M. le président. « Art. 11. _ I. _ L'article 3 de la loi du 2 mars 1878 portant approbation du traité pour la rétrocession à la France de l'île de Saint-Barthélemy, conclu le 10 août 1877 entre la France et la Suède est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« L'île de Saint-Barthélemy constitue, du point de vue douanier, une zone franche au sens de l'article 286 du code des douanes. En conséquence et hormis le droit de quai institué par l'article 10 de la loi de finances rectificative pour 1974 (n° 74-1114 du 27 décembre 1974), les opérations d'importation ou d'exportation ne peuvent y donner lieu à la perception d'aucun droit de douane ou droit assimilé, octroi de mer ou taxe visée au titre X dudit code ; cette disposition ne fait pas obstacle à l'exercice par l'État de ses pouvoirs pour la recherche, la constatation et la poursuite des infractions à la législation et à la réglementation sur les produits et les marchandises dont l'importation, l'exportation, le commerce ou la détention sont prohibés. De même, les taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées, ainsi que les contributions indirectes, monopoles fiscaux et taxes diverses institués par les titres II et III de la première partie du livre premier du code général des impôts ne sont pas applicables à Saint-Barthélemy, à l'exception de la taxe sur la valeur ajoutée sur les opérations visées au 7° de l'article 257 dudit code, sans qu'il soit porté atteinte à l'éligibilité de la commune aux versements du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée.
« De même, les impôts directs et taxes assimilées perçus au profit de l'État, à l'exception de la taxe d'apprentissage, des cotisations au titre des participations des employeurs à l'effort de construction et au développement de la formation professionnelle continue et de la contribution des institutions financières ainsi que de l'impôt de solidarité sur la fortune, et les impositions au profit des collectivités locales et de divers organismes, à l'exception de l'impôt sur les spectacles et des droits d'enregistrement, ne sont pas dus lorsqu'ils trouvent leur origine dans des opérations ou activités accomplies ou exercées ou dans des revenus, bénéfices ou biens obtenus ou possédés à Saint-Barthélemy par des personnes qui y exercent une activité effective ou qui, n'exerçant aucune activité, justifient y résider de façon permanente et effective ; lorsque les intéressés exercent une activité industrielle, commerciale, libérale, artisanale, agricole, bancaire, financière ou d'assurance, ils doivent justifier disposer à Saint-Barthélemy de moyens d'exploitation leur permettant de le faire d'une manière autonome.
« Les droits de timbre et les droits d'enregistrement, à l'exception de la taxe différentielle sur les véhicules à moteur et de la taxe sur les certificats d'immatriculation des véhicules et, d'une manière générale, tous les autres impôts et taxes sont perçus à Saint-Barthélemy dans les conditions de droit commun applicables en Guadeloupe. »
« II. _ La loi du 2 mars 1878 précitée est complétée par deux articles 4 et 5 ainsi rédigés :
« Art. 4 . _ Par conventions passées avec l'État, la région de la Guadeloupe ou le département de la Guadeloupe, la commune de Saint-Barthélemy peut exercer des compétences relevant de l'État, de la région ou du département dans les domaines de l'aménagement du territoire, de l'éducation et de la formation professionnelle, de l'environnement, de l'exploitation des ressources de la mer, de la santé, des transports, du tourisme et de l'urbanisme. Ces conventions, conclues pour une durée ne pouvant pas excéder dix ans et renouvelables, déterminent les conditions administratives et financières de l'exercice de ces compétences pour la commune de Saint-Barthélemy.
« Dans ce cadre, celle-ci peut édicter des réglementations dérogeant à celles de l'État, de la région ou du département, sous réserve d'approbation par le ministre chargé des départements d'outre-mer lorsqu'il s'agit de compétences de l'État ou par le président du conseil régional ou du conseil général lorsqu'il s'agit de compétences régionales ou départementales. L'absence de réponse dans les deux mois de la saisine vaut approbation. »
« Art. 5 . _ La commune de Saint-Barthélemy a la faculté d'instituer une ou plusieurs des impositions suivantes :
« _ une taxe sur les consommations de carburants, dont le taux est fixé dans la limite de 1,5 F par litre de carburant consommé ;
« _ une taxe sur les hébergements touristiques, ainsi qu'une taxe sur les locations de véhicules de tourisme ou sur les locations de bateaux à usage touristique ou de loisir, dont les taux sont fixés dans la limite de 7,5 % du montant des prestations d'hébergement ou de location ;
« _ une taxe sur les débarquements par voie aérienne ou maritime de passagers non résidents, dont le montant est fixé dans la limite de 100 F par passager ;
« _ une taxe sur les véhicules, dont le montant annuel est fixé dans la limite de 500 F pour les véhicules de tourisme et de 1 000 F pour les véhicules utilitaires.
« Le produit de ces taxes est réparti à hauteur de 80 % au profit de la commune de Saint-Barthélemy et de 20 % à celui de l'État, dont 5 % au titre des frais d'assiette et de recouvrement. Ces taxes sont établies et recouvrées, les infractions sont recherchées, constatées et poursuivies et les contestations sont instruites et jugées selon les modalités et sous les garanties applicables aux droits de douane et taxes assimilées pour la taxe sur les consommations de carburants, aux taxes sur le chiffre d'affaires pour les taxes sur les hébergements touristiques et sur les locations de véhicules ou de bateaux et aux droits de timbre pour les taxes sur les débarquements de passagers et sur les véhicules. »
Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 1, M. Blaizot, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 4, Mme Michaux-Chevry propose :
I. - Dans le deuxième alinéa du texte présenté par le I de l'article 11 pour compléter l'article 3 de la loi du 2 mars 1878, après les mots : « des institutions financières », d'insérer une virgule ; après les mots : « ainsi que », de supprimer le mot : « de » ; après les mots : « l'impôt de solidarité sur la fortune », de supprimer la virgule.
II. - Dans le troisième alinéa dudit texte, après les mots : « véhicules à moteur et », de supprimer le mot : « de », et après les mots : « d'immatriculation des véhicules », de rédiger comme suit la fin de l'alinéa : « , sont perçus à Saint-Barthélemy ».
Par amendement n° 5, MM. Faure et Machet proposent, dans le deuxième alinéa du texte présenté par le paragraphe I de l'article 11 pour compléter l'article 3 de la loi du 2 mars 1878 portant approbation du traité pour la rétrocession à la France de l'île de Saint-Barthélemy, conclu le 10 août 1877 entre la France et la Suède, de remplacer les mots : « ainsi que de l'impôt de solidarité sur la fortune » par les mots : « , ainsi que l'impôt de solidarité sur la fortune ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 1.
M. François Blaizot, rapporteur. J'ai dit l'essentiel dans mon intervention générale. Mais je tiens à insister sur le fait que la commission des lois a ressenti le besoin d'étudier d'une façon approfondie la situation, notamment en matières fiscale et douanière.
Estimant que ces dispositions relevaient plus particulièrement des compétences de la commission des finances, nous avons souhaité connaître l'avis de celle-ci. Je tiens à la remercier pour la qualité du travail qui a été effectué en son sein et pour son avis circonstancié ; celui-ci débouche néanmoins sur une position défavorable à l'adoption immédiate des articles 11 et 12.
Notre amendement de suppression de l'article 11 ne traduit pas une opposition sur le principe. Il traduit simplement notre souhait d'étudier de manière plus approfondie les dispositions législatives qui nous sont soumises.
M. le président. La parole est à Mme Michaux-Chevry, pour défendre l'amendement n° 4.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Je suis quelque peu surprise de voir mes collègues demander la suppression des articles 11 et 12 relatifs à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. En effet, c'est notre assemblée qui aurait dû prendre l'initiative de ce dispositif que j'ai été la première à proposer.
Ces deux îles sont dans une situation de droit héritée de l'histoire et dans une situation de non-droit, compte tenu de l'application des textes.
Désormais, le problème se pose en termes de revendication institutionnelle dans la mesure où les deux communes se sont prononcées, à l'unanimité, pour un changement de statut, pour la création d'une collectivité à Saint-Martin et d'une collectivité à Saint-Barthélemy.
Nos deux assemblées locales, le conseil régional, que je préside, et le conseil général, que préside M. Larifla, ont toutes deux été saisies de ce dossier et ont émis un avis favorable à la régularisation de la situation de ces îles, car nous sommes tous conscients de leurs caractères particuliers.
M. le ministre a d'ailleurs dit que les articles 11 et 12 visaient à concrétiser une situation que je qualifierai quasiment de droit coutumier. En effet, connaissant mal notre histoire, nous perdons de vue que l'île de Saint-Barthélemy a été vendue par le roi de Suède au roi de France, qui était à l'époque son ami, sous la réserve expresse qu'elle soit un port franc et que l'on n'y paie pas d'impôt. Mais rien n'a jamais été fait, et l'île a connu une alternance de périodes où l'on payait l'impôt et d'autres où l'on ne le payait pas.
Et puis, il y a eu la défiscalisation, le développement du tourisme et, en conséquence, beaucoup de nouveaux arrivants. Ces derniers ne paient pas d'impôt, dans des conditions tout à fait irrégulières.
L'île de Saint-Bathélemy revendique, pour ses seuls ressortissants, des exemptions au titre de leurs activités en faveur du développement de l'île. Qu'on en finisse avec une situation où tout un chacun se sert de cette île comme d'une boîte à lettres ! C'est la raison pour laquelle il n'est pas question d'y créer un paradis fiscal.
Quand à Saint-Martin, c'est une zone franche que je qualifierai de « bâtarde » et qui n'est pas reconnue formellement par la Communauté européenne.
L'île comporte deux parties : une partie hollandaise, qui est une vraie zone franche, et une partie française, plus vaste, qui n'est pas tout à fait une zone franche.
C'est une île tout à fait pittoresque.
Dans la zone française, officiellement, on parle le français, mais, en fait, on y parle l'anglais et l'on paie en dollars.
Il n'y a pas de barrière entre les deux zones, qui sont pourtant chacune dans une situation spécifique.
A toutes ces particularités, il faut ajouter le fait, comme M. le ministre l'a indiqué à juste titre, que toutes les îles environnantes - Saba, Saint-Eustache, Monserrat, la Barbade, Trinidad, Antigua - bénéficient de zones franches qui attirent les touristes. La situation est donc totalement aberrante.
Mes chers collègues, le 5 septembre, j'ai saisi notre Haute Assemblée d'une demande de commission d'enquête, pour que certains de ses membres viennent sur place ; que nous les recevions et qu'ils touchent du doigt la réalité. Il m'a été répondu qu'une commission d'enquête c'était trop lourd.
J'ai donc écrit, le 26 septembre, pour dire que, si une commission d'enquête, c'était trop, il n'y avait qu'à mettre sur pied une mission parlementaire. Mais aucune décision n'a été prise.
De son côté, le député de la Guadeloupe, M. Chaulet, a fait la même démarche, et l'Assemblée nationale, elle, est allée à la vitesse grand V.
Je suis donc un petit peu triste qu'on me dise aujourd'hui : « Nous n'étions pas informés. » Il est regrettable que mes collègues n'aient pas suivi ma requête, ne soient pas venus sur les lieux pour voir la réalité de tous les jours dans ces deux îles où, un jour, on paie l'impôt, un jour, on ne le paie pas.
Mais, mes chers collègues, qui fera payer l'impôt à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin ?
Pensez à la manière dont est né le droit de quai à Saint-Barthélemy ; ce droit était refusé et l'on a été mis en demeure de l'appliquer !
Sachez donc que les deux amendements votés par l'Assemblée nationale permettent, en quelque sorte, de faire jouer la solidarité des citoyens devant l'impôt. En demandant à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy de percevoir des impôts, vous faites entrer ces deux îles dans une situation de droit qu'elles n'ont jamais connue.
Je terminerai sur une nouvelle note de tristesse. Oui, cela m'attriste d'entendre sur les bancs de la Haute Assemblée parler du trafic de drogue à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy.
Je dis : attention ! Nous sommes dans la Caraïbe, entre l'Amérique du Sud et l'Amérique du Nord, et il est difficile pour la France de mettre un garde-côte sur chaque plage. C'est la raison pour laquelle, parfois, des contrebandiers lâchent la drogue sur les plages.
Nous n'avons pas à déplorer de toxicomanie à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy. Je connais très bien ces deux îles, car j'en ai été le député pendant de longues années et je sais le comportement extrêmement solide de la jeunesse.
De tels propos attristent les habitants de ces îles. Leurs jeunes réussissent dans les compétitions internationales.
J'insiste sur ce point : ce sont nos jeunes qui portent le plus haut les couleurs de notre pays ; ils sont les phares avancés de ce morceau de la France un peu oublié. Pourtant, on n'entend parler que de passage de drogue et de paradis fiscaux. Pensez à leur dignité !
Mes chers collègues, je vous demande de régulariser la situation. Je considère qu'il s'agirait là du deuxième grand pas dans l'histoire des départements et territoires d'outre-mer que vous feriez aujourd'hui.
Ce matin, en effet, mes chers collègues, vous avez fait tomber le pan le plus important de la représentation symbolique du colonialisme. C'est la fameuse affaire que je qualifierai non pas des « cinquante pas géométriques », mais des « cinquante pas du roi ».
Chez nous, l'Etat français était propriétaire des plus belles terres, et le Gouvernement, après un travail d'une année, dans des conditions difficiles, a répondu à des revendications parfaitement justifiées.
Je rends hommage à mes collègues du Sénat, qui ont discuté avec l'ensemble des élus, dans le respect de leurs conceptions politiques. Ce matin, nous avons voté un texte qui permet de régler ce fameux dossier.
Ce soir, réglons le dossier de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Ainsi, la loi sera respectée dans la tradition, et les textes, qui ne sont pas appliqués dans ces régions, le seront enfin. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Emmanuel Hamel. Réglons-le, mais comme il faut !
M. le président. Monsieur Machet, je pense que votre amendement n° 5, qui est pratiquement identique à celui de Mme Michaux-Chevry, a été largement défendu par celle-ci. En êtes-vous d'accord ?
M. Jacques Machet. Tout à fait, monsieur le président.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 4 et 5.
M. François Blaizot, rapporteur. Monsieur le président, l'avis de la commission découle bien évidemment de mes propos précédents.
La commission éprouve beaucoup de sympathie pour toutes les observations qui viennent d'être présentées. Simplement, elle a considéré qu'elles étaient malvenues dans les conditions présentes et que les études suffisantes n'avaient peut-être pas été faites.
La commission ayant déposé un amendement de suppression, elle est défavorable à l'amendement qui vient d'être défendu.
Mais je tenais à souligner dans quel esprit elle y était opposée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1, 4 et 5 ?
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Monsieur le président, il me semble que, tout à l'heure, Mme Michaux-Chevry s'est uniquement prononcée contre l'amendement de la commission.
M. le président. J'ai cru comprendre que Mme Michaux-Chevry était contre l'amendement de la commission parce qu'elle a effectivement déposé un amendement tendant à apporter quelques modifications à l'article 11.
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégue. Vous me demandez pourtant de me prononcer sur son amendement.
M. le président. Je vous demande l'avis du Gouvernement sur les trois amendements.
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. S'agissant des amendements de suppression, je comprends tout à fait la démarche de la commission et de M. le rapporteur, qui consiste à bien cibler leur position sur la procédure et non sur le fond.
On peut très bien attendre encore quelques mois ! En effet, pour Saint-Martin, on attend depuis trois siècles et demi et pour Saint-Barthélemy depuis un siècle et dix-huit ans !
Le problème, c'est l'évolution démographique. Si mes souvenirs sont exacts, la population de Saint-Martin est passée de 8 000 habitants en 1981 à 34 000 ou 36 000 aujourd'hui.
Imaginez la situation des responsables politiques élus dans cette île. De quels moyens disposent-ils pour faire face à cette situation ? Il en est d'ailleurs de même pour la région, qui doit faire face à bien d'autres problèmes, que ce soit celui des planteurs de bananes ou de la filière canne à sucre, par exemple.
La situation est extrêmement critique, notamment en matière de santé à Saint-Martin. Des équipements sont nécessaires.
Il faut également résoudre le problème de l'immigration, de l'intégration de ceux qui sont sur place. Lors du dernier cyclone, nous avons vu comment les choses se passaient.
Il s'agit exclusivement, je le repète, de photographier une situation, que nous encadrons, pour empêcher des profiteurs de s'installer à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin pour bénéficier d'avantages auxquels ils n'ont normalement pas droit. Ajourd'hui, en s'installant dans ces îles, ils sont traités comme tout un chacun et considérés comme des autochtones : on ne leur réclame donc pas d'impôts, ou l'on n'ose pas leur en réclamer, parce que telle est la tradition depuis des siècles.
M. Emmanuel Hamel. Il y a des traditions que l'on peut améliorer !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. M. Jacques Larché me demande pourquoi il en est ainsi. Je vais vous le dire : parce que le régime qui prévaut à Saint-Barthélemy a été reconnu par la loi du 2 mars 1878, laquelle précise explicitement que les droits acquis, c'est-à-dire, pour Saint-Barthélemy, l'exonération fiscale à laquelle Mme Michaux-Chevry faisait allusion, doivent être maintenus. C'est donc un texte législatif qui a fait perdurer cette situation.
M. Emmanuel Hamel. Du temps de Grévy ! Or, on est en 1996 !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Monsieur le sénateur, les lois de la République perdurent tant qu'elles ne sont pas abrogées, si mes souvenirs de droit sont bons.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et à Saint-Martin ?
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. A Saint-Martin, il s'agit d'une situation de fait, mais qui dure depuis trois siècles et demi ! C'est alors plus qu'une coutume, c'est un état de fait, et je mets au défi aujourd'hui quelque administration ou quelque organisme que ce soit d'aller percevoir à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin les impôts comme en métropole !
Voilà pour l'amendement n° 1 de suppression.
Si nous pouvions aller de l'avant, quitte à étudier comment les choses se passent sur le terrain au bout d'un an, je pense que nous aurions régularisé et clarifié la situation vis-à-vis des habitants de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin - puisque c'est d'eux et d'eux seuls qu'il s'agit - et de ceux qui ont une activité sur place.
Le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 4 de Mme Michaux-Chevry. Il risquerait en effet de créer un petit paradis fiscal. De plus, il serait quelque peu contradictoire d'exclure ces îles de l'ISF alors que, je l'ai fait vérifier, cet impôt est perçu sur Saint-Barth et sur Saint-Martin... sur ceux qui doivent le payer, bien sûr.
Mais, madame le sénateur, vous n'avez pas défendu cet amendement à ma connaissance ?
Mme Lucette Michaux-Chevry. Non, je ne l'ai pas défendu.
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Monsieur le président, voilà pourquoi je vous posais la question tout à l'heure.
J'en reviens aux deux amendements de suppression des articles 11 et 12.
Je souhaite vraiment que nous puissions avancer compte tenu du concret, c'est-à-dire des situations auxquelles sont confrontés les maires de Saint-Barth et de Saint-Martin. Il suffit d'une courte mission pour prendre conscience de la situation sur place en matière de santé publique par exemple. Vous verrez qu'il faut beaucoup de moyens !
Les contribuables vont payer un impôt pour la première fois depuis plus d'un siècle pour Saint-Barth, depuis plus de trois siècles pour Saint-Martin, un impôt que je qualifierai de solidarité nationale puisque, dans le système imaginé par le président Mazeaud, 20 % des sommes recueillies sur place, abonderont le budget de l'Etat. Sur le plan de la fiscalité, ce sera déjà le rétablissement d'une certaine égalité des citoyens devant l'impôt, et cela enrichira le budget de l'Etat. C'est d'ailleurs cette disposition qui m'autorise à croire que notre démarche est tout à fait constitutionnelle, alors que la situation de fait, elle, est effectivement anticonstitutionnelle.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous sommes évidemment dans une situation difficile.
Nous comprenons très bien les arguments qui ont été avancés, mais je voudrais faire remarquer, malgré tout, que le rôle du Sénat, une fois de plus, n'est pas commode !
M. Emmanuel Hamel. Oh que non !
M. Jacques Larché, président de la commission. Notre rôle est de rappeler un certain nombre d'exigences de droit auxquelles il est normal de satisfaire.
Monsieur le ministre, nous aurions accueilli avec, disons, beaucoup d'ouverture d'esprit, un texte qui aurait traité le problème de manière autonome après une étude suffisante. Mais voilà que vous n'avez rien trouvé de mieux que d'introduire cette disposition dans une ordonnance relative à Mayotte et portant sur le statut des fonctionnaires ! (Mme Michaux-Chevry manifeste sa désapprobation.)
Monsieur le ministre, je vous le dis simplement, ce n'est pas sérieux, ce n'est pas une méthode de travail. Puisque vous parlez de constitutionnalité, sur ce terrain, il y a une jurisprudence qui est bien connue, c'est la jurisprudence Séguin : un amendement manifestement sans rapport avec le contenu du texte principal doit être considéré comme un abus de procédure parlementaire.
Je vous rassure tout de suite : je n'aime pas saisir le Conseil constitutionnel. Je ne le fais d'ailleurs que très rarement ; je n'ai apposé ma signature qu'en cinq ou six occasions. Je vous le dis dès maintenant : si d'aventure ce texte était voté, je ne m'associerais pas, si d'aucuns avaient envie d'y avoir recours, à une saisine du Conseil constitutionnel.
Je voudrais que ce problème soit traité d'une manière sérieuse.
Nous connaissons tous la genèse quelque peu pittoresque de cette affaire. Nous avons tous reçu des délégations nous demandant de tranformer Saint-Barthélemy et Saint-Martin en collectivités à statut particulier avec, à la clé, bien évidemment, un député, un sénateur, un conseil général. Je dois dire que nous avons accueilli cette démarche avec curiosité.
Nous n'avons pas cru devoir répondre à une invitation touristique qui nous a été adressée. Nos collègues de l'Assemblée nationale, ayant sans doute envie de voyager, y sont allés immédiatement. Notre ordre était chargé ; si nous l'avions pu, nous y serions allés.
Malgré tout, l'état de droit - nous sommes là, monsieur le ministre, pour le faire respecter ! - n'est pas ce que vous dites ! Ces coutumes, si tant est qu'elles aient jamais existé ont été battues en brèche - nous sommes un pays de droit écrit - par des avis et des décisions du Conseil d'Etat, qui a déclaré purement et simplement que la législation fiscale de la Guadeloupe est applicable de droit à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin. J'ai ici une décision du Conseil d'Etat de 1985 - demandeur, ministre du budget - et un avis du Conseil d'Etat de 1988. Donc, les décisions existent.
Pour ne pas prendre une décision précipitée et pour ne pas nous en tenir à un aspect purement formel des choses, qui n'est pas l'élément déterminant mais qui compte quand même, nous avons sollicité l'avis de nos collègues de la commission des finances.
A l'unanimité, ils ont rendu un avis négatif. Ils ont estimé que le problème fiscal était important, que l'on ne pouvait pas le traiter au détour d'une discussion comme celle qui s'engage aujourd'hui ; dans le même temps, certains ont évoqué devant nous un effet d'entraînement possible. Pourquoi, en effet, ce que l'on fait aujourd'hui à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, ne le ferait-on pas ailleurs ? En la matière, dira-t-on, les précédents n'ont pas de valeur, mais ils peuvent servir malgré tout de fondement à quelques réclamations.
Je voudrais rendre hommage à notre rapporteur parce que, fidèle à la mission que lui a confiée la commission, il a émis cet avis alors que, au fond de lui-même, il aurait souhaité une autre solution. Malgré le travail remarquable qu'il avait fait, et après en avoir délibéré, la commission des lois n'a pas suivi sa proposition et nous avons été confortés par l'avis de la commission des finances.
Maintenant, si le Sénat estime que les avis des deux commissions ne doivent pas être pris en considération... Mais alors je me demande à quoi sert le travail législatif approfondi, qui, à mon sens, ne consiste pas à se laisser aller à quelques mouvements sympathiques, que l'on comprend fort bien, mais qui peuvent avoir des conséquences de droit auxquelles nous répugnons !
M. Emmanuel Hamel. Différer pour mieux décider !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Je voudrais simplement répondre très gentiment à M. le président de la commission des lois sur la méthode : ce n'est pas le Gouvernement qui a introduit dans le texte de Mayotte cette disposition, c'est le président de la commission des lois à l'Assemblée nationale. On ne peut pas penser qu'il a agi à la légère.
Pourquoi l'a-t-il fait ?
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Il est allé à Saint-Barth !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Parce qu'il revenait de là-bas et qu'il s'est rendu compte là-bas de l'ampleur et du caractère critique de la situation.
Vous avez, par ailleurs, fait allusion à des études. Beaucoup ont été réalisées, et ce depuis très longtemps, par des cabinets spécialisés, par les élus eux-mêmes. Des débats ont eu lieu au sein des conseils régional et général. Mes prédécesseurs se sont saisis de tout ce travail sans vraiment aller jusqu'au bout du raisonnement.
Vous avez fait allusion à la « jurisprudence » Séguin. Je note qu'elle n'a pas été appliquée à l'Assemblée nationale !
M. Emmanuel Hamel. C'est regrettable !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. L'un des points importants que vous avez soulevés concerne, bien sûr, la démarche faite par les élus de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin pour une collectivité territoriale autonome.
Les réserves du Gouvernement sont nombreuses et très fortes, car cela voudrait dire en effet que l'on ouvre la boîte de Pandore et que tout un chacun pourrait demander, ici ou là, à bénéficier d'un statut particulier dès lors qu'il y a problème.
Malgré les décisions ou les avis qui ont été rendus par le Conseil d'Etat, la situation perdure. C'est bien pour cela qu'il faut une loi aujourd'hui, pour consolider la situation existante ! Nous essayons de la stabiliser en la photographiant par la loi. Je ne pense pas qu'il s'agisse pour autant d'une décision précipitée.
Avec, bien sûr, tout le respect que je dois à la commission des finances et à ceux qui ont travaillé sur ce texte, je voudrais dire que j'ai vu des notes circuler à propos de ces amendements et de leur impact, notes qui laissaient notamment entendre que n'importe quelle activité financière pourrait, à la suite de la promulgation de ce texte, s'installer à Saint-Barth ou à Saint-Martin. Or c'est faux ! Ce sont des arguments qui ont été utilisés - et dans des notes bien faites et bien construites - pour induire en erreur, et, à partir de là, on a dit que l'on était en train de créer un nouveau paradis fiscal à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.
En conclusion, je voudrais vous expliquer la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite un vote conforme de ce texte.
Les exonérations prévues ne s'appliquent qu'aux seules personnes qui résident effectivement dans l'île ou qui exercent une activité effective, grâce à des moyens autonomes, c'est-à-dire pas de sièges sociaux fictifs, donc pas de sociétés boîtes à lettres, ni de domiciles de convenance. De plus, bien entendu, cette exonération ne vaut que pour des opérations ou activités accomplies ou exercées à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin, pour des revenus ou des bénéfices obtenus dans ces mêmes îles.
Le dispositif étant donc totalement verrouillé - résidences effectives, activités effectives, seulement pour des revenus perçus localement ou des biens possédés localement - la démarche qui est à l'origine de la proposition d'amendement de Pierre Mazeaud est une démarche de bon sens, que le Gouvernement soutient.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le président, de laisser aux orateurs le temps de s'exprimer autant qu'il le faut. Le débat, en effet, le mérite.
De plus, cela nous a donné l'occasion - trop rare ! - d'apprécier le talent de Mme Michaux-Chevry, qui connaît bien la région en question et qui a pris la parole pour défendre son amendement... qu'elle n'a d'ailleurs pas défendu.
Je ne sais pas si elle le retire ou non, mais l'adoption de cet amendement ou de celui de M. Machet et... d'une autre de nos collègues, aurait pour conséquence qu'il n'y aurait plus d'impôt sur la fortune payé dans les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, alors que, jusqu'à présent, effectivement, il l'est.
C'est un sujet dont on a beaucoup parlé au Parlement ces derniers temps, même si ce n'était pas à propos de ces deux îles.
J'ai été vraiment très content d'entendre Mme Michaux-Chevry. J'ai appris qu'elle avait demandé la constitution d'une commission d'enquête d'abord, d'une mission ensuite. Nous regrettons très vivement de ne pas l'avoir su. Je ne sais pas qui n'a pas donné suite à cette demande. (Mme Michaux-Chevry brandit avec insistance un document.) Mais je vous crois, madame ! S'il y a des vérifications à faire sur place, nous sommes prêts à y aller. Si vous avez demandé cette mission, c'est bien parce que vous pensiez qu'il fallait y aller. Mais comme, précisément, non prévenus, nous n'y sommes pas allés, je ne comprends pas très bien pourquoi vous nous appelleriez à prendre une décision maintenant.
La situation que vous décrivez dure depuis trois siècles, dites-vous, et il faudrait la régler tout de suite, en cinq minutes ?
Nous sommes le 19 décembre, à la veille des vacances parlementaires et, subitement, il y aurait urgence à adopter, pour que, à l'occasion de la discussion d'un projet de loi portant ratification d'une ordonnance sur le statut général des fonctionnaires de Mayotte, deux « cavaliers » - puisqu'il s'agit bien de cela - qui, par définition, n'ont aucun rapport avec le texte en discussion et sont donc irrecevables de ce seul fait.
Si M. le président Jacques Larché vous rassure en disant que, en ce qui le concerne, il ne s'associerait pas à une saisine du Conseil constitutionnel, c'est qu'il sait bien que, en ce qui nous concerne, nous n'hésiterions évidemment pas à y avoir recours.
Que ce soit bien clair : s'il y a quelque chose soient claires : s'il y a quelque chose à faire, il faudra le faire, mais pas de cette manière-là !
Nous avons appris - nous en avons tous été fort choqués en commission des lois - qu'il y a des gens qui vivent dans l'illégalité, ne payant pas d'impôts, et que, pour supprimer cette illégalité, il nous est proposé de changer la loi. A priori, c'est choquant et anticonstitutionnel.
Comme il s'agissait de dispositions financières, la commission des lois a demandé l'avis de la commission des finances. Nous avons entendu ce matin le représentant de la commission des finances nous exposer les nombreuses raisons pour lesquelles, comme la commission des lois, la commission des finances est hostile aux ajouts proposés au texte d'origine.
Il nous a notamment expliqué que, contrairement à ce qui nous a été dit tout à l'heure - il a cité notre collègue Yann Gaillard ici présent, qui l'aurait constaté - qu'il n'est pas tout à fait exact de dire qu'on ne paie pas d'impôt dans aucune des deux îles.
A Saint-Martin, on en paie quelque peu ! C'est écrit en toutes lettres dans le document établi par la commission des finances. Il serait bon, d'ailleurs, que chacun ait l'occasion de le lire. Je vais vous en citer un passage.
« Il existe donc, comme l'a constaté l'inspecteur général des finances notre collègue M. Yann Gaillard, une certaine différence entre les deux îles : 1 500 déclarations d'impôt sur le revenu à Saint-Martin, pratiquement pas à Saint-Barthélemy. »
Alors, ne venez pas nous dire, madame, qu'on ne paie pas d'impôt dans aucune de ces deux îles, c'est inexact !
Or, si nous votions le texte qui nous est proposé, ne seraient même plus payés les impôts qui le sont actuellement. Il est bien évident que beaucoup d'autres territoires - je ne parle pas du territoire de Belfort (Sourires.) - seraient autorisés ensuite à demander à être traités de la même manière.
Je sais bien que nombre d'entre nous vont sans doute aller en vacances dans les Caraïbes.
M. Hilaire Flandre. Nous n'en avons pas les moyens !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils seraient d'autant mieux reçus à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin que les articles cavaliers auraient été adoptés...
Pour notre part, nous aurions tendance à demander au moins que les bases de l'impôt, là où elles n'existent pas, soient mises sur pied. On serait d'ailleurs en droit de s'interroger : comment voulez-vous faire payer des impôts alors que les bases n'existent pas ?
Curieuse logique aussi, monsieur le ministre, que de dire : ils ne paient pas d'impôt, ils n'en ont jamais payé - ce qui est d'ailleurs inexact - ils n'ont donc pas à en payer, mais il faut voter ce texte pour qu'ils en paient desormais un peu ! Allons donc ! Est-ce là le but de ce texte ?
Il est décidement très cavalier de nous proposer de telles dispositions ! Bien entendu, nous n'en voulons pas. C'est pourquoi nous voterons l'amendement de suppression de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Lucette Michaux-Chevry. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry. Tout d'abord, monsieur le président, je tiens à dire que je retire l'amendement n° 4, et que je soutiendrai le texte voté par l'Assemblée nationale.
Je salue le président du groupe d'amitié France-Caraïbes, mais j'aurai l'occasion de lui démontrer qu'il connaît bien peu les Caraïbes.
En tout cas, je ne peux pas laisser dire devant la Haute Assemblée qu'il se serait agi d'une visite de tourisme !
J'ai déposé devant la Haute Assemblée, le 5 septembre 1996, une demande de constitution de commission d'enquête ainsi libellée : « Il est indispensable que la représentation nationale se saisisse de ce dossier et qu'une commission d'enquête soit désignée. »
M. le président de la commission m'a répondu que c'était compliqué. Je vous ai alors fait parvenir, le 26 septembre, monsieur le président, une lettre pour vous demander la création d'une mission parlementaire d'information afin d'analyser la situation des îles. Pour ce faire, j'avais le soutien du conseil général de la Guadeloupe, qui n'est pas du même bord politique que moi. Vous m'avez répondu, le 19 novembre, que vous aviez reçu mes deux courriers et que, après en avoir pris connaissance, ainsi que des documents qui vous avaient été adressés par les maires, vous aviez demandé à M. François Blaizot, rapporteur pour avis du budget de l'outre-mer, de bien vouloir prêter la meilleure attention à ces questions.
La meilleure attention a traîné ! Pendant ce temps, mon collègue député faisait la même démarche à l'Assemblée nationale.
L'Assemblée nationale s'est saisie de la question, et M. Mazeaud s'est rendu dans les îles.
Vous ajoutiez, monsieur le président de la commission : « Si vous le voulez bien, M. Blaizot, qui doit rencontrer à Paris le maire de Saint-Barthélemy, prendra dans un délai rapproché votre attache pour recueillir vos informations sur ce projet de mission. »
Entre-temps, l'Assemblée nationale, saisie après le Sénat, a constitué sa mission parlementaire, qui s'est rendue sur les lieux.
Un amendement a été déposé sur le présent projet de loi à l'Assemblée nationale c'est ainsi que notre assemblée est aujourd'hui saisie de ce texte.
Monsieur Larché, je le repète, respectueusement mais très fermement, je ne peux pas admettre que vous parliez de promenade touristique ! J'ai demandé une réunion de travail, comme j'ai l'habitude de le faire. J'ai demandé qu'une misssion se tranporte sur les lieux ; si elle avait eu lieu, la Haute Assemblée aurait été informée.
Maintenant, si le Conseil constitutionnel est saisi, le vrai visage du parti socialiste apparaîtra aux yeux des élus et de la population de la Guadeloupe.
En effet, c'est M. Larifla qui, le premier, en Guadeloupe, a soutenu ce projet. Alors ! il y aurait un discours à Paris et un discours en Guadeloupe ?
D'ailleurs, M. Jospin s'est rendu dans un lycée sans m'en demander l'autorisation et a harangué les étudiants en leur disant que je ne faisais rien pour eux, alors que l'aide de l'Etat pour les étudiants s'élève à 21 millions de francs et que la région Guadeloupe accorde 106 millions de francs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quel est le rapport avec le texte ?
Mme Lucette Michaux-Chevry. M. Jospin aurait dû avoir l'élémentaire correction d'aviser de sa visite le président de région. En outre, il est peu courageux : si j'étais en Guadeloupe, il ne serait pas entré au lycée. (MM. Delong et Alloncle applaudissent.)
M. le président. Je prends acte que l'amendement n° 4 est retiré.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. On peut poursuivre le débat, mais il nous faudrait revenir à une tonalité plus calme, à laquelle d'ailleurs nous sommes habitués.
Nous avons traité comme il se devait la demande que vous nous avez adressée, madame, d'aller vérifier si, après que les conseils municipaux de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy se furent prononcés à l'unanimité pour la création d'une collectivité territoriale à statut particulier, il était opportun d'envisager une telle mesure.
Il ne nous est pas apparu nécessaire, j'irai même plus loin, il ne nous a pas semblé sérieux, en tous les cas conforme au travail habituel de la commission des lois d'aller vérifier sur place si l'île de Saint-Barthélemy devait devenir une collectivité territoriale avec un député, un sénateur et un conseil général.
Voilà pourquoi nous avons répondu que nous allions examiner ce problème et nous efforcer de le traiter en le ramenant à sa juste dimension.
M. Yann Gaillard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, je suis un peu embarrassé, je dois le dire, puisque mon nom, non pas en tant que parlementaire mais en tant qu'ancien fonctionnaire, a été prononcé par un membre éminent de notre assemblée. Je me vois donc contraint de m'exprimer en raison de la connaissance que j'ai de ce dossier.
Voilà maintenant trois ans, je me suis rendu à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy à l'occasion d'une inspection. J'y ai étudié le régime fiscal de ces deux îles et j'ai formulé quelques suggestions au ministre de l'économie et des finances de l'époque, suggestions qui lui appartiennent et sur lesquelles je ne me suis jamais exprimé publiquement.
Le rapporteur de la commission des finances a obtenu des renseignements auprès du ministère des finances, qui ne lui a pas communiqué le document, lequel appartient au ministre. Il n'est pas d'usage, semble-t-il de communiquer ce genre d'informations aux assemblées.
Voilà exactement pourquoi mon nom a été mêlé à cette affaire. Je ne le regrette pas : il est toujours agréable de constater que le travail qu'on a effectué a quelque utilité, ce qui n'est pas fréquent dans l'administration.
J'en viens au sujet qui nous occupe.
A Saint-Barthélemy, aucun impôt n'est perçu, sauf les droits de quai, et aucun impôt ne sera jamais perçu.
A ce propos, je rends tout à fait hommage au réalisme de Mme Michaux-Chevry : on pourra faire tout ce que l'on voudra, mes chers collègues, on n'arrivera jamais à percevoir aucun impôt à Saint-Barthélemy. Cette île, qui est d'ailleurs bien particulière et qui a une histoire très forte, considère que ce droit lui est acquis depuis que le roi de Suède l'a rétrocédée à la France - après que la Suède l'eut acheté à la France un siècle auparavant - sous la promesse d'une exemption fiscale générale ou presque.
Il est de fait que ce régime heurte notre esprit un peu jacobin et que nous nous accommodons très mal d'un tel état de choses.
Le Conseil d'Etat, qui était dans son rôle, a émis plusieurs avis, selon lesquels les impôts étaient exigibles à Saint-Barthélemy ; l'île se trouve donc dans une situation d'illégalité tolérée.
En tant que simple fonctionnaire, j'avais recommandé de trouver un moyen de concilier le fait et le droit. En effet, j'imagine mal que l'on puisse exiger des impôts qui n'ont jamais été payés, et je ne pense pas, d'ailleurs, que les problèmes que cela créerait seraient compensés par des rentrées suffisantes pour justifier une telle politique.
Mais le fait est que Saint-Barthélemy est dans l'illégalité.
Je pense, bien que je ne sois pas juriste - sur ce point, je suis d'accord, même si je parle à titre strictement personnel, avec la position adoptée par les conseils général et régional de Guadeloupe - que la bonne solution en droit serait de créer une collectivité à statut spécial dotée de l'autonomie fiscale, ce qui est le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Mayotte. Je ne vois d'ailleurs pas en quoi cela menacerait la souveraineté française - mais j'ouvre là un débat qui dépasse probablement le cadre de notre discussion.
Je reconnais que la solution, qui est mal fondée en droit et qui risquerait une censure du Conseil constitutionnel est effectivement apportée par le texte qui nous est soumis, texte que, pour des scrupules d'ordre technique et juridique, je ne voterai pas, mais contre lequel je ne voterai pas non plus.
En fait, s'agissant de Saint-Barthélemy deux problèmes se posent.
Il s'agit, d'abord, d'éviter que ce régime n'apporte la « contagion », au-delà des droits historiques de ceux qu'on appelle les « Saint-Barth ». De ce point de vue, le texte du Gouvernement prend, me semble-t-il, des précautions tout à fait louables.
Ensuite, et là je m'avoue un peu choqué, alors que l'île n'est pas frappée par la TVA, elle émarge au fonds de compensation de TVA. Cela ne me paraît pas très logique ! Je pense que la solidarité nationale peut très bien s'exprimer autrement, par le biais de la DGF, par exemple. Mais, enfin, je n'irai pas jusqu'à déposer un amendement, que je serais ensuite obligé de retirer ou que je ne pourrais pas défendre.
S'agissant de Saint-Martin, la situation est différente. Monsieur le ministre, je suis au regret de dire qu'on ne peut pas assimiler la situation de Saint-Martin et celle de Saint-Barthélemy. Bien sûr, à Saint-Martin, il y a la frontière, extrêmement poreuse, entre la partie française et la partie hollandaise, il y a l'environnement caraïbe et bien d'autres nombreux facteurs. Mais le fait est que Saint-Martin a connu ces dernières années un début de fiscalisation, même si les rentrées fiscales n'ont rien d'extraordinaire. Au demeurant, d'une manière générale, dans les départements d'outre-mer, les taux de recouvrement ne sont pas comparables à ceux que l'on constate dans les départements métropolitains. Cela dit, ce taux est encore plus bas à Saint-Martin que dans le reste de la Guadeloupe.
Il n'en demeure pas moins qu'on enregistre un début de fiscalisation s'enregistre à Saint-Martin et qu'on ne peut donc traiter le problème de Saint-Martin et celui de Saint-Barthélemy en suivant exactement le même raisonnement.
C'est pourquoi je suis encore plus réservé sur l'article relatif à Saint-Martin que sur celui qui a trait à Saint-Barthélemy.
M. Jacques Machet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. J'ai écouté avec attention l'explication de Mme Michaux-Chevry sur la situation. Elle m'a convaincu, et je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 5 est retiré.
M. Philippe de Bourgoing. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Bourgoing.
M. Philippe de Bourgoing. Mme Michaux-Chevry a dit tout à l'heure que le Sénat savait prendre des mesures très rationnelles, comme il l'avait fait ce matin à propos des cinquante pas géométriques, et elle a ajouté « à la suite d'une très grande réflexion ».
Eh bien, je crois que c'est ce qui nous a manqué dans cette affaire, et ce que je viens d'entendre me renforce dans l'idée selon laquelle il est prématuré de prendre une telle décision.
Après le président Larché, je voudrais rendre hommage à notre rapporteur, qui a quelque peu souffert pour prendre la position qu'il a prise.
On nous propose un dispositif qui aboutit à faire payer des impôts dans un lieu où, nous a-t-on dit, ces impôts ne seront jamais recouvrés, où il n'existe aucune base d'imposition : on conviendra que tout cela mérite plus de réflexion. D'ailleurs, l'urgence n'est peut-être pas si grande.
J'ajoute, monsieur le ministre, que, dans une affaire comme celle-là, il serait essentiel que vous veniez devant la commission des lois afin que nous ayons tous les éléments nécessaires pour prendre une décision.
Voilà pourquoi je voterai l'amendement de la commission des lois.
M. Emmanuel Hamel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hamel. M. Emmanuel Hamel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lequel d'entre nous n'a pas été bouleversé par l'éloquence et la passion avec lesquelles notre collègue Mme Lucette Michaux-Chevry a exprimé son point de vue sur ce texte ? Nous comprenons que, avocate de profession et ambassadrice par vocation, elle se fasse un devoir de défendre le point de vue des habitants d'îles dont elle est, et c'est son honneur, l'élue.
Il est, dans l'exercice de notre mission de parlementaire, des moments crucifiants, où nous nous trouvons écartelés entre, d'une part, les devoirs que nous créent les liens d'amitié et les sentiments d'admiration et, d'autre part, ceux que nous impose notre conception de la République.
Quelle que soit l'estime que je peux avoir pour les votes de l'assemblée nationale, à laquelle j'ai eu l'honneur d'appartenir pendant trois législatures, je ne me sens pas engagé par ces votes lorsque deux des commissions de l'Assemblée à laquelle, malgré mon indignité, j'ai aujourd'hui l'honneur d'appartenir, la commission des finances et la commission des lois, expriment soit des réserves, soit le sentiment que le devoir d'Etat est d'attendre d'être mieux informé avant, sur un problème de cette importance, de prendre une décision véritablement éclairée.
Madame Michaux-Chevry, ne voyez pas dans mon propos un parti pris contre ce que vous exprimez. Comprenez que, en conscience, un membre de la commission des finances ne peut se désolidariser de l'avis que celle-ci a émis il y a si peu de temps. Comprenez aussi que, nonobstant le talent de M. le ministre et votre passion, je ne peux voter un texte qui constitue un cavalier, on l'a dit, et qui, au-delà même des problèmes concernant les habitants de ces deux îles admirables, interpelle les citoyens de la République tout entière par les facilités - et j'ai peut-être tort de les évoquer - qu'il pourrait donner à des manquements au devoir de solidarité fiscale et à l'égalité de tous les Français devant l'impôt.
C'est la raison pour laquelle, ma chère collègue, avec regret, car j'ai été véritablement bouleversé par votre éloquence, je ne pourrai joindre ma voix à la vôtre et voterai les amendements de la commission des lois.
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Je veux simplement apporter quelques éléments d'information supplémentaires.
Monsieur Gaillard, vous avez eu, je crois, la bonne formule : personne n'ira à Saint-Barthélemy pour faire en sorte que les impôts soient perçus. C'est ainsi !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Faut-il l'inscrire dans la loi ?
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Outre-mer, monsieur le président, il faut aussi tenir compte des situations. Il ne s'agit pas d'allumer des mèches alors que ces situations perdurent depuis des années, voire des siècles.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Pourquoi, alors, ne pas attendre encore un peu ? Nous ne demandons que cela !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Le problème qui se pose aujourd'hui, c'est l'évolution de la démographie : elle est telle qu'il faut subvenir au financement d'équipements structurants extrêmement importants, notamment hospitaliers.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut choisir !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Il faut choisir, bien sûr, mais alors, il faut m'expliquer comment on peut le faire ! Si l'on avait pu le faire, on l'aurait fait depuis très longtemps, parce que l'augmentation de la population date de 1981, pas de dix-huit mois. Aujourd'hui, à Saint-Martin, je suis confronté à 34 000 habitants qui n'ont, en matière de santé et d'éducation, pas le quart du dixième de ce dont nous disposons ici, en métropole.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sauf ceux qui paient l'ISF !
M. Jean-Jacques de Peretti, ministre délégué. Que proposent les élus ? C'est à cela que je veux en venir.
En ce qui concerne le fonds de compensation de la TVA, ils se sentent eux-mêmes un peu gênés, à Saint-Barthélemy comme à Saint-Martin. Ils m'ont dit : « Dans la mesure où nous pourrons, nous, percevoir des impôts indirects, il est bien évident que le fonds de compensation de la TVA, nous le laisserons à la région : nous n'aurons plus aucune raison de le percevoir. »
Les 20 % qui seront prélevés le seront sur l'ensemble des impôts indirects, notamment les taxes sur les carburants. A cet égard, à Saint-Martin, la situation est totalement aberrante puisque tout change selon que vous êtes dans la partie hollandaise ou dans la partie française.
Il y a donc une réalité qu'il ne faut pas fuir !
On peut effectivement considérer qu'il convient d'y réfléchir encore un peu, mais je crois qu'il y a tout de même urgence.
Pour conclure, je dirai simplement qu'il y a des textes. Il y a, bien sûr, des tolérances administratives, qui expliquent la situation présente, mais il y a aussi des textes.
Ainsi, le décret du 30 mars 1948 relatif aux contributions indirectes dispose, en son article 12, que « le régime particulier appliqué aux dépendances de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy est maintenu en vigueur ».
De plus, le code des douanes communautaire reconnaît l'existence de pratiques coutumières de portée géographique et économique limitée : c'est le cas.
Enfin, dans le même sens, la loi du 17 juillet 1992 relative à l'octroi de mer exonère de cette taxe les deux îles dont nous parlons.
En tout état de cause, il y a une situation qu'il faut remettre en ordre. C'est pourquoi nous pensions que la proposition qui a été faite sur la base de la mission conduite par M. Mazeaud était de bon sens en ce qu'elle « photographiait » une situation. Il était important de mettre un certain nombre de garde-fous, et c'est ce qui a été fait, conformément au souhait du Gouvernement. Il convenait aussi de faire en sorte que, d'une certaine manière, la solidarité de nos concitoyens de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy s'exprime par le prélèvement de 20 % sur les taxes qu'ils devraient acquitter dans le cadre du dispositif proposé.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 11 est supprimé.
Article 12