M. le président. La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet. Ma question s'adressait à M. le ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre. Je crois qu'elle recevra une réponse de M. Roger Romani ; je n'en suis pas particulièrement désobligé. (Sourires.)
Monsieur le ministre, hier, 19 mars, la honte et l'horreur ont défilé dans Paris au-dessus des cortèges.
La honte et l'horreur, ce sont des dizaines de milliers de Français et d'Algériens, civils ou militaires, massacrés dans les conditions les plus abominables après le prétendu cessez-le-feu du 19 mars 1962.
On ne célèbre pas une date porteuse d'autant d'atrocités.
M. Bernard Joly. Il fallait y être en 1962 !
M. Jacques Mahéas. Il y a eu trente mille morts ! Ce que vous dites est scandaleux !
M. Jean Clouet. Mon cher ami, ou bien vous avez la mémoire courte, ou bien vous avez changé de parti dans les trente secondes qui viennent de s'écouler ! (Rires.)
Deux anciens présidents de la République l'ont clairement affirmé, alors qu'ils étaient en fonction.
M. Valéry Giscard d'Estaing a déclaré : « L'anniversaire des accords du 19 mars 1962, mettant fin à la guerre d'Algérie, n'a pas à faire l'objet d'une célébration. »
M. Jacques Mahéas. C'est quand même la fin de la guerre !
M. Jean Clouet. Et François Mitterrand, dont vous avez sans doute entendu parler,...
M. Jean Delaneau. Ils l'ont vite oublié !
M. Jean Clouet. ..., et à qui vous devez probablement votre siège, n'a pas été moins net !
M. Jean Chérioux. Cela a l'air de vous gêner !
M. Jacques Mahéas. Vous n'avez pas à insulter les anciens combattants !
M. Jean Clouet. Il a déclaré : « S'il s'agit de marquer le recueillement national et d'honorer les victimes de la guerre d'Algérie, je dis que cela ne peut pas être le 19 mars. »
M. Jacques Mahéas. Il ne l'a pas dit !
M. Jean Clouet. Si, il l'a dit en septembre 1981, mais vous n'étiez pas né à la politique, sans doute.
M. Raymond Courrière. Les anciens combattants sont libres ! Vous n'avez pas à les juger !
M. Alain Gournac. Cela vous ennuie !
M. Jean Delaneau. Cela semble vous gêner beaucoup !
M. le président. Poursuivez, monsieur Clouet !
M. Jean Chérioux. L'intolérance l'en empêche !
M. Jean Clouet. Volontiers, monsieur le président, mais pas dans le brouhaha. Rétablissez le silence.
M. Raymond Courrière. C'est intolérable !
M. Jacques Mahéas. On continuera à défiler !
M. Jean Clouet. Les morts, les pauvres morts de la guerre d'Algérie ne sont pas la propriété de tel ou tel !
M. Raymond Courrière. Exactement ! Ils ne sont pas la vôtre !
M. Jean Clouet. C'est à la France tout entière de prendre en charge leur souvenir !
M. Jean Delaneau. Ils ne le supportent pas, c'est évident !
M. Raymond Courrière. Vous n'avez pas à faire la leçon aux anciens combattants !
M. Jean Clouet. Quelle est, à cet égard, monsieur le ministre, la position du Gouvernement ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le sénateur, vous évoquez une question bien douloureuse, car elle touche à la mémoire d'une page tragique de notre histoire.
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. Le ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre s'incline respectueusement devant le sacrifice des jeunes Français qui ont passé de longs mois en Algérie, qui y ont enduré des épreuves, qui y ont été blessés et qui y ont trouvé la mort.
M. Raymond Courrière. Lui n'y était pas !
M. Henri de Raincourt. Ils ont été torturés !
M. Roger Romani, ministre des relations avec le Parlement. La commémoration de la fin des hostilités en Algérie pose cependant un problème délicat. Le Premier ministre a chargé le ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre de rechercher une date qui pourrait être reconnue par tous les combattants du conflit d'Afrique du Nord.
Cette réflexion a été engagée et il est apparu qu'un accord était pour le moment impossible à réaliser.
Vous conviendrez, monsieur le sénateur, qu'en tout état de cause il ne puisse être envisagé d'officialiser une date qui ne ferait pas l'unanimité des Français et, naturellement, de ceux qui furent conduits à accomplir leurs devoirs militaires sur cette terre d'Algérie.
Le ministre délégué aux anciens combattants et victimes de guerre voudrait, devant la représentation nationale, rendre hommage à tous les morts.
Je tiens à rappeler que le Président de la République a rendu hommage « au courage des forces régulières et des formations supplétives, unies fraternellement dans les plis du drapeau français ». Il a évoqué cette troisième génération du feu à laquelle il a voulu associer « tous ceux, rapatriés, qui ont contribué à la grandeur de notre pays en incarnant l'oeuvre civilisatrice de la France. Les uns et les autres ont mérité les honneurs de la mémoire », a conclu le chef de l'Etat.
C'est à ce devoir de mémoire, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement et la représentation nationale se consacrent. Ainsi, nous aurons contribué à renforcer l'unité nationale (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité du Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU