CORPS DES TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS
ET DES COURS ADMINISTRATIVES D'APPEL
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 143, 1996-1997)
portant dispositions statutaires relatives au corps des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel. [Rapport n° 217
(1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, depuis une dizaine d'années, la justice
administrative s'est profondément transformée.
C'est ainsi qu'ont été modifiées l'organisation des juridictions
administratives, leurs compétences, la procédure qu'elles appliquent et les
attributions de leurs membres.
Un double mouvement caractérise cette évolution : la consécration du caractère
pleinement juridictionnel de la mission remplie par la justice administrative
et l'adaptation de celle-ci à la croissance continue du contentieux
administratif.
C'est par une loi du 6 janvier 1986 qu'a été inaugurée cette période de
transformation. Cette loi a en effet reconnu la qualité de magistrat aux
membres des juridictions administratives et a consacré leur indépendance, en
leur accordant la garantie de l'inamovibilité dans l'exercice de leurs
fonctions juridictionnelles et en instituant un conseil supérieur, présidé par
le vice-président du Conseil d'Etat, compétent pour connaître de toutes les
questions relatives à la carrière et à la discipline des membres de ces
juridictions.
Cette transformation s'est poursuivie avec la loi du 31 décembre 1987, qui a
créé des cours administratives d'appel et confié aux membres du corps des
tribunaux administratifs et des cours administratives les fonctions de juge
d'appel, précédemment exercées par les membres du Conseil d'Etat. Cette
évolution s'est terminée le 1er octobre 1996, c'est-à-dire il y a quelque six
mois.
Elle a permis à l'ordre juridictionnel administratif de faire face à
l'augmentation du nombre d'appels tout en lui donnant une structure comparable
à celle de l'ordre judiciaire, où les fonctions de juge de première instance,
de juge d'appel et de juge de cassation sont réparties entre trois niveaux de
juridiction.
C'est aussi en application de cette loi de 1987 que, depuis 1990, la gestion
du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est
assurée par le secrétariat général du Conseil d'Etat et non plus par le
ministère de l'intérieur, qui continuait de l'exercer depuis le temps des
anciens « conseils de préfecture ».
La loi de programme du 6 janvier 1995 relative à la justice, ensuite, a prévu
de consolider l'architecture de la juridiction administrative, en la dotant de
deux nouveaux tribunaux administratifs et de deux nouvelles cours
administratives d'appel. Le tribunal administratif de Melun, que j'ai inauguré
le 23 septembre dernier, est la première de ces juridictions. L'ouverture d'une
cour administrative d'appel à Marseille est par ailleurs prévue pour le mois de
septembre prochain.
La loi du 8 février 1995, enfin, a modifié en profondeur la procédure
applicable devant les juridictions administratives. L'institution d'une
procédure de jugement par un juge statuant seul en est l'exemple le plus
remarquable. Cette loi a également confié aux magistrats administratifs de
nouveaux pouvoirs, tel celui d'adresser des injonctions à l'administration, et
de nouvelles responsabilités en matière d'exécution de leurs jugements.
On mesure, avec ce rappel des différentes réformes qui ont marqué la justice
administrative, tout le chemin parcouru par celle-ci depuis une dizaine
d'années. Ce très important mouvement de transformation, à certains égards sans
précédent, s'est accompli sans heurts, parce qu'il a été soutenu et accompagné
par les magistrats administratifs eux-mêmes. L'accroissement des
responsabilités de ces magistrats est d'ailleurs allé de pair avec un effort de
productivité qui a permis de porter de 155 à 208, entre 1987 et 1996, le nombre
de dossiers traités annuellement par magistrat, ce qui représente une
augmentation de 34 %.
La justice administrative, depuis 1986, a donc changé de visage.
Mais cette transformation restait incomplète, faute d'une réforme du statut de
ses membres.
La loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la
fonction publique de l'Etat a prévu que les règles garantissant l'indépendance
des membres des tribunaux administratifs seraient fixées par le législateur. La
loi du 6 janvier 1986 - que j'évoquais au début de mon propos - a rempli cette
mission, ce dont témoigne le fait que l'indépendance de la justice
administrative n'est pas l'objet de débats aujourd'hui, alors même que les
affaires qu'elle tranche sont parfois considérables et très sensibles.
Mais cette loi, novatrice sur bien des points, s'est contentée de reprendre,
pour ce qui concerne le déroulement de carrière des magistrats administratifs,
la liste des grades que comportait le décret du 12 mars 1975 portant statut
particulier des membres des tribunaux administratifs, qui prévoyait, pour les
conseillers de tribunal administratif, des grades identiques à ceux qui étaient
prévus pour les administrateurs civils par le décret du 30 juin 1972 portant
statut particulier de ce corps.
L'évolution qu'a connue la justice administrative a mis en lumière
l'inadaptation de cette structure de carrière. Le corps des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel comporte actuellement sept
grades, ce que ne justifie aucune logique fonctionnelle et ce qui a des effets
négatifs sur le déroulement de carrière de ses membres, en multipliant
inutilement le nombre de tableaux d'avancement.
Ces effets négatifs ont été encore accrus par le fait que les effectifs du
corps ont dû être augmentés très rapidement - ce qui est heureux - et sont
passés de 369 magistrats en 1987 à 641 aujourd'hui, ce qui a créé des goulots
d'étranglement lors du passage des premiers grades du corps.
Cette situation a eu pour effet de rendre la carrière des magistrats
administratifs moins avantageuse que celle des autres corps recrutés par la
voie de l'Ecole nationale d'administration, ce dont, à terme, aurait pu
souffrir - et c'est ce qui a probablement déjà été le cas - l'attractivité de
ce corps et par conséquent la qualité de la justice administrative.
L'accroissement des responsabilités des magistrats administratifs, la
nécessité de conforter leur autorité face à une administration à l'égard de
laquelle ils disposent de pouvoirs accrus, plaidaient au contraire pour une
revalorisation de leur statut. C'est ce à quoi je me suis employé depuis mon
arrivée à la Chancellerie, voilà vingt mois.
Le projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis, mesdames, messieurs les
sénateurs, tend à remédier à ces inconvénients, en simplifiant le déroulement
de carrière des conseillers de tribunal administratif et de cour administrative
d'appel et en l'adaptant à la nature des fonctions qu'ils occupent.
A cet effet, le projet de loi - telle en est la disposition essentielle -
réduit de sept à trois le nombre de grades que comporte le corps. Cette
structure en trois grades, qui s'inspire de celle des corps d'inspection et de
contrôle, repose sur l'identification de trois types de fonctions : les
conseillers, qui exercent les fonctions de commissaire du Gouvernement ou de
rapporteur dans une formation collégiale, les premiers conseillers, plus
expérimentés, qui peuvent, en outre, exercer les fonctions de juge statuant
seul, et les présidents, qui exercent des fonctions d'encadrement à la tête
d'une chambre ou d'une juridiction.
Plusieurs dispositions du projet de loi tirent les conséquences de cette
nouvelle organisation des grades, en modifiant leur dénomination dans les
différents textes législatifs qui les mentionnent, et, en premier lieu, dans la
loi statutaire du 6 janvier 1986.
Par ailleurs, au sein du grade de président, le projet de loi distingue
plusieurs niveaux de responsabilité, selon le degré de juridiction ou la taille
de la juridiction concernée. L'accès aux fonctions les plus importantes est
subordonné à l'inscription sur des listes d'aptitude, établies sur proposition
du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives
d'appel, et à des conditions d'ancienneté minimale dans le grade.
Parallèlement, les conditions d'accès au second grade du corps par la voie du
tour extérieur et celles de l'intégration après détachement sont légèrement
modifiées, dans le sens d'une élévation du niveau requis des candidats, afin de
tenir compte de la fusion au sein du grade de premier conseiller des anciens
grades de conseiller de première classe et de conseiller hors classe.
Cette réorganisation de la carrière des conseillers de tribunal administratif
et de cour administrative d'appel sera complétée, dans les textes
réglementaires d'application, par un nouvel échelonnement indiciaire plus
favorable à ces magistrats.
Le projet de loi qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs,
modifie également sur deux autres points les règles applicables aux magistrats
administratifs.
Il répare, tout d'abord, un oubli, en introduisant dans la loi statutaire,
comme c'est le cas pour les magistrats de l'ordre judiciaire, une disposition
interdisant la nomination dans une juridiction de tout magistrat qui aurait
exercé dans le ressort de celle-ci, depuis moins de cinq ans, la profession
d'avocat.
Il tire, ensuite, les conséquences de la maturité à laquelle sont parvenues
les cours administratives d'appel depuis leur création. L'expérience acquise
par ces juridictions permet désormais d'assouplir les conditions d'accès à
celles-ci, en ramenant de six à quatre ans l'ancienneté requise.
Cette mesure permettra d'élargir le vivier des candidats à une affectation
dans ces juridictions et, ainsi, je l'espère, de résorber les trop nombreuses
vacances d'emploi que connaissent certaines d'entre elles.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
grandes lignes du projet de loi que j'ai l'honneur de vous soumettre et qui a
fait l'objet d'un excellent travail de la part de la commission des lois et de
son rapporteur, M Hoeffel.
L'ambition de ce texte est de rendre le statut des magistrats administratifs
plus rationnel, plus attractif et mieux adapté à la spécificité de leurs
fonctions.
Ce projet de loi répond à une réelle attente des magistrats administratifs,
qui l'appellent de leurs voeux depuis plusieurs années. Son adoption
témoignera, à travers ceux qui seront chargés de son application, de
l'importance que l'Etat attache à la fonction juridictionnelle consistant à
veiller au respect du droit par l'administration.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Avant de vous donner la parole, monsieur le rapporteur, je tiens à saluer la
présence dans les tribunes de M. Joxe, Premier président de la Cour des
comptes. L'attention qu'il porte à nos travaux nous honore beaucoup.
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur.
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis vingt-cinq
ans, le nombre des requêtes introduites devant les tribunaux administratifs a
progressé de 8 % environ par an. En 1995, la progression s'est même établie à
12 %. Pour faire face à cet afflux de contentieux, la juridiction
administrative a dû et a su s'adapter.
Dans une première étape, comme M. le garde des sceaux vient de le rappeler,
elle a modifié ses structures pour introduire un nouveau degré de juridiction -
les cours administratives d'appel - afin de décharger le Conseil d'Etat de
l'essentiel du contentieux en appel des tribunaux administratifs.
Grâce à un transfert progressif de ce contentieux, les cinq cours créées en
application de la loi de 1987 ont pu faire face à leurs charges. Toutefois,
l'achèvement du transfert, complété une dernière fois par la loi du 8 février
1995, se traduit incontestablement aujourd'hui par un engorgement et un
allongement des délais de jugement.
La loi pluriannuelle pour la justice a posé, en conséquence, le principe de la
création de deux nouvelles cours administratives d'appel, à Marseille cette
année et à Douai en 1999.
Parallèlement à cette modification structurelle, un certain nombre de
dispositions de procédure ont permis d'accélérer le traitement des affaires les
plus faciles ou les plus récurrentes. C'est ainsi que la loi du 8 février 1995
a accru très sensiblement le nombre des cas dans lesquels le juge administratif
statue seul.
Selon les estimations de notre excellent collègue M. Authié, dans l'avis qu'il
a présenté au nom de la commission des lois sur les crédits consacrés aux
services généraux du ministère de la justice dans le projet de loi de finances
pour 1997, 20 % des litiges pourraient être traités chaque année par
application de ce dispositif. Un certain nombre de magistrats se trouveraient
ainsi disponibles pour traiter d'autres dossiers.
Outre les modifications structurelles et les réformes de procédure, de très
importants recrutements ont été effectués au cours des dix dernières années. En
1968, le corps des magistrats des tribunaux administratifs comptait 168
membres. En 1995, il atteignait 605 membres. Aujourd'hui, il comprend 641
membres, dont 502 ont été recrutés entre 1985 et 1996, ce qui montre l'effort
considérable qui a été consenti en matière de recrutement.
Ce renforcement des effectifs est toutefois loin d'avoir suivi la montée en
puissance du contentieux, et ce n'est que grâce à un effort de productivité -
ce terme n'est probablement pas le plus heureux mais je n'en trouve pas
d'autres - particulièrement intense que les magistrats administratifs ont
réussi à contenir les délais de traitement des affaires dans une proportion
presque raisonnable.
Entre 1987 et 1993, le nombre moyen d'affaires jugées par chaque magistrat a
progressé de 43 %.
Aujourd'hui, les marges de productivité encore disponibles paraissent très
faibles et, sauf à envisager de nouvelles réformes de procédure, seules la
création de postes supplémentaires, tant de magistrats que d'agents des greffes
- nous ne devons pas les oublier - ainsi que l'ouverture des quatre nouvelles
juridictions programmées dans le cadre de la loi pluriannuelle pour la justice
devraient permettre de réduire les délais moyens de jugement, qui sont
actuellement à peine en deçà de deux ans, ce qui reste encore important.
Les modifications considérables des missions exercées par les magistrats
administratifs et le renouvellement en profondeur de la composition du corps
exigent aujourd'hui incontestablement une réflexion sur le statut des membres
de ce corps.
Les principes essentiels du statut actuel ont été posés par la loi du 6
janvier 1986, qui a fixé les règles garantissant l'indépendance des membres des
tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Organisé autour de sept grades, comme l'a rappelé M. le garde des sceaux, ce
statut particulier est inspiré, pour les trois premiers grades, de celui des
administrateurs civils. En revanche, pour les quatre grades suivants, il
multiplie les points de passage obligés, alors même que les fonctions exercées
par les magistrats des quatre derniers grades ne justifient pas la
multiplication de seuils ne correspondant pas à des changements effectifs dans
les responsabilités exercées.
Autrement dit, la structure actuelle du corps des membres des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel ne répond pas véritablement
aux exigences fonctionnelles correspondant aux missions des intéressés.
Cette situation se traduit par des difficultés de fonctionnement, aggravées
par le recrutement récent de la grande majorité du corps et ne permet pas de
pourvoir les fonctions à juge unique ainsi qu'un certain nombre de fonctions de
conseillers de cours d'appel.
Le projet de loi soumis à notre approbation permet de résoudre ces difficultés
et d'ouvrir des perspectives de carrière à des magistrats dont l'avancement a
pris un retard important par rapport à celui des corps comparables issus de
l'Ecole nationale d'administration.
Il prévoit en effet, comme l'a rappelé M. le garde des sceaux, que le corps
serait organisé en trois grades - conseiller, conseiller de première classe et
président - selon un modèle inspiré des statuts de l'inspection générale de
l'administration et de l'inspection générale des affaires sociales.
Le grade de président regrouperait ainsi l'ensemble des fonctions
d'encadrement, des listes d'aptitude spécifiques permettant l'accès aux postes
de responsabilité les plus importants.
Par ailleurs, les conditions d'accès aux fonctions à juge unique seraient
liées à l'ancienneté et non plus au grade, ce qui permettrait incontestablement
de les pourvoir plus aisément.
Enfin, ce projet de loi prévoit de renforcer certaines incompatibilités
géographiques qui sont nécessaires. La commission des lois vous proposera
toutefois d'exclure le mandat de parlementaire européen, car le caractère
national du ressort d'élection interdirait en pratique toute affectation dans
une quelconque juridiction administrative au cours des trois années suivant la
cessation du mandat.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La commission n'a pas voté une telle disposition !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
Je le sais, monsieur Dreyfus-Schmidt, mais elle en a débattu.
En cet instant, aucun amendement n'a encore été déposé. Mais nous aurons
l'occasion d'y revenir tout à l'heure. La liberté de jugement de tous les
membres de la commission des lois sera ainsi préservée et nous pourrons
aborder, dûment mandaté, je l'espère, l'examen des articles. Votre intervention
m'a permis de préciser ce point, et je vous en remercie.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Quant au tour extérieur et au détachement, ils sont adaptés à la nouvelle
structure des grades et ouverts aux administrateurs territoriaux - ce qui, soit
dit en passant, est une reconnaissance du niveau de leurs compétences - aux
professeurs et aux maîtres de conférence titulaires des universités, ce qui est
un hommage à ces professions grâce auxquelles le droit évolue...
M. Jacques Machet.
Très bien !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
... ainsi qu'à certains corps de catégorie A dont les membres
ne sont pas issus de l'ENA. Ce sont d'ailleurs des commissions d'aptitude qui
étudieront en l'occurrence les candidatures présentées.
Par ailleurs, les conditions d'accès aux fonctions à juge unique seraient
liées à l'ancienneté et non plus au grade, ce qui permettrait de les pourvoir
plus aisément.
La commission des lois a approuvé l'économie générale de la réforme proposée,
sous réserve de préciser que l'inscription sur les listes d'aptitude n'est
requise que pour la première nomination.
Elle a en outre souhaité abroger deux dispositions transitoires devenues
inutiles.
La commission a par ailleurs relevé que la Chancellerie avait mis à l'étude
une réforme du statut de la magistrature judiciaire qui devrait permettre
d'améliorer les conditions d'avancement dans ce corps.
En effet, celui-ci est notamment caractérisé par une pyramide démographique
très renflée en son milieu et ses membres connaissent, de ce fait, des retards
d'avancement auxquels il a été remédié pour le deuxième grade, voilà quelques
années, et qu'il conviendrait maintenant de traiter pour le premier grade.
Quant aux magistrats des chambres régionales des comptes, on observe que leur
statut est proche de l'actuel statut des magistrats administratifs et que la
réforme qui nous est aujourd'hui proposée conduit à des évolutions
différenciées des deux corps.
Certes, le statut des magistrats des chambres régionales des comptes n'est pas
à notre ordre du jour d'aujourd'hui ; il relève d'ailleurs de textes
différents, insérés dans le code des juridictions financières ; certes,
l'évolution des missions des magistrats administratifs présente depuis dix ans
des spécificités qui justifient la réforme proposé ; il n'en demeure pas moins
qu'il paraît difficile de ne pas envisager de réfléchir, sans trop tarder, à
l'opportunité d'une adaptation du statut des magistrats des chambres régionales
des comptes à la lumière des modifications apportées à celui des magistrats
administratifs.
M. Pierre Fauchon.
Encore faudrait-il aussi adapter les procédures !
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
En espérant que l'adoption de la réforme du statut des
magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel,
qui a recueilli l'adhésion de l'ensemble des magistrats concernés, confortera
les intéressés et attirera vers les juridictions administratives des juristes
compétents,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Des juristes ? Seulement des juristes ?
M. Daniel Hoeffel,
rapporteur.
... motivés par des perspectives de carrière satisfaisantes -
ce qui est déjà le cas - je vous demande, mes chers collègues, au nom de la
commission des lois, d'adopter le présent projet de loi.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Depuis plusieurs années, nous assistons à une progression continue du
contentieux administratif au niveau de la première instance.
Pour tenter d'y répondre, le législateur a dû intervenir à plusieurs
reprises.
La juridiction administrative a donc connu des transformations qui se sont
traduites par un accroissement des responsabilités dévolues aux membres du
corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Or, malgré les modifications apportées au statut du corps des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel, celui-ci ne permet plus
d'accompagner ces évolutions de manière satisfaisante au regard du déroulement
de carrière des magistrats concernés.
C'est la raison du dépôt de ce projet de loi, dont le double objet est, d'une
part, d'assurer un meilleur fonctionnement des juridictions administratives et,
d'autre part, d'ouvrir des perspectives de carrière et d'avancement aux
magistrats administratifs.
Ainsi, le texte qui nous est présenté devrait permettre de réduire les retards
anormaux que subissent les membres du corps dans leur avancement.
En effet, la complexité de la structure en grades a constitué un obstacle au
pyramidage régulier des emplois successivement créés.
En outre, le découpage en sept grades a multiplié artificiellement les seuils
d'avancement au choix et ne répond plus de nos jours de façon satisfaisante à
des besoins fonctionnels nouveaux.
La réforme proposée substitue à ce modèle celui du statut de l'inspection
générale de l'administration ou de l'inspection générale des affaires sociales,
réduisant le nombre de grades de sept à trois afin d'assurer des déroulements
de carrière plus linéaires et de permettre une meilleure adéquation entre grade
détenu et fonctions exercées.
Pour rendre la structure du corps comparable à celle des corps d'inspection et
de contrôle, il faudrait aussi prévoir l'alignement des régimes des primes,
faute de quoi les retards dans les déroulements de carrière risquent
d'alimenter un sentiment d'inquiétude parmi les magistrats des cours et
tribunaux et à l'extérieur du corps d'entraîner une sorte de désaffection.
Il faudrait donc insister sur la nécessaire attractivité du corps, qui reste
insuffisante aujourd'hui, afin d'attirer les meilleurs éléments de la fonction
publique.
Peut-être conviendrait-il, par exemple, d'aligner le régime indemnitaire des
conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel
sur celui des autres corps issus de l'Ecole nationale d'administration, ce qui
n'est pas le cas pour le moment.
Cela dit, de nombreux sujets d'inquiétude demeurent quant à l'insuffisance des
moyens dont souffrent la justice et, par là même, les justiciables.
Face à une augmentation considérable du nombre d'affaires, les effectifs du
corps, contrairement à ce qui est écrit dans le rapport de M. Hoeffel, n'ont
été augmentés qu'insuffisamment, et ce par le biais, notamment, d'un concours
complémentaire.
L'exposé des motifs du projet de loi indique que ce recrutement complémentaire
conserve ses caractères exceptionnel et temporaire.
Or, il est évident que le recrutement par la voie de l'Ecole nationale
d'administration ne permettra pas, pas plus dans l'avenir qu'aujourd'hui, de
pourvoir le nombre de postes nécessaires, ce qui plaide en faveur du maintien
de ce concours complémentaire.
Par ailleurs, la loi quinquennale pour la justice de 1995 a créé
soixante-quinze postes en surnombre, qui devront être supprimés
progressivement.
Au moment où il est plus que nécessaire d'augmenter les effectifs, une telle
mesure paraît absurde.
Au contraire, ces postes doivent être intégrés dans les effectifs classiques
du corps et devenir des postes permanents s'ajoutant, bien évidemment, aux
postes permanents qui doivent être créés.
Cette mesure s'impose d'autant plus qu'un nouveau tribunal administratif a été
créé en 1996 à Melun, qu'un autre doit être créé en région parisienne avant
l'an 2000, et que deux nouvelles cours administratives d'appel doivent le jour
: l'une à Marseille en 1997, l'autre à Douai en 1999.
Une question s'impose : où allez-vous prendre les magistrats pour faire
fonctionner ces nouvelles juridictions ?
Il ne faudrait en aucun cas avoir recours au seul renfort d'auxiliaires de
justice, comme le suggère habilement l'exposé des motifs du projet de loi. En
effet, quelles que soient leurs qualités, ceux-ci ont vocation non pas à
remplacer mais à assister les magistrats.
A cette inquiétude s'ajoute celle de l'augmentation considérable des affaires
susceptibles d'être examinées par une juge unique en lieu et place de la
formation collégiale, comme l'a permis la loi du 8 février 1995.
Si le traitement des affaires par un juge unique permet de réduire les délais
de jugement et de ne monopoliser qu'une seule personne, cette procédure risque
de nuire au détriment de la qualité de la justice rendue.
Nous nous prononçons pour le recrutement de conseillers des tribunaux
administratifs et des cours administratives d'appel sur des postes définitifs
et nous nous opposons à leur remplacement par des assistants de justice ou à la
suppression de la collégialité.
L'augmentation des moyens et des effectifs est plus que jamais nécessaire.
Actuellement, en effet, dans certains tribunaux administratifs, les délais de
jugement en première instance dépassent trois ans, ce qui est inacceptable pour
les parties et incompatible avec une justice équitable.
Au moment où l'on parle beaucoup de la commission de réflexion sur la justice
pour rapprocher le justiciable de la justice, au moment où l'on parle de
réformer l'Etat pour rapprocher l'usager de l'administration, il est grand
temps de prendre les mesures réelles et efficaces qui s'imposent.
La justice administrative devrait être l'un des éléments de la réforme de
l'Etat pour que l'individu, qui a des devoirs, ait la certitude que, lorsqu'il
a des droits à faire valoir, il est équitablement entendu et défendu.
Avec les lois de décentralisation se sont développés les conflits entre le
citoyen et les collectivités territoriales, les mairies ou les conseils
généraux, qui se règlent devant le tribunal administratif.
La compétence de la juridiction administrative s'exerce le plus souvent dans
les domaines de l'urbanisme, de l'environnement, de la santé, de la fiscalité,
de l'immobilier, des droits de succession, de l'Etat civil, des permis de
construire, du lycée, de l'université, qui engendrent un contentieux quotidien
de plus en plus important.
Le tribunal administratif dispose d'un statut particulier puisqu'il est
composé généralement de hauts fonctionnaires issus de l'ENA, qui doivent juger
la fonction publique ou l'administration au sens large du terme.
Dès lors, le justiciable est en droit de se poser la question suivante :
comment des membres de l'administration, même compétents et indépendants,
peuvent-ils juger avec neutralité l'administration ou les services publics ?
Les membres de la commission de réflexion sur la justice devraient
s'intéresser de près à cette juridiction spécifique, qui joue - et qui jouera
plus encore à l'avenir, un rôle étendu dans la vie du citoyen.
Mes chers collègues, vous le savez, les sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen mettent au coeur du débat l'augmentation des moyens
accordés à la justice, sans laquelle le succès de toute réforme semble, il faut
bien le dire, très aléatoire.
Néanmoins, compte tenu de l'amélioration du statut des corps et des personnels
qu'il constitue, nous voterons le présent projet de loi.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le
groupe socialiste n'a pas d'opposition de principe à ce texte ponctuel -
peut-être par trop ponctuel, c'est le reproche que nous pourrions lui
adresser.
Les magistrats des tribunaux administratifs voient leur situation améliorée et
le déroulement de leur carrière rendu plus normal : ils s'en réjouissent, et
nous aussi. Simplement, nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas profité
de l'occasion pour améliorer dans le même temps la situation et le déroulement
de carrière de l'ensemble des magistrats, non seulement des magistrats de
l'ordre administratif mais aussi des magistrats de l'ordre judiciaire, sans
oublier les magistrats des chambres régionales des comptes.
C'est pourquoi nous nous permettons de vous demander, monsieur le garde des
sceaux, quels sont vos projets en la matière. Le Parlement sera-t-il
prochainement saisi de textes comparables à celui-ci mais intéressant, cette
fois, les magistrats de l'ordre judiciaire et ceux des chambres régionales des
comptes ?
A ce propos, puisque la presse nous annonce aujourd'hui même que de nombreux
membres du groupe le plus important du Sénat vont déposer un texte tendant à
réduire de manière drastique les pouvoirs des chambres régionales des comptes,
je souhaiterais savoir quelle est la position du Gouvernement sur ce point.
J'entends bien que beaucoup d'élus locaux s'irritent quelque peu de voir des
chambres régionales des comptes s'occuper non seulement de la légalité de leurs
décisions mais aussi, parfois, de leur opportunité.
Cela étant, l'opinion comprendrait mal, me semble-t-il, que les observations
des chambres régionales des comptes fassent l'objet d'un « black-out » dès lors
qu'il y aurait un appel devant la Cour des comptes.
Nous avons, nous, la gauche, supprimé le contrôle
a priori,
mais il est
évident que le contôle
a posteriori
doit subsister et qu'il ne doit pas
être rendu public des années après !
M. Pierre Fauchon.
Ni porter sur l'opportunité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je le répète, monsieur le garde des sceaux, nous serions heureux de connaître
votre opinion sur cette question.
Nous regrettons également qu'on n'ait pas profité de l'occasion pour revenir
sur la composition du conseil supérieur des tribunaux administratifs et des
cours administratives d'appel, alors que des efforts ont été accomplis pour
réformer le conseil supérieur de la magistrature judiciaire.
Certes, ces efforts ont été bien insuffisants, notamment en ce qui concerne la
nomination des magistrats du parquet, leur carrière et les sanctions qui
peuvent leur être appliquées.
En revanche, il convient de noter l'effort d'équilibre qui a été réalisé quant
à la composition du conseil au bénéfice des magistrats du siège.
Nous pourrions donc aller dans le même sens en ce qui concerne les magistrats
des juridictions administratives. Monsieur le garde des sceaux, avez-vous
l'intention de nous faire des propositions à cet égard ?
Enfin, s'agissant des incompatibilités, M. le rappporteur avait, semble-t-il,
songé à proposer qu'un ancien député européen puisse être nommé, à l'expiration
de son mandat, dans n'importe quelle juridiction, alors que, actuellement, il
ne peut être nommé dans aucune juridiction pendant trois ans.
En effet, les titulaires d'un mandat, quel qu'il soit, ne peuvent être nommés
pendant trois ans dans leur circonscription. Or la circonscription d'un député
européen, c'est la France entière. Autrement dit, dans les trois ans qui
suivent l'expiration de leur mandat, les anciens élus peuvent être nommés dans
n'importe quelle juridiction administrative à l'exclusion de celle qui
correspond à leur ancienne circonscription, sauf les anciens députés européens,
qui, eux, ne peuvent être nommés nulle part.
Monsieur le rapporteur était donc enclin, nous a-t-il confié, à proposer
qu'ils puissent, au contraire, être nommés immédiatement dans n'importe quelle
juridiction administrative, et cela peut se justifier dans la mesure où il en
est ainsi pour les magistrats de l'ordre judiciaire qui sont élus au Parlement
européen.
Sur cette question, le juste milieu serait, me semble-t-il, susceptible de
nous réunir : les anciens députés européens ne devraient pas pouvoir être
nommés pendant les trois ans suivant la fin de leur mandat au moins dans les
ressorts où ils avaient leur domicile pendant l'année précédant leur élection
ou pendant la durée de leur mandat. Nous avons déposé un amendement en ce sens,
étant entendu que, à la première occasion, il faudra appliquer la même solution
aux magistrats de l'ordre judiciaire, ce que nous ne pouvons proposer
aujourd'hui par amendement puisque le statut de la magistrature relève d'une
loi organique.
En conclusion, j'indique que, même si ce texte par trop ponctuel appelle les
quelques observations que je viens de formuler, le groupe socialiste le votera.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. François Lesein
applaudit également.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. René-Georges Laurin,
vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je
demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. René-Georges Laurin,
vice-président de la commission des lois.
Monsieur le président, je me
permets de demander une suspension de séance d'environ quinze minutes avant que
le Sénat n'aborde l'examen des articles.
M. le président.
Nous allons donc interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures vingt,
sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)