M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant les affaires étrangères et la coopération : II. - Coopération.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de la coopération que je vous présente, au nom de la commission des finances, ce matin est l'un de ceux qui diminuent le plus dans le projet de loi de finances pour 1997 puisque, avec 6,72 milliards de francs, il s'inscrit en baisse de 567 millions de francs et de près de 8 % par rapport au budget voté pour 1996.
Cette importante diminution des crédits est le reflet de trois évolutions : l'achèvement du programme d'accompagnement de la dévaluation du franc CFA, qui se traduit par une baisse mécanique de 22 % des crédits d'ajustement structurel ; la poursuite de la politique d'économies en matière d'assistance technique, dont les crédits sont réduits de 3,8 % et les effectifs civils et militaires baissent de 10 % ; l'ajustement à la consommation constatée des crédits et une rigueur accrue pour l'aide-projet, qui diminue de 14,9 % en autorisations de programme et de 11,1 % en crédits de paiement.
Mon rapport écrit fournit le détail de ces évolutions, et je ne crois pas qu'il soit utile de rentrer à nouveau dans le fond des choses à cette tribune.
Je dirai simplement que cette diminution des crédits de la coopération, monsieur le ministre, vous le savez, n'est pas la première, puisque c'est la cinquième année consécutive que ce budget baisse. Mais il y a des raisons, que je viens d'expliquer. Ce budget a donc pris, en tout état de cause, au cours des derniers exercices, toute sa part à l'effort général d'économie et de maîtrise de la dépense et des déficits publics.
Il est vrai que, cette année, l'amélioration de la situation économique des pays du champ, qui à nouveau a été soulignée, monsieur le ministre, en votre présence, au sommet de Ouagadougou, permet de réaliser de véritables économies au titre des crédits d'ajustement structurel.
Depuis 1994, on assiste à une nette inflexion de la croissance dans les pays de l'Afrique subsaharienne. Après une croissance négative, au début des années 1990, la croissance est devenue positive en 1994 et s'est affirmée en 1995. Je raisonne naturellement globalement, puisqu'il y a des disparités d'un pays à l'autre et qu'il y a des pays dans lesquels cela va un peu moins bien.
En 1996, les prévisions font état d'une croissance d'environ 4,5 % et, dans les pays de la zone franc, la croissance devrait même dépasser 5 %. Plusieurs pays devraient donc connaître un accroissement du revenu par habitant, puisque la croissance économique dépasse la croissance démographique, ce qu'il faut souligner parce que, pendant des années, on a constaté le contraire.
Cette bonne situation résulte d'une meilleure tenue du cours des matières premières, d'une hausse des productions, notamment des productions agricoles destinées à l'exportation, et des conséquences très positives de la dévaluation du franc CFA.
Près de trois ans après cette opération monétaire, on peut en établir un bilan largement positif, même s'il faut rester attentif aux difficultés sociales que rencontrent les pays en phase d'ajustement. Et je sais que nos missions de coopération, grâce, en particulier, au fonds social de développement, le FSD, suivent cela de très près.
Aussi, s'il est légitime d'observer une forte baisse des crédits d'ajustement structurel en 1997, notamment les crédits de bonification de prêts, il nous paraît important de maintenir à un bon niveau les crédits déconcentrés du fonds social de développement, dont la souplesse, la rapidité de mise en oeuvre et la proximité avec le terrain sont de grands atouts pour réagir utilement face à ce type de difficultés.
Je voudrais également évoquer rapidement l'un des derniers problèmes qui subsistent après cette dévaluation et sur lequel plusieurs membres de la commission des finances m'ont chargé de vous interroger, même si, monsieur le ministre, ce n'est pas vous qui êtes directement concerné. Je veux parler des pensions versées en francs CFA. Quelle solution peut-on envisager pour les personnes concernées, qui ont été des victimes de la dévaluation, même si - nous le savons, cela a été souligné par M. Oudin en commission des finances - les perdants sont relativement peu nombreux ?
J'en viens maintenant à l'aide-projet dont, monsieur le ministre, vous avez souvent affirmé le caractère prioritaire dans notre politique de coopération.
Les crédits qui lui sont affectés sont en forte baisse dans le budget pour 1997, avec une diminution respectivement de 11 % en crédits de paiement et de 15 % en autorisations de programme.
Cette diminution est principalement justifiée par un ajustement des crédits à la consommation. Et pour cause ! La sévère régulation budgétaire qui a affecté ces crédits en 1995 et en 1996 a fortement réduit les crédits disponibles, et donc les crédits consommés. Mais, si les dotations ont diminué en conséquence, en 1997, il ne faudrait pas que l'on assiste, en plus, en cours d'exécution, à un nouveau gel, suivi d'annulations, jusqu'à 25 % de l'enveloppe initiale, comme ce fut le cas pour les crédits du fonds d'aide et de coopération, le FAC, en 1996.
En d'autres termes - je suis heureux que le président de la commission des affaires étrangères écoute - moi, je suis de ceux qui considèrent que, cette année, vous passerez, monsieur le ministre, mais qu'il ne faut plus rien vous prendre en cours de gestion. Maintenant, vous avez assez donné, et c'est d'ailleurs ce qui a pesé dans l'avis de la commission des finances quant au sort à réserver à votre budget.
En tout cas, il n'est pas satisfaisant de devoir ajourner ou retarder des projets programmés et préparés de longue date, surtout si cela doit conduire à une remise en cause des engagements de notre pays.
Vous savez, monsieur le ministre, que je n'aime pas beaucoup aborder les questions particulières. Je ferai donc simplement référence, sans plus, aux engagements qui ont été pris pendant ces quarante-huit heures, dans un pays où nous étions ensemble. Par conséquent, attention ! Il n'est jamais bon de mettre en doute la parole de la France et de son Président de la République, surtout à l'étranger. Mais je vous fais confiance, puisque vous m'avez rassuré, ou assuré, avec vos collaborateurs souriants, même tôt ce matin !
C'est pourquoi, dans ce contexte budgétaire tendu et dans le but d'améliorer l'efficacité de la gestion du FAC, je voudrais, monsieur le ministre, vous faire une proposition. Ayant en particulier constaté, lors de mes missions de contrôle budgétaire, des retards ou une trop grande lenteur dans l'exécution de certains projets, il me semble important qu'un règlement financier du FAC soit établi. Je vous ai d'ailleurs adressé, il y a plusieurs mois, une note à ce sujet.
Ce règlement devrait reposer sur deux principes. D'une part, que les projets soumis au comité directeur du FAC soient réellement prêts quand le comité directeur statue, c'est-à-dire, par exemple, que les terrains prévus soient disponibles, que les plans soient arrêtés et que les modalités définitives soient approuvées au plan technique par le ministère, sauf, bien entendu, dans le cas exceptionnel où un engagement politique exige un affichage rapide. D'autre part, que l'exécution des projets approuvés par le FAC soit soumise à des délais stricts, c'est-à-dire un délai de six mois pour engager l'opération - puisqu'elle est prête - après notification de la décision du comité directeur au chef de mission ou à l'ambassadeur, puis un délai maximum de deux ans pour achever le projet. Seul le comité directeur du FAC pourrait décider de prolonger, dans des cas exceptionnels, ces délais. En cas de non-respect des délais et de non-prolongation des projets, ceux-ci seraient automatiquement annulés et les crédits correspondants rétablis pour une autre affectation par le comité directeur.
De telles dispositions, monsieur le ministre, vous le savez, permettraient d'éviter qu'une masse trop importante de crédits ne soit gelée du fait de la lenteur de la mise en oeuvre de certains projets. Cette lenteur, d'ailleurs, n'est pas imputable de façon automatique à l'administration centrale ou aux missions locales ; une série de circonstances peuvent interférer.
Tout cela contribuerait aussi à maintenir notre crédibilité dans les pays où nous intervenons.
A cet égard, je voudrais rappeler l'effort très important que notre pays consacre à l'aide au développement. Je me félicite, d'ailleurs, que, dans le scepticisme ambiant qui entoure toujours les sommets franco-africains dans la presse, je veux dire, notamment, dans les articles qui sont rédigés avant même que le sommet ne se tienne, ce qui est encore plus remarquable et montre de la part des journalistes une préscience formidable - de ce point de vue, monsieur le ministre, d'un septennat à un autre, il y a une constante qui demeure et qui me parait être une sorte de mal éternel ! - je me félicite donc que le Président de la République ait rappelé, et il a bien fait, hier matin, à l'issue du sommet de Ouagadougou, que notre pays est le premier du G 7 pour l'aide au developpement par rapport à son PIB et le deuxième en valeur absolue après le Japon dans le monde.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. C'est vrai !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Puisque nous sommes encore un peu en Afrique et que nous ne sommes pas bien réveillés, ni vous ni moi, ce matin, disons-le : les chiens aboient et la caravane passe ! (Sourires.)
Ces chiffres en tout cas nous honorent et nous devons persister dans cette voie, même si l'ensemble de l'aide des pays de l'OCDE accuse un net recul depuis quelques années.
Au sein de notre aide, une partie non négligeable, soit 5 milliards de francs, est affectée à l'aide communautaire au développement. Il s'agit de notre contribution au Fonds européen de développement et aux autres interventions européennes en matière de coopération internationale, sur lesquelles il faudra bien un jour que le parlement français soit un peu moins discret quant à son analyse des choses, des chiffres et des actions.
En effet, je voudrais signaler la part éminente de la France dans cette aide. Notre pays est le premier contributeur au Fonds européen de développement, avec une participation environ égale au quart de ses ressources. Or, ainsi que je l'ai dit et écrit à plusieurs reprises, la manière dont est gérée et utilisée cette aide n'est pas satisfaisante, et c'est un euphémisme ou un mot d'une gentillesse extrême ce matin. Je me fais ici l'écho de nombreux membres de la commission des finances qui, comme moi, ont été choqués des situations que nous avons rencontrées sur le terrain.
Il apparaît, en particulier, que les services de la Commission européenne, dont je persiste à ne pas savoir qui elle est exactement, ce qu'elle représente, d'où elle sort, si elle est du sexe féminin ou du sexe masculin, si même elle appartient au genre humain (Sourires.) , donc, il apparaît que ce sont les services de la Commission qui sont les seuls maîtres dans la répartition et l'utilisation des aides et que ni le Conseil ni les Etats membres n'ont de véritable droit de regard sur cette politique. Or la politique communautaire d'aide au développement est l'un des aspects par lesquels l'Union européenne affiche son existence dans le monde, notamment dans le monde qui souffre.
Il est donc indispensable que l'autorité politique, c'est-à-dire le Conseil des ministres, dont je sais, lui, quelle est la genèse et d'où il vient, et qui en tout cas, a l'aura du suffrage universel que d'autres n'ont pas, il est indispensable, donc, que ce soit l'autorité politique qui reprenne en main la politique de coopération de l'Union européenne et assigne des directives précises aux services de la Commission chargés de la mettre en oeuvre, afin de pouvoir ensuite en contrôler l'exécution.
Par ailleurs, il faudrait obtenir une meilleure coordination entre la politique communautaire et les politiques nationales et, je pense, en particulier, entre la politique communautaire et la politique française de développement.
A cet égard, il apparaît indispensable que la spécificité des pays ACP prévue dans le système de la convention de Lomé soit préservée. La mondialisation de l'aide communautaire ne peut qu'aboutir à une certaine dilution des aides, alors qu'une affirmation de l'identité et de l'influence européenne par une politique orientée vers les pays ACP et relayée par des politiques nationales dirigées vers ces mêmes pays aurait incontestablement plus d'efficacité et plus de poids.
En d'autres termes, il me paraît anormal que, dans trop de pays, l'ambassadeur de la Commission - il paraît qu'il s'appelle comme cela - n'ait pas toujours les meilleures relations avec notre ambassadeur - ce n'est pas le cas partout - évite quelquefois soigneusement nos chefs de mission et mette un soin particulier à ne pas collaborer avec nos services pour la mise en commun d'un certain nombre de projets. Et quand on sait qu'on en paye le quart, j'ignore quelle est la réaction aveyronnaise, monsieur le ministre, mais la réaction auvergnate n'est pas d'une bienveillance extrême ! (Sourires.)
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Il faut les conjuguer !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. J'ajouterai que, par rapport à nous, qui représentons ici les contribuables français au Parlement, c'est une question de dignité et d'honneur. On ne peut pas continuer à laisser des ambassadeurs « de rien du tout » se prévaloir d'un certain nombre de fonds que nous leur versons, pour quelquefois nous mettre des bâtons dans les roues !
Je pourrais être beaucoup plus sévère. Mais, ce matin, ce doit être la fin de la « semaine de bonté » ; j'en reste donc là.
Nous avons nous-mêmes entrepris une réforme utile de notre politique de coopération pour essayer de la rendre moins dispersée et plus cohérente. Le rattachement du ministère délégué à la coopération au ministère des affaires étrangères, l'extension du champ, l'activation de structures interministérielles sont des éléments positifs.
Nous pouvons certainement aller encore plus loin dans la rationalisation des réseaux à l'étranger pour éviter, sur le terrain, les chevauchements de compétences et les manques de coordination.
Je voudrais toutefois souligner une nouvelle fois le rôle irremplaçable du ministère de la coopération dans l'ensemble de notre dispositif d'aide. Il doit rester l'interlocuteur privilégié de nombreux pays, en particulier en Afrique, car il contribue ainsi au maintien de l'influence de la France dans plusieurs parties du monde.
De ce point de vue, je regrette certaines des observations effectuées par la Cour des comptes dans son dernier rapport public où elle a analysé les crédits de la coopération. Si la Cour a eu raison de mettre en évidence certains défauts dans la gestion des crédits de la coopération - comme, par exemple, le statut dérogatoire du FAC ; encore qu'il y aurait beaucoup à dire ! - ses remarques sur l'évolution du champ ou sur l'organisation administrative de la politique de coopération me paraissent parfois relever de l'opportunité, en tout cas de choix politiques qui ne dépendent de l'appréciation d'aucune juridiction, pas plus de la Cour des comptes que d'une autre.
J'ajoute que les idées qui prévalaient à un certain moment tendant à fusionner le ministère de la coopération et le ministère des affaires étrangères, ou plutôt à réintégrer quasiment les services de la coopératin au sein du ministère des affaires étrangères, sont politiquement, à l'égard de nos partenaires, à peu près aussi habiles que celles qui, à dix-huit mois des élections législatives, consisteraient à annoncer par exemple la suppression du ministère de l'agriculture ou du ministère des anciens combattants. Par conséquent, il vaut mieux faire attention !
L'action du ministère de la coopération est l'un des éléments importants de la politique extérieure de la France. Nous allons, par conséquent, la préserver.
Nous devons veiller aussi à maintenir l'influence de notre pays et à honorer tous nos engagements.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous trouverez dans mon rapport écrit bien d'autres détails et bien d'autres développements.
En l'état, et compte tenu de l'organisation de la discussion, je m'en tiendrai là et je vous indique que la commission des finances a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la coopération pour 1997. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi que l'a signalé le rapporteur spécial de la commission des finances, les crédits dévolus à la coopération baisseront de 7,8 % en 1997, et je ne vous cacherai pas que cette évolution me paraît très préoccupante.
Notre aide joue, en effet, un double rôle. D'une part, elle contribue efficacement au redressement des pays du champ ; d'autre part, elle demeure un facteur décisif de notre rayonnement international et, également - on l'oublie trop souvent - de notre puissance économique. Nous ne devons pas perdre de vue cette double perspective au moment de débattre du projet de budget pour la coopération.
Aussi, je souhaiterai insister, dans un premier temps, sur l'importance que présente notre aide au développement, dans une période où elle fait l'objet de contestations, avant de m'interroger sur les moyens et les objectifs de notre politique de coopération.
Contrairement aux assertions soutenues par certains, l'aide au développement n'est pas un tonneau des Danaïdes. Elle a commencé à porter ses fruits : les bons résultats dans certains pays de la zone franc en apportent la meilleure preuve.
Sans le soutien constant de la France, sans l'effort que notre pays a consenti en annulant l'essentiel de ses créances, les pays de la zone franc connaîtraient-ils, depuis trois ans, une croissance ininterrompue ? Pour la première fois depuis la crise des années quatre-vingt, le revenu par habitant va pouvoir progresser.
Le temps devra évidemment confirmer ces bons résultats. Mais, d'ores et déjà, l'Afrique échappe à l'immobilisme et à la fatalité du sous-développement.
Les crises que connaît le continent ne doivent pas, en effet, dissimuler des évolutions profondes, fragiles encore, mais encourageantes. Le taux de fécondité s'est réduit : le nombre d'enfants par femme est passé de huit à six, ce qui peut sembler encore beaucoup, mais qui est significatif. Par ailleurs, l'espérance de vie moyenne a progressé de quarante-huit à cinquante-deux ans.
Comment baisser les bras, alors que nous enregistrons enfin des avancées significatives et que l'Afrique, aujourd'hui « au milieu du gué », a encore besoin de nous ?
L'Afrique a besoin de notre aide, mais nous avons aussi besoin de l'Afrique.
En premier lieu - ne l'oublions pas ! - notre influence dans les pays du champ constitue un élément décisif de notre rayonnement international.
Pour donner des exemples concrets, la France peut toujours compter sur la solidarité de ses partenaires africains au sein des enceintes internationales. De plus, nous sommes les seuls à pouvoir parler d'égal à égal avec les Etats-Unis pour tout ce qui concerne l'Afrique.
Notre politique de coopération est donc bien le vecteur privilégié de notre influence sur le continent. Comment pourrions-nous renoncer à entretenir ce capital qui contribue à assurer à la France un rang de puissance mondiale ?
Mais notre aide présente aussi un avantage précieux et souvent méconnu pour nos intérêts économiques. Certes, il n'est pas facile d'apprécier ce qu'il est convenu d'appeler l'effet retour de notre aide. Du moins, peut-on l'apprécier par le biais de notre balance commerciale, qui se solde par un excédent de 24 milliards de francs. Les prêts de nos banques commerciales s'élèvent à 12 milliards de dollars et représentent le tiers de l'ensemble des prêts consentis au continent africain.
Nos positions commerciales restent fortes mais ne sont pas à l'abri des ambitions américaines dans de nombreux secteurs, notamment dans le secteur des télécommunications où les marchés en jeu suscitent énormément de convoitises.
C'est dans ce contexte qu'il convient d'apprécier le souhait formulé par M. Yves Marchand, dans un rapport remis, en 1996, à M. le Premier ministre, de délier l'aide française.
N'oublions pas que près de 50 % de l'aide française reviennent aujourd'hui à notre pays sous la forme d'achats de biens et de services. Rien que cette garantie justifierait pleinement, à mon avis, le maintien de notre aide à l'Afrique.
Je serais heureuse de recueillir votre sentiment sur ce point, monsieur le ministre.
Si l'aide reste donc indispensable, et je crois l'avoir brièvement démontré, nous ne saurions cependant faire l'économie d'une réflexion sur les méthodes et les objectifs poursuivis. A cet égard, je me réjouis des orientations adoptées par notre Gouvernement, même si cet effort demeure inachevé.
Ma réflexion portera d'abord sur les méthodes. La réforme tient en trois mots clés : coordination, évaluation, efficacité.
La coordination a été incontestablement renforcée par la création d'un comité interministériel d'aide au développement placé sous l'autorité du Premier ministre.
Pourriez-vous nous donner, monsieur le ministre, des exemples concrets des résultats attendus de cette coordination ? Ce comité interministériel permettra-t-il, en particulier, de peser sur les choix et les orientations arrêtés par Bercy, qui est responsable de plus de la moitié de l'aide ?
J'en viens à l'évaluation. A cet égard, je me félicite qu'une mission ait été confiée à M. Jean-René Bernard, inspecteur des finances, afin de procéder à l'analyse de la répartition, par pays et par secteur, de notre aide au développement ; cela n'avait jamais été fait auparavant ! J'espère vivement que les résultats de cette étude de marchés, qui est indispensable pour toute action positive, seront communiqués au Parlement.
Enfin, la recherche de l'efficacité doit animer notre politique de coopération. J'approuve la pratique des crédits déconcentrés, notamment dans le cadre du fonds social de développement.
Cette pratique permet de répondre rapidement aux besoins des populations et s'inscrit dans ce développement de proximité, qui est indispensable, vous l'avez souvent observé, monsieur le ministre, pour ralentir et l'exode rural et l'émigration.
J'en viens enfin aux objectifs mêmes de notre coopération. Je crois profondément que notre aide est le symbole même d'un modèle particulier qu'il importe de préserver.
Ce modèle repose sur deux éléments profondément liés : une connaissance profonde de l'Afrique et une importante présence humaine sur place, sans laquelle nous n'aurions pu acquérir ni cette expérience ni ce savoir-faire.
Le premier point, c'est notre connaissance du continent africain. Elle nous prémunit contre le dogmatisme des institutions de Bretton-Wood, parfois peu sensibles aux fragiles équilibres économiques et sociaux des Etats africains. Il faut le répéter ici, la libéralisation doit constituer l'auxiliaire du développement ; elle ne saurait représenter une fin en soi.
Je me félicite à cet égard que notre politique d'aide, à travers, notamment, l'action des agences de la Caisse française de développement, offre un contrepoids constructif aux orientations du FMI et de la Banque mondiale, qui, dans le passé, ont trop souvent méconnu la réalité de l'évolution et des traditions des pays africains, compromettant parfois leur équilibre par des mesures trop hâtives ou mal adaptées aux réalités du pays.
Cette connaissance du terrain, acquise par la France au fil des ans, a permis d'adapter nos moyens d'intervention et de les orienter vers une coopération inscrite dans la durée.
Je citerai, à titre d'exemple, l'effort que nous conduisons en faveur de la mise en place, à l'échelle des pays du champ, d'un cadre juridique harmonisé, par exemple - je fais allusion, au droit des affaires - et effectivement appliqué par la création de tribunaux de commerce. C'est une condition indispensable pour restaurer la confiance des investisseurs privés.
L'action que nous menons n'est pas forcément coûteuse en termes de crédits. Il n'en reste pas moins que nous avons atteint aujourd'hui la cote d'alerte.
Dans le projet de budget, les crédits destinés à l'ajustement structurel ont baissé, mais cette évolution nécessaire ne permet malheureusement pas de renforcer l'aide aux projets qui correspond pourtant à la vocation profonde du ministère de la coopération, le fonds d'aide et de coopération bénéficiant d'une dotation réduite. Dans ces conditions le FAC ne doit plus, à l'avenir - et ne peut plus d'ailleurs - servir de variable d'ajustement dans la politique de régulation budgétaire, comme cela a été trop souvent le cas dans les dernières années.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des garanties sur ce point ?
Le deuxième élément décisif de notre modèle de coopération réside dans une forte présence humaine sur place. A cet égard, j'éprouve deux inquiétudes.
Après une nouvelle suppression de postes de coopérants - soit 340 en 1997 - les effectifs sont aujourd'hui à l'étiage - le niveau « plancher » est atteint - et la logique visant à réduire les postes de coopération, dits de substitution, a été conduite aujourd'hui plus qu'à son terme.
En effet, il ne faut pas oublier, en parallèle, que la réforme du service national CSN aboutira à la suppression des postes des coopérants du service national, qui sont particulièrement nombreux dans les pays d'Afrique.
Les CSN seront-ils remplacés par une autre structure, et laquelle, monsieur le ministre ? On parle de volontariat, mais de quel ordre ?
A mon avis, il est évident qu'il ne faudra pas trop compter, dans l'avenir, sur des engagements volontaires de jeunes diplômés lorsque le service national ne sera plus obligatoire.
Il y aura peut-être des volontaires, mais y en aura-t-il suffisamment possédant les diplômes et la formation qui étaient exigés auparavant pour les candidats aux postes de CSN ? Il faut garder cela en mémoire avant de procéder à des suppressions de postes qu'il sera difficile - sinon impossible - de créer de nouveau dans l'avenir.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous demander également votre sentiment sur cette question.
Cela dit, la présence française en Afrique ne se résume pas seulement aux assistants techniques : les opérateurs privés français sur le continent jouent, soulignons-le une fois de plus, un rôle très important, tant en faveur du développement que du rayonnement de la France et de nos intérêts économiques et commerciaux. Or leur situation n'a pas toujours été considérée avec suffisamment d'attention par les pouvoirs publics, notamment au lendemain de la dévaluation.
Le secteur privé indépendant, malgré la place déterminante qu'il occupe dans notre présence à l'étranger, n'est pas suffisamment pris en compte.
Nos compatriotes qui ont créé et se sont investis dans des PME et PMI locales, dans des conditions souvent difficiles, constituent la catégorie la plus intégrée aux réalités et aux difficultés des pays d'accueil. Leur part effective au développement est, la plupart du temps, très efficace ; pourtant, elle est systématiquement oubliée au profit de stratégies plus spectaculaires.
Dans le cadre de nos nouvelles orientations de coopération, qui utilisent largement, et à juste raison, le secteur privé comme relais des actions de développement, ces opérateurs constituent un rouage déterminant.
Force est pourtant de constater que nos ressortissants relevant de ce secteur d'activité sont systématiquement ignorés au profit des représentants salariés de grandes sociétés françaises implantées dans le pays.
En dehors du fait que ces salariés n'ont aucun intérêt personnel dans les pays dans lesquels ils sont envoyés temporairement par leurs groupes, leurs firmes, de par leur importance, bénéficiant de sérieuses garanties qui les situent bien loin des problèmes rencontrés par les opérateurs individuels volontairement implantés sur place, dont ils ne sauraient faire valoir les intérêts.
Ces opérations se trouvent souvent dans une situation précaire et devraient donc bénéficier d'un appui important, faute duquel leurs intérêts pourraient être lésés, comme nous avons pu le constater dans de nombreux pays.
Devant de telles situations, il me semble évident et normal que les intérêts de nos compatriotes soient mieux garantis. Dans le cas contraire, il conviendrait de les informer des risques encourus, voire de les dissuader d'investir, ce qui ne serait pas dans l'intérêt de la France.
Compte tenu du rôle important que ce secteur pourrait être amené à jouer dans les stratégies de développement et dans le commerce extérieur de la France, il me paraît indispensable que les investissements soient effectivement garantis par un fonds spécial - de la Caisse française de développement, par exemple - et mieux pris en compte dans l'avenir.
Il ne faut pas oublier, non plus, la situation dramatique - et je n'exagère pas, monsieur le ministre - dans laquelle se trouvent de nombreux retraités français dont les pensions de retraite libellées en francs C.F.A. se sont trouvées ipso facto divisées par deux.
Tant mes collègues que moi-même avons - vous le savez - fait de nombreuses interventions à ce sujet, malheureusement sans résultats probants jusqu'à présent seuls quelques cas sociaux particulièrement désespérés ayant été pris en compte.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. C'est exact !
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très juste !
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis. Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales consacré à cette question a été récemment soumis à M. le Premier ministre. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer la teneur des recommandations qui ont été faites et nous préciser si une solution satisfaisante pourra enfin être apportée, dans des délais rapides, à ce très grave problème ?
Nous ne pouvons pas oublier la part importante qu'a prise la France dans la décision de dévaluer le franc CFA. Cette décision était courageuse, et réaliste puisque des résultats positifs commencent à apparaître dans plusieurs pays d'Afrique. Mais nous ne devons pas oublier non plus la responsabilité de la France vis-à-vis de nos compatriotes des pays de la zone franc.
En conclusion, mes chers collègues, la réduction des crédits destinés à la coopération ne traduit pas un désengagement de la France, qui figure toujours au deuxième rang des donateurs, comme l'a indiqué mon collègue, juste derrière le Japon.
Mais il n'en reste pas moins que le budget du ministère de la coopération contribue peut-être aujourd'hui plus qu'à son tour à l'effort légitime et nécessaire de maîtrise des dépenses publiques.
Il est donc indispensable qu'aucune diminution nouvelle de ce budget, aucune régulation budgétaire, aucun gel des crédits n'intervienne dans l'avenir.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis. De telles mesures remettraient tout en cause, compromettraient définitivement le fragile équilibre actuel et risqueraient de rayer d'un trait de plume le résultat, enfin positif, de près de quarante ans d'efforts et d'investissements.
C'est sous le bénéfice de ces observations que la commission des affaires étrangères vous invite à approuver les crédits de la coopération. (Applaudissements sur les travées du RPR. - M. le président de la commission des affaires étrangères et M. le rapporteur spécial applaudissent également.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 27 minutes ;
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 17 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ennemi mondial s'appelle aujourd'hui la pauvreté. C'est un mal implacable qui engendre violence, anarchie et drames à grande échelle. C'est l'ennemi planétaire, et on ne peut pas dire que les pays en état de le combattre efficacement mobilisent leurs capacités pour le défaire.
Le fossé entre pays riches et pays pauvres s'est encore un peu plus creusé depuis l'examen de votre dernier budget.
« Afrolucide » et certainement pas « afropessimiste », je ne pense pas que l'Afrique soit par on ne sait quelle fatalité vouée à la misère, ses élites à la corruption, ses peuples aux affrontements ethniques.
Telle est la raison pour laquelle je déplore le recul de 7 % de vos crédits budgétaires par rapport à la loi de finances pour 1996.
Certes, comme toute oeuvre humaine, votre projet de budget et votre action ont leurs points forts et leurs faiblesses.
Il est regrettable que, dans cette période, cette réduction non négligeable des crédits en renforce les faiblesses. Sachant que votre projet de budget ne représente finalement que 12 % de l'ensemble des engagements de la France en matière de coopération, je crains que, cette année, le repli ne soit plus ample encore que ne l'indiquent les seuls chiffres de votre budget. Pouvez-vous donner des précisions sur ce point, monsieur le ministre ?
Les récents diagnostics de la Banque mondiale sont clairs en ce qui concerne l'Afrique : plus encore que précédemment, les économies africaines sont écrasées par la dette.
Malgré une timide progression des exportations de matières premières et des accords de réduction de dette, la situation des pays de l'Afrique sub-saharienne a, en moyenne, continué à se dégrader. Leur dette représente en moyenne 170 % de leurs exportations, ce pourcentage allant jusqu'à 1 000 % au Mozambique et 600 % en Côte-d'Ivoire.
L'aide publique au développement recule et, en 1995, seuls l'Afrique du Sud et le Nigéria ont bénéficié de l'arrivée de capitaux privés. Sur les quarante pays du monde les plus lourdement endettés, trente-trois sont situés en Afrique sub-saharienne. Le Maghreb n'est guère en meilleure situation. En Algérie, le ratio d'aide sur recettes d'exportation est de 308 % ; il est de 247 % au Maroc et de 214 % en Egypte.
Nombre d'experts de la Banque mondiale et du FMI indiquent ouvertement qu'une grande partie de ces dettes ne pourra jamais être remboursée. L'Afrique n'est pas la Russie, à qui les créanciers occidentaux ont consenti de gros cadeaux pour assurer la réélection d'Eltsine !
Le continent africain reste coincé par le carcan de la dette, même s'il faut apprécier à leur juste valeur les récentes dispositions, émanant notamment de la France, en la matière. Cela m'autorise à dire que, pour les « maîtres du monde » américains, finalement, ce carcan de la dette est bien commode pour rendre impossible toute velléité d'indépendance nationale des pays d'Afrique, l'encaisse aléatoire des remboursements et des intérêts ne venant, à mon avis, qu'en seconde position.
Je suis de ceux qui pensent que la dette est pour certaines puissances financières plus arme politique que source de profit. D'ailleurs, le total des dettes de l'Afrique sub-saharienne, qui s'élève à 223 milliards de dollars, ne représente qu'à peine 10 % du total mondial.
Aucun développement économique des pays africains ne sera possible sans des mesures radicales de réduction ou d'annulation des dettes. Nous nous accordons à reconnaître que ce ne sera sans doute pas la seule condition, mais si elle n'est pas suffisante, elle est nécessaire.
La hantise que les « hordes affamées » du Sud ne se ruent sur les richesses du Nord refait surface chez nous, alimentée par la récession économique et les doutes d'un siècle finissant.
Mais « on peut prendre toutes les décisions administratives possibles, on ne résoudra le problème de l'émigration de l'Est comme du Sud que par le développement des pays d'origine », disait notre collègue Charles Pasqua en 1993. Paroles de bon sens s'il en était, malheureusement suivies, comme chacun sait, par les fameuses lois du même nom, lesquelles ont déclenché, entre autres choses, le tristement célèbre épisode des sans-papiers.
Contre l'émigration clandestine, les charters d'investisseurs seront toujours plus efficaces que les charters de reconduits, reconduits qui ne resteront chez eux que le temps de récolter l'argent nécessaire pour payer de nouveau les passeurs.
Moins que de charité, c'est de plus de justice dans les rapports internationaux que les habitants du Sud ont besoin pour rester vivre chez eux. Tant qu'ils n'auront pour seule perspective que l'aumône des riches, ils trouveront toujours les moyens de franchir les frontières et les murs, et, contre cela, aucun discours de Le Pen, aucune loi Pasqua ne pourront rien.
Le système international est fait d'iniquité. Les rapports de force conduisent à un marché aux lois injustes et cyniques.
Dans un monde en pleine globalisation, la déréglementation aboutit sur le plan économique à ce drame : le renard libre dans un poulailler libre.
Depuis trop longtemps, le Sud subit cette loi. Producteur de matières premières, il a toujours été tenu à l'écart des lieux de décision où est fixé le prix de ses produits. Pendant que le prix des matières premières subissait des baisses scandaleuses, celui des produits finis que le Nord lui envoie connaissait en revanche une inflation vertigineuse.
J'en viens au passage à la monnaie unique et à ses conséquences sur nos rapports avec les pays africains. Certes, nous n'y sommes pas encore, et je suis de ceux qui restent confiants dans la possibilité d'éviter de mettre notre pays sous tutelle monétaire d'une banque européenne par trop dominée par les financiers allemands. Cependant, il faut se préparer à cette éventualité. Les Africains y pensent aussi évidemment, et, vous le savez, ils sont inquiets.
Vous-même, monsieur le ministre, ainsi que le Président de la République à Ouagadougou avez affirmé que, dans cette perspective, rien ne changerait dans les relations monétaires avec le franc CFA. Je ne mets pas en doute la sincérité de votre propos, monsieur le ministre, quand vous vous efforcez de rassurer nos amis africains et quand vous indiquez que les relations franco-africaines relèvent d'accords bilatéraux et non de la politique de l'Union européenne. Mais comment pouvez-vous être sûr de cela alors que la souveraineté monétaire de la France sera, un jour, dissoute dans les prérogatives d'une banque supranationale ?
Expression monétaire des besoins des marchés financiers, pour notamment organiser la concurrence et la guerre économique, la monnaie unique, selon nous, achèvera d'imposer aux pays européens une politique économique et financière unique où la pression de l'harmonisation sociale par le bas atteindra son maximum, et surtout où les spécificités nationales auront de plus en plus de mal à vivre. La politique de coopération avec l'Afrique est l'une des principales spécificités françaises : nous sommes inquiets quant à son avenir.
« Tout au long de l'année 1996, la France a accumulé les déboires africains. Du putsch militaire au Niger au soulèvement dans l'est du Zaïre, en passant par les mutineries en Guinée, au Congo et au Centrafrique, plusieurs gouvernements d'Afrique francophone ont été renversés ou ébranlés », rappelait récemment dans Le Monde l'un des journalistes, M. Sotinel, qui ajoutait, à juste titre : « Parallèlement, l'image de la France en Afrique a été altérée par l'affaire de l'église Saint-Bernard et par la baisse constante des crédits de la coopération. »
Nous aimerions que le Gouvernement français réagisse contre le diktat américain de plus en plus pesant sur les décisions internationales, singulièrement à propos des situations brûlantes en Afrique, avec la même vigueur que celle qu'il déploie pour défendre directement ou indirectement, je vous le concède, le régime du président centrafricain Patassé.
Ce fut une chance que l'annonce de l'envoi d'une force multinationale dans la région des Grands Lacs ait eu pour effet de déclencher la débandade - momentanée certes - des sinistres milices hutues et des ex-FAR, permettant à des centaines de milliers de réfugiés rwandais hutus de regagner leur pays, délivrés de la tutelle de ces tueurs.
Une catastrophe humanitaire touchant près d'un million de personnes a certes été évitée de justesse mais, et vous le savez bien, la situation reste dramatique et l'envoi de la force humanitaire demeure une nécessité et ce non pas pour voler au secours, une nouvelle fois, du régime en décomposition de Mobutu, décomposition qui semble intéresser beaucoup les Américains.
Que pensez-vous, monsieur le ministre, de ces analyses qui relèvent la volonté américaine de s'appuyer, entre autres, sur le nationalisme tutsi pour s'implanter au Zaïre et, pour résumer, contrôler son formidable potentiel minier dans l'éventualité de la disparition politique ou physique de Mobutu ?
Les Américains ont, récemment encore en Afghanistan, montré qu'ils étaient capables d'attiser les nationalismes et de s'appuyer sur les extrémistes de la pire engeance pour étendre leur influence.
Le temps qui m'est imparti ne me permet pas, hélas ! de m'exprimer à la fois sur les questions politiques, nombreuses et brûlantes, et sur le détail de votre budget dont les faiblesses, certes accrues, mais aussi les points forts mériteraient évidemment bien des développements.
En fait, monsieur le ministre, les désaccords sur le fond que nous avons avec votre politique de développement ainsi qu'avec l'acceptation française des règles injustes du marché international qui maintiennent l'Afrique dans un état de misère et de dépendance nous poussent, une nouvelle fois, à ne pas approuver votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « La France n'est jamais plus grande que lorsqu'elle l'est pour tous, lorsqu'elle n'est pas repliée sur elle-même ». Cette phrase d'André Malraux, c'est le Président de la République lui-même qui l'a rappelée voilà exactement quinze jours, dans le discours mémorable prononcé sur les marches du Panthéon.
Cette recommandation de ne pas se replier sur soi-même, cette affirmation qu'une nation n'est jamais plus grande que lorsqu'elle est grande pour tout le monde n'ont cessé d'être reconnues et suivies par nos gouvernements successifs. Ces idées ont inspiré la générosité de notre pays, son désir d'aider les peuples défavorisés et l'esprit de fraternité dans lequel son action est conduite.
Ces principes sont ceux qui guident la politique de la France, plus particulièrement celle du ministre de la coopération.
Tout d'abord, dans le sens de la mondialisation qui devient la règle générale, son champ d'action a été considérablement agrandi. Aux trente-sept Etats francophones d'Afrique du sud du Sahara, de l'océan Indien et des Caraïbes, qui constituaient le champ traditionnel de la coopération, sont venues s'ajouter les trente-trois nations ACP - Afrique, Caraïbes, Pacifique - parties à la convention de Lomé, ainsi que - ce qui est plus surprenant - l'Afrique du Sud - je n'aurais pas le temps, ce matin, de traiter de ce dernier point. Au total, cela fait soixante-dix pays.
N'est-ce pas beaucoup, monsieur le ministre ? N'est-ce pas un peu compliqué pour vous, d'autant plus que, dans le projet de budget que nous examinons, seuls les crédits pour les trente-sept « anciens » pays vous sont assignés clairement, tandis que les actions de coopération culturelles et autres dans les trente-trois pays du nouveau champ demeurent inscrites au budget de la direction générale des relations culturelles du ministère des affaires étrangères ? Comment pouvez-vous les piloter, les maîtriser ?
Une seconde difficulté résulte, naturellement, du contexte général du projet de loi de finances pour 1997.
Comme beaucoup d'autres budgets, celui de la coopération est en baisse, et en baisse très sensible. Les chiffres sont détaillés dans le rapport écrit de M. Charasse ; aux titres III et IV, on note des diminutions dépassant 7 % à 10 %, voire 20 %, sur certaines lignes budgétaires précises.
De plus, en ce qui concerne l'exécution du budget de 1996, plusieurs gels successifs au cours de l'année ont conduit à des annulations de 550 millions de crédits en dépenses ordinaires et crédits de paiement. Cela est particulièrement regrettable, puisque ces gels entraînent l'interruption de programmes en cours et des ruptures de contrats de votre part, ce qui est inadmissible. Ce propos s'adresse non pas vraiment à vous, monsieur le ministre, mais à votre collègue de Bercy beaucoup trop friand de régulations.
Mieux vaudrait inscrire au budget des chiffres « réels », afin que l'on sache ce qui va être exécuté, que de faire figurer des crédits qui vont ensuite disparaître en cours d'année, surtout pour des montants aussi importants.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Mais le Gouvernement ne fait qu'un, monsieur Habert ! Il n'y a pas de différence entre le ministre du budget et le reste du Gouvernement.
M. Jacques Habert. Bien sûr, mon cher collègue ! Et vous êtes bien placé pour savoir ce qu'il en est ! Il y avait également des régulations de votre temps !
En dépit de ces aspects négatifs, le rapporteur spécial se montre optimiste, expliquant que l'amélioration de la situation des pays du champ permet la baisse des crédits. De fait, la situation économique de beaucoup d'entre eux évolue favorablement - la Côte d'Ivoire fournit, à cet égard, la plus belle illustration - et, dans plusieurs pays africains, la dévaluation du franc CFA, après des débuts difficiles, s'est finalement avérée profitable.
Il reste que, sur quelques points précis, cette dévaluation continue d'avoir des effets désastreux. Mme Paulette Brisepierre, dans un rapport tout à fait remarquable qui reflète son amour pour le continent dans lequel elle vit en même temps que sa parfaite connaissance des problèmes africains (Mme le rapporteur pour avis sourit), rappelle la situation tragique des retraités, parmi lesquels beaucoup de Français qui touchent leur pension en francs CFA, dont la valeur a diminué de moitié.
Quelques compensations ont été versées à ceux qui sont rentrés en France. Vont-elles être reconduites ? Et à ceux qui restent en Afrique, aurez-vous, monsieur le ministre, quelque espoir à donner ?
Mme le rapporteur pour avis a posé une autre question qui préoccupe également tous les représentants des Français établis hors de France. Après la mise en oeuvre de la réforme du service national, comment comptez-vous, monsieur le ministre, remplacer les 804 coopérants actuellement dans les pays du champ en tant que CSN ? Croyez-vous qu'il y aura assez de volontaires pour combler ces vides ? Que leur offrirez-vous pour les convaincre d'aller servir dans des pays lointains, où il est souvent difficile de vivre ? De quelles incitations disposerez-vous ?
Ces coopérants du service national sont particulièrement nombreux dans les écoles françaises et ils y sont absolument indispensables.
A ce propos, nous vous remercions, monsieur le ministre, de votre vigilance à l'égard des soixante-dix-huit établissements dont vous avez la tutelle, conjointement avec M. le ministre des affaires étrangères, par l'intermédiaire de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. Je tiens également à vous exprimer ma gratitude pour une mesure que vous avez prise cette année et qui vise à garantir une plus grande pluralité de la représentation syndicale des enseignants à l'étanger.
Mais mon temps de parole arrive à son terme. Je conclurai donc en rappelant l'ampleur, l'importance de notre coopération, qui mérite toujours d'être soulignée.
Dans l'aide aux pays en développement, la France demeure l'un des deux premiers pays contributeurs, tant en volume qu'en proportion du produit intérieur brut, où nous nous classons en tête, loin devant l'Allemagne, le Japon et les Etats-Unis.
Toujours à l'avant-garde malgré ses propres difficultés financières, notre pays continue à montrer l'exemple de la fidélité envers nos amis francophones et de la générosité pour les plus défavorisés.
Hier, monsieur le ministre, vous étiez au sommet de Ouagadougou, auprès du chef de l'Etat, au moment où celui-ci a proclamé, en des termes élevés, que la France continuerait d'assurer cette mission, une mission difficile, délicate, mais qui lui fait honneur. En même temps, elle poursuivra ses efforts pour la survie des malheureuses populations du Rwanda et pour le retour de la paix dans la région des Grands Lacs africains.
C'est pour toutes ces raisons que les sénateurs non inscrits, avec la majorité de cette assemblée, voteront les crédits proposés pour la coopération dans le projet de loi de finances pour 1997. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Serge Mathieu.
M. Serge Mathieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les graves événements qui se sont déroulés il y a tout juste quelques semaines au Zaïre et au Rwanda révèlent toute l'ampleur que peut avoir une légère déstabilisation politique dans certains pays qui ont vécu des situations de fragilité successives ou sous des pouvoirs trop répressifs.
Les circonstances font également que nous examinons ce budget alors que le Président de la République se trouvait hier encore au dix-neuvième sommet franco-africain de Ouagadougou et que certains dans cette assemblée dénoncent une perte de crédibilité de la France du fait de la tendance à la baisse de son aide au continent africain.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. La France reste tout de même le premier contributeur en Afrique !
M. Serge Mathieu. Ne peut-on estimer, au contraire, que la diminution des dotations allouées au ministère de la coopération est le signe même d'une meilleure santé des pays de la zone franc ? C'est la réponse à apporter à ceux qui parlent de tentation de repli et c'est ce que votre budget, monsieur le ministre, doit s'efforcer de concrétiser, alors même que le champ de la coopération a été élargi à trente-cinq pays.
En effet, on peut constater la diminution des besoins en aides financières externes des pays de la zone franc depuis que la croissance a repris dans la région et que, parallèlement, des programmes d'ajustement structurel importants mis en place par les institutions de Bretton Woods ont pris la relève de notre pays.
Le programme exceptionnel d'assistance financière que la France avait mis en place en 1994 pour accompagner la dévaluation du franc CFA s'est achevé et notre pays peut désormais revoir à la baisse le niveau de ses concours financiers directs.
Les crédits de la coopération sont ainsi en baisse pour la deuxième année consécutive. Leur montant sera, en 1997, de 6,72 milliards de francs, soit une diminution de 7,8 % par rapport à la loi de finances initiale de 1996.
Mais résumer ainsi la situation serait réducteur et quelques explications ou précisions s'imposent.
Elles s'imposent d'ailleurs d'autant plus que ce budget ne pâtirait pas d'une cohérence et d'une lisibilité accrues du dispositif d'aide publique au développement, tant est grande la superposition entre les lignes budgétaires comme entre les ministères et organismes.
En effet, les dotations de votre ministère ne constituent que 12 % de l'aide publique française au développement, le reste transitant par le ministère de l'économie et des finances, pour près de 45 %, le ministère des affaires étrangères, pour 7,5 %, et un nombre encore trop important d'autres organismes ou de départements ministériels, parmi lesquels on compte notamment la Caisse française de développement.
Une telle situation n'est pas propre à la France, certes, mais elle prend chez nous un caractère encore plus accentué. Pareil morcellement de l'aide concourt au manque de lisibilité auquel je faisais allusion. Cela rend plus malaisé le contrôle parlementaire et affaiblit de fait la valeur du vote que nous émettons sur les crédits du ministère de la coopération.
Un seul exemple suffira à illustrer la pesanteur des habitudes administratives. L'intégration dans le champ des trente-cinq pays relevant précédemment du ministère des affaires étrangères devait s'accompagner d'un transfert de crédits correspondants, de l'ordre de 150 millions de francs, à compter du 1er janvier dernier. Or, ce transfert n'a pas eu lieu. Comment seront donc gérés les crédits de coopération avec les nouveaux pays du champ, crédits qui, malgré l'élargissement dudit champ, resteront logés au ministère des affaires étrangères ?
On peut regretter que la politique de coopération soit aussi mal connue d'un large public et vous serez d'accord avec moi, monsieur le ministre, pour considérer que ce genre de péripétie ne vient en rien faciliter sa lisibilité.
C'est pourquoi je me prononcerai en faveur de l'organisation au Parlement d'un débat annuel sur la politique de coopération et d'aide au développement, débat qui pourrait être précédé de la remise aux assemblées d'un rapport du Gouvernement sur les actions menées. Je sais que vous avez dit être favorable au principe d'un tel débat, monsieur le ministre.
A cet égard, nous saluons l'effort de méthode dont vous avez fait preuve avec la mise en place du comité interministériel de l'aide au développement, le CIAD, qui constitue la principale innovation du train de réformes.
Présidé par le Premier ministre, le CIAD définit l'aide publique au développement dans ses aspects bilatéraux et multilatéraux. Il permet d'aller dans le sens de l'efficacité que nous réclamions, de la simplicité et d'une plus grande transparence. En son sein, un groupe de travail est précisément chargé d'élaborer chaque année un rapport sur l'évaluation de l'aide publique au développement, diffusé auprès des présidents et rapporteurs des commissions compétentes du Parlement.
Nous sommes conscients de l'énergie que vous déployez pour améliorer la transparence et la coordination des actions françaises.
Ces changements de méthode traduisent une nouvelle approche dans les priorités de notre aide. Elle se caractérise par le souci d'un développement de proximité, qui doit permettre, d'une part, de ralentir l'exode rural et l'immigration et, d'autre part, de restaurer de manière pleine et entière le crédit de l'Afrique auprès des investisseurs privés. Ne l'oublions pas, ce continent ne représente en effet que 3 % des flux mondiaux d'investissements privés !
Les pays de la zone franc ont, malgré tout, su profiter de la dévaluation du franc CFA pour renouer avec une croissance qui les avait abandonnés depuis près de dix ans.
Après avoir évolué à la baisse en 1993, avec une diminution de 1,8 %, le produit intérieur brut de la zone franc a augmenté, en volume, de 1,1 % en 1994 et de 4,6 % en 1995. La croissance est particulièrement marquée dans les secteurs agricoles d'exportation - café, cacao, coton - qui dégagent des surplus financiers très importants.
Bien que l'on puisse toujours se demander si, à l'avenir, la croissance va ou non marquer une pause, la dévaluation a joué un rôle central dans la reprise. Mais elle n'est pas le seul facteur explicatif, reconnaissons-le. La réactivation des filières agro-exportatrices découle aussi d'une série de facteurs exogènes, comme la remontée des cours des matières premières ou la faiblesse du dollar américain.
Un effet incontestable de la dévaluation a été de permettre aux pays de la zone franc de bénéficier d'un volume important de concours financiers internationaux. La modification du taux de change était, en effet, une des conditions posées par les institutions de Bretton Woods à la reprise de leurs aides à l'ajustement.
De fait, la mobilisation des grands bailleurs de fonds a été d'envergure. Les décaissements effectués par le FMI, la Banque mondiale et l'Union européenne sont passés de 1 milliard de francs en 1993 à environ 15,3 milliards de francs pour les deux années 1994 et 1995. Cette forte augmentation des financements par les institutions de Bretton Woods a eu pour effet de rétablir des transferts nets positifs en faveur de la zone franc. Seuls trois pays supportent encore des transferts nets négatifs, en raison des dettes accumulées par le passé : le Cameroun, la Côte d'Ivoire et le Congo.
Toutefois, il y a un revers à cette situation : les financements consentis par la Banque mondiale sont aux trois quarts des aides à l'ajustement. L'aide-projet marque donc le pas. Or la baisse de 20 % des crédits consacrés à l'ajustement structurel ne permet pas non plus de renforcer l'aide-projet, qui sert d'ailleurs encore trop souvent de variable d'ajustement pour les annulations budgétaires.
Mais il y a peut être plus grave : sur vingt pays africains sous accord avec le FMI, dix sont désormais des Etats de la zone franc. En effet, l'application d'une logique libérale, dans certains cas peu favorable aux populations concernées, nous laisse entrevoir le risque de démantèlement de filières existantes. Notre travail en interface avec ces institutions ne nous dispense pas d'une extrême vigilance à leur endroit.
C'est ainsi que toute action, comme celle que vous avez menée, monsieur le ministre, tendant à faire revoir dans un sens moins libéral la privatisation de la filière coton, en projet à la Banque mondiale, recevra notre plein soutien.
Dans un même esprit, j'attirerai rapidement votre attention sur la réduction de l'assistance technique, qui voit ses crédits diminuer de 3,5 %. Ce processus de déflation, continu depuis dix ans, fait que nous sommes aujourd'hui très proches du seuil minimal que la France est en devoir de respecter dans ce domaine pour tenir son rang, en Afrique particulièrement.
La fin de la coopération de substitution doit nous inciter à adopter une politique de coopération ambitieuse, dans le secteur de l'enseignement principalement, afin de mieux associer le vivier des jeunes diplômés africains aux différents projets de développement de leurs pays. Des associations ont été créées pour permettre à des retraités de participer à la mise en oeuvre de ces projets.
Nous encourageons de telles initiatives, bien sûr, et cela me donne l'occasion de vous demander ce que devient la question des coopérants dont les retraites n'ont pas été réajustées à la suite de la dévaluation du franc CFA. Je sais que ce problème a fait l'objet d'un rapport de mission conjointe entre votre ministère et celui des affaires sociales, rapport actuellement en examen auprès du Premier ministre. Quelles améliorations pensez-vous devoir être retenues ? Je sais d'avance que vous ferez en sorte de prendre en compte les conclusions qui découleront de ce rapport.
Nous ne devons pas craindre que, de ce simple fait, la présence française ne puisse en venir à se tarir sur un continent où l'interventionnisme de certains a caractérisé cette année 1996, alors même que ce continent a fait l'objet, l'an dernier, d'un mouvement préoccupant de retrait, avec un recul d'un tiers des investissements étrangers directs.
Je fais, bien sûr, allusion à la tournée de M. Warren Christopher, que l'on peut, pour le moins, qualifier de malheureuse. Mettre l'accent, comme il a pu le faire, sur l'aspect militaire des actions, c'est méconnaître l'extrême fragilité de certains Etats, tel le Mali, vis-à-vis desquels un discours mettant l'accent sur la sérénité et plus consistant sur le plan économique aurait été mieux perçu de tous, y compris de nous-mêmes.
L'Amérique, qui réduit cette année son aide publique au développement de 15 %, ne consacre à l'Afrique que 21 % de son aide, contre 62 % pour la France. Et ne parlons pas des opérateurs privés, pour lesquels l'écart est double ! L'intérêt des Etats-Unis pour le continent africain ne doit pas nous leurrer : lorsqu'il existe, il est d'ordre commercial !
Il s'agit d'une fausse querelle tant les écarts sont grands, mais il est dommage que les efforts que nous déployons soient anéantis par ce qui s'apparente à des gesticulations sans rapport avec le développement.
Les positions acquises à la faveur de notre savoir-faire et de notre expérience devraient être globalement maintenues. C'est principalement dans les secteurs où tout reste à réaliser, comme celui des télécommunications, que l'appétit américain est le plus vif. La France reste loin de ce seul intérêt pratique d'une aide que l'on nous conteste, chez nous ou à l'étranger.
L'intérêt stratégique comme les intérêts économiques de la France peuvent, en vérité, souffrir davantage de l'inflexibilité du FMI que de celle des Etats-Unis en Afrique. Mais, sur ces deux terrains, je sais, monsieur le ministre, combien est grande votre détermination de permettre aux Etats concernés de continuer à bénéficier de notre outil de coopération.
Oui, disons-le tout net, l'Afrique se multilatéralise, ce qui ne saurait nous déplaire si l'on considère que notre pays devrait néanmoins demeurer le coordinateur de la coopération ainsi rénovée.
Certes, la baisse des crédits de la coopération s'inscrit dans le cadre de la politique générale d'assainissement des finances publiques. Mais, dans bien des domaines, les réductions auxquelles il a été opéré nous conduisent à être au seuil minimal de ce que notre action nous dicte de devoir faire.
Les efforts accomplis pour que chacun n'agisse plus en ordre dispersé, notamment au travers du comité interministériel de l'aide au développement, le CIAD, se doivent donc d'être considérables et de permettre, enfin, de franchir une nouvelle étape vers un ministère de la coopération qui gérerait plus largement l'ensemble de l'aide au développement.
Pour l'ensemble de ces raisons et des espoirs que le budget que vous nous soumettez représente, monsieur le ministre, le groupe des Républicains et Indépendants vous apportera son soutien et votera ce budget. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France peut-elle et doit-elle avoir aujourd'hui une politique africaine ? Certains s'interrogent aujourd'hui sur son bien-fondé et son efficacité. Ce pessimisme désabusé tend à dissimuler, ou à justifier, la tendance au désengagement constatée chez la plupart des grands pays industrialisés. « Voyez le Zaïre » disent parfois les mêmes qui ne veulent voir sur le continent africain qu'une succession ininterrompue de catastrophes et une aide au développement impuissante.
Mais, de même que le conflit dans l'ex-Yougoslavie appelait non pas moins d'Europe mais plus d'Europe, de même la situation dans l'Afrique des Grands Lacs souligne la nécessité d'une action plus efficace de la communauté internationale et ne saurait justifier son désintérêt.
Plus généralement, deux facteurs principaux me paraissent souligner que la France ne saurait céder elle-même à la tentation du repli sur soi. Il nous faut, en premier lieu, conforter les progrès significatifs enregistrés sur le continent africain au cours des dernières années.
Sur le plan politique, d'abord, les transitions démocratiques renouvellent l'image de l'Afrique. Malgré les imperfections, parfois les rechutes, des gouvernements élus et légitimes sont mis en place. Une nouvelle génération de cadres africains, plus familière des réalités internationales, apparaît. L'état de droit progresse. Bref, l'environnement politique et juridique, s'il demeure fragile, est mieux maîtrisé.
Sur le plan économique, ensuite, la majorité des pays africains - près de quarante - ont retrouvé le chemin de la croissance économique ; ceux de la zone franc, en particulier, connaîtront cette année un taux de croissance de l'ordre de 6 %. Des filières importantes sont redevenues compétitives. Des opportunités d'investissements deviennent réelles. Enfin, de nouveaux partenaires économiques s'éveillent, notamment en Afrique australe.
En un mot, malgré le retard pris et ses grandes difficultés, l'Afrique avance. Il est de notre devoir de favoriser l'accélération de cette évolution.
C'est aussi notre intérêt bien compris. En effet, la poursuite d'une coopération dynamique est aussi d'une importance particulière pour la France.
En premier lieu, dans le domaine économique et commercial, notre pays échange plus avec l'Afrique qu'avec l'Asie ou l'Amérique latine. La balance commerciale franco-africaine a dégagé, l'an dernier, plus de 30 milliards de francs d'excédent. La France a réalisé en 1995, en Afrique, plus de 30 % de ses investissements privés. Disons les choses simplement : l'Afrique constitue un continent rentable pour notre pays et un marché porteur pour nos entreprises.
En second lieu, sur le plan diplomatique et stratégique, l'étroitesse des relations franco-africaines figure au premier rang des atouts de la France sur la scène internationale. De même que la France est le contributeur le plus actif au développement de l'Afrique - les rapporteurs l'ont souligné - et son avocat le plus efficace auprès des institutions financières internationales, de même le soutien du plus grand nombre des pays africains contribue fortement à conserver à la France son statut de grande puissance, notamment au sein des instances internationales.
On ne saurait enfin oublier qu'une coopération dynamique est, à terme, la meilleure parade contre les flux migratoires massifs. Les immigrés sont d'abord ceux qui ont dû quitter leurs terres. Nos projets de proximité doivent favoriser leur maintien sur place. De même, la coopération doit constituer le meilleur rempart contre les extrémismes et le fanatisme intégriste qui constituent pour nous tous le plus grave danger pour l'avenir. Ne l'oublions pas chaque fois que, pour des raisons d'économies ou d'indifférence, nous réduisons notre aide ou nous supprimons un poste.
Pour toutes ces raisons, je crois, monsieur le ministre, au caractère indispensable de notre coopération. Mais cette coopération ne doit pas être un simple mécanisme d'aide où l'un donne et l'autre reçoit. Ce doit être un véritable partenariat. Notre coopération doit évoluer. Elle doit être rénovée et adaptée. Elle doit retrouver une plus grande visibilité alors que la diminution des effectifs d'assistance technique et le poids accru des concours financiers l'ont, à certains égards, « désincarnée ».
C'est dans cet esprit que doit être apprécié le projet de budget que vous nous présentez et que je souhaite, monsieur le ministre, vous poser un certain nombre de questions.
La première porte naturellement sur l'évolution globale des crédits alloués au ministère de la coopération, qui ne constituent eux-mêmes, nous le savons, qu'une faible partie de notre aide au développement. Je ne conteste pas que leur diminution de 7,8 % d'un an sur l'autre soit nécessaire et, d'une certaine manière, exemplaire, monsieur le ministre, compte tenu de nos objectifs budgétaires. Je crois aussi que ces contraintes financières peuvent constituer un aiguillon utile pour réinventer et mettre en place des mécanismes rénovés de coopération. C'est toute votre politique.
Vous nous avez même invités à voir dans cette réduction budgétaire la preuve du succès de notre politique d'aide, au travers de la fin de la coopération de substitution et de la quasi-disparition de l'aide à l'ajustement structurel. Ne craignez-vous pas cependant d'être conduit à opérer des choix très douloureux dans l'exécution de ce budget pour 1997 ? S'agissant en particulier de la nouvelle baisse de nos effectifs de coopérants, qui seront désormais moins de trois mille, le seuil minimal n'est-il pas aujourd'hui atteint ?
Ma deuxième question porte sur l'élargissement du champ de la coopération à l'ensemble des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, les Etats ACP, et à l'Afrique du Sud. Il me paraît primordial d'approfondir nos relations et d'étendre notre action à des pays africains aussi importants que l'Afrique du Sud ou le Nigeria. Mais n'y-a-t-il pas un risque de saupoudrage de notre aide ? Et surtout, quand seront effectués les transferts de crédits qui sont indispensables à la mise en oeuvre effective d'une décision annoncée voilà plus d'un an ?
Notre dispositif d'aide au développement doit également gagner en transparence et en lisibilité. Des dispositions significatives ont été prises, notamment avec la création du comité interministériel d'aide au développement. Pouvez-vous, dans le même esprit, nous donner les premières conclusions du comité d'évaluation que vous avez mis en place pour dresser un tableau clair des moyens et des destinataires de notre aide ? Je ne doute pas que les résultats de ce bilan seront riches d'enseignements. Je souhaite, naturellement, que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat en soit destinataire.
Le dernier point que je souhaite évoquer concerne l'action de l'Union européenne en matière de coopération. En effet, les valeurs qui fondent l'aide au développement doivent naturellement réunir les Européens. De fait, les Quinze consacrent, à richesse comparable, un effort quatre fois supérieur à celui des Etats-Unis, même si cet effort manque très souvent de visibilité.
Quels progrès attendez-vous en ce domaine, monsieur le ministre, de la Conférence intergouvernementale et des avancées escomptées vers une véritable politique étrangère européenne ? De même, pouvez-vous nous donner des précisions sur l'incidence du passage à l'euro sur la zone franc ? Plus généralement, la politique française de coopération et la politique africaine de la France pourront-elles préserver leur spécificité et leur force dans le cadre d'une politique européenne ? Saurons-nous convaincre nos partenaires de l'importance de l'enjeu ? Les difficiles négociations qui ont eu lieu voilà un an sur le financement du huitième Fonds européen de développement, le FED, ne laissent pas à cet égard d'inquiéter.
En tout cas, la France, deuxième donneur d'aide publique en valeur absolue dans le monde, loin devant les Etats-Unis, doit continuer à relayer ce message de solidarité. Elle doit contribuer à réussir ce grand dessein d'aider l'Afrique à se trouver au rendez-vous du XXe siècle. Je sais, monsieur le ministre, que telle est votre volonté. Je vous remercie tout particulièrement de votre coopération avec notre commission. C'est dans cet état d'esprit que nous voterons les crédits de votre ministère pour 1997.
Je tiens également à remercier nos excellents rapporteurs, dont je partage les convictions et les conclusions. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Dugoin.
M. Xavier Dugoin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 1997 a pour objectif majeur la maîtrise du déficit budgétaire. Cela impose à chaque ministère de contrôler l'accroissement de ses dépenses et de souscrire à une solidarité collective dans l'effort demandé.
Le budget de la coopération n'échappe pas à cette logique et peut être qualifié d'exemplaire en la matière. En effet, par rapport au projet de loi de finances pour 1996, il enregistre une baisse - cela a été dit - de presque 8 %, qui est due essentiellement à l'achèvement du programme exceptionnel d'accompagnement de la dévaluation du franc CFA.
Néanmoins, le montant des crédits que vous nous soumettez, monsieur le ministre, est supérieur à celui qui était initialement prévu dans le « mandat de préparation », car ce dernier prévoyait une baisse estimée à 11,4 %. Par conséquent, on peut dire que l'essentiel a été préservé.
Compte tenu du court temps de parole qui m'est imparti, je limiterai mon propos, à quelques remarques sur des points précis qui mériteraient sans doute un plus long débat.
En premier lieu, je souhaite évoquer la ventilation même des crédits au sein des différents titres du budget et, en particulier, dresser un rapide état des lieux du titre III.
Contrairement à d'autres budgets, où une part très importante des crédits est attribuée au fonctionnement de la maison, votre budget, monsieur le ministre, marque une réelle volonté de limiter et de contrôler le montant des crédits affectés au seul fonctionnement du ministère, donc de consacrer davantage aux activités opérationnelles au travers des crédits d'intervention et d'action.
Le titre III représente, en effet, 977 millions de francs, soit environ 15 % du total des crédits, avec seulement 2 % de hausse, ce qui est pour nous une première satisfaction. Il existe là une cohérence entre les chiffres et l'esprit même qui a prévalu il y a déjà fort longtemps à la création du ministère de la coopération, ministère de mission et non pas uniquement ministère de gestion.
Je souhaiterais maintenant évoquer les crédits d'intervention.
Tout d'abord, force est de reconnaître que les crédits du titre IV enregistrent, par rapport à la loi de finances de 1996, une baisse de 8,3 %.
Certes, cette baisse se justifie en partie par l'arrêt du programme exceptionnel d'accompagnement de la dévaluation du franc CFA, arrêt d'ailleurs d'autant plus nécessaire que les premiers effets positifs de cette politique sont d'ores et déjà perceptibles.
Mais on ne peut que regretter la suppression, en 1997, de 310 postes d'enseignants et de 33 postes de techniciens. D'aucuns affirment que cette mesure répond à l'effort de modernisation du dispositif d'assistance technique et, plus généralement encore, à une politique de réduction des effectifs.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez nous confirmer cette logique qui nous inquiète. En effet, au terme de l'application du budget pour 1997, l'effectif global sera de 3 000 agents, 5 000 postes ayant déjà été supprimés depuis 1986, soit en dix ans.
Or, il me semble important de rappeler, à l'occasion de l'examen de ce projet de budget, que la spécificité et la qualité de la politique française de coopération dépendent pour partie essentielle du travail remarquable effectué quotidiennement par le personnel aux métiers très divers - agronomes, médecins, financiers, techniciens ou encore enseignants - relevant de votre ministère. Ce personnel apporte chaque jour sur le terrain la preuve, si tant est qu'il en fallût une, que la politique française de coopération offre une aide et un savoir-faire tout à fait irremplaçable dont nos partenaires ont besoin.
La France ne peut donc réduire de façon régulière et continue sa présence physique, sauf à remettre en cause à terme l'originalité d'une politique qui est une spécificité française et qui, comme l'a souligné à l'instant M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, représente un effort important.
La France reste le deuxième pays au monde en valeur absolue pour l'aide au développement, derrière le Japon, mais loin devant les Etats-Unis et l'Allemagne.
Au-delà de ces considérations chiffrées, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez répondre à quelques questions, livrées, faute de temps, les unes à la suite des autres.
Tout d'abord - ce point a été évoqué voilà quelques instants par M. de Villepin, qui a excellemment argumenté sur ce sujet - qu'en est-il, à l'aube de la monnaie unique et donc de l'euro, du sens, de la réalité et de la logique de la zone franc ?
Qu'en est-il, à l'aube de la réforme du service national, de la présence militaire française, en Afrique notamment, du moins à moyen terme ?
Qu'en est-il, enfin, de la pérennisation de l'aide française aux entreprises installées dans les pays relevant du champ de la coopération ?
Sur ces trois sujets, j'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous rassurer ou, à défaut, nous apporter des éléments de réflexion.
Cette année encore, nous constatons avec satisfaction que vous avez su préserver, par votre action et votre ténacité, les intérêts de la politique française de coopération.
C'est pourquoi, en dépit de certaines réserves limitées dans leur objet et leur portée, mes collègues du groupe du RPR et moi-même voterons le projet de budget que vous nous soumettez. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Penne.
M. Guy Penne. Monsieur le ministre, vous revenez de la conférence franco-africaine de Ouagadougou, à laquelle j'aurais souhaité assister, car cet énorme sommet, par le nombre, me semble être celui d'une page que tourne l'Afrique et la fin d'un certain type de relation entre la France et l'Afrique.
Depuis la fin de l'affrontement Est-Ouest, l'Afrique a perdu de son importance stratégique territorialement, mais aussi pour ses réserves en hommes et ses ressources diverses.
Bien au contraire, on assiste plutôt à un autre phénomène : sa surpopulation alimente tous les fantasmes liés aux migrations existantes vers les anciennes puissances coloniales. D'ailleurs, les événements de l'église Saint-Bernard sont là pour nous montrer les dérives que cette peur peut provoquer.
Lorsque l'on sait que, dans le premier quart du xxie siècle, l'Afrique comptera 1,5 milliard d'habitants, il faut peut-être que nous sortions de notre routine habituelle et que nous abordions les problèmes avec réalisme.
Si l'on compare les indicateurs de développement humain fournis par le PNUD, le programme des Nations unies pour le développement, qui prennent en compte le niveau de santé, d'éducation et de revenu, on observe que, sur 174 pays, le premier pays francophone de l'Afrique subsaharienne est le Gabon, au 120e rang. Les derniers du tableau sont, au 170e rang, le Burkina Faso, au 171e rang, le Mali et au 174e rang, le Niger. Pour ces derniers pays, les taux d'alphabétisation vont de 18 % à 30 %. Cela montre que la coopération de substitution aurait encore beaucoup à faire ; mais la France n'en a plus les moyens.
Depuis les années quatre-vingt, les économies africaines sont entrées dans une profonde crise économique et financière. Les termes de l'échange se sont dégradés de 30 % entre 1982 et 1990 pour l'Afrique subsaharienne. Cette détérioration n'a pas été compensée par une augmentation des financements extérieurs.
Les Etats africains sont coincés, malgré les mesures d'annulation ou de rééchelonnement, dans un endettement permanent.
A l'époque de La Baule, l'aide publique au développement atteignait 0,58 % du PIB français. Aujourd'hui, hors territoires d'outre-mer, il a été abaissé à 0,45 %. Par conséquent, la France se désengage et ne peut plus tenir les promesses faites par François Mitterrand de lier notre aide aux avancées démocratiques.
La chute du mur de Berlin entraîna en Afrique l'éclosion de forces nouvelles, la libération médiatique endogène et exogène, la demande croissante dans les domaines alimentaires, sanitaires et scolaires, qui, corollairement, fragilisent les gouvernements.
Nous sommes en rivalité avec les Etats-Unis, ce qui était moins le cas dans le passé, en Afrique. Les Soviétiques et les pays satellites dénonçaient mollement notre présence militaire, mais, en fait, nous étions un moindre mal et notre positionnement, par exemple à Djibouti, était souhaité par les grandes nations.
Les gouvernements et les peuples étaient sous l'hypnose de Yalta, et les populations, moins nombreuses et moins exigeantes. Ce ne sont plus les mêmes problèmes aujourd'hui.
La France avait promis de soutenir les aspirations démocratiques. Or, elle s'abrite maintenant derrière les critères économiques et de gestion de la Banque mondiale, du FMI, du PNUD, de l'Union européenne, qui se préoccupent peu de l'amélioration des politiques sociales.
Les plans du FMI détériorent le plus souvent la situation des personnes les plus défavorisées et sont la source de graves manifestations. Les plus touchés sont les enfants, les malades, les personnes âgées, les réfugiés, les personnes déplacées ou les populations marginalisées.
Les règles imposées par les bailleurs de fonds sont considérées en Afrique comme autant de marques de lâchage de la France. Le recul de l'aide bilatérale fait perdre de notre crédibilité auprès des gouvernements et provoque, à l'égard de l'ancienne puissance coloniale, la rancoeur des populations. Nous étions guichetiers ; nous changeons de casquette et devenons avocat de l'Afrique, démarcheur auprès des organismes multilatéraux.
Nous avons, pour notre pays, l'ambition de jouer encore un rôle important en Afrique. Nos entreprises rencontrent des difficultés, mais sont encore avantagées, et la francophonie tient encore là de solides bastions.
En revanche, les Français aux revenus modestes ne sont pas assez aidés au milieu des turbulences.
Il faut tenir ce que nous annonçons. Par exemple, « radio cocotier » diffuse qu'une dévaluation peut en cacher une autre, que les débats franco-français sur les parités monétaires, quoi qu'en dise le « grand Jacques », sont des signes annonciateurs de l'euro au détriment de la zone franc.
Dans un contexte favorable, les effets de la dévaluation ont permis une augmentation, en 1995, de 5 % du produit intérieur brut.
La position nette du compte d'opérations avec le trésor français s'est améliorée de 11 milliards de francs français en 1994. Le taux moyen de l'inflation sur deux ans a été de 50 %.
En revanche, le moyen terme s'annonce avec pessimisme.
L'investissement en Afrique ne s'est pas amélioré. Il représente 1 % du total mondial : sous-équipement, absence de diversification des ressources, qui restent ce qu'elles étaient sous le système colonial. Il y a du souci à se faire !
C'est pour cela que, même si la réaction de l'ambassadeur M. Simpson n'est pas très diplomatique, ni aimable pour notre pays, elle exprime de façon fracassante ce que beaucoup pensent tout bas : « La France a-t-elle encore les moyens financiers de tenir son rang ? »
Je sais, monsieur le ministre, que vous avez eu plusieurs fois des échanges vifs avec les Américains. Sur la forme, je vous ai soutenu ; mais, sur le fond, je pense qu'il faut tout écouter et conduire notre analyse. Or, ce qui nous manque aujourd'hui, c'est certes de l'argent, mais aussi une clarification politique.
J'avais condamné la technique surdimensionnée de notre intervention à Bangui en mai 1996 et dressé le bilan.
Bilan très positif : notre armée a sauvé les populations étrangères. Bilan contrasté : nous nous immisçons plus encore dans les affaires intérieures de Centrafrique et le président chancelant rétabli par la France, fait les promesses de dépasser l'ethnocentrisme et de développer les institutions judiciaires ; il ne les tient pas ! Bilan négatif : depuis 22 jours, le manège est reparti et les troupes françaises quadrillent Bangui.
Nos interventions militaires en République centrafricaine n'ont rien réglé et nous mécontentons tout le monde.
Il faut donc, à la lumière de ces événements, repenser nos accords de défense, de coopération militaire, de maitien de l'ordre, de positionnement de nos troupes au Cameroun, au Congo, en République centrafricaine, au Sénégal et au Tchad.
En Afrique centrale, se développe un foyer plutôt hostile à la France. Si la conférence internationale pour les grands lacs a lieu, il faut l'ouvrir à d'autres qu'aux chefs d'Etat uniquement, et inviter des minorités, l'ONU, des bailleurs de fonds, afin de ne pas se reposer uniquement sur le grand sorcier Mobutu.
Nous avons vu comment, au Rwanda, une poignée de mercenaires américains, qui informent leur gouvernement, a contribué à la manipulation de la France au regard de ses positions sur cette force d'intervention, puis de parachutages successivement abandonnés.
N'avons-nous pas, dans la région, des services de renseignements humains, satellitaires ou diplomatiques, qui pourraient nous apporter des éléments pour connaître la position au regard d'un démembrement éventuel du Zaïre, qui commence avec un Tutsiland ?
Il faudrait afficher une volonté politique de la France.
La locution « bonne gouvernance », qui fait fureur dans les organismes internationaux, a un sens précis. Mais le Gouvernement peut-il faire beaucoup mieux que de donner des conseils ? Votre ministère règle surtout petitement l'intendance.
Je terminerai par trois observations et une suggestion.
Premièrement, je souligne l'insuffisance des 20 % que vous allouez à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. Les enfants français de milieux modestes, souvent issus de couples binationaux, ne peuvent payer le ticket d'entrée trop cher. Ils sont pourtant nombreux dans votre champ.
Deuxièmement, les sommes affectées aux constructions sont squelettiques.
Troisièmement, la baisse effarante du nombre des assistants techniques, dont, dans certains pays, le seuil plancher a été franchi, ôte toute signification à notre coopération.
Telles sont les raisons, que vous ne partagerez peut-être pas toutes, monsieur le ministre, qui conduisent le groupe socialiste à ne pas voter les crédits affectés à votre ministère.
Je terminerai enfin par une suggestion, qui serait bien appréciée des Français coopérants en Centrafrique : accordez leur l'augmentation du coefficient géographique qu'ils réclament depuis longtemps, alors qu'ils travaillent au milieu des périls. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Cantegrit.
M. Jean-Pierre Cantegrit. Monsieur le ministre, permettez-moi, à l'occasion de la présentation de votre projet de budget, de vous faire quelques observations sur l'aide publique au développement.
Cette aide est globalement en baisse puisque, de 59,2 milliards de dollars américains, en 1994, elle est tombée à 58,8 milliards de dollars en 1995. C'est donc une baisse en terme réels de 9,6 %. Il faut bien entendu tenir compte des variations du dollar. Cette source provient de l'OCDE.
Globalement, le pourcentage par rapport au produit national brut ne représentant que 0,27 %, c'est le pourcentage le plus faible enregistré depuis 1970. Nous sommes bien loin, monsieur le ministre, des objectifs fixés par la communauté internationale qui étaient, je vous le rappelle, de 0,70 % du produit national brut.
En ce qui concerne notre pays, son aide publique au développement a baissé de 12 % en termes réels en 1995. C'est malheureusement plus que la moyenne des autres pays de l'OCDE puisque la moyenne globale pour l'ensemble des pays est de 9,6 %. C'est ainsi que notre aide publique au développement par rapport à notre produit national brut est passée de 0,64 % en 1994 à 0,55 % en 1995. Il y a toutefois une consolation : comme cela a déjà été dit, notre aide demeure la plus élevée des pays du G7.
Je rappellerai que la France est le second donneur d'aides avec 8,4 milliards de dollars, derrière le Japon - 14,4 milliards de dollars - mais devant l'Allemagne - 7,5 milliards de dollars - et les Etats-Unis - 7,3 milliards de dollars. La France assure à elle seule 14,2 % du total de l'aide publique au développement.
La baisse de notre aide tient en grande partie à la diminution de notre contribution aux organismes multilatéraux et à la réduction de l'effort exceptionnel que nous avions fait en 1994 en accompagnant la dévaluation du franc CFA.
Il est souhaitable, monsieur le ministre, d'arrêter la chute de notre aide, même si les contraintes budgétaires sont fortes. Nos objectifs, si vous le permettez, devraient être de privilégier l'aide bilatérale par rapport à l'aide multilatérale, dans des organismes où les Français n'ont pas la place qu'ils devraient avoir. C'est une évidence que nous contrôlons mieux l'aide bilatérale !
Permettez-moi quelques commentaires, monsieur le ministre, sur l'aide française.
Celle-ci devrait intégrer la poursuite de sa réorganisation pour diminuer ses coûts de fonctionnement et rechercher des cofinancements avec d'autres bailleurs de fonds. Enfin, elle ne devrait pas franchir un seuil en-deçà duquel notre pays n'est plus en mesure d'exercer une influence, car vous savez combien les contestations sont grandes, notamment du côté des Etats-Unis.
Je souhaiterais, en quelques mots, revenir sur la « doctrine de La Baule ». Cette doctrine est ancienne : elle date de 1991. N'est-il pas souhaitable de remettre en cause les dons aux pays les moins avancés et les prêts aux pays à revenus intermédiaires ?
Tout cela me paraît assez ancien, puisque de bons projets rentables dans le secteur public d'un pays qui figure parmi les moins avancés peuvent être financés par des prêts, comme dans les pays à revenus intermédiaires. Des projets d'infrastructure publique à rentabilité diverse - eau, route, etc. - peuvent bénéficier de subventions dans les pays à revenus intermédiaires comme dans les pays avancés.
Enfin, monsieur le ministre, ne croyez-vous pas que l'aide publique doit être un moyen de faire changer les habitudes de certains pays ?
N'oublions pas que prêter de l'argent donne quelques droits aux prêteurs, notamment celui de pousser le pays receveur à mettre en place des éléments qui permettront de mieux utiliser cette aide. Nous pensons, par exemple, à la limitation de l'immigration, à la réforme de la justice et de ses organes d'application, à la simplification des droits fiscaux et douaniers, à la mise en place des services de l'état civil et du cadastre.
Il faut canaliser nos aides. L'aide aux projets est créatrice de richesses et d'emplois localement. Elle permet une activité, et donc de l'emploi pour des entreprises françaises. Nous pouvons vérifier son utilisation.
En revanche, le contribuable français est de plus en plus réticent à financer les fins de mois des Etats en ne sachant pas où va l'aide à l'ajustement structurel.
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi de souhaiter que notre aide se poursuive pour les pays ACP, les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Nous avons ressenti comme une perte de substance la contraction du réseau de la direction des relations économiques extérieures, la DREE, qui est indubitablement une perte de substance pour la présence française en Afrique.
C'est ainsi que j'exprime le souhait que la Caisse française de développement puisse maintenir son réseau qui est un appui, une référence pour nos entreprises, qui veulent investir en Afrique.
Comme je vous l'ai dit précédemment, le contribuable français veut savoir où va son argent et si les efforts entrepris par le Gouvernement vont dans le bon sens. Il faut, à cet égard, que le comité d'évaluation de l'aide publique publie ses résultats et en fasse communication au Parlement.
Les bailleurs de fonds devraient publier annuellement les résultats de leurs aides, y compris les aides multilatérales, où la contribution française est forte.
C'est par cette transparence que nous pourrons faire comprendre à l'opinion publique française l'importance de l'aide publique au développement. Le rayonnement et l'influence de notre pays dans certaines parties du monde en dépend.
Voilà, monsieur le ministre, quelques courtes réflexions sur le budget de votre ministère.
Nous savons combien vous vous êtes personnellement engagé pour que notre action de coopération soit mieux connue, mieux appréciée, plus efficace. Or, vous le savez, je voyage très souvent dans les pays où vous menez votre action. Les commentaires qui me sont faits sur votre engagement sont très favorables et je voudrais qu'ils soient connus par notre Haute Assemblée, encourageant ainsi votre action et son développement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Godfrain, ministre délégué à la coopération. Merci, monsieur le sénateur !
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen d'un budget au sein de notre assemblée débute traditionnellement par des comparaisons de chiffres entre l'année en cours et l'année à venir. Et, bien souvent, on fait dire aux chiffres ce que l'on veut.
Si je souhaitais être plutôt critique, je relèverais que le projet de budget du ministère de la coopération pour 1997 subit une diminution de 7,8 % par rapport à la loi de finances de 1996, et c'est une évidence imparable.
Mais il est nécessaire de rapprocher cet élément d'une donnée qui a été évoquée par un certain nombre de nos collègues : la France est, en volume, le deuxième pays parmi ceux qui consacrent une aide aux pays du tiers monde, après le Japon, mais devant l'Allemagne ou les Etats-Unis.
Il est nécessaire aussi de rappeler que cette diminution du budget est due à des contraintes financières, contribution aux efforts de rigueur imposés par la situation budgétaire et économique désastreuse du pays qui résulte de tant d'années d'incohérence dans la gestion de la France entre 1981 et 1993.
Voilà pour les chiffres, qui doivent d'ailleurs être relativisés et rapportés aux dépenses réelles. Je prendrai pour exemple les crédits affectés aux fonds d'aide et de coopération.
Sur le papier, ils diminuent de 14,8 % par rapport à 1996, mais, en les comparant à ce qui a été véritablement utilisé cette année, ils sont, en fait, en augmentation de 9 %.
Il faut aussi confronter ces chiffres à la réalité du terrain, car nous avons pu constater que les résultats obtenus par les services de la coopération sont parfois meilleurs pour une moindre dépense.
De plus, il faut observer que le budget de la coopération est en baisse du fait de la diminution des coopérants techniques, car des cadres efficaces ont été formés sur place, preuve que l'action de coopération a été bien menée. C'est d'ailleurs primordial.
La France, de par son histoire et grâce à la place qu'elle occupe aux Nations unies, a un rôle important à jouer. Ses conseils sont écoutés, on a confiance en sa sagesse. C'est particulièrement important car, en observant les chiffres de la démographie, nous voyons que nous serons à peu près 6 milliards d'individus dans le monde en l'an 2000, et au moins 8 milliards à l'horizon 2025.
Si, dans nos pays industrialisés, la natalité diminue, il n'en est rien, comme vous le savez, dans les pays en voie de développement, et principalement dans le sud de l'Afrique. Or nous allons être confrontés au fait qu'une minorité disposera d'un niveau de vie et de richesse confortable tandis que le nombre de pauvres augmentera, créant des distorsions insupportables.
Il faut absolument que nous aidions ces pays en voie de développement si nous ne voulons pas assister à une véritable révolution mondiale, qui conduira ces peuples à se soulever massivement.
On ne peut pas à la fois lutter contre une trop forte immigration clandestine dans notre pays et ne pas aider ceux-là mêmes qui viennent chez nous dans le vain espoir de s'enrichir. Les fontières de nos pays, de plus en plus fictives, n'empêcheront pas ceux qui lorgnent sur nos richesses de venir.
De plus, la France a un rôle humanitaire qu'il convient de maintenir. C'est pourquoi la coopération est un élément indispensable de notre politique nationale, et je me réjouis de voir le travail considérable qui est fait dans le cadre des programmes de développement, notamment par les fonds d'aide et de coopération ou par la Caisse française de développement.
Je rendrai un hommage tout particulier aux actions menées par l'office des migrations internationales, l'OMI, vis-à-vis du Sénégal, du Mali et de la Mauritanie pour instruire, soutenir et donner un appui logistique aux projets d'étrangers qui ont quitté la France pour se réinstaller dans leur pays d'origine.
L'office des migrations internationales mène une action importante dans ce domaine, avec l'appui sur le terrain d'association locales comme l'AFIDRA, le GRDR ou le CIDS, particulièrement actifs au Sénégal et au Mali. C'est, en fait, à la base, une aide au retour qui, de manière induite, devient une incitation au non-départ, et je sais, monsieur le ministre, que vous y êtes, tout comme moi, particulièrement attaché.
Je voudrais maintenant aborder un projet qui me tient particulièrement à coeur, et que je vous avais déjà soumis, monsieur le ministre : j'ai eu l'occasion, dans mon département, de discuter avec de nombreux jeunes qui ont envie de s'en sortir et qu'il faut aider, qu'ils soient étrangers ou Français d'origine étrangère, lorsqu'ils veulent retourner dans leur pays pour y développer une action économique qui aurait des conséquences positives, tant pour eux que pour les personnes qu'ils emploieraient et pour la bonne marche de leur pays.
Le schéma est simple : ces personnes pourraient présenter un projet sommaire en France à une cellule d'instruction, à laquelle participeraient les services de la coopération et ceux de l'OMI ; après accord, elles devraient ensuite s'appuyer sur des relais sur place, plus en phase avec les problèmes locaux, à savoir les ONG, les missions de l'OMI et les ambassades, qui devront toutes être impliquées dans ce processus du fait de leur représentation dans de très nombreux pays où l'OMI n'a pas de mission.
Je suis persuadé que le ministre des affaires étrangères sera tout à fait sensible à cette action, lui qui a présidé aux destinées de l'OMI quand elle n'était encore que l'ONI, l'Office national d'immigration.
Ces projets pourraient être financés sur des crédits FAC ou sur des crédits déconcentrés du ministère de la coopération. L'avantage serait multiple. Tout d'abord, tous ces jeunes qui galèrent dans nos banlieues pourraient se mobiliser sur un projet qui leur donnerait une autonomie financière dans leur pays ; alors qu'en France ils touchent le RMI ou d'autres aides, alors que, parfois, ils sombrent dans la délinquance, ils ne seaient alors plus un poids pour la société, et cela diminuerait le montant des aides versées en France. De plus - et c'est le second avantage du projet - ils créeraient des emplois, et donc induiraient soit d'autres retours vers ces pays pour occuper ces emplois, soit des embauches sur place. Enfin, leur exemple de réussite inciterait les locaux à ne pas émigrer, et leur activité permettrait, à terme, de développer aussi l'économie de leur pays.
Soutenir les projets bilatéraux d'Etat à Etat, c'est bien ; mais il ne faut surtout pas oublier de s'intéresser aux individus qui, eux aussi, peuvent avoir de bonnes idées créatrices de richesses, à des coûts souvent bien moindres que les grands projets et dont la mise en oeuvre est beaucoup plus souple.
Je vous ai donc soumis ce projet, monsieur le ministre, ainsi qu'à certains de vos collègues et au président de l'OMI, et vous l'avez tous trouvé intéressant. Mais je souhaiterais maintenant que l'on puisse le concrétiser.
L'OMI, grâce à un excellent travail, a mis en place un système qui fonctionne bien. J'aimerais que l'on puisse l'étendre à d'autres pays.
Vous le savez, monsieur le ministre, la Seine-Saint-Denis, département dont je suis l'élu, a une forte population immigrée. Beaucoup souhaitent s'en sortir, et certains ont des idées. Alors, je vous demande de mener une opération pilote à partir de ce département en étudiant tous les projets de ceux qui veulent rentrer dans leur pays, et de calquer l'étude des dossiers sur ce qui est fait dans le cadre des projets FAC.
Une expérience sur six mois à un an en Seine-Saint-Denis me semble réalisable. Et, même si ma démarche n'est pas très conforme aux traditions de cet hémicycle, j'aimerais savoir si l'on pourrait valablement envisager une enveloppe de un million de francs pour ce projet, ce qui ne représenterait que 0,015 % du budget de votre ministère, ou encore la charge de moins de dix chômeurs pendant un an.
Je suis persuadé que cela ne pourrait aller que dans le sens de l'efficace politique de coopération que vous menez, comme le prouve ce projet de budget, établi avec la plus grande rigueur en optimisant ses éléments.
Nous savons tous les efforts que vous fournissez, monsieur le ministre, pour développer l'action prédominante de la France dans l'aide aux pays du tiers monde. J'approuverai, quant à moi, ce projet de budget, qui va dans le sens des grandes orientations décidées par le Président de la République. (M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Biarnès.
M. Pierre Biarnès. Monsieur le ministre, j'ai dit récemment à votre collègue chargé des affaires étrangères que son ministère était dans la dèche. On ne peut que dire du vôtre, celui de la coopération, qu'il est dans la mouise, dans la purée la plus noire ! (Sourires.)
D'année en année, les crédits qui sont alloués à votre ministère ne cessent d'être réduits méthodiquement. Le phénomène est ancien, mais, cette année, la nouvelle étape qui est franchie vers l'horizon « crédit zéro » est impressionnante : moins 7,8 % par rapport aux crédits qui vous avaient été très chichement consentis l'an dernier !
Il est tout à fait clair, monsieur le ministre, que ceux de vos collègues - notamment celui des affaires étrangères - qui, voilà quelque dix-huit mois, envisageaient publiquement la suppression totale et immédiate de vos services, n'ont pas renoncé à votre perte, choisissant simplement de vous étouffer plutôt que de vous couper la tête d'un seul coup de hache. (M. le ministre sourit.)
Sachez que, quant à moi, je déplore cette évolution, qui paraît être, hélas ! inexorable, profondément attaché que je suis depuis toujours - et je le demeure - à des relations spécifiques de notre pays avec ceux de l'Afrique subsaharienne.
Pour vous faire accepter cette désolante perspective, comme on offre un verre de cognac au condamné à mort que l'on va supplicier, on a élargi votre champ de compétence à la totalité des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique associés à l'Union européenne, et vos possibilités d'intervention ne sont donc plus limitées désormais aux seuls Etats qui sont issus de notre administration coloniale et à quelques-uns de leurs voisins frontaliers.
Dans la mesure, cependant, où vos crédits d'intervention n'ont pas été augmentés en conséquence, dans la mesure où ils sont, au contraire, une fois de plus diminués - une chute, énorme, de près de 15 % par rapport à l'an dernier - qui ne voit que c'est un piège que l'on vous a tendu ?
Un petit crédit au Zimbabwe, un autre à l'Afrique du Sud, et un autre encore à l'Ethiopie, tout cela est très sympathique, mais votre bourse étant de plus en plus plate, ce n'est que de la distribution de piécettes, ce n'est plus que du saupoudrage, sans aucun intérêt pour quiconque, surtout pas pour la France qui, sans se faire pour autant de nouveaux amis, car c'est trop cher, décourage en revanche ainsi, de plus en plus, ses anciens partenaires de l'Afrique noire francophone, progressivement et inexorablement réduits à une portion congrue, alors que nous avons toujours envers eux une dette historique et morale, une dette de sang, alors que nous avons aussi - nous avions, va-t-on bientôt devoir dire - de légitimes et évidents intérêts économiques, culturels et diplomatiques.
Quant à l'évolution du nombre de vos agents coopérants sur le terrain, elle ne pouvait évidemment que suivre la triste évolution de vos crédits. Certes, nous sommes plus d'un tiers de siècle après les indépendances et les Etats issus de notre administration coloniale se sont pris de plus en plus en main, se passant de plus en plus, tout naturellement, de l'assistance technique étrangère - et c'est heureux. Mais, en faisant tomber pour la première fois l'ensemble de nos coopérants civils - environ deux tiers d'enseignants et un tiers d'assistants techniques - en dessous de la barre des trois mille, avec une suppression de trois cent quarante-quatre postes qui s'ajoute aux suppressions analogues des années précédentes, on n'assure plus un accompagnement humain et d'expertise suffisant à notre aide financière, qui est beaucoup plus importante que celle qui relève de votre seul ministère - je vais y revenir - mais qui se résume de plus en plus, précisément, à des virements de fonds sans grand contrôle de leur emploi. C'est la véritable cause de toutes les dérives dont, à tort, car ce n'est pas de son fait, on accuse généralement votre ministère.
Par ailleurs, quand on compare ces moins de trois mille agents qu'il vous reste seulement à gérer à la trentaine de missions de coopération que vous continuez néanmoins à entretenir pour encadrer ces derniers survivants, on ne peut que se dire que tout cela ressemble de plus en plus à l'armée mexicaine et que vous-même, monsieur le ministre, comme le général du célèbre roman d'Ismaël Kadaré, vous ne serez bientôt plus que « le Général de l'armée morte », quand vous vous rendrez sur les champs de bataille qui, au Mali, au Niger, au Congo,...
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Les glaces de la Berezina dans le désert !
M. Pierre Biarnès. ... furent pendant quelque trente ans ceux de notre coopération, une coopération qui, si elle n'était pas sans défauts, avait surtout des lettres de noblesse.
Bref, qu'il s'agisse de vos effectifs comme de vos crédits, à quoi votre ministère sert-il encore, monsieur le ministre ? A quoi servez-vous encore ? Je suis très triste de devoir dire - car je pense toujours qu'il avait, qu'il a encore, une profonde raison d'être - que votre ministère ne sert presque à rien désormais.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Mais si !
M. Pierre Biarnès. En tout cas, en ce qui nous concerne, nous parlementaires, face à un budget aussi calamiteux, qu'on soumet néanmoins à notre examen et à notre discussion, nous avons la douloureuse impression de ne pas servir à grand-chose.
En volume total de crédits, l'aide publique française au développement s'élève annuellement à environ 8,5 milliards de dollars, soit à plus de 42 milliards de francs, chiffre cumulé de notre aide bilatérale et multilatérale, de nos dons et de nos prêts, ainsi, enfin, que du coût de notre assistance technique résiduelle.
Ces 42 milliards de francs annuels, dont environ 25 milliards de francs pour la seule Afrique subsaharienne, font de nous les deuxièmes apporteurs d'aide publique dans le monde, derrière le Japon mais devant les Etats-unis d'Amérique, et nous placent très loin devant ces deux grands pays en Afrique noire. Le Japon ne consacre guère à cette dernière que 5 milliards de francs, l'essentiel de ses apports étant concentrés en Asie orientale, et les Etats-Unis affectent la plus grande partie des leurs à l'Egypte et à Israël, soit pas plus de 1 milliard de francs. Pas de quoi rouler des mécaniques.
Mais de ces 42 milliards de francs, vous avez la responsabilité de gérer moins de 4,5 milliards, soit guère plus de 10 %, vos fonds d'intervention, qu'il s'agisse du fonds d'aide et de coopération ou de la caisse française de développement, étant en chute dramatique, je le répète, de près de 15 % par rapport à l'an dernier.
Et ce n'est que sur ces 10 % que nous sommes appelés à nous prononcer à travers votre budget. Tout le reste, qui est dispersé dans les budgets d'autres ministères que le vôtre, à commencer par celui du ministère de l'économie et des finances, est très difficile, si ne n'est impossible, à identifier - on peut se demander, au demeurant, si cela n'est que l'effet du hasard - et échappe donc de facto à tout contrôle parlementaire sérieux.
Le phénomène n'est malheureusement pas nouveau ; mais, cette année, il reste encore aggravé et, en tout état de cause, c'est inadmissible. Le mépris du Parlement dont ces pratiques témoignent ne peut que nous conduire à refuser de voter le « budget-croupion » que vous nous présentez, en fait qu'on vous a prié de nous présenter, comme on donne un os à ronger.
Je sais bien, monsieur le ministre, que vous n'en pouvez mais. Alors, en clôturant cette intervention, je tiens à vous dire, pour vous être quand même un peu agréable, après ces rudes propos qui, vous le comprenez, à travers vous, ne s'adressent qu'au chef du Gouvernement - et, aussi, bien sûr, parce que je le pense - je tiens donc à vous dire combien j'ai apprécié ce que vous avez déclaré, il y a quelques semaines, à nos partenaires américains, à l'occasion de la récente chevauchée de M. Warren Christopher sous les tropiques africains. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Godfrain, ministre délégué à la coopération. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de féliciter les rapporteurs de l'excellent travail d'analyse qu'ils ont accompli pour présenter un budget dont l'appréhension, c'est vrai, n'est pas toujours facile, et qui, partie émergée de « l'iceberg » de notre aide publique au développement, concentre trop souvent des critiques parfois faciles.
Je les remercie donc très sincèrement de la pertinence de leurs travaux et de l'aide qu'ils apportent ainsi à cet instrument essentiel de la présence de la France dans le monde que constitue notre politique de coopération.
Permettez-moi d'ajouter une réflexion concernant le travail accompli, non seulement dans cette maison, mais aussi à l'Assemblée nationale. A la lecture des débats sur la coopération qui se sont tenus dans d'autres parlements de pays développés, j'ai pu apprécier les vôtres. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous pouvez être fiers, nous pouvons être fiers d'appartenir à une nation dans laquelle les interventions servent l'intérêt général des peuples et de notre pays et ne s'enlisent pas dans des considérations petites et politiciennes. C'est l'honneur de la France d'avoir de tels débats reposant sur un si grand esprit de consensus.
Outre chacun des orateurs, je voudrais d'ores et déjà remercier particulièrement M. Xavier de Villepin des mots qu'il a su trouver, mieux que je ne saurais le faire, pour plaider la cause de ce continent qui fait partie de notre histoire, mais aussi de notre avenir, ainsi que la cause de l'aide au développement dont la France est elle-même le premier avocat dans le monde. Je ne peux que reprendre ici ce que disait pas plus tard qu'hier le président Chirac à Ouagadougou : « L'avenir du monde ne se fera pas sans l'Afrique. »
Le projet de budget qui est aujourd'hui soumis à votre examen s'élève à 6,7 milliards de francs, ce qui représente - disons-le clairement - une diminution de 7,8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1996, mais de 3,3 % seulement par rapport au budget 1996 exécuté, c'est-à-dire réellement disponible.
Cette évolution traduit principalement l'achèvement du programme exceptionnel d'accompagnement de la dévaluation du franc CFA - et les premiers effets positifs de celle-ci - ainsi que la poursuite du processus de modernisation de l'assistance technique. Elle correspond surtout à l'effort de rigueur tout particulier demandé par le Premier ministre, puisque mon « mandat de préparation » prévoyait une diminution de 12 % du budget de la coopération. A cet égard, je voudrais remercier l'ensemble des collaborateurs de la coopération qui ont permis cette diminution moindre, qui ne sera donc que de 7,8 %.
Sans revenir en détail sur l'évolution des crédits, que vos rapporteurs ont parfaitement analysée, je voudrais seulement en souligner les principaux éléments.
Avec moins de 1 milliard de francs, les moyens de fonctionnement du ministère - administration centrale et missions de coopération - sont quasiment reconduits en francs constants.
Je rappelle que les dépenses de fonctionnement de ce ministère représentent moins de 15 % du total du budget, ce qui est tout à fait raisonnable si l'on considère que, pour l'ensemble des budgets civils, la moyenne est de 50 %. Je remercie M. de Villepin d'avoir souligné l'effort accompli dans ce domaine.
Dans les missions de coopération, conformément aux décisions prises dans le cadre du comité interministériel des moyens de l'Etat à l'étranger, le CIMEE, le poste de chef de mission sera supprimé dans trois pays : le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, les petites Antilles. Ces fonctions seront désormais assurées par l'ambassadeur. Cinq emplois seront également supprimés dans les centres culturels.
Deuxièmement, les moyens d'intervention connaissent une évolution diversifiée, marquée par la forte diminution des besoins d'aide budgétaire. Avec près de 4 milliards de francs, les crédits du titre IV subissent une baisse globale de 8 % environ.
Dans le cadre rigoureux qui m'était imparti, j'ai en effet effectué un certain nombre de choix, destinés à rééquilibrer les principaux instruments de notre coopération, choix que j'avais annoncés dès ma prise de fonction.
Permettez-moi de les citer. Il s'agit de la poursuite de la baisse de nos effectifs de coopérants, mais moyennant une amélioration de leurs moyens de fonctionnement ; d'une très forte baisse des concours financiers à l'ajustement structurel, ce que j'appelle « la fin des fins de mois » ; du quasi-maintien de la coopération militaire et de la progression du soutien à la coopération privée et décentralisée, dans une optique de renforcement des projets de proximité.
Reprenons ces quatre lignes directrices.
La modernisation du dispositif d'assistance technique et la réduction des effectifs, entamées voici une décennie, se poursuivront encore en 1997.
Depuis 1986, environ 5 000 postes auront été supprimés. Je considère, pour ma part, et après quatorze mois de terrain, que l'étiage minimal est très proche - je rejoins là les propos de M. Charasse - même si quelques efforts peuvent encore être consentis ici ou là.
Parallèlement, j'ai obtenu du ministre chargé du budget la mise en oeuvre du principe de l'indemnité pour le logement.
Cette mesure pourrait être réalisée d'abord en Côte d'Ivoire, à compter du 1er janvier 1997. Le régime pourra être étendu au Cameroun, dès que ce pays aura ratifié la convention fiscale relative au rapatriement en France de l'impôt sur le revenu des coopérants. Mes services sont aujourd'hui en négociation avec ceux du budget pour déterminer les critères qui permettront la mise en oeuvre concrète de cette mesure.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Si nous n'aboutissons pas à une solution acceptable, il faudra peut-être envisager de revenir globalement sur la mise en place de l'indemnité logement et le rapatriement de la fiscalité. Ce serait regrettable.
Deuxièmement, dans les pays de la zone franc, le mécanisme d'ajustement des rémunérations des coopérants à l'évolution des prix locaux, neutralisé depuis la dévaluation du franc CFA, reprendra à compter du 1er janvier 1997. Il s'agit, là aussi, d'une mesure importante pour nos agents en poste dans la zone franc, obtenue difficilement du ministère du budget. Je pense que les sénateurs représentant les Français de l'étranger ne manqueront pas d'être sensibles à l'effort consenti ainsi pour les personnels.
M. Charles de Cuttoli. Très bien !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Par ailleurs, la dotation des crédits de concours financiers s'établit à 810 millions de francs, ce qui traduit une diminution « optique » de près de 22 %.
Cette évolution recouvre en réalité deux mouvements de nature différente.
Le premier élément, c'est la forte diminution des besoins estimés de l'aide budgétaire destinée à l'ajustement structurel.
Cette évolution traduit l'achèvement du programme exceptionnel d'accompagnement de la dévaluation du francs CFA et, surtout, l'apparition des premiers effets positifs de celle-ci sur les balances des paiements des Etats concernés.
Le second élément, c'est le regroupement, sur le seul budget de la coopération, de l'ensemble des crédits finançant l'aide budgétaire aux pays du champ, qui étaient jusqu'alors inscrits pour partie sur le budget de la coopération et pour partie sur celui des charges commnes.
Cette mesure vient compléter la décision intervenue, dès le budget de 1996, de regrouper sur le seul budget de la coopération les crédits finançant les projets de développement, eux aussi partagés entre les deux budgets de la coopération et des charges communes.
Ces deux décisions complémentaires traduisent clairement la volonté du Premier ministre d'introduire davantage de cohérence et de lisibilité dans le dispositif français d'aide publique au développement. Il s'agit en quelque sorte d'étapes vers la mise en place du budget d'action extérieure de la France voulu par le Premier ministre, qui devrait permettre à la représentation nationale de mieux appréhender l'effort global consenti à cet égard. C'est une décision fondamentale, de nature à faire réellement progresser l'information et la réflexion. Je souhaite, comme vous, monsieur Biarnès, qu'elle puisse donner lieu à un débat enrichissant au Parlement.
Je ne peux que souscrire aux observations judicieuses de M. de Villepin et de M. Charasse sur la nécessité d'améliorer la lisibilité de la contribution française aux mécanismes d'aide communautaire.
Je m'emploie, à Bruxelles, au conseil des ministres du développement, à une amélioration de la synergie entre les actions que nous menons directement sur le budget français et celles de l'Union européenne.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. D'autres évolutions pourront effectivement avoir lieu dans le sens auquel songe M. Charasse.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il ne faut pas les perdre de vue !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Enfin, avec 739 millions de francs, les crédits de coopération militaire sont en diminution de moins de 5 %.
Cette baisse repose uniquement sur la diminution des moyens en effectifs de l'assistance française.
Parallèlement, les crédits de formation à l'usage de nos partenaires sont maintenus et l'aide en matériel bénéficie de moyens nouveaux, destinés à assurer la maintenance et la remise en état des matériels existants.
Je voudrais rassurer Mme Brisepierre : la baisse relative du nombre des personnels employés en assistance militaire technique, dont l'effectif passe de 714 à 640, ne risque pas de diminuer la qualité du suivi ni du conttrôle de la gestion des fonds consacrés à l'aide directe.
En effet, plus de 70 % de cette enveloppe budgétaire sont gérés en crédits centralisés au niveau du ministère, où toutes les garanties sont assurées.
Ensuite, comme en a pris acte la Cour des comptes, le nombre des missions d'audit et de surveillance menées par les commissaires de la mission militaire de coopération est très sensiblement augmenté.
Je voudrais également répondre à M. Dugoin. La réforme du service national n'aura pas de répercussion directe sur la présence militaire en Afrique. Le dispositif actuel comportant quatre bases permanentes au Sénégal, au Gabon, en Côte d'Ivoire et à Djibouti, et deux bases temporaires au Tchad et en République Centrafricaine devrait être maintenu. Le volume des forces pourrait évoluer en fonction des besoins opérationnels.
La nature des forces prépositionnées évoluera.
Les bases seront constituées par des noyaux durs de forces engagées permanentes, qui seront renforcés par des unités tournantes venant de métropole pour un séjour de quatre mois.
Il est clair, et j'y reviendrai tout à l'heure, que le renforcement de la sécurité civile, aujourd'hui devenu une des actions prioritaires de nos missions militaires, est un facteur essentiel du développement durable de nos partenaires.
Venons-en, pour terminer, à l'instrument esssentiel de l'action de mon ministère, je veux parler de la dotation du FAC, qui permet de financer des projets de développement pluriannuels dans les pays du champ.
Dans un contexte budgétaire globalement très serré, ces crédits diminuent effectivement. Toutefois, leur diminution est près de deux fois moindre que celle de l'aide à l'ajustement structurel, et dès que la situation budgétaire générale le permettra, j'entends bien, monsieur Charasse, utiliser les « économies » réalisées sur l'ajustement structurel pour financer davantage de projets de développement.
S'agissant des projets directement mis en oeuvre par mon ministère, sur décision du comité directeur du FAC, la baisse s'établit à près de 15 % par rapport à la loi de finances initiale de 1996.
En réalité, la dotation du FAC pour 1996 a d'ores et déjà été amputée de 20 % du fait de la régulation budgétaire. Ce qui fait que, pour 1997, l'évolution de l'enveloppe mise en oeuvre par le comité directeur augmentera, en réalité, de près de 9 % par rapport aux moyens disponibles en 1996.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il ne faut plus y toucher !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Certes !
Il reste que l'effort de rigueur et de sélectivité que j'ai demandé à mes services, ici et dans les missions, dans le cadre de l'élaboration des projets du FAC n'est gérable qu'à condition que ces crédits, déjà en baisse, ne soient pas à nouveau amputés du budget par la régulation. Je remercie vos deux commissions d'avoir souligné cela, qui est pour moi fondamental.
MM. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères et Michel Charasse, rapporteur spécial. Très bien !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. En tout état de cause, que ce soit pour les projets mis en oeuvre sur le FAC ou par la CFD, nous ne pourrons poursuivre durablement cette tendance à la baisse sans affecter très gravement et très profondément notre politique d'aide. Il faudra donc que, dès que possible, le financement des projets de développement retrouve une pente, non pas moins négative que celle de l'aide budgétaire, mais clairement positive.
Pour répondre plus précisément aux propositions de M. Charasse sur la question du FAC, je voudrais apporter les réponses suivantes.
En ce qui concerne l'élaboration d'un règlement financier, il existe déjà un manuel des procédures du FAC qui réglemente, notamment, les délais d'exécution des projets. Ainsi, la convention de financement doit être signée dans un délai de six mois suivant le comité directeur. En l'absence de signature dans ce délai, l'administration centrale et la mission de coopération examinent l'opportunité de clôturer le projet. Cela va donc dans votre sens, monsieur le rapporteur spécial.
En ce qui concerne la proposition d'une durée maximale de deux ans pour l'exécution des projets, il est peut-être difficile de fixer une durée d'exécution universelle.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. J'en ai vu qui sont vieux de trois ans...
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. D'accord, mais chaque cas est un cas particulier !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. ... et qui vieillissent d'une façon très convenable ! (Sourires.)
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Nous veillerons à les rajeunir ou à les ranimer !
Actuellement, la durée moyenne constatée d'un projet du FAC est effectivement de trois ans et demi. Mais vous avez raison de considérer que tout projet doit s'exécuter selon un calendrier impératif.
L'annulation des projets en cas de non-respect des délais et de non-prolongation fonctionne déjà. En effet, les conventions de financement des projets du FAC stipulent qu'une convention est réputée close, sauf prolongation, à la date limite d'ordonnancement des dépenses. De même, la clôture d'une convention est possible si les deux parties intéressées constatent que le projet est bloqué.
Avant de vous indiquer très brièvement les grandes lignes de l'action que je souhaite poursuivre pour 1997, je voudrais faire quelques remarques générales sur ces évolutions.
Avec un budget en diminution de 7,8 %, cette année, après une baisse de 5,4 % l'année dernière, je ne méconnais pas la difficulté de l'exercice et les questions qu'il peut entraîner. Je considère volontiers, monsieur de Villepin, vous avez raison de le souligner, que nous avons aujourd'hui, après un effort d'assainissement considérable, et qui peut être complété, atteint un « étiage minimal » qu'il conviendrait de ne pas franchir. Vous avez raison de dire que l'exécution de ce budget pour 1997, et plus encore la préparation du budget pour 1998, seront contraintes.
L'effort d'économie proposé dans ce budget est exceptionnel. C'est la conséquence de la rigueur et de la détermination avec lesquelles ont été traqués, dans tous les domaines, sur tous les chapitres, tous les gisements d'économie, toutes les sources de gaspillage, toutes les trésoreries dormantes.
C'est un budget d'assainissement qui vous est proposé, un budget sur la base duquel j'entends que nous puissions, dans un an, rebondir.
Vous connaissez tous la situation budgétaire difficile dans laquelle la France se trouve aujourd'hui, et la volonté du Gouvernement de recourir plutôt à la diminution des dépenses qu'à l'alourdissement des recettes.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. C'est très bien !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Je rappelle que l'ensemble des budgets civils n'augmentera cette année que de 0,44 % en francs courants et que certains départements sont bien plus durement touchés que celui-ci.
Je rappelle aussi que, si le budget de la coopération diminue autant cette année, c'est essentiellement à cause de la poursuite de la baisse des effectifs de coopérants techniques et surtout de la forte diminution des crédits destinés à l'ajustement structurel. Nous sommes, en quelque sorte, victimes de notre propre succès ! Dans les deux cas, même si je considère qu'il serait dangereux d'aller plus loin, cela constitue, à mes yeux, une preuve de succès de notre politique d'aide.
La diminution du nombre de coopérants présents sur le terrain, c'est la fin de la coopération de substitution, héritée de la colonisation et qui était nécessaire pour assurer la transition.
La quasi-disparition de l'aide à l'ajustement structurel, c'est le succès de la dévaluation, avec la suppression des « mesures d'accompagnement », et les premiers résultats positifs du changement de parité sur les balances des paiements des Etats.
Je rappelle enfin que cette évolution s'inscrit dans un contexte de baisse généralisée de l'effort d'aide publique au développement. Les derniers chiffres disponibles de l'OCDE font état d'une diminution de 9 % en termes réels entre 1994 et 1995 de l'aide publique au développement, l'APD, des membres du CIAD. Avec 8,4 milliards de dollars, la Fance arrive pour la première fois, en 1995, en seconde position après le Japon, et conserve le rapport aide publique au développement-produit national brut le plus élevé. Parallèlement, l'APD américaine aura diminué d'un quart en un an. L'effort consacré par habitant à l'APD atteint 2 dollars par mois aux Etats-Unis et 12 en France.
Alors, quels sont les principaux axes de mon action ?
Tout d'abord, il s'agit de poursuivre dans la voie de la cohérence, de la transparence et de la lisibilité du dispositif français d'aide publique au développement.
Depuis l'année dernière, nous avons parcouru du chemin, avec la mise en place du CIAD, qui réunit les ministres, sous la présidence du Premier ministre, et l'instauration de réunions de travail régulières entre les principaux directeurs - y compris celui de la caisse française de développement, la CFD - concernés par la mise en oeuvre de cette politique. Croyez-moi, c'est beaucoup moins évident qu'il n'y paraît.
Il reste - vous avez raison, madame Brisepierre, de le souligner - encore beaucoup à faire pour « achever » cette réforme et faire en sorte, comme vous l'avez écrit, que la « volonté politique dont la réforme témoigne puisse prévaloir sur les "résistances administratives" ».
Parallèlement, a été mis en place un comité d'évaluation de l'aide, présidé par l'inspecteur général des finances, M. Jean-René Bernard, que vous avez cité et qui a pour mission à la fois de dresser un tableau lisible et opérationnel des affectations de notre effort d'aide, tant par pays que par instrument, et de définir des critères communs et efficaces d'évaluation des actions menées en ce domaine.
Ce comité rendra ses premières conclusions à l'occasion du prochain CIAD, qui devrait se tenir au début du mois de janvier, sous la présidence du Premier ministre. Je vous ferai parvenir son rapport, bien entendu, monsieur de Villepin, dès qu'il aura été adopté. J'ajoute que je suis tout à fait prêt, si vous le souhaitez, à venir en débattre devant votre commission.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Bien volontiers !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. L'objet de ces différentes mesures est bien de permettre que soient effectués, en fonction d'intérêts et de considérations souvent complémentaires, mais parfois aussi divergents, les arbitrages politiques souhaitables quant à l'affectation, par pays, ou au moins par ensemble régional, de notre effort d'aide publique au développement.
Je voudrais ici m'arrêter quelques instants sur l'élargement du champ de ce ministère, qui a été source de préoccupations pour nombre d'entre vous, à l'ensemble des pays ACP, des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et à l'Afrique du Sud.
Vous savez que cette décision est fondée d'abord sur la volonté d'harmoniser, en matière d'aide au développement, le « champ » d'intervention de la France avec celui qui a été défini par la convention de Lomé. Elle traduit également le souci, en relation désormais avec la totalité des pays d'Afrique subsaharienne, de pouvoir renforcer les projets d'intégration régionale, qui apparaissent aujourd'hui comme un facteur essentiel de développement.
Intervenue dans une période de forte réduction des moyens de ce ministère, cette décision a suscité des interrogations, et elle a pu réduire la « lisibilité » de l'action de ce ministère.
Le transfert des crédits finançant les actions de coopération et de développement menées dans les nouveaux pays du champ - soit 150 millions de francs sur les 4 milliards de francs mis en oeuvre par la DGRCST du Quai d'Orsay - n'est toujours pas effectué. J'ai fait, à cet égard, plusieurs propositions au ministre des affaires étrangères, tendant à compenser - et bien au-delà - ce transfert de crédits, notamment par celui de la subvention à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger - soit 360 millions de francs. Il n'y a toujours pas donné suite. Le problème est aujourd'hui entre ses mains, je le déclare du haut de cette tribune.
Je considère pour ma part que c'est une solution raisonnable. Outre qu'elle correspond clairement au transfert de compétences décidé par le décret d'attribution du 20 juin 1995, elle me permettra de réaliser les arbitrages souhaitables entre les pays du « cercle élargi », la Namibie et le Zimbabwe par exemple, sans pour autant léser les intérêts de nos partenaires traditionnels du « premier cercle ». En l'état actuel, nous sommes « au milieu du gué », et il me paraît souhaitable, de « transformer l'essai ».
A M. Cantegrit, qui s'inquiète du resserrement du réseau de la DREE, je répondrai que nous examinons actuellement, avec M. Galland, les moyens de mettre en place, auprès de certaines missions de coopération, des agents de la DREE pour pallier la suppression des postes. Je rappelle en outre que, non seulement le réseau de la Caisse française de développement sera maintenu, mais qu'il est même appelé à se renforcer, puisque le champ de compétences de la caisse couvre désormais celui du ministère de la coopération et que ses interventions sont appelées à prendre le relais des protocoles financiers dans les nouveaux pays du champ. La CFD ouvrira d'ailleurs, dans les prochaines semaines, une agence régionale au Kenya qui aura compétence sur le Kenya, l'Ouganda et la Tanzanie.
Enfin, à ceux qui pourraient évoquer l'éventualité d'une « intégration » du ministère délégué à la coopération au sein du ministère des affaires étrangères, je rappellerai simplement les propos tenus par M. le Président de la République à Cotonou, en décembre dernier, et qui à mes yeux ont seuls valeur de référence : « Tant que j'assumerai mes responsabilités, il y aura toujours en France un ministère de la coopération indépendant, avec toutes ses compétences, toute sa disponibilité et tous ses moyens autonomes ».
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Il a raison !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Permettez-moi d'ajouter qu'il est difficile d'aller plaider l'état de droit alors que, parfois, certains exécutants s'interrogent sur celui qui doit fixer la ligne de la politique étrangère française.
Ensuite, il s'agit de poursuivre la politique d'assainissement et de rigueur entamée avec la dévaluation du franc CFA.
On peut aujourd'hui raisonnablement conclure au succès de la dévaluation. Aidé, il est vrai, par l'évolution du cours du dollar et de celui des matières premières, le taux de croissance de la zone franc a été de 5 % en 1995 et de 6 % en 1996. L'épargne, surtout, a fortement repris, passant de 7 % du PNB en 1993 à 22 % en 1996, ce qui prouve bien que le pouvoir d'achat s'est nettement amélioré.
Vos rapporteurs comme la plupart des orateurs l'ont bien souligné, et je ne peux qu'espérer que cette analyse fondée gagne rapidement l'ensemble de l'opinion publique.
Il est clair toutefois que nous devons désormais conforter cette évolution.
Si nous voulons maintenir une position privilégiée sur ce continent, nous devons éviter le tête-à-tête. Il nous faut donc être particulièrement vigilant dans le suivi des économies concernées, et j'ai demandé à mes services de mettre au point des procédures d'alerte aussi immédiates que possible.
Il nous faut aussi travailler en constante « interface » entre les institutions de Bretton Woods, que nous finançons massivement, et nos partenaires africains, pour faire comprendre aux uns la nécessité des contraintes définies par le FMI et la Banque mondiale et faire mesurer aux autres certaines spécificités dont nous sommes évidemment plus familiers. C'est là, monsieur Mathieu, pour répondre à votre question, notre rôle.
Je répondrai à M. Bécart que, hier encore, M. le président de la République a souhaité qu'un effort supplémentaire soit fait pour alléger le poids de la dette. Cela a été dit à Ouagadougou, lors du XIXe sommet franco-africain.
Enfin, il est clair que nous devons faire un important effort de pédagogie pour rassurer nos partenaires quant aux conséquences, pour la zone franc, de la réalisation de l'Union économique et monétaire. Cela a été fortement affirmé par M. le Président de la République, mais je rappelle que c'est l'objet de l'article 109 du traité de Maastricht.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il faut l'envoyer aux journalistes, monsieur le ministre, et leur donner des cours de lecture sur le FAC !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Cette publication relève d'un vaste programme, comme disait quelqu'un !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Voilà !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Pour répondre plus précisément à vos interrogations, monsieur de Villepin, je dirai que la France n'a aucunement l'intention de saisir l'occasion du passage à la monnaie unique pour modifier ses liens de coopération monétaire avec la zone franc. Ces liens ne relèvent d'ailleurs en aucun cas de la politique monétaire de l'Union européenne, ils relèvent d'accords strictement bilatéraux. La France maintiendra donc à l'identique l'ensemble des garanties qu'elle accorde aux pays de la zone franc. Le Président de la République l'a clairement indiqué. J'ajoute que cela intéresse non pas la Banque de France, mais le Trésor français.
Enfin, dans un contexte budgétaire rigoureux, pour les pays bailleurs comme pour les pays bénéficiaires, il nous faut définir de nouvelles formes de coopération, aptes à compléter de manière efficace les politiques plus traditionnelles.
Au cours de ces dix-huit mois d'exercice de mon mandat, il m'est apparu nécessaire de renforcer le tissu, de resserrer la trame de ce continent.
Tout d'abord, en privilégiant au départ le développement de proximité, celui qui incite les populations à demeurer sur place, qui lutte autant contre l'exode rural que contre l'émigration excessive. Je réponds en cela aux préoccupations exprimées par M. Demuynck. Cela passe par le désenclavement, l'amélioration des communications, quelles qu'elles soient, le renforcement des réseaux secondaires en matière de santé comme d'éducation.
J'ajoute qu'en ces domaines, santé et éducation, notre action me paraît également essentielle, comme nombre d'entre vous l'ont souligné, pour faire pièce à la montée réelle de certaines formes d'intégrisme et d'extrémisme.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Plus généralement, il s'agit de définir une politique de développement soucieuse de préserver, dès le départ, l'aménagement des territoires. Permettez-moi d'insister sur ce point. La politique de développement que je mets en oeuvre, au nom du Gouvernement, a bien notamment pour objet de réduire « l'incitation au départ » de populations que nous ne sommes plus aujourd'hui en mesure d'accueillir sur le territoire national.
Dans ce domaine, monsieur Bécart, je pense mener une politique plus constructive et durable que certains de mes lointains prédécesseurs.
La suggestion de M. Demuynck me paraît tout à fait intéressante et je demanderai à mes services de se rapprocher de lui - à moins que nous n'opérions de façon conjointe - pour examiner la faisabilité d'une telle expérience.
J'ouvre une parenthèse sur la coopération décentralisée, sujet sur lequel je reviendrai peut-être tout à l'heure si le temps m'en est laissé, mais qu'il me soit d'emblée permis de dire que des propositions constructives comme celles-là sont tout à la fois utiles à ces populations et bénéfiques à l'action de la France à l'étranger.
Aussi, je regrette infiniment, même si cela ne s'est produit que dans des cas extrêmement rares, que des collectivités territoriales régionales aient cru devoir distribuer dans ces pays-là - je pense, en particulier, au Mali - des tracts qui, bien que signés par des élus français, n'en étaient pas moins des tracts anti-français !
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Il faut saisir la chambre régionale des comptes !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Si certains s'interrogent, je précise qu'il s'agit de la présidence du Nord - Pas-de-Calais.
Je reviens à la politique de développement. Toujours avec l'objectif de resserrer la trame du continent africain, elle vise également à favoriser les mesures d'intégration régionale, tant par l'élaboration de projets de développement communs à plusieurs Etats que par le renforcement d'organisations d'intérêt régional.
En ce sens, nous souhaitons bien mettre en oeuvre un développement partagé. Seules les relations régionales permettront les nécessaires synergies des forces économiques et financières et surtout la mise en valeur des potentialités, considérables, de ce continent. L'intégration régionale est une chance pour l'Afrique comme elle l'a été pour l'Europe, et comme elle le devient aujourd'hui pour l'Asie et l'Amérique latine.
J'ai indiqué tout à l'heure que le renforcement de cette coopération de proximité passait par un recours accru à la coopération privée et décentralisée, dont Mme Brisepierre a souligné toute la qualité, dès lors que les acteurs de ces formes de coopération y exercent le métier et les compétences qui sont les leurs. Je souhaite rappeler ici qu'à ma demande expresse ces deux formes d'action ont été particulièrement épargnées par la régulation budgétaire sur l'exercice 1996 et particulièrement privilégiées dans le projet de budget pour 1997.
Enfin, notre politique tend à renforcer l'appui à l'état de droit, dans toutes ses dimensions : droit public, mais aussi droit privé, droit de la justice, droit des affaires, droit de l'Etat, droits du citoyen.
Seul le renforcement de l'état de droit peut inspirer la confiance, indispensable à l'Afrique, pour enraciner durablement son développement. Je remercie la plupart des orateurs de l'avoir souligné. Je rentre juste de Ouagadougou - où M. Charasse était aussi présent - et, au-delà des crises actuelles, c'est bien la « bonne gouvernance » qui a été au coeur des débats.
La confiance se gagne, en effet, par la stabilité politique, la clarté des règles, la transparence de l'administration. Elle se consolide par le fonctionnement régulier du système judiciaire, le respect des engagements, le paiement à échéance due des dettes publiques et privées. Elle se confirme avec les perspectives de profit qui sont le ressort de l'investissement privé. A tout cela, le ministère de la coopération travaille aujourd'hui activement.
Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que l'aide publique au développement est un souci et une priorité pour le Président de la République, qu'il a défendu et qu'il défendra encore cette position devant les instances internationales comme en bilatéral, parce que c'est précisément cette position qui donne à notre pays, la France, une posture particulière et bien souvent enviée, donc parfois critiquée. Je ne peux que reprendre ici les propres termes de M. le Président de la République : « L'exclusion, au sein de chaque nation, comme au niveau international, est moralement inacceptable et politiquement dangereuse ».
Je voudrais, avant de conclure, répondre à trois questions précises et, tout d'abord, à M. Cantegrit, qui m'a interrogé sur la possibilité de mettre un terme à la distinction faite à la Baule entre l'octroi de dons aux PMA - pays les moins avancés - et de prêts aux PRI - pays à revenus intermédiaires.
Je remercie M. Cantegrit de m'avoir posé cette question fondamentale sur l'évolution possible de nos instruments financiers essentiels de la coopération.
Il était parfaitement logique que la France, consécutivement à sa décision d'annuler sa dette à l'égard des PMA, renonce à les endetter de nouveau à l'avenir.
Cette attitude pourrait évoluer si les succès des programmes d'ajustement structurel que nous constatons depuis la dévaluation dans certains PMA de la zone franc leur permettaient de retrouver une certaine capacité d'endettement.
C'est pourquoi j'ai demandé au dernier comité d'orientation et de programmation que j'ai présidé il y a quelques jours de commencer à réfléchir à cette question qui est complexe et a des implications nombreuses, afin d'étudier les possibilités de dépasser cette classification et d'adapter plus finement nos produits à la rentabilité intrinsèque des projets financiers.
C'est avant tout un problème de décision politique puisque la CFD dispose déjà de la « palette » des instruments financiers nécessaires.
Nous y réfléchissons donc activement avec M. Arthuis et nous serons amenés à proposer, dès que possible, des évolutions au Premier ministre.
MM. Cantegrit, Charasse, de Villepin, Habert et Mme Brisepierre m'ont interrogé sur les retraites libellées en francs CFA.
A la demande du Premier ministre, l'IGAS a été chargée d'étudier la question des retraités de la zone franc et de faire des propositions. Celles-ci ont été examinées lors de plusieurs réunions interministérielles, dont la dernière s'est tenue hier.
En ce qui concerne les bénéficiaires de la mesure exceptionnelle décidée en 1994, quelques dossiers étaient en souffrance, étant notamment arrivés hors délai. Or, sans remettre en cause les principes arrêtés à l'époque, ces dossiers devraient, dans les prochaines semaines, être réexaminés sans qu'il soit tenu compte de la date limite.
A moyen terme, la question est beaucoup plus complexe et amène à agir sur différents registres afin de sécuriser au maximum les droits de nos compatriotes tout en ne pesant pas sur les finances de la sécurité sociale.
Devrait être instaurée une centralisation des dossiers de retraités ayant eu une période d'activité en Afrique sur la base d'informations provenant des caisses françaises et des caisses africaines. Cela permettra de mieux connaître l'ampleur du problème et d'intervenir auprès de nos partenaires avec plus d'efficacité.
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. En outre, afin de mieux permettre la prise en compte, pour le calcul des pensions, des années d'activité en Afrique, une réflexion sera menée sur les moyens de faciliter la fourniture de preuves par les anciens cotisants des caisses africaines.
Dans l'immédiat, mon collègue M. Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, écrira à ses homologues africains pour leur rappeler leurs responsabilités sur le problème des retraités français et cette question sera systématiquement abordée lors des déplacements ministériels en Afrique. Nous n'excluons pas, mon collègue de l'économie et des finances et moi-même, de saisir également nos homologues des pays concernés lors de réunions que nous avons régulièrement avec eux.
Une aide à la réorganisation des caisses de retraite sera proposée à nos partenaires, qui complétera l'action engagée dans le cadre de la conférence interafricaine de la prévoyance sociale, la CIPRES. Mon département ministériel fera des propositions concrètes dans ce domaine.
Enfin, nos compatriotes seront systématiquement encouragés à souscrire une assurance volontaire car, il ne faut pas se le cacher, la remise en ordre des systèmes de retraite sera une tâche difficile et de longue haleine : raison de plus pour s'y prendre sans tarder.
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis. Le problème est en suspens depuis trois ans !
M. Jacques Godfrain, ministre délégué. Je sais, mais le dossier a tout de même enregistré des progrès au cours des derniers mois.
M. Dugoin s'est interrogé sur la pérennisation de l'aide française aux entreprises installées dans les pays du champ de la coopération.
Comme vous le savez, monsieur le sénateur, la relance des investissements et du secteur privé en Afrique est l'une des priorités que m'a assignées M. le Premier ministre dès ma prise de fonctions. Je me suis attelé à cette tâche immédiatement et je suis en mesure de vous faire part des quelques résultats que j'ai obtenus à cet égard.
D'abord, nous avons élaboré un plan de relance, qui a été mis en oeuvre par la caisse. Nous avons également chargé M. Yves Marchand, député de l'Hérault, de faire des propositions dans ce domaine, et qu'il me soit permis ici de lui rendre hommage.
Nous avons aussi créé un comité de concertation avec le secteur privé, qui s'est déjà réuni à plusieurs reprises.
En outre, j'ai eu souvent l'occasion de me faire accompagner de chefs d'entreprise lors de mes déplacements. Je suis d'ailleurs à la disposition de ceux d'entre vous qui voudraient me signaler des cas d'entreprises susceptibles d'investir dans ces pays.
Le recentrage de l'aide française en faveur du secteur privé est d'ailleurs mesurable puisque, en 1995, pour la première fois, la moitié de l'aide-projet de la Caisse française de développement aura été accordée à des emprunteurs non souverains ; c'est là un progrès tangible, dont je me félicite.
Je veux maintenant répondre à des inquiétudes qui se sont exprimées concernant l'instabilité de la situation dans certaines zones en Afrique. De même que, comme l'a dit M. de Villepin, ce qui s'est passé dans l'ex-Yougoslavie ne signifie pas l'échec de l'Europe, lorsque des événements se produisent en Afrique, ce n'est pas tout le continent africain qui est condamnable. L'Europe progresse malgré l'Europe centrale, malgré l'Irlande du Nord.
Le sommet de Ouagadougou - et je parle ici sous le contrôle d'un témoin éminent de ce qui s'est passé pendant trois jours - s'est remarquablement déroulé : beaucoup de sujets ont été non seulement abordés mais aussi traités au fond, ce qui n'est pas toujours le cas lors des sommets européens, où les sujets sont parfois simplement survolés.
La réunion de mardi dernier, sous coprésidence burkinaise et française, a préparé les textes en travaillant de manière très approfondie et la nuit de mardi à mercredi a permis à chacun de s'exprimer totalement sur des sujets qui, vous le savez, sont parfois dramatiques.
Le principal point de l'ordre du jour du sommet, c'était la bonne gouvernance, qui est la seule attitude sérieuse face aux tentations de repli des bailleurs de fonds.
L'Afrique doit inspirer confiance aux investisseurs. Il faut des Etats forts, respectueux de droits fondamentaux de l'homme, car les opérateurs économiques ont besoin d'un environnement sûr et stable, de règles claires, d'un bon cadre juridique et fiscal, d'administrations équitables.
Ensuite, cette bonne gouvernance doit encourager nos partenaires africains à s'engager dans la voie de l'intégration économique régionale, puis de la stabilité et de la sécurité. Le Président de la République l'a indiqué, « la prévention des conflits est la pierre angulaire de la diplomatie française ».
Cette bonne gouvernance doit également intégrer la lutte contre la drogue, contre le blanchiment de l'argent sale. Le Président de la République a proposé la réunion d'un groupe de travail sur ces questions. Je rappelle que, au début de mon mandat ministériel, parmi les axes de mon action, j'avais cité la lutte contre les grands trafics.
Dans le cadre de la bonne gouvernance, le développement est la véritable réponse au problème de l'immigration excessive ; le Président de la République l'a clairement indiqué.
Au cours de ce sommet, des problèmes plus ponctuels ont été abordés.
S'agissant de la République centrafricaine, le principe de la non-ingérence française a été affirmé. Le Président de la République a précisé que l'armée française ne devait en aucun cas être partie prenante au débat politique interne. Il a ajouté que les troupes françaises avaient une mission de coopération avec l'armée centrafricaine dans l'éventualité d'une agression extérieure. Aujourd'hui, ce problème ne se pose pas.
S'agissant des Grands Lacs, l'idée d'une conférence internationale placée sous l'égide de l'OUA et de l'ONU a fortement progressé. Le principe de l'intangibilité des frontières a été fermement confirmé.
Tant lors de la réunion ministérielle du mardi et du mercredi que lors de celle des présidents, le jeudi, j'ai pu mesurer concrètement l'évolution qui s'est opérée dans les esprits d'opposants forcenés : le Burundi, le Rwanda, la Tanzanie et le Zaïre. Cette évolution a permis aux uns et aux autres de s'exprimer en toute liberté, dans la tolérance et l'écoute réciproque : à aucun moment celui qui exprimait son point de vue n'a été interrompu brutalement. L'autorité de la présidence a toujours été respectée.
Cette qualité des débats a permis, au terme de la conférence, au Premier ministre zaïrois et au Président du Burundi d'amorcer un dialogue, et cela peut se traduire, notamment, par moins de souffrances pour les populations burundaises.
En ce qui concerne le franc CFA, nous avons confirmé l'engagement monétaire de la France à l'égard de la zone franc.
A cet égard, l'euro va offrir une chance supplémentaire, en ce qu'il va être une monnaie de réserve. Cela signifie que les cotations et les transactions sur les grandes productions africaines - cacao, café, etc. - qui se font aujourd'hui en dollars, pourront être libellées en euros, si les choses se présentent bien. Ainsi, les revenus des populations concernées ne subiront plus autant les incidences des fluctuations parfois irraisonnées du dollar.
Vous avez été plusieurs à souhaiter l'organisation d'une information sur les futurs volontaires destinés à se substituer aux coopérants du service national. Le ministère de la coopération devra être en pointe à cet égard, notamment vis-à-vis des jeunes. Il est important que ceux-ci sachent que les liens unissant la France et l'Afrique doivent se renforcer, non pas simplement à travers l'action de l'Etat ou les actions décentralisées, mais aussi en écho à une conviction véritablement enracinée dans la population française. Ainsi, la lisibilité de notre politique de coopération, de son sens et de ses effets, sera accrue aux yeux de nos concitoyens.
En conclusion, je tiens à souligner combien la réflexion des parlementaires est un très précieux soutien pour le ministre chargé de la coopération, au-delà du vote des crédits qui sont affectés à son ministère, à la fois en raison de l'état d'esprit qui règne dans cette maison comme au Palais-Bourbon et parce qu'ils représentent l'intérêt général. Je me demande si, afin de répondre à ceux qui doutent, dans la presse, dans les instances internationales ou dans les organes exécutifs ou législatifs d'autres pays développés, les sénateurs et les députés ne pourraient pas davantage s'impliquer dans l'action que mène la France dans ces pays, par une présence accrue que le ministère soutiendrait, en participant à des oeuvres concrètes, visibles, de celles que les populations apprécient.
Hier matin, le Président de la République a posé la première pierre d'un centre de pédiatrie - et la pédiatrie, cela veut dire l'avenir d'une population - dans un des quartiers sans doute les plus défavorisés de Ouagadougou. Nous sommes loin des discours des institutions internationales ! Nous sommes dans le concret de la vie de ces populations.
Ni le Président de la République ni moi-même ne pouvons aller partout, à chacune de ces inaugurations. Aussi, dans les jours qui viennent, je me permettrai d'écrire aux présidents des deux assemblées ainsi que, probablement, à celui du Conseil économique et social, pour que les responsables politiques et économiques français puissent à leur tour témoigner que l'oeuvre de la France dans ces pays, loin d'être, comme certains l'écrivent, problématique, est au contraire parmi celles qui sont le plus porteuses d'avenir. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Très bonne initiative !
Mme Paulette Brisepierre, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant les affaires étrangères et la coopération : II. - Coopération.
ÉTAT B