DIVERSES DISPOSITIONS
RELATIVES À L'IMMIGRATION
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 165, 1996-1997),
adopté par l'Assemblée nationale, portant diverses dispositions relatives à
l'immigration. [Rapport n° 200 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, la France est riche des hommes et des femmes qui la constituent.
Elle est accueillante depuis toujours pour les étrangers qui désirent
s'associer à son histoire. Elle continuera d'affirmer cette tradition séculaire
et y restera fidèle, parce que la République a cette fierté d'être ouverte à la
diversité. Aujourd'hui encore, elle accueille chaque année plus de 100 000
étrangers dans des conditions régulières.
Cela n'est pas en cause et ne le sera jamais, car il n'est pas question
d'interdire toute immigration. Ce serait une entrave à notre
développement...
M. Jacques Mahéas.
Retirez le projet de loi !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
... et une atteinte au rayonnement de la culture
française. Les 35 000 étudiants étrangers que nous accueillons chaque année
dans l'enseignement supérieur sont donc les bienvenus en France et le
resteront.
Cependant, la réalité n'est pas seulement faite de l'intégration paisible des
étrangers en situation régulière, en harmonie avec nos lois. Notre démocratie
ne peut, hélas ! se contenter d'être accueillante et généreuse.
En effet, elle doit aussi affronter une autre réalité, celle des quartiers
sensibles touchés par une immigration clandestine mal maîtrisée, et celle,
aussi, des ateliers clandestins, dans lesquels des ouvrières et des ouvriers
d'origines lointaines travaillent dans des conditions sordides, souvent
dégradantes, parfois humiliantes, toujours inacceptables, pour honorer la
lourde dette contractée à l'égard du passeur.
M. Jacques Mahéas.
C'est du Zola !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ces ouvrières et ces ouvriers sont très souvent
exploités honteusement, pour le seul profit de certains. Ce n'est pas tolérable
!
Vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, voté une réforme très
importante, à l'instigation de mon prédécesseur M. Charles Pasqua, membre
aujourd'hui de votre assemblée, et je salue l'oeuvre entreprise. Mais
l'objectif a-t-il été complètement atteint ? Avons-nous totalement maîtrisé
l'immigration irrégulière ? Vous savez que, en dépit des progrès, subsistent
des insuffisances.
Pouvez-vous accepter, vous, législateurs, que la loi soit mal appliquée ?
Pouvons-nous supporter ces défauts qui entravent l'action de l'Etat ? Après
vingt mois d'expérience au ministère de l'intérieur, je suis convaincu qu'il
faut agir et je souhaite que vous partagiez ma conviction.
Naturellement, il s'agit non pas de bouleverser la loi votée en 1993, mais
bien au contraire de la conforter et d'accomplir la volonté que vous aviez
alors affirmée, d'où ce projet de loi.
M. Jacques Mahéas.
Pasqua rectifié Debré !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Les événements de l'été 1996 ont suffisamment
illustré la nécessité de son dépôt pour que je n'y revienne pas.
Oui, nous devons prendre garde : au-delà des péripéties
juridico-administratives, c'est une redoutable pression sur nos pays
occidentaux qui s'exerce, et cette pression ne fera que croître à la faveur des
déséquilibres économiques et démographiques que connaissent certains pays,
parfois proches.
Dès lors, il faut poser clairement pour principe que, en harmonie avec nos
voisins européens, nous n'accepterons pas l'immigration irrégulière et que les
étrangers qui enfreignent nos lois - je le dis très nettement et très
tranquillement - retourneront chez eux, tôt ou tard.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
L'affirmation de ce principe clair et démocratique du respect de la loi est
aussi un message à l'intention de tous les candidats à l'immigration illégale.
C'est ce message que je vous propose de confirmer par le vote du projet de loi
qui vous est proposé : nous devons montrer que le législateur ne négligera rien
pour colmater concrètement, au fur et à mesure de leur apparition, toutes les
failles dans la maîtrise de l'immigration.
Si l'édifice bâti en 1993 n'était pas conforté comme le propose le
Gouvernement, si les Français ne constataient pas qu'enfin les textes
législatifs sont appliqués dans les faits, alors, oui, il faudrait craindre le
rejet de l'étranger, qu'il soit en situation irrégulière ou régulière,
l'aggravation de la violence dans certains quartiers et le développement de
l'économie souterraine et de la délinquance associée. Il faudrait enfin
redouter l'effondrement des valeurs républicaines auxquelles nous croyons tous.
En effet, la tradition d'accueil de notre pays, sa générosité envers ceux qui
choisissent d'y vivre en paix avec nos lois, en y apportant leur coeur, leur
histoire, leur culture, ne résisteraient pas longtemps au maintien d'une
immigration irrégulière mal maîtrisée.
On voit trop ce que donnent à l'étranger de tels phénomènes. Ils génèrent la
constitution de communautés hermétiques, voire hostiles à la société
environnante. L'intégration des étrangers en situation régulière, qui reste
encore un succès dans notre pays, ne pourrait plus constituer la référence
utile à l'édification de la France de demain.
Alors, oui, je vous propose d'agir, non pas de manière univoque, en donnant
dans le tout répressif comme certains voudraient le faire croire, non pas en
dehors des principes constitutionnels - je vous suggère, au contraire, de les
prendre en compte méticuleusement - mais avec le souci unique et constant de la
pratique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je présenterai en quelques mots les
principaux points forts du présent projet de loi.
En matière d'éloignement, notre handicap majeur dérive sans nul doute de la
brièveté de la rétention administrative. Dans un souci d'efficacité immédiate,
je vous propose de prendre en compte cette contrainte, sans rechercher de
biais.
Tout ce qui est alors possible vous est proposé à l'article 8 de ce projet de
loi. C'est assurément le coeur du projet et les leçons de ce que nous avons
vécu cet été.
Il en est ainsi de la prolongation de vingt-quatre à quarante-huit heures de
la première période de rétention administrative, afin que le débat devant le
juge sur la prolongation de cette rétention puisse être parfaitement éclairé
des éléments qui doivent concourir à la décision du juge.
De même je crois profondément nécessaire de faire échec à des décisions
mettant fin sans recours utile à une rétention administrative. Il convient à
cet effet de confier aux magistrats du parquet le soin de saisir la cour
d'appel d'une demande tendant à suspendre la décision du premier juge.
C'est nécessaire pour que l'application de la loi ne soit pas paralysée dans
des circonstances comme celles que nous avons connues. C'est utile aussi par
égard pour la cour d'appel qui, sans cela, est amenée à statuer sur un litige
vide de sens, puisque l'étranger dont la rétention a pris fin retourne le plus
souvent à la clandestinité.
Cet appel suspensif, dont l'autorité judiciaire reste entièrement maîtresse,
rétablirait l'équilibre dans les procédures, en faveur de l'application de la
loi.
Troisième leçon que l'on peut tirer de l'expérience vécue depuis quelques mois
: il est nécessaire de donner un contenu à la rétention judiciaire. Elle a été
instituée en 1993, mais elle reste presque ignorée.
Pour remédier à cet état de choses, il faut recourir à une méthode simple,
consistant à étendre son champ d'application à l'ensemble des délits de séjour
irrégulier, ou de refus d'embarquement, ces derniers représentant 5 % des
échecs de reconduite.
Cette rétention judiciaire de trois mois serait un atout maître pour engager
la procédure d'identification des étrangers concernés, sans pour autant
recourir à l'incarcération, qui doit rester l'ultime recours.
La lutte contre l'immigration irrégulière, c'est aussi la lutte contre les
filières d'immigration irrégulière. De grandes organisations criminelles s'y
investissent de plus en plus, pour un profit immédiat jusqu'alors sans grand
risque.
La création de l'Office central spécialisé de la direction centrale du
contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins,
l'OCRIEST - Office central pour la répression de l'immigration irrégulière et
l'emploi des étrangers sans titre - sera la base de l'action quotidienne des
services de police et de leurs succès déjà significatifs.
Mais il faut, je le crois très profondément, aller plus loin et les doter des
pouvoirs juridiques utiles à leurs investigations. D'où l'idée, simple, de leur
donner la capacité de procéder à la visite sommaire des camions dans la bande
des vingt kilomètres au voisinage de nos frontières. D'où l'article 10, qui
vise à fonder, sur réquisition du parquet, la visite des chantiers et des
ateliers de production, afin de procéder à des contrôles d'identité.
Sans doute, dans ce dernier cas, ne doit-on pas confondre immigration
irrégulière et travail dissimulé. Mais ne nous voilons pas la face : les
ateliers clandestins soutiennent les filières d'immigration clandestine. Les
statistiques montrent toute l'importance de la main-d'oeuvre étrangère dans les
affaires de travail illégal, même si les employeurs fautifs sont, hélas ! très
souvent, trop souvent, des Français.
Mme Hélène Luc.
Que fait le Gouvernement pour les empêcher d'agir ?
M. Jean-Louis debré,
ministre de l'intérieur.
Au passage, je mentionne aussi diverses
dispositions, dont nous reparlerons dans le cours du débat. Il en est ainsi de
la retenue des passeports, nécessaire pour conjurer tout risque d'échec des
éloignements. Il en est de même de la lutte contre les demandes d'asile
frauduleuses, qui représentent 5 % des demandes.
Je crois devoir insister davantage sur les articles 1er et 4 du texte,
c'est-à-dire sur le certificat d'hébergement et sur le droit au séjour reconnu
à diverses catégories d'étrangers.
L'article 1er vise seulement à codifier plus précisément les cas dans lesquels
le maire peut, au nom de l'Etat, refuser de signer un certificat
d'hébergement.
Il ne s'agit pas d'entraver la liberté d'accueil de chaque résident en France
à l'égard des étrangers. Il ne s'agit pas davantage, comme on l'a dit trop
souvent, de constituer un fichier des hébergeants.
Il faut, selon moi, simplement donner au maire les moyens de mettre en échec
les professionnels de l'hébergement factice. C'est tout l'intérêt de l'enquête
administrative qu'il pourra demander, indépendamment des visites de l'OMI,
l'Office des migrations internationales, qui restent le moyen de droit commun
pour vérifier la capacité d'hébergement du logement.
M. Bernard Piras.
Et le préfet, alors ?
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
La véritable nouveauté tient à l'obligation
faite à l'hébergeant de déclarer le départ de l'hébergé de son domicile. La vie
privée et la liberté individuelle peuvent s'accommoder de cette formalité
simple, d'autant plus qu'à défaut de l'avoir satisfaite l'hébergeant de bonne
foi pourra s'en justifier.
A l'inverse, les professionnels du faux hébergement - et ils sont de plus en
plus nombreux - devraient en ressentir une gêne dissuasive ; c'est tout
l'intérêt de la réforme que je vous propose.
Cela n'interdit pas de réfléchir à d'autres idées, comme l'a fait
l'Association des maires de France, et j'ai bien noté les suggestions que m'a
faites son président, M. Delevoye. J'ai relevé, en particulier, son souci d'un
exact partage entre les tâches qui incombent aux autorités décentralisées et
celles qui doivent relever de l'Etat, sans confusion entre leur rôle respectif.
Je souscris à cette exigence de clarté.
J'ajoute que le projet de loi n'a pas pour objet d'instituer à la charge des
maires une police de l'hébergement, pour laquelle ils ne sont pas armés. Il
vise simplement à garantir l'exacte information des maires avant tout visa d'un
certificat d'hébergement.
L'objectif doit être clair : la procédure du certificat d'hébergement, créée
en 1982, ne doit pas être bloquée par des réticences de principe. Ces blocages
existent ici ou là, vous le savez mieux que quiconque. Le texte du Gouvernement
a pour objet de les surmonter, sans pour autant faire remonter directement le
tout à l'échelon du préfet.
J'en viens à l'article 4. Là encore, je le justifierai par l'expérience. La
situation des étrangers qui ne sont pas expulsables en vertu de la loi, sans
que celle-ci leur reconnaisse un droit au séjour, n'est pas logique, ni
tenable. Surtout pas lorsque la vie familiale de ces étrangers est en cause.
Bien sûr, les préfectures ont réglé un grand nombre de difficultés au cas par
cas, ou même sur instruction, comme pour les parents d'enfants français.
Mais il me semble que le temps est venu de traiter vraiment le problème dans
la loi, afin de gagner en clarté et en équité.
L'article 4 offre donc un accès à un titre de séjour d'un an aux parents
étrangers d'enfants français.
Mme Monique ben Guiga.
Ce n'est pas extraordinaire !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Il en est de même pour les conjoints de
Français, mariés depuis plus d'un an et entrés régulièrement en France. Il
donne également vocation à un titre de séjour aux jeunes majeurs venus avant
l'âge de dix ans, hors regroupement familial, si leur vie familiale est en
France.
Reste le cas des étrangers qui vivent en France depuis plus de quinze ans.
M. Jacques Mahéas.
Ah !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Le Gouvernement proposait de régler également
leur situation par l'attribution d'un titre provisoire d'un an, sous réserve de
l'ordre public et de la polygamie.
L'Assemblée nationale ne l'a pas jugé souhaitable. Pour ma part, je demeure
convaincu que le texte du Gouvernement était équilibré et juste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter un éclairage
complémentaire sur quelques autres amendements adoptés par l'Assemblée
nationale. J'évoquerai tout d'abord les fichiers d'empreintes digitales visés à
l'article 3.
L'article 8-3, que l'Assemblée nationale propose d'introduire dans
l'ordonnance de 1945, est particulièrement important. Il me paraît souhaitable
de faire part au Sénat de la lecture qu'en fait le Gouvernement.
D'abord, il faut bien distinguer les deux alinéas qui composent cet article,
car ils ont des objets différents.
Le premier alinéa doit être interprété comme un dispositif cadre. En effet, il
ne prévoit qu'une simple faculté de procéder au relevé des empreintes et à leur
traitement.
Cette prudence fait écho aux difficultés techniques et budgétaires d'un tel
projet.
Il est clair que l'ambition des auteurs de l'amendement n'est pas réalisable
immédiatement si l'on retient le relevé d'empreintes dans les consulats. Au
surplus, la nécessaire concertation avec nos partenaires, dans le cadre de
Schengen, n'a pas eu lieu.
Enfin, selon les premiers chiffrages, l'investissement nécessaire représente
des sommes importantes. C'est pour l'ensemble de ces raisons que le
Gouvernement n'avait pas prévu ce fichier dans son texte initial.
L'Assemblée nationale a cependant souhaité marquer dès à présent une grande
détermination en ce domaine. Le Gouvernement en tiendra naturellement compte,
en particulier si le Sénat confirme l'intérêt que les députés portent à ce
projet.
Le second alinéa évoque des problèmes entièrement différents. Il s'agit de
s'assurer que les services de police et les préfectures pourront accéder, dans
la mesure du nécessaire, aux empreintes de ressortissants étrangers détenues
par les autorités publiques. Cela vise en premier lieu l'OFPRA, l'Office des
migrations internationales, qui dispose d'un fichier d'empreintes des
demandeurs d'asile. Mais cela vise aussi tout autre fichier, et en particulier
celui de l'identité judiciaire.
En pratique, il paraît tout à fait normal d'en venir là, car le problème de
l'identification des étrangers en situation irrégulière est la clé de leur
renvoi dans leur pays d'origine. N'est-il pas naturel que, en conséquence,
l'administration puisse mobiliser toutes les informations disponibles ?
Sous réserve d'ajustements de rédaction, je soutiens donc le texte voté par
l'Assemblée nationale.
Je tiens cependant à préciser, en ce qui concerne l'OFPRA, qu'il s'agit
d'accéder non pas à des archives ou à des documents, mais seulement à des
éléments d'identification ; les récits des demandeurs d'asile demeurent
évidemment couverts par une immunité totale.
Je dirai quelques mots des autres amendements votés par l'Assemblée nationale.
Je réserverai une mention particulière pour la Guyane, où le problème de
l'immigration atteint, vous le savez, une gravité exceptionnelle. Au-delà des
quelques dispositions insérées par l'Assemblée nationale sur les contrôles
d'identité en zone frontalière et la visite des véhicules, nous devrons sans
aucun doute ultérieurement réfléchir avec les élus de ce département à un
dispositif plus conséquent.
Par ailleurs, je crois possible, comme l'a fait l'Assemblée nationale, de
prendre des garanties supplémentaires pour l'ordre public, contre la fraude et
contre le travail illégal, au moment du renouvellement ou de l'attribution des
titres de séjour, ainsi que cela apparaît aux articles 3
bis,
3
ter,
4
bis
et 4
ter.
J'ai plus de doute sur l'article 6
ter
concernant le regroupement
familial, car la jurisprudence constitutionnelle me paraît bien établie, même
si je partage pleinement la préoccupation de l'Assemblée nationale sur la
polygamie.
Je reviendrai par ailleurs sur certains autres articles dans le cours du
débat, car je ne voudrais pas égrener les mesures envisagées à ce stade,
d'autant que l'excellent rapport de M. Masson et les travaux très approfondis
de la commission des lois, sous la présidence de M. Larché
(Exclamations sur les travées socialistes),
ont permis d'éclairer dès à
présent chacun des points en discussion.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux simplement témoigner de l'esprit
d'ouverture avec lequel le Gouvernement aborde ce débat. Je crois à une vraie
discussion, et non aux invectives ; je crois à la nécessité d'un vrai échange
d'idées entre nous.
Le Sénat apportera, j'en suis certain, toute son expérience, toute sa sagesse,
toute sa sérénité naturelle à l'examen des enjeux, et il donnera au
Gouvernement, c'est-à-dire à l'Etat, les moyens d'éclairer son propre jugement
dans le cours des navettes qui auront lieu et qui permettront d'aller jusqu'au
bout de la réflexion.
Je terminerai cette intervention en répondant par avance à ceux qui
soutiennent qu'il faudrait « repenser » complètement notre législation sur les
étrangers.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Oui ! Oui !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
On entend dire aussi qu'un replâtrage de plus
est inutile et que l'on ne pourra rien résoudre sans rebâtir l'ensemble.
Sans doute certains n'apprécient-ils pas le manteau d'Arlequin que constitue
aujourd'hui l'ordonnance de 1945 sur les étrangers, après vingt-trois
modifications. Mais, quant à moi, je cherche le résultat immédiat qu'attendent
les Français ; dans cette construction difficile et délicate, je vous propose
d'apporter quelques pièces de plus, exactement calibrées et strictement
nécessaires.
Cette démarche n'est-elle pas la seule qui, dans tous les domaines, permette à
nos concitoyens de se reconnaître dans l'expression parlementaire de la volonté
générale ? N'est-elle pas aussi le moyen de prouver, une fois encore, que le
respect des valeurs républicaines n'empêche pas, bien au contraire, d'obtenir
des résultats concrets ? Ne peut-on ainsi démontrer que le pragmatisme, à
l'opposé du dogmatisme, donne toute sa force à l'action des gouvernants ?
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour toutes ces raisons, je vous propose
d'adopter ce projet de loi, et je compte à cet égard sur le soutien du Sénat.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous engageons, cet
après-midi, la vingt-quatrième modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945
relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Qui
oserait ici affirmer que ce nouvel ajustement d'un texte fondamental pour
l'équilibre de notre démocratie sera le dernier ?
Sans doute le moment viendra-t-il de la refonte de ce texte, vieux d'un
demi-siècle, concernant un phénomène qui a prodigieusement évolué ces vingt
dernières années. Ce n'en est pas aujourd'hui l'heure, et le débat qui s'engage
concerne uniquement un projet de loi « portant diverses dispositions relatives
à l'immigration ».
Mon rapport n'a donc d'autre objet que d'examiner des propositions techniques
d'adaptation de procédures administratives et judiciaires particulièrement
complexes. Il est bien clair qu'il ne s'agit pas, ici, de recommencer les
discussions qui précédèrent les lois d'août et de décembre 1993. Ces textes
sont en place. Ils sont le reflet d'une volonté politique forte, portée par une
majorité populaire.
Ces textes, que j'ai eu l'honneur de rapporter en 1993 devant la Haute
Assemblée,...
M. Marcel Charmant.
On a vu qu'ils n'étaient pas applicables !
M. Paul Masson,
rapporteur.
... ont abouti à la modification de plus de la moitié des
articles de l'ordonnance.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà le résultat !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Quatre nouveaux chapitres ont été intégrés dans la loi de
1993, dont deux concernent le regroupement familial et les demandeurs d'asile,
qui relevaient jusqu'alors de textes réglementaires. Les résultats positifs
commencent à apparaître dans leurs traductions statistiques.
M. Jacques Mahéas.
Ils sont inefficaces !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Inefficaces et cruels !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je vous renvoie, à cet égard, à mon rapport écrit, qui fait
état de chiffres enregistrés en 1995 et en 1996.
Je veux saluer ici, avec ces premiers résultats, non seulement la persévérance
et la détermination de M. le ministre de l'intérieur, mais aussi sa lucidité et
son courage.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. Jacques Mahéas.
C'est bien la première fois !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je veux également saluer le travail mal connu, ingrat, mal
évalué, souvent caricaturé des forces de police et de gendarmerie engagées sur
ce terrain.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Ces fonctionnaires et ces militaires, modestes et consciencieux, appliquent
des procédures particulièrement complexes avec la plus grande objectivité et un
sang-froid absolu
(Exclamations sur les travées socialistes),
malgré la
difficulté d'opérer sur un terrain particulièrement passionnel.
M. Jean-Louis Carrère.
Violent !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Chacun sait que les mesures concernant l'application de la
loi aux étrangers en situation irrégulière doivent être appliquées avec
fermeté, mais aussi avec sagesse.
M. Bernard Piras.
Ah oui !
M. Jacques Mahéas.
A la hache !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Le chemin est étroit entre la passivité et la maladresse.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Ah ça, oui !
M. Paul Masson,
rapporteur.
La médiatisation extrême de certaines situations
particulières, parfois provoquée à dessein, risque en beaucoup d'occasions de
conduire à l'erreur tactique. En toutes occasions, les forces de l'ordre ont su
répondre aux exigences de la loi. Je tiens à le souligner au début de ce débat,
durant lequel je m'attacherai personnellement à éviter la passion et la
polémique.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Avant d'entrer dans l'analyse du projet de loi, je souhaite rappeler à la
Haute Assemblée trois principes fondamentaux qui encadrent
constitutionnellement notre droit en cette matière.
Premièrement, aucun principe, aucune règle de valeur constitutionnelle
n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de
séjour sur le territoire français. Le législateur a toute latitude pour mettre
en oeuvre les objectifs qu'il s'assigne. Dans ce cadre juridique particulier,
les étrangers sont dans une situation différente de celle des nationaux.
L'étranger en France a un statut spécifique.
Deuxièmement, dans l'élaboration de ce droit spécifique qui régit l'état
d'étranger, le législateur doit bien évidemment respecter les libertés et les
droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui
résident sur le territoire national, quel que soit leur statut.
Enfin, le législateur doit également chercher à assurer en tout lieu et en
toute situation l'ordre public. Cet autre objectif, également de valeur
constitutionnelle, trop souvent oublié dans le débat, est inscrit dans notre
Déclaration universelle des droits de l'homme. Le droit à la sûreté est aussi
une liberté fondamentale.
(Applaudissements sur certaines travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Evidemment, la conciliation de ces trois principes fondamentaux relève
parfois d'un exercice délicat. Le texte que nous abordons maintenant va nous
donner plusieurs occasions de nous en apercevoir.
Le projet de loi a deux objectifs.
Il vise tout d'abord à aboutir à un meilleur contrôle des entrées irrégulières
et à une plus grande efficacité dans l'application des mesures d'éloignement
prises à l'encontre de ceux qui n'ont aucun titre pour séjourner sur le
territoire. Il faut savoir que, à l'heure actuelle, 70 % des mesures
d'éloignement ne peuvent pas être mises en oeuvre parce que l'étranger n'est
pas identifiable : il ne présente pas ses papiers, il les cache ou il les
détruit ; il dissimule sa nationalité, et certains consulats font de la
rétention d'information. La brièveté des délais dans lesquels est enfermée la
procédure fait le reste : 74 % des cas d'inexécution de l'interdiction du
territoire et 30 % des inexécutions des reconduites à la frontière s'expliquent
ainsi.
Le projet de loi a par ailleurs un objectif de clarification. De modification
en modification, les règles d'entrée et de séjour sont devenues de plus en plus
complexes. La poursuite d'objectifs différents dans le cadre d'une même
législation a pu conduire à des situations parfois inextricables. Sans doute
ces cas sont-ils peu nombreux et les préfets ont-ils toujours la possibilité
d'assouplir le texte. Pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, il
paraît aujourd'hui au Gouvernement nécessaire de stabiliser la situation
d'étrangers qui ne sont actuellement ni éloignables ni domiciliables ; le
rapporteur que je suis partage ce sentiment.
Sur ce texte, l'Assemblée nationale a apporté de nombreuses modifications et
quelques adjonctions. Le rapport Mazeaud met bien en relief les travaux récents
qui ont guidé l'Assemblée nationale dans ses choix. Il y a d'excellentes
observations dans le rapport de la commission d'enquête présidée par notre
collègue M. Philibert. De même, celui de M. Léonard est particulièrement fourni
en données statistiques. Comme l'écrit M. Mazeaud, « à bien des égards, les
rapports Sauvaigo et Léonard sont des documents de référence ». Ils démontrent,
en outre, les résultats consternants de l'exécution des mesures de reconduite à
la frontière, qui affectent directement la crédibilité de notre législation.
Dans les adjonctions de l'Assemblée nationale figurent notamment les relevés
d'empreintes digitales des ressortissants étrangers « demandant à séjourner en
France ». Et l'on trouve entre autres, dans les amendements de nos collègues,
le rejet de la possibilité de régulariser des étrangers se trouvant en France
depuis plus de quinze ans proposée par le Gouvernement. Nous reviendrons bien
évidemment sur ce débat.
Sans entrer immédiatement dans l'analyse de chacun des articles du texte, j'en
soulignerai les points forts : ce sont essentiellement les articles 1er, 3, 8
du texte, et l'article 4, qui traite de l'élargissement des cas d'attribution
de plein droit de la carte de séjour temporaire.
L'article 1er concerne les certificats d'hébergement autour desquels se
développe, actuellement, une double polémique : sur le plan politique, elle est
entretenue par certaines déclarations récentes qui me paraissent au moins
caricaturales et, sur le plan technique, elle est principalement développée au
sein de l'Association des maires de France.
Dois-je rappeler ici - chacun, dès lors qu'il assume la responsabilité d'une
mairie, le sait bien - que l'une des procédures fréquemment utilisée par les
immigrants clandestins pour s'introduire en France est celle de la visite
privée suivie d'un maintien illégal sur le territoire au-delà de la période du
court séjour autorisé ? Certains hébergeants professionnels font viser
fréquemment des certificats d'hébergement qui sont destinés non à des parents
ou amis, mais à des candidats à l'installation irrégulière en France. Dans
certaines capitales étrangères - on les connaît bien - des réseaux détiennent
un certain nombre d'adresses de complaisance permettant ainsi un fructueux et
important trafic.
Je rappelle que le certificat d'hébergement ne date pas d'hier. Il a été
introduit dans notre dispositif réglementaire en 1982, et dans la loi en 1993 ;
à ce titre, il a fait l'objet de commentaires spécifiques du Conseil
constitutionnel : celui-ci a décidé, le 13 août 1993, que « les dispositions
contestées ne sont pas de nature à porter atteinte à la liberté individuelle et
que le moyen tiré d'une atteinte à la vie privée manque en fait ».
M. Jean-Luc Mélenchon.
Lorsqu'il n'y a pas de fichier !
M. Paul Masson,
rapporteur.
L'article 1er du projet de loi présenté par le Gouvernement
fait à l'hébergeant l'obligation d'informer le maire de sa commune de résidence
du départ de l'étranger qu'il héberge. Au cas où il ne le ferait pas, aucune
sanction directe n'est prévue. Mais l'absence de notification de ce départ
l'empêcherait de présenter, dans les deux ans, au visa du maire un nouveau
certificat d'hébergement.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et alors ?
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je ne vois pas objectivement en quoi cette procédure, qui
conduit à déclarer le départ d'un visiteur que l'on a déjà déclaré à l'arrivée,
serait attentatoire aux libertés !
(Applaudissements sur les travées du RPR,
des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE. - Protestations sur les travées socialistes. - Mme
Dusseau proteste également.)
M. Bernard Piras.
Même à Cuba, on ne fait pas ça !
M. Paul Masson,
rapporteur.
De toute façon, nous en débattrons !
Comment peut-il être soutenu que ces mesures s'apparentent aux procédures
policières de l'URSS aux pires moments du stalinisme ?
Mme Joëlle Dusseau.
Nous les avons dénoncées à ce moment-là !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Il n'y a nulle part intervention de la police. L'Office des
migrations reste seul habilité à visiter avec l'autorisation des responsables
des lieux.
Manifestement, de ce point de vue polémique, l'objection est faible. Nous y
reviendrons lors de l'examen de l'article 1er.
Il reste l'autre observation, celle qui a été formulée par le bureau de
l'Association des maires de France. En gros, elle a trait aux « procédures
lourdes, coûteuses, irréalistes, conduisant à des risques de dérapages
politiques ».
M. Jacques Mahéas.
Procédures complètement inefficaces !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Là encore, un défaut d'information me paraît seul expliquer
ces turbulences.
Première observation : le maire agit, en l'espèce, comme agent de l'Etat. En
tant que tel, il est soumis au pouvoir hiérarchique du préfet, avec les
conséquences légales de cette procédure, à savoir le recours gracieux et le
recours contentieux, le cas échéant.
M. Hubert Haenel.
Absolument !
M. Paul Mason,
rapporteur.
Il ne peut donc y avoir aucun dessein partisan dans le
système, puisque le préfet est seul garant de l'homogénéité de l'interprétation
de la procédure.
M. Bernard Piras.
Qu'il le fasse !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Le maire est donc protégé.
Pour l'élaboration du certificat d'hébergement, il se trouve dans une
situation rigoureusement identique à celle qu'il connaît lorsqu'il met en
oeuvre des dispositions relatives à l'ordre public, à la salubrité ou à la
circulation. Il aurait été beaucoup plus exposé s'il avait agi sur sa seule
initiative et sous le seul contrôle de sa majorité ou de ses électeurs. Or tel
n'est pas le cas.
Rappelons enfin, pour relativiser tout ce débat, qu'en 1995 moins de 180 000
certificats ont été demandés rapportés à 36 000 communes, dont 2,77 % seulement
ont donné lieu à enquête de l'OMI.
M. Bernard Piras.
Raison supplémentaire !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Nous sommes donc loin, à cet égard, de l'épouvantable menace
contre le régime républicain que l'on voit surgir ici et là à partir de propos
manifestement provoqués par une mauvaise maîtrise de ce sujet.
Il reste les éventuels fichiers dont rien, dans la loi, n'indique l'obligation
de mise en place. Bien évidemment, les maires devront tenir un registre, et de
nombreux existent déjà. Quelques mairies voudront sans aucun doute
s'informatiser. La Commission nationale de l'informatique et des libertés
interviendra alors, comme il est de règle dans toutes les matières concernant
les libertés individuelles.
(Murmures sur les travées socialistes.)
Je rappelle à cet égard le débat que nous avons eu ici même concernant la
vidéosurveillance, sujet autrement plus difficile, et que nous avons résolu.
M. Charles Descours.
Tout à fait !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Sur ce point, je vous présenterai, bien entendu, divers
amendements, tendant à l'assouplissement du texte. Nous y reviendrons à
l'occasion de l'examen de l'article 1er.
L'article 3 a pour objet de faciliter les mesures d'éloignement des étrangers
en situation irrégulière.
Trois mesures sont proposées, à savoir la retenue des passeports des étrangers
en infraction, la vérification sommaire des véhicules dans la bande des vingt
kilomètres, et le relevé des empreintes digitales.
Cette dernière disposition ne figurait pas dans le texte initial. Ajoutée par
l'Assemblée nationale, elle ouvre la possibilité de relever les empreintes
d'étrangers qui souhaitent séjourner en France, à l'exclusion, bien sûr, des
ressortissants de l'Union européenne. Cette mesure mérite d'être examinée avec
attention, et la commission des lois vous soumettra un important amendement à
cet égard.
L'article 8 est particulièrement important. Il modifie l'article 35
bis
de l'ordonnance de 1945.
Cet article 35
bis
fonde la légalité du maintien dans des locaux ne
relevant pas de l'administration pénitentiaire, pendant le temps nécessaire à
son départ, d'un étranger en situation irrégulière. Ce maintien, avant
l'intervention du juge, dure actuellement vingt-quatre heures. Il est proposé
d'allonger ce délai et de le porter à quarante-huit heures. C'est l'un des
moyens clé que prévoit la loi pour remédier à la situation mauvaise qui
caractérise cette procédure en l'état actuel des choses.
Nous en avons débattu longuement. Pour l'instant, je préciserai simplement que
le Conseil constitutionnel a par avance répondu au sujet de la
constitutionnalité d'une telle disposition - sous réserve, bien sûr, de la
confirmation de son jugement d'alors - puisque, en 1980, il a estimé qu'une
rétention de quarante-huit heures ne portait pas atteinte aux libertés
individuelles.
L'autre modification importante apportée par l'article 8 concerne l'appel
interjeté par le procureur. Nous reviendrons sur ce point tout à fait
spécifique, qui me paraît particulièrement important.
Je citerai, bien entendu, avant de terminer mon exposé, l'article 4.
M. le ministre y a insisté, cet article a pour objet d'accorder un titre de
séjour à certaines catégories d'étrangers éloignables. Ce texte vise à mettre
fin à des situations baroques en favorisant l'intégration d'étrangers qui
vivent depuis plus de quinze ans en marge de nos lois.
Je rappelle qu'il existe des étrangers protégés contre l'éloignement par
l'article 25 de l'ordonnance de 1945, mais que ces derniers n'entrent pas pour
autant, aujourd'hui, dans la catégorie qui bénéficie de plein droit d'un titre
de séjour. Ce sont les fameux « ni-ni », ni éloignables ni régularisables, sauf
au coup par coup, sur décision des préfets.
Diverses circulaires ont eu pour objet de faciliter le règlement de situations
difficiles concernant des conjoints de Français ou des parents d'enfants
français. L'appréciation devient on ne peut plus délicate pour le préfet
lorsque le demandeur peut faire valoir le droit à une vie familiale normale,
lui-même reconnu par l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme.
Pour éviter l'accumulation de ces situations complexes, dont on a bien vu où
elles peuvent conduire à l'occasion de l'occupation de l'église Saint-Bernard à
Paris, en août 1996, l'article 4 du projet prévoit de compléter la liste des
bénéficiaires de plein droit de la carte de séjour temporaire telle qu'elle
ressort de l'ordonnance de 1945.
Cinq cas nouveaux sont ajoutés par le texte gouvernemental aux deux cas
existant dans le droit en vigueur. Le cinquième est, bien entendu, le plus
important à nos yeux, puisque c'est celui que nous vous proposons de modifer en
revenant sur les propositions de l'Assemblée nationale.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Tout est bon à jeter !
M. Paul Masson,
rapporteur.
M. le ministre nous dit que ces cas ne sont pas nombreux :
cinquante, a-t-il précisé. D'autres suivront, nous répond-on. J'observe que,
s'il fallait raisonner sur l'aggravation de cette clandestinité potentielle de
long séjour, il faudrait aussi s'interroger sur les capacités de notre police !
Celles-ci s'améliorent d'année en année, mais il serait important de considérer
que l'augmentation de l'efficacité de notre système ne doit pas avoir pour
conséquence une multiplication inconsidérée des situations de clandestinité.
Quoi qu'il en soit, je pense que nous reviendrons sur ces sujets. Pour ma
part, je crois avec force qu'il faut régulariser cette situation, car elle
n'est pas convenable.
M. Robert Badinter.
Très juste !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Je voudrais conclure par une réflexion de nature générale.
J'ai l'intime conviction que l'inefficacité de notre système tient en grande
partie à l'extrême complication de notre législation. L'exiguïté du délai -
unique en Europe - dans lequel la loi enferme les autorités responsables incite
à la fraude par destruction de papiers, par dissimulation d'identité, et
conduit à l'organisation de réseaux.
On assiste aujourd'hui, quotidiennement, dans les faits, à une sorte de course
contre la montre entre le fraudeur, qui s'acharne à atteindre le septième jour
libérateur, et l'administration, qui, elle, est non moins acharnée à faire la
preuve du bien-fondé de sa procédure.
Nous en arrivons, au pays de Descartes, à proposer trois juridictions à un
seul homme ! Et à quel malheureux proposons-nous ce marathon administratif et
judiciaire ? A un étranger qui, le plus souvent, maîtrise très mal notre
langue. Il vient de son pays lointain, de Chine, du Vietnam, de Turquie,
d'Afrique noire, d'Ukraine. Il subit la loi de l'interprète, les propositions
de ses conseils ; il comprend simplement qu'il ne doit rien dire, ne rien
montrer qui puisse permettre de déceler son identité.
Cet étranger qui ne maîtrise pas notre langue traverse ainsi, en sept jours,
les trois ordres de juridiction dont dispose la France : le juge administratif,
qui officie dans les quarante-huit heures sur l'appel d'une décision
administrative, le juge civil, saisi actuellement dans les vingt-quatre heures
d'une éventuelle prolongation de la rétention administrative et qui statue sur
le bien-fondé de la mesure dans des conditions de bousculade et de confusion
dont nous eûmes quelques échos l'été dernier, puis le juge pénal si des
poursuites sont engagées sur la base de l'article 27 de l'ordonnance de
1945.
Dans ces conditions, il n'est pas rare que des dossiers incomplets fassent
annuler une procédure sans que soit pour autant contestée l'irrégularité du
séjour, que soit remis en liberté un étranger en situation irrégulière dont le
tribunal administratif confirme le bien-fondé de l'arrêté préfectoral de
reconduite à la frontière, ou encore que soit prolongée la rétention d'un
étranger dont l'arrêté de reconduite à la frontière a été annulé quelques
heures après l'audience par le tribunal administratif.
Telles sont les fameuses audiences dites « de l'article 35
bis
», dont
les spécialistes savent quoi penser.
Devant cet état de fait, les services chargés de mener à bien l'éloignement
sont souvent proches du découragement. Ils ont parfois le sentiment d'être
condamnés à repousser le rocher du légendaire Sisyphe sur une pente dont ils
n'aperçoivent pas la crête.
On peut s'interroger sur les conséquences de cette conception réductrice de la
liberté individuelle. Des procédures bâclées, une exploitation subalterne des
incohérences générées par cet imbroglio unique en son genre...
M. Hubert Haenel.
Ça, c'est vrai !
M. Paul Masson,
rapporteur.
... ne sont pas dignes du pays de
l'Esprit des lois. (Très
bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
Je suis résolument dans le camp de ceux qui veulent changer fondamentalement
ce système. Nous ne pouvons pas aspirer à la création d'un espace judiciaire
européen en proposant à nos amis un droit aussi ridiculement alambiqué.
Faut-il rappeler que la rétention en vue de l'éloignement n'est limitée dans
le temps ni en Grande-Bretagne ni au Pays-Bas ?
M. Hubert Haenel.
C'est un problème de fond !
M. Paul Masson,
rapporteur.
En Belgique, elle est de soixante jours. En Allemagne, elle
est de six mois, prolongeables six mois. En Espagne, elle s'élève à quarante
jours, après soixante-douze heures de rétention administrative. En France, elle
est de sept jours, tout compris !
L'heure n'est pas encore venue de ce débat fondamental. Nous allons donc une
fois encore - la vingt-quatrième - amender l'ordonnance de 1945, l'« ajuster »,
comme on dit.
La commission des lois vous proposera trente amendements, qui portent
essentiellement sur des ajouts de l'Assemblée nationale. Nous aurons ainsi, si
vous les approuvez, contribué à l'amélioration du texte gouvernemental, tout en
retenant plusieurs propositions fort opportunes de l'Assemblée nationale.
Je ne suis pas pour autant convaincu que nous pourrons faire, à terme,
l'économie d'un large débat devant l'opinion publique nationale...
M. Hubert Haenel.
Très bien !
M. Paul Masson,
rapporteur.
... sur un sujet capital pour l'équilibre du pays, où
s'imbriquent étroitement des faits de société incontournables. Mais c'est une
autre histoire, mes chers collègues. L'heure n'est pas, ce soir, au débat de
fond.
Mme Hélène Luc.
Comment ? Elle n'est pas au débat de fond ? A quoi cela sert-il d'avoir un
débat, alors !
M. Paul Masson,
rapporteur.
Il vous est demandé d'ajuster l'ordonnance de 1945. La
commission des lois, parfaitement au fait du débat de fond sous-jacent à tous
ces articles, vous propose d'envisager le présent texte sous le seul angle
pragmatique dont a parlé M. le ministre : c'est cette approche pragmatique qui
nous a guidés, et les amendements que j'aurai l'honneur de vous proposer au nom
de la commission des lois sont empreints de ce souci.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE
M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la qualité du rapport qui
vient de vous être présenté, la maîtrise dont mon ami M. Masson a fait preuve -
comme à l'accoutumée - dans l'analyse de ces questions complexes nous auront
permis de bien discerner le double objectif que s'est assigné le
Gouvernement.
Celui-ci entend tout d'abord tirer les conséquences de quelques difficultés
statistiquement peu nombreuses mais qui ont entraîné des situations humaines
auxquelles il est nécessaire de porter remède. Notons aussi qu'elles ont fait
l'objet d'une exploitation sur laquelle il y aurait beaucoup à dire.
Mais le projet de loi qui nous est soumis a un autre objectif : il s'agit de
mieux assurer, dans le respect des droits de tous ceux qui vivent régulièrement
en France, le retour dans leur pays d'origine de ceux qui ont enfreint la loi
en demeurant clandestinement sur notre territoire.
Nous aurons l'occasion de nous livrer à un examen approfondi de ce texte, mais
je constate qu'une double lecture par l'Assemblée nationale et par le Sénat se
sera révélée particulièrement opportune.
Certes, il ne s'agit que de dispositions diverses, qui ajustent, complètent ou
adaptent les lois de 1993 sans les remettre en cause. Pour autant, chacun des
articles proposés, parce qu'il intéresse peu ou prou les libertés publiques ou
les droits de l'homme, appelle de notre part une réflexion approfondie et
sereine dans le droit-fil de la tradition qui caractérise les délibérations du
Sénat.
Le pire serait de légiférer dans la passion, dans la précipitation ou sous la
pression d'une opinion aux sentiments mêlés. Car, si tous nos concitoyens sont
d'accord pour préconiser la plus grande vigilance dans le contrôle de
l'immigration, chacun souhaite traiter avec humanité tel ou tel cas particulier
concernant tel ou tel immigré qu'il connaît. Les parlementaires que nous sommes
le savent bien.
Au surplus, l'adoption de solutions extrêmes, en définitive difficilement
applicables, nous conduirait rapidement non pas à la « vingt-cinquième heure »
mais à une vingt-cinquième retouche de la rédaction de l'ordonnance de 1945.
Vous avez parlé, monsieur le ministre, d'un « manteau d'Arlequin ». L'image
est jolie. Je vous proposerai peut-être de songer à nous en remettre à un
couturier au profil plus simple et plus élaboré.
Vous savez, mes chers collègues, que nous disposons, fort heureusement, d'un
organisme dont on nous avait signalé l'importance et l'urgence, l'office
d'évaluation de la législation qui vient de tenir sa première réunion ce
matin.
Sans doute serait-il possible de soumettre à cet office, dans un délai à
déterminer, peut-être sur proposition de la commission des lois, l'étude de
l'ensemble de ces dispositions, de telle manière que nous puissions aboutir
sinon à un costume classique, tout au moins à un habit dont la présentation
serait enfin acceptable.
Le rappel de cette instabilité législative m'incite à faire un constat
préliminaire.
A quelques exceptions près - M. le rapporteur vient de le rappeler -
l'immigration, qui est une partie de notre destin, n'a jamais fait l'objet
d'une approche globale, d'une démarche d'ensemble reposant sur des principes
clairement affirmés.
Le législateur, peut-être sous l'empire de la nécessité, n'a essentiellement
appréhendé le problème des flux migratoires que par le biais de la police des
étrangers.
Depuis 1945, on a procédé par touches successives, faisant alterner le libre
passage des frontières, voire le laxisme le plus absolu, avec des politiques
heureusement plus restrictives ou plus réalistes.
Sans doute en est-il ainsi parce que l'opinion n'a jamais été en mesure de
répondre à la question de fond : faut-il une immigration à la France et, dans
l'affirmative, quelle immigration ?
On a parlé d'« immigration zéro ». Chacun sait que c'est un leurre.
Mais essayons de déterminer cette immigration. Est-elle une chance, un danger
ou une nécessité inévitable pour une France ouverte sur le monde ?
Pour ma part, je dirai - nous pourrions dire tous ensemble - que l'immigration
fait partie intégrante de l'histoire de notre pays.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
En un siècle, notre population s'est
trouvée enrichie de plus de dix millions de personnes,...
M. Guy Allouche.
« Enrichie », c'est bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
... dont quatre millions sont nés
hors de France et six millions constituent leur descendance directe.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Aujourd'hui, plus d'un Français sur
cinq a l'un de ses parents ou de ses grands-parents d'origine étrangère.
Cette réalité est explicable : ce pays, qui était le plus peuplé d'Europe au
moment de la Révolution française, est devenu un pays vieillissant et de basse
pression démographique.
En très grand nombre, ces étrangers que nous avons accueillis sont devenus
Français par naturalisation ou par mariage. Aussi peut-on dire que la société
française est, depuis plusieurs décennies, fondée sur un brassage rassemblant
dans un même creuset des populations diverses.
A aucun moment, jusqu'à ce jour, ce brassage n'a menacé la cohésion de notre
pays. Notre identité nationale, jusqu'à ce jour, a été suffisamment forte pour
assimiler ces étrangers, qui sont venus sur notre sol pour y vivre selon nos
lois et nos coutumes.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Compte tenu de ce qu'est la France,
pouvons-nous, par ailleurs, oublier notre passé en Asie ou en Afrique ?
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Pouvons-nous également oublier la
relation très forte qui existe entre l'immigration et cette chance que
représente pour notre destin national la francophonie ?
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Guy Allouche.
Merci de le reconnaître, monsieur le président !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Mais c'est la liberté du Sénat, mon
cher collègue.
M. Bernard Piras.
Elle est peu utilisée, à droite !
Mme Hélène Luc.
Vous devriez le faire remarquer à vos amis de la majorité !
M. Jean-Marie Poirier.
Attendez la suite !
(Rires.)
M. Jacques Mahéas.
Jusque-là, ça va !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Rassurez-vous, messieurs, je ne suis
pas en train de changer d'amitiés !
(Sourires.)
M. Robert Badinter.
C'est blessant !
M. Jean-Luc Mélenchon.
On ne vous applaudit que pour vous nuire !
(Sourires sur les travées
socialistes.)
M. Marcel Charmant.
N'y prenez pas goût !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
On ne peut tout à la fois craindre
la venue d'étrangers francophones et préconiser la reconnaissance par la
Constitution française d'un espace francophone, comme cela nous a été proposé à
l'occasion des deux dernières révisions constitutionnelles.
Plus personne n'applaudit, c'est parfait !
(Sourires.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
N'y prenez pas goût !
Mme Monique ben Guiga.
Mais nous sommes d'accord !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Certes, depuis plus de vingt ans,
les conditions économiques et sociales ont changé les données du problème.
M. Robert Badinter.
C'est le virage !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Le chômage endémique qui mine notre
pays rend inéluctable un contrôle plus strict des flux migratoires.
L'immigration elle-même a changé de nature : les moeurs ou les coutumes de ces
nouveaux immigrés diffèrent parfois profondément des nôtres, au point de
contrevenir à notre ordre public.
M. Alain Gournac.
Ils n'applaudissent plus !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
L'immigration ne doit pas, dans
l'évolution que l'on constate, saper les fondements de la société française. La
France n'acceptera pas de devenir une société multiculturelle ou
pluricommunautaire.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur
certaines travées du RDSE. - M. Jacques Mahéas applaudit également.)
M. Michel Rocard.
Au contraire, c'est une société laïque !
Mme Monique ben Guiga.
Nous sommes hostiles à une société pluricommunautaire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Dites que c'est une société laïque ! Cela nous fera plaisir.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous l'avons constaté au Liban, où
nous avons effectué, en octobre dernier, une mission d'information d'un grand
intérêt : la communautarisation, c'est-à-dire la reconnaissance juridique plus
ou moins affirmée de communautés confessionnelles ou ethniques, conduit sinon à
l'éclatement de la nation, du moins à une société conflictuelle dont
l'équilibre instable résulte de rapports de force entre ses différentes
composantes.
Mme Monique ben Guiga.
Nous sommes tout à fait d'accord !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
La légalité républicaine doit
s'appliquer à tous, y compris aux étrangers, avec une égale force.
Certains comportements contraires à cette vertu de l'intégration que nous
voudrions voir appliquer doivent être combattus, voire interdits, en premier
lieu ceux qui traduisent le refus de respecter nos règles communes de
société.
M. Alain Gournac.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Un temps tolérée, hélas ! par un
arrêt aberrant du Conseil d'Etat, la polygamie a fort heureusement été
proscrite par la loi de 1993. Il reste que, sur la base de la décision de notre
haute juridiction, le nombre des ménages polygames peut être évalué - ce n'est
pas chose aisée - à 10 000 environ.
Je citerai encore, entre autres pratiques discriminatoires que nous devons
combattre, singulièrement à l'égard des femmes, dont nous souhaitons assurer
une égalité de statut, l'excision, l'obligation du port du foulard à l'école,
l'interdiction faite aux jeunes filles de suivre certaines disciplines, telles
que la musique, la biologie ou le sport.
M. Michel Caldaguès.
Il y a pire !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Quoi qu'il en soit, l'intégration
des populations d'origine étrangère passe aujourd'hui par une maîtrise continue
des flux migratoires et une lutte constante contre toutes les formes
d'immigration irrégulière ou clandestine.
(Murmures sur les travées
socialistes.)
Tel est le sens de l'action du Gouvernement, qui recueille
notre assentiment.
Depuis 1992, sous l'autorité de deux ministres de l'intérieur qui se sont
succédé, les moyens d'action, tant juridiques qu'administratifs, se sont
développés : les arrêtés de reconduite à la frontière connaissent une meilleure
exécution ; le droit d'asile n'est plus détourné de sa finalité première ; les
flux d'entrée sont mieux contrôlés - ils le sont même avec une efficacité
certaine.
Mais la nécessaire répression de l'immigration clandestine ne doit pas
l'emporter sur notre tradition d'humanisme, ni faire plier les principes de
notre ordre constitutionnel et juridique.
M. Robert Badinter.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Comme le Conseil d'Etat l'a rappelé
dans son avis du 22 août 1996 - cette fois, je ne le critiquerai pas -
l'étranger, s'il n'a aucun droit au séjour ou à la régularisation, ne peut être
reconduit à la frontière si cette mesure présente pour lui des conséquences
d'une particulière gravité.
A cet égard - nous l'avons noté avec un extrême intérêt - le projet de loi
conforte la situation de la plupart des étrangers, qui, en vertu de l'article
24, ne peuvent être éloignés puisqu'un titre de séjour temporaire d'un an leur
serait délivré de plein droit.
Mais par la force des choses, quel que soit le texte que le Parlement votera,
une loi ne peut tout prévoir, ni régler toutes les situations de fait.
Il reviendra aux préfets d'examiner chaque cas avec fermeté, mais aussi avec
humanité, en tenant compte, notamment, de l'état de santé et de la situation
familiale des intéressés.
Il faut aussi penser aux enfants nés en France et dont les parents étrangers
pourraient être expulsés alors même que ces enfants sont potentiellement
français puisqu'ils auraient la faculté de déclarer leur nationalité entre
seize et vingt et un ans.
Voilà, mes chers collègues, quel a été l'état d'esprit dans lequel votre
commission des lois a examiné ce projet de loi. Le texte initial du
Gouvernement - je dis bien : « initial » - nous a paru équilibré et efficace,
eu égard aux objectifs que nous nous proposons d'atteindre.
Certains infléchissements proposés par l'autre Chambre nous ont paru inutiles
en raison des conséquences qu'ils seraient susceptibles d'entraîner.
(Ah !
sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Ils sont indignes !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous nous situerons donc dans la
tradition qui est la nôtre en abordant cette discussion avec une double
préoccupation : d'une part, nous devons avoir présents à l'esprit ces principes
qui sont la base même de notre communauté et de notre identité nationale ;
d'autre part, nous devons respecter ces autres principes qui assurent dans
notre pays le respect des droits de l'homme.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDS.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 53 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
10 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Rufin.
M. Michel Rufin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays,
chacun le déplore, est confronté à des difficultés économiques et sociales qui
sont, pour un grand nombre d'entre elles, le fruit de trop nombreuses années
d'erreurs et de laxisme.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Michel Rufin.
Dès lors, je me félicite vivement que le gouvernement actuel poursuive et
amplifie l'action de redressement entreprise à partir de 1993 et s'efforce de
faire face avec détermination et un rare courage au passif dont il a hérité.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.
- Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Pour quel résultat ? La réaction est venue !
M. Michel Rufin.
Il n'y a que les vérités qui blessent !
La lutte contre l'immigration irrégulière est, avec la lutte contre
l'insécurité et contre le chômage, l'une des préoccupations essentielles de nos
concitoyens. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, notre excellent collègue
Charles Pasqua,...
M. Claude Estier.
Il est déjà parti !
M. Jacques Mahéas.
Pour ne pas entendre cela !
M. Michel Rufin.
... en avait mesuré toute l'importance en soumettant à la représentation
nationale un ensemble de dispositions consacrant dans la loi les principes
fondamentaux de la politique de la France en matière d'immigration.
Mme Monique ben Guiga.
Ce n'était qu'une loi policière !
M. Michel Rufin.
Ces lois ont été votées en 1993 et constituent un véritable socle de référence
définissant précisément l'ensemble des conditions d'entrée, d'accueil et de
séjour des étrangers en France.
Ces lois, monsieur le ministre, vous les appliquez maintenant depuis plus d'un
an et demi.
Mme Monique ben Guiga.
Elles n'ont pas marché !
M. Michel Rufin.
Je souhaiterais, aujourd'hui, vous rendre un hommage appuyé pour le travail
considérable que vous faites depuis votre arrivée place Beauvau pour combattre
sans faiblesse l'immigration irrégulière.
(Applaudissements sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Les résultats positifs que
vous enregistrez mois après mois, et dont vous nous informez régulièrement,
démontrent, s'il en était besoin, que vos efforts n'ont pas été vains. Vous en
êtes à la trente-deuxième opération de reconduite groupée jusqu'à la frontière
et jusqu'à leur pays.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Depuis le 1er mai 1995, près de 20 000 étrangers en situation irrégulière ont
été reconduits à la frontière.
M. Michel Rocard.
Quel record !
M. René-Pierre Signé.
C'est tout ce qu'il a fait !
M. Michel Rufin.
Dans le domaine de la lutte contre l'emploi d'étrangers sans titre, vos
services ont interpellé au cours des onze premiers mois de l'année plus de 1
000 employeurs de main-d'oeuvre clandestine et 35 ateliers clandestins ont été
fermés ou démantelés.
Mme Monique ben Guiga.
Quel est le pourcentage d'étrangers parmi les employés ?
M. Michel Rufin.
C'est un résultat positif, monsieur le ministre !
Tout cela est le fruit de votre courage et de votre détermination à faire
respecter sur notre territoire les lois de la République.
M. François Autain.
Affligeant !
M. Michel Rufin.
Mais il faut aller plus loin car les taux d'exécution des arrêtés de
reconduite des étrangers irréguliers à nos frontières restent encore trop
faibles, même s'ils connaissent, depuis votre arrivée, une sensible
amélioration passant de 22 % à environ 30 % actuellement.
Il faut aller plus loin aussi car des dysfonctionnements dans l'application
des lois sont apparus.
Ce fut le cas notamment lors de l'affaire dite des « sans-papiers de l'église
Saint-Bernard ». Les Français n'ont, en effet, pas compris qu'il ait fallu plus
de trois semaines aux forces de l'ordre pour faire évacuer cette église.
M. René-Pierre Signé.
En cassant les portes !
M. Michel Rufin.
Ils ont encore moins compris qu'une dizaine seulement des 220 personnes
interpellées aient été reconduites à nos frontières. Certes, il fallait
respecter la loi, mais elle est apparue...
M. Claude Estier et Mme Joëlle Dusseau.
Quand même !
Mme Monique ben Guiga.
Hélas !
M. Michel Rufin.
Eh oui ! Nous respectons la loi, madame le sénateur !
M. Claude Estier.
Vous le regrettez ?
M. Michel Rufin.
Certes, il fallait respecter la loi, mais elle est apparue aux yeux de
l'opinion comme lente dans sa mise en oeuvre, voire incompréhensible pour
certains.
J'ajoute que cette affaire est apparue à l'immense majorité de nos
compatriotes comme une provocation inadmissible...
M. Jacques Mahéas.
C'est intolérable !
M. Michel Rufin.
... et ce d'autant que les meneurs de ces manifestations sont généralement
plus enclins à tirer partie d'une publicité gratuite auprès des médias qu'à se
préoccuper sincèrement et humainement du sort des clandestins...
M. Félix Leyzour.
C'est scandaleux !
M. Claude Estier.
Vous y étiez, vous, à Saint-Bernard ? De quoi parlez-vous ?
M. Michel Rufin.
... qui sont largement exploités, manipulés, voire rackettés par des passeurs
qui s'enrichissent à leur dépens et n'y voient qu'un trafic lucratif et peu
risqué.
M. Jacques Mahéas.
Pour leur plaisir, sans doute !
M. Michel Rufin.
Et puis, il y eut le concert des donneurs de leçons, des prétendues bonnes
âmes qui se sont élevées contre l'application même de la loi.
M. Marcel Charmant.
Allez-le leur dire tout à l'heure ! On va vous y conduire.
M. Michel Rufin.
Ces derniers ont la mémoire courte : ils oublient qu'ils sont à l'origine de
ces situations humaines difficiles. En effet, en régularisant plus de 130 000
étrangers en situation irrégulière en 1981 et 1982, ils ont créé un
spectaculaire appel pour des milliers d'étrangers à quitter leur pays dans
l'espoir de trouver une vie meilleure en France, considérée pour eux comme un
Eldorado.
M. Jack Ralite.
La faute à qui ?
M. Michel Rufin.
Mais « la France ne peut plus accueillir toute la misère du monde », selon la
phrase devenue célèbre d'un ancien Premier ministre.
(Murmures sur les
travées socialistes.)
M. Guy Allouche.
Citez l'intégralité de la phrase !
M. Michel Rufin.
Elle doit cesser d'être un pays d'immigration incontrôlée !
M. Michel Rocard.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. Michel Rufin.
Je n'y vois aucun inconvénient, je connais d'ailleurs votre réponse !
M. le président.
La parole est à M. Rocard, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Michel Rocard.
Je vous remercie de me citer ; c'est un honneur, mais la phrase complète était
: « La France ne saurait accueillir toute la misère du monde, raison de plus
pour qu'elle traite bien la part qu'elle ne saurait manquer d'en prendre. »
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Rufin.
M. Michel Rufin.
C'est exactement la phrase que j'ai sous les yeux ; mais je vous y répondrai à
la fin de cet exposé !
M. René-Pierre Signé.
Falsificateur, jésuite !
M. Michel Rufin.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, fort de votre expérience, vous nous
proposez une actualisation de notre législation - c'est d'ailleurs la
vingt-quatrième modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 - et nous ne
pouvons que vous en féliciter.
Les gouvernements socialistes n'ont-ils pas d'ailleurs, eux-mêmes, à plusieurs
reprises, réformé cette ordonnance, notamment en 1989, 1990 et 1991 ?
M. Marcel Charmant.
Ils vont revenir ! Préparez vos valises !
M. Michel Rufin.
Dès lors, ce qui serait considéré comme normal pour les uns serait un signe de
désaveu pour les autres !
M. René-Pierre Signé.
Désaveu pour vous !
M. Michel Rufin.
Voilà, mes chers collègues, une conception bien étrange de la nécessaire
évolution de notre législation que, à l'évidence, je ne partage pas.
M. Claude Estier.
On s'en serait douté !
M. Michel Rufin.
En effet, nous ne pouvons confondre les lois générales et abstraites, valables
pour un temps indéterminé, qui découlent de notre éthique, de nos valeurs, de
nos coutumes et des lois d'adéquation qu'imposent l'actualité et les
événements.
J'ai la conviction que le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui
devrait renforcer l'efficacité de la lutte contre l'immigration clandestine des
personnes qui ne respectent pas la loi.
Ainsi, dans l'affaire dite des « sans-papiers de l'église Saint-Bernard »,
d'abord les retenues des passeports auraient permis d'assurer davantage de
reconduites ; ensuite et surtout, la modification des dispositions relatives à
la rétention administrative à l'article 8 de votre projet de loi, monsieur le
ministre, aurait évité qu'une large majorité d'étrangers en situation
irrégulière soit remise en liberté par le juge judiciaire de première instance
- qui n'est naturellement pas en cause - tandis que les arrêtés de reconduite
étaient validés par le juge administratif quelques semaines plus tard.
Enfin, l'extension du champ d'application de la rétention judiciaire à
l'article 9 aurait permis de déférer au parquet un grand nombre d'étrangers
interpellés en situation irrégulière et ne disposant d'aucun papier d'identité.
La rétention judiciaire de trois mois aurait permis d'identifier et de
reconduire ces étrangers dans leur pays d'origine.
Les résultats, en termes de taux de reconduction à nos frontières, auraient
donc été sensiblement améliorés.
Par ailleurs, monsieur le minstre, votre texte comporte d'autres dispositions
importantes. Je n'en citerai que quelques-unes qui me semblent aller dans le
bons sens et vers plus d'efficacité.
Ce projet de loi permettra enfin la visite, certes sommaire, des camions et
des autocars dans la bande des vingt kilomètres des frontières de nos
partenaires aux accords de Schengen.
Il légalisera également une nouvelle rétention dans le cas où un étranger en
situation irrégulière n'a pu être éloigné à l'issue d'une première période de
rétention.
Il permettra, enfin, la visite des ateliers par les policiers, sur réquisition
du parquet, pour lutter contre le travail clandestin et l'emploi irrégulier
d'étrangers sans titre. Toutes ces dispositions constituent un complément
indispensable au projet de loi sur le travail clandestin.
Vous présentez donc, monsieur le ministre, un texte pragmatique, efficace et
équilibré, sans céder, en aucune manière, au populisme de certains mouvements
qui proposent, pour toute réponse aux légitimes inquiétudes de nos
compatriotes, des solutions simplistes et démagogiques.
(M. Chérioux applaudit.)
Il s'inscrit, au contraire, dans le droit-fil de
la tradition républicaine de la France.
(Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Sûrement pas !
M. Michel Rufin.
Il ne renie aucun de nos principes. Il fait preuve d'une volonté ferme,
clairement affichée de tendre vers l'immigration irrégulière « zéro ».
M. Jean-Luc Mélenchon.
Impossible !
M. Michel Rufin.
Sauf à pratiquer un procès d'intention et contrairement aux affirmations de
certains, il n'y a pas, à l'évidence, dans le présent projet de loi, une
quelconque atteinte aux droits de l'homme auxquels nous sommes tous, il va sans
dire, profondément attachés.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Marcel Charmant.
C'est vous qui le dites !
M. Michel Rufin.
Bien sûr, chacun d'entre nous s'accorde également à condamner vigoureusement
le racisme et la xénophobie.
M. René-Pierre Signé.
Parlez avec précaution !
M. Michel Rufin.
Naturellement, le texte qui nous est soumis ne prétend pas tout résoudre.
Au sein de la commission des lois, nous l'avons examiné avec une particulière
attention. Je tiens, à cet égard, à rendre un hommage appuyé au rapporteur,
notre collègue M. Paul Masson, et à notre président, M. Jacques Larché, qui ont
accompli, dans un domaine aussi éminemment sensible et complexe, un travail
remarquable et approfondi, dont j'approuve pleinement les orientations.
Je voudrais enfin insister, mes chers collègues, sur le fait que toute
politique de lutte contre l'immigration clandestine serait incomplète si elle
ne s'accompagnait pas également d'une action forte et généreuse vis-à-vis des
peuples et des pays victimes du sous-développement économique et social...
M. Yann Gaillard.
Très bien !
M. Michel Rufin
... que ce soit en Afrique, mais aussi en Europe de l'Est, voire en Asie.
M. Marcel Daunay.
C'est vrai !
M. Michel Rufin.
L'Afrique, ce continent exceptionnel aux multiples richesses qui ne demandent
qu'à être exploitées...
(Exclamations et rires sur les travées socialistes.)
MM. François Autain et Marcel Debarge.
Par qui !
M. Michel Rufin.
Messieurs, j'ai combattu avec des Africains et je les connais mieux que vous,
alors taisez-vous ! Ils étaient mes camarades de combat.
(Nouvelles
exclamations sur les mêmes travées.)
En Afrique, hélas ! la capacité des peuples à éradiquer la misère mais aussi à
se développer n'émane en aucune façon des richesses naturelles, elle provient
des richesses humaines.
A l'évidence, la seule façon d'aider vraiment ces pays à surmonter leurs
difficultés économiques et sociales est de former leurs travailleurs, leurs
cadres et leurs scientifiques, leur personnel administratif...
René-Pierre Signé.
En les accueillant en France !
M. Michel Rufin.
... afin qu'ils puissent pleinement prendre en main leur destin.
Ce soutien est tout à l'honneur de la France ; il s'inscrit notamment dans
notre politique traditionnelle de coopération et d'amitié avec le continent
africain et il doit pouvoir être encouragé et développé encore.
M. Jacques Mahéas.
Et la diminution du nombre des étudiants !
M. Michel Rufin.
De même, si la France doit combattre avec détermination l'immigration
clandestine, elle doit aussi veiller à l'intégration des étrangers qui résident
aujourd'hui sur le sol national.
A cet égard, mes chers collègues, il faut bien prendre conscience que trop
d'immigration tue l'intégration et qu'il est dans l'intérêt même des étrangers
en situation régulière - ils partagent d'ailleurs ce sentiment - que nous nous
opposions très fermement à l'immigration irrégulière et que nous sanctionnions
avec vigueur ceux qui ne respectent ni nos lois ni notre culture.
C'est ce que vous faites, monsieur le ministre, et je m'en félicite. Votre
projet de loi vous donnera, j'en suis sûr, les moyens juridiques
supplémentaires et nécessaires. C'est pourquoi le groupe du Rassemblement pour
la République et moi-même le voterons, sans hésiter. Ce texte répond, en effet,
à un besoin et à l'attente légitime de l'immense majorité de nos compatriotes.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi sur sur certaines travées du
RDSE.)
M. René-Pierre Signé.
On verra bien si c'est l'immense majorité !
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
Cela va faire la balance !
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, le pire n'est pas de se tromper, c'est de se mentir à
soi-même. C'est ce que fait le Gouvernement quand il refuse de voir la vérité
en face, qu'il persiste dans l'erreur et ne veut pas reconnaître le double
échec des lois de 1993, dites lois Pasqua.
Que cessent les mensonges au sujet de l'immigration !
(Murmures sur les
travées du RPR.)
Non seulement l'immigration irégulière n'est pas maîtrisée
- si tel était le cas, monsieur le ministre, on ne serait pas là pour en
débattre ! -, mais les dysfonctionnements, l'irréalisme de ces lois ont
provoqué de réels drames humains.
Un devoir de réparation s'imposait. Aveuglé par la passion sécuritaire, le
Gouvernement s'est engagé volontairement dans une impasse juridique de laquelle
il veut sortir. Pour ce faire - et peut-être malgré vous - il faut faire droit,
rendre justice à ces centaines d'enfants, de femmes et d'hommes qui ont été
indignement traités par vos services, monsieur le ministre.
M. Christian Demuynck.
C'est scandaleux !
M. Jacques Mahéas.
Par vos services, et par certains maires, monsieur le ministre.
M. Auguste Cazalet.
Et vous, qu'avez-vous fait ?
M. Guy Allouche.
Monsieur Demuynck, ce qui est scandaleux, c'est la façon dont ont été traités
des centaines d'enfants, de femmes et d'hommes dont le seul crime était d'aimer
la France au point de vouloir y vivre durablement.
(Très bien ! sur les
travées socialistes.)
Pourquoi oublier que les sans-papiers ne sont pas des nombres mais des êtres
humains ?
L'émotion suscitée, l'élan de solidarité autour de ces familles paisibles ont
contraint le Gouvernement à déposer un texte d'ajustement, qualifié par lui de
« mesure pragmatique et sans parti pris idéologique ».
Choquant dès l'origine, ce texte issu des travaux de l'Assemblée nationale est
devenu une véritable provocation, une insulte ajoutée à une injure.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bravo !
M. Christian Bonnet.
C'est de l'exagération !
M. Guy Allouche.
En 1993, les lois Pasqua étaient apparues à la limite de ce que la République
pouvait accepter. Le Conseil constitutionnel, comme toujours, a alors rempli sa
mission. Nous avons combattu ces lois parce qu'elles étaient injustes,
stupides, inefficaces.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Bravo !
M. Guy Allouche.
Ces lois consistaient à déstabiliser pour délégaliser, à délégaliser pour
exclure socialement, à exclure socialement pour expulser hors de nos
frontières. Elles ont été des machines à produire des clandestins, des
sans-papiers...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très bien !
M. Guy Allouche.
... des « sans-droits », des « sans-ressources »...
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà !
M. Guy Allouche.
... des « sans-travail »...
Mme Monique ben Guiga.
Très bien !
M. Guy Allouche.
... des « sans-domicile », des « sans-espoir ».
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur
les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Ces lois ont même créé un type de statut social jusqu'alors inédit : «
les inexpulsables non régularisables », et, c'est un comble dans un Etat de
droit, une « zone de non-droit » !
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Les absurdités juridiques de ces lois devenant si évidentes et si
criantes, le Gouvernement s'est résigné à adresser, en 1994, 1995 et 1996,
plusieurs circulaires prescrivant la régularisation temporaire de certains
étrangers, au cas par cas.
M. Christian Bonnet.
Cela, vous savez le faire !
M. Guy Allouche.
Outre l'insécurité juridique qu'il induit, un tel traitement des dossiers, par
voies de circulaires réitérées, n'apporte aucune garantie aux intéressés contre
les risques d'arbitraire. Oui, monsieur le ministre, le prévisible de 1993 est,
hélas ! devenu la réalité de 1996. Reconnaître l'échec des lois Pasqua, c'est
trop vous demander,...
Mme Nelly Olin.
Sûrement !
M. Guy Allouche.
... vous offenseriez votre prédécesseur !
Mais n'opposez surtout pas de dénégation, sinon pourquoi corrigerait-on une
loi qui réussit et qui atteint parfaitement ses objectifs ?
M. Claude Estier.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Si l'immigration « zéro », slogan cher à M. Pasqua, est une imposture,
l'immigration irrégulière « zéro » est un mythe.
M. Hilaire Flandre.
Surtout pour des incapables !
M. Guy Allouche.
Parler ainsi, c'est imprudent et vous vous condamnez, monsieur le ministre, à
une impuissance permanente. Les dispositions prétendument étanches sont
l'apanage des dictatures militaires et des régimes policiers.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voilà !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est l'exagération méditerranéenne !
M. Guy Allouche.
Nous savons tous que, plus une loi est restrictive, plus elle génère des
complications juridiques et plus elle multiplie les cas d'irrégularité.
M. Michel Caldaguès.
En fait, il ne faudrait pas de loi ! Autant partir en vacances !
(Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
M. Jean-Luc Mélenchon.
Lamentable, messieurs !
M. Guy Allouche.
La réalité de ce projet de loi illustre l'obsession du Gouvernement, qui est
tellement hanté par des considérations électoralistes qu'il ramène la politique
de l'immigration à un problème de sécurité intérieure et de maintien de l'ordre
!
(Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants et du
RPR.)
Avec la droite au pouvoir, c'est toujours la logique policière qui
l'emporte sur la logique judiciaire.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Eh oui !
M. Guy Allouche.
Avant d'être un problème d'étanchéité de nos frontières et d'application de la
loi, vous ne voulez pas considérer que l'immigration est d'abord une question
d'hommes, de femmes et d'enfants, qui fuient la misère.
M. Robert Badinter.
Très bien !
Mme Monique ben Guiga.
C'est vrai !
M. Guy Allouche.
Quant à vous, monsieur le ministre, votre obsession est d'arriver à faire du «
chiffre » sur les reconduites à la frontière.
M. Alain Gournac.
Il se débrouille très bien !
M. Guy Allouche.
Vous voulez battre des records et, à défaut d'avoir été l'inventeur du «
moteur à explosion », vous voulez être l'inventeur du « moteur à expulsions
».
(Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Michel Rufin.
C'est du Victor Hugo !
M. Guy Allouche.
C'est devenu un classique : quelques mois avant chaque grande élection
nationale, la droite est saisie d'un prurit législatif.
Un sénateur du RPR.
Vous pouvez parler !
M. Guy Allouche.
L'immigration est le thème de prédilection d'autant qu'il faut contenir les
défections d'un électorat séduit par la doctrine du Front national. S'il est
bien de proclamer que le droite ne pactisera pas avec le Front national,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ce n'est pas « bien », c'est très bien !
M. Guy Allouche.
... il serait encore mieux de ne pas transposer dans la loi ses slogans et ses
thèses.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
N'assumez pas les postulats de ceux que vous dites vouloir combattre.
Comme le disait Jean-Claude Guillebaud dans
La Trahison des Lumières
:
« on ne défend pas une civilisation en trahissant quotidiennement les valeurs
qui la fondent ».
Harcelé par les ultras de sa majorité, le Gouvernement a voulu donner des
gages à ces « crypto-FN », affolés de perdre leurs sièges aux prochaines
législatives parce que talonnés par l'extrême droite.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Comme à Vitrolles !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, rien de permet d'affirmer que l'on assiste à une
augmentation de l'immigration clandestine.
Notre rapporteur relève fort opportunément que le Gouvernement ne respecte pas
l'article 51 de la loi du 24 août 1993 prévoyant un rapport annuel avec des
données chiffrées. Le débat, aujourd'hui, tient plus de la phobie et du
fantasme que de la réalité. Loin de satisfaire l'extrémisme d'une partie de la
majorité, les dispositions initiales du projet de loi ont été si aggravées
qu'elles sont devenues une provocation, une caricature du droit, un mépris des
valeurs républicaines.
(Protestations sur les travées du RPR.)
Le durcissement extrême des
textes législatifs mine toujours plus les institutions du pays qui les
applique. En l'occurrence, il légitime le racisme et la xénophobie, il ouvre
davantage la voie à l'arbitraire. Plus restrictif et plus répressif, votre
projet de loi ne protège plus, il punit, il ne garantit plus les droits, il les
rogne, qu'il s'agisse des droits des étrangers ou de ceux des Français, tant il
est vrai que le droit des étrangers est aussi le bouclier de notre droit, de
nos droits.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Un sénateur du RPR.
Et des devoirs ?
M. Guy Allouche.
Chaque tour de vis supplémentaire censé freiner l'immigration irrégulière
enserre un peu plus nos propres libertés.
M. Hilaire Flandre.
N'importe quoi !
M. Guy Allouche.
Ce projet de loi est on ne peut plus démonstratif, puisqu'il ajoute la
précarité à la fragilité, à l'incertitude des situations personnelles,
familiales et juridiques. Il traduit une défiance réelle à l'égard des
magistrats. Il porte atteinte aux libertés individuelles et aux droits
fondamentaux.
Au lieu de favoriser l'accueil et l'intégration, l'Assemblée nationale a
ajouté de nombreuses mesures répressives dont la somme traduit une grave dérive
: certaines risquent de déstabiliser l'ensemble des étrangers résidant
régulièrement en France, d'autres portent atteinte directement aux libertés
individuelles. Il s'agit de la fouille des véhicules, du fichier des empreintes
digitales des étrangers, du contrôle d'identité sur les lieux de travail, de la
restriction du rôle du juge garant des libertés individuelle, de la déclaration
obligatoire à la mairie pour qui accueille à son domicile un ami ou un parent
étranger.
Il est temps de tirer les enseignements des événements de l'été dernier, qui,
hélas ! perdurent. Pour éviter de nombreux cas inextricables, humainement
insupportables, la sagesse et la raison commandent de régulariser la situation
de tous ceux qui ne sont pas expulsables, protégés par l'immunité consacrée par
l'ordonnance de 1945. Cette mesure ne serait que le triomphe du bon sens.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
Après avoir porté atteinte au droit du sol, vous remettez en cause le
renouvellement de plein droit, de la carte de résident de dix ans, vraie
conquête historique approuvée à l'unanimité par le Parlement en 1984. Cette
carte de dix ans consacrait l'enracinement des immigrés, assurait la stabilité
et la sécurité de leur installation. Désormais, le renouvellement aléatoire de
la carte de résident de dix ans va précariser, déstabiliser socialement les
étrangers qui faisaient montre de leur volonté de s'intégrer. Un étranger qui
reste dix ans dans un pays, qui demande à y rester dix ans encore, c'est
assurément quelqu'un qui a choisi de s'enraciner.
Comme le disait l'ancien ministre Georgina Dufoix
(Murmures sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants),
comment inviter un étranger qui vit depuis dix ans en France à s'insérer, à
s'intégrer, si on lui place une valise dans la tête ? N'est-ce pas Jean Foyer
qui, en 1984 à l'Assemblée nationale, déclarait, à propos de cette mesure : «
C'est une réforme utile, bienfaisante et justifiée, qui met fin à un état
d'insécurité. » ?
Et que dire de celui qui est ici depuis quinze ans ? Peu nombreuses, ces
personnes, bien qu'en situation irrégulière, ne sont pas des clandestins. On
peut vivre quinze ans dans l'irrégularité, ce qui ne veut pas dire la
clandestinité, surtout quand on a un travail, une famille, un foyer, des
enfants scolarisés et qu'on paye des impôts !
En supprimant la commission départementale du séjour, vous supprimez un droit
fondamental à caractère constitutionnel, celui du droit à une défense normale
et contradictoire accordé à toute personne. Vous contournez la jurisprudence de
la Cour de cassation en matière de rétention, vous renforcez l'autorité
administrative au détriment de l'autorité judiciaire, coupable, selon vous,
d'avoir rappelé un peu trop souvent l'administration au strict respect de
l'état de droit.
Pour la première fois depuis l'Occupation, le droit fondamental d'accueillir «
son prochain » est menacé, la délation officialisée avec sanctions et fichiers
à l'appui. Triste souvenir d'une sombre période de notre histoire contemporaine
!
(Protestations sur les travées du RPR et des Répulicains et
Indépendants.)
Comment pouvez-vous jeter ainsi la suspicion sur l'étranger, sur celui
qui l'accueille et les dénoncer comme un danger pour notre sécurité ? Indigne
et inefficace, cette disposition porte incontestablement atteinte à la vie
privée de l'hébergeant et à la liberté individuelle. Le Conseil d'Etat l'a
rejetée.
Vous passez outre, tout comme vous ne tenez pas compte de l'avis de la
Commission nationale consultative des droits de l'homme, commission pluraliste
s'il en est, qui n'approuve pas l'ensemble du projet. La très représentative
Association des maires de France se refuse de faire sienne une telle mesure.
M. Christian Demuynck.
Son bureau !
M. Guy Allouche.
Les associations, les groupements, les mouvements philosophiques et religieux,
des hommes d'église, de hautes personnalités, le barreau de Paris et des
magistrats condamnent ce texte ou vous mettent en garde contre les risques et
les dérives. Devant toutes ces oppositions, comment ne pas être inquiet de
l'autisme du Gouvernement ?
Il faut n'avoir rien retenu de l'histoire pour envisager des visites inopinées
chez le futur hébergeant.
Que signifie l'amalgame entre un étranger, un immigré et un fraudeur ? Voilà
qui ravive et renforce le racisme et la xénophobie. N'est-il pas attristant de
lire dans un récent rapport des Nations unies que la xénophobie est de plus en
plus virulente en France ? La hantise de l'immigré conduit à réduire les
libertés des Français et des étrangers en situation régulière ; ils deviennent
tous des suspects.
A cette mesure scandaleuse et inacceptable vient s'ajouter une disposition
ridicule : est-on condamné à ne plus sortir de chez soi parce qu'on a fait une
demande d'hébergement ? Au bout de combien de visites inopinées n'ayant pu
aboutir du simple fait de l'absence de l'hébergeant, considérera-t-on qu'il
s'agit, de sa part, d'un refus ?
M. Christian Demuynck.
Caricature !
M. Guy Allouche.
En fait, cette mesure vise à accroître le nombre de refus au motif que
l'hébergeant était absent lors de la visite inopinée de l'agent de l'OMI.
Ajouterai-je que cet article 1er légalise la discrimination par l'argent.
Outre que les ressortissants de pays riches sont dispensés de visa, pour les
pays pauvres, les ressortissants les plus aisés pourront facilement obtenir
leur visa d'entrée à partir de la simple réservation d'une chambre d'hôtel. Par
nature choquante, cette mesure s'avérera inefficace parce que quitter le
domicile ne signifie pas avoir quitté le territoire !
Que l'on ne se méprenne pas : nous n'avons jamais nié, ni sous-estimé
l'immigration irrégulière et ses effets pervers.
(Murmures sur les travées du RPR.)
Nous les avons combattus
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants)...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud
Pas trop !
M. Guy Allouche.
... tout comme le travail illégal et les détournements de procédure.
M. Hilaire Flandre.
Avec quelle efficacité !
M. Guy Allouche.
Qu'il soit légitime de reconduire dans leur pays ceux qui sont entrés
illégalement en France, personne n'en disconvient, et nous l'avons fait.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Quand ?
M. Guy Allouche.
Mais nous l'avons fait dans le strict respect de l'état de droit, qui est non
pas un état de faiblesse, mais un état juste, respectueux de la dignité humaine
; et ce n'est pas à coup de textes puisés à la pire des inspirations que l'on
traquera toutes les possibilités de fraudes. L'immigration irrégulière sera
tarie par une véritable lutte contre les employeurs qui sont les initiateurs et
les organisateurs du travail clandestin.
Tout gouvernement ne pourra prétendre contrôler l'immigration irrégulière que
si, dans le même temps, il assume pleinement la nécessité d'une immigration
légale, s'il raisonne en termes non pas de « qui doit-on expulser » mais de «
qui peut-on accueillir ». L'immigration assumée doit être un atout et non un
handicap et, monsieur le président de la commission des lois, nous vous avons
applaudi tout à l'heure parce que vous avez dit des choses justes.
N'est-ce pas le général de Gaulle lui-même...
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Oh là, là !
M. Paul Blanc.
Pas vous !
M. Guy Allouche.
Depuis quand le général appartient-il à vous seuls ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il appartient d'abord à nous !
M. Guy Allouche.
Il appartient à la France !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Vous auriez dû vous en apercevoir plus tôt !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
A la France, oui !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Qu'on en finisse avec de Gaulle !
M. Guy Allouche.
N'est-ce pas le général de Gaulle lui-même qui, lorsqu'il prônait une
politique d'immigration, disait : « La France ne doit pas être une lumière qui
s'éteint » ?
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Mais bien sûr !
M. Guy Allouche.
Voilà pourquoi il prônait une immigration importante dans le pays.
M. Paul Masson,
rapporteur.
Vous avez voté contre !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Montrez-nous le texte !
M. Guy Allouche.
Pour réussir, l'immigration assumée doit être fondée sur l'intégration, ce qui
implique le double respect des particularismes et des valeurs communes de la
République.
Oui, mes chers collègues, le temps est venu de remettre à plat...
M. Hilaire Flandre.
Oui, justement !
M. Guy Allouche.
... la législation existant depuis 1945 et de refondre, en un seul et même
texte, un dispositif consacrant les droits et devoirs de l'étranger vivant en
France, ainsi que les conditions à remplir pour être autorisé à pénétrer sur le
sol français.
M. le rapporteur a raison lorsqu'il écrit en page 2 de son rapport : « de
modifications en modifications, les règles d'entrée et de séjour des étrangers
en France sont devenues de plus en plus complexes. La poursuite d'objectifs
différents dans le cadre d'une même législation a ainsi pu sécréter des
situations parfois inextricables et, en définitive, peu acceptables dans un
état de droit ».
Force est de constater, pour le regretter, que ce n'est pas la voie choisie
par le Gouvernement, pour qui une politique des migrants est essentiellement
discrétionnaire, une addition de mesures policières, toujours plus répressives,
avec un code pénal d'exception.
Mes chers collègues, nous aurions souhaité que l'année 1997, année européenne
contre le racisme et la xénophobie, ouvre une page moins ignominieuse
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste)
en apportant la seule solution humainement acceptable,
digne de nos traditions universalistes, aux problèmes de l'immigration, sans
laisser la hantise électorale en faire un misérable enjeu politicien.
N'attendez pas de nous la moindre approbation sur ce texte.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Tant mieux ! Nous n'en voulons pas !
M. Guy Allouche.
Nous refuserons ce projet parce qu'il est mauvais, dangereux pour tous les
Français.
Notre refus se trouve quelque peu appuyé par la commission des lois du Sénat,
qui rejette ce que vous avez accepté, ce qui, d'après les propos que vous avez
tenus en commission des lois, correspond aux deux tiers des propositions faites
à l'Assemblée nationale.
Malgré le toilettage opéré par M. le rapporteur, notre opposition demeure car
nous avons l'intime conviction que ce texte ne répond pas aux problèmes qu'il
prétend résoudre. Il les aggrave bien plus qu'il ne les dissipe. Il est
attentatoire aux libertés individuelles, aux droits fondamentaux et aux valeurs
républicaines. Non seulement nous vous dirons non, mais nous soumettrons le
projet définitivement voté à l'examen vigilant de nos juges constitutionnels.
(Applaudissements prolongés sur les travées socialistes, ainsi que sur celles
du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je répondrai plus tard à votre argumentation de
fond, monsieur Allouche, mais je ne peux laisser sans réaction les propos que
vous avez tenus au début de votre discours concernant la police nationale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Je ne les rappellerai pas tant ils me semblent déplacés, injustes,
excessifs et, finalement, décevants dans la bouche d'un sénateur. Comme l'a
fait M. Masson, je voudrais rendre hommage à l'action des policiers, des
gendarmes et des fonctionnaires de préfecture.
La police nationale, monsieur Allouche, la gendarmerie nationale, les
personnels de préfecture agissent dans le cadre de la loi et pour le respect de
la loi républicaine !
(Nouveaux applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants. - Vives protestations sur les travées socialistes.)
M. Jacques Mahéas.
A la hache, comme à Saint-Bernard !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous ne mettez jamais le nez dehors, ma parole !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je voudrais vous dire, monsieur Allouche...
(La voix de l'orateur est couverte par les protestations qui perdurent sur les
travées socialistes.)
M. Hilaire Flandre.
Monsieur le président, faites donc un rappel à l'ordre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Si vous le permettez, monsieur Allouche, je
voudrais faire une remarque : il est vrai que le général de Gaulle appartient à
toute la France, mais vous, vous avez censuré toute sa politique !
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel.
M. Allouche veut la victoire du Front national à Vitrolles !
M. Guy Allouche.
Je demande la parole.
M. le président.
Mon cher collègue, nous sommes dans le cadre d'un débat organisé, et le
règlement ne me permet pas de vous donner la parole.
M. Guy Allouche.
On a bien entendu M. le ministre !
M. le président.
Oui, monsieur Allouche, mais aux termes du règlement, le Gouvernement a le
droit de prendre la parole à tout moment.
M. Pierre Mauroy.
Pas pour dire n'importe quoi !
M. le président.
Vous aurez d'autres occasions de lui répondre.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1993,
sous le gouvernement Balladur, la France s'est dotée d'une législation musclée
en matière d'immigration.
Avec la réforme du code de la nationalité, la réforme des contrôles et
vérifications d'identité, celle des conditions d'entrée, d'accueil et de séjour
des étrangers en France, l'année 1993 aura été une année difficile pour les
immigrés, placés ainsi dans la ligne de mire du Gouvernement et, par là même,
pour l'ensemble des démocrates.
Ces trois textes qui touchent à la situation des étrangers en France s'ancrent
dans les faits : d'un côté, on empêche l'accès à la nationalité à ceux qui y
ont automatiquement droit ; de l'autre côté, on ouvre les portes pour chasser
ceux qui sont déjà là, tout en les fermant pour les nouveaux arrivés ; enfin,
on exerce une sorte de menace policière latente sur tout le monde.
Dans la réalité, ces lois inhumaines, absurdes et inefficaces ont jeté dans la
clandestinité des milliers d'étrangers et leurs familles dont la situation
n'était pas régularisée, mais qui, pour autant, n'étaient pas expulsables,
notamment parce qu'ils étaient parents d'enfants nés en France ou conjoints de
Français.
Le mouvement des sans-papiers a mis en lumière la réalité des lois
Pasqua-Méhaignerie.
Plus on accumule les textes répressifs, plus on engendre de situations
irrégulières, voire aberrantes : couples séparés, parents et enfants sans
droits, autant de situations dont on a découvert qu'elles avaient été créées
par le législateur lui-même !
Pour y remédier, le ministre de l'intérieur avait promis de régulariser un
certain nombre de situations en présentant un projet de loi prétendument «
équilibré ». Ce n'est pas le cas !
J'insiste pour dire qu'il ne s'agit pas d'un texte technique ni d'un
toilettage dont le but serait un réajustement des lois Pasqua permettant de
procéder à une régularisation.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Très juste !
M. Robert Pagès.
C'est au contraire une véritable déclaration de guerre faite aux étrangers
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen ainsi que sur les travées socialistes. - Protestations sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants),
renforcée par les amendements
extrémistes d'un certain nombre de députés RPR et UDF.
Je le dis clairement : les lois Pasqua, à côté de ce qui nous est présenté
aujourd'hui, risquent - c'est un comble ! - de nous paraître modérées.
Une question s'impose : le Gouvernement ne prendrait-il pas prétexte de la
lutte des sans-papiers pour durcir les lois de 1993 ? Ne tente-t-il pas, à la
veille des élections ô combien importantes de 1998, de chasser sur les terres
de M. Le Pen ?
M. Hilaire Flandre.
Procès d'intention !
M. Robert Pagès.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, persiste à pratiquer des amalgames
entre demandeurs d'asile et immigrés clandestins, entre étrangers en situation
régulière et ceux qui ne le sont pas, entre terroristes et immigrés, entre
délinquants et immigrés,...
M. Jean-Luc Mélenchon.
C'est évident !
M. Robert Pagès.
... provoquant la suspicion, alimentant des préjugés racistes et xénophobes à
leur encontre, ceux-là mêmes que développe depuis des années le Front
national.
A ce propos, je voudrais souligner que les discours tendant à accréditer le
danger de l'immigration et les politiques répressives n'ont, hélas ! pas stoppé
la montée du Front national, au contraire. Les résultats de dimanche dernier à
Vitrolles en sont l'illustration parfaite.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes.)
Votre projet de loi institue un droit d'exception pour une certaine
catégorie de personnes. C'est inacceptable !
Contrairement aux déclarations du Gouvernement, le projet de loi, outre son
incapacité à apporter des réponses humaines et efficaces quant à la
régularisation et à l'intégration des étrangers en France, menace gravement les
libertés de l'ensemble des personnes, qu'elles soient étrangères ou
françaises.
Ce texte, déjà motivé essentiellement par une volonté de répression accrue et
sous-tendu par l'idée de l'étranger « bouc émissaire », responsable de la
mal-vie, du chômage, de l'insécurité, de la crise, a été aggravé par les
députés de la majorité.
Ainsi, non seulement l'étranger est assimilé à un clandestin, voire à un
délinquant en puissance, mais le texte adopté par les députés en décembre
dernier bafoue les libertés de tous les citoyens.
Malgré les modifications apportées par la commission des lois du Sénat, je
considère que la démarche de cette dernière est tout aussi dangereuse que celle
de la majorité de l'Assemblée nationale. Des sénateurs de la majorité ont
également déposé des amendements qui flirtent avec l'idéologie lepéniste.
(MM. Jean-Patrick Courtois et Patrice Gélard protestent.)
Nous les combattrons résolument.
Quant aux possibilités de régularisation, qui constituent, paraît-il, le volet
libéral du projet de loi, elles ont été réduites par l'Assemblée nationale.
Ainsi, les étrangers en situation irrégulière résidant en France depuis plus
de quinze ans pourraient être expulsés.
Les couples mixtes seraient obligés de vivre cachés pendant les deux premières
années de leur mariage si l'un d'eux est en situation irrégulière. La
non-régularisation entraînerait l'existence d'autres « sans-papiers » et la
séparation des couples, malgré les engagements du Gouvernement.
Quant aux étrangers mineurs, ils devront être entrés en France hors
regroupement familial avant l'âge de dix ans et il faudra qu'ils soient dans
l'impossibilité de poursuivre une vie familiale effective dans leur pays
d'origine. Le caractère vague de cette dernière appréciation donne aux
autorités préfectorales un réel pouvoir décisionnaire.
Il conviendrait, au contraire, de préciser que tous les enfants qui, à la date
du 24 août 1993, sont entrés en France avant l'âge de dix ans restent
bénéficiaires, à leur majorité, d'une carte de résident de dix ans,
conformément à l'actuel article 38 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, qui a
été supprimé par l'Assemblée nationale.
Pour les parents d'enfants français, les conditions contenues dans le projet
de loi tel qu'il a été amendé par l'Assemblée nationale ne permettront la
régularisation que d'un très petit nombre de personnes.
On voit bien là les limites du projet de loi, qui va continuer à fabriquer des
« Saint-Bernard », comme l'a confirmé le médiateur de la République, M.
Pelletier, devant la commission des lois.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Robert Pagès.
En fait, il s'agit d'une volonté de précariser une certaine catégorie
d'immigrés qu'on nous présente aujourd'hui comme des privilégiés, alors qu'ils
bénéficiaient auparavant de plein droit de la carte de résident de dix ans du
fait de leur attaches personnelles et familiales en France et de leur vocation
à demeurer durablement sur notre sol.
Il est vrai que, au regard de la situation économique de notre pays, il est
beaucoup plus facile pour le Gouvernement de dire qu'il y a crise du fait de la
présence importante d'immigrés en France.
De même, il est plus facile de proclamer « immigration zéro » plutôt que «
chômage zéro ».
Le vrai danger, dans notre pays, ce n'est pas l'étranger, c'est la logique
sécuritaire qui prévaut avec les lois Pasqua-Debré.
Il s'agit, avec ce projet de loi, non de favoriser l'intégration de l'étranger
désireux de s'établir légalement en France, loin s'en faut, mais de créer les
conditions d'une véritable déstabilisation des immigrés.
Ce texte s'attaque à tous les droits et à toutes les garanties de
procédure.
Il limite de manière drastique l'attribution de plein droit des différentes
catégories de titres de séjour, en vue de faciliter les décisions de refus de
renouvellement de titre, d'éloignement du territoire et d'interdiction du
territoire.
Ce qui est proposé, c'est de livrer l'étranger et tous ceux qui ont un lien
avec l'étranger, nationaux compris, à l'arbitraire administratif, aux préjugés
et aux fantasmes.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Tout à fait !
M. Robert Pagès.
La réforme du certificat d'hébergement démontre, si besoin en était, que tous
ceux, Français et étrangers en situation régulière, qui s'approchent des
étrangers en situation irrégulière sont des suspects, des délinquants
potentiels.
Ainsi, l'article 1er du texte attente aux libertés de tous en créant
l'obligation, pour l'hébergeant, de déclaration à la mairie du départ de
l'hébergé, sous peine de ne plus pouvoir faire viser le nouveau certificat
pendant un délai de deux ans ou encore d'être poursuivi pour aide à l'entrée et
au séjour irréguliers d'un étranger, au titre de l'article 21 de l'ordonnance
du 2 novembre 1945.
De plus, il est prévu que pourront être effectuées par les agents de l'OMI des
visites inopinées au domicile de l'hébergeant,...
M. Hilaire Flandre.
Et alors ? Il faut les prévenir par lettre recommandée ?
M. Robert Pagès.
... ce qui constitue une violation de la vie privée de l'hébergeant, pourtant
garantie par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.
Il s'agit là d'une véritable criminalisation de l'hébergeant et des hébergés,
auxquels on ne prête que des intentions frauduleuses : « détournement de la
procédure », « conditions anormales d'hébergement ».
M. Jean-Pierre Schosteck.
Cela existe !
M. Robert Pagès.
Mais dans quel pays sommes-nous ? Nous sommes bien loin de la traditionnelle «
France terre d'asile et des droits de l'homme » !
Mme Hélène Luc.
Ah oui alors !
M. Nicolas About.
Et avec les bulldozers de Vitry, où étions-nous ?
M. Robert Pagès.
Nous pouvons être sûrs, même si le projet ne le précise pas, que
l'instauration de cette obligation donnera lieu à la création d'un fichier des
hébergeants, difficilement contrôlable.
Je vous laisse imaginer l'utilisation effective qui pourra être faite des
données figurant dans ce fichier, dont certaines touchent à la vie privée.
Il ne fera pas bon héberger un étranger dans des villes telles que Toulon ou
Orange !
Déjà, des disparités existent entre les villes pour la délivrance des
certificats d'hébergement. Certaines les visent sans problème, d'autres les
refusent systématiquement.
Il s'agit là d'un article qui, comme certaines associations le dénoncent, en
faisant notamment circuler une pétition, constitue une véritable «
déclaration-délation » aux « vieux relents de Vichy ».
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Et de Moscou !
M. Robert Pagès.
Nous combattrons vigoureusement, lors de la discussion des articles, ces
dispositions, qui sont d'ailleurs très largement critiquées, y compris par
l'Association des maires de France.
M. Christian Demuynck.
Par le bureau de l'association !
M. Robert Pagès.
Les atteintes aux droits fondamentaux de la personne ne s'arrêtent pas à
l'article 1er de ce projet de loi scandaleux. Ainsi, l'article 3, complété par
l'Assemblée nationale, est un catalogue d'entraves à la vie sociale, à la
liberté d'aller et venir, et j'en passe.
En effet, le fait de retenir le passeport ou le document de voyage des
étrangers en situation irrégulière, en échange d'un récépissé, constitue une
entrave à la vie sociale,...
M. Christian Demuynck.
C'est bien ! Il faut faire respecter la loi !
M. Robert Pagès.
... cette disposition ayant pour effet de priver l'étranger de tout moyen
d'identification et de le marginaliser.
Nombre d'étrangers n'ont effectivement que leur passeport pour retirer un
courrier recommandé à la poste - qui peut être une notification d'un arrêté de
reconduite à la frontière ! - ou pour scolariser leurs enfants.
En outre, un simple récépissé interdirait l'exercice de libertés fondamentales
telles que le mariage ou le bénéfice d'une succession. Je doute fort, mes chers
collègues, que les services administratifs prennent en considération un simple
récépissé !
L'article 3 prévoit également la possibilité de faire procéder par des
officiers de police judiciaire et des agents adjoints de police judiciaire,
dans les vingt kilomètres frontaliers et les zones portuaires, à la fouille des
véhicules, sans avoir recours aux instructions du procureur, à la seule
condition, ô combien hypocrite ! de recueillir l'accord du conducteur.
M. Hilaire Flandre.
J'en frémis !
M. Robert Pagès.
A défaut d'accord de ce dernier, les officiers de police judiciaire pourront
immobiliser le véhicule pour une durée de quatre heures au plus, dans l'attente
de l'autorisation du procureur.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Et alors ?
M. Robert Pagès.
Je vous vois mal attendre quatre heures au bord d'une autoroute !
Il s'agit là d'une atteinte à la liberté de circulation, d'autant qu'aucune
précision n'est apportée sur les critères justifiant de telles fouilles !
Dès lors, la porte risque d'être ouverte à la « fouille au faciès » !
M. Hilaire Flandre.
Bientôt, il va nous parler du goulag !
M. Robert Pagès.
Mais l'article 3 ne s'arrête pas là.
Les deux derniers alinéas, ajoutés par l'Assemblée nationale, concernent le
relevé et la mémorisation des empreintes digitales des étrangers non
ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne qui demandent à séjourner
en France et de ceux qui, en situation irrégulière, font l'objet d'une mesure
d'éloignement du territoire.
Le temps me manque pour évoquer la dangereuse mesure créant les contrôles dans
les lieux à usage professionnel.
Le tout constitue une véritable traque de l'étranger, assimilable à la traque
des criminels. D'ailleurs, le rapporteur ne fait-il pas état, dans son rapport
écrit, de « détection de l'étranger » et d'« identification de l'étranger »
?
En outre, dans l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi, on peut lire
ceci : « Ces dispositions contribueront à réduire le nombre d'étrangers en
situation irrégulière et donc en situation de marginalité sociale, voire la
délinquance. » Le rapport explique encore : « Il n'est pas contestable que
l'immigration irrégulière atteint la cohésion sociale au moins dans certains
quartiers, alimente le travail clandestin et nourrit la délinquance. »
M. Hilaire Flandre.
Démontrez le contraire !
M. Robert Pagès.
Je démontre l'amalgame !
Avec ce projet de loi, nous allons vers un Etat encore plus policier, où les
immigrés seront un peu plus considérés comme du « gibier de police » !
J'en arrive à l'article 8, relatif à la rétention administrative, qui, lui,
porte atteinte aux droits de la défense et au droit à un recours effectif.
L'allongement de vingt-quatre heures à quarante-huit heures du délai de
rétention sans intervention du juge judiciaire consacre le recul du pouvoir
judiciaire, pourtant garant des libertés publiques, au profit du pouvoir
discrétionnaire de l'administration, malgré l'opinion de la Cour de
cassation.
Avec une telle disposition, l'étranger serait privé de liberté et de l'accès à
un conseil.
De plus, le délai de recours auprès du tribunal administratif sur l'arrêté
préfectoral de reconduite à la frontière étant maintenu à vingt-quatre heures,
il est pratiquement impossible à l'étranger en garde à vue d'introduire ce
recours.
Par ailleurs, il y a un déséquilibre dans la procédure d'appel, dont seul le
parquet peut obtenir la suspension.
Nous sommes opposés à cette faculté donnée au procureur de la République de
demander au premier président de la cour d'appel de déclarer le recours
suspensif, ce qui aurait pour conséquence de garder l'étranger en rétention
administrative alors même que le juge judiciaire aurait décidé sa remise en
liberté.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Et voilà !
M. Robert Pagès.
S'agissant de la rétention judiciaire prévue à l'article 9, il est
inacceptable de retenir une personne qui n'aurait commis aucun délit mais qui
serait seulement « sans-papiers » et de la soumettre à un régime de rétention
judiciaire qui ne présente même pas les garanties minimale de la rétention
administrative ; je pense ici au droit de visite.
Le projet de loi supprime, à l'article 5, la commission de séjour, seule
instance où l'étranger peut faire valoir ses moyens de défense à l'encontre
d'un arrêté préfectoral portant refus ou non-renouvellement d'une carte de
résident.
Les lois de 1993 avaient déjà vidé de sa substance la fonction de cette
commission en ne lui attribuant plus qu'un rôle consultatif. L'article 5 du
texte lui assène un coup fatal en la supprimant sans autre forme de procès !
Voilà, mes chers collègues, les principales critiques que j'émets au nom du
groupe communiste républicain et citoyen.
Bien sûr, je n'ai pas eu le temps d'aborder ici tous les problèmes soulevés
par l'ensemble des articles du projet de loi, mais nous aurons l'occasion d'y
revenir.
Ainsi, monsieur le ministre, votre texte, avec son « volet libéral », est
censé permettre la régularisation de quelques personnes actuellement sans
papiers, mais à quel prix ?
Le volet répressif est intolérable : atteintes aux libertés individuelles, au
droit des mineurs, au droit de vivre en famille, au droit au mariage ; entraves
à la vie sociale, à la liberté de circulation, aux droits de la défense ;
fichage et contrôles, et j'en passe.
Il s'agit d'une véritable escalade dans l'atteinte aux libertés. Jusqu'où
serez-vous capables d'aller sous prétexte de maîtriser les flux migratoires ?
Cela fait vingt-deux ans que l'on entend le même discours à propos de
l'immigration : vingt-deux ans d'échecs ! De même, l'ordonnance de 1945 a été
modifiée à vingt-trois reprises, mais pour quels résultats ?
Tant que les questions pertinentes ne seront pas posées, celles qui portent
sur les raisons de la désespérance dans les quartiers difficiles, laquelle
pousse à chercher un bouc émissaire, vous courrez à l'échec !
Je rappelle à ceux qui l'auraient oublié ou qui l'ignoreraient que l'année
1997 a été instituée « année européenne contre le racisme ».
Mme Hélène Luc.
Tout à fait !
M. Robert Pagès.
Comment peut-on, dès lors, accepter que le Parlement de la France débute cette
année, après l'adoption du projet de loi sur le travail clandestin, par
l'examen d'un texte qui ternira davantage encore l'image du « pays des droits
de l'homme » et encouragera les attitudes racistes et xénophobes ?
Comment ne pas mettre en parallèle le renforcement de la logique autoritaire
et sécuritaire qui guide la politique gouvernementale en matière d'immigration
et le refus de la majorité de droite de débattre des mesures à prendre pour
lutter contre le racisme ?
M. Hilaire Flandre.
Que c'est beau !
M. Robert Pagès.
La dérive qui sous-tend ce texte est dangereuse. Ce sont les valeurs
fondamentales de la démocratie qui sont sapées, celles qui placent les droits
de l'homme, et non pas la haine de l'autre, au centre de l'action politique, et
c'est parce que nous sommes fidèles aux idéaux de liberté et de fraternité que
nous combattons ce projet de loi dont le caractère démagogique est
inquiétant.
Des voies progressistes peuvent être ouvertes pour résoudre les problèmes
posés par les migrations. C'est ce que démontreront mes amis Nicole Borvo et
Jack Ralite dans la suite des débats.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Ivan Renar.
Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président.
Il ne peut y avoir de rappel au règlement au cours du débat, monsieur Renar,
mais je sais ce que vous voulez me demander.
M. Ivan Renar.
Je souhaitais rappeler que notre collègue Jack Ralite avait demandé une
suspension de séance d'un quart d'heure.
(Protestations sur les travées du RPR.)
M. le président.
Un rappel au règlement n'est pas nécessaire pour formuler une telle
demande.
Dois-je consulter le Sénat ?...
De nombreux sénateurs du RPR.
Oui !
M. le président.
Je consulte donc le Sénat sur la demande de suspension de séance émanant du
groupe communiste républicain et citoyen.
(Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Serge Vinçon.
Nous demandons un scrutin public !
M. le président.
Je regrette, mais le scrutin est commencé !
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
(La suspension de séance est accordée. - Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Hilaire Flandre.
Il n'était pas commencé !
Mme Hélène Luc.
Il faut avoir le courage de son vote !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela, c'est du fascisme socialiste !
M. le président.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures
trente-cinq.)