SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Décès d'un ancien sénateur
(p.
1
).
3.
Demande d'autorisation d'une mission d'information
(p.
2
).
4.
Dépôt d'un rapport en application d'une loi
(p.
3
).
5.
Retrait de questions orales sans débat
(p.
4
).
6.
Questions orales
(p.
5
).
CONSÉQUENCES DE LA CONSTRUCTION
D'UN MULTIPLEX CINÉMATOGRAPHIQUE À PARIS (p.
6
)
Question de Mme Nicole Borvo. - M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture ; Mme Nicole Borvo.
CONTRÔLES SUR LE FINANCEMENT
DES ACTIVITÉS CULTURELLES (p.
7
)
Question de M. Ivan Renar. - MM. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture ; Ivan Renar.
CONSÉQUENCES DE LA FERMETURE
DE LA BASE LIMOGES-ROMANET (p.
8
)
Question de M. Jean-Pierre Demerliat. - MM. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration ; Jean-Pierre Demerliat.
PROBLÈMES POSÉS PAR LA CONSTRUCTION
D'UNE USINE D'INCINÉRATION (p.
9
)
Question de M. René Rouquet. - Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement ; M. René Rouquet.
POLITIQUE D'INSTALLATION DES GRANDES SURFACES (p. 10 )
Question de M. Philippe Richert. - MM. Jean-Pierre Raffarin, ministre des
petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat ; Philippe
Richert.
M. le président.
STATUT DES BÉNÉVOLES (p. 11 )
Question de M. Jean Boyer. - Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi ; M. Jean Boyer.
MISE EN PLACE DES MÉDICAMENTS GÉNÉRIQUES
DANS LE CADRE DE LA MAÎTRISE DES DÉPENSES DE SANTÉ (p.
12
)
Question de M. Gérard Delfau. - Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi ; M. Gérard Delfau.
PREMIER EMPLOI ET EXPÉRIENCE PROFESSIONNELLE (p. 13 )
Question de M. Yann Gaillard. - Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi ; M. Yann Gaillard.
SITUATION DES JURIDICTIONS D'ARRAS (p. 14 )
Question de M. Léon Fatous. - Mme Anne-Marie Couderc, ministre délégué pour l'emploi ; M. Léon Fatous.
FINANCEMENT DU CHANTIER DE LA DÉVIATION DE LA RN 12
À JOUARS-PONTCHARTRAIN (YVELINES) (p.
15
)
Question de M. Gérard Larcher. - MM. Pierre-André Périssol, ministre délégué au logement ; Gérard Larcher.
RÉALISATION DE LA DEUXIÈME TRANCHE
DE LA DÉVIATION DE LA VILLE DE SALON-DE-PROVENCE
(p.
16
)
Question de M. André Vallet. - MM. Pierre-André Périssol, ministre délégué au logement ; André Vallet.
RÉFORME DU PERMIS DE CONSTRUIRE (p. 17 )
Question de M. André Vezinhet. - MM. Pierre-André Périssol, ministre délégué au logement ; André Vezinhet.
RÉGLEMENTATION RELATIVE À L'IMPLANTATION
DES RÉSEAUX DE GRANDE DISTRIBUTION (p.
18
)
Question de M. Bernard Barraux. - M. Pierre-André Périssol, ministre délégué au logement.
MODALITÉS DU PRÉLÈVEMENT
DE LA CONTRIBUTION AU FONDS DE SOLIDARITÉ
DES COMMUNES DE LA RÉGION D'ÎLE-DE-FRANCE (p.
19
)
Question de M. Jean-Jacques Robert. - MM. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur ; Jean-Jacques Robert.
TAUX DE TVA APPLICABLE À LA MISE
À DISPOSITION DE MATÉRIEL D'ORCHESTRE (p.
20
)
Question de M. Jean Boyer. - MM. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur ; Jean Boyer.
UTILISATION DES CRÉDITS
ACCORDÉS À L'OFFICE FRANCO-ALLEMAND POUR LA JEUNESSE
AU TITRE DE L'ANNÉE 1996 (p.
21
)
Question de M. Daniel Hoeffel. - MM. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur ; Daniel Hoeffel.
Suspension et reprise de la séance (p. 22 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
7.
Rappels au règlement
(p.
23
).
MM. Claude Estier, Jack Ralite, le président.
8.
Diverses dispositions relatives à l'immigration.
- Discussion d'un projet de loi (p.
24
).
Discussion générale : MM. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur ; Paul
Masson, rapporteur de la commission des lois.
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
MM. Jacques Larché, président de la commission des lois ; Michel Rufin, Guy
Allouche, le ministre, Robert Pagès.
Demande de suspension de séance. - MM. Ivan Renar, le président. - Adoption.
Suspension et reprise de la séance (p. 25 )
Discussion générale (suite) : MM. Georges Othily, Christian Bonnet, Jean-Jacques Hyest, Michel Caldaguès, Robert Badinter.
Suspension et reprise de la séance (p. 26 )
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
Discussion générale
(suite) :
Mme Nicole Borvo, MM. Jean-Michel Baylet,
Serge Mathieu, René Marquès, Charles Ceccaldi-Raynaud, Michel Rocard, Jacques
Larché, le ministre, André Vallet, Bernard Plasait, André Diligent, Christian
Demuynck, Jacques Habert, Georges Gruillot, Alain Gournac.
Clôture de la discussion générale.
Renvoi de la suite de la discussion.
9.
Dépôt d'une question orale avec débat
(p.
27
).
10.
Transmission d'un projet de loi
(p.
28
).
11.
Dépôt d'une proposition d'acte communautaire
(p.
29
).
12.
Dépôt d'un rapport
(p.
30
).
13.
Ordre du jour
(p.
31
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
DÉCÈS D'UN ANCIEN SÉNATEUR
M. le président. J'ai le regret de faire part au Sénat du décès de notre ancien collègue Bernard Legrand, qui fut sénateur de la Loire-Atlantique de 1974 à 1992.
3
DEMANDE D'AUTORISATION
D'UNE MISSION D'INFORMATION
M. le président.
M. le président du Sénat a été saisi par M. Jacques Larché, président de la
commission des lois, d'une demande tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de
désigner une mission d'information en Guadeloupe, et plus particulièrement à
Saint-Barthélémy et à Saint-Martin, pour étudier le régime juridique applicable
dans ces deux îles.
Le Sénat sera appelé à statuer sur cette demande dans les formes fixées par
l'article 21 du règlement.
4
DÉPÔT D'UN RAPPORT
EN APPLICATION D'UNE LOI
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport annuel
d'information sur la protection et le contrôle des matières nucléaires pour
l'année 1995, établi en application de l'article 10 de la loi n° 80-572 du 25
juillet 1980.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
5
RETRAIT DE QUESTIONS ORALES
SANS DÉBAT
M. le président.
J'informe le Sénat que la question orale sans débat n° 543 de Mme Hélène Luc a
été retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance de ce
matin.
Par ailleurs, la question orale sans débat n° 534 de Mme Marie-Claude Beaudeau
a été retirée du rôle des questions orales sans débat en instance devant le
Sénat.
6
QUESTIONS ORALES
M. le président. L'ordre du jour appelle les réponses à des questions orales sans débat.
CONSÉQUENCES DE LA CONSTRUCTION
D'UN MULTIPLEX CINÉMATOGRAPHIQUE À PARIS
M. le président.
Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le ministre de la culture sur les
conséquences néfastes qu'aurait la construction d'un multiplex
cinématographique à Paris pour le pluralisme culturel de la capitale. Celle-ci
mettrait en péril nombre de salles à Paris et en banlieue.
Ces mégacomplexes induisent une structuration de la ville : de vastes zones,
des quartiers entiers, voire des arrondissements restent déserts le soir, et
des quartiers dits « spécialisés » apparaissent.
De plus, il semble que le préfet qui préside la commission d'équipement
cinématographique de Paris, auprès de laquelle la société Gaumont a déposé une
demande d'autorisation, n'ait pas pris, comme le prévoit la loi, un arrêté
fixant la composition de ladite commission.
Ce serait extrêmement grave, puisque, pour se prononcer sur un tel projet,
cette commission, présidée par le préfet, doit se voir remettre par la société
qui demande l'autorisation les conclusions d'une étude permettant d'apprécier
l'impact prévisible du projet. Le délai pour que la commission donne son avis a
donc toutes les chances d'être forclos.
En effet, le décret d'application du 20 décembre 1996 prévoit dans son article
16 que, si aucune décision n'a été signifiée au demandeur avant la date fixée,
l'autorisation est réputée accordée.
Pour toutes ces raisons, Mme Borvo demande à M. le ministre ce qu'il compte
faire afin d'entamer sans délai une large concertation avec les professionnels
du cinéma et de faire en sorte que la commission d'équipement cinématographique
soit réunie à ce sujet.
Elle lui demande également si ses services ont eu connaissance de cette
demande d'autorisation et, si c'est le cas, comment elle a été instruite. (N°
545.)
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le ministre, la construction d'un multiplex cinématographique dans le
XVe arrondissement de Paris ne nous paraît pas correspondre aux besoins de la
capitale en matière de pluralisme culturel.
Ce projet, vous le savez, donne la possibilité à la société Gaumont de
construire, dans des conditions très intéressantes du point de vue financier,
un ensemble cinématographique de quatorze, quinze, voire seize salles de
cinéma, représentant près de 4 000 places.
Il est certainement très prometteur pour Indosuez, la Lyonnaise des eaux,
Dumez, Forest-Hill ou les Mutuelles du Mans, qui participent à son financement,
mais l'expérience des deux mégacomplexes existant déjà à Paris, aux Halles et à
Montparnasse, laisse présager que la réalisation d'un projet d'une telle
ampleur aurait des conséquences énormes pour la fréquentation des autres salles
dans une zone géographique très étendue, comprenant non seulement le XVe
arrondissement, mais aussi d'autres arrondissements limitrophes et le
département des Hauts-de-Seine.
L'implantation de ces mégacomplexes induit en effet une structuration de la
ville : de vastes zones, voire des arrondissements entiers restent déserts le
soir, tandis que l'on constate l'apparition de quartiers « spécialisés » dans
les activités culturelles.
Même le quartier Saint-Michel, bien connu, ne semble pas épargné : la baisse
de fréquentation des salles y est considérable depuis l'installation du
multiplex des Halles.
Pis encore, ces mégacomplexes, en raison de leur puissance financière,
influencent en fait l'ensemble de la distribution. Le constat est déjà dressé :
les effets sur la diversité de la programmation et sur la durée d'exploitation
des films en salle, en France comme à l'étranger, sont désastreux.
Ainsi, en Grande-Bretagne, où l'on suit cette logique à toute force, les films
britanniques ont pratiquement cédé la place au seul cinéma nord-américain.
En ce qui concerne le nouveau multiplex du XVe arrondissement, il a été
demandé au Conseil de Paris de se prononcer sur un projet sans avoir recueilli
l'avis de la commission d'équipement cinématographique de Paris, présidée par
le préfet.
En effet, la société Gaumont aurait déposé sa demande voilà quatre mois, et il
semble bien que le préfet de Paris n'ait pas pris, comme la loi le prévoit, un
arrêté fixant la composition de ladite commission, qui ne se serait donc pas
réunie.
Par conséquent, le délai dans lequel la commission doit donner son avis sera
probablement écoulé ; or le décret d'application du 20 décembre 1996 prévoit
dans son article 16 que, si aucune décision n'a été signifiée au demandeur
avant la date fixée, l'autorisation est réputée accordée.
Dans une affaire d'une telle importance, le représentant de l'Etat aurait donc
« laissé filer » ! C'est impensable, et j'espère, monsieur le ministre, que
vous allez m'annoncer aujourd'hui que la commission se réunira, ce qui
correspondrait tout simplement à l'application de la loi.
Par ailleurs, je souhaiterais savoir ce que vous comptez faire pour que soit
entreprise une large concertation avec les professionnels du cinéma, sur ce cas
précis du « Gaumont Aquaboulevard », mais aussi sur tous les projets de
construction de complexes cinématographiques, à Paris ou ailleurs.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy,
ministre de la culture.
Comme vous l'avez souligné, madame le sénateur,
l'apparition récente, en France, d'un nouveau type de complexes
cinématographiques, les multiplex, suscite l'inquiétude conjointe d'une partie
des exploitants et surtout des collectivités territoriales.
En effet, ces nouveaux établissements, qui comptent généralement plus de dix
écrans et qui offrent au public un grand choix de séances, mais également de
larges espaces d'accueil proposant d'autres activités et des facilités de
parking, sont susceptibles d'attirer une clientèle très nombreuse.
Cette offre supplémentaire peut certes engendrer des conséquences positives
pour la fréquentation cinématographique globale, mais également capter la
clientèle à son profit et déstabiliser les salles situées à proximité. C'est
particulièrement vrai à Paris.
Personnellement, je suis très attaché aux salles de cinéma classiques
implantées au coeur de nos villes, dont j'estime qu'il faut enrayer la
désertification.
Toutefois, la création de ces complexes est encore trop récente pour que l'on
puisse analyser leur impact à moyen terme. Les chiffres disponibles pour
l'année 1995 et ceux pour 1996, qui sont en cours d'examen, semblent cependant
indiquer une grande diversité des situations locales.
Dans le souci de mesurer en permanence les effets des évolutions du parc de
salles, j'ai décidé de créer un observatoire de la diffusion et de la
fréquentation cinématrographiques qui réunit, sous la présidence du directeur
général du Centre national de la cinématographie, toutes les branches de la
profession. Cet observatoire a d'ailleurs commandé une étude sur l'impact des
nouveaux types d'établissements, dont les résultats devraient lui être
prochainement communiqués.
Ce que vous avez dit sur le cinéma anglais, madame Borvo, soulève évidemment
un problème, mais les premiers résultats disponibles montrent que, cette année,
les multiplexes ont plutôt favorisé le cinéma européen. Toutefois, seule une
observation sur plusieurs années permettra de constater une évolution négative
éventuelle.
Par ailleurs, le Parlement, par le vote de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996
relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, a
décidé que la création de nouveaux ensembles de salles de plus de 1 500 places
serait soumise à l'agrément préalable des commissions départementales
d'équipement cinématographique, afin d'apprécier les conséquences que leur
ouverture pourrait entraîner pour le tissu urbain et la vie sociale.
Cependant, dans le souci de faciliter la modernisation des installations
implantées en centre-ville - on peut y construire des multiplex - le Parlement,
par cette même loi, a porté à 2 000 fauteuils le seuil retenu pour soumettre à
autorisation l'extension des complexes existant depuis cinq ans. La législation
mise en place à cet effet le 5 juillet 1996 et le décret d'application du 20
décembre dernier ne prévoient pas la création d'une commission permanente, car
la composition de cette instance est définie en fonction de chaque dossier et
varie selon l'implantation future du projet.
S'agissant du dossier que vous avez évoqué, madame Borvo, qui est mis en
oeuvre par la société Gaumont et qui concerne le site de l'Aquaboulevard, dans
le XVe arrondissement de Paris, une demande est en cours d'instruction par les
services de la préfecture de Paris. Elle devrait être soumise à la commission
départementale lors d'une réunion dont la date sera prochainement fixée. Je ne
peux donc vous en dire plus pour l'instant.
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu
nous apporter. Si j'ai bien compris, la commission devra se prononcer. C'est
précisément ce que nous souhaitons.
Puisque vous avez créé un observatoire pour étudier les multiplexes, il serait
regrettable de construire de nouveaux multiplexes autour de Paris avant de
disposer d'une évaluation sérieuse.
Il serait nécessaire, comme le demandent les Parisiens qui, dans de nombreux
endroits, se sont mobilisés pour avoir des cinémas de quartier, et les
professionnels qui souhaitent des salles à taille humaine, qu'une concertation
ait lieu avec toutes les personnes concernées.
Comme le disait André Malraux, le cinéma n'est pas seulement une industrie,
c'est aussi un projet culturel. Il faut éviter que les films ne se consomment
comme du pop-corn.
CONTRO^LES SUR LE FINANCEMENT
DES ACTIVITÉS CULTURELLES
M. le président.
Un nombre de plus en plus élevé de structures culturelles, fonctionnant sous
forme d'associations régies par la loi de 1901, sont soumises à des contrôles
et à des redressements fiscaux. Les activités culturelles sont ainsi
assimilées, par les services du fisc, à des activités commerciales. De fait,
les associations doivent être assujetties à l'impôt sur les sociétés, à la taxe
professionnelle et à la taxe d'apprentissage.
Cette vision erronée et à courte vue des activités culturelles, uniquement
fondée sur la recherche de nouveaux « gisements » fiscaux, menace l'existence
même de très nombreuses structures culturelles. Elle constitue également une
remise en cause du système français de financement de la culture, des arts, que
l'on caractérise par l'expression « exceptionnalité française ».
En conséquence, M. Ivan Renar demande à M. le ministre de la culture quelles
mesures il compte prendre pour s'opposer à de telles pratiques et pour protéger
les structures menacées. (N° 540.)
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans sa
chasse aux « gisements fiscaux », le ministère de l'économie et des finances a
trouvé de nouvelles cibles de choix : les structures culturelles.
Sont ainsi visées les structures organisées sous forme d'association « loi de
1901 » dont certaines activités, exercées dans un secteur concurrentiel, comme
la billetterie et la publicité, sont assimilées à de simples activités
commerciales. De fait, sont désormais exigés taxe professionnelle, taxe
d'apprentissage et impôt sur les sociétés. Les médias ont longuement évoqué la
situation de l'orchestre de l'Opéra et celle du festival de Montpellier. La
Grande Ecurie et la Chambre du Roy, dirigée par Jean-Claude Malgoire et qui se
produit dans le cadre de l'Atelier lyrique de Tourcoing, n'y a pas échappé, pas
plus que de nombreuses autres structures dont l'énumération serait trop longue.
Assimiler ainsi activité culturelle et activité commerciale ne peut manquer
d'avoir des conséquences perverses.
Mesure-t-on toutes les conséquences de cette situation ? Alourdir la charge
fiscale des structures culturelles, c'est toucher à des équilibres très
précaires. En clair, personne ne pourra faire face à ces dépenses nouvelles,
sauf à réduire les activités et les créations, à augmenter les prix ou à
solliciter de très hypothétiques hausses de subventions. Au bout du compte,
c'est dans tous les cas le public qui sera lésé.
Nous touchons là le coeur du problème. Traiter la culture du seul point de vue
économique ou fiscal, c'est maltraiter le fondement même de l'activité
culturelle. C'est la ramener à un superflu, à un supplément d'âme facultatif
dont nous pourrions nous passer. C'est nier son rôle social, son apport dans le
développement des citoyens. On nous parle trop souvent du coût de la culture,
mais se pose-t-on la question du coût de l'absence de culture ? Aucun
orchestre, aucun théâtre, aucun opéra n'a pour logique la recherche du profit.
Or, dans ces temps de barbarie ordinaire, on a plus que jamais besoin de ces
moments d'humanité et de civilisation qu'offre le partage de l'émotion
artistique. La subvention que Bercy veut taxer n'est, en définitive, qu'une
aide sociale pour que la culture soit accessible à tous.
Je ne fais pas de Bercy un bouc émissaire. Il y a un gouvernement, un Premier
ministre et un ministre de la culture que j'interroge aujourd'hui ! Mais je
m'inquiète et je proteste contre toutes ces pratiques qui, cumulées,
affaiblissent notre vie culturelle.
Je prendrai un exemple frappant pour illustrer mon propos, je veux parler du
licenciement de M. Gérard Paquet, le directeur du Théâtre national de la danse
et de l'image de Châteauvallon, sans aucune raison de fond valable. Comment ne
pas voir dans ce que l'intéressé lui-même a appelé un « lynchage politique » le
résultat d'un règlement de comptes anticulturel mené par l'extrême droite ? En
l'occurrence, je m'étonne, comme beaucoup de personnes et vous le savez bien,
monsieur le ministre, du recul de l'autorité de l'Etat considéré
globalement.
C'est pourquoi je vous demande de mettre tout en oeuvre pour mettre fin à ces
procédés.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy,
ministre de la culture.
D'abord, je ne voudrais pas, monsieur le
sénateur, que soit fait un amalgame entre, d'une part, un administrateur
judiciaire qui décide de licencier M. Paquet - comme je l'ai déjà dit à
plusieurs reprises, je regrette ce licenciement car j'ai toujours aidé M.
Paquet, qui a toute ma confiance - et, d'autre part, l'aspect fiscal et le
problème de l'impôt sur les sociétés, de la taxe professionnelle et de la TVA.
Il s'agit de deux choses différentes. Je le dis ici clairement : c'est en
faisant des amalgames de ce genre que l'on risque des ennuis avec l'extrême
droite.
Pour ma part, je suis derrière l'équipe de Gérard Paquet, qui anime depuis
trente ans le festival de Châteauvallon.
La question que vous m'avez posée concerne le problème de la fiscalité des
associations culturelles, sujet que je connais bien et qui est au centre des
préoccupations de mon département ministériel.
J'ai déjà écrit à plusieurs reprises au ministre de l'économie et des finances
et au ministre délégué au budget pour leur faire part de mes préoccupations sur
les contrôles fiscaux en cours.
Je sais le Premier ministre très sensible aux enjeux importants de ce dossier,
qui s'inscrit dans celui, plus global, de la fiscalité des associations de la
loi de 1901. Il a d'ailleurs tenu à le préciser récemment.
Je rappelle qu'un groupe de travail ministériel, constitué sur l'initiative du
Premier ministre sous l'égide du Conseil national de la vie associative, a
examiné la possibilité de définir un concept d'utilité sociale déterminant un
statut juridique et fiscal particulier des associations d'intérêt général.
Les propositions de ce groupe de travail sont actuellement à l'étude et
donneront lieu à des précisions du Gouvernement. Je souhaite bien évidemment,
comme vous, que les différentes associations culturelles puissent bénéficier
d'aides maximales pour qu'elles ne soient pas pénalisées car elles constituent
le tissu culturel vivant de notre pays.
Le Gouvernement sera particulièrement attentif - je m'y engage - à ne pas
pénaliser les nombreuses associations culturelles qui, sur le terrain, font un
travail remarquable pour rendre la culture accessible à tous.
C'est en ce sens que je voudrais rappeler les propos récents du Premier
ministre, qui a souhaité que les associations ne fassent pas les frais d'un
changement d'interprétation de l'administration fiscale.
En ce qui concerne la situation du Théâtre national de la danse et de l'image
de Châteauvallon, dont vous me parlez, j'ai personnellement soutenu depuis juin
1995, et à de nombreuses reprises, M. Gérard Paquet, son équipe et son
projet.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Et moi, financièrement !
M. Philippe Douste-Blazy,
ministre de la culture.
Je voudrais profiter de sa présence au banc du
Gouvernement pour dire que M. Gaudin, qui est président du conseil régional de
la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, a toujours aidé financièrement le
festival de Châteauvallon. En effet, sans son aide, depuis plusieurs années, il
n'aurait pas été possible de financer ce festival. Vous êtes devant des
personnes qui sont des démocrates, qui ont voulu sauver ce centre culturel.
Châteauvallon est probablement l'un des points de référence de la culture du
sud de la France voire, disons-le, un des points de référence de la culture de
la France ou même de l'Europe.
Je vous invite à faire la différence entre des mécanismes qui relèvent de la
fiscalité et une offensive généralisée, pensée et construite contre la culture,
qui est le fait de l'extrême droite.
C'est tous ensemble que nous parviendrons à la stopper. Dans cet esprit, nous
nous réunissons le 6 février prochain, avec les collectivités territoriales
concernées, de façon à affirmer la pérennité d'un lieu tel que Châteauvallon,
qui, comme chacun le sait, est un pôle de rayonnement culturel majeur.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Très bien !
M. Ivan Renar.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar.
Monsieur le ministre, je vous donne acte de votre réponse.
En ce qui concerne Châteauvallon, ne voyez pas d'amalgame de ma part. Mon
intervention traduit une émotion générale. Je connais vos efforts, je connais
aussi les efforts du conseil régional de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur
et de son président, M. Gaudin, à la fois sur le plan financier et sur le plan
politique, le mot « politique » étant employé ici au meilleur sens du terme.
Cela dit, l'émotion vient lorsque les problèmes se posent.
Pour le reste mon inquiétude persiste, et je suis obligé de la relier à toute
une série d'aspects qui déstabilisent actuellement la vie culturelle, laquelle
est, à notre époque, un élément de civilisation.
Actuellement, a lieu un débat de fond, auquel vous participez, sur la
conception, le rôle, la place de la culture et la responsabilité de l'Etat dans
ce domaine. En tout état de cause, nous serons d'accord, je crois, pour dire
que la culture n'est pas une marchandise.
Mais si on s'alignait sur la volonté de Bercy, qui s'affirme sur l'ensemble du
territoire, de passer le budget « à la toise », pour reprendre l'expression de
la commission Rigaud, ce serait l'amorce d'un recul de civilisation, la remise
en question de cette « exceptionnalité française », selon laquelle un
financement public intervient dans le domaine des arts, de la création, de la
culture.
Or la tentation de considérer la culture comme une activité commerciale est,
hélas ! là, et bien là. C'est d'ailleurs le même état d'esprit qui a présidé à
la suppression de l'abattement de 20 % pour les musiciens et les artistes et
aux attaques contre le statut des intermittents du spectacle. On pourrait
également évoquer les problèmes, que vous connaissez bien, des dations, de la
remise en question de la loi Malraux et du retrait - j'attire votre attention
sur ce point, monsieur le ministre - des représentants de l'Etat des bureaux
des conseils d'administration de grandes structures culturelles. Autant
d'éléments d'inquiétude, et qui vont dans le sens du retrait de l'Etat.
Cela dit - et je suis prêt à vous soutenir dans vos efforts - vouloir faire
des économies sur un budget qui représente moins de 1 % du budget de l'Etat,
c'est faire des économies de bouts de chandelles, je l'ai dit à plusieurs
reprises aux représentants du ministère de l'économie et des finances. Cela ne
peut en rien régler le problème du déficit budgétaire de l'Etat. En revanche,
quel gâchis, quels dégâts pour les structures culturelles ! Il faut sortir de
la démarche selon laquelle il est fatal qu'il soit fatal que la culture soit
toujours traitée après.
CONSÉQUENCES DE LA FERMETURE
DE LA BASE LIMOGES-ROMANET
M. le président.
M. Jean-Pierre Demerliat rappelle à M. le ministre de l'aménagement du
territoire, de la ville et de l'intégration que, au cours de l'année 1997, la
base aérienne 274 de Limoges-Romanet va fermer ses portes. Seulement une
soixantaine d'agents, sur les cent quarante personnels civils employés sur le
site, ont bénéficié d'un reclassement à Limoges ou dans le département, ce qui
veut dire que les autres devront très certainement chercher un emploi
ailleurs.
Les militaires, cadres et appelés, ainsi que leurs familles, vont, eux aussi,
quitter Limoges et la Haute-Vienne.
Par ailleurs, des menaces semblent peser sur la circonscription militaire de
défense de Limoges, CMD.
Créée en 1991, dans le cadre du plan « Armées 2000 » lancé par Pierre Joxe,
alors ministre de la défense, l'installation de la CMD s'était traduite par
l'arrivée d'environ 450 familles - militaires et civiles - et par d'importants
travaux, notamment sur le site de Beaublanc et de la Visitation, travaux
représentant plus de 40 millions de francs.
La disparition de la CMD de Limoges se traduirait bien sûr par le départ de
familles à revenus disons convenables, et l'économie locale en pâtirait bien
évidemment.
Si l'on ajoute à cela les réticences nouvelles du Centre national pour
l'aménagement des structures des exploitations agricoles le CNASEA, à quitter
Issy-les-Moulineaux pour Limoges, comme cela avait été décidé par le comité
interministériel d'aménagement du territoire - CIAT - du 26 janvier 1992 et
confirmé par le conseil d'administration dudit CNASEA le 28 juin 1994, si l'on
ajoute également les difficultés que rencontrent certaines entreprises du
secteur privé - porcelaine, habillement - on constate que, depuis deux ou trois
ans, Limoges et la Haute-Vienne voient leur potentiel économique s'affaiblir de
manière importante et inquiétante.
Il lui serait reconnaissant de bien vouloir tout mettre en oeuvre, en tant que
responsable de l'aménagement du territoire, pour remédier aux graves
conséquences de ces nombreuses disparitions d'emplois qui frappent durement le
département de la Haute-Vienne. (N° 544.)
La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Monsieur le ministre, la base aérienne 274 de Limoges-Romanet va, au cours de
l'année 1997, fermer ses portes. Seulement une soixantaine d'agents, sur les
cent quarante personnels civils employés sur le site, ont bénéficié d'un
reclassement à Limoges ou dans le département, ce qui signifie que les autres
devront très certainement chercher un emploi ailleurs.
Les militaires, cadres et appelés, ainsi que leurs familles, vont, eux aussi,
quitter Limoges et la Haute-Vienne.
Par ailleurs, des menaces semblent peser sur la circonscription militaire de
défense de Limoges, CMD.
Créée en 1991, dans le cadre du plan « Armées 2000 » lancé par Pierre Joxe,
alors ministre de la défense, l'installation de la CMD s'était traduite par
l'arrivée d'environ 450 familles - militaires et civiles - et par d'importants
travaux, notamment sur le site de Beaublanc et de la Visitation, travaux
représentant plus de 40 millions de francs.
La disparition de la CMD de Limoges se traduirait assurément par le départ de
familles à revenus disons convenables, et l'économie locale en pâtirait bien
évidemment.
Si l'on ajoute à cela les réticences nouvelles du Centre national pour
l'aménagement des structures des exploitations agricoles le CNASEA, à quitter
Issy-les-Moulineaux pour Limoges, comme cela avait été décidé par le comité
interministériel d'aménagement du territoire - CIAT - du 26 janvier 1992 et
confirmé par le conseil d'administration dudit CNASEA le 28 juin 1994 ainsi
que, très récemmentencore, par M. le ministre de l'agriculture, si l'on ajoute
également les difficultés que rencontrent certaines entreprises du secteur
privé telles que celles de la porcelaine ou de l'habillement, on constate que,
depuis deux ou trois ans, Limoges et la Haute-Vienne voient leur potentiel
économique s'affaiblir de manière importante et inquiétante.
Monsieur le ministre, vous êtes en charge de l'aménagement du territoire.
Aussi, je vous serais reconnaissant de bien vouloir tout mettre en oeuvre pour
pallier les graves conséquences de ces nombreuses disparitions d'emplois qui
frappent durement le département de la Haute-Vienne et m'indiquer les mesures
que vous envisagez.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Monsieur le sénateur, la restructuration de notre outil de défense est une
nécessité. Différer plus longtemps cette restructuration courageuse aurait en
effet mené tout droit à une impasse.
Pour autant, ainsi que M. le Président de la République lui-même s'y est
engagé, les mesures de restructuration doivent, à Limoges comme ailleurs,
respecter l'aménagement du territoire.
Je note ainsi, pour ce qui concerne la base aérienne de Limoges-Romanet, que
sur cent vingt-six personnes qui y étaient employées, toutes, à quelques
exceptions près, ont retrouvé un poste à Limoges ou dans le département de la
Haute-Vienne.
Vous évoquez des menaces à venir sur la présence militaire dans cette ville.
Pour l'instant, aucun élément ne permet de les étayer.
En effet, le plan de réorganisation présenté en juillet dernier par le
ministre de la défense ne mentionne aucune réorganisation des états-majors
opérationnelle ou géographique qui concernerait la circonscription militaire de
Limoges. Bien au contraire, ce plan prévoit l'installation dans cette ville
d'un centre de rendez-vous citoyen, qui va y conforter la présence
militaire.
J'en viens au CNASEA. Je puis vous assurer, monsieur le sénateur, que le
principe de la délocalisation à Limoges du siège du CNASEA n'a pas été remis en
cause par le Gouvernement. Néanmoins, des obstacles, notamment de nature
immobilière - le conseil d'administration du CNASEA a en effet été contraint,
en 1996, de résilier le contrat de maîtrise d'oeuvre qu'il avait conclu pour la
construction de son siège - retardent la réalisation de ce projet.
Aussi le calendrier d'exécution de ce transfert doit-il être rééxaminé en
tenant compte également de la situation financière de l'établissement.
Cependant, je peux vous confirmer que le principe du transfert d'une antenne à
Limoges est d'ores et déjà retenu.
Concernant de façon plus générale le développement économique de Limoges,
auquel vous êtes très attaché, monsieur le sénateur, je puis vous assurer non
seulement que les engagements passés seront tenus, mais aussi que tous mes
services sont mobilisés à vos côtés et qu'ils tiendront le plus grand compte de
vos observations.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat.
Monsieur le ministre, je serai bref et je n'engagerai avec vous aucune
polémique. Vous êtes toujours d'une exquise courtoisie avec les représentants
du Parlement,...
M. Gérard Delfau.
C'est vrai !
M. Jean-Claude Gaudin,
ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration.
Merci !
M. Jean-Pierre Demerliat.
... et je ne souhaite donc pas vous adresser des paroles désagréables qui, en
fait, viseraient plutôt l'ensemble du Gouvernement dont vous êtes membre.
Je prends acte de vos promesses au nom du Gouvernement, de faire en sorte que
la présence militaire à Limoges ne sorte pas diminuée des restructurations
actuelles.
S'agissant du CNASEA, point qui m'intéresse tout particulièrement, je vous
donne acte également du fait que les retards actuels résultent des difficultés
rencontrées pour l'établissement du siège à Limoges. Le maire de Limoges, si
mes souvenirs sont exacts, avait proposé au CNASEA de réaliser une installation
immobilière sur un terrain qui a été réservé à cet effet. Par conséquent, si la
construction doit se faire, la mairie de Limoges est, à mon avis, encore
décidée à l'entreprendre.
Mais vous avez dit, monsieur le ministre, que le principe du transfert d'une
antenne à Limoges est d'ores et déjà retenu. Cela signifie donc que le reste, à
savoir le siège, ne suivra pas, ce qui aura pour conséquence une perte sèche de
400 à 500 emplois !
De grâce, monsieur le ministre, vous qui jouissez d'un certain poids dans ce
gouvernement, essayez de faire en sorte qu'il tienne les engagements de ses
prédécesseurs et assure ainsi la continuité de l'Etat dans ce pays !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
PROBLÈMES POSÉS
PAR LA CONSTRUCTION D'UNE USINE D'INCINÉRATION
M. le président.
M. René Rouquet appelle l'attention de Mme le ministre de l'environnement sur
les conséquences de l'alerte à la pollution de niveau 2 déclenchée par Airparif
le 13 janvier dernier, qui a mis directement en cause la centrale à combustion
EDF de Vitry-sur-Seine, celle-ci se voyant immédiatement contrainte de réduire
sa production de moitié.
Incriminée comme lors d'une précédente alerte au dioxyde de soufre intervenue
en novembre 1995, cette centrale est située dans le périmètre direct d'une zone
fortement urbanisée, sur un secteur où sont déjà concentrées de nombreuses
industries polluantes, et qui est voué à accueillir prochainement, outre une
turbine à combustion, une usine d'incinération dont le principe vient d'être
voté par l'assemblée départementale.
Face à une telle concentration de nuisances atmosphériques qui portent une
atteinte grave à la santé de milliers d'habitants de ce secteur, et plus
particulièrement des communes d'Alfortville, de Choisy-le-Roi, de
Maisons-Alfort et de Vitry, il lui demande en conséquence si elle est
déterminée à mener le combat, avec les élus et les populations concernées, pour
s'opposer à la construction de cette usine d'incinération. (N° 537.)
La parole est à M. Rouquet.
M. René Rouquet.
Madame le ministre, je voudrais une nouvelle fois appeler votre attention sur
les problèmes de pollution atmosphérique qui se posent de façon de plus en plus
criante autour du site Arrighi de Vitry-sur-Seine.
Comme vous le savez, l'alerte récente à la population au dioxyde de soufre
déclenchée en région parisienne a de nouveau directement mis en cause la
centrale à combustion EDF établie sur ce site : comme l'a rappelé ici, le 23
janvier dernier, le porte-parole du Gouvernement, M. Lamassoure, cette centrale
à combustion s'est vue immédiatement contrainte, face au taux alarmant de SO2
rejeté dans l'atmosphère, de réduire sa production de moitié. Sachant que ce
gaz irritant est connu pour ses graves conséquences sur la santé publique et
qu'il serait, selon des études scientifiques, la cause de certains décès
prématurés chaque année en France, cet incident établit de façon irréfutable,
s'il en était encore besoin, le caractère éminemment dangereux de cette unité
de production.
Cette nouvelle alerte renforce les craintes avérées que j'ai déjà eu
l'occasion de vous exprimer à maintes reprises, ici même, sur les dangers
pesant sur les milliers d'habitants d'Alfortville, de Choisy-le-Roi, de
Maisons-Alfort et de Vitry-sur-Seine, autant de communes situées dans le
périmètre direct de ce site, qui est maintenant voué à accueillir, outre une
nouvelle turbine à combustion, une usine d'incinération.
Aussi, madame le ministre, je vous demande aujourd'hui de bien vouloir
m'accorder votre soutien face à cette décision lourde de conséquences
d'implanter une nouvelle unité polluante dans ce secteur, ce qui ne manquerait
pas de poser un problème grave de santé publique.
M'accorder votre soutien, en venant constater par vous-même sur le terrain le
caractère inadmissible d'une telle accumulation de nuisances en milieu urbain
auxquelles sont confrontés les habitants de ce secteur, qui n'en peuvent plus
de vivre indéfiniment au rythme des alertes à la pollution et qui, aujourd'hui,
attendent des actes, ce serait montrer, comme vous l'avez déjà prouvé
précédemment, à quel point vous êtes soucieuse des problèmes de pollution
atmosphérique.
M'accorder votre soutien, madame le ministre, ce serait dire enfin que vous
êtes déterminée à mener sans plus tarder le combat aux côtés des populations
concernées et de leurs élus, en vous opposant, avec nous, à la construction de
cette usine d'incinération, et ce avant qu'il ne soit trop tard et que l'on ne
nous dise un jour : « Vous saviez tout cela : qu'avez-vous fait ? »
Avant d'envisager un tel scénario catastrophe, madame le ministre, je vous
demande aujourd'hui de nous accorder votre soutien.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Corinne Lepage,
ministre de l'environnement.
Monsieur le sénateur, je comprends tout à
fait votre inquiétude, et je vais donc m'efforcer de répondre à la question que
vous m'avez posée.
Le projet d'implantation d'un centre de valorisation des déchets ménagers à
Vitry-sur-Seine, comprenant la construction d'une déchetterie, d'un centre de
tri et d'une unité d'incinération, a été intégré au projet de plan
départemental d'élimination des déchets ménagers et assimilés du Val-de-Marne
approuvé par le conseil général du Val-de-Marne, le 9 décembre 1996. Il a,
depuis, reçu un avis favorable du conseil départemental d'hygiène et de la
commission du plan régional d'élimination des déchets industriels spéciaux. Il
est actuellement soumis pour avis aux conseils généraux des départements
limitrophes.
Le dossier de demande d'autorisation d'exploiter le centre de valorisation de
Vitry-sur-Seine a été déposé à la préfecture du Val-de-Marne le 17 décembre
1996. Le dossier étant incomplet actuellement, il devra donc être complété
avant de pouvoir faire l'objet de la procédure prévue par la réglementation
relative aux installations classées, qui comporte notamment une enquête
publique.
L'utilisation d'un modèle mathématique a permis d'évaluer l'impact du projet
sur la qualité de l'air ambiant dans le voisinage du projet du centre de
valorisation. L'étude de dispersion montre que le centre devrait affecter très
faiblement la qualité de l'air, ce qui peut être attribué à la mise en place
sur l'usine d'incinération d'équipements particulièrement performants de
traitement des fumées.
La réduction des émissions de la centrale thermique de Vitry-sur-Seine a
d'ores et déjà été entamée par l'équipement de l'une de ses trois tranches de
brûleurs bas NOx. Par ailleurs, EDF s'engage à réduire de moitié la production
de sa centrale en cas de pointe de pollution de niveau 2 et à arrêter toute
production en cas de pointe de pollution de niveau 3.
Enfin, la loi du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de
l'énergie impose l'élaboration, dans toutes les agglomérations de plus de 250
000 habitants, de plans de protection de l'atmosphère. Un décret en Conseil
d'Etat précisera les mesures qui pourront être mises en oeuvre pour atteindre
les objectifs fixés par ces plans, notamment en ce qui concerne les règles de
fonctionnement et d'exploitation de certaines catégories d'installations et
l'augmentation de la fréquence des contrôles des émissions des installations.
En Ile-de-France, l'élaboration du plan de protection de l'atmosphère pourra se
fonder sur les travaux déjà menés en vue de la modification de la zone de
protection spéciale contre les pollutions atmosphériques.
Néanmoins, monsieur le sénateur, je suis très sensibilisée par les questions
de pollution de l'air dans ce secteur.
Aussi ai-je demandé à l'inspection générale de procéder à une étude spécifique
sur l'état actuel de la pollution atmosphérique dans cette zone précise de
manière à avoir une vue tout à fait exhaustive, non par modèle mathématique,
mais dans la réalité, de la pollution cumulée qui peut aujourd'hui exister
autour de la centrale de Vitry-sur-Seine. Ainsi, nous serons à même de discuter
à partir de bases particulièrement précises.
Telles sont, monsieur le sénateur, les informations que je suis à même de vous
donner, étant entendu que j'attendrai les conclusions de ce rapport pour
délivrer les autorisations.
M. René Rouquet.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Rouquet.
M. René Rouquet.
Madame le ministre, votre conclusion me rassure, car vous avez répondu en
partie à ma question, s'agissant du soutien que vous pouvez apporter à des
populations, qui ne s'expriment pas encore en manifestant, même si certaines
organisations écologistes se sont réunies cette semaine à Paris.
Aujourd'hui, les élus et les populations concernées ont la possibilité, me
semble-t-il, d'entamer avec vous un dialogue. Vous avez indiqué que vous alliez
lancer une étude ; je la réclame depuis bien longtemps, et je suis donc
satisfait. J'espère que, lorsque vous disposerez des résultats de cette étude,
vous pourrez alors engager une concertation avec les maires du secteur
concerné. A ce moment-là, nous pourrons peut-être progresser tous ensemble,
sans que les populations ne ressentent le besoin de s'exprimer dans la rue,
comme c'est le cas aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
POLITIQUE
D'INSTALLATION DES GRANDES SURFACES
M. le président.
M. Philippe Richert attire l'attention de M. le ministre des petites et
moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat sur la loi du 5 juillet
1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat,
portant sur la réforme de l'urbanisme commercial - dont les décrets
d'application ont été publiés en décembre 1996 - et plus particulièrement sur
la question des demandes déposées devant les commissions départementales
d'équipement commercial.
Il lui rappelle que la loi précise que c'est l'emploi qui est pris comme un
des critères majeurs d'attribution. Ainsi, il paraît important, avant
d'attribuer les autorisations à des grandes surfaces notamment, de considérer
la rentabilité globale du centre commercial dans lequel elles désirent
s'installer.
L'exemple du centre Parinor, situé dans la Seine-Saint-Denis, mérite d'être
signalé. Celui-ci, opérationnel depuis 1974, a eu une rentabilité croissante
jusqu'en 1991, mais celle-ci s'est infléchie par la suite. De nouveaux
investissements ont eu lieu, créant de nouveaux emplois, et, aujourd'hui, tous
les secteurs commerciaux confondus semblent satisfaits ; l'installation
d'autres grandes surfaces sur ce site pourrait infléchir davantage la
rentabilité du centre Parinor. Moins de rentabilité est synonyme à terme de
moins d'emplois.
Aussi, il lui demande quelle recommandation le ministre des petites et
moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat donnerait aux autorités
locales chargées d'instruire les dossiers et d'attribuer les autorisations,
pour qu'elles harmonisent rentabilité et emploi, dans la perspective
d'installations, peut-être hasardeuses, de grandes surfaces, sachant qu'il n'y
a aucune vertu à ajouter une concurrence lorsque l'offre est remplie ? (N°
538.)
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Monsieur le ministre, je me permets d'attirer votre attention sur la loi du 5
juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de
l'artisanat, portant sur la réforme de l'urbanisme commercial - les décrets
d'application ont été publiés en décembre 1996 - et plus particulièrement sur
la question des demandes déposées devant les commissions départementales
d'équipement commercial.
En effet, la loi précise que c'est l'emploi qui est pris comme l'un des
critères majeurs d'attribution. Ainsi, il paraît important, avant d'attribuer
les autorisations à des grandes surfaces notamment, de considérer la
rentabilité globale du centre commercial dans lequel elles désirent
s'installer.
L'exemple du centre Parinor, situé en Seine-Saint-Denis, mérite d'être
signalé. Celui-ci, opérationnel depuis 1974, a eu une rentabilité croissante
jusqu'en 1991 ; mais cette dernière s'est infléchie par la suite. De nouveaux
investissements ont eu lieu, créant de nouveaux emplois, et, aujourd'hui, tous
les secteurs commerciaux confondus semblent satisfaits ; l'installation
d'autres grandes surfaces sur ce site pourrait infléchir la rentabilité du
centre Parinor. Moins de rentabilité est synonyme, à terme, de moins
d'emplois.
Aussi, monsieur le ministre, je vous demande quelle recommandation vous
pourriez donner aux autorités locales chargées d'instruire les dossiers et
d'attribuer les autorisations, pour qu'elles harmonisent rentabilité et emploi,
dans la perspective d'installations, parfois hasardeuses, de grandes surfaces,
sachant qu'il n'y a aucune vertu à ajouter une concurrence lorsque l'offre est
remplie.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin,
ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de
l'artisanat.
Monsieur le sénateur, vous avez raison de mettre en avant le
critère de l'emploi en matière d'urbanisme commercial, puisque c'est l'une des
innovations de la loi du 5 juillet 1996.
En effet, alors que, jusqu'à présent, les procédures de délibération
n'intégraient pas ce critère, nous avons souhaité le prendre en compte, au même
titre que les critères de la concurrence - vous en avez également parlé - de
l'environnement et, évidemment, de l'équipement artisanal du site en
question.
Nous avons donc cherché, s'agissant de l'urbanisme commercial, à raisonner en
termes d'emplois, mais avec un vrai débat et des chiffres significatifs. Ainsi,
on parle d'emplois à temps plein, et donc, évoquant les créations d'emplois, il
faut raisonner en termes d'équivalent temps plein, et ne pas intégrer les
contrats de trente heures et les contrats à temps partiel.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin,
ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de
l'artisanat.
Il faut tenir compte de ce point dans les statistiques.
Deuxièmement, il faut veiller, dans les destructions d'emplois liées à
l'environnement, à tenir compte non seulement de l'emploi salarié, mais aussi
de l'emploi des conjoints collaborateurs, qui ne sont pas salariés et qui,
cependant, ont un statut social.
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin,
ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de
l'artisanat.
Ainsi, la fermeture d'une boucherie ou d'une boulangerie
correspond statistiquement, parfois, à la disparition d'un seul emploi, alors
que, en fait, l'emploi du conjoint collaborateur et d'autres emplois peuvent
également être concernés.
Nous souhaitons donc que les commissions départementales et que la commission
nationale puissent analyser l'emploi en termes objectifs. Vous avez ainsi tout
à fait raison, en parlant du centre commercial Paris-Nord, de signaler qu'il
arrive un moment où, l'offre étant saturée, l'excès de concurrence conduit à la
destruction d'emplois. Dans de nombreuses villes de France, il y a un
hypermarché de trop et chacun, à ce moment-là, s'engage dans une compétition de
prix toujours plus bas, de prix que l'on pourrait parfois qualifier de «
prédateurs », souvent au détriment de la qualité, avec ce résultat : quand on
dévalorise le travail des gens, on finit par détruire leur emploi.
Vous avez tout à fait raison de signaler qu'il faut atteindre un niveau de
concurrence équilibré, pluraliste, avec des formes de commerce distinctes. En
revanche, il ne faut pas, par des décisions d'urbanisme commercial qui
créeraient, à un moment ou à un autre, l'équipement de trop, déstructurer,
fragiliser un espace commercial qui a trouvé son rythme de croisière et de
développement.
C'est pourquoi nous souhaitons que les commissions intègrent cette vision
globale, fondée sur l'emploi et la concurrence sur un site. Pour qu'elles
soient parfaitement informées, je leur ferai d'ailleurs part de la prise de
position du Gouvernement. Le système précédent était en effet un peu défaillant
à cet égard et, puisque ces commissions, certes indépendantes, sont de nature
administrative, il est normal qu'elles puissent connaître les souhaits de
l'Etat au moment où elles ont à délibérer.
L'urbanisme commercial peut évoluer, car le commerce est une activité très
mouvante : les nouvelles techniques arrivent, de nouveaux comportements
s'imposent, de nouveaux produits voient le jour. Il faut donc que les
commissions puissent délibérer en toute indépendance tout en connaissant la
vision qu'a l'Etat aujourd'hui de notre urbanisme commercial, avec une exigence
de rééquilibrage en faveur des petites et moyennes entreprises du commerce et
de l'artisanat, d'un rééquilibrage respectueux des critères d'emploi et de
concurrence.
M. Philippe Richert.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert.
Je vous remercie vivement des propos que vous venez de tenir, monsieur le
ministre. Ils prouvent - mais nous le savions déjà - votre connaissance très
pointue des problèmes que rencontrent aujourd'hui beaucoup de nos petits
commerçants. En effet, la concurrence ne joue pas seulement entre les grands
hypermarchés ou entre les centres commerciaux qui s'installent et ceux qui
existent : elle se fait surtout sentir vis-à-vis des petits commerces de
proximité.
A cet égard, je veux vous rendre attentif aux conséquences, qui dépassent le
seul aspect économique ou le simple bilan des créations et des suppressions
d'emplois, de l'installation de centres commerciaux dans certaines villes.
Ainsi, Strasbourg sera bientôt concernée, puisque la commune vient de décider
d'installer en centre-ville un grand centre commercial de 25 000 mètres carrés.
Que va-t-il se passer ? Il y aura, bien sûr, concurrence avec les centres
commerciaux existants, mais il y aura aussi concurrence par rapport aux petits
commerçants de proximité, qui vont disparaître.
Peut-on, même avec un bilan équilibré en termes de créations d'emplois,
admettre la mort des commerçants de proximité dans les quartiers situés autour
de ces centres commerciaux ? Imagine-t-on les transformations sociales que nous
allons créer dans ces quartiers lorsqu'il n'y aura plus de commerces de
proximité ? La mixité des quartiers, que nous souhaitons et qui est nécessaire
pour éviter les grands fléaux de notre société, va disparaître, et des
difficultés majeures vont apparaître.
Au-delà des recommandations que vous allez adresser aux commissions - et je
vous en remercie - il ne faut donc pas perdre de vue les conséquences sur le
tissu social des créations exagérées de centres commerciaux. Je vous remercie,
en tout cas, de votre engagement !
M. Jean-Pierre Raffarin,
ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de
l'artisanat.
Je suis tout à fait d'accord avec vous !
M. le président.
Monsieur le ministre, M. Barraux étant retardé, je ne peux appeler sa question
maintenant.
Nous allons donc passer à la question suivante.
STATUT DES BÉNÉVOLES
M. le président.
M. Jean Boyer attire l'attention de M. le ministre du travail et des affaires
sociales sur le statut des bénévoles qui, par définition, exercent une activité
à titre gracieux soit de manière occasionnelle, soit de manière continue.
Il cite, à titre d'exemple, le cas précis de l'association culturelle du «
Festival Berlioz » dont il est le président. Cette association, qui est régie
par la loi de 1901, organise, dans le cadre de ses activités statutaires, une
semaine de concerts par an. Pour l'organisation matérielle de cette
manifestation, elle fait appel à cent cinquante bénévoles, membres de
l'association, non rémunérés pour les tâches qu'ils accomplissent. Ils
attestent de leur bénévolat par écrit.
Dans le cas où un accident surviendrait à l'une de ces personnes,
l'association peut-elle être considérée comme employeur de fait ? Ces bénévoles
sont-ils assujettis ou non assujettis à la législation du travail ?
De nombreuses associations culturelles étant confrontées à d'identiques
problèmes, il lui demande de bien vouloir lui apporter les éclaircissements
indispensables, afin que le statut des bénévoles soit clairement défini. (N°
525.)
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer.
Madame le ministre, les bénévoles exercent une activité à titre gracieux, soit
de manière occasionnelle, soit de manière continue, dans tous nos départements
et dans toutes nos communes.
Permettez-moi, à cet égard, de citer mon propre cas : notre association, qui
se dénomme « Festival Berlioz » et qui a son siège à la Côte-Saint-André,
emploie au moins cent cinquante bénévoles chaque année, pendant huit jours.
Malgré une attestation écrite, dans laquelle ils précisent qu'ils sont
véritablement des bénévoles et que nous n'avons rien à craindre de leur part
s'il leur arrivait un accident ou un malheur, je ne suis pas satisfait par
cette situation. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que vous
puissiez nous dire si l'association est employeur de fait et si ces bénévoles
sont assujettis ou non à la législation du travail.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué pour l'emploi.
Monsieur le sénateur, la vie associative
est incontestablement un atout pour notre pays et le Gouvernement souhaite
faire en sorte qu'elle se développe afin qu'elle continue à apporter toute sa
richesse à la vie collective.
Cela étant, le problème que vous soulevez est réel. En effet, nous savons très
bien qu'il existe aujourd'hui des associations qui développent des activités
tout à fait régulières dans le cadre du bénévolat, mais que, par ailleurs, se
développent parfois des activités qui, sous le couvert d'associations, sont des
activités lucratives qui contreviennent aux dispositions de la loi de 1901.
A ce jour, monsieur le sénateur, le bénévolat est bien une prestation
gratuite, mais elle est tout à fait exclusive de la notion de contrat de
travail. Le bénévole est donc celui qui exercice une activité non rémunérée et
non subordonnée.
Toutefois, en l'absence de critères légaux, c'est au juge qu'il appartient, en
cas de litige, de qualifier la nature des relations juridiques unissant le
bénévole et le bénéficiaire de la prestation, à savoir, dans ce cas,
l'association.
La jurisprudence a dégagé trois éléments constitutifs du contrat de travail,
par opposition à ce que peut être le bénévolat : la fourniture d'un travail, la
rémunération, la subordination juridique de la personne exécutant le
travail.
Le critère décisif est bien celui de la subordination juridique, caractérisée
par le pouvoir de direction, de surveillance, d'instruction et de commandement
à l'égard du salarié. C'est pourquoi un simple engagement écrit de la part du
bénévole attestant qu'il ne perçoit aucune rémunération ne suffit pas à écarter
tout risque de requalification, notamment s'il est soumis au respect de
certains horaires, à l'application de directives, à l'exécution de contrôles
sur son activité.
Encore faut-il, bien entendu, qu'un contentieux surgisse !
La situation des bénévoles a, par ailleurs, été prise en compte dans la
législation sur les accidents du travail.
Vous ne pouvez l'ignorer, monsieur le sénateur, les associations ont cependant
la faculté d'affilier tout ou partie de leurs membres bénévoles à une assurance
couvrant ce risque et, à défaut de bénéficier d'une assurance souscrite par
l'association, le bénévole peut lui--même souscrire une assurance volontaire
individuelle auprès de la caisse primaire d'assurance maladie du lieu de sa
résidence. Mais ces formes d'assurance sont plutôt destinées à un bénévolat
exercé de façon régulière, puisque les périodes d'affiliation sont décomptées
par trimestre.
Dans le cas que vous exposez, celui d'une activité ponctuelle où interviennent
un assez grand nombre de bénévoles pendant un très court laps de temps, la
négociation d'un contrat spécifique auprès d'un organisme d'assurance me semble
la solution la plus appropriée.
Très sensible aux questions que peuvent se poser des associations qui, je le
répète, accomplissent des activités à but non lucratif, le Gouvernement mène
depuis quelques mois une réflexion avec différents partenaires sur le statut du
bénévolat. J'espère que nous pourrons ainsi dégager des critères
complémentaires qui nous permettront de distinguer les activités qui
ressortissent au bénévolat et qui peuvent conférer à ceux qui les exercent le
statut du bénévole de celles qui, dans un certain nombre de cas, sont en fait
des activités lucratives déguisées.
M. Jean Boyer.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer.
Je vous remercie, madame le ministre, de votre réponse qui, je l'espère,
apportera des éclaircissements aux inspecteurs du travail car, jusqu'à présent,
toutes les questions que j'ai posées à ces derniers ont obtenu des réponses
très évasives. Je pense que vos propos leur permettront d'y voir plus clair.
Quant à nous, qui sommes les responsables de ces associations, nous sommes
rassurés grâce aux quelques précisions que vous nous avez apportées et qui nous
permettront de prendre aussi nos responsabilités.
A l'issue d'une période d'expérimentation, nous devrons faire le point et
envisager si tel iota ou tel epsilon ne doit pas être apporté à une législation
qui mérite d'être perfectionnée.
MISE EN PLACE DES MÉDICAMENTS GÉNÉRIQUES
DANS LE CADRE DE LA MAÎTRISE
DES DÉPENSES DE SANTÉ
M. le président.
M. Gérard Delfau demande à M. le ministre du travail et des affaires sociales
quelles dispositions ont été prises pour la mise en place des médicaments
génériques, dans le cadre de la maîtrise des dépenses de santé.
D'autre part, il lui demande dans quelle mesure les pouvoirs publics se sont
appuyés sur les expériences et les actions menées par le secteur associatif et
mutualiste dans ce domaine.
Enfin, il voudrait savoir s'il a l'intention de développer fortement cette
politique avant le lancement de l'Agence du médicament. (N° 531.)
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Madame le ministre, le déficit de la sécurité sociale a eu au moins l'avantage
de mettre en lumière les médicaments génériques, maintenus depuis des décennies
dans l'anonymat.
La France est le seul pays d'Europe où les génériques sont aussi mal connus.
Longtemps simple sujet de conversation autour du gouffre de la sécurité
sociale, ces médicaments suscitent des interrogations.
Ainsi, appartient-il à la collectivité nationale de financer les profits de
l'industrie pharmaceutique ? Et jusqu'où ?
Les plus hautes autorités, en l'occurrence M. Juppé et M. Barrot, ont appelé à
l'usage plus large des génériques, sans toutefois s'en donner les moyens. C'est
l'objet de ma question, madame le ministre.
Le retard pris par notre pays dans l'usage des génériques ne peut qu'être
préjudiciable à des dépenses de santé déjà lourdes.
Les économies possibles sont, en apparence, peu importantes : elles varient,
selon les estimations, de 3 à 7 milliards de francs par an et mes dernières
investigations montrent que cela pourrait être beaucoup plus. Mais, face à un
trou qui avoisine les 100 milliards de francs, ces sommes prennent de
l'importance, sans parler de l'aspect pédagogique sur le malade consommateur et
sur le prescripteur que revêt cette démarche.
Ce retard est préoccupant si l'on songe que 75 % des spécialités
pharmaceutiques ne sont plus protégées par un brevet, libérant ainsi la mise
sur le marché de nombreux génériques.
Des réticences multiples et savamment entretenues laissent perdurer une
situation financièrement intolérable. Il est vrai que les enjeux, d'autant plus
puissants qu'ils sont d'ordre commercial et économique, dépassent largement les
intérêts des malades et la santé publique.
La concurrence sauvage que se livrent les industriels, tant sur le plan du
marketing que sur celui des prix, a conduit un certain nombre d'entre eux à
mener une stratégie de maquillage qui consister à habiller de manière nouvelle,
mais non fondamentalement innovante, les molécules menacées. Le nombre de
génériques vrais mais déclarés faux s'est ainsi régulièrement accru, permettant
aux producteurs de maintenir les prix des produits, voire de les augmenter.
Dans le domaine de la santé, nous vivons, comme ailleurs, dans un système
bloqué, dépourvu du nécessaire dialogue social ou, à tout le moins, souffrant
de son insuffisance.
Les génériques en offrent un exemple. Autour du médicament gravitent des
intérêts qui ne sont pas nécessairement convergents - c'est normal - et chacun
campe sur ses positions. Ainsi, les intérêts de l'industriel producteur et des
distributeurs pharmaciens, véritables prestataires de services, ne
s'identifient pas à ceux du médecin prescripteur, et encore moins à ceux du
consommateur, qui, jusque très récemment, n'avait que le droit de se taire.
Pourtant, le domaine des génériques illustre de manière simple comment une
attitude responsable peut être immédiatement efficace.
Quelle est la situation actuelle ? D'un côté, l'industrie pharmaceutique,
puissante, exerce un
lobbying
permanent tant sur les pouvoirs publics,
fondé sur le chantage à l'emploi, que sur les médecins, dont elle facilite la
formation permanente, tout en la ciblant sur ses propres produits. Etrange
situation, si l'on y réfléchit un peu ! Etrange confusion des genres, qui rend
mal à l'aise nombre de pharmaciens !
De l'autre côté, les pharmaciens renâclent à abandonner ou à voir fondre leurs
marges bénéficiaires. Cela se comprend, d'ailleurs, dans cette période où
nombre d'entre eux souffrent de l'intense spéculation sur les fonds de
commerce.
On remarquera que, jusqu'à cette année, il n'a jamais été fait référence aux
génériques, la publicité étant tout entière centrée sur la molécule originale
la plus lucrative.
Les prescripteurs - c'est à leur décharge - ignorent jusqu'à l'existence de
ces produits, qui ne sont pourtant rien d'autre que des clones identiques aux
molécules
princeps.
Depuis le débat des années quatre-vingt-dix, en raison des difficultés
financières des organismes de protection sociale, certains ont prudemment fait
émerger la notion, apparemment nouvelle, de génériques.
M. le président.
Mon cher collègue, je dois vous indiquer que vous avez déjà largement dépassé
le temps qui vous est imparti pour poser votre question et que vous êtes en
train d'empiéter sur votre temps de réponse.
M. Gérard Delfau.
Je vais donc conclure, monsieur le président.
Face à la situation que je viens de décrire, mes questions sont les
suivantes.
Quelles dispositions concrètes ont été prises par les pouvoirs publics depuis
l'annonce du plan Juppé sur la maîtrise des dépenses de santé ?
Que devient le décret prévu, et même annoncé, depuis septembre 1996 sur le
droit de substitution des pharmaciens ? Est-il enterré ou sur le point d'être
publié ? Une réponse précise nous obligerait.
Dans quelle mesure le Gouvernement et la haute administration ont-ils pris le
temps de tirer les leçons des actions originales et courageuses menées par le
secteur associatif et mutualiste dans ce domaine ?
Enfin, quels liens envisagez-vous de créer entre ces structures à but non
lucratif et l'Agence du médicament pour faire un double contrepoids au lobby
pharmaceutique ?
M. le président.
Monsieur Delfau, je constate maintenant que vous avez dépassé non seulement le
temps qui vous était alloué pour poser votre question, mais également celui
dont vous disposiez pour répondre.
Je vous donnerai néanmoins la parole pour quelques instants.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué pour l'emploi.
Monsieur le sénateur, en l'absence de MM.
Jacques Barrot et Hervé Gaymard, je vais essayer de faire le point sur la
situation que vous venez d'évoquer.
Il est vrai, vous l'avez rappelé, que, sous l'impulsion de M. Premier ministre
et sous l'autorité des deux ministres que je viens de citer, le Gouvernement
conduit une politique déterminée et vigilante en faveur du développement du
marché des médicaments génériques.
Il a d'abord donné une base légale à toutes les mesures en en fixant la
définition dans le code de la santé publique.
Le décret d'application précisant certaines critères scientifiques - vous
l'avez évoqué - a été examiné par le Conseil d'Etat le 29 janvier. Il pourra
donc être publié dans les tout prochains jours.
M. Gérard Delfau.
C'est une bonne nouvelle, madame le ministre !
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué.
Je le crois.
Ce décret confie à l'Agence du médicament la responsabilité d'établir des
listes de génériques scientifiquement validées, qui pourront servir de
référence à toutes les actions dans ce domaine.
Les génériques font l'objet à la demande de MM. Jacques Barrot et Hervé
Gaymard, d'une attention particulière de l'agence dans son action de contrôle
et d'inspection.
Enfin, sur le plan économique, les prix des génériques sont fixés 20 % à 30 %
en dessous du prix du
princeps,
ce qui doit contribuer, bien entendu, à
la maîtrise des dépenses.
Ces différentes mesures permettent de conforter les initiatives de plusieurs
acteurs dans ce domaine. La liste établie par l'agence constitue une référence
commune. En outre, les génériques ne seront admis au remboursement par
l'assurance maladie que s'ils adoptent un nom qui les distingue, soit en
apposant le suffixe « Gé », soit en se présentant sous le nom de la molécule
qui leur est commune, assorti d'une marque. Voilà qui répond à votre
préoccupation, monsieur le sénateur !
Cette mesure de publicité permettra d'orienter les choix vers ces médicaments
moins chers.
Toutes ces mesures encadrent le développement harmonieux des génériques, qui
sont des médicaments comme les autres sur le plan de la santé publique.
M. Gérard Delfau.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Madame le ministre, comptez-vous avancer sur l'autre point très important, à
savoir le droit de substitution des pharmaciens ?
M. le président.
C'est une nouvelle question, mon cher collègue. Je suggère à Mme le ministre,
si elle en est d'accord, d'y répondre par écrit.
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué.
Tout à fait, monsieur le président.
PREMIER EMPLOI
ET EXPÉRIENCE PROFESSIONNELLE
M. le président.
M. Yann Gaillard attire l'attention de M. le ministre du travail et des
affaires sociales sur les difficultés que représente la recherche d'un premier
emploi pour les jeunes diplômés. Le maître mot des recruteurs est l'expérience.
Mais comment, au sortir de l'université, justifier de deux ou trois années
passées en entreprise, comme l'exigent les employeurs ?
On pourrait penser que les stages effectués tout au long de l'enseignement
supérieur ou, tout au moins, le stage de fin d'études permettent de pallier en
partie ce manque d'expérience professionnelle. Or, ceux-ci ne sont que très peu
reconnus et, par conséquent, ne facilitent pas systématiquement l'accès à
l'emploi, ce qui est regrettable.
Les organismes comme l'Agence nationale pour l'emploi, l'ANPE, ou
l'Association pour l'emploi des cadres, l'APEC, qui font l'interface entre les
entreprises et les demandeurs d'emploi et qui sont confrontés aux exigences de
plus en plus pointues des entreprises, notamment en matière d'expérience,
observent scrupuleusement ces demandes et ont tendance à ne transmettre que les
curriculum vitae
en tout point identiques aux voeux des employeurs.
L'absence d'expérience à proprement parler est alors un barrage insurmontable,
qui ne permet même pas aux jeunes de postuler et d'acquérir, peut-être, cette
expérience tant recherchée.
Conscient que c'est aux employeurs qu'il appartient de donner leur chance aux
jeunes, il lui demande ce qu'il entend faire pour sensibiliser les entreprises
à la nécessité d'embaucher de jeunes diplômés et pour revaloriser les stages
aux yeux des recruteurs. (N° 542.)
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, ma question
porte sur le problème immense et tout à fait d'actualité du premier emploi des
jeunes diplômés.
Le 10 octobre 1996, dans une question écrite qui n'avait pas la prétention de
l'originalité, je m'étais permis d'attirer l'attention du Gouvernement sur la
difficulté que représente la recherche d'un tel emploi pour ces jeunes, à qui
aussi bien les recruteurs que les entrepreneurs, et même les organismes qui
devraient les aider, comme l'ANPE ou l'APEC, objectent souvent leur manque
d'expérience professionnelle.
Les stages en entreprise, disais-je dans cette question, sont loin de pallier
ce manque d'expérience, même lorsqu'il s'agit de stages de fin d'études.
Il me semblait donc que le Gouvernement devait attirer l'attention des
entreprises sur le devoir qui est le leur de donner une chance à ces jeunes et
sur la nécessité de revaloriser ces stages aux yeux des employeurs.
Il ne m'a pas été répondu. C'est pourquoi j'ai transformé cette question
écrite en question orale. Mais, surtout, je saisis l'occasion que me donne,
pour traiter de cet immense problème, le surgissement de l'idée des stages
diplômants.
Madame le ministre, ma question est simple : les stages diplômants, proposés
par le CNPF, approuvés dans leur principe par M. le Président de la République,
critiqués, comme naguère le contrat d'insertion professionnelle, le CIP, par
nombre d'organisations syndicales ou autres, va-t-il permettre de rompre l'un
des points de blocage les plus nuisible de l'économie française ou bien
risque-t-on de s'embourber, encore une fois, dans cette « confrontation
perpétuelle », pour reprendre les termes d'un article récent du
Monde,
entre la logique économique et la logique universitaire ?
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué pour l'emploi.
Monsieur le sénateur, nous savons à quel
point vous êtes attentif à tout ce qui peut aider au développement de l'emploi
des jeunes.
Votre question est tout à fait d'actualité puisque, vous le savez, le Premier
ministre va réunir, le 10 février prochain, une conférence nationale sur
l'emploi des jeunes, qui, je l'espère, pourra relancer une forte mobilisation
sur ce sujet.
La démarche que nous suivons depuis maintenant plus d'un an en matière
d'emploi des jeunes est double : d'une part, tout faire pour rapprocher la
formation de l'emploi - cela va tout à fait dans le sens de votre préoccupation
; d'autre part, encourager les démarches partenariales.
Pourquoi des démarches partenariales ? Parce que, vous le savez bien, la
compétence en matière d'emploi et de formation des jeunes est répartie.
Nous avons donc fait en sorte, depuis un an, que tous les partenaires
concernés se retrouvent autour d'une même table et oeuvrent ensemble, de
manière complémentaire, en faveur de l'emploi des jeunes.
Au Gouvernement il appartient, évidemment, d'ouvrir le plus largement possible
aux jeunes tous les dispositifs en faveur de l'emploi. Il lui appartient
également de donner l'impulsion à une implication très forte du service public
à cet égard.
Les entreprises ont également un rôle excessivement important à jouer. Elles
sont prêtes à s'engager plus fortement, que ce soit par des formations sous
contrat de travail - apprentissage, contrats de qualification - ou par des
stages permettant de professionnaliser les études - vous les évoquiez à
l'instant.
Aux partenaires sociaux, il revient de faire évoluer les dispositifs qu'ils
gérent et de développer la négociation sociale sur l'emploi des jeunes.
Enfin, les collectivités locales peuvent, naturellement, accompagner
efficacement les jeunes vers l'emploi grâce à leur plus grande proximité de la
population.
S'agissant du sujet particulier que vous avez évoqué, monsieur Gaillard,
plusieurs dispositifs permettent déjà d'offrir aux jeunes une formation en
entreprise, garantie de leur accès à l'emploi, une expérience professionnelle
sous contrat de travail et non sous statut scolaire. Il s'agit essentiellement
des contrats de qualification et des contrats d'apprentissage.
En ce qui concerne les premiers, une circulaire de mars 1996 a ouvert très
largement le dispositif aux jeunes titulaires d'un diplôme de l'enseignement
supérieur du premier et du second cycle à caractère non professionnel ainsi
qu'à ceux qui ont interrompu leur cursus de formation ou qui ont échoué afin de
leur permettre une réorientation et l'acquisition d'une qualification
professionnelle.
Il est également possible, pour tous les jeunes diplômés de l'enseignement
supérieur, de préparer, dans le cadre des contrats de qualification, donc sous
contrat de travail, les qualifications professionnelles complémentaires
définies par les partenaires sociaux et sanctionnées par un certificat de
qualification professionnelle.
Le contrat de qualification a fait la preuve de son efficacité. Il était donc
important pour nous d'en ouvrir l'accès plus largement, y compris aux jeunes
diplômés, comme je viens de l'indiquer.
Quant au contrat d'apprentissage - nous sommes toujours sous le régime du
contrat de travail - il est actuellement en plein développement. Les premiers
résultats relatifs aux effectifs préparant un diplôme de l'enseignement
supérieur par la voie de l'apprentissage témoignent en effet d'une
augmentation, de fin décembre 1995 à fin décembre 1996, de 31 % pour les
niveaux III et de 40 % pour les niveaux II et I. Pour ces derniers niveaux, si
l'on tient compte des seuls effectifs de première année, l'évolution est de 110
%, ce qui reflète bien la forte mobilisation des entreprises.
Enfin, les jeunes peuvent également bénéficier de différents types de stages «
professionnalisants » dans le cadre de l'éducation nationale, c'est-à-dire sous
statut scolaire.
Tous ces dispositifs - c'est le constat qui a été dressé - doivent
incontestablement être développés, car c'est certainement l'une des meilleures
façons de rapprocher la formation de l'emploi, en incluant, dans le cadre du
cursus
scolaire, une période en entreprise qui permet au jeune de
connaître l'entreprise tout en suivant une formation dans le cadre de
l'éducation nationale.
Vous avez évoqué ce que l'on a appelé, peut-être de manière maladroite, les
stages « diplômants ». Cette proposition tout à fait intéressante visant à
développer des stages rebaptisés dernièrement, je crois, à juste titre, «
première expérience professionnelle dans l'entreprise », a été présentée par le
CNPF. L'objectif de cette expérience, intégrée dans le cursus, est en fin de
compte de permettre de professionnaliser les formations universitaires.
Ce système fonctionne déjà dans d'autres secteurs. Le CNPF ne fait rien
d'autre que de prolonger en les améliorant des dispositifs qui existent déjà,
notamment en IUT et dans les baccalauréats professionnels.
Les entreprises et le CNPF ont manifesté leur volonté de développer cette
possibilité qui peut être donnée à des jeunes, une fois de plus sous statut
scolaire, d'avoir une meilleure connaissance de l'entreprise.
Comme vous le savez, ce dispositif fait actuellement l'objet de discussions
entre le CNPF, l'éducation nationale et les différents partenaires ; nous avons
bon espoir que, d'ici à la conférence nationale ces discussions aient avancé
dans le sens qui est, je crois, celui de l'efficacité : l'amélioration de la
formation des jeunes par l'intégration à leur
cursus
de leur première
expérience professionnelle dans l'entreprise.
M. Yann Gaillard.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard.
Il est difficile de reprendre la parole après vous, madame le ministre, car
vous avez très largement dépassé le cadre de ma modeste question. En effet,
vous avez évoqué l'ensemble des problèmes de l'emploi des jeunes, de
l'apprentissage jusqu'au stage professionnel en passant par les contrats de
qualification.
Je n'ignore pas votre parfaite connaissance des dossiers et je sais que votre
volonté est très forte. Le sommet sur l'emploi des jeunes sera un point nodal
de l'année 1997 et peut-être même du septennat. Le mot est galvaudé, mais, en
l'occurrence, il s'agit véritablement d'un enjeu de société. Je forme donc des
voeux fervents pour que ce sommet réussisse et je ne doute pas que vous ferez
tout ce que vous pourrez pour qu'il en soit ainsi.
SITUATION DES JURIDICTIONS D'ARRAS
M. le président.
M. Léon Fatous interpelle M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur
la situation des juridictions d'Arras.
Celles-ci - tribunal de grande instance d'Arras, tribunaux d'instance d'Arras
et Saint-Pol-sur-Ternoise - ont dix-neuf postes budgétaires de magistrat :
quinze magistrats du siège et quatre magistrats du parquet.
Or 20 % des postes sont vacants et aucune nomination n'a été envisagée dans
les dernières propositions faites par le ministère en 1996.
Cependant, le nombre des affaires nouvelles pour le contentieux civil du
tribunal de grande instance est passé de 1 856 en 1992 à 2 663 en 1996.
Les magistrats du siège rencontrent de plus en plus de difficultés pour
répondre aux demandes légitimes des justiciables.
Quelles mesures compte prendre le ministère ? (N° 533.)
La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, à l'heure où
le Président de la République souhaite une profonde réforme du système
judiciaire français, permettez-moi d'intervenir dans ce domaine.
Nous souhaitons tous que notre appareil judiciaire fonctionne mieux et que la
justice soit rendue plus rapidement ; malheureusement, force nous est de
constater que les ambitions et les volontés des uns et des autres ne se
traduisent pas sur le terrain par la mise en place d'effectifs suffisants.
Aussi, après vous avoir interpellé par écrit sur la situation dramatique de la
cour d'appel de Douai manquant cruellement de magistrats, je suis obligé de
dénoncer la situation tout aussi difficile dans laquelle se trouvent les
juridictions d'Arras.
En effet, celles-ci, composées du tribunal de grande instance d'Arras et des
tribunaux d'instance d'Arras et de Saint-Pol-sur-Ternoise, sont dotées de
dix-neuf postes budgétaires de magistrats - quinze du siège et quatre du
parquet.
Cependant, deux postes de vice-président du tribunal de grande instance sur
deux et le poste de juge du tribunal d'instance de Saint-Pol-sur-Ternoise sont
vacants, et aucune nomination n'a été envisagée dans les dernières propositions
faites par le ministère !
Il y a donc 20 % de postes du siège vacants, alors que le nombre des affaires
nouvelles pour le contentieux civil du tribunal de grande instance est passé de
1 856 en 1992 à 2 663 en 1996.
Les magistrats du siège éprouvent donc de très grandes difficultés à répondre
aux demandes légitimes des justiciables, en raison de cette vacance de
poste.
Monsieur le ministre, j'aimerais connaître votre position sur le sujet.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Anne-Marie Couderc,
ministre délégué pour l'emploi.
Monsieur le sénateur, permettez-moi
d'abord de vous présenter les excuses de M. Toubon, qui ne pouvait être présent
ce matin pour vous apporter lui-même cette réponse.
Vous avez rappelé à très juste titre, monsieur le sénateur, que M. le
Président de la République avait le souci de la modernisation de la justice
pour rendre le meilleur service à nos concitoyens.
La situation du tribunal de grande instance d'Arras que vous évoquez est
effectivement cruciale.
Ce tribunal compte, à ce jour, quatre emplois vacants, soit les deux postes de
vice-président du premier grade, le poste de procureur de la République adjoint
ainsi que celui de juge chargé du tribunal d'instance de
Saint-Pol-sur-Ternoise.
Ces postes, vacants depuis les mois de septembre et octobre 1996, n'ont pas pu
être immédiatement pourvus, faute de candidats utiles, semble-t-il.
Dans le cadre de la préparation actuellement en cours des prochains mouvements
de magistrats, monsieur le sénateur, une attention toute particulière sera
portée à la situation du tribunal de grande instance d'Arras, en fonction des
candidatures nouvelles qui se sont exprimées, afin de renforcer dans les
meilleurs délais l'effectif de cette juridiction, par voie de mutation et, si
nécessaire, par l'affectation d'auditeurs de justice en ce qui concerne les
postes du grade de base.
Dans l'immédiat, l'affectation de l'un des cinq juges placés auprès du premier
président et de l'un des trois substituts placés auprès du procureur général
pourrait permettre, si les chefs de la cour d'appel le jugent nécessaire,
d'assurer la continuité du service au tribunal de grande instance d'Arras.
Telle est, monsieur le sénateur, la réponse que je peux vous apporter ce
matin.
M. Léon Fatous.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous.
Madame le ministre, je prends acte de votre déclaration, mais surtout ne me
dites pas qu'il n'y a pas de candidat car même si, bien souvent, l'on nous dit
que les candidats éventuels venant d'Aix-en-Provence et de Toulouse ne veulent
pas aller dans le Nord, j'ai la certitude que les candidats sont nombreux pour
les postes d'Arras ! J'espère donc que, dans les semaines ou les mois qui
viennent, tous les postes seront pourvus.
FINANCEMENT DU CHANTIER DE LA DÉVIATION
DE LA RN 12 À JOUARS-PONTCHARTRAIN (YVELINES)
M. le président.
M. Gérard Larcher attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme sur les difficultés rencontrées par
certaines communes suite à la décision de l'Etat de geler les autorisations de
programme d'investissement à hauteur de 80 milliards de francs en 1996. A titre
d'exemple, sur la commune de Jouars-Pontchartrain, dans les Yvelines, traversée
par la RN 12, l'Etat a engagé un important chantier pour permettre
l'indispensable déviation de la commune. Ce dossier a mis des années à
aboutir.
Or le gel des autorisations de programme risque d'entraîner des conséquences
néfastes sur l'avancement du chantier et l'Etat risque de payer des pénalités
lourdes en cas de retard notamment de paiement.
En conséquence, il lui demande quelles dispositions il compte prendre afin que
les chantiers engagés ne se prolongent pas dans le temps avec les conséquences
économiques et sociales sur la vie même des communes concernées et que les
délais soient respectés. (N° 517.)
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le ministre, pour les automobilistes qui empruntent la route de
Normandie, la traversée de Jouars-Pontchartrain est un moment héroïque. Cet
héroïsme allait s'achever, puisqu'un consensus avait enfin été obtenu, après
vingt-cinq ans de négociations, sur un projet de déviation. Le chantier a été
ouvert au cours de l'année 1996.
La déviation d'un tel axe, où circulent chaque jour plus de 20 000 véhicules,
n'est pas sans conséquences sur les voies parallèles, les voies vicariantes,
pour parler en termes de circulation sanguine.
Aujourd'hui, le gel des crédits entraîne un arrêt des travaux, et la
perspective de leur achèvement à l'automne 1999 plonge les communes rurales
avoisinantes dans une situation matérielle inextricable et leur impose une
tension psychologique extrêmement difficile à supporter après l'espoir suscité
par ce fragile et très relatif consensus.
Voilà pourquoi, alors que nous sommes aux portes de la région d'Ile-de-France
et en liaison avec la région Centre, cette déviation a un caractère essentiel.
Il nous apparaît important d'obtenir l'assurance, de votre part, que ces
travaux seront poursuivis. Aujourd'hui, le tracé est fait, les trous sont
creusés, les ponts sont commencés. Nous attendons avec inquiétude. Ce retard
n'est pas sans conséquences au plan de la sécurité routière et de la vie des
communes.
Par ailleurs - mais peut-être ne pourrez-vous pas me répondre aujourd'hui,
monsieur le ministre - j'aurais souhaité vous interrogez à propos de la RN 10
dont l'enquête publique relative au tronçon Rambouillet-Ablis jusqu'à
l'aurotoute A 11 est actuellement engagée. Pourriez-vous me préciser si le
prochain contrat de plan prendra en compte la section Coignières-Rambouillet
?
Près de 30 000 véhicules circulent chaque jour sur trois voies. Le taux de
mortalité et l'insécurité routière sont très importants. Je rappelle qu'en 1995
nous avons dénombré, sur cette section, onze morts et de nombreux blessés.
Enfin, toujours à propos de la jonction de l'A 10 et de l'A 11, la RN 191, qui
relève de l'Etat, pose d'importants problèmes de sécurité routière. Mais ma
question portait initialement sur la RN 12 : l'année 1997 verra-t-elle la belle
endormie ou la belle se réveiller ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre-André Périssol
ministre délégué au logement.
Je vous prie tout d'abord, monsieur le
sénateur, de bien vouloir excuser M. Pons, ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme, qui aurait souhaité vous répondre ce
matin mais qui est empêché.
Comme vous le savez, dans le cadre de sa politique engagée pour le
redressement des finances publiques, le Gouvernement a été amené, en 1996, à
mettre en oeuvre un dispositif de régulation budgétaire.
Afin de ne pas pénaliser l'activité dans le domaine des travaux publics, la
priorité a donc été donnée en 1996 aux opérations déjà largement engagées.
Tel n'était pas le cas de celle concernant la déviation de la RN 12 à
Jouars-Pontchartrain, qui a démarré à la fin de l'année 1995.
Malgré ce contexte, M. Bernard Pons a obtenu que soit mis en place, en 1996,
un montant d'autorisations de programme de 90 millions de francs pour cette
opération.
Nous sommes bien conscients des répercussions que ces mesures de régulation
ont pu apporter sur le déroulement du chantier.
Pour 1997, M. Bernard Pons a demandé à ses services d'apporter une attention
particulière à cette opération, dans le cadre de la programmation des crédits,
afin qu'elle se déroule dans les meilleures conditions possibles.
En ce qui concerne l'aménagement de la liaison entre le sud de Coignières et
l'autoroute A 10, à la hauteur d'Allainville-aux-Bois, Bernard Pons m'a chargé
de vous informer qu'une décision a été prise en novembre dernier visant à
l'aménager, à terme, à deux fois trois voies avec un phasage à deux fois deux
voies sur certaines sections.
Dès à présent, l'aménagement à deux fois deux voies de la section entre
Rambouillet et Ablis fait l'objet d'une enquête publique en cours. La
déclaration d'utilité publique de ce projet devrait intervenir par décret au
début de l'année 1998, après avis du Conseil d'Etat. Dès lors pourra s'engager
l'opération qui est inscrite pour 60 millions de francs à l'actuel contrat de
plan. Voilà, monsieur le sénateur, les éléments dont M. Bernard Pons tenait à
vous faire part.
M. Gérard Larcher.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le ministre, j'ai bien noté qu'en 1997 le chantier de la RN 12 ne
sera pas arrêté, et je m'en réjouis, en souhaitant que la perspective de la fin
de l'année 1999 pour son achèvement soit tenue. En effet, chacun comprendra que
quatre années de perturbations dans un tel lieu ne sont pas sans provoquer un
certain nombre de difficultés, y compris d'ordre économique.
S'agissant de la RN 10 et de la RN 191, je vous remercie, monsieur le
ministre, des précisions que vous m'avez apportées.
En ce qui concerne la RN 10, je dirai qu'il n'y a rien de nouveau et je
formulerai tout de même une observation puisque, depuis vingt ans, ce dossier
est aussi dans les cartons.
Vous savez que la ville de Rambouillet, qui accepte en son sein le passage
d'une route à deux fois deux voies, n'est pas favorable à une route à deux fois
trois voies car elle constituerait une saignée extrêmement importante dans le
coeur d'une commune.
Voilà pourquoi, soyons clairs, dans le cadre du futur plan d'occupation des
sols, si nous avons admis la présence d'une route à deux fois deux voies avec
des aménagements et des protections phoniques, tant du côté ouest que du côté
est, je tenais à vous dire, monsieur le ministre, que la route à deux fois
trois voies suscite de notre part des réserves extrêmement fortes pour ne pas
dire un mot plus tonique à ce moment du débat !
En revanche nous souhaitons que la réalisation d'une route à deux fois deux
voies entre Larton, Le Moulinet et Bel-Air, pour parler très clairement, soit
bien inscrite au prochain contrat de plan. Nous savons que la route à deux fois
deux voies entre Ablis, Rambouillet - Bel-Air sera réalisée dans le cadre du
contrat de plan actuel.
Il nous semble important que, pour le prochain contrat de plan, la route à
deux fois deux voies soit réalisée, évitant cette zone mortifère que je
décrivais tout à l'heure. Certes, M. le ministre a bien voulu nous déléguer 7
millions de francs de crédits de sécurité pour la zone la plus dangereuse de
l'entrée de Rambouillet. Mais vous voyez qu'il y a là une véritable nécessité
de programmation d'autant plus que le Gouvernement, malgré des réticences très
fortes de notre part, a retenu le site de Beauvilliers pour implanter un
troisième aéroport dans le Bassin parisien et que, parmi les moyens d'accès à
Beauvilliers, il y a l'autoroute A 10, par sa jonction commune, le TGV, mais
aussi la RN 10.
Or, si la RN 10 n'était pas aménagée convenablement, raisonnablement, cela
risquerait, d'une part, de déséquilibrer le territoire, alors que M. Bernard
Pons a bien voulu dire que le sud des Yvelines ne serait pas déséquilibré par
la création de Beauvilliers et, d'autre part, de générer une augmentation de
trafic dans des conditions de sécurité inacceptables.
RÉALISATION DE LA DEUXIÈME TRANCHE
DE LA DÉVIATION DE LA VILLE DE SALON-DE-PROVENCE
M. le président.
M. André Vallet attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme sur la situation de la ville de
Salon-de-Provence au regard des grands axes de circulation.
Il lui rappelle que, depuis près de trente ans, la première tranche de la
déviation nord-sud de la ville de Salon-de-Provence a été achevée. Depuis cette
date, il lui indique que la ville attend la réalisation de la deuxième tranche
qui permettrait de désengorger les quartiers les plus peuplés de Salon par
lesquels transite ce trafic.
Il lui indique que la construction de cette deuxième tranche de la déviation
de la ville constitue la priorité absolue de la ville, qui est étouffée par
cette circulation de transit.
Dès lors, il lui demande si la réalisation de ce projet doit être, dans les
prochains mois, prise en compte par le ministère de l'équipement. (N° 535.)
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le ministre, les Provençaux sont encore plus patients que les
Franciliens, puisque cela fait trente ans qu'ils attendent la réalisation de la
deuxième tranche de la déviation de la ville de Salon-de-Provence...
Pourtant, cette déviation est absolument nécessaire à cette ville, car elle
permettrait de désengorger les quartiers les plus peuplés, par lesquels
transite le trafic.
L'emprise foncière figure au plan d'occupation des sols depuis 1977. Or, le
trafic entre Marseille et Avignon par la voie nationale s'est très largement
accru. De plus, l'urbanisation s'est développée et, aujourd'hui, l'ensemble du
trafic passe dans des quartiers résidentiels, devant des établissements
scolaires, devant l'hôpital récemment rénové et agrandi, dans des zones
d'habitat collectif très dense, devant une zone à urbaniser en priorité. Vous
pensez bien que cela pose des problèmes de sécurité qui sont loin d'être
négligeables !
Nous souhaitons que cette déviation constitue, dans le prochain plan, une
priorité absolue, car notre ville étouffe sous cette circulation de transit. Je
vous demande, monsieur le ministre, si ce projet sera enfin pris en compte.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre-André Périssol,
ministre délégué au logement.
Monsieur le sénateur, veuillez m'excuser de
répondre à la place de M. Bernard Pons.
Depuis la réalisation, dans les années soixante, de la déviation de la RN 538,
la desserte de la ville de Salon-de-Provence a considérablement évolué, mais
pas aussi vite que vous l'auriez souhaité.
Après la mise en service, au mois de mars 1996, de l'autoroute A 54
Arles-Salon-de-Provence, cette ville bénéficie désormais d'une desserte
privilégiée tant dans le sens nord-sud que dans le sens est-ouest, puisqu'elle
se situe à la jonction des autoroutes A 7 et A 54. Ces autoroutes permettent au
trafic de transit d'éviter la traversée du centre de Salon-de-Provence, tout en
irriguant, par leurs nombreux échangeurs, les différents quartiers de la
ville.
La déviation de la RN 538 a aujourd'hui essentiellement un rôle de desserte
inter-quartiers.
Ce projet n'a pas été retenu dans le contrat signé entre l'Etat et la région
au titre du XIe Plan.
Cependant, dans le cadre de la procédure de dossier de voirie d'agglomération,
le DVA, M. Pons a demandé à ses services qu'une réflexion soit engagée afin de
mettre en cohérence le développement de la ville et les besoins de
déplacements. Une telle démarche doit permettre de définir un schéma de voirie
cohérent d'ici vingt ou vingt-cinq ans, quels qu'en soient les maîtres
d'ouvrage potentiels, et ce en concertation étroite avec l'ensemble des
partenaires locaux.
C'est à l'occasion de cette étude, à laquelle vous serez bien entendu associé,
monsieur le sénateur, que devra être recherchée la solution d'aménagement du
secteur nord de Salon-de-Provence, qui est la mieux adaptée aux diverses
contraintes du site, qu'il s'agisse d'insertion urbaine, de bruit, d'écologie
ou de sécurité.
M. André Vallet.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le ministre, vous comprendez que je ne puisse être pleinement
satisfait de votre réponse. En effet, cette dernière soulève une question que
nous avons souvent évoquée devant la direction de l'équipement : les autoroutes
vont-elles remplacer les routes nationales ?
La ville de Salon-de-Provence, de ce point de vue, il est vrai, est très bien
pourvue. Je relève cependant que l'autoroute à laquelle vous avez fait allusion
n'est pas nord-sud mais est-ouest, ce qui n'a rien à voir avec le problème que
j'ai décrit. J'ai en effet évoqué le trafic routier, qui est de plus en plus
intense, entre deux grandes agglomérations : Marseille et Avignon. A ce sujet,
votre réponse n'est pas satisfaisante, monsieur le ministre.
Vous m'avez indiqué qu'une réflexion va être engagée ; j'y participerai, bien
sûr, très volontiers.
Je dois cependant insister sur le fait que la situation ne peut rester
longtemps telle qu'elle est, car le trafic est de plus en plus important. Je
regrette par ailleurs que l'on ne vous ai pas communiqué le nombre des
véhicules qui traversent l'agglomération de Salon-de-Provence et qui pourraient
être écartés si la deuxième tranche de la déviation, qui est prévue depuis
trente ans, était réalisée.
RÉFORME DU PERMIS DE CONSTRUIRE
M. le président.
M. André Vezinhet souhaite obtenir de M. le ministre de l'équipement, du
logement, des transports et du tourisme des informations concernant un projet
de réforme en préparation dans ses services, qui s'inscrirait dans le cadre de
la réforme de l'Etat, viserait à la simplification des documents d'urbanisme et
aboutirait à un projet de loi portant réforme du permis de construire.
Il fait part au ministre de l'émotion qu'a suscitée, auprès des architectes et
de leur ordre, cette nouvelle qu'ils ont apprise avec stupéfaction par voie de
presse, en l'absence de toute consultation et concertation préalables de leur
profession par le ministère de l'équipement.
En outre, il indique au ministre que, à l'occasion du changement de tutelle,
l'ordre des architectes a repris le dialogue avec le ministre de la culture et
que, depuis l'automne 1996, se sont régulièrement tenues des réunions
bipartites entre la direction de l'architecture et la profession, en vue de
modifier la loi du 3 janvier 1977, en particulier, de supprimer les seuils de
recours obligatoire à l'architecte.
Or il apparaît que l'avant-projet de loi du ministère de l'équipement, sous
couvert d'une simplification des rapports du citoyen avec l'administration,
prévoit notamment d'exclure du champ d'application du permis de construire les
constructions neuves inférieures à 250 mètres carrés ainsi que les travaux de
rénovation.
Une telle orientation irait donc totalement à l'encontre de ce que souhaitent
les architectes, qui ont manifesté leur totale désapprobation sur le fond et
sur la méthode utilisée, exprimée par le Conseil national de l'ordre des
architectes et les conseils régionaux, dont celui du Languedoc-Roussillon.
Il demande donc au ministre de bien vouloir lui apporter tous les
éclaircissements nécessaires qui soient de nature à répondre aux doutes et au
mécontentement de la profession des architectes. (N° 536.)
La parole est à M. Vezinhet.
M. André Vezinhet.
Monsieur le ministre, ma question concerne un projet de réforme qui serait en
préparation dans vos services ; ce projet, qui s'inscrirait dans le cadre de la
réforme de l'Etat, viserait à la simplification des documents d'urbanisme et
aboutirait à un projet de loi portant réforme du permis de construire.
Les architectes ont appris avec stupeur - le mot n'est pas trop fort - cette «
information » par la presse professionnelle, très précisément dans un article
du
Moniteur
en date du 13 décembre 1996. Ils se sont naturellement émus
d'un tel procédé, qu'ils assimilent à une tentative de passage en force du
ministère de l'équipement, en l'absence de toute consultation et concertation
préalables, et cela au mépris du dialogue fructueux engagé, à l'occasion du
changement de tutelle, entre la profession et le ministère de la culture.
En effet, depuis l'automne 1996, des réunions bipartites se sont régulièrement
tenues à la direction de l'architecture en vue de modifier la loi du 3 janvier
1977, en particulier d'imposer le recours obligatoire à l'architecte pour tout
acte de construire.
Or il semblerait - l'absence de transparence imposant l'emploi du conditionnel
- que l'avant-projet de loi du ministère de l'équipement, sous couvert d'une
simplification des rapports du citoyen avec l'administration, doive exclure
notamment du champ d'application du permis de construire les constructions
neuves inférieures à 250 mètres carrés - le seuil est actuellement de 170
mètres carrés - et les travaux de rénovation.
On ne comprend pas bien où sont l'intérêt de l'usager et l'intérêt public, qui
semblent être mis en avant pour justifier une telle réforme du permis de
construire. Bien au contraire, à l'heure où l'aménagement des périphéries de
villes et la qualité des paysages sont reconnus par tous comme une priorité
nationale, ce projet organise l'abandon de ces objectifs, niant de ce fait
l'intérêt public.
Pourquoi prendre le risque d'un urbanisme à deux vitesses, ce qui reviendrait
à aller à l'encontre de la récente loi sur le paysage ?
Que penser enfin d'une décision qui, écartant encore plus l'intervention de
l'architecte dans l'acte de bâtir, jetterait une partie importante de la
profession, qui est déjà très fragilisée, pour ne pas dire sinistrée, dans un
grand marasme économique ? Faut-il accepter de sacrifier toute une génération
d'étudiants et de jeunes architectes, dont la formation et le diplôme sont
dispensés par l'Etat pour servir l'intérêt public ?
Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir apporter à toutes ces
questions les éclaircissements nécessaires. Je souhaite qu'ils soient de nature
à apaiser le mécontentement des architectes, qui ont manifesté leur totale
désapprobation sur le fond et sur la méthode utilisée. Cela a été largement
exprimé par le Conseil national de l'ordre des architectes et les conseils
régionaux, dont celui du Languedoc-Roussillon, qui m'ont prié de vous poser
cette question.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre-André Périssol,
ministre délégué au logement.
Monsieur le sénateur, je vous réponds au
nom de M. Pons, qui vous prie de l'excuser.
Vos inquiétudes s'appuient trop sur un écho que vous avez cité et qui est paru
dans la presse.
M. Bernard Pons a effectivement demandé aux services de l'équipement d'engager
une réflexion dans le cadre de la réforme de l'Etat décidée par le
Gouvernement. Des modifications pourraient être apportées au code de
l'urbanisme qui permettraient de simplifier les démarches administratives
imposées aux candidats constructeurs.
Cette réflexion, menée en étroite concertation avec les services du ministère
de la culture, vise en particulier à faire prévaloir les objectifs de la loi du
3 janvier 1977 sur l'architecture : « L'architecture est une expression de la
culture. La création architecturale, la qualité des constructions, leur
insertion harmonieuse dans le milieu environnant, le respect des paysages
naturels ou urbains ainsi que du patrimoine sont d'intérêt public. »
Monsieur le sénateur, dès que la réflexion sur les mesures de simplification
dont il s'agit sera suffisamment avancée et qu'elle sera plus formalisée, M.
Bernard Pons procédera à une large concertation afin de recueillir les avis
indispensables des pesonnes directement intéressées par la mise en oeuvre des
réformes envisagées.
Seront ainsi consultés le élus et les professionnels concernés, en particulier
l'ordre des architectes.
M. André Vezinhet.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Vezinhet.
M. André Vezinhet.
Monsieur le ministre, je vous remercie des réponses que vous venez d'apporter.
J'espère qu'elles seront de nature à apaiser les craintes d'une profession qui,
comme je vous le disais voilà un instant, est véritablement sinistrée.
Cependant, mon inquiétude demeure. J'ai en effet pris connaissance, récemment,
du rapport de notre collègue député, M. Houssin, qui, comme l'écrit
La
Tribune
du 30 janvier 1997, propose un véritable catalogue à la Prévert en
matière de simplification du mode de fonctionnement de l'Etat.
Dans une récente interview télévisée, M. le Président de la République prônait
cette simplification. Aurait-il été entendu au-delà de toute espérance au point
que le Gouvernement se livrerait avec trop de zèle à des réformes sans objet,
voire dangereuses ?
Quand je lis dans ce rapport de M. Houssin que l'on supprimerait le permis de
construire là où existe un plan d'occupation des sols structuré, cela ne peut
que susciter mon inquiétude. Par ailleurs, confier au maître d'ouvrage la
police de la conformité aux documents d'urbanisme me laisse plus que perplexe.
Un contrôle
a posteriori
pourrait être exercé par les tribunaux, voilà
une recommandation qui me trouble ainsi quand on sait la lenteur de notre
justice encombrée pour rendre ses jugements.
J'ai pris bonne note de votre réponse, monsieur le ministre, et je souhaite
que la concertation à laquelle vous vous êtes référé ait lieu.
La profession d'architecte est terriblement inquiète de ces dispositions dont
la préparation serait très avancée, comme en témoigne un article paru dans une
presse très spécialisée. Par conséquent, monsieur le ministre, nous resterons
très attentifs à l'évolution de la situation dans ce domaine.
M. le président.
Mes chers collègues, nous en revenons à la question de M. Barraux.
RÉGLEMENTATION RELATIVE À L'IMPLANTATION
DES RÉSEAUX DE GRANDE DISTRIBUTION
M. le président.
M. Bernard Barraux appelle l'attention de M. le ministre des petites et
moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat sur la loi du 5 juillet
1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat,
portant sur la réforme de l'urbanisme commercial, qui a prévu l'établissement
d'un programme national de développement et de modernisation des activités
commerciales et artisanales par le Gouvernement, qui est, en fait, un plan
d'occupation des sols au niveau des centres commerciaux urbains.
Il lui précise que cette mesure traduit la volonté du Parlement d'équilibrer
le paysage commercial français, de régler les questions de concurrence et
d'harmoniser la liberté d'entreprendre et que ces réformes, engagées au
printemps dernier, ne doivent pas se borner à accroître la rente de situation
des grandes chaînes de magasins déjà installées.
Il lui demande, en conséquence, s'il ne serait pas judicieux de demander aux
autorités compétentes en matière d'urbanisme commercial et de concurrence - à
savoir les préfectures, la direction générale de la consommation, de la
concurrence et de la répression des fraudes, la DGCCRF, les commissions
départementales d'équipements commerciaux - d'endiguer les excès de la grande
distribution et ses pratiques souvent déloyales, notamment en excluant
de
facto
le dossier d'implantation d'une enseigne de très grande distribution
qui tenterait de s'installer - en toute déloyauté - devant une enseigne plus
modeste, mais dont les efforts et les investissements ont été avérés.
Il lui indique que cette situation se produit souvent, trop souvent, et ruine
non seulement l'emploi local mais aussi l'esprit d'entreprise. (N° 539.)
La parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux.
Monsieur le ministre, je me permets d'appeler votre attention sur la loi du 5
juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de
l'artisanat. Cette loi portant sur la réforme de l'urbanisme commercial a prévu
l'établissement d'un programme national de développement et de modernisation
des activités commerciales et artisanales par le Gouvernement, qui est en fait
une sorte de plan d'occupation des sols pour les centres commerciaux
urbains.
Cette mesure traduit la volonté du Parlement d'équilibrer le paysage
commercial français, de régler les questions de concurrence et d'harmoniser la
liberté d'entreprendre. Ces réformes, engagées au printemps dernier, ne doivent
pas se borner à accroître la rente de situation des grandes chaînes de magasins
déjà installées.
En conséquence, monsieur le ministre, ne serait-il pas judicieux de demander
aux autorités compétentes en matière d'urbanisme commercial et de concurrence -
les préfectures, la direction générale de la consommation, de la concurrence et
de la répression des fraudes, la DGCCRF, et les commissions départementales
d'équipement commerciaux - d'endiguer les excès de la grande distribution et
ses pratiques souvent déloyales, notamment en excluant
de facto
le
dossier d'implantation d'une enseigne de très grande distribution qui tenterait
de s'installer - en toute déloyauté - devant une enseigne plus modeste, mais
qui a consenti des efforts et des investissements importants ?
Cette situation se produit souvent, trop souvent, et ruine non seulement
l'emploi local, mais aussi l'esprit d'entreprise.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre-André Périssol,
ministre délégué au logement.
Monsieur Barraux, vous voudrez bien
pardonner à l'un de vos voisins géographiques de vous transmettre la réponse de
M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de
l'artisanat, qui m'a chargé, en outre, de vous présenter ses excuses.
Parmi les réformes apportées à la loi d'orientation du commerce et de
l'artisanat du 27 décembre 1973 par la loi du 5 juillet 1996 relative au
développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat figure
l'institution d'un programme national de développement et de modernisation des
activités commerciales et artisanales, dont le contenu doit être porté à la
connaissance des commissions départementales d'équipement commercial par leur
président, c'est-à-dire le préfet.
Il s'agit d'un guide destiné aux commissions qui décrit les priorités de la
politique du Gouvernement en faveur de l'urbanisme commercial. A l'inverse des
plans d'occupation des sols, les POS, ce document n'est pas opposable aux tiers
et a simplement pour objectif de faire prendre en compte par les commissions
d'équipement commercial les objectifs fixés par le législateur : préservation
de l'emploi, aménagement du territoire, protection de l'environnement, qualité
de l'urbanisme, développement des activités commerciales, notamment dans les
zones rurales et de montagne, dans les centres-villes et les zones de
redynamisation urbaine.
Au-delà de ces principes, pour arrêter leurs décisions, les commissions
d'équipement commercial doivent prendre en compte, parmi les critères qui leur
sont fixés par la loi, les conditions d'exercice de la concurrence au sein du
commerce et de l'artisanat.
En effet, si la réforme du droit de la concurrence, qui fait l'objet d'une
législation différente de celle de l'équipement commercial, a déjà pour
objectif de sanctionner les déréférencements abusifs de fournisseurs et
d'éviter les comportements manifestement excessifs de certaines grandes
centrales d'achat, la loi du 27 décembre 1973 modifiée impose aux commissions
d'équipement commercial l'obligation de tenir compte, notamment pour les
projets les plus importants, des intentions des promoteurs d'établir des
relations privilégiées avec le tissu industriel ou alimentaire pour arrêter
leurs décisions.
En conséquence, les conditions dans lesquelles s'exerce la concurrence font
l'objet d'une préoccupation particulièrement vigilante des pouvoirs publics qui
doit permettre, comme vous le souhaitez, aux enseignes de dimension modeste de
tenir la place à laquelle elles peuvent prétendre.
MODALITÉS DE PRÉLÈVEMENT DE LA CONTRIBUTION
AU FONDS DE SOLIDARITÉ DES COMMUNES
DE LA RÉGION D'ÎLE-DE-FRANCE
M. le président.
M. Jean-Jacques Robert attire l'attention de M. le ministre délégué au budget
sur les modalités de prélèvement de la contribution de quinze communes de
l'Essonne au fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France.
La notification de cette contribution leur est parvenue au moment où ces
communes ont déjà voté leur budget primitif.
Dès 1995, afin de compléter l'imprimé fiscal 1259, ces communes se sont
renseignées auprès de leur centre départemental d'assiette et ont eu
confirmation d'un prélèvement devant intervenir à la source, c'est-à-dire en
amont du calcul du produit fiscal attendu pour l'équilibre de leur budget.
Les communes ont eu la désagréable surprise de constater un déficit sur leur
compte 777 - produits des impôts - d'un montant correspondant à la somme
annoncée au bénéfice du fonds de solidarité.
Ainsi, il s'avère que, contrairement aux instructions reçues, ce prélèvement a
été effectué sur le produit attendu, ce qui a eu pour effet de mettre leur
compte administratif en déséquilibre.
De plus, les notifications pour 1996 ont donné lieu à une première information
en février, avec une prévision de répartition des bénéficiaires dont les
communes ont tenu compte lors de l'élaboration de leur budget primitif et à une
seconde, en avril, qui a majoré le premier montant, alors même que les recettes
des impôts étaient déjà votées.
Il semble donc que cette contribution, déduite des recettes des communes, soit
considérée comme une dépense obligatoire. En tant que telle, elle devrait non
pas figurer sur l'état 1259, mais faire l'objet d'une inscription budgétaire, à
une ligne à définir dans le cadre comptable, le produit fiscal communal attendu
incluant cette dépense.
C'est pourquoi il lui demande s'il ne pourrait pas être envisagé une
présentation comptable différente de cette contribution, libellée en tant que
dépense obligatoire dans le compte administratif ; cela faciliterait une
meilleure compréhension du budget par les habitants de ces communes et
éviterait tout risque de déséquilibre financier du budget communal. (N°
532.)
La parole est à M. Jean-Jacques Robert.
M. Jean-Jacques Robert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quinze
communes de mon département, agissant solidairement, m'ont alerté sur les
conditions dans lesquelles, est prélevé, depuis 1994 leur contribution au fonds
de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France.
Il n'est pas question de remettre en cause le principe de cette contribution.
Cependant, en dépit des demandes répétées de compléments d'information restées
sans réponse à ce jour, les maires de ces communes veulent protester, à juste
titre, contre la manière dont se déroulent ces opérations de prélèvement. Les
mêmes difficultés se renouvellent chaque année.
Première difficulté : les notifications de prélèvement parviennent à ces
communes alors qu'elles ont déjà bouclé leur budget primitif et donc prévu
leurs ressources fiscales.
Ce décalage est pourtant contraire au principe selon lequel l'Etat doit
communiquer aux collectivités locales les informations nécessaires à la
préparation de leur budget en contrepartie de l'obligation qui leur est faite
de délibérer avant le 31 mars.
Prenons l'exemple de l'exercice 1996.
Le 30 janvier, un arrêté préfectoral fixant le montant provisoire de la
contribution est adressé aux maires concernés. Cet arrêté dresse une liste de
douze communes, assortie du montant correspondant pour chacune d'elles.
Le 9 avril, un deuxième arrêté du préfet de région fixe le montant définitif
et dresse une liste où figurent non plus douze mais quinze communes dont les
contributions sont définitivement arrêtées. Trois d'entre elles n'ont donc pas
été avisées, fin février, qu'elles auraient une contribution à verser. Il
s'agit de Morsang-sur-Seine, de Nozay et de Saint-Aubin. Elles découvrent,
après le vote de leur budget, qu'elles auront à subir un prélèvement non
négligeable : 40 000 francs à Morsang-sur-Seine pour 350 habitants ; 757 000
francs à Nozay pour 2 636 habitants et 300 000 francs à Saint-Aubin pour 736
habitants.
Neuf communes voient leur contribution définitive majorée dans une large
proportion par rapport au montant provisoire, dont il a été tenu compte dans
l'élaboration du budget communal : ainsi, Paray-Vieille-Poste doit acquitter
237 000 francs de plus ; on pourrait citer aussi les exemples de Morangis et de
Villebon.
Seconde difficulté rencontrée : lors de l'élaboration du budget de 1994 et
afin de compléter l'imprimé fiscal n° 1259, les communes contributrices avaient
reçu l'assurance du centre départemental d'assiette d'un prélèvement à la
source.
Elles ont eu la mauvaise surprise de constater, sur leur compte administratif
de 1994, un déficit du montant annoncé au profit du fonds, leur compte 777 se
retrouvant donc inférieur au produit voté.
Ainsi, il s'avère que, contrairement aux instructions reçues, le prélèvement a
été effectué par la trésorerie générale sur le produit attendu, ce qui a eu
pour effet de mettre leur compte administratif en déséquilibre.
Il semble donc que cette contribution, déduite des recettes de la commune,
devienne une contribution obligatoire.
Comment un habitant de Mauchamps, par exemple, peut-il s'y retrouver ? Sa
commune vote un produit fiscal attendu de 1 086 020 francs, mais la recette
inscrite dans le compte administratif ne s'élève qu'à 1 025 731 francs.
L'identification du montant prélevé n'apparaît nulle part.
Je pense donc qu'une meilleure lisibilité du prélèvement est nécessaire.
Accepteriez-vous, monsieur le ministre, de faire prendre les dispositions
nécessaires pour que soit mise en place une présentation comptable différente
afin que cette contribution apparaisse pour ce qu'elle est en réalité - une
dépense obligatoire - et pour qu'elle figure comme telle sur une ligne
supplémentaire à créer, à l'instar des dépenses d'aide sociale, par exemple
?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland,
ministre délégué aux finances et au commerce extérieur.
Monsieur le sénateur, je vous prie tout d'abord d'excuser M. Alain Lamassoure,
ministre délégué au budget, qui est retenu par ses fonctions. Je vous répondrai
donc à sa place sur la question que vous avez posée, relative au fonds de
solidarité des communes de la région d'Ile-de-France.
Vous avez évoqué la situation quelque peu délicate dans laquelle se trouvent
certaines régions, notamment à la suite des modifications intervenues en
1996.
Je ne rappellerai pas la logique de redistribution de ce fonds de solidarité
car vous la connaissez parfaitement. J'indiquerai simplement que le décret n°
91-1371 du 30 décembre 1991 relatif au prélèvement et au versement des
ressources de ce fonds précise, dans son article 1er : « Le prélèvement est
opéré mensuellement sur la base des données applicables au 1er janvier de
l'année en cours. Toutefois, jusqu'à ce que ces données soient disponibles, il
est effectué sur la base des données de l'année précédente, la régularisation
devant intervenir avant le 30 juin de l'année en cours ».
La détermination définitive des bases des données pour l'année courante
intervient au cours des premiers mois de l'année concernée. Elle peut donner
lieu à un réajustement du montant des prélèvements, qui se traduit soit par une
diminution, soit par une augmentation du montant des prélèvements ou, lorsque
la liste des communes contributives est modifiée, par un arrêt des prélèvements
de celles qui en sortent ou par le début des prélèvements de celles qui y
entrent.
Dans ce cadre, il appartient au préfet de la région, en tant qu'ordonnateur
des recettes du fonds, de notifier à chacune des communes contributives, avant
l'adoption des budgets locaux, soit avant le 31 mars de l'année en cours, le
montant du prélèvement.
La loi n° 96-241 du 26 mars 1996 portant diverses dispositions relatives aux
concours financiers de l'Etat aux collectivités territoriales et aux mécanismes
de solidarité financière entre collectivités territoriales a apporté des
modifications aux règles d'éligibilité et de répartition du fonds de
solidarité. C'est pourquoi, à titre exceptionnel, la notification des
contributions auxquelles étaient assujetties les communes en 1996 a été
effectuée après la date du 31 mars, soit le 9 avril, ce délai de neuf jours
seulement étant, je le reconnais, très important eu égard au vote des budgets
communaux.
S'agissant du département de l'Essonne, quinze communes furent contributives
au FSRIF en 1996, trois d'entre elles l'étant pour la première fois du fait de
l'adoption du projet de loi. Les autres collectivités qui contribuaient déjà au
financement du fonds de solidarité en 1995 connaissaient le montant du
prélèvement effectué par douzièmes sur leurs recettes fiscales.
En ce qui concerne la présentation comptable de la contribution au FSRIF, une
modification a été apportée en 1996 afin de répondre à la demande des élus
locaux.
Dorénavant et conformément au souhait exprimé, le montant brut de fiscalité
est inscrit au compte 777 et le montant de la contribution est prélevé d'office
par le débit d'un compte d'attente dans la comptabilité du comptable ; celui-ci
demande à la commune d'établir un mandat de ce montant au compte 65-51 créé à
cet effet, formule qui je pense, correspond à vos voeux.
M. Jean-Jacques Robert.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Jacques Robert.
M. Jean-Jacques Robert.
Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre, vous qui êtes déjà
intervenu à propos des pompes à essence pour une somme de 60 millions de
francs. J'ai ici la liste des communes concernées. Je ne les citerai pas pour
ne pas allonger le débat, mais disons qu'en l'occurrence ce sont 25 % de cette
dépense qui sont en cause, soit plus de 15 millions de francs, ce qui justifie
l'intérêt que, au nom de ces communes, je porte à la nouvelle présentation de
notre cadre comptable.
TAUX DE TVA APPLICABLE À LA MISE
À DISPOSITION DE MATÉRIEL D'ORCHESTRE
M. le président.
M. Jean Boyer attire l'attention de M. le ministre de la culture sur le taux
de TVA applicable à la mise à disposition de matériel d'orchestre. Il
semblerait qu'une incertitude existe conduisant tantôt à appliquer le taux de
20,6 %, tantôt à retenir celui de 5,5 %, dans la mesure où la mise à
disposition de matériel d'orchestre est une location de livres de musique -
livrets ou partitions d'oeuvres musicales. La différence de coût résultant de
l'application de l'un ou de l'autre taux est assez substantielle, notamment
pour les budgets étudiés au mieux des associations organisatrices de festivals
musicaux, pour justifier l'édiction de règles fiscales dépourvues d'ambiguïté.
(N° 526.)
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer.
Monsieur le ministre, les organisateurs de festivals musicaux - je suis
moi-même président du festival Berlioz de La Côte-Saint-André - sont amenés à
louer du matériel de nature diverse : des partitions mais aussi des gradins,
des sièges, etc.
Ma question porte plus particulièrement sur le taux de TVA applicable aux
partitions.
J'ai constaté que certains loueurs appliquaient un taux de 20,6 %, tandis que
d'autres, peut-être plus laxistes, se contentaient d'un taux de 5,5 %. J'ai
interrogé différents loueurs à ce sujet mais je n'ai jamais obtenu de réponse
précise. Peut-être, monsieur le ministre, serez-vous en mesure de m'apporter
les éclaircissements nécessaires.
Le problème peut paraître mineur mais, compte tenu des faibles moyens
financiers dont disposent généralement les festivals musicaux, il n'est pas
indifférent d'acquitter une TVA à 5,5 % ou à 20,6 % : la somme à mobiliser
n'est évidemment pas la même pendant le temps qui s'écoule entre le paiement de
la location et le remboursement de la TVA.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland,
ministre délégué aux finances et au commerce extérieur.
Monsieur le
sénateur, votre question s'adressait à M. le ministre de la culture, mais vous
conviendrez qu'elle a aussi un aspect financier puisqu'il s'agit de taux de
TVA.
La mise à disposition de matériel destiné soit à l'orchestre, soit au public -
chaises, gradins, matériel d'éclairage, matériel phonique ou acoustique, etc. -
constitue une location de biens meubles corporels qui, en tant que prestation
de services, relève du taux normal de 20,6 % de la taxe sur la valeur
ajoutée.
Cependant, le 6° de l'article 278
bis
du code général des impôts
prévoit une imposition au taux réduit de 5,5 % pour la vente des livres ainsi
que pour leur location.
Les livres sont définis comme des ensembles imprimés, illustrés ou non,
publiés sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une oeuvre de
l'esprit en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la
culture.
Les livrets ou partitions d'oeuvres musicales pour orchestre, qui s'analysent
comme des livres, donnent donc lieu à l'application du taux réduit.
Par conséquent, monsieur le sénateur, les loueurs qui vous ont facturé un taux
réduit ont fait preuve non de laxisme, mais d'une bonne interprétation de la
loi.
Bien entendu, en cas de location de matériels taxables à des taux différents,
le prestataire doit ventiler le prix global de la location dans sa comptabilité
et sur la facture délivrée. En ce qui concerne la location de biens meubles
corporels, le taux est de 20,6 % ; en ce qui concerne la location de
partitions, il est de 5,5 %.
Je pense, monsieur le sénateur, que cette précision sera utile non seulement
pour l'organisation du festival Berlioz de La Côte-Saint-André mais pour celle
de bien d'autres festivals musicaux qui se déroulent dans notre pays.
M. le président.
Voilà effectivement, monsieur le ministre, des informations qui seront
précieuses pour M. Jean Boyer mais aussi pour bon nombre d'entre nous.
M. Jean Boyer.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer.
Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de la clarté de vos
explications. Ce point ne souffrira plus, dorénavant, aucune ambiguïté.
UTILISATION DES CRÉDITS ACCORDÉS
À L'OFFICE FRANCO-ALLEMAND POUR LA JEUNESSE
AU TITRE DE L'ANNÉE 1996
M. le président.
M. Daniel Hoeffel attire l'attention de M. le ministre délégué à la jeunesse
et aux sports sur l'utilisation des crédits accordés à l'Office franco-allemand
pour la jeunesse au titre de l'année 1996.
A la suite de l'annonce, il y a un an, de la diminution de 5 % du budget de
cet organisme, la commission des finances de l'Assemblée nationale lui avait
accordé une subvention de un million de francs au titre de la réserve
parlementaire, aussitôt suivie par le Bundestag allemand, qui avait accordé une
somme équivalente.
Or il semble que cette subvention ait été finalement utilisée à d'autres fins
par le ministre de la jeunesse et des sports. Cette situation appelle dès lors
plusieurs questions.
Comment est-il possible que cette subvention parlementaire ait pu être
réaffectée sur décision du Gouvernement, et quelle en a été l'utilisation ?
Comment le ministre compte-t-il compenser le manque à gagner d'une valeur de 2
millions de francs qui en résulte pour l'Office franco-allemand pour la
jeunesse, dont le rôle essentiel dans la concrétisation de la construction
européenne et dans la coopération franco-allemande n'est plus à démontrer et
devrait au contraire être soutenu ? (N° 507.)
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le ministre, je suis heureux que vous puissiez répondre à cette
question qui était destinée au ministre délégué à la jeunesse et aux sports et
qui concerne l'utilisation, au titre de l'exercice 1996, de crédits destinés à
l'Office franco-allemand pour la jeunesse.
A la suite de l'annonce, il y a un an, de la diminution de 5 % du budget de
cet organisme, la commission des finances de l'Assemblée nationale lui avait
accordé une subvention de un million de francs au titre de la réserve
parlementaire, décision aussitôt suivie par le Bundestag allemand, qui avait
accordé une somme équivalente.
Or il semble que cette subvention ait été finalement utilisée à d'autres fins
par le ministre de la jeunesse et des sports, à qui j'ai posé la question lors
du débat budgétaire.
Est-il possible que cette subvention parlementaire ait pu être réaffectée sur
décision du Gouvernement ? Quelle en a été l'utilisation ?
Comment le ministre de la jeunesse et des sports compte-t-il compenser le
manque à gagner d'une valeur d'environ 2 millions de francs qui en résulte pour
l'Office franco-allemand pour la jeunesse, lequel joue, nous le savons, un rôle
essentiel dans la concrétisation de la construction européenne et,
particulièrement, dans la coopération franco-allemande ?
Il se trouve que les mêmes conditions sont réunies au titre de l'exercice
budgétaire 1997. Or il me paraît souhaitable que ne soit pas réitéré cette
année ce que je viens de décrire concernant l'exercice 1996.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland,
ministre délégué aux finances et au commerce extérieur.
Monsieur le
sénateur, vous voudrez bien excuser M. Guy Drut, ministre délégué à la jeunesse
et aux sports, qui ne pouvait être présent au Sénat ce matin. C'est avec grand
plaisir que je m'efforcerai de vous répondre à sa place, non sans mettre en
avant votre attachement personnel à l'amitié franco-allemande et à tous ses
prolongements, votre très fort engagement européen ainsi que votre volonté de
rigueur budgétaire, étant entendu que cette rigueur est un indispensable
préalable à l'union monétaire. Je suis convaincu que c'est là une donnée à
laquelle vous ne pouvez être insensible.
Soyez assuré de l'attachement du Gouvernement au bon fonctionnement de
l'Office franco-allemand pour la jeunesse, l'OFAJ, qui est effectivement au
coeur des relations entre les deux Etats.
En 1996, le Gouvernement a dû procéder en fin d'année, dans le cadre du décret
d'avance, à des annulations de crédits afin que soient respectées, dans le
contexte difficile que vous connaissez, les prévisions en matière de déficit
budgétaire.
Pour ce qui concerne le ministère de la jeunesse et des sports, au total, 10 %
des crédits d'intervention ont été annulés. Je puis vous assurer que,
néanmoins, tout a été mis en oeuvre pour préserver au maximum les crédits
affectés à l'OFAJ.
Dès le début de l'année, le crédit d'un million de francs voté au titre de
l'amendement parlementaire a été délégué. En fin d'année, pour les raisons que
j'ai indiquées, il a été nécessaire de procéder à une annulation d'un montant
équivalent sur les crédits budgétaires.
Il convient de souligner que cette annulation de un million de francs
représente moins de 1,5 % de la dotation initiale de l'OFAJ ; c'est fort
modeste en regard du taux d'annulation de 10 % sur les crédits d'intervention
dont j'ai fait mention. Cette comparaison montre que, en termes relatifs,
l'OFAJ demeure une forte priorité du ministère de la jeunesse et des sports, et
je suis certain que vous comprendrez cette décision imposée par un souci de
rigueur budgétaire.
Je crois pouvoir affirmer qu'elle n'a, au demeurant, pas entravé le bon
fonctionnement de l'Institut franco-allemand pour la jeunesse, qui a par
ailleurs obtenu en 1997 des crédits supplémentaires du fonds social
européen.
M. Daniel Hoeffel.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel.
Monsieur le ministre, j'ai bien noté l'aspect « psychologique » de la
présentation que vous avez faite de l'argumentation du ministère de la jeunesse
et des sports. Je souhaiterais cependant que le dérapage de 1996 ne se répétât
point en 1997.
Il y va, d'abord, du respect des décisions prises par le Parlement français,
puisqu'il s'agissait de la réserve parlementaire.
Il y va, ensuite du respect dû à notre partenaire, le Parlement allemand en
l'occurrence, qui a aligné sa décision sur celle du Parlement français.
Il y va, enfin, de la nécessité de démontrer, par des actions concrètes, notre
attachement à la coopération franco-allemande, qui ne saurait se fonder
seulement sur des incantations. A cet égard, l'Office franco-allemand pour la
jeunesse ne peut se contenter de promesses : il doit savoir sur quels moyens
financiers il peut compter.
Je veux encore croire qu'en 1997 le Gouvernement ne prendra pas de nouveau la
décision d'annulation que, pour les raisons que vous avez exposées, monsieur le
ministre, il a estimé opportun de prendre en 1996.
M. le président.
L'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre
nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à seize heures cinq,
sous la présidence de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président.
La séance est reprise.7
RAPPELS AU RÈGLEMENT
M. Claude Estier.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Je suis heureux, monsieur le président, que vous dirigiez nos travaux, car mon
rappel au règlement concerne leur organisation.
Nous allons engager dans quelques instants un débat d'une particulière
importance,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Il est essentiel !
M. Claude Estier.
... portant sur les problèmes relatifs à l'immigration. Quelles que soient nos
opinions sur ce sujet, je pense que nous sommes tous d'accord pour estimer
qu'il s'agit d'un débat essentiel.
Or il se trouve que cet après-midi se tiennent trois réunions importantes,
dont l'une - vous la présidez, monsieur le président - concerne la
mondialisation de l'économie, avec l'audition du directeur général de
l'Organisation mondiale du commerce - ce n'est pas rien ! - et de M. Jean-Paul
Fitoussi, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris.
Au même moment se trouve réunie la mission d'information sur la place et le
rôle des femmes dans la vie publique, mission tout à fait intéressante à
laquelle je souhaite personnellement participer et qui entendra également,
plusieurs personnalités.
Cet après-midi encore, la commission des affaires sociales se réunira, de
dix-sept heures à dix-neuf heures, afin de procéder à des auditions concernant
la proposition de loi relative à la négociation collective et instituant un
contrat collectif d'entreprise.
Aussi, monsieur le président, alors que les réunions des commissions doivent
en principe se tenir le mercredi matin, comment pouvons-nous organiser
sérieusement nos travaux si ces réunions, comportant l'audition de
personnalités importantes, se déroulent le mardi après-midi, au moment même où
le Sénat engage un débat fondamental ?
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
celles du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du
RDSE.)
M. Jack Ralite.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite.
Mon rappel au règlement concerne lui aussi l'organisation de nos travaux.
Au moment où nous entamons l'examen du projet de loi portant diverses
dispositions relatives à l'immigration qui bafoue les droits du peuple et
désigne honteusement aux Français en difficulté les immigrés comme cause de
leurs malheur, au moment où le Gouvernement veut inscrire dans la loi ce que
précisément la loi, n'abandonnant pas son code républicain, qui est toujours à
enrichir, devrait combattre, au moment où le Gouvernement ignore, oublie ou
méprise les droits de l'homme,...
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR et
de l'Union centriste.)
M. Gérard Braun.
Pas vous !
M. Jack Ralite.
... au moment où le Gouvernement célèbre l'Europe et tourmente les étrangers
présents sur notre sol, au moment où le Gouvernement avoue, par ce projet de
loi, son incapacité politique à résoudre le problème de l'exclusion et recourt
à la « racisation » de la question sociale, oui, à ce moment, dans le voisinage
du Sénat, de nombreux citoyens, Français, immigrés, sans-papiers et
associations s'assemblent pour exiger que ce texte soit rejeté et les lois
Pasqua abrogées.
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Ils ont accumulé faits, arguments et propositions qui plaident contre
l'exigence acharnée d'un sens unique et dominateur rejoignant les mal-pensées
du Front national et pour que le règne de l'égalité s'épanouisse.
M. le président.
Ce n'est plus un rappel au règlement, monsieur Ralite !
M. Jack Ralite.
J'en ai terminé, monsieur le président !
Nous devons entendre ces femmes et ces hommes.
Pour cela, je demande qu'à dix-huit heures, au moment fort de l'expression
démocratique et pluraliste qui ose inventer, elle, de nouvelles libertés, soit
décidée une suspension de séance d'un quart d'heure, afin que les sénateurs
puissent rencontrer et écouter les manifestants.
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Par ailleurs, je souhaite que vous acceptiez, monsieur le président, de
recevoir une délégation...
(Non ! sur les mêmes travées.)
... des organisations ayant appelé à cette
manifestation. Elles en avaient d'ailleurs fait la demande.
Je regrette, mes chers collègues, que certains d'entre vous donnent le « la »
anti-liberté à l'ouverture de cette discussion !
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes. - Vives protestations sur les travées
des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac.
Ça vous va bien !
M. le président.
Monsieur Estier, j'ai pris acte de votre appel à une meilleure organisation de
nos travaux. Je souligne cependant que la conférence des présidents est
souveraine. Peut-être demanderai-je simplement à leurs présidents de veiller à
faire en sorte que les réunions des commissions ne se tiennent pas pendant les
séances publiques, d'autant que le mercredi matin leur est réservé.
Monsieur Ralite, votre rappel au règlement n'en est pas un. Je peux toutefois
vous indiquer que je reçois tout le monde et que, avant même que vous n'en
parliez, j'avais déjà décidé de recevoir une délégation.
Mme Hélène Luc et M. Ivan Renar.
Très bien !
M. le président.
Je n'ai donc pas attendu vos conseils pour le faire, monsieur Ralite.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
8
DIVERSES DISPOSITIONS
RELATIVES À L'IMMIGRATION
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 165, 1996-1997),
adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à
l'immigration. [Rapport n° 200 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, la France est riche des hommes et des femmes qui la constituent.
Elle est accueillante depuis toujours pour les étrangers qui désirent
s'associer à son histoire. Elle continuera d'affirmer cette tradition séculaire
et y restera fidèle, parce que la République a cette fierté d'être ouverte à la
diversité. Aujourd'hui encore, elle accueille chaque année plus de 100 000
étrangers dans des conditions régulières.
Cela n'est pas en cause et ne le sera jamais, car il n'est pas question
d'interdire toute immigration. Ce serait une entrave à notre
développement...
M. Jacques Mahéas.
Retirez le projet de loi !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
... et une atteinte au rayonnement de la culture
française. Les 35 000 étudiants étrangers que nous accueillons chaque année
dans l'enseignement supérieur sont donc les bienvenus en France et le
resteront.
Cependant, la réalité n'est pas seulement faite de l'intégration paisible des
étrangers en situation régulière, en harmonie avec nos lois. Notre démocratie
ne peut, hélas ! se contenter d'être accueillante et généreuse.
En effet, elle doit aussi affronter une autre réalité, celle des quartiers
sensibles touchés par une immigration clandestine mal maîtrisée, et celle,
aussi, des ateliers clandestins, dans lesquels des ouvrières et des ouvriers
d'origines lointaines travaillent dans des conditions sordides, souvent
dégradantes, parfois humiliantes, toujours inacceptables, pour honorer la
lourde dette contractée à l'égard du passeur.
M. Jacques Mahéas.
C'est du Zola !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ces ouvrières et ces ouvriers sont très souvent
exploités honteusement, pour le seul profit de certains. Ce n'est pas tolérable
!
Vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, voté une réforme très
importante, à l'instigation de mon prédécesseur M. Charles Pasqua, membre
aujourd'hui de votre assemblée, et je salue l'oeuvre entreprise. Mais
l'objectif a-t-il été complètement atteint ? Avons-nous totalement maîtrisé
l'immigration irrégulière ? Vous savez que, en dépit des progrès, subsistent
des insuffisances.
Pouvez-vous accepter, vous, législateurs, que la loi soit mal appliquée ?
Pouvons-nous supporter ces défauts qui entravent l'action de l'Etat ? Après
vingt mois d'expérience au ministère de l'intérieur, je suis convaincu qu'il
faut agir et je souhaite que vous partagiez ma conviction.
Naturellement, il s'agit non pas de bouleverser la loi votée en 1993, mais
bien au contraire de la conforter et d'accomplir la volonté que vous aviez
alors affirmée, d'où ce projet de loi.
M. Jacques Mahéas.
Pasqua rectifié Debré !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Les événements de l'été 1996 ont suffisamment
illustré la nécessité de son dépôt pour que je n'y revienne pas.
Oui, nous devons prendre garde : au-delà des péripéties
juridico-administratives, c'est une redoutable pression sur nos pays
occidentaux qui s'exerce, et cette pression ne fera que croître à la faveur des
déséquilibres économiques et démographiques que connaissent certains pays,
parfois proches.
Dès lors, il faut poser clairement pour principe que, en harmonie avec nos
voisins européens, nous n'accepterons pas l'immigration irrégulière et que les
étrangers qui enfreignent nos lois - je le dis très nettement et très
tranquillement - retourneront chez eux, tôt ou tard.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
L'affirmation de ce principe clair et démocratique du respect de la loi est
aussi un message à l'intention de tous les candidats à l'immigration illégale.
C'est ce message que je vous propose de confirmer par le vote du projet de loi
qui vous est proposé : nous devons montrer que le législateur ne négligera rien
pour colmater concrètement, au fur et à mesure de leur apparition, toutes les
failles dans la maîtrise de l'immigration.
Si l'édifice bâti en 1993 n'était pas conforté comme le propose le
Gouvernement, si les Français ne constataient pas qu'enfin les textes
législatifs sont appliqués dans les faits, alors, oui, il faudrait craindre le
rejet de l'étranger, qu'il soit en situation irrégulière ou régulière,
l'aggravation de la violence dans certains quartiers et le développement de
l'économie souterraine et de la délinquance associée. Il faudrait enfin
redouter l'effondrement des valeurs républicaines auxquelles nous croyons tous.
En effet, la tradition d'accueil de notre pays, sa générosité envers ceux qui
choisissent d'y vivre en paix avec nos lois, en y apportant leur coeur, leur
histoire, leur culture, ne résisteraient pas longtemps au maintien d'une
immigration irrégulière mal maîtrisée.
On voit trop ce que donnent à l'étranger de tels phénomènes. Ils génèrent la
constitution de communautés hermétiques, voire hostiles à la société
environnante. L'intégration des étrangers en situation régulière, qui reste
encore un succès dans notre pays, ne pourrait plus constituer la référence
utile à l'édification de la France de demain.
Alors, oui, je vous propose d'agir, non pas de manière univoque, en donnant
dans le tout répressif comme certains voudraient le faire croire, non pas en
dehors des principes constitutionnels - je vous suggère, au contraire, de les
prendre en compte méticuleusement - mais avec le souci unique et constant de la
pratique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je présenterai en quelques mots les
principaux points forts du présent projet de loi.
En matière d'éloignement, notre handicap majeur dérive sans nul doute de la
brièveté de la rétention administrative. Dans un souci d'efficacité immédiate,
je vous propose de prendre en compte cette contrainte, sans rechercher de
biais.
Tout ce qui est alors possible vous est proposé à l'article 8 de ce projet de
loi. C'est assurément le coeur du projet et les leçons de ce que nous avons
vécu cet été.
Il en est ainsi de la prolongation de vingt-quatre à quarante-huit heures de
la première période de rétention administrative, afin que le débat devant le
juge sur la prolongation de cette rétention puisse être parfaitement éclairé
des éléments qui doivent concourir à la décision du juge.
De même je crois profondément nécessaire de faire échec à des décisions
mettant fin sans recours utile à une rétention administrative. Il convient à
cet effet de confier aux magistrats du parquet le soin de saisir la cour
d'appel d'une demande tendant à suspendre la décision du premier juge.
C'est nécessaire pour que l'application de la loi ne soit pas paralysée dans
des circonstances comme celles que nous avons connues. C'est utile aussi par
égard pour la cour d'appel qui, sans cela, est amenée à statuer sur un litige
vide de sens, puisque l'étranger dont la rétention a pris fin retourne le plus
souvent à la clandestinité.
Cet appel suspensif, dont l'autorité judiciaire reste entièrement maîtresse,
rétablirait l'équilibre dans les procédures, en faveur de l'application de la
loi.
Troisième leçon que l'on peut tirer de l'expérience vécue depuis quelques mois
: il est nécessaire de donner un contenu à la rétention judiciaire. Elle a été
instituée en 1993, mais elle reste presque ignorée.
Pour remédier à cet état de choses, il faut recourir à une méthode simple,
consistant à étendre son champ d'application à l'ensemble des délits de séjour
irrégulier, ou de refus d'embarquement, ces derniers représentant 5 % des
échecs de reconduite.
Cette rétention judiciaire de trois mois serait un atout maître pour engager
la procédure d'identification des étrangers concernés, sans pour autant
recourir à l'incarcération, qui doit rester l'ultime recours.
La lutte contre l'immigration irrégulière, c'est aussi la lutte contre les
filières d'immigration irrégulière. De grandes organisations criminelles s'y
investissent de plus en plus, pour un profit immédiat jusqu'alors sans grand
risque.
La création de l'Office central spécialisé de la direction centrale du
contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins,
l'OCRIEST - Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et
l'emploi des étrangers sans titre - sera la base de l'action quotidienne des
services de police et de leurs succès déjà significatifs.
Mais il faut, je le crois très profondément, aller plus loin et les doter des
pouvoirs juridiques utiles à leurs investigations. D'où l'idée, simple, de leur
donner la capacité de procéder à la visite sommaire des camions dans la bande
des vingt kilomètres au voisinage de nos frontières. D'où l'article 10, qui
vise à fonder, sur réquisition du parquet, la visite des chantiers et des
ateliers de production, afin de procéder à des contrôles d'identité.
Sans doute, dans ce dernier cas, ne doit-on pas confondre immigration
irrégulière et travail dissimulé. Mais ne nous voilons pas la face : les
ateliers clandestins soutiennent les filières d'immigration clandestine. Les
statistiques montrent toute l'importance de la main-d'oeuvre étrangère dans les
affaires de travail illégal, même si les employeurs fautifs sont, hélas ! très
souvent, trop souvent, des Français.
Mme Hélène Luc.
Que fait le Gouvernement pour les empêcher d'agir ?
M. Jean-Louis debré,
ministre de l'intérieur.
Au passage, je mentionne aussi diverses
dispositions, dont nous reparlerons dans le cours du débat. Il en est ainsi de
la retenue des passeports, nécessaire pour conjurer tout risque d'échec des
éloignements. Il en est de même de la lutte contre les demandes d'asile
frauduleuses, qui représentent 5 % des demandes.
Je crois devoir insister davantage sur les articles 1er et 4 du texte,
c'est-à-dire sur le certificat d'hébergement et sur le droit au séjour reconnu
à diverses catégories d'étrangers.
L'article 1er vise seulement à codifier plus précisément les cas dans lesquels
le maire peut, au nom de l'Etat, refuser de signer un certificat
d'hébergement.
Il ne s'agit pas d'entraver la liberté d'accueil de chaque résident en France
à l'égard des étrangers. Il ne s'agit pas davantage, comme on l'a dit trop
souvent, de constituer un fichier des hébergeants.
Il faut, selon moi, simplement donner au maire les moyens de mettre en échec
les professionnels de l'hébergement factice. C'est tout l'intérêt de l'enquête
administrative qu'il pourra demander, indépendamment des visites de l'OMI,
l'Office des migrations internationales, qui restent le moyen de droit commun
pour vérifier la capacité d'hébergement du logement.
M. Bernard Piras.
Et le préfet, alors ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
La véritable nouveauté tient à l'obligation
faite à l'hébergeant de déclarer le départ de l'hébergé de son domicile. La vie
privée et la liberté individuelle peuvent s'accommoder de cette formalité
simple, d'autant plus qu'à défaut de l'avoir satisfaite l'hébergeant de bonne
foi pourra s'en justifier.
A l'inverse, les professionnels du faux hébergement - et ils sont de plus en
plus nombreux - devraient en ressentir une gêne dissuasive ; c'est tout
l'intérêt de la réforme que je vous propose.
Cela n'interdit pas de réfléchir à d'autres idées, comme l'a fait
l'Association des maires de France, et j'ai bien noté les suggestions que m'a
faites son président, M. Delevoye. J'ai relevé, en particulier, son souci d'un
exact partage entre les tâches qui incombent aux autorités décentralisées et
celles qui doivent relever de l'Etat, sans confusion entre leur rôle respectif.
Je souscris à cette exigence de clarté.
J'ajoute que le projet de loi n'a pas pour objet d'instituer à la charge des
maires une police de l'hébergement, pour laquelle ils ne sont pas armés. Il
vise simplement à garantir l'exacte information des maires avant tout visa d'un
certificat d'hébergement.
L'objectif doit être clair : la procédure du certificat d'hébergement, créée
en 1982, ne doit pas être bloquée par des réticences de principe. Ces blocages
existent ici ou là, vous le savez mieux que quiconque. Le texte du Gouvernement
a pour objet de les surmonter, sans pour autant faire remonter directement le
tout à l'échelon du préfet.
J'en viens à l'article 4. Là encore, je le justifierai par l'expérience. La
situation des étrangers qui ne sont pas expulsables en vertu de la loi, sans
que celle-ci leur reconnaisse un droit au séjour, n'est pas logique, ni
tenable. Surtout pas lorsque la vie familiale de ces étrangers est en cause.
Bien sûr, les préfectures ont réglé un grand nombre de difficultés au cas par
cas, ou même sur instruction, comme pour les parents d'enfants français.
Mais il me semble que le temps est venu de traiter vraiment le problème dans
la loi, afin de gagner en clarté et en équité.
L'article 4 offre donc un accès à un titre de séjour d'un an aux parents
étrangers d'enfants français.
Mme Monique ben Guiga.
Ce n'est pas extraordinaire !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Il en est de même pour les conjoints de
Français, mariés depuis plus d'un an et entrés régulièrement en France. Il
donne également vocation à un titre de séjour aux jeunes majeurs venus avant
l'âge de dix ans, hors regroupement familial, si leur vie familiale est en
France.
Reste le cas des étrangers qui vivent en France depuis plus de quinze ans.
M. Jacques Mahéas.
Ah !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement proposait de régler également
leur situation par l'attribution d'un titre provisoire d'un an, sous réserve de
l'ordre public et de la polygamie.
L'Assemblée nationale ne l'a pas jugé souhaitable. Pour ma part, je demeure
convaincu que le texte du Gouvernement était équilibré et juste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter un éclairage
complémentaire sur quelques autres amendements adoptés par l'Assemblée
nationale. J'évoquerai tout d'abord les fichiers d'empreintes digitales visés à
l'article 3.
L'article 8-3, que l'Assemblée nationale propose d'introduire dans
l'ordonnance de 1945, est particulièrement important. Il me paraît souhaitable
de faire part au Sénat de la lecture qu'en fait le Gouvernement.
D'abord, il faut bien distinguer les deux alinéas qui composent cet article,
car ils ont des objets différents.
Le premier alinéa doit être interprété comme un dispositif cadre. En effet, il
ne prévoit qu'une simple faculté de procéder au relevé des empreintes et à leur
traitement.
Cette prudence fait écho aux difficultés techniques et budgétaires d'un tel
projet.
Il est clair que l'ambition des auteurs de l'amendement n'est pas réalisable
immédiatement si l'on retient le relevé d'empreintes dans les consulats. Au
surplus, la nécessaire concertation avec nos partenaires, dans le cadre de
Schengen, n'a pas eu lieu.
Enfin, selon les premiers chiffrages, l'investissement nécessaire représente
des sommes importantes. C'est pour l'ensemble de ces raisons que le
Gouvernement n'avait pas prévu ce fichier dans son texte initial.
L'Assemblée nationale a cependant souhaité marquer dès à présent une grande
détermination en ce domaine. Le Gouvernement en tiendra naturellement compte,
en particulier si le Sénat confirme l'intérêt que les députés portent à ce
projet.
Le second alinéa évoque des problèmes entièrement différents. Il s'agit de
s'assurer que les services de police et les préfectures pourront accéder, dans
la mesure du nécessaire, aux empreintes de ressortissants étrangers détenues
par les autorités publiques. Cela vise en premier lieu l'OFPRA, l'Office des
migrations internationales, qui dispose d'un fichier d'empreintes des
demandeurs d'asile. Mais cela vise aussi tout autre fichier, et en particulier
celui de l'identité judiciaire.
En pratique, il paraît tout à fait normal d'en venir là, car le problème de
l'identification des étrangers en situation irrégulière est la clé de leur
renvoi dans leur pays d'origine. N'est-il pas naturel que, en conséquence,
l'administration puisse mobiliser toutes les informations disponibles ?
Sous réserve d'ajustements de rédaction, je soutiens donc le texte voté par
l'Assemblée nationale.
Je tiens cependant à préciser, en ce qui concerne l'OFPRA, qu'il s'agit
d'accéder non pas à des archives ou à des documents, mais seulement à des
éléments d'identification ; les récits des demandeurs d'asile demeurent
évidemment couverts par une immunité totale.
Je dirai quelques mots des autres amendements votés par l'Assemblée nationale.
Je réserverai une mention particulière pour la Guyane, où le problème de
l'immigration atteint, vous le savez, une gravité exceptionnelle. Au-delà des
quelques dispositions insérées par l'Assemblée nationale sur les contrôles
d'identité en zone frontalière et la visite des véhicules, nous devrons sans
aucun doute ultérieurement réfléchir avec les élus de ce département à un
dispositif plus conséquent.
Par ailleurs, je crois possible, comme l'a fait l'Assemblée nationale, de
prendre des garanties supplémentaires pour l'ordre public, contre la fraude et
contre le travail illégal, au moment du renouvellement ou de l'attribution des
titres de séjour, ainsi que cela apparaît aux articles 3
bis,
3
ter,
4
bis
et 4
ter.
J'ai plus de doute sur l'article 6
ter
concernant le regroupement
familial, car la jurisprudence constitutionnelle me paraît bien établie, même
si je partage pleinement la préoccupation de l'Assemblée nationale sur la
polygamie.
Je reviendrai par ailleurs sur certains autres articles dans le cours du
débat, car je ne voudrais pas égrener les mesures envisagées à ce stade,
d'autant que l'excellent rapport de M. Masson et les travaux très approfondis
de la commission des lois, sous la présidence de M. Larché
(Exclamations sur les travées socialistes),
ont permis d'éclairer dès à
présent chacun des points en discussion.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux simplement témoigner de l'esprit
d'ouverture avec lequel le Gouvernement aborde ce débat. Je crois à une vraie
discussion, et non aux invectives ; je crois à la nécessité d'un vrai échange
d'idées entre nous.
Le Sénat apportera, j'en suis certain, toute son expérience, toute sa sagesse,
toute sa sérénité naturelle à l'examen des enjeux, et il donnera au
Gouvernement, c'est-à-dire à l'Etat, les moyens d'éclairer son propre jugement
dans le cours des navettes qui auront lieu et qui permettront d'aller jusqu'au
bout de la réflexion.
Je terminerai cette intervention en répondant par avance à ceux qui
soutiennent qu'il faudrait « repenser » complètement notre législation sur les
étrangers.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Oui ! Oui !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
On entend dire aussi qu'un replâtrage de plus
est inutile et que l'on ne pourra rien résoudre sans rebâtir l'ensemble.
Sans doute certains n'apprécient-ils pas le manteau d'Arlequin que constitue
aujourd'hui l'ordonnance de 1945 sur les étrangers, après vingt-trois
modifications. Mais, quant à moi, je cherche le résultat immédiat qu'attendent
les Français ; dans cette construction difficile et délicate, je vous propose
d'apporter quelques pièces de plus, exactement calibrées et strictement
nécessaires.
Cette démarche n'est-elle pas la seule qui, dans tous les domaines, permette à
nos concitoyens de se reconnaître dans l'expression parlementaire de la volonté
générale ? N'est-elle pas aussi le moyen de prouver, une fois encore, que le
respect des valeurs républicaines n'empêche pas, bien au contraire, d'obtenir
des résultats concrets ? Ne peut-on ainsi démontrer que le pragmatisme, à
l'opposé du dogmatisme, donne toute sa force à l'action des gouvernants ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour toutes ces raisons, je vous propose
d'adopter ce projet de loi, et je compte à cet égard sur le soutien du Sénat.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous engageons, cet
après-midi, la vingt-quatrième modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945
relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Qui
oserait ici affirmer que ce nouvel ajustement d'un texte fondamental pour
l'équilibre de notre démocratie sera le dernier ?
Sans doute le moment viendra-t-il de la refonte de ce texte, vieux d'un
demi-siècle, concernant un phénomène qui a prodigieusement évolué ces vingt
dernières années. Ce n'en est pas aujourd'hui l'heure, et le débat qui s'engage
concerne uniquement un projet de loi « portant diverses dispositions relatives
à l'immigration ».
Mon rapport n'a donc d'autre objet que d'examiner des propositions techniques
d'adaptation de procédures administratives et judiciaires particulièrement
complexes. Il est bien clair qu'il ne s'agit pas, ici, de recommencer les
discussions qui précédèrent les lois d'août et de décembre 1993. Ces textes
sont en place. Ils sont le reflet d'une volonté politique forte, portée par une
majorité populaire.
Ces textes, que j'ai eu l'honneur de rapporter en 1993 devant la Haute
Assemblée,...
M. Marcel Charmant.
On a vu qu'ils n'étaient pas applicables !
M. Paul Masson,
rapporteur.
... ont abouti à la modification de plus de la moitié des
articles de l'ordonnance.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà le résultat !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Quatre nouveaux chapitres ont été intégrés dans la loi de
1993, dont deux concernent le regroupement familial et les demandeurs d'asile,
qui relevaient jusqu'alors de textes réglementaires. Les résultats positifs
commencent à apparaître dans leurs traductions statistiques.
M. Jacques Mahéas.
Ils sont inefficaces !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Inefficaces et cruels !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je vous renvoie, à cet égard, à mon rapport écrit, qui fait
état de chiffres enregistrés en 1995 et en 1996.
Je veux saluer ici, avec ces premiers résultats, non seulement la persévérance
et la détermination de M. le ministre de l'intérieur, mais aussi sa lucidité et
son courage.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. Jacques Mahéas.
C'est bien la première fois !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je veux également saluer le travail mal connu, ingrat, mal
évalué, souvent caricaturé des forces de police et de gendarmerie engagées sur
ce terrain.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Ces fonctionnaires et ces militaires, modestes et consciencieux, appliquent
des procédures particulièrement complexes avec la plus grande objectivité et un
sang-froid absolu
(Exclamations sur les travées socialistes),
malgré la
difficulté d'opérer sur un terrain particulièrement passionnel.
M. Jean-Louis Carrère.
Violent !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Chacun sait que les mesures concernant l'application de la
loi aux étrangers en situation irrégulière doivent être appliquées avec
fermeté, mais aussi avec sagesse.
M. Bernard Piras.
Ah oui !
M. Jacques Mahéas.
A la hache !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Le chemin est étroit entre la passivité et la maladresse.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Ah ça, oui !
M. Paul Masson,
rapporteur.
La médiatisation extrême de certaines situations
particulières, parfois provoquée à dessein, risque en beaucoup d'occasions de
conduire à l'erreur tactique. En toutes occasions, les forces de l'ordre ont su
répondre aux exigences de la loi. Je tiens à le souligner au début de ce débat,
durant lequel je m'attacherai personnellement à éviter la passion et la
polémique.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Avant d'entrer dans l'analyse du projet de loi, je souhaite rappeler à la
Haute Assemblée trois principes fondamentaux qui encadrent
constitutionnellement notre droit en cette matière.
Premièrement, aucun principe, aucune règle de valeur constitutionnelle
n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de
séjour sur le territoire français. Le législateur a toute latitude pour mettre
en oeuvre les objectifs qu'il s'assigne. Dans ce cadre juridique particulier,
les étrangers sont dans une situation différente de celle des nationaux.
L'étranger en France a un statut spécifique.
Deuxièmement, dans l'élaboration de ce droit spécifique qui régit l'état
d'étranger, le législateur doit bien évidemment respecter les libertés et les
droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui
résident sur le territoire national, quel que soit leur statut.
Enfin, le législateur doit également chercher à assurer en tout lieu et en
toute situation l'ordre public. Cet autre objectif, également de valeur
constitutionnelle, trop souvent oublié dans le débat, est inscrit dans notre
Déclaration universelle des droits de l'homme. Le droit à la sûreté est aussi
une liberté fondamentale.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Evidemment, la conciliation de ces trois principes fondamentaux relève
parfois d'un exercice délicat. Le texte que nous abordons maintenant va nous
donner plusieurs occasions de nous en apercevoir.
Le projet de loi a deux objectifs.
Il vise tout d'abord à aboutir à un meilleur contrôle des entrées irrégulières
et à une plus grande efficacité dans l'application des mesures d'éloignement
prises à l'encontre de ceux qui n'ont aucun titre pour séjourner sur le
territoire. Il faut savoir que, à l'heure actuelle, 70 % des mesures
d'éloignement ne peuvent pas être mises en oeuvre parce que l'étranger n'est
pas identifiable : il ne présente pas ses papiers, il les cache ou il les
détruit ; il dissimule sa nationalité, et certains consulats font de la
rétention d'information. La brièveté des délais dans lesquels est enfermée la
procédure fait le reste : 74 % des cas d'inexécution de l'interdiction du
territoire et 30 % des inexécutions des reconduites à la frontière s'expliquent
ainsi.
Le projet de loi a par ailleurs un objectif de clarification. De modification
en modification, les règles d'entrée et de séjour sont devenues de plus en plus
complexes. La poursuite d'objectifs différents dans le cadre d'une même
législation a pu conduire à des situations parfois inextricables. Sans doute
ces cas sont-ils peu nombreux et les préfets ont-ils toujours la possibilité
d'assouplir le texte. Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, il
paraît aujourd'hui au Gouvernement nécessaire de stabiliser la situation
d'étrangers qui ne sont actuellement ni éloignables ni domiciliables ; le
rapporteur que je suis partage ce sentiment.
Sur ce texte, l'Assemblée nationale a apporté de nombreuses modifications et
quelques adjonctions. Le rapport Mazeaud met bien en relief les travaux récents
qui ont guidé l'Assemblée nationale dans ses choix. Il y a d'excellentes
observations dans le rapport de la commission d'enquête présidée par notre
collègue M. Philibert. De même, celui de M. Léonard est particulièrement fourni
en données statistiques. Comme l'écrit M. Mazeaud, « à bien des égards, les
rapports Sauvaigo et Léonard sont des documents de référence ». Ils démontrent,
en outre, les résultats consternants de l'exécution des mesures de reconduite à
la frontière, qui affectent directement la crédibilité de notre législation.
Dans les adjonctions de l'Assemblée nationale figurent notamment les relevés
d'empreintes digitales des ressortissants étrangers « demandant à séjourner en
France ». Et l'on trouve entre autres, dans les amendements de nos collègues,
le rejet de la possibilité de régulariser des étrangers se trouvant en France
depuis plus de quinze ans proposée par le Gouvernement. Nous reviendrons bien
évidemment sur ce débat.
Sans entrer immédiatement dans l'analyse de chacun des articles du texte, j'en
soulignerai les points forts : ce sont essentiellement les articles 1er, 3, 8
du texte, et l'article 4, qui traite de l'élargissement des cas d'attribution
de plein droit de la carte de séjour temporaire.
L'article 1er concerne les certificats d'hébergement autour desquels se
développe, actuellement, une double polémique : sur le plan politique, elle est
entretenue par certaines déclarations récentes qui me paraissent au moins
caricaturales et, sur le plan technique, elle est principalement développée au
sein de l'Association des maires de France.
Dois-je rappeler ici - chacun, dès lors qu'il assume la responsabilité d'une
mairie, le sait bien - que l'une des procédures fréquemment utilisée par les
immigrants clandestins pour s'introduire en France est celle de la visite
privée suivie d'un maintien illégal sur le territoire au-delà de la période du
court séjour autorisé ? Certains hébergeants professionnels font viser
fréquemment des certificats d'hébergement qui sont destinés non à des parents
ou amis, mais à des candidats à l'installation irrégulière en France. Dans
certaines capitales étrangères - on les connaît bien - des réseaux détiennent
un certain nombre d'adresses de complaisance permettant ainsi un fructueux et
important trafic.
Je rappelle que le certificat d'hébergement ne date pas d'hier. Il a été
introduit dans notre dispositif réglementaire en 1982, et dans la loi en 1993 ;
à ce titre, il a fait l'objet de commentaires spécifiques du Conseil
constitutionnel : celui-ci a décidé, le 13 août 1993, que « les dispositions
contestées ne sont pas de nature à porter atteinte à la liberté individuelle et
que le moyen tiré d'une atteinte à la vie privée manque en fait ».
M. Jean-Luc Mélenchon.
Lorsqu'il n'y a pas de fichier !
M. Paul Masson,
rapporteur.
L'article 1er du projet de loi présenté par le Gouvernement
fait à l'hébergeant l'obligation d'informer le maire de sa commune de résidence
du départ de l'étranger qu'il héberge. Au cas où il ne le ferait pas, aucune
sanction directe n'est prévue. Mais l'absence de notification de ce départ
l'empêcherait de présenter, dans les deux ans, au visa du maire un nouveau
certificat d'hébergement.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et alors ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je ne vois pas objectivement en quoi cette procédure, qui
conduit à déclarer le départ d'un visiteur que l'on a déjà déclaré à l'arrivée,
serait attentatoire aux libertés !
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées socialistes. - Mme
Dusseau proteste également.)
M. Bernard Piras.
Même à Cuba, on ne fait pas ça !
M. Paul Masson,
rapporteur.
De toute façon, nous en débattrons !
Comment peut-il être soutenu que ces mesures s'apparentent aux procédures
policières de l'URSS aux pires moments du stalinisme ?
Mme Joëlle Dusseau.
Nous les avons dénoncées à ce moment-là !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Il n'y a nulle part intervention de la police. L'Office des
migrations reste seul habilité à visiter avec l'autorisation des responsables
des lieux.
Manifestement, de ce point de vue polémique, l'objection est faible. Nous y
reviendrons lors de l'examen de l'article 1er.
Il reste l'autre observation, celle qui a été formulée par le bureau de
l'Association des maires de France. En gros, elle a trait aux « procédures
lourdes, coûteuses, irréalistes, conduisant à des risques de dérapages
politiques ».
M. Jacques Mahéas.
Procédures complètement inefficaces !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Là encore, un défaut d'information me paraît seul expliquer
ces turbulences.
Première observation : le maire agit, en l'espèce, comme agent de l'Etat. En
tant que tel, il est soumis au pouvoir hiérarchique du préfet, avec les
conséquences légales de cette procédure, à savoir le recours gracieux et le
recours contentieux, le cas échéant.
M. Hubert Haenel.
Absolument !
M. Paul Mason,
rapporteur.
Il ne peut donc y avoir aucun dessein partisan dans le
système, puisque le préfet est seul garant de l'homogénéité de l'interprétation
de la procédure.
M. Bernard Piras.
Qu'il le fasse !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Le maire est donc protégé.
Pour l'élaboration du certificat d'hébergement, il se trouve dans une
situation rigoureusement identique à celle qu'il connaît lorsqu'il met en
oeuvre des dispositions relatives à l'ordre public, à la salubrité ou à la
circulation. Il aurait été beaucoup plus exposé s'il avait agi sur sa seule
initiative et sous le seul contrôle de sa majorité ou de ses électeurs. Or tel
n'est pas le cas.
Rappelons enfin, pour relativiser tout ce débat, qu'en 1995 moins de 180 000
certificats ont été demandés rapportés à 36 000 communes, dont 2,77 % seulement
ont donné lieu à enquête de l'OMI.
M. Bernard Piras.
Raison supplémentaire !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Nous sommes donc loin, à cet égard, de l'épouvantable menace
contre le régime républicain que l'on voit surgir ici et là à partir de propos
manifestement provoqués par une mauvaise maîtrise de ce sujet.
Il reste les éventuels fichiers dont rien, dans la loi, n'indique l'obligation
de mise en place. Bien évidemment, les maires devront tenir un registre, et de
nombreux existent déjà. Quelques mairies voudront sans aucun doute
s'informatiser. La Commission nationale de l'informatique et des libertés
interviendra alors, comme il est de règle dans toutes les matières concernant
les libertés individuelles.
(Murmures sur les travées socialistes.)
Je rappelle à cet égard le débat que nous avons eu ici même concernant la
vidéosurveillance, sujet autrement plus difficile, et que nous avons résolu.
M. Charles Descours.
Tout à fait !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Sur ce point, je vous présenterai, bien entendu, divers
amendements, tendant à l'assouplissement du texte. Nous y reviendrons à
l'occasion de l'examen de l'article 1er.
L'article 3 a pour objet de faciliter les mesures d'éloignement des étrangers
en situation irrégulière.
Trois mesures sont proposées, à savoir la retenue des passeports des étrangers
en infraction, la vérification sommaire des véhicules dans la bande des vingt
kilomètres, et le relevé des empreintes digitales.
Cette dernière disposition ne figurait pas dans le texte initial. Ajoutée par
l'Assemblée nationale, elle ouvre la possibilité de relever les empreintes
d'étrangers qui souhaitent séjourner en France, à l'exclusion, bien sûr, des
ressortissants de l'Union européenne. Cette mesure mérite d'être examinée avec
attention, et la commission des lois vous soumettra un important amendement à
cet égard.
L'article 8 est particulièrement important. Il modifie l'article 35
bis
de l'ordonnance de 1945.
Cet article 35
bis
fonde la légalité du maintien dans des locaux ne
relevant pas de l'administration pénitentiaire, pendant le temps nécessaire à
son départ, d'un étranger en situation irrégulière. Ce maintien, avant
l'intervention du juge, dure actuellement vingt-quatre heures. Il est proposé
d'allonger ce délai et de le porter à quarante-huit heures. C'est l'un des
moyens clé que prévoit la loi pour remédier à la situation mauvaise qui
caractérise cette procédure en l'état actuel des choses.
Nous en avons débattu longuement. Pour l'instant, je préciserai simplement que
le Conseil constitutionnel a par avance répondu au sujet de la
constitutionnalité d'une telle disposition - sous réserve, bien sûr, de la
confirmation de son jugement d'alors - puisque, en 1980, il a estimé qu'une
rétention de quarante-huit heures ne portait pas atteinte aux libertés
individuelles.
L'autre modification importante apportée par l'article 8 concerne l'appel
interjeté par le procureur. Nous reviendrons sur ce point tout à fait
spécifique, qui me paraît particulièrement important.
Je citerai, bien entendu, avant de terminer mon exposé, l'article 4.
M. le ministre y a insisté, cet article a pour objet d'accorder un titre de
séjour à certaines catégories d'étrangers éloignables. Ce texte vise à mettre
fin à des situations baroques en favorisant l'intégration d'étrangers qui
vivent depuis plus de quinze ans en marge de nos lois.
Je rappelle qu'il existe des étrangers protégés contre l'éloignement par
l'article 25 de l'ordonnance de 1945, mais que ces derniers n'entrent pas pour
autant, aujourd'hui, dans la catégorie qui bénéficie de plein droit d'un titre
de séjour. Ce sont les fameux « ni-ni », ni éloignables ni régularisables, sauf
au coup par coup, sur décision des préfets.
Diverses circulaires ont eu pour objet de faciliter le règlement de situations
difficiles concernant des conjoints de Français ou des parents d'enfants
français. L'appréciation devient on ne peut plus délicate pour le préfet
lorsque le demandeur peut faire valoir le droit à une vie familiale normale,
lui-même reconnu par l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme.
Pour éviter l'accumulation de ces situations complexes, dont on a bien vu où
elles peuvent conduire à l'occasion de l'occupation de l'église Saint-Bernard à
Paris, en août 1996, l'article 4 du projet prévoit de compléter la liste des
bénéficiaires de plein droit de la carte de séjour temporaire telle qu'elle
ressort de l'ordonnance de 1945.
Cinq cas nouveaux sont ajoutés par le texte gouvernemental aux deux cas
existant dans le droit en vigueur. Le cinquième est, bien entendu, le plus
important à nos yeux, puisque c'est celui que nous vous proposons de modifer en
revenant sur les propositions de l'Assemblée nationale.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Tout est bon à jeter !
M. Paul Masson,
rapporteur.
M. le ministre nous dit que ces cas ne sont pas nombreux :
cinquante, a-t-il précisé. D'autres suivront, nous répond-on. J'observe que,
s'il fallait raisonner sur l'aggravation de cette clandestinité potentielle de
long séjour, il faudrait aussi s'interroger sur les capacités de notre police !
Celles-ci s'améliorent d'année en année, mais il serait important de considérer
que l'augmentation de l'efficacité de notre système ne doit pas avoir pour
conséquence une multiplication inconsidérée des situations de clandestinité.
Quoi qu'il en soit, je pense que nous reviendrons sur ces sujets. Pour ma
part, je crois avec force qu'il faut régulariser cette situation, car elle
n'est pas convenable.
M. Robert Badinter.
Très juste !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je voudrais conclure par une réflexion de nature générale.
J'ai l'intime conviction que l'inefficacité de notre système tient en grande
partie à l'extrême complication de notre législation. L'exiguïté du délai -
unique en Europe - dans lequel la loi enferme les autorités responsables incite
à la fraude par destruction de papiers, par dissimulation d'identité, et
conduit à l'organisation de réseaux.
On assiste aujourd'hui, quotidiennement, dans les faits, à une sorte de course
contre la montre entre le fraudeur, qui s'acharne à atteindre le septième jour
libérateur, et l'administration, qui, elle, est non moins acharnée à faire la
preuve du bien-fondé de sa procédure.
Nous en arrivons, au pays de Descartes, à proposer trois juridictions à un
seul homme ! Et à quel malheureux proposons-nous ce marathon administratif et
judiciaire ? A un étranger qui, le plus souvent, maîtrise très mal notre
langue. Il vient de son pays lointain, de Chine, du Vietnam, de Turquie,
d'Afrique noire, d'Ukraine. Il subit la loi de l'interprète, les propositions
de ses conseils ; il comprend simplement qu'il ne doit rien dire, ne rien
montrer qui puisse permettre de déceler son identité.
Cet étranger qui ne maîtrise pas notre langue traverse ainsi, en sept jours,
les trois ordres de juridiction dont dispose la France : le juge administratif,
qui officie dans les quarante-huit heures sur l'appel d'une décision
administrative, le juge civil, saisi actuellement dans les vingt-quatre heures
d'une éventuelle prolongation de la rétention administrative et qui statue sur
le bien-fondé de la mesure dans des conditions de bousculade et de confusion
dont nous eûmes quelques échos l'été dernier, puis le juge pénal si des
poursuites sont engagées sur la base de l'article 27 de l'ordonnance de
1945.
Dans ces conditions, il n'est pas rare que des dossiers incomplets fassent
annuler une procédure sans que soit pour autant contestée l'irrégularité du
séjour, que soit remis en liberté un étranger en situation irrégulière dont le
tribunal administratif confirme le bien-fondé de l'arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière, ou encore que soit prolongée la rétention d'un
étranger dont l'arrêté de reconduite à la frontière a été annulé quelques
heures après l'audience par le tribunal administratif.
Telles sont les fameuses audiences dites « de l'article 35
bis
», dont
les spécialistes savent quoi penser.
Devant cet état de fait, les services chargés de mener à bien l'éloignement
sont souvent proches du découragement. Ils ont parfois le sentiment d'être
condamnés à repousser le rocher du légendaire Sisyphe sur une pente dont ils
n'aperçoivent pas la crête.
On peut s'interroger sur les conséquences de cette conception réductrice de la
liberté individuelle. Des procédures bâclées, une exploitation subalterne des
incohérences générées par cet imbroglio unique en son genre...
M. Hubert Haenel.
Ça, c'est vrai !
M. Paul Masson,
rapporteur.
... ne sont pas dignes du pays de
l'Esprit des lois. (Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Je suis résolument dans le camp de ceux qui veulent changer fondamentalement
ce système. Nous ne pouvons pas aspirer à la création d'un espace judiciaire
européen en proposant à nos amis un droit aussi ridiculement alambiqué.
Faut-il rappeler que la rétention en vue de l'éloignement n'est limitée dans
le temps ni en Grande-Bretagne ni au Pays-Bas ?
M. Hubert Haenel.
C'est un problème de fond !
M. Paul Masson,
rapporteur.
En Belgique, elle est de soixante jours. En Allemagne, elle
est de six mois, prolongeables six mois. En Espagne, elle s'élève à quarante
jours, après soixante-douze heures de rétention administrative. En France, elle
est de sept jours, tout compris !
L'heure n'est pas encore venue de ce débat fondamental. Nous allons donc une
fois encore - la vingt-quatrième - amender l'ordonnance de 1945, l'« ajuster »,
comme on dit.
La commission des lois vous proposera trente amendements, qui portent
essentiellement sur des ajouts de l'Assemblée nationale. Nous aurons ainsi, si
vous les approuvez, contribué à l'amélioration du texte gouvernemental, tout en
retenant plusieurs propositions fort opportunes de l'Assemblée nationale.
Je ne suis pas pour autant convaincu que nous pourrons faire, à terme,
l'économie d'un large débat devant l'opinion publique nationale...
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Paul Masson,
rapporteur.
... sur un sujet capital pour l'équilibre du pays, où
s'imbriquent étroitement des faits de société incontournables. Mais c'est une
autre histoire, mes chers collègues. L'heure n'est pas, ce soir, au débat de
fond.
Mme Hélène Luc.
Comment ? Elle n'est pas au débat de fond ? A quoi cela sert-il d'avoir un
débat, alors !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Il vous est demandé d'ajuster l'ordonnance de 1945. La
commission des lois, parfaitement au fait du débat de fond sous-jacent à tous
ces articles, vous propose d'envisager le présent texte sous le seul angle
pragmatique dont a parlé M. le ministre : c'est cette approche pragmatique qui
nous a guidés, et les amendements que j'aurai l'honneur de vous proposer au nom
de la commission des lois sont empreints de ce souci.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE
M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la qualité du rapport qui
vient de vous être présenté, la maîtrise dont mon ami M. Masson a fait preuve -
comme à l'accoutumée - dans l'analyse de ces questions complexes nous auront
permis de bien discerner le double objectif que s'est assigné le
Gouvernement.
Celui-ci entend tout d'abord tirer les conséquences de quelques difficultés
statistiquement peu nombreuses mais qui ont entraîné des situations humaines
auxquelles il est nécessaire de porter remède. Notons aussi qu'elles ont fait
l'objet d'une exploitation sur laquelle il y aurait beaucoup à dire.
Mais le projet de loi qui nous est soumis a un autre objectif : il s'agit de
mieux assurer, dans le respect des droits de tous ceux qui vivent régulièrement
en France, le retour dans leur pays d'origine de ceux qui ont enfreint la loi
en demeurant clandestinement sur notre territoire.
Nous aurons l'occasion de nous livrer à un examen approfondi de ce texte, mais
je constate qu'une double lecture par l'Assemblée nationale et par le Sénat se
sera révélée particulièrement opportune.
Certes, il ne s'agit que de dispositions diverses, qui ajustent, complètent ou
adaptent les lois de 1993 sans les remettre en cause. Pour autant, chacun des
articles proposés, parce qu'il intéresse peu ou prou les libertés publiques ou
les droits de l'homme, appelle de notre part une réflexion approfondie et
sereine dans le droit-fil de la tradition qui caractérise les délibérations du
Sénat.
Le pire serait de légiférer dans la passion, dans la précipitation ou sous la
pression d'une opinion aux sentiments mêlés. Car, si tous nos concitoyens sont
d'accord pour préconiser la plus grande vigilance dans le contrôle de
l'immigration, chacun souhaite traiter avec humanité tel ou tel cas particulier
concernant tel ou tel immigré qu'il connaît. Les parlementaires que nous sommes
le savent bien.
Au surplus, l'adoption de solutions extrêmes, en définitive difficilement
applicables, nous conduirait rapidement non pas à la « vingt-cinquième heure »
mais à une vingt-cinquième retouche de la rédaction de l'ordonnance de 1945.
Vous avez parlé, monsieur le ministre, d'un « manteau d'Arlequin ». L'image
est jolie. Je vous proposerai peut-être de songer à nous en remettre à un
couturier au profil plus simple et plus élaboré.
Vous savez, mes chers collègues, que nous disposons, fort heureusement, d'un
organisme dont on nous avait signalé l'importance et l'urgence, l'office
d'évaluation de la législation qui vient de tenir sa première réunion ce
matin.
Sans doute serait-il possible de soumettre à cet office, dans un délai à
déterminer, peut-être sur proposition de la commission des lois, l'étude de
l'ensemble de ces dispositions, de telle manière que nous puissions aboutir
sinon à un costume classique, tout au moins à un habit dont la présentation
serait enfin acceptable.
Le rappel de cette instabilité législative m'incite à faire un constat
préliminaire.
A quelques exceptions près - M. le rapporteur vient de le rappeler -
l'immigration, qui est une partie de notre destin, n'a jamais fait l'objet
d'une approche globale, d'une démarche d'ensemble reposant sur des principes
clairement affirmés.
Le législateur, peut-être sous l'empire de la nécessité, n'a essentiellement
appréhendé le problème des flux migratoires que par le biais de la police des
étrangers.
Depuis 1945, on a procédé par touches successives, faisant alterner le libre
passage des frontières, voire le laxisme le plus absolu, avec des politiques
heureusement plus restrictives ou plus réalistes.
Sans doute en est-il ainsi parce que l'opinion n'a jamais été en mesure de
répondre à la question de fond : faut-il une immigration à la France et, dans
l'affirmative, quelle immigration ?
On a parlé d'« immigration zéro ». Chacun sait que c'est un leurre.
Mais essayons de déterminer cette immigration. Est-elle une chance, un danger
ou une nécessité inévitable pour une France ouverte sur le monde ?
Pour ma part, je dirai - nous pourrions dire tous ensemble - que l'immigration
fait partie intégrante de l'histoire de notre pays.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
En un siècle, notre population s'est
trouvée enrichie de plus de dix millions de personnes,...
M. Guy Allouche.
« Enrichie », c'est bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... dont quatre millions sont nés
hors de France et six millions constituent leur descendance directe.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Aujourd'hui, plus d'un Français sur
cinq a l'un de ses parents ou de ses grands-parents d'origine étrangère.
Cette réalité est explicable : ce pays, qui était le plus peuplé d'Europe au
moment de la Révolution française, est devenu un pays vieillissant et de basse
pression démographique.
En très grand nombre, ces étrangers que nous avons accueillis sont devenus
Français par naturalisation ou par mariage. Aussi peut-on dire que la société
française est, depuis plusieurs décennies, fondée sur un brassage rassemblant
dans un même creuset des populations diverses.
A aucun moment, jusqu'à ce jour, ce brassage n'a menacé la cohésion de notre
pays. Notre identité nationale, jusqu'à ce jour, a été suffisamment forte pour
assimiler ces étrangers, qui sont venus sur notre sol pour y vivre selon nos
lois et nos coutumes.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Compte tenu de ce qu'est la France,
pouvons-nous, par ailleurs, oublier notre passé en Asie ou en Afrique ?
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Pouvons-nous également oublier la
relation très forte qui existe entre l'immigration et cette chance que
représente pour notre destin national la francophonie ?
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Guy Allouche.
Merci de le reconnaître, monsieur le président !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Mais c'est la liberté du Sénat, mon
cher collègue.
M. Bernard Piras.
Elle est peu utilisée, à droite !
Mme Hélène Luc.
Vous devriez le faire remarquer à vos amis de la majorité !
M. Jean-Marie Poirier.
Attendez la suite !
(Rires.)
M. Jacques Mahéas.
Jusque-là, ça va !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Rassurez-vous, messieurs, je ne suis
pas en train de changer d'amitiés !
(Sourires.)
M. Robert Badinter.
C'est blessant !
M. Jean-Luc Mélenchon.
On ne vous applaudit que pour vous nuire !
(Sourires sur les travées
socialistes.)
M. Marcel Charmant.
N'y prenez pas goût !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
On ne peut tout à la fois craindre
la venue d'étrangers francophones et préconiser la reconnaissance par la
Constitution française d'un espace francophone, comme cela nous a été proposé à
l'occasion des deux dernières révisions constitutionnelles.
Plus personne n'applaudit, c'est parfait !
(Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
N'y prenez pas goût !
Mme Monique ben Guiga.
Mais nous sommes d'accord !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Certes, depuis plus de vingt ans,
les conditions économiques et sociales ont changé les données du problème.
M. Robert Badinter.
C'est le virage !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Le chômage endémique qui mine notre
pays rend inéluctable un contrôle plus strict des flux migratoires.
L'immigration elle-même a changé de nature : les moeurs ou les coutumes de ces
nouveaux immigrés diffèrent parfois profondément des nôtres, au point de
contrevenir à notre ordre public.
M. Alain Gournac.
Ils n'applaudissent plus !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
L'immigration ne doit pas, dans
l'évolution que l'on constate, saper les fondements de la société française. La
France n'acceptera pas de devenir une société multiculturelle ou
pluricommunautaire.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE. - M. Jacques Mahéas applaudit également.)
M. Michel Rocard.
Au contraire, c'est une société laïque !
Mme Monique ben Guiga.
Nous sommes hostiles à une société pluricommunautaire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Dites que c'est une société laïque ! Cela nous fera plaisir.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous l'avons constaté au Liban, où
nous avons effectué, en octobre dernier, une mission d'information d'un grand
intérêt : la communautarisation, c'est-à-dire la reconnaissance juridique plus
ou moins affirmée de communautés confessionnelles ou ethniques, conduit sinon à
l'éclatement de la nation, du moins à une société conflictuelle dont
l'équilibre instable résulte de rapports de force entre ses différentes
composantes.
Mme Monique ben Guiga.
Nous sommes tout à fait d'accord !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
La légalité républicaine doit
s'appliquer à tous, y compris aux étrangers, avec une égale force.
Certains comportements contraires à cette vertu de l'intégration que nous
voudrions voir appliquer doivent être combattus, voire interdits, en premier
lieu ceux qui traduisent le refus de respecter nos règles communes de
société.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Un temps tolérée, hélas ! par un
arrêt aberrant du Conseil d'Etat, la polygamie a fort heureusement été
proscrite par la loi de 1993. Il reste que, sur la base de la décision de notre
haute juridiction, le nombre des ménages polygames peut être évalué - ce n'est
pas chose aisée - à 10 000 environ.
Je citerai encore, entre autres pratiques discriminatoires que nous devons
combattre, singulièrement à l'égard des femmes, dont nous souhaitons assurer
une égalité de statut, l'excision, l'obligation du port du foulard à l'école,
l'interdiction faite aux jeunes filles de suivre certaines disciplines, telles
que la musique, la biologie ou le sport.
M. Michel Caldaguès.
Il y a pire !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Quoi qu'il en soit, l'intégration
des populations d'origine étrangère passe aujourd'hui par une maîtrise continue
des flux migratoires et une lutte constante contre toutes les formes
d'immigration irrégulière ou clandestine.
(Murmures sur les travées
socialistes.)
Tel est le sens de l'action du Gouvernement, qui recueille
notre assentiment.
Depuis 1992, sous l'autorité de deux ministres de l'intérieur qui se sont
succédé, les moyens d'action, tant juridiques qu'administratifs, se sont
développés : les arrêtés de reconduite à la frontière connaissent une meilleure
exécution ; le droit d'asile n'est plus détourné de sa finalité première ; les
flux d'entrée sont mieux contrôlés - ils le sont même avec une efficacité
certaine.
Mais la nécessaire répression de l'immigration clandestine ne doit pas
l'emporter sur notre tradition d'humanisme, ni faire plier les principes de
notre ordre constitutionnel et juridique.
M. Robert Badinter.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Comme le Conseil d'Etat l'a rappelé
dans son avis du 22 août 1996 - cette fois, je ne le critiquerai pas -
l'étranger, s'il n'a aucun droit au séjour ou à la régularisation, ne peut être
reconduit à la frontière si cette mesure présente pour lui des conséquences
d'une particulière gravité.
A cet égard - nous l'avons noté avec un extrême intérêt - le projet de loi
conforte la situation de la plupart des étrangers, qui, en vertu de l'article
24, ne peuvent être éloignés puisqu'un titre de séjour temporaire d'un an leur
serait délivré de plein droit.
Mais par la force des choses, quel que soit le texte que le Parlement votera,
une loi ne peut tout prévoir, ni régler toutes les situations de fait.
Il reviendra aux préfets d'examiner chaque cas avec fermeté, mais aussi avec
humanité, en tenant compte, notamment, de l'état de santé et de la situation
familiale des intéressés.
Il faut aussi penser aux enfants nés en France et dont les parents étrangers
pourraient être expulsés alors même que ces enfants sont potentiellement
français puisqu'ils auraient la faculté de déclarer leur nationalité entre
seize et vingt et un ans.
Voilà, mes chers collègues, quel a été l'état d'esprit dans lequel votre
commission des lois a examiné ce projet de loi. Le texte initial du
Gouvernement - je dis bien : « initial » - nous a paru équilibré et efficace,
eu égard aux objectifs que nous nous proposons d'atteindre.
Certains infléchissements proposés par l'autre Chambre nous ont paru inutiles
en raison des conséquences qu'ils seraient susceptibles d'entraîner.
(Ah !
sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Ils sont indignes !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous nous situerons donc dans la
tradition qui est la nôtre en abordant cette discussion avec une double
préoccupation : d'une part, nous devons avoir présents à l'esprit ces principes
qui sont la base même de notre communauté et de notre identité nationale ;
d'autre part, nous devons respecter ces autres principes qui assurent dans
notre pays le respect des droits de l'homme.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDS.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 53 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Rufin.
M. Michel Rufin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays,
chacun le déplore, est confronté à des difficultés économiques et sociales qui
sont, pour un grand nombre d'entre elles, le fruit de trop nombreuses années
d'erreurs et de laxisme.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Michel Rufin.
Dès lors, je me félicite vivement que le gouvernement actuel poursuive et
amplifie l'action de redressement entreprise à partir de 1993 et s'efforce de
faire face avec détermination et un rare courage au passif dont il a hérité.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.
- Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Pour quel résultat ? La réaction est venue !
M. Michel Rufin.
Il n'y a que les vérités qui blessent !
La lutte contre l'immigration irrégulière est, avec la lutte contre
l'insécurité et contre le chômage, l'une des préoccupations essentielles de nos
concitoyens. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, notre excellent collègue
Charles Pasqua,...
M. Claude Estier.
Il est déjà parti !
M. Jacques Mahéas.
Pour ne pas entendre cela !
M. Michel Rufin.
... en avait mesuré toute l'importance en soumettant à la représentation
nationale un ensemble de dispositions consacrant dans la loi les principes
fondamentaux de la politique de la France en matière d'immigration.
Mme Monique ben Guiga.
Ce n'était qu'une loi policière !
M. Michel Rufin.
Ces lois ont été votées en 1993 et constituent un véritable socle de référence
définissant précisément l'ensemble des conditions d'entrée, d'accueil et de
séjour des étrangers en France.
Ces lois, monsieur le ministre, vous les appliquez maintenant depuis plus d'un
an et demi.
Mme Monique ben Guiga.
Elles n'ont pas marché !
M. Michel Rufin.
Je souhaiterais, aujourd'hui, vous rendre un hommage appuyé pour le travail
considérable que vous faites depuis votre arrivée place Beauvau pour combattre
sans faiblesse l'immigration irrégulière.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Les résultats positifs que
vous enregistrez mois après mois, et dont vous nous informez régulièrement,
démontrent, s'il en était besoin, que vos efforts n'ont pas été vains. Vous en
êtes à la trente-deuxième opération de reconduite groupée jusqu'à la frontière
et jusqu'à leur pays.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Depuis le 1er mai 1995, près de 20 000 étrangers en situation irrégulière ont
été reconduits à la frontière.
M. Michel Rocard.
Quel record !
M. René-Pierre Signé.
C'est tout ce qu'il a fait !
M. Michel Rufin.
Dans le domaine de la lutte contre l'emploi d'étrangers sans titre, vos
services ont interpellé au cours des onze premiers mois de l'année plus de 1
000 employeurs de main-d'oeuvre clandestine et 35 ateliers clandestins ont été
fermés ou démantelés.
Mme Monique ben Guiga.
Quel est le pourcentage d'étrangers parmi les employés ?
M. Michel Rufin.
C'est un résultat positif, monsieur le ministre !
Tout cela est le fruit de votre courage et de votre détermination à faire
respecter sur notre territoire les lois de la République.
M. François Autain.
Affligeant !
M. Michel Rufin.
Mais il faut aller plus loin car les taux d'exécution des arrêtés de
reconduite des étrangers irréguliers à nos frontières restent encore trop
faibles, même s'ils connaissent, depuis votre arrivée, une sensible
amélioration passant de 22 % à environ 30 % actuellement.
Il faut aller plus loin aussi car des dysfonctionnements dans l'application
des lois sont apparus.
Ce fut le cas notamment lors de l'affaire dite des « sans-papiers de l'église
Saint-Bernard ». Les Français n'ont, en effet, pas compris qu'il ait fallu plus
de trois semaines aux forces de l'ordre pour faire évacuer cette église.
M. René-Pierre Signé.
En cassant les portes !
M. Michel Rufin.
Ils ont encore moins compris qu'une dizaine seulement des 220 personnes
interpellées aient été reconduites à nos frontières. Certes, il fallait
respecter la loi, mais elle est apparue...
M. Claude Estier et Mme Joëlle Dusseau.
Quand même !
Mme Monique ben Guiga.
Hélas !
M. Michel Rufin.
Eh oui ! Nous respectons la loi, madame le sénateur !
M. Claude Estier.
Vous le regrettez ?
M. Michel Rufin.
Certes, il fallait respecter la loi, mais elle est apparue aux yeux de
l'opinion comme lente dans sa mise en oeuvre, voire incompréhensible pour
certains.
J'ajoute que cette affaire est apparue à l'immense majorité de nos
compatriotes comme une provocation inadmissible...
M. Jacques Mahéas.
C'est intolérable !
M. Michel Rufin.
... et ce d'autant que les meneurs de ces manifestations sont généralement
plus enclins à tirer partie d'une publicité gratuite auprès des médias qu'à se
préoccuper sincèrement et humainement du sort des clandestins...
M. Félix Leyzour.
C'est scandaleux !
M. Claude Estier.
Vous y étiez, vous, à Saint-Bernard ? De quoi parlez-vous ?
M. Michel Rufin.
... qui sont largement exploités, manipulés, voire rackettés par des passeurs
qui s'enrichissent à leur dépens et n'y voient qu'un trafic lucratif et peu
risqué.
M. Jacques Mahéas.
Pour leur plaisir, sans doute !
M. Michel Rufin.
Et puis, il y eut le concert des donneurs de leçons, des prétendues bonnes
âmes qui se sont élevées contre l'application même de la loi.
M. Marcel Charmant.
Allez-le leur dire tout à l'heure ! On va vous y conduire.
M. Michel Rufin.
Ces derniers ont la mémoire courte : ils oublient qu'ils sont à l'origine de
ces situations humaines difficiles. En effet, en régularisant plus de 130 000
étrangers en situation irrégulière en 1981 et 1982, ils ont créé un
spectaculaire appel pour des milliers d'étrangers à quitter leur pays dans
l'espoir de trouver une vie meilleure en France, considérée pour eux comme un
Eldorado.
M. Jack Ralite.
La faute à qui ?
M. Michel Rufin.
Mais « la France ne peut plus accueillir toute la misère du monde », selon la
phrase devenue célèbre d'un ancien Premier ministre.
(Murmures sur les
travées socialistes.)
M. Guy Allouche.
Citez l'intégralité de la phrase !
M. Michel Rufin.
Elle doit cesser d'être un pays d'immigration incontrôlée !
M. Michel Rocard.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Michel Rufin.
Je n'y vois aucun inconvénient, je connais d'ailleurs votre réponse !
M. le président.
La parole est à M. Rocard, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Michel Rocard.
Je vous remercie de me citer ; c'est un honneur, mais la phrase complète était
: « La France ne saurait accueillir toute la misère du monde, raison de plus
pour qu'elle traite bien la part qu'elle ne saurait manquer d'en prendre. »
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Rufin.
M. Michel Rufin.
C'est exactement la phrase que j'ai sous les yeux ; mais je vous y répondrai à
la fin de cet exposé !
M. René-Pierre Signé.
Falsificateur, jésuite !
M. Michel Rufin.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, fort de votre expérience, vous nous
proposez une actualisation de notre législation - c'est d'ailleurs la
vingt-quatrième modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 - et nous ne
pouvons que vous en féliciter.
Les gouvernements socialistes n'ont-ils pas d'ailleurs, eux-mêmes, à plusieurs
reprises, réformé cette ordonnance, notamment en 1989, 1990 et 1991 ?
M. Marcel Charmant.
Ils vont revenir ! Préparez vos valises !
M. Michel Rufin.
Dès lors, ce qui serait considéré comme normal pour les uns serait un signe de
désaveu pour les autres !
M. René-Pierre Signé.
Désaveu pour vous !
M. Michel Rufin.
Voilà, mes chers collègues, une conception bien étrange de la nécessaire
évolution de notre législation que, à l'évidence, je ne partage pas.
M. Claude Estier.
On s'en serait douté !
M. Michel Rufin.
En effet, nous ne pouvons confondre les lois générales et abstraites, valables
pour un temps indéterminé, qui découlent de notre éthique, de nos valeurs, de
nos coutumes et des lois d'adéquation qu'imposent l'actualité et les
événements.
J'ai la conviction que le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui
devrait renforcer l'efficacité de la lutte contre l'immigration clandestine des
personnes qui ne respectent pas la loi.
Ainsi, dans l'affaire dite des « sans-papiers de l'église Saint-Bernard »,
d'abord les retenues des passeports auraient permis d'assurer davantage de
reconduites ; ensuite et surtout, la modification des dispositions relatives à
la rétention administrative à l'article 8 de votre projet de loi, monsieur le
ministre, aurait évité qu'une large majorité d'étrangers en situation
irrégulière soit remise en liberté par le juge judiciaire de première instance
- qui n'est naturellement pas en cause - tandis que les arrêtés de reconduite
étaient validés par le juge administratif quelques semaines plus tard.
Enfin, l'extension du champ d'application de la rétention judiciaire à
l'article 9 aurait permis de déférer au parquet un grand nombre d'étrangers
interpellés en situation irrégulière et ne disposant d'aucun papier d'identité.
La rétention judiciaire de trois mois aurait permis d'identifier et de
reconduire ces étrangers dans leur pays d'origine.
Les résultats, en termes de taux de reconduction à nos frontières, auraient
donc été sensiblement améliorés.
Par ailleurs, monsieur le minstre, votre texte comporte d'autres dispositions
importantes. Je n'en citerai que quelques-unes qui me semblent aller dans le
bons sens et vers plus d'efficacité.
Ce projet de loi permettra enfin la visite, certes sommaire, des camions et
des autocars dans la bande des vingt kilomètres des frontières de nos
partenaires aux accords de Schengen.
Il légalisera également une nouvelle rétention dans le cas où un étranger en
situation irrégulière n'a pu être éloigné à l'issue d'une première période de
rétention.
Il permettra, enfin, la visite des ateliers par les policiers, sur réquisition
du parquet, pour lutter contre le travail clandestin et l'emploi irrégulier
d'étrangers sans titre. Toutes ces dispositions constituent un complément
indispensable au projet de loi sur le travail clandestin.
Vous présentez donc, monsieur le ministre, un texte pragmatique, efficace et
équilibré, sans céder, en aucune manière, au populisme de certains mouvements
qui proposent, pour toute réponse aux légitimes inquiétudes de nos
compatriotes, des solutions simplistes et démagogiques.
(M. Chérioux applaudit.)
Il s'inscrit, au contraire, dans le droit-fil de
la tradition républicaine de la France.
(Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Sûrement pas !
M. Michel Rufin.
Il ne renie aucun de nos principes. Il fait preuve d'une volonté ferme,
clairement affichée de tendre vers l'immigration irrégulière « zéro ».
M. Jean-Luc Mélenchon.
Impossible !
M. Michel Rufin.
Sauf à pratiquer un procès d'intention et contrairement aux affirmations de
certains, il n'y a pas, à l'évidence, dans le présent projet de loi, une
quelconque atteinte aux droits de l'homme auxquels nous sommes tous, il va sans
dire, profondément attachés.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Marcel Charmant.
C'est vous qui le dites !
M. Michel Rufin.
Bien sûr, chacun d'entre nous s'accorde également à condamner vigoureusement
le racisme et la xénophobie.
M. René-Pierre Signé.
Parlez avec précaution !
M. Michel Rufin.
Naturellement, le texte qui nous est soumis ne prétend pas tout résoudre.
Au sein de la commission des lois, nous l'avons examiné avec une particulière
attention. Je tiens, à cet égard, à rendre un hommage appuyé au rapporteur,
notre collègue M. Paul Masson, et à notre président, M. Jacques Larché, qui ont
accompli, dans un domaine aussi éminemment sensible et complexe, un travail
remarquable et approfondi, dont j'approuve pleinement les orientations.
Je voudrais enfin insister, mes chers collègues, sur le fait que toute
politique de lutte contre l'immigration clandestine serait incomplète si elle
ne s'accompagnait pas également d'une action forte et généreuse vis-à-vis des
peuples et des pays victimes du sous-développement économique et social...
M. Yann Gaillard.
Très bien !
M. Michel Rufin
... que ce soit en Afrique, mais aussi en Europe de l'Est, voire en Asie.
M. Marcel Daunay.
C'est vrai !
M. Michel Rufin.
L'Afrique, ce continent exceptionnel aux multiples richesses qui ne demandent
qu'à être exploitées...
(Exclamations et rires sur les travées socialistes.)
MM. François Autain et Marcel Debarge.
Par qui !
M. Michel Rufin.
Messieurs, j'ai combattu avec des Africains et je les connais mieux que vous,
alors taisez-vous ! Ils étaient mes camarades de combat.
(Nouvelles
exclamations sur les mêmes travées.)
En Afrique, hélas ! la capacité des peuples à éradiquer la misère mais aussi à
se développer n'émane en aucune façon des richesses naturelles, elle provient
des richesses humaines.
A l'évidence, la seule façon d'aider vraiment ces pays à surmonter leurs
difficultés économiques et sociales est de former leurs travailleurs, leurs
cadres et leurs scientifiques, leur personnel administratif...
René-Pierre Signé.
En les accueillant en France !
M. Michel Rufin.
... afin qu'ils puissent pleinement prendre en main leur destin.
Ce soutien est tout à l'honneur de la France ; il s'inscrit notamment dans
notre politique traditionnelle de coopération et d'amitié avec le continent
africain et il doit pouvoir être encouragé et développé encore.
M. Jacques Mahéas.
Et la diminution du nombre des étudiants !
M. Michel Rufin.
De même, si la France doit combattre avec détermination l'immigration
clandestine, elle doit aussi veiller à l'intégration des étrangers qui résident
aujourd'hui sur le sol national.
A cet égard, mes chers collègues, il faut bien prendre conscience que trop
d'immigration tue l'intégration et qu'il est dans l'intérêt même des étrangers
en situation régulière - ils partagent d'ailleurs ce sentiment - que nous nous
opposions très fermement à l'immigration irrégulière et que nous sanctionnions
avec vigueur ceux qui ne respectent ni nos lois ni notre culture.
C'est ce que vous faites, monsieur le ministre, et je m'en félicite. Votre
projet de loi vous donnera, j'en suis sûr, les moyens juridiques
supplémentaires et nécessaires. C'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour
la République et moi-même le voterons, sans hésiter. Ce texte répond, en effet,
à un besoin et à l'attente légitime de l'immense majorité de nos compatriotes.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi sur sur certaines travées du
RDSE.)
M. René-Pierre Signé.
On verra bien si c'est l'immense majorité !
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Cela va faire la balance !
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, le pire n'est pas de se tromper, c'est de se mentir à
soi-même. C'est ce que fait le Gouvernement quand il refuse de voir la vérité
en face, qu'il persiste dans l'erreur et ne veut pas reconnaître le double
échec des lois de 1993, dites lois Pasqua.
Que cessent les mensonges au sujet de l'immigration !
(Murmures sur les
travées du RPR.)
Non seulement l'immigration irégulière n'est pas maîtrisée
- si tel était le cas, monsieur le ministre, on ne serait pas là pour en
débattre ! -, mais les dysfonctionnements, l'irréalisme de ces lois ont
provoqué de réels drames humains.
Un devoir de réparation s'imposait. Aveuglé par la passion sécuritaire, le
Gouvernement s'est engagé volontairement dans une impasse juridique de laquelle
il veut sortir. Pour ce faire - et peut-être malgré vous - il faut faire droit,
rendre justice à ces centaines d'enfants, de femmes et d'hommes qui ont été
indignement traités par vos services, monsieur le ministre.
M. Christian Demuynck.
C'est scandaleux !
M. Jacques Mahéas.
Par vos services, et par certains maires, monsieur le ministre.
M. Auguste Cazalet.
Et vous, qu'avez-vous fait ?
M. Guy Allouche.
Monsieur Demuynck, ce qui est scandaleux, c'est la façon dont ont été traités
des centaines d'enfants, de femmes et d'hommes dont le seul crime était d'aimer
la France au point de vouloir y vivre durablement.
(Très bien ! sur les
travées socialistes.)
Pourquoi oublier que les sans-papiers ne sont pas des nombres mais des êtres
humains ?
L'émotion suscitée, l'élan de solidarité autour de ces familles paisibles ont
contraint le Gouvernement à déposer un texte d'ajustement, qualifié par lui de
« mesure pragmatique et sans parti pris idéologique ».
Choquant dès l'origine, ce texte issu des travaux de l'Assemblée nationale est
devenu une véritable provocation, une insulte ajoutée à une injure.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bravo !
M. Christian Bonnet.
C'est de l'exagération !
M. Guy Allouche.
En 1993, les lois Pasqua étaient apparues à la limite de ce que la République
pouvait accepter. Le Conseil constitutionnel, comme toujours, a alors rempli sa
mission. Nous avons combattu ces lois parce qu'elles étaient injustes,
stupides, inefficaces.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bravo !
M. Guy Allouche.
Ces lois consistaient à déstabiliser pour délégaliser, à délégaliser pour
exclure socialement, à exclure socialement pour expulser hors de nos
frontières. Elles ont été des machines à produire des clandestins, des
sans-papiers...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très bien !
M. Guy Allouche.
... des « sans-droits », des « sans-ressources »...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà !
M. Guy Allouche.
... des « sans-travail »...
Mme Monique ben Guiga.
Très bien !
M. Guy Allouche.
... des « sans-domicile », des « sans-espoir ».
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ces lois ont même créé un type de statut social jusqu'alors inédit : «
les inexpulsables non régularisables », et, c'est un comble dans un Etat de
droit, une « zone de non-droit » !
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Les absurdités juridiques de ces lois devenant si évidentes et si
criantes, le Gouvernement s'est résigné à adresser, en 1994, 1995 et 1996,
plusieurs circulaires prescrivant la régularisation temporaire de certains
étrangers, au cas par cas.
M. Christian Bonnet.
Cela, vous savez le faire !
M. Guy Allouche.
Outre l'insécurité juridique qu'il induit, un tel traitement des dossiers, par
voies de circulaires réitérées, n'apporte aucune garantie aux intéressés contre
les risques d'arbitraire. Oui, monsieur le ministre, le prévisible de 1993 est,
hélas ! devenu la réalité de 1996. Reconnaître l'échec des lois Pasqua, c'est
trop vous demander,...
Mme Nelly Olin.
Sûrement !
M. Guy Allouche.
... vous offenseriez votre prédécesseur !
Mais n'opposez surtout pas de dénégation, sinon pourquoi corrigerait-on une
loi qui réussit et qui atteint parfaitement ses objectifs ?
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Si l'immigration « zéro », slogan cher à M. Pasqua, est une imposture,
l'immigration irrégulière « zéro » est un mythe.
M. Hilaire Flandre.
Surtout pour des incapables !
M. Guy Allouche.
Parler ainsi, c'est imprudent et vous vous condamnez, monsieur le ministre, à
une impuissance permanente. Les dispositions prétendument étanches sont
l'apanage des dictatures militaires et des régimes policiers.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est l'exagération méditerranéenne !
M. Guy Allouche.
Nous savons tous que, plus une loi est restrictive, plus elle génère des
complications juridiques et plus elle multiplie les cas d'irrégularité.
M. Michel Caldaguès.
En fait, il ne faudrait pas de loi ! Autant partir en vacances !
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Lamentable, messieurs !
M. Guy Allouche.
La réalité de ce projet de loi illustre l'obsession du Gouvernement, qui est
tellement hanté par des considérations électoralistes qu'il ramène la politique
de l'immigration à un problème de sécurité intérieure et de maintien de l'ordre
!
(Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Avec la droite au pouvoir, c'est toujours la logique policière qui
l'emporte sur la logique judiciaire.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Eh oui !
M. Guy Allouche.
Avant d'être un problème d'étanchéité de nos frontières et d'application de la
loi, vous ne voulez pas considérer que l'immigration est d'abord une question
d'hommes, de femmes et d'enfants, qui fuient la misère.
M. Robert Badinter.
Très bien !
Mme Monique ben Guiga.
C'est vrai !
M. Guy Allouche.
Quant à vous, monsieur le ministre, votre obsession est d'arriver à faire du «
chiffre » sur les reconduites à la frontière.
M. Alain Gournac.
Il se débrouille très bien !
M. Guy Allouche.
Vous voulez battre des records et, à défaut d'avoir été l'inventeur du «
moteur à explosion », vous voulez être l'inventeur du « moteur à expulsions
».
(Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Rufin.
C'est du Victor Hugo !
M. Guy Allouche.
C'est devenu un classique : quelques mois avant chaque grande élection
nationale, la droite est saisie d'un prurit législatif.
Un sénateur du RPR.
Vous pouvez parler !
M. Guy Allouche.
L'immigration est le thème de prédilection d'autant qu'il faut contenir les
défections d'un électorat séduit par la doctrine du Front national. S'il est
bien de proclamer que le droite ne pactisera pas avec le Front national,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ce n'est pas « bien », c'est très bien !
M. Guy Allouche.
... il serait encore mieux de ne pas transposer dans la loi ses slogans et ses
thèses.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
N'assumez pas les postulats de ceux que vous dites vouloir combattre.
Comme le disait Jean-Claude Guillebaud dans
La Trahison des Lumières
:
« on ne défend pas une civilisation en trahissant quotidiennement les valeurs
qui la fondent ».
Harcelé par les ultras de sa majorité, le Gouvernement a voulu donner des
gages à ces « crypto-FN », affolés de perdre leurs sièges aux prochaines
législatives parce que talonnés par l'extrême droite.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Comme à Vitrolles !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, rien de permet d'affirmer que l'on assiste à une
augmentation de l'immigration clandestine.
Notre rapporteur relève fort opportunément que le Gouvernement ne respecte pas
l'article 51 de la loi du 24 août 1993 prévoyant un rapport annuel avec des
données chiffrées. Le débat, aujourd'hui, tient plus de la phobie et du
fantasme que de la réalité. Loin de satisfaire l'extrémisme d'une partie de la
majorité, les dispositions initiales du projet de loi ont été si aggravées
qu'elles sont devenues une provocation, une caricature du droit, un mépris des
valeurs républicaines.
(Protestations sur les travées du RPR.)
Le durcissement extrême des
textes législatifs mine toujours plus les institutions du pays qui les
applique. En l'occurrence, il légitime le racisme et la xénophobie, il ouvre
davantage la voie à l'arbitraire. Plus restrictif et plus répressif, votre
projet de loi ne protège plus, il punit, il ne garantit plus les droits, il les
rogne, qu'il s'agisse des droits des étrangers ou de ceux des Français, tant il
est vrai que le droit des étrangers est aussi le bouclier de notre droit, de
nos droits.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Un sénateur du RPR.
Et des devoirs ?
M. Guy Allouche.
Chaque tour de vis supplémentaire censé freiner l'immigration irrégulière
enserre un peu plus nos propres libertés.
M. Hilaire Flandre.
N'importe quoi !
M. Guy Allouche.
Ce projet de loi est on ne peut plus démonstratif, puisqu'il ajoute la
précarité à la fragilité, à l'incertitude des situations personnelles,
familiales et juridiques. Il traduit une défiance réelle à l'égard des
magistrats. Il porte atteinte aux libertés individuelles et aux droits
fondamentaux.
Au lieu de favoriser l'accueil et l'intégration, l'Assemblée nationale a
ajouté de nombreuses mesures répressives dont la somme traduit une grave dérive
: certaines risquent de déstabiliser l'ensemble des étrangers résidant
régulièrement en France, d'autres portent atteinte directement aux libertés
individuelles. Il s'agit de la fouille des véhicules, du fichier des empreintes
digitales des étrangers, du contrôle d'identité sur les lieux de travail, de la
restriction du rôle du juge garant des libertés individuelle, de la déclaration
obligatoire à la mairie pour qui accueille à son domicile un ami ou un parent
étranger.
Il est temps de tirer les enseignements des événements de l'été dernier, qui,
hélas ! perdurent. Pour éviter de nombreux cas inextricables, humainement
insupportables, la sagesse et la raison commandent de régulariser la situation
de tous ceux qui ne sont pas expulsables, protégés par l'immunité consacrée par
l'ordonnance de 1945. Cette mesure ne serait que le triomphe du bon sens.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Après avoir porté atteinte au droit du sol, vous remettez en cause le
renouvellement de plein droit, de la carte de résident de dix ans, vraie
conquête historique approuvée à l'unanimité par le Parlement en 1984. Cette
carte de dix ans consacrait l'enracinement des immigrés, assurait la stabilité
et la sécurité de leur installation. Désormais, le renouvellement aléatoire de
la carte de résident de dix ans va précariser, déstabiliser socialement les
étrangers qui faisaient montre de leur volonté de s'intégrer. Un étranger qui
reste dix ans dans un pays, qui demande à y rester dix ans encore, c'est
assurément quelqu'un qui a choisi de s'enraciner.
Comme le disait l'ancien ministre Georgina Dufoix
(Murmures sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants),
comment inviter un étranger qui vit depuis dix ans en France à s'insérer, à
s'intégrer, si on lui place une valise dans la tête ? N'est-ce pas Jean Foyer
qui, en 1984 à l'Assemblée nationale, déclarait, à propos de cette mesure : «
C'est une réforme utile, bienfaisante et justifiée, qui met fin à un état
d'insécurité. » ?
Et que dire de celui qui est ici depuis quinze ans ? Peu nombreuses, ces
personnes, bien qu'en situation irrégulière, ne sont pas des clandestins. On
peut vivre quinze ans dans l'irrégularité, ce qui ne veut pas dire la
clandestinité, surtout quand on a un travail, une famille, un foyer, des
enfants scolarisés et qu'on paye des impôts !
En supprimant la commission départementale du séjour, vous supprimez un droit
fondamental à caractère constitutionnel, celui du droit à une défense normale
et contradictoire accordé à toute personne. Vous contournez la jurisprudence de
la Cour de cassation en matière de rétention, vous renforcez l'autorité
administrative au détriment de l'autorité judiciaire, coupable, selon vous,
d'avoir rappelé un peu trop souvent l'administration au strict respect de
l'état de droit.
Pour la première fois depuis l'Occupation, le droit fondamental d'accueillir «
son prochain » est menacé, la délation officialisée avec sanctions et fichiers
à l'appui. Triste souvenir d'une sombre période de notre histoire contemporaine
!
(Protestations sur les travées du RPR et des Répulicains et
Indépendants.)
Comment pouvez-vous jeter ainsi la suspicion sur l'étranger, sur celui
qui l'accueille et les dénoncer comme un danger pour notre sécurité ? Indigne
et inefficace, cette disposition porte incontestablement atteinte à la vie
privée de l'hébergeant et à la liberté individuelle. Le Conseil d'Etat l'a
rejetée.
Vous passez outre, tout comme vous ne tenez pas compte de l'avis de la
Commission nationale consultative des droits de l'homme, commission pluraliste
s'il en est, qui n'approuve pas l'ensemble du projet. La très représentative
Association des maires de France se refuse de faire sienne une telle mesure.
M. Christian Demuynck.
Son bureau !
M. Guy Allouche.
Les associations, les groupements, les mouvements philosophiques et religieux,
des hommes d'église, de hautes personnalités, le barreau de Paris et des
magistrats condamnent ce texte ou vous mettent en garde contre les risques et
les dérives. Devant toutes ces oppositions, comment ne pas être inquiet de
l'autisme du Gouvernement ?
Il faut n'avoir rien retenu de l'histoire pour envisager des visites inopinées
chez le futur hébergeant.
Que signifie l'amalgame entre un étranger, un immigré et un fraudeur ? Voilà
qui ravive et renforce le racisme et la xénophobie. N'est-il pas attristant de
lire dans un récent rapport des Nations unies que la xénophobie est de plus en
plus virulente en France ? La hantise de l'immigré conduit à réduire les
libertés des Français et des étrangers en situation régulière ; ils deviennent
tous des suspects.
A cette mesure scandaleuse et inacceptable vient s'ajouter une disposition
ridicule : est-on condamné à ne plus sortir de chez soi parce qu'on a fait une
demande d'hébergement ? Au bout de combien de visites inopinées n'ayant pu
aboutir du simple fait de l'absence de l'hébergeant, considérera-t-on qu'il
s'agit, de sa part, d'un refus ?
M. Christian Demuynck.
Caricature !
M. Guy Allouche.
En fait, cette mesure vise à accroître le nombre de refus au motif que
l'hébergeant était absent lors de la visite inopinée de l'agent de l'OMI.
Ajouterai-je que cet article 1er légalise la discrimination par l'argent.
Outre que les ressortissants de pays riches sont dispensés de visa, pour les
pays pauvres, les ressortissants les plus aisés pourront facilement obtenir
leur visa d'entrée à partir de la simple réservation d'une chambre d'hôtel. Par
nature choquante, cette mesure s'avérera inefficace parce que quitter le
domicile ne signifie pas avoir quitté le territoire !
Que l'on ne se méprenne pas : nous n'avons jamais nié, ni sous-estimé
l'immigration irrégulière et ses effets pervers.
(Murmures sur les travées du RPR.)
Nous les avons combattus
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud
Pas trop !
M. Guy Allouche.
... tout comme le travail illégal et les détournements de procédure.
M. Hilaire Flandre.
Avec quelle efficacité !
M. Guy Allouche.
Qu'il soit légitime de reconduire dans leur pays ceux qui sont entrés
illégalement en France, personne n'en disconvient, et nous l'avons fait.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Quand ?
M. Guy Allouche.
Mais nous l'avons fait dans le strict respect de l'état de droit, qui est non
pas un état de faiblesse, mais un état juste, respectueux de la dignité humaine
; et ce n'est pas à coup de textes puisés à la pire des inspirations que l'on
traquera toutes les possibilités de fraudes. L'immigration irrégulière sera
tarie par une véritable lutte contre les employeurs qui sont les initiateurs et
les organisateurs du travail clandestin.
Tout gouvernement ne pourra prétendre contrôler l'immigration irrégulière que
si, dans le même temps, il assume pleinement la nécessité d'une immigration
légale, s'il raisonne en termes non pas de « qui doit-on expulser » mais de «
qui peut-on accueillir ». L'immigration assumée doit être un atout et non un
handicap et, monsieur le président de la commission des lois, nous vous avons
applaudi tout à l'heure parce que vous avez dit des choses justes.
N'est-ce pas le général de Gaulle lui-même...
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oh là, là !
M. Paul Blanc.
Pas vous !
M. Guy Allouche.
Depuis quand le général appartient-il à vous seuls ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il appartient d'abord à nous !
M. Guy Allouche.
Il appartient à la France !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Vous auriez dû vous en apercevoir plus tôt !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
A la France, oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Qu'on en finisse avec de Gaulle !
M. Guy Allouche.
N'est-ce pas le général de Gaulle lui-même qui, lorsqu'il prônait une
politique d'immigration, disait : « La France ne doit pas être une lumière qui
s'éteint » ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Mais bien sûr !
M. Guy Allouche.
Voilà pourquoi il prônait une immigration importante dans le pays.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Vous avez voté contre !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Montrez-nous le texte !
M. Guy Allouche.
Pour réussir, l'immigration assumée doit être fondée sur l'intégration, ce qui
implique le double respect des particularismes et des valeurs communes de la
République.
Oui, mes chers collègues, le temps est venu de remettre à plat...
M. Hilaire Flandre.
Oui, justement !
M. Guy Allouche.
... la législation existant depuis 1945 et de refondre, en un seul et même
texte, un dispositif consacrant les droits et devoirs de l'étranger vivant en
France, ainsi que les conditions à remplir pour être autorisé à pénétrer sur le
sol français.
M. le rapporteur a raison lorsqu'il écrit en page 2 de son rapport : « de
modifications en modifications, les règles d'entrée et de séjour des étrangers
en France sont devenues de plus en plus complexes. La poursuite d'objectifs
différents dans le cadre d'une même législation a ainsi pu sécréter des
situations parfois inextricables et, en définitive, peu acceptables dans un
état de droit ».
Force est de constater, pour le regretter, que ce n'est pas la voie choisie
par le Gouvernement, pour qui une politique des migrants est essentiellement
discrétionnaire, une addition de mesures policières, toujours plus répressives,
avec un code pénal d'exception.
Mes chers collègues, nous aurions souhaité que l'année 1997, année européenne
contre le racisme et la xénophobie, ouvre une page moins ignominieuse
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste)
en apportant la seule solution humainement acceptable,
digne de nos traditions universalistes, aux problèmes de l'immigration, sans
laisser la hantise électorale en faire un misérable enjeu politicien.
N'attendez pas de nous la moindre approbation sur ce texte.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Tant mieux ! Nous n'en voulons pas !
M. Guy Allouche.
Nous refuserons ce projet parce qu'il est mauvais, dangereux pour tous les
Français.
Notre refus se trouve quelque peu appuyé par la commission des lois du Sénat,
qui rejette ce que vous avez accepté, ce qui, d'après les propos que vous avez
tenus en commission des lois, correspond aux deux tiers des propositions faites
à l'Assemblée nationale.
Malgré le toilettage opéré par M. le rapporteur, notre opposition demeure car
nous avons l'intime conviction que ce texte ne répond pas aux problèmes qu'il
prétend résoudre. Il les aggrave bien plus qu'il ne les dissipe. Il est
attentatoire aux libertés individuelles, aux droits fondamentaux et aux valeurs
républicaines. Non seulement nous vous dirons non, mais nous soumettrons le
projet définitivement voté à l'examen vigilant de nos juges constitutionnels.
(Applaudissements prolongés sur les travées socialistes, ainsi que sur celles
du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je répondrai plus tard à votre argumentation de
fond, monsieur Allouche, mais je ne peux laisser sans réaction les propos que
vous avez tenus au début de votre discours concernant la police nationale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Je ne les rappellerai pas tant ils me semblent déplacés, injustes,
excessifs et, finalement, décevants dans la bouche d'un sénateur. Comme l'a
fait M. Masson, je voudrais rendre hommage à l'action des policiers, des
gendarmes et des fonctionnaires de préfecture.
La police nationale, monsieur Allouche, la gendarmerie nationale, les
personnels de préfecture agissent dans le cadre de la loi et pour le respect de
la loi républicaine !
(Nouveaux applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants. - Vives protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
A la hache, comme à Saint-Bernard !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous ne mettez jamais le nez dehors, ma parole !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je voudrais vous dire, monsieur Allouche...
(La voix de l'orateur est couverte par les protestations qui perdurent sur les
travées socialistes.)
M. Hilaire Flandre.
Monsieur le président, faites donc un rappel à l'ordre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Si vous le permettez, monsieur Allouche, je
voudrais faire une remarque : il est vrai que le général de Gaulle appartient à
toute la France, mais vous, vous avez censuré toute sa politique !
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel.
M. Allouche veut la victoire du Front national à Vitrolles !
M. Guy Allouche.
Je demande la parole.
M. le président.
Mon cher collègue, nous sommes dans le cadre d'un débat organisé, et le
règlement ne me permet pas de vous donner la parole.
M. Guy Allouche.
On a bien entendu M. le ministre !
M. le président.
Oui, monsieur Allouche, mais aux termes du règlement, le Gouvernement a le
droit de prendre la parole à tout moment.
M. Pierre Mauroy.
Pas pour dire n'importe quoi !
M. le président.
Vous aurez d'autres occasions de lui répondre.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1993,
sous le gouvernement Balladur, la France s'est dotée d'une législation musclée
en matière d'immigration.
Avec la réforme du code de la nationalité, la réforme des contrôles et
vérifications d'identité, celle des conditions d'entrée, d'accueil et de séjour
des étrangers en France, l'année 1993 aura été une année difficile pour les
immigrés, placés ainsi dans la ligne de mire du Gouvernement et, par là même,
pour l'ensemble des démocrates.
Ces trois textes qui touchent à la situation des étrangers en France s'ancrent
dans les faits : d'un côté, on empêche l'accès à la nationalité à ceux qui y
ont automatiquement droit ; de l'autre côté, on ouvre les portes pour chasser
ceux qui sont déjà là, tout en les fermant pour les nouveaux arrivés ; enfin,
on exerce une sorte de menace policière latente sur tout le monde.
Dans la réalité, ces lois inhumaines, absurdes et inefficaces ont jeté dans la
clandestinité des milliers d'étrangers et leurs familles dont la situation
n'était pas régularisée, mais qui, pour autant, n'étaient pas expulsables,
notamment parce qu'ils étaient parents d'enfants nés en France ou conjoints de
Français.
Le mouvement des sans-papiers a mis en lumière la réalité des lois
Pasqua-Méhaignerie.
Plus on accumule les textes répressifs, plus on engendre de situations
irrégulières, voire aberrantes : couples séparés, parents et enfants sans
droits, autant de situations dont on a découvert qu'elles avaient été créées
par le législateur lui-même !
Pour y remédier, le ministre de l'intérieur avait promis de régulariser un
certain nombre de situations en présentant un projet de loi prétendument «
équilibré ». Ce n'est pas le cas !
J'insiste pour dire qu'il ne s'agit pas d'un texte technique ni d'un
toilettage dont le but serait un réajustement des lois Pasqua permettant de
procéder à une régularisation.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très juste !
M. Robert Pagès.
C'est au contraire une véritable déclaration de guerre faite aux étrangers
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants),
renforcée par les amendements
extrémistes d'un certain nombre de députés RPR et UDF.
Je le dis clairement : les lois Pasqua, à côté de ce qui nous est présenté
aujourd'hui, risquent - c'est un comble ! - de nous paraître modérées.
Une question s'impose : le Gouvernement ne prendrait-il pas prétexte de la
lutte des sans-papiers pour durcir les lois de 1993 ? Ne tente-t-il pas, à la
veille des élections ô combien importantes de 1998, de chasser sur les terres
de M. Le Pen ?
M. Hilaire Flandre.
Procès d'intention !
M. Robert Pagès.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, persiste à pratiquer des amalgames
entre demandeurs d'asile et immigrés clandestins, entre étrangers en situation
régulière et ceux qui ne le sont pas, entre terroristes et immigrés, entre
délinquants et immigrés,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est évident !
M. Robert Pagès.
... provoquant la suspicion, alimentant des préjugés racistes et xénophobes à
leur encontre, ceux-là mêmes que développe depuis des années le Front
national.
A ce propos, je voudrais souligner que les discours tendant à accréditer le
danger de l'immigration et les politiques répressives n'ont, hélas ! pas stoppé
la montée du Front national, au contraire. Les résultats de dimanche dernier à
Vitrolles en sont l'illustration parfaite.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
Votre projet de loi institue un droit d'exception pour une certaine
catégorie de personnes. C'est inacceptable !
Contrairement aux déclarations du Gouvernement, le projet de loi, outre son
incapacité à apporter des réponses humaines et efficaces quant à la
régularisation et à l'intégration des étrangers en France, menace gravement les
libertés de l'ensemble des personnes, qu'elles soient étrangères ou
françaises.
Ce texte, déjà motivé essentiellement par une volonté de répression accrue et
sous-tendu par l'idée de l'étranger « bouc émissaire », responsable de la
mal-vie, du chômage, de l'insécurité, de la crise, a été aggravé par les
députés de la majorité.
Ainsi, non seulement l'étranger est assimilé à un clandestin, voire à un
délinquant en puissance, mais le texte adopté par les députés en décembre
dernier bafoue les libertés de tous les citoyens.
Malgré les modifications apportées par la commission des lois du Sénat, je
considère que la démarche de cette dernière est tout aussi dangereuse que celle
de la majorité de l'Assemblée nationale. Des sénateurs de la majorité ont
également déposé des amendements qui flirtent avec l'idéologie lepéniste.
(MM. Jean-Patrick Courtois et Patrice Gélard protestent.)
Nous les combattrons résolument.
Quant aux possibilités de régularisation, qui constituent, paraît-il, le volet
libéral du projet de loi, elles ont été réduites par l'Assemblée nationale.
Ainsi, les étrangers en situation irrégulière résidant en France depuis plus
de quinze ans pourraient être expulsés.
Les couples mixtes seraient obligés de vivre cachés pendant les deux premières
années de leur mariage si l'un d'eux est en situation irrégulière. La
non-régularisation entraînerait l'existence d'autres « sans-papiers » et la
séparation des couples, malgré les engagements du Gouvernement.
Quant aux étrangers mineurs, ils devront être entrés en France hors
regroupement familial avant l'âge de dix ans et il faudra qu'ils soient dans
l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans leur pays
d'origine. Le caractère vague de cette dernière appréciation donne aux
autorités préfectorales un réel pouvoir décisionnaire.
Il conviendrait, au contraire, de préciser que tous les enfants qui, à la date
du 24 août 1993, sont entrés en France avant l'âge de dix ans restent
bénéficiaires, à leur majorité, d'une carte de résident de dix ans,
conformément à l'actuel article 38 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui a
été supprimé par l'Assemblée nationale.
Pour les parents d'enfants français, les conditions contenues dans le projet
de loi tel qu'il a été amendé par l'Assemblée nationale ne permettront la
régularisation que d'un très petit nombre de personnes.
On voit bien là les limites du projet de loi, qui va continuer à fabriquer des
« Saint-Bernard », comme l'a confirmé le médiateur de la République, M.
Pelletier, devant la commission des lois.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Robert Pagès.
En fait, il s'agit d'une volonté de précariser une certaine catégorie
d'immigrés qu'on nous présente aujourd'hui comme des privilégiés, alors qu'ils
bénéficiaient auparavant de plein droit de la carte de résident de dix ans du
fait de leur attaches personnelles et familiales en France et de leur vocation
à demeurer durablement sur notre sol.
Il est vrai que, au regard de la situation économique de notre pays, il est
beaucoup plus facile pour le Gouvernement de dire qu'il y a crise du fait de la
présence importante d'immigrés en France.
De même, il est plus facile de proclamer « immigration zéro » plutôt que «
chômage zéro ».
Le vrai danger, dans notre pays, ce n'est pas l'étranger, c'est la logique
sécuritaire qui prévaut avec les lois Pasqua-Debré.
Il s'agit, avec ce projet de loi, non de favoriser l'intégration de l'étranger
désireux de s'établir légalement en France, loin s'en faut, mais de créer les
conditions d'une véritable déstabilisation des immigrés.
Ce texte s'attaque à tous les droits et à toutes les garanties de
procédure.
Il limite de manière drastique l'attribution de plein droit des différentes
catégories de titres de séjour, en vue de faciliter les décisions de refus de
renouvellement de titre, d'éloignement du territoire et d'interdiction du
territoire.
Ce qui est proposé, c'est de livrer l'étranger et tous ceux qui ont un lien
avec l'étranger, nationaux compris, à l'arbitraire administratif, aux préjugés
et aux fantasmes.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Tout à fait !
M. Robert Pagès.
La réforme du certificat d'hébergement démontre, si besoin en était, que tous
ceux, Français et étrangers en situation régulière, qui s'approchent des
étrangers en situation irrégulière sont des suspects, des délinquants
potentiels.
Ainsi, l'article 1er du texte attente aux libertés de tous en créant
l'obligation, pour l'hébergeant, de déclaration à la mairie du départ de
l'hébergé, sous peine de ne plus pouvoir faire viser le nouveau certificat
pendant un délai de deux ans ou encore d'être poursuivi pour aide à l'entrée et
au séjour irréguliers d'un étranger, au titre de l'article 21 de l'ordonnance
du 2 novembre 1945.
De plus, il est prévu que pourront être effectuées par les agents de l'OMI des
visites inopinées au domicile de l'hébergeant,...
M. Hilaire Flandre.
Et alors ? Il faut les prévenir par lettre recommandée ?
M. Robert Pagès.
... ce qui constitue une violation de la vie privée de l'hébergeant, pourtant
garantie par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.
Il s'agit là d'une véritable criminalisation de l'hébergeant et des hébergés,
auxquels on ne prête que des intentions frauduleuses : « détournement de la
procédure », « conditions anormales d'hébergement ».
M. Jean-Pierre Schosteck.
Cela existe !
M. Robert Pagès.
Mais dans quel pays sommes-nous ? Nous sommes bien loin de la traditionnelle «
France terre d'asile et des droits de l'homme » !
Mme Hélène Luc.
Ah oui alors !
M. Nicolas About.
Et avec les bulldozers de Vitry, où étions-nous ?
M. Robert Pagès.
Nous pouvons être sûrs, même si le projet ne le précise pas, que
l'instauration de cette obligation donnera lieu à la création d'un fichier des
hébergeants, difficilement contrôlable.
Je vous laisse imaginer l'utilisation effective qui pourra être faite des
données figurant dans ce fichier, dont certaines touchent à la vie privée.
Il ne fera pas bon héberger un étranger dans des villes telles que Toulon ou
Orange !
Déjà, des disparités existent entre les villes pour la délivrance des
certificats d'hébergement. Certaines les visent sans problème, d'autres les
refusent systématiquement.
Il s'agit là d'un article qui, comme certaines associations le dénoncent, en
faisant notamment circuler une pétition, constitue une véritable «
déclaration-délation » aux « vieux relents de Vichy ».
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Et de Moscou !
M. Robert Pagès.
Nous combattrons vigoureusement, lors de la discussion des articles, ces
dispositions, qui sont d'ailleurs très largement critiquées, y compris par
l'Association des maires de France.
M. Christian Demuynck.
Par le bureau de l'association !
M. Robert Pagès.
Les atteintes aux droits fondamentaux de la personne ne s'arrêtent pas à
l'article 1er de ce projet de loi scandaleux. Ainsi, l'article 3, complété par
l'Assemblée nationale, est un catalogue d'entraves à la vie sociale, à la
liberté d'aller et venir, et j'en passe.
En effet, le fait de retenir le passeport ou le document de voyage des
étrangers en situation irrégulière, en échange d'un récépissé, constitue une
entrave à la vie sociale,...
M. Christian Demuynck.
C'est bien ! Il faut faire respecter la loi !
M. Robert Pagès.
... cette disposition ayant pour effet de priver l'étranger de tout moyen
d'identification et de le marginaliser.
Nombre d'étrangers n'ont effectivement que leur passeport pour retirer un
courrier recommandé à la poste - qui peut être une notification d'un arrêté de
reconduite à la frontière ! - ou pour scolariser leurs enfants.
En outre, un simple récépissé interdirait l'exercice de libertés fondamentales
telles que le mariage ou le bénéfice d'une succession. Je doute fort, mes chers
collègues, que les services administratifs prennent en considération un simple
récépissé !
L'article 3 prévoit également la possibilité de faire procéder par des
officiers de police judiciaire et des agents adjoints de police judiciaire,
dans les vingt kilomètres frontaliers et les zones portuaires, à la fouille des
véhicules, sans avoir recours aux instructions du procureur, à la seule
condition, ô combien hypocrite ! de recueillir l'accord du conducteur.
M. Hilaire Flandre.
J'en frémis !
M. Robert Pagès.
A défaut d'accord de ce dernier, les officiers de police judiciaire pourront
immobiliser le véhicule pour une durée de quatre heures au plus, dans l'attente
de l'autorisation du procureur.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Et alors ?
M. Robert Pagès.
Je vous vois mal attendre quatre heures au bord d'une autoroute !
Il s'agit là d'une atteinte à la liberté de circulation, d'autant qu'aucune
précision n'est apportée sur les critères justifiant de telles fouilles !
Dès lors, la porte risque d'être ouverte à la « fouille au faciès » !
M. Hilaire Flandre.
Bientôt, il va nous parler du goulag !
M. Robert Pagès.
Mais l'article 3 ne s'arrête pas là.
Les deux derniers alinéas, ajoutés par l'Assemblée nationale, concernent le
relevé et la mémorisation des empreintes digitales des étrangers non
ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne qui demandent à séjourner
en France et de ceux qui, en situation irrégulière, font l'objet d'une mesure
d'éloignement du territoire.
Le temps me manque pour évoquer la dangereuse mesure créant les contrôles dans
les lieux à usage professionnel.
Le tout constitue une véritable traque de l'étranger, assimilable à la traque
des criminels. D'ailleurs, le rapporteur ne fait-il pas état, dans son rapport
écrit, de « détection de l'étranger » et d'« identification de l'étranger »
?
En outre, dans l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi, on peut lire
ceci : « Ces dispositions contribueront à réduire le nombre d'étrangers en
situation irrégulière et donc en situation de marginalité sociale, voire la
délinquance. » Le rapport explique encore : « Il n'est pas contestable que
l'immigration irrégulière atteint la cohésion sociale au moins dans certains
quartiers, alimente le travail clandestin et nourrit la délinquance. »
M. Hilaire Flandre.
Démontrez le contraire !
M. Robert Pagès.
Je démontre l'amalgame !
Avec ce projet de loi, nous allons vers un Etat encore plus policier, où les
immigrés seront un peu plus considérés comme du « gibier de police » !
J'en arrive à l'article 8, relatif à la rétention administrative, qui, lui,
porte atteinte aux droits de la défense et au droit à un recours effectif.
L'allongement de vingt-quatre heures à quarante-huit heures du délai de
rétention sans intervention du juge judiciaire consacre le recul du pouvoir
judiciaire, pourtant garant des libertés publiques, au profit du pouvoir
discrétionnaire de l'administration, malgré l'opinion de la Cour de
cassation.
Avec une telle disposition, l'étranger serait privé de liberté et de l'accès à
un conseil.
De plus, le délai de recours auprès du tribunal administratif sur l'arrêté
préfectoral de reconduite à la frontière étant maintenu à vingt-quatre heures,
il est pratiquement impossible à l'étranger en garde à vue d'introduire ce
recours.
Par ailleurs, il y a un déséquilibre dans la procédure d'appel, dont seul le
parquet peut obtenir la suspension.
Nous sommes opposés à cette faculté donnée au procureur de la République de
demander au premier président de la cour d'appel de déclarer le recours
suspensif, ce qui aurait pour conséquence de garder l'étranger en rétention
administrative alors même que le juge judiciaire aurait décidé sa remise en
liberté.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et voilà !
M. Robert Pagès.
S'agissant de la rétention judiciaire prévue à l'article 9, il est
inacceptable de retenir une personne qui n'aurait commis aucun délit mais qui
serait seulement « sans-papiers » et de la soumettre à un régime de rétention
judiciaire qui ne présente même pas les garanties minimale de la rétention
administrative ; je pense ici au droit de visite.
Le projet de loi supprime, à l'article 5, la commission de séjour, seule
instance où l'étranger peut faire valoir ses moyens de défense à l'encontre
d'un arrêté préfectoral portant refus ou non-renouvellement d'une carte de
résident.
Les lois de 1993 avaient déjà vidé de sa substance la fonction de cette
commission en ne lui attribuant plus qu'un rôle consultatif. L'article 5 du
texte lui assène un coup fatal en la supprimant sans autre forme de procès !
Voilà, mes chers collègues, les principales critiques que j'émets au nom du
groupe communiste républicain et citoyen.
Bien sûr, je n'ai pas eu le temps d'aborder ici tous les problèmes soulevés
par l'ensemble des articles du projet de loi, mais nous aurons l'occasion d'y
revenir.
Ainsi, monsieur le ministre, votre texte, avec son « volet libéral », est
censé permettre la régularisation de quelques personnes actuellement sans
papiers, mais à quel prix ?
Le volet répressif est intolérable : atteintes aux libertés individuelles, au
droit des mineurs, au droit de vivre en famille, au droit au mariage ; entraves
à la vie sociale, à la liberté de circulation, aux droits de la défense ;
fichage et contrôles, et j'en passe.
Il s'agit d'une véritable escalade dans l'atteinte aux libertés. Jusqu'où
serez-vous capables d'aller sous prétexte de maîtriser les flux migratoires ?
Cela fait vingt-deux ans que l'on entend le même discours à propos de
l'immigration : vingt-deux ans d'échecs ! De même, l'ordonnance de 1945 a été
modifiée à vingt-trois reprises, mais pour quels résultats ?
Tant que les questions pertinentes ne seront pas posées, celles qui portent
sur les raisons de la désespérance dans les quartiers difficiles, laquelle
pousse à chercher un bouc émissaire, vous courrez à l'échec !
Je rappelle à ceux qui l'auraient oublié ou qui l'ignoreraient que l'année
1997 a été instituée « année européenne contre le racisme ».
Mme Hélène Luc.
Tout à fait !
M. Robert Pagès.
Comment peut-on, dès lors, accepter que le Parlement de la France débute cette
année, après l'adoption du projet de loi sur le travail clandestin, par
l'examen d'un texte qui ternira davantage encore l'image du « pays des droits
de l'homme » et encouragera les attitudes racistes et xénophobes ?
Comment ne pas mettre en parallèle le renforcement de la logique autoritaire
et sécuritaire qui guide la politique gouvernementale en matière d'immigration
et le refus de la majorité de droite de débattre des mesures à prendre pour
lutter contre le racisme ?
M. Hilaire Flandre.
Que c'est beau !
M. Robert Pagès.
La dérive qui sous-tend ce texte est dangereuse. Ce sont les valeurs
fondamentales de la démocratie qui sont sapées, celles qui placent les droits
de l'homme, et non pas la haine de l'autre, au centre de l'action politique, et
c'est parce que nous sommes fidèles aux idéaux de liberté et de fraternité que
nous combattons ce projet de loi dont le caractère démagogique est
inquiétant.
Des voies progressistes peuvent être ouvertes pour résoudre les problèmes
posés par les migrations. C'est ce que démontreront mes amis Nicole Borvo et
Jack Ralite dans la suite des débats.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
Il ne peut y avoir de rappel au règlement au cours du débat, monsieur Renar,
mais je sais ce que vous voulez me demander.
M. Ivan Renar.
Je souhaitais rappeler que notre collègue Jack Ralite avait demandé une
suspension de séance d'un quart d'heure.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. le président.
Un rappel au règlement n'est pas nécessaire pour formuler une telle
demande.
Dois-je consulter le Sénat ?...
De nombreux sénateurs du RPR.
Oui !
M. le président.
Je consulte donc le Sénat sur la demande de suspension de séance émanant du
groupe communiste républicain et citoyen.
(Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Serge Vinçon.
Nous demandons un scrutin public !
M. le président.
Je regrette, mais le scrutin est commencé !
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
(La suspension de séance est accordée. - Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Hilaire Flandre.
Il n'était pas commencé !
Mme Hélène Luc.
Il faut avoir le courage de son vote !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela, c'est du fascisme socialiste !
M. le président.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures
trente-cinq.)
M. le président.
La séance est reprise.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne puis
m'empêcher de vous indiquer que c'est quelque peu sceptique que j'aborde
aujourd'hui ce débat relatif à l'immigration.
Nous sommes réunis, en effet, pour apporter une énième modification à
l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour
des étrangers en France, la vingt-quatrième depuis sa création, et la dixième
au cours des quinze dernières années.
Je ne peux douter de la volonté des gouvernements d'avoir apporté, par des
modifications, des réponses concrètes aux questions que soulève ce délicat
problème. Les efforts déployés en ce domaine n'ont pas semblé atteindre leur
but.
L'alternance politique a empêché, en cette matière plus qu'en toute autre, la
cohérence législative, puisque l'évolution de l'ordonnance de 1945 ne s'est
faite qu'à travers de multiples changements de direction.
La loi du 10 janvier 1980, adoptée sur l'initiative de notre collègue
Christian Bonnet, alors ministre de l'intérieur, a été profondément modifiée
par une loi du 29 octobre 1981, elle-même complétée par la loi du 17 juillet
1984. Par la suite, c'est une loi du 9 septembre 1986 imposant le retour aux
mesures édictées par la loi Bonnet, qui fut modifiée par la loi Joxe du 2 août
1989, elle-même transformée par les lois des 24 août et 30 décembre 1993.
Aucune de ces lois ne s'est jamais inscrite dans la continuité de celles
qu'elle suivait, faisant apparaître de nombreuses difficultés juridiques.
La coordination de l'ensemble des services de lutte contre l'immigration
irrégulière a permis de produire des résultats encourageants, qui prouvent,
contrairement à ce que beaucoup prévoyaient, que la tâche n'était pas
impossible mais qu'il fallait s'y atteler avec sérieux et conviction.
Nul, ici, ne souhaite remettre en cause le rayonnement qu'exerce la France en
matière de protection des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés
fondamentales.
Je suis l'un des premiers à y être attaché et c'est à ce titre que j'affirme
qu'il n'est plus permis d'associer lutte contre l'immigration clandestine et
recul des libertés.
La législation que nous appliquons à l'heure actuelle nous permet de choisir
qui a le droit de séjourner en France et les conditions dans lesquelles ce
droit au séjour peut s'exercer. Il s'agit là d'une prérogative de souveraineté
nationale qui ne saurait être remise en cause, par le détournement des idéaux
auxquels nous sommes attachés.
Monsieur le ministre, à l'occasion de diverses réunions et en commission des
lois, je n'ai pas manqué de faire part de mon sentiment quant à l'économie de
ce projet de loi qui constitue, si l'on conserve un regard objectif, une
certaine avancée.
Toutefois, permettez-moi de modérer cet enthousiasme en abordant le problème
de l'immigration, qu'elle soit régulière ou non, dans le département de la
Guyane.
Le Guyanais est, par essence, un homme accueillant. Il l'a prouvé avec les
Martiniquais, lors de l'éruption de la Montagne Pelée en 1902, et avec toutes
les populations de la Caraïbe et de l'Amazone. Plus récemment, il l'a encore
prouvé en accueillant les Hmongs et les populations provisoirement déplacées du
Surinam lors des différents conflits.
Lorsque le Gouvernement français, en 1966, a décidé la création de la base
spatiale, le Guyanais a accepté d'accueillir sur son sol de nombreuses
populations des pays d'Amérique latine.
Il ne peut être aujourd'hui question de seuil de tolérance, largement dépassé
depuis des lustres.
Il ne peut non plus être question pour nous de ne plus continuer à accueillir
des hommes qui accepteraient de venir dans notre pays pour le bâtir avec nous,
car vous conviendrez que la Guyane ne pourra se développer économiquement avec
seulement 150 000 personnes. Il faut donc permettre aux élus de partager cette
compétence avec l'Etat.
Mais il faut être prudent et maîtriser le processus d'immigration ; sinon, ce
serait la destruction de l'identité culturelle, la dégradation de la situation
sanitaire, sociale et économique de la Guyane.
Oui, nous croyons à la libre circulation des hommes, des idées et des biens,
mais vous conviendrez aussi que l'on assiste passivement à un génocide par
substitution du peuple guyanais.
Dans l'Hexagone, les difficultés rencontrées sont liées à des considérations
juridiques et humaines. Ces aspects existent également en Guyane, mais ils sont
particulièrement accentués du fait d'un manque considérable de moyens.
En effet, les caractéristiques de l'immigration en Guyane française sont
extrêmement différentes de celles que l'on rencontre en métropole et elles
doivent, en conséquence, être traitées différemment.
Il convient cependant de dire ici l'ampleur prise par le phénomène, puisque, à
l'heure actuelle, plus de la moitié de la population immigrée présente en
Guyane y séjourne dans la plus parfaite illégalité, portant ainsi à plus de 50
% le taux de présence étrangère dans ce département.
Les effets de cette présence massive d'étrangers sur le sol guyanais se font
sentir du point de vue des relations humaines et sociales.
On pourrait craindre des affrontements sporadiques qui, d'un jour à l'autre,
risquent de provoquer des troubles graves auxquels les forces de police auront
beaucoup de mal à faire face.
Les frontières naturelles et administratives guyanaises sont de véritables
passoires, car aucun moyen mis en place n'est adapté à l'immensité de ce
territoire, vaste et difficile en ce qui concerne la surveillance aux
frontières. La vérité est alors simple : il entre dans le pays plus d'étrangers
en situation irrégulière que l'on en expulse.
Dès lors, il est difficile de justifier par des chiffres le travail effectué
par les services de police. Cependant, un esprit éclairé doit pouvoir deviner
le danger actuel de voir à très court terme le territoire « envahi » par une
population étrangère non maîtrisée, avec toutes les conséquences qui pourront
en résulter.
M. Michel Caldaguès.
Voilà qui est clair !
M. Georges Othily.
Aujourd'hui, la réalité est triste : si il n'y a aucune difficulté à repérer
et à expulser les étrangers en situation irrégulière dans ce pays, c'est parce
qu'ils sont légion.
Les Français de Guyane sont aujourd'hui minoritaires sur ce sol de France. Le
constat est implacable.
Force est de constater que nous sommes en train de croire que nous allons
vider l'océan avec un petit seau de plage. C'est pourquoi, dans un projet
nouveau de société, il nous sera possible de connaître une société
fraternelle.
Les conséquences de cette immigration sont désastreuses, en particulier dans
le domaine médical, sanitaire et scolaire. Le rapport de notre collègue M.
Masson y faisant allusion, je ne m'attarderai pas plus longtemps sur ce
point.
Dès lors, dans le cadre de la politique de développement de coopération de la
France, le Gouvernement se doit de participer, dans les régions qui sont autour
de la Guyane, à la construction d'écoles et d'hôpitaux pour contribuer à
l'amélioration des conditions de vie de ces pays. Vous venez d'ailleurs de le
faire dans la région d'Albina au Surinam, où la France est en train de
construire un hôpital pour les Surinamiens.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, tant qu'ils ne seront pas plus
justes dans l'utilisation des termes de l'échange avec les pays du Sud, les
pays du Nord recevront toujours et encore plus le flot de la misère des pays du
Sud.
(Marques d'approbation sur plusieurs travées du RPR.)
Votre projet de loi, monsieur le ministre, traite, avec beaucoup
d'intelligence, du cas des parents d'enfants français, dont vous avez choisi de
régulariser la situation. Si cette intention est louable dans la mesure où elle
permettra de mettre fin à certains excès, elle peut s'avérer dangereuse au
regard de la situation guyanaise.
Il faut savoir, en effet, que de nombreux Guyanais vivent en concubinage avec
des étrangers irréguliers, originaires d'Haïti, du Surinam, du Guyana ou du
Brésil. Ces relations entraînent de très nombreuses naissances d'enfants
français, qui s'opposeront ainsi à l'éloignement du parent irrégulier. Comment
la police et la gendarmerie guyanaises devront-elles gérer ces situations
nouvelles qui, loin d'être marginales, s'accroîtront au fil des mois ?
Il faut savoir que l'économie guyanaise souffre également de cette immigration
clandestine.
M. René-Georges Laurin.
Bien sûr !
M. Georges Othily.
La Guyane, en effet, est un département dans lequel le taux de chômage est
supérieur à 27 %. Cette présence d'étrangers en situation régulière ou non
constitue-t-elle un frein à une expansion économique déjà fortement mise en
cause ? Oui, car une très large partie des prestations sociales que ces
étrangers récupèrent est envoyée dans leur pays d'origine, ce qui ne contribue
pas à une injection financière dans le circuit économique guyanais ; c'est une
catastrophe pour la mise en place d'une véritable économie durable.
Les exemples que je viens d'exposer devant vous concernent le séjour
irrégulier. Il me faut également vous parler des problèmes rencontrés dans le
cadre de l'entrée irrégulière sur le sol guyanais.
La présence des fleuves Le Maroni et l'Oyapock ne constitutent en rien un
obstacle à l'entrée sur le sol guyanais. En traversant ces fleuves, nombreux
sont ceux qui parviennent à s'installer en Guyane sans pouvoir être inquiétés
par les services de police, qui ne disposent que de quelques petites pirogues
pour assurer la surveillance.
Des moyens considérables doivent être mis en oeuvre afin de remédier à cette
situation. Vous avez déjà commencé à le faire, monsieur le ministre, mais c'est
insuffisant.
De surcroît, il faut bien comprendre que, pour l'ensemble de la population
amérindienne et boschnengué, la notion de frontière est inexistante, quel que
soit l'Etat dont elle est le ressortissant, dans la mesure où elle se trouve
sur le plateau des Guyanes. Comment expliquerez-vous aux Amérindiens
originaires du Surinam ou du Brésil, réfugiés en Guyane, qu'ils séjournent
illégalement sur des terres qu'ils ont foulées depuis des siècles ?
A travers ces exemples, monsieur le ministre, vous comprendrez que le problème
de l'immigration régulière ou irrégulière ne peut être abordé en Guyane de la
même façon que sur le territoire métropolitain. C'est pourquoi, sans contester
les effets positifs de votre projet de loi, je doute que celui-ci soit de
nature à mettre fin aux situations particulièrement graves que connaît le
département de la Guyane.
A cet effet, j'ai déposé un amendement visant, d'ici à un an, à ne plus faire
application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 dans le département de la Guyane
et à faire adopter un texte spécifique, en vertu de l'article 73 de la
Constitution. J'espère, monsieur le ministre, que vous accéderez à la demande
des élus de Guyane. J'ai d'ailleurs cru percevoir, dans votre exposé liminaire,
que telle était un peu votre intention, en réunissant les élus de Guyane.
Monsieur le ministre, je souhaite que le texte que vous nous présentez se
révèle efficace pour la France hexagonale. Je serais encore plus satisfait
d'avoir apporté mon soutien à ce projet de loi si un texte spécifique à la
Guyane, permettant réellement de mettre un terme à une situation extrêmement
préoccupante, était prochainement adopté.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet.
Voici que revient une nouvelle fois, dans cette enceinte, le problème de
l'immigration clandestine, et je voudrais avant toute chose, monsieur le
ministre, vous féliciter d'avoir pris, en dépit d'obstacles de toute nature, la
responsabilité de tenter de corriger certains dysfonctionnements.
Ainsi s'affirme, après le récent projet de loi présenté par votre collègue M.
Jacques Barrot, la volonté du Gouvernement de lutter, et pas seulement en
paroles, contre les dangers dont sont porteurs des flux migratoires en
contravention avec nos lois.
S'il est un domaine où, comme il est normal et sain en démocratie, s'opposent
deux conceptions de la politique à suivre, c'est bien celui de l'immigration
illégale. Et si j'avais pu en douter, l'intervention au demeurant très
brillante de notre excellent collègue M. Guy Allouche m'en aurait convaincu.
L'histoire de ces vingt dernières années en porte d'ailleurs témoignage : en
1980, une loi édicte des mesures visant à enrayer un phénomène inquiétant.
Dès l'été 1981, cette loi est purement et simplement abrogée, et, quelques
mois plus tard, une régularisation massive - le chiffre officiel est de 133 000
personnes - crée comme un vaste appel d'air.
Une certaine inquiétude commence alors à se faire jour dans les allées du
pouvoir ; et c'est ainsi que, le 31 août 1983, M. le Président de la République
va jusqu'à dire qu'« il faut renvoyer les clandestins chez eux ». Mais aucune
mesure ne s'ensuit.
En 1986, un texte, connu sous le nom de « loi Pasqua », édicte certaines
mesures de sauvegarde.
En 1989, si elle n'est pas abrogée comme celle de 1980, cette loi est
pratiquement émasculée par l'introduction de procédures à la faveur du
déroulement desquelles les irrégularités ont tout loisir de se fondre dans la
nature.
Et si, le 10 décembre de la même année, interrogé en direct de l'Elysée par
quatre journalistes, le Chef de l'Etat déclare : « le seuil de tolérance a été
atteint dès les années soixante-dix », et s'il ajoute : « il convient
d'expulser les immigrés clandestins comme de punir ceux qui exploitent leur
misère », ces propos n'auront aucune portée pratique.
En 1993, sont adoptées de nouvelles lois Pasqua, dont certaines difficultés
d'application vous amènent, monsieur le ministre, à nous en présenter, en 1997,
quelques aménagements.
Entre-temps, dans un entretien publié dans le journal
Le Monde
en date
du 4 mai 1995 - je tiens à ce que tous les chiffres et toutes les dates soient
cités - M. Lionel Jospin, candidat à la magistrature suprême, répondant à une
question d'Alain Duhamel, déclare - je cite encore, car dans un domaine aussi
sensible, on se doit d'être précis : « pour réduire l'immigration clandestine,
l'on n'a pas d'autre solution que de faire des vérifications aux frontières et
puis, par ailleurs, de reconduire tous ceux qui sont constatés en situation
irrégulière. »
Paroles... Paroles... Paroles... En effet, demeurent récurrentes, en dépit de
telles déclarations sans équivoque, les protestations et les manifestations
contre toute mesure destinée à éloigner les irréguliers.
Oui, s'il est un domaine dans lequel existe une profonde divergence entre la
majorité et l'opposition, c'est bien celui-ci : d'un côté, l'on combat ce qu'il
faut bien appeler, s'agissant d'irréguliers, un mal ; de l'autre, l'on parle,
mais l'on consent, quand on ne facilite pas !
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Il semble toutefois que, malgré la succession de textes allant dans la bonne
direction, ceux-ci pèchent encore par une certaine modestie au regard des
conséquences, pour le corps social, de la présence sur notre sol de quelques
centaines de milliers d'immigrés s'y maintenant en violation de nos lois.
Sur le plan économique, un tel état de choses aggrave le fléau du travail au
noir, qui fausse le jeu de la concurrence.
Sur le plan social, il alourdit les déficits de notre régime de protection,
tant en en diminuant les ressources qu'en en aggravant les charges très au-delà
de ce qu'exigent nos traditions d'humanisme.
Sur le plan scolaire, il complique dans trop de classes la tâche des
enseignants, contribue au progrès de l'illettrisme et favorise la violence.
M. Jacques Mahéas.
Plus ringard, tu meurs !
M. Michel Caldaguès.
Mais taisez-vous !
M. Christian Bonnet.
Sur le plan sanitaire, il conduit à la suroccupation des foyers, génératrice
de conditions d'hygiène et de sécurité déplorables.
Sur le plan de l'ordre public, indépendamment même du problème gravissime que
risque de poser demain, en Guyane, la sécurité même de l'un des fleurons de
notre technologie - notre collègue Georges Othily nous en parlait à l'instant
éloquemment - chacun sait qu'il existe - comment d'ailleurs en irait-il
autrement ? - un lien direct entre délinquance et clandestinité :...
M. Jacques Mahéas.
Et voilà !
M. Christian Bonnet.
... de récentes statistiques de la préfecture de police sont, à cet égard,
qu'il s'agisse de drogue ou de vols à la tire, singulièrement éloquentes.
Et cet ensemble de dérèglements fait, hélas ! le jeu de qui l'on sait, en
développant dans la population des réflexes xénophobes aussi détestables que
compréhensibles.
(Applaudissements sur certaines travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Jacques Mahéas.
Vous qui avez les chiffres, citez-les !
M. Christian Bonnet.
Pour modeste qu'apparaisse le projet de loi dont nous sommes saisis, il n'en
reste pas moins, monsieur le ministre, que le mérite du Gouvernement est grand
de ne s'être pas laissé découragé par la multiplicité des obstacles qui
jalonnent le chemin de la lutte contre l'immigration clandestine.
De la prolongation indue des séjours touristiques à l'allongement indéfini des
études, en passant par les mariages de complaisance,...
Mme Monique ben Guiga.
Pas nécessairement de complaisance !
M. Jacques Mahéas.
Un étranger ne peut pas tomber amoureux !
M. Christian Bonnet.
... l'extension abusive des regroupements familiaux et les demandes d'asile
non fondées, la panoplie des échappatoires est vaste !
S'y ajoute le fait que les pouvoirs des corps de contrôle - police,
gendarmerie et douane dans certains cas, police, gendarmerie et inspection du
travail dans d'autres - sont trop souvent différents, voire dissymétriques.
S'y surajoutent les difficultés pratiques de faire jouer la convention de
Schengen en ce qu'elle vaut accord de réadmission multilatérale et,
pareillement, l'insuffisance des moyens dont disposent nos agents consulaires
pour vérifier l'authenticité des pièces établies par des filières de plus en
plus professionnalisées.
Mais il y a pis.
En l'état actuel des textes se dressent trois obstacles incontournables
auxquels, monsieur le ministre, vous-même et vos services ne cessent de se
heurter.
Le premier résulte d'un arrêt de la Cour de cassation de juin 1995, connu sous
le nom d'arrêt Bechta, aux termes duquel le juge judiciaire est fondé, s'il est
saisi, à apprécier la légalité du contrôle d'identité préalable à la mise en
rétention administrative.
Le second obstacle réside dans l'existence d'une dualité de compétences pour
une même affaire, dualité dont savent jouer à merveille nombre de conseils
spécialisés.
Née de la compétence intangible des tribunaux administratifs au regard des
décisions de la puissance publique et de celle, tout aussi intangible - et
c'est heureux ! - des tribunaux de l'ordre judiciaire institués gardiens des
libertés individuelles par la Constitution elle-même, cette dualité peut
conduire à des situations ubuesques du type de celle qui a été décrite par une
commission d'enquête de l'Assemblée nationale.
C'est le cas d'école de cet étranger qui, venant de Bardonecchia, est
interpellé à Modane ; faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à
la frontière, il est transféré au centre de rétention administrative de Lyon,
puis, de là, déféré au tribunal de grande instance de Chambéry pour
prolongation d'un à six jours du délai de rétention, puis encore conduit à
Grenoble pour y être présenté au tribunal administratif, du fait du recours
qu'il a introduit contre l'arrêté préfectoral, ensuite, de nouveau ramené au
centre de rétention de Lyon pour comparaître une nouvelle fois devant le
tribunal de grande instance de Chambéry afin qu'il se prononce sur une
éventuelle prorogation exceptionnelle de trois jours du délai de rétention.
Un tel labyrinthe fait irrésistiblement penser à Victor Hugo évoquant, dans
Notre-Dame de Paris,
« un dédale inextricable de ruelles, de carrefours
et de culs-de-sac qui ressemble à un écheveau de fil brouillé par un chat »
!
Rétention administrative... Là est bien, monsieur le ministre, le pire des
trois obstacles auxquels se heurtent vos services du fait de la limitation de
son délai à dix jours au maximum : un jour, plus six jours, plus éventuellement
trois jours à titre exceptionnel.
Dix jours, alors que les pays les plus sourcilleux en matière de respect des
libertés individuelles admettent tous des durées très supérieures, à commencer
par les Pays-Bas, pourtant généralement tenus pour laxistes, et par la
Grande-Bretagne, patrie de l'
habeas corpus.
Comment, en dix jours, parvenir à maîtriser l'organisation de l'anonymat
?
Comment, en dix jours, retrouver l'identité de gens qui, le plus souvent bien
conseillés par des filières spécialisées, se présentent sans papiers ou sont
munis de faux papiers, ou déclinent de fausses nationalités, ou feignent d'être
sourds-muets ?
Ainsi notre pays n'est-il pas seulement pour les immigrés illégaux le plus
protecteur qui soit au monde. Il est aussi - et cela se sait, hélas ! - celui
qui, paradoxalement, érige le plus d'entraves à l'application de la loi.
Un tel comportement s'inscrit, ce faisant, dans le droit-fil d'une morale née
voilà bientôt trente ans, et qui se pourrait définir comme une éthique de la
complaisance, une éthique que nourrit l'éclosion récente d'un phénomène que
Pierre-Patrick Kaltenbach a très justement qualifié de « caritatif médiatique
». Ce phénomène, auquel sacrifient trop de caméras complaisantes, met toujours
en situation les mêmes personnages qui s'adonnent à une sorte de rituel de la
protestation...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous êtes bien dans le rituel de la répression depuis vingt ans !
M. Jacques Mahéas.
Nous allons vous emmener à la manifestation !
M. Josselin de Rohan.
Taisez-vous un peu !
M. Jean Chérioux
Nous vous avons laissé parler !
M. Christian Bonnet.
Je n'ai pas ouvert la bouche lorsque M. Allouche a prononcé sa très
intéressante intervention !
M. René Rouquet.
Vous étiez béat d'admiration !
M. Christian Bonnet.
Ce phénomène, disais-je, met toujours en situation les mêmes personnages qui
s'adonnent à une sorte de rituel de la protestation face à des mesures que l'on
apprécie diversement selon que l'on est habitant de banlieues difficiles ou de
très beaux quartiers, maire - par-delà, j'y insiste, les sensibilités les plus
diverses - ou animateur de collectifs, suivant que l'on est policier ou aimable
idéologue déconnecté des réalités.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
A tous ceux, ô combien estimables ! qu'habite une authentique soif de
justice, l'on est conduit à poser la question de savoir s'il est humainement
admissible d'inciter, par la perspective d'une mansuétude au moins tacite, des
dizaines de milliers de pauvres gens sans formation aucune à venir chercher
chez nous un apaisement illusoire aux problèmes qu'ils rencontrent chez
eux...
A tous ceux-là, on est conduit à poser aussi la question de savoir s'il est
conforme à leur idéal de favoriser indirectement, mais inévitablement, les
passeurs sans scrupules, les marchands de sommeil avides, les pourvoyeurs
d'ateliers clandestins, les trublions, des cités sensibles.
Ont-ils songé, ces hommes et ces femmes généreux, que la fermeté vis-à-vis des
clandestins est d'abord souhaitée et par la communauté étrangère installée
régulièrement sur notre sol, qui souffre d'être confondue avec ceux qui s'y
maintiennent illégalement par des artifices condamnables,...
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Christian Bonnet.
... et par ceux de nos compatriotes, le plus souvent modestes, qui souffrent,
quant à eux, d'un environnement trop souvent inquiétant ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Qu'est-ce que cela a à voir ?
M. Jacques Mahéas.
Et qui votent Front national !
M. Christian Bonnet.
Ont-ils songé, ces hommes et ces femmes qui ont à juste titre le racisme en
haine, que fermer les yeux en ce domaine devant la violation de la loi
républicaine revient à favoriser le développement de cette maladie latente en
France qu'est la xénophobie, et, hélas ! les progrès de ceux qui s'en font les
hérauts ?
Mais venons-en à l'essentiel. Par-delà toutes ces considérations se pose un
problème ramassé par Fernand Braudel en une phrase éclairante : « Déjà très
diverse - ce qui fait sa richesse - la France peut-elle courir le risque de le
devenir davantage encore ? »
Comment ne pas répondre par la négative à une question ainsi posée ?
Hypnotisés par la crainte de la concurrence économique des pays à faible
niveau de vie, nous ne voyons pas que, pour un pays vieillissant, la véritable
menace est d'ordre démographique.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Christian Bonnet.
Aux problèmes de compétition entre les entreprises, il existe des solutions. A
ceux qu'engendre la pression des hommes, l'Histoire enseigne qu'il n'existe
guère de remèdes et qu'il serait, en tout état de cause, parfaitement
inconséquent de laisser s'accroître en nombre, chez nous, ce que l'on serait
tenté, l'air du temps aidant, d'appeler des « noyaux durs ».
Les Russes blancs fuyant le communisme, les Italiens et les Polonais en quête
de travail dans un pays de liberté, les Juifs en proie aux persécutions et les
Républicains espagnols rescapés de la guerre sont autant d'immigrés européens
de souche, issus d'une même culture judéo-chrétienne et, plus sommairement, de
la tradition humaniste. Ils se sont coulés sans efforts dans les replis de
notre civilisation.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Nous y voilà !
Mme Monique ben Guiga.
Mais il y a les Arabes ! Et les nègres !
M. Christian Bonnet.
Mais, aujourd'hui, l'insertion de populations installées en France, certes
régulièrement mais en vertu d'un choix le plus souvent tout autre que culturel,
pose assez de problèmes pour nous interdire d'y ajouter ceux qui naissent d'une
migration désordonnée.
M. Pierre Mauroy.
Pas davantage !
M. Jacques Mahéas.
Les bons et les mauvais !
M. Christian Bonnet.
Professer le contraire, c'est faire preuve d'un optimisme que l'Histoire ne
semble pas se soucier de ratifier. C'est témoigner d'une coupable
imprudence.
Alors Premier ministre, M. Michel Rocard - s'il était présent dans
l'hémicycle, je lui dirais qu'il se rassure, car je ne suis pas de ceux qui
tronquent les citations ! -...
M. Jacques Mahéas.
Il n'est pas loin, il est à la manifestation !
M. Christian Bonnet.
... écrivait, dans un grand journal du soir, le 24 août 1989 : « La France ne
saurait accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre
fidèlement sa part. »
M. Guy Allouche.
Tout à fait !
M. Jacques Mahéas.
Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Mais lâchez-nous un peu, avec Rocard !
M. Christian Bonnet.
Précisément, l'on est en droit d'estimer qu'elle en a pris sa part, et qu'elle
continue de la prendre au travers de l'accueil, généreux, de près de 80 000
réfugiés étrangers chaque année.
Mme Monique ben Guiga.
Mais ce sont des regroupements familiaux !
M. Christian Bonnet.
Ne l'oublions jamais, l'immigration agit à la façon d'un alcaloïde : à dose
modérée, elle est un stimulant ; à dose massive, un poison pour tous, à
commencer par les immigrés eux-mêmes.
M. Jean-Patrick Courtois.
Très bien !
M. Christian Bonnet.
Il en est bien conscient celui de nos éminents collègues qui, récemment
applaudi par tous les membres de la Haute Assemblée debout, lors de l'éloge
qu'il venait de faire d'André Malraux, n'hésitait pas, ces jours derniers, à
donner pour titre à un éditorial de mise en garde : « La France survivra-t-elle
? »
Mme Monique ben Guiga.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
M. Christian Bonnet.
Ainsi posé dans toute son ampleur, un tel problème n'est pas de ceux auxquels
peuvent apporter une solution des ajustements techniques, certes
indispensables, certes très bien venus, mais qui ne constituent qu'autant de
réponses parcellisées à une question globale.
Une succession de ravaudages sur une étoffe fatiguée - « un manteau d'Arlequin
», disiez-vous tout à l'heure, monsieur le ministre - n'a jamais eu la valeur
d'une pièce de tissu neuf.
Aussi bien, sans méconnaître l'exceptionnelle difficulté de la tâche, mes amis
du groupe des Républicains et Indépendants et moi-même estimons-nous que le
temps n'est pas loin où force sera bien de remettre - que l'on me pardonne
cette expression familière - « tout à plat », dans un souci dont chacun
comprendra bien qu'il ne soit pas exactement celui de notre collègue Guy
Allouche.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Nous allons bientôt la faire, nous, cette remise à plat !
M. Bernard Piras.
C'est du Maurras ou du Barrès !
M. Christian Bonnet.
De tous temps et dans tous les pays, l'entrée et le séjour des étrangers ont
été réglementés : la maîtrise des mouvements de population est une prérogative
qui n'est contestée à l'Etat dans aucun système juridique. Or, en France,
l'Etat dispose aujourd'hui d'une marge de manoeuvre dont je me suis attaché à
montrer les insupportables limites.
L'affaire, au demeurant, intéresse l'ensemble du Gouvernement, tant il est
vrai qu'elle concerne d'autres pays que le nôtre et qu'elle appelle une
redéfinition de notre politique de coopération.
Qu'elle intéresse d'autres pays que le nôtre, les déclarations sans ambiguïté,
il y a moins d'un mois, du chancelier Kohl et du président du plus puissant des
syndicats allemands, IG Metall, viennent d'en apporter la preuve.
Quant à la politique de coopération, elle doit tout à la fois s'intensifier et
privilégier les pays décidés à décourager les candidats au départ, en réservant
un sort particulier à ceux qui se hasarderaient à contrarier le survol de leur
territoire par des appareils véhiculant des actions de reconduite groupée, dont
le caractère dissuasif est essentiel dans un monde où toute mesure est
interprétée comme un signal.
Vaste programme, qui exige beaucoup de détermination. Mais, pour reprendre
l'expression, si heureusement imagée, d'Alain Peyrefitte, « n'est-il pas temps
de tirer les autruches par le bout des plumes » ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur les travées du RDSE.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Pauvres bêtes !
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne serai
pas très original en disant que nous sommes appelés une nouvelle fois à traiter
des problèmes de l'immigration, sujet qui est bien souvent l'occasion de prises
de position tranchées empêchant tout débat lucide et cohérent.
Certes, cela se comprend, car cette question touche à la vision que nous avons
chacun de la nation, de la communauté nationale, de la citoyenneté. C'est
précisément pour cela qu'il nous faut préserver une approche plus calme et
pragmatique des problèmes. J'espère donc que, dans ce débat, nous éviterons
quelques travers. Mais la nature même du texte qui nous est proposé va nous y
aider car, je le rappelle, il porte « diverses dispositions relatives à
l'immigration ».
Nous avons déjà beaucoup légiféré dans ce domaine, et le présent projet de loi
ne prétend pas régler tous les problèmes que l'immigration pose à notre
société. En effet, si son examen est l'occasion d'un débat sur toutes ces
questions, il vise davantage à une modification technique de lois que nous
avons déjà votées.
Cette modification s'imposait car, après quelques années d'expérience, on
s'est aperçu que l'immigration avait évolué, puis qu'un certain nombre de
personnes utilisaient la loi pour y échapper. Par conséquent, il était
nécessaire que nous prenions des mesures pour essayer d'enrayer ces nouvelles
formes de détournement de la loi.
C'est donc à une amélioration de l'efficacité et de la cohérence de la
procédure que nous sommes invités et non à un débat idéologique qui risquerait
de nous entraîner trop loin, voire de créer plus de difficultés qu'il n'en
réglerait.
Toutefois, nous ne devons pas oublier que la France a toujours été un pays
d'immigration et que, fidèle à sa tradition, sa vocation à rayonner dans le
monde dépend de sa capacité à accueillir des étudiants, des touristes - des
millions, si ce n'est des milliards au cours des années : 70 millions d'entre
eux viennent tous les ans sur notre sol pour vistier notre beau pays - ainsi
que des artistes, des scientifiques, de même qu'à faire connaître sa langue et
sa culture.
Mais nous ne pouvons non plus laisser les frontières ouvertes sans aucune
maîtrise des flux de population. C'est pourquoi la législation en la matière
doit avoir pour seule finalité, en rendant plus sûre la situation des étrangers
installés régulièrement sur notre sol, de combattre efficacement l'immigration
clandestine.
De ce point de vue, le projet de loi initial du Gouvernement paraît équilibré
puisqu'il répond aux lacunes et aux dysfonctionnements constatés dans
l'application concrète et quotidienne de la législation sur l'entrée et le
séjour des étrangers en France.
C'est aussi un projet équitable car, s'il renforce l'efficacité des moyens
pour lutter contre l'immigration irrégulière et lève certains obstacles qui
freinaient les investigations, il met fin, d'un autre côté, à des situations
absurdes. En effet, peut-on admettre que, dans un Etat de droit, des personnes
puissent à la fois être considérées comme suffisamment enracinées pour être
protégées de l'éloignement, mais insuffisamment pour prétendre à un titre de
séjour temporaire ?
Il fallait absolument mettre un terme à ces problèmes humains inacceptables,
sans que cette modification de la loi provoque un « appel d'air » de
l'immigration, comme cela a été le cas dans le passé.
Ce texte a donc des motifs on ne peut plus valables, tels que rendre notre
droit plus applicable et mettre fin à des situations problématiques que
l'affaire de l'église Saint-Bernard a révélées bruyamment cet été.
Cependant, après son examen par l'Assemblée nationale, l'équilibre de ce texte
me semble quelque peu remis en question. Le dosage entre fermeté et humanité
s'est transformé, par l'ajout de quelques dispositions approximatives...
M. Jacques Malhéas.
C'est une litote !
M. Jean-Jacques Hyest.
... et de surcroît inefficaces, en un cocktail « détonnant » qui, s'il était
laissé en l'état, porterait en germe de nombreuses incohérences, outre le fait
qu'il provoquerait vraisemblablement la censure du Conseil constitutionnel pour
l'un de ses articles.
J'en viens maintenant précisément au contenu du texte.
Tout d'abord, afin de mieux lutter contre la fraude résultant du détournement
des procédures d'entrée et de séjour, il faut modifier la procédure des
certificats d'hébergement.
Je dois avouer, après M. le rapporteur, que bien souvent les maires n'ont pas
les moyens de veiller au respect des procédures.
Nous allons imposer aux hébergeants de nouvelles formes de contraintes
puisqu'ils devront déclarer le départ. Je crois, monsieur le ministre, que le
préfet, en tant que supérieur hiérarchique du maire dans ce domaine...
M. Pierre Mauroy.
Oh !
M. Jean-Jacques Hyest.
Oui, je suis désolé, le maire est représentant de l'Etat !
M. Pierre Mauroy.
Les lois de décentralisation ont changé pal mal de choses !
M. Jean-Jacques Hyest.
En tant qu'officier d'état civil, il est soumis au procureur de la République
et, lorsqu'il agit comme autorité de police administrative, il est soumis au
pouvoir hiérarchique du préfet ! Personne, je l'espère, n'imagine remettre en
cause ces dispositions qui existent depuis que la République existe !
M. Pierre Mauroy.
Je n'ai pas apprécié le terme : « supérieur hiérarchique » !
M. Jacques Malhéas.
Employez une autre expression !
M. Jean-Jacques Hyest.
« Autorité hiérarchique », si vous préférez, mais il n'empêche que le maire
est soumis à l'autorité hiérarchique du préfet !
De même, je souhaite que d'autres magistrats, mais non juges, restent soumis à
une certaine autorité hiérarchique.
Je ferme la parenthèse, car cela risquerait de nous entraîner trop loin.
Bien entendu, il reste à savoir si ce dispositif permettra, au prix de
suspicions à l'égard des hébergeants, d'atteindre l'objectif visé ou si, au
contraire, en compliquant la venue d'étrangers en France dans le cadre de
visites familiales et privées, il ne vas pas favoriser d'autres infractions à
la législation. L'avenir nous le dira.
Le renforcement des pouvoirs des services de police et de gendarmerie est la
deuxième idée majeure de ce texte.
A ce titre, est donnée l'autorisation aux fonctionnaires de police de procéder
à des contrôles d'identité et de la régularité du séjour sur les lieux de
travail. On ne peut pas vouloir lutter contre le travail clandestin sans
demander qu'il soit procédé à un certain nombre de vérifications !
Par ailleurs, la police pourra désormais, comme la douane, fouiller les
véhicules utilitaires dans une zone de vingt kilomètres en deçà de la frontière
française avec les Etats de l'espace Schengen. Cela me paraît tout à fait
nécessaire. Dans la mesure où la douane le fait régulièrement, je ne vois pas
pourquoi les services de police ne le pourraient pas, sous le contrôle, bien
entendu, du procureur de la République.
Ces mesures permettront, c'est certain, une plus grande efficacité. Il n'est
donc pas nécessaire d'aller plus loin et d'envisager, comme cela a été proposé,
de ficher, grâce aux empreintes, toutes les personnes étrangères à l'Union
européenne demandant à séjourner en France. Je fais, bien sûr, référence ici à
l'article 8-3 nouveau, adopté par l'Assemblée nationale, en me réjouissant que
la commission des lois ait substitué à ces mesures des dispositions qui me
paraîssent tout à fait raisonnables pour assurer un meilleur contrôle de
l'immigration.
Enfin, le texte tend à améliorer le taux d'exécution des mesures d'éloignement
par l'adaptation des règles de la rétention administrative.
A cette fin, le délai au-delà duquel la rétention peut être prolongée sur
décision judiciaire est porté de vingt-quatre à quarante-huit heures. Le juge
judiciaire a ainsi plus de temps pour se prononcer en faveur d'une éventuelle
prolongation. Là encore, il me semble naturel de permettre l'appel, par le
procureur de la République, du sursis à exécution.
Le texte prévoit également un nouveau cas de rétention. Si sept jours après la
décision d'éloignement à l'issue d'une rétention l'étranger n'a pas quitté le
territoire, un nouveau placement en rétention est posssible.
La dernière catégorie de mesures dont je parlerai concernent le délicat
problème des personnes en situation de vide juridique, c'est-à-dire non
expulsables, mais qui n'ont pas non plus accès à une carte de séjour. L'idéal,
vis-à-vis de ces cas particuliers, serait de poser le principe que toute
personne non expulsable a droit à une carte de séjour. Ainsi, la suppression de
la commission de séjour serait pleinement justifiée.
Le Gouvernement a préféré procéder par énumération des différentes situations
concernées. J'accepte cette décision, mais je dois dénoncer certains abus, non
pas dans le projet de loi lui-même, mais dans un certain nombre d'amendements,
étant entendu qu'il reste toujours la possibilité aux préfets, comme l'a
rappelé le Conseil d'Etat il y a peu de temps, de régler les situations
éminemment difficiles, car, quelle que soit la législation, on peut toujours
régulariser les situations difficiles.
Au nombre des abus, il paraît injuste, par exemple, de ne pas accorder un
titre de séjour aux étrangers certes en situation irrégulière, mais qui vivent
en France depuis quinze ans, car, pour ces personnes, le processus
d'intégration est déjà bien engagé.
De même, pourquoi retarder d'un an la régularisation de la situation des
conjoints de Français ? Je ne vois pas la cohérence de la mesure puisqu'on ne
peut pas les expulser.
Avant d'en terminer, je tiens à souligner que l'article 11 du projet de loi,
ajouté par l'Assemblée nationale, et qui retire l'allocation familiale dans
certains cas, est excessif. Il est à l'image des excès que je dénonçais au
début de mon intervention et qu'il faut éviter. Il serait donc sage de
supprimer cet article.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ça, c'est sûr !
M. Jean-Jacques Hyest.
Ne pas tomber dans l'excès, ne pas se laisser emporter par les passions qui
peuvent surgir lorsqu'on parle d'immigration et, surtout, ne jamais perdre de
vue le respect que l'on doit à toute personne humaine sont des principes qu'il
faut toujours avoir à l'esprit avant de commencer l'étude d'un texte sur
l'immigration.
A cet égard, si l'on peut comprendre les hautes autorités morales - je les
comprends, car elles ont à connaître des situations individuelles - qui nous
rappellent des situations humaines particulièrement dignes d'intérêt, il faut
que tout soit mis en oeuvre pour éviter que les modifications successives de la
loi, parfois contradictoires, ne créent de nouvelles situations difficiles.
L'efficacité des mesures évitant l'immigration clandestine est conditionnée
par la rapidité, dans le respect des droits, des décisions et surtout par la
qualification et le renforcement des moyens humains pour que cette politique
soit lisible. Le rapprochement entre le nombre des étrangers en situation
irrégulière, réel ou supposé, et le nombre de ceux qui quittent le territoire
démontre, monsieur le ministre, l'ampleur et la difficulté de la tâche.
Il faut dire aussi que la complexité croissante des procédures administratives
et judiciaires, telles qu'elles résultent de ce qu'il reste de l'ordonnance de
1945, ne peuvent qu'être source de conflits de droit et encouragent parfois de
réelles fraudes. A cet égard, je partage quelque peu le sentiment d'un certain
nombre de collègues, qui pensent que, un jour ou l'autre, nous serons conduits
à examiner de nouveau les textes concernant les procédures.
Cela étant, il ne faut pas se cacher une réalité : si l'immigration doit être
stoppée en raison des difficultés d'intégration croissantes des nouvelles
populations immigrées - beaucoup l'ont dit - mais aussi parce que notre pays
connaît, comme tous les autres pays industrialisés, les conséquences de la
crise économique, souvenons-nous qu'il n'est pas si lointain le temps où
l'immigration était organisée et souhaitée !
Les temps ont changé, et rien ne serait pire que de ne pas en tirer les
conséquences au nom de je ne sais quelle générosité qui serait dangereuse pour
les immigrés eux-mêmes et, bien entendu, pour ceux que nous ne pouvons
accueillir.
Par ailleurs, nous le savons bien, nos pays continuent à être, pour nombre de
personnes originaires de pays en voie de développement, principalement ceux
avec qui la France a des liens historiques forts, un véritable espoir. Même si
les conditions de vie y sont difficiles, beaucoup veulent venir chez nous. A
défaut de pouvoir accueillir ces personnes, d'autres politiques doivent être
développées, comme l'ont dit plusieurs de nos collègues.
A ce sujet, il faut rappeler à temps et à contre-temps que la diminution de la
pression migratoire suppose une politique plus active de coopération avec les
pays en voie de développement. Les seules mesures de police ne sauraient être
pleinement efficaces et, là comme ailleurs, une réelle politique de prévention
à l'échelon européen est indispensable.
Telles sont les réflexions que m'inspire, au-delà du texte qui nous est
présenté, et que nous approuvons, le débat récurrent, et parfois inacceptable
par son caractère raciste et xénophobe, sur l'immigration.
Je suis convaincu que, dans sa sagesse, le Sénat saura concilier fermeté,
justice et humanité, comme nous le propose le Gouvernement.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis
qu'ont été votées les lois des 24 août et 30 décembre 1993, présentées et
défendues par Charles Pasqua dans des conditions qui n'étaient pas idéales
puisqu'elles étaient celles de la cohabitation, une commission créée au sein de
l'Assemblée nationale pour enquêter sur l'immigration irrégulière a publié,
sous la signature de Mme Sauvaigo et sous la présidence de M. Philibert, un
rapport lucide et courageux dans lequel elle a inventorié les artifices
utilisés pour contrevenir à la législation régissant le séjour des
étrangers.
Il n'en a pas fallu plus pour que les auteurs de ce document d'un intérêt
capital deviennent les cibles d'une campagne visant à les déconsidérer de façon
souvent haineuse et, en tout cas, révélatrice d'un esprit d'intolérance.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Cette campagne, d'une certaine manière, a atteint son objectif puisque les
conclusions à tirer du travail des députés furent renvoyées à plus tard afin de
désarmer la polémique.
M. Claude Estier.
Renvoyées par qui ?
M. Michel Caldaguès.
Or, voici qu'aujourd'hui le Gouvernement reprend peu ou prou une partie
d'entre elles et nous offre donc l'occasion, en le confortant dans sa démarche,
de colmater les plus criantes des brèches par lesquelles l'immigration
clandestine se fraye encore un chemin.
La discussion que nous entreprenons est cependant soumise à une série de
contraintes, qui me paraissent être de trois ordres : d'abord, le climat
d'intolérance et d'intimidation que j'évoquais à l'instant ; ensuite, ce que
l'on pourrait appeler les oubliettes ménagées par la jurisprudence ; enfin, la
préoccupation de justice distributive dans laquelle semble s'être confiné le
Gouvernement en ménageant dans ce texte un équilibre entre, d'une part, les
sanctions et, d'autre part, les mesures de très grande bienveillance.
L'intolérance, c'est l'attitude qui consiste à s'offusquer, avec plus ou moins
de précautions oratoires, de voir le Parlement manifester son souci d'enrayer
l'immigration irrégulière, et de s'en offusquer en brandissant à tout propos,
et hors de propos, des accusations d'électoralisme et - pourquoi pas ? - de
connivence avec des idéologies condamnables.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Evidemment !
M. Michel Caldaguès.
Vous voyez !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je parle de l'électoralisme !
M. Michel Caldaguès.
Est-il permis d'avancer, surtout lorsque l'on n'a personnellement aucune
raison objective d'être saisi par la fièvre électoraliste, que l'immigration
désordonnée est génératrice de conséquences suffisamment graves pour que l'on
soit fondé à s'en préoccuper au nom de l'intérêt général ?
(Très bien ! sur
les travées du RPR.)
Il n'y a d'ailleurs aucun motif valable, en bonne démocratie, pour contester à
nos concitoyens le droit d'avoir des idées sur le mode de peuplement de leur
pays. C'est là une liberté collective, qui certes a pour limite les autres
libertés, mais qui ne doit pas non plus être sacrifiée, sauf, là encore, à
ouvrir une porte à l'intolérance.
Le respect de la personne humaine est impératif, mais nous ne devons pas
oublier que la France aussi est une personne, avec son identité, avec sa
culture et qu'elle a donc également droit au respect.
(Très bien ! sur les
mêmes travées.)
Il n'est pas inutile de rappeler cela dans l'atmosphère de pression qui
entoure ce débat. Nous recevons, en effet, mes chers collègues, des mises en
demeure absolument délirantes.
J'ai là une lettre de deux conservateurs à la Bibliothèque nationale de
France, c'est-à-dire de gens dont il serait permis de penser qu'ils sont
pondérés et bien informés. Eh bien ! ils nous accusent tout simplement de
vouloir installer un Etat policier ! Voilà l'atmosphère qui entoure notre débat
!
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ils sont bien documentés, eux !
(Rires sur les travées socialistes.)
M. Michel Caldaguès.
Savent-ils seulement ce qu'est un Etat policier ? L'Etat policier, nous sommes
un certain nombre, ici, à l'avoir connu et combattu. Ceux qui n'en ont rien
fait ont, certes, le droit de le condamner, mais ils n'ont pas le droit de nous
donner des leçons !
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union
centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous n'étiez pas non plus aux guerres puniques !
M. Michel Caldaguès.
J'en viens au second ordre de contraintes avec lequel nous avons à compter, à
savoir la jurisprudence.
Je ne parle pas seulement de la jurisprudence en matière de contrôle de
constitutionnalité, bien qu'il y ait déjà beaucoup à dire non pas seulement sur
le corset qui s'impose au législateur - tout a été dit à ce sujet - mais sur le
corset que le législateur tend, de plus en plus souvent, à s'imposer à
lui-même, au point que l'on en est presque arrivé au stade de l'autocensure.
C'est ainsi, mes chers collègues, que, dans le rapport écrit présenté à
l'Assemblée nationale sur le projet de loi dont nous discutons, sauf erreur ou
omission, j'ai compté pas moins de trente-quatre références au Conseil
constitutionnel. Dans le compte rendu intégral des séances, c'est
cinquante-neuf fois que le Conseil constitutionnel a été évoqué ou invoqué.
Autant dire que de la crainte révérencielle, naturelle lorsqu'il s'agit d'une
institution hautement respectable, on en est venu à la crainte obsessionnelle.
(M. José Balarello applaudit.)
Comme si cela n'était pas suffisant, le Conseil d'Etat est, lui aussi, mis en
avant. J'ai lu, dans les débats de l'Assemblée nationale, que l'on pouvait
reprocher à un amendement de n'être pas conforme à un avis du Conseil d'Etat.
Là, franchement, je n'en reviens pas !
M. Claude Estier.
Supprimez le Conseil d'Etat ! Supprimez tous les conseils !
M. Michel Caldaguès.
Supprimez donc le Parlement, pendant que vous y êtes !
M. Charles Pasqua.
La loi, c'est le Parlement, ce n'est pas le Conseil d'Etat !
M. Paul Blanc.
Supprimez le Parlement !
M. Charles de Cuttoli.
C'est nous qui avons le pouvoir de légiférer ! Les juges n'ont pas de leçons à
nous donner !
M. Paul Blanc.
Le pouvoir appartient au peuple !
M. Michel Caldaguès.
C'est nous qui avons le pouvoir, mais tout le monde n'en est pas sûr !
J'ai lu, en effet, ces jours-ci, sous la plume d'un maître du barreau, mes
chers collègues - cela vient appuyer mon propos - que « la souveraineté
nationale, qui fut confondue naguère avec la souveraineté parlementaire, loin
de s'opposer au pouvoir juridictionnel, doit s'exercer par l'intermédiaire de
chacun des pouvoirs ». Relisez la Constitution, mes chers collègues, et vous
serez quelque peu surpris de cette affirmation émanant d'un juriste !
Enfin, il n'est pas jusqu'à la jurisprudence de l'ordre judiciaire qui ne crée
des situations pour le moins surprenantes pour ceux qui croient à l'existence
des grands principes d'ordre public qui régissent la société dans laquelle nous
vivons. J'y reviendrai en détail lors de la discussion des articles. J'ai un
certain nombre de documents qui ne manqueront de susciter quelques
surprises.
Dans ces conditions, il est permis de se demander, mes chers collègues, si le
travail législatif n'est pas en train de devenir une sorte de jeu de l'oie dans
lequel ne cesseraient de proliférer les cases punitives.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
Le troisième ordre de contraintes qui pèsent sur ce débat est le cadre
strict dans lequel le Gouvernement a voulu le cantonner. Vous l'avez, monsieur
le ministre, très clairement souligné. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois
et si le texte dont nous débattons aujourd'hui constitue la vingt-quatrième
modification apportée à l'ordonnance de 1945 c'est, dans une large mesure,
parce que les textes présentés jusqu'à présent n'ont pas toujours été jusqu'au
bout de leur cohérence, d'où les incessantes remises sur le métier. Au dernier
moment, on recule toujours un peu, mais juste assez pour ne pas assurer la
cohérence des textes. Cette fois, le Gouvernement semble lié par une véritable
ordonnance architecturale à laquelle nous sommes conviés à nous plier, faute de
quoi l'aspect symétrique de la construction serait compromis. Il s'agit, en
effet, d'une part, de resserrer le dispositif de lutte contre le séjour
irrégulier et, d'autre part, de ménager de très bienveillantes portes d'entrée
à ceux qui ne peuvent être ni régularisés ni expulsés. Je fais allusion ici à
l'article 4.
Chacun de ces deux volets est conçu bien sûr pour épauler l'autre et pour le
rectifier selon l'interlocuteur auquel on s'adresse.
Après ces observations, d'ordre général, je suis d'autant plus à l'aise pour
prêter au texte qui nous vient de l'Assemblée nationale des mérites non
négligeables.
M. Claude Estier.
Ah !
M. Michel Caldaguès.
Ainsi en est-il des nouvelles dispositions relatives au certificat
d'hébergement,...
M. Claude Estier.
Ah !
M. Michel Caldaguès.
... aux abus en matière de demandes d'asile,...
M. Claude Estier.
Ah !
M. Michel Caldaguès.
... au fichier des empreintes digitales,...
M. Claude Estier.
Ah !
M. Michel Caldaguès.
... dans une certaine mesure à la rétention administrative et judiciaire,
ainsi bien sûr qu'au travail clandestin.
M. Claude Estier.
Vous allez en rajouter ?
M. Michel Caldaguès.
Le texte peut cependant encore être amélioré sur des points qui n'affectent
pas son économie générale et tel est l'objet des amendements que j'ai déposés
avec un certain nombre de mes amis.
Je voudrais faire un sort particulier à l'article 3, car il m'a semblé qu'il
n'était pas souhaitable d'exclure les voitures particulières des possibilités
octroyées à la police en matière de visite sommaire des véhicules dans la zone
Schengen.
M. Claude Estier.
Evidemment !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bien sûr !
M. Jacques Mahéas.
Il faut fouiller les taxis!
M. Jean-Luc Mélenchon.
Fouiller les sacoches des vélos !
Mme Joëlle Dusseau.
Et des Solex !
M. Pierre Mauroy.
Eh bien voyons !
M. Michel Rocard.
C'est fait pour ça, remarquez !
M. Michel Caldaguès.
J'y reviendrai plus longuement lors de l'examen de l'article 3, ce qui me
permettra de m'attarder sur une question de principe qui me paraît de la plus
haute importance.
Pour l'heure, je me bornerai à observer que la miniaturisation des références
aux droits de l'homme risque de conduire à des complications de plus en plus
aiguës. Véhicule utilitaire, véhicule particulier, il y aurait aussi une
troisième catégorie dans la définition communautaire : va-t-il falloir annexer
les catalogues des constructeurs aux manuels de droit constitutionnel ?
Ne croyez-vous pas, mes chers collègues, que l'application des grands
principes doit être d'une lecture facile pour le bon sens populaire ?
Pour terminer, je voudrais vous dire combien il me paraît essentiel, à
l'article 4, concernant les régularisations, de maintenir le texte voté par
l'Assemblée nationale.
C'est d'abord une question de principe : est-il vraiment souhaitable d'ajouter
à notre droit, déjà bien riche, la notion de prescription d'un délit sous la
condition expresse qu'il soit continu ? Cela, c'est une trouvaille !
On est d'ailleurs bien en peine de trouver des arguments convaincants pour
justifier l'octroi d'une carte de séjour à ceux qui sont dans une situation
irrégulière depuis quinze ans. Pourquoi vouloir que les parlementaires prennent
à l'aveuglette une décision de portée générale et pérenne alors que le
Gouvernement dispose d'un pouvoir discrétionnaire bien suffisant pour résoudre
quelques dizaines de cas auxquels il nous dit être confronté. Mystère ! J'y
reviendrai plus longuement à l'occasion de la discussion de l'article 4 et je
m'attacherai en particulier à démontrer minutieusement - documents à l'appui -
que la bonne foi des auteurs du texte initial a certainement été surprise
lorsqu'ils nous ont proposé de réserver la régularisation aux étrangers non
polygames. Nous touchons là un point d'autant plus sensible, mes chers
collègues, que l'on sait que les situations de polygamie avérée ont
pratiquement libre cours dans notre pays...
Mme Joëlle Dusseau.
Et pas que pour les étrangers !
(Sourires.)
M. Michel Caldaguès.
... et qu'elles entraînent, y compris au profit de citoyens français dès lors
que leur origine étrangère s'y prête, des critères de nubilité créant des
situations - j'en connais - qui tomberaient normalement sous le coup de
l'article 227-25 du code pénal...
M. Bernard Piras.
Eh bien, dites donc !
M. Michel Caldaguès.
... concernant les actions sexuelles sur mineurs de moins de quinze ans et
cela dans l'indifférence parfaite des services publics ainsi que le montrent
des pièces que je pourrais produire, dans la parfaite indifférence des services
sociaux, dans l'indifférence aussi, hélas ! de nos tribunaux. Après cela, on
fait des histoires pour le voile islamique ! C'est vraiment un monument
d'hypocrisie, mes chers collègues, quand on sait ce qui se passe !
M. Michel Rocard.
Vous avez déjà tout ce qu'il faut dans le code pénal !
M. Michel Caldaguès.
En fin de compte, mes chers collègues, si le texte qui nous est soumis
comporte incontestablement des mesures courageuses répondant aux problèmes
posés par l'immigration irrégulière, nous nous devons cependant d'appeler votre
attention sur l'illusion que vous risqueriez de nourrir en donnant à penser que
le sujet est désormais entièrement traité ; on l'a beaucoup dit avant moi.
Oui, mais s'il n'est pas entièrement traité, pourquoi toujours remettre au
lendemain ce que l'on peut faire le jour même ? Mon cher rapporteur et ami,
vous avez dit que ce n'était pas l'heure. Pourquoi n'est-ce pas l'heure ? Cela
fait des années que nous débattons des problèmes d'immigration irrégulière, et
c'est toujours pour le lendemain que l'on réserve des dispositions qui sont
essentielles dès maintenant ! Voilà ce que je n'arrive pas à comprendre.
On n'a pas vu suffisamment tôt que l'ordonnance du 2 novembre 1945 avait été
prise dans un contexte radicalement différent de celui qui s'est développé au
cours des vingt dernières années, en raison d'une immigration irrégulière
débridée, Il ne faut donc pas s'étonner si des conflits de textes ont conduit,
avec l'aide de la jurisprudence, à des impasses juridiques. Encore faut-il ne
pas résoudre ces situations par la légitimation de l'illégalité. Mais il faut
aussi oser dire que la sacralisation inconditionnelle de notre droit de la
nationalité s'est traduite par bien des mécomptes. Il faudra avoir le courage
d'y réfléchir en sachant, par exemple - et cela sera démontré plus longuement
le moment venu, lors de la discussion des articles - que leur origine étrangère
peut conférer à des Français des privilèges discriminatoires - j'insiste sur le
mot discriminatoire - et cela en vertu du
jus sanguinis
qui retrouve
miraculeusement ses droits en faisant échec au
jus soli
dans un domaine
aussi sensible que celui de l'ordre public. Cela aussi je le démontrerai.
M. Pierre Mauroy.
Vous êtes dangereux !
M. Claude Estier.
Même vos amis sont effondrés !
M. Michel Caldaguès.
Mes chers collègues, si vous cherchez le visage de l'intolérance, ne cherchez
pas plus loin, nous l'avons à domicile !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy.
Il est à la tribune !
Mme Joëlle Dusseau.
Regardez-vous dans un miroir !
M. Charles Pasqua.
Allons, laissez parler l'orateur !
(Sourires.)
Mme Joëlle Dusseau.
Ce n'est pas un orateur !
(Rires sur les travées socialistes.)
M. Michel Caldaguès.
Mes chers collègues, avant de terminer, je voudrais rappeler une vérité
première, qui n'est pas seulement juridique mais aussi politique : nous avons à
nous prononcer ici sur le texte de l'Assemblée nationale. Celui-ci a été adopté
de façon résolue par nos collègues de la majorité siégeant au Palais Bourbon.
Or, du côté où l'on dit parfois que le Sénat est fait pour déplacer des
virgules, on a découvert une nouvelle vertu de la Haute Assemblée qui
consisterait à jouer les redresseurs de torts en désavouant cette majorité de
l'Assemblée nationale sur un point essentiel.
Rien ne l'interdit mais, alors, il faut y procéder avec une majorité
différente qui n'est pas notre majorité et dans laquelle on comptera, par
exemple, M. Allouche, qui parlait précédemment de toilettage.
Je tiens à dire que ne me sens aucunement lié à cette autre majorité. Après
m'être efforcé de compléter le texte de l'Assemblée nationale, je me
prononcerai en sa faveur, en particulier sur l'article 4 concernant les
régularisations qui, dans le texte de l'Assemblée nationale, écarte les
dispositions les plus dangereuses.
M. Jacques Mahéas.
Franchement, nous avions compris !
M. Michel Caldaguès.
A l'inverse des thèmes sur lesquels certains croient pouvoir engager des
procès politiciens, les préoccupations que je viens d'évoquer me paraissent
essentielles à la réalisation du voeu profond de ceux qui ont choisi d'être
Français pour l'être à part entière, c'est-à-dire en renonçant à l'illusion
multiculturelle.
C'est pourquoi je conclurai
(Ah ! sur les travées socialistes)
en disant : oui à l'intégration
lorsque quantitativement et culturellement elle est pratiquée de façon loyale ;
non à tout ce qui la compromet de propos délibéré ou par faiblesse et
risquerait, si ne nous n'y prenions garde, de conduire à un processus de
désintégration de la nation.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.
- Protestations sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Plusieurs sénateurs socialistes.
Monsieur Pasqua, pourquoi partez-vous ?
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite
tout d'abord remercier par anticipation notre ami Jean-Luc Mélenchon. En effet,
dans l'ordre logique, il serait apparu préférable que je soutienne la
motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, nourrie de
considérations juridiques, et que lui intervienne, avec sa flamme et son talent
habituels, dans la discussion générale. Toutefois, il a accepté que nous
permutions pour une raison simple : en y réfléchissant, j'ai constaté que
c'était la première fois que j'étais conduit à m'exprimer sur la question de
l'immigration ; la fonction de garde des sceaux ne privilégie pas les débats
sur les lois relatives aux étrangers...
De surcroît, le Conseil constitutionnel, s'il examine très attentivement les
problèmes si complexes de la législation sur l'immigration, est voué, chacun le
sait, à une absolue réserve.
S'agissant donc de l'immigration, c'est, si vous le voulez bien, au regard de
ce que j'appellerai notre commune identité républicaine que je voudrais,
monsieur le ministre, apprécier ce que sont l'inspiration mais aussi, sans que
vous vous en soyez rendu compte, je pense - car je ne doute pas de vos
convictions républicaines - les conséquences de ce texte.
Votre projet de loi se veut modéré dans ses termes, limité dans ses effets. Eh
bien, monsieur le ministre, ne vous y trompez pas. Comme celui que vous
prétendez améliorer - je regrette l'absence de son auteur - votre texte à son
tour, inévitablement, je le dis à regret, engendrera des fruits amers : la
désespérance peut-être, la révolte, j'espère que non, et ce parce qu'il
méconnaît la portée du message républicain en matière d'immigration.
M. le président Larché l'a rappelé - vous avez noté que les applaudissements
se sont élevés exclusivement du côté gauche de l'hémicycle - ce n'est pas
depuis cet été ni ces dernières décennies que la République se trouve
confrontée au problème de l'immigration. Les leçons de l'Histoire à cet égard
ne nous font certes pas défaut. La première et la plus évidente est que la
France a toujours été une terre d'immigration et qu'elle le demeurera, j'en
suis convaincu.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
D'immigration régulière !
M. Robert Badinter.
Depuis que le destin de la France s'est confondu avec la République, vague
après vague, le flux d'immigrants n'a jamais cessé. Parce que la France était
un pays de faible natalité, il lui a fallu, nous le savons bien, faire
largement appel à la main-d'oeuvre étrangère pour assurer son développement
industriel, l'appel à la paysannerie n'y suffisant pas.
Ainsi sont venus les Belges et les Italiens avant 1914,...
M. Michel Rufin.
Il y a eu 1,6 million de morts pendant la guerre de 1914-1918.
M. Robert Badinter.
... les Polonais et les juifs d'Europe centrale et orientale dans
l'entre-deux-guerres, les Espagnols, les Portugais et, enfin, les Maghrébins.
Tous ont été appelés en renfort de main-d'oeuvre à bon marché par les
entreprises lors des grandes périodes d'expansion industrielle.
Mais, dans notre histoire, à chaque fois que la crise a succédé à la
prospérité, on a vu renaître les mêmes tensions, les mêmes mouvements de
xénophobie et de racisme, des mouvements toujours exploités par les pires
démagogues et dégénérant, parfois, hélas ! en violences meutrières contre les
Belges, qui représentaient 40 % des immigrés il y a un siècle, en pogroms
contre les Italiens à la fin du siècle dernier et, dans l'entre-deux-guerres en
excès racistes trop connus pour que je les rappelle dans notre hémicycle ou,
depuis les années soixante-dix, en chasses au faciès, parfois mortelles, contre
les Maghrébins.
En vérité, mes chers collègues, la xénophobie n'a pas épargné la République ;
mais, à ce jour, la République a toujours dominé la xénophobie. En effet,
génération après génération, le principe républicain de l'intégration a
toujours permis de fondre dans la nation française, dès la deuxième génération,
ces courants successifs d'immigrés.
M. Henri de Raincourt.
C'est ce qui ne marche plus !
M. Robert Badinter.
Si la République a surmonté ainsi les passions et les pulsions, c'est parce
qu'elle repose sur la conception citoyenne d'une nation composée de femmes et
d'hommes tous égaux en droit et en dignité, quelle que soit leur origine, de
femmes et d'hommes partageant la même culture et le même destin.
La République a refusé aussi bien la conception allemande d'un peuple fondé
sur le sang et la langue que la conception américaine d'une nation, ou plutôt
d'un Etat composé de communautés d'origines diverses, partageant, certes, les
mêmes institutions, mais pas nécessairement la même culture, et conservant, au
sein du même Etat, des identités particulières.
La République française, elle, a été, ne l'oublions pas, toujours plus
inspirée par Renan que par Barrès. C'est pourquoi elle a pu, non sans de
grandes épreuves toujours renouvelées, fondre dans la communauté nationale tous
les courants d'immigration.
Je ne suis pas, au regard de cette histoire, pessimiste sur l'avenir. Je suis
convaincu que la République, pourvu que nous demeurions fidèles à ses
principes, continuera son oeuvre et qu'elle sera fidèle à elle-même.
Quand je disais, monsieur Bonnet, que j'étais sur ce point optimiste, je n'ai
pas pu m'empêcher de relever que vous aviez commis une erreur en citant notre
maître, Fernand Braudel.
Dans une vision pessimiste - vous avez eu la courtoisie de le préciser, ce
dont je vous remercie - vous avez dit que, comme Braudel, vous vous interrogiez
: « Déjà très diverse, ce qui fait sa richesse, la France peut-elle courir le
risque de le devenir davantage encore ? »
La citation exacte, la voici : « Très diverse, la France ne peut-elle courir
le risque de le devenir, biologiquement, davantage encore ? »
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Quand vous citez des textes, faites attention !
M. Robert Badinter.
Nous aimions tous beaucoup Fernand Braudel. Et parfois, on a de la mémoire !
(Sourires.)
De cette longue et souvent douloureuse histoire de l'immigration en France, il
nous faut tirer aujourd'hui la leçon. Parmi ceux que l'on appelle « immigrés »,
et qui sont établis sur le territoire français - ai-je besoin de le rappeler ?
- beaucoup sont devenus ou deviendront des Français par naturalisation. Par
ailleurs, la quasi-totalité de leurs enfants, nés ou grandis sur le sol de
France, sont voués à être français.
Le sort de ces immigrés-là, de loin les plus nombreux, est lié au nôtre, et
leur avenir se confond avec le nôtre.
Vous me disiez à l'instant, monsieur le ministre, ou plutôt vous me murmuriez,
qu'il ne doit s'agir, dans ce débat, que d'immigrés en situation irrégulière.
Je vous répondrai que c'est précisément là, je le crains, que réside votre
erreur de vision au regard d'un cadrage juridique.
En effet, quand on parle de l'immigration, même quand il ne s'agit que
d'immigration temporaire ou illégale, il est question d'un enjeu essentiel pour
l'avenir de la France et de la République : l'intégration dans la communauté
nationale des immigrés déjà français ou voués inévitablement à le devenir.
Or, selon les dispositions adoptées, selon le degré de contrôle et la mesure
répressive auxquels les étrangers sont soumis, ces immigrés-là, qui sont ou
deviendront français, par l'effet d'une sensibilité particulière que j'ai
personnellement toutes les raisons de connaître, peuvent être amenés à
ressentir qu'ils seront toujours considérés comme des étrangers sur la terre de
France ou comme des Français de seconde catégorie, à l'image de ceux qu'à
Athènes, jadis, on appelait d'un mot que ceux qui nous ont précédé ont bien
connu : les « métèques ».
(M. Pierre Fauchon s'exclame.)
Or rien ne saurait être plus préjudiciable à la communauté nationale, ni
plus contraire à l'idée républicaine que de laisser susciter ou de laisser se
développer, à la faveur de législations successives, ce sentiment d'exclusion
ou de rejet chez les jeunes immigrés de la seconde génération, qui sont ou
seront français.
(Absolument ! et applaudissements sur les travées
socialistes.)
De leur degré d'identification à la nation française dépend, pour une part,
l'avenir de la République. Car, s'ils devaient s'éprouver différents des
autres, à cet instant-là, ces Français issus de l'immigration se replieraient
inévitablement sur des communautés particulières qui demeureraient étrangères à
la communauté nationale.
Ainsi aurait-on suscité sans le vouloir ce que nous redoutons tous la fin du
modèle républicain d'intégration, et ce au plus grand profit de l'extrême
droite de M. Le Pen.
(M. Christian Demuynck proteste.)
C'est au regard de cette exigence particulière et si forte de toute loi
concernant les étrangers que votre loi, en dehors de toute considération
juridique - nous en débattrons demain - se révèle, je le crains, mauvaise.
De quel message est-elle en effet porteuse, tout particulièrement à l'égard de
ceux que j'évoquais et dont les valeurs et l'intérêt de la République
requièrent l'intégration totale, l'adhésion entière ?
Avec ironie, on a qualifié jadis une loi célèbre de loi « de justice et
d'amour ». La vôtre, monsieur le ministre, relèverait plutôt de l'ordre des
lois « de police et de soupçons ».
S'agit-il de mettre un terme aux situations aberrantes, et parfois inhumaines,
engendrées par les lois de 1993 qui ont été votées avec tant d'enthousiasme par
votre majorité ? A l'époque déjà, les juristes attentifs pouvaient déceler les
conséquences désastreuses qui résulteraient de la mise en oeuvre de certaines
dispositions de cette loi.
Pour bon nombre de « sans-papiers », leur condition a été le fruit de ces
textes qui interdisaient aussi bien la régularisation de leur situation que la
reconduite à la frontière. Leur sort s'est inscrit dans une sorte de vide
juridique, dans une zone singulière - puisque l'on ne peut pas parler de
non-droit, disons d'absence de droit - suscitée par un législateur plus
préoccupé, je le crains, de l'effet produit sur l'opinion publique que des
conséquences humaines.
Face à une telle situation, n'aurait-il pas été plus sage, plus humain aussi,
de s'en rapporter aux critères de régularisation proposés par les médiateurs
des « sans-papiers » ou, à défaut, de demander l'intervention du médiateur de
la République ?
Le Conseil d'Etat, consulté, a rappelé, ce qui était une évidence juridique,
qu'il n'existe pas de droit acquis à la régularisation - il n'était point
besoin de consulter le Conseil d'Etat pour le savoir - mais que celle-ci, en
présence de situations individuelles, pouvait toujours relever d'une telle
possibilité.
Quelle a été la voie choisie ? La télévision, en a donné, hélas ! des images
qui saisissaient le coeur. Tout à l'heure, Michel Rocard vous dira
l'impression, désastreuse pour la France, qu'elles ont donnée à l'étranger.
Pour ma part, je me bornerai à une simple question : quels mouvements de l'âme
de telles actions à force ouverte peuvent-elles faire naître chez des jeunes
Français immigrés de la seconde génération ?
Alors, que nous proposez-vous pour prévenir le renouvellement de telles
extrémités ? La logique, le bon sens, l'humanité commandaient la solution
préconisée par M. Mazeaud à l'Assemblée nationale, à la page 45 de son rapport
: « l'attribution, de plein droit, d'une carte de séjour à toutes les personnes
non expulsables, pour peu que leur présence ne constitue pas une menace à
l'ordre public... »
Mais, singulièrement, ni la majorité à l'Assemblée nationale ni vous-même,
monsieur le ministre, n'avez pu vous résoudre à une pareille disposition
générale de régularisation. Les cartes de séjour seront donc délivrées dans
telle ou telle hypothèse, et nous savons que l'Assemblée nationale en a encore
réduit le nombre.
Nous débattrons au cas par cas en montrant les limites et les conséquences de
ces choix. Mais faut-il vraiment, en France, marchander à ce point la
générosité et, plutôt qu'une large disposition générale réglant tous les cas,
sélectionner certains et vouer les autres à l'illégalité ? Je n'emploie pas le
terme de clandestinité, qui est trop chargé de sens dans un domaine où
l'imagination prend trop de place, où les phantasmes sont redoutables et où les
périls sont masqués par l'ombre.
Pourquoi refuser la proposition du président Mazeaud ? Quel risque
faisait-elle courir ? Quelle impression une pareille frilosité dans la
régularisation des situations les plus cruelles peut-elle susciter dans le
coeur de ces jeunes immigrés qu'il s'agit d'intégrer, sans réticence et avant
tout, à la communauté nationale ?
J'en viens au deuxième volet de votre texte, monsieur le ministre : le
renforcement des dispositions répressives à l'encontre des étrangers en
situation irrégulière. Nous en débattrons également.
Nous aurons aussi l'occasion d'examiner leur portée et, éventuellement - mais,
sur ce point, je rends hommage à l'habilité et à la précision de notre
excellent rapporteur, M. Masson - d'en écarter certaines où j'ai décelé un
certain parfum d'inconstitutionnalité.
A propos de ces dispositions, on a évoqué le manteau d'Arlequin, une mosaïque,
un patchwork. En tout cas, une sorte de fil rouge court à travers ces
dispositions et leur donne au moins une unité d'inspiration : la volonté
d'accroître, autant que faire se peut, dans les limites de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel, les pouvoirs de l'administration, de réduire les
garanties et les droits reconnus aux étrangers en situation irrégulière, de
rendre toujours plus difficiles la venue et l'hébergement temporaire de parents
et d'amis étrangers, au moins de ceux qui sont originaires des pays les plus
pauvres et les plus défavorisés.
L'inventaire, le catalogue de ce que vous nous proposez, est, à cet égard
éloquent. Quelle inflation de mesures coercitives ! Une simple énumération
suffit pour en prendre conscience : relevés d'empreintes et création d'un
fichier dactyloscopique ; visites sommaires et immobilisations de quelques
heures des véhicules autres que les voitures particulières dans la zone
frontière de Schengen ; extension des contrôles d'identité aux personnes se
trouvant dans les locaux professionnels ; retenue du passeport de l'étranger en
situation irrégulière contre remise d'un récépissé.
Je poursuis l'énumération dans le domaine de la rétention administrative :
doublement des délais de rétention avant l'intervention du juge judiciaire de
vingt-quatre à quarante-huit heures ; refus de proroger de la même durée le
délai de vingt-quatre heures accordé à l'étranger pour exercer les voies de
recours ; droit pour le ministère public, et lui seul, si le juge met un terme
à la rétention administrative, de demander que l'appel soit déclaré suspensif
et l'étranger, du même coup, maintenu en détention ; élargissement du domaine
de la rétention judiciaire.
Par ailleurs, les conditions de renouvellement de la carte de résident sont si
obscures que j'attends des explications pour mesurer la précarisation
éventuelle qu'elles risquent d'engendrer. Mais, surtout, pourquoi attenter au
droit d'hébergement ? Pourquoi cette obligation faite à celui qui entend
recevoir parents, amis ou fiancé d'en aviser l'autorité municipale ? Il va
falloir dénoncer leur départ à la mairie. On évoque la possibilité de visites
inopinées d'agents de l'OMI, qui, en vérité, ont bien autre chose à faire !
Vous me direz que ces dispositions ne peuvent gêner que les étrangers en
situation irrégulière. Hélas, non ! Par ricochet, elles blesseront aussi les
immigrés voués à demeurer en France et qui, pour beaucoup, sont déjà ou
deviendront Français. C'est à eux que certains maires refusent déjà les
certificats d'hébergement. Et quand ils les auront obtenus, que leur
demandera-t-on ? De dénoncer non seulement l'arrivée en France, mais aussi le
départ de leurs parents, de leur fiancé. Mettons-nous dans la situation de
chacun de ceux-là. Qui ne voit ce que pareille exigence peut susciter chez des
âmes fières et sensibles, surtout chez les jeunes gens ?
Quelle aberration de vouloir aller toujours plus loin dans la voie du fichage,
du contrôle, des surveillances ! En cet instant, je me souviens avec amertume
de ce brillant jeune étudiant tunisien qui est venu m'annoncer son départ tant
il était las d'être systématiquement interpellé, contrôlé, fouillé sans
ménagement, et m'en donnait les détails. Aurait-il été traité différemment s'il
avait été Français, né en France, d'origine tunisienne ?
Pensons-y toujours quand nous légiférons. La France ne doit pas être terre
d'accueil et patrie des Droits de l'homme uniquement dans les grands discours à
l'usage des forums internationaux.
Reste la question politique. Grâce à ces dispositions qu'une partie de votre
majorité souhaiterait encore durcir - tenez ferme, à l'image du président de la
commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Mazeaud - vous espérez
détacher de la tentation du Front national une partie des électeurs. Quelle
erreur ! En durcissant toujours plus les lois contre l'immigration au-delà du
nécessaire, en inventant des dispositifs toujours plus complexes et qui
heurtent toujours plus les sensibilités, vous accréditez de plus en plus, dans
l'opinion publique, le discours du Front national sur l'invasion de la France
par des hordes d'immigrés clandestins ! Vous assurez ainsi ses succès
électoraux puisque, dans ce domaine, il pourra toujours affirmer que vous ne
serez jamais que sa pâle copie - tant mieux pour vous ! - et qu'il vaut
toujours mieux préférer l'original.
Il y a pis encore : des lois telles que celle-ci nourrissent inévitablement
dans les esprits la plus dangereuse confusion. L'amalgame se fait entre
étrangers entrés en fraude et étrangers devenus des « sans-papiers » ;
l'amalgame se fait entre étrangers en situation irrégulière et immigrés qui ne
le sont pas, puis entre immigrés et délinquants et, finalement, entre
immigration et insécurité, renforçant par là même la confusion entretenue par
le Front national.
Votre projet de loi, même pavé de bonnes intentions, en même temps qu'il nous
aliène les coeurs de tant de jeunes Français issus de l'immigration ouvre un
boulevard non seulement aux succès électoraux du Front national, mais, ce qui
est plus grave encore pour nous tous,...
M. Alain Joyandet.
C'est vous qui avez créé le Front national.
M. Robert Badinter.
... aux progrès incessants de son idéologie xénophobe, à ce que j'appellerai
la « lepénisation » des esprits.
(Applaudissements prolongés sur les travées socialistes, sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les
reprendra à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures
vingt, sous la présidence de M. Jacques Valade.)
PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, portant diverses dispositions relatives à l'immigration.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis mars
1996, la lutte des « sans-papiers » est symbolique de la volonté de milliers
d'êtres humains, rendus clandestins par un ensemble de lois et de dispositifs
policiers et administratifs, de sortir de l'ombre.
Ne pas nous habituer aux atteintes à la dignité que constitue cette politique
de l'immigration fondée sur une approche sécuritaire : tel est le message
qu'ils nous adressent.
De ce message, le collège des médiateurs, composé de personnalités telles que
l'ancien ambassadeur de France Stéphane Hessel, l'amiral Sanguinetti, des
universitaires comme Monique Chemiller-Gendreau, s'est fait l'écho. Il a
contribué à la définition d'une autre approche du phénomène de l'immigration,
fondée sur les droits de l'homme.
Cela s'est traduit, le 19 novembre dernier, au Sénat, où le collège des
médiateurs tenait ses assises, par l'élaboration de critères sur la base
desquels les sans-papiers seraient régularisables si le Gouvernement appliquait
l'équité, ainsi que par une réflexion de fond sur l'ensemble des questions
relatives aux flux migratoires.
Cette approche est la nôtre, et c'est pourquoi nous combattons le texte
inhumain qui nous est aujourd'hui proposé.
Nous considérons qu'il est de notre devoir de déconstruire jusqu'au bout la
logique sécuritaire qui prévaut en France et en Europe depuis de nombreuses
années.
Parallèlement, et même si cela ne recoupe pas tout le phénomène des flux
migratoires ayant pour point de passage la France, loin s'en faut, il est
nécessaire de s'atteler à la mise en place de véritables coopérations, qui
s'attaqueraient, au Nord comme au Sud, à l'Ouest comme à l'Est, à la primauté
des marchés financiers sur le développement et l'emploi.
La situation économique, en particulier dans les pays du tiers monde et en
Europe de l'Est, s'aggrave, et ce depuis de nombreuses années. La seule
coopération qui vaille est celle qui a pour objectif de permettre à chacun de
vivre et de travailler dans son pays, dans sa région.
Permettez-moi de citer les experts internationaux du programme de
développement de l'ONU : « En fait, jamais le monde n'a marginalisé autant de
personnes, alors que les échanges mondiaux de marchandises et de services ne
cessent de se développer. Qu'elle se fasse dans les pays riches ou pauvres, la
course à l'augmentation des parts de marchés provoque toujours les mêmes effets
: elle survalorise la productivité, les restrictions salariales, l'équilibre
des budgets et la réduction des services publics. »
Est-ce à dire que la France serait menacée, comme certains ont pu le craindre
ou le craignent toujours, par toute la misère de ce monde qui déferlerait sur
elle et les autres pays occidentaux ? Les déplacements de population, imposés à
l'Est et au Sud par la guerre économique ou la guerre tout court, se sont
certes multipliés. Toutefois, ces flux sont résorbés, pour la plupart, par
d'autres pays de ces ensembles un peu moins pauvres ou en paix.
D'ailleurs, en France, le taux de la population étrangère par rapport à la
population globale reste stable depuis vingt ans.
Pour remédier à ces déplacements forcés qui n'ont rien à voir avec la liberté
d'aller et de venir que nous défendons, il faudrait développer l'aide
favorisant l'autosuffisance alimentaire, alors que, aujourd'hui, l'aide
contribue surtout à bien arrimer les pays « bénéficiaires » aux intérêts
financiers, à travers la substitution de produits importés à des productions
locales, comme dans le cas du blé américain ou européen dont le déversement sur
les marchés urbains africains décourage les producteurs locaux et explique la
quasi-stagnation de la production céréalière.
Annuler la dette des pays du tiers monde et taxer, comme le prévoit d'ailleurs
le programme de développement des Nations unies, les mouvements de capitaux de
0,05 %, soit un dixième de la « taxe Tobin », du nom du prix Nobel d'économie,
pour dégager 146 milliards de dollars par an en faveur du développement,
constituerait une des mesures nécessaires pour sortir ces pays de l'ornière
dans laquelle la dictature des marchés financiers les enfonce.
Ce chiffre est à mettre en rapport avec les 40 milliards de dollars que l'ONU
estime nécessaire de mobiliser chaque année jusqu'en 2005 pour atteindre les
objectifs essentiels du développement humain.
Cette logique de coopération mutuellement avantageuse contredit évidemment les
politiques mises en oeuvre par Maastricht et les critères de convergence pour
l'éventuel passage à la monnaie unique. Elle arrêterait le pillage de ces pays
et contribuerait à compenser certains des dégâts occasionnés à ces peuples par
trois siècles d'esclavagisme et de colonialisme.
Elle supposerait l'instauration d'un instrument monétaire commun, dont une des
fonctions serait de participer au financement de ces coopérations mutuellement
avantageuses.
L'immigration, monsieur le ministre, ne doit plus être abordée d'emblée comme
un problème : elle doit être envisagée comme un possible début de solution au
problème réel qu'est l'aggravation de la surexploitation des hommes, des femmes
et des enfants, d'autant qu'il existe dans notre pays un besoin d'échange de
savoirs, de marchandises et de culture.
Là encore, pour élaborer efficacement des solutions avec tous les acteurs
concernés, nous avons un devoir de vérité envers nos concitoyens.
La réalité, c'est un budget de l'aide au développement qui n'est absolument
pas à la hauteur des besoins depuis de nombreuses années. D'ailleurs, ce budget
est encore en baisse de 7 % cette année. Il faut ajouter que l'utilisation des
fonds est pour le moins douteuse et que des établissements comme la Caisse
française de développement dégagent d'immenses profits au lieu de consacrer
tout cet argent au développement.
L'insuffisance des sommes allouées à l'aide au développement, combinée aux
lois et dispositifs policiers ou administratifs discriminatoires, a des effets
désastreux sur l'image et le rayonnement de la France. Les peuples et
gouvernements, en particulier ceux d'Afrique francophone, se sont sentis trahis
lors de l'expulsion à la hache des sans-papiers de l'église Saint-Bernard
(Exclamations sur les travées du RPR)
et des interventions militaires
répétées en Centrafrique ; ils risquent de se détourner d'elle.
C'est ce qu'a pu constater, dans un rapport récent, le groupe d'amitié
France-Afrique de l'Ouest du Sénat qui relève qu'aujourd'hui le renouvellement
d'une « élite » attachée à la France ne se fait plus.
Il convient également de noter que les immigrés venant de régions pauvres
transfèrent souvent vers leur familles restée au pays des sommes supérieures à
l'aide au développement attribuée par les Etats comme le nôtre.
Ces sommes ne génèrent pas toujours, loin s'en faut, des dépenses productives
sur place. Mais nous avons vu que ce n'est pas non plus le cas de l'aide au
développement, surtout si elle ne fait l'objet d'aucun contrôle et si elle est,
en outre, orientée à la baisse.
Pour tenir compte de ces réalités et sortir du cercle infernal de la seule
répression, illustré par les lois Pasqua, les concepts d'« Europe forteresse »
et d'« immigration zéro », il faudrait pratiquer une politique progressiste de
l'immigration en France, s'inscrivant dans la perspective d'une société
française démocratique, libre et axée sur le progrès social, oeuvrant pour
développer des coopérations mutuellement avantageuses dans le monde. Cette
politique irait à l'encontre de la guerre économique et de la mise en
concurrence des hommes et des peuples qu'imposent les marchés financiers.
Cette position nous fait, bien sûr, refuser la politique de l'immigration
zéro, qui est un leitmotiv de la plupart des gouvernements depuis 1975, qui
nourrit l'illusion selon laquelle il est souhaitable de stopper toute
immigration et possible d'arrêter l'immigration de survie par des mesures
administratives ou policières.
Mais elle nous fait également refuser la logique que défendent les tenants
d'un libéralisme intégral en matière de circulation des capitaux et des
personnes, qui considèrent l'émigrant comme une marchandise parmi d'autres, en
droit de se présenter partout sur le marché mondial.
Elle nous amène enfin à refuser une politique des quotas proposée par
d'aucuns, qui s'inscrirait dans la même logique que celle qui prévaut à
Bruxelles, évaluant le besoin d'immigrés, comme on évaluerait le besoin d'une
marchandise disponible sur le marché, à 7 millions dans les années à venir.
Ces deux logiques ultralibérales et sécuritaires n'ont que deux buts, avoués
ou inavoués : l'inclusion clandestine d'un nombre croissant de migrants, qui
les met dans l'impossibilité de revendiquer et de dénoncer les filières
clandestines, dont eux et plus encore les Français sont victimes, ou la
surexploitation à tout crin, légale cette fois-ci, des salariés français et
immigrés.
L'une prépare et facilite l'autre, et ne doutons pas que ceux-là mêmes qui,
aujourd'hui, se prononcent pour l'immigration zéro se feront, demain, les
apôtres des déplacements de populations imposés par la mondialisation du
libéralisme.
Le président Chirac, lors de l'inauguration de l'espace « cyber-jeunes » à
Boulogne, n'a-t-il pas proposé à une jeune femme la seule solution de
l'expatriation pour trouver un travail ? La perspective d'occuper un emploi
stable et payé à sa juste valeur serait-elle définitivement hors d'atteinte en
France ? A quand des charters pour les jeunes chômeurs français qui iront se
faire surexploiter par des patrons coréens ?
M. Gérard Braun.
N'importe quoi !
Mme Nicole Borvo.
A l'opposé de ces logiques comptables et discriminatoires, desquelles
participe ce projet de loi et avec lesquelles il faut rompre, nous défendons
une conception de l'immigration fondée sur les droits de l'homme et contribuant
à un véritable codéveloppement entre pays concernés. Ce codéveloppement devrait
être organisé, rationalisé et accepté par tous.
Cela suppose bien sûr, comme l'a évoqué mon ami Robert Pagès dans son
intervention, une stabilisation et une reconnaissance des situations des
immigrés établis en France, ainsi que l'introduction du droit de vote pour les
élections municipales, européennes et prud'homales.
Elle devrait être accompagnée d'un effort mutuel de rencontre des différences,
ceux qui viennent devant accepter de renoncer aux pratiques de leur société
d'origine les plus en contradiction avec celles de la société dans laquelle ils
veulent vivre - polygamie, mariage forcé des filles, excision, etc.
Cette nouvelle politique de l'immigration s'attellerait à créer les
possibilités humaines et matérielles de retours volontaires dans la dignité et
de coopérations permettant, dans des cadres à définir avec tous les intéressés,
des émigrations alternées.
Aujourd'hui, des départements et des communes élaborent, dans la limite de
leurs moyens mais avec succès, ces nouvelles coopérations auxquelles
participent les personnes originaires de ces pays. Pourquoi l'Etat resterait-il
au bord de la route et ne prendrait-il pas ses responsabilités en ce qui
concerne les financements lourds nécessaires, par exemple pour la réalisation
de l'irrigation des vallées fossiles au Sénégal ?
Toutes ces pistes sont à explorer et au moment où 44 % seulement des Français
se sentent à la fois éloignés du Front national et de ses idées, il est grand
temps de dire la vérité et de dénoncer le poison du mensonge qui s'est répandu
insidieusement dans nos sociétés.
Si l'immigration pose un certain nombre de questions à notre société, il est
indispensable de mettre en évidence son apport positif, qui va bien au-delà du
seul travail productif.
Avant de prendre, une fois de plus, des dispositions répressives, il serait
judicieux de dresser le bilan de la législation en vigueur et d'ouvrir un réel
débat sur la politique de l'immigration.
Nous avons confiance en notre peuple qui a su se mobiliser, pendant le
mouvement de novembre-décembre 1995, éprouver de la sympathie et organiser la
solidarité au quotidien pour ceux qui, comme les « sans-papiers », sont
victimes de situations inhumaines et ubuesques, restant fidèle en cela à
l'héritage démocratique et universel de la Révolution de 1789.
Tout au long de ce débat que nous allons nourrir de nos amendements en faveur
d'une autre politique de l'immigration, cet esprit empreint des valeurs
républicaines fondées sur l'égalité et la liberté nous habitera.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Baylet.
M. Jean-Michel Baylet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, environ six
mois après l'affaire des sans-papiers de l'église Saint-Bernard, nous voici
réunis pour une nouvelle modification, la vingt-quatrième, me semble-t-il, de
l'ordonnance du 2 novembre 1945. Certes, je comprends bien que la loi, surtout
quand elle traite d'un sujet important comme l'immigration, est indéfiniment
perfectible. Néanmoins, voilà un peu plus de trois ans, nous étions nombreux à
nous élever contre le vote des lois Pasqua. Force est de constater aujourd'hui
que notre indignation était alors légitime.
Le dispositif législatif élaboré en 1993 s'est, en effet, révélé inapplicable,
et vous le savez d'ailleurs mieux que quiconque, monsieur le ministre, car vous
le vivez au quotidien.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas exact !
M. Jean-Michel Baylet.
Il aura fallu du temps, le désespoir manifeste de plusieurs dizaines
d'Africains réfugiés dans une église puis l'avis du Conseil d'Etat pour que le
Gouvernement admette, monsieur le ministre, la nécessité de ce que vous appelez
« un aménagement ».
Le texte qui nous est soumis ne vise pas, en effet, à rouvrir le chantier de
l'immigration. Je vous en donne acte. Il cherche, comme vous l'avez très bien
exposé, monsieur le rapporteur, d'une part, à remédier aux difficultés
rencontrées pour le contrôle de l'entrée des étrangers sur le territoire
français et, d'autre part, à résoudre le problème de l'existence de catégories
d'étrangers qui ne sont « ni éloignables ni régularisables ».
Enoncées comme telles, ces intentions peuvent recueillir, je crois,
l'assentiment de la plupart d'entre nous. Toutefois, êtes-vous sûr, monsieur le
ministre, comme certains l'étaient déjà en 1993, que le texte permettra de
clarifier toutes les situations ? Etes-vous sûr qu'il constitue une réponse
adaptée aux conséquences de l'immigration irrégulière ?
Quoi qu'il advienne, il est clair, depuis son adoption avec modifications par
l'Assemblée nationale, que ce projet de loi, présenté initialement comme un
texte d'ajustement du droit en vigueur, ouvre la porte à une dérive
liberticide.
(M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Certains de
nos collègues députés croient pouvoir régler le problème de l'immigration
clandestine par des mesures répressives et spectaculaires. Je pense, pour ma
part, que ces dernières visent seulement à flatter un certain électorat et, si
possible, à séduire une partie de l'opinion publique gagnée par l'intolérance
et les sentiments xénophobes.
C'est pourquoi il me semble qu'un sujet aussi sensible ne doit pas être traité
au détriment de la liberté et des droits. Or, si on détaille le texte tel qu'il
a été transmis à notre assemblée, on peut constater qu'un grand nombre de
mesures portent directement atteinte aux libertés individuelles.
Dès l'article 1er, les principes fondamentaux de la Constitution ne sont pas
loin d'être bafoués. La possibilité pour l'Office des migrations
internationales de procéder à des visites au domicile de l'hébergeant et
l'obligation faite à ce dernier de déclarer à la mairie le départ de l'étranger
hébergé engendreront un climat de suspicion qui n'est pas sans rappeler des
moments douloureux de notre histoire.
A l'article 4, le renouvellement de plein droit de la carte de résident de dix
ans est supprimé en cas de « menace pour l'ordre public ». Cette modification
essentielle appelle deux remarques. D'abord, le flou qui entoure la notion de
menace pour l'ordre public ouvre incontestablement à l'administration des
possibilités d'appréciation trop étendues. Ensuite, cette disposition remet en
cause la loi sur la carte unique de dix ans votée en 1984 et qui constitue un
droit au séjour pour les étrangers durablement installés en France. Attaquer
cet acquis risque de placer les étrangers dans une situation d'insécurité
permanente et d'enrayer toute tentative d'intégration.
Mme Joëlle Dusseau.
Très bien !
M. Jean-Michel Baylet.
Le texte ouvre la perspective d'une carte de séjour d'un an à ceux que l'on a
appelés les « ni régularisables, ni expulsables ». C'est un premier pas, certes
timide, mais qui a le mérite d'exister. Toutefois, et je le regrette, cette
disposition a été durcie au Palais-Bourbon. Pourquoi chercher à exclure du
bénéfice de cette offre de régularisation les étrangers présents en France
depuis plus de quinze ans ? Cette attitude ne traduirait-elle pas tout
simplement une profonde réticence à procéder à des régularisations ?
Par ailleurs, le report de la délivrance de la carte de séjour temporaire
après deux ans de mariage ou le refus de cette même carte pour les parents qui
ont procédé à une reconnaissance tardive de leur enfant maintiendront une
catégorie d'étrangers dans une zone de non-droit.
D'autres exemples encore témoignent de la volonté d'une frange de la
représentation nationale de durcir la législation actuelle afin de limiter les
régularisations. Le passage de vingt-quatre heures à quarante-huit heures de la
durée de rétention possible sans contrôle d'un juge, la possibilité de fouiller
des véhicules, la confiscation des passeports, la prise et le fichage des
empreintes digitales des étrangers, toutes ces mesures vont à l'encontre des
libertés et du respect de la dignité de la personne humaine. Elles s'inscrivent
dans une logique de gestion répressive de l'immigration. On se retrouve face à
un dispositif truffé de mesures discriminatoires et qui nie toute possibilité
d'intégration aux étrangers durablement installés dans notre pays.
J'espère que notre assemblée, choquée et surprise par la gravité des
modifications adoptées par l'Assemblée nationale, réintroduira plus d'humanité
dans ce projet de loi. Déjà, dans sa sagesse, la commission des lois en a saisi
les principaux dangers. Si la philosophie de ce texte, parce qu'elle s'inscrit
dans la ligne des lois de 1993, ne retient pas mon approbation, sachez,
monsieur le ministre, mes chers collègues, que je serai très attentif aux
amendements de la commission et à ceux qui viseront à supprimer les aspects les
plus répressifs du texte.
Cependant, tout en souhaitant apporter les ajustements techniques nécessaires,
je m'interroge sur la politique qui le sous-tend. Celle-ci est bien entendu
fondée sur le principe d' « immigration zéro », chère au Gouvernement et à la
majorité.
(M. le président de la commission fait un signe de dénégation.)
Et c'est sur ce point que j'émettrai les plus grandes réserves. En effet,
on peut toujours, depuis 1945, modifier et remodifier les lois relatives à
l'immigration. Mais, sans remettre en cause la compétence du législateur, les
différentes adaptations aux lois conduisent bien souvent à un défaut de
cohérence et à la multiplication des situations complexes. A terme, nous
finissons bien souvent par refondre des blocs de lois.
En l'occurrence, si l'on ne s'interroge pas sur l'origine des difficultés, ces
dernières rejailliront toujours sous une forme ou sous une autre. Alors, mes
chers collègues, il est peut-être temps de revenir sur ce concept d'«
immigration zéro ». Il est vain de croire que la France puisse cadenasser ses
frontières et se tenir seule, ou même avec l'Europe, à l'écart des mouvements
migratoires.
C'est pourquoi il faudrait faire place à une autre politique pour
l'immigration, une politique qui serait respectueuse des traditions de
solidarité et d'accueil de notre pays. Bien sûr, je le conçois, il est bien
difficile de trouver une politique d'immigration, peut-être parce que,
finalement, cette idée n'existe pas.
En effet, comment maîtriser un phénomène qui, par essence, implique le
mouvement et l'immigration et qui ne peut donc pas être organisé à sa guise par
un Etat ? Dans le passé, comment aurions-nous pu quantifier des Italiens qui
fuyaient le fascisme, des travailleurs ma-ghrébins que nous sollicitions en
période de croissance économique et qui sont restés en fondant des familles,
souvent nombreuses ? L'histoire des flux migratoires est extrêmement variée,
sans que les pays d'accueil en assurent la maîtrise.
Par ailleurs, un contrôle des flux sous-entend la crainte d'invasion
migratoire de milliers d'étrangers attendant à nos portes, car il y a, bien
entendu, un flux plus ou moins important d'étrangers, qui correspond à des
nécessités d'ordre économique, culturel ou humanitaire. Mais, au fil des
décennies, ces mouvements ont toujours existé dans les mêmes proportions. C'est
un fait important, qu'il conviendrait d'expliquer à cette partie de l'opinion
souvent tentée par la peur de l'étranger et qui trouve un exutoire dans
l'extrême droite.
Si l'immigration zéro est un leurre, l'idée des quotas mérite que l'on s'y
arrête quelques instants, mes chers collègues.
Tout d'abord, si l'essentiel du problème réside dans la maîtrise de
l'immigration clandestine et non dans l'organisation d'un flux régulier
d'immigration, l'introduction des quotas n'empêchera jamais l'entrée
d'étrangers de façon irrégulière en France, puisque, par définition, les quotas
ne peuvent s'appliquer qu'aux arrivées régulières.
Si une action particulière doit être menée sur ce terrain, elle doit
impérativement se focaliser sur deux points, et deux points seulement : d'une
part, le contrôle efficace des frontières, et, pour cela, il faut donner à
l'administration les moyens de le faire ; d'autre part, la lutte contre le
travail clandestin, ce qui revient à s'attaquer à la fois aux filières
organisées d'immigration clandestine et aux diverses mafias qui emploient des
travailleurs en situation irrégulière.
Au-delà de la réelle difficulté à obtenir des résultats, il faudrait aussi se
demander où sont les intérêts financiers en jeu et comment les combattre.
En ce qui concerne les flux réguliers d'immigration, on peut constater que la
restriction de la délivrance des visas, depuis dix ans, a considérablement
diminué le nombre d'entrées régulières en France sans que soit institué un
système annuel de quotas par nationalité. Et dans le cas où ce dernier système
serait installé, comment pourrions-nous décider du chiffre adéquat par masse
annuelle et par nationalité ? Quels seraient les critères rationnels de choix ?
Le risque d'exagération à la baisse sur certaines nationalités serait grand, ce
qui exposerait immanquablement notre pays aux plus vives critiques sur ses
dérives racistes et xénophobes. Un autre danger réside dans le fait que les
quotas appliqués dans chaque préfecture interdiraient les admissions
exceptionnelles au séjour, à titre humanitaire par exemple.
Un dispositif restrictif nous placerait en porte à faux avec la convention
européenne des droits de l'homme, qui pose le principe du droit à mener une vie
familiale normale. Rappelons aussi que les quotas ne seraient pas applicables
aux pays de l'Union européenne, dont la population bénéficie d'un droit de
séjour dans l'Union. Les quotas ne sont d'ailleurs pas davantage applicables
aux demandes d'asile, qui concernent des personnes fuyant leurs pays, souvent
dans l'urgence, créant ainsi un flux peu canalisable.
Peut-on aussi imaginer quantifier l'accueil des étudiants étrangers, sachant
que la France a toujours affirmé son devoir républicain de formation des élites
des pays les plus défavorisés ?
Enfin, au-delà des arguments développés plus haut, le recours aux quotas
d'immigration paraîtrait d'autant plus inutile qu'il présenterait
l'inconvénient certain de créer une demande forte et soudaine, en quelque sorte
préventive, qui viendrait inévitablement gonfler le flux d'immigration
clandestine.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je ne suis pas d'accord !
M. Jean-Michel Baylet.
Si ces politiques me paraissent vouées à l'échec, c'est parce que nous devons,
à mon avis, trouver dans les ressources de la tradition républicaine française
les réponses les plus adéquates à un phénomène exagérément monté en épingle.
Sans prétendre que le choix d'une politique comme celle que je viens d'énoncer
réglerait tous les problèmes, je suis en tout cas certain que la fermeté et la
répression rassurent les Français plus qu'elles ne dissuaderont les immigrés
les plus déshérités de tenter de venir chez nous. C'est pourquoi, fidèle à sa
tradition d'accueil, la France doit accorder un statut stable aux étrangers
présents sur le territoire et mener une politique d'immigration soucieuse des
réalités, efficace et respectueuse de l'individu.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées socialistes,
ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Mes chers collègues, je tiens à vous rappeler que ce débat est organisé et
qu'il appartient par conséquent aux divers orateurs de respecter les temps de
parole qui ont été définis.
C'est ainsi que M. Vallet, dernier orateur du groupe du RDSE, ne dispose plus
que d'un peu moins de cinq minutes pour intervenir, ce dont je lui demande de
bien vouloir tenir compte.
La parole est à M. Serge Mathieu.
M. Serge Mathieu.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, terre
d'accueil reconnue et incontestée, la France est un Etat républicain qui a son
identité propre, sa culture, ses traditions, ses lois, qu'elle n'entend ni
renier ni voir bafouer sous couvert d'une démagogie humanitaire.
Certes, accueillir et intégrer les immigrés en situation régulière est l'un
des devoirs essentiels de notre pays, considéré comme la patrie des droits de
l'homme et de la liberté.
Notre communauté nationale est enrichie de ce brassage humain. Comment ne pas
le reconnaître ?
Mais la France entend définir par elle-même les critères et les conditions de
cet accueil. C'est une politique normale et surtout nécessaire si nous voulons
conserver une France accueillante et tolérante, qui intègre et assimile la
population immigrée respectueuse de notre droit.
Il ne s'agit pas d'adopter et de développer des comportements xénophobes et
racistes, que tous deux je condamne fermement et qu'il faut combattre sans
relâche.
La France doit cependant cesser d'être considérée comme une mère nourricière
de la misère du monde. Elle n'en a plus les moyens aujourd'hui, et sans doute
pour longtemps.
Depuis un an, on constate que le taux d'exécution des mesures d'éloignement
s'est amélioré. Il faut poursuivre cet effort ! Je tiens à ce propos à rendre
hommage à M. le ministre de l'intérieur pour son courage et sa détermination
dans son action.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
Force est cependant de constater, au vu des deux excellents rapports
parlementaires Philibert-Sauvaigo et Courson-Léonard, et de l'affaire des
sans-papiers de l'église Saint-Bernard, que de nouveaux aménagements dans notre
législation se révèlent nécessaires.
Nous devons, une fois de plus, renforcer notre droit pour lutter encore plus
efficacement contre l'immigration clandestine.
Cette même préoccupation a motivé l'adoption des lois des 24 août et 30
décembre 1993, qui ont opéré une profonde réforme en matière de droits des
étrangers.
Il nous faut compléter cet arsenal législatif, déjà important et complexe.
J'apporte mon total soutien au projet de loi portant diverses dispositions
relatives à l'immigration, dont nous débattons aujourd'hui. L'immigration est
au coeur de notre société, et elle constitue, à l'heure actuelle, un réel
problème à la fois humain, identitaire, économique et de sécurité.
Face à cette situation, il est de notre devoir d'élus d'adopter une attitude
responsable et de prendre les mesures qui conviennent.
La Haute Assemblée a voté, le 15 janvier 1997, le projet de loi relatif au
renforcement de la lutte contre le travail illégal. L'adoption de ce texte, qui
réprime plus sévèrement l'emploi illégal d'étrangers clandestins et l'emploi
illégal des étrangers sans autorisation de travail, est un premier pas.
Cela constitue aussi, déjà, une avancée décisive en matière d'immigration. Le
dispositif prévu rend en effet fort périlleux le recours à ces emplois
dissimulés et devrait, en conséquence, assécher l'attrait que représente la
France pour un certain nombre d'étrangers dans la mesure où les employeurs
seront moins tentés d'utiliser une telle main-d'oeuvre.
Nous devons maintenant faire le deuxième pas. Habituellement, le premier pas
est considéré comme le plus difficile ; je crains que ce ne soit pas
présentement le cas.
Lors de la discussion à l'Assemblée nationale de ce projet de loi portant
diverses dispositions relatives à l'immigration, certaines améliorations ont
été apportées au texte. La presse s'en est fait l'écho en qualifiant cette
démarche de « durcissement ». De son côté, comme nous l'ont exposé son
président, M. Jacques Larché, et son rapporteur, M. Paul Masson, la commission
des lois propose de gommer certaines aspérités du texte ajoutées par
l'Assemblée nationale.
Pour ma part, il me paraît primordial que tous les moyens possibles et
appropriés à l'ampleur du problème soient recherchés afin de limiter au maximum
les abus, les fraudes et les détournements de procédure.
Les objectifs du projet de loi ont déjà été clairement énoncés, et je
n'entends pas revenir sur leur bien-fondé. Je tiens juste à insister sur
quelques points fondamentaux, ô combien symboliques et controversés.
Tout d'abord, en ce qui concerne les certificats d'hébergement, je suis
favorable à l'instauration de règles plus strictes. Le dispositif actuel
n'offre en effet pas de garanties suffisantes pour empêcher les séjours
irréguliers.
Il faut responsabiliser tous les acteurs de cette procédure. C'est pourquoi
obliger l'hébergeant à déclarer à la mairie le départ de l'étranger hébergé me
paraît une bonne mesure, et il convient d'établir des sanctions pour le cas de
non-respect de cette obligation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous l'aviez proposé !
M. Jacques Mahéas.
C'est complètement inutile, il faut le savoir !
M. Serge Mathieu.
Le deuxième point que je désire aborder, et que j'ai déjà traité dans une
proposition de loi déposée à l'automne dernier, est celui du délai de rétention
administrative, objet de l'article 8 du présent projet de loi.
Chacun sait que la durée maximale de cette rétention est, en France, de dix
jours. Nous détenons le record du délai le plus court de toute l'Europe.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est notre honneur !
M. Serge Mathieu.
Cette brièveté explique les difficultés matérielles de mise en oeuvre des
mesures d'éloignement.
On ne peut cependant remettre en cause cette limitation de durée, car le
Conseil constitutionnel a défini de façon très stricte les conditions pour que
la rétention ne porte pas atteinte à la liberté individuelle garantie par la
Constitution. Je déplore cette jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui
paralyse le système et empêche de l'améliorer.
Il faudra bien un jour attaquer le problème de front, notamment en vue d'une
harmonisation avec nos partenaires européens.
Enfin, le dernier élément sur lequel je tiens à m'exprimer est la question de
l'attribution ou non de la carte de séjour temporaire à l'étranger en situation
irrégulière résidant en France depuis plus de quinze ans.
L'Assemblée nationale a supprimé la disposition qui tendait à accorder de
plein droit cette carte temporaire ; elle a même considéré que ces étrangers
pouvaient faire l'objet d'une mesure d'éloignement.
Le Gouvernement et la commission des lois du Sénat proposent de rétablir
l'attribution de la carte temporaire à cette catégorie d'étrangers.
Je n'abonde pas dans ce sens. En effet, le fait d'octroyer à ces étrangers
irréguliers une carte de séjour me paraît constituer un risque : le risque de
voir cette mesure considérée comme la « voie » pour les étrangers qui
envisagent de pénétrer irrégulièrement en France et le risque qu'elle soit
aussi perçue comme une prime au long séjour clandestin.
Mme Monique ben Guiga.
Ils risquent gros, les étrangers !
M. Claude Estier.
Quinze ans !
M. Serge Mathieu.
Certes, il s'agit de trouver une solution pour les personnes qui sont
actuellement sur notre territoire et qui ne peuvent être ni régularisées ni
éloignées. Cela concerne, on le sait, un petit nombre d'individus.
Je trouve préférable de voir traiter ces cas particuliers par les préfets,
conformément à une circulaire que vous leur adresseriez, monsieur le ministre,
et d'établir comme règle de droit que les étrangers irréguliers, quelle que
soit la durée de leur séjour, sont expulsables, si d'autres paramètres ne leur
permettent pas d'obtenir une carte de séjour.
Pour toutes les raisons que je viens de développer, je voterai en faveur de ce
texte, et j'invite tous ceux qui veulent lutter contre le racisme et la
xénophobie, tout en préservant notre Etat de droit, à en faire autant.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Marquès.
M. René Marquès.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon
intervention sera différente des discours des orateurs précédents. En ma
qualité de sénateur des Pyrénées-Orientales, je souhaite en effet apporter un
témoignage sur la situation de l'immigration irrégulière dans ce département,
véritable laboratoire, et, partant de là, opérer une extrapolation s'agissant
de l'Hexagone.
Les informations que je vous donnerai sont, bien sûr, tirées de textes
officiels et ne sont pas des vues de l'esprit.
J'indique d'ailleurs immédiatement, monsieur le ministre, que je ne ne mettrai
nullement en cause, dans mon intervention, votre projet de loi, auquel je
souscris.
Mon département est le plus méridional de la France avec, à l'Est, la
Méditerranée et, au Sud, les Pyrénées, qui marquent la frontière entre la
France et l'Espagne.
Ce département a toujours été un pays de « marche » et un lieu de passage
privilégié, voire obligé, d'un nombre considérable de Maghrébins à la recherche
d'un lieu d'accueil.
Aujourd'hui, les Pyrénées-Orientales sont toujours le couloir, le passage
obligé des flux Nord-Sud et Sud-Nord, et la ville du Perthus reste l'un des
postes frontaliers les plus importants, emprunté chaque jour par plus de 4 000
camions et, bien sûr, par quelques passagers clandestins.
Je tenterai ce soir d'expliquer pourquoi il existe une immigration irrégulière
et mon exposé sera articulé autour de trois questions : tout d'abord, comment
l'entrée irrégulière sur le territoire national est-elle possible ; ensuite,
comment un irrégulier parvenu sur notre territoire peut-il substister ; enfin,
pourquoi ne parvient-on pas à éloigner du territoire la plupart des irréguliers
?
En matière de passage irrégulier de nos frontières, je laisserai de côté la
frontière aérienne, qui est impénétrable par les irréguliers, et les frontières
maritimes, qui sont difficiles à franchir. Reste la frontière terrestre, qui
est la plus difficile à contrôler et qui ne pourra jamais être rendue
hermétique, compte tenu des multiples possibilités de passage. L'Histoire
démontre d'ailleurs que, sur notre frontière franco-espagnole même la
toute-puissante armée allemande n'a pas empêché le passage de milliers de
réfugiés lors de la Seconde Guerre mondiale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Claude Estier.
Heureusement !
M. René Marquès.
Cette perméabilité naturelle doit nous conduire à être particulièrement
vigilants quant au traitement réservé à cette zone de contrôle.
Il est donc nécessaire de rétablir à chaque frontière une coopération
bilatérale dans le cadre des accords de réadmission existants.
L'Espagne et la France ont une frontière commune de plus de 400 kilomètres,
caractérisée par un relief montagneux élevé. Mais, nous l'avons vu, cette
caractéristique naturelle n'a jamais constitué un obstacle infranchissable.
De tous temps, mais surtout depuis que l'Espagne a accédé à un régime
démocratique, après Franco, la France et l'Espagne ont tenté un rapprochement
entre leurs services de police respectifs afin de lutter contre l'immigration
irrégulière et la criminalité. Il s'agit d'un commissariat général de
documentation pour l'Espagne et de la direction centrale du contrôle de
l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins, la DICCILEC,
ancienne police de l'air et des frontière, ou PAF, pour la France. Et,
récemment, ont été mis en place des commissariats communs ou binationaux situés
sur la frontière.
Mais, après les accords de Schengen, la fonction des postes de contrôle
frontaliers a été modifiée. D'un système fixe on est passé à des contrôles
mobiles sur toute la zone frontalière, sur une bande de vingt kilomètres pour
la France et de soixante kilomètres pour l'Espagne.
Il est évident que l'existence de commissariats communs permet d'opérer un
contrôle efficace des flux migratoires afin de permettre la coordination
binationale des services de contrôle de l'immigration et de renseignements.
Je voudrais, à ce point de mon exposé, m'interroger sur le pouvoir attractif
qu'exerce la France vis-à-vis des immigrés en général, et plus particulièrement
des immigrés venant du Maghreb. Comment se fait-il, en effet, que la plupart
d'entre eux, traversant la péninsule Ibérique, ne s'y arrêtent pas et préfèrent
s'installer en France ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
A Poitiers !
(Sourires.)
M. René Marquès.
A cela il existe des explications multiples et complexes, mais je souhaiterais
en identifier seulement quelques-unes.
La France jouit d'une image forte de pays des droits de l'homme,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. René Marquès.
... d'un Etat de droit où les libertés individuelles sont préservées ; le taux
de chômage y est inférieur à celui de l'Espagne, qui avoisine les 20 % dans le
nord et les 25 % dans le sud ; les dispositifs policiers et militaires sont
réputés plus sévères en Espagne, et l'oeuvre de Franco dans ce domaine a laissé
des traces, tout du moins dans les esprits. Et, si l'Espagne ne compte pas une
colonie maghrébine importante, ce peut être dû à un facteur linguistique, le
français...
Mme Monique ben Guiga.
Ah ! la francophonie !
M. Paul Raoult.
Et voilà !
M. René Marquès.
De plus, dans notre pays, il fait bon vivre, et il est relativement aisé d'y
bénéficier d'avantages sociaux multiples et généreux tels que sécurité sociale,
soins gratuits, allocations, RMI, etc.
Cela nous conduit à nous poser une question importante : après avoir franchi
notre frontière, comment l'étranger en situation irrégulière peut-il subsister
en France ?
Un des facteurs essentiels favorisant le séjour des clandestins en milieu
urbain est l'implantation régulière d'une population étrangère importante.
Il y a plusieurs modes de sédentarisation : dans une ville comme Perpignan,
qui compte 100 000 habitants, tout un quartier est occupé par une population
magh-rébine en situation régulière, mais qui sert de premier relais aux
clandestins venant de passer une frontière qui se trouve, je vous le rappelle,
à trente kilomètres de là !
M. Paul Raoult.
Il faut mettre des miradors !
M. René Marquès.
Dans la campagne, il existe des abris de fortune qui sont utilisés comme
haltes passagères, mais surtout, il faut le dire, comme logements lorsque les
travailleurs clandestins sont employés en qualité d'ouvriers agricoles,
notamment au moment des vendanges. Il faut savoir faire son
mea culpa
!
(Murmures sur les travées socialistes.)
Enfin, depuis la perméabilité des frontières des pays de l'Est, on
enregistre une augmentation considérable des squatters.
Ces clandestins ne disposant pas de ressources à leur arrivée, toute
sédentarisation irrégulière aboutit souvent à des actes de délinquance sur la
voie publique. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles on retrouve
plus de 35 % d'étrangers dans la population carcérale de la maison d'arrêt de
Perpignan ! Les clandestins arrivent, en effet, en fin de parcours sans moyens
et ils ne peuvent être hébergés que par les gens réguliers qui sont déjà en
place.
Actuellement, en éloignant près de 3 000 étrangers en deux ans, la DICCILEC
des Pyrénées-Orientales a certainement contribué à l'abaissement de 20 % du
taux de délinquance qui a été constaté ces dernières années.
Malheureusement, si les services des douanes, de police et de gendarmerie
exercent leur travail d'interpellation de manière satisfaisante, force est de
constater que les suites données par les magistrats sont souvent la remise en
liberté.
M. Michel Rufin.
Et voilà !
M. René Marquès.
Autre source de « revenus » : les aides sociales et humanitaires qui sont
attribuées sans beaucoup de contrôle.
Une affaire récente a permis d'identifier un étranger en situation
pseudo-régulière, touchant le RMI et les prestations sociales pour neuf enfants
alors qu'il venait de verser en liquide 400 000 francs à la banque.
En fait, sa famille était en Algérie, sans aucune activité. Il percevait
indûment plus de 10 000 francs de prestations sociales par mois et possédait
une couverture sociale à 100 %, qu'il devait probablement monnayer à des
étrangers clandestins. On constate en effet que les milieux hospitaliers n'ont
pas la possibilité d'identifier celui qui apporte une carte d'immatriculation à
la sécurité sociale, et qu'il faut bien traiter pour des raisons
humanitaires.
Les droits sociaux ne sont pas suffisamment contrôlés ! Ainsi, dans mon
département, plus de 90 % des clandestins se font soigner dans les services
hospitaliers à l'aide de cartes d'assuré social d'étrangers en situation
régulière. La fraude est considérable, et la passivité permissive de certains
services est étonnante.
Certes, la réponse des services hospitaliers est qu'ils n'ont pas à faire du
contrôle d'identité, mais simplement une vérification d'ouverture des
droits.
La recherche et l'interpellation des irréguliers se font soit par les
contrôles d'identité dans la zone des vingt kilomètres ainsi que dans les
ports, aéroports, gares ferroviaires ou routières ouvertes au trafic
international, soit par les contrôles d'identité sur réquisitions du procureur,
soit, enfin, par les contrôles d'identité préventifs, sous réserve que
l'autorité justifie dans tous les cas les circonstances particulières
établissant le risque d'atteinte à l'ordre public.
En fait, les difficultés d'application proviennent de l'exercice des contrôles
d'identité préventifs urbains hors zone des vingt kilomètres en matière
d'immigration irrégulière.
Mais, dans les Pyrénées-Orientales, notamment, la difficulté majeure provient
du laxisme de l'autorité judiciaire, je suis désolé de le souligner.
Je vous citerai cet exemple : un procès-verbal de contrôle d'identité a été
effectué dans le cadre du plan Vigipirate dans un quartier de Perpignan à fort
taux d'interpellations de ressortissants étrangers en situation irrégulière,
puis annulé tout simplement par un juge délégué à la rétention administrative
du tribunal de grande instance de Perpignan.
Le juge judiciaire intervient dans le domaine du contrôle d'identité, qui lui
est peu ou pas familier. Dans cet exemple, comment le juge ignorait-il la
validité des contrôles dans le cadre du plan Vigipirate, alors que le procureur
avait confirmé la validité de tels contrôles ?
Les magistrats des Pyrénées-Orientales refusent encore de reconnaître aux
chefs de services de police la capacité d'évaluer les risques en matière de
délinquance de voie publique.
Quand les policiers constatent avec stupeur que des caissières de supermarchés
ont plus de pouvoir en la matière qu'eux-mêmes, cela les laisse quelque peu
perplexes sur la reconnaissance de leur qualité.
(Sourires et protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier.
Voilà une intervention de haut niveau !
M. le président.
Mes chers collègues, n'interrompez pas l'orateur !
M. Henri de Raincourt.
Il faut le laisser continuer, c'est intéressant ce qu'il dit !
M. René Marquès.
Comment se fait le traitement pénal des infractions à l'entrée et au séjour
irréguliers ?
En ce qui concerne le classement sans suite des dossiers des
primo-délinquants, malgré la circulaire du 29 septembre 1995 émanant du garde
des sceaux, aucune poursuite des primo-délinquants n'a été engagée par le
parquet de Perpignan.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Les magistrats n'obéissent plus !
(Rires sur les travées socialistes.)
M. René Marquès.
Pourtant, les instructions sont précises : « A chaque fois que cela s'avérera
nécessaire, le parquet requerra une peine d'emprisonnement ferme et la mise en
détention du condamné. » Mais il semble qu'une volonté ait été clairement
affichée par le parquet de Perpignan dans la non-application de ces
instructions ministérielles.
Je citerai un exemple : lorsqu'un étranger en situation irrégulière est
interpellé sans document d'identité, qu'il soit primo-délinquant ou non,
l'officier de police judiciaire informe le substitut de permanence de la mesure
de garde à vue. Il lui communique les premiers éléments laissant présumer que
l'étranger a organisé volontairement son anonymat. Et le dossier est classé
sans suite immédiatement.
(Exclamations ironiques sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy.
Oh ! C'est scandaleux !
M. le président.
Mes chers collègues, laissez parler M. Marquès !
M. Alain Gournac.
Voilà un bon président !
M. René Marquès.
Je suis en mesure de vous affirmer que l'organisation de l'anonymat est
devenue une véritable filière d'immigration irrégulière largement diffusée dans
le monde des clandestins et qui, dans le département, frise le ridicule : près
de 90 % des clandestins maghrébins sont interpellés dépourvus de tout document.
Mais cela concerne aussi près de 70 % des étrangers des autres nationalités
!
De nombreux étrangers en situation irrégulière dans mon département savent
qu'il suffit de paraître sourd et muet - M. Bonnet y a fait allusion tout à
l'heure - pour être remis en liberté, même si toutes les données médicales
indiquent qu'il y a simulation.
Une des méthodes également fréquemment utilisée par les ressortissants des
pays du Maghreb consiste à d'abord détruire ses documents d'identité puis,
après l'interpellation, à se dire Marocain lors de la présentation devant le
consul d'Algérie et Algérien devant celui du Maroc.
Malgré ces affirmations constatées par le procès-verbal, les magistrats de
Perpignan n'engagent aucune poursuite.
(Nouvelles exclamations sur les travées socialistes).
Ce défaut de poursuite pénale est alarmant, car il entraîne
obligatoirement la remise en liberté d'étrangers sans que l'on connaisse leur
véritable nationalité ni, de ce fait, leurs intentions.
En 1995, 500 interpellations de clandestins ont été clôturées par une remise
en liberté, faute de poursuite judiciaire. C'est là un chiffre important pour
un département, fût-il frontalier !
La question que se posent, à juste titre, les policiers de terrain des
Pyrénées-Orientales est la suivante : pourquoi ces remises en liberté ?
Il est urgent d'intervenir dans ce dossier afin que les directives du
Gouvernement, par l'intermédiaire du garde des sceaux et du ministre de
l'intérieur, soient respectées, sous peine de constater une démobilisation
totale de fonctionnaires contraints d'interpeller plusieurs fois la même
personne avant qu'une solution juridique intervienne.
M. Gérard Braun.
Eh oui !
M. René Marquès.
Le préfet a confié à la DICCILEC le traitement de l'immigration
irrégulière.
Malgré la lenteur des consulats et, parfois, leur obstruction manifeste,
malgré l'absence quasi totale de poursuites par le parquet local, cette
organisation a porté le taux de reconduite à la frontière du pays d'origine à
près de 60 %. Elle est fiable pratiquement à 100 % pour l'éloignement des
ressortissants étrangers munis de documents d'identité.
De ce fait, et compte tenu de la saturation de notre centre de rétention, sur
1 574 étrangers interpellés en situation irrégulière dans mon département, 582
ont été remis en liberté en un an, soit plus du tiers.
On peut cependant affirmer que, si les juridictions appliquaient les
dispositions de l'article 27, deuxième alinéa, de l'ordonnance de 1945, plus un
seul étranger en situation irrégulière ne serait remis en liberté sans
identification.
Il faut donc cesser de faire intervenir deux ordres juridictionnels, sachant
que la juridiction judiciaire vit très mal ce partage qui lui confère un rôle
mineur.
Il faudrait éviter la précipitation des démarches administratives due à la
brièveté du délai de rétention administrative- on l'a évoqué tout à l'heure -
et autoriser le préfet à disposer de dix jours pour l'organisation de
l'éloignement de l'étranger en situation irrégulière, le délai du droit de
recours de l'étranger passant alors de vingt-quatre à quarante-huit heures.
Mais cela n'engendrerait aucun résultat concret sans l'augmentation des
capacités du centre de rétention.
En conclusion, lorsqu'on fait le bilan de l'immigration irrégulière dans mon
département, on constate qu'il existe une forte et véritable coordination entre
les services à l'échelon départemental, et que les résultats sont probants. En
septembre 1995, 77 % des étrangers concernés par une mesure d'éloignement ont
été reconduits dans leur pays d'origine à l'issue de leur peine. Par ailleurs,
on a éloigné près de 1 500 étrangers en 1994, soit 63 % des clandestins
interpellés, contre 66 % en 1995 et 84 % en 1996. L'expérimentation est donc
fiable.
J'ajoute que le taux de délinquance sur la voie publique a baissé de 20 % en
1995. On peut y voir un rapport de cause à effet.
Voilà, monsieur le ministre, un bilan qui doit nous faire réfléchir et nous
conforter dans l'application de la loi et, demain, du projet de loi que vous
nous proposez.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Ceccaldi-Raynaud.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Monsieur le ministre, contrairement à ce qui a été dit avant le dîner,...
M. Paul Raoult.
Ah ! vous allez nous réveiller !
(Sourires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oui ! ... vous n'avez déclaré la guerre à personne. Vous avez décidé de
conduire avec efficacité la lutte contre l'immigration irrégulière - je ne dis
pas « clandestine », pour tenir compte d'une observation qui a été faite cet
après-midi.
M. Paul Raoult.
Par M. Badinter !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
J'aurai l'occasion de prononcer ce nom illustre !
(Rires.)
Monsieur le ministre, vous avez agi, vous avez fait face aux situations
nées de l'actualité. Le taux d'exécution des mesures d'éloignement a atteint -
on l'a déjà dit - 30 %, contre 16 % autrefois. On ne peut donc pas dire que la
volonté politique vous a manqué.
Cependant, M. Guy Allouche a appelé cette efficacité le « moteur à expulsion
». J'ai vu dans cette expression la tendance à l'exagération d'un Méditerranéen
qu'un autre Méditerranéen peut très bien comprendre.
(Nouveaux rires.)
Monsieur le ministre, non seulement vous avez agi dans le présent, mais
vous avez réfléchi à l'avenir.
M. Bernard Piras.
Oh ! là ! là !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous avez analysé en profondeur...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Oh !
(Sourires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... les modifications, les mutations qui sont intervenues dans les flux
migratoires.
M. le président Badinter...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ah !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... ne les ignore sûrement pas. Il a certainement, lui aussi, vu ces
transformations. Il ne les a cependant pas évoquées, et c'est bien dommage.
Quel beau discours il aurait pu faire !
(Rires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
D'autres vont en faire des beaux !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Heureusement, monsieur le ministre, votre perspicacité, votre expérience
(Exclamations amusées sur les travées socialistes)...
M. Emmanuel Hamel.
Vous ne pouvez pas la nier, elle est certaine !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... votre expérience, disais-je,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Votre grandeur !
Mme Joëlle Dusseau.
Votre intelligence !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Votre magnificence !
(Rires.)
M. le président.
Mon cher collègue, ne vous laissez pas interrompre. Votre propos est
intéressant
(Marques d'approbation sur les travées socialistes)
et il est écouté avec
beaucoup d'attention.
(Sourires.)
Alors, n'attendez pas les réactions qu'il peut susciter.
M. Jean-Michel Baylet.
Vous nous intéressez !
(Nouveaux sourires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
En tout cas, monsieur le ministre, vos fonctions - cela, messieurs, vous
l'acceptez ? - vous ont conduit à voir, à discerner,...
M. Jacques Mahéas.
A entrevoir !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... l'avenir des flux migratoires par dessus la haute muraille du présent.
M. Jean-Luc Mélenchon.
N'oubliez pas l'eau ferrugineuse !
(Rires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je ne peux pas répondre, je n'ai pas entendu.
Votre projet, monsieur le ministre, qualifié de modeste, ouvrira la voie à une
nouvelle législation d'ensemble, qui prendra en compte ces mutations.
Mais, dès à présent, votre projet apporte une plus grande fermeté républicaine
et une plus grande générosité, sans marchandage.
Dignité, ajouterai-je, car l'immigration régulière continue.
M. Jean-Patrick Courtois.
Oui !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Personne n'a parlé d'« immigration régulière zéro ». La France continue d'être
un pays d'accueil, un pays d'asile,...
Mme Joëlle Dusseau.
De moins en moins !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... un pays d'hospitalité.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
Par ailleurs, le projet - vous l'avez sûrement remarqué, madame - met fin
à un certain nombre de détresses. Ainsi, pour les étrangers qui étaient en
situation d'impasse juridique, un titre de séjour...
M. Pierre Mauroy.
Temporaire !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Temporaire, oui. Vous auriez préféré mieux ?
Mme Joëlle Dusseau.
Oui !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est tout de même un grand progrès par rapport au passé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais non, c'était déjà possible !
M. Claude Estier.
Le passé, ce sont les lois Pasqua.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Si vous voulez ! C'est ce que vous voulez ; en tout cas, c'est un progrès.
(Rires.)
En outre, il est mis fin à l'incertitude de l'étranger présent en France
depuis quinze ans...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh non ! Eh non !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... et qui est en situation irrégulière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Justement pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est ce qui a été voté, monsieur Dreyfus-Schmidt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Hélas ! non.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Mais si !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie, pas de conversations particulières.
Mme Joëlle Dusseau.
M. Ceccaldi-Raynaud dit des contrevérités !
M. le président.
Poursuivez, monsieur Ceccaldi-Raynaud.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Un peu d'optimisme, monsieur Dreyfus-Schmidt : la commission des lois a adopté
cette mesure et le Sénat, dans sa sagesse, l'adoptera également.
On a fait remarquer qu'il n'y avait aucun argument juridique pour justifier
cette mesure. Mais, s'il n'y a pas d'argument juridique, il y a des arguments
humains.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Oui, mais M. Caldaguès n'était pas d'accord !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Eh bien ! M. Caldaguès dit ce qu'il veut ; chez vous aussi, il y en a qui ne
disent pas la même chose !
(Rires.)
Enfin, monsieur le ministre, votre projet prépare l'intégration et
l'assimilation, ce qui suppose une maîtrise des flux migratoires.
J'approuve M. Michel Rocard...
(Applaudissements et exclamations sur les travées socialistes)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ça manquait !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... quand il dit que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde
et quand il ajoute qu'elle doit cependant en prendre sa part. Mais il faut que
cette part soit compatible avec les capacités d'intégration du pays. Or, les
entrées au titre du regroupement familial ont atteint, en 1992 - l'actuelle
opposition était alors au pouvoir - un chiffre incompatible avec nos capacités
d'intégration. Ce chiffre, Jean-Louis Debré l'a fait chuter de moitié.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Donc ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Donc ça va très bien !
(Rires.)
Dignité, mais également fermeté républicaine. C'est au nom des droits de
l'homme, c'est au nom de la Constitution de la Ve République, c'est au nom des
étrangers en situation régulière et des Français issus de l'immigration que
nous réclamons cette fermeté républicaine.
Majorité et opposition s'affrontent sur ces sujets. Il y a un fossé entre
notre conception de l'immigration et celle de l'opposition, entre celle de la
droite et celle de la gauche, si vous préférez, et ce fossé est utile parce que
viendront s'y jeter les hommes du Front national.
M. Pierre Mauroy.
C'est audacieux !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
L'opposition refuse tous les dispositifs...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je n'ai rien compris !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Comment, vous n'avez rien compris ?...
(Sourires.)
M. le président.
Mon cher collègue, cette remarque ne s'adressait pas à vous !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Fort bien !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Moi, j'ai compris !
M. le président.
M. Mélenchon s'adressait à l'un de ses amis. Il a peut-être eu le tort de
s'exprimer d'une manière un peu vigoureuse.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Bien ! Mais il est certain que plus les Français percevront bien le clivage
droite-gauche, plus ce sera l'enjeu des élections. Là, je pense que vous avez
compris !
L'opposition refuse tous les dispostifs destinés à lutter contre la
clandestinité.
M. Claude Estier.
Mais non, vous n'avez rien compris !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Comment, je n'ai rien compris ?
(Rires.)
M. le président.
Mon cher collègue, il s'agit toujours du même dialogue.
Permettez-moi de vous rappeler que trois orateurs de votre groupe sont
inscrits après vous sur un quota de temps qui est limité et que je vais
m'efforcer de faire respecter !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je vais me dépêcher monsieur le président. Je me bornerai à dire...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Les coups de brosse à reluire !...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... que la majorité, elle, refuse les régularisations massives dont la gauche
a toujours eu la tentation, plus de 150 000 personnes par vagues
successives...
M. Pierre Mauroy.
Allons, n'exagérez pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Eh oui, 150 000 : en 1981, en 1982, en 1992...
M. Pierre Mauroy.
Pas de détail !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... 130 000 plus 15 000, ça fait à peu près ça !
(Rires.)
M. Pierre Mauroy.
Pas de détail !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous avez raison ! La majorité, elle, s'oppose à votre proposition de
régularisation. Je croyais que M. Julien Dray...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Attention !
(Rires.)
M. le président.
Il n'a pas dit Mélenchon, il a dit Dray.
(Nouveaux rires.)
Vous avez une oreille sélective !
M. Jean-Michel Baylet.
C'est le même courant !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Un courant d'air !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Mais c'est peut-être aussi le même talent. Je ne sais pas...
(Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Pierre Mauroy.
Ah !
(Sourires satisfaits sur les travées socialistes.)
M. le président.
M. Mélenchon n'aime pas cette comparaison !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Je ne dis plus rien, monsieur le président.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je l'ai cru isolé mais il m'a semblé que M. Badinter se rapprochait de cette
thèse. Comme vous tous, j'ai été sous le charme, j'ai admiré...
M. Pierre Mauroy.
C'est un aveu !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
... l'ordonnancement logique de son argumentation, le bonheur de son
expression, le positionnement de sa voix pour provoquer le suspense comme nous
le faisons devant les tribunaux.
(Sourires sur les travées socialistes.)
M. Pierre Mauroy.
Continuez !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Mais si l'on suit le raisonnement de M. Badinter, qui ne veut aucune mesure
répressive parce qu'elle apparaîtra choquante aux Français issus de
l'immigration ou aux étrangers en situation régulière, il est bien évident
qu'
a contrario,
et peut-être sans le vouloir, M. Badinter fait quand
même malgré lui l'éloge du laxisme.
(Très bien ! sur de nombreuses travées des Républicains et Indépendants, du
RPR et de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il n'a rien compris !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Monsieur le président, puisque j'ai été invité à conclure, je dirai qu'il n'y
a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. Vous avez compris,
après beaucoup d'incompréhension, que c'est une citation de Sénèque.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bien sûr !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Je pense que vous ne parviendrez pas à me donner un démenti !
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'était un stoïque, lui !
(Rires.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
M. le ministre, lui, sait où il va et nous, en le suivant, nous savons où nous
allons.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées socialistes et du
RDSE.)
Plusieurs sénateurs socialistes.
Une autre !
M. le président.
La parole est à M. Rocard.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel.
C'est dur de parler après un si grand orateur !
(Rires.)
M. Michel Rocard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi de remercier le collègue qui vient d'avoir, à mon endroit, un
mouvement de solidarité car l'exercice est en effet difficile.
M. Emmanuel Hamel.
Ce n'est pas la première fois !
M. Michel Rocard.
Voilà quelques mois, monsieur le ministre, nous avons été heureux d'entendre
le Premier ministre dénoncer avec plus de clarté et de rigueur qu'il n'est
habituel pour un Premier ministre en exercice la xénophobie, l'antisémitisme et
le racisme du président du Front national.
Voilà une dizaine de jours, au conseil représentatif des institutions juives
de France, M. Juppé affirmait avec la même détermination que le RPR combattrait
résolument le Front national.
Nous approuvons sans réserve ces prises de position sans ambiguïté.
Mais on juge l'arbre à ses fruits, et c'est aux actions du Gouvernement que
nous mesurons la réalité de son opposition à l'extrême droite. Et nous voilà
justement devant ce projet de loi portant diverses dispositions relatives à
l'immigration.
L'immigration, nous ne le savons que trop, c'est le fond de commerce du Front
national, qui ne cesse d'attiser la peur et la haine de l'étranger. Excellente
occasion donc que cette loi pour prouver la volonté que nous affichons tous de
combattre les thèses du Front national.
Monsieur le ministre, je n'ai pas l'intention, croyez-le bien, d'administrer,
surtout pas à vous, de leçon de morale. Je suis prêt, quand je lis votre loi -
avec laquelle je suis en grave désaccord - à vous accorder le crédit que je
m'accordais à moi-même lorsque je disais, en 1989, que « la France ne saurait
accueillir toute la misère du monde, mais qu'elle doit en prendre fidèlement sa
part ». Mais, précisément, l'histoire m'a donné une leçon que je ne suis pas
prêt d'oublier, et dont j'aimerais que nous tirions tous ensemble, ici, les
enseignements.
Cette phrase, dont le contenu empirique semble peu contestable, quelle n'a pas
été ma consternation de ne la trouver citée que tronquée et reprise en
d'innombrables occasions par les orateurs du Front national qui m'engrangeaient
dans leur délire ! Je la prononçais pourtant avec les meilleures intentions du
monde : « pas toute » n'a jamais voulu dire « pas du tout », et ma phrase,
surtout citée complètement - merci, monsieur Bonnet - me paraissait donc
protégée de toute connotation xénophobe, d'autant qu'elle introduisait un
discours consacré à la nécessité d'intégrer le plus complètement possible les
immigrés dans la communauté nationale. Il me faut admettre pourtant que cette
phrase parlait faux, puisque Le Pen et les siens l'ont instrumentalisée à leur
fins propres.
Instruit par l'expérience, monsieur le ministre, mes chers collègues,
j'appelle votre attention sur la nécessité de peser nos phrases et, à plus
forte raison, nos lois, si nous voulons sincèrement lutter contre ceux qui font
commerce de la haine de l'immigré.
Or, monsieur le ministre, votre projet de loi, modifié par les amendements
adoptés par l'Assemblée nationale, illustre, hélas ! la dérive inquiétante que
nous avons tous plus ou moins approchée à tour de rôle, mais sur laquelle,
aujourd'hui, nous devrions tous être éclairés, consistant à donner des gages à
Le Pen en espérant éviter ainsi que nos électeurs les plus fragiles ne le
rejoignent. Et c'est ainsi que la France, dont l'immense majorité des électeurs
est résolument hostile aux thèses du Front national, se retrouve avec des lois
qui, sous une forme euphémisée, sont en fait dictées par ce parti. C'est ainsi
que, sous prétexte de lutter contre l'influence de Le Pen, on se retrouve
chaque jour un peu plus semblable à lui. Je ne caricature pas, hélas ! En
voulez-vous un exemple particulièrement clair ? Le code de la sécurité sociale
accorde, vous le savez, une carte d'assuré social à tout détenu, afin qu'il n'y
ait aucune discrimination en matière de soins en milieu carcéral - ce qui est
la règle dans tous les Etats de droit. Eh bien, lors de l'examen de votre
projet de loi, il s'est trouvé, à l'Assemblée nationale, vingt-cinq députés
pour déposer l'amendement n° 32 supprimant le bénéfice de la sécurité sociale
aux détenus étrangers en situation irrégulière !
M. Jacques Mahéas.
C'est scandaleux !
M. Michel Rocard.
Et toute l'énergie du rapporteur, le président Mazeaud, n'a pas pu obtenir que
l'amendement soit retiré.
Vous vous y êtes opposé, monsieur le ministre, bravo ! Vous avez été écouté et
il n'a pas été voté, certes. Mais enfin, en République française, le pays des
droits de l'homme, quel déshonneur qu'il ait seulement pu être défendu !
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - Protestations sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. Gérard Larcher.
Et le droit d'amendement !
M. Michel Rocard.
Mes chers collègues, personne ne discute le droit d'amendement, je ne parle
que du contenu, enfin !
Quel déshonneur que des parlementaires français puissent oublier qu'un
étranger, avec ou sans papiers, est un homme au même titre qu'un Français et
qu'il partage tous ces droits de l'homme que la première Assemblée nationale,
en août 1789, a proclamé devant le monde.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, prenons garde !
Un sénateur du RPR.
Supprimez les lois !
M. Michel Rocard.
Oui, vous n'avez pas aimé ! En effet, c'est difficile !
M. Gérard Larcher.
C'est faible ! Ce n'est pas très bon !
M. Michel Rocard.
Ce n'est pas moi qui suis faible. Il fallait oser ! Ils ont osé ! Ce n'est pas
agréable à citer.
Croyez-vous que ce soit agréable pour moi ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je le répète, prenons garde !
L'ogre est insatiable et Moloch réclame chaque jour davantage de victimes. Il
commence, bien sûr, par stigmatiser l'immigration clandestine, et on finit par
la lui sacrifier par charters entiers, espérant calmer sa faim. Mais on a fait,
au contraire, qu'exciter son appétit, et déjà il réclame qu'on lui livre
l'immigration régulière, ces trois millions d'étrangers qu'il se propose de «
renvoyer chez eux », comme il dit, vous l'avez tous entendu.
Et quand vous aurez mis le doigt dans cet engrenage, comme le fait déjà le
texte adopté par les députés, vous verrez qu'il se mettra à exiger la
dénaturalisation des jeunes Français nés en France de parents étrangers.
(Protestations sur les travées du RPR.)
Un sénateur du RPR.
C'est une fiction !
M. Alain Gournac.
Le Pen ne nous intéresse pas !
M. Michel Rocard.
Vous frôlez déjà ce risque depuis que les lois de 1993 ont aboli
l'automaticité du droit du sol, faute gravissime.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Michel Rocard.
Attention, mes chers collègues, le danger, il faut le regarder quand il
commence et non pas lorsqu'il est devenu assez gros pour être tellement
affreux. Si un jour nous en étions là, il n'y aurait peut-être plus beaucoup
d'étrangers en France, mais surtout il n'y aurait plus guère de France telle
que nous le comprenons. En effet, tout ce qui fait l'identité même de la France
aurait été englouti dans le gouffre de la haine de l'autre. Ce n'est pas un
mauvais rêve ; c'est seulement un mauvais souvenir.
Cette absence de France, nous l'avons connue entre 1940 et 1944...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Me permettez-vous de vous
interrompre, mon cher collègue ?
M. Michel Rocard.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation
de l'orateur.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je vous remercie de me permettre de
vous interrompre, monsieur Rocard.
Vous êtes le troisième orateur, tous appartenant au même groupe, qui ont cru,
devant cette assemblée, devoir faire une comparaison entre l'action que nous
menons et un certain nombre de souvenirs que nous sommes un certain nombre
d'entre nous à porter et qui savons très bien ce que nous avons fait pour que
la France conserve à ce moment-là une certaine dignité. Alors, il y a des
comparaisons qui n'honorent pas ceux qui les font !
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. -
M. Rocard applaudit également.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Rocard.
M. Michel Rocard.
Monsieur Larché, je vous remercie de cette intervention et de la dignité du
propos que vous venez de tenir, auquel j'ai envie de donner mon approbation. Et
à partir de cette communion intellectuelle entre nous deux sur ces questions,
vous ne pouvez pas ne pas comprendre avec moi que l'important est ce qui
commence,...
M. Paul Masson,
rapporteur.
Pas de comparaisons !
M. Michel Rocard.
... ce sont les graines qui sont semées et leur manière de grandir !
M. Michel Caldaguès.
Cela, c'est un procès d'intention !
M. Jacques Mahéas.
C'est une leçon de l'Histoire !
M. Michel Rocard.
M. Larché me comprend sans doute mieux que vous-même, monsieur Caldaguès.
En tout cas, la raison d'être de la loi se trouve dans les situations
inextricables issues de la loi de 1993, qui créait des catégories d'étrangers à
la fois non expulsables et non régularisables. Là est l'innovation tragique,
comme cela a été mis en lumière, cet été, par les « sans-papiers » de
Saint-Bernard et grâce au remarquable travail du collège des médiateurs qui a
étudié leurs cas et les cas semblables.
Une loi s'est révélée nécessaire. Que pouvions-nous en attendre ?
A l'évidence, nous pouvions espérer qu'elle permette la régularisation des
catégories de « sans-papiers » en question, selon une procédure transparente et
fondée sur des critères équitables, ceux qu'a proposés le collège des
médiateurs.
Nous pouvions ensuite attendre d'une telle loi qu'elle rende impossible la
reproduction de cas semblables.
Une centaine de maires d'Ile-de-France ont apporté leur soutien aux
propositions de régularisation des médiateurs, des maires qui sont précisément
aux prises quotidiennement avec les problèmes de l'intégration des immigrés -
monsieur le ministre, si je ne le suis plus aujourd'hui, j'ai été maire pendant
dix-huit ans, dans la même banlieue - des maires qu'on ne peut accuser d'avoir
de beaux sentiments parce qu'ils vivraient dans de beaux quartiers.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je ne vous fais aucun procès.
M. Michel Rocard.
Vous ne me faites pas ce procès, Dieu merci !
Hélas ! après trois jours de débats à l'Assemblée nationale, la loi qui nous
est soumise ne répond nullement à ces objectifs et, pire encore, elle
déstabilise l'immigration régulière et porte atteinte aux libertés
fondamentales.
Pour ces « sans-papiers », produits de la loi de 1993, vous n'autorisez que
des régularisations au compte-goutte. Votre majorité n'a même pas accepté la
régularisation que vous proposiez, à l'article 4, des étrangers présents en
France depuis plus de quinze ans, et pourtant Pierre Mazeaud n'en avait compté
que vingt-sept !
M. Claude Huriet.
Lisez les textes !
M. Michel Rocard.
Qui croira que ces vingt-sept personnes puissent présenter un danger pour le
pays ? Ne voyez-vous pas que ce qui est en cause, ce que votre texte autorise à
votre majorité, c'est la mise en question du droit même de l'étranger à vivre
en France ?
Un étranger sans papier est-il un homme ou moins qu'un homme ?
Vous autorisez la régularisation des parents d'enfants français de moins de
seize ans. Pourquoi pas celle des parents d'enfants plus âgés ?
Mais, et c'est encore plus grave, monsieur le ministre, vous laissez sans
papiers, et donc sans droit au travail légal, des milliers de parents d'enfants
nés en France mais qui, par suite de la loi de 1993, ne seront français
qu'après l'âge de seize ans. Ces enfants ne sont pas expulsables, il est donc
indispensable que leurs parents soient régularisés.
C'est précisément pour prévenir de telles situations, issues de la loi de
1993, que la loi que vous proposez aurait eu un sens. Mais vous avez laissé
prendre à ce texte la direction opposée, celle de l'absurde administratif. Et,
loin de régler les situations dramatiques que nous connaissons, vous allez les
multiplier.
Tout cela traduit le contraire d'un désir d'intégration, le soupçon permanent
porté sur l'autre parce qu'il est autre.
En refusant la qualité de Français aux enfants nés en France avant qu'ils
atteignent l'âge de seize ans, la loi de 1993 a gravement déstabilisé le statut
de ces enfants eux-mêmes et le statut de leurs parents, donc toute la vie
familiale.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est sûr !
M. Michel Rocard.
Nous proposerons le retour au droit du sol intégral. Mais le projet de loi qui
nous est présenté aujourd'hui ajoute une seconde déstabilisation, plus lourde
encore de conséquences : la déstabilisation du statut des étrangers en
situation régulière.
En effet, l'article 4
bis
supprime le renouvellement de plein droit de
la carte de résident de dix ans en cas de « menace pour l'ordre public ».
Une peau basanée ou noire est-elle une menace pour l'ordre public ?
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. Christian Bonnet.
Cela n'a rien à voir !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Que signifie une telle question ? Certains de nos collègues
ont la peau noire !
M. Michel Rocard.
Il m'est arrivé, un soir, quand j'étais maire, de me promener dans ma ville et
la banlieue pour voir comment travaillaient nos forces de police. C'est donc
par expérience que j'ai un grand respect pour nos forces de police, et, quand
j'incrimine ce qui se passe sur le terrain, c'est toujours les consignes qu'on
leur donne que je mets en cause.
Comme je vous le disais en conversation privée, monsieur le ministre, je crois
que notre police est noble et qu'elle ferait un bien meilleur travail si elle
était mieux commandée et si les cibles étaient bien désignées. Mais là, je suis
inquiet, car vous ouvrez la voie à n'importe quoi.
La loi sur la carte de résident de dix ans, renouvelable de plein droit, qui a
été votée en juillet 1984 à l'unanimité - vous l'avez votée mes chers collègues
- consacrait la nécessité de garantir le droit de séjour aux étrangers
durablement intallés en France...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur
Rocard ?
M. Michel Rocard.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le ministre, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Rocard, je ne peux pas laisser passer
ce que vous venez de dire. Je n'ai jamais donné l'ordre, pas plus que quiconque
dans la hiérarchie policière, d'interpeller une personne en raison de la
couleur de sa peau !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur
les travées socialistes.)
Mme Monique ben Guiga.
Prenez le métro, monsieur le ministre !
M. Jacques Mahéas.
Il est né dans un berceau doré ! Il n'a jamais pris le métro !
M. Paul Raoult.
Allez dans le métro !
M. Claude Estier.
Si vous veniez quelquefois dans le XVIIIe arrondissement, monsieur le
ministre, vous verriez ce qui se passe dans les commissariats !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie, seul l'orateur a la parole.
Veuillez poursuivre, monsieur Rocard.
M. Michel Rocard.
Monsieur le ministre, j'ai apprécié votre interjection à l'instant. J'espère
qu'elle vaudra consigne pour toutes les forces que vous commandez. Mais ne
créez pas de ces situations impossibles où ces forces, ne sachant que faire, se
croient mandatées pour en faire beaucoup plus qu'il ne faut. Telles sont les
difficultés que vous créez !
Enfin, votre loi fait peser de très graves menaces sur les libertés
individuelles. Les articles 2 et 10 autorisent les contrôles d'identité sur les
lieux de travail. L'article 3 autorise la confiscation des passeports des «
sans-papiers », la fouille des véhicules, la prise et le fichage des empreintes
digitales des étrangers. L'article 9
bis
crée une législation
d'exception en Guyane. Mais, surtout, l'article 1er introduit une déclaration
obligatoire à la mairie pour toute personne ayant hébergé à son domicile un ami
ou un parent étranger.
M. Jacques Mahéas.
C'est honteux !
M. Michel Rocard.
Vous savez bien que cela conduira inévitablement à la création d'une sorte de
fichier des hébergeants. Vous savez bien aussi que ces dispositions ne peuvent
pas ne pas en rappeler d'autres mais, après l'intervention de M. Larché, je ne
dirai pas lesquelles. Simplement, il y a une vraie similitude d'écriture
juridique.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Décidément, c'est une marotte !
M. Michel Rocard.
Non, ce n'est pas une marotte, c'est un constat. Mais croyez-vous que j'en
tire un quelconque plaisir ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
C'est la quatrième fois que vous faites une comparaison avec
l'Occupation !
M. Jean-Patrick Courtois.
C'est facile !
M. Michel Rocard.
Mais lisez les textes que vous écrivez, regardez-les. Il s'agit d'une
littérature objective et non datée, qui a des parentés avec d'autres, et c'est
ce qui est terrible !
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Monsieur le ministre, j'ai salué publiquement - et par écrit - la
déclaration du Président de la République le 16 juillet 1995 reconnaissant «
les fautes commises par l'Etat français » dans la persécution des Juifs de
France.
Depuis, sont venues la décision judiciaire de juger Papon pour crimes contre
l'humanité, puis, lundi dernier, la décision du Premier ministre de faire toute
la lumière sur les spoliations dont les Juifs furent victimes.
Ainsi, la France est enfin entrée dans une logique de vérité à propos de
Vichy. Vous n'ignorez pas, mes chers collègues, que Pétain et Laval, en 1942,
se flattaient de ne livrer aux bourreaux nazis que des Juifs étrangers...
M. Paul Masson,
rapporteur.
Décidément !
M. Michel Rocard.
... comme si le fait qu'ils fussent étrangers...
(Vives exclamations sur les mêmes travées.)
Vraiment, vous avez du mal à lire vos propres textes !
M. Bernard Piras.
Vous feriez mieux d'écouter, messieurs de la droite !
M. Michel Rocard.
Oui, vous avez du mal à lire vos propres textes !
(Protestations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
Mais enfin, mes chers collègues ! Dans ces conditions, j'abandonne ce
paragraphe...
M. le président.
Monsieur Rocard, veuillez poursuivre votre propos.
M. Michel Rocard.
Je demande à nos collègues de bien vouloir réfléchir au soupçon dans la
législation, sans se poser de problèmes historiques, après tout.
Je suis content d'avoir souligné, d'avoir attiré votre attention sur ce point,
mes chers collègues. Mais, j'y insiste, ce qui nous est proposé, c'est une
législation du soupçon, et je voudrais avec gravité vous dire qu'elle me fait
peur en raison de ce qu'elle porte en elle.
Les souvenirs sont durs à réveiller. Vous ne le supportez pas. Après tout, je
le comprends.
Mais, que notre inquiétude juridique quand nous écrivons soit plus
sourcilleuse. Nous sommes le pays qui a inventé les droits de l'homme !
M. Jean-Marie Poirier.
Et la terreur, deux ans après !
M. Michel Rocard.
Réveillons-nous ! La conclusion s'impose d'elle-même : il est temps que,
gauche et droite, nous adoptions tous un nouveau discours sur l'immigration. Il
est temps de parler vrai à nos concitoyens à ce sujet et de réouvrir enfin nos
yeux sur le réel.
Depuis 1974 et la décision d'interrompre toute immigration, nous nous sommes
tous plus ou moins laissés anesthésier par l'insidieux poison de la peur de
l'autre.
Réveillons-nous, mes chers collègues ! Il n'est de vie que d'échanges ! C'est
vrai de notre corps biologique. C'est tout aussi vrai de la vie de la
nation.
Aussi loin qu'on remonte dans l'histoire de notre pays, on rencontre des
mouvements de population. Qu'étaient les Gaulois quand ils commencèrent, au Ve
siècle avant Jésus-Christ, à pénétrer le territoire où nous vivons ? Qu'étaient
les Romains prenant autorité puis peuplant la Gaule à partir du Ier siècle
avant Jésus-Christ ? Qui était ce Clovis que l'on a fêté l'an dernier ?
M. Jean-Luc Mélenchon.
Un Barbare, un sauvage !
M. Michel Rocard.
C'était des migrants, des immigrés, et ce sont eux pourtant qui ont fait notre
histoire !
Qu'aurait été notre culture au Moyen Age sans l'apport de la civilisation
musulmane ?
M. Jean-Marie Poirier.
C'est le café du commerce !
M. Michel Rocard.
Qu'aurait été l'art au xxe siècle sans la découverte de l'art africain ?
Que seraient nos équipes sportives sans les apports multicolores de trois
continents ?
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
Que serait la science d'aujourd'hui si elle n'était radicalement
internationale, liens d'échanges perpétuels, d'émigration et d'immigration
permanentes des idées, se fécondant de leurs mouvements mêmes ?
Le monde entier n'est que déplacements et migrations.
Par ailleurs, nous défendons, paraît-il, un certain libre-échange, sinon le
libre-échange. Les biens économiques, les marchandises ne cessent de se
déplacer autour du monde.
Mes chers collègues, les images, les mots, les sons, les chiffres, les
cuisines parcourent inlassablement en tous sens notre globe.
Tout bouge. Les mots étrangers fécondent nos langues, qui, elles-mêmes, se
répandent dans tout l'univers, et les être humains étrangers seraient interdits
de séjour durable en France ?
Réveillons-nous ! Les démographes nous avertissent.
Avez-vous vu ces chiffres qui furent publiés voilà quinze jours ? L'Europe ne
renouvelle plus ses générations - nous sommes les moins atteints - et tous nos
pays sont en baisse de population.
Si l'Europe veut présenter le même nombre d'habitants qu'aujourd'hui en 2030,
il faut que, dès maintenant, les quinze nations européennes accueillent chaque
année 7 millions de nouveaux immigrés. Oui, 7 millions, et seulement pour
obtenir une population stable !
M. Christian Bonnet.
Eh bien !
M. Michel Rocard.
L'immigration n'est un danger ni pour la France ni pour l'Europe ; elle est,
au contraire, une nécessité vitale, à condition, bien sûr, qu'il s'agisse d'une
politique d'immigration responsable.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Il faudrait peut-être la définir !
M. Michel Rocard.
On sait négocier avec des Etats. On sait négocier des immigrations
professionnelles. J'ai aussi fait cela dans les fonctions que j'ai exercées,
vous le savez fort bien.
M. Philippe Richert.
On ne le dirait pas !
M. Michel Rocard.
Il faut qu'il s'agisse d'une politique d'immigration contrôlée, calculée,
qualifiée, adaptée à nos besoins et à nos capacités d'accueil, une politique
négociée avec les pays d'origine, qui ne doivent pas non plus s'appauvrir
inconsidérément.
Il faut totalement abandonner la politique du tout ou rien en la matière. Nous
n'avons pas le choix, mes chers collègues, entre les portes grandes ouvertes ou
les portes fermées.
On peut, on doit ouvrir une porte exactement dimensionnée aux besoins et aux
moyens de notre pays et l'adapter en permanence. Mais il faut en finir avec ce
fantasme irrationnel qui voit dans l'immigration une menace, et dans l'étranger
un danger.
Pour être clair, nous ne combattrons efficacement le travail clandestin et
l'immigration illégale qu'il appelle que si nous affichons clairement qu'une
immigration légale, reconnue, nous est nécessaire - il s'agit ainsi de rassurer
l'opinion - et que, celle-là, nous entendons la traiter dignement et lui donner
une vraie sécurité juridique.
Le Président de la République invitait lundi dernier les jeunes Français à
s'expatrier : « Il ne faut pas, leur disait-il, avoir peur de quitter son pays
».
Il a raison. Il faut que les jeunes Français apprennent à émigrer pour
s'enrichir au contact de l'autre et pour faire rayonner, là-bas, notre propre
culture et créer des ponts.
Mais, pour qu'ils émigrent, encore faut-il que d'autres pays acceptent qu'ils
immigrent chez eux.
Comment pourrait-on appeler les jeunes Français à vivre à l'étranger et
refuser aux jeunes étrangers le droit de vivre en France ?
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées
du RPR, ainsi que sur celles des Républicains et Indépendants.)
Et, si, monsieur le ministre, conformément au voeu judicieux du Président
de la République, les jeunes Français s'installent en proportion croissante à
l'étranger, le nombre d'enfants de couples mixtes nés à l'étranger va croître.
Or il n'est peut être pas opportun de compliquer leur retour en France, au
moins pour les études de ces enfants-là.
M. Christian Bonnet.
Eh bien !
M. Michel Rocard.
Je dois vous faire part, mes chers collègues législateurs de France, d'une
autre confidence terrible. Un chef d'Etat africain de mes amis - j'en ai, il
est d'honnêtes gens parmi eux - m'a dit, il y a moins de six mois cette phrase
que j'ai encore en mémoire : « Michel, dépêche-toi de réveiller tes collègues !
Nous autres, responsables africains, économiques, financiers, culturels,
administratifs ou politiques envoyons de moins en moins nos enfants faire des
études en France. L'incertitude administrative et les vexations, notamment
policières, sont inadmissibles et indignes de nous ».
Ces jeunes élites africaines vont aux Etats-Unis. Deux ou trois ans de ce
régime et c'en est fini de notre influence en Afrique.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Les jeunes élites, par
notre faute, seront anglophones. Est-ce cela que nous voulons ?
(Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées. - Protestations sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Pierre Mauroy.
C'est la vérité !
M. Michel Rocard.
Je crains, mes chers collègues, que la vérité ne vous blesse !
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.)
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Rocard.
M. Michel Rocard.
Vous feriez mieux de prendre cette information au sérieux. Elle est très
importante.
En tout cas, les migrants, même pauvres, ne sont pas la misère du monde. Ce
sont toujours, au contraire, les éléments les plus dynamiques des populations
qui sont prêts à s'expatrier. Jeunes Français partant pour le monde et jeunes
étrangers frappant à notre porte, les migrants sont souvent l'avenir du monde.
Faisons donc des lois, et plus généralement une politique de l'émigration et de
l'immigration, qui expriment non plus la peur de l'étranger, mais, au
contraire, une ouverture à l'autre qui est la seule garantie de notre avenir.
Alors, nous pourrons traiter la délinquance sans craindre de mordre sur ses
frontières, et la France sera digne d'elle-même et de son image dans le
monde.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je répondrai plus tard sur le fond à M. Rocard,
mais je tiens d'ores et déjà à formuler deux observations.
Monsieur le sénateur, permettez-moi de préciser que la France reçoit
annuellement 35 000 étudiants étrangers, et que ce nombre croît de 1 % chaque
année.
Par ailleurs, monsieur Rocard, j'ai constaté en écoutant les orateurs de
l'opposition qu'il n'y a qu'eux qui parlent du Front national et de M. Le Pen ;
jamais, jamais vous ne m'avez entendu parler de ce parti ou de son chef et vous
ne m'entendrez jamais le faire !
M. Jacques Mahéas.
Forcément, vous leur prenez leurs idées !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je n'ai pas présenté cette loi pour me
rapprocher d'idées extrémistes que j'ai toujours combattues, que je combattrai
toujours et...
MM. Jacques Mahéas et Pierre Mauroy.
Prouvez-le !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
... qui sont étrangères à l'héritage que j'ai
reçu de ma famille, dont je suis fier.
Monsieur Rocard, j'ai rédigé ce projet de loi parce que je considérais
nécessaire pour mon pays de lutter non pas contre l'immigration régulière mais
contre l'immigration irrégulière, car elle empêche l'intégration et
l'assimilation des étrangers en situation régulière.
C'est l'honneur de mon pays d'avoir accueilli, au long de son histoire, des
hommes et des femmes de couleurs, de traditions et de cultures différentes, qui
ont accepté de se soumettre aux lois de la République !
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Rocard.
Monsieur le ministre, bravo ! Mais je vous donne rendez-vous, demain, sur les
amendements !
M. Emmanuel Hamel.
Les socialistes sont le carburant du Front national !
Un sénateur de l'Union centriste.
Ils le savent et ils le font exprès !
M. le président.
La parole est à M. Vallet.
M. André Vallet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation
vécue aujourd'hui à Vitrolles ne peut, certes, être entièrement liée aux
problèmes de l'immigration. Mais aurait-elle autant d'acuité, autant d'âpreté,
autant de dureté si notre pays avait, une bonne foi pour toutes, défini une
politique de l'immigration, si notre pays, comme le recommandait M. le
rapporteur, avait organisé devant l'opinion publique le nécessaire grand débat
?
Vivrions-nous la situation de Vitrolles si nous nous étions fixé, une bonne
fois pour toutes, l'objectif permanent de réduire l'immigration clandestine
?
Vitrolles serait-il au coeur de l'actualité si nous avions éclairci ces
problèmes, si nous avions mis un terme à certaines opacités ?
L'extrême droite serait-elle aussi forte, à Vitrolles et ailleurs, si nous
condamnions beaucoup plus haut et beaucoup plus fort le comportement de
certains immigrés qui méprisent la France au lieu de la respecter, à défaut de
l'aimer ?
(Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE,
ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
J'ai rencontré chez les habitants de Vitrolles des sentiments
d'incompréhension et d'angoisse. Ils ne sont pas plus intolérants que d'autres
; ils sont autant citoyens que d'autres, mais ils ne peuvent accepter que ces
problèmes soient caricaturés, notamment dans les médias ; ils ne peuvent
accepter que ces problèmes soient tus ; ils ne peuvent accepter que les
problèmes humains, générés par les problèmes d'immigration, soient aussi mal
mesurés.
C'est pour cela que j'approuve, monsieur le ministre, un projet juridiquement
indispensable, un projet corrigeant un certain nombre de dysfonctionnements
dans la lutte contre l'immigration clandestine, un projet qui, quoi qu'on en
dise, est empreint d'une grande compréhension.
Cette compréhension, monsieur le ministre, vous avez su en témoigner
récemment, et cela a été évoqué, lors de l'affaire dite des « sans-papiers de
l'église Saint-Bernard ». Vous aviez promis d'examiner chaque situation avec
attention, et c'est ainsi que nombreux furent ceux qui ont été autorisés
finalement à séjourner sur notre sol.
L'article 4 de votre projet de loi s'inscrit en droite ligne dans cette
démarche puisqu'il vise à mettre fin aux situations impossibles que connaissent
ceux qui, bien que ne pouvant faire l'objet d'une mesure d'éloignement,
n'étaient pas autorisés à séjourner sur le territoire français.
Depuis environ six mois, vous vous êtes employé à prouver que les efforts
déployés pour la reconduite à nos frontières des étrangers en situation
irrégulière n'étaient pas vains, puisque le taux d'exécution des mesures
d'éloignement était en progression constante - cela a été rappelé
précédemment.
J'ai étudié avec beaucoup d'attention le rapport de notre rapporteur, M.
Masson, ainsi que le document réalisé par Mme Sauvaigo, au nom de la commission
d'enquête parlementaire de l'Assemblée nationale.
A la lecture de ces rapports, j'ai constaté que, très souvent, des
imperfections juridiques mais également le manque de moyens humains et
matériels dont souffre l'ensemble de la chaîne du traitement de l'immigration
clandestine empêchaient de mener à bien l'exécution des mesures
d'éloignement.
Votre projet de loi n'apporte pas de bouleversements à la législation actuelle
; il permet plutôt de remédier à certains dysfonctionnements apparus après le
vote des lois de 1993.
L'une de ces améliorations, qui constitue en fait une nouveauté, a retenu
particulièrement mon attention : elle concerne l'article 10 du projet de
loi.
Lors de la présentation par M. Barrot, ministre du travail et des affaires
sociales, du projet de loi relatif à la lutte contre le travail illégal, le
Gouvernement avait indiqué que les dispositions liées à l'emploi d'étrangers
sans titre de séjour seraient insérées dans le texte présenté aujourd'hui.
Je me félicite de l'introduction, dans le code de procédure pénale, d'un
article qui donnera enfin aux autorités publiques les moyens de mettre un terme
à des situations proprement inacceptables.
Quelles sont, en effet, les principales raisons qui poussent un étranger à
venir séjourner irrégulièrement en France si ce n'est l'espoir d'une vie
meilleure ? Dès lors, si l'étranger doit endosser la responsabilité d'avoir
pénétré sur notre territoire sans y avoir été autorisé, cette responsabilité
doit être partagée avec celui qui a provoqué cette entrée : je veux parler de
l'employeur.
Comment concevoir, en effet, qu'une personne en infraction par rapport aux
dispositions de l'ordonnance du 2 novembre 1945 puisse être condamnée à une
peine de prison ferme sans que celui qui l'a conduite dans les mailles du filet
de la justice soit inquiété ?
Certes, des peines d'emprisonnement peuvent être prononcées à l'encontre des
employeurs d'étrangers clandestins, mais, jusqu'alors, les services de police
ne disposaient que de peu de moyens pour lutter contre ce type d'infractions.
Désormais, il en ira autrement puisque le nouvel article 78-2-1 du code de
procédure pénale va permettre de remédier à cette carence de moyens.
De même, par défaut de moyens, les services de votre ministère rencontrent
souvent de nombreuses difficultés lors de l'identification des étrangers en
situation irrégulière en vue de leur éloignement.
Pour mettre partiellement fin à cet obstacle, nos collègues de l'Assemblée
nationale ont introduit une disposition visant à ce que les empreintes
digitales puissent « être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement
automatisé ».
J'ai entendu à cette tribune des protestations à ce sujet, au motif que cette
disposition constituerait une atteinte aux libertés individuelles.
Mes chers collègues, je ne parviens pas à compendre ces objections. Que
reproche-t-on à cette mesure ? De vouloir aligner le régime du séjour des
étrangers en France sur celui des ressortissants français ? Depuis des années,
les empreintes digitales de l'ensemble de la population française sont relevées
à chaque nouvelle demande de carte d'identité. Jamais, jusqu'à présent, cette
mesure n'a fait l'objet d'une critique.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Parce qu'elle se révélera souvent utile et efficace, je suis
particulièrement favorable à cette disposition.
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. André Vallet.
Avant de conclure, je souhaiterais vous interroger, monsieur le ministre, sur
les conséquences de l'éventuelle adoption du paragraphe I de l'article 1er du
projet de loi.
Je comprends aisément les raisons qui ont provoqué l'adoption de cette
disposition, mais je ne parviens pas à en mesurer l'efficacité.
Aux termes de cette dernière, l'hébergeant sera tenu de déclarer à la mairie
de son domicile le départ de l'étranger qui résidait chez lui, et ce dans un
délai de huit jours.
Lorsque cette déclaration aura été effectuée, que se passera-t-il ensuite ? Je
ne vois pas comment en effet vos services pourront utiliser cette déclaration
dans la mesure où, à fort juste titre, il n'est pas prévu que l'hébergeant
donne connaissance de la destination de l'hébergé, destination qu'il peut
d'ailleurs parfaitement ignorer.
M. Jacques Mahéas.
Voilà !
M. André Vallet.
J'entraperçois le côté dissuasif de la disposition, mais je ne parviens pas à
prendre la juste mesure de son application.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je vous répondrai.
M. André Vallet.
Quoi qu'il en soit, l'ensemble des dispositions qui font l'objet de notre
discussion de ce jour me semblent satisfaisantes dans la mesure où, enfin, est
posé devant la représentation nationale le problème de l'immigration
clandestine. Elles permettront assurément de mener à bien et d'amplifier la
politique gouvernementale en matière d'immigration irrégulière.
En conséquence, la majorité des membres du groupe du Rassemblement
démocratique et social européen votera ce texte.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendantes et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : « Où est le
bien de la France ? Où sont les exigences de la nation ? Où est le devoir de
l'Etat ? La vérité est claire : tout est politique. »
C'est ainsi que Michel Debré, au moment où il devenait Premier ministre,
définissait la ligne de toute action gouvernementale. En quelques mots, tout
était dit !
En abordant cette grave question de l'immigration, nous sommes au coeur de la
politique. Il nous faut en effet parler de la France, de la nation et des
devoirs de l'Etat.
L'immigration, dans toutes ses facettes, ne saurait être un sujet tabou sauf à
abdiquer notre fonction politique sous la pression d'une espèce de terrorisme
moraliste, d'amalgame ou de procès d'intention comme ceux auxquels, hélas ! M.
Rocard s'est livré voilà quelques minutes.
M. Jacques Mahéas.
Pas de provocation !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Elle était ailleurs la provocation !
M. Bernard Plasait.
L'immigration est un défi majeur pour notre pays. Ce qui a été fait ou n'a pas
été fait depuis trente ans explique bien des situations qui serrent le coeur,
ces banlieues sans droit et sans travail, qui sont des terreaux pour la haine
et pour l'exclusion.
M. Michel Rocard.
Qu'ai-je dit d'autre ?
M. Jacques Mahéas.
Les exclus de Paris !
M. Bernard Plasait.
Et ce qui sera fait ou ne sera pas fait dans les prochains mois ou les
prochaines années conditionnera l'avenir de nos enfants et façonnera la France
sans doute de façon irréversible.
Alors oui, parler de l'immigration, c'est parler de la France.
Une abondante littérature, reçue par courrier, émanant d'autorités morales,
nous explique que votre texte, monsieur le ministre, serait contre le droit des
gens, contre la liberté, contre l'intégration. Il y a, en quelque sorte, d'un
côté, les bons, les bien-pensants, les généreux, les humanistes, et, de l'autre
côté, les mauvais : xénophobes, égoïstes, racistes.
Pourtant, c'est Alain Finkielkraut qui, au milieu de cette grande émotion
suscitée par les sans-papiers de l'église Saint-Bernard, disait : « On ne peut
réduire le problème à un affrontement entre un gouvernement insensible et des
hommes généreux. Car les mêmes qui réclament l'ouverture totale des frontières
plaident par ailleurs pour le maintien, voire l'augmentation des droits
sociaux. Or plus un Etat est social, plus il est protectionniste. » Et Alain
Finkielkraut concluait : « L'Etat-providence a nécessairement des frontières.
»
Eh oui, la France a des frontières. Elle est un pays d'accueil, mais c'est un
Etat de droit. C'est un pays d'accueil qui doit lutter contre l'immigration
illégale pour pouvoir garantir le droit de vivre en France dans la dignité ou
d'acquérir la nationalité française.
Elle est un Etat de droit dont les lois doivent être respectées. L'immigration
illégale ne peut être tolérée et encore moins encouragée par la facilité
accordée à des détournements de procédure.
Il est naturel, monsieur le ministre, et pour tout dire conforme à votre
fonction même, que vous disposiez d'un outil efficace pour lutter contre
l'immigration frauduleuse.
Pour autant, nous n'oublions pas que la France doit beaucoup à
l'immigration.
L'immigration est incontestablement une donnée fondamentale de l'histoire
nationale. Un Français sur quatre a au moins un étranger parmi ses
grands-parents, et il est de nombreux étrangers devenus célèbres sans lesquels
notre pays n'aurait certainement pas la même renommée.
Héritière de l'universalisme des Lumières et du messianisme révolutionnaire,
la France se définissait au xixe siècle comme une terre d'asile. Cette
tradition fit de Paris la capitale de la Pologne anti-tsariste, le refuge des
libéraux espagnols ou des opposants italiens.
Mais, à la fin du Second Empire, l'opinion publique prit conscience de la
transformation qualitative de l'immigration, qui, d'idéologique, devint de plus
en plus économique.
Dès lors, la question des « étrangers » en France se pose en termes non pas
seulement de « voyages » ou de « passages », mais d'installation,
d'implantation, bref d'immigration durable, voire définitive.
Le problème des étrangers change évidemment de dimension et même de nature.
C'est dans un climat de très forte xénophobie populaire que s'ouvrit, en 1882,
le premier débat parlementaire sur l'immigration. Deux textes fondamentaux en
résultèrent : la loi sur la nationalité du 26 juin 1889 et la loi du 8 août
1893 relative au séjour des étrangers en France et à la protection du travail
national.
Cent ans plus tard, les débats sur les droits de séjour des étrangers en
France demeurent aussi vifs et sont, monsieur le ministre, la raison de notre
discussion d'aujourd'hui.
Pourquoi la question de l'immigration est-elle toujours d'actualité ? Les
Français n'auraient-ils rien compris ? Les pouvoirs publics n'auraient-ils rien
fait ?
La réponse est forcément multiple. Le monde a bougé. L'économie s'est
mondialisée. Les repères d'antan n'existent plus. La société française s'est
profondément transformée depuis vingt-cinq ans.
De ces bouleversements témoigne d'ailleurs l'instabilité chronique, soulignée
plusieurs fois, de notre législation sur l'immigration. Nous allons en effet
procéder à la vingt-quatrième modification de l'ordonnance de 1945, et cette
modification intervient moins de quatre ans après l'adoption des lois du 24
août et du 30 décembre 1993, qui ont défini de nouvelles règles en vue d'une
maîtrise effective des flux migratoires.
Le fait est que la crise économique et toutes celles qu'elle a entraînées
semblent avoir renforcé nos compatriotes dans une volonté de conserver leur
identité. Thierry Desjardins a écrit fort justement : « Quand ça va mal, on a
besoin de se retrouver entre soi, en famille, de se rattacher à quelque chose.
Or il nous reste cette curieuse communauté à laquelle on peut encore se
rattacher, dont nous faisons toujours partie jusqu'à preuve du contraire, et
qui s'appelle notre pays. »
Dès lors, la question de l'appartenance nationale, de l'identité française et
de l'immigration ne doit pas être un sujet tabou. Les valeurs de la République
ne sont le monopole de personne. Ces valeurs - la laïcité, la citoyenneté, la
nationalité et l'idée même de la nation -, nous devons les défendre avec force
et fierté.
Ce n'est certes pas la mode - c'est même terriblement « ringard » aux yeux de
beaucoup - mais je crois que l'amour du pays, la volonté de vivre ensemble sont
toujours des valeurs sûres, des valeurs d'avenir.
Oui, si je refuse le nationalisme, je crois à la nation. Et c'est un immigré
dont la France est fière, Romain Gary, qui disait : « Le patriotisme, c'est
l'amour des uns, le nationalisme, c'est la haine des autres. »
Je voudrais que nous sachions réussir notre politique d'immigration pour
perpétuer cette tradition d'intégration qui a fait notre pays.
Puissions-nous être capables, comme le voulait Michelet, de « fonder la patrie
au coeur des enfants », des enfants français ou des enfants qui deviendront un
jour français.
Traiter du grave sujet de l'immigration, c'est évoquer la France, c'est
évoquer la nation, et c'est aussi parler des droits des individus, j'en suis
bien d'accord, mais à condition que l'on n'oublie pas les devoirs de l'Etat :
devoirs envers ceux qui vivent aujourd'hui dans notre pays aussi bien que
devoirs envers les générations futures.
La France peut-elle se passer de flux migratoire ? Peut-être pas. Sans doute
pas. Mais la situation actuelle nécessite, à tout le moins, une pause.
L'atmosphère n'est pas bonne, vous le savez tous. Dans certaines banlieues,
les limites du supportable sont dépassées. L'intégration ne se fait plus.
Les raisons sont multiples. Des années de laxisme n'y sont pas étrangères.
M. Jacques Mahéas.
Et les élus de Paris qui ont chassé les immigrés vers la banlieue ? Les 4000
de La Courneuve, qu'est-ce que c'est ?
M. Bernard Plasait.
Sans céder au catastrophisme, on peut dire qu'il y a urgence à traiter le
problème.
Or il est une idée qui fait aujourd'hui son chemin. Elle voudrait que
l'objectif d'« immigration zéro », officiellement affiché par notre pays depuis
1974, soit caduc. « C'est un leurre, nous dit-on. Tirons-en les conséquences et
fixons plutôt des quotas annuels d'immigration. »
Au-delà des difficultés pratiques que soulèverait une telle mesure - et
notamment sur quelles bases seraient fixés les quotas, selon quels critères, au
prix de quels marchandages ? - on peut s'interroger sur les motifs d'un tel
retournement.
La France est un pays d'accueil qui doit beaucoup à l'immigration, nul ne le
conteste. C'est aussi la raison pour laquelle elle doit être attentive à la
réussite de l'intégration, comme ce fut le cas tout au long de son histoire.
Je suis convaincu que l'objectif d'« immigration zéro » n'est pas un slogan
mais qu'il restera une nécessité tant que la machine à intégrer ne fonctionnera
plus.
Donnons d'abord du travail dans nos banlieues. Lorsque la prospérité et la
paix y seront revenues, le creuset national sera remis en marche et on pourra
songer à l'alimenter de nouveau.
M. Jacques Mahéas.
C'est vous qui êtes au pouvoir ! C'est à vous de faire en sorte que du travail
puisse être donné !
M. Bernard Plasait.
La politique d'immigration doit être proportionnelle à notre capacité
d'absorption.
Aujourd'hui, la priorité est à l'assimilation des immigrés qui sont déjà
régulièrement installés chez nous. « Le principe d'immigration zéro n'a jamais
été appliqué », entend-on dire. Voilà, en effet, une vérité qui mérite d'être
rappelée.
Mais par quelle perversion de la pensée faudrait-il renoncer à un objectif
jugé légitime au motif que les moyens pour l'atteindre sont insuffisants ? Le
bon sens, qui rejoint en l'espèce l'intérêt national, voudrait plutôt que l'on
se donnât les moyens d'atteindre cet objectif, d'autant que c'est au détriment
des Français les plus modestes et aussi des étrangers déjà présents sur notre
sol que cette immigration nouvelle exerce ses effets.
C'est bien elle qui constitue le principal obstacle au processus
d'intégration, ou plutôt à ce qu'on osait jadis appeler l'« assimilation
républicaine ».
Le présent projet de loi vise à remédier aux difficultés observées dans la
pratique. A cette fin, il conforte le cadre législatif actuel, se situant dans
le droit-fil des lois du 24 août et du 30 décembre 1993, dont les principes
demeurent parfaitement valables.
Comme l'a indiqué notre collègue Paul Masson dans son excellent rapport, trois
objectifs principaux sont visés : l'amélioration de la cohérence des titres de
séjour ; une meilleure détection de l'immigration irrégulière et du travail
illégal ; une efficacité accrue des procédures contribuant à l'éloignement.
Je ne peux que souscrire à ces objectifs, même si certaines de ces « diverses
dispositions » mériteraient, à mon sens, d'être renforcées.
En effet, il faut améliorer les conditions de contrôle d'identité, se donner
le moyens de mieux identifier ceux qui organisent leur anonymat, allonger la
durée de rétention des étrangers en situation irrégulière, mais encore et
peut-être surtout diminuer l'attrait de l'immigration clandestine en France.
Ce sont là des solutions techniques particulièrement nécessaires.
Votre texte, monsieur le ministre, est « juridiquement correct ». Je le
voterai, même si j'ai quelques observations et quelques propositions à formuler
au cours de nos débats, avec, bien entendu, le même souci de constitutionnalité
que celui qui vous anime.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : une politique de fermeté légitime, conforme à
ce principe de bon sens récemment formulé par votre prédécesseur, « la France
accueille qui elle veut et non qui le veut », est la meilleure chance
d'intégration - la dernière, peut-être - que nous puissions offrir aux
étrangers déjà présents sur notre sol.
Les Français l'attendent. L'avenir l'exige. C'est le choix du courage. C'est
aussi le choix de la République.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je débuterai
par un aveu, peu glorieux, mais sincère.
J'avais préparé consciencieusement, avec toute l'application dont je suis
capable, le texte de mon intervention. Cependant, au milieu de l'après-midi,
m'apercevant que tout avait été dit, et avec beaucoup de talent, par des
orateurs venant de l'un et l'autre côté de cet hémicycle, je me suis précipité
dans mon bureau pour réécrire en partie ce texte.
J'ai beaucoup apprécié les propos des différents orateurs, particulièrement
ceux du rapporteur, du président de la commission des lois, de M. Christian
Bonnet, de M. Robert Badinter. Quelle que soit la philosophie politique de
l'orateur, et malgré le climat de passion qui a parfois empreint ce débat, un
certain nombre de pas auront été franchis ce soir.
Je ne parlerai ni en historien, ni en philosophe, ni même en juriste - tout au
plus en juriste de banlieue !
(Sourires) -
mais en homme de terrain. J'ai été maire de Roubaix pendant
onze ans. Je salue d'ailleurs mon grand voisin, M. Pierre Mauroy : un
Roubaisien ne dit jamais de mal d'un Lillois, car un Roubaisien n'est pas
raciste !
(Nouveaux sourires.)
De fait, à Roubaix, nous avons vu arriver les Polonais, les Flamands - au
début du siècle, le maire de Roubaix lançait ses appels en deux langues : en
français et en flamand - les Italiens et, plus récemment, les Maghrébins.
Roubaix est une ville où la majorité de la population est constituée
d'immigrés de la première ou de la deuxième génération. Aussi, mes propos
changeront sans doute un peu de ceux qui ont été tenus jusqu'à présent, mais
ils seront empreints d'une grande humilité. J'éviterai les polémiques et
l'emploi de mots qui blessent. D'ailleurs, en matière d'immigration, il faut
être prudent dans le choix des mots. En effet, certains sont politiquement
corrects, d'autres politiquement incorrects, et vice versa, selon le moment où
ils sont prononcés.
Ainsi, voilà quelques années, le mot « charter » était honni, jusqu'au jour où
Mme Cresson l'a prononcé. De même l'expression de « seuil de tolérance » était
taboue, jusqu'au jour où le Président de la République l'a reprise à son
compte. Je précise que je n'aime pas beaucoup le mot « tolérance ». En effet,
tolérer, c'est supporter quelqu'un que l'on n'aime pas beaucoup. Je préfère les
mots « fraternité » et « amitié ».
Je pense également à d'autres expressions, notamment au « droit de vote des
étrangers », dont M. Rocard s'est fait non pas le défenseur, mais l'adversaire.
Voilà une quinzaine d'années, dans les colloques, j'étais quasiment agressé et
traité de ringard quand j'affirmais que, en l'état actuel, il n'était pas
raisonnable d'accorder le droit de vote aux étrangers. Et puis, un jour, M.
Rocard a dit que l'octroi de ce droit de vote était l'aboutissement, et non pas
le préalable d'une politique d'intégration. Il m'a alors rendu un grand service
; je suis heureux de l'en remercier publiquement. Il m'a également appris à me
méfier des mots.
Cela étant dit, je souhaite que, lors de l'examen du présent projet de loi, on
tienne compte des deux orientations que je vous présente sous forme de deux
amendements.
On a déjà beaucoup parlé du premier, et il y a longtemps qu'il me tarabuste.
Un des grands reproches que l'on a faits au Gouvernement au cours des
événements de l'église Saint-Bernard, c'était justement de ne pas permettre à
des personnes que l'on ne pouvait pas expulser de chercher du travail. Cela a
été le leitmotiv de la presse, qui donnait l'impression que c'était là le seul
problème. Le bon sens populaire ne comprenait pas cette attitude.
Nous avons un peu réfléchi à la question. Il est évident que quelqu'un qui se
trouve dans cette situation, c'est-à-dire qui doit rester sur le territoire
français et qui ne peut pas avoir de travail, est condamné à devenir un
délinquant, un trafiquant, ou un travailleur clandestin s'il veut nourrir sa
famille.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé un amendement, qui vise à régler
cette question. J'ai d'ailleurs reçu ou plutôt suivi un appui de poids en la
personne de M. Mazeaud. Ce dernier - vous l'avez entendu vous-même, monsieur le
ministre, à l'Assemblée nationale - après avoir ironisé avec humour sur un «
vide juridique qui était devenu un trop-plein médiatique » - car on ne parlait
plus que de cela - a rappelé que les lois devaient être simples pour être
applicables. Il ajoutait : « J'aurais été naturellement tenté de régler le
problème en prévoyant l'attribution d'un titre de séjour à tous les
non-expulsables. Mais je n'ai pas cédé à cette tentation, dont je persiste à
penser qu'elle aurait peut-être été, en face des situations que nous avons
connues notamment cet été, pleine de bon sens. »
Je suis parfois d'accord avec M. Mazeaud, même si je suis un peu prudent
devant certains de ses propos. En tout cas, je suis certainement un plus grand
pécheur que lui car, moi, je cède ouvertement à la tentation à laquelle il a su
résister.
(Sourires.)
Je précise que cet amendement concerne un nombre restreint de personnes, mais
il a un valeur hautement symbolique, car il vous lave, monsieur le ministre, de
l'accusation d'incohérence s'agissant du présent projet de loi.
Certains diront que c'est donner une prime à la ténacité dans l'illégalité. Je
crois que l'on peut être à la fois réaliste et humain. En effet, il est évident
que celui qui justifie avoir résidé dans notre pays, en étant tantôt en
situation légale, tantôt en situation illégale, mais qui n'a pas enfreint les
lois de la République peut voir son cas pris en considération. Souvent, pendant
quinze ans, il a tissé des liens familiaux et sociaux.
Certains - et j'en connais - vivent dans des cités sans que personne dans leur
voisinage soupçonne leur situation. D'autres, au contraire, vivent pendant des
années un peu comme des personnes traquées. De tels cas de détresse peuvent
être pris en considération dès lors, bien sûr, que les personnes concernées ont
une vie convenable.
A ceux qui considèrent que c'est un manque de rigueur, je rappellerai l'axiome
que j'apprenais quand je faisais mes humanités :
summum jus, summa
injuria.
Sur la tombe de mon père, ses amis ont inscrit :
Plenitudo
juris dilectio ;
c'est une citation de Saint-Paul. « La plénitude de la
justice, c'est l'amour ». Quelquefois, il faut savoir aller plus loin quand on
veut faire régner la justice.
En tout cas, avec l'article que vous proposez, monsieur le ministre, vous avez
fait 95 % du chemin. Je veux vous aider - vous voyez que je suis bon - à faire
les 5 % qui restent, pour que la question soit réglée.
Le second amendement - on en a également parlé - est très simple. Il concerne
le problème des empreintes digitales.
Certains sont stupéfaits que je ne sois pas indigné par la prise des
empreintes digitales. J'ai interrogé de nombreuses personnes. Pour ma part, je
ne suis absolument pas gêné d'apposer mes empreintes digitales. Ce qui m'ennuie
un peu, c'est simplement parce que je dois me laver les mains après.
(Sourires.)
Il n'y a rien de choquant à prendre une mesure qui
s'applique déjà, comme cela a été rappelé tout à l'heure, à ceux qui demandent
une nouvelle carte d'identité.
L'amendement que je propose vise simplement à établir une distinction entre
les étrangers à l'Union européenne et les membres de l'Union européenne. Cela
poserait en effet trop de problèmes. Cette question pourra être réglée plus
tard, quand des pas en avant seront faits, car il faudra bien, c'est évident,
élaborer une législation européenne commune pour résoudre les problèmes
d'immigration.
M. Jean-Louis Debré
ministre de l'intérieur.
Je suis d'accord avec votre amendement !
M. André Diligent.
Eh bien ! nous aurons fait un pas de plus ensemble !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Vous le constatez, je fais 95 % du chemin vers
vous pour être aussi bon que vous-même !
(Sourires.)
M. André Diligent.
Vous finirez par me nommer secrétaire d'Etat !
(Nouveaux sourires.)
Il y a certes la loi, mais aussi l'état d'esprit avec lequel elle est
appliquée. On a dit à juste titre - pour ma part, je ne changerai pas d'avis -
qu'un immigré - il ne faut jamais l'oublier - c'est d'abord un homme qui a eu
le courage de quitter sa terre lointaine pour nourrir sa famille, qui a le
courage de ne pas rester oisif, dans un Etat second, et qui descend souvent
d'une lignée d'anciens immigrés temporaires. N'oubliez pas ces immigrés
héroïques de 1914-1918 ou de 1939-1945, qui souvent étaient ses parents ou ses
grands-parents.
De nos jours, l'immigré fragilisé se rend vite compte, quand il vit dans le
ghetto d'une banlieue, si on jette sur lui un regard de sympathie et d'amitié
ou, au contraire, un regard de rejet.
C'est pourquoi une politique d'intégration doit faire appel à notre raison et
à notre coeur. C'est ce qu'a très bien défini mon collègue et ami député et
conseiller d'Etat M. Cazin d'Honinctun, quand il a rappelé les deux principes
fondamentaux d'une future loi : principe de fermeté et principe d'humanité.
Principe de fermeté : il ne faut pas oublier que c'est le droit et le devoir
de toute nation de définir les conditions d'entrée et de séjour sur son
territoire. Il est parfaitement légitime que, en raison des circonstances et de
la situation économique, nous devions réguler les flux migratoires. D'ailleurs,
plus nous maîtrisons ces flux, mieux nous contrôlons les accès sur notre
territoire. Plus nous serons en mesure d'être libéraux envers les étrangers qui
y sont installés régulièrement, plus nous pourrons donner toutes ses chances au
creuset de l'intégration.
N'oubliez pas non plus que les lois sont faites pour être respectées. Tout à
l'heure, certains ont évoqué l'intégration. M. Badinter s'est exprimé sur ce
point avec beaucoup d'éloquence. Il a cité Clovis et d'autres personnages.
J'aurais d'ailleurs pu citer Marie Curie, qui était une immigrée. On oublie
aussi que presque tous les rois de France étaient fils de femmes
immigrées...
M. Pierre Fauchon.
Et quelquefois de père indéterminé !
(Sourires.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur. Pater is est quem nuptiae demonstrant !
M. Pierre Fauchon.
Ce n'est pas pour rien que l'on a inventé la présomption !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Elle en a rassuré beaucoup !
M. Pierre Fauchon.
Et cela continue !
M. le président.
Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Diligent !
M. André Diligent.
Nous sommes dans une chambre, certes, mais convenable !
(Rires.)
M. Louis Moinard.
Ce n'est pas une antichambre !
M. André Diligent.
Or, ces rois ont, selon un principe bien connu, fait la France.
J'en viens au dernier point de mon intervention, à savoir la finalité de
l'immigration.
La finalité de l'immigration, c'est l'intégration, et la finalité de
l'intégration, c'est la nationalité et, souvent, la naturalisation. N'oublions
pas - et j'ai cité tout à l'heure Marie Curie - que de nombreux prix Nobel
français étaient d'origine étrangère - M. Badinter en a parlé.
Je vois encore cette extraordinaire photographie de l'équipe de France de
relais quatre fois cent mètres qui, voilà une dizaine d'années, fut championne
du monde. C'était quatre noirs. M. Le Pen avait raison sans le savoir en
parlant de la supériorité de certaines races, en tout cas en course à pied.
M. Mauroy se fait le champion des jeux Olympiques de 2004. Pour une fois je
fais un peu de réclame pour vous, mon cher collègue !
(Sourires.)
Vous
serez bien heureux de compter sur l'apport de nos anciennes colonies et de nos
amis de couleur noire, qui sont souvent là pour aider les visages pâles que
nous sommes à remporter des victoires dans les stades.
(Nouveaux
sourires.)
J'ai sur mon bureau des dossiers nombreux, et même trop nombreux. A l'heure
actuelle, nous devons effectuer un très grand nombre de démarches, souvent pour
des gens désespérés qui sont dignes de notre compassion. S'agissant des
naturalisations, j'ai l'impression que le ministère de l'intérieur a intérêt à
accélérer le traitement de certains dossiers et à améliorer les procédures.
J'ai une lettre extraordinaire de ce ministère et qui concerne un dossier que
j'ai déposé voilà quelques années. Il a été répondu au postulant que, en raison
du caractère insuffisant de son insertion, la demande de naturalisation est
rejetée pour un certain temps. Or, voilà quelques années, celui-ci a été nommé
pour trois ans membre de la commission pédagogique nationale des instituts
universitaires. Et il ne serait pas encore assez inséré dans la nation !
Certains fonctionnaires - il ne s'agit pas de la majorité d'entre eux - font
preuve de mauvaise humeur. De même, certains policiers sont racistes et
d'autres sont épatants. On a tort de tout simplifier et de faire une
banalisation qui relève d'un esprit raciste. Oui, j'ai vu dans des
commissariats des gens mal accueillis en raison de leur faciès.
M. Jacques Mahéas.
Cela existe !
M. André Diligent.
Je vois également des policiers héroïques, qui prennent des risques énormes et
qui savent rester humains jusqu'au bout.
M. Jacques Mahéas.
Cela existe aussi !
M. André Diligent.
C'est la raison pour laquelle je refuse les généralisations hâtives comme
celles que j'ai entendues.
M. Jacques Mahéas.
Tout à fait !
M. André Diligent.
Avant de conclure, je souhaiterais vous signaler, sans les approfondir,
quelques obstacles à la réussite d'une politique d'humanisation. Je pense à la
discrimination par l'emploi. C'est insupportable pour un jeune, et nous avons
une majorité de jeunes chômeurs à Roubaix. Lorsqu'un jeune répond à une annonce
et est convoqué, lors de l'entretien on voit tout de suite qu'il s'appelle
Ahmed et sa candidature est alors refusée.
Je me souviens d'une discussion que j'ai eue avec un jeune. « J'ai répondu à
plus de cinquante annonces », m'a-t-il dit. Il avait compris que le simple fait
d'énoncer son nom entraînait un refus courtois. Aussi, il m'a dit : « Monsieur
le maire, à force d'être rejeté d'entreprise en entreprise, j'ai fini par
choisir l'entreprise délinquance ».
Quand on entend des jeunes de vingt à vingt-cinq ans qui n'ont aucun espoir,
pas même celui de fonder un foyer, qui n'ont aucun horizon, alors on comprend.
Je suis parfois en admiration devant tous ceux qui ne craquent pas, et c'est le
cas de la majorité de mes jeunes.
C'est la raison pour laquelle il faut tout de même comprendre les situations
invraisemblables qui existent et faire le maximum pour sauver cette jeunesse
qui se trouve enfermée dans des ghettos. A cet égard, je vous félicite,
monsieur le ministre, d'avoir soutenu le premier projet de zone franche, car
c'est déjà un premier pas dans l'intégration.
Monsieur le ministre, il faut plus que jamais nous « serrer les coudes ». J'ai
assisté pendant des années aux séances du Haut Conseil de l'intégration. Nous
avions parmi nous un ancien ministre communiste, un député RPR, des militants
socialistes et des dirigeants d'associations. Nous sommes tombés d'accord. Bien
entendu, il a fallu discuter et faire des compromis, mais nous sommes toujours
parvenus à des textes communs. Ces textes, vous les connaissez, ils ont été
publiés. Je voudrais qu'ils ne finissent pas dans un tiroir et qu'ils servent à
organiser un véritable débat pour faire avancer ces problèmes sur lesquels un
éclairage nouveau doit parfois être porté.
Oui ! l'intégration est une question de loi, mais c'est aussi une affaire de
coeur et une question d'état d'esprit.
J'ai dix-huit communautés étrangères à Roubaix. Elles se réunissent tous les
mois ; elles font, chaque année, une fête de l'amitié et je souhaiterais que
des ministres viennent y participer. Le plus beau cadeau qu'elles m'ont fait
quand je suis parti de la mairie, pour me remercier, - et chaque président a
signé, c'est une mosaïque - représentant les vieux jeux roubaisiens pour
montrer leur volonté de rejoindre les racines roubaisiennes et les paysages de
leurs pays, afin de montrer cette union intime.
Pour ma part, je ne discute pas du problème multiculturel ou monoculturel.
J'ai horreur du dirigisme dans le domaine de la culture. Je laisse faire les
gens, et je constate que s'opère tout naturellement une aspiration continue et
progressive, de génération en génération, vers une impragnation de la culture
française.
C'est la raison pour laquelle, comme le disait le porte-parole des
associations des communautés étrangères, lors d'une des dernières réunions de
la fête de l'amitié « l'intégration commence le jour où l'on décide de
s'installer dans un pays, et elle est terminée le jour où l'on commence à aimer
le pays où l'on vit ». Tout commentaire est superflu.
(Applaudissements sur
toutes les travées.)
M. le président.
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès le début
des années quatre-vingt, les socialistes et les communistes ont imposé le
silence sur le problème de l'immigration.
M. Jacques Mahéas.
Cela commence fort !
M. Christian Demuynck.
Nous payons aujourd'hui le laxisme dont ils ont fait preuve lorsqu'ils ont
régularisé, dès leur arrivée au pouvoir, plus de 131 000 étrangers en situation
irrégulière, sans d'ailleurs se préoccuper de leur avenir, de leur éducation,
de leur intégration, et en oubliant complètement les leçons d'humanisme qu'ils
viennent de nous donner, ce qui est à l'origine des problèmes que nous
rencontrons dans nos banlieues.
M. Jacques Mahéas.
Absolument pas !
M. Christian Demuynck.
D'ailleurs, Jacques Mahéas en sait quelque chose !
Cela a constitué une incitation à l'afflux de plusieurs dizaines de milliers
d'immigrants irréguliers supplémentaires.
Parler de l'immigration clandestine était devenu peu à peu un sujet tabou,
alors que la situation dans notre pays devenait très inquiétante.
En 1993, la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions
d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France a marqué une réelle
rupture avec l'attentisme et la négligence des gouvernements de gauche.
Il est aujourd'hui difficile de dénombrer exactement les clandestins. On ne
peut pas trop se tromper en disant qu'il y en aurait entre 400 000 et 600 000.
Mais à combien peut se chiffrer cette clandestinité ? Au niveau économique,
avec l'appel au travail irrégulier, en matière de logement, avec la pratique
usuelle des squats, au niveau social, puisque les clandestins, par définition,
fraudent pour tenter d'obtenir des aides auprès de nos institutions ?
(Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Ce sont tous des voleurs, des menteurs !
M. Christian Demuynck.
Ils profitent également d'un certain nombre de prestations gratuites : on le
sait bien, dans les hôpitaux français, on soigne gratis !
M. Jacques Mahéas.
Bien sûr ! Il ne faut pas les soigner !
M. Christian Demuynck.
Mais mon cher collègue, les contribuables sont là pour payer !
(Nouvelles
protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Et la générosité ? Laissons-les mourir !
M. Christian Demuynck.
Enfin, les chiffres de la délinquance et surtout ceux des infractions à la
législation sur les stupéfiants montrent la proportion importante de
clandestins impliqués.
Ce projet de loi a pour objectif de mieux lutter contre l'immigration
clandestine et de faciliter l'expulsion des étrangers en situation irrégulière,
grâce notamment au relevé des empreintes digitales des étrangers désireux de
séjourner en France, à l'appel suspensif du parquet en cas de jugement mettant
fin à la rétention d'un étranger en instance d'éloignement,...
M. Jacques Mahéas.
Il faut leur mettre un bracelet électronique, pendant que vous y êtes !
M. Christian Demuynck.
... au non-renouvellement de la carte de résident de dix ans jusque-là acquise
de plein droit, en cas de menace à l'ordre public, ou encore au retrait de la
carte de séjour ou de la carte de résident à un employeur étranger ayant
recours à des clandestins.
Mais, sur d'autres points, ce projet de loi devrait aller plus loin.
(Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Michelle Demessine.
Encore plus loin !
M. Claude Billard.
C'est « Monsieur Plus » !
M. Christian Demuynck.
Mesdames, messieurs les communistes, me souvenant des bulldozers qui ont été
envoyés par certains maires communistes contre les foyers d'immigrés, je trouve
votre position actuelle un peu curieuse...
M. Claude Billard.
Parlons-en !
Mme Michelle Demessine.
N'importe quoi ! Des lieux communs !
M. le président.
Monsieur le sénateur, ne vous laissez pas interrompre !
M. Christian Demuynck.
L'article 8 recule de vingt-quatre heures la saisine du juge judiciaire chargé
d'autoriser la prolongation de la rétention administrative. Cette durée, même
si elle est prolongée, reste dérisoire. Dans une situation similaire, certains
pays européens autorisent des délais de deux, quatre, voire six mois comme en
Allemagne.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Bravo ! Bel exemple !
M. Christian Demuynck.
Pourquoi ne pourrait-on pas prolonger davantage les délais ? Est-ce seulement
par crainte d'une censure du Conseil constitutionnel ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En Allemagne, ils ont déjà fait mieux !
M. le président.
Laissez parler l'orateur, mon cher collègue.
M. Christian Demuynck.
L'article 3 prévoit sur la « bande de Schengen » la visite des véhicules pour
rechercher et constater les infractions relatives à l'entrée et au séjour de
clandestins. Mais il exclut les voitures particulières, car le Conseil
constitutionnel les assimile à des lieux privés. L'article 3 perd donc tout son
intérêt, car les clandestins, à défaut de camion, passeront en voiture.
M. Jacques Mahéas.
Fouillez les mobylettes !
M. Christian Demuynck.
Je ne vous ai jamais vu en mobylette, mon cher collègue !
Un sénateur socialiste.
Et les vélos, aussi !
M. Christian Demuynck.
On se souvient que, si la loi du 24 août 1993 n'a pas eu l'efficacité
souhaitée, c'est qu'elle a été neutralisée en partie par les décisions du
Conseil constitutionnel. Ainsi, ce dernier a considéré que tout arrêté de
reconduite à la frontière entraînant automatiquement une sanction
d'interdiction du territoire pour une durée d'un an était contraire à la
Constitution.
Il a également rejeté les dispositions qui avaient pour but d'éviter que les
étudiants étrangers séjournant en France ne bénéficient du regroupement
familial. Le statut d'étudiant permet l'obtention d'un titre de séjour. Si la
France fait tant d'efforts en accueillant les étrangers dans ses facultés et en
leur attribuant des bourses, c'est pour qu'ils puissent apporter à leur pays
d'origine leurs compétences et leurs connaissances professionnelles, et non
pour que le statut d'étudiant permette d'obtenir le regroupement de familles
dont l'intention est de s'installer en France.
Le Conseil constitutionnel a également censuré un autre article du projet de
loi de 1993 laissant la possibilité au maire de saisir le ministère public au
cas où des indices sérieux auraient laissé présumer qu'un mariage n'était
envisagé que dans un but autre que l'union matrimoniale.
Il a considéré que ces dispositions méconnaissaient le principe de la liberté
du mariage. L'intention du législateur était claire : lutter contre une
pratique répandue des mariages de complaisance entre Français et étrangers.
Nous voyons bien, mes chers collègues, que le Conseil constitutionnel vide la
portée des textes votés par le Parlement.
Cette institution était, à l'origine, chargée de contrôler les lois par
rapport à la norme suprême : la Constitution de 1958.
Puis elle s'est progressivement référée à des notions nouvelles et plus
vastes. Depuis plus de vingt ans, le Conseil constitutionnel s'est en effet
créé un véritable bloc de constitutionnalité dont les limites ne sont pas
clairement définies. Susceptibles d'aucun recours, ses décisions, qui
s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et
juridictionnelles, sont l'expression non pas du peuple, mais de neuf membres
nommés qui n'ont de compte à rendre à personne et qui, quoi qu'on en dise, ne
sont pas neutres politiquement.
La majorité des lois passent désormais à la « moulinette » du Conseil
constitutionnel et ressortent amputées de leurs dispositions essentielles. La
liberté d'action du Parlement devient de plus en plus réduite. Les
gouvernements voient remettre en cause le programme politique pour lequel ils
sont au pouvoir. Nous voyons bien, aujourd'hui, que cette situation ne
correspond plus aux intentions des constituants de 1958, qui n'ont pas souhaité
un contrôle de nature à porter atteinte à la souveraineté nationale.
Il ne s'agit pas de contester la nécessité d'un arbitre neutre capable, quand
les circonstances l'exigent, d'assurer la prééminence de la Constitution.
Il ne s'agit pas non plus de jeter l'opprobre sur les membres du Conseil
constitutionnel nommés pour leur compétence. Mais cette institution doit cesser
de devenir un troisième pouvoir, car il n'a aucune légitimité populaire.
Mon intervention dépasse un peu le cadre de ce débat. Mais si nous n'y prenons
pas garde, c'est tout le fondement démocratique de notre société qui sera remis
en cause. En outre, les lois dont nous débattons et que nous votons auront
moins de poids dans la balance que la décision de neuf membres qui sont
inattaquables.
Le projet de loi tend également à lutter contre le détournement d'une pratique
qui favorise l'installation illégale dans notre pays : je veux parler des
certificats d'hébergement. Il est en effet tentant de prétexter une visite
privée pour obtenir un visa de court séjour grâce à la délivrance d'un
certificat visé par le maire. Trop de maires constatent, impuissants, l'entrée
d'étrangers illégaux dans leur propre ville. Il est devenu indispensable de
renforcer leur pouvoir et de responsabiliser les hébergeants.
L'article 1er prévoit quatre cas dans lesquels ils pourront refuser de viser
ce document. Certains parlementaires se sont élevés contre ces dispositions.
Mais qui d'autre qu'un maire, directement en contact avec ses administrés et
les réalités du terrain, est le mieux placé pour constater les détournements de
procédure et les fraudes ?
Dans l'exercice de leur mandat, les maires détiennent de nombreuses
prérogatives, notamment en matière sociale et d'urbanisme, pour contrôler les
situations qui leur sont soumises. Pourquoi ne pourraient-ils pas vérifier
qu'ils ne signent pas un document susceptible de s'adresser à un clandestin
?
Au moment où notre pays a besoin de tant de courage, de volonté et de
détermination, je ne peux pas croire que les maires de France refuseront de
s'engager dans la lutte contre l'immigration clandestine.
L'article 1er prévoit également que l'hébergeant déclare en mairie le départ
de l'étranger de son domicile. Cette obligation a certes pour avantage de lui
faire prendre conscience de ses responsabilités. Mais cette déclaration n'est
pas une garantie du retour au pays. Il est toujours plus facile d'empêcher
l'arrivée d'étrangers, dont l'intention est de résider clandestinement, que de
les reconduire à la frontière.
Il aurait été souhaitable de limiter plus strictement la délivrance des
certificats d'hébergement en précisant les conditions attachées à la qualité de
l'hébergeant et du bénéficiaire, et les garanties que ce dernier doit
présenter. Pourquoi ne pas obliger systématiquement l'hébergé à produire la
preuve de son titre de transport pour le retour ?
L'immigration clandestine est l'une des grandes questions qu'il faut traiter
avec courage et pugnacité. C'est vrai, monsieur le ministre, le projet de loi
que vous nous soumettez comble les lacunes évidentes de notre législation. Je
souhaite qu'il puisse être appliqué rapidement sans qu'aucune barrière ni
lenteur d'aucune sorte ne puisse affaiblir son efficacité.
Mais légiférer n'est pas suffisant. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous
préciser quels seront les moyens budgétaires nécessaires à la mise en oeuvre de
ce projet de loi ?
Nous savons que, depuis votre arrivée place Beauvau, vous n'avez pas lésiné
pour cibler vos efforts dans la lutte contre la clandestinité. Depuis le 1er
mai 1995, plus de 20 000 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits
à la frontière. Le taux de reconduite est ainsi passé, en un an, de près de 23
% à plus de 28 %.
M. Jacques Mahéas.
Quelle gloire !
M. Christian Demuynck.
Monsieur le ministre, je voudrais rendre hommage à l'action que vous menez, à
la détermination que vous manifestez et aux résultats que vous obtenez.
C'est grâce à la volonté affichée de poursuivre dans cette voie que nous
parviendrons à faire respecter les lois et à juguler, dans l'intérêt de tous
nos concitoyens, l'immigration clandestine.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la
vingt-quatrième fois que le Parlement est appelé à examiner un projet de loi
destiné à rectifier l'ordonnance de 1945 concernant l'immigration.
Voilà à peine plus de trois ans, nous avions passé beaucoup de temps à
discuter des lois votées en août, en novembre et en décembre 1993, qui ont
défini de nouvelles règles en vue d'une maîtrise effective des flux migratoires
et de l'application du droit d'asile.
Une fois encore, il nous faut « sur le métier remettre notre ouvrage », ce qui
- nous en convenons tous, mes chers collègues - était tout à fait
nécessaire.
Je tiens donc tout d'abord à remercier M. le ministre d'avoir pris
l'initiative de cette révision indispensable. Le Gouvernement ne manque pas de
courage en reprenant un sujet difficile et dangereux, celui de l'immigration,
notamment clandestine.
Mes remerciements iront également à nos collègues Serge Mathieu, Bernard
Plasait et Christian Demuynck, qui viennent de s'exprimer : ils ont en effet
déposé des propositions de loi qui élargissent le présent débat et nous
permettent de mieux réfléchir à toutes les questions soulevées.
Le fond de cette discussion est naturellement le projet de loi, tel qu'il nous
revient des travaux de l'Assemblée nationale, et dont le président et le
rapporteur de la commission des lois, avec leur compétence habituelle, ont fait
une excellente présentation.
A cette heure tardive, mes chers collègues, le vingt-quatrième orateur de
cette longue journée n'examinera aucun des articles, puisque nous en aborderons
la discussion demain.
Il remarquera simplement que l'Assemblée nationale avait durci ce texte, mais
que d'autres propositions tendent à l'adoucir.
Les sénateurs non inscrits soutiendront le plus souvent, demain, la position
de la commission, sauf dans quelques cas sur lesquels j'aurai à m'exprimer plus
tard.
D'ores et déjà, je veux souligner qu'une attitude trop bienveillante, trop
laxiste ne me paraît pas être la meilleure solution. Le fait d'entrer en France
illégalement, de s'y trouver en situation irrégulière, ne devrait en aucun cas
donner le droit quasi automatique à une carte de séjour.
Un tel droit, exorbitant, n'existe dans aucun autre pays du monde. Moi qui vis
souvent à l'étranger, j'ai pu constater l'étonnement qu'y a suscité une
histoire aussi invraisemblable que celle des clandestins de l'église
Saint-Bernard, devenus « sans papiers » comme on dit « sans famille », « sans
père » ou « sans mère ». Cela les a rendus sympathiques, mais ce n'était qu'une
façon de masquer par des mots le fait qu'ils étaient dans une situation
irrégulière qu'il convenait d'abord de régler.
Cet exemple illustre, finalement, la bienveillance du Gouvernement et son
désir de bien faire, sa volonté de montrer, comme toujours et selon la
tradition, que la France est le pays des droits de l'homme et la terre
d'accueil la plus généreuse du monde.
Tout cela a pu avoir, vu de l'extérieur, des conséquences plutôt néfastes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pour les intéressés !
M. Jacques Habert.
On a eu l'impression, dans certains milieux misérables, qu'il était facile de
venir en France, fût-ce de la façon la plus irrégulière. Mais nous ne pouvons
nous permettre d'ouvrir nos portes très largement à tout le monde, ce n'est pas
possible !
Nous accueillons déjà légalement 100 000 étrangers chaque année, qui, certes,
sont utiles à notre économie et à notre démographie, mais accueillir un nombre
plus élevé d'immigrants reviendrait à renverser un équilibre qui doit être
respecté. M. Othily ne nous disait-il pas cet après-midi que la moitié de la
population de Guyane est composée de clandestins ? Et cette situation risque de
se retrouver dans certaines régions, villes et quartiers de métropole, ce qui
serait tout à fait insupportable.
Nous sommes tous d'accord pour lutter afin qu'il n'en soit pas ainsi. Aussi
est-il nécessaire qu'à l'étranger tous les candidats à l'immigration en France
sachent que des règles existent, que les lois doivent être repectées, de la
même manière que nous, Français, les respectons lorsque nous allons vivre dans
d'autres pays, comme cela a été mon cas.
M. Rocard a dit que, puisque nous allons à l'étranger, les étrangers viennent
chez nous. Fort bien ! Mais nous, Français, respectons les lois, nous demandons
les visas nécessaires et ne cherchons pas à aller à l'étranger de façon
clandestine. Ce serait d'ailleurs tout à fait impossible !
Nous sommes les seuls, avec quelques autres pays d'Europe, à offrir cette
extraordinaire facilité. Par conséquent, il est nécessaire d'établir des
règles, et il faut que tout le monde sache que les lois doivent être
respectées. Cette logique me semble assez simple !
Je regrette en tout cas l'extraordinaire agitation que l'on a suscitée en
France, et jusqu'aux alentours du Palais du Luxembourg cet après-midi, à
l'occasion de ce débat. Je ne pense pas que les valeurs de la République soient
menacées par le projet du Gouvernement ! Je ne pense pas que les droits de
l'homme risquent d'être bafoués ! Pourquoi toutes ces exagérations ? Vraiment,
ce n'est pas raisonnable !
La tolérance, la compréhension semblent manquer dans cette affaire, et
j'ajouterai sans doute aussi l'amour de la France, que nous devrions tous
ensemble, dans les écoles, enseigner à ceux qui ont choisi de vivre parmi nous
et avec nous.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques remarques que je voulais
formuler dans cette discussion générale.
Vous avez bien fait, monsieur le ministre, de soulever cette grave question,
car il est des problèmes qui doivent être résolus. Eh bien ! dans la recherche
de leur solution, vous pourrez compter sur le soutien du groupe des
non-inscrits.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, et
de l'Union centriste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas un groupe, c'est une formation !
M. Emmanuel Hamel.
Une équipe !
M. Jacques Habert.
C'est un groupe d'amis !
M. le président.
La parole est à M. Gruillot.
M. Georges Gruillot.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, a le mérite de poser clairement le
problème de l'immigration clandestine, alors que cette question suscite un
débat passionné, plus idéologique que réaliste ou plus démagogique que
pragmatique.
Il revient donc à la représentation nationale de donner à ce texte, et à
l'ambition qu'il décline, sa mesure exacte.
La maîtrise de l'immigration clandestine est une nécessité à laquelle nous ne
pouvons échapper. Limiter les flux migratoires à ce que la France est en mesure
de recevoir me paraît être une mesure relevant du simple bon sens, ne serait-ce
que compte tenu des difficultés économiques que peut connaître notre pays.
En affirmant ce principe, je n'ai pas le sentiment de remettre en cause la
vocation universelle de la France ; au contraire, puisqu'en luttant contre la
clandestinité nous protégeons par là même les étrangers en situation régulière,
auxquels nous nous devons de garantir la protection de nos lois.
Pour atteindre cet objectif, il convient d'appliquer des règles de dissuasion
en rendant plus difficile l'accès illégal à notre territoire et en améliorant
les procédures d'expulsion.
Votre texte apporte ainsi des réponses adaptées à cet objectif et vient
compléter avec justesse les lois de 1993 auxquelles, à cette même tribune,
j'avais déjà pu notifier mon adhésion.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous avez vu le résultat ?
M. Georges Gruillot.
Tout à fait, et j'en suis très satisfait !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Alors, c'est bien !
M. Georges Gruillot.
Avec votre texte, nous franchissons une nouvelle étape dans l'élaboration de
notre législation. D'autres suivront sans doute. En effet, si l'ordonnance de
1945 doit être si fréquemment modifiée, ce n'est pas au gré d'une
valse-hésitation, mais bel et bien parce qu'il s'agit de l'adapter en fonction
de l'évolution constante des formes que revêt l'immigration clandestine et de
l'imagination de ceux qui organisent les filières.
Pour certaines âmes sensibles, je rappellerai que cette ordonnance a fait
l'objet de modifications en 1981, 1989, 1990 et 1991 ! L'efficacité ne se
mesure d'ailleurs pas au nombre des réformes, car force est de reconnaître que
les résultats ne furent pas toujours à la hauteur des ambitions affichées.
Par ailleurs, ce problème n'est pas spécifiquement français. Tous nos voisins
européens se voient eux aussi dans l'obligation d'actualiser leur
législation.
Dans le cas présent, j'ai la prétention de penser que nous agissons à la fois
avec fermeté pour décourager les candidats à la clandestinité et avec humanité
et compréhension à l'égard des immigrants, qui sont le plus souvent victimes
d'une exploitation mafieuse de la misère qui sévit dans leur pays d'origine.
Pour atteindre cet objectif d'« immigration clandestine zéro », il nous faut,
certes, mettre en oeuvre des mesures dissuasives, voire défensives, mais aussi
envisager des actions prospectives.
Il convient, je crois, de renforcer notre politique d'aide aux pays en voie de
développement et de favoriser le retour des étudiants étrangers, afin qu'ils
fassent profiter leur pays des connaissances et compétences qu'ils ont acquises
chez nous.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Georges Gruillot.
C'est en les aidant à disposer dans leur propre pays de moyens décents
d'existence que nous parviendrons aussi à limiter la pression de
l'immigration.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Chiche !
M. Georges Gruillot.
Autre action prospective qui doit accompagner les efforts que vous engagez, la
mise en oeuvre d'une politique d'assimilation, qu'il ne faut pas confondre avec
l'intégration, parce que cette notion suppose une juxtaposition de communautés
qui va à l'encontre de l'unité nationale.
C'est au nom de l'unité de la nation que nous serons en mesure de mieux
protéger l'immigré en situation légale et de lui accorder, s'il le souhaite, la
citoyenneté et, partant, la qualité d'électeur.
C'est aussi en vertu de ce principe, trop souvent ignoré, que nous lutterons
efficacement contre la xénophobie, un phénomène qui nourrit dans notre pays un
climat malsain, mêlé d'hypocrisie et de démagogie.
Votre texte, monsieur le ministre, a le mérite d'être fidèle à la tradition
d'accueil, d'asile et d'assimilation qui fait l'honneur de notre pays.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Eh ben dis donc !
M. Georges Gruillot.
Il y ajoute une notion d'autorité et de respect qui conforte les droits de
l'homme, mais en même temps les devoirs du citoyen.
Ces dispositions complètent utilement la politique engagée par M. Charles
Pasqua. Fidèles au principe de respect de la personne humaine, de sa dignité et
de ses droits, elles expriment un courage et une conviction que je salue.
Pour ces raisons, monsieur le ministre, j'apporte à votre projet mon total
soutien.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Haute
Assemblée examine aujourd'hui un projet de loi portant diverses dispositions
relatives à l'immigration.
Tel est l'intitulé de ce projet. Je dis bien « diverses dispositions relatives
à l'immigration » et non, comme certains s'efforcent d'en accréditer l'idée «
diverses dispositions relatives à la lutte contre l'immigration ».
M. Michel Rufin.
Oui, cela était très net !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Ah !
M. Alain Gournac.
C'est étonnant comme, dans notre pays, certains mots ou certaines expressions
sont immédiatement dévoyés.
MM. Christian Demuynck et Michel Rufin.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Souvent, et cela est dû pour une part à notre histoire douloureuse et à ses
jours les plus noirs, les connotations sédimentées par les événements empêchent
d'entendre le sens de ces mots.
M. Gérard Larcher.
C'est vrai !
M. Michel Rufin.
Bravo !
M. Alain Gournac.
A cela s'ajoutent la mauvaise foi et la surdité de ceux qui poursuivent
d'autres buts que la vérité et la résolution responsable des problèmes.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Eh ! Oh ! Doucement !
M. Christian Demuynck.
Très bien !
M. Alain Gournac.
« Diverses dispositions relatives à l'immigration », c'est-à-dire des
dispositions permettant d'un même mouvement de défendre l'immigration régulière
et de combattre l'immigration irrégulière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est nouveau, cela !
M. Michel Rufin.
C'est clair !
M. Alain Gournac.
Autrement dit, il s'agit d'un texte qui, comme le projet de loi sur le travail
illégal, que nous avons examiné il y a trois semaines,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On n'en sort pas !
M. Alain Gournac.
... a pour objet de combattre une illégalité inacceptable pour notre
République et qui lui est dangereusement néfaste.
Le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, est un texte adapté à
notre pays et à notre époque, dans le droit-fil des principes auxquels nous
sommes profondément attachés.
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est le fil à couper le beurre !
M. Alain Gournac.
C'est, enfin, un texte respectueux des Français parce qu'il fait confiance à
leur capacité de vouloir ce que la justesse et la justice commandent.
C'est, enfin, un texte courageux, parce qu'indifférent aux sirènes de la
démagogie.
J'ai dit, il y a quelque temps, à cette même tribune, que la France devait
rester une terre d'accueil et, pour cela, devenir une terre d'écueils pour tous
les réseaux qui n'ont que faire des principes, des règles et des lois de notre
République et pour lesquels, souvent, ces mots, compris à contresens,
n'évoquent rien d'autre que des pièges qu'il s'agit de déjouer.
Une loi ou une règle dont on ne perçoit que ce qu'elle interdit et jamais ce
qu'elle permet et garantit est une loi que l'on n'entend pas avec un oreille de
citoyen.
Le débat sur la politique d'immigration échappe souvent à la sérénité et à la
pondération. Sans doute est-ce le signe que cette question touche au coeur de
l'équilibre de notre société, à la conception que nous nous faisons de la
nation et des citoyens qui la composent.
C'est pourquoi il me semble important de préciser préalablement le contexte
dans lequel il nous est demandé d'examiner ce projet de loi.
La France a toujours été une terre d'immigration. Nous avons, au cours de
notre histoire, accueilli des flux de populations venant de chez nos voisins
européens. Notre position géographique, notre démographie plus faible, les
besoins de notre économie, nos traditions culturelles et spirituelles
expliquent notre particularité, notre vocation.
Avant et après la Seconde Guerre mondiale, puis au cours de ce que l'on a
appelé les « Trentes glorieuses », ces flux migratoires eurent pour origine
l'Europe puis, plus récemment, l'Afrique du Nord. Le travail les attirait, et
notre démographie s'en trouvait renforcée.
C'est vers 1974 que les choses ont commencé de changer. L'immigration est
devenue petit à petit africaine puis asiatique. Nous comptons chaque année plus
de 60 000 non-admissions de gens venant des pays d'Asie. L'immigration
irrégulière indienne exerce une pression très forte à nos frontières. La Chine
est au huitième rang pour les non-admissions et les irréguliers.
Ces filières, auxquelles s'ajoutent les filières sri-lankaises et
pakistanaises, donnent peu à peu naissance à un communautarisme qui n'a rien
plus rien à voir avec l'intégration républicaine d'hier et qui se traduit par
la formation de ghettos dans un certain nombre de quartiers de nos villes, avec
toutes les conséquences sociales que nous connaissons : rivalités ethniques,
montée du racisme, développement de la xénophobie et, ce qui n'est pas le
moindre mal, exploitation politique extrême de ces situations.
M. Michel Rufin.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Une autre évolution est à constater, c'est la transformation de l'immigration
des travailleurs en une immigration d'ayants droit. Les chiffres, là aussi,
sont éclairants : sur 90 000 entrées régulières par an, on dénombre 25 000
regroupements familiaux, 25 000 étudiants, 5 000 réfugiés politiques, 10 000
demandeurs d'asile à titre provisoire, 25 000 visiteurs de longue durée, dont
seulement 15 000 titulaires d'un contrat de travail. A peine 17 % de ces
immigrés réguliers entrent chez nous avec un contrat de travail.
Cette transformation de la nature et de la dimension de l'immigration durant
ces vingt dernières est due au ralentissement de la conjoncture économique, à
l'attrait de notre protection sociale - une des meilleures du monde, sinon la
meilleure - et également à notre politique de regroupement familial.
Voilà la situation dans laquelle se trouve notre pays !
MM. Jean-Luc Mélenchon et Michel Dreyfus-Schmidt.
Et la francophonie ?
M. Alain Gournac.
Voilà le contexte dans lequel nous avons à réfléchir et à agir ! Voilà la
réalité face à laquelle les slogans, quels qu'ils soient, ne doivent pas avoir
leur place !
Il convient, ce constat étant fait, de prendre en considération l'histoire de
notre pays et, plus généralement, l'histoire des peuples pour écarter
définitivement de notre réflexion un objectif irréaliste, n'ayant pas grande
signification et pour le moins suspect, à savoir l'immigration zéro.
Monsieur le ministre, vous n'y croyez pas, moi non plus, parce que nous ne
pouvons pas y croire et que nous ne voulons pas y croire. Nous connaissons
l'histoire de notre pays. Nous ne saurions oublier ce que nous devons à ceux
qui ont décidé de vivre chez nous, sous nos lois, qui ont contribué à l'essor
de notre économie, qui ont su aussi donner leur sang pour la France.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Ce que nous souhaitons, c'est ce dont notre pays a besoin aujourd'hui tout en
restant fidèle à ses valeurs. Ce n'est donc ni l'immigration zéro ni
l'immigration irrégulière régularisée à intervalles réguliers, comme on l'a
connu dans les années quatre-vingt, mais l'immigration maîtrisée.
Certains voudraient accréditer l'idée qu'il n'y a que deux politiques
possibles : l'une qui serait celle de l'égoïsme, l'autre celle de la générosité
; l'une qui serait celle de la droite, l'autre celle de la gauche. Quelle
aubaine que cette bipolarisation des solutions ! Cela permet de renouer avec de
vieilles lunes.
En matière de politique d'immigration, il ne doit y avoir ni une politique de
droite ni une politique de gauche. Ce dont la France a besoin, c'est d'une
politique républicaine de l'immigration.
M. Michel Rufin.
Très bien !
M. Alain Gournac.
C'est la raison pour laquelle il est important que les maires soient plus
étroitement associés à cette lutte contre l'immigration irrégulière et,
notamment, à sa prévention, monsieur le ministre.
Je sais que les maires sont partagés sur cette question, que nombre d'entre
eux ne souhaitent pas l'extension de leur pouvoir, estimant que c'est à l'Etat,
et à lui seul, qu'il appartient de mettre en oeuvre les dispositifs
susceptibles de prévenir l'immigration irrégulière.
Ceux-là craignent, en effet, que les dispositions modifiant les conditions de
délivrance des certificats d'hébergement ne les conduisent à la constitution de
fichiers d'hébergeants et qu'ainsi atteinte ne soit portée peu ou prou à la
sérénité de la vie locale.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bien sûr !
M. Alain Gournac.
Or, l'on sait - l'Association des maires de France a eu raison de le souligner
- qu'en ce domaine, plus qu'en tout autre, il convient que les décisions soient
prises à l'abri des passions et des pressions.
Cependant - j'y insiste - il me semble important que, dans la lutte contre
ceux qui, faisant fi de nos règles et de nos lois, n'ont que faire des
fondements de la République, le maire puisse être partie prenante, ce qui dans
l'esprit de l'institution municipale n'a jamais signifié « parti pris », et ce
pour une raison simple et forte, c'est que le pouvoir du maire est l'emblème du
pouvoir républicain.
En effet, la figure du maire, hautement symbolique, n'est ni une figure
partisane ni une figure lointaine. Exercé sous le contrôle effectif et
permanent des administrés de la commune, qui sont associés plus que partout
ailleurs au processus de décision, son pouvoir est un modèle de fonctionnement
démocratique et républicain vers lequel il convient toujours de se
tourner...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et à Orange ?
M. Alain Gournac.
... lorsqu'on veut que les citoyens se sentent davantage concernés par la «
chose publique ».
C'est pourquoi je rends hommage à mes collègues de la commission des lois
d'avoir approuvé l'obligation faite à l'hébergeant de déclarer à la mairie le
départ de l'étranger hébergé, le défaut de déclaration entraînant
l'impossibilité pour le signataire du certificat d'hébergement d'obtenir le
visa d'un nouveau certificat pendant une période de deux ans.
Notre collègue, Paul Masson, que je tiens à féliciter de son excellent
rapport,...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Très bien !
M. Alain Gournac.
... a souligné avec force et raison que, en ce domaine, le maire agissait au
nom de l'Etat et était, à ce titre, soumis au pouvoir hiérarchique du préfet, à
qui incombait alors l'obligation de veiller à l'homogénéité des décisions
prises en la matière.
Ce projet de loi, monsieur le ministre, est un bon projet. Les amendements de
la commission des lois, qui reviennent sur plusieurs des modifications
proposées par nos collègues de l'Assemblée nationale, et qui vont être examinés
par la Haute Assemblée, montrent à l'évidence que la politique que nous
recherchons avec le Gouvernement en matière de lutte contre l'immigration
irrégulière se veut une politique juste, adaptée à notre temps, efficace et
toujours fidèle à la vocation de notre pays à l'universel.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
9
DÉPO^T D'UNE QUESTION ORALE AVEC DÉBAT
M. le président.
J'informe le Sénat que j'ai été saisi de la question orale avec débat suivante
:
M. Claude Huriet appelle l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé et
à la sécurité sociale sur les travaux consacrés récemment, par la commission
des affaires sociales, au renforcement de la sécurité sanitaire.
La commission des affaires sociales a, en effet, déposé, le 29 janvier
dernier, le rapport de la mission d'information sur la sécurité et la veille
sanitaires qu'elle avait constituée le 21 mai 1996.
Ce rapport a d'abord dressé le bilan des conditions dans lesquelles est
garantie la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme et la veille
sanitaire.
Elle a considéré que l'Etat, qui est le garant de la sécurité sanitaire,
devrait être en mesure de remplir trois missions : l'évaluation des actes
thérapeutiques, le contrôle des produits et la veille sanitaire.
L'Etat s'est récemment donné les moyens d'assumer la mission d'évaluation des
actes avec la création, par une ordonnance du 24 avril 1996, de l'Agence
nationale d'accréditation et d'évaluaion en santé. Il a doté cette agence de
crédits et de moyens juridiques d'intervention qui peuvent être considérés
comme satisfaisants.
En revanche, les conditions dans lesquelles est réalisé le contrôle des
produits destinés à l'homme ne présentent pas toutes les garanties nécessaires.
Ainsi, si la sécurité sanitaire du médicament est aujourd'hui bien assurée, les
réformes entreprises dans les années quatre vingt-dix pour le sang et les
greffes ne sont pas achevées, notamment en ce qu'elles ne procèdent pas
toujours à la nécessaires séparation entre les missions de contrôle des
produits et celles d'organisation de la production.
La mission d'information a également considéré que la nouvelle législation
d'origine communautaire sur les dispositifs médicaux, si elle est en progrès
par rapport à l'ancienne législation française, toujours en vigueur pour
certains dispositifs, ne peut être considérée comme satisfaisante. En effet,
elle n'exige pas véritablement l'évaluation du rapport bénéfice/risque des
dispositifs, n'encadre pas suffisamment la production et la distribution des
dispositifs, et risque d'être appliquée de manière non homogène à l'intérieur
de la Communauté.
La mission d'information a également constaté que nombre de produits de santé
ou de produits frontières n'étaient pas encadrés par une législation ou une
réglementation assez rigoureuse.
Enfin, elle a estimé que la sécurité sanitaire des produits alimentaires ne
pouvait être garantie dans la mesure où la législation applicable à ces
produits ne procède pas à une bonne évaluation des risques qui leur sont
associés, où elle est plus centrée sur la santé de l'animal que sur celle de
l'homme et où l'indépendance des contrôles n'est pas bien garantie.
Concernant la troisième mission de l'Etat, la veille sanitaire, la mission
d'information a estimé qu'elle n'était pas assurée dans des conditions
satisfaisantes et que les procédures de détection, d'alerte et de
recommandation n'étaient pas bien établies ou coordonnées.
Au vu de ce constat, la commission des affaires sociales formule plusieurs
propositions. Pour assurer le contrôle des produits dans le respect de leur
spécificité, elle propose de créer une agence des produits et dispositifs
médicaux et une agence de la sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Pour garantir les conditions dans lesquelles est assurée la veille sanitaire,
elle propose de mettre en place un institut de la veille sanitaire, qui
constituera une tête de réseau et un lieu propre à centraliser les fonctions de
détection, d'alerte et de recommandation aux pouvoirs publics.
Elle propose aussi que les fonctions de l'administration centrale du ministère
de la santé soient recentrées sur ses missions de participation à la définition
de la politique de santé et de réglementation, sur tous les sujets qui
intéressent la santé de l'homme.
Enfin, elle propose d'instituer, sous la présidence du Premier ministre, un
comité permanent de sécurité sanitaire composé des responsables des agences, de
l'institut de veille sanitaire, du directeur général de la santé et de
responsables d'administration centrale qui assurent le contrôle sanitaire de
produits ou de milieux.
Ce comité, dont la vice-présidence serait confiée au ministre chargé de la
santé, constituerait le lieu de rencontre utile à la coordination et à la
gestion des crises.
L'auteur de la question souhaiterait connaître les premières réactions du
Gouvernement au constat établi par la commission et aux propositions qu'elle
formule (n° 10).
Conformément aux articles 79 et 80 du règlement, cette question orale avec
débat a été communiquée au Gouvernement. Sa date de discussion a précédemment
été fixée à la séance du mardi 18 février 1997.
10
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, portant réforme du service national.
Le projet de loi sera imprimé sous le numéro 205, distribué et renvoyé à la
commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous
réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
11
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord
établissant les conditions régissant le transport par voie navigable de
marchandises et de passagers entre la Communauté européenne, d'une part, et la
République tchèque, la République de Pologne et la République slovaque, d'autre
part.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E778 et
distribuée.
12
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Lucien Neuwirth un rapport fait au nom de la commission des
affaires sociales sur la proposition de loi de M. Lucien Neuwirth relative aux
conditions d'éligibilité pour les élections aux caisses d'assurance vieillesse
des professions artisanales, industrielles et commerciales (n° 193,
1996-1997).
Le rapport sera imprimé sous le numéro 204 etdistribué.
13
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée à aujourd'hui, mercredi 5 février 1997, à dix heures trente, à quinze
heures et, éventuellement, le soir :
1. - Examen d'une demande présentée par la commission des lois
constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et
d'administration générale tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner
une mission d'information en Guadeloupe, et plus particulièrement à
Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, pour étudier le régime juridique applicable
dans ces deux îles.
2. - Suite de la discussion du projet de loi (n° 165, 1996-1997), adopté par
l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à
l'immigration.
Rapport (n° 200, 1996-1997) de M. Paul Masson, fait au nom de la commission
des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
règlement et d'administration générale.
Aucun amendement n'est plus recevable.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 5 février 1997, à une heure
vingt-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Position de la France
dans la lutte contre l'effet de serre
549.
- 29 janvier 1997. -
M. Philippe Richet
attire l'attention de
Mme le ministre de l'environnement
sur une des trois conventions adoptées à Rio, celle relative aux climats. Les
engagements de la France lors du sommet de Rio en 1989 semblaient très clairs :
un combat devait être rigoureusement mené contre toutes les causes néfastes qui
agissent sur l'effet de serre (émissions polluantes d'origines industrielle et
privée, adaptation de nos moyens de transports...) et des législations devaient
être adoptées. Ces efforts étaient logiquement repris dans un cadre plus large
: celui de l'Europe. Pour discuter une nouvelle fois de ces questions, le
conseil des ministres européen se réunit à Bruxelles avant la prochaine réunion
de la convention à Bonn, début mars 1997. Il voudrait connaître les positions
défendues par la France, sachant que celle de la mission interministérielle sur
l'effet de serre ne semble pas définitivement adoptée. La France a certes moins
d'efforts à faire dans le domaine de la réduction des gaz à effet de serre,
puisque la part du nucléaire dans sa production d'électricité lui permet
d'émettre sensiblement moins de CO2 que la plupart des autres pays
industrialisés. Cela dit, pour l'avancée des travaux et l'application du traité
au niveau euyropéen, il est important de trouver un consensus et de sortir de
la situation bloquée dans laquelle on se trouve à présent. D'abord parce que
l'enjeu « effet de serre » est énorme pour la planète, ensuite parce qu'il
s'agit d'honorer ses engagements et, enfin, parce que beaucoup d'autres pays
attendent, pour agir de leur côté, de connaître la position des pays européens.
C'est un petit pas mais d'importance, sachant que seule l'effectivité de
législations appliquées par tous, au niveau de la planète, permettront une
lutte sérieuse contre l'effet de serre et les changements climatiques qu'il
induit.
Conditions d'accès des entreprises
au réseau Internet
550.
- 31 janvier 1997. -
M. Alain Gournac
attire l'attention de
M. le ministre délégué à la poste, aux télécommunications et à l'espace
sur le caractère pénalisant du mode d'accès actuel de nos entreprises au réseau
Internet. Nombre d'entre elles se sont très vite rendu compte que ce réseau
constituait, à condition qu'elles puissent y avoir accès rapidement, un nouvel
atout indispensable pour leur développement et la conquête de nouveaux marchés
à l'étranger. Or, la connexion se faisant encore à ce jour par téléphone,
l'accès au réseau demeure lent et coûteux, comparé à celui qu'offre le câble,
plus performant et plus économique. Vous savez, en effet, que ce dernier moyen
est au moins 70 fois plus rapide que son concurrent téléphonique. C'est la
raison pour laquelle des entreprises couvertes par le réseau câblé du Sidecom,
dans les Yvelines, se sont rapprochées de TV Câble et de France Télécom pour
réaliser un test d'accès à Internet par le câble. La direction de France
Télécom s'est dite favorable à ce test qui la préparerait utilement aux défis
de la concurrence de 1998 et devrait compléter en grande couronne parisienne
les expériences déjà lancées par la Lyonnaise Communication du Mans. Il lui
demande si les négociations en cours, débutées en juin et qui se tiennent au
plus haut niveau entre France Télécom et la Lyonnaise Communication, pourraient
aboutir plus rapidement afin d'offrir à nos entreprises des moyens accrus pour
faire face à la concurrence sur les marchés étrangers.
Plan d'urgence
pour les instituts universitaires de technologie
551. - 31 janvier 1997. - Mme Hélène Luc tient à attirer l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur les conditions d'études et de fonctionnement qui ne cessent de se dégrader pour les instituts universitaires de technologie (IUT) du fait des insuffisances de dotation budgétaire se cumulant d'année en année. Au moment où la voie technologique est présentée comme étant prioritaire dans les études supérieures et alors que les IUT ont apporté la preuve de leur efficacité et de leur performance en la matière, on ne peut que s'étonner d'un tel traitement de la part des pouvoirs publics. C'est pourquoi elle lui demande de lui faire part de ses intentions quant à la demande exprimée par la communauté des étudiants et des enseignants, et à laquelle elle souscrit totalement, d'un plan d'urgence et de rattrapage pour les IUT dès le premier trimestre 1997, qui constitue la condition indispensable pour rétablir la situation de ces établissements.