M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-43, M. Masseret, Mme Bergé-Lavigne, MM. Charasse, Lise, Massion, Miquel, Moreigne, Régnault, Richard, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le deuxième alinéa du I de l'article 219 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Le taux normal de l'impôt est fixé à 38 %. »
« II. - L'article 1er de la loi de finances rectificative pour 1995 (n° 95-885 du 4 août 1995) est supprimé. »
Par amendement n° I-143, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 9, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le taux prévu à l'article 219 du code général des impôts est porté à 37 %.
« II. - Le même article 219 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Il est porté à 42 % lorsque les bénéfices font l'objet d'une distribution. »
La parole est à M. Massion, pour défendre l'amendement n° I-43.
M. Marc Massion. Cet amendement vise à porter le taux de l'impôt sur les sociétés à 38 %.
Depuis plusieurs années, le partage des richesses a évolué au détriment des salariés et en faveur des entreprises. Il s'agit là non pas d'une appréciation, mais d'un constat. L'excédent brut d'exploitation représente depuis quelques années plus de 30 % de la valeur ajoutée contre moins de 25 % au début des années quatre-vingt. La Banque nationale de Paris remarque d'ailleurs que c'est en France que le partage de la valeur ajoutée est le plus favorable aux profits.
De plus, cette situation n'évolue pas réellement dans le bon sens puisque l'excédent brut d'exploitation a progressé de 8,5 % en 1994 et de 7 % en 1995. Toujours selon la BNP, il devrait encore croître de 7 % l'an en 1996 et en 1997. Les salaires, eux, n'ont progressé que de 2,1 % en 1994 et de 2,5 % en 1995, et ils devraient malheureusement rester modérés si rien n'est fait.
La santé des entreprises est globalement bonne : il suffit de regarder le niveau de leur taux de marge et de leur taux d'épargne pour s'en convaincre. Cette bonne santé se poursuit, en dépit des difficultés économiques : une étude montre qu'au premier semestre les deux tiers des entreprises d'une certaine importance ont amélioré leurs résultats. Elles utilisent leurs bénéfices non pour investir, mais pour développer leurs placements financiers, qui atteignent 230 milliards de francs, ce qui constitue un record. D'ailleurs, le taux d'autofinancement est supérieur à 100 % depuis plusieurs années, ce qui est également un record, ou plutôt une situation qui ne s'était jamais produite jusqu'alors.
De plus, pour justifier leur inertie en matière d'investissements, les entreprises françaises ne peuvent pas invoquer la fiscalité hexagonale. L'impôt sur les sociétés ne représente que 10 % des impôts d'Etat contre 12 % en 1990, et, en cumulé, les politiques suivies depuis dix ans ont permis un allégement de cet impôt de 20 milliards de francs environ depuis 1986. La BNP souligne d'ailleurs que le poids des impôts directs n'a pas spécialement pénalisé les sociétés.
En outre, une comparaison avec les autres pays industrialisés montre qu'en part de produit intérieur brut c'est en France que l'impôt sur les sociétés est le plus faible : l'impôt sur les sociétés ne représente que 1,6 % du PIB dans notre pays contre 2,5 % aux Etats-Unis, 2,7 % au Royaume-Uni, 3,7 % en Italie, 4,1 % au Japon et 1,1 % seulement en Allemagne.
Tous ces rappels visent à montrer qu'une légère augmentation de l'impôt sur les sociétés ne peut pas être présentée comme un « mauvais coup » porté aux entreprises. D'ailleurs, le Gouvernement a créé en 1995 une contribution supplémentaire de 10 % qui est toujours en vigueur, preuve qu'il partage notre analyse.
L'amendement n° I-43 vise donc à un nouveau relèvement modeste du taux de l'impôt sur les sociétés afin de porter ce dernier à 38 % : cela permettrait, en rapprochant le taux de l'impôt sur les sociétés français du taux moyen des pays de l'Union européenne - environ 40 % - de dégager quelques marges de manoeuvre utiles pour relancer la consommation et pour soutenir l'emploi.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre l'amendement n° I-143.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le taux de l'impôt sur les sociétés constitue l'une des questions importantes du devenir de notre système de prélèvements obligatoires.
Aujourd'hui, contre toute évidence, et en particulier dès lors que l'on examine la situation réelle de nos entreprises, il est encore des voix pour réclamer et revendiquer - au risque sans doute d'être entendues, monsieur le ministre ! - une nouvelle baisse de l'impôt ou de nouveaux aménagements de son application.
L'impôt sur les sociétés dispose aujourd'hui d'un taux unique, proportionnel, abstraction faite, bien entendu, de la situation du régime particulier des plus-values sur cession d'actifs.
Cependant, ce taux est très largement remis en question par des dispositions spécifiques visant notamment les sociétés mères, dispositions qui tendent à distordre la portée de l'imposition réelle pesant sur chaque entreprise et à favoriser les plus grosses entreprises au détriment des petites.
Ce point est d'autant plus remarquable que ce sont les plus grosses entreprises qui tirent également le plus parti des dispositions relatives à l'avoir fiscal portant sur les dividendes perçus entre sociétés mères et filiales ou de la quasi-franchise fiscale et sociale portant sur les revenus financiers dégagés au travers de l'optimisation de la trésorerie disponible, selon la formule consacrée.
Le problème d'un taux proportionnel identique pour l'ensemble des profits dégagés dans l'activité de l'entreprise pose, en fait, une question fondamentale d'opportunité.
On traite en effet de la même façon l'entreprise qui décide de renforcer ses fonds propres par affectation du résultat et celle qui distribue de généreux dividendes à ses actionnaires, au risque d'ailleurs de compromettre, dans certains cas, la capacité de financement de la création d'emplois ou de l'indispensable effort de recherche-développement.
L'amendement n° I-143 vise donc à mettre en place un taux différencié d'imposition selon que l'on se situe dans l'une ou l'autre hypothèse. Ce dispositif est tout à fait concevable dans la mesure où l'impôt sur les sociétés est acquitté par les entreprises au travers d'acomptes versés régulièrement puis d'une régularisation des droits à payer effectivement.
Il s'agira, au terme de l'exercice fiscal n + 1, de mettre en balance la réalité des acomptes versés par l'entreprise et les éléments fournis par ses comptes annuels quant à l'affectation du résultat constaté en année n.
Cette disposition de portée générale aura comme avantage principal de majorer de façon significative le niveau des recettes budgétaires, pour une somme comprise entre 15 et 20 milliards de francs, sans porter véritablement atteinte aux capacités de financement de nos entreprises.
Il nous faut en effet rappeler que le cash-flow des sociétés et quasi-sociétés non financières s'élève aujourd'hui à plus de 70 milliards de francs, tandis que l'accroissement des dividendes versés entre 1994 et 1995 est de 29 milliards de francs, ce qui a pour conséquence, entre autres, de majorer l'avoir fiscal qui y est associé.
Sous le bénéfice de ces observations, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement, qui vise à majorer le taux de l'impôt sur les bénéfices des sociétés.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-43 et I-143 ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Le Gouvernement n'est pas du tout favorable à ces deux amendements, qui ont pour objet de revenir sur l'évolution visant à la réduction de l'impôt sur les sociétés, évolution déjà largement engagée par les majorités politiques précédentes pour tenir compte de la réalité, c'est-à-dire du fait que nos partenaires et concurrents avaient agi ainsi auparavant.
Je rappelle, à titre d'exemple, que le taux de l'impôt sur les sociétés est de 32 % en Allemagne pour les revenus distribués et de 22 % à 33 % au Royaume-Uni. Dans les pays scandinaves de forte tradition social-démocrate, comme la Suède et la Finlande, il est même tombé à 28 %.
Enfin, je rappelle - nous avons eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises ce matin - que, dans la conjoncture actuelle, alors que nous attendons des investissements de la part des entreprises, il serait véritablement contre-productif d'accroître la charge de ces dernières.
Le Gouvernement a proposé l'année dernière une majoration exceptionnelle de l'impôt sur les sociétés. Il n'est pas prévu, cette année, de la remettre en cause ; mais il serait absurde, aujourd'hui, d'accroître l'impôt sur les bénéfices.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-43, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-143, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 9