M. le président. « Art. 10. - Dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat, tout candidat à un contrat ou marché passé par une personne morale de droit public ainsi que tout sous-traitant d'un titulaire de contrat ou de marché doit attester qu'il n'a pas fait l'objet, au cours des cinq dernières années, d'une condamnation inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire pour les infractions visées aux articles L. 324-9, L. 324-10 et L. 341-6 du code du travail.
« Lorsque leur montant est supérieur à un montant fixé par décret en Conseil d'Etat, les contrats et marchés passés par les personnes morales de droit public comportent une clause leur permettant de s'assurer que le cocontractant n'a pas recours au travail illégal au cours de l'exécution du contrat ou du marché. »
Par amendement n° 21, M. Souvet, au nom de la commission des affaires sociales, propose, dans le premier alinéa de cet article, de remplacer la référence : « et L. 341-6 », par les références : « L. 341-6, L. 125-1 et L. 125-3 ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur. Les articles L. 324-9, L. 324-10 et L. 341-6 du code du travail visent le travail dissimulé et l'emploi d'étrangers sans titre de travail. Le projet de loi contenant également les dispositions sur le marchandage, il paraît opportun d'y faire référence ici.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Par amendement n° 65, M. Jourdain propose de supprimer le second alinéa de l'article 10.
La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, autant le premier alinéa de l'article 10 me satisfait pleinement, autant le second, introduit par l'Assemblée nationale, me conduit à m'interroger. En effet, comment une collectivité publique pourra-t-elle s'assurer que le cocontractant a recours, pendant l'exécution du marché, au travail illégal ? J'ai peur des responsabilités encourues par les acteurs de cette collectivité.
Telle est la raison pour laquelle je demande la suppression du second alinéa de l'article 10.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Louis Souvet, rapporteur. La commission, après un très long débat, a émis un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Quel que soit le prix que j'attache à l'avis du Sénat, j'émets un avis défavorable sur cet amendement.
Nous ne pouvons pas ne pas nous sentir tous mobilisés dans cette affaire, et je crois que les élus locaux que nous sommes sont obligés de participer d'une manière ou d'une autre.
Monsieur Jourdain, je comprends bien que votre intention est tout à fait louable et que vous ne voulez pas trop compliquer la vie de nos collectivités publiques, laquelle l'est déjà assez souvent, surtout en matière de marchés publics. A cet égard, le Gouvernement envisage certaines améliorations.
Toutefois, s'agissant du travail clandestin, pourquoi ne pas demander cette vérification aux entrepreneurs privés ? Très honnêtement, je maintiens qu'il faut engager tout le monde. Cela exige peut-être un effort un peu plus grand. Mais autant je pense, comme d'autres, que les marchés publics devraient faire l'objet de modifications en vue d'une simplification, autant, s'agissant d'un problème éthique comme celui-là, je maintiens ma position. Je souhaite donc que le Sénat n'adopte pas cet amendement.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mes chers collègues, je comprends la motivation de M. le ministre consistant à dire qu'une responsabilité collective doit exister pour essayer de prévenir le travail dissimulé ou illégal.
Cependant, l'auteur de la disposition adoptée par l'Assemblée nationale n'a aucune connaissance de la réalité pratique de nos collectivités territoriales. Imaginer qu'une clause dans les marchés passés par les régions, les départements et les communes permet de s'assurer que le cocontractant, quel qu'il soit - grand, petit ou moyen - n'a pas recours au travail illégal montre bien une méconnaissance absolue des mécanismes.
Par conséquent, après un grand débat ce matin, la commission a soutenu la position de M. Jourdain, considérant qu'il est inutile de faire figurer dans des textes législatifs des dispositions manifestement inapplicables.
Mais je vous fais une proposition, monsieur le ministre : compte tenu de la navette qui va avoir lieu, je ne verrais aucun inconvénient, afin de bien marquer la volonté commune du Parlement et du Gouvernement de lutter contre le travail dissimulé, à envisager une annulation des marchés passés par une collectivité locale - je pense notamment aux marchés de prestations de services, au nettoyage des locaux et de la voirie - si les corps de contrôle parvenaient à démontrer le recours par le cocontractant à de la main-d'oeuvre clandestine, à du travail dissimulé.
Cela donnerait à la collectivité territoriale un droit de dénonciation de ces marchés.
En revanche, vouloir confier une nouvelle responsabilité aux élus par la simple insertion d'une clause dans un marché public serait faire preuve d'une attitude parfaitement juridique, mais totalement irréaliste, car un tel dispositif serait inapplicable sur le terrain. Ce serait tirer avec un fusil à un seul coup, ce qui n'aurait aucune efficacité.
M. Jean Delaneau. C'est tirer en l'air !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je propose, quant à moi, que nous suivions M. Jourdain et que nous supprimions la disposition ajoutée par l'Assemblée nationale sur l'initiative de personnes pleines de bonnes intentions, mais bien peu au fait de la réalité des choses ! Il est vrai que tout cela s'apprend, et qu'il faut un certain temps pour savoir comment tout cela fonctionne ! (Rires.)
Je demande donc au Gouvernement de profiter de la navette pour nous proposer un système qui permettrait aux collectivités territoriales de mettre fin, avant le terme prévu, à un marché de prestation de services ou d'exécution de travaux, dans l'hypothèse où l'un quelconque des corps de contrôle que nous avons cités dans le texte démontrerait que le cocontractant de la collectivité intéressée a fraudé et a eu recours à du travail dissimulé. Ainsi, nous aurions une responsabilité solidaire des collectivités territoriales par rapport à l'ensemble du secteur économique, et le dispositif serait applicable.
Autrement dit, l'entreprise s'engageant auprès d'une collectivité à nettoyer des locaux ou à fournir toute prestation saurait que, indépendamment de la durée prévue du contrat et des clauses normales de dénonciation, le contrat pourrait être annulé en cas d'infraction à la législation interdisant le travail dissimulé.
Voilà la proposition que je fais, de manière à ne pas laisser dire que nous refusons d'impliquer les collectivités territoriales dans cette responsabilité. Mais on ne peut pas non plus imposer à l'ensemble des acteurs des collectivités territoriales l'inscription dans leurs contrats d'une clause qui ne servira à rien et qui aura un effet nul sur le plan pratique.
Telle est, monsieur le ministre, la proposition honnête que j'essaie de vous faire, au nom de la commission et, je le pense, de l'ensemble du Sénat.
MM. Jacques Machet et Georges Mouly. Très bien !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je maintiens, bien sûr, ma position, même si je sais que, lorsque la majorité du Sénat fait un choix, il est difficile pour le Gouvernement de gagner la partie.
Cela dit, je demande vraiment à M. Fourcade et à MM. les rapporteurs de se mettre en relation avec les membres de l'Assemblée nationale. Mes services sont d'ailleurs prêts eux aussi à participer à cette réflexion, et nous demanderons également le concours du ministère de l'économie. Je ne peux en tout cas accepter que les collectivités locales et les collectivités publiques - même si je reconnais que les modalités doivent alors être adaptées - soient dispensées d'un devoir que je considère, pour ma part, comme un devoir national.
Cher président Fourcade, il m'est arrivé moi-même de mettre en garde, dans mon propre département, tel ou tel entrepreneur qui avait eu la tentation de sous-traiter un marché dans des conditions douteuses en le menaçant de l'inscrire, s'il continuait, sur une liste noire. Je l'ai fait avant même le dépôt de ce texte, parce qu'il faut qu'à un moment donné - notamment en matière de marchés publics, où sont engagés des fonds publics - nous fassions savoir que nous sommes nous aussi, comme les entrepreneurs privés, astreints à faire respecter une certaine éthique, une éthique qui doit regagner toute sa place dans ce pays.
Voilà pourquoi je ne peux que prendre acte de la proposition de M. Fourcade : je crois que son intervention permettra de mieux faire comprendre la position sénatoriale, tout en laissant ouvert le choix d'un dispositif mieux adapté d'ici à la fin de la discussion de ce texte.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 65.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne comprends pas, intellectuellement, comment une clause permettrait de s'assurer de la situation. Il appartient aux services de police, de l'inspection du travail, etc., d'assurer le contrôle !
Le premier alinéa de l'article 10 permet d'exclure des marchés publics quelqu'un qui a déjà été condamné pour infraction. C'est tout à fait logique ! Mais aucune collectivité locale n'est en mesure, par une simple clause, de s'assurer, au cours de l'exécution d'un contrat, qu'il y a ou non travail clandestin ! Je ne suis d'ailleurs même pas certain que, dans d'éminentes institutions comme la nôtre, ceux qui lavent les carreaux soient à même de vérifier en permanence que l'entreprise qui les emploie est parfaitement régulière ! Ou alors il faudrait vérifier heure par heure, ce qui semble très difficile.
En revanche, s'il y a constatation d'infraction au cours du chantier, on doit pouvoir, comme le propose M. Fourcade, annuler le marché - c'est une sanction immédiate - ou bien, comme nous l'avons décidé tout à l'heure, retirer les aides publiques.
Dans des textes de ce genre, monsieur le ministre, il faut prévoir des solutions efficaces. Or il m'a semblé, parfois, que certaines dispositions n'avaient d'autre objet que de se faire plaisir ou se donner bonne conscience. Si elles n'ont aucune efficacité, nous devrons légiférer à nouveau dans six mois, dans un an. Ce n'est pas ce que nous souhaitons !
M. André Jourdain. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le ministre, il n'était pas du tout dans mon intention de soustraire les collectivités publiques à la lutte contre le travail clandestin, bien au contraire ! Tel qu'il était rédigé, l'alinéa qui nous est proposé posait cependant un problème.
M. Fourcade, avec l'excellence que nous lui connaissons, a fait une proposition. Pour que la discussion puisse se poursuivre au cours de la navette, je souhaite donc que mon amendement soit voté. J'aurais aimé trouver une meilleure solution, mais je dois reconnaître que je n'ai pas eu, en cette saison de l'année, la possibilité d'y réfléchir davantage.
M. Marcel Debarge. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Debarge.
M. Marcel Debarge. Je reprendrai les propos de M. Fourcade et de M. le ministre.
Il est évident qu'il y a la théorie et la pratique ! Arrêter un contrat est possible, mais, si l'affaire est très engagée, cela soulève d'autres difficultés en aval. Nous avons en effet parlé de sociétés prestataires de services, mais je ne suis pas sûr que, pour certaines réalisations ou constructions, ce genre de problème ne se pose pas également. Arrêter un contrat dans de telles conditions me paraît difficile.
Il peut arriver, en revanche, que l'on suspende un contrat : lorsque, par exemple - je puis en témoigner, ayant été maire plusieurs années - les conditions de sécurité ne sont pas respectées sur un chantier, un arrêté municipal stoppe le chantier jusqu'à ce que toutes les garanties soient apportées.
Je ne veux pas non plus me faire le complice d'une quelconque malversation de la part d'une entreprise, qu'elle soit sous-traitante ou non, mais il est très difficile, pour un maire, d'arrêter brutalement un chantier ou de rompre un contrat avec une société prestataire de services chargée, par exemple, de la restauration scolaire. La suspension ou l'avertissement, la mise en demeure me paraissent suffisants.
Par ailleurs, les organismes de contrôle ont parfois de grandes difficultés à découvrir les délits en la matière.
Pour ces différentes raisons, je suis donc favorable à une réflexion approfondie en ce domaine.
Que les collectivités locales aient leur mot à dire et qu'un effort doive être accompli pour lutter contre le travail illégal, j'en suis tout à fait d'accord, mais il faut leur laisser une certaine souplesse - ce qui ne signifie pas un manque de fermeté - pour parvenir, si l'entreprise persiste, à la sanction qui s'impose et qui peut aller jusqu'à la rupture du contrat avec le prestataire de services ou la cessation de la construction.
Un délai de réflexion me semble utile. Je vois en tout cas dans notre échange la preuve d'un certain pragmatisme, monsieur Fourcade, de la part de celui qui a géré un peu les affaires des collectivités locales ! (M. Fourcade sourit.)
M. Jean Delaneau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delaneau.
M. Jean Delaneau. Si un contrat est rompu en matière de prestations de services, les collectivités territoriales - et je rejoins là les propos tenus à l'instant par M. Debarge - trouvent en général d'autres sociétés pour le reprendre !
M. Marcel Debarge. C'est la règle du marché !
M. Jean Delaneau. Quand une construction est en cours, c'est plus difficile.
Cela étant, nous payons fort cher des coordinateurs de chantier, qui ont pour mission de veiller au respect des règles de sécurité et qui sont donc investis d'un certain pouvoir de contrôle. Pourquoi - c'est une suggestion que je fais pour la suite du débat - ne seraient-ils pas investis, complémentairement et pour le même prix, j'espère, de la surveillance de la régularité des gens qui travaillent sur le chantier ?
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 65, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Maintenant que le vote a eu lieu, je ne peux que saluer la qualité du débat. Ce que nous voulons - M. Hyest, M. Fourcade, M. Debarge et tous les orateurs qui se sont exprimés l'ont dit - c'est que ce débat soit utile. Or nous en avons eu une démonstration évidente avec la discussion qui vient d'avoir lieu.
Nous sentons bien qu'il y a un objectif à atteindre, et je reconnais que le texte issu de l'Assemblée nationale péchait par maladresse et probablement par méconnaissance des données exactes de la situation.
Quoi qu'il en soit, je souhaite vivement l'introduction d'une clause permettant de viser ces situations.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10, modifié.
(L'article 10 est adopté.)
Article additionnel après l'article 10