M. le président. Par amendement n° 178, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le premier alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-54 du code de procédure pénale, de supprimer les mots : « soit sur réquisition du ministère public, ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le texte actuel de l'article 285 du code de procédure pénale prévoit que le président peut, soit d'office, soit sur réquisition du ministère public, ordonner la jonction des procédures.
Le texte qui nous est proposé pour l'article 231-54 reprend cette disposition en ajoutant, après les mots : « soit sur réquisition du ministère public », les mots : soit à la demande d'une des parties ».
Or, parmi les parties devant un tribunal criminel, il y a évidemment le ministère public.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Puisque l'on prévoit la jonction à la demande de l'une des parties, il est inutile de prévoir qu'elle peut intervenir sur réquisition du ministère public.
Je dois à la vérité de dire que, dans les textes actuels, on trouve parfois la formule figurant dans le texte qui nous est proposé. Il faudrait donc également les corriger. En effet, il me paraît impossible de soutenir que le ministère public n'est pas une partie.
Le ministère public est évidemment une partie. En tout cas, il serait bon qu'on le considère comme tel. Je ne sais pas ce qu'on va me répondre, mais, par ailleurs, nous avons déposé un amendement tendant à corriger, comme le disait Moro-Gaffieri, l'erreur du menuisier ! (Sourires.) et à ce que le ministère public siège sur le parquet, puisqu'on appelle d'ailleurs le ministère public « le parquet ». Il est en tout cas tout à fait normal qu'il soit sur le même plan, c'est le cas de le dire, que les autres parties, c'est-à-dire la défense et la partie civile.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. La commission s'est montrée défavorable à cet amendement et je pense que M. le garde des sceaux va émettre un avis défavorable et qu'ainsi il développera les arguments justifiant cette position.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur le président, le rapporteur avait bien présumé de la position du Gouvernement, qui est défavorable.
Je me permets de faire part à la Haute Assemblée de la raison essentielle de ce choix : dans la procédure pénale mais aussi dans la procédure civile telle qu'elle est organisée aujourd'hui par le droit positif français, le ministère public n'est pas une partie, il est le ministère public. Cela va peut-être changer.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Voyez les propositions de la commission Truche !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Il se peut qu'à l'occasion d'une réforme globale de la procédure pénale ou d'un changement fondamental de la position du parquet au sein de l'institution judiciaire, on envisage d'autres solutions. Et chacun sait que celui qui vous parle n'est pas le dernier à penser qu'il faut, sur ces sujets comme sur d'autres, faire preuve d'imagination et de courage intellectuel.
Cela étant dit, aujourd'hui, il n'est pas possible d'écrire que le ministère public, notamment devant la cour d'assises, est une partie comme les autres. J'apporterai d'ailleurs à l'appui de mon propos un simple argument de texte qui, je crois, est particulièrement frappant. L'article 316 du code de procédure pénale, qui porte sur les incidents contentieux, précise : « Tous incidents contentieux sont réglés par la cour, le ministère public, les parties ou leurs "avocats entendus" ». Cela montre bien qu'il existe une distinction qui, pour des raisons de cohérence dans notre code de procédure pénale, doit être conservée.
Pour toutes ces raisons, je suis donc, comme la commission, défavorable à l'amendement n° 178.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 178.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le garde des sceaux, je voudrais vous remercier d'avoir rendu hommage à notre imagination et à notre courage intellectuel. Mais pourquoi retarder leurs effets ? Franchement, j'attends que vous me donniez un argument.
Vous vous rappelez sans doute que j'avais moi-même fait remarquer qu'il y a dans les textes actuels des articles - peut-être d'ailleurs est-ce le même qui avait attiré mon attention - où il est question du ministère public et des parties. Mais sans doute cela provient-il d'une correction comme celle que vous nous proposez d'apporter aujourd'hui. Il s'agit donc là d'un argument de texte et non pas d'un argument de fond.
Or il est évident que dans un tribunal criminel - c'est d'ailleurs la même chose devant n'importe quel tribunal - il y a plusieurs parties : le ministère public, qui représente les intérêts de la société, la partie civile, qui représente les intérêts de la victime, et la défense, qui représente les intérêts de l'accusé. Toutes ces parties ont les mêmes droits !
Vous savez bien à cet égard que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme prévoit qu'il y a égalité des armes entre les parties, ce qui s'applique évidemment au ministère public. Il est donc évident que le ministère public, dans une procédure pénale, est une partie.
Si vous n'avez pas d'autres arguments que ceux que vous m'avez opposés, monsieur le ministre, faisons preuve ensemble d'imagination et de courage intellectuel et acceptez notre amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 178, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 231-54 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLES 231-55 ET 231-56
DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE