PROFESSIONNALISATION DES ARMÉES
Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 26, 1996-1997),
adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif aux
mesures en faveur du personnel militaire dans le cadre de la
professionnalisation des armées. [Rapport n° 67 (1996-1997).]
J'informe le Sénat que la commission des affaires étrangères, de la défense et
des forces armées m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la
désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la
réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les
dispositions restant en discussion du projet de loi actuellement en cours
d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai
réglementaire.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, le 23 octobre dernier, lors du débat
d'orientation budgétaire, j'ai fait le point de l'état d'avancement de la
réforme de notre défense annoncée et engagée par le Président de la République,
depuis le vote de la loi de programmation militaire.
Aujourd'hui, j'ai l'honneur de soumettre à votre approbation le projet de loi
relatif aux mesures en faveur du personnel militaire dans le cadre de la
professionnalisation des armées.
Ce texte tend, tout comme le projet de loi de finances pour 1997, à accorder
au Gouvernement les moyens nécessaires pour réussir cette réforme.
L'objectif est double.
Il s'agit, d'abord, d'assurer le passage le plus harmonieux possible de
l'armée de conscription à l'armée professionnelle. Il faudra donc programmer la
diminution des effectifs, organiser le doublement du nombre des engagés et
inciter à la diminution du nombre d'officiers et de sous-officiers.
Il s'agit, ensuite, de garantir le caractère attractif du métier militaire.
La nouvelle politique qui est conduite se traduit, en premier lieu, par la
révolution du nombre, puisque la professionnalisation va de pair avec la
réduction du format des forces.
Comme vous le savez, le nouveau modèle d'armée se caractérise par une
diminution de l'effectif global et par le resserrement général des formats, à
l'exception de celui de la gendarmerie. D'ici à 2002, les effectifs du
ministère de la défense seront réduits de près du quart. Ce n'est ni le jour ni
l'heure de rappeler les raisons stratégiques de cette réforme, que vous avez
approuvée en adoptant la loi de programmation ; je n'y reviendrai donc pas.
Cette réduction du format s'accompagne de deux mouvements contraires :
l'augmentation du nombre des engagés, d'une part, la diminution du nombre total
des officiers et des sous-officiers, d'autre part.
Le premier mouvement, à savoir le doublement du nombre des engagés sur six
ans, répond à la décrue des effectifs d'appelés. Pour atteindre un nombre total
de 92 000 engagés en 2002, 48 000 postes nouveaux devront être créés en six
ans, avec un rythme d'accroissement annuel d'environ 7 500. Ce mouvement
commencera dès l'année prochaine avec 7 700 postes ouverts par le projet de loi
de finances pour 1997.
Le second mouvement concerne la diminution du nombre total des officiers et
des sous-officiers : ainsi, l'armée de terre connaîtra une diminution de 1 400
officiers et de 6 300 sous-officiers, l'armée de l'air une réduction de 300
officiers et de 4 400 sous-officiers et la marine une diminution de 2 400
sous-officiers.
Soucieux de ne pas ajouter aux difficultés auxquelles les armées pourraient
être confrontées, le Président de la République a pris l'engagement de recourir
non pas à des mesures de départ autoritaires, mais, au contraire, à une méthode
fondée sur l'incitation : les dispositions facilitant les départs seront mises
en oeuvre sur la seule base du volontariat.
Toutefois, la nouvelle armée ne se résume pas à un simple ajustement des
effectifs, fût-il de cette importance. C'est véritablement un modèle militaire
nouveau qui se construit autour de l'ambition de cohérence, de disponibilité et
d'interopérabilité. La révolution du nombre s'accompagne donc d'un profond
changement qualitatif qui s'exprime, en particulier, par le renforcement du
taux d'encadrement des forces et par le rajeunissement des cadres.
Première évolution : le renforcement du taux d'encadrement des unités des
forces en fonction de l'évolution propre à chacune des armées ; ce point a été
parfaitement décrit par M. le rapporteur. Comme vous le savez, le besoin de
renforcer le taux d'encadrement a été vérifié à l'occasion des opérations
extérieures dans lesquelles la France s'est engagée ces dernières années.
Du fait de la réduction du format des armées et de la disparition des appelés,
le rapport du nombre d'officiers et de sous-officiers avec l'effectif global
s'accroît de façon arithmétique, ce malgré la baisse du nombre total
d'officiers et de sous-officiers.
Cependant - et je remercie M. le rapporteur de l'avoir souligné - un effort
particulier sera accompli en matière d'encadrement pour la marine et la
gendarmerie ; c'est ce qui justifie une augmentation de plus de 100 officiers
dans la marine et de près de 1 400 officiers dans la gendarmerie.
Seconde évolution : le rajeunissement des cadres. Il s'agit là d'une évolution
indispensable dans une armée qui sera consacrée, plus encore que par le passé,
à des activités opérationnelles. Ces dernières années, les armées ont, en
effet, connu un relatif vieillissement qui est dû, d'une part, au
ralentissement du nombre des départs et, d'autre part, aux dispositions
statutaires ou financières qui ont plutôt encouragé les militaires à différer
leur décision de quitter l'uniforme, voire, tout simplement, à y renoncer.
De ce fait, les recrutements et les renouvellements de contrats ont été
sensiblement réduits, en particulier dans les armées de terre et de l'air. Pour
restaurer l'équilibre de la pyramide des âges et maintenir une armée jeune,
nous devons parvenir à un volume annuel suffisant de départs.
Naturellement, pour réussir le grand pari humain que représente l'armée
professionnelle, il est indispensable d'accentuer et de développer le caractère
attractif du métier militaire.
Cela implique, d'abord, l'amélioration des conditions matérielles. C'est dans
cette perspective que le projet de loi de finances pour 1997 prévoit de porter
la rémunération initiale des engagés au niveau du SMIC à partir du 1er juin
1997. Cette mesure sera tout à fait décisive. J'espère, bien évidemment,
qu'elle sera votée par votre Haute Assemblée.
Renforcer le caractère attractif du métier militaire, c'est, ensuite,
restaurer, pour les officiers, les sous-officiers ou les engagés, une vision
plus claire des perspectives d'avancement et de carrière.
Il est en effet nécessaire que, lors de son engagement et en cours de
carrière, chaque militaire puisse être informé des perspectives qui sont les
siennes : la motivation individuelle, l'anticipation de la reconversion et, par
voie de conséquence, sa réussite dépendent de cette vision claire de
l'avenir.
Là encore, l'augmentation du nombre des départs permettra le rééquilibrage de
la pyramide des âges et de la pyramide des grades, ainsi que le rétablissement
d'une meilleure gestion des parcours individuels au sein de chaque corps, de
chaque spécialité.
Enfin, si l'on veut participer à l'amélioration de l'attractivité du métier
militaire, il convient d'instaurer un véritable droit à la reconversion. Sur ce
sujet, M. About, rapporteur, a parfaitement recensé la palette des dispositions
en vigueur et a analysé la portée du projet de loi ; je n'y reviendrai donc
pas.
Chacun devra pouvoir bénéficier, à la fin d'un séjour passé sous l'uniforme,
de conditions favorables pour commencer une deuxième carrière civile. Cela
suppose un effort important de formation et de reconversion.
C'est une mesure tout à fait centrale, qui encouragera sans aucun doute les
jeunes à s'engager. Quoi de plus naturel, si l'armée leur offre une certitude
sur les conditions de leur future insertion professionnelle et si elle devient
la meilleure des formations et des recommandations pour une nouvelle carrière
civile ?
Tout cela correspondra à la multiplication des carrières militaires courtes,
dont le principal avantage est un échange beaucoup plus intense qu'aujourd'hui
entre la vie militaire et la vie civile. C'est là un atout pour le renforcement
du lien entre l'armée et la nation, et la diffusion de l'esprit et de la
culture de défense dans la société.
Pour mettre en oeuvre cette révolution du nombre que je viens d'analyser, pour
construire ce nouveau modèle militaire que je viens d'esquisser, il importe de
décider de mesures transitoires et de mesures définitives.
Les mesures d'adaptation à caractère transitoire s'appliqueront durant toute
la durée de la loi de programmation.
Elles doivent faciliter le déroulement de la phase de transition qui s'ouvre
devant nous et permettre ainsi la réussite de la professionnalisation des
armées.
Il s'agit tout d'abord du pécule, dont le montant sera d'autant plus attractif
qu'il sera sollicité longtemps avant la limite d'âge du grade détenu et en
début de période de transition.
Il s'agit également de la programmation jusqu'en 2002 des dispositifs
législatifs favorisant le départ des militaires : d'une part, la loi dite «
70-2 » permettant l'accès aux corps de la fonction publique et, d'autre part,
les articles 5 et 6 de la loi n° 75-1000 autorisant le départ avec le bénéfice
de la pension du grade supérieur.
La seconde catégorie de dispositions est liée à l'armée professionnelle.
Dotées d'un caractère permanent, ces mesures contribueront à renouveler et à
améliorer l'image et les conditions d'exercice du métier militaire.
Tel est la cas du congé de reconversion, qui deviendra un élément à part
entière du statut militaire.
Tel est le cas également des mesures visant à enrichir le statut général des
militaires : l'assurance d'une meilleure égalité de traitement entre les
différentes catégories de personnel, grâce à l'extension au personnel sous
contrat des dispositions applicables au personnel d'active, l'amélioration de
la protection pénale des militaires, qui pourront jouir de garanties
équivalentes à celles dont bénéficient les autres fonctionnaires de l'Etat, et,
enfin, l'ouverture des possibilités d'option en matière de solde de réforme.
Ces dispositions sont le fruit du dialogue permanent qui a été entretenu
depuis plusieurs mois avec la communauté militaire, plus particulièrement grâce
à la concertation au sein des organismes consultatifs, tel le Conseil supérieur
de la fonction militaire. Elles répondent largement aux attentes qui s'étaient
exprimées et que j'avais pu moi-même noter lors des visites que j'avais
entreprises au printemps dernier au sein des unités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en engageant une réforme de cette ampleur,
le Président de la République a demandé beaucoup à la communauté militaire. En
s'adressant à elle, le 22 février dernier, il soulignait qu'« il y a du courage
et de l'abnégation à renoncer à des habitudes, à des modes de pensée et des
traditions et à s'attacher sans parti pris, sinon sans regret, à la mise en
place d'un modèle d'armée conforme aux exigences actuelles de la défense
nationale. »
Si le Chef de l'Etat a pu demander autant à la communauté militaire, c'est
qu'il a fait la preuve, de Verbanja à Mururoa, qu'il sait faire prévaloir, en
toutes circonstances et au milieu des pressions les plus fortes, des principes
intangibles : priorité à la défense et à la sécurité du pays, détermination à
faire respecter l'honneur des soldats français, souci constant de mettre notre
outil de défense au service d'une volonté politique claire.
Si le Président de la République a pu lui demander autant, c'est que « l'armée
de la République est au service de la nation ». « L'état militaire exige en
toute circonstance discipline, loyalisme et esprit de sacrifice. Les devoirs
qu'il comporte et les sujétions qu'il implique méritent le respect des citoyens
et la considération de la nation. » J'ai cité là les premiers mots de la loi de
1972 portant statut général des militaires.
Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez bien compris que vous
pourrez témoigner de ce respect des citoyens et de cette considération de la
nation en votant le projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, le choix de l'armée professionnelle, proposé par le Président de la
République, a été accepté par le Parlement, lors du vote de la dernière loi de
programmation militaire. Je ne reviendrai pas ici sur les raisons qui ont
justifié l'engagement de cette réforme fondamentale de notre outil de défense.
A mes yeux, si la transition est menée à bien, cet outil sera à même de relever
les défis que l'évolution géostratégique ne manquera pas de lancer à nos
ambitions et à nos capacités tant nationales qu'européennes.
« Si la transition est menée à bien », ai-je dit. C'est bien de cela, en
effet, qu'il s'agit aujourd'hui : le projet de loi qui nous est soumis a pour
objet de mettre en oeuvre un dispositif d'accompagnement qui permettra de
réussir sans heurts la transition qui s'ouvre et de gérer de la meilleure façon
possible ce que de nombreux militaires perçoivent à juste titre comme un
bouleversement.
Avec la réduction drastique du nombre de jeunes du service national, l'armée
professionnelle sera moins nombreuse qu'aujourd'hui. Toutes armées confondues,
y compris les civils, ses effectifs passeront en six ans de 573 000 à 440 000,
soit une réduction de 133 000 emplois. Entre 1996 et 2002, le poids des
militaires professionnels sera passé de 52 % à 75 %, notamment par le
recrutement de 48 000 engagés supplémentaires, celui des jeunes du service
national de 35 % à 6 %, et celui des civils de 13 % à près de 19 %.
Plus précisément, il s'agit d'organiser dès maintenant, pour les six ans à
venir, le départ volontaire de 267 officiers et de 15 532 sous-officiers. Tel
est l'objet du présent projet de loi.
Ce texte contient donc trois mesures principales à caractère provisoire,
destinées à soutenir financièrement ceux qui quitteront les armées avant le
terme normal de leur carrière et à faciliter leur reclassement dans la fonction
publique civile. Le projet de loi comporte également un volet important relatif
à la reconversion des militaires dans la vie active, qu'ils soient de carrière
ou sous contrat. Les mesures qu'il propose à cet égard relèvent, pour partie,
de l'incitation au départ. Elles vont aussi bien au-delà. Je les traiterai dans
un second temps.
M. le ministre a rappelé dans le détail l'économie générale des mesures
provisoires d'incitation au départ anticipé, et je ne m'y attarderai donc pas.
Elles sont au surplus décrites dans mon rapport écrit.
Venons-en au pécule.
Les officiers et les sous-officiers de carrière réunissant respectivement
vingt-cinq ans et quinze ans de service militaire effectifs et se trouvant à
plus de trois ans de la limite d'âge de leur grade recevront, au moment de leur
départ des armées, outre le bénéfice d'une pension militaire, une somme
d'argent dénommée « pécule », destinée à faciliter leur retour dans la vie
civile. En effet, les limites d'âge dans les armées sont plus précoces
qu'ailleurs et justifient que les intéressés soient en mesure de rechercher une
nouvelle activité civile.
Le dispositif proposé rendra ce pécule d'autant plus attractif que le départ
se fera au début de la période, soit en 1997-1998, et que le militaire sera
éloigné de la limite d'âge de son grade.
Le bénéfice du pécule intéressera prioritairement les militaires appartenant à
des armées dont les effectifs de cadres contribueront le plus à la déflation
programmée. Dans les faits également, il s'agira de se tourner en premier vers
les officiers et les sous-officiers se situant entre sept ans et trois ans de
la limite d'âge, là où les sureffectifs paraissent les plus importants.
Cette mesure n'a, enfin, qu'un caractère provisoire : elle cessera de
s'appliquer au 31 décembre 2002.
La seconde disposition d'incitation à caractère financier est la prorogation
des mesures dites de retraite au grade supérieur et de congé spécial,
instituées par la loi de 1975. Elles permettent à des officiers, sous certaines
conditions, de prendre notamment une retraite anticipée avec le bénéfice d'une
pension de retraite calculée sur la base du grade supérieur ou de l'échelon
supérieur de leur grade. Là encore, il s'agit d'un dispositif provisoire, le
projet de loi prorogeant cette mesure jusqu'au 31 décembre 2002 et lui
associant le bénéfice d'un pécule réduit des quatre cinquièmes.
Lors de la discussion des articles, je vous proposerai, au nom de la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, un
amendement visant à étendre, avec quelques nuances, cette faculté de retraite
au grade supérieur aux sous-officiers. Ceux-ci devraient en effet légitimement
bénéficier de cette disposition d'incitation au départ, par souci d'équité tout
d'abord, mais aussi parce que c'est dans leur rang que l'on constate les poches
de sureffectifs les plus importantes.
J'aborderai à présent la troisième mesure, qui tend à faciliter le
reclassement des militaires dans la fonction publique civile et qui a été
instituée par la loi n° 70-2 du 2 janvier 1970. Cette loi, qui ouvre la
possibilité pour certains officiers et sous-officiers d'intégrer directement
certains emplois publics civils, sera prorogée jusqu'au 31 décembre 2002.
Parallèlement, le nombre de postes offerts sera élargi jusqu'à 450 environ.
Après les mesures d'incitation, j'aborderai le volet reconversion, qui, lui,
revêtira un caractère permanent. En effet, par-delà les facilités de retour à
la vie civile qu'il permettra pour ceux qui quittent les armées dans le cadre
de la déflation d'effectifs, le dispositif de reconversion constituera, bien
après 2002, un élément essentiel de la nouvelle carrière militaire.
A l'avenir, en effet, la nouvelle armée professionnelle privilégiera les
carrières courtes, et les futurs engagés militaires du rang devront savoir que
leur séjour sous l'uniforme ne pourra, sauf exception, dépasser huit années,
voire onze pour l'armée de terre.
Ces perspectives de carrières courtes entraîneront un état d'esprit nouveau.
La carrière militaire devra être conçue comme un tout : une tâche militaire
intéressante, une capacité de formation de qualité et une préparation de longue
main pour la reconversion dans la vie civile. Le binôme carrière militaire -
reconversion sera désormais indissociable dans la nouvelle conception du métier
- temporaire - des armes.
Le projet de loi prévoit donc, sous la forme d'un premier congé de six mois
éventuellement prorogeable par un congé complémentaire de six mois également,
un délai global de reconversion d'un an maximum au cours duquel le militaire de
carrière ou sous contrat recevra la formation adaptée à son projet
professionnel, comprenant notamment des stages AFPA, l'Association nationale
pour la formation professionnelle des adultes, et des stages en entreprise.
L'un des amendements que je proposerai tout à l'heure à votre approbation, au
nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces
armées, aura pour objet d'inscrire clairement ce droit à la reconversion dans
le titre Ier du statut général des militaires, consacrant ainsi la place
éminente qu'il convient de lui donner dans le texte de base de la vie
militaire. De même, et dans un souci de cohérence, la commission proposera un
amendement visant à étendre de deux à six mois le délai de préavis avant
dénonciation du contrat d'engagement, afin précisément de prendre en compte
cette phase de reconversion de six mois.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur les dispositions diverses que contient
le projet de loi et qui ne sont pas liées, à proprement parler, au dispositif
d'accompagnement. La première mesure a pour objet d'étendre aux militaires la
même garantie juridique qu'aux élus locaux et aux fonctionnaires civils,
lorsque leur responsabilité pénale se trouve engagée dans le cadre de délits
d'imprudence ou de négligence ; nous connaissons parfaitement bien ce texte. La
seconde disposition tend à ouvrir à certains engagés ayant servi moins de cinq
ans dans les armées et les ayant quittées pour cause d'infirmité ou de maladie
liée au service la possibilité de choisir entre le bénéfice de la solde de
réforme, d'une part, et la validation de leur période militaire au titre du
système de retraite du régime général, d'autre part.
Avant de conclure, je voudrais rappeler, parmi les modifications adoptées par
l'Assemblée nationale, une disposition que je considère comme particulièrement
importante : les députés ont ajouté au texte initial les articles 8
bis
et 13 tendant à rappeler une nouvelle fois le droit des militaires retraités
ayant repris une activité civile et se retrouvant ensuite privés de cet emploi
à bénéficier des allocations de chômage.
Ces deux articles 8
bis
et 13 signifient clairement, à nos yeux, que
les militaires retraités privés d'emploi ont droit, jusqu'à l'âge fixé par la
loi pour bénéficier de la pension de retraite du régime général, à
l'intégralité des allocations de chômage auxquelles ils peuvent prétendre, et
ce, il faut le répéter, sans condition de ressources. La pension militaire de
retraite est une contrepartie spécifique des carrières courtes - et elles le
seront, rappelons-le, de plus en plus - et elle ne saurait justifier les
réductions d'allocations de chômage qui sont aujourd'hui décidées dans de
nombreux cas par l'organisme gestionnaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte
constitue, à mes yeux, une réponse adaptée à l'enjeu des conséquences humaines
de la professionnalisation. Il faut être conscient de l'effort financier
considérable qu'il implique de la part de la nation, mais cet effort est aussi
la juste conséquence d'un bouleversement sans précédent dans l'organisation des
armées.
Ce texte présente l'intérêt de ne pas se limiter aux seules dispositions
financières - et au demeurant temporaires - que constituent le pécule ou la
retraite au grade supérieur. La reconversion y tient en effet une place
importante. Certes, nos armées ne découvrent pas en 1996 l'importance de cette
mission, et mon rapport écrit rappelle les efforts qu'elles y consacrent déjà
ainsi que les initiatives qu'elles ont prises. Cependant, ce texte en formalise
l'importance nouvelle et en consacre le rôle essentiel pour la qualité des
recrutements à venir et la perception nouvelle du métier militaire. Loin
d'enfermer ceux qui le choisissent dans une société coupée du monde civil, le
métier militaire, nouvelle manière, par les flux d'engagements courts d'un
côté, par ses efforts de reconversion de l'autre, crée autant de passerelles
entre l'armée et la société civile. C'est aussi une façon opportune de
renforcer et de renouveler le lien entre la nation et son armée.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Rouvière.
M. André Rouvière.
Monsieur le ministre, ma réflexion portera sur votre méthode et sur
quelques-unes des mesures que vous nous avez présentées et que M. le rapporteur
a rappelées. Celles-ci me paraissant parfois insuffisantes, je vous en
suggérerai d'autres, qui sont, me semble-t-il, absentes de votre projet de
loi.
En ce qui concerne la méthode, j'avoue, monsieur le ministre, que la démarche
que vous avez adoptée heurte un peu tout esprit un tant soit peu cartésien, car
la logique me paraît un peu bousculée. En effet, hier - je veux dire au moins
de juin dernier - vous nous avez présenté un projet de loi de programmation qui
a défini les objectifs et les moyens. Par rapport à la précédente loi de
programmation, les économies réalisées étaient d'ailleurs importantes : environ
20 %. Aujourd'hui, nous discutons des moyens susceptibles de conduire à l'armée
de métier. Demain - c'est-à-dire dans les premiers jours de 1997 - nous
parlerons, si l'on en croit ce qui nous est annoncé, du devenir du service
national.
J'avoue que cette façon de procéder me paraît assez paradoxale sur le plan de
la cohérence et de la logique. Elle me paraît, en outre, aller à l'encontre du
respect des prérogatives du Parlement. A chacune de ces étapes, monsieur le
ministre, vous avez en effet anticipé la décision des parlementaires. Je dirai
même que vous avez placé le Parlement devant le fait accompli : vous décidez,
il doit s'aligner. Dans la forme, donc, votre méthode me paraît constituer une
gifle à la démocratie et au Parlement.
Je ne comprends d'ailleurs pas, monsieur le ministre, pourquoi vous avez
adopté cette logique inversée. Quels avantages présente-t-elle ? La cohérence
aurait voulu que vous demandiez d'abord au Parlement de se prononcer sur le
service national, puis sur l'armée de métier, et enfin sur la loi de
programmation. Ainsi, me semble-t-il, le bon sens et la démocratie auraient été
respectés.
La logique inversée que vous avez retenue - qu'on ne peut d'ailleurs qualifier
de logique - rabaisse le Parlement à une simple chambre d'enregistrement.
J'invite donc tous les démocrates à condamner ce procéder antidémocratique.
Mais, au-delà de la méthode, je m'interroge sur vos moyens : avez-vous,
monsieur le ministre, les moyens de votre réforme ? Dans la même démarche, vous
voulez économiser, ce qui est bien ; réformer, ce qui n'est pas facile ;
améliorer, ce qui est ambitieux ; moderniser, ce qui demande également un
effort financier.
Vous mettez, certes, l'accent sur les économies entraînées par la baisse
importante des effectifs, soit 132 275 emplois en moins de 1996 à 2002, ce qui
est considérable. Mais dois-je insister sur le fait que cette mesure ne va pas
dans le sens de la diminution du nombre des chômeurs ? Même s'il n'y a pas de
licenciement, les emplois vont incontestablement être moins nombreux. Et il en
est de même des recrutements, en raison de la mise en oeuvre de deux démarches
contraires : une incitation au départ et une incitation au recrutement, afin de
rajeunir et de moderniser.
A cet égard, je souhaite souligner quelques imprécisions qui me semblent
importantes, et relever quelques lacunes.
En ce qui concerne les imprécisions, si le pécule constitue une incitation au
départ, il peut représenter des sommes importantes : 580 000 francs, par
exemple, pour un lieutenant-colonel ayant six ans d'ancienneté dans le grade et
étant à sept ans de la limite d'âge. Des critères objectifs d'attribution me
paraissent donc nécessaires. En effet, si j'ai bien compris, toutes les
demandes ne seront pas forcément retenues, puisque l'intérêt du service
l'emportera sur l'intérêt du militaire. Cela, je peux le comprendre, mais ne
va-t-on pas se heurter à des injustices ? Certains militaires qui auraient pu
prétendre à un pécule important ne pourront en effet plus le faire en raison
des besoins de l'armée. Dès lors, n'y-a-t-il pas là, monsieur le ministre, une
réflexion à mener pour faire en sorte que le militaire qui aura le plus servi
la nation ne soit pas le plus pénalisé ? En effet, le pécule est évolutif : il
diminue chaque année pour, finalement, disparaître au terme de 2002.
Dans ces conditions, des contentieux pourront sans doute surgir. Alors que la
société et la justice exigent beaucoup de rigueur et de transparence dans
l'utilisation des fonds publics, le militaire qui se verra refuser le pécule
pourra-t-il avoir connaissance des raisons qui ont entraîné ce refus et les
contester ? Il y a là un véritable problème étant donné l'importance des sommes
en jeu.
Si le pécule est limité dans le temps, il l'est aussi dans son champ
d'application : seuls les militaires pourront en bénéficier, les civils au
service des armées en sont écartés. Dès lors, comment allez-vous réaliser le
rajeunissement et la modernisation des effectifs concernés ? Le personnel civil
aura-t-il un statut différent du statut actuel ? Pouvez-vous, monsieur le
ministre, nous apporter quelques précisions à ce sujet ?
Par ailleurs, la formation à la reconversion est sans doute une bonne chose.
Mais qui va la financer ? Les régions ont-elles été sollicitées ? Si oui, en
supporteront-elles seules le coût, ou bien avez-vous prévu - mais je n'en ai
pas trouvé trace dans vos propositions - un crédit qui permettra d'accomplir
une mission qui, financièrement, n'est pas neutre ?
Vous ne semblez pas non plus avoir pris en compte une donnée importante : en
effet, en période de raréfaction de l'emploi, seuls les meilleurs éléments vont
pouvoir se reconvertir. La sélection que vous souhaitez, monsieur le ministre,
ne risque-t-elle pas alors de se faire à l'envers, les meilleurs partant et les
autres étant obligés de rester, les reconversions n'étant pas forcément aisées
au moment ou la recherche d'un emploi devient de plus en plus aléatoire ?
Par ailleurs, un militaire pourra-t-il se reconvertir dans le personnel civil
affecté aux armées ? Si oui, bénéficiera-t-il d'une priorité ?
Le texte que vous nous soumettez, monsieur le ministre, comporte d'autres
lacunes. Il n'y est pas fait état, notamment, du difficile problème des
services de santé, services où, actuellement, les appelés jouent un rôle
important. Comment allez-vous les remplacer ? Quel va être le coût de ce
remplacement ?
D'autres faits me portent à penser que vous avez sous-évalué le coût de votre
réforme et que, pour la mener à bien, pour la mener à son terme, vous serez
peut-être tenté d'utiliser d'autres crédits que ceux que vous nous annoncez.
Il est aujourd'hui inquiétant d'entendre la quasi-totalité des industriels de
l'armement, notamment dans l'aéronautique, dire que vous ne commandez plus, que
vous n'achetez plus, que vous n'utilisez même pas les crédits que le Parlement
a votés. Pouvez-vous nous éclairer sur cet inquiétant attentisme qui compromet
l'avenir de nos industries de matériels et d'armements militaires ? Si vous
n'utilisez pas cet argent à ce pour quoi il a été voté, c'est-à-dire pour les
équipements, que comptez-vous en faire, et quand en ferez-vous usage ? Nos
industriels ont un besoin urgent de le savoir !
En conclusion, monsieur le ministre, votre réforme me paraît difficilement
compatible avec une réduction importante de crédits ; elle me semble fragilisée
par le contexte économique, et plus encore par la raréfaction de l'emploi,
raréfaction à laquelle, hélas ! vous contribuez à plusieurs niveaux.
Je crains que vous ne laissiez à vos successeurs une situation très délicate à
gérer.
M. Nicolas About,
rapporteur.
M. Millon se succédera à lui-même !
(Sourires.)
M. André Rouvière.
Le plus difficile, en effet, n'est pas de commencer votre réforme, mais de la
poursuivre. Quant à la terminer, ce ne sera pas une mince affaire ! Pour la
France, je souhaite qu'elle réussisse, mais j'en doute.
En conclusion, monsieur le ministre, la méthode que vous avez utilisée et le
manque de moyens de votre réforme obligent le groupe socialiste à ne pas voter
ce texte.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'observe
que notre débat d'aujourd'hui s'inscrit dans une logique engagée en juin 1995
par la relance de la campagne sur les essais nucléaires.
Cette première étape fut suivie des déclarations du Président de la République
sur sa vision du nouveau cadre dans lequel devrait s'inscrire la politique de
défense de la France, une fois celle-ci adaptée aux récentes évolutions
géopolitiques européennes et mondiales.
Depuis lors, le Parlement a déjà débattu à trois occasions de la défense de la
France et des nécessaires mutations à opérer en matière de programmation
militaire.
Le Gouvernement nous propose aujourd'hui un quatrième débat sur les conditions
dans lesquelles il serait possible de passer de l'armée mixte, fondée sur la
conscription, qui est encore la nôtre, à une armée de métier, souhaitée par le
Président de la République.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'ouvrirai une parenthèse, en marge de
notre débat, pour souligner combien l'exercice auquel nous soumet le
Gouvernement, est difficile.
Rappelons, à cet égard, qu'il nous est demandé aujourd'hui de voter un texte
portant sur une armée française de métier, alors même qu'aucune réflexion du
Parlement sur la suppression du service national de conscription, actuellement
en vigueur, n'a encore été sollicitée.
Je comprends bien que le Gouvernement estime que cette suppression est
acquise, dès lors que la loi de programmation militaire a été votée. Cependant,
il aurait sans doute été plus juste et plus respectueux des règles
démocratiques de donner au Parlement l'occasion de se prononcer au
préalable.
Partant de l'hypothèse de la disparition de la conscription, il nous faut
ainsi envisager le départ de nombreux officiers et sous-officiers d'ici à 2002,
sans avoir recours à une loi de dégagement des cadres. Cette mesure rencontre
mon plein accord, car elle est indispensable à la paix sociale, en particulier
dans la période difficile qui est la nôtre.
J'émettrai cependant quelques inquiétudes. Je crains, en effet, que nous
n'assistions au départ des éléments militaires les meilleurs parmi les
officiers et sous-officiers incités à partir chaque année. Il semble logique de
voir les personnes les plus qualifées profiter de l'aubaine que constituent les
mesures que vous proposez, et sur lesquelles je reviendrai en détail, pour
utiliser les compétences acquises dans leur carrière militaire au profit d'une
carrière civile. Et j'ai bien peur que nous n'assistions, en revanche, au
maintien dans l'armée des personnes disposant de moindres aptitudes et
qualifications.
Ce phénomène de déperdition de ses éléments moteurs représenterait pour la
future armée de métier un grave préjudice, puisqu'il lui faudrait alors
démultiplier ses coûts de formation pour élever le niveau de performance des
personnes subsistant de l'ancien système et des nouveaux entrants.
Je souhaite que vous nous expliquiez, monsieur le ministre, comment vous
pensez pouvoir éviter un tel écueil, c'est-à-dire convaincre les personnes dont
les aptitudes sont les moins utiles de quitter l'armée pour, au contraire,
persuader les plus performants de rester.
De même, s'agissant des 48 000 soldats de 2e classe qui devraient être
recrutés pour une future armée professionnelle plus performante, comment
envisagez-vous d'attirer les éléments les plus capables ? Leur proposerez-vous
des rémunérations plus attractives que dans le civil ou des compensations
suffisamment importantes dont ils disposeraient à la fin de leur contrat ?
J'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous apportiez, à ce sujet, toutes
informations utiles.
Un autre point relatif au congé de reconversion pourrait faire l'objet
d'amélioration. En effet, les dispositions de l'article 3 prévoient, pour les
soldats ne disposant pas de qualifications professionnelles transposables dans
le civil, une prise en charge pour une formation de reconversion d'une durée de
six mois, assujettie à la réduction de leur pécule de base d'un montant égal à
trois mois de solde. Etant donné le délai relativement bref accordé à la
formation, il serait certainement plus juste et plus incitatif de supprimer la
réduction du pécule.
Mon dernier point concernera la protection juridique des militaires, que vous
souhaitez aligner sur celle des fonctionnaires civils. J'approuve entièrement
cette mesure d'équité, qui, en permettant l'application aux militaires du
principe de l'appréciation des imprudences ou des négligences en fonction des
circonstances de fait, rétablit la justice entre personnels militaires et
fonctionnaires civils.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi dont nous débattons aujourd'hui est essentiel. Par son côté technique, il
fait percevoir toute la difficulté d'opérer une mutation à la fois globale et
individuelle de notre armée.
Votre projet, monsieur le ministre, tente de concilier ces deux niveaux dans
la paix sociale et dans le respect de nos valeurs républicaines et
démocratiques. La tâche est immense et difficile. Votre travail et votre
ténacité pour la mener à bien ne peuvent que susciter le respect.
Pour toutes ces raisons, malgré les quelques réserves que j'ai pu émettre, je
voterai, avec la majorité des sénateurs du groupe du Rassemblement démocratique
et social européen, le projet de loi sur les mesures en faveur des personnels
militaires que vous nous présentez aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi, d'abord, de saluer l'excellent travail qu'a effectué notre
collègue Nicolas About.
Monsieur le ministre, voilà près d'un mois, vous étiez devant notre assemblée
pour la déclaration du Gouvernement sur la défense. Bientôt, nous aurons
l'occasion de débattre de la réforme du service national autour du rendez-vous
citoyen et du volontariat. Plus tard, ce sera le tour des personnels de
réserve.
Cette réforme de notre système de défense se fait donc par étapes successives,
et il nous reste encore d'autres étapes à franchir et à négocier au mieux.
Il est en effet évident que cette réforme sans précédent s'impose. Chacun de
nous en a pris acte depuis le Livre blanc, qui nous rappelle les grandes
missions désormais dévolues à notre défense nationale, dans un environnement
géopolitique profondément renouvelé et incertain. Ces grandes missions sont la
dissuasion, la prévention, la projection et la protection.
Seront donc concernés, au premier chef, le format de notre armée et sa
nature.
Le passage à l'armée professionnellle, dont notre pays a décidé de se doter,
implique une réduction des effectifs civils et militaires. La loi de
programmation militaire pour les années 1997 à 2002, votée par notre assemblée
en juin dernier, en a précisé le rythme.
D'ici à l'an 2002, une évolution globale tendant à réduire de près d'un quart
les effectifs de votre ministère doit s'opérer par un mouvement comprenant des
départs et des recrutements.
Il est à noter que, plutôt que de recourir aux mesures coercitives d'une loi
de dégagement des cadres, vous avez souhaité, comme le chef de l'Etat l'avait
demandé dans son discours du 22 février dernier, que ce changement de format
soit le résultat de départs volontaires encouragés par des dispositions
attractives.
Je me félicite, monsieur le ministre, que le texte en discussion aujourd'hui,
qui vient compléter l'ensemble des mesures réglementaires prévues par la loi de
programmation, s'inspire directement du dialogue que vous avez su nouer avec de
nombreuses unités lors de vos déplacements.
Le dialogue, la concertation et les échanges ont eu lieu à tous les niveaux.
J'insiste sur ce point, car ils permettent à ce texte de mieux refléter encore
les besoins et les attentes exprimés.
Le dialogue a montré et doit continuer de témoigner du soutien sans réserve de
chacun de nous envers l'ensemble des hommes et des femmes du personnel de
défense. Je veux, ici, signaler l'important travail fait par le Conseil
supérieur de la fonction militaire.
Je sais également qu'un tel effort de dialogue et d'échange est mené avec les
personnels des industries d'armement, puisque la réforme de notre défense a
aussi pour conséquence des restructurations industrielles qui inquiètent les
populations concernées et les élus locaux.
Cette réforme, unique dans l'histoire de notre pays, doit s'appuyer sur un
dispositif lui aussi d'exception. En effet, que s'agit-il de faire ?
Le processus de professionnalisation des armées, qui s'engagera dès l'année
prochaine, doit nous permettre de recruter près de 10 000 engagés par an, alors
que nous n'en recrutions précédemment que 3 000 environ.
Il est donc nécessaire et vital d'instaurer un ensemble de mesures
d'incitation à l'engagement. Ces incitations portent sur un niveau de
rémunération convenable pour les jeunes volontaires à l'engagement et
l'assurance d'une reconversion professionnelle au terme de leur activité
militaire.
En effet, cette réforme permettra à l'armée de recruter des jeunes gens de
qualité si la qualification professionnelle que l'armée leur accordera est au
niveau de celle que la vie civile leur réclamera par la suite.
Nous nous félicitons, sur ce premier point, que la solde des nouveaux engagés
et de ceux qui servent actuellement sous contrat soit portée au niveau du SMIC
à compter du 1er juin prochain et que le droit à la reconversion soit inscrit
dans le statut des militaires.
Si nous voulons des engagés à carrière courte, d'une durée moyenne de huit
ans, il faut des mesures venant renforcer le lien entre l'armée et la nation.
Ce texte les instaure.
Le présent projet de loi met, lui aussi, en oeuvre, à l'instar de la loi de
programmation elle-même, des mesures permettant d'encadrer sans heurts la
période de transition au cours de laquelle une importante réduction des
personnels de défense doit s'opérer. Les effectifs totaux de votre ministère
devraient passer, entre 1996 et 2002, de 573 000 à 440 000.
Ces départs auront trois conséquences : la possibilité de procéder au
recrutement de près de 48 000 engagés volontaires supplémentaires sur six ans ;
le rajeunissement de l'encadrement, atout essentiel d'une armée orientée vers
la mission de projection et les opérations extérieures ; le retour de
perspectives de carrière attrayantes pour les cadres qui choisiront de rester
dans les armées.
Les dispositions permettant d'inciter les militaires aux départs anticipés,
trop ou pas assez attractives selon les craintes des uns ou des autres, sont
tout d'abord une série de mesures à caractère financier.
La première, celle du pécule, concerne les officiers comptant plus de
vingt-cinq ans de services actifs, soit un total de 6 200, et les
sous-officiers comptant plus de quinze ans de services actifs, au nombre
d'environ 55 800.
Ce pécule sera d'autant plus attractif qu'il sera attribué au début de la
période couverte par la loi de programmation militaire. Cela explique et motive
le fait que son montant soit affecté d'un coefficient réducteur de 10 % à
partir de 1999 et de 20 % à partir de 2001.
La transition de notre armée actuelle à une armée professionnalisée en sera
facilitée, d'autant que ce mouvement de départs se déroulera rapidement. Ce
mouvement devrait concerner environ 1 000 officiers et 10 500 sous-officiers
sur la période considérée, soit environ un sur six.
C'est pourquoi différents critères devront s'appliquer aux demandes de pécule,
afin de contenir leur nombre dans le cadre de l'enveloppe budgétaire
disponible, soit 657 millions de francs pour 1997.
C'est pourquoi également il convient, à côté de cette mesure majeure, de
reconduire jusqu'en 2002 la loi du 2 janvier 1970, qui facilite le reclassement
des militaires concernés et leur intégration dans les corps des catégories A et
B de la fonction publique.
La prolongation de la loi du 30 octobre 1975 sur les modalités du bénéfice
d'une pension de retraite au grade supérieur participe de la même volonté de
respect de l'enveloppe budgétaire.
De même, l'important travail qu'a fourni la commission concernant
l'amélioration du dispositif actuel de reconversion traduit notre souci
d'assurer aux militaires du rang sous contrat les conditions d'un retour réussi
à la vie civile, et ce dans le contexte de carrière courte qui sera celui de
l'armée de demain. Il faut, en effet, donner toute sa place, dans le projet de
loi, aux actions d'évaluation et d'orientation professionnelle des
militaires.
Cet ensemble, monsieur le ministre, me paraît être en mesure de relever le
défi du passage harmonieux d'une armée mixte à une autre, entièrement
professionnalisée, en 2002.
Permettez-moi, enfin, d'aborder un dernier point, qui relève davantage de
l'environnement que de l'application même des mesures.
L'initiative que vous avez prise, monsieur le ministre, conduit à prévoir la
dissolution de quarante-quatre régiments de combat et, dans le même temps, à
restructurer d'autres formations afin de créer progressivement ce que l'on peut
appeler le « noyau dur » et stable des cadres d'active.
L'armée de terre sera la plus concernée par ces mesures. Le Président de la
République a souhaité qu'à terme elle soit capable d'intervenir sur des
théâtres d'opérations extérieures où les intérêts de la France seraient en jeu,
c'est-à-dire qu'elle puisse disposer de quelque 50 000 hommes dans un
engagement au titre de l'Alliance atlantique et qu'elle puisse réunir quelque
30 000 hommes pour une durée d'un an sur un théâtre principal et 5 000 autres,
relevables eux aussi, sur un théâtre secondaire.
Aujourd'hui, c'est de 20 000 hommes mobilisables dans les forces de projection
de longue durée que nous disposons.
Pour atteindre l'objectif fixé, auquel nous adhérons, tous les régiments de
combat seront partiellement professionnalisés de manière simultanée. Cette
opération doit commencer dès 1997.
Ainsi, durant l'année prochaine, vingt régiments de l'armée de terre,
comprenant entre 900 et 1 200 hommes au total, seront concernés. A côté de cet
élément, existera, dans chaque régiment, un élément fixe, qui deviendra la base
arrière destinée à faire fonctionner l'unité pendant l'absence des cadres et
des engagés déployés hors de nos frontières.
Enfin, l'armée de terre a aussi prévu de répartir trente à cinquante
personnels civils dans chacun de ces mêmes régiments pour assurer la gestion
quotidienne.
Cela explique en partie que la loi de programmation militaire fasse passer le
nombre des personnels civils de 32 000, en 1996, à 34 000 en 2002.
Cette réforme délicate et courageuse que vous engagez aujourd'hui, monsieur le
ministre, doit permettre à notre armée d'exercer sa fonction majeure, qui est,
qu'on le veuille ou non, d'être prête à faire la guerre, le cas échéant de la
faire et, si possible, de la gagner.
Des périodes récentes de notre histoire ont montré que le manque de courage,
de décision et de volonté du pouvoir politique ont conduit notre pays à
affronter des situations difficiles.
Or, courage, volonté, décision caractérisent votre action, monsieur le
ministre. C'est la raison pour laquelle le groupe des Républicains et
Indépendants vous apporte son total soutien et votera le projet de loi que vous
nous présentez aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Goulet.
M. Daniel Goulet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici
réunis de nouveau dans cet hémicycle pour parler de la défense de la France.
En effet, depuis le 22 février dernier, date de l'annonce par le Président de
la République de la réforme majeure qu'il souhaite voir achevée à la fin de son
septennat, nous avons déjà eu l'occasion de débattre de cette réforme et de
nous prononcer sur certains de ses aspects.
Je pense notamment à la loi de programmation qu'il nous a été donné de
discuter ainsi qu'aux moyens de mettre en pratique cette nouvelle politique de
défense. Je pense aussi au débat sur l'avenir du service national et à ses
conclusions parlementaires, dont les orientations devraient être prochainement
concrétisées dans un projet de loi.
La loi de programmation a permis de préciser les caractéristiques de l'armée
française de demain : un format réduit, une armée constituée principalement de
militaires professionnels avec un doublement du nombre d'engagés, la division
par dix du nombre de jeunes provenant du service national, l'augmentation du
nombre des civils afin de concentrer les militaires sur les tâches
opérationnelles et l'appui de réserves plus qualifiées et plus entraînées.
La réduction du format des armées exige, en conséquence, une diminution des
effectifs de cadres militaires. On estime nécessaire le départ d'environ 16 000
officiers et sous-officiers. Le Président de la République s'était
solennellement engagé, dès le 22 février dernier, à faire en sorte que le
Gouvernement ne présente pas de loi de dégagement de cadres et de mesures
impératives. Je me réjouis donc de constater que la promesse est pleinement
tenue et que ce texte traduit bien la volonté du chef de l'Etat.
En effet, le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui répond de manière
cohérente à la nécessité d'une remodélisation de l'armée française par des
mesures incitant au départ qui doivent marquer, en même temps, la
reconnaissance de la nation à l'égard de ceux qui la servent avec tant
d'efficacité et de dévouement. Nous savons tous les contraintes et mêmes les
risques qui sont attachés à la profession militaire. Chaque année, des soldats
français perdent la vie en défendant les principes et le rôle de la France dans
le monde.
Nous devons donc, mes chers collègues, garder cela à l'esprit en discutant de
ce texte, qui comporte plusieurs dispositions tendant principalement à faire en
sorte que les militaires qui souhaitent revenir à la vie civile puissent
accomplir cette reconversion dans les meilleures conditions. C'est d'ailleurs
pour mieux souligner l'importance de la reconversion que la commission a
souhaité qu'un nouveau chapitre du statut général des militaires y soit
consacré, ce dont je remercie vivement M. le rapporteur.
L'instauration d'un pécule de départ non négligeable et de congés de
reconversion, qui pourront atteindre une année si cela est nécessaire, ainsi
que d'autres dispositions tendant à améliorer le statut des militaires
devraient permettre de réaliser l'objectif fixé par la loi de programmation.
Sans trop entrer dans les détails, je souhaiterais évoquer cependant les
différentes mesures proposées et ce que l'on peut attendre de leur
application.
Premier point de la réforme : le pécule. A la différence du dispositif
existant, le pécule proposé ici ne sera pas soumis à l'impôt. Il s'agit d'une
mesure temporaire, puisqu'elle ne devrait pas excéder la durée de la
programmation après avoir rempli sa fonction.
La somme attribuée variera en fonction de plusieurs critères propres au
demandeur, comme la durée le séparant de la limite d'âge de son grade, mais
aussi en fonction de considérations extérieures, puisque le pécule attribué
sera plus faible au fur et à mesure de l'achèvement de la programmation.
Ce dispositif intéressant est le fruit d'un important effort financier de
l'Etat. Il est en effet prévu de consacrer près de 4,4 milliards de francs au
financement du pécule entre 1997 et 2002, dont 653 millions de francs l'année
prochaine. Cette somme proviendra du fonds d'accompagnement de la
professionnalisation, auquel la loi de programmation a d'ores et déjà alloué
9,1 milliards de francs.
Mais l'attribution du pécule n'est que juste contrepartie pour des hommes et
des femmes qui auront consacré leur jeunesse à servir le pays et qui choisiront
de retourner à la vie civile. Il est d'ailleurs bon de préciser que cette
incitation au départ anticipé n'a rien de commun avec une prime de
licenciement.
Le projet de loi prévoit un autre dispositif qui facilitera le passage à la
vie civile, en modifiant le système du congé de reconversion.
Les militaires qui ont effectué au moins quatre ans de service ont
actuellement la possibilité de préparer leur reconversion pendant une durée
maximale de neuf mois. Cette période étant, dans certains cas, trop courte, le
présent texte prévoit la création d'un congé de reconversion de six mois,
complété si nécessaire par un nouveau congé de la même durée. Pendant les six
premiers mois, le militaire continuera d'être pleinement rémunéré, mais il sera
dégagé de ses obligations de service. Pendant la seconde période, il sera
toujours rémunéré, mais ne percevra plus l'indemnité pour charges
militaires.
Le congé permettra aux personnels qui le souhaitent de diversifier leur
formation et d'effectuer des stages ou des périodes d'essai. C'est donc un
dispositif tout à fait indispensable à la reconversion de ceux qui décideront
d'entamer une deuxième carrière dans le civil.
Au-delà du pécule et du congé de reconversion, le projet de loi prévoit la
prorogation tout à la fois des mesures d'intégration des anciens cadres
militaires dans la fonction publique ainsi que d'un article de la loi du 31
octobre 1975 permettant à des officiers de quitter le service avec une retraite
correspondant à celle du grade supérieur à celui qu'ils détenaient.
Il serait logique de faire bénéficier les sous-officiers de cette dernière
mesure, dans le cadre d'un dispositif d'incitations au départ qui les
concernera tout particulièrement. Même si les conséquences financières en sont
importantes, la décision serait juste et méritée pour les militaires de
carrière. Pourriez-vous faire un geste, monsieur le ministre ?
Je viens d'évoquer les principales mesures d'incitation au départ. Mais ce
projet de loi contient aussi des dispositions qui devraient permettre une
augmentation du recrutement, en ce qu'elles précisent et améliorent certains
aspects du statut des militaires.
L'Assemblée nationale a notamment ajouté au projet de loi des dispositions qui
permettront de préciser la définition des pensions militaires de retraite, en
posant dans un texte de valeur législative que ce type de pension n'est pas
assimilable à un avantage vieillesse avant l'âge de soixante ans. Elle a aussi
souhaité préciser que les anciens militaires pouvaient bénéficier des
allocations chômage et qu'elles seraient pleinement cumulables avec le congé de
reconversion.
Ces dispositions me paraissent aller dans le bon sens, puisqu'elles rendent
plus attractive la carrière militaire, ce qui correspond à l'un des objectifs
du projet de loi, puisqu'il faudra, dans les prochaines années, doubler le
nombre des engagés.
Le Sénat, quant à lui, a souhaité clarifier certaines dispositions pour
améliorer la lisibilité et la transparence du statut des militaires. La
politique de recrutement de la défense française devra en effet reposer
dorénavant sur des incitations à l'engagement. Les mesures permanentes de
reconversion des militaires en font aussi partie, car les jeunes s'engageront
d'autant plus volontiers dans l'armée qu'ils sauront qu'il est désormais plus
facile de changer de carrière et de retourner dans le civil.
(M. René-Pierre Signé s'exclame.)
En conclusion, je voudrais revenir à l'essentiel, c'est-à-dire au défi
que ce passage au nouveau modèle d'armée représente pour la nation ainsi que
pour les hommes et les femmes qui composent notre défense. Pour relever le
défi, il faudra, en effet, mobiliser l'effort de la nation tout entière. Le
groupe du Rassemblement pour la République s'est investi pleinement en ce sens,
et ce depuis longtemps. C'est pourquoi il votera ce projet de loi.
Cela étant, il appartiendra surtout aux militaires professionnels de faire
preuve de cet esprit militaire de haute qualité par lequel le
lieutenant-colonel Charles de Gaulle caractérisait déjà en 1935 l'armée de
métier : une armée de métier digne de ce nom et, surtout, digne de notre pays
!
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en abordant
l'étude de ce projet de loi, j'ai pensé au premier des tableaux célèbres du
grand peintre David, une oeuvre de jeunesse qu'il peignit à son retour du prix
de Rome et qui s'intitule « Bélisaire ».
Bélisaire était un général byzantin au service de l'empereur Justinien. Il
s'était couvert de gloire contre les Vandales, les Ostrogoths et dans d'autres
campagnes ; tant et si bien que l'empereur en devint jaloux, le révoqua, se
fâcha avec lui et le congédia sans pension ni compensation d'aucune sorte qui
puisse l'aider à finir dignement sa vie.
Sur le tableau de David, on voit un vieillard accroupi au pied d'une colonne,
pauvre mendiant plongé dans la misère, mais pourtant encore vêtu de la pourpre
gagnée sur les champs de bataille.
Rassurez-vous, mes chers collègues, après avoir lu le projet de loi qui nous
est soumis aujourd'hui, après vous avoir entendu, monsieur le ministre, tant en
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées que dans
cet hémicycle, et après avoir étudié l'excellent rapport de M. Nicolas About,
nous sommes tout à fait persuadés qu'aucun officier, aucun sous-officier, aucun
soldat de nos armées ne risque de connaître un jour le sort de Bélisaire !
(Sourires.)
Il est heureux, très heureux qu'il en soit ainsi. Car il serait vain de
nier que tous ceux de nos compatriotes qui portent aujourd'hui l'uniforme et
servent dans la marine, l'aviation ou les forces terrestres traversent
actuellement une période difficile et, à beaucoup d'égards, pour eux,
démoralisante.
La réforme du service national et le passage de l'armée de conscription à une
armée professionnelle se concrétisent d'abord - on l'a dit, je le rappelle -
sur une période de six ans, de 1996 à 2002, par des réductions des effectifs,
qui passent de 573 000 à 440 000, soit une diminution de 132 000 postes. Et
donc, pour 132 000 de nos compatriotes, cette réforme se traduit par
l'obligation de quitter l'armée, de renoncer à la carrière qu'ils aimaient et
qu'ils avaient choisie, de prendre leur retraite prématurément ou de chercher
un emploi actuellement très difficile à trouver, bref, de changer de vie et de
se retrouver, eux et leur famille, dans une situation bien moins bonne.
M. René-Pierre Signé.
Ils se retrouvent au chômage !
M. Jacques Habert.
Le Gouvernement et nous-mêmes, législateurs, avons le devoir de veiller à ce
que cette mutation se déroule dans les meilleures conditions possibles, et de
prendre toutes les mesures utiles pour en atténuer la rigueur.
Tel est l'objet du présent projet de loi. Prenant la parole dans les derniers,
je ne vais pas répéter et énumérer les dispositions prises pour faciliter cette
transition.
Envers le personnel, avez-vous dit, monsieur le ministre, ce sera non pas la
coercition qui sera employée, mais l'incitation avec, notamment,
l'encouragement aux départs anticipés, l'instauration et le paiement d'un
pécule ainsi que l'octroi de congés de reconversion. Tout cela a été analysé
par les orateurs qui m'ont précédé, et, pour ma part, je les approuve
entièrement.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Merci !
M. Jacques Habert.
Permettez-moi d'évoquer un souvenir personnel. Voilà cinquante ans exactement,
nous avons été confrontés à une situation en certains points analogue au
contexte actuel. Nous étions en 1946, l'armée française venait de participer à
la victoire, aux côtés des armées alliées, ses effectifs - j'en étais - étaient
considérables, mais il n'était plus utile de les maintenir au niveau qu'ils
avaient atteint.
Ce fut alors, quelques semaines après le départ - un peu soudain, il est vrai
- du général de Gaulle, en janvier 1946, la loi de dégagement des cadres
promulguée par le gouvernement tripartite, communiste, socialiste et MRP, de
Félix Gouin. Souvenez-vous : cette loi était beaucoup plus brutale que le texte
qui nous est proposé aujourd'hui. O combien ! Nombre d'officiers et de
sous-officiers dont les décorations montraient les services rendus au combat,
mais qui n'étaient pas d'active, ne pouvaient être gardés dans les troupes.
M. René-Pierre Signé.
La situation n'était pas comparable !
M. Jacques Habert.
La situation était comparable au moins sur deux points précis : il fallait
réduire les effectifs et dégager des cadres pour une organisation nouvelle de
l'armée.
De nombreux officiers et sous-officiers qui pensaient, après plusieurs années
passées sous l'uniforme, faire peut-être leur carrière dans l'armée furent
démobilisés du jour au lendemain et rendus à la vie civile sans indemnité, sans
pécule, sans préparation, sans emploi. Ceux qui, aujourd'hui, vont devoir
quitter nos forces armées sont heureusement beaucoup mieux traités. Nous nous
en félicitons, car ce n'est que justice.
Avant de conclure, je signalerai que, dans le dispositif d'ensemble qui nous
est proposé, un point me paraît susciter quelques interrogations. Mais
peut-être ce point sera-t-il traité bientôt, lors de l'examen du projet de loi
de finances ?
Pour permettre à l'armée de faire face à ses obligations pendant les six
années de déflation, il sera fait appel au volontariat. Il nous est indiqué que
48 000 engagés volontaires seront nécessaires, soit 8 000 par an. Etes-vous
sûr, monsieur le ministre, que nous les trouverons ? Comment ? Par quelles
mesures d'incitation ? A quel prix ? Que prévoit-on à ce sujet ? Comment
pourrons-nous maintenir à la fois la quantité et la qualité de ces volontaires
?
Pour les Français de l'étranger que j'ai l'honneur, avec le président de notre
commission et quelques autres collègues, de représenter dans cette enceinte,
cette question est particulièrement importante.
Vous connaissez en effet, monsieur le ministre, la place primordiale que
tiennent les volontaires du service national hors de nos frontières. On les
trouve surtout dans les écoles françaises de l'étranger, mais aussi dans les
hôpitaux, les oeuvres publiques, les chambres de commerce, les organismes
humanitaires, bref, en tous lieux où ils participent au rayonnement de la
France dans le monde. Nous tenons naturellement à ce que cette action puisse se
poursuivre.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous sommes amenés à
modifier profondément la structure même de notre armée et à demander des
sacrifices à ceux qui l'ont si bien servie, nous devons lui rendre hommage.
L'armée a joué dans toutes les nations et dans l'histoire un rôle essentiel.
L'orateur qui m'a précédé a cité l'auteur de
La France et son armée
.
Pour ma part, je rappellerai une phrase de cet ouvrage : « Car enfin,
pourrait-on comprendre la Grèce sans Salamine, Rome sans les légions, la
Chrétienté sans l'épée, l'Islam sans le cimeterre, la Révolution sans Valmy...
L'esprit militaire, l'art des soldats, leurs vertus sont une partie intégrante
du capital des humains. »
Dans le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, tout ce qui concerne
l'humain a été pris en compte ; et donc ce précieux capital sera préservé.
Telle est la raison pour laquelle le groupe au nom duquel je m'exprime votera
le projet de loi relatif aux mesures en faveur du personnel militaire dans le
cadre de la professionnalisation de l'armée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec le
projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, le Gouvernement présente le
premier texte d'application de la loi de programmation militaire votée au mois
de juin dernier, et qui, entre autres dispositions, institue l'armée de métier
et vise à réduire le format de nos armées.
Une fois de plus, monsieur le ministre, nous ne pouvons que nous étonner du
fait que ce projet de loi, qui incite des milliers de cadres militaires à
quitter les armées, vienne en discussion devant le Parlement avant même que
celui-ci n'ait examiné et voté la suppression du service militaire.
Déjà, lors de la discussion de la récente loi de programmation militaire, le
Gouvernement avait introduit à l'Assemblée nationale, par voie d'amendement, la
fixation du nouveau format des armées, qui ne figurait pas dans le projet de
loi initial. Aujourd'hui, ce même Gouvernement nous demande d'entériner des
mesures visant à encourager 17 000 officiers et sous-officiers à quitter notre
outil de défense, comme si, là encore, la suppression du service militaire -
que le Parlement n'a pas encore décidée ! - était un fait acquis, pour ne pas
dire un fait accompli.
On peut se demander, en conséquence, à quoi rimera l'examen du projet de
réforme du service national, au début de l'année prochaine.
Nous l'avions dit en juin dernier, nous le réaffirmons aujourd'hui, cette
méthode n'est pas acceptable. Que se passerait-il, en effet, si, d'aventure, le
Parlement adoptait, en janvier ou en février prochain, ne serait-ce qu'un
amendement entrant en contradiction la loi de programmation militaire ou avec
certaines dispositions du présent projet de loi ? Mais peut-être la discipline
et l'abnégation sont-elles tellement fortes au sein de la majorité
parlementaire que l'on puisse écarter, dès le départ, toute probabilité de
réflexe républicain sur un des aspects fondamentaux de notre défense, donc de
notre société...
Nous pensons plus que jamais que la suppression du service militaire est une
erreur considérable. C'est inefficace, et c'est dangereux.
C'est inefficace, car bon nombre d'unités ne pourront se passer des jeunes
appelés. La perte de qualification et de formation technique qu'apportent
aujourd'hui les jeunes du contingent sera sensible et, par endroits,
difficilement surmontable. Personne ne peut nier que les armées modernes ont
besoin de plus en plus de jeunes hautement qualifiés en mécanique, en
électricité, en électronique, sans parler des médecins, dentistes, infirmiers,
sapeurs-pompiers, etc.
La suppression du service militaire est également dangereuse, car elle va
induire dans ce pays une évolution négative du niveau de conscience civique et
de l'esprit de défense. Elle est dangereuse, car elle va réduire nos armées à
un corps professionnel dont la mission prioritaire sera la projection
extérieure.
Nous ne sommes toujours pas rassurés sur les dérives potentielles d'une telle
conception.
Le Livre blanc de 1994 soulignait à juste titre que « le service national
demeure le meilleur gage de l'attachement de la nation et des citoyens à leur
défense ». Certes, l'actuel service militaire est malade : l'instruction
civique et militaire y est assez souvent médiocre et sommaire. De plus, les
jeunes y perdent beaucoup de temps car il est trop long. Par ailleurs, il
constitue pour nombre de jeunes un obstacle à la recherche du premier emploi ou
un handicap dans le cursus des études et de la formation, car il y a trop de
passe-droits.
Faute d'avoir été réformé à temps, il a perdu l'essentiel de sa crédibilité et
une partie de son efficacité.
Au lieu de le supprimer, avec toutes les conséquences que l'on redoute, il
fallait engager sa réforme pour le mettre à l'heure de cette fin de siècle et
de l'évolution de notre société, pour réduire ses inconvénients et renforcer sa
raison d'être, le lien principal entre le pays et ses forces armées.
Selon nous, je le rappelle encore une fois, il est possible et souhaitable
d'organiser la complémentarité entre appelés du contingent et unités
professionnalisées constituées en nombre plus important, ce que nous comprenons
parfaitement.
La majorité de ceux qui s'intéressent à ces questions s'opposent à la
suppression du service national : la plupart des organisations de jeunesse, la
plupart des syndicats, les partis politiques de gauche, la commission «
armées-jeunesse ». Par ailleurs, nous savons qu'un nombre non négligeable de
cadres militaires et même certains de nos collègues de la majorité
parlementaire ne sont pas persuadés, au fond d'eux-mêmes, de la justesse de la
réforme en cours.
Allez-vous enfin tenir compte de ces avis, tout comme de l'avis d'une bonne
partie de nos compatriotes qui, ne cédant pas à la facilité consistant à «
caresser les jeunes dans le sens du poil », affirment leur attachement aux
valeurs républicaines qui fondent l'esprit de défense ? C'est là, monsieur le
ministre, mes chers collègues, la raison principale qui incite les sénateurs de
mon groupe et moi-même à nous opposer au présent projet de loi.
Toutefois, nous ne sous-estimons pas le bien-fondé de certaines dispositions
de ce texte, notamment celles qui renforcent la protection juridique des
militaires, celles qui donnent de meilleures garanties dans le domaine des
soldes de réforme pour blessures, infirmité ou maladies imputables au
service.
Nous approuvons également certains amendements proposés par M. le rapporteur
et adoptés par la commission, qui confortent certaines dispositions sociales
positives.
De telles dispositions ne peuvent que rencontrer notre assentiment, bien sûr.
Cependant, concernant le pécule, nous avons relevé certaines contradictions.
Tout d'abord, alors qu'on affirme vouloir un certain rajeunissement de
l'armée, ce système du pécule ne va-t-il pas entraîner le départ des cadres les
plus jeunes et les plus techniquement formés, les plus diplômés qui, soyons
clairs, trouveront le plus aisément une reconversion dans les entreprises ?
Ce risque, ajouté à la fin de la conscription des jeunes diplômés et à
l'arrivée d'engagés payés au SMIC et à contrats de courte durée, ne va-t-il pas
« tirer nos armées vers le bas » ?
De plus, comment ne pas déplorer la différence de traitement entre les
différents acteurs de la défense ? Un projet de loi pour les personnels
militaires, c'est fort bien, mais pourquoi le droit commun pour les autres
personnels ?
Comment ne pas penser à ces milliers de salariés des entreprises de la
sous-traitance qui, pour la plupart, auront travaillé des décennies pour la
défense sans bénéficier de mesures particulières lors de leur licenciement ?
N'y a-t-il pas sur ce point des dispositions à prendre ?
En outre, le pécule n'étant pas automatiquement attribué au demandeur, ne
court-on pas le risque qu'il soit distribué à la tête du client ? En effet, il
ne peut pas y avoir de représentation paritaire au sein de l'autorité chargée
de décider de cette attribution. Ne court-on pas également le risque de voir se
ternir le climat des armées si de nombreuses demandes sont refusées ?
Enfin, comment peut-on préparer aussi activement le départ de 17 000 officiers
et sous-officiers sans savoir comment seront recrutés les 48 000 soldats
engagés de la future armée de métier ?
Au-delà de ces interrogations, ce présent projet de loi est d'abord la
conséquence directe du choix de l'armée de métier que Gouvernement et Président
de la République ont voulue, ont quasiment imposé au Parlement, non sans
contorsions.
Vous comprendrez qu'en cohérence avec les valeurs républicaines qui animent
leurs convictions en matière de défense du pays les sénateurs du groupe
communiste républicain et citoyen ne puissent approuver ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat pour le travail qu'elle
a accompli sur ce texte sous la présidence de M. de Villepin et qui a abouti,
je l'ai déjà dit, au rapport de grande qualité de M. About.
Je voudrais également exprimer ma reconnaissance à MM. Carle, Goulet, Habert
et Bimbenet pour le soutien qu'ils ont apporté, dans leurs interventions, non
seulement au Gouvernement, mais surtout à la communauté militaire, qui se
prépare à vivre une évolution profonde, et remercier l'ensemble des sénateurs
qui ont bien voulu prendre part à ce débat, car leur participation témoigne de
l'intérêt qu'ils portent à l'avenir de la communauté militaire.
Comme l'ont rappelé à l'instant MM. Daniel Goulet et Jean-Claude Carle, le
Gouvernement s'est attaché à associer étroitement le Sénat à toutes les étapes
de la mise en place de la réforme ambitieuse voulue par le Président de la
République, et il n'est pas une semaine où je ne m'entretienne avec le
président de la commission, M. de Villepin, pour étudier comment il est
possible d'associer le Sénat à la préparation des textes qui vous ont été ou
qui vous seront soumis.
Cette association du Parlement se poursuivra dans les semaines à venir avec le
vote du projet de loi de finances, avec le débat sur le projet de loi portant
réforme du service national et, enfin, avec la discussion du projet de loi
relatif aux réserves.
Permettez-moi de répondre à MM. Rouvière et Bécart qui ont contesté la méthode
utilisée. Je ne sais pas jusqu'à quand il faudra que je redémontre, réexpose,
réexplique la méthode du Gouvernement, laquelle est pourtant claire et simple
!
Si je retenais la méthode suggérée par M. Rouvière, c'est-à-dire de faire
voter d'abord sur le service national ou plutôt sur le service militaire,
lequel vous intéresse plus que le service national, en réalité, ce choix
déterminerait la politique de la défense, le format et la nature des armées.
Ce serait marcher sur la tête ! Il est bien évident que le choix opéré pour la
politique de la défense et le format des armées est subordonné aux analyses des
conditions géostratégiques et de la nature des menaces. Il est en effet demandé
au ministère de la défense de mettre en oeuvre les moyens pour défendre le pays
et le Président de la République lui-même a fait un choix, annonçant qu'il
optait pour l'armée professionnelle.
Le service militaire, tel qu'il existe, ne se justifie plus, puisque toute la
ressource apportée par le service militaire à l'armée n'est plus nécessaire. En
conséquence, le premier choix, opéré en fonction des conditions géostratégiques
et de l'analyse de la défense, et décidé par un vote du Parlement, le vote de
la loi de programmation militaire, a consisté à renoncer à l'armée de
conscription pour l'armée professionnelle.
En conséquence encore, le format des armées est remis en cause et la deuxième
étape consiste donc à examiner les moyens d'inciter un certain nombre
d'officiers et de sous-officiers à quitter les armées, et cela dans les
meilleures conditions.
Quant à la troisième étape, elle consistera effectivement à se déterminer
entre le maintien du service national obligatoire - dont la vocation ne pourra
qu'être civile, puisque la vocation militaire ne correspondrait pas à la
situation future - sa suppression totale ou, enfin, la troisième solution que
j'aurai l'honneur de vous présenter dans quelques semaines.
De grâce, monsieur Rouvière, de grâce, monsieur Bécart, ne dites pas que le
Parlement est une chambre d'enregistrement ! Il a été consulté et la commission
de Villepin a débattu durant plusieurs semaines, au cours de séances très
passionnantes, de l'avenir du service national, sur lequel vous aurez
l'occasion de nous exprimer à nouveau lors de l'examen du projet de loi que
j'aurai l'honneur de vous présenter.
Voila la première observation que je voulais faire à la suite des propos que
vous avez tenus.
Ma deuxième réflexion concerne votre analyse sur le fait que nous allons faire
primer l'intérêt général sur l'intérêt particulier. Je dois reconnaître que
j'ai été étonné d'une telle analyse. Il est évident que nous allons faire
primer l'intérêt de la défense nationale sur l'intérêt individuel et que toute
notre démarche consiste à mettre en oeuvre une défense nationale ! Toutefois,
comme nous ne voulons pas que les officiers, les sous-officiers et les soldats
qui ont dévoué leur vie à la cause de la France en supportent les conséquences
dans leur famille, dans leur vie personnelle, nous vous présentons aujourd'hui
ce projet de loi que nous vous demandons d'adopter.
J'ai entendu M. Bécart dire que s'il n'était pas d'accord sur le service
militaire, il estimait que certaines mesures n'étaient pas trop mauvaises et
que, dans un certain nombre de cas, elles étaient même tout à fait adaptées.
Je relève que vous, monsieur Rouvière, n'avez pas parlé de ces mesures. Qui ne
dit mot consent !
(Sourires.)
M. André Rouvière.
Cette déduction n'engage que vous, monsieur le ministre !
(Nouveaux sourires.)
M. Charles Millon,
ministre de la défense.
C'est la raison pour laquelle je compte bien sur
votre soutien tout à l'heure quand j'aurai donné les explications que vous
attendez sur le pécule.
Je ne reviendrai pas en détail sur ce projet de loi, qui a été décrit et
commenté avec talent et précision par votre rapporteur.
Le premier point que je voudrais évoquer, et qui a été souligné par un certain
nombre de sénateurs, c'est que ce texte est la traduction solennelle de
l'engagement pris par le Président de la République quant aux conditions de la
mise en oeuvre de la professionnalisation. Chose promise, chose due !
Le Président de la République avait, lors de la mise en place de cette
réforme, annoncé un certain nombre de mesures ; elles vous sont aujourd'hui
soumises. M. Nicolas About l'a rappelé dans son rapport, ce projet de loi a
pour objectif de garantir la capacité opérationnelle de nos forces pendant la
période de professionnalisation.
Ainsi, en rendant le métier de militaire attractif, en rajeunissant
l'encadrement, en recrutant les engagés dont les armées ont besoin, il s'agit
bien de contribuer à la disponibilité et à la capacité opérationnelle des
unités.
A cet égard, je voudrais rassurer M. Jean-Claude Carle en rappelant que
l'armée de terre a, depuis cinq ans, procédé à des réorganisations qui lui ont
déjà permis de tirer les conséquences du conflit du Golfe, par exemple en
affectant des engagés dans les unités équipées de matériels lourds, ce qui
n'était pas le cas en 1990.
Les postes d'engagés créés année après année tout au long de la période
couverte par la loi de programmation viendront renforcer encore l'aptitude
opérationnelle des unités.
Pour apaiser les inquiétudes manifestées par Jacques Habert sur le recrutement
des engagés, je voudrais préciser que le maintien du service militaire pendant
toute la durée de la phase de transition va permettre aux armées de continuer à
recruter, pendant de nombreux mois, un nombre significatif d'engagés parmi les
volontaires service long - VSL. Au-delà, il sera évidemment nécessaire de
recourir à des méthodes originales de recrutement pour lesquelles les armées
ont déjà formulé des propositions, telles que la décentralisation au niveau des
unités.
Vous avez tous insisté sur l'importance de l'enjeu de la reconversion,
certains ont parlé de défi, ce qui n'est pas excessif. Comme vous l'avez
constaté, le ministère de la défense possède déjà une certaine expérience dans
ce domaine. Cependant - je le dis à l'attention des sénateurs qui douteraient
de notre volonté en la matière - l'affirmation plus claire d'un droit
statutaire à la reconversion, d'une part, l'amélioration sensible des moyens de
le mettre en oeuvre, d'autre part, constituent toute l'originalité et toute la
portée du projet de loi. Je sais que votre commission a souhaité, par voie
d'amendements, aller encore plus loin dans ce sens. Nous y reviendrons à
l'occasion de la discussion des articles.
S'agissant du pécule, sur lequel MM. Rouvière et Bécart m'ont interpellé, la
procédure d'agrément existe, comme dans bien d'autres domaines. Elle est
toujours fondée sur des candidatures qui sont examinées par l'administration
selon des critères connus. Le pécule donnera donc lieu à une procédure
garantissant la transparence et le droit de recours. Ce sont des obligations
qui s'imposent à toutes les administrations. Sont décrits dans le rapport les
critères qui donneront lieu à directives.
Je précise encore, pour ce qui est de la reconversion dont on débattra
parallèlement aux dispositions sur le pécule, que les propos tenus par certains
comportent une contradiction.
Selon eux, du fait de ce droit statutaire à la reconversion, de cette offre de
possibilité de reconversion, ce seront les meilleurs qui partiront et on se
retrouvera avec une armée que les cadres les plus brillants auront quittée.
Mais, parallèlement, les mêmes expliquent, à cette tribune, qu'il faut laisser
la possibilité à chacun de décider s'il veut rester ou non dans l'armée et
qu'aucun critère ne doit en réalité s'appliquer.
On ne peut pas avoir le tout et l'inverse de tout ! Il y aura des critères,
des acceptations et des refus seront prononcés en fonction des nécessités du
service et de la défense nationale. Ces critères seront objectifs ; ils seront
expliqués. Je rassure donc MM. Rouvière et Bécart : notre approche n'est pas
totalement obscure. Elle est transparente et permettra, j'en suis sûr, à chacun
des officiers et des sous-officiers qui voudront opter pour la reconversion de
le faire en toute clarté.
Je crois maintenant indispensable de réaffirmer, comme certains orateurs l'ont
fait, que les conditions de la professionnalisation des armées garantiront le
maintien du lien entre l'armée et la nation. Que ce soit grâce à l'affirmation
du rôle et de la place des réserves ou grâce à la présence de jeunes Français
volontaires pour le nouveau service national, que j'aurai l'honneur de vous
présenter au cours des semaines à venir, le Gouvernement est en effet attentif
au maintien de ce lien auquel nos armées sont elles-mêmes profondément
attachées.
Ce lien sera également entretenu par les échanges permanents entre société
civile et société militaire, par les échanges permanents que multipliera le
développement des carrières courtes suivies d'une reconversion dans le
civil.
Ce projet de loi, comme vous avez pu le constater, traduit l'attention très
soutenue que porte le Gouvernement aux personnels de la défense et à la façon
dont ils vont vivre cette transformation sans équivalent.
Je tiens maintenant à apporter à la Haute Assemblée des informations relatives
aux conditions faites au personnel civil suite à la concertation qui a abouti à
un accord avec les organisations syndicales.
Hier, la séance solennelle de l'instance de concertation sur les
restructurations a été l'occasion de conclure avec six organisations syndicales
sur sept un accord qui, après plusieurs mois de négociations, traduit le
respect des engagements pris par le Gouvernement à l'égard des personnels
civils : garantie de non-licenciement - je m'adresse là en particulier à M.
Rouvière - garantie du respect du statut, du maintien de la rémunération et des
perspectives de carrière ; garantie quant aux conditions de recours au
dégagement des cadres ou à la cessation anticipée d'activité ; amélioration
substantielle des indemnités de mobilité géographique, laquelle sera fondée sur
le volontariat.
A l'évidence, c'est un même esprit de responsabilité, un même sens de
l'intérêt national qui s'expriment aujourd'hui chez les personnels militaires
comme chez les personnels civils de la défense. C'est ce que le ministère a
voulu acter en prenant ces mesures - j'allais dire parallèlement.
En votant ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, vous donnerez
au Gouvernement les moyens de mener à bien la professionnalisation des armées,
mais vous permettrez aussi à la communauté de la défense tout entière, civile
et militaire, de prendre pleinement sa part dans cette réforme essentielle pour
l'avenir du pays.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
DU PÉCULE
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