DIVERSES DISPOSITIONS
RELATIVES À L'IMMIGRATION
Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 277,
1996-1997) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur
les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses
dispositions relatives à l'immigration.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Masson,
rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale a
adopté, hier, les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de
loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration. Cette approbation
me conduit à rapporter devant vous, aujourd'hui, l'adoption définitive de ce
projet de loi
(M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame),
dont l'examen par le Parlement
débuta en décembre dernier.
Il est temps, me semble-t-il, de conclure cette phase législative d'un texte
dont le Gouvernement a voulu, à juste titre, qu'il fût examiné dans la
plénitude du débat parlementaire, à travers deux lectures, ce qui s'est traduit
par quatre-vingt-dix heures de débat.
Le débat a été nourri, approfondi, passionné. Je crois sincèrement que le
Sénat a joué, dans l'examen de ce texte, un rôle éminent, constructif,
pondérateur. Chacun s'est plu à souligner le rôle objectif de la Haute
Assemblée, et j'ai la grande satisfaction d'avoir, à cet égard, pu traduire vos
soucis de pondération et d'efficacité, mes chers collègues.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a largement repris les
modifications que le Sénat avait apportées lors de sa première lecture.
Restaient en navette sept articles sur les vingt-deux qui nous avaient été
transmis en première lecture. Sur ces sept articles, le Sénat en a adopté
quatre conformes, dont l'article 1er relatif au certificat d'hébergement.
La Haute Assemblée avait, au préalable, entendu et apprécié les assurances
expresses de M. le ministre de l'intérieur concernant le rôle du maire. M. le
ministre nous a rassurés, à cet égard : le texte réglementaire d'application
prescrira une association étroite du maire à la procédure avant la délivrance
du certificat d'hébergement ; après la décision prise par le préfet de viser ou
non le certificat en cause, le maire sera encore informé.
Le Sénat a encore adopté conformes l'article 4, sur l'attribution de plein
droit de la carte de séjour temporaire, l'article 4
bis,
sur le
renouvellement de la carte de résident, et l'article 10, sur les visites dans
les lieux de travail.
Ne restaient donc en discussion, soumis à la commission mixte paritaire, que
trois articles.
D'abord, l'article 3, composé lui-même de trois articles, deux qui avaient été
votés en termes identiques par les deux assemblées, l'article 8-1 relatif à la
retenue des passeports et l'article 8-2 sur les visites de véhicules, et un
article additionnel 8-3 relatif aux fichiers d'empreintes digitales, pour le
deuxième alinéa duquel les rédactions des deux assemblées divergaient
encore.
Après la première lecture, ce texte autorisait, en vue de l'identification
d'un étranger qui ne présente pas ses papiers et ne donne pas les
renseignements nécessaires à son éloignement, la consultation, par les agents
habilités du ministère de l'intérieur, des fichiers d'empreintes de l'OFPRA et
de l'identité judiciaire.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale avait accepté une partie de
l'encadrement du dispositif prévu par le Sénat, qu'elle avait complété en
étendant son champ aux contrôles des titres de séjour et en permettant
l'habilitation des gendarmes.
En revanche, elle avait préféré, comme en première lecture, ne pas dresser la
liste exhaustive des fichiers dont le législateur autorisait la consultation
dans ce cadre et permettre, en conséquence, la consultation « des fichiers
contenant des empreintes digitales d'étrangers détenus par les autorités
publiques » ; le Sénat, en deuxième lecture, avait repris, sur ce point, sa
rédaction de première lecture en citant limitativement le fichier de l'OFPRA et
celui de l'identité judiciaire pour des raisons tenant tant à la situation
juridique et de fait actuelle qu'à ses préoccupations pour l'avenir.
La commission mixte paritaire a adopté, sur ce point, la rédaction du Sénat,
sous réserve d'une modification purement rédactionnelle.
L'article 6
bis
, remanié en deuxième lecture par l'Assemblée nationale,
concerne désormais la protection contre l'éloignement des étrangers atteints de
pathologies graves. Le Sénat en avait accepté le principe et avait étendu la
rédaction proposée pour prévoir non seulement la protection contre l'expulsion,
mais également celle contre la reconduite à la frontière.
La commission mixte paritaire a admis cette extension et l'a complétée en
prévoyant que cette protection pourrait profiter non seulement aux étrangers
dont le traitement serait interrompu par l'éloignement, mais également à ceux
qui n'auraient pas commencé le traitement, sous réserve, dans les deux cas,
qu'ils ne puissent être traités dans le pays de renvoi.
L'article 8, relatif à la rétention administrative, comportait encore un
paragraphe, le paragraphe 4°, sur lequel les deux assemblées n'avaient pu
parvenir à une rédaction commune. La divergence portait sur l'opportunité de
prévoir un délai pour le procureur pour demander que son appel d'un refus de
prolongation d'une rétention administrative ait un effet suspensif.
L'Assemblée nationale avait proposé à deux reprises qu'il bénéficie d'un délai
de quatre heures, tandis que le Sénat s'en tenait à une demande formée
immédiatement après le prononcé de l'ordonnance.
La commission mixte paritaire a retenu cette dernière solution, là encore sous
réserve d'une simplification rédactionnelle.
En votant le texte de la commission mixte paritaire, le Sénat confirmera donc
son vote de deuxième lecture.
Ce texte, mes chers collègues, tel que modifié par l'Assemblée nationale et
par le Sénat, ne trahit pas le projet gouvernemental ; sur certains points, il
le complète même heureusement. C'est pourquoi, en conclusion, je vous demande
d'adopter le texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs à l'issue des travaux de la commission mixte paritaire, l'Assemblée
nationale a délibéré, hier, sur le texte de compromis finalement élaboré. A
vrai dire, il s'agit non pas réellement d'un compromis, mais plutôt
d'ajustements rédactionnels marginaux par rapport à la version adoptée par le
Sénat en deuxième lecture. Il n'y a donc guère de faits nouveaux par rapport à
notre dernier débat.
J'observe, d'ailleurs, toute l'importance de la contribution du Sénat à
l'élaboration de cette loi, et je veux relever - je le dis très sincèrement -
la grande qualité du travail législatif accompli dans cette assemblée et au
sein de sa commission des lois, sous la présidence de M. Larché, à qui je veux
exprimer toute ma reconnaissance.
Ma reconnaissance et mes remerciements vont également à M. Paul Masson, votre
rapporteur
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste),
dont les positions fermement tenues ont rencontré
l'adhésion non seulement de votre majorité mais encore de l'Assemblée nationale
elle-même.
Il suffira à celles et à ceux qui, dans d'autres enceintes, peuvent douter de
l'importance du Sénat, de se référer au travail qui a été fait ici sur cette
loi pour se convaincre de l'utilité de la deuxième chambre !
M. le président.
Le Sénat, monsieur le ministre, prend acte de cette déclaration et vous en
remercie.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Elle n'est pas nouvelle, dans ma bouche,
monsieur le président !
M. le président.
Je le sais, monsieur le ministre !
M. Guy Allouche.
C'est pour M. Mazeaud que vous dites cela, monsieur le ministre ?
M. Jean Delaneau.
C'est de la délation !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je n'ai pas la mémoire des noms, cher monsieur.
Alors que l'on parle des institutions, de l'importance d'avoir deux assemblées
pour l'élaboration de la loi, ne rabaissez pas le débat à des querelles de
personnes !
Mme Joëlle Dusseau.
C'est à cause de votre hommage, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Mon hommage, madame, s'adressait aux sénateurs
dans leur ensemble, sans distinction d'étiquette politique.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Guy Allouche.
Merci !
M. Claude Estier.
C'est nouveau, ça !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je n'approfondirai pas la présentation du texte
finalement soumis à votre délibération. Les rédactions proposées aux articles
3, 6
bis
et 8 reprennent les propositions que vous aviez retenues.
En particulier, à l'article 3, est acquise l'énumération des fichiers
contenant des empreintes digitales, auxquels les services du ministère de
l'intérieur et les unités de gendarmerie nationale pourront avoir accès,
conformément aux souhaits de votre assemblée.
Quant à l'article 6
bis
, relatif aux étrangers gravement malades, la
commission mixte paritaire a jugé utile d'étendre encore son champ
d'application aux étrangers dont le renvoi pourrait les priver d'un traitement
médical en France.
Je ne reviens pas sur les réserves que j'ai émises à ce propos devant vous en
deuxième lecture sur un amendement analogue et, hier encore, devant l'Assemblée
nationale.
Je m'efforcerai simplement de faire en sorte que l'application du texte ainsi
amendé par le Parlement ne porte pas préjudice à l'atteinte de nos
objectifs.
De même, en ce qui concerne l'appel suspensif du parquet contre un refus de
prolongation d'une rétention administrative, prévu à l'article 8-4, l'Assemblée
nationale s'est rangée à votre avis, qui était d'ailleurs celui du Gouvernement
; on en revenait ainsi au projet initial du Gouvernement.
De ce fait, nous garantissons la meilleure sécurité juridique, conformément au
souhait de votre rapporteur.
Finalement, mesdames, messieurs les sénateurs, cette grande convergence des
deux assemblées donne toute satisfaction au Gouvernement.
Le choix de n'avoir pas déclaré l'urgence sur ce texte se trouve pleinement
légitimé par l'issue de la procédure, au terme des deux navettes.
Aux pétitionnaires, à ceux qui avaient manifesté dans la rue pour faire
pression sur le Gouvernement, pour faire pression sur les députés et sénateurs,
j'avais dit qu'en démocratie la loi se faisait au Parlement de la République et
nulle part ailleurs.
Je suis heureux qu'après plus de cent dix heures de débat, si l'on tient
compte des auditions en commission, députés et sénateurs aient minutieusement
examiné toutes les dispositions prévues par le texte du Gouvernement. Ils ont
ainsi pu montrer aux uns et aux autres qu'ils sont véritablement les
représentants de la nation et que la loi s'est faite au Parlement.
Si je me suis refusé à déclarer l'urgence, c'est aussi parce que je voulais
que chacun, quelle que soit son opinion, puisse s'exprimer et faire valoir son
point de vue.
En effet, contrairement aux habitudes acquises depuis longtemps, le texte
proposé en cette matière délicate de l'immigration n'a pas donné lieu à une
déclaration d'urgence et la navette a pu se poursuivre jusqu'à son terme en
mettant en lumière l'ensemble des problèmes tout à la fois politiques et
techniques que pose le texte.
C'est d'ailleurs, pour ma part, la principale difficulté que j'ai ressentie
dans le déroulement de ces débats. Nous devons à chaque instant garder à
l'esprit les exigences juridiques dérivées, notamment, de la jurisprudence
constitutionnelle.
Peu de textes, dans leur préparation, ont été élaborés avec cette volonté de
respecter la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Je sais bien que
certains, ici ou là, s'élèvent contre le fait que, lorsqu'on élabore la loi, on
tient compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et que, par
conséquent, les parlementaires ne sont pas totalement libres. Peu importe ces
commentaires. Toutes les dispositions que nous avons élaborées respectent la
jurisprudence tant du Conseil constitutionnel que du Conseil d'Etat.
Le juge constitutionnel va être saisi ; naturellement, il peut, pour des
raisons qui lui appartiennent, changer de jurisprudence. L'important pour moi
était de respecter la jurisprudence actuelle.
Nous devons aussi, et tel était mon souci, rester pragmatiques et trouver des
solutions techniques et précises qui puissent être appliquées concrètement.
Nous devons enfin garder le cap sur le fait que la volonté nationale nous
impose de traduire en droit positif une volonté, que je sais partagée par
l'ensemble de nos concitoyens, celle de maîtriser l'immigration irrégulière. Si
nous voulons, je le redis encore une fois, être fidèles à la tradition
française d'intégration des étrangers à la communauté nationale, il faut avoir
un regard critique et mettre en oeuvre des dispositions efficaces contre
l'immigration irrégulière.
Le prix de l'intégration des étrangers en situation irrégulière est que l'on
doit se montrer à l'égard de ceux qui ne sont pas intégrés d'une très grande
intransigeance.
Ce débat, mesdames, messieurs les sénateurs, a aussi cristallisé de véritables
clivages politiques, parfois dans des conditions polémiques inutiles à mes
yeux, dommageables pour l'histoire de notre pays. Mais peu importe le passé
!
Ce débat aura eu le mérite de montrer qu'il existe, entre la majorité qui
soutient le Gouvernement et l'opposition qui le critique, et c'est légitime, un
fossé en ce qui concerne la lutte contre l'immigration irrégulière. En effet,
si tout le monde s'accorde sur la nécessité de lutter contre l'immigration
irrégulière, en revanche, le fossé se creuse dès lors que des dispositions
précises sont envisagées.
Je vous l'ai dit depuis longtemps : pour ma part je ne souhaite pas que nous
persistions dans cette façon de faire de la politique réduite au raisonnement
par déclaration, par incantation, par pétition de principe et qui fait
apparaitre un très grand vide quand il faut agir de manière précise et
opérationnelle. C'est à l'honneur de cette majorité que d'avoir dépassé le
niveau des discussions, des pétitions de principe et des déclarations
d'intention pour se montrer réellement efficace dans la lutte contre
l'immigration irrégulière.
Je voudrais remercier les sénateurs qui m'ont soutenu dans ce combat
difficile. Les dispositions que vous allez voter sont bonnes. Sachez que je les
ai voulues avec votre rapporteur, avec le Sénat comme avec l'Assemblée
nationale. Sachez que je les assume pleinement.
Je sais bien qu'aujourd'hui nul n'est à l'abri des critiques. Je sais bien que
la critique est facile. Cependant, les dispositions contenues dans ce texte que
j'ai acceptées et que vous allez voter, me paraissent utiles pour mon pays et
pour une certaine conception de la France.
Je voudrais dire en terminant que je ne cours après personne, que je ne fais
pas des lois en fonction de tel ou tel parti de tel ou tel lobby, de tel ou tel
groupe de pression : je fais des lois en fonction de l'image que j'ai de mon
pays et de la conception que je me fais de l'intérêt général.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous dire merci au terme
de ce long débat, merci pour le soutien que vous avez apporté au Gouvernement,
merci pour l'image que vous avez donnée d'un Parlement qui s'occupe des
problèmes concernant les Français et qui s'en occupe en dehors des pétitions de
principe, en dehors des discours faciles et qui, pour une fois, a montré que la
loi était votée dans de bonnes conditions après avoir été examinée longuement.
C'est une loi qui répond à l'attente des Français et au besoin de notre pays.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Je tiens, tout d'abord, à m'adresser à vous, monsieur le rapporteur. Au-delà
de la diversité partisane légitime dans une démocratie, je ne peux que rendre
hommage au travail que vous avez effectué !
(Ah ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Au-delà des divergences, au-delà de l'appréciation que les uns et les
autres portent sur ce texte, je veux souligner devant l'ensemble de nos
collègues que, si ce débat politique difficile a été de très haute tenue, c'est
en grande partie grâce à vous. Mes amis et moi-même avons apprécié que, tout au
long de l'expression de nos sensibilités, nous avons, les uns et les autres, su
nous entendre, nous écouter, nous respecter. Vous avez joué, à bien des égards,
un rôle de modérateur tout au long de ce débat tant en séance publique qu'en
commission, et ce grâce à la sagesse de son président, M. Jacques Larché. Je me
devais, au terme de ce débat, de rendre cet hommage, et je le fais avec
plaisir.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certains travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt.
Très bien !
M. Jean Delaneau.
Continuez ainsi !
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec les
conclusions de la commission mixte paritaire, nous voici au stade ultime de ce
débat sur l'immigration, sujet sensible, délicat, qui soulève inévitablement
émotion, passion et tension. Deux mois durant, le Gouvernement a voulu que ce
sujet soit au coeur de l'actualité, alors qu'il n'est pas le problème central
des préoccupations des Français.
M. Emmanuel Hamel.
C'est vous qui le dites !
M. Guy Allouche.
Pour des raisons purement politiciennes et bassement électoralistes...
M. Alain Gournac.
Cela commence mal !
M. Guy Allouche.
... le Gouvernement a pris la responsabilité de remettre sur l'établi
législatif une question qui relevait pour l'essentiel du domaine réglementaire.
Mais c'était sans compter sur la pression des ultras de la majorité dont la
lepénisation rampante des esprits...
M. Alain Gournac.
Oh là là !
M. Guy Allouche.
... s'est révélée dès la publication du rapport Philibert-Sauvaigo.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Vous avez bien commencé, mais vous poursuivez mal !
M. Guy Allouche.
En effet, par cynisme et par aveuglement, Gouvernement et majorité ont joué
avec le feu, dramatisant artificiellement la question de l'immigration,
fournissant à l'aile la plus extrémiste de la majorité des concessions de
taille, rivalisant sur un terrain miné avec l'extrême droite.
Un gouvernement digne de ce nom doit expliquer, préparer l'avenir et
convaincre. En aucun cas, il ne doit alimenter le fonds de commerce des
démagogues, ne doit jouer sur les amalgames qui ramènent l'étranger au fantasme
du fraudeur et du profiteur. Gouverner, c'est, selon nous, refuser le recours à
l'irrationnel, c'est refuser le chauvinisme et la fermeture, le recours aux
arguments inacceptables de l'impossibilité d'assimiler, d'intégrer certaines
catégories d'étrangers.
Gouvernement et majorité ont feint d'ignorer que les luttes politiques sont
aussi des luttes sémantiques. Celui qui impose à l'autre son vocabulaire lui
impose aussi ses valeurs. En diabolisant la gauche, la droite française a
banalisé le Front national.
M. Alain Gournac.
Arrêtez d'en parler !
M. Jean Delaneau.
Qui en parle le premier ?
M. Charles Descours.
En 1981, que représentait le Front national ?
M. Emmanuel Hamel.
Quelle polémique lamentable !
M. Guy Allouche.
A l'occasion du débat à l'Assemblée nationale, vous avez osé, monsieur le
ministre, faire le rapprochement douteux entre étrangers et chômage, reprenant
à votre compte le slogan ignoble : trois millions d'étrangers, trois millions
de chômeurs.
Ce n'est ni une maladresse ni une gaffe. Ce raccourci scandaleux révèle en
fait la philosophie qui a animé ce texte.
(Protestations sur les travées du RPR.)
La droite croit lutter contre
les extrêmes, alors qu'elle marche sur ses brisées. Elle fait mine de défendre
la République, mais elle fragilise ses principes. Elle affirme répondre aux
peurs des Français, mais elle conduit à faire de l'étranger, même en situation
régulière, le moteur de cette peur, le bouc émissaire des maux de notre
société. En mettant l'immigration là où le Front national la situe, au coeur du
débat politique, le pouvoir a légitimé son discours.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Vous ne pensez qu'à lui !
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, d'une façon générale, nous n'aimons pas les déclarations
d'urgence.
(M. le ministre proteste).
Vous avez souligné l'importance de la navette.
En effet, sans navette, qu'en serait-il de ce fameux article 1er, dont vous
savez très bien qu'il était contraire aux principes fondamentaux ?
C'est grâce à ces navettes, toujours utiles, que cet article a été modifié.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
La navette, je l'ai voulue !
M. Guy Allouche.
Le mouvement national de protestation contre ce projet de loi a contraint le
Gouvernement à la reculade, cela après qu'il eut été sourd à tous les
avertissements et mises en garde qui lui avaient été adressés.
M. Serge Mathieu.
Ah ! ces « intellos » qui n'habitent pas dans les banlieues !
M. Guy Allouche.
Mon cher Serge Mathieu, n'est-ce pas M. le Premier ministre qui, le 21 mars
dernier, voilà quelques jours, reconnaissait devant la commission nationale
consultative des droits de l'homme...
M. Alain Gournac.
Bonne lecture !
M. Guy Allouche.
... qu'«
a posteriori
le Gouvernement aurait mieux fait de l'écouter.
»
Devrais-je ajouter que la commission nationale consultative des droits de
l'homme a rejeté l'ensemble du projet de loi et pas uniquement son article
1er.
Oui, mes chers collègues, il est des circonstances où une minorité morale est
suffisamment forte pour valoir toutes les majorités silencieuses, quoi qu'en
disent les sondages d'opinion.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Et le respect de la démocratie !
M. Guy Allouche.
La xénophobie, le mépris et la haine de l'autre non seulement ne sont pas une
fausse réponse à l'immigration mais elles sont aussi antinomiques de l'idée
même de la République.
M. Joseph Ostermann.
On vient d'en avoir une bonne démonstration.
M. Guy Allouche.
Nous vous avions dit que ce projet de loi était inopportun parce qu'il
accentuait la fracture sociale. Le Gouvernement n'a pas voulu en tenir
compte...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Avec raison !
M. Guy Allouche.
... alors que vient de lui être remis, voilà quelques jours, le 21 mars, un
rapport de cette même commission nationale consultative des droits de l'homme
qui « s'alarme de l'augmentation dangereuse de la xénophobie en France ».
Il serait vain de reprendre ici l'examen et l'analyse des dispositions
législatives de ce projet de loi. Aucun de nos amendements n'a été retenu.
(M. About s'exclame.)
Pourtant, nous n'avons eu de cesse de démontrer l'inconstitutionnalité de
certains articles et d'affirmer que ce projet de loi était sans rapport direct
avec l'objectif avancé, à savoir la lutte contre l'immigration irrégulière,
qu'il était dangereux et inefficace, qu'il précarisait et déstabilisait les
immigrés en situation régulière et enfin, ne l'oublions pas, qu'il accordait la
prééminence à l'autorité administrative au détriment de l'autorité
judiciaire.
M. Nicolas About.
Très bien !
M. Guy Allouche.
Oui, monsieur le ministre, vous ne supportez plus que les juridictions
judiciaires et administratives annulent les décisions du ministère de
l'intérieur et des préfectures. S'agissant des travaux de la commission mixte
paritaire, je relèverai le pas positif fait en faveur des personnes atteintes
d'une pathologie grave.
Dès la première lecture au Sénat, nous avions proposé un tel dispositif par
voie d'amendement, car nous souhaitions tout simplement que la France demeure
fidèle à sa tradition de générosité et d'humanité. Nous souhaitions que cela
fût inscrit dans la loi parce que, dans les faits, les nombreuses expulsions
d'étrangers ayant commencé un traitement médical lourd démentaient les propos
tenus ici même, par vous, monsieur le ministre.
Ce que le Sénat a refusé, l'Assemblée nationale a fini par l'admettre. Nous
n'allions pas bouder notre plaisir, et nous avons donc approuvé le nouvel
article 6
bis
parce qu'il mettra fin, nous l'espérons, à des pratiques
peu dignes et scandaleuses.
J'imagine, monsieur le ministre, votre malaise quand vous avez pris
connaissance de la décision de justice qui vient d'être rendue à la suite de
l'expulsion d'un citoyen tunisien. En effet, alors que vous nous aviez assuré
ici même, au cours de la seconde lecture, qu'il n'y aurait pas d'expulsion de
malades suivant un traitement lourd, nous apprenions dès le lendemain, par vos
services, que ce Tunisien était expulsé alors qu'il se trouvait dans ce cas. Or
la justice vient de lui permettre de revenir sur notre territoire.
(Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Monsieur le ministre, je ne dirai pas, comme le chef de l'Etat, que vous êtes
formidable, mais je vous trouve étonnant, vraiment étonnant !
(Sourires.)
M. Alain Gournac.
Il est les deux !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je vous étonne ? Eh bien, j'en suis ravi !
M. Guy Allouche.
En effet, lorsque l'Assemblée nationale durcit votre texte et le rend
répressif à outrance, vous êtes satisfait. Lorsque le Sénat l'humanise, pour
reprendre l'expression de M. le rapporteur, eh bien ! vous êtes encore
satisfait. Vous êtes même ravi !
M. Jean-Paul Emorine.
C'est une grande qualité !
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est parce qu'il respecte le Parlement !
M. Guy Allouche.
D'un côté comme de l'autre, vous êtes toujours satisfait. On en arrive même à
se demander où est votre conviction dans ce domaine.
M. Jean-Pierre Schosteck.
De quoi vous plaignez-vous ?
M. Lucien Lanier.
C'est l'exercice de la démocratie !
M. Guy Allouche.
Après tant d'heures de débat, nous sommes plus convaincus encore aujourd'hui
qu'hier que cette future loi est inutile et néfaste.
M. Henri de Raincourt.
Ah !
M. Guy Allouche.
Cette démarche du Gouvernement est d'autant plus dangereuse qu'elle donne de
faux espoirs...
M. Nicolas About.
Et celle de Badinter ?
M. Guy Allouche.
Vous êtes hors sujet !
(Rires sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
Elle donne de faux espoirs à ceux qui croient en son efficacité, car elle ne
résoudra pas les problèmes liés à l'immigration.
Il n'y a pas de fossé entre nous, monsieur le ministre, en matière de la lutte
contre l'immigration irrégulière. Il y a unanimité là-dessus
(Ah bon ! sur
les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
et nous l'avons
démontré pendant de nombreuses années.
(M. Jean-Pierre Schosteck
s'exclame.)
La preuve, c'est qu'il n'y a guère plus de reconduites à la frontière
aujourd'hui qu'il n'y en avait hier !
M. Alain Gournac.
C'est une bonne remarque !
M. Guy Allouche.
Seulement, nous avions, nous, des pratiques très respectueuses de l'Etat de
droit et, malheureusement, vous les avez quelque peu malmenées.
Ajouterai-je que ce sont non pas les sans-papiers qui posent des problèmes
dans les quartiers difficiles, mais, le plus souvent, les fils d'immigrés de la
deuxième et de la troisième génération qui sont plongés dans le chômage et
l'inactivité...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Attention, vous allez déraper !
M. Guy Allouche.
Et ceux-là sont français !
Dans ces quartiers des banlieues difficiles où la précarité devient endémique,
ce n'est pas la loi Debré qui ramènera la légalité, la sécurité et la
confiance, loin s'en faut !
M. Claude Estier.
Parfaitement !
M. Guy Allouche.
Loi néfaste et inutile car nous savons - vous le savez très bien, chers
collègues, ne feignez pas de l'ignorer - que les candidats à la clandestinité
n'ont pas recours dans leur immense majorité aux certificats d'hébergement.
Une analyse sociologique et politique un tant soit peu rigoureuse montre
aisément que la réduction drastique de la délivrance de visas, la
reconnaissance rendue plus difficile du statut de réfugié, et, on l'a appris il
y a trois jours avec un durcissement du décret sur le droit d'asile, le zèle
d'une administration toujours prompte à multiplier les obstacles au
renouvellement d'une carte de séjour, voire d'une carte d'identité, l'obtention
de la nationalité française pour les enfants d'immigrés à seize ans seulement,
tout cela a contribué à marginaliser, à déstabiliser une population destinée à
vivre de façon régulière et durable sur notre territoire.
Comment ne pas souligner qu'un article peut en cacher un autre et qu'il y a
pire que cet article 1er qui a focaliser toute l'attention ? Je veux parler de
l'article 4
bis,
qui permet d'invoquer une « menace possible à l'ordre
public » pour refuser le renouvellement de la carte de résident à un étranger
installé en France depuis dix ans.
En laissant au préfet le soin d'apprécier l'existence de ce danger virtuel,
cette disposition s'abattra sur la tête de l'intéressé, telle l'épée de
Damoclès.
Mais à quoi peut bien servir le non-renouvellement automatique de la carte de
dix ans pour lutter contre l'immigration clandestine ? A rien, par définition,
puisque cette carte concerne des étrangers vivant en situation régulière !
En fait, cet article vise à déstabiliser les communautés d'immigrés déjà
intégrées, à exclure les étrangers de la vie active et du tissu économique, à
les dénigrer et à les désigner systématiquement comme la cause première du
mal-vivre français, à les rabaisser, à les fragiliser socialement et
psychologiquement, avant de les expulser, ou de les réduire à une condition de
sous-hommes soumis et corvéables à merci.
Avec cette nouvelle disposition, la chasse sera ouverte, par voie
administrative, à tous ceux dont le faciès, la couleur de la peau, les
engagements politiques ou syndicaux, les convictions religieuses seront jugés
indésirables.
M. Nicolas About.
C'est facile !
M. Alain Gournac.
C'est affreux !
M. Guy Allouche.
Un trait de plume les mettra au ban de la société. Etranger une fois, étranger
pour toujours, tel est désormais l'axiome du Gouvernement et de sa
majorité...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Je n'ai pas ce sentiment !
M. Guy Allouche.
... qui n'ont jamais autant parlé d'intégration alors qu'ils mettent une «
valise dans la tête de chaque étranger ».
M. Nicolas About.
C'est vous qui avez fait entrer Le Pen à l'Assemblée nationale !
M. Claude Estier.
Ça suffit !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ça vous gêne ?
M. Michel Charasse.
C'est Giscard qui a commencé !
M. Marcel Debarge.
Et les assemblées régionales !
M. Claude Estier.
Il faut changer le mode de scrutin des régionales !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous invite à la mesure et à l'écoute.
M. Michel Charasse.
Et réciproquement !
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, je vous invite à vous remémorer qui a introduit la
proportionnelle pour les élections européennes, en 1979.
(Applaudissements
sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Et pour les législatives ?
M. Guy Allouche.
Avec une telle loi, le mot « intégration » achève de se vider de tout contenu
puisqu'elle accrédite la figure symbolique de l'immigré comme résident
temporaire, non désiré, objet de suspicion, élément actif pour une bonne part
de la pathologie sociale actuelle.
Nous réaffirmons avec force que les immigrés ne sont pas la cause de la crise
économique.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est vrai, ce sont les socialistes !
M. Guy Allouche.
Bien au contraire, les immigrés en sont les premières victimes.
Ma conviction, c'est que le Gouvernement et sa majorité « pilotent à vue » car
ils ne mesurent par les conséquences à terme des dispositions envisagées, les
effets sur les jeunes de l'immigration qui ne sont ni sourds ni idiots et qui
comprennent que l'on place au coeur du débat la légitimité de la présence des
immigrés en France, autrement dit de la légitimité de la présence de leurs
parents et d'eux-mêmes.
Pour la « seconde génération », débattre de la légitimité de l'immigration
réactive la mémoire de l'immigration familiale avec sa part de souffrance née
de l'arrachement au pays et des humiliations subies parce qu'ils sont
différents.
Beaucoup de Français récusent encore et refusent toujours de reconnaître
l'importance historique de l'immigration.
M. Alain Gournac.
Je n'ai jamais dit le contraire !
M. Guy Allouche.
Les immigrés n'ont jamais été que tolérés, nulle place pour eux dans la
représentation symbolique que la France se donne, nulle considération envers
ces êtres humains.
Les enfants de l'immigration - qu'ils soient juridiquement français ne change
rien à l'affaire ! - garderont encore longtemps la mémoire de cette altérité
radicale des parents, altérité qu'ils prennent en charge tel un relais de père
en fils.
Si les pouvoirs publics veulent favoriser l'intégration des jeunes d'origine
étrangère qui, eux, sont irrémédiablement là, sont inexpulsables et sont des
électeurs en puissance sinon déjà de fait, il faudrait donc qu'ils tiennent
compte de cette capacité de mémoire. Or, je crains que cette future loi ne
bloque durablement le processus d'identification de ces jeunes à la France.
L'intégration est une question très sérieuse à laquelle il faut apporter des
réponses concrètes. Elle n'est en aucun cas une question que l'on traite en se
contentant d'effets de manche, de coups de bâton, de mensonges.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Alors, il faut arrêter !
M. Guy Allouche.
Oui ! gare au jour où tous ces jeunes Français s'éveilleront et agiront en
souvenir du vécu de leurs parents !
Ma conclusion se devine aisément : nous avons dit non en première lecture ;
nous avons dit non en deuxième lecture.
M. Jean-Pierre Schosteck.
Et vous direz non une troisième fois !
M. Guy Allouche.
Effectivement, nous disons non aux conclusions de la commission mixte
paritaire.
Trois fois non, telle est la réponse du groupe socialiste du Sénat à ce projet
de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du
RDSE.)
M. Alain Gournac.
Les électeurs trancheront !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Allouche, je voudrais d'abord vous
faire part de mes convictions.
Ma première conviction, je l'ai dit, c'est que la loi se fait ici, et nulle
part ailleurs...
M. Henri de Raincourt.
C'est bien !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ma deuxième conviction, c'est que notre pays
doit faire respecter les lois de la République.
Ma troisième conviction, c'est que, dans ce pays, il faut lutter contre
l'immigration irrégulière, contre les filières d'immigration illégale et contre
le travail clandestin, en dehors des mots et des discours.
Monsieur Allouche, je m'étonne de recevoir des leçons sur mon absence de
convictions par ceux qui, vous vous en souvenez peut-être, ont institué les
certificats d'hébergement. (
Applaudissements sur les travées du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Je m'étonne de recevoir des leçons de ceux qui, vous vous en souvenez
peut-être, voilà quelques années, ont modifié la loi électorale pour faire
entrer au Parlement le Front national...
M. Claude Estier.
Cela suffit !
M. Henri de Raincourt.
C'est la vérité !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je m'étonne de recevoir des leçons de ceux qui,
dans cet hémicycle même, ont fait des rapprochements historiques et des
allusions à une période sombre de notre histoire !
M. Michel Charasse.
Ils n'ont pas fait pire que Léotard !
M. Claude Estier.
Vous voulez parler de Léotard !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Le devoir de mémoire que nous devons à nos
parents, à nos grands-parents, à ceux qui sont partis et qui ne sont pas
revenus impose parfois, me semble-t-il, un peu plus de décence et de dignité.
(Très bien ! sur les travées du RPR et protestations sur les travées
socialistes.)
M. Michel Charasse.
A Léotard, plus que jamais !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Allouche, vous avez dit qu'il y avait
de la passion dans ce débat. Permettez-moi tout d'abord de relever qu'en
première lecture, à l'Assemblée nationale, il n'y avait pas de passion, parce
que les socialistes étaient absents !
(Rires et exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Mais, quand ils ont voulu déplacer le débat des enceintes du Parlement
sur la voie publique, alors la passion est entrée, et c'est vous qui êtes à
l'origine de cette passion.
M. Claude Estier.
Ici, au Sénat, elle y était avant les manifestations !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Moi, je n'ai jamais mis de passion dans ce
débat.
De plus, sur ce point, je ne vous comprends pas : pourquoi le Parlement
français ne pourrait-il pas discuter d'un certain nombre de sujets : la lutte
contre l'immigration irrégulière, contre le travail clandestin, contre les
filières d'immigration clandestine ? Ne s'agit-il pas de problèmes importants
?
M. Claude Estier.
C'est la vingt-cinquième loi sur la question !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Si, et c'est l'honneur du Parlement d'avoir
abordé ces questions ! Je ne dis pas - et je ne l'ai jamais dit - qu'il n'y a
pas d'autres problèmes qui préoccupent les Français !
Mme Hélène Luc.
Vous n'aviez pas besoin de nouveau projet pour lutter contre l'immigration
clandestine, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Naturellement, ils sont préoccupés par le
problème de l'emploi, mais ils le sont aussi par celui de l'immigration
irrégulière !
Mme Hélène Luc.
Vous avez laissé faire !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Vous me faites un procès en disant : « Que
serait-il arrivé si vous aviez déclaré l'urgence ? » Mais je n'ai pas déclaré
l'urgence !
M. Claude Estier.
Bien vous en a pris !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je ne l'ai pas fait, justement pour permettre au
Parlement d'agir dans la plénitude de ses fonctions.
M. Claude Estier.
Il faut dire que, vous-même, vous avez changé d'avis ! Vous avez modifié
l'article 1er !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Le droit d'amendement, selon la Constitution,
appartient à l'ensemble des parlementaires, et je n'ai pas voulu déclarer
l'urgence parce que j'ai considéré que, sur un sujet important, délicat, il
fallait que toutes les sensibilités puissent s'exprimer au Parlement et
s'exprimer aussi longtemps qu'elles le souhaitaient.
Nous avons eu cent dix heures de débats, en commission et en assemblée
plénière, et c'est bien qu'il en soit ainsi. Alors, ne me faites pas de faux
procès !
M. Guy Allouche.
Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Vous me demandez ce qui serait arrivé si j'avais
déclaré l'urgence. Je n'ai pas déclaré l'urgence. Par conséquent, je considère
que votre reproche était tout à fait inutile.
M. Guy Allouche.
Non !
M. Claude Estier.
Nous voulions changer l'article 1er !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Allouche, c'est là où nous divergeons.
Pour être réduite, la fracture sociale suppose, me semble-t-il, que tout le
monde dans ce pays applique la loi. Lorsqu'un certain nombre de personnes se
considèrent hors la loi de la République, alors le risque de fracture sociale
devient évident.
Vous le savez aussi bien que moi, parmi les étrangers en situation irrégulière
- de par la loi ou condamnés par la justice - seuls 28 % sont expulsés. Par
conséquent, la loi n'est pas appliquée en France, justice n'est pas rendue et
c'est là qu'il y a un risque de fracture sociale !
S'agissant de l'immigration irrégulière et du chômage, je maintiens - et je
mesure mes mots, monsieur Allouche - que c'est une pure hypocrisie de nier
l'existence d'un rapport entre les deux.
Mme Joëlle Dusseau.
C'est Mme Couderc qui l'a dit ici même !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Madame, je ne vous ai jamais interrompue lorsque
vous parliez, alors laissez-moi terminer !
Mme Hélène Luc.
Vous auriez pu attendre que tous les orateurs finissent de parler pour leur
répondre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Vous savez très bien que le travail clandestin
et le travail irrégulier des étrangers sont des fléaux de notre société.
M. Claude Estier.
Vous ne faites rien contre le travail clandestin !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Or l'économie souterraine se nourrit du travail
clandestin, des étrangers en situation irrégulière qui travaillent dans des
conditions inhumaines et inacceptables ! Oui, l'économie souterraine se nourrit
de tout cela ! Pouvez-vous le nier ? Pouvez-vous nier que les emplois illégaux
portent tort aux emplois légaux ? S'il y avait moins d'emplois illégaux, n'y
aurait-il pas plus d'emplois légaux ?
M. Claude Estier.
Il n'y a pas que des étrangers parmi ceux qui occupent des emplois illégaux
!
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je n'ai rien dit de plus ! Je dis simplement
qu'il y a deux fléaux et que l'honneur du Parlement c'est aussi de ne pas
mettre la tête sous l'oreiller pour éviter d'aborder les vraies questions.
Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur Allouche !
Oui, j'ai une conviction : c'est qu'il faut, en dehors des mots, des slogans,
des incantations, comme vous le faites, lutter contre l'immigration
irrégulière, contre les filières d'immigration illégale, contre le travail
clandestin. Je veux en effet que mon pays reste fidèle à sa tradition, et cette
tradition, c'est l'intégration des étrangers en situation régulière. C'est cela
la République, c'est la République que nous aimons !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc.
Ce n'est pas cela la France !
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le ministre, vous avez quelque peu personnalisé notre débat en
répondant dès maintenant à notre excellent collègue Guy Allouche.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Jaloux !
(Sourires.)
M. Robert Pagès.
Je crois qu'il aurait été de bon usage que vous attendiez l'ensemble de
l'argumentation pour ce faire, mais c'était votre droit, monsieur le
ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur
Pagès ?
M. Robert Pagès.
Je vous en prie, monsieur le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Si votre intervention nécessite de ma part une
réponse, je la ferai, mais cela dépend de ce que vous allez dire.
Un sénateur socialiste.
A bon entendeur salut !
M. Robert Pagès.
Je n'en doute pas, monsieur le ministre !
(Sourires)
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur Pagès.
M. Robert Pagès.
Votre réponse ne m'empêchera pas d'intervenir une dernière fois au sujet de ce
projet de loi, qui, à juste titre, a suscité autant de débats, d'émotion, de
polémiques.
Je souhaite faire deux remarques d'ordre général sur les conditions mêmes des
conclusions de cette discussion.
Premièrement, je regrette qu'à ce stade de l'examen des conclusions de la
commission mixte paritaire seuls les amendements acceptés par le Gouvernement
puissent être examinés.
La minorité parlementaire ne peut donc plus qu'affirmer une position de
principe sans poids réel sur le cours des choses.
En revanche, le pouvoir exécutif, lui, peut amender, ce qui semble bien
contradictoire avec la notion même de démocratie parlementaire.
Cette première remarque concernait la Constitution.
Ma seconde remarque porte sur le règlement du Sénat et l'interprétation
restrictive qui en est faite pour ce qui concerne les motions de procédures,
toujours à ce stade du débat.
Contrairement à l'Assemblée nationale, il ne peut y avoir au Sénat ni
exception d'irrecevabilité ni question préalable à l'encontre d'une position
arrêtée par la commission mixte paritaire. Au nom de quoi l'opposition
parlementaire ne pourrait-elle plus afficher son hostilité radicale à tel ou
tel projet, même à ce stade de la procédure ?
Je souhaite donc vivement, avec mes collègues du groupe communiste républicain
et citoyen, que cette restriction du débat soit à l'avenir levée.
Quant au fond du débat, je tiens à rappeler d'emblée l'opposition ferme et
résolue du groupe communiste républicain et citoyen à ce projet de loi qui
généralise la suspiscion à l'égard de l'étranger et le place par principe en
situation d'insécurité chronique.
Ce projet de loi se situe dans le droit-fil des lois Pasqua en durcissant
encore et toujours leurs conditions d'application, en renforçant encore et
toujours les dispositions policières à l'égard des étrangers.
Ce projet de loi, qui va être adopté par une majorité écrasante de
parlementaires de droite, majorité souvent en décalage avec la réalité
politique du pays
(Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste.),...
Un sénateur du RPR.
Je n'en suis pas sûr ! On en reparlera !
M. Alain Vasselle.
Ce n'est pas le cas pour ce texte !
M. Jean-Pierre Schosteck.
63 % des Français le soutiennent !
M. Robert Pagès.
... a suscité, je l'indiquais d'emblée, une grande émotion dans le pays.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Christian Bonnet.
Pas du tout !
M. Robert Pagès.
Il a provoqué un sursaut citoyen profond, spontané, marqué du sceau de la
jeunesse et de la fraternité...
M. Henri de Raincourt.
C'est cela !
M. Robert Pagès.
... qui fut pour les démocrates une éclaircie dans les brumes hivernales de la
crise, du repli sur soi et des peurs qu'elle engendre.
Je tiens à saluer une nouvelle fois la réaction des soixante-six cinéastes qui
n'ont pas accepté la condamnation de Mme Jacqueline Deltombe, qui avait hébergé
un ami zaïrois en situation irrégulière.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
Un repris de justice !
M. Robert Pagès.
Après la première mobilisation en faveur des sans-papiers de Saint-Bernard,
que nous soutenons encore aujourd'hui avec détermination, l'intervention des
intellectuels,...
M. Serge Mathieu.
Ils n'habitent pas à La Courneuve !
M. Robert Pagès.
... cette nouvelle prise de conscience de la nécessité de l'engagement a
soulevé de vives réactions d'exaspération et de mépris parmi les partisans du
projet de loi dit Debré.
M. Henri de Raincourt.
Mais pas du tout !
M. Robert Pagès.
Sur cette question, je dois dire que, lors du débat en seconde lecture, des
propos tenus par certains collègues de la majorité sénatoriale m'ont
inquiété.
M. Henri de Raincourt.
Lesquels ?
M. Robert Pagès.
Je pense notamment à la diatribe de notre collègue Christian Bonnet à l'égard
de ces intellectuels. Il rappelait - ou manipulait dangereusement, devrais-je
dire - les propos de Montesquieu : « J'aime les paysans, ils ne sont pas assez
instruits pour raisonner de travers. »
Nous le savons, monsieur Bonnet, une certaine droite a toujours préféré, dans
l'histoire de notre pays, un peuple privé d'éducation
(Protestations sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
car le
savoir, c'est le moyen de contester ceux qui fondent leur légitimité sur
l'ignorance et la démagogie.
M. Alain Vasselle.
Je suis un paysan, et j'en suis fier !
M. Robert Pagès.
Moi, je suis d'origine très modeste et instituteur, j'en suis aussi très fier,
mais cela ne m'empêche pas de respecter considérablement les grands
intellectuels de notre pays, qui ont fait l'honneur de notre nation !
M. Emmanuel Hamel.
Pas tous !
Plusieurs sénateurs du RPR.
Cela n'a pas toujours été le cas dans le passé.
Mme Hélène Luc.
Très bien, monsieur Pagès !
M. Alain Gournac.
Revenons en arrière !
M. Robert Pagès.
Quel démocrate peut s'offusquer du formidable défilé qui, un dimanche de
février, a rassemblé 100 000 citoyens pour crier leur attachement à la liberté,
à l'égalité et à la fraternité ? Qui peut dénigrer ce défi à la haine et à la
xénophobie ?
Nous avons demandé, monsieur le ministre, le retrait de l'ensemble de ce
projet de loi. Je dis bien de l'ensemble, car le débat s'est focalisé sur
l'article 1er, qui est relatif au certificat d'hébergement, alors que, je le
rappelle brièvement, nombre de dispositions de ce texte sont contraires aux
valeurs qui sont celles de la France, de la France de 1789, celles du progrès
et de la justice.
Nous avons combattu vivement en première lecture cet article 1er, qui
renforçait le caractère policier des certificats d'hébergement en préconisant
notamment une véritable politique de délation des hébergés par les
hébergeants.
Devant le tollé à l'encontre d'une telle disposition, le Gouvernement a
manoeuvré en recul en s'appuyant sur l'intervention des députés de la majorité
qui ont proposé un nouveau système abandonnant la pratique « délatoire », mais
transférant aux services des polices l'essentiel des prérogatives en cette
matière.
Le principal résultat de cette pratique, c'est la confirmation, par vous-même
monsieur le ministre, de l'instauration de fichier informatique des hébergés.
Ces fichiers seraient départementaux et ne concerneraient pas les
hébergeants.
Qui peut ici croire que ces données informatiques ne seront pas traitées au
plan national ? Qui peut croire, alors que la fiche remise à la sortie du
territoire par l'immigré comprendra l'adresse du lieu de séjour, que cette
donnée qui concerne directement l'hébergeant ne figurera pas dans les fichiers
?
Nous ne disposons, monsieur le ministre, d'aucune garantie sur l'utilisation
future de tels fichiers. Nous considérons qu'il s'agit d'un renforcement
important du caractère policier de la politique d'immigration de notre pays,
renforcement contraire au principe du respect des libertés individuelles,
principe constitutionnel par excellence.
Le Gouvernement n'a pu aller jusqu'à l'instauration de la délation, et ce
recul est à mettre au compte de la mobilisation de cet hiver.
Ce projet est cependant truffé d'autres dispositions contraires aux traditions
républicaines de notre pays.
Relevé des empreintes digitales pour tout étranger non membre de l'Union
européenne à l'entrée du territoire et, de fait, constitution d'un fichier de
ces empreintes, intervention policière dans les entreprises, fouille des
véhicules, confiscation du passeport et remise d'un récépissé sans valeur
réelle à l'immigré en situation irrégulière, ce qui aggrave la précarité de sa
situation, prolongement de la rétention administrative avant même la saisie du
juge pour faciliter les expulsions précipitées dans des conditions telles
qu'elles ont été mises en évidence par de récents incidents à bord d'avions,
toutes ces mesures marquent une radicalisation du Gouvernement à l'égard de
l'immigration et jettent la suspicion sur l'étranger.
Je reviendrai dans un instant sur les objectifs et les conséquences
politiques, vraisemblablement recherchés par le Gouvernement dans cette
affaire.
Le résultat des lois Pasqua et de cette future loi Debré, qui n'en constitue
qu'une néfaste excroissance, aboutira à la précarisation de la situation de
l'ensemble des étrangers.
Tout étranger est, de fait, soupçonné de délinquance, de clandestinité.
Cette remarque m'apparaît d'autant plus fondée qu'une disposition du projet a
pour objectif de frapper durement, non pas les clandestins, mais les immigrés
en situation régulière.
En effet, vous prévoyez une réserve, au nom de l'ordre public, notion réputée
pour être source d'arbitraire par son flou, au renouvellement jusqu'ici
automatique de la carte de dix ans.
Il y a donc bien précarisation, suspicion à l'égard de l'ensemble des
étrangers.
Ce projet de loi est un texte dangereux pour la démocratie, car il attise les
fantasmes xénophobes.
Quel est le jeu du Gouvernement ? Quels sont les objectifs politiques, ou
plutôt politiciens, de ce projet de loi si ce n'est de flatter un électorat
rendu sensible aux thèses de l'extrême droite par une crise qui rime avec
chômage, baisse ou chute du pouvoir d'achat, qui rime avec insécurité et
drogue, qui rime avec échec scolaire et absence de perspectives pour une
jeunesse déboussolée ?
Nous n'avons cessé de vous alerter, monsieur le ministre, sur les risques
considérables que comportait cette volonté d'aller chasser sur les terres de M.
Le Pen, en flattant les idées de rejet de l'autre, d'exclusion.
Nous n'avons cessé de vouloir remettre à l'ordre du jour les véritables causes
de la désespérance d'un nombre croissant d'habitants de notre pays. Ce sont en
effet des choix économiques, des choix politiques fondamentaux qui entraînent
la France vers la régression.
C'est le choix de l'argent, symbolisé par une Bourse toute-puissante et la
marche forcée vers la monnaie unique, contre celui de l'homme, qui crée la
fracture sociale, dénoncée hier par le Président de la République et ses
partisans.
Il faut tenir un discours de vérité aux Français.
Ce n'est pas l'immigration qui est responsable du véritable recul de
civilisation que nous vivons aujourd'hui. Ce sont les choix opérés qui
privilégient le capital sur l'épanouissement de ceux qui ont du travail et de
ceux qui n'en ont pas qui portent cette grave responsabilité.
Il faut en finir avec les fantasmes xénophobes que j'évoquais, tels que celui
de l'immigration responsable du chômage ou du déficit de la sécurité
sociale.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
M. Robert Pagès.
Il faut casser cette propagande si chère au Front national qui crée l'amalgame
entre immigration et chômage.
Je ne peux que constater avec regret, monsieur le ministre, à quel point va
loin votre complaisance pour cette thèse. Il suffit de relire les travaux de
l'Assemblée nationale pour s'en convaincre. Je vous cite : « En luttant contre
l'immigration irrégulière et contre le travail clandestin, je participe à
l'action de l'ensemble du Gouvernement pour l'emploi ».
Comment concilier de tels propos et ceux qui figurent dans le tract que le RPR
distribue à partir d'aujourd'hui ? On peut y lire en effet que « le combat
contre le Front national s'inscrit dans une action quotidienne, sur le terrain,
pour affirmer nos valeurs et dénoncer ses propositions absurdes et inefficaces
».
Je partage cette analyse, mais, au premier plan de ces propositions, on trouve
l'expulsion des immigrés responsables du chômage. Il y a donc une certaine
incohérence.
Comment concilier en effet une telle ligne de conduite avec les propos
précités de M. Debré et l'ensemble des dispositions de ce projet de loi, qui,
je le répète, montre du doigt l'étranger comme le véritable bouc émissaire
responsable des maux de la société française ?
Encore une fois, monsieur le ministre, je dois vous rappeler quelques
réalités.
En 1931, l'immigration représentait 6,75 % de la population, en 1990, elle en
représentait 7,4 %. Où est la mise en cause de la cohésion nationale, où est
l'invasion ?
En Suisse, l'immigration représente 17 % de la population alors que ce pays
compte 5 % de chômeurs. A l'inverse, l'Espagne comprend 1 % d'immigrés alors
que son taux de chômage atteint 22 % de la population active.
Ces chiffres apportent un démenti sans appel à l'automaticité du lien entre
immigration et chômage.
Comment ne pas rappeler ce rapport de l'Institut national des études
démographiques - l'INED - publié voilà quelques semaines et qui a fourni ce
chiffre frappant ? Si la France n'avait pas connu d'immigration dans les cent
dernières années, elle n'aurait compté en 1986 que 45 millions d'habitants.
L'immigration a donc bien participé, et de manière positive, à la construction
de la France d'aujourd'hui.
Une personne sur quatre est immigré ou d'ascendance étrangère, et ce en ne
remontant qu'aux parents et aux grands-parents.
Voilà des vérités qui font peur aux racistes et aux xénophobes car elles
détruisent la médiocre construction intellectuelle qui fonde leur politique.
Alors que le Front national s'apprête à tenir son véritable congrès de la
haine dimanche prochain à Strasbourg, j'estime essentiel de crier gare une
dernière fois. A labourer le terreau de la xénophobie, on favorise l'éclosion
de plantes et de fruits effrayants.
Croyez-vous sincèrement, monsieur le ministre, qu'avec votre projet de loi
vous donnez la possibilité de combattre efficacement ceux ou celles qui, comme
Catherine Mégret, affirment ouvertement et sans crainte la différence - et on
sait ce qu'il y a sous ce mot ! - entre les races ?
Je ne le crois malheureusement pas, car votre projet de loi et votre politique
ne peuvent qu'aviver l'intolérance et les tensions entre les communautés.
Je ne le crois pas, car votre projet de loi semble donner raison à ceux qui
font de l'immigration leurs fonds de commerce depuis vingt ans !
Nous avons développé tout au cours de ces longs débats nos propositions pour
une politique nouvelle et alternative de l'immigration, fondée sur la
répression sévère des employeurs de main-d'oeuvre clandestine, sur le
développement considérable et nécessaire de la coopération entre pays
d'émigration et pays d'accueil et sur la mise en oeuvre d'une autre politique
qui, enfin, place la lutte pour l'emploi, la réduction de la précarité au
centre des préoccupations gouvernementales.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen rejetteront donc
catégoriquement les conclusions de la commission mixte paritaire qui, malgré
une amélioration très partielle concernant les étrangers malades, que nous
avons soutenue, a confirmé, dans toute sa nocivité, le texte adopté par la
majorité.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen
et sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Pagès, vous voulez réformer la
Constitution. C'est votre droit, mais tel n'est pas l'objet de ce débat.
Par ailleurs, vous regrettez de ne pouvoir, à ce stade de la discussion,
déposer de motion de renvoi à la commission ou de motion tendant à opposer
l'exception d'irrecevabilité. Là encore, c'est votre droit, mais cette question
relève du règlement de votre assemblée et non pas des prérogatives du
Gouvernement.
Mais surtout, je voulais réagir contre un thème que j'ai senti sous-jacent
tout au long de ce débat et j'attendais le moment favorable pour le faire.
Monsieur Pagès, ne remettez jamais en cause la légitimité de la majorité.
Entrer dans une telle polémique, c'est d'abord utiliser le vocabulaire des
extrémistes, de ceux qui n'ont jamais admis ni la République ni la démocratie.
Ne remettez jamais en cause les fondements de la démocratie ; il y a une
majorité, elle est élue par le peuple, elle représente le peuple, et ce
jusqu'aux prochaines élections !
Mme Hélène Luc.
Ce n'est pas parce qu'on vote à gauche que l'on remet en cause les fondements
de la démocratie !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Alors, évitez d'appliquer des qualificatifs, car
vous savez très bien ce qui arrive quand on tire sur la démocratie et sur sa
légitimité.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Mme Hélène Luc.
Vous n'avez pas le droit de dire cela !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Pagès, il n'y a pas une « loi Debré »,
il y a la loi de la République, et je suis pour ma part opposé à toute
personnalisation du pouvoir.
Mme Hélène Luc.
Ça !...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ce texte ne contient aucune marque de
xénophobie. Il répond simplement à un souci d'ordre public, un souci de
l'autorité de la loi, du respect de l'autorité de la justice, c'est-à-dire du
respect de l'autorité de l'Etat. L'histoire, notre histoire, montre que la
liberté, l'égalité et la fraternité supposent toujours un Etat respecté et que
la liberté, l'égalité et la fraternité meurent toujours de l'absence d'un Etat
respecté ou de l'absence d'une prise de conscience par l'Etat de ses
responsabilités. Or, cette loi est l'expression de la prise de conscience par
l'Etat de ses responsabilités.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de
la discussion de ce projet de loi, je ne voudrais pas allonger inutilement le
débat ; je rappellerai simplement, mais fermement, les raisons de mon
opposition fondamentale. Je parle bien sûr en mon nom propre, mais aussi au nom
des sénateurs radicaux socialistes du groupe du RDSE.
Ce texte se voulait plus efficace contre l'immigration clandestine que la
législation en vigueur. Si je suis d'accord avec l'objectif énoncé, je suis en
désaccord profond sur les moyens. Ces moyens sont contraires à un certain
nombre des principes qui régissent les grandes démocraties.
Le premier de ces principes est la primauté du judiciaire sur l'administratif.
Or, le texte prévoit exactement l'inverse ! En donnant des pouvoirs excessifs à
l'administration et à la police, en refusant les procédures judiciaires qui
donnent à l'accusé le droit de se défendre, on contrevient à un principe
fondamental de la démocratie.
Je formulerai une remarque similaire à l'égard du fichier des hébergeants, qui
me choque profondément et dont, de déclarations contradictoires en reculs, nul
ne sait plus exactement comment il fonctionnera.
Il concernera très peu de personnes, puisque la plupart des gens qui viennent
en France vont à l'hôtel et que, si la fiche d'hôtel est obligatoire pour les
étrangers - vous nous le rappeliez voilà peu, monsieur le ministre - vous
n'avez pas, que je sache, envisagé une centralisation de ces fiches, du moins
vous ne l'avez pas dit.
Le fichier concernera donc peu ou prou les 130 000 personnes qui arrivent
annuellement par ce biais en visite en France, mais il ne concernera pas les
clandestins, qui viennent à 90 % par d'autres filières et, là aussi, je cite
les chiffres de vos services.
Ce fichier sera départemental, vous nous l'avez affirmé à de nombreuses
reprises.
En outre, conformément aux instructions de la CNIL, les éléments nominatifs
seront détruits au bout d'un mois.
Il regroupera enfin les hypothétiques fiches de sortie du territoire. Je ne
veux pas reprendre le long débat que nous avons eu sur ce point, mais
nombreuses seront en effet les personnes qui quitteront le territoire en
oubliant d'envoyer ce papier. En revanche, tous ceux qui voudront y rester
clandestinement, eux, le renverront sûrement.
Nous vous l'avons dit. Vous n'avez pas répondu, et pour cause : il n'y a pas
de réponse, monsieur le ministre !
Mais, me direz-vous, si ce fichier est aussi inutile, pourquoi le dénoncer ?
Je vous répondrai, monsieur le ministre, que j'ai, comme beaucoup de Français,
un vieux fond libertaire et que, quand je vois des ministres de l'intérieur,
quelle que soit leur couleur politique, vouloir de façon aussi acharnée
instituer des fichiers et ne lâcher du terrain sur ce point qu'avec tant de
difficultés et de réticences, je m'inquiète. Hélas ! l'histoire - je suis
historienne - m'apprend que j'ai raison de m'inquiéter.
Parmi les mesures qui m'inquiètent dans ce texte, je citerai aussi, pour
mémoire, l'attribution de la carte de séjour d'un an seulement aux immigrés
dont la situation est régularisable, les vides qui demeurent pour toute une
série de personnes ni régularisables, ni expulsables, la possibilité pour la
police d'entrer dans les lieux de travail, la confiscation du passeport,
l'institution d'un fichier centralisé des empreintes digitales, qui assimile
l'immigré au délinquant ; mais il en est d'autres...
Par ailleurs, monsieur le ministre, j'ai été frappée de la réponse que vous
avez faite à M. Allouche dans ce petit débat qui a eu lieu tout à l'heure sur
le thème : immigration clandestine, travail clandestin. A l'encontre de M.
Allouche, qui récuse tout lien entre l'immigration clandestine et le travail
clandestin, vous soutenez, vous, l'existence d'un tel lien.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Il y a un rapport entre les deux !
Mme Joëlle Dusseau.
Je ferai observer que le point de vue de M. Allouche est aussi celui d'un
ministre du Gouvernement, Mme Couderc, qui, ici même, lors de la discussion du
projet de loi sur le travail clandestin en première lecture, a bien insisté sur
le fait qu'il ne fallait pas introduire dans l'esprit des gens, parce que ce
n'est pas conforme à la réalité, l'idée d'un rapport étroit entre travail
clandestin et immigration clandestine. En effet, le travail clandestin, chacun
le sait, est un phénomène très important, très vaste et qui, les statistiques
le montrent, n'a aujourd'hui que peu de rapport avec l'immigration
clandestine.
Vous répétez, monsieur le ministre, que votre objectif est de lutter contre
l'immigration clandestine, que l'objectif du Gouvernement est de lutter contre
le travail clandestin. Si c'était vrai, le Gouvernement n'aurait pas accepté ce
qui a été imposé par le Sénat, lequel a passé son temps à alléger les
dispositifs pris contre les employeurs de travailleurs illégaux.
(Très bien ! sur les travées socialistes.)
Il faut savoir ce que l'on veut, monsieur le ministre. Si l'on dit qu'on
veut lutter contre le travail clandestin, cela sous-entend qu'il faut que la
loi soit forte, y compris contre les employeurs illégaux et contre les donneurs
d'ordre !
Or, sur ce point-là, le texte qui est sorti il y a peu des travaux des
assemblées est attristant.
M. Emmanuel Hamel.
On peut le renforcer !
Mme Joëlle Dusseau.
Excusez-moi, mon cher collègue, mais il fallait s'en rendre compte avant !
M. Claude Estier.
Vous l'avez voté, monsieur Hamel !
Mme Joëlle Dusseau.
Rappelez-vous ce que nous avons dit à ce moment-là et qui, je crois, était
raisonnable, mais que, hélas, vous n'avez pas écouté.
Mme Hélène Luc.
On ne nous écoute jamais !
Mme Joëlle Dusseau.
C'est vrai, madame Luc ! Pas suffisamment en tout cas !
Je voudrais enfin insister sur un point qu'ont déjà abordé MM. Allouche et
Pagès et vous renvoyer à vos propres paroles, monsieur le ministre.
Vous voulez, dites-vous, lutter essentiellement contre l'immigration
clandestine, sécuriser les immigrés qui sont en situation régulière en France
et aider à leur intégration ; cela, vous l'avez affirmé à de nombreuses
reprises, tant à l'Assemblée nationale qu'ici même, et encore tout à
l'heure.
Si c'est vrai, monsieur le ministre, pourquoi prévoir à l'article 4
bis
que le renouvellement de la carte de séjour de dix ans est suspendu à une
décision administrative et que, s'il y a menace pour l'ordre public, une notion
dont chacun sait combien elle est floue, peu tangible,...
M. Jean-Pierre Schosteck.
Mais la menace est souvent réelle !
Mme Joëlle Dusseau.
... l'administration pourra décider de ne pas renouveler cette carte ?
Je ne veux pas reprendre le débat sur ce point, mais il se trouve que, là
encore, les questions que nous vous avons posées n'ont pas entraîné de réponses
de votre part.
Si la personne est un danger pour la sécurité, pourquoi attendre l'expiration
de sa carte ? Qu'on l'expulse tout de suite !
Sinon, pourquoi faire peser sur des immigrés vivant en toute légalité en
France, et depuis très longtemps - car, avant d'obtenir la carte de séjour de
dix ans, il faut avoir déjà séjourné quelques années en France - une menace de
refus du renouvellement de la carte, alors même qu'ils n'ont commis aucune
faute, sans qu'ils aient été jugés ?
L'immigré, direz-vous, peut faire appel devant le juge administratif. Mais,
monsieur le ministre, quel immigré fera appel ? Et puis, avant que le juge se
prononce, des mois, voire des années peuvent s'écouler : quelle sera alors la
situation de cet immigré régulier ? Car c'est bien d'immigrés en situation
régulière qu'il est question ici, ...
M. Claude Estier.
Absolument !
Mme Joëlle Dusseau.
... ceux-là mêmes que vous dites vouloir intégrer et protéger ! Pensez-vous
que l'on peut vraiment les intégrer, les sécuriser en faisant peser sur eux
cette menace permanente ?
Actuellement, nous travaillons, au sein de la commission des affaires
sociales, sur le projet de loi relatif à la cohésion sociale, et j'étais hier,
comme d'autres collègues, avec Mme de Gaulle-Antonioz et des membres
d'ATD-quart-monde. Les représentants du quart monde qui étaient présents nous
ont tous dit à quel point ils ont des rapports difficiles avec l'administration
: par incompréhension, par fermeture sur eux-mêmes, par peur de l'autre, mais
aussi parce qu'ils se sentent parfois agressés ou méprisés par
l'administration. Or il en va de même pour de nombreux immigrés en situation
régulière, qui vivent souvent dans la crainte.
Par cette disposition, vous allez développer leur sentiment de fragilité,
d'insécurité, et vous portez là une grande responsabilité.
Monsieur le ministre, vous ne serez pas surpris par le vote des sénateurs
radicaux-socialistes : nous nous prononcerons contre les conclusions de la
commission mixte paritaire, de même que nous nous étions prononcés contre le
texte en première et en deuxième lecture.
De plus, nous nous associons à la démarche des sénateurs socialistes, qui vont
déférer cette loi au Conseil constitutionnel contre ce texte de loi.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles du
groupe socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Madame le sénateur, vous commencez par affirmer
de façon catégorique qu'il n'y a pas de lien entre travail clandestin et
immigration irrégulière. Permettez-moi de vous rappeler ce que disait Anatole
France : « Heureux ceux qui n'ont qu'une vérité. Plus heureux et plus grands
ceux qui ont fait le tour des choses, ont assez approché la réalité pour savoir
que la vérité n'est pas une. »
Je dis simplement qu'il y a un rapport entre le travail clandestin et
l'immigration irrégulière. Nier ce rapport est une hypocrisie.
La réalité du travail dissimulé, en termes statistiques, selon un rapport qui
émane de l'Assemblée nationale, est la suivante : 10 % des employeurs impliqués
dans des affaires de travail dissimulé sont des étrangers et 43 % des salariés
impliqués dans ces mêmes affaires sont des étrangers.
Mme Joëlle Dusseau.
Etrangers, mais pas forcément en situation irrégulière !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Il y a donc un lien entre l'immigration
irrégulière et le travail dissimulé.
Mme Joëlle Dusseau.
Ce sont des étrangers, pas des irréguliers !
M. le président.
Madame Dusseau, si vous voulez interrompre M. le ministre, vous le lui
demandez, mais n'intervenez pas de cette manière !
Mme Hélène Luc.
Cela met de l'animation, monsieur le président !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Madame Dusseau, nier cette réalité est une
hypocrisie à laquelle je ne veux prendre aucune part.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
L'un de nos collègues s'étant étonné du fait qu'aucune motion de procédure ne
puisse être discutée à ce stade du processus législatif, je rappelle que, aux
termes de l'article 45 de la Constitution, un texte élaboré par une commission
mixte paritaire peut être soumis pour approbation aux deux assemblées et que,
en application de l'article 42, alinéa 12, de notre règlement, le Sénat examine
après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire,
il se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte, ce qui exclut toute
autre possibilité de vote.
Il s'agit là d'une pratique constante depuis 1977.
M. Robert Pagès.
C'est ce que j'ai regretté !
Mme Hélène Luc.
Je demande un scrutin public !
M. le président.
Cela, c'est une autre affaire, madame Luc !
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :
« TITRE Ier
« DISPOSITIONS MODIFIANT L'ORDONNANCE N° 45-2658 DU 2 NOVEMBRE 1945 RELATIVE
AUX CONDITIONS D'ENTRÉE ET DESÉJOUR DES ÉTRANGERS EN FRANCE »
« Art. 3. - Dans le chapitre Ier de la même ordonnance,sont insérés, après
l'article 8, les articles 8-1 à 8-3 ainsi rédigés :
«
Art. 8-1 et 8-2. - Non modifiés.
«
Art. 8-3.
- Les empreintes digitales des ressortissants étrangers,
non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, qui sollicitent la
délivrance d'un titre de séjour dans les conditions prévues à l'article 6
peuvent être relevées, mémorisées et faire l'objet d'un traitement automatisé
dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Il en est de même de ceux qui
sont en situation irrégulière en France ou qui font l'objet d'une mesure
d'éloignement du territoire français.
« En vue de l'identification d'un étranger qui n'a pas justifié des pièces ou
documents visés à l'article 8 ou qui n'a pas présenté à l'autorité
administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution de
l'une des mesures prévues au premier alinéa de l'article 27 ou qui, à défaut de
ceux-ci, n'a pas communiqué les renseignements permettant cette exécution ; les
données du fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de
l'intérieur et du fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs
du statut de réfugié peuvent être consultées par les agents expressément
habilités des services du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie
nationale, dans les conditions fixées par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978
précitée. »
« Art. 6
bis.
- I. - Après le huitième alinéa (7°) de l'article 25 de
la même ordonnance, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 8° L'étranger résidant habituellement en France atteint d'une pathologie
grave nécessitant un traitement médical dont le défaut pourrait entraîner pour
lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse
effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. »
« II. - Dans l'avant-dernier alinéa du même article, les mots : "aux 1° à
6°" sont remplacés par les mots : "aux 1° à 6° et 8°" ».
« Art. 8. - L'article 35
bis
de la même ordonnance est ainsi modifié
:
« 1° à 3°, 3°
bis
et 3°
ter. - Non modifiés.
« 4° Après le douzième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, le procureur de la République peut demander au premier président
de la cour d'appel ou à son délégué de déclarer le recours suspensif lorsqu'il
lui apparaît que l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation
effectives. Dans ce cas, l'appel, accompagné de la demande, est immédiatement
formé et transmis au premier président ou à son délégué après le prononcé de
l'ordonnance. Celui-ci décide, sans délai, s'il y a lieu de donner à l'appel un
effet suspensif, au vu des pièces du dossier, par une ordonnance non motivée
qui n'est pas susceptible de recours. L'intéressé est maintenu à la disposition
de la justice jusqu'à ce que cette ordonnance soit rendue et, si elle donne un
effet suspensif à l'appel, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond. »
« 5°
Supprimé. »
« TITRE II
« DISPOSITIONS DIVERSES »
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
Renar pour explication de vote.
M. Ivan Renar.
Monsieur le ministre, vous avez laissé entendre tout à l'heure, en répondant à
mon collègue Robert Pagès, que se battre contre les idées de la majorité,
c'était, quelque part, ne pas respecter la loi majoritaire et les prérogatives
du Parlement.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je n'ai pas dit cela !
M. Ivan Renar.
Jusqu'au bout, y compris en cet instant, monsieur le ministre, laissez-nous le
droit de tenter de convaincre nos collègues de ne pas voter un texte néfaste,
de même qu'il faut laisser à notre peuple le droit de s'exprimer, le droit de
manifester. C'est la loi de la démocratie ; c'est aussi l'une des valeurs
essentielles de la République.
Depuis la mobilisation des sans-papiers de Saint-Bernard, des collectifs se
sont constitués un peu partout en France, mais le Gouvernement est resté
insensible aux drames humains que vivent des centaines de familles.
Le monde artistique, relayé par nombre de professions, les avocats, les
universitaires, et bien d'autres autorités morales et religieuses, ont lancé
des cris d'alarme, mais le Gouvernement est resté sourd.
M. Philippe de Gaulle.
Ce ne sont pas eux qui font la loi !
M. Jean Chérioux.
Et tout cela, heureusement, ce n'est pas le peuple !
M. Ivan Renar.
Messieurs, un peu de calme ! Laissez la peur du rouge aux bêtes à cornes !
(Rires.)
Ce n'est pas de moi, c'est de Victor Hugo.
Même les études les plus sérieuses, tel le rapport de l'INED, l'Institut
national d'études démographiques, qui montre notamment que le nombre
d'étrangers en France est stable depuis vingt ans, n'ont aucune prise sur
l'entêtement du Gouvernement : celui-ci continue à brandir la menace de
l'immigration clandestine pour justifier sa politique répressive.
La discussion de ce projet de loi touche maintenant à sa fin, et la majorité
parlementaire s'apprête à voter un ensemble de mesures qui, comme nous n'avons
cessé de le démontrer, portent gravement atteinte aux valeurs fondamentales de
notre pays et encouragent le climat de suspicion qui pèse sur l'étranger,
devenu le bouc émissaire de tous les maux de notre société.
Que vous le vouliez ou non, monsieur le ministre, vous êtes responsable d'un
débat qui ne peut qu'exacerber la haine de l'autre.
Au lieu de s'attaquer aux vrais problèmes que connaît notre pays, à savoir le
chômage et l'exclusion, le Gouvernement préfère mettre sur le devant de la
scène l'immigration clandestine et faire porter à cette dernière la
responsabilité des malheurs de nos concitoyens, faisant glisser, comme l'a si
bien dit notre ami Jack Ralite, la question sociale vers la question
raciale.
Mme Hélène Luc.
Absolument !
M. Ivan Renar.
Le jeu est des plus dangereux.
Loin de stopper la montée du Front national, ce projet de loi ainsi que
certains des propos tenus dans cette enceinte ou à l'Assemblée nationale
alimentent les préjugés racistes et xénophobes.
Le Gouvernement s'en défend. Pourtant, sous prétexte d'une immigration
clandestine prétendument menaçante, il n'hésite pas à mettre en place un
véritable régime juridique d'exception applicable aux étrangers. Ce régime
octroie en effet un rôle exorbitant aux forces de police ainsi qu'aux
représentants de l'Etat et il écarte autant que possible le juge judiciaire,
gardien des libertés, des procédures de reconduites à la frontière.
De plus, quoi qu'en dise le Gouvernement, ce projet de loi ne s'attache pas
seulement à lutter contre l'immigration clandestine : il vise aussi à
déstabiliser les étrangers résidant régulièrement en France.
Comment comprendre autrement la disposition qui supprime le renouvellement de
droit de la carte de résident, en soumettant ce droit à l'absence de menace
pour l'ordre public.
Ainsi, même les étrangers installés en France depuis plus de dix ans ne sont
pas épargnés !
Monsieur le ministre, votre projet de loi constitue une véritable déclaration
de guerre faite aux étrangers. Suspicion, arbitraire et menace policière, voilà
ce qui commande ce texte.
Parallèlement à notre débat, le mouvement de contestations se poursuit, des
collectifs de sans-papiers se mettent en place un peu partout en France et
continuent de résister.
A Lille, notre ville à M. Allouche et à moi-même, avec courage et dignité, les
sans-papiers demandent que leur cas soit examiné et que des négociations
s'ouvrent.
Certains, au péril de leur vie, ont entrepris une grève de la faim. Celle-ci a
pris fin au bout de soixante-trois jours, sans qu'aucune avancée ait pu être
constatée. A chaque manifestation, des arrestations sont effectuées et les
dossiers des sans-papiers ne sont toujours pas examinés.
Que comptez-vous faire, monsieur le ministre ? Votre projet de loi ne sera
d'aucun secours, à moins de recourir systématiquement à la force, ce que, je
l'espère, vous ne ferez pas.
La stratégie du pourrissement, car il faut la nommer par son nom, ne pourra
durer éternellement.
Vu l'ampleur de la contestation, le Gouvernement se doit d'envisager des
régularisations.
Il n'est plus possible de faire croire que votre projet de loi réglera
l'ensemble des situations inextricables engendrées par les lois Pasqua.
Le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce texte qu'il
estime scandaleux et continuera de soutenir le mouvement des sans-papiers pour
qu'une politique digne et humaine soit enfin adoptée.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Je veux saisir l'occasion de cette explication de vote pour répondre en
quelques mots à M. le ministre, qui aura évidemment la possibilité de me
répondre à son tour puisque le Gouvernement peut intervenir à tout moment, en
vertu d'un droit que je ne conteste d'ailleurs nullement.
Monsieur le ministre, mettre de la passion dans un débat, ce n'est pas
répréhensible. Nous sommes tous ici amateurs de débat ; nous sommes même là
pour cela. Et, si nos discussions sont parfois empreintes d'une certaine
passion, c'est parce que nous exprimons nos convictions.
Ce projet, présenté par le Gouvernement, a effectivement suscité de la
passion, et il n'y a pas lieu de s'offusquer si, tant à l'Assemblée nationale
qu'au Sénat, certains articles ont donné lieu à l'expression de cette
passion.
S'agissant du travail clandestin, monsieur le ministre, Mme Dusseau vous a
rappelé ce qu'avait déclaré votre collègue du Gouvernement, Mme Couderc, qui
contestait ce que vous avancez.
Mme Couderc nous a dit ici même - nous ne l'avons pas inventé ! - qu'il ne
fallait en aucun cas lier l'immigration clandestine au travail illégal. C'est
si vrai que le Gouvernement a accepté l'emploi de l'expression « travail
dissimulé », afin d'éviter la confusion avec le travail clandestin.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Entre le mot « lien » et le mot « rapport », le
dictionnaire fait une différence !
M. Guy Allouche.
Aux termes mêmes d'un rapport du Gouvernement, 6 % seulement d'infractions
dues à la présence de travailleurs irréguliers ont été constatées. Nous savons
tous qu'en France il y a bien plus de travailleurs illégaux qu'il n'y a de
clandestins.
Enfin, monsieur le ministre, je sais bien que la campagne électorale s'est
ouverte...
M. Jean-Jacques Hyest.
Ça on s'en est aperçu !
Mme Hélène Luc.
Cela se voit !
M. Jean Delaneau.
Ce n'est pas nous qui l'avons ouverte !
M. Guy Allouche.
... mais évitons de toujours pointer du doigt ce qui a été fait
précédemment...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Cela vous gêne !
M. Marcel Debarge.
C'est réciproque !
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, je vous ai dit ici même la dernière fois dans quelles
conditions ce passage à la proportionnelle avait été effectué en 1985. Nous
n'avons pas pris les Français par surprise : cela figurait dans l'une des
propositions du candidat François Mitterrand qui a été élu.
Cependant, permettez-moi de rappeler un fait qui me paraît bien plus grave que
l'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives : c'est
l'accord que votre formation politique a passé en bonne et due forme en 1983 à
Dreux, pour la première fois dans notre histoire.
(M. le ministre fait un
signe de dénégation.)
Ne le niez pas, monsieur le ministre ! Je conteste
votre dénégation.
(M. Chérioux proteste.)
De surcroît, le lendemain de la seconde lecture au Sénat, dans un grand
quotidien du soir que chacun a à l'esprit,...
M. Henri de Raincourt.
On ne le lit pas !
M. Jean Delaneau.
C'est un quotidien ou c'est
Le Canard enchaîné
?
M. Guy Allouche.
... était relatée une réunion que M. Mancel avait tenue dans le Var et au
cours de laquelle il avait déclaré : « Nous sommes un rassemblement et, chez
nous, certains sont Front national. »
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ce n'est pas exactement ce qu'il a dit !
M. Guy Allouche.
Voilà ce qu'il a dit ! J'ai l'article ici, et je vous le livre.
(Exclamation sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je n'ai pas eu l'occasion de lire un démenti de M. Mancel. Par conséquent,
n'essayez pas d'apporter un démenti aux propos que nous avons tenus sur
certaines collusions. Hélas ! pour une partie de la majorité - je le précise
car je veux être honnête - c'est le cas.
M. Alain Gournac.
C'est vous qui avez fait entrer le Front national au Palais-Bourbon !
M. le président.
La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
Monsieur le ministre, vous êtes l'héritier, le successeur d'une grande
tradition républicaine incarnée par votre père qui avait la passion de la
République, animé qu'il était par cet idéal républicain et par le respect
fondamental des droits de l'homme.
Vous connaissant un peu, je sais que, à aucun moment, vous n'avez été animé,
lors de la préparation de ce texte et son dépôt devant le Parlement, des
sentiments que certains collègues, dans l'exercice de leurs droits
démocratiques, prêtent, à tort, à l'ensemble de la majorité et à vous-même.
Pour nous - et je m'adresse à tous mes collègues et, à travers eux, n'étant
que ce que je suis, à l'opinion française - ce texte n'est pas inspiré par la
haine ou par le mépris de l'étranger. Nous nous souvenons, Français que nous
sommes, de ce que les étrangers ont apporté à la France, dans les années de
construction, de travail et de paix civile comme dans les combats pour la
défense de notre pays face au nazisme et dans d'autres guerres.
Nous ne sommes pas xénophobes car, républicains ou chrétiens, ...
M. Marcel Debarge.
On peut être à la fois républicain et chrétien !
M. Emmanuel Hamel.
... nous savons le respect que nous avons du droit de l'homme, du droit de
l'autre dont la personne mérite d'être respectée.
En tant que parlementaires, pour avoir fait souvent, et parfois bien avant de
siéger au Parlement, le tour du monde, de l'équateur au Groenland, du Pacifique
à l'Atlantique, nous savons l'image que la France a et mérite d'avoir dans le
monde, celle du pays le plus merveilleux de tous. Un pays qui a cette image,
dont on sait qu'il est la patrie des droits de l'homme, la nation où l'on est
soigné, respecté, suscite, tout naturellement, dans les malheurs du monde, chez
des millions d'êtres, l'envie de venir en France, la nation du bonheur, du
respect de l'homme et de la joie de vivre.
Or, mes chers collègues - et c'est en cela que la mission des hommes
politiques est difficile - il faut parfois faire un choix entre la
reconnaissance d'aspirations respectables de certains et la possibilité de les
concrétiser par une politique qui n'ait pas, par contre-coup, des influences si
négatives que, globalement, cet accueil sans contrôle ne soit néfaste et
désastreux.
Des millions d'individus sont aujourd'hui français alors que, on l'a rappelé,
voilà quelques générations, ils étaient étrangers. Ce qu'ils demandent
aujourd'hui, c'est d'être vraiment considérés dans l'ensemble de la nation, par
tous, comme des citoyens comme les autres.
Mais cela implique qu'il n'y ait pas ces problèmes de l'immigration
irrégulière, de l'arrivée clandestine en France, du travail illégal qui,
au-delà de nos divergences politiques - et sur ce point nous sommes tous
d'accord - ...
M. Christian Poncelet.
C'est exact !
M. Emmanuel Hamel.
... sont véritablement un mal pour la France, pour le peuple, pour les
citoyens et pour le respect des droits de l'homme par la tentation qui se crée
chez certains, à cause de cette immigration irrégulière, de susciter à
l'encontre de tous les étrangers, en situation régulière ou non, présents sur
notre sol des réactions de xénophobie que nous ne pouvons admettre.
Le texte que nous allons voter, c'est un texte de synthèse, qui tend à
maintenir les principes fondamentaux du respect des droits de l'homme, du
respect de l'étranger. C'est aussi un texte civique, qui tend à protéger la
France à ses frontières, pour éviter qu'elle ne soit submergée parce qu'elle
est la France, qu'elle attire tant d'individus et qu'elle est si belle.
Monsieur le ministre, sachez que, en dehors des dirigeants ou des présidents
de groupe qui vont déclarer qu'ils sont d'accord avec votre texte, le sénateur
de base, le Français de base estime qu'il est de son devoir de vous soutenir
dans votre action.
Néanmoins - et ce sera mes derniers mots - ne vous contentez pas du vote que
vous allez obtenir sur un texte qui respecte les droits de l'homme, qui ne
prône ni la xénophobie ni la haine de l'étranger. Ce texte continuera d'être
critiqué et dénaturé par certains de nos collègues, et c'est leur droit en
démocratie. Votre devoir ne fait que commencer. Vous avez fait voter un projet
de loi. Maintenant, faites-le comprendre et dites à l'ensemble de nos
compatriotes les pensées qui vous animent, la volonté qui vous inspire, qui est
non pas celle que l'on dit, mais celle du service de la France, du respect de
l'étranger. Faites en sorte que notre texte ne nuise pas, parce que défiguré, à
l'image de la France dans le monde, image qui est liée à la tradition d'accueil
qu'il faut maintenir, mais dans le respect de la loi.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Il est difficile de prendre la parole après le lyrisme de M. Hamel.
Tout à l'heure, j'ai été frappée par la citation de M. le ministre. Citant
Anatole France, un auteur que j'aime bien, il a dit : la vérité n'est pas une.
Il a raison. Il y a plusieurs vérités, il y a des nuances dans la vérité. Qui
en douterait ici, mes chers collègues ?
Ce que j'ai voulu dire, et je le répète avec force, c'est qu'il est très
dangereux de vouloir, sur ce point très précis, superposer travail illégal et
immigration clandestine.
M. Alain Gournac.
On l'a déjà entendu !
Mme Joëlle Dusseau.
Un amalgame se fait dans l'opinion publique, mais aussi dans l'esprit de M. le
ministre.
M. Jean Chérioux.
C'est nouveau !
M. Alain Gournac.
Il est là !
Mme Joëlle Dusseau.
En effet, le chiffre qu'il a cité, c'est non pas celui de l'immigration
clandestine dans le travail illégal, mais le chiffre des immigrés, clandestins
ou non, il l'a dit lui-même.
M. Alain Gournac.
Non !
Mme Joëlle Dusseau.
Si ! mon cher collègue, je suis formelle, et M. le ministre le sait très bien.
Pour quelles raisons ? Aujourd'hui, dans la situation de crise, notamment dans
certains secteurs d'activité, je pense au bâtiment mais il y en a d'autres, des
étrangers en situation régulière qui cherchent du travail régulier sont
contraints de travailler au noir parce que les employeurs leur disent : « C'est
cela ou rien du tout ! » C'est pourquoi je reprends le débat que nous avons eu,
qui n'est pas un débat incident par rapport à l'immigration en général, et pas
par rapport à l'immigration clandestine, sur le problème du durcissement ou non
de la législation sur le travail illégal.
Je ne reprendrai pas, bien sûr, les arguments que j'ai développés voilà
quelques instants.
M. Alain Gournac.
Non !
Mme Joëlle Dusseau.
Je vais simplement m'appuyer sur une formulation employée par M. Hamel.
L'opposition va continuer à critiquer et à dénaturer ce texte, a-t-il dit.
M. Jean Chérioux.
Vous n'avez fait que cela !
Mme Joëlle Dusseau.
Mon cher collègue, point n'est besoin de le critiquer et de le dénaturer : ce
texte parle tout seul, et l'ensemble des débats que nous avons eus montrent
très bien, de fichier d'empreintes digitales en fichier d'hébergeants en
passant par les décisions administratives de suppression de cartes de séjour,
quelle est sa philosophie.
Vous avez ajouté, monsieur Hamel, ce qui montre que vous éprouvez malgré tout
une inquiétude, qu'il ne faut pas que ce texte nuise à l'image de la France.
C'est ce que vous devez vous dire, mes chers collègues de la majorité, au
moment où vous allez émettre un vote qui salira l'image de la France.
(Applaudissements sur les travées socialistes et protestations sur les travées
du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
C'est lamentable !
M. le président.
La parole est à M. Althapé.
M. Louis Althapé.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes
donc parvenus, après de longs débats et de vives discussions, au terme de
l'examen du projet de loi portant diverses dispositions relatives à
l'immigration.
Que retiendrons-nous de ce débat ?
Tout d'abord, nous retiendrons votre courage et votre détermination, monsieur
le ministre, à rendre la lutte contre l'immigration clandestine plus efficace,
ainsi que votre souci de préserver les prérogatives du Parlement en ne
déclarant pas l'urgence sur ce texte, comme certains vous encourageaient à le
faire, et alors que d'autres, si discrets en première lecture à l'Assemblée
nationale,...
M. Alain Gournac.
Ah oui !
M. Louis Althapé.
... avaient rejoint dans la rue les manifestants.
Ensuite, le grand mérite de ce débat, mes chers collègues, aura été de montrer
à nos compatriotes que la politique socialiste en matière d'immigration n'avait
rien à voir avec ce qu'attendaient les Français. Les sondages d'opinion l'ont
clairement démontré.
(M. Estier sourit.)
Mme Joëlle Dusseau.
Ne parlons pas des sondages !
M. Louis Althapé.
En outre, les interventions des membres de notre majorité ont toujours fait la
distinction entre l'immigration régulière et l'immigration illégale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Mais non !
M. Louis Althapé.
Cette distinction est le meilleur rempart contre le racisme et la xénophobie.
Certains, aux extrêmes, refusent toujours de faire cette différence. Aussi,
notre devoir est de mettre en garde ceux qui, avec des intentions généreuses,
mélangent de fait l'immigration régulière, qui a toute sa place en France, et
l'immigration irrégulière, qui n'y a pas sa place. En refusant les lois qui
répriment cette dernière, ils font, sans s'en rendre compte, le jeu de ceux
qu'ils veulent combattre et pour qui tout étranger est indésirable.
Enfin, je terminerai cette brève intervention en remerciant le rapporteur, M.
Paul Masson, dont chacun, au sein de notre assemblée, a pu apprécier
l'éloquence, la pertinence et la modération.
Le groupe du RPR votera les conclusions de la commission mixte paritaire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Bimbenet.
M. Jacques Bimbenet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il convient,
s'agissant du dernier examen de ce texte, de rendre hommage à l'excellent
travail de la commission des lois, notamment de son rapporteur, M. Paul Masson,
comme cela vient d'être dit, et son président, M. Jacques Larché. Il y a
également lieu de saluer la détermination dont M. le ministre de l'intérieur a
su faire preuve tout au long des débats.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le développement séparé de
communautés s'oppose à l'assimilation républicaine. Assimiler, ce n'est pas
nier les différences et refuser les cultures, c'est conduire ces dernières à
s'exprimer par le biais de pratiques individuelles, et non par celui du droit
positif. Le droit à la différence ne signifie pas la différence des droits.
L'obligation de satisfaire à des devoirs s'impose à tous. La légalité
républicaine et le respect de règles de société communes s'affirment par la
lutte contre tout comportement contraire aux vertus de l'assimilation. En
défendant la force des principes républicains, l'application sans exception de
la loi, nous rendrons possible une véritable politique d'immigration.
L'assimilation, moteur de ce projet de loi, ne se conçoit que par la maîtrise
des flux, par l'arrêt de l'immigration irrégulière, par l'engagement, à cet
effet, d'une lutte intensifiée, fruit d'une volonté politique sans faille. Pour
ce faire, il importait de doter l'Etat d'un droit adapté, sans faire plier les
règles de l'ordre constitutionnel.
Une telle politique n'est cependant pas exclusive d'une immigration fondée sur
les principes de la République. La société française, humaniste et réaliste,
est depuis toujours ouverte sur le monde. Ses besoins et ses devoirs ne
cesseront d'évoluer.
Le Gouvernement, après avoir mis en oeuvre avec détermination les lois des 24
août et 30 décembre 1993 et constaté l'imperfection des conditions
d'application de ces textes, a choisi de les conforter pour permettre, lorsque
les procédures garantissant les droits de la défense ont été respectées,
d'exécuter sans réserve les mesures de reconduites à la frontière.
Depuis 1991, le nombre d'interpellations d'étrangers présumés en situation
irrégulière n'a cessé de s'accroître.
Pourtant le nombre de reconduites, s'il a progressé, reste faible. Les
différentes phases de cette procédure révélaient des inadaptations
législatives, réglementaires et matérielles. Le présent projet de loi permet de
résoudre ces difficultés.
L'analyse devrait être poursuivie. Ce n'est plus en subissant des flux
incontrôlables que la France demeurera une terre d'accueil. C'est bien plutôt
en offrant à tous ceux qui la servent et qui l'ont choisie de s'enraciner
véritablement sur son sol.
Cet objectif sera atteint grâce à ce texte. C'est la raison pour laquelle,
monsieur le ministre, avec la majorité des membres du Rassemblement
démocratique et social européen, je vous apporterai une nouvelle fois mon
soutien en le votant. Je n'ai pas l'impression, ce faisant, d'être contre la
France.
(Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE,
ainsi que sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12 du règlement, je mets aux voix
l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la
commission mixte paritaire.