TRAITÉ SUR LA CHARTE DE L'ÉNERGIE
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 186, 1996-1997)
autorisant la ratification du traité sur la Charte de l'énergie (ensemble un
protocole). [Rapport n° 267 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Corinne Lepage,
ministre de l'environnement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, par le présent projet de loi, le Gouvernement demande au Sénat
d'autoriser la ratification du traité sur la Charte de l'énergie, signé à
Lisbonne le 17 décembre 1994.
Ce traité met en oeuvre les engagements de nature politique de la Charte
européenne de l'énergie, signée à La Haye quatre ans auparavant, le 17 décembre
1991, par cinquante et un Etats : les pays de l'OCDE, les républiques de
l'ex-URSS, les pays d'Europe centrale et orientale.
Due à une initiative de la Communauté européenne, la Charte européenne de
l'énergie a pour but de promouvoir la coopération dans le secteur énergétique
en Europe dans le contexte des profondes mutations politiques et économiques de
l'est du continent.
L'objectif est de contribuer au développement économique de l'Europe de l'Est
en facilitant l'exploitation des ressources considérables des pays de
l'ex-URSS, notamment la Russie, tout en assurant une meilleure sécurité
d'approvisionnement énergétique aux pays consommateurs de l'Europe de
l'Ouest.
A cette fin, la Charte énumère un certain nombre de principes : respect de la
souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles, non-discrimination,
fixation des prix selon les lois du marché, respect de l'environnement.
C'est pour donner un caractère contraignant à ces principes qu'a été négocié
et signé le traité sur la Charte de l'énergie.
Les quarante-neuf signataires sont : la Communauté européenne et ses Etats
membres, les pays d'Europe centrale et orientale, ceux de la Communauté des
Etats indépendants, dont la Russie, ainsi que le Japon, la Turquie,
l'Australie, la Suisse et la Norvège.
Négocié parallèlement au traité et signé en même temps que celui-ci, le
protocole sur l'efficacité énergétique pose les principes de la coopération
entre les parties pour promouvoir des politiques d'économie d'énergie et de
protection de l'environnement.
Pour ce qui est du contenu, le traité comporte quatre ensembles principaux de
dispositions, portant sur la protection et la promotion des investissements, le
commerce, le transit des matières et produits énergétiques, ainsi que sur
l'environnement.
Les dispositions du traité relatives à la promotion et à la protection des
investissements visent à établir la norme de traitement la plus favorable aux
investisseurs étrangers pour les investissements déjà réalisés ; il s'agit de
la phase de « post-investissement », au cours de laquelle s'effectue
l'exploitation. Les investisseurs bénéficient alors du traitement national,
ainsi que de la liberté de transfert des flux liés à un investissement. Les
accords internationaux existant entre deux ou plusieurs parties prévalent sur
le traité si leurs dispositions sont plus favorables pour l'investisseur.
Comme il est prévu dans le traité, un traité complémentaire est en cours de
négociation depuis 1995, en vue d'établir les mêmes normes pour la phase de «
pré-investissement », c'est-à-dire l'achat de sites et d'équipements, l'octroi
de licences, les privatisations, l'ouverture de monopoles.
Quant aux échanges commerciaux de matières et produits énergétiques, ils sont
régis par les dispositions de l'accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce, auquel à succédé l'accord instituant l'Organisation mondiale du
commerce, et par ses instruments connexes. Les dispositions s'appliquent
également,
mutatis mutandis,
aux parties qui n'étaient pas membres de
l'OMC.
Il convient de noter que les échanges de matières nucléaires peuvent être
régis par des accords spécifiques. Ainsi, la Communauté européenne et la Russie
sont convenues que les échanges de ces matières entre elles seraient régis,
jusqu'à la conclusion d'un nouvel accord, par les dispositions de l'accord de
partenariat entre l'Union européenne et la Russie signé à Corfou en juin
1994.
De même, pour les autres Etats de la Communauté des Etats indépendants, sont
toujours d'application les dispositions de l'accord signé entre la Communauté
européenne et l'URSS à Bruxelles en décembre 1989.
Le traité institue le principe de la liberté de transit des matières et
produits énergétiques sur le territoire des parties. Ces dernières doivent
s'abstenir d'interrompre ou de réduire les flux d'énergie en cas de différend
sur les conditions du transit, jusqu'à ce que ce différend soit réglé selon les
modalités de conciliation prévues par le traité.
S'agissant de l'environnement, le traité s'inscrit dans l'objectif de
développement durable et reconnaît le principe selon lequel le pollueur
supporte les coûts de la pollution.
Sans préjuger les mesures précises touchant les activités pétrolières et
gazières en amont, il établit les axes d'une approche commune de la législation
en la matière et favorise la coopération dans les domaines du transfert de
technologies et des échanges d'informations.
Le traité prévoit par ailleurs une série de mécanismes pour le règlement des
différends.
Des dispositions transitoires ont été prévues pour les pays en transition vers
l'économie de marché qui ont besoin d'un temps d'adaptation supplémentaire. La
fin de la période transitoire, variable selon les pays, est fixée au plus tard
à 2001.
Sur le plan institutionnel, le traité établit une conférence de la Charte, à
laquelle est adjoint un secrétariat, structure souple établie à Bruxelles. La
conférence surveille et facilite la mise en oeuvre du traité et veille aux
négociations du second traité ainsi qu'à l'activité des groupes de travail.
Le traité entrera en vigueur lorsque trente Etats l'auront ratifié. En
attendant, les signataires l'appliquent provisoirement dans la mesure où cette
application provisoire n'est pas incompatible avec leur constitution et leur
législation.
Le traité sur la Charte de l'énergie, en favorisant la coopération énergétique
à l'échelle du continent européen, contribuera à assurer, pour la France comme
pour ses partenaires de l'Union européenne, la sécurité des approvisionnements
et incitera à mieux prendre en compte le respect de l'environnement. Il
garantira une meilleure protection des activités des opérateurs qui commercent
ou investissent en Europe de l'Est et dans l'ancienne URSS, et il facilitera
leurs démarches.
Les dispositions qu'il contient prennent toute leur importance si l'on
rappelle qu'un tiers du gaz importé par la France et 10 % de ses
approvisionnements en pétrole proviennent de Russie, traversant les territoires
des pays d'Europe centrale et orientale, notamment l'Ukraine.
Pour ce qui est des engagements internationaux, le traité fait application des
règles du GATT pour les pays non membres de l'OMC dans les matières
commerciales.
S'agissant des investissements, les accords internationaux plus favorables
pour l'investisseur prévalent sur les dispositions du traité : ainsi sont
préservées, le cas échéant, les dispositions plus avantageuses des accords
bilatéraux de protection des investissements signés par la France.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les
principales dispositions du traité sur la Charte de l'énergie qui fait l'objet
du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. André Boyer,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers
collègues, le projet de loi qui nous est soumis a pour objet d'autoriser
l'adhésion de la France au traité sur la Charte de l'énergie, signé à Lisbonne
le 17 décembre 1994.
A l'origine de ce traité se trouve la Charte européenne de l'énergie, lancée
par le Conseil européen de Dublin le 25 juin 1990. Cette charte, qui a été
signée en 1991 par quelque cinquante pays Etats de la CEI, les pays d'Europe
centrale et orientale, les membres de l'Union européenne, ainsi que par les
Etats-Unis, le Canada, le Japon et l'Australie - avait un objectif essentiel :
faciliter la coopération énergétique entre des pays anciennement séparés par le
rideau de fer et aider les pays de l'Est dans leur transition vers l'économie
de marché, notamment en les rendant à même d'attirer les investissements
étrangers dans le secteur énergétique.
Ce traité a donc pour objet de donner force juridiquement contraignante aux
principes généraux contenus dans cette charte. Il tend à offrir un cadre
juridique stable aux activités internationales en matière de prospection, de
production, de transit, de commerce et d'investissement dans le secteur
énergétique.
Il comporte un mécanisme de règlement des différends commerciaux quasiment
calqué sur celui qui est désormais en cours dans le cadre de l'Organisation
mondiale du commerce.
D'ailleurs, l'une des caractéristiques de ce traité est qu'il fait
application, pour les pays signataires et pour le secteur de l'énergie, des
principes généraux du GATT, alors même que bon nombre des parties au traité ne
sont pas encore, à ce jour, membres de l'OMC, à commencer par la Fédération de
Russie. Ainsi a-t-on pu qualifier ce traité de GATT sectoriel et
géographique.
L'enjeu est fort important puisque les pays de l'Est, notamment la Russie et
ses partenaires de la CEI, détiennent des réserves énergétiques considérables
et du gaz naturel en particulier.
Le commerce des matières nucléaires fait l'objet d'un traitement à part
puisque, en ce qui concerne l'Union européenne, il continuera d'être régi par
l'article 22 de l'accord de partenariat passé en 1994 entre les Communautés
européennes et la Russie. Le dispositif retenu prévoit ainsi la possibilité
d'instaurer un régime protecteur au cas où « un produit est importé sur le
territoire d'une des parties contractantes dans des quantités tellement accrues
... qu'il porte ... préjudice aux fabricants nationaux ».
D'une façon générale, sur le plan du commerce des produits énergétiques -
pétrole, gaz naturel, charbon, énergie électrique - le traité fait référence
aux dispositions du GATT : lutte contre la concurrence déloyale, transparence
des législations, engagements à consolider les tarifs douaniers, suppression
progressive des obstacles non tarifaires, etc.
Pour ce qui est des investissements déjà réalisés, le traité invite au respect
de conditions stables, équitables et transparentes en appliquant le principe de
la nation la plus favorisée.
On notera que, s'agissant des conditions concernant les investissements
futurs, le traité se borne à des engagements vagues. Il est prévu qu'un nouveau
traité réglera cette question, essentielle pour les investisseurs étrangers
potentiels.
En ce qui concerne le droit de transit des produits énergétiques, le traité
engage les parties à ne pas interrompre ou gêner ce transit de produits entre
pays signataires. On se rappelle qu'en 1993 et 1994 l'Ukraine avait bloqué
l'acheminement de gaz russe à travers son territoire vers l'Europe
occidentale.
Ainsi, mes chers collègues, ce traité permettra de renforcer, pour la France,
comme pour ses partenaires européens, la sécurité des approvisionnements
énergétiques. Il protégera les opérateurs installés dans les territoires de la
CEI et des pays d'Europe centrale et orientale, notamment en facilitant les
démarches administratives.
D'autres négociations, en cours ou à venir, viendront donner au traité sa
pleine signification : le deuxième traité sur la phase de préinvestissement,
non incluse dans le présent document ; l'extension des dispositions
commerciales aux équipements énergétiques ; enfin, la mise en oeuvre effective
des engagements sur la consolidation des tarifs.
En proposant, pour les dispositions commerciales, une référence aux principes
du GATT originel, le traité fait en quelque sorte, au profit des pays qui n'en
sont pas encore membres, oeuvre pédagogique dans l'attente de leur adhésion,
pleine et entière, à l'accord de 1994 portant création de l'Organisation
mondiale du commerce.
Le traité permettra de valoriser, dans l'intérêt réciproque de tous les Etats
parties, les ressources énergétiques européennes et, par conséquent, de
contribuer au développement et à la croissance économique du continent.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à adopter le
projet de loi qui nous est soumis.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique
. - Est autorisée la ratification du traité sur la
Charte de l'énergie (ensemble un protocole) fait à Lisbonne le 17 décembre 1994
et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
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