vous propose d'approuver le
projet de loi qui vous est soumis.
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
l'excellent rapport qui vient de nous être présenté concerne un accord paraphé
en mai 1995 et signé en janvier 1996, qui est incontestablement positif et
correspond aux réalités actuelles.
Cet accord consacre tout d'abord la coopération transfrontalière : après les
accords signés avec l'Espagne et l'Italie, il concerne l'Allemagne, la
Confédération helvétique et le Grand-Duché de Luxembourg. Voilà donc un accord
réaliste, puisqu'il concerne à la fois des pays membres de l'Union européenne
et un pays qui n'en fait pas partie : la géographie l'emporte ainsi sur les
limites institutionnelles.
Par ailleurs, cet accord constitue une application pratique de la coopération
transfrontalière telle que le Sénat l'a approuvée à deux reprises : la première
fois, en adoptant le projet de loi relatif à l'administration territoriale de
la République, devenu la loi du 6 janvier 1992, et, la seconde fois, en votant
la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4
février 1995.
Enfin - vous avez d'ailleurs insisté sur ce point, monsieur le rapporteur -
cet accord donne des possibilités nouvelles aux collectivités locales pour
participer à la coopération transfrontalière. Il comporte une innovation claire
: pour la première fois dans un accord international de coopération
décentralisée, une norme juridique nouvelle apparaît ; le groupement local de
coopération transfrontalière. Ce dernier permettra incontestablement de mettre
en oeuvre concrètement des projets communs.
Dans le secteur du Rhin supérieur, la coopération transfrontalière est une
réalité depuis une vingtaine d'années. Les programmes INTERREG marquent par
ailleurs la volonté forte de l'Union européenne de concrétiser cette
coopération.
Cet accord constitue donc un atout supplémentaire pour développer cette
coopération.
Je terminerai en montrant à quel point la portée de cet accord va au-delà de
son simple aspect juridique.
En effet, cet accord est l'expression claire d'une volonté politique de bon
voisinage, en l'occurrence avec l'Allemagne, la Suisse et le Grand-Duché de
Luxembourg.
Ensuite, il prouve que la coopération transfrontalière peut et doit être l'une
des expressions de la politique de décentralisation.
Enfin, cet accord démontre que l'Europe ne se construit pas seulement à
Bruxelles ou au Parlement de Strasbourg, mais qu'elle doit aussi être vécue
quotidiennement comme une réalité concrète sur le terrain, en l'occurrence dans
les zones frontalières.
Cet accord contribue à tout cela. Que ceux qui ont participé à son élaboration
en soient remerciés de tout coeur.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'approbation de l'accord entre le
Gouvernement de la République française, le Gouvernement de la République
fédérale d'Allemagne, le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg et le
Conseil fédéral suisse agissant au nom des cantons de Soleure, de Bâle-Ville,
de Bâle-Campagne, d'Argovie et du Jura, sur la coopération transfrontalière
entre les collectivités territoriales et organismes publics locaux (ensemble
une déclaration), fait à Karlsruhe le 23 janvier 1996 et dont le texte est
annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
12
ACCORD PORTANT CRÉATION
DE LA COMMISSION DES THONS
DE L'OCÉAN INDIEN
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 10, 1996-1997)
autorisant l'adhésion de la République française à l'accord portant création de
la Commission des thons de l'océan Indien (ensemble deux annexes). [Rapport (n°
21, 1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Margie Sudre,
secrétaire d'Etat chargé de la francophonie.
Monsieur le président,
monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord portant
création de la Commission des thons de l'océan Indien engage les Etats qui le
ratifieront à mieux pêcher l'espèce thonière dans cette partie du monde. La
France y possède une zone économique exclusive de 2,7 millions de kilomètres
carrés, neuf fois plus étendue que la zone métropolitaine. Elle y réalise le
quart de ses captures de thons. Cela représente environ 95 millions de tonnes
en 1994, volume qu'il faut comparer aux 55 millions de tonnes pêchées dans
l'océan Atlantique et aux 3 millions de tonnes pêchées dans l'océan Pacifique.
C'est dire si ce type de pêche, dans cette partie du monde, est important pour
notre économie. Il l'est particulièrement pour le département de la Réunion, où
les 6 000 tonnes capturées annuellement par les navires de l'île représentent
environ 1 000 emplois.
Cette commission sera non seulement habilitée à surveiller l'évolution des
stocks et l'activité des pêcheries, mais aussi à prendre des mesures de
conservation, par décision prise à la majorité des deux tiers. Ces mesures
porteront sur les zones exclusives ainsi que sur la haute mer, et seront
d'application obligatoire pour tous les Etats membres. Elles permettront une
gestion préventive des thonidés dans le dernier océan où leur nombre ne diminue
pas chaque année, et qui recèle au contraire un potentiel d'accroissement.
Cette gestion préventive signifiera naturellement la surveillance des navires
concurrents, venus de pays d'Asie fortement consommateurs : la Chine, le Japon
et certains pays d'Asie du Sud-Est.
Nous sommes déjà membres, aujourd'hui, d'une Commission de l'océan Indien,
organisme qui se contente d'un appui scientifique et technique, sans organiser
véritablement l'activité des pêcheurs, parfois un peu anarchique. La Commission
des thons de l'océan Indien jette cette fois les fondements d'une véritable
coopération en matière de pêche.
L'accord créant cette commission a été voté par la Conférence de
l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, en 1993.
Ont déjà déposé leurs instruments de ratification la Communauté européenne
ainsi que les neuf Etats suivants : l'Erythrée, Madagascar, l'île Maurice, les
Seychelles, le Pakistan, l'Inde, le Sri-Lanka, le Royaume-Uni et le Japon.
Ainsi, la Commission européenne, compétente pour les questions de pêche,
représentera les Quinze au titre des territoires de la région couverts par le
traité de Rome, notamment la Réunion.
Mais c'est au titre des territoires français non couverts par le traité de
Rome que l'adhésion de la France est aujourd'hui soumise à votre autorisation :
il s'agit du territoire de Mayotte et des îles éparses. La France disposera
donc d'un droit de vote propre mais pourra aussi, naturellement, participer à
l'élaboration des positions communautaires défendues au sein de cette
commission. Elle devrait donc y jouir d'une certaine influence.
Le budget de l'organisation sera financé par des contributions obligatoires.
L'article XIII de l'accord prévoit qu'un barème sera adopté et amendé au
consensus, par une formule comportant une part fixe et une part proportionnelle
au revenu par habitant et au tonnage de capture débarqué dans la zone. Il n'est
donc pas possible, à l'heure actuelle, d'évaluer exactement le coût de notre
adhésion. Je précise néanmoins, à titre de comparaison, que notre quote-part au
budget d'une organisation très voisine, puisqu'il s'agit de la Commission
internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique, fut d'environ
900 000 francs - très exactement 897 277 francs - en 1996.
Il va de soi que nos intérêts seront d'autant mieux représentés que nous
participerons aux décisions fondatrices de la Commission : nomination de son
secrétaire, choix de l'Etat du siège, détermination d'un barème de
contribution. Or ces décisions seront prises lors de la première réunion de cet
organe, qui doit se tenir à Rome du 3 au 6 décembre. Le dépôt de notre
instrument de ratification - ou du moins la promulgation de la loi qui fait
l'objet du présent projet - avant ces dates serait donc hautement souhaitable.
Telles sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs
les sénateurs, les principales observations qu'appelle l'accord portant
création de la Commission des thons de l'océan Indien, qui fait l'objet du
projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Danielle Bidard-Reydet,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le présent projet de loi vise à autoriser l'adhésion de la
République française à l'accord portant création de la Commission des thons de
l'océan Indien. Cet accord a été conclu à Rome dans le cadre de la FAO - Food
and Agriculture Organization, ou organisation des Nations unies pour
l'alimentation et l'agriculture - le 25 novembre 1993.
Une adhésion rapide de la France est, d'après l'étude d'impact jointe au
projet de loi, souhaitable pour permettre à notre pays de participer à la
session de la Commission qui devra arrêter le choix du siège de cette
organisation et procéder à la désignation de son secrétaire général, ainsi qu'à
la fixation du barème des contributions.
L'adhésion de notre pays à cette Commission s'inscrit dans un contexte
économique et politique qu'il importe d'éclairer, tant sont importants les
intérêts qui nous lient à l'océan Indien, avant de procéder au commentaire de
l'accord du 25 novembre 1993.
La présence française dans l'océan Indien s'appuie sur un ensemble de
territoires - la Réunion, Mayotte, îles éparses - resté sous souveraineté
française et sur un espace francophone hérité de l'Histoire. L'intérêt
économique que présente pour notre pays l'océan Indien se mesure à l'importance
de la zone économique exclusive française dans la région sud-ouest de l'océan
Indien, soit - vous l'avez rappelé, madame le secrétaire d'Etat - 2,7 millions
de kilomètres carrés, ce qui équivaut à un quart du domaine maritime français
et à neuf fois la zone métropolitaine.
Par ailleurs, l'océan Indien se trouve à l'origine d'un quart des captures de
la flotte de pêche française, toutes espèces confondues, et de 62 % des prises
de thonidés - proportion qui est, ainsi que vous l'avez également évoqué,
madame le secrétaire d'Etat, de 3,5 % pour l'Atlantique et de 1,9 % pour le
Pacifique - et le secteur de la pêche thonière représente à lui seul mille
emplois directs dans l'île de la Réunion.
Dans ces conditions, la Commission des thons de l'océan Indien revêt un
certain intérêt.
En ce qui concerne le contenu du présent accord, je mentionnerai tout d'abord
que les objectifs exposés dans son préambule s'apparentent à l'« esprit de
compréhension et de coopération mutuelles » qui caractérise la convention des
Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, laquelle a été conçue
en vue de « contribuer au renforcement de la paix de la sécurité » et à la mise
en place d'un « ordre économique international juste et équitable ».
Dans ce cadre général, la coopération entre les Etats parties est destinée à
promouvoir l'« utilisation optimale » des thonidés « ainsi que le développement
durable de pêcheries », dans le respect des besoins particuliers des Etats
parties en développement, dont les intérêts sont à plusieurs reprises
mentionnés expressément par cet accord, ainsi d'ailleurs que par la convention
des Nations unies sur le droit de la mer.
Parmi les obligations souscrites par les parties figurent donc la coopération
en vue de la conservation et de la gestion des stocks de thonidés, la
coordination des activités de recherche et de développement concernant les
stocks de thonidés et les pêcheries. Entre autres mesures destinées à la
conservation des espèces concernées par le présent accord, mentionnons la
détermination du volume admissible de captures, faculté à laquelle se réfère
d'ailleurs une disposition de la convention des Nations unies sur le droit de
la mer.
Enfin, l'accord du 25 novembre 1993 définit les critères d'appartenance à la
Commission des thons de l'océan Indien. L'Union européenne siège à cette
commission au titre des territoires ayant fait l'objet d'un transfert de
compétences en matière de pêche. Contrairement à ce que laisse entendre
l'exposé des motifs, la France siège à la Commission des thons de l'océan
Indien en tant que pays riverain, car elle y représente ceux de ses territoires
qui n'ont pas fait l'objet d'un transfert de compétences à l'Union européenne,
à savoir les îles faisant partie des terres australes et antarctiques et la
collectivité territoriale de Mayotte.
L'accord du 25 novembre 1993 paraît donc devoir susciter sur le fond d'autant
moins de difficultés que, d'après l'étude d'impact jointe au présent projet de
loi, l'incidence financière devrait être limitée pour notre pays. A cela aussi
vous avez fait allusion, madame le secrétaire d'Etat.
J'aurais conclu de manière encore plus positive si une meilleure organisation
du dépôt de nos instruments de ratification avait pu éviter que notre
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées soit
saisie dans l'urgence d'un accord dont les enjeux, certes appréciables
puisqu'il s'agit, même très indirectement, de notre position dans l'océan
Indien, ne semblent pas néanmoins justifier une telle précipitation.
En conclusion, la commission est favorable au présent projet de loi et vous
demande, mes chers collègues, de l'adopter.
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique. -
Est autorisée l'adhésion de la République française
à l'accord portant création de la Commission des thons de l'océan Indien
(ensemble deux annexes), fait à Rome le 25 novembre 1993, dont le texte est
annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. le président.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons
interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à seize heures, sous la
présidence de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président. La séance est reprise.
13
CANDIDATURE À UNE COMMISSION
M. le président.
J'informe le Sénat que le groupe de l'Union centriste a fait connaître à la
présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des
affaires culturelles à la place laissée vacante le 15 juillet 1996.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à
l'article 8 du règlement.
14
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. Emmanuel Hamel.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
Monsieur le président, l'importance des problèmes de la défense est telle que
j'exprime un regret particulier, celui de ne pouvoir, comme la plupart de mes
collègues de la commission des finances, assister à ce débat, puisque nous
devons recevoir tout à l'heure, au nom de cette commission, M. le ministre de
l'économie et des finances.
Monsieur le président, est-il fatal que nos travaux soient organisés de telle
sorte qu'il y ait quasiment à la même heure audition du ministre de l'économie
et des finances, qui vient présenter le projet de budget pour 1997, devant la
commission des finances, avec le devoir pour nous d'y assister - je rappelle
que notre absence éventuelle apparaît le lendemain au
Journal officiel
- déclaration du Gouvernement faite par M. le ministre de la défense en séance
publique et réunion de la délégation du Sénat pour l'Union européenne ?
Il est vraiment regrettable que nous soyons ainsi écartelés entre des devoirs
que nous ne pouvons assumer compte tenu de leur simultanéité.
(Applaudissements.)
M. Claude Estier.
Très bien !
M. le président.
Monsieur Hamel, il en a toujours été un peu ainsi.
Organiser un débat n'est pas chose facile. Nous avons obtenu du Gouvernement
un débat sur la défense, ce dont je me réjouis, et le Gouvernement en a fixé la
date à aujourd'hui parce que M. le ministre était libre.
Et si la commission des finances a invité ce même jour M. Arthuis, c'est parce
que les ministres ne sont pas aussi disponibles qu'on le souhaiterait. Pour
avoir été moi-même ministre, je puis témoigner que les problèmes d'emploi du
temps ne sont pas simples à régler.
15
DÉFENSE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur la défense.
La parole est à M. le ministre.
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Monsieur le président, je souhaite tout d'abord
vous remercier d'avoir pris l'initiative d'instaurer une discussion
d'orientation budgétaire préalablement à l'examen du budget. C'est là une
nouvelle étape de la rénovation des travaux du Parlement que je voulais
saluer.
Je tiens aussi à remercier la conférence des présidents d'avoir choisi la
défense pour inaugurer cette procédure. J'y vois la reconnaissance de
l'importance de la réforme lancée par le Président de la République et engagée
maintenant par tout le pays depuis le vote de la loi de programmation
militaire.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le début de l'année,
cette réforme sollicite le Parlement et le pays tout entier.
En effet, après le débat d'orientation sur la politique de défense, qui nous a
réunis au mois de mars dernier, après le vote par votre assemblée de la loi de
programmation militaire pour les années 1997 à 2002, vous allez prochainement
vous prononcer sur le projet de loi visant à faciliter la professionnalisation
de nos armées, dont le rapporteur est M. Nicolas About. Vous vous prononcerez,
ensuite, sur le projet de budget pour 1997. Puis nous aurons l'occasion de
débattre de la réforme du service national autour du rendez-vous citoyen et du
volontariat. Enfin, nous aurons la charge d'étudier la réforme des réserves.
Vous pouvez le constater, la réforme se fait pas étapes successives. Nous
irons jusqu'au bout de ce grand édifice qui a été fondé par le discours du
Président de la République, le 22 février dernier.
Pourquoi fallait-il réformer la défense de notre pays ? Cette question,
sénateurs et députés se la sont posée à plusieurs reprises depuis quatre ou
cinq ans. En 1994, il y a été répondu dans le Livre blanc.
Dans ce document, sont énoncées très clairement les missions que l'on souhaite
voir assumer par la défense nationale et par les forces armées. Je me permets
de les rappeler : la dissuasion, la prévention, la projection et la protection.
Sont aussi décrits les modes et les moyens qu'il conviendrait de mettre en
oeuvre pour pouvoir faire face à ces missions essentielles.
Le deuxième constat qui a été fait, après celui qui concerne les missions, a
trait aux conditions géostratégiques, qui ont changé.
En effet, en 1989, c'est la chute du mur de Berlin, c'est l'effondrement de
l'empire soviétique, A partir de ce moment, tous les Etats au monde révisent
leur budget de la défense.
En 1995, on constatait que les budgets de la défense de tous les grands pays
au monde avaient baissé en valeur absolue et en valeur relative. Seul le budget
de la défense de la France n'avait pas encore suivi cette tendance.
Le troisième constat concerne la restructuration des industries de défense.
Depuis plusieurs années, les Etats-Unis, en particulier, se sont engagés dans
une immense opération de restructuration des industries de défense. Cela s'est
fait par fusions, par rapprochements, par accords de coopération. On a vu ainsi
apparaître des grandes entreprises comme Lockheed ou Martin Marietta qui,
aujourd'hui, dominent le marché mondial. Voilà pourquoi il est nécessaire de
réfléchir à la mise en place d'une industrie européenne de la défense.
Telles sont les raisons qui ont amené à envisager la réforme de notre
défense.
L'élection présidentielle de mai 1995 marque d'ailleurs le point de départ
d'une nouvelle ère en matière de défense. En sa qualité de chef des armées, le
chef de l'Etat a en effet très vite manifesté sa volonté de ne plus
s'accommoder de demi-mesures, de construire résolument la défense dont notre
pays a besoin pour aborder le XXIe siècle, tout en tenant compte de la
nécessité - je viens de le dire - de réduire les dépenses publiques.
Quant à la méthode utilisée pour engager cette réforme, elle repose sur un
tryptique : clarification, concertation et décision.
Il nous est apparu indispensable, d'abord, de procéder à un état des lieux, à
un audit, de la manière la plus approfondie possible, et ce aussi bien pour ce
qui est des affaires de l'Etat, c'est-à-dire le budget de la défense, que pour
ce qui est de l'industrie de défense ou des administrations qui dépendent
directement ou indirectement du ministère de la défense.
Ce travail de clarification a été effectué non seulement par les services du
ministère mais aussi dans le cadre du comité stratégique, mis en place dès
juillet 1995 et qui a travaillé aux projets de réforme ayant abouti au projet
de loi de programmation militaire voté en juin dernier.
La deuxième phase, c'est la concertation. Celle-ci s'est traduite, sur le plan
politique, par la saisine des assemblées pour le débat d'orientation, qui a eu
lieu l'année dernière, ainsi qu'à l'occasion du débat sur le projet de loi de
programmation. Elle se poursuivra au travers des discussions que nous aurons
sur les différents projets que j'ai évoqués voilà quelques instants.
Cette concertation a lieu aussi avec les syndicats, en particulier les
syndicats de salariés, et avec les élus locaux qui sont concernés par les
restructurations militaires et les restructurations industrielles, ainsi
qu'avec toutes celles et tous ceux qui, directement ou indirectement, seront
concernés par les décisions de réforme en matière de défense.
Cette concertation est permanente. Je la poursuis, aujourd'hui, dans le cadre
des restructurations militaires et des restructurations industrielles, en
souhaitant, évidemment, qu'elle puisse aboutir préalablement à toute
décision.
Ces décisions ont été prises dans le cadre du conseil de défense, qui s'est
réuni déjà à six reprises et qui continuera à se réunir pour permettre à la
réforme de la défense nationale d'atteindre tous ses objectifs, ainsi que je
l'ai indiqué en introduction.
Quel est, aujourd'hui, l'état d'avancement de la réforme ?
Je l'ai dit, la réforme a pour objet de construire la défense française pour
le XXIe siècle. Elle va donc concerner tous les domaines de la défense : le
format de l'armée et sa nature, la force de dissuasion, l'industrie et les
restructurations industrielles qui en sont la conséquence, et, enfin, la
démarche européenne et atlantique.
Pour ce qui est de l'armée professionnelle, prévue et organisée par la loi de
programmation, sur laquelle je ne reviendrai pas, la réduction des effectifs
civils et militaires de la défense est une étape essentielle du passage à un
nouveau modèle d'armée. En effet, d'ici à 2002, les effectifs du ministère de
la défense seront réduits de près du quart, cette évolution globale recouvrant
un double mouvement de départs et de recrutements. Vous le savez, le Président
de la République écarte tout à fait clairement la solution d'une loi de
dégagement des cadres.
Ces mouvements doivent s'appuyer sur un dispositif exceptionnel et faire
l'objet de mesures d'incitation au départ, à la mobilité et à l'engagement.
C'est le sens du projet de loi dont le Sénat devra débattre le 20 novembre
prochain et qui a déjà été discuté par l'Assemblée nationale le 9 octobre
dernier.
Quant au processus de professionnalisation complète de nos armées, il
s'engagera dès l'année prochaine. Recruter près de 10 000 engagés par an là où,
en année courante, nous en recrutions environ 3 000, tel est le défi que nous
devons relever.
Cela explique qu'il soit absolument indispensable de mettre en place des
mesures d'incitation à l'engagement. Cela explique également que nous
garantissions aux jeunes qui voudront s'engager, d'abord, une rémunération
convenable et, ensuite, une reconversion professionnelle réussie au terme de
leur vie militaire.
L'armée ne recrutera des engagés de qualité qu'à condition de leur assurer une
qualification professionnelle à la hauteur de leurs espoirs lorsqu'ils
sortiront de la vie militaire pour entrer dans la vie civile.
Par ailleurs, la solde des nouveaux engagés et de ceux qui servent
actuellement sous contrat sera portée au niveau du SMIC à compter du 1er juin
1997, et le droit à la reconversion sera inscrit dans le statut des
militaires.
Je n'insisterai pas sur ce point, puisque nous aurons l'occasion d'y revenir
le 20 novembre prochain, lors de la discussion du projet de loi sur les mesures
d'accompagnement.
De plus, l'activité des militaires sera recentrée sur des fonctions
opérationnelles.
Enfin, les conditions de vie des engagés seront améliorées, en particulier en
ce qui concerne leur logement et l'emploi de leur conjoint.
Ces militaires effectueront dans les armées une carrière courte, d'une durée
moyenne de huit ans. L'alternance rapide qui en résultera entre vie civile et
vie militaire contribuera au renforcement du lien entre l'armée et la nation,
vous l'avez bien compris.
J'en viens au deuxième aspect de cette réforme : doter la France d'une force
de dissuasion adaptée.
Le 13 juin 1995, rappelez-vous, le Président de la République décidait la
reprise de nos essais nucléaires pour une ultime campagne destinée à valider
nos armes actuelles et à rassembler les données nécessaires à la bonne
réalisation du programme de simulation.
M. René-Pierre Signé.
Inutile !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Certains ont contesté cette campagne d'essais en
la jugeant inutile. Elle a pourtant permis à la France de garder une force de
dissuasion fiable, d'accumuler un certain nombre de données, ce qui attise la
jalousie de tous les pays qui voudraient faire de la simulation et, surtout, de
faire partie du groupe de tête des pays qui souhaitent l'arrêt définitif des
essais nucléaires. En effet, la France, la première, a engagé le combat pour
l'interdiction définitive des essais nucléaires.
(Murmures sur les travées socialistes.)
Aujourd'hui, la France est arrivée au terme de sa démarche puisque le
traité, terminé sur le plan de sa rédaction, est maintenant soumis à la
signature.
Je dois souligner que le Président de la République a eu le courage
d'affronter une opinion publique souvent excitée ou manipulée pour prendre une
décision conforme à la volonté nationale et à ce que, lui, percevait pour le
maintien d'une force de dissuasion garante de notre indépendance.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
De quoi sera constituée dorénavant notre dissuasion future ?
Elle comprendra, d'une part, une composante balistique bâtie autour de quatre
sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération emportant des
missiles M 51 et, d'autre part, une composante aéroportée sur la base du
missile ASMP amélioré dont la réalisation est prévue par la loi de
programmation.
Comme vous avez pu le constater, la réforme maintient la dissuasion. Cela
permettra à la France de garantir son indépendance et son autonomie, objectif
qui avait été inscrit en lettres d'or par le général de Gaulle dans la
politique de défense de notre pays.
M. Jean-Louis Carrère.
Et l'OTAN ?
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
J'y viendrai !
Le troisième point porte sur une industrie restructurée.
Depuis le début des années soixante, la France s'est dotée - là aussi, sous
l'impulsion du général de Gaulle - d'une industrie de défense d'un niveau
technologique exceptionnel qui garantit notre autonomie stratégique et notre
indépendance nationale.
Cependant, pour garder sa place, notre industrie doit relever trois défis : le
premier est celui de la réduction des coûts ; le deuxième est lié à la taille
des entreprises de défense françaises et européennes ; le troisième est celui
de la compétitivité sur les marchés extérieurs.
En premier lieu, si nous nous engageons dans une réduction du budget de la
défense, ce qui est le cas puisque le montant de la première annuité de la loi
de programmation militaire 1996 est diminué de près de 20 milliards de francs
par rapport au montant de la programmation précédente, ...
M. Emmanuel Hamel.
Ne vous en vantez pas !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
... il va bien falloir réduire les coûts.
Nous avons ainsi fixé comme objectif à l'industrie de défense et à la
délégation générale pour l'armement de parvenir à une réduction de 30 % des
coûts et des délais des programmes sur les six années de la programmation.
Cette réforme marque une étape majeure de la rénovation de notre appareil
industriel d'armement et se situe au carrefour de la maîtrise des dépenses
publiques et de la réforme de l'Etat.
Je précise que, dans ce domaine, des actions ont déjà été engagées par le
délégué général pour l'armement et que la première des réformes a concerné la
DGA elle-même ; cette réforme ayant été annoncée elle est, aujourd'hui,
déclinée.
Le deuxième défi qu'il convient de relever est celui de la taille des
entreprises.
J'ai d'ores et déjà indiqué que, durant les années 1990 à 1995, un pays comme
les Etats-Unis avait procédé à la restructuration de son industrie de défense,
ce qui a fait apparaître sur le marché de grands groupes comme Lockheed -
Martin Marietta.
Il est absolument indispensable, si l'Europe et la France veulent conserver
leur autonomie et leur indépendance, qu'émergent des groupes pouvant faire face
à cette concurrence en renforçant leur compétitivité sur le marché mondial.
C'est la raison pour laquelle le Président de la République a annoncé un
certain nombre de restructurations qui relèvent de la compétence de l'Etat.
C'est également la raison pour laquelle des actions de redressement ont été
engagées dans les entreprises dépendant directement du ministère de la
défense.
Si vous le permettez, je traiterai brièvement, tout d'abord, de la fusion
entre Dassault et l'Aérospatiale, enssuite de la privatisation du groupe
Thomson, enfin des questions relatives à la direction des constructions navales
et à GIAT-Industries, qui suscitent aujourd'hui un certain nombre
d'interrogations dans les bassins d'emplois ou dans des localités.
La fusion Dassault-Aérospatiale est aujourd'hui programmée, ses modalités
seront arrêtées au 1er janvier 1997. Elle doit permettre à la France de
disposer d'un pôle aéronautique à la hauteur de ses ambitions et d'assumer ses
responsabilités dans le cadre de l'industrie européenne.
Vous savez que cela revêt une importance tout à fait significative, par
exemple avec l'avion de transport futur.
Pour ce qui est de la privatisation du groupe Thomson, le Gouvernement a
exprimé sa préférence pour l'offre du groupe Lagardère. Cette solution répond
en effet à l'objectif de création d'un grand pôle européen de l'électronique de
défense.
Les complémentarités industrielles, technologiques et commerciales qui
existent entre les activités de Matra et de Thomson-CSF permettront au nouvel
ensemble de se placer au tout premier rang mondial de l'électronique
professionnelle et des industriels capables de fournir des systèmes d'armes
clés en main.
Voilà pour ce qui est de ces deux restructurations, mais il est bien évident
que le Gouvernement est également conduit aujourd'hui à accompagner le
redressement de deux secteurs essentiels, celui des arsenaux navals pour ce qui
concerne la DCN, la direction des constructions navales, et celui des arsenaux
terrestres pour ce qui concerne GIAT-Industries.
Ces deux entités présentent, je n'y reviendrai pas, des situations
préoccupantes. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a engagé des
efforts de redressement, de redéploiement et de reconquête.
Ainsi, s'il n'est pas porté remède à la situation de DCN, ce sera sa perte ;
GIAT-Industries supporte pour sa part une perte cumulée de près de douze
milliards de francs, et il est absolument indispensable, là aussi, d'amorcer un
redressement.
Une concertation large et approfondie avec les partenaires sociaux a permis
d'engager des transformations profondes.
C'est par un redéploiement volontariste que GIAT-Industries retrouvera le
chemin de la compétitivité et conquerra des marchés nouveaux à la mesure de la
qualité de ses produits.
Quant à la direction des constructions navales, notre ambition est, vous le
savez, de lui voir conquérir 20 % à 30 % du marché mondial des bâtiments de
guerre et des systèmes de combat navals.
C'est à ce propos-là que je voudrais aborder le troisième défi auquel est
confrontée notre industrie de défense, je veux parler du défi de la
compétitivité pour conquérir des marchés extérieurs.
En effet, il est bien évident que nous ne pourrons avoir une industrie de
défense qui soit en mesure tout à la fois de supporter la concurrence de
l'industrie américaine et de tenir son rang que s'il y a élargissement du
marché de cette industrie. Le marché français n'est plus suffisant étant donné
la baisse du budget de la défense, étant donné aussi l'augmentation de la
concurrence.
C'est dans cet esprit qu'il a été décidé qu'un plan de soutien à l'exportation
des industries aéronautiques et d'armement serait mis en place avant la fin de
l'année 1996. Actuellement, les services du ministère y travaillent. A l'issue
d'une phase de concertation, des décisions seront prises, et ce avant la fin de
l'année, pour permettre à nos industries d'entrer dans la compétition mondiale
pour ce qui concerne ce domaine-là.
Je précise d'ailleurs qu'aujourd'hui un délégué a été désigné à cet effet. M.
Bruno Durieux, ancien ministre délégué au commerce extérieur, a pris cette
responsabilité, à ma demande. Délégué auprès de moi, il devra prospecter un
certain nombre de marchés pour que, ensuite, nous puissions contracter soit
avec des pays, soit avec d'autres entreprises industrielles et ainsi élargir le
marché de nos industries d'armement.
Après avoir évoqué les aspects nationaux de la réforme de notre défense, j'en
viens à la démarche européenne et atlantique. C'est le quatrième point de la
réforme.
La défense nationale ne sera ni indépendante ni autonome si elle ne prend pas
en compte la dimension européenne. Je voudrais vous donner quelques
illustrations de cette réalité qui découle directement des sommets
franco-allemands qui se sont tenus durant l'année écoulée, qu'il s'agisse de
celui de Baden-Baden ou de celui de Dijon.
S'agissant de la prévention, qui constitue la première mission que doivent
assumer nos armées, il est bien évident qu'elle ne peut être assurée
aujourd'hui par les seules forces prépositionnées à l'extérieur ou par des
services de renseignement, aussi bons soient-ils : il est absolument
indispensable qu'elle se fonde sur l'observation satellitaire afin de permettre
la surveillance permanente des théâtres d'opération ou des théâtres
extérieurs.
La France a pris des initiatives dans ce domaine puisque c'est elle qui, avec
l'Italie et l'Espagne, est à l'origine du programme Hélios 1. Aujourd'hui, elle
a décidé de promouvoir avec ses partenaires allemands le programme Hélios 2
ainsi que le programme de satellite radar Horus pour se doter et doter l'Europe
de moyens d'observation et de prévention à la hauteur d'une puissance
indépendante.
C'est la première illustration de la nécessité d'une démarche européenne.
La deuxième illustration de cette nécessité se situe au niveau de l'industrie
européenne de défense.
Il est bien évident que si l'on veut, aujourd'hui, être à la hauteur face à la
compétition américaine, il est absolument indispensable de constituer des pôles
européens en matière de défense.
C'est dans cet esprit-là que la France, au Groupe d'armement de l'Europe
occidentale à Madrid, voilà quelques mois, avait proposé la constitution d'une
agence européenne de l'armement. Cette idée n'ayant pas été retenue, nous avons
décidé à Baden-Baden la mise sur pied d'une agence franco-allemande de
l'armement, qui est en cours de définition. Elle doit recevoir comme nouveaux
pays adhérents la Grande-Bretagne et l'Italie. Cela montre que la démarche
française a été couronnée de succès, même si l'agence franco-allemande de
l'armement n'est pas celle qui avait été proposée initialement par la
France.
La troisième illustration est la constitution ou le renforcement de forces
européennes, qu'il s'agisse du corps européen, d'Euromarfor, d'Eurofor ou de la
brigade franco-allemande. La France continue à souhaiter le renforcement de ces
structures pour permettre une présence effective de l'Europe sur les plans
stratégique et militaire.
Le débat européen engagé à l'OTAN a pris une tout autre dimension depuis le 5
décembre 1995, date à laquelle la France a fait savoir qu'elle était prête à
réfléchir à la rénovation de l'Alliance atlantique si cette dernière prenait en
compte l'identité européenne de défense.
Les propositions françaises présentées dans le cadre de l'OTAN et qui sont en
cours de discussion dessinent une réforme de l'organisation atlantique
d'ampleur sans égale depuis quarante ans.
Un certain nombre de propositions ont été faites et déjà plusieurs résultats
ont été obtenus, que je voudrais ici simplement énumérer.
Premièrement, nous avons obtenu la reconnaissance des groupes de forces
interarmées multinationales - cela fut la conséquence de la conférence de
Berlin - permettant la prise en compte de l'identité européenne de défense dans
le cadre d'une Alliance atlantique rénovée.
Deuxièmement, la présence d'un officier général européen désigné par les
Européens auprès du Commandement suprême allié en Europe consacrera le poids
des Européens au niveau du commandement stratégique de l'Alliance ; cet élément
est aujourd'hui accepté, admis.
Troisièmement, la réorganisation en cours des grands commandements permettra
de faire face à une grande diversité de crises et de conflits, et aussi
d'accueillir, le moment venu, de nouveaux Etats dans l'Alliance. L'option qui a
été retenue est celle de deux commandements pour l'Europe : un commandement sud
et un commandement nord.
Enfin, la détermination progressive de tous les éléments d'une chaîne de
commandement européenne devrait autoriser les responsables politiques européens
à disposer, lorsqu'ils le désirent, des instruments indispensables à la
conduite de leur politique.
Il s'agit donc de faire toute sa place à l'affirmation d'une identité
européenne dynamique qui se concrétise progressivement sur tout le champ de la
politique de défense, qui soit l'expression d'une prise en charge accrue par
les Européens de leur propre destin, et ce dans le cadre d'une responsabilité
assumée collectivement et de façon indissociable par les Européens et les
Américains.
Dans cette nouvelle vision que nous proposons, l'Union de l'Europe occidentale
doit devenir, pour les Européens, un organe de responsabilité politique et de
direction stratégique des opérations qu'ils conduisent. Elle doit devenir un
organe d'évaluation, de décision politico-militaire et de concertation. Enfin,
elle doit devenir le creuset des solidarités militaires et stratégiques qui
existent entre les Européens.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous ai exposé
les raisons, le calendrier et les objectifs de la réforme de notre défense.
Permettez-moi d'en venir maintenant au projet de budget pour 1997 et de
définir la place qu'il occupe dans la réforme lancée par le Président de la
République.
Je commencerai par les caractéristiques de ce projet de budget. Il respecte,
vous pourrez le constater, la démarche qui est inscrite dans la loi de
programmation militaire.
Premièrement, le montant du budget du ministère de la défense pour 1997, tel
qu'il est inscrit dans le projet de loi, est égal, et donc conforme, à la
première annuité de la loi de programmation.
Deuxièmement le projet de budget participe à la réduction des dépenses
publiques.
Troisièmement, ce projet de budget engage la mise en place de l'armée
professionnelle.
Quatrièmement, il poursuit la modernisation de l'équipement de nos forces ;
j'y reviendrai dans quelques instants.
Enfin, cinquièmement, ce projet accompagne les restructurations militaires et
industrielles.
Tout d'abord, le projet de budget est conforme à la première annuité de la loi
de programmation.
Conformément à ladite loi, il s'élève à 190,9 milliards de francs, qui
correspondent exactement aux 185 milliards de francs 1995 votés par le
Parlement puis actualisés par application de l'indice des prix à la
consommation hors tabac.
Conformément à la loi de programmation, ces 190,9 milliards de francs sont des
crédits budgétaires inscrits dans la loi de finances initiale, et non plus des
crédits disponibles au sens de la précédente loi.
Conformément à la loi de programmation, ces 190,9 milliards de francs se
répartissent entre le titre III, pour 102,2 milliards de francs, et les titres
V et VI, pour 88,7 milliards de francs.
Conformément, toujours, à la loi de programmation et à la ferme volonté du
Sénat, ces crédits ne financeront ni les formes civiles du volontariat, ni le
budget civil de recherche et de développement - ni les recapitalisations des
entreprises publiques de défense, ni la reconversion des bassins d'emploi
concernés par les restructurations, exception faite des crédits inscrits au
fonds pour les restructurations de la défense.
Voilà pour ce qui est de la première caractéristique : promesses faites,
promesses tenues.
Deuxième caractéristique de ce projet de budget : participer à la réduction
des dépenses publiques.
Par rapport aux crédits mis à la disposition du ministère de la défense en
1996, il diminue en effet de 4,7 milliards de francs, c'est-à-dire de 2,4 %.
Par rapport à la loi de programmation précédente, comme je vous l'ai précisé
tout à l'heure, l'enveloppe financière est en retrait de près d'une vingtaine
de milliards de francs.
Le projet de budget participe donc à la réduction des dépenses publiques et à
l'effort demandé par le Premier ministre pour réduire les déficits publics.
Troisième caractéristique de ce projet de budget : engager la mise sur pied de
l'armée professionnelle.
Les effectifs du ministère de la défense évolueront, en effet, l'année
prochaine, selon le rythme fixé par l'article 3 de la loi de programmation et
dans les conditions précisées dans le rapport qui lui est annexé.
L'exercice 1997 sera donc marqué par une importante réduction du format des
armées. Compte tenu des comptes de commerce, les effectifs de la défense seront
en retrait de 26 392 emplois par rapport à 1996, ce qui équivaut à une
réduction de 4,4 %.
Cette décroissance s'accompagne, comme cela a été précisé voilà quelques
instants, du recrutement de près de 7 700 engagés supplémentaires. La
contraction du format de la défense recouvre en effet des évolutions très
contrastées selon les catégories de personnel. Si la professionnalisation des
armées implique la suppression d'emplois d'appelés et de sous-officiers chargés
de les encadrer, elle entraînera parallèlement le recrutement de 48 000
militaires du rang engagés supplémentaires au cours des six prochaines
années.
Enfin, le projet de budget met en oeuvre les mesures d'accompagnement prévues
par la loi de programmation.
J'aurai l'honneur de vous présenter dans quelques jours les mesures
législatives destinées à faciliter le départ des militaires, à favoriser leur
recrutement et à compenser les effets de la mobilité.
Quatrième caractéristique de ce projet de budget : permettre la poursuite de
la modernisation de l'équipement de nos forces.
Doté de 88,7 milliards de francs, le budget d'équipement du ministère de la
défense autorise le déroulement de tous les programmes au rythme arrêté par la
programmation.
La permanence de la dissuasion nucléaire sera assurée avec la poursuite de la
construction des sous-marins nucléaires lance-engins de nouvelle génération -
les SNLE-NG - à Cherbourg, la poursuite du développement des missiles M51 et le
lancement du développement de l'ASMP amélioré.
Les programmes de cohérence interarmées bénéficieront de toute la place qui
leur est donnée par la programmation, avec Hélios 2 et Horus, qui seront
réalisés en coopération avec l'Allemagne, et les programmes donnant à nos
armées de nouvelles capacités de commandement et de communications.
La modernisation des forces classiques sera poursuivie, avec les grands
programmes des forces armées que vous connaissez, et dont les échéanciers sont
précisés dans le rapport annexé à la loi de programmation.
Cinquième et dernière caractéristique de ce projet de budget : accompagner les
restructurations militaires et industrielles.
Comme le prévoit la loi de programmation, un fonds pour l'adaptation
industrielle a été mis en place au profit de la DCN et de la restructuration de
la direction des applications militaires du CEA.
Comme le prévoit la loi de programmation, le fonds pour les restructurations
de la défense bénéficiera, en 1997, de 136 millions de francs de crédits de
paiement.
Comme le prévoit la loi de programmation, le ministère de l'économie et des
finances mobilisera l'année prochaine 192 millions de francs pour les sociétés
de conversion.
L'Union européenne apportera son concours avec le programme Konver, dont
l'enveloppe a été récemment abondée de 100 millions de francs.
Ce dispositif, ainsi que je l'avais annoncé au Sénat, sera complété par la
mise en oeuvre d'une nouvelle politique domaniale plus favorable aux
collectivités locales concernées par les mesures d'adaptation des armées. Je
sais que nombre d'entre vous suivent cette question avec la plus grande
attention. C'est la raison pour laquelle je souhaite m'y attarder quelques
instants.
Les procédures de cessions immobilières seront modifiées pour être accélérées.
A cette fin, les collectivités locales seront informées plusieurs mois avant le
départ des armées, les services fiscaux procéderont plus rapidement aux
évaluations nécessaires et les biens cédés pourront être remis aux
collectivités locales dès que ces dernières auront pris l'engagement de les
acquérir.
Par ailleurs, les collectivités locales auront désormais la liberté de choisir
la formule la plus adaptée à leurs projets. Une procédure nouvelle, la
convention de gestion, sera mise en place. Elle permettra, dans certaines
conditions, de mettre à disposition, à titre gratuit des terrains ou des locaux
de la défense, tout en donnant aux collectivités bénéficiaires une large
liberté de construire ou d'exploiter ces biens immobiliers.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je voulais vous dire au sujet
du projet de budget de mon ministère pour 1997.
La loi de programmation pour les années 1997 à 2002 ayant pu être votée, grâce
au Sénat notamment, avant l'été, c'est-à-dire avant la préparation de la loi de
finances, l'année 1997 ne sera pas une nouvelle année de transition pour la
défense. Je pense que nous pouvons tous nous en féliciter.
Le projet de budget de la défense pour 1997 constitue une première étape
essentielle dans le cadre de la mise en oeuvre de cette réforme. Pour que
celle-ci soit complète, vous aurez cependant à vous prononcer également,
mesdames, messieurs les sénateurs, sur deux autres textes majeurs qui
concernent l'un le rôle nouveau des réserves, l'autre la réforme du service
national.
Le premier projet de loi organisera les réserves de la façon suivante.
Une première réserve de 100 000 postes assumera un rôle opérationnel en
matière de projection et de protection du territoire. Une seconde réserve, qui
servira de vivier à la première, contribuera à diffuser, dans l'ensemble des
secteurs de notre société, les valeurs essentielles de l'esprit et de la
culture de défense. Cette révolution dans l'emploi et l'importance du rôle
dévolu à la réserve va de pair avec une garantie accrue au regard de l'emploi
et de la couverture sociale des réservistes.
Elle s'accompagnera d'une forte politique contractuelle avec les employeurs
civils, afin d'ancrer fortement le rôle de la réserve dans le renforcement du
lien armée-nation.
Le second projet de loi dont vous aurez à connaître dans quelques semaines
porte sur la création d'un rendez-vous citoyen universel et la mise en place
des volontariats.
C'est la suite logique de l'option retenue dans la loi de programmation pour
une armée professionnelle ; c'est la suite logique de la suppression du service
national dans sa forme actuelle ; c'est la suite logique du désir exprimé par
nombre d'entre vous, lors du débat sur la loi de programmation, de maintenir un
lien entre l'armée et la nation.
Nous proposons donc l'instauration d'un rendez-vous citoyen obligatoire pour
tous les jeunes Français et, à partir de 2002, pour toutes les jeunes
Françaises également.
Le rendez-vous citoyen aura trois objets.
D'abord, il permettra au jeune de faire un bilan personnel, professionnel,
médical et social. A partir de là, on pourra déterminer si tel ou tel a un
handicap, si tel ou tel n'a pas reçu la formation souhaitée pour affronter la
vie professionnelle. A cette occasion, la communauté nationale pourra offrir
une seconde chance à sa jeunesse, en permettant, par exemple, aux illettrés de
suivre une formation ou à ceux qui, malheureusement, ont un handicap physique,
d'être soignés.
Le deuxième objet de ce rendez-vous citoyen sera de délivrer une instruction
civique conçue comme l'aboutissement d'un parcours qui aura commencé dans le
système éducatif. Cette instruction civique sera effectuée non pas d'une
manière didactique ou classique mais par l'intermédiaire de témoignages rendus
par celles et ceux qui participent à la vie citoyenne dans leur métier ou leur
engagement.
Le troisième objet de ce rendez-vous citoyen sera d'informer les jeunes sur
les différentes formes de volontariat auxquelles ils pourront participer pour
se mettre au service de la communauté nationale, soit dans le domaine de la
sécurité et de la défense, soit dans le domaine de la solidarité et de l'aide
aux plus déshérités, soit dans le domaine de l'humanitaire et de la coopération
internationale.
Ce rendez-vous citoyen pourra donc être suivi d'un volontariat qui fera
l'objet de plusieurs articles dans le projet de loi qui vous sera soumis. Je
n'insisterai pas plus avant sur ces questions puisque nous aurons l'occasion
d'en débattre.
Nous sommes engagés non pas dans une réforme technique, une réforme
spécifique, une réforme de spécialistes, mais dans une réforme de société,
réforme qui nous conduira à nous interroger sur les liens devant exister entre
l'armée et la nation, entre la nation et sa jeunesse.
Nous nous poserons également des questions sur le civisme, sur l'indépendance
nationale et sur l'autonomie de notre pays en matière de défense. Nous nous
interrogerons pour savoir s'il est possible de concilier indépendance nationale
et construction européenne. Nous devrons répondre à l'interrogation que
certains se posent sur la compatibilité entre l'Alliance atlantique et la
construction européenne. Nous devrons intégrer la dimension de l'aménagement du
territoire dans le cadre des restructurations militaires et industrielles.
Telle est la réalité de la réforme que nous avons à mettre en place.
Cette réforme exige - et ce sera ma conclusion - une volonté, une méthode, un
esprit.
Cette volonté a été exprimée avec force le 22 février 1996 par le Président de
la République, qui a tracé les orientations, défini les objectifs et fait part
de sa conception de la défense de notre pays. Depuis cette date, il a manifesté
cette volonté à plusieurs reprises, soit devant les cadres militaires, soit
lors de ses différentes interventions devant les Français. Je souhaite que
cette volonté soit relayée par les parlementaires, députés et sénateurs.
Cette réforme exige aussi une méthode qui repose, comme je l'ai dit, sur un
triptyque : clarification, concertation et décision.
Je n'insisterai que sur un aspect, la concertation.
Vous avez pu le constater, aucune des décisions concernant la réforme de la
défense n'a été prise dans l'isolement ou la solitude. Elles ont toutes été
prises en concertation avec les personnes intéressées, et je voudrais rendre un
hommage tout particulier à la communauté militaire et aux personnels civils de
la défense pour leur sens de l'intérêt national. En effet, si tous ont été
associés à la réflexion, à la définition des objectifs, à la mise en oeuvre des
moyens, il n'en demeure pas moins qu'ils sont en train de vivre la plus grande
réforme de la défense que notre pays ait connue depuis trente ou quarante ans
et qu'ils le font avec un sens de l'intérêt général tout à fait remarquable
dont pourraient s'inspirer bien des groupes, bien des corporations de notre
pays.
Quant à l'esprit de défense, il va bien au-delà de l'outil de défense que nous
sommes en train de réformer ; il va bien au-delà de la technique ou de la
méthode qui est utilisée pour permettre à notre pays d'acquérir une
indépendance en matière de défense. Il exige une prise en compte des valeurs de
notre société, car ce que nous voulons mettre en oeuvre à travers le
volontariat, à travers le rendez-vous citoyen, vous l'avez bien compris, c'est
une réforme de la société qui engage chaque citoyen, qui engage la nation tout
entière.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, mes premiers mots seront pour me
réjouir de l'organisation de ce nouveau débat sur la défense, dont je vous
remercie.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la véritable entreprise de «
refondation » de notre défense qui est engagée a trouvé sa première traduction
législative dans la loi de programmation que notre Haute Assemblée a
définitivement adoptée le 20 juin dernier. Plusieurs autres rendez-vous
législatifs nous attendent au cours de la présente session : d'abord, dès les
prochaines semaines, pour fixer les dispositions d'accompagnement d'un
processus de professionnalisation qui représente une véritable révolution pour
les personnels de la défense ; ensuite, pour déterminer avec soin les mesures
délicates qui conduiront à la disparition progressive du service national
actuel sans compromettre nos capacités opérationnelles pendant la période de
transition et en préservant un lien solide entre les armées, notre jeunesse et
la nation ; enfin, pour organiser un système de réserve efficace, complément
nécessaire d'une armée professionnelle.
L'ampleur et l'importance de la réforme engagée justifient l'exercice plénier
par le Parlement de ses attributions en matière de défense, afin de déterminer
les orientations générales, d'assurer la présentation politique et, bien sûr,
de définir les modalités techniques d'une mutation radicale qui permettra la
mise en place d'une armée nouvelle, capable de répondre aux nouveaux défis et
de satisfaire notre ambition pour la France et pour l'Europe. C'est dans cette
optique que vient heureusement s'inscrire notre débat d'aujourd'hui.
La caractéristique majeure de la réforme de notre système de défense qui est
engagée est son caractère global. Elle prend en compte tous les aspects de
notre politique de défense. C'est dire l'ampleur des défis à relever, qu'il
s'agisse de la professionnalisation de nos forces, de la poursuite du
renouvellement de nos équipements ou de l'indispensable restructuration de
l'industrie d'armement, le tout dans un contexte budgétaire extrêmement
contraignant. Cette cohérence d'ensemble de la démarche entreprise constitue, à
mes yeux, sa force et sa valeur principales. C'est aussi - je le dis avec
conviction, sans ignorer l'ampleur des difficultés qu'il faudra surmonter - une
entreprise exemplaire, une de ces vraies réformes en profondeur que notre pays
doit réussir pour aborder le XXIe siècle. Cette cohérence est enfin son
principal gage de réussite et de mobilisation de la communauté militaire, à la
condition expresse que des moyens financiers insuffisants ne viennent pas
compromettre le succès impératif d'un pari raisonné, mais exceptionnellement
ambitieux.
Le respect de l'enveloppe financière, constante mais strictement contrainte,
prévue par la loi de programmation constitue un impératif sur lequel notre
commission se montrera d'une extrême vigilance car, en ce domaine, tout n'est
pas dans les mots, tout n'est pas dans les principes. Comme la Cour des comptes
l'a encore récemment relevé et comme je l'ai déjà à maintes reprises souligné à
cette tribune, ce respect suppose de renoncer aux régulations budgétaires en
cours d'année.
Ces décisions discrétionnaires de l'administration, qui échappent souvent au
ministre responsable lui-même, sont, je le dis une nouvelle fois aujourd'hui,
une atteinte aux prérogatives du Parlement et une entrave à tout effort de
bonne gestion. Elles constitueraient, à l'avenir, un obstacle inacceptable sur
la voie de la réforme entreprise, bref, un mauvais coup porté à notre
défense.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du
RPR.)
Pouvez-vous, à cet égard, monsieur le ministre, nous indiquer les
conséquences pour 1997 des annulations et des reports de charge décidés au
cours de l'année écoulée, qui provoquent déjà de vives inquiétudes ?
Pour l'heure, le budget de la défense pour 1997, tel que vous l'avez présenté
devant notre commission, paraît strictement conforme à la première annuité de
la loi de programmation. La commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées a entamé et poursuivra au cours des prochaines semaines
l'examen détaillé de ce budget. Les précisions que vous voudrez bien nous
apporter aujourd'hui, monsieur le ministre, contribueront à éclairer son
jugement.
La véritable révolution qu'implique la professionnalisation doit être
fortement engagée dès 1997, avec la suppression de 26 000 emplois, le
recrutement de 7 700 engagés et une enveloppe de près de 1,5 milliard de francs
destinée à assurer le financement des mesures d'accompagnement.
Pouvez-vous cependant nous dire quelles sont actuellement, tant en quantité
qu'en qualité, les perspectives du recrutement des militaires du rang
indispensables à la mise sur pied de l'armée professionnelle ?
S'agissant des départs nécessaires, mais fondés sur le volontariat et
l'efficacité des mesures incitatives prévues, comment pensez-vous parvenir à
réguler les flux de départs annuels ?
En ce qui concerne, enfin, le caractère progressif de la réforme, pouvez-vous
nous donner votre sentiment sur un éventuel abrégement de la période de
transition, ou mettre un terme aux rumeurs qui l'évoquent régulièrement ?
J'en viens aux crédits d'équipement prévus pour 1997, qui sont, eux aussi,
conformes aux prévisions de la loi de programmation.
D'importantes questions ne semblent pas, toutefois, clairement tranchées.
Sur le plan financier, où en est-on concernant les critères de qualification
et donc les conditions de financement des opérations extérieures, en
particulier dans la perspective du remplacement de l'IFOR dans l'ex-Yougoslavie
?
Pouvez-vous également, monsieur le ministre, nous donner des précisions sur le
développement des commandes pluriannuelles qui doivent constituer à la fois une
garantie pour les entreprises et une source d'économies budgétaires ?
S'agissant des programmes eux-mêmes, je souhaiterais obtenir des précisions
sur trois points majeurs.
Premièrement, dans le domaine de l'espace, où en sont les négociations - elles
font périodiquement l'objet de rumeurs contradictoires - entre la France et
l'Allemagne pour concrétiser les accords de Baden-Baden et de Dijon sur les
programmes Hélios 2 et Horus de satellites militaires d'observation ? Sur ce
sujet, on lit tout et son contraire ! Or il s'agit, je le rappelle, d'un enjeu
de première importance pour l'Europe spatiale militaire et pour notre autonomie
stratégique.
Deuxièmement, pour ce qui est de l'avenir du groupe aéronaval, la construction
d'un second porte-avions nucléaire, pour logique et souhaitable qu'elle soit,
n'est pas garantie aujourd'hui. Vous avez évoqué récemment, monsieur le
ministre, une solution éventuelle de remplacement à travers la constitution
d'une force aéronavale européenne. Pourriez-vous nous préciser les modalités
éventuelles d'une telle coopération et les éléments susceptibles de constituer
de telles capacités opérationnelles européennes ?
Troisièmement, en ce qui concerne le déjà fameux avion de transport futur, où
en sont, monsieur le ministre, les négociations avec les industriels, et entre
industriels, sur l'approche que vous envisagez, avec d'ailleurs beaucoup de
courage ?
Je n'évoquerai aujourd'hui que brièvement l'avenir du service national, sur
lequel le Sénat aura à délibérer très précisément au cours des prochains mois.
Mais je me réjouis que le chef de l'Etat et le Gouvernement aient proposé de
retenir les deux principales conclusions du rapport établi au nom de notre
commission par Serge Vinçon, à savoir la création d'un service national fondé
sur le volontariat et le maintien d'une courte période obligatoire pour
tous.
Il appartiendra au Parlement de préciser les différentes formes de volontariat
ainsi que le contenu exact et la durée du « rendez-vous citoyen ».
Sur ce dernier point, mon sentiment personnel rejoint totalement les
conclusions de Serge Vinçon. Cette période doit constituer un temps fort et
dense de la vie des jeunes de notre pays, mais elle ne saurait dépasser une
durée de quelques jours : d'abord, pour des raisons de cohérence avec la
logique même de la professionnalisation, dont les conséquences naturelles
doivent être tirées dès lors qu'elle est décidée ; ensuite, pour des raisons
fonctionnelles, les trois objectifs principaux du « rendez-vous citoyen »
pouvant être atteints en relativement peu de temps, qu'il s'agisse du maintien
du recensement et des outils d'évaluation des actuelles opérations de
sélection, de l'information sur les questions de citoyenneté, de défense et de
sécurité, et de la présentation des différentes formes de volontariat ou
d'engagement ; enfin, pour des raisons logistiques et financières évidentes, le
coût non négligeable de cette période obligatoire devant peser sur un titre III
déjà très fortement contraint.
S'agissant des modalités offertes par le volontariat, je crois nécessaire,
notamment, de préserver le cadre juridique de recrutement de coopérants du
service national en entreprise, les CSNE. Sans négliger les aménagements
souhaitables du service de la coopération dans le cadre du volontariat, il faut
garder présent à l'esprit le rôle très positif joué par les CSNE dans de
nombreux pays. Demandés par les entreprises, ils contribuent au rayonnement de
notre pays et à sa présence accrue dans le monde, tout en acquérant une
première expérience professionnelle.
Cependant, l'une des difficultés majeures sera, dans l'immédiat, d'organiser
la période de transition et la décroissance, planifiée par la loi de
programmation, des effectifs d'appelés.
La « ressource appelés », constituée pour l'essentiel des sursitaires actuels,
demeure supérieure aux besoins. Quelles solutions envisagez-vous, monsieur le
ministre, pour réguler, d'ici à 2002, les flux d'appelés ? Pensez-vous, en
particulier, proposer une réduction de la durée du service, au moins lorsqu'il
est accompli sous sa forme militaire ?
Mes dernières observations porteront sur la dimension européenne de la réforme
entreprise, car c'est elle, à mes yeux, qui donne à cette dernière sa véritable
signification et sa perspective historique. Cette profonde refonte de notre
outil de défense s'inscrit dans une grande ambition européenne, où les forces
françaises pèseront plus lourd, d'une véritable identité européenne de défense
et de sécurité. Cette politique de défense européenne doit s'inscrire dans un
cadre transatlantique profondément rénové.
Des signes encourageants ont été enregistrés au cours des derniers mois. Les
principes retenus lors du sommet de l'OTAN de Berlin doivent permettre
l'affirmation de cette identité européenne et un meilleur partage des
responsabilités entre Américains et Européens.
En Europe même, plusieurs décisions britanniques récentes, sur le véhicule
blindé d'infanterie, l'achat d'hélicoptères, le développement d'un missile de
croisière et l'agence européenne de l'armement, témoignent peut-être d'une
intéressante évolution des mentalités.
Mais l'essentiel reste à faire.
Une étape décisive doit être franchie dès les prochains mois pour concrétiser
les principes retenus et passer ainsi, en quelque sorte, des discours à la
réalité. Une dynamique est engagée, dans laquelle la France joue un rôle
moteur, mais elle doit aboutir sans tarder à des résultats tangibles : mise en
place des groupes de forces interarmées multinationales, redécoupage des zones
de l'OTAN, attribution de responsabilités accrues aux Européens. A défaut, nous
risquerions de laisser s'échapper une occasion historique avant que soit
tranchée la question majeure du « double élargissement » de l'OTAN et de
l'Union européenne.
Le temps nous est également compté - et peut-être même plus encore - si nous
ne voulons pas que l'industrie de défense européenne soit vassalisée, voire
éliminée, par ses concurrents américains.
Je suis convaincu de la nécessité absolue d'une profonde restructuration de
notre industrie d'armement dans la perspective de la constitution de grands
groupes industriels européens cohérents dans les secteurs de haute technologie.
A mes yeux, cette démarche urgente ne sera elle-même pleinement efficace que si
nous parvenons à progresser sur la voie d'un véritable marché européen des
armements, aussi bien sur le plan de la demande que sur celui de l'offre.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n'avons
pas le droit à l'erreur dans la mise en oeuvre de la réforme entreprise. Deux
facteurs me paraissent, au bout du compte, constituer les clés essentielles du
succès.
Cette réforme constitue d'abord un immense défi humain. Sa réussite exige
l'adhésion des personnels de la défense. Leur exceptionnelle capacité
d'adaptation, leur sens de l'intérêt général et souvent, il faut le dire, leur
abnégation constituent un gage essentiel de succès. Mais ils doivent
bénéficier, en retour, de la reconnaissance de la nation et du soutien de ses
représentants.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
L'exécution fidèle de la loi de programmation constitue, d'autre part, un
impératif. Le projet de budget de la défense pour 1997 me paraît, à cet égard,
constituer un élément très positif. C'est pourquoi je ne doute pas, monsieur le
ministre, que le Sénat, dans sa grande majorité, vous apportera son soutien
dans l'entreprise, difficile mais exemplaire, que vous conduisez et qui
constituera un symbole de la capacité de notre pays à se réformer.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ; Groupe socialiste, 37
minutes ; Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ; Groupe des Républicains et
Indépendants, 26 minutes ; Groupe du Rassemblement démocratique et social
européen, 18 minutes ; Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « une page
de l'histoire vient d'être tournée ». C'est ainsi que le Président de la
République qualifiait la nouvelle politique de défense qui est en train de se
mettre en place depuis son annonce le 22 février dernier.
La formule reflète d'ailleurs bien la réalité de cette réforme. C'est à de
véritables « chamboulements » que va être confrontée notre politique de défense
: réintégration dans l'OTAN, défense européenne, création d'une armée de
métier, profondes pertes de substances et d'emplois dans notre industrie de
l'armement. Mon ami Claude Billard axera son propos sur ce point douloureux
pour des dizaines de milliers de familles et pour des régions entières.
Nous avons exprimé, en juin dernier, nos réflexions, nos inquiétudes et nos
propositions lors du débat concernant la loi de programmation militaire pour
les années 1997 à 2002.
Quatre mois plus tard, nous ne trouvons rien dans l'actualité, dans
l'évolution de la situation, qui puisse changer sensiblement nos sentiments et
nos préventions, bien au contraire.
Pour la première fois de son histoire, notre pays ne connaît plus de menace
militaire permanente à ses frontières.
Des risques de fracture traversent cependant tous les continents, comme
libérés par la fin de la guerre froide, y compris l'Europe, qui n'est pas à
l'abri de redécouvrir la guerre.
Le drame yougoslave, au cours duquel nos troupes ont assumé d'une manière
remarquable une mission aussi difficile que dangereuse et ingrate mais
déterminante pour un retour à la paix, a bien montré le péril que représentent
les problèmes de frontières et de nationalisme non maîtrisés à temps et non
traités en amont.
Certes, le monde est devenu plus instable et plus complexe à analyser. Pour
autant, nous ne céderons pas à une sorte de paranoïa visant certains pays du
Sud, même s'il faut être vigilant et actif contre la montée de l'intégrisme.
Nous refusons la perspective de nous ranger à nouveau derrière la bannière
américaine, comme lors de la guerre du Golfe, pour imposer à la planète un
nouvel ordre mondial, celui de l'hégémonie d'un empire unique.
S'il est vrai que le monde est plus instable, la période qui s'ouvre donne
leur chance à de nouveaux progrès déterminants pour le désarmement, notamment
nucléaire, et à la substitution des solutions politiques aux solutions de
force.
Dans ce domaine sensible du nucléaire, rappelons que notre sécurité dépend
autant de nos capacités de dissuasion que du respect du traité de
non-prolifération, des progrès dans la réduction massive des arsenaux atomiques
et de nos initiatives pour conforter ces progrès.
Dans ce domaine, le Gouvernement reste, à notre avis, frileux. Sa politique
n'a pas intégré tous les changements intervenus. Elle privilégie trop encore la
modernisation, donc l'augmentation, de nos capacités de destruction par le
nucléaire.
Au nom de quoi, d'ailleurs, le club des cinq puissances nucléaires officielles
prêcherait-il la non-prolifération au reste du monde, singulièrement à de
grandes nations comme l'Inde, sans s'engager de manière significative dans la
voie du « zéro arme nucléaire » à l'aube du troisième millénaire, comme le
prévoit l'article 6 du traité de non-prolifération ?
Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, la décision française de créer
un nouveau missile nucléaire stratégique, le M 51 - 10 milliards de francs sont
inscrits à cet effet dans la loi de programmation - de lancer un programme et
de construire un équipement de simulation des essais nucléaires en laboratoire
- 10 autres milliards de francs figurent dans la même loi - et de créer un
nouveau missile nucléaire aéroporté relève d'une volonté de poursuivre, sous
une forme certes atténuée, une certaine course aux armements.
Pourquoi n'a-t-on pas tiré le bénéfice diplomatique et politique de décisions
positives comme la signature des deux traités de dénucléarisation précédant
celui de l'interdiction des essais, le démantèlement des dix-huit missiles
stratégiques S3D du plateau d'Albion et du centre des essais du Pacifique, le
retrait des derniers missiles Hadès ou la fermeture des usines de production
militaire de matière fissile ?
S'agit-il d'une occasion perdue ou de la volonté de ne pas trop s'impliquer
dans le processus de désarmement ? La question reste posée.
D'autre part, ces crédits tendant à créer de nouveaux programmes nucléaires ne
seraient-ils pas plus utiles pour donner un peu d'oxygène aux grands programmes
visant à défendre notre espace national, qu'il s'agisse de la défense aérienne
avec l'avion le Rafale, qui devait assurer, à la fin de ce siècle, le
renouvellement, tant nécessaire dans certains domaines, de notre flotte
aérienne, du renouvellement, également incontournable, de notre marine
nationale, des programmes d'hélicoptères ou bien des commandes du char Leclerc
?
Ces crédits ne seraient-ils pas plus utiles pour donner un peu d'oxygène
salvateur à la Direction des constructions navales ou à GIAT-Industries ? Ne
pourraient-ils pas inverser la tendance au déclin imposée à notre industrie de
défense et éviter des drames humains en sauvant les emplois et le savoir-faire
industriel ?
L'arme la plus efficace cesse de l'être quand le bras qui la soutient devient
défaillant. Pour être crédible et efficace, la politique de défense doit aussi
s'appuyer sur les valeurs républicaines fondant l'esprit de défense des
Français.
Plus que toute autre politique, celle de la défense doit s'appuyer sur la
cohésion nationale et l'adhésion d'une large majorité de nos compatriotes.
Aussi, nous le répétons avec une profonde conviction, si la
professionnalisation de nombre d'unités de nos armées est une nécessité, on
peut être inquiet des conséquences de la suppression de la conscription sur
l'évolution du niveau de conscience civique de la jeunesse française, de son
niveau de compréhension des enjeux de défense et, globalement, sur l'évolution
de l'esprit de défense de notre pays.
Faute d'avoir été rénové à temps, le service militaire a perdu beaucoup de sa
crédibilité. Il est malade ; aidons-le à guérir ! Réformons-le ! Mettons-le au
goût du jour !
Certes, une telle réforme aurait été délicate à mener, mais, finalement, le
Président de la République et le Gouvernement n'ont-ils pas cédé à la facilité
en adoptant la solution de la suppression ? Nos armées n'ont-elles pas à perdre
en se privant d'une gestion intelligente du contingent ?
La professionnalisation d'un certain nombre d'unités et la participation
active des jeunes Français à la défense ou, à tout le moins, à une formation
militaire et civique de base ne sont-elles pas deux notions complémentaires ?
Bien entendu, nous répondons par l'affirmative.
Je n'ai pas envie de parler de ce « rendez-vous citoyen » tant il apparaît
comme un pauvre semblant de réponse à la suppression d'un des socles de notre
défense et de notre société, à propos duquel on pouvait lire fort justement
dans le Livre blanc de 1994 : « Le service national demeure le meilleur gage de
l'attachement de la nation et des citoyens à leur défense ».
Nous sommes inquiets, comme bon nombre de cadres militaires, face aux
interrogations et aux risques de désorganisation de pans entiers de nos
armées.
Aura-t-on assez de candidats à l'engagement ? Quel sera leur niveau moyen ?
Qui acceptera avec seulement le SMIC, ou légèrement plus, un contrat limité de
quatre ans, éventuellement renouvelable une fois ? Cette précarité fondant la
professionnalisation ne va-t-elle pas tirer nos armées vers le bas ? Comment et
par qui va-t-on remplacer ces milliers de jeunes appelés hautement qualifiés
qui jouent un rôle décisif dans le bon fonctionnement des unités ?
Nous aurons l'occasion, dans quelques semaines, de préciser notre projet d'un
service militaire pour tous, court, actif et utile, et de réaffirmer que
l'esprit de défense doit être l'affaire de chaque Français et non pas seulement
de ceux qui seront temporairement payés à cette fin.
Votre politique de défense, avez-vous répété, monsieur le ministre, s'inscrit
dans une perspective européenne.
A nouveau, nous souhaiterions attirer votre attention et celle du Sénat sur
les dérives actuelles et le flou préoccupant qui entourent cette conception.
S'agit-il de coopérations militaires, même au sens le plus large, avec nos
voisins de l'Union tout en gardant l'essentiel de notre souveraineté, la
maîtrise de nos forces armées et de nos technologies ? En ce cas, nous serions
bien évidemment d'accord.
S'agit-il de nous en remettre à d'autres, fussent-ils nos voisins et nos
alliés, pour faire face à d'éventuelles menaces visant notre territoire
national et nos intérêts vitaux ? S'agit-il de vouloir nous fondre dans un
nouvel ou ancien bloc militaro-politique supranational ? Si tel était le cas,
il faut bien le dire, rien ne serait plus dangereux.
Il est, par ailleurs, de plus en plus irritant de voir se cultiver, dans ce
domaine, comme dans d'autres, une sorte d'angélisme européen ou plus exactement
néo-atlantiste.
Permettez-moi de préférer le langage de la lucidité. Pour avoir une politique
de défense européenne commune, il faut avoir une vision politique commune, une
politique étrangère commune, une volonté commune d'indépendance européenne à
l'égard des Américains, une solidarité industrielle et commerciale militaire
commune. C'est loin d'être le cas.
Le premier acte politique de la France pour avancer dans cette perspective de
défense européenne aura été de réintégrer l'essentiel des commandements de
l'OTAN, qui est tout sauf une organisation marquant la nécessaire indépendance
européenne, puisqu'elle est dominée par les Américains, lesquels ne sont pas
prêts de transiger sur une rénovation à leur désavantage de l'Alliance...
M. le président.
Je vous prie de conclure, monsieur Bécart, faute de quoi M. Billard ne pourra
pas s'exprimer.
M. Jean-Luc Bécart.
Je conclus, monsieur le président.
L'hégémonie politique et industrielle des Américains dépend trop de leur
position dominante dans l'OTAN.
Telles sont, très résumées compte tenu du peu de temps qui m'était imparti,
les principales préoccupations des sénateurs du groupe communiste républicain
et citoyen. Elles sont exprimées avec la volonté de garder à notre défense
toute son indépendance, ce qui n'exclut pas les coopérations les plus
larges.
Comme vous le voyez, monsieur le ministre, les divergences avec ce que vous
proposez sont sérieuses et, pour certaines, profondes.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Je voudrais, à mon tour, me réjouir de ce débat voulu par M. le président du
Sénat et MM. les présidents de la commission des affaires étrangères et de la
commission des finances qui souhaitaient que, au-delà du débat budgétaire, nous
ayons une occasion d'échange avec vous, monsieur le ministre, sur un sujet qui
est grave.
Vous disiez tout à l'heure, en concluant votre intervention, qu'il fallait une
volonté et mettre au service de celle-ci une méthode dans un certain esprit,
celui de défense. Je crois que tous les sénateurs, quelles que soient les
travées sur lesquelles ils siègent, partagent et cette volonté et l'esprit de
défense. Restent les méthodes. Par ailleurs, il faut également placer la
défense d'un pays dans son contexte et prendre en compte ses objectifs.
Si vis pacem, para bellum,
disaient nos anciens : si tu veux la paix,
prépare la guerre. N'ayons pas peur des mots, c'est d'une éventuelle France en
guerre dont nous parlons aujourd'hui et de la préparation de ses moyens,
militaires en l'occurrence.
Quelle sera la nature de la bataille à laquelle nous serons confrontés ?
Personne n'en sait vraiment rien en cet instant. En revanche, nous constatons,
dans le monde entier, la montée des fanatismes, appuyés sur des masses
d'hommes. Très honnêtement, je ne crois pas que la dernière guerre du Golfe
soit le meilleur exemple de ce qui nous attend. En effet, nous n'aurons pas
tous les jours, face à un pays dont on nous disait que son armée était la mieux
équipée du monde, mais dont il a été prouvé qu'elle souffrait des mêmes défauts
techniques que ceux qui l'avaient préparée, un vaste désert pour déployer des
unités mécanisées face à d'autres unités moins mécanisées. Nous aurons
peut-être plus souvent à affronter, dans des circonstances plus complexes, des
masses de personnels militaires ou civils s'attaquant à nos intérêts ou se
présentant aux frontières de la France ou de l'Europe. Nous verrons bien !
Dans ces conditions, peut-on tourner totalement la page de la nation en armes
? Je n'en suis pas tout à fait persuadé,...
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Paul Girod.
... et je crains, monsieur le ministre, que, dans la méthode et dans
l'articulation des moyens, nous n'ayons, dans cette affaire, un peu sacrifié à
la « mode technologique », qui nous a fait faire beaucoup de bêtises dans
d'autres domaines, dans la mesure où les Français sont amoureux de la
performance technique, avant quelquefois de savoir à qui ils vendront ce qu'ils
ont fabriqué.
Bien sûr, nous vivons dans un environnement qui bouge, et je me réjouis pour
ma part - j'y vois même un symbole - de constater que, tout à l'heure, vous
nous avez parlé de cette réunion des pays d'Europe consacrée aux problèmes
d'électronique militaire et de surveillance satellitaire. J'ai pu à cette
occasion vous entendre dire qu'Allemands, Britanniques, Italiens et Français
collaboraient, c'est-à-dire les quatre nations qui ont participé aux deux
guerres mondiales sur le sol européen. Cela me semble témoigner d'une évolution
qui n'est peut-être pas encore complètement achevée, mais qui n'en est pas
moins tout à fait significative des états d'esprit.
Pour autant, si nous voulons entrer dans une défense européenne structurée,
pouvons-nous prendre des décisions de manière un peu isolée ? Pouvons-nous,
seuls, ne pas nous doter d'autre chose que d'une armée professionnelle, d'une
armée technicienne ? Les Américains ont leur garde nationale ; les
Britanniques, me semble-t-il, disposent de formations un peu identiques ; quant
aux Allemands, ils n'ont pas renoncé à la conscription.
Pouvons-nous vraiment penser que les rendez-vous citoyens doivent se limiter,
j'allais dire, à d'aimables conversations, à des formations complémentaires ou
à des repérages de handicaps, sans intégrer la nécessité de préparer lesdits
citoyens à, un jour, avoir éventuellement à dépasser leur individualité pour se
sacrifier au bénéfice de tous ?
Monsieur le ministre, sans jamais douter ni de votre volonté, ni de votre
patriotisme, ni de la réalité des contraintes à l'intérieur desquelles vous
évoluez, je crains que, là, nous n'ayons un peu oublié l'une des dimensions du
monde dans lequel nous vivons et, malheureusement, peut-être du monde dans
lequel nous entrons.
Mais je reviens aux aspects militaires, financiers et budgétaires de ce débat.
Vous avez dit, monsieur le ministre, que le projet de loi de finances pour 1997
- il s'agit en effet d'un pré-débat budgétaire - respectait scrupuleusement la
loi de programmation. Entre parenthèses, je regrette pour ma part que l'on ait
voté une loi de programmation et non pas une loi visant à transformer notre
appareil de défense, en en tirant les conséquences sur la programmation. Cela
aurait été plus logique. Mais passons sur cet aspect des choses. Vous avez donc
dit, monsieur le ministre, que le projet de loi de finances pour 1997
respectait scrupuleusement la loi de programmation. Je veux bien le croire,
d'autant que le président de la commission des affaires étrangères vient de le
confirmer. Mais qu'ai-je lu alors ce matin dans
Le Figaro
?
M. François Giacobbi.
Mauvaise lecture !
M. Paul Girod.
Je ne comprends plus très bien !
M. Maurice Lombard.
Changez de journal !
M. Paul Girod.
Si j'ai bien lu, le ministre de la défense appellerait les parlementaires à la
vigilance en la matière. J'avoue que cela n'est pas de nature à apaiser tous
les scrupules que j'ai exposés auparavant et qui sont - vous me permettrez de
le penser - d'une autre dimension.
Je suis donc un peu perplexe et je serai très attentif, monsieur le ministre,
aux réponses que vous voudrez bien donner au Sénat tout à l'heure.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà de
l'année à venir à laquelle est consacré le projet de budget que nous
examinerons prochainement, au-delà même des six années couvertes par la loi de
programmation que nous avons récemment adoptée, ce débat est pour nous
l'occasion de porter plus loin notre regard sur la politique de défense, de
recenser quelques interrogations et d'insister sur les orientations qui nous
paraissent fondamentales.
Nous savons que dans la volonté du Gouvernement, que vous venez de nous
rappeler, monsieur le ministre, d'adapter notre dispositif de défense au XXIe
siècle, il y a autre chose qu'un simple artifice rhétorique destiné à justifier
une réduction des crédits, une diminution des effectifs ou un resserrement des
équipements. Mais il est indispensable que cette volonté ne soit ni inspirée ni
infléchie par des considérations circonstancielles, si pressantes soient-elles,
de réduction de déficits et de redressement financier.
De quoi s'agit-il en effet ? Il s'agit essentiellement, face à la rupture des
grands équilibres stratégiques qui ont figé la situation pendant près d'un
demi-siècle, de repenser et d'adapter les missions de nos armées et la
conception même de notre défense, et cela à un moment où, qui plus est, les
innovations technologiques bouleversent profondément, en les accroissant, les
capacités des systèmes d'armes et d'information. Tout cela a, du reste, déjà
été dit.
Mais, dans cette situation que je viens de rappeler, il me semble que
n'apparaît pas toujours, ou pas suffisamment, le rôle essentiel, irremplaçable
de ce qui fait la force principale des armées, de la nôtre plus
particulièrement. Je veux parler de ce que l'on appelle les ressources humaines
de la défense alors que, pour ma part, je préfère dire plus simplement : les
hommes et les femmes de la défense.
C'est bien là, dans les perspectives qui ne sont pas celles d'une ou de
quelques années, que se trouve le centre des préoccupations qui doivent nous
habiter dans cette période de mutation. Ces préoccupations, je les énumérerai
brièvement.
S'agissant d'abord des effectifs, l'ampleur des modifications est telle qu'il
faut remonter à la fin de la guerre d'Algérie pour retrouver une situation
analogue. Mais la fin de la guerre d'Algérie avait une signification concrète
et très palpable : l'indépendance d'une province de la République française
depuis plus d'un siècle et la fin d'un conflit auquel des centaines de milliers
de jeunes Français avaient participé.
La diminution des effectifs n'avait alors pas besoin de beaucoup
d'explications, d'autant qu'elle avait lieu en même temps qu'une réduction de
la durée du service militaire. Les faits parlaient d'eux-mêmes. En outre, cette
période du début de la Ve République coïncidait avec la rénovation et
l'expansion de notre industrie de défense.
Tout autre est la situation actuelle. Pour réelles que soient les mutations
des données stratégiques ou technologiques, elles ne sont pas directement
visibles, elles sont abstraites. Or la restructuration de notre outil de
défense conduit à « trancher dans le vif » : celui des effectifs de la défense,
mais aussi, ne l'oublions pas, des effectifs des industries de défense.
D'un côté, donc, des effets qui touchent directement à la subsistance, à
l'emploi, au cadre de vie et à la vie quotidienne, et, de l'autre, des causes
beaucoup moins directement saisissables, plus lointaines dans leur origine,
plus complexes dans leur manifestation, plus difficiles à appréhender, donc,
par voie de conséquence, à admettre.
C'est la raison pour laquelle je voudrais d'abord insister, monsieur le
ministre, sur la poursuite indispensable de l'information, de la concertation
et du dialogue au sein des armées ; vous l'avez évoquée tout à l'heure à
plusieurs reprises.
Cela implique que toutes les structures de concertation soient utilisées -
vous l'avez également dit - et, le cas échéant, revitalisées. Le personnel de
la défense ne doit jamais être coupé de la société, car il fait aisément des
comparaisons de plus en plus précises et pose des questions de plus en plus
nombreuses, et cette tendance ne fera que s'amplifier. Il faut donc non
seulement répondre à cette demande d'information, mais également essayer de la
prévenir et, pour cela, il faut mieux la connaître.
J'ai parlé de dialogue. A cet égard, je voudrais dire quelques mots qui
concernent plus particulièrement les militaires.
Il n'y a pas de dialogue possible sans une certaine liberté d'expression.
Mais, dans ce domaine, les militaires dans notre pays connaissent toujours ce
qu'un juriste célèbre avait appelé le « cantonnement juridique », et que
d'autres ont nommé plus trivialement « la grande muette ».
Là aussi, les militaires peuvent établir des comparaisons, d'autant plus que
se multiplient les rapprochements avec les armées des autres pays européens. Or
ces rapprochements isolent les militaires français dans une situation qui,
jusqu'à présent, a peu évolué. Une évolution paraît d'autant plus nécessaire
que nous nous orientons vers une professionnalisation accrue des armées,
professionnalisation qui peut faire craindre, pour certains, une coupure entre
l'armée et la nation.
Le silence des militaires - qui plus est dans une société hautement médiatisée
- les tiendrait plus encore à l'écart de la vie nationale. Dois-je ajouter que
la liberté d'expression des militaires est, sans doute, l'un des meilleurs
moyens d'empêcher les procès d'intention qui risquent d'être faits, demain, à
une armée professionnelle ?
Il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine.
Vous aviez, fort justement, monsieur le ministre, demandé aux militaires de
participer aux débats locaux sur l'avenir du service national. Pour une raison
ou pour une autre, cette participation n'a été, me semble-t-il, ni très large
ni très déclarative.
J'ai évoqué le lien entre l'armée et la nation, lien que la
professionnalisation peut relâcher ; il faut donc veiller à son maintien et, le
cas échéant, à son resserrement. Ni les autorités civiles ni les autorités
militaires ne peuvent s'en désintéresser.
De ce point de vue, monsieur le ministre, j'avoue ne pas y voir très clair.
J'ai même une certaine appréhension dont je tiens à vous faire part : la
mission de projection de nos forces hors du territoire national, mission voulue
essentielle et qui justifie en particulier la professionnalisation, ne
risque-t-elle pas d'étouffer toutes les autres missions qu'il n'a jamais été
question, à ma connaissance, d'abandonner, en particulier les missions qui sont
liées à la défense du territoire ?
Faut-il rappeler que la résurgence d'une menace majeure contre l'Europe
occidentale, contre notre territoire national, si elle est peu vraisemblable
aujourd'hui, ne peut être écartée, car, comme le rappelle le Livre blanc sur la
défense, elle présente « un risque mortel » ?
A cela s'ajoutent d'autres menaces sur le territoire national, menaces qui
visent notre sécurité intérieure ; je ne les énumérerai pas, sauf à rappeler
que le plan Vigipirate a exigé le renfort de cinquante mille appelés. Or ce
n'est pas l'accroissement des effectifs de la gendarmerie, tel qu'il est prévu,
qui permettra de fournir le complément requis pour affronter ces menaces
intérieures. Il paraît donc indispensable de prévoir les moyens d'une « montée
en puissance » et de prêter une attention particulière au problème des réserves
; vous avez évoqué cette question à plusieurs reprises, monsieur le ministre,
et elle doit faire l'objet d'un débat. Qu'en est-il actuellement ? C'est bien,
en effet, dans la défense du territoire national, dans l'appel aux réservistes
que se noue le lien le plus fort entre l'armée et la nation.
Le rendez-vous citoyen, dont plusieurs collègues, en particulier M. de
Villepin, ont parlé tout à l'heure, doit, du reste, contribuer à concrétiser ce
lien. Il importe que les armées soient étroitement impliquées dans ce
rendez-vous, dont la mise en oeuvre sera sans doute difficile. Il faut tenir
compte de cette responsabilité des armées et de la charge qu'elle entraîne dans
l'allocation des ressources qui lui sont destinées. Je sais que le Sénat en
discutera dans quelque temps. Pouvez-vous toutefois nous donner d'ores et déjà
quelques précisions à cet égard, monsieur le ministre.
Ce rendez-vous citoyen doit être notamment l'occasion de susciter le
volontariat, a-t-on dit. On peut, certes, compter sur la générosité de la
jeunesse, sur son goût pour servir. Encore faut-il que les armées puissent
trouver une ressource en volontaires de qualité et répondant à leurs
besoins.
En ce qui concerne le niveau de la rémunération, des bruits courent qui, s'ils
étaient fondés, augureraient mal de la mise en place du nouveau format des
armées. Ici aussi, pouvez-vous, monsieur le ministre, nous apporter quelques
éclaircissements ?
Je souhaite attirer maintenant votre attention sur deux faits dont je viens de
prendre connaissance.
Dans le projet de loi de finances pour 1997, plus précisément dans le projet
de budget des affaires sociales, figure une diminution des dépenses de
rémunération des appelés du service national « objecteurs de conscience » sur
la base d'une réduction de vingt à douze mois de la durée de leur service.
Jusqu'ici, cette durée était fixée par la loi au double de celle du service
national, qu'il n'est pas prévu de modifier en 1997. Peut-être s'agit-il d'une
erreur.
En tout état de cause, cette disposition ne risque-t-elle pas de provoquer un
accroissement important et immédiat du nombre des objecteurs de conscience,
auquel cas elle deviendrait inopérante ?
De toute façon, cette mesure risque d'être mal comprise, non seulement parce
qu'elle anticipe un projet de réforme du service national qui ne nous a pas
encore été soumis, mais également parce qu'elle pourrait être perçue, à
certains égards, comme une incitation à ne pas effectuer le service
national.
Le second fait concerne le budget des anciens combattants : il y est prévu une
modification du code de calcul des pensions d'invalidité qui toucherait, à la
baisse, 12 000 militaires, retraités pour la plupart, et quelque 2 200
veuves.
Je conclurai mon intervention en rappelant un anniversaire, parce qu'il est un
peu symbolique de mon propos introductif.
Voilà cinquante ans, cette année, que le droit de vote a été reconnu aux
militaires. Je suis sûr que ce rappel étonne, rétrospectivement, bon nombre
d'entre nous.
Il est inutile de rappeler que les militaires sont des citoyens comme les
autres. C'est leur civisme et celui de tout le personnel de la défense qui
assureront la réussite de la vaste entreprise de réforme dont le Gouvernement
vous a confié la tâche, monsieur le ministre. Dans cette entreprise, le «
rendez-vous citoyen » est de tous les jours.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants, et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet.
Monsieur le ministre, j'ai le privilège, par rapport à nombre de mes
collègues, d'appartenir à une région où l'armée de terre est maintenue, mais ce
n'est pas un hasard car c'est dans cette région que sont situés les grands
camps de Champagne. Nos parents et grands-parents ont beaucoup donné pour
réaliser ces vastes étendues de camps militaires, avant et après les deux
guerres mondiales.
Le temps passe très vite, vous le savez, monsieur le ministre. Notre dernier
débat sur la défense de notre pays ne date que de quelques mois, à la suite, il
est vrai, de la décision de M. le Président de la République de transformer
notre armée de conscription en armée professionnelle.
Monsieur le ministre, c'est vous qui connaissez les exigences de telles
mutations, pour obtenir une efficacité à moindre coût. Ce n'est pas
l'intervention des parlementaires qui doit vous faire changer, parce que cette
efficacité à moindre coût n'est pas de leur responsabilité ; eux doivent agir
sur le terrain.
Les militaires, que je côtoie régulièrement, attendent de vous, le plus tôt
possible, des précisions sur cette réorganisation. Vous venez d'ailleurs de
donner quelques éléments de réponse dans votre intervention. Compte tenu de
notre responsabilité politique, nous demandons encore plus de concertation
préalable. Nous devons garder à l'esprit, nous, élus et administrés, notre
rôle. La France ne doit pas être « eux et nous », elle doit rester notre valeur
de liberté. Nous devons garder à l'esprit notre histoire, sur laquelle repose
cette liberté.
C'est ainsi que j'ai mis en place, dans notre région, une structure de
réflexion qui, comme vous l'avez proposé, monsieur le ministre, regroupe
l'Etat, le département, les élus, les militaires et qui a débouché sur la mise
en place d'un comité de pilotage. Celui-ci se charge du suivi d'une étude des
besoins en matière d'habitat et d'emploi pour le futur. Cette déclaration, j'en
suis conscient, peut choquer nombre de collègues qui souffrent du départ de
leurs militaires et de l'arrêt de l'activité d'ateliers et d'usines d'armement.
Mais ne rien dire sur l'avenir de notre armée dans ma région serait pour moi
une démission.
Pour en revenir plus précisément au débat, je constate, comme tout un chacun,
que l'année 1996 aura été particulièrement importante pour le département
ministériel dont vous avez la charge, monsieur le ministre. En effet, depuis le
début du nouveau septennat, nous avons assisté à une redéfinition totale de
l'outil de défense. Cela a été dit. La force de dissuasion a été ramenée de
trois à deux composantes, la professionnalisation des armées a été actée par la
loi de programmation militaire, la réduction d'environ un tiers du format des
forces a été entérinée par cette même loi et la restructuration de l'outil
industriel a été mis en place. Tout à l'heure, M. Paul Girod a effectivement
posé de bonnes questions, nous incitant à réfléchir sur cette grande
décision.
La présente discussion intervient donc entre le Livre blanc, les déclarations
du Président de la République, l'examen du budget proprement dit, le projet de
loi de professionnalisation de l'armée qui a déjà été adopté par l'Assemblée
nationale et qui sera bientôt examiné par le Sénat, et les lois prévisibles
concernant le service national et la réforme des réserves. « Ampleur de ce défi
», avez-vous dit, monsieur de Villepin, vous qui avez parlé en spécialiste de
ces questions et que je tiens à féliciter.
La professionnalisation concerne essentiellement l'armée de terre, les deux
autres armes étant, dans les faits, déjà semi-professionnalisées. C'est donc
l'armée de terre qui va devoir supporter les plus grandes mutations
administratives, techniques, mais aussi morales.
Je sais, vous venez d'ailleurs de le rappeler, monsieur le ministre, que le
Gouvernement travaille sur une série de mesures pour accompagner cette mutation
très profonde de l'armée de terre française. Dans ces conditions, je
consacrerai plus mon propos à l'aspect moral des problèmes.
L'armée de terre aura connu en ce XXe siècle un destin particulier : deux
guerres mondiales, des conflits liés à la décolonisation, des crises morales
nées de la défaite ou de la crise algérienne, l'entrée de l'armée dans
l'aventure industrielle et l'aventure nucléaire. Bref, entre l'armée de terre
française telle qu'elle était lorsque j'étais un enfant - on allait se promener
avec les chevaux, c'était un rêve - et ce qu'elle sera au terme de cette loi de
programmation - il faut être de son temps - les changements auront été
colossaux. Une seule chose n'aura pas changé : la mentalité du monde militaire
ou, pour parler plus précisément, le système de valeurs qui anime sa vocation
au service du pays et de la République.
En cette période de bouleversements sociaux et psychologiques collectifs, il
me paraît utile que soit rappelée la constance de la volonté de servir qui
anime nos militaires, la constance de leur capacité à se dépasser humainement
et la constance de leur capacité de sacrifice si besoin en était.
Sans excès ni gloriole, il convient de rappeler ces fondements moraux de
l'armée. Il faut le dire, le répéter et même le crier : comme d'autres
institutions, l'armée est gardienne de la France, de l'identité nationale. Je
dis cela sans aucun esprit militariste, mais simplement parce que l'armée a été
engagée au service de la France dans les heures les plus graves de son
histoire. Donc, là aussi, il ne faudrait pas que la professionnalisation se
traduise par une ghettoïsation ou par un oubli, vous l'avez souligné, monsieur
le ministre. Nous devons travailler dans ce domaine. Les valeurs de l'armée de
terre ne sont pas seulement des valeurs professionnelles. Elles concentrent des
valeurs qui ont une vocation universelle. D'autres débats, au printemps
prochain, nous permettront d'affiner cette vocation.
Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le ministre. Je sais combien, par
votre action, vous avez déjà illustré et manifesté cette conception, en tenant
compte de l'environnement européen, car celui-ci est, en effet, très
important.
Monsieur le ministre, mon soutien, ainsi que celui de mes collègues du groupe
de l'Union centriste, vous est acquis. Certes, des différences appréciation se
font jour pendant cette période de transition ô combien difficile, mais nous
sommes tous bien conscients que l'intérêt de notre pays et de l'Europe, c'est
de réussir la mise en oeuvre de cette importante décision.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « on peut
empêcher parfois en politique les questions de naître, mais il en est qu'il
faut résoudre une fois qu'elles sont posées ». Ainsi s'exprimait Jules
Ferry.
La question de l'avenir de notre défense nationale est posée, notamment depuis
la guerre du Golfe. Au demeurant, le précédent gouvernement le pressentait
bien, lui qui mit en chantier le Livre blanc sur la défense destiné à
appréhender les nombreuses évolutions internationales intervenues depuis
1989.
De fait, ne nous cachons pas la réalité : la défense de la France a été
confrontée à de réelles difficultés.
Des difficultés opérationnelles, tout d'abord, car les récents conflits,
notamment dans le Golfe, ont démontré que l'organisation de notre défense et sa
structure répondaient moins bien que par le passé aux risques qui pèsent sur
notre sécurité. Cela était naturel puisque, très largement, ces risques ont
changé. Chacun s'accorde à dire que la « donne stratégique » a évolué, avec des
menaces plus diffuses mais tout aussi réelles et tout aussi dangereuses. Il
fallait en tenir compte.
Difficultés économiques et financières, ensuite, auxquelles a été confrontée
notre défense. En effet, avec le développement concomitant de plusieurs
programmes militaires majeurs, nous nous trouvions tout simplement face à un
mur financier, et ce précisément au moment où la situation économique et
budgétaire de notre pays apparaissait en pleine lumière pour ce qu'elle était,
c'est-à-dire très difficile.
Difficultés politiques, enfin, car les crises que j'ai citées ont démontrées
qu'un Etat, fût-ce le nôtre, ne pouvait agir efficacement face à une menace
importante que dans le cadre d'une vaste alliance.
A-t-on réagi suffisamment vite face à ces trois séries de difficultés ? Pour
des raisons que nous connaissons tous, la politique de défense de la France a
été, pour employer un jargon typiquement militaire, mise « sous cocon » au
cours des dernières années.
Ni un exposé des motifs, ni une loi, ni un rapport annexé, ni même un Livre
blanc sur la défense n'ont le pouvoir, hélas ! d'éviter la vérité. Si la
politique est la magie du rêve, elle n'est pas que cela. Elle est aussi le
courage de l'action.
Ainsi, les débats retardés, les choix esquivés devaient, tôt ou tard,
réapparaître. L'élection d'un nouveau Président de la République et la
désignation d'un nouveau gouvernement étaient les conditions nécessaires à
cette réapparition. Elles en furent aussi la condition suffisante.
Le temps d'un nouveau départ pour notre défense était arrivé.
C'est ainsi que le chef de l'Etat a courageusement et heureusement tranché la
question, trop longtemps éludée, de la professionnalisation.
En cette matière, certains souhaitaient manifestement le
statu quo,
comme si rien n'avait changé, comme si le temps avait suspendu son vol dans le
domaine militaire.
Pourtant, des crises récentes, dans le Golfe ou en ex-Yougoslavie, ont
démontré que notre organisation militaire devait être réexaminée. Quels
étaient, en effet, les enseignements de ces conflits ?
Premier enseignement : la France est l'un des pays occidentaux qui consent le
plus important effort pour la défense. Or, paradoxalement, nos capacités
réelles de projection de forces en effectifs sont singulièrement réduites par
comparaison à celles de certains de nos partenaires, par exemple la
Grande-Bretagne.
Deuxième enseignement : une fois « projetées », des forces comprenant des
appelés, même volontaires, peuvent se révéler, pour des raisons politiques,
plus difficiles à engager que des unités purement professionnelles.
Troisième enseignement : les conflits ne ressembleront plus à ceux du passé.
Ce n'est plus une nation en armes qu'il faut mobiliser contre une autre nation
en armes. A présent, ce qui compte pour faire la décision, c'est l'envoi rapide
et en nombre significatif de troupes bien entraînées, bien armées, maîtrisant
les formes du combat moderne.
De ces éléments, il découle qu'il faut aujourd'hui une réelle et large
professionnalisation de l'armée française.
La question qui nous est posée est donc de savoir non plus quel sera l'avenir
du service national, mais comment assurer la professionnalisation de nos
armées.
Le service national obligatoire, ne l'oublions pas, constituait à l'origine un
instrument, un moyen au service de notre défense face à une menace identifiée.
Il n'était ni un but, ni un principe, pas plus qu'il ne correspondait à un
idéal républicain : les hommes de Valmy n'étaient d'ailleurs pas des
conscrits.
Dès lors que l'intérêt de la nation, l'intérêt de sa défense le commandent, au
nom de quoi pourrait-on s'opposer ou différer même la professionnalisation de
nos armées ?
Fallait-il une nouvelle catastrophe, comme notre entrée en guerre en 1939 sans
moyens blindés suffisants, pour décider tous les conservateurs à regarder vers
l'avenir, et non vers le passé ?
En réalité, la quasi-totalité des personnes qui ont eu à examiner ce dossier
s'accordent sur un point fondamental : la professionnalisation est nécessaire.
Elle est indispensable. Face aux nouvelles menaces, il ne nous est plus
possible d'en rester au système mixte qui, jusqu'à présent, était le nôtre.
Faut-il pour autant supprimer le caractère obligatoire du service national ?
Pour répondre à cette question, écartons les faux-semblants ou les
approximations. Le service actuel, tout le monde le sait, est inégalitaire. Il
le serait bien plus encore, et sans doute à un niveau intolérable, dans le
cadre d'une professionnalisation accrue. En effet, les besoins d'appelés étant
réduits, les exemptions seraient massives. Elles deviendraient injustifiables.
Elles constitueraient, sur le plan moral, mais aussi sur le plan juridique, une
inacceptable rupture de l'égalité des citoyens.
En réalité, une seule solution s'impose : un service volontaire. Elle est la
conclusion à laquelle ont abouti tant le Sénat que l'Assemblée nationale.
Pour que cette formule soit une réussite, le Sénat a suggéré qu'elle soit
accompagnée d'un certain nombre de mesures. Le projet du Gouvernement dont nous
connaissons, par votre voix, monsieur le ministre, les contours, tient compte
de ces propositions. Le principe de la conscription serait ainsi maintenu, ce
qui permettrait de la réactiver en cas de circonstances exceptionnelles. Pour
cela, le recensement serait non seulement conservé mais étendu en 2002 aux
jeunes filles.
Un rendez-vous citoyen sera établi permettant de soumettre les jeunes gens à
des examens médico-psychotechniques, de leur rappeler les grandes lignes de nos
institutions, de les sensibiliser aux enjeux de la défense nationale, de leur
présenter les possibilités existant en matière de volontariat et de marquer
symboliquement leur passage à l'âge de la majorité. Il s'agit bien là
effectivement d'une question de société, dans laquelle la défense prendra sa
part.
Enfin, le volontariat, qui pourrait s'exercer dans trois domaines - la
défense, l'action sociale et la coopération internationale - serait encouragé
sous forme d'aides diverses, notamment pour la vie professionnelle.
Pourquoi bouder notre plaisir ? Il s'agit bien là des grandes orientations
arrêtées par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées, sous l'autorité de son président, M. Xavier de Villepin.
M. Yves Guéna.
Très bien !
M. Serge Vinçon.
Mais, je l'ai dit, le service national n'était qu'un instrument, un moyen pour
un but qui le dépasse : la défense de la nation. Et cette défense comporte
d'autres piliers.
Avouons-le, celui qui était le plus fragilisé était le pilier financier. Le
Gouvernement l'a consolidé, en nous proposant une nouvelle loi de
programmation, plus réaliste, plus sincère et donc plus crédible. Elle succède
à trop de lois non respectées, à trop de lois irréalistes qui ont conduit les
industriels, mais aussi les militaires, à douter de la parole de l'Etat.
Cette loi fait des choix, retient les priorités. C'est pour nous la meilleure
garantie. Naguère, tous les programmes étaient maintenus en dépit de
l'évolution du contexte stratégique et de la situation de nos finances
publiques ; aujourd'hui des choix sont arrêtés.
Continuer sur cette voie - convenons-en - aurait été l'assurance qu'aucun des
grands programmes militaires n'aurait pu, en définitive, être réalisé. Nous
étions face à un mur financier impossible à franchir. Nos efforts d'aujourd'hui
garantissent en vérité l'emploi de demain.
Cette loi, le Gouvernement la respecte. Il s'agit d'un heureux précédent ! Le
projet de budget pour 1997 correspond bien à la première annuité de la
programmation. Après le doute et la défiance, il est aujourd'hui possible de
reconstruire une relation de confiance sur des bases saines entre l'Etat, les
militaires, les industriels. Le respect de la programmation constitue en outre
un élément fondamental pour l'avenir de nos industries de défense en assurant
aux entreprises une prévision de leurs plans de charges.
Certes, nous sommes préoccupés par les conditions d'exécution de la future
gestion budgétaire, notamment au regard des ajustements consécutifs à la prise
en compte des opérations extérieures, des charges nouvelles et des aléas
inévitables du déroulement des programmes.
Mais le Président de la République, qui a mis en oeuvre une réforme
historique, a tenu à nous rappeler, lors de sa récente visite à la base
aérienne d'Avord, le 27 septembre dernier, qu'il s'engageait à ce que les
armées disposent effectivement des moyens que la loi de programmation prévoit
de leur attribuer.
Il reste cependant vrai que, pour bien aborder le premier exercice de la loi
de programmation, il faut impérativement que l'exercice 1996 se termine dans de
bonnes conditions,...
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. Serge Vinçon.
... sans transfert de charges sur le budget de 1997.
Il s'agit d'un impératif qui doit s'imposer à Bercy.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union
centriste.)
Le Gouvernement ne se contente pas de faire voter et appliquer des lois ;
il ouvre, un à un, tous les chantiers difficiles qui lui ont été légués : la
réforme de la délégation générale pour l'armement en est un exemple.
C'est là un point capital. En effet, la DGA est le principal gestionnaire des
crédits d'équipement du ministère de la défense, puisqu'elle gère 80 % de
ceux-ci, ce qui représente 70 milliards de francs. Cette réforme s'imposait,
car, de par son action vis-à-vis à la fois des armées et des industriels, la
DGA se trouve au coeur du processus de conception et de réalisation des
armements. La réduction des coûts et des délais des programmes d'armement, à
hauteur de 30 % sur les six ans de la programmation, est le maître mot de la
réorganisation. Les orientations de la réforme qu'il est demandé à la DGA de
mettre en oeuvre consistent à donner aux directeurs de programmes, qui sont une
centaine aujourd'hui, des moyens considérablement accrus au sein d'une
organisation de type matriciel.
Ainsi, trois directions seront plus directement chargées des programmes : la
direction des systèmes de forces et de la prospective mènera les actions
consistant à préparer les programmes, la direction des systèmes d'armes
conduira les programmes navals, terrestres et aéronautiques, et la direction
des programmes, des méthodes d'acquisition et de la qualité sera responsable de
la synthèse des programmes et des méthodes liées à sa conduite.
Bien sûr, les projets envisagés ou annoncés sont perfectibles ; mais
l'essentiel est qu'ils vont dans le bon sens, celui de la pérennisation du
socle de notre indépendance nationale et de notre industrie de défense.
La professionnalisation des armées, la programmation militaire et la
restructuration de l'industrie de défense figurent parmi les volets
fondamentaux d'une rénovation de notre défense complète et cohérente auxquels
s'ajoute le renouveau de notre diplomatie.
Déjà ravivée depuis 1993, après de longues années de renoncements, notre
politique étrangère a repris, avec le chef de l'Etat, la stature qui aurait
toujours dû être la sienne. « La vocation de mon pays, disait Bernanos, n'est
pas de donner la grandeur ou la richesse au monde, c'est d'y maintenir
l'espérance ». Aujourd'hui, la France maintient l'espérance. N'est-ce pas sous
l'impulsion du Président de la République que le conflit yougoslave s'oriente
vers une issue ? La France ne fait-elle pas entendre sa voix pour éviter que
l'on ne fasse « une croix sur le Liban » ? Ne s'engage-t-elle pas résolument en
faveur de l'interdiction des essais nucléaires, puisqu'elle a signé le traité
CTBT ? Ne travaille-t-elle pas avec ardeur, en essayant d'entraîner ses
partenaires européens, à une solution équitable au différend
israélo-palestinien ? Ne voit-on pas qu'elle représente un espoir non seulement
pour les Palestiniens, mais aussi pour les Israéliens épris de paix ? Ne
porte-elle pas la voix de l'Europe au Moyen-Orient ?
Tous ces exemples démontrent que nous restons fidèles à notre vocation si bien
exprimée par le général de Gaulle : « La vie internationale, comme la vie tout
court, est un combat. Celui que soutient notre pays tend à unir, non à diviser,
à ennoblir, non à abaisser, à affranchir, non à dominer. Ainsi suit-il sa
vocation qui fut toujours et qui demeure humaine et universelle. »
Son histoire, sa culture, mais aussi la volonté de son peuple interdisent à la
France un retrait de l'histoire mondiale, qui serait, en fait, un reniement.
Au demeurant, la France exerce des responsabilités mondiales, au travers
notamment du Conseil de sécurité des Nations unies, qu'elle se doit
d'assumer.
Sa présence sur toutes les mers du monde, son influence, par sa langue, par
l'image qu'elle donne, par le combat qu'elle mène, lui imposent les dures mais
exaltantes rigueurs d'un engagement constant, multiple, mondial.
Pour mener ce combat, qui, parfois, nécessite de montrer sa force, voire d'en
user, la France doit disposer d'une armée efficace et forte, projetable. C'est
cela l'enjeu de la politique du Gouvernement et l'enjeu de notre débat.
Mais la politique étrangère est aussi l'un des fondements de notre défense. La
guerre du Golfe et le conflit yougoslave ont montré qu'une crise majeure ne
pouvait être prise en compte que dans le cadre d'une alliance. A cet égard,
deux voies s'offrent à la France : l'Europe et l'Alliance atlantique.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous interroger sur ces deux sujets.
S'agissant tout d'abord de la Conférence intergouvernementale, ses résultats
peuvent être déterminants pour notre sécurité et pour la sécurité de l'Europe.
Des avancées semblent avoir eu lieu à Dublin. Pouvez-vous nous les exposer et
nous faire part de votre sentiment sur les perspectives d'avenir de la
politique étrangère et de sécurité commune ?
J'aborderai un aute dossier politico-militaire, à savoir celui de nos
relations avec l'OTAN. Le Conseil atlantique de Berlin, les 3 et 4 juin
dernier, avait suscité d'importants espoirs. L'OTAN semblait disposée à se
réformer de façon à permettre l'émergence d'un véritable «pilier européen de
l'Alliance » en son sein. Depuis, la volonté américaine d'y parvenir paraît
moins assurée, et la rénovation de l'Alliance atlantique donne l'impression de
marquer le pas.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous présenter la situation et nous dire si
les espoirs du printemps sont toujours d'actualité ?
Confrontée à des difficultés opérationnelles, économiques et politiques, notre
défense a longtemps paru figée. Sans doute, face à l'ampleur des problèmes,
certains ont-ils été effrayés et ont-ils préféré laisser le temps au temps.
Mais « l'abstention mène à la décadence, les nations ne sont grandes que par
l'activité », prévenait Jules Ferry. Il est aujourd'hui loisible à tous et à
chacun de critiquer sur tel ou tel point la politique du Gouvernement. N'est-ce
pas le signe d'une politique de vraie réforme que de déplaire et de bousculer
certaines situations ? Mais nul ne peut contester que cette politique existe.
Nul ne peut prétendre qu'elle n'est pas inspirée par le souci de l'intérêt
national. Nul ne peut oublier qu'en quelques mois nous sommes passés de
l'immobilisme au redressement national.
Parce qu'il en va de l'intérêt de la France et parce que nos concitoyens n'ont
cure des oppositions tactiques, des hypocrites réticences, des antagonismes
partisans, nous vous soutenons et nous vous soutiendrons dans votre oeuvre,
monsieur le ministre, dans l'oeuvre du Gouvernement, dans l'oeuvre de la
République ravivée.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë.
Monsieur le ministre, après le président de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, M. de Villepin, et plusieurs
autres parlementaires, je veux d'abord me réjouir de la tenue d'un débat sur la
politique de défense. Je n'oublie néanmoins pas, comme le notait d'ailleurs
votre collègue M. François Fillon dans un article daté du 22 février 1996, que
notre outil de défense doit être en adéquation avec les objectifs de notre
diplomatie et s'insérer dans le cadre de la construction européenne en matière
de sécurité.
Pourquoi, dès lors, ne pas innover ? Puisque, au Sénat, les affaires
étrangères et la défense sont regroupées dans une seule et unique commission,
ce qui me paraît politiquement intelligent, ne serait-il pas opportun
d'organiser un débat commun sur ces deux sujets plutôt que deux débats
distincts ?
La réforme de notre outil de défense, décidée par le Président de la
République le 22 février dernier, est sans conteste la réforme la plus
importante depuis l'adoption de la stratégie de dissuasion nucléaire.
Toutefois, elle n'est compréhensible que si elle est reliée aux décisions
prises voilà moins d'un an. En effet, à ce moment-là, le Gouvernement a décidé
d'amorcer un processus de réintégration des instances militaires de l'Alliance
atlantique. Ce faisant, le Gouvernement a privilégié une démarche atlantiste,
croyant ainsi ouvrir une nouvelle voie vers la constitution d'une entité
européenne de défense.
A l'époque, je n'étais pas hostile - je vous l'avais d'ailleurs dit ici même,
monsieur le ministre - au principe du retour de la France, pour des raisons
conjoncturelles, au sein du comité militaire.
En effet, la carte géopolitique de l'Europe s'est profondément modifiée en
quelques années : les forces conventionnelles de ce qui fut l'une des deux
grandes puissances militaires mondiales sont en train de se désagréger, mais la
Russie conserve son statut de deuxième puissance nucléaire, procédant toujours
à des tirs d'essais de missiles stratégiques et construisant un complexe
souterrain dans l'Oural, destiné à être le futur centre de commandement
nucléaire. Le désordre qui règne en Russie dans les forces armées, illustré
récemment par le conflit tchétchène, ne peut que nous inquiéter. N'oublions pas
que Moscou dispose encore de près de 22 000 armes nucléaires tactiques qui ne
sont soumises à aucun contrôle et qui sont gardées dans des conditions que nous
ignorons.
La multiplication des tensions en Europe, débouchant sur une guerre civile
dans les Balkans, nous impose de repenser nos alliances et de trouver des
moyens, y compris militaires, de résolution des crises. Présents aux côtés de
nos alliés dans l'opération
Deny Fligh
, puis dans l'IFOR, sous contrôle
opérationnel de l'OTAN, nous pouvions comprendre que le ministre français de la
défense et le chef d'état-major puissent siéger de nouveau aux côtés de leurs
homologues. Mais la décision de décembre 1995 ne fut pas un simple
réaménagement technique.
La France a fait clairement le choix de réintégrer l'OTAN. Vous avez fait sans
négociations et sans contreparties ce que les Américains réclamaient depuis des
années. En juin, ici même, je craignais déjà que vous n'ayez conclu un marché
de dupes. Aujourd'hui, dans les négociations concernant les commandements
régionaux, vous découvrez l'un des aspects de l'Alliance atlantique : c'est une
alliance de sécurité, certes, mais sous hégémonie américaine.
Vous avez justifié le revirement français au motif que l'Alliance atlantique
allait changer, se rénover, bref qu'elle allait devenir une nouvelle alliance.
Mais, surtout, monsieur le ministre, votre argument principal fut que,
désormais, l'identité européenne de défense serait prise en compte par l'OTAN
au travers de l'édification d'un pilier européen.
Actuellement, cette rénovation connaît une pause en raison de l'élection
présidentielle américaine. C'est dire que le véritable chef de l'Alliance
atlantique est non pas en Europe mais à Washington ! J'en veux pour preuve la
déclaration du président Clinton le 6 septembre dernier : « A ma demande, le
secrétaire d'Etat Christopher a lancé un appel en vue d'un sommet de l'OTAN
l'année prochaine, pour engager les prochains pas, élargir l'Alliance
atlantique et la préparer au XXIe siècle. » Comme si cela ne suffisait pas,
hier encore, à Detroit, le président des Etats-Unis confirmait cette volonté de
diriger l'Alliance en annonçant unilatéralement son élargissement et en en
fixant même la date - 1999 - sans avoir consulté ses partenaires de
l'Alliance.
Au-delà du mot « rénovation », il y a la réalité. Les experts stratégiques ne
s'y sont pas trompés : selon eux, les Américains n'ont jamais été aussi forts
et aussi présents au sein de l'Alliance.
Afin d'illustrer ces réalités, arrêtons-nous quelques instants sur certains
chiffres. Sur les 470 milliards de dollars dépensés pour la défense, en 1995,
par les seize pays de l'Alliance, 59 % l'étaient par les Etats-Unis. Quant au
budget « recherche et développement », qui me paraît un point majeur, il
représente aujourd'hui 14 % du budget du Pentagone, soit 35,4 milliards de
dollars, somme qu'il faut comparer avec les 13,6 milliards de dollars dépensés
par les quatorze pays européens de l'Alliance, ce qui représente 8,3 %
seulement de l'ensemble de leurs budgets de défense.
La force des Etats-Unis réside dans son avance technologique, qui lui permet
ainsi de préserver son leadership politique. Depuis 1994, la politique de
défense américaine est réexaminée sous l'angle de ce que les Américains
appellent
Revolution in military affairs.
Cette école de pensée du Pentagone considère que la supériorité militaire
résidera désormais dans les domaines de l'information et de la communication,
grâce au développement de hautes technologies.
Cette thèse ne me paraît pas dénuée de pertinence. La France ferait bien de
réfléchir sur ce thème, au moment où les budgets de recherche et de
développement, qu'ils soient publics ou privés, connaissent une décrue
sensible.
De plus, les Américains procèdent depuis cinq ans à une profonde
restructuration de leur appareil industriel afin de conquérir de nouveaux
marchés extérieurs. Depuis le début de l'année 1996, les opérations de rachat
se sont multipliées, la dernière en date étant celle des activités « défense et
espace » de Rockwell par Boeing.
Fallait-il, dès lors, engager la privatisation de l'un de nos principaux
groupes français, Thomson-CSF ? Fallait-il introduire maintenant une logique
des intérêts privés dans un domaine, la défense, où l'intérêt national doit
pourtant prédominer ? Je regrette profondément, monsieur le ministre, la
démarche que vous avez suivie et je la condamne, parce que je la crois
contraire aux intérêts de la défense nationale.
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Bertrand Delanoë.
Selon moi, la priorité des priorités réside dans la constitution d'une
industrie européenne de défense capable de résister aux assauts de ses
concurrents d'outre-Atlantique. C'est sur ce critère que doivent être
envisagées un certain nombre de restructurations.
Rénover l'Alliance, c'est également faire en sorte que son marché intérieur ne
soit pas une chasse gardée américaine. La rénovation de l'Alliance ne peut donc
être crédible que si les rapports de force internes sont modifiés. Or je note
que la chaîne de commandement est préservée, la décision finale appartenant au
SACEUR.
Vous avez fait du commandement sud-Europe un test de la volonté américaine de
partager le pouvoir. Comment croire un seul instant que les Etats-Unis
pourraient abandonner le commandement d'une zone dont dépend le verrou
stratégique que représente la Turquie, d'une zone qui, de surcroît, couvre le
Proche-Orient ? Pensez-vous que les Etats-Unis accepteront de faire passer sous
commandement européen leurs forces, tout particulièrement la VIe flotte ? Un
des compromis, acceptable pour eux, serait peut-être de partager la
Méditerranée en deux zones, la zone orientale leur revenant de droit et la zone
occidentale revenant à un Européen. Et encore s'agit-il là d'une hypothèse
optimiste !
Autre argument que vous avez avancé en faveur de la rénovation, les Européens
pourront désormais faire, dans ce cadre, des opérations seuls. Je crains
cependant que ces opérations ne puissent être que d'ampleur limitée. C'est si
vrai que l'Institut international des études stratégiques de Londres note que
l'envoi de l'IFOR en Bosnie a montré que l'Europe était dans l'incapacité de
monter une opération interarmes de plus de 30 000 hommes sans le soutien des
Américains.
Ces opérations de l'Europe ne seront autonomes que dans la mesure où elles
n'intéressent pas les Etats-Unis. Les moyens de communication et d'information
sont entre les mains des Américains, les moyens de transport sont Américains,
la logistique est américaine. Aussi, toute opération de ce que vous appelez le
« pilier européen » ne sera autonome que si Washington le veut bien.
Au demeurant, pensez-vous que les Etats-Unis souhaitent voir les Européens se
constituer en entité politique et économique ? Les Etats-Unis veulent bien des
Européens, mais ils ne veulent pas de l'Europe ! Or le grand projet politique
du XXIe siècle, c'est bien la construction d'une entité européenne ayant
compétence dans les domaines politique, économique, monétaire et militaire.
La France a un rôle prédominant à jouer dans l'élaboration d'une stratégie
propre à l'Union européenne. François Mitterrand avait réussi à faire prendre
en compte la complémentarité entre l'Alliance atlantique et l'identité de
sécurité et de défense européenne sous la forme de l'UEO. Je note à ce propos,
pour m'en réjouir, que le Gouvernement fait de nouveau référence depuis quelque
temps à cette alliance. De même, j'ai noté avec satisfaction la mise à
disposition de nouveaux moyens français pour la force maritime européenne,
l'Euromarfor.
En revanche, je m'inquiète de la dégradation de nos rapports avec nos
principaux partenaires européens, et plus particulièrement avec l'Allemagne.
Récemment, votre collègue M. Barnier nous a assuré que les relations
franco-allemandes étaient excellentes. Pourtant, lorsque M. Jacques Chirac
s'est rendu à Bonn, en octobre 1995, c'était pour dissiper le malaise
franco-allemand né de la reprise de nos essais nucléaires. Puis, en mai de
cette année, il est allé rassurer les Allemands sur nos intentions, après la
décision française unilatérale de professionnaliser la quasi-totalité des
forces armées. En juin, la rencontre de Dijon avait pour but de « dissiper les
malentendus » sur la coopération franco-allemande en matière d'armement. Enfin,
la dissolution des régiments français appartenant à l'Eurocorps en Allemagne ne
fut pas du meilleur effet, vous le savez.
Comment s'étonner, dès lors, de l'abandon par l'Allemagne de l'Apache
anti-piste ?
Je ne peux que regretter l'absence de démarche volontariste afin de dynamiser
les rapports franco-allemands. La mise sur pied de structures politiques
conjointes et permanentes de concertation entre nos deux pays aurait permis
d'éviter bien des malentendus. Elle aurait été très opportune et très utile
pour la construction de l'Europe.
En conclusion, monsieur le ministre, je crains que vous ne soyez prisonnier de
votre propre logique. Vous avez fait le choix de la professionnalisation, alors
que nous sommes dans une période de rigueur budgétaire, laquelle provoque déjà
des désorganisations au sein des forces armées. Nous aurons donc une armée
réduite en effectifs avec un noyau de 50 000 combattants, ce qui signifie qu'il
faudra abandonner certaines missions. Lesquelles, selon vous ?
Les équipements modernes qui font aujourd'hui défaut risquent d'arriver au
compte-gouttes, ou de ne pas arriver du tout. Je redoute que les économies
futures ne se fassent essentiellement sur le titre V et, apparemment, je ne
suis pas le seul dans cette assemblée à m'en inquiéter : vous-même, monsieur le
ministre, si j'en crois
Le Figaro
de ce matin, vous n'êtes pas
totalement rassuré !
Conséquence de ces économies, vous aurez vous-même créé, au sein de
l'Alliance, les conditions d'une plus grande dépendance. Or vous ne pourrez
plus peser sur la nature de cette alliance. La baisse généralisée des budgets
de défense des Européens fait reposer leur sécurité sur l'Alliance atlantique,
donc sur les Etats-Unis. Vous serez obligé de suivre, puisqu'il semble que vous
ayez abandonné l'idée d'impulser toute dynamique pour une démarche européenne
autonome.
Ces choix militaires pèseront sur notre diplomatie. La France veut jouer un
rôle accru dans le monde, conserver sa zone d'influence en Afrique, avoir une «
grande politique » au Proche-Orient, ne pas abandonner ses responsabilités
internationales en tant que membre permanent du conseil de sécurité. Très bien
! Mais la crédibilité de cette politique repose, pour partie, sur les capacités
de notre outil militaire. Le pire danger serait l'inadéquation entre nos
déclarations et l'état de notre appareil militaire. Soyons plus réalistes et
réfléchissons à la contribution de la France face à ce qui me paraît être le
principal enjeu : faire de l'Europe un véritable acteur stratégique et
indépendant !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais
plus particulièrement axer mon propos sur les conséquences néfastes de la
réforme de notre défense sur les industries de l'armement.
Les répercussions de cette réforme suscitent en effet le mécontentement, voire
la colère de dizaines de milliers de salariés de ce secteur, comme le montrent
les importantes manifestations d'ampleur nationale qui ont eu lieu ces deux
derniers mois et les multiples actions qui sont engagées dans les
établissements, comme hier encore à Tarbes, à Lorient, à Brest ou à Toulon.
Cette désapprobation quasi générale des salariés des industries de défense
n'est pas uniquement motivée par la crainte justifiée des suppressions
d'emplois, mais aussi par le sentiment, largement partagé, que cette réforme de
la défense consacre des abandons de souveraineté et de production.
Différents experts et un rapport parlementaire prévoient que votre plan de
restructuration condamnera 50 000 à 75 000 emplois directs ou indirects dans
les six années à venir. C'est dire le véritable séisme économique et social qui
s'annonce !
Vous vous êtes engagé, monsieur le ministre, à ce que ce redéploiement se
fasse sans « licenciements secs » et, de son côté, le Président de la
République a promis que les emplois supprimés seraient compensés poste par
poste. Ce sont là des promesses qui valent ce que valent des promesses faites à
un an d'élections législatives qui s'annoncent difficiles pour la majorité ;
mais, surtout, elles n'apportent pas de réponse positive aux abandons de
production qui seront effectués, ni de solutions satisfaisantes pour la
collectivité nationale pour compenser les postes ainsi supprimés.
Si les craintes demeurent vives parmi les salariés de l'Etat, elles ne sont
pas moindres chez les personnels du secteur industriel non étatique de
l'armement qui, pour m'en tenir à deux exemples, redoutent aussi le pire en
matière de suppressions de postes avec la fusion Dassault-Aérospatiale et la
privatisation de Thomson SA, Dassault-Electronique venant, pour sa part,
d'annoncer près de 500 suppressions d'emploi.
A vous entendre, monsieur le ministre, l'affaiblissement de nos atouts
nationaux d'armement serait le prix à payer au nouvel environnement
international pour répondre aux évolutions du marché et de l'environnement
politique et financier.
La raison réelle est liée à la décision du Président de la République de
fondre notre défense dans une armée européenne, et ce pour répondre aux
exigences du traité de Maastricht. Au-delà des arguments stratégiques,
l'objectif est de permetre la constitution de grands groupes européens, comme
le prévoit le traité en instituant l'Agence européenne de l'armement.
Au bout du compte, c'est toute l'industrie d'armement française qui se trouve
aujourd'hui en cause. En effet, parallèlement à l'affaiblissement des
établissements hautement qualifiés du secteur étatique, ce sont les industries
aéronautiques et électroniques travaillant pour la défense et le civil qui sont
vouées à la privatisation, aux regroupements et aux alliances avec des
entreprises similaires européennes, voire américaines, avec toutes les
conséquences économiques et sociales qui en découlent.
C'est une voie dangereuse et ruineuse, lourde de menaces pour les salariés,
nos industries et les populations concernées. Elle nous conduit à des pertes de
maîtrise technologique, faisant ainsi dépendre notre défense de l'étranger.
A l'opposé de ces orientations, il serait possible de faire d'autres choix,
guidés par deux préoccupations majeures : le maintien des emplois et la
souveraineté nationale.
Pour adapter nos industries d'armement à la nouvelle donne internationale, qui
a certes entraîné une baisse de nos besoins en matériels, il faut en priorité
rendre aux arsenaux et aux industries d'Etat les productions dont elles sont
aujourd'hui dépossédées, puisqu'elles ne produisent que 5 % des armements.
Il faudrait également créer les conditions d'une diversification maîtrisée de
l'aéronautique et de l'électronique et, avec un réengagement de l'Etat et des
banques, constituer un grand pôle public de l'aéronautique et de l'espace. Pour
les établissements d'Etat, la reconquête des productions, l'embauche définitive
des salariés sous contrat précaire et la limitation du recours à la
sous-traitance permettraient la création d'emplois, de même que, comme le
préconise l'ensemble des organisations syndicales du secteur, la réduction du
temps de travail à 35 heures sans perte de salaire assurerait la création de
plus de 11 000 emplois dans les établissements d'Etat et les arsenaux.
En conclusion, tout cela nécessiterait d'écouter réellement les organisations
syndicales et les élus, qui refusent que l'on porte atteinte à l'indépendance
du pays et à la souveraineté nationale, qui refusent le dépérissement de leurs
villes et de leurs régions, qui refusent la braderie et le démantèlement
d'industries stratégiques.
Engagez une véritable concertation, monsieur le ministre, plutôt que de
pratiquer la politique de la chaise vide, comme vous l'avez fait hier en
n'assistant pas à la réunion de la commission paritaire ouvrière. Acceptez un
moratoire de votre plan afin de dégager des solutions qui sauvegardent l'emploi
et assurent le développement de nos atouts industriels.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Vous l'avez dit, monsieur le ministre, d'autres orateurs l'ont dit après vous,
la défense de notre pays est aujourd'hui à un double tournant de son histoire,
d'abord, pour des raisons politiques - chute du mur de Berlin, effacement du
pacte de Varsovie, adhésion des Etats de l'Union européenne à la politique
étrangère et de sécurité commune - mais aussi pour des raisons internes -
transformation de nos armées, indispensable modernisation des équipements, qui
ne peuvent pas ne pas tenir compte de la non moins nécessaire réduction des
dépenses publiques.
Si la France et l'Europe ne sont pas menacées, aujourd'hui, par un agresseur
identifiable, de nombreux foyers de conflits ethniques, nationalistes et
religieux menacent nos pays. L'Europe n'est pas un havre de paix ; cela doit
être pris en compte, cela doit être compris.
Nos concitoyens, qui ont à plusieurs reprises subi des vagues de danger
d'origine terroriste, le savent, la sécurité du territoire français ne peut se
limiter au positionnement des forces traditionnelles à l'intérieur de
l'hexagone. La France doit être présente à la source des actes, elle doit
disposer de moyens de renseignement les plus perfectionnés. Je tiens à vous
dire, monsieur le ministre, ma satisfaction quant à l'action engagée par le
Gouvernement en ce domaine.
Cette action doit être élargie, bien évidemment, à l'ensemble des pays
d'Europe. Mais je souhaite aussi que les relations avec les Etats-Unis
prennent, en ce domaine, une nouvelle vivacité. Le rapprochement français de
l'OTAN doit le permettre.
Vous en avez longuement parlé tout à l'heure, 1997 sera la grande année de la
réforme de nos armées. Permettez-moi, monsieur le ministre, avant les nombreux
débats qui seront consacrés à ce sujet, de formuler deux remarques.
Evitons, en premier lieu, que les collectivités locales ne soient les grandes
perdantes de cette réforme, qu'elles n'aient éventuellement, sur certains
sites, à faire face en même temps aux restructurations industrielles et à la
disparition d'unités militaires attachées depuis longtemps à leur région.
Je sais que vous avez promis la reconversion des bassins d'emploi les plus
durement touchés. Ce doit être une priorité absolue pour le Gouvernement,
quelles que soient les contraintes économiques, sociales, budgétaires de
1997.
En second lieu, pour être maire d'une ville où la population militaire active
et retraitée est très importante, je puis vous dire, monsieur le ministre, que
cette réforme du service national n'est pas toujours bien comprise. Il reste un
énorme travail pédagogique à réaliser auprès de l'opinion, qui s'étonne parfois
de la rapidité de la réforme. Nous aurons l'occasion d'en reparler au mois de
novembre.
J'aimerais aussi que vous précisiez ce que signifie la « reconversion
professionnelle réussie » - c'est la formule que vous avez employée tout à
l'heure - envisagée pour les militaires incités au départ. Pourrez-vous nous en
dire plus en novembre ? Vous savez l'importance qu'attache le personnel
militaire à votre réponse.
Je dirai, pour terminer, un mot du rendez-vous citoyen. Celui-ci ne peut, de
mon point de vue, être limité à cinq jours - on parle même d'une durée moindre
! Il n'est pas possible d'évaluer, de former, d'initier et d'informer en si peu
de temps.
Pourquoi n'associez-vous pas à la formation que constitue le « parcours
d'éducation civique » de nos jeunes - je reprends votre formule - tous les
maires de France ?
Cela présenterait deux avantages : permettre aux jeunes de découvrir le
fonctionnement républicain de notre pays sur place, auprès de l'élu qu'ils
connaissent le mieux ; donner aux maires la possibilité de rencontrer, enfin,
les jeunes de leur commune.
La politique de défense de la France va dans le bon sens, j'en suis persuadé.
Encore faut-il, monsieur le ministre, qu'elle soit bien comprise de l'opinion.
C'est, de mon point de vue, aussi important que la réforme elle-même.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendant, du
RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de débuter mon propos en saluant, au nom
du groupe des Républicains et Indépendants, le courage dont vous faites preuve
pour mener à terme cette grande réforme voulue par le Président de la
République.
La réforme, d'une manière générale, est très souvent réclamée, mais n'est
acceptée que si elle touche le voisin. Elle est la proie favorite de tous les
corporatismes, qui, très souvent, interdisent sa mise en place. Le général de
Gaulle disait d'ailleurs : « On ne donne la valeur aux troupes, comme la saveur
aux fruits qu'en contrariant la nature. »
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, après avoir salué votre
courage, je voudrais, après M. de Villepin, saluer l'esprit de responsabilité
de l'ensemble des personnels civils et militaires qui vivent au quotidien les
effets des différentes mesures, parfois contraignantes, mais nécessaires et
indispensables pour assurer la sécurité et le rayonnement de la France.
Car l'axe majeur de cette réforme de notre système de défense est de s'appuyer
sur la fonction régalienne de l'armée, c'est-à-dire, qu'on le veuille ou non,
de se préparer à faire la guerre, le cas échéant de la faire et, si possible,
de la gagner.
Peut-être l'avions-nous oublié. Les événements récents de notre histoire nous
le rappellent.
Certes, le rôle citoyen de l'armée est important, surtout dans le contexte
économique que nous connaissons aujourd'hui. Mais j'y reviendrai, si vous le
permettez, monsieur le ministre, car cette fonction sous-tend votre projet.
De ce projet, je retiens une triple dimension.
La première dimension, je la vois dans votre souci d'efficacité.
Par votre volonté de mettre en place une armée de métier dotée de moyens
modernes, vous garantissez à notre pays une défense efficace, face à des
adversaires plus difficilement identifiables et face à des conflits tout aussi
imprévisibles.
L'évolution des technologies, notamment la mondialisation et l'instantanéité
de l'information et des techniques de communication, exige un personnel en
constante formation, et donc une armée de métier.
La deuxième dimension est économique et sociale. C'est peut-être, monsieur le
ministre, le domaine où vous faites preuve du plus grand courage.
En effet, comment, dans un contexte international où tous les pays du monde
ont baissé leur budget de défense, continuer à assumer une perte de 11
milliards de francs du GIAT et avoir des chantiers navals qui accusent chaque
année un déficit de plus de 7 milliards de francs ?
Comment, avec moins de commandes, continuer à maintenir, voire à développer,
notre industrie de défense, garante de l'indépendance de la France ?
La constitution d'un pôle aéronautique fédérant les compétences, d'un pôle
électronique à la dimension des enjeux planétaires, d'un pôle électromécanique
autour du savoir-faire du GIAT et des chantiers navals reçoit notre
approbation.
J'ajoute, enfin, que cette restructuration sans précédent s'opère sans
licenciement sec.
J'en viens à la troisième dimension de votre projet : la dimension citoyenne.
Je voudrais, monsieur le ministre, mes chers collègues, m'y attarder quelques
instants.
Monsieur le ministre, j'ai été très surpris, au cours du débat que vous avez
organisé avec la nation, que certains découvrent ou redécouvrent le rôle
citoyen du service national, son rôle de formation, d'éducation, d'insertion
professionnelle, de brassage social, rôle réel et incontestable dont il
convient de reconnaître toute la place mais aussi de tracer les limites.
Le service national est en effet le dernier lieu d'acquisition d'un savoir
pour certains, d'un savoir-faire pour d'autres, et même d'un savoir-vivre pour
quelques-uns.
Or, les lieux premiers d'acquisition du savoir s'appellent la famille et
l'école. Et c'est parce qu'il y a démission ou défaillance de ces cellules ou
structures que le service national est le dernier lieu d'acquisition de
repères, de références et de citoyenneté.
Mais vouloir faire du seul service national le rempart contre ces carences,
c'est vouloir, dans un autre domaine, demander à l'ANPE de résoudre le problème
de l'emploi. C'est confondre les causes et les conséquences.
C'est la raison pour laquelle, plus que la durée du rendez-vous citoyen, c'est
son contenu qui prime.
Cinq jours, comme vous le proposez, monsieur le ministre, est-ce assez ou trop
peu ? Nous verrons à l'usage. Les trois jours de sélection sont aujourd'hui
réduits à une demi-journée. Il est donc indécent de comparer.
Le plus important est que ce rendez-vous soit ressenti par nos jeunes, mais
aussi par l'ensemble de la nation, non pas comme une obligation subie, mais
comme un véritable acte de citoyenneté, d'adhésion à la communauté nationale et
à la patrie.
Que ce soit le moment où le jeune garçon ou la jeune fille puisse faire un
bilan personnel sur le plan professionnel, culturel, médical !
Que ce jeune puisse recevoir une instruction civique appuyée sur des
témoignages d'adultes du monde économique, judiciaire, syndical, politique !
Qu'il puisse enfin recevoir une information sur l'acte le plus noble qui soit,
celui du volontariat, en matière de sécurité et de défense, en matière de
solidarité, en matière de coopération et d'aide humanitaire, en matière de
développement économique !
Permettez-moi, monsieur le ministre, de revenir sur la proposition du
président du Sénat, M. René Monory, de favoriser l'émergence d'un corps de
jeunes garçons et filles qui pourraient être les ambassadeurs du développement
économique de la France dans tous les coins de la planète. Notre histoire est
riche de périodes où notre pays a su développer ses compétences, son
savoir-faire partout dans le monde.
Le bouleversement des technologies d'information et de communication nous
interdit aujourd'hui le repli sur soi, la frilosité ou le protectionnisme
primaire. Cette révolution doit, au contraire, nous inciter à porter notre
culture au-delà de nos frontières, à aider au développement des peuples à qui
nous avons autrefois apporté et qui attendent toujours beaucoup de la
France.
A un moment où notre jeunesse doute, où un jeune sur trois se replie derrière
le statut sécurisant de la fonction publique, où les problèmes d'immigration,
d'intégration occupent tous les esprits, votre projet peut être le point de
départ d'une espérance et d'un grand dessein pour notre pays et pour nos
enfants, et ce d'autant plus que ce projet, monsieur le ministre, s'appuie sur
la clarification, la concertation, l'expérimentation.
C'est la raison pour laquelle le groupe des Républicains et Indépendants vous
assure, monsieur le ministre, de son soutien, car, comme l'a dit le général de
Gaulle : « Etre inerte, c'est être battu. »Vous ne l'êtes pas, et nous vous en
félicitons.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ceux qui ont
connu la France comme l'une des toutes premières puissances militaires du
monde, probablement la seconde à l'époque, sont encore quelques-uns dans cette
assemblée. Je ne sais s'ils approuveront tout ce que je vais dire, mais je ne
doute pas qu'ils le comprendront.
Cette France-là, celle de 1940, s'est effondrée avec une armée de
conscription. La Libération est heureusement venue ensuite, dans un monde fort
différent de ce qu'il était auparavant. Trop de nos compatriotes ne l'ont pas
compris tout de suite, ni même encore maintenant. Notamment, il ne nous est
plus resté la force de conserver notre empire qui, lui aussi, était le second
du monde.
Les progrès de la technique, en grande partie engendrés par la guerre, sont
venus bouleverser, de gré ou de force, les conditions d'existence des Français
: le nucléaire, la biologie et la chimie, l'informatique, l'aérospatiale, les
télécommunications, les transports rapides, à quoi s'ajoutent la puissance
financière d'investissement, la nécessaire cohérence de l'Etat, l'entente et la
coopération avec les autres pays à la mesure de leur réciprocité et de nos
propres intérêts nationaux, en Europe en particulier, etc.
Dans le domaine de la défense, comme dans celui des affaires étrangères qui
lui est étroitement lié, et comme dans tous les autres domaines, nous n'avons
plus les moyens de nous disperser.
Faute de temps pour un examen exhaustif et pour ne pas reprendre des chiffres
budgétaires qui seront pleinement traités en d'autres temps, je me limiterai
donc à quelques sujets concrets relatifs à la situation actuelle.
Devenu notre principale source d'énergie industrielle et domestique, le
nucléaire est, et demeure, l'essentiel de notre défense, sauf à régresser de
manière irréversible.
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Philippe de Gaulle.
C'est dire que nos sous-marins lance-missiles doivent toujours assurer une
permanence de dissuasion ininterrompue et sous contrôle national.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Très bien !
M. Philippe de Gaulle.
A ce propos, il me paraît illusoire de croire à la non-prolifération
nucléaire, quoi qu'en disent les puissances qui veulent garder le monopole des
armes atomiques ou les Etats du tiers-monde qui peuvent se procurer à tout
moment ce qu'ils ne sont pas encore capables de fabriquer eux-mêmes.
Nous avons renoncé, à juste titre, à renouveler les missiles du plateau
d'Albion, qui sont devenus périmés. Nous ne les avions construits que pour
assurer l'alternative technique la plus élémentaire à terre, en un temps où
nous ne connaissions pas encore exactement les délais de réalisation et la
sûreté de nos lancements de missiles sous l'eau.
Nous sommes fixés maintenant. Le plateau d'Albion va devenir disponible. Les
armées doivent le conserver comme lieu de stockage de nos moyens nucléaires et
terrain d'entraînement militaire. On en manque toujours en Europe occidentale
!
S'agissant du porte-avions
Charles-de-Gaulle,
je ne peux certes pas
manquer d'être satisfait qu'un tel bâtiment s'appelle ainsi. Mais, bien
qu'ayant servi une dizaine d'années de ma carrière maritime comme pilote
d'aviation embarquée, j'aurais personnellement plutôt choisi de donner ce nom à
un sous-marin lance-missiles, bâtiment capital de ce temps comme auparavant les
cuirassés, puis les porte-avions ont été l'armature des flottes de combat. De
plus, le sous-marin est l'arme efficace de celui qui n'a pas ou n'a plus la
maîtrise de la mer.
Je crains en effet que le porte-avions ne soit une incitation aux
interventions extérieures, et que nous n'ayons trop tendance à y recourir
naturellement. Je ne dis pas qu'une puissance comme la France n'ait pas à en
prévoir. Mais, n'ayant plus les mêmes moyens qu'autrefois, il lui faut les
réserver aux seules menaces directes contre elle en Europe et dans une moindre
mesure qui ne nécessite que des frégates antiaériennes lance-missiles et des
porte-aéronefs, non des porte-avions ; il lui faut les réserver aussi aux
menaces contre ses alliés outre-mer. C'est d'ailleurs la stratégie adoptée par
les Britanniques.
Mais, puisque nous avons le
Charles-de-Gaulle,
seule plate-forme
opérationnelle maritime du Rafale, le meilleur avion de combat du monde, nous
aurons à en construire un second pour assurer la permanence, même si sa
propulsion n'est pas nucléaire. Sauf à retrouver l'expansion économique, je
n'en vois, hélas ! pas les moyens financiers pour le moment. Peut-être ces
porte-avions seront-ils pour nous les derniers ?
S'agissant du service militaire, dévié en service national, nous venons d'y
renoncer pour de nombreuses raisons que nous ne pouvons pas reprendre
aujourd'hui, mais qui peuvent se résumer comme le colonel de Gaulle l'écrivait
dès 1938 : « En temps de paix, jamais plus aucune puissance militaire n'aura
les moyens d'entretenir à la fois l'indispensable corps de bataille
professionnel et la masse de la conscription. »
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Très bien !
M. Philippe de Gaulle.
L'abandon de cette conscription réveille beaucoup de souvenirs et de nostalgie
parmi les gens de ma génération, et même après,...
M. Emmanuel Hamel.
C'est vrai !
M. Philippe de Gaulle.
... qui se plaisent parfois à entretenir la confusion entre les « appelés » et
ceux qui sont volontaires pour un engagement court, c'est-à-dire en réalité des
soldats de métier comme l'étaient devenus les Français libres, par exemple.
On se préoccupe, à juste titre, des réserves du corps de bataille, qui devrait
tripler, doubler ou simplement se compléter, selon le temps qu'on aurait de les
mobiliser et les moyens qu'on aurait de les armer.
Un recensement des ressources humaines de la défense et un tri de ces
dernières doivent être effectués pour permettre un appel éventuel des classes
d'hommes, sans qu'il soit nécessaire d'y ajouter les femmes, qui ont d'autres
charges humaines, logistiques et sociales, et qui ne sont pas, que je sache,
prioritaires pour le combat proprement dit.
Ce recensement est d'ailleurs une opération de statistique, d'identification
et de citoyenneté fort utile en ce temps de cosmopolitisme apatride et
d'immigration abusive dont la France est littéralement malade aujourd'hui.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Philippe de Gaulle.
L'armée de terre a le quasi-monopole et l'expérience de ce recensement depuis
la guerre d'Algérie, par convocations intitulées couramment « les trois jours
», qui se résument en réalité en une seule journée, et c'est bien ainsi.
Transformer cette journée en « rendez-vous citoyen » d'endoctrinement de
plusieurs jours ou plusieurs semaines serait peu efficace, sinon beaucoup trop
lourd, trop coûteux et inapplicable. Ce serait la pagaille.
Comment empêcher en effet des jeunes appelés des campagnes ou des faubourgs -
si voyez ce que je veux dire...
(sourires) -
de s'esquiver dès la première nuit sans que l'encadrement ait
eu le temps de leur imposer son autorité et sans véritables moyens de
coercition disciplinaire, dès lors que ces appelés savent qu'ils ne sont là que
de passage, et qu'il ne s'agit finalement pour eux que d'être inscrits et de se
faire rappeler des principes moraux qui sont la raison d'être des éducateurs
familiaux ou scolaires ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les économies auxquelles nous
sommes contraints, les techniques modernes et leurs coûts, le manque de
patriotisme et le laxisme auxquels notre société s'est laissé aller depuis
vingt-cinq ans, l'affaiblissement de la France comparativement aux autres pays,
nous obligent à la reconcentration, je dirai même à la recapitalisation de nos
moyens, en particulier de nos forces armées, après une trop grande dispersion
aussi bien chez nous que chez nos voisins et outre-mer.
Nos arsenaux ne peuvent qu'être à la pointe des armements et se montrer
compétitifs. Nos armées doivent être une élite dans la nation, bien entraînées
et socialement enviées.
Monsieur le ministre, à l'aube du troisième millénaire, vous ne pouvez éviter
la poursuite de nos programmes essentiels de défense, tout en étant contraint à
des réformes de structure de notre organisation et de nos fabrications en
termes de coût et d'efficacité.
Il en est de même de l'adaptation de nos moyens humains, qui doivent mettre en
oeuvre des matériels de plus en plus complexes et coûteux et qui ne peuvent
plus être dispersés en des activités accessoires pour pallier les carences des
autres secteurs comme au temps où nous disposions de masses de troupiers
disponibles.
Votre tâche est fort difficile, monsieur le ministre, comme chaque fois qu'il
y a eu transformation technologique dans l'histoire de notre peuple, et
d'autant plus que vos moyens financiers ne sont pas en expansion. Mais, comme
disent les marins, nous vous savons décidé à « faire route » et non à vous
laisser dériver au fil des habitudes et des routines. Nous vous soutiendrons en
conséquence.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Madrelle.
M. Philippe Madrelle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviens
une fois de plus sur cette question des restructurations industrielles en
matière d'armement et de défense. Ainsi, au mois de mars déjà, lors de la
discussion d'une question orale et d'un débat de politique générale sur les
problèmes de défense, monsieur le ministre, je vous avais demandé des
prévisions chiffrées quant aux promesses d'accompagnement économique et social
des restructurations annoncées.
Depuis l'annonce de la réduction des crédits consacrés à la défense, le
Gouvernement ne cesse de minimiser les conséquences en matière d'industrie de
l'armement et d'aménagement du territoire. Pourtant, nous savons bien que la
facture sociale de cette réforme sera lourde et douloureuse pour l'ensemble de
notre territoire. En outre, elle fait peser de nouveaux risques économiques
lourds de conséquences financières pour les collectivités locales.
Cette décision brutale de restructuration de l'armée et de l'industrie de
défense amène à brader plus ou moins des pans entiers de notre potentiel
industriel et à diminuer dangereusement le rôle de l'Etat.
Vous me permettrez de rappeler quelques chiffres relatifs aux suppressions
d'emplois envisagées. A la direction de la construction navale, 6 730 emplois
seraient supprimés à l'horizon 2002, dont 1 500 à Brest et 1 700 à Cherbourg.
Cela signifie que 2 240 supressions d'emplois interviendraient avant la fin de
l'année 1997 et 2 360 à la fin de 1998. En ce qui concerne GIAT-Industries, 2
569 emplois seraient supprimés dans les trois prochaines années, dont 595 à
Tarbes et 582 à Roanne. Par ailleurs, des industries comme Aérospatiale et
Eurocopter prévoient la suppression de 4 000 emplois.
Ces chiffres donnent le vertige et illustrent le caractère dramatique des
conséquences de cette restructuration de l'industrie de la défense. Ai-je
besoin de vous rappeler, monsieur le ministre, que, en Gironde, depuis 1991,
nous avons déjà perdu 3 500 emplois industriels du seul fait de la réduction
des programmes militaires ? Outre les emplois, c'est tout un potentiel
technique et humain hautement qualifié qui est menacé.
J'ajoute que cinq établissements ou services sont dissous : l'établissement
des matériels du service de santé à Bègles, le centre de ravitaillement des
essences à Pauillac, le centre administratif de l'armée de terre à Bordeaux, le
centre de ravitaillement du corps des agents techniques de Bordeaux et le camp
de Souge à Martignas. On arrive à un total de 225 personnels civils.
Par ailleurs, on comprend et partage l'inquiétude légitime du personnel
d'entreprises comme la Société nationale des poudres et explosifs, qui se
mobilise contre votre plan et dont l'avenir est lié au lancement effectif du M
51. L'heure est grave pour des milliers de familles, dont la survie dépend de
l'avenir de tout un secteur industriel et technologique.
Il s'agit désormais de dégager des moyens pour venir en aide, reconvertir et
soutenir. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, dans quelles
entreprises, dans quelles administrations, sur quels emplois on reclassera les
personnels civils, les ouvriers d'Etat et les militaires ? On est curieux de le
savoir, région par région, département par département, entreprise par
entreprise.
Une fois de plus, on place le Parlement devant le fait accompli. La
privatisation de Thomson en est l'exemple le plus récent ! Mes chers collègues,
vous me permettrez de déplorer que cette politique de restructuration s'élabore
hors de toute préoccupation d'aménagement du territoire !
Malheureusement, la lecture du projet de loi de finances pour 1997 n'est pas
de nature à nous rassurer ! Toutes les restrictions budgétaires sont
concentrées sur le titre V, ce qui signifie moins de commandes d'équipement, et
donc moins d'emplois industriels ! La baisse des crédits affectés au titre V
atteint un record historique. L'avenir de l'industrie nationale d'armement est
en danger sans qu'apparaissent de claires perspectives européennes !
Monsieur le ministre, nous avons compris que votre budget ne financera ni les
formes civiles du volontariat, budget civil de la recherche et du
développement, ni les capitalisations des entreprises publiques de défense, ni
la reconversion des bassins d'emploi concernés par les restructurations,
exception faite du fonds de restructuration de la défense. Le 14 juillet 1996,
le Président de la République a affirmé qu'il y aurait non pas des
licenciements, mais « des mesures d'adaptation avec des crédits considérables »
pour l'accompagnement économique et social de ces mesures. Monsieur le
ministre, pourriez-vous nous préciser d'où proviendront les fonds nécessaires
pour que les promesses de M. le Président de la République soient tenues ?
Au regard du catalogue des mesures d'accompagnement des restructurations
industrielles contenues dans le projet de loi de finances pour 1997, on peut se
demander quels sont les critères de distribution des crédits européens qui
seront versés aux régions françaises et quelle sera la compétence des
collectivités locales dans les sociétés de conversion. On ne peut que regretter
la disparité entre l'importance des crédits affectés à la reconversion des
militaires et la faiblesse de ceux qui sont destinés aux personnels civiles et
aux ouvriers. Si nous sommes fiers de notre potentiel industriel de défense,
n'oublions pas que nous le devons d'abord à une compétence et à un savoir-faire
qu'il ne faut pas dilapider !
Monsieur le ministre, vous me permettrez d'insister tout particulièrement sur
la nécessaire négociation avec les élus et les acteurs de la vie locale des
régions concernées par ces restructurations. Le Gouvernement parle de
diversification, mais il semble n'avoir aucune stratégie précise en la matière.
Aucun plan de diversification n'est annoncé. On ne connaît que les plans de
licenciement !
Ne pensez-vous pas qu'il serait opportun d'établir des règles du jeu
transparentes avec les collectivités locales au sujet de l'avenir du patrimoine
militaire ? Est-ce que les emplacements et les immeubles pourront être
utilisés, et à quel prix ?
Quant à la fusion entre Aérospatiale et Dassault, nous n'y sommes pas opposés
a priori
. Toutefois, cette fusion s'est faite dans l'opacité la plus
totale, tant et si bien que les salariés souhaitent être informés complètement
en tous domaines.
Vous me permettrez de conclure en insistant sur le besoin d'une indispensable
politique européenne de l'armement permettant à notre industrie de l'armement
de faire face à la compétition internationale, comme l'a rappelé mon ami M.
Delanoë.
Cette dimension européenne est nécessaire pour garantire l'autonomie militaire
et diplomatique des pays européens. Une harmonisation des efforts financiers
dans le domaine de l'armement à l'échelle européenne est une exigence
incontournable.
Enfin, il apparaît urgent de favoriser le choix européen aussi bien pour la
production que pour l'acquisition des matériels essentiels : « la préférence
européenne ». Lors du sommet de Baden-Baden, en décembre 1995, ont été
approuvés des principes fondamentaux relatifs à la coopération européenne en
matière d'armement. Nous ne pouvons que déplorer le manque d'avancées concrètes
depuis cette date, ainsi que l'échec ou le blocage du projet d'une agence
européenne.
Je termine, monsieur le ministre, en vous exprimant de nouveau la très grande
angoisse des personnels et des familles, ainsi que des PME et des PMI
sous-traitantes, tous concernés par ces problèmes de restructuration. On nous
dit que tout emploi supprimé dans le secteur de la défense nationale sera
compensé par un autre. J'ai bien peur, monsieur le ministre, que ce postulat ne
soit irréaliste compte tenu des moyens que se donne le Gouvernement !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui
nous réunit dépasse la simple orientation de notre politique de défense, car il
est inscrit dans le cadre de la réforme impulsée par le Président de la
République au début de cette année. De plus, il s'insère dans un dispositif
législatif complet, dont l'objectif est de modifier en profondeur l'outil de
défense de la France.
Force nous est de constater, à l'instar du Gouvernement, la nécessité de cette
réforme qui, pour paraître brutale n'en est pas moins indispensable. Trois
facteurs nous y contraignent : d'abord, les changements géopolitiques,
géostratégiques majeurs intervenus depuis le début de la décennie ; ensuite,
l'évolution ultrarapide des armements conventionnels et non-conventionnels ;
enfin, les impératifs de réduction des dépenses publiques que personne
n'ignore.
Qu'attendons-nous de la politique française de défense ? Nos objectifs sont
aujourd'hui les mêmes que ceux d'hier. Il reste impératif d'optimiser la
sécurité de nos concitoyens à l'intérieur des frontières nationales et à
l'extérieur, de défendre les intérêts vitaux de la France et de respecter nos
engagements bilatéraux, européens et internationaux.
S'agissant de la sécurité de nos concitoyens, je suis certain que vous vous
réjouissez avec moi, mes chers collègues, de l'éloignement des conflits des
frontières de l'Hexagone. Nous ne pouvons cependant manquer de mentionner que
la France a été lourdement frappée sur son territoire par de nombreux et
violents actes terroristes - c'est le moins que l'on puisse dire. Voilà qui
prouve que nous ne pouvons limiter la défense de la France au simple maintien
de la paix à ses frontières. Des mesures diplomatiques le plus souvent, mais
aussi parfois des mesures sécuritaires doivent être envisagées pour éviter la
répétition des situations inacceptables subies par des innocents. Est-on prêt,
monsieur le ministre, à assurer cette mission ?
La protection des intérêts vitaux de la France est, bien sûr, un autre
objectif essentiel, qui implique le maintien d'une capacité dans le domaine du
transport aérien militaire, nous en avons eu quelques exemples. Le type
d'action que cette protection justifie nécessite une force de projection
efficace et instantanée, qui sera également indispensable pour assurer les
missions de prévention, voire de dissuasion.
A cet égard, on peut regretter que le Gouvernement n'ait pas inclus dans la
loi de programmation militaire le financement relatif à l'avion de transport
futur nouvelle génération, l'ATF-FLA, qui aurait cependant été l'outil par
excellence de la Force française d'action rapide, la FAR, dont notre pays peut
s'enorgueillir. A l'ATF-FLA, votre ministère a préféré réserver un budget de
650 millions de francs pour l'acquisition d'ATF en remplacement des
Transall.
Quoi qu'il en soit, le développement de l'ATF m'amène à souligner l'importance
grandissante de l'imbrication de la défense française dans la politique de
défense européenne, ce dont, je crois, nous devons nous féliciter.
Soyons conscients que la France seule n'aurait pas les moyens de réaliser cet
avion de transport futur. Le cadre d'un consortium européen permettra de le
produire à un coût supportable, et donc de faire face à la regrettable pression
concurrentielle américaine.
J'en viens, monsieur le ministre, aux alliances de la France en matière de
défense. Notre pays est intimement lié à ses voisins européens, ce dont, pour
ma part, je me félicite, car c'est le meilleur gage de maintien de la paix à
l'intérieur des frontières de l'Union européenne.
Rappelons à ce sujet que la période de cinquante années de paix qui vient de
s'écouler sur notre territoire est la plus longue que l'histoire de notre pays
ait connue ! Si la construction européenne ne devait servir qu'à cela, les plus
eurosceptiques d'entre nous ne pourraient que s'en réjouir avec moi !
(M. Jacques Machet applaudit.)
Je l'espère en tout cas.
Mes chers collègues, je dois cependant regretter que cette même construction
européenne n'ait pas encore permis de donner une identité concrète à la
politique étrangère et de sécurité commune. Je crois néanmoins que l'union est
maintenant décidée à réaliser d'authentiques progrès dans ce sens. Plusieurs
Etats membres ont déjà fait des gestes significatifs. Un des meilleurs exemples
est la réalisation franco-allemande de l'Agence européenne de l'armement.
La conférence intergouvernementale de Turin devrait nous permettre d'assister
à la concrétisation à quinze de ces avancées, et nous rassurer. Vous pourrez
sans doute, monsieur le ministre, suite à sa tenue, nous annoncer du nouveau
quant à la consolidation de cette agence.
Un autre élément majeur et d'une grande portée symbolique tient au
rapprochement entre la France et l'OTAN, rapprochement qui augure bien de
l'achèvement de la modernisation de l'OTAN, avec la reconnaissance de
l'identité européenne de défense. Ce premier résultat, dont j'appelle de tous
mes voeux, avec vous je crois, la pleine concrétisation, peut d'ores et déjà
être considéré comme un succès pour notre pays, pour l'Alliance transatlantique
et pour l'Union européenne.
Je suis entièrement d'accord avec ce qui a été réalisé et proposé jusqu'ici ;
bref, j'approuve votre projet, monsieur le ministre. Je voudrais toutefois
tempérer mon propos, et mes dernières considérations traduiront les inquiétudes
que je ne peux écarter, en tant que sénateur de l'Aisne et maire d'une commune
que vous connaissez, puisqu'elle accueille sur son territoire le camp de
Sissonne.
Vous ne pouvez l'ignorer, mon département est particulièrement touché par le
départ des garnisons, dont la présence constituait un atout très important pour
l'activité économique locale. J'ai cité La Fère, Laon, Soissons, Sissonne et
Margival, mais d'autres communes encore seront maintenant privées des activités
induites par la présence de l'armée.
Vous me direz, monsieur le ministre, que des fonds nationaux et européens ont
été prévus pour pallier ces mutations, mais je peux vous affirmer dès à présent
et sans grand risque d'erreur que, dans la situation économique qui est la
nôtre, les communes déprimées comme celles du canton de Sissonne auront bien du
mal à garder la tête hors de l'eau.
La suppression de trois régiments en dix années, le dernier dans le cadre du
programme Armées 2000, a eu pour résultat, on ne s'en rend pas toujours bien
compte, notamment chez ceux qui sont à l'origine de ce mouvement, de
transformer des petites villes en bourgs. C'est grave pour le moral de nos
concitoyens et cela ternit la joie de vivre dans ces communes.
Il est un autre énorme handicap qui pèse sur les collectivités. En effet,
monsieur le ministre, vous avez demandé à la fonction publique territoriale de
faire l'effort jusqu'en 2005 de trouver des emplois aux personnes arrivées sur
le marché du travail à la suite des restructurations militaires. Pensez-vous
qu'il sera possible de créer un grande nombre de ces emplois ? J'en serais très
heureux, mais permettez-moi un certain pessimisme en la matière, d'autant que,
localement, les quelques établissements persistants n'embauchent plus, et vous
le savez.
Déjà, la fonction publique générale déborde très largement sur la fonction
publique territoriale. On voit ainsi des sous-préfets, des directeurs fondre
sur des services territoriaux, notamment dans les départements et dans des
grandes villes. Sans vouloir faire de polémique, j'aimerais vous poser une
question : vous-même, monsieur le ministre, combien avez-vous embauché de
fonctionnaires territoriaux dans vos services depuis que vous êtes en charge de
la défense ? C'est une question simple, mais j'aimerais entendre la réponse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est vrai,
la défense française est à un tournant de son histoire. Nous devons respecter
cette mutation et, je crois, la favoriser. J'ai confiance dans la réussite de
cette grande mutation, mais je souhaite que nous puissions la mettre en oeuvre
sans avoir à rougir du coût humain qui pourrait être le sien si nous n'y
prenions garde.
En vous assurant de mon soutien, monsieur le ministre, je vous demande d'y
veiller, car l'aspect humain est certainement aussi important que
l'organisation de notre défense.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Monsieur le ministre, je n'évoquerai pas ce soir les mesures en faveur du
personnel militaire en vue de la professionnalisation des armées ; nous aurons
l'occasion d'en reparler ces jours-ci.
Avant d'entrer dans le vif de mon propos, je veux, en revanche, faire une
proposition concernant le rendez-vous citoyen.
Je me demande si ce ne serait pas l'instant et le lieu où les jeunes nés en
France de parents étrangers pourraient venir témoigner très solennellement
devant les autres jeunes Français de leur volonté d'acquérir la nationalité
française.
M. François Trucy.
Très bien !
M. Nicolas About.
Ce témoignage contribuerait à donner à ce rendez-vous citoyen un sens très
fort.
J'en viens maintenant à mon propos.
« Nos industries de défense doivent s'adapter à la nouvelle donne
internationale et gérer les "dividendes de la paix". » Ce constat est
à l'origine de la profonde réforme de notre outil de défense que le chef de
l'Etat a courageusement enclenchée.
Eclatées et ne disposant pas des mêmes crédits en recherche et développement,
les industries européennes ne peuvent faire le poids face aux conglomérats
américains qui bénéficient du soutien politique sans équivoque de la
Maison-Blanche, en particulier dans la conquête des marchés à l'exportation.
L'Europe de la défense n'existant pas, nous assistons « passivement » -
j'espère que le terme est inapproprié - à la fermeture progressive de nos sites
industriels. La restructuration en cours de réalisation dans notre pays ne
saurait être suffisante si aucune stratégie politique et industrielle n'est
établie au sein de l'Union européenne.
L'Agence européenne de l'armement, qui doit succéder au groupe d'armement de
l'Europe occidentale, le GAEO, de l'UEO, ne pourra voir le jour que lorsqu'une
volonté politique européenne existera. A observer la politique d'achat des
matériels militaires de certains Etats européens, il est permis de douter de la
solidarité européenne nécessaire à la création de ce marché européen de
l'armement.
Je salue évidemment les décisions qui ont été prises par le Président Jacques
Chirac et le Chancelier Kohl, à Baden-Baden, concernant l'Agence
franco-allemande d'armement, mais nous devons faire en sorte que les grandes
nations européennes nous rejoignent. J'espère donc que la Grande-Bretagne,
l'Espagne, l'Italie et les Pays-Bas nous aurons rejoints d'ici à la fin de
l'année.
A l'occasion de la réforme de l'Union, il devrait être envisagé l'inscription
de cette solidarité dans le domaine militaire, avec obligation d'adhérer à
cette agence et d'en respecter les règles communautaires. Sinon, nous serons
condamnés à devenir les sous-traitants industriels des Américains.
En ce qui concerne le projet européen de l'ATF, l'avion de transport futur, je
dois déplorer l'option choisie, qui consiste à déléguer aux industriels les
risques financiers. L'ATF devait réunir huit Etats européens en quête d'une
autonomie en matière de transport de forces « projetables ».
L'annulation des participations françaises et allemandes laisse dorénavant
planer un doute sur la capacité des industries à financer ce programme. Pour
Aérospatiale, cela équivaudra en effet à une charge supplémentaire de 7
milliards de francs, somme qui viendra gonfler la dette d'une entreprise que le
Gouvernement va fusionner avec Dassault.
Cette surcharge financière comporte des risques qu'il ne faut pas
sous-estimer. La France et l'Allemagne prennent ainsi le risque de voir les
Etats européens acheter « sur étagère » un produit américain, puisque
Lockheed-Martin Marietta propose déjà une version de cet avion, le C-130 J, je
crois, dérivé de l'actuel Hercule, à un prix inférieur de 20 % à celui de
l'ATF, parce qu'il est déjà largement rentabilisé.
Dans une telle hypothèse, les Etats-Unis acquerraient un monopole de fait dans
le transport stratégique. Je remarque d'ailleurs, dans le projet de budget pour
1997, l'achat de deux ravitailleurs américains. Cela, à l'évidence, souligne
bien cette dépendance logistique.
En contrepartie, quels achats français figurent dans le budget de la défense
américaine, budget qui a reçu une rallonge présidentielle de 9 milliards de
dollars, pour atteindre ainsi 244 milliards de dollars ?
L'autonomie opérationnelle des Européens au sein de l'OTAN, que l'on a
bruyamment saluée en juin dernier, se limitera en fait à une autonomie verbale
et virtuelle. Pourra-t-on encore parler de défense européenne lorsque l'envoi
de nos troupes sera tributaire du matériel américain ?
Qui peut nous assurer aujourd'hui que nos intérêts vitaux correspondront
toujours à ceux de Washington ? L'histoire des relations transatlantiques ne
manque pas d'exemples de divergences de vues.
Monsieur le ministre, je comprends fort bien que le Gouvernement entende faire
des économies budgétaires ; mais ces impératifs économiques et financiers, si
louables qu'ils soient, ne sauraient constituer l'élément central de notre
politique de défense.
Ces quelques remarques étant faites, je me permets d'attirer votre attention
sur un autre dossier qui ne fait, lui, l'objet d'aucun débat parlementaire,
encore moins national.
Tabous et idées reçues caractérisent l'essentiel des propos tenus sur nos
services de renseignement et sur notre politique dans ce domaine.
Mettre l'accent sur cette fonction du renseignement et l'introduire dans ce
débat, telle est, ce soir, ma contribution en vue d'une souhaitable
démythification de ces services et de leur action auprès de nos concitoyens.
Comme l'avait souligné opportunément M. le président de Villepin dans son
rapport, la priorité qui est accordée aux capacités interarmées de
renseignement, de commandement et de communication est le point le plus positif
de la loi de programmation.
L'effort financier consacré à ce secteur clé de notre défense répond à
l'impératif de prévention devenu fondamental dans un monde où les menaces
extérieures n'ont plus la même visibilité. L'efficacité de cette prévention
requiert l'intelligence des situations, qui repose sur des moyens de
renseignement à la fois humains et spatiaux.
La connaissance aussi complète que possible de l'adversaire ou du concurrent
demeure, plus que jamais, la clé principale du succès, que ce soit dans le
domaine politique et militaire ou dans le domaine économique et commercial. A
ce propos, je salue la clairvoyance du Gouvernement pour l'accroissement
significatif des effectifs de la direction générale de la sécurité extérieure,
DGSE, et de la direction du renseignement militaire, DRM.
Le maintien des programmes d'observation satellitaire, Hélios et Horus, est
également un signe encourageant pour l'avenir de notre indépendance dans le
domaine du renseignement militaire.
Les Américains ne s'y trompent pas : ils ont compris les changements
stratégiques de cette autonomie française et européenne, à tel point qu'ils
font pression sur l'Allemagne pour qu'elle rejette nos projets de satellites
d'observation militaire
J'espère, monsieur le ministre, que vos arguments auront conjuré les offres
faites par le directeur de la CIA au chancelier Kohl.
La bataille des satellites espions ne fait que commencer entre les nations et
les firmes internationales s'y intéressent puisqu'elles investissent dorénavant
dans ce domaine ; le premier satellite espion civil sera lancé en décembre par
une société privée américaine.
Ce renforcement en hommes et en moyens technologiques se fait en dépit des
restrictions budgétaires, et je tiens, monsieur le ministre, à vous exprimer ma
satisfaction pour ces choix en faveur du renseignement, fonction devenue plus
que vitale pour notre sécurité intérieure et extérieure.
Pourtant, accroître les crédits de ces services ne suffit pas pour en garantir
l'efficacité. Il convient également de s'assurer de leur bon fonctionnement
interne, la réussite de leur mission étant également liée à leur
coordination.
Telle est la mission du Gouvernement, qui doit fixer les lignes directrices de
sa politique en matière d'information et de renseignement stratégique.
Depuis la disparition de la menace soviétique, la fonction du renseignement
s'est ouverte à d'autres sphères que le domaine militaire.
M. Emmanuel Hamel.
La menace n'a pas disparue !
M. Nicolas About.
Nous en reparlerons ! Pour l'instant, en tous les cas, il y a certainement
d'autres priorités.
M. Emmanuel Hamel.
Non !
M. Nicolas About.
A l'espionnage politique et militaire s'est ajoutée la surveillance des
mouvements transnationaux, qui profitent de la mondialisation et de l'ouverture
des frontières.
Les différentes mafias des pays de l'Est, de Russie et d'Asie opèrent sans
vergogne en infiltrant progressivement nos économies nationales. Les trafics de
drogues et d'armes représentent désormais des échanges économiques dont la
somme totale pourrait financer la transition à l'Est.
L'absence de sens que génèrent nos sociétés de l'après-guerre froide entraîne
le développement de l'influence des intégristes religieux et des sectes, qui
ont recours au terrorisme sur le sol des démocraties occidentales.
La liberté de circulation et l'importance des médias dans nos sociétés
constituent de bons alliés pour ces nouveaux ennemis de la démocratie.
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Nicolas About.
Enfin, il y a ce que nos amis anglo-saxons appellent « l'intelligence
économique », encore trop peu développée en France. Il serait pourtant utile
que nos cadres et dirigeants reçoivent une formation dans ce domaine ou, au
minimum, soient sensibilisés un peu plus qu'ils ne le sont aujourd'hui.
Une récente étude de M. Breton, chercheur au CNRS, a mis en exergue les
défaillances de la communauté des informaticiens en matière de sécurité.
Habitués à cette libre circulation de l'information, ils ont bien souvent peu
conscience des dangers que représente l'outil informatique pour la sécurité
économique des entreprises.
De même, le monde de l'entreprise doit être sensibilisé aux activités de
veille technologique et d'intelligence économique.
Ce champ d'investigation pourrait être l'occasion de rapprocher universitaires
et industriels, civils et militaires.
Qu'il s'agisse de cours dispensés à l'école, à l'université ou en entreprise
ou de stages consacrés à la défense des intérêts nationaux à l'image des
sessions de l'IHEDN, il importe de diffuser largement dans le pays une culture
du renseignement.
Aux Etats-Unis, services de renseignement, hommes politiques, industriels et
diplomates travaillent souvent main dans la main, en parfaite harmonie.
L'actualité de ces dernières années nous en a encore fourni quelques
preuves.
Quant aux services de renseignement japonais, ils représentent un levier
fondamental pour l'économie nationale, dont les performances en matière de
veille technologique ne sont plus à démontrer. Ces services, l'AIST par
exemple, sont d'ailleurs directement reliés au puissant MITI, le ministère du
commerce extérieur et de l'industrie.
A la lecture de ce tableau, il est aisé d'affirmer que le rôle de ces services
s'est accru depuis l'effondrement de l'empire soviétique.
Les champs d'investigation se sont dilatés et la mission des services de
renseignement est désormais pluridisciplinaire.
La remise en cause de l'ordre mondial a imposé aux milieux du renseignement
des défis d'une nature et d'une dimension nouvelles. Leur mission est rendue
d'autant plus difficile que la révolution technologique des moyens de
communication multiplie les flux d'informations qu'ils sont censés contrôler et
analyser.
Il n'est d'ailleurs pas évident que ces services puissent relever les défis
d'Internet et de la cryptologie.
Il est par conséquent justifié qu'on leur accorde la priorité financière qui
est inscrite dans le projet de loi.
Mais l'Etat doit être également plus rigoureux vis-à-vis de leur
fonctionnement et dans l'accomplissement de leurs missions.
Leur efficacité à prévoir les menaces conditionne fortement la sécurité de nos
concitoyens.
Cette réussite passe par une meilleure coordination entre les différents
services, notamment entre la DST, la DGSE et la DRM.
L'accroissement de leurs moyens humains et technologiques, l'élargissement de
leurs domaines d'activité, leur rôle fondamental dans notre politique de
défense m'incitent à penser que ces services doivent désormais faire l'objet
d'un contrôle parlementaire.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur About.
M. Nicolas About.
Je termine, monsieur le président.
Le temps des espions soviétiques étant révolu, on ne peut plus mettre en avant
le risque d'intelligence avec l'ennemi, qu'on opposait souvent aux
parlementaires.
Représentant du peuple souverain, le parlementaire, quelle que soit son
appartenance politique, a le sens de la nation et poursuit son action dans le
souci de défendre les intérêts de son pays.
A ce titre, il est digne de représenter ses pairs dans une délégation
restreinte, chargée d'auditionner les directeurs des services de
renseignement.
Monsieur le ministre, une telle délégation devrait être chargée chaque année
de remettre au Gouvernement un rapport sur l'action et le fonctionnement de nos
services de renseignement.
De telles commissions existent déjà dans certains Etats comme l'Allemagne et
le Royaume-Uni, où parlementaires et gouvernements se déclarent satisfaits de
ce contrôle parlementaire. Notre pays doit faire ce saut qualitatif qui
accélérerait la démocratisation de nos services de renseignement.
Le contrôle parlementaire des services de renseignement est une évidence qui
découle de la nouvelle donne internationale. A sa manière, il participerait à
la refondation de l'esprit de défense en France.
J'espère, monsieur le ministre, vous avoir convaincu sur ce dernier point et
je compte sur votre soutien pour favoriser la mise en place de cette délégation
parlementaire qui pourrait être précédée d'un rapport d'information sur le
contrôle parlementaire des services de renseignement.
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. de Menou.
M. Jacques de Menou.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la défense
française est entrée dans une ère nouvelle depuis l'annonce par le Président de
la République des grandes réformes indispensables pour conserver à la France la
place qui lui revient sur l'échiquier mondial. Le groupe du RPR du Sénat
approuve et soutient cette démarche.
Sur le plan international, Jacques Chirac a su tirer les conséquences des
évolutions géostratégiques en révisant nos relations avec l'OTAN. Tout en
rénovant son outil de dissuasion, notre pays travaille désormais, au sein de
l'OTAN, à la construction de l'identité européenne de défense. Tel est en tout
cas son objectif.
Sur le plan national, bravant toutes les tentations de frilosité et de
renoncement, un grand effort de réflexion et d'adaptation a été lancé. La
situation des finances publiques et la crise mondiale ressentie par l'industrie
de l'armement l'exigeaient. Nous sommes en effet à l'heure des choix,
stratégiques et industriels, pour la refonte de notre système de défense.
Depuis février 1996, le processus s'est déroulé très rapidement.
Le vote de la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 a
permis de donner un cadre à la nouvelle armée, et les premières
restructurations militaires et industrielles ont été planifiées. En outre, un
projet de loi tendant à préciser les mesures d'accompagnement de la
professionnalisation des armées devrait très prochainement venir en discussion
au Sénat. Enfin, monsieur le ministre, vos services préparent un texte portant
sur la création d'un statut de réserviste.
On le sait, la réforme se veut globale. Tout doit être repensé en profondeur,
qu'il s'agisse de stratégie militaire, des matériels, des hommes ou de la
politique d'exportation.
Toutefois, monsieur le ministre, permettez-moi d'exprimer quelques inquiétudes
et de proposer des suggestions, inquiétudes qui ont déjà été largement
exprimées par les importantes manifestations qui ont eu lieu dans tout le
pays.
Le traitement local de la réforme ne me paraît pas suffisamment pris en
compte. Je mesure toute l'importance des choix nationaux et je les approuve,
mais le Breton que je suis, élu d'un département si impliqué dans notre système
de défense, reste préoccupé par les conséquences qui peuvent en découler sur le
terrain en termes de perte d'emplois, de chute d'activité, de manque de crédits
compensatoires.
Prenons l'exemple de la professionnalisation des armées, qui concerne de près
le Finistère. Dans le seul secteur de la marine, le nombre des militaires
engagés qui remplaceront les appelés est évalué à 1 300 ; ce seront autant
d'emplois fixes pour des permanents qui bénéficient d'un meilleur pouvoir
d'achat et qui sont davantage intégrés à la vie régionale que des appelés. Le
phénomène me paraît donc très positif.
Je m'interroge en revanche sur les futurs centres de service national ou
centres d'évaluation, d'orientation et d'information, comme celui de la ville
de Châteaulin, un des neuf sites choisis, jusqu'à présent, pour les abriter. Ce
centre accueillera des jeunes lors de leur rendez-vous citoyen avec l'armée. Je
sais, monsieur le ministre, que vous y portez une attention particulière, et je
vous en remercie.
J'approuve tout à fait le principe de ces lieux d'échange qui offrent une
double dimension de formation et d'ouverture, très bénéfique à la vie sociale
et économique locale. Les jeunes, tout en s'enrichissant, découvrent une
région. Ils pourront mettre à profit ce séjour, que vous avez vous-même
qualifié, monsieur le ministre, de « moment fort » de la vie de citoyen, pour
effectuer un bilan professionnel, culturel et bien sûr civique. Le passage de
ces jeunes, au nombre de 400 000 dès 1999, me paraît très positif pour les
régions d'accueil.
Par ailleurs, les journées du rendez-vous citoyen permettront de préserver,
voire de renouveler le lien entre l'armée et la nation.
Je me demande néanmoins si ces centres seront dotés des moyens nécessaires
pour assurer leur mission. On sait que votre ministère devrait prendre en
charge les coûts de fonctionnement des centres. L'enveloppe financière de la
direction du service national, qui s'élève à 1 milliard de francs, devrait
permettre de mettre en place les premiers centres de rendez-vous citoyen. Cette
somme devrait constituer à terme la participation financière de la défense dans
sa forme définitive.
Je souhaiterais que vous me rassuriez sur ce point. Il est à mes yeux
indispensable que des garanties financières nous soient données quant au
fonctionnement de ces centres, afin que les collectivités locales n'aient pas,
demain, à faire face à des charges inattendues.
Bien entendu, mon souci majeur reste la restructuration de la direction des
constructions navales, la fameuse DCN, dont la Bretagne détient les deux
fleurons, Brest et Lorient. Je pense également à Cherbourg, site pour lequel
mes collègues Le Grand et Bizet s'associent à ma demande.
Après une phase de réflexion, engagée dès le mois de septembre 1995 par le
biais du groupe de travail présidé par M. Jean-Yves Helmer, délégué général à
l'armement, pour donner une ambition nouvelle à la DCN, vous avez présenté,
monsieur le ministre, une réforme qui porte sur quatre points.
Tout d'abord, la séparation entre activité étatique et activité industrielle
est parachevée par la création de deux directions distinctes.
La deuxième orientation vise à rechercher de nouveaux marchés à l'exportation
par la valorisation du rôle de la DCN internationale.
Troisièmement, la DCN évoluera vers un mode de fonctionnement d'entreprise
concurrentielle, en respectant le statut du personnel.
Enfin, l'adaptation des effectifs au plan de charge prévisionnel s'effectuera
dans les prochaines années. Sur un total de près de 25 000 salariés, il est
prévu de supprimer 2 240 emplois d'ici à la fin 1997 à la DCN.
Le Président Chirac a, je pense, bien entendu le message des parlementaires
bretons lors de son entretien du 7 octobre dernier. Il a manifesté à la fois
son intérêt et sa compréhension des problèmes que nous lui avons exposés.
Il nous a assuré que les restructurations dans le secteur de la défense ne
donneraient lieu à aucun licenciement sec et seraient compensées poste par
poste. La plupart des personnels en sureffectif se verraient offrir des postes
dans les armées, et pour les autres postes en surnombre interviendraient des
réductions du temps de travail.
Je voudrais insister sur la nécessité de compenser les emplois industriels par
des emplois de même nature et non par des emplois de service comme je crains
que ce soit le cas. Il faut absolument préserver le tissu industriel de ces
régions. Je parle aussi bien au nom de la Bretagne qu'au nom des autres sites
concernés. Conserver aux emplois leur caractère industriel conditionne, en
effet, les équilibres économiques locaux. Mon inquiétude porte également
principalement sur l'avenir des entreprises sous-traitantes, dépendantes de la
DCN pour leur activité. En effet, les arsenaux de Brest et de Lorient
travaillent avec plus de 500 entreprises, et la DGA a estimé que près de 20 %
des emplois industriels bretons relèvent des activités militaires.
Ces chiffres font de la Bretagne et du Grand Ouest la région française la plus
dépendante des activités de défense. Un salarié sur cinq travaille pour la
défense contre un sur dix-sept sur le territoire national. A l'échelon
européen, la Bretagne est la quatrième région la plus liée aux industriels de
l'armement. On le comprend, la réussite de cette restructuration constitue un
enjeu majeur pour notre développement économique.
Le Gouvernement a prévu un dispositif d'accompagnement social des
restructurations. Ce dispositif, instauré aux échelons national et régional, a
permis d'avancer des solutions telles que la mise en place de cellules de
reconversion pour la formation et l'aide à la recherche d'emploi, à Lorient,
plus particulièrement, où des perspectives d'activités nouvelles existent dans
la plasturgie lourde, la réparation et la construction navales.
Des conventions ont été signées ou sont en préparation entre l'Etat et les
grandes régions concernées. Pour chacune d'entre elles, un délégué régional aux
restructurations militaires et au redéploiement industriel a été nommé.
En matière sociale, je souhaite vivement que le reclassement offert aux
employés des arsenaux soit également prévu pour les personnels des entreprises
sous-traitantes, dont les pertes induites actuellement par les restructurations
s'élèveraient à quelque 2 500 emplois. Ce chiffre est considérable. Cet aspect
humain ne me paraît pas assez pris en compte par la réforme.
Il faut désormais trouver des solutions pour l'accompagnement économique des
restructurations et pour éviter toute perte de substance industrielle pour des
régions comme la Bretagne. Cet accompagnement économique passe, j'en suis
convaincu, par un partenariat étroit entre la DCN et les entreprises
locales.
La DCN doit, bien entendu, les entraîner, notamment dans le développement de
ses activités à l'exportation. En dépit de leur savoir-faire approfondi, très
particulier à ce secteur de pointe, les entreprises spécialisées dans
l'industrie militaire navale n'ont pas, à elles seules, de capacité
internationale.
Par ailleurs, la DCN ne possède pas les moyens commerciaux en rapport avec sa
taille. Un soutien commercial apporté aux sous-traitants lui permettrait de
renforcer sa compétitivité face à un marché moyen déjà très difficile.
Les projets doivent, selon moi, être entièrement dirigés par la DCN qui doit
rester leader dans la stratégie d'orientation et de décision, car elle seule
détient une crédibilité reconnue à l'échelon mondial.
On pourrait donc imaginer que DCN internationale soit associée à des
entreprises par le biais de relais locaux de cette branche de la DCN, dans
chaque bassin d'emploi concerné. Pour réussir la symbiose avec les entreprises
sous-traitantes, il faut absolument prévoir des structures locales, en donnant
aux DCN locales des moyens commerciaux adaptés.
Il faut également accepter que les DCN locales ne soient pas compartimentées
de manière excessive. La réforme doit intégrer cette notion de décentralisation
pour donner la pleine mesure de son efficacité. Cela vaut, à mon avis, pour
tous les sites.
Toutefois, l'exportation ne saurait constituer le seul débouché, même si cette
piste est nettement privilégiée.
Certes, DCN industrielle prévoit de réaliser, grâce à son plan export, un
chiffre d'affaires de 5 milliards de francs contre 3 milliards de francs
aujourd'hui, avec des projets déjà sur pied.
On parle ainsi de quatorze offres provenant de cinq pays pour des sous-marins
conventionnels, de contrats en Asie du Sud-Est, d'appels d'offres sur les
bâtiments de surface pour le Moyen-Orient et de rénovation de systèmes de
combat sur des frégates brésiliennes pour un montant de 400 millions de
francs.
Je me réjouis, bien entendu, de ces perspectives, mais j'attire votre
attention, monsieur le ministre, sur la nature des contrats très orientés sur
l'exploitation d'armement militaire lourd, ce qui limite l'activité.
C'est pourquoi je voudrais insister sur la nécessité de soutenir la DCN et les
entreprises sous-traitantes dans leur effort de diversification vers le secteur
civil qui peut aussi intégrer de l'exportation d'armement. Les applications
civiles sont, en effet, également porteuses d'emplois et de dynamisme
économique pour les régions.
A cet égard, le savoir-faire de l'industrie militaire navale permet
d'envisager des projets civils, comme la construction ou la maintenance de
plates-formes offshore, qui pourrait entraîner la création de six cents emplois
en Bretagne.
Je souhaite donc vivement que les crédits de votre ministère ne soient pas
concentrés sur la seule DCN internationale, dont je salue l'importante mission,
mais qu'ils soient également affectés aux DCN locales, à leurs sous-traitants
pour des mission civiles.
A ce titre, j'aimerais que des informations puissent nous être fournies sur la
ligne budgétaire de la récente loi de programmation consacrée à l'adaptation
industrielle de l'armement. Le chiffre global qui nous a été communiqué est de
4,7 milliards de francs dont 4,1 milliards de francs consacrés à la DCN.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner le détail de l'utilisation de
ces fonds dont dépendent de nombreux emplois dans les arsenaux ? Il me semble
que le soutien aux DCN et aux entreprises locales doit y tenir une large
part.
J'insiste sur cet aspect local si important pour la survie économique des
régions abritant les sites concernés. Il faut à l'évidence que le Gouvernement
prenne conscience de la nécessité de décentraliser des activités nouvelles pour
compenser les pertes d'emploi. Il faut être clair, quels que soient les efforts
de la DCN et la vitalité dont vous ferez preuve, monsieur le ministre, dans vos
démarches, les emplois perdus ne seront jamais retrouvés dans les activités
nouvelles de la DCN. De nouvelles décentralisations s'imposent donc.
La DCN et ses sous-traitants réunissent un savoir-faire et des compétences de
haut niveau que nous devons absolument valoriser, soit isolément, soit en
faisant appel à d'autres entreprises afin qu'elles joignent leurs efforts aux
nôtres.
Les ressources de la DCN ont déjà amorcé une réduction sensible qui sera
aggravée par la mise en oeuvre de la loi de programmation.
Je rappelle, par ailleurs, monsieur le ministre, que la DCN n'est éligible à
aucune subvention, contrairement à nos grands chantiers navals qui en
bénéficient. Il est donc indispensable d'affecter une bonne partie des 4,1
milliards de francs destinés à la DCN à la nécessaire décentralisation des
activités.
Enfin, à la lumière des enjeux, je souhaite avancer une suggestion qui
concerne le port de Brest. Ne serait-il possible d'étaler davantage la
construction des navires prévus ? Peut-être la date de lancement de certains
d'entre eux pourrait-elle être avancée ? Voilà qui permettrait un meilleur
étalement de l'utilisation de l'outil industriel.
Le général de Gaulle, dans son dernier discours public en 1969 à Quimper,
déclarait : « Nulle part, on ne fut, plus qu'ici, fidèle à sa patrie ». Il est
vrai que les Bretons ont beaucoup donné, notamment en se pliant aux contraintes
imposées aux activités économiques locales dans les ports militaires de Brest
et de Lorient.
Toutefois, monsieur le ministre, cette phrase peut s'appliquer à l'ensemble
des ports militaires et des sites concernés par cette réforme, qui ont tous
souffert des règlements imposés par l'armement naval.
Aujourd'hui, ce serait un juste retour des choses que de donner à ces régions,
touchées en profondeur par ces restructurations, les moyens de préserver leur
dynamisme économique et leurs emplois, par une rénovation décentralisée de
cette puissance navale qui fait la fierté de la France.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le ministre, la tâche que vous avez entreprise me paraît devoir être
qualifiée de mission impossible. En effet, vous voulez en même temps réformer,
moderniser, professionnaliser, restructurer et, ce n'est pas une mince gageure,
économiser, participer à la rigueur financière. Autrement dit, vous voulez
mieux pour moins cher. Qui ne serait pas d'accord ? Mais est-ce possible dans
le climat économique et social que connaît actuellement la France ?
Un rapport parlementaire récent a essayé de mieux cerner le coût du passage de
la conscription à une armée de métier. Ce rapport a le mérite d'évaluer les
incidences financières des mesures que vous envisagez de prendre pour mettre en
oeuvre votre réforme. Je crains toutefois que ces estimations ne soient
sous-évaluées, bien qu'elles soient importantes, et je voudrais étayer mes
craintes par quatre exemples.
Premier exemple, l'aide au départ des officiers et des sous-officiers
permettra à la fois, vous l'avez précisé, de réduire et de rajeunir les
effectifs, tout en augmentant leur technicité et le taux d'encadrement, puisque
ce dernier passerait de 51 % à 66 %.
Diverses mesures incitatives sont envisagées, car ces départs se feront, vous
l'avez également souligné, sur la base du volontariat. L'attribution d'un
pécule, notamment, est prévue à titre temporaire, mais dès lors comment
concilier la volonté de conserver dans l'avenir une armée de métier jeune et la
disparition d'une mesure d'incitation au départ ? Les difficultés de
reconversion feront hésiter, je le crains, de nombreux militaires. J'ai peine à
concevoir aujourd'hui que l'on puisse envisager une diminution des aides
financières au départ sans améliorer de façon importante la situation de
l'emploi. Or, dans presque tous les secteurs, on supprime des emplois, et vous
aussi, monsieur le ministre, vous en supprimez des milliers.
Deuxième exemple, le recrutement des engagés coûtera fort cher. Le même
rapport parlementaire le chiffre à environ six milliards de francs par an, mais
je ne suis pas certain qu'il prenne en compte le remplacement des appelés dans
les ministères, dans la police, dans la gendarmerie et dans de nombreux autres
services. Certes, chaque ministère, chaque service devra prendre en charge son
personnel, mais cela aura un coût, et il s'agira alors plus d'une clarification
budgétaire que d'une réelle économie.
Mais peut-on seulement envisager une économie ? Un professionnel coûte
forcément plus cher qu'un appelé. Vous avez pris des mesures financières et des
mesures incitatives en termes de carrière et de reclassement qui, elles aussi,
auront bien évidemment un coût.
Troisième exemple, l'aide aux villes qui perdent leur garnison ainsi que la
réhabilitation des casernes qui seront destinées à loger non plus des appelés
mais des unités professionnelles sont évaluées à quelque 6 milliards de francs
sur quatre ans.
L'expérience vécue et subie par les anciennes communes minières montre non
seulement que toute reconversion est difficile, mais aussi qu'elle coûte en
général beaucoup plus cher qu'on ne l'avait initialement prévu. En outre, même
si ces reconversions ont parfois réussi à être traduites dans les faits, elles
ont rarement pu être qualifiées de pérennes.
Vous avez précisé, monsieur le ministre, que les coûts de la reconversion ne
seront pas prélevés sur votre budget. Mais alors sur quel budget le seront-ils
dès lors que tous les ministres participent à l'effort de rigueur financière ?
Il aurait été plus logique et plus normal que votre ministère, qui contribue à
l'affaiblissement économique de communes et de régions entières, prenne en
charge les conséquences des mesures qu'il décide. Il n'est pas sain de les
faire supporter par d'autres.
Quatrième et dernier exemple, le rendez-vous citoyen aura, lui aussi, un coût
beaucoup plus élevé que celui qui est annoncé. Le rapport qualité-prix risque
fort d'être inversé et de se traduire par la formule : peu d'efficacité pour un
coût élevé.
Qui assumera le fonctionnement du rendez-vous citoyen ? Cette rencontre, telle
qu'elle est envisagée, est-elle gérable ? Peut-on croire, comme vous l'avez
affirmé, ainsi que d'autres d'ailleurs, qu'elle permettra, si le besoin s'en
fait sentir dans l'avenir, de revenir à un service militaire national ?
Cela supposerait que vous conserviez et entreteniez des casernes vides, du
matériel d'armement, de transport et de communication afin de les utiliser
ultérieurement, le cas échéant, si l'on revenait à une situation comparable à
celle que nous connaissons actuellement. Sinon à quoi servirait-il d'envisager
la possibilité de revenir au service militaire ? Voilà qui me paraît irréaliste
et contraire à la notion d'économie.
Cependant, votre budget est en baisse ; il participe à la rigueur financière.
Monsieur le ministre, vous n'avez pas les moyens nécessaires à votre réforme.
Vous-même, ou vos successeurs, aurez à choisir demain entre la poursuite de
celle-ci et la rigueur financière.
Le coût de votre réforme sera beaucoup plus élevé que celui que vous annoncez.
Elle pèsera sur les budgets à venir de la défense et de la France, car elle
vient au mauvais moment. Elle est incompatible avec la maîtrise des dépenses et
participe, hélas ! à la progression du chômage en ajoutant immédiatement et
plus encore demain des chômeurs à l'armée grandissante des sans-emploi. Elle
contribuera également à l'appauvrissement de nombreuses villes et de nombreuses
régions.
Au moment où le Gouvernement déclare vouloir encourager les créations
d'emplois, vous en supprimez des milliers. Vous ne donnez donc pas le bon
exemple.
M. Emmanuel Hamel.
C'est, hélas ! vrai.
M. André Rouvière.
Oui, votre réforme arrive au plus mauvais moment. Vous et vos collègues avez
souvent parlé de l'héritage socialiste. Je crains que nous n'ayons à parler
bientôt, monsieur le ministre, de votre héritage...
M. Bertrand Delanoë.
Hélas !
M. André Rouvière.
... en constatant une armée réduite, mal entretenue, chère et équipée de
matériel étranger.
Monsieur le ministre, votre réforme me fait peur car vous n'avez pas les
moyens de la réaliser. Oui, votre mission me paraît être une mission
impossible.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées
du RDSE. - M. Emmanuel Hamel applaudit également.)
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier d'une manière tout à fait
particulière M. de Villepin, président de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées, pour son analyse perspicace et
pour son soutien efficace. Je tiens également à le remercier pour l'amabilitéé
de ses propos et pour la clarté de ses observations.
Je remercie aussi tous les orateurs qui ont souligné le caractère historique
de la réforme, qu'ils y soient favorables ou opposés. Il s'agit, en effet,
d'une réforme fondamentale qui, comme l'a rappelé M. de Villepin, permettra de
refonder notre défense.
Je remercie également l'ensemble des intervenants pour toutes les
observations, remarques et suggestions qui ont été faites.
Je remercie, enfin, ceux qui ont souligné l'ampleur du défi à relever. Il
s'agit bien de diminuer les dépenses, d'augmenter l'efficacité de la défense et
de mener à bien une réforme des structures. Certains y voient une
contradiction. Pour ma part, j'y vois simplement un défi à relever, dans une
période sans doute difficile sur le plan économique, mais passionnante en
matière politique et d'équilibre des nations.
Je vais maintenant, autant que faire se peut, répondre à vos questions et
interpellations et, si vous m'y autorisez, mesdames, messieurs les sénateurs,
j'adopterai un plan très didactique en reprenant successivement les questions
financières, les questions concernant le personnel de la défense, les questions
ayant trait au service national et aux réserves, les questions industrielles,
les questions touchant aux programmes et, enfin, celles qui concernent
l'Alliance atlantique et l'Union européenne.
J'évoquerai, tout d'abord, les questions financières.
Le projet de budget pour 1997 est effectivement égal à la première annuité de
la programmation militaire. Je remercie MM. de Villepin et Vinçon de l'avoir
constaté : lorsqu'une promesse est tenue, il convient de le souligner !
Cela étant dit, je partage leur souci de voir cette programmation
intégralement appliquée. Tel ne serait pas le cas si la fin de la gestion en
cours était gravement perturbée. Tel ne serait pas non plus le cas si une
solution satisfaisante n'était pas trouvée au « lancinant problème » du
financement des opérations extérieures.
S'agissant des opérations extérieures, je vous rappelle que la question de
leur financement a été abordée à la fin du mois d'avril, lors du conseil de
défense qui s'est réuni pour examiner le projet de loi de programmation
militaire pour les années 1997-2002. Le Président de la République a alors
décidé qu'une distinction serait établie entre les opérations extérieures «
normales », qui seraient prises en charge par le budget des armées, et les
opérations extérieures « exceptionnelles », dont le financement ne serait pas
assuré par elles.
Des propositions doivent être faites au cours des prochaines semaines au
Premier ministre et au Président de la République, afin qu'une décision puisse
être définitivement rendue sur cette question. Bien évidemment, dès que la
décision sera prise, je ne manquerai pas d'en informer le Parlement.
En ce qui concerne la fin de l'exercice 1996, qui sera déterminante pour ce
que l'on pourrait appeler « l'entrée dans la programmation », je voudrais vous
faire part de mon point de vue.
L'exécution du budget voté par le Parlement est un sujet de préoccupation
constant pour le ministre de la défense, et ce depuis des années. C'est
pourquoi - je m'adresse là à M. Delanoé et à M. Paul Girod - je suis et
resterai vigilant. De ce point de vue, 1996 ne déroge pas à la règle générale,
que vous connaissez.
Cependant, à certains égards, la gestion 1996 - il convient, là aussi, de le
souligner - se présente beaucoup mieux que la précédente.
Ainsi, les annulations de crédits supportées par le budget d'équipement des
armées s'élèvent, cette année, à 6,4 milliards de francs contre 11,9 milliards
de francs en 1995.
Par ailleurs, les conséquences des annulations intervenues au début de l'année
- soit 3,7 milliards de francs - ont pu être prises en compte dans la
préparation de la loi de programmation militaire qui a été votée à la fin du
mois de juin.
Quant aux crédits de report en provenance de la gestion 1995, qui s'élevaient
à 12,1 milliards de francs, ils ont été rattachés dès le mois de juillet au
budget du ministère, alors qu'antérieurement ce rattachement n'intervenait
qu'au mois de novembre, ce qui avait pour effet de rendre quasiment impossible
l'utilisation de ces crédits.
Enfin, les armées ont bénéficié, grâce au décret d'avance, d'un remboursement
de 2,7 milliards de francs au titre des opérations extérieures, ce qui devrait
leur permettre d'assurer leur fonctionnement jusqu'à la fin de l'année.
Il n'empêche que la plus grande vigilance demeure de mise jusqu'à la clôture
de la gestion. M. de Villepin a souligné, à juste titre, que les derniers mois
de l'année sont propices à la mise en oeuvre de toutes sortes de mesures visant
à freiner les dépenses d'équipement militaires. Ce dont je puis assurer la
représentation nationale, c'est que tout est fait au sein du ministère de la
défense pour gérer au mieux les moyens qui nous sont alloués, et ce malgré les
à-coups que nous pourrions supporter.
Telles sont les remarques que je voulais formuler à propos des questions
financières, notamment en ce qui concerne l'exercice 1996.
J'ajouterai simplement que je mettrai tout en oeuvre pour que la première
annuité de la programmation militaire soit effectivement respectée.
En ce qui concerne les questions relatives au personnel de la défense, je ne
m'appesantirai pas sur la mise en oeuvre de la professionnalisation ; nous en
débattrons le 20 novembre prochain, lorsque vous examinerez le projet de loi
relatif aux mesures en faveur du personnel militaire dans le cadre de la
professionnalisation des armées.
M. de Villepin s'est interrogé sur certains aspects de l'évolution du format
des armées qui touchent, en particulier, au recrutement des engagés et à la
régulation des flux annuels de départ.
Le recrutement des engagés à un rythme très supérieur à celui que nous avons
connu jusqu'à présent constitue, il est vrai, l'un des défis de la
professionnalisation. J'ai souligné, dans mon propos introductif, que nous
souhaitions nous donner les moyens de cette grande entreprise, non seulement en
termes budgétaires, mais aussi par une approche globale de leur condition, qui
ira du recrutement à la reconversion.
Certains m'ont interrogé sur la signification du terme « reconversion ». Il
est bien évident que nous devrons tout mettre en oeuvre pour que, au terme de
son engagement, l'engagé puisse avoir les compétences suffisantes afin de se
réintégrer dans la vie civile. C'est la raison pour laquelle le ministère de la
défense aura la responsabilité de la reconversion professionnelle de ceux qui
se seront engagés dans les armées.
En matière de professionnalisation, la période de transition prendra
rapidement tout son sens, puisqu'elle nous permettra de nous appuyer sur le
régime actuel du service militaire obligatoire pour faire connaître aux jeunes
qui sont sous les drapeaux les possibilités d'engagement. Le nombre actuel de
volontaires pour un service long témoigne de leur réceptivité à ce message.
S'agissant maintenant de la régulation des flux annuels de départ, je
comprends parfaitement l'interrogation de M. de Villepin : nous n'avons pas
encore de perception précise du nombre des militaires qui souhaiteront quitter
les armées.
Toutefois, il est clair que, ces derniers mois, de nombreux militaires ont
différé leur départ dans l'attente des mesures incitatives qui avaient été
annoncées. Ce fait, conjugué aux modalités de calcul du pécule qui le rendront
tout particulièrement attractif en 1997 et 1998, donne à penser que nous
devrions atteindre sans trop de difficulté les objectifs de départ fixés par la
loi de programmation.
Toutes ces dispositions concernant le personnel me paraissent avoir été bien
comprises et bien admises par la communauté militaire, qui aborde ces
évolutions avec un grand sens des responsabilités. Aussi ai-je été très
sensible à l'hommage rendu par M. Carle aux personnels militaires et civils de
la défense, et je tiens à l'en remercier.
Je pense d'ailleurs que cet état d'esprit tient en partie aux actions de
concertation qui ont été développées dans le cadre de la préparation de cette
réforme. Je veux dire à MM. Trucy et Machet, qui ont souligné l'importance de
cette dimension, qu'il est évident qu'une concertation permanente est
nécessaire pour la mise en oeuvre de la réforme.
Les organes de concertation propres aux armées - le Conseil supérieur de la
fonction militaire et le Conseil de la fonction militaire de chaque armée et
service - ont naturellement pris toute leur part dans cet exercice et leurs
avis sont venus enrichir le texte du projet de loi qui vous sera soumis le 20
novembre prochain. J'avais, pour ma part, entrepris une tournée dans les
armées, qui m'a permis de rencontrer les personnels civils et militaires de la
défense et de prendre la mesure de leurs attentes. J'ai rencontré plus de huit
mille personnes, avec qui j'ai pu débattre des différentes mesures à mettre en
oeuvre afin de réussir la professionnalisation.
L'effort de communication qui a été engagé est important, il doit être
poursuivi. Je m'engage à l'égard de la représentation nationale à poursuivre
cette concertation, car elle me paraît indispensable à la réussite de la
réforme.
S'agissant des questions relatives au service national et aux réserves,
permettez-moi de solliciter de votre part l'absence d'ironie à l'égard du
rendez-vous citoyen.
Si je comprends que cette réforme puisse susciter critiques et
contre-propositions, je ne conçois pas qu'on ironise sur une période dont
l'objectif est de renforcer le lien entre, d'une part, l'armée et la nation et,
d'autre part, la nation et la jeunesse. Cette période est destinée à être un
moment fort du civisme et à démontrer à chacun quels sont ses droits et ses
devoirs dans le cadre de la communauté nationale.
Comme l'a très justement souligné M. Carle, il ne s'agit pas, avec le
rendez-vous citoyen, de prétendre atteindre en quelques jours les objectifs
éducatifs qui incombent avant tout à la famille et à l'école. Le rendez-vous
citoyen n'aura de sens que s'il s'inscrit dans un cursus de formation civique.
Il prendra d'ailleurs d'autant plus de sens si, comme l'a proposé M. Xavier
Emmanuelli, il s'inscrit également dans un parcours d'insertion sociale.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Très bien !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
A cet égard, la réforme du service national doit
provoquer un réveil de l'esprit de citoyenneté dans toute la nation, que ce
soit par le renouveau de l'instruction civique dans les écoles, par
l'intervention de témoins pendant le rendez-vous citoyen ou par la formation
civique qu'apporteront aux jeunes volontaires les administrations, les
associations et les entreprises qui les accueilleront.
Le Gouvernement souhaite, vous le comprendrez, que la représentation nationale
fasse connaître ses observations et ses suggestions, afin que ce rendez-vous
citoyen soit effectivement un lieu, une période où la jeunesse de France puisse
forger et renforcer ce lien qu'elle a avec la communauté nationale.
Le Gouvernement proposera que ce rendez-vous citoyen soit précédé d'un
recensement. En effet, grâce à ce dernier, le maintien du principe de la
conscription sera garanti, conformément aux voeux exprimés par nombre de
parlementaires, tant sénateurs que députés, et rappelé voilà quelques instants
par MM. de Gaulle et Vinçon.
M. Paul Girod s'est inquiété de la disparition du service national dans sa
forme actuelle et du fait que l'on ne pourrait plus voir une « nation en armes
». Je lui dirai que la réforme s'engageant aujourd'hui prend en compte les
nouvelles conditions géostratégiques. Celles-ci ont été analysées par les
parlementaires lors de la discussion du projet de loi de programmation
militaire, lequel a été adopté.
Nous savons bien qu'existent d'autres menaces - le terrorisme, les mafias,
l'intégrisme violent - ainsi que d'autres dimensions dans la protection et dans
la prévention. Mais - je le dis de manière très claire - le maintien dans sa
forme actuelle du service national ne permettrait pas de mieux juguler de
telles menaces.
La question du plan Vigipirate, qui a nécessité la mobilisation de près de 50
000 hommes, a été soulevée. Mais je soulignerai dans quelques instants qu'une
armée professionnelle exige parallèlement la mise en oeuvre de réserves. Ces
dernières pourront alors être mobilisées pour faire face à des situations
exceptionnelles.
Quant au financement des centres de rendez-vous citoyen, je voudrais rassurer
M. de Menou en lui précisant que les collectivités territoriales ne seront pas
sollicitées. Mais il pourrait être fait appel à elles sous d'autres formes,
dans l'esprit de ce que je viens d'indiquer : accueil de volontaires,
participation à l'animation du rendez-vous citoyen, témoignage des élus. La
phase d'expérimentation qui débutera après le vote de la loi, au printemps
prochain, permettra de préciser ces différents points et de créer des synergies
entre toutes les initiatives civiques pouvant être prises sur les plans local
et national.
Bien entendu, comme l'a souhaité M. Trucy, le débat sur la réforme du service
national sera l'occasion de donner à la Haute Assemblée toutes les informations
relatives au financement.
En ce qui concerne le volontariat, j'ai bien pris en compte le souci de nombre
d'entre vous, particulièrement de M. le président du Sénat et de M. Xavier de
Villepin, qu'une place significative soit faite au volontariat tourné vers la
coopération internationale. Le projet du Gouvernement prévoira qu'un des trois
domaines de mise en oeuvre du volontariat y soit consacré. Il permettra aux
jeunes Français qui le souhaiteront de connaître une première expérience
d'expatriation, et favorisera ainsi l'ouverture vers le monde d'un nombre
croissant d'entre eux, condition de la réussite économique et du rayonnement
culturel de la France.
Pour terminer sur les questions relatives au service national, je voudrais
confirmer une nouvelle fois ce qui est prévu dans le projet gouvernemental,
conformément aux propositions faites par M. le Président de la République le 28
mai dernier, pour la période de transition, sur laquelle M. de Villepin m'a
interrogé.
Premièrement, les jeunes gens nés avant le 1er janvier 1979 effectueront leur
service national sous le régime du code du service national aujourd'hui en
vigueur, ce qui veut dire que les informations parues dans la presse sur la fin
anticipée du service national sont sans fondement.
Deuxièmement, le nombre des incorporations décroîtra progressivement au rythme
de la diminution des postes d'appelés dans les armées et de la réduction
progressive du volume des sursitaires.
Troisièmement, il n'est pas prévu de modifier la durée du service national
pendant les premières années de la phase de transition.
Quatrièmement, s'agissant de la durée du service national, je peux rassurer M.
François Trucy : la durée du service des objecteurs de conscience ne sera pas
modifiée tant que celle du service militaire ne le sera pas elle-même.
Plusieurs d'entre vous, notamment M. François Trucy, ont évoqué la question
des réserves.
Le Gouvernement envisage de proposer au Parlement, dans un projet de loi qui
viendra en discussion au premier trimestre 1997, la constitution de deux
réserves.
La première réserve de 100 000 hommes - 50 000 hommes pour les forces armées,
50 000 hommes pour la gendarmerie - permettra de répondre à des situations
exceptionnelles, comme celle de Vigipirate.
Le projet de loi en cours de préparation apportera à ces personnels de réserve
un ensemble de garanties qui préservera leur emploi et leur couverture sociale
vis-à-vis de leurs employeurs civils, publics et privés.
Cette démarche très attendue est d'ores et déjà accompagnée par une forte
politique contractuelle qui associe mon département ministériel aux employeurs
civils, sous forme de conventions. Ces dernières constituent une première en
Europe ; elles définissent de manière adaptée les droits et obligations des
partenaires.
Quant à la seconde réserve, elle permettra de réunir les personnels qui, ne
pouvant être mobilisés, pourront néanmoins, en raison de compétences
particulières, participer à la défense du pays dans certains cas. Une analyse
de tous ces éléments figurera dans le projet de loi qui vous sera soumis.
J'en arrive aux questions industrielles.
Avant de répondre aux différentes interrogations soulevées, je rappellerai que
le Gouvernement, sur l'initiative du Président de la République, s'est engagé
dans une restructuration de l'industrie de défense.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, l'objectif est de renforcer quatre pôles
: le pôle nucléaire, le pôle électronique, le pôle aéronautique et le pôle
électromécanique. Un certain nombre d'opérations ont déjà été engagées, et je
n'y reviens donc pas. Je rappellerai simplement qu'aujourd'hui même une
opération permettant de renforcer le secteur propulsion a été menée à bien,
avec la restructuration du capital de SEP annoncée ce matin par la SNECMA et le
Gouvernement.
Trois objectifs sont poursuivis par cette restructuration du capital de SEP :
conforter l'engagement de la SNECMA dans les programmes spatiaux, consolider
les activités « freinage » au sein du groupe, consolider l'activité « missiles
stratégiques » en Aquitaine dans l'optique de la constitution du secteur «
grosse propulsion ». Je pense que M. Madrelle m'aura entendu.
M. de Villepin m'a interpellé sur les commandes pluriannuelles et m'a demandé
où l'on en était à cet égard.
La délégation générale pour l'armement demandera désormais systématiquement,
lorsque l'objet s'y prête, des propositions de prix dans les deux hypothèses de
commande normale et de commande pluriannuelle ferme.
Pour l'année 1997, une dizaine de milliards de francs de commandes pourraient
être passées, sous réserve naturellement que l'Etat bénéficie d'une réduction
du coût des matériels en contrepartie de l'engagement qu'il prend.
M. de Menou m'a questionné à propos de la DCN. Je voudrais simplement lui
préciser que le Gouvernement met aujourd'hui tout en oeuvre pour que la DCN
retrouve sa place sur le plan international. Notre objectif est évidemment
d'accroître les parts de marché extérieur de la direction des constructions
navales. C'est pourquoi les moyens et les missions de DCN internationale seront
confortés. D'ores et déjà, des actions de prospection ouvrent des voies
prometteuses, tant pour les sous-marins classiques que pour les bâtiments de
surface de toute nature.
Quant à la situation des sous-traitants, à laquelle M. de Menou a fait
référence, c'est pour la prendre en compte que le dispositif d'accompagnement
économique des restructurations a été mis en place. Une convention a été signée
à cet effet avec la région Bretagne, et une approche site par site est en cours
de finalisation.
M. Madrelle a regretté que les mesures d'accompagnement ne soient pas plus
nombreuses et s'est interrogé sur la nature de celles-ci. M. Rouvière, quant à
lui, s'est étonné que le financement de ces mesures ne soit pas inscrit en
totalité au budget de la défense.
Je répondrai à l'un comme à l'autre que, en dehors des actions du FRED, le
Fonds de restructuration des entreprises de défense, des mesures de deux types
sont engagées. Il s'agit, d'une part, de mesures économiques, et, d'autre part,
de mesures sociales.
Les mesures économiques ont pour objectif de développer les exportations. Je
l'ai rappelé à propos de DCN, mais je pourrais l'indiquer aussi à propos de
GIAT industries ou d'Eurocopter. Un contrat de fournitures pour Eurocopter à
hauteur de 3 milliards de francs a été signé cet été avec l'Arabie saoudite, et
la prospection engagée a aujourd'hui déjà abouti dans un certain nombre de
secteurs. Je sais que c'est loin d'être suffisant et qu'il conviendra, demain,
de trouver d'autres moyens pour conquérir de nouveau marchés.
Quant aux mesures sociales, si elles sont financées par le budget de l'Etat,
elles ne sont bien évidemment pas obligatoirement imputées sur le budget du
ministère de la défense. Je ne donnerai qu'un seul exemple à cet égard : nous
souhaitons qu'il n'y ait aucun licenciement sec, et il n'y en aura donc pas.
Pour qu'il en soit bien ainsi, il convient de mettre en oeuvre des mesures
d'âge, de mobilité géographique, de mobilité professionnelle et de
reconversion, de passer des conventions sur la durée du travail.
Dans ce domaine-là, comme dans le domaine économique, nous utiliserons non
seulement les crédits du ministère de la défense, mais aussi les crédits des
autres ministères - je pense notamment à la loi Robien - et les crédits des
collectivités territoriales ayant des responsabilités dans ce domaine : la
formation et la reconversion professionnelle, par exemple, relèvent pour partie
des collectivités régionales.
J'en viens maintenant à la question des programmes d'armement. Je limiterai
mon propos à l'avion de transport futur, à Hélios 2, à Horus et au second
porte-avions.
Tout d'abord, concernant l'avion de transport futur, évoqué par MM. de
Villepin, Lesein et About, je ne comprends pas l'incrédulité qui entoure ce
projet.
M. François Lesein.
Ah ?
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
En effet, les gouvernements étrangers ont
accepté, eux, la méthode proposée par le Gouvernement français et approuvée par
les gouvernements allemand et anglais. Aujourd'hui, nous ne nous dégageons pas
du dossier, mais nous voulons le traiter d'une autre manière. L'avion de
transport du futur est, pour nous, un terrain d'innovation et
d'expérimentation. Si cette méthode réussit - ce que je crois - nous y aurons
recours pour d'autres équipements.
Je ne veux pas revenir sur la méthode, je l'ai déjà exposée à cette tribune.
Je rappelle seulement qu'elle exige que les pays qui participent à la
construction de l'équipement, c'est-à-dire à l'offre, participent aussi à
l'achat de l'équipement, c'est-à-dire à la demande. Dans ces conditions, nous
souhaitons que les pays prennent des engagements dès la prise de commande, afin
de permettre le développement des équipements.
Cette méthode a été acceptée par les industriels, elle a été agréée par les
gouvernements anglais, allemand et italien - et bien sûr français, puisque
c'est nous qui l'avons proposée - et nous voulons maintenant que cette
opération puisse réussir. Il est bien évident, monsieur About, qu'il n'est pas
question pour nous de renoncer à un moyen de transport : pour pouvoir assumer
notre mission de projection, nous devons avoir des moyens de transport.
S'agissant du marché européen ou du marché américain, certains se sont étonnés
de la démarche européenne de la France. En fait, si les produits américains
sont moins chers et peuvent conquérir aujourd'hui les marchés mondiaux, c'est
parce que jouent et l'effet de série et l'effet de taille. La France seule ne
pourra faire face à la compétition américaine et à la concurrence mondiale !
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
C'est vrai !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
C'est la raison pour laquelle nous sommes décidés
à mener jusqu'à son terme la mise sur pied d'une agence européenne en matière
d'armement, car nous savons que c'est nécessaire pour pouvoir garantir
l'indépendance nationale et l'autonomie stratégique au niveau européen.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour ce qui est des satellites d'observation Hélios 2 et Horus, je
voudrais également faire le point de la situation à l'intention de MM. de
Villepin et Delanoë, qui ont parlé des relations franco-allemandes.
Concernant Hélios 2 et Horus, il est vrai qu'il y a eu discussion. Dire
l'inverse serait mentir. Il est vrai qu'avant le sommet franco-allemand de
Baden-Baden et avant celui de Dijon, qui permis le bouclage du dossier, des
discussions ont eu lieu pour déterminer les participations de chacun, pour
prévoir le rythme de mise en oeuvre du programme et pour savoir si ce dernier
méritait les crédits que l'on allait y consacrer. Aujourd'hui, l'accord est
conclu, le Chancelier Kohl et le Président Chirac l'ont confirmé à plusieurs
reprises. C'est clair, net et précis : il n'y a plus de nuages dans le ciel
!
M. Bertrand Delanoë.
L'un de vos collègues a dit l'inverse !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Je tiens donc à le confirmer une nouvelle fois de
manière claire - car c'est extrêmement important - il y a, de notre part,
constance et volonté pour traiter les dossiers Hélios 2 et Horus.
On va sans doute nous opposer un certain nombre de coupures de presse. On nous
opposera sans doute également la politique de restriction budgétaire, qui est
mise en oeuvre en Allemagne et en France.
Je le dis solennellement du haut de cette tribune, les restrictions
budgétaires françaises ne concerneront pas les programmes Hélios 2 et Horus.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission.
Bravo !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Je voulais le confirmer, car ce sont des
programmes importants qui fondent la coopération franco-allemande et il n'est
pas question pour nous d'y renoncer.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
Concernant le second porte-avions, je confirme à M. de Gaulle que sa
construction est un objectif de notre planification qui pourra être programmé
si la situation économique le permet.
Compte tenu de la position de veille dans laquelle sera placé
Le Foch
à
l'entrée en service du
Charles-de-Gaulle
et du programme d'entretien de
ce dernier, la date optimale de mise en chantier du second porte-avions
nucléaire ne devrait pas intervenir avant 2004.
D'ici là, des études générales pourront être conduites pour tirer le meilleur
bénéfice du retour d'expérience du
Charles-de-Gaulle,
et des sommes sont
d'ailleurs inscrites dans la loi de programmation militaire pour financer ces
études.
Quant aux solutions de remplacement qu'évoque M. de Villepin, plusieurs ont
été examinées par les services du ministère. Il s'agissait notamment de la
possibilité de disposer de porte-aéronefs dont l'usage serait partagé entre
différents partenaires européens. Les études conduites ont montré que de telles
solutions n'étaient pas plus économiques que celle d'un second porte-avions,
mais nous poursuivons nos études de coopération avec nos alliés.
S'agissant des questions internationales, monsieur Delanoë, je souhaiterais
que l'on ne déforme pas la réalité. Je m'exprimerai donc avec un peu de
solennité, les relations entre la France et l'Alliance atlantique étant
capitales et ne pouvant faire l'objet de fausses appréciations ou
d'inexactitudes : la France n'a pas réintégré l'organisation militaire de
l'Alliance atlantique ; le 5 décembre 1995, elle a simplement précisé qu'elle
était prête à étudier sa participation à une Alliance atlantique rénovée, un
point c'est tout.
M. Bertrand Delanoë.
Vous avez changé de discours !
M. Nicolas About.
Pas du tout !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, il
n'est pas question de prétendre qu'elle a conclu un marché de dupes : aucun
marché n'a été conclu, même si nous sommes engagés dans un débat - théorique
d'abord, pratique ensuite - pour savoir comment rénover l'Alliance
atlantique.
La France souhaite effectivement que, dans une Alliance atlantique rénovée,
soit reconnue l'identité européenne de défense et affirmé le partenariat
euro-américain. Cela explique toute la démarche qui a été engagée par le
Gouvernement français depuis le mois de décembre 1995.
M. Bertrand Delanoë.
Vous avez changé de discours !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Ce n'est pas vrai !
Je précise qu'il n'est pas question de renoncer à l'une quelconque de nos
positions précédentes tant que l'Alliance atlantique n'aura pas été rénovée.
Il est vrai que la mise en place des GFIM au niveau conceptuel a été obtenue
lors de la conférence de Berlin.
Il est vrai que l'adjoint européen au SACEUR a été accepté dans son principe
pour l'organisation de l'Alliance atlantique.
Il est vrai que des discussions ont eu lieu s'agissant de l'organisation des
commandements en Europe et que l'on a retenu le principe de deux commandements,
le commandement Nord et le commandement Sud.
Il est vrai que l'on a débattu de l'attribution des commandements
stratégiques, régionaux et subrégionaux.
Mais, pour la France, il n'est pas question de revoir sa position avant une
rénovation de l'Alliance atlantique prenant en compte l'identité européenne de
défense.
M. Bertrand Delanoë.
Comme vous avez changé ! Vous ne disiez pas cela en décembre 1995 !
M. le président.
Monsieur Delanoë, vous n'avez pas la parole !
M. Bertrand Delanoë.
Il serait intéressant, monsieur le ministre, de comparer votre discours
d'alors avec votre discours d'aujourd'hui ! Et M. Chirac ?
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Ne vous faites aucun souci, j'ai participé à
suffisamment de négociations, monsieur Delanoë, pour connaître parfaitement la
démarche du Président de la République !
M. Bertrand Delanoë.
Vous ne disiez pas la même chose, ici même, en 1995 !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Pour ce qui est de l'UEO, je voudrais faire une
petite rectification : vous avez rappelé l'action de François Mitterrand, qui a
permis de « remettre en selle » - c'est, je crois, l'expression que vous avez
utilisée - cette organisation.
M. Bertrand Delanoë.
Non, je n'ai pas dit cela !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Permettez-moi de vous préciser que c'est Jacques
Chirac, alors Premier ministre, en 1986 et 1987, qui a remis en selle l'UEO. Ce
n'est pas François Mitterrand !
M. Bertrand Delanoë.
Ce n'est pas un argument sérieux !
M. Philippe Madrelle.
C'est de la compétence du Premier ministre ?
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Voilà ce que je devais à la vérité de dire.
M. Bertrand Delanoë.
Allons, monsieur le ministre !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Enfin, je voudrais préciser que, pour ce qui est
de la construction de l'Europe de la défense, le Gouvernement n'a aucune leçon
à recevoir.
Quand j'ai pris mes responsabilités, je me suis saisi d'un dossier qui me
paraissait essentiel, celui de l'Europe de l'armement. Si, depuis 1994, un
certain nombre de contacts avaient déjà été pris et si un certain nombre
d'études avaient été effectuées, peu d'initiatives avaient été engagées.
M. Bertrand Delanoë.
Ce n'est pas vrai !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Aujourd'hui, on constate simplement que l'Agence
européenne de l'armement existe déjà en germe dans l'Agence franco-allemande de
l'armement, que l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Espagne et un certain nombre de
pays ont déjà demandé à pouvoir y adhérer. L'Italie et la Grande-Bretagne y
adhéreront sûrement. Quant à l'Espagne, à la Belgique et aux Pays-Bas, ils sont
simplement aujourd'hui demandeurs et nous examinons en ce moment s'il leur sera
possible de participer.
Par ailleurs, est actuellement à l'étude un programme concret, le véhicule
blindé de combat d'infanterie, ou VBCI, qui doit faire l'objet d'une
coopération précise entre l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne et
l'Italie.
Ces éléments montrent à l'évidence qu'il vaut mieux ne pas tenir trop de
discours, mais entreprendre des actions pour permettre à l'Europe de devenir
réalité.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Enfin, je terminerai cette intervention en répondant à un certain nombre
de questions diverses qui ont été soulevées par plusieurs d'entre vous.
Tout d'abord, M. Trucy s'est interrogé sur l'équilibre entre les grandes
fonctions opérationnelles de notre défense. Je peux le rassurer : la mission de
protection continuera d'être assurée. C'est même une mission essentielle,
soulignée par le Livre blanc de 1994.
La gendarmerie conservera ses missions spécifiques de sécurité intérieure,
auxquelles appartient la surveillance du territoire. Elle aura également à
jouer un rôle accru dans la lutte contre les nouvelles menaces comme le
développement des trafics, le terrorisme et les violences urbaines.
Quant aux trois armées, il faut souligner que leur mission de protection
comprend la projection « intérieure » des forces. Elles pourront être mises à
la disposition de l'autorité civile, aux côtés de la gendarmerie. Leur mobilité
et leur disponibilité accrues permettront de satisfaire les demandes des
autorités en charge de la sécurité intérieure.
M. About m'a interrogé sur la coordination entre les services de
renseignement, sur l'intelligence économique et sur l'association du Parlement
aux questions de renseignement.
Qu'en est-il, tout d'abord, de la coordination entre les services ? Monsieur
About, vous ne pouvez ignorer que la fonction du renseignement n'est pas
homogène. Par les sujets qu'elle aborde, par les méthodes qu'elle utilise, par
les lieux où elle s'exerce, cette fonction exige des traitements différents qui
justifient l'existence de services différents. Naturellement, l'action de ces
services doit être coordonnée, ce qui se fait quotidiennement dans le cadre des
relations que ces services entretiennent, mais aussi dans un cadre
inteministériel.
Pour ce qui est des allégations concernant un éventuel dysfonctionnement dans
la gestion de la crise des otages en Algérie,...
M. Nicolas About.
Ce n'est pas moi qui en ai fait état !
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Je profite simplement de l'occasion pour le
dire.
Quant à ces allégations, donc, elles sont totalement dénuées de fondement. Le
ministre des affaires étrangères l'avait d'ailleurs indiqué à l'époque devant
l'Assemblée nationale, en saluant l'efficacité de la DGSE dans le cadre de
cette tragique affaire.
S'agissant de l'intelligence économique, le Gouvernement est bien conscient de
son importance. C'est ce qui a motivé la création, en avril 1995, d'un comité
pour la compétitivité et la sécurité économique. Présidé par le ministre de
l'économie et des finances, par délégation du Premier ministre, il est assisté
d'un groupe de pilotage interministériel rassemblant les représentants des
administrations concernées, notamment le ministère de la défense.
En outre, le SGDN a rédigé un rapport destiné à clarifier le concept
d'intelligence économique et à déterminer les actions à conduire pour aider
l'Etat et les entreprises à affronter de manière efficace le marché mondial. Le
Parlement sera naturellement tenu informé de l'avancement de ces travaux.
Enfin, pour ce qui est de l'information de la représentation nationale dans le
domaine plus large du renseignement, j'ai demandé au Premier ministre, sous
l'autorité duquel est placé le comité interministériel du renseignement, de
bien vouloir faire étudier le principe d'une meilleure association du Parlement
à une information concernant l'activité des services, mais permettant à ceux-ci
de garder toute leur efficacité.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les informations que je pouvais vous
donner en réponse à vos interrogations.
Au terme de ce débat, je veux, une fois encore, remercier M. le président
Monory, M. de Villepin et la commission qu'il préside, ainsi que l'ensemble des
intervenants.
Je suis convaincu que cette expérience sera concluante. Elle nous aura permis
d'aborder un certain nombre, sinon un nombre certain, de sujets de fond, avant
la discussion budgétaire. Elle me permettra de vous donner des réponses
financières complémentaires au moment de l'examen du projet de loi de
finances.
Je suis sûr que ce débat nous a également permis de prendre la dimension de la
réforme dans laquelle notre pays est engagé.
Je l'ai dit tout à l'heure en conclusion, je me permets de le répéter, ce
n'est pas simplement une réforme de l'outil de défense, ce n'est pas simplement
une réforme de la défense, c'est une réforme de société, car elle touchera
aussi bien l'esprit de défense que le civisme, aussi bien la citoyenneté que
l'attachement à la communauté nationale.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée sous le
numéro 45 et distribuée.
16
DÉPO^T D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les
conditions d'application au secteur de la publicité de la loi du 29 janvier
1993 relative à la prévention de la corruption.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
17
NOMINATION D'UN MEMBRE D'UNE COMMISSION
M. le président.
Je rappelle au Sénat que le groupe de l'Union centriste a présenté une
candidature pour la commission des affaires culturelles.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Philippe Arnaud pour siéger à la commission des affaires culturelles, à la place laissée vacante depuis le 15 juillet 1996.18
dépôt de propositions d'acte
communautaire
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement (CE) du Conseil portant ouverture et mode de gestion
de contingents tarifaires communautaires autonomes pour certains produits
agricoles et industriels.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 715 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion par la CE de
l'accord intérimaire pour le commerce et les mesures d'accompagnement entre la
CE, la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté
européenne de l'énergie atomique, d'une part, et la République d'Ouzbékistan,
d'autre part. Projet de décision de la Commission relative à la conclusion, au
nom de la CE du charbon et de l'acier et de la Communauté européenne de
l'énergie atomique, de l'accord intérimaire pour le commerce et les mesures
d'accompagnement entre la Communauté européenne, la Communauté européenne du
charbon et de l'acier et la Communauté européenne de l'énergie atomique, d'une
part, et la République d'Ouzbékistan, d'autre part.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 716 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Proposition de décision du Conseil concernant le protocole 2 de l'accord entre
la Communauté économique européenne et le Royaume de Norvège.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 717 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Proposition de règlement (CE) du Conseil portant ouverture d'un contingent
tarifaire de viande de dinde originaire et en provenance d'Israël prévu par
l'accord d'association et l'accord intérimaire entre la Communauté européenne
et l'Etat d'Israël.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 718 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Communication de M. de Silguy. Un pacte de stabilité pour assurer la
discipline budgétaire durant la troisième phase de l'Union européenne et
monétaire. Proposition de la Commission en vue d'un règlement du Conseil
relatif au renforcement de la surveillance et de la coordination des situations
budgétaires. Proposition de règlement (CE) du Conseil visant à accélérer et
clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits
excessifs.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 719 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Communication de M. de Silguy. Propositions de règlement (CE) du Conseil sur
l'introduction de l'euro (art. 109-1 [4] CE) et sur certaines dispositions y
afférentes (art. 235 CE). Proposition de règlement du Conseil fixant certaines
dispositions relatives à l'introduction de l'euro. Proposition de règlement du
Conseil concernant l'introduction de l'euro.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 720 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Projet de règlement du Conseil abrogeant les règlements (CEE) n° 990/93 et n°
2471/94 concernant l'interruption des relations économiques et financières avec
la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), les parties du
territoire de la République de Croatie protégées par les Nations unies et les
parties du territoire de la République de Bosnie-Herzégovine sous le contrôle
des forces serbo-bosniaques.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E 721 et
distribuée.
19
RENVOI POUR AVIS
M. le président.
J'informe le Sénat que le projet de loi portant création de l'établissement
public « Réseau ferré national » (n° 35, 1996-1997), dont la commission des
affaires économiques et du Plan est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa
demande, à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.20
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. François Blaizot un rapport fait au nom de la commission des
lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale sur le projet de loi relatif à l'emploi dans la
fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire (n° 512,
1995-1996).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 44 et distribué.
21
DÉPO^T D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de M. Christian de La Malène un rapport d'information fait au nom de
la délégation du Sénat pour l'Union européenne sur l'application du principe de
subsidiarité.
Le rapport d'information sera imprimé sous le numéro 46 et distribué.
22
ordre du jour
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au jeudi 24 octobre 1996 :
A neuf heures trente :
1. - Discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 435, 1995-1996),
modifié par l'Assemblée nationale, sur l'air et l'utilisation rationnelle de
l'énergie.
Rapport (n° 32, 1996-1997) de M. Philippe François, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 36, 1996-1997) de M. Philippe Adnot, fait au nom de la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucun amendement n'est plus recevable.
A quinze heure et, éventuellement, le soir :
2. - Questions d'actualité au Gouvernement.
3. - Suite de l'ordre du jour du matin.
Délai limite pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
1° Projet de loi relatif à l'emploi dans la fonction publique et à diverses
mesures d'ordre statutaire (n° 512, 1995-1996) :
- Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 28 octobre 1996, à dix-sept heures.
- Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 28 octobre 1996, à
dix-sept heures.
2° Déclaration du Gouvernement sur les affaires étrangères :
- Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 30
octobre 1996, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures trente-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION PERMANENTE
Philippe Arnaud membre de la commission des affaires culturelles à la place laissée vacante le 15 juillet 1996.
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
François Gerbaud a été nommé rapporteur du projet de loi n° 35 (1996-1997) portant création de l'établissement public Réseau ferré national.
COMMISSION DES FINANCES
n° 35 (1996-1997) portant création de l'établissement public Réseau ferré
national, dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au
fond.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Contrôle par les maires du respect de la réglementation
de l'utilisation des salles polyvalentes
482. - 23 octobre 1996. - M. Charles Descours attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, du logement, des transports et du tourisme sur le problème que rencontrent les maires ruraux quant à la réglementation en vigueur sur l'utilisation des salles polyvalentes pour des activités de restauration. Aujourd'hui, une circulaire impose aux maries de mettre en place un questionnaire type à faire remplir et signer aux utilisateurs de salles polyvalentes. Les maires doivent également transmettre ces questionnnaires, après les avoir contrôlés, aux administrations concernées. Ce questionnaire, visant à faire respecter les règles de sécurité et d'hygiène et à lutter contre le travail clandestin et le para-commercialisme dans le domaine du tourisme, provoque des réactions diverses chez les élus ruraux. En effet, si ces derniers reconnaissent le bien-fondé des buts recherchés par cette nouvelle réglementation, les maires ne veulent pas s'ériger en contrôleurs et en censeurs des utilisateurs des salles polyvalentes, qui sont en général des responsables d'associations locales. Ces associations ont de plus en plus de difficultés à subsister et elles supportent mal les contrôles qui leur sont trop souvent imposés, si ce n'est en matière de sécurité. Les maires estiment qu'il n'appartient pas à eux d'effectuer ce type de contrôle et encore moins d'établir un registre spécial des bénévoles. Ils estiment que c'est aux administrations concernées d'exercer ces contrôles que les élus locaux n'ont pas, surtout en milieu rural, les moyens d'exercer. Il lui demande donc en conséquence de bien vouloir l'informer des mesures qui pourraient être prises par le Gouvernement pour assouplir cette nouvelle charge de travail accomplie par les maires.