M. le président. Par amendement n° 196 rectifié bis, MM. Badinter, Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-90 :
« Art. 231-90. - Si l'accusé n'obtempère pas à la sommation, le président peut ordonner qu'il soit emmené par la force devant le tribunal ; il peut également, après lecture faite à l'audience du procès-verbal constatant sa résistance, ordonner que, nonobstant son absence, il soit passé outre aux débats.
« Après chaque audience, il est, par le greffier du tribunal, donné lecture à l'accusé qui n'a pas comparu du procès-verbal des débats, et il lui est signifié copie des réquisitions du ministère public ainsi que des jugements rendus par le tribunal, qui sont tous réputés contradictoires. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Comme vous l'aurez remarqué, monsieur le président, j'ai déjà défendu cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je suis défavorable à cet amendement exactement pour les mêmes raisons que celles que j'ai énoncées tout à l'heure. Mais je voudrais faire une remarque d'ordre général à la suite de l'observation qu'a formulée M. Dreyfus-Schmidt à l'instant.
Le groupe socialiste présente tout un ensemble d'amendements visant à rétablir les procédures actuelles, y compris, comme l'a bien souligné M. Dreyfus-Schmidt, les plus longues, les plus difficiles ou les plus coûteuses,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais non !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... alors que le texte du Gouvernement s'est donné pour objectif, chaque fois que cela ne met pas en cause l'intérêt des parties et notamment les droits de la défense, de simplifier les procédures.
Lorsque, siégeant sur les bancs de l'Assemblée nationale, j'ai discuté nombre de textes relatifs au code pénal ou au code de procédure pénale présentés à l'époque par des gardes des sceaux appartenant au parti auquel appartient M. Dreyfus-Schmidt lui-même, j'avais cru comprendre, que cette politique de simplification, était préconisée par ce même parti. J'ai moi-même à plusieurs reprises considéré qu'il s'agissait d'une très bonne approche.
C'est pourquoi, monsieur le président, je suis très étonné de voir que - probablement pour les besoins de la cause et pour alimenter et donc allonger un peu les débats - le groupe socialiste propose systématiquement le retour aux procédures actuelles, et ce sans autre motivation que la volonté de ne pas changer les procédures, non pas sur le fond, mais dans les modalités.
Je le regrette, car je pensais que, au contraire, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, il se trouverait une majorité, voire une unanimité, pour s'efforcer, s'agissant d'une matière aussi importante pour l'ensemble du public - certes, il n'y a que 2 500 procès d'assises par an, mais chacun sait que ce sont ceux qui sont le plus suivis, que ce sont ces procédures-là qui intéressent le plus nos concitoyens - de simplifier les choses, de les rendre plus compréhensibles.
Dans beaucoup de cas, on nous explique, sur les travées du groupe socialiste du Sénat ou sur les bancs homologues de l'Assemblée nationale, que, par exemple, l'intervention de l'huissier est tout à fait contre-indiquée. Et voilà qu'aujourd'hui on réintroduit le ministère d'huissier. Il y a tout de même là de quoi être étonné !
Je crois vraiment que ce n'est pas de bonne méthode.
Un des mérites de ce texte tient précisément à la volonté de simplifier et de clarifier qui nous anime. Dès lors, je ne pense pas que proposer systématiquement le retour au texte actuel soit judicieux et je regrette que la commission des lois, sur un certain nombre de points, se soit associée à cette sorte de « législation dans le rétroviseur » à laquelle se livre le groupe socialiste.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le Sénat s'y associe aussi !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 196 rectifié bis.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je suis encore plus étonné, pour ma part, d'entendre M. le garde des sceaux nous expliquer que ce qui est à l'ordre du jour, c'est la simplification et, quand le groupe socialiste, avec la commission des lois, présente des amendements qui vont dans le sens d'une meilleure administration de la justice, affirmer que nous ne cherchons qu'à gagner du temps. Je ne vois pas en quoi ni pourquoi nous chercherions à gagner du temps !
En revanche, ce que je vois très clairement, monsieur le garde des sceaux, c'est que, depuis le début de ce débat, nous ne cessons d'essayer d'apporter, au-delà et même indépendamment de toute considération politique, des améliorations techniques nécessaires à ce texte qui, je ne crains pas de le dire, a été élaboré trop vite.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ah c'est sûr !
M. Robert Badinter. Je vais vous en donner deux exemples, si vous le permettez, monsieur le garde des sceaux, car je sais que vous ne supportez pas d'être contredit.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Il ne s'agit pas de ça !
M. Robert Badinter. C'est dans votre nature ! Cela a toujours été : je vous ai connu tel il y a dix ans, je vous retrouve tel aujourd'hui !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Votre nature a vous, monsieur Badinter, c'est de ne pas supporter de ne pas avoir le dernier mot, et cela est parfaitement insupportable parce que vous êtes aujourd'hui sénateur et non plus avocat de la défense !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela ne vous donne pas le droit de l'interrompre sans en demander l'autorisation !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est auprès de vous que j'ai dû contracter de mauvaises habitudes !
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je vous rappelle que c'est moi qui préside les débats, et seul M. Badinter a la parole.
M. Robert Badinter. A cet égard, je me permettrai de rapporter à M. le garde des sceaux une petite anecdote.
Quand je suis devenu garde des sceaux, je n'avais jamais eu auparavant le privilège d'être parlementaire. Inquiet, je me suis dit : « Il faut que j'aille demander à un homme d'expérience ce qu'il convient de faire pour ne point irriter les parlementaires quand on est ministre. »
Aller chez le Président de la République m'était impossible : il aurait pensé qu'il avait eu tort de me nommer.
Après réflexion, j'ai songé que je connaissais quelqu'un de fort compétent, d'une immense expérience parlementaire, dont on disait volontiers qu'il était le plus brillant spécialiste de la vie politique aussi bien sous la IVe République et que sous la Ve République : le président Edgar Faure.
Je m'en fus donc le trouver et lui demandai comment on devait se comporter lorsque l'on est ministre et que l'on se trouve dans l'enceinte d'une assemblée parlementaire. Et voici à peu près ce que le président Edgar Faure m'a répondu : « Mon cher ami, ne vous faites aucun souci, vous vous débrouillerez très bien. Il y a une chose cependant que vous devez toujours conserver présente à l'esprit, c'est que vous êtes l'invité. Quand vous êtes, vous ministre, au Parlement, vous êtes reçu par les parlementaires, vous êtes chez eux. Dans ces conditions, même s'ils ne sont pas agréables avec vous, et ils le sont rarement, vous devez, comme saint Sébastien, accepter d'être percé de flèches et ne jamais réagir. » (Sourires.)
J'ai retenu la leçon.
On ne m'a pas ménagé les flèches lorsque j'étais garde des sceaux et, dans toute la mesure possible, j'ai essayé de conserver dans ma mémoire ce que le président Edgar Faure m'avait dit. Je crains, hélas ! monsieur le garde des sceaux, que vous n'avez pas bénéficié de la même leçon.
Mais je reviens au débat et je vous invite, monsieur le garde des sceaux, si vous le voulez bien, à examiner un instant froidement l'économie de ces deux amendements.
Tout à l'heure, la commission des lois a soutenu l'amendement n° 194 du groupe socialiste. Mais de quoi était-il question dans l'article 231-89 ? De quelqu'un qui ne veut pas comparaître devant une cour d'assises. Or comparaître devant une cour d'assises, ce n'est pas une formalité banale et refuser d'aller devant ses juges, c'est tout de même très grave ! Vous imaginez les conséquences d'une telle décision ; des exemples illustres, que je n'ai pas besoin de rappeler, sont là pour le montrer.
Dès lors, la réponse de l'accusé est importante et il est légitime que ce soit quelqu'un qui est spécialisé dans la transcription d'une telle réponse, un greffier ou un officier ministériel, qui la recueille. Or cette réponse, monsieur le garde des sceaux, aux termes de l'article 231-90, reste-t-elle au greffe, comme un appel ? Lisez votre texte ! Il est clairement indiqué que, si l'accusé n'obtempère pas à la sommation, le président peut donner « lecture à l'audience des observations de l'accusé ».
Ces observations, il faudra bien qu'elles aient été rédigées par un homme qui soit indiscutable quant à la fidélité du texte qu'il aura recueilli. Qui est cet homme, en dehors du greffier, sinon un huissier ?
Ce sont des vérités élémentaires que je rapelle ici. Je n'ai pas le désir, croyez-moi, de poursuivre une discussion qui, pour nous tous, n'a déjà que trop duré.
Le problème est le même s'agissant du deuxième alinéa de l'article 231-90.
Dans le texte actuel, c'est-à-dire au deuxième alinéa de l'article 320, vous l'aurez noté si vous l'avez lu avec attention, il est indiqué que, si le procès se déroule en l'absence de l'accusé, après chaque audience, il lui est donné lecture du procès-verbal des débats par le greffier de la cour d'assises et il lui est signifié copie des réquisitions du ministère public.
Il faut évidemment que l'accusé sache ce qui s'est passé ! Cela peut entraîner de sa part la décision de revenir à l'audience. Il lui faut donc avoir connaissance du procès-verbal, et cela par le truchement du greffier.
Or, dans votre texte, si des jugements incidents sont rendus par le tribunal, ils lui sont notifiés par le chef de l'établissement pénitentiaire ! Les jugements sont réputés contradictoires. Mais vous n'avez plus l'avertissement donné par le greffier qui vient dire à l'accusé ce qui s'est passé et lui transmet le procès-verbal.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Badinter.
M. Robert Badinter. Je termine en disant que ce n'est pas du tout l'esprit de polémique, croyez-le bien, qui, ici, a commandé nos observations.
C'est un texte qui vous survivra, monsieur le garde des sceaux, et je pense qu'il nous survivra à tous.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Pas grâce à vous !
M. Robert Badinter. Faisons donc du bon travail législatif.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Incapable de le faire, incapable de le soutenir !
M. Robert Badinter. Vraiment, monsieur le garde des sceaux, cette passion d'interrompre ! Vous auriez fait un excellent avocat d'assises, et il n'est peut-être pas trop tard !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Devrais-je aller prendre des leçons chez vous ?
M. Robert Badinter. Quoi qu'il en soit, je vous rappelle simplement que la commission des lois a accepté cet amendement parce qu'il est conforme à l'intérêt général ! Acceptez-le ! Faisons ensemble une oeuvre constructive et oubliez et les polémiques politiques comme les polémiques personnelles !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, Ce texte me survivra certainement, mais pas grâce à vous, monsieur Badinter, qui avez été incapable de le faire et qui êtes aujourd'hui incapable de le soutenir. (M. Dreyfus-Schmidt proteste.)
M. Robert Badinter. C'est incroyable ! Et dire que je vous ai demandé d'oublier la polémique !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je voudrais dire exactement ce qu'il en est,...
M. Robert Badinter. Allons-y !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux ... après toute cette leçon, parfaitement inutile.
M. Robert Badinter. Mais oui !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Au Sénat plus qu'ailleurs, j'ai toujours été traité comme un invité.
M. Robert Badinter. Mais vous êtes-vous conduit en invité ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Cela a beaucoup changé, je dois le dire, monsieur Badinter, depuis que vous siégez dans cette enceinte.
M. Robert Badinter. Tiens !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Vous ne vous conduisez jamais avec le garde des sceaux, ni avec aucun autre ministre d'ailleurs, comme avec un invité du Sénat. C'est évidemment quelque chose que le président Edgar Faure n'a pas pu vous expliquer lorsque vous êtes arrivé ici comme parlementaire.
Je reviens maintenant au point actuellement en discussion.
L'huissier n'est en rien chargé de recueillir les déclarations de l'intéressé.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais si !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ce qui est important dans cette affaire, c'est que l'intéressé puisse s'exprimer. S'il refuse de venir lui-même, il faut qu'il puisse écrire ce qu'il a à déclarer ou le faire dire par son avocat qui, lui, assiste à l'audience. C'est ce que prévoit notre texte.
Présent à l'audience, l'avocat me paraît d'ailleurs le mieux placé, parce qu'il est le plus susceptible de lui inspirer confiance, pour donner connaissance à l'accusé du déroulement de l'audience. Il n'est nullement nécessaire de prévoir une signification par huissier. Quel compte rendu du déroulement de l'audience l'huissier qui sera chargé de cette signification pourra-t-il donner ? En revanche, l'avocat de l'accusé saura parfaitement de quoi il retourne : il est là pour ça ! Il pourra parler à son client, puis exprimer le point de vue de ce dernier de la manière la plus fidèle et la plus efficace qui soit.
A quoi bon introduire l'huissier ? C'est une procédure parfaitement inutile.
Je maintiens donc que ce que nous proposons est plus simple et plus efficace. Notre texte ne met aucunement en cause les droits de l'accusé, bien au contraire, et permet de réaliser une économie de moyens et de procédure qui me paraît aller dans le bon sens.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il y a la forme et il y a le fond.
Nous avons commencé l'examen de ce texte en commission mercredi matin, travaillant de neuf heures jusqu'à treize heures quinze. Nous avons repris nos travaux à quatorze heures trente et les avons poursuivis jusqu'à vingt et une heures. Nous n'avions alors étudié que les articles sur lesquels le rapporteur proposait un amendement.
Evidemment, nous n'avons disposé du rapport que très tard, mais, grâce à l'amabilité de la commission, nous avons pu en prendre connaissance avant qu'il ne soit broché, c'est-à-dire jeudi soir.
Nous avons passé tout le week-end à préparer nos amendements, car ils devaient être déposés hier avant seize heures.
Nous ne travaillons pas ainsi par plaisir, monsieur le garde des sceaux ! Et il n'est pas digne de prétendre que nous cherchons à faire durer les débats.
Nous n'avons, au demeurant, aucun intérêt à les faire durer. La commission a adopté la plupart de ces amendements, ainsi que le Sénat, cet après-midi même.
Vous n'avez pas, permettez-moi de vous le dire, monsieur le garde des sceaux, le droit de traiter comme vous le faites l'un de vos prédécesseurs, qui a honoré la place que vous occupez aujourd'hui.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Il se gêne, lui ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sur le fond, nous avons découvert que vous vouliez alléger la procédure mais, avez-vous dit, à condition que cela ne touche pas au fond. Or, ici, cela touche au fond.
Vous affirmez qu'il ne s'agit pas d'enregistrer la réponse de l'accusé. Mais si ! L'huissier dresse procès-verbal de la sommation et de la réponse de l'accusé. Dans votre texte, le cas échéant, la réponse de l'accusé est transmise au président du tribunal, après avoir été recueillie par le chef de l'établissement pénitentiaire ou par l'huissier d'audience.
Le chef de l'établissement pénitentiaire la recueille comment ? Oralement ? Il la transmet comment ? Oralement ? Ce n'est pas précisé.
Vous allégez, mais vous oubliez l'éventuel procès en appel : les membres de la cour auront alors intérêt à connaître la réponse de l'accusé qui, sommé de comparaître, aura refusé de le faire. Il faudra donc bien qu'on ait un procès-verbal.
De même, il faudra bien qu'on sache s'il a été prévenu ou non de ce qui s'est passé en son absence. Vous dites que son avocat le fera. Mais nous n'en savons rien.
Un procès-verbal doit permettre de savoir que lecture en a été faite à l'accusé qui a refusé de comparaître, de manière à avoir la preuve qu'il a su ce qui s'était passé. Ainsi, il n'y aura pas là un vice quelconque !
Evidemment, vous pouvez vous montrer très sûr de vous et accuser les autres de chercher à gagner du temps. Mais, je vous en prie, admettez une seconde que nous cherchons à faire la loi la meilleure possible. Nous somes là pour cela ! Vous, le Gouvernement, vous proposez ; nous, le Parlement, nous disposons.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 196 rectifié bis, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Le texte proposé pour l'article 231-90 du code de procédure pénale est donc ainsi rédigé.

ARTICLE 231-91 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE