M. le président. Par amendement n° 72, M. Pelchat propose d'insérer, après l'article 5, un article additionnel ainsi rédigé :
« Les services de communication audiovisuelle transmis depuis un territoire extérieur, échappant ainsi à l'autorisation du CSA, ne peuvent diffuser des programmes en langue française ou sous-titrés en langue française, que s'ils respectent les règles européennes en matière de quotas de diffusion. »
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Il s'agit, par cet amendement, de faire respecter la directive européenne « Télévision sans frontière » dans les Etats qui reçoivent par satellite les programmes émis à partir d'un territoire extérieur. Je prends, pour la France, l'exemple de la Grande-Bretagne, qui diffuse des émissions d'origine américaine. Il s'agit d'interdire que ces émissions soient émises dans les langues nationales des pays qui les reçoivent sans respect des quotas prévus dans la directive européenne.
Il est toujours déplaisant d'avoir à citer des exemples, mais je prendrai le cas de TNT Cartoon, chaîne qui, on le sait, sera diffusée, dès que les équipements le permettront, en français pour la France, en allemand pour l'Allemagne, en espagnol pour l'Espagne et en italien pour l'Italie, tout cela à partir de la Grande-Bretagne qui, elle-même, pour ses propres besoins - mais cela la regarde ! - ne respecte pas les quotas prévus dans la directive « Télévision sans frontière » actuellement en vigueur.
Je souhaite que le législateur français marque sa volonté de voir interdire la diffusion sur notre territoire, en langue française ou avec sous-titrage en français, à partir de territoires étrangers, d'émissions émises par des Etats qui ne respectent pas les quotas européens qui doivent s'imposer à tous les pays européens.
C'est la raison pour laquelle j'ai déposé cet amendement. J'espère qu'il sera retenu par le Sénat, car il vise à instituer une protection dont, monsieur le ministre, nous avons besoin tout de suite, comme vous vous en apercevrez dans les semaines à venir. Certaines de ces émissions sont déjà diffusées en français. Elles vont se multiplier et arriver en beaucoup plus grand nombre sur notre territoire, sans aucun respect des quotas.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Hugot, rapporteur. La commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Le souci de M. Pelchat est bien légitime : faire respecter les quotas de diffusion par les chaînes francophones établies à l'étranger.
Vous savez tous, mesdames, messieurs les sénateurs, mon attachement à la défense de l'exception culturelle et ma volonté très ferme de prévenir toute forme de délocalisation. Je voudrais cependant souligner que cet amendement soulève de réels problèmes juridiques.
D'abord, comment faire respecter cette disposition si les chaînes ne relèvent pas du CSA ?
M. Michel Pelchat. Et la Cour de justice européenne ?
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. D'autre part, comment imposer des règles à des services situés à l'étranger, au Canada par exemple ?
M. Michel Pelchat. Je parle de la Grande-Bretagne !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. En outre, pouvons-nous intervenir dans un autre pays européen sachant que les textes européens limitent l'autorité des pays à leur seul territoire.
Compte tenu de ces problèmes juridiques, et même s'il comprend la motivation de l'amendement qu'il approuve dans son principe, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Pelchat, l'amendement n° 72 est-il maintenu ? M. Michel Pelchat. Je suis vraiment désolé, mais je ne peux absolument pas le retirer.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous mesuriez bien l'importance de cette question.
Vous avez parlé du Canada, qui émettrait des émissions et des films américains sur notre territoire ; mais il ne s'agit pas de lui, il s'agit plutôt de la Grande-Bretagne. Or, la Cour de justice européenne est bien chargée de faire respecter le droit européen dans tous les pays d'Europe !
Que la Grande-Bretagne fasse ce qu'elle veut sur son propre territoire, c'est son affaire ; c'est l'affaire de sa législation, j'en suis bien d'accord. Mais que, à partir de son territoire, elle nous envahisse de films américains en langue française, c'est autre chose. Vous savez que nos compatriotes - c'est d'ailleurs malheureux - ne sont pas très forts en langues étrangères. Quand les films passent en langue anglaise, ils ne les regardent pas trop ; mais demain, si ces films sont en français, les spectateurs seront beaucoup plus nombreux. Grâce au numérique, avec les huit sous-porteuses son que peut supporter un canal, le même film américain peut être diffusé sur l'ensemble de l'Europe en huit langues différentes.
C'est contre cela que je souhaiterais voir la France se protéger ou marquer au moins la volonté de se protéger, y compris dans la directive européenne « télévision sans frontière » en cours de discussion.
Au demeurant, elle dispose déjà d'une protection grâce à l'application des quotas européens qui doivent s'imposer à toute l'Europe dans le cadre de la directive européenne aujourd'hui en application et dont la garante juridique est la Cour de justice européenne. Puisque cette juridiction européenne chargée de faire respecter les directives européennes existe et qu'elle nous soumet souvent à des contraintes, pour une fois, faisons appel à elle pour protéger notre exception culturelle !
Je n'ai pas demandé, vous pouvez le noter, monsieur le ministre, à ce que soient respectés les quotas prévus par la législation française. Cela effectivement, nous ne pourions pas l'obtenir, parce que ces quotas sont plus sévères que les quotas européens. Je me suis donc limité à demander le respect de ces derniers. Nous avons le droit de demander à la Cour de justice européenne de faire respecter les quotas européens pour les émissions que nous recevons sur notre territoire en langue française.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 72.
M. Jack Ralite. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Je partage la préoccupation de M. Pelchat, mais je suis obligé de lui dire que la disposition qu'il propose serait inopérante.
D'ailleurs, je me demande pourquoi il n'a pas voté l'amendement que je présentais tout à l'heure qui, lui, était opérant et présentait un certain air de famille avec le sien.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. M. Pelchat vient de prendre l'exemple de la Grande-Bretagne, mais je peux très bien évoquer le Canada ; votre texte ne l'exclut pas, monsieur le sénateur.
M. Michel Pelchat. C'est vrai !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Bon ! Prenons donc le cas de la Grande-Bretagne. Pour que le dispositif que vous proposez soit opérant, il faudrait que la Grande-Bretagne modifie sa propre législation. Ce n'est pas à nous de le faire. S'il y a contentieux, il sera porté devant la cour de justice européenne.
C'est pourquoi je pense, moi aussi, que cet amendement est inopérant.
M. Michel Pelchat. L'affaire ira, au moins, devant la Cour de justice européenne !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 72, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 5.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)