PROTOCOLE SUR L'INTERDICTION
OU LA LIMITATION DE L'EMPLOI DES MINES
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 326, 1996-1997)
autorisant la ratification du protocole sur l'interdiction ou la limitation de
l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs tel qu'il a été modifié le 3
mai 1996 (protocole II, tel qu'il a été modifié le 3 mai 1996), annexé à la
convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes
classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets
traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination.
[Rapport n° 355 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des
affaires européennes.
Monsieur le président, madame le rapporteur,
mesdames, messieurs les sénateurs, le dernier texte qu'il me revient de vous
présenter aujourd'hui est le protocole II modifié annexé à la convention de
1980 sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes
classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets
traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination. Sa ratification
revêt une double signification.
L'adoption à Genève, le 3 mai 1996, du protocole modifié de la convention de
1980 constitue, d'abord, une avancée importante concernant la réglementation de
l'usage des mines antipersonnel. Le texte nouveau qui est soumis à votre
ratification intègre, en effet, des dispositions qui renforcent de manière très
significative les dispositions du protocole initial : extension de la portée du
protocole aux conflits internes ; interdiction inédite de l'emploi et du
commerce des mines antipersonnel les plus dangereuses ; première impulsion
donnée à la lutte contre la prolifération de ce type d'armes ; enfin, mise en
place de mesures de confiance et de sanctions nationales en cas de violation
des règles du protocole.
Nombre de ces dispositions en matière d'interdiction et de suivi de
l'application du protocole répondent à l'objectif que nous nous étions fixé de
bénéficier d'un outil permettant de mieux lutter contre l'usage sans
discrimination des mines antipersonnel et contre leur dissémination. Sur le
plan national, les dispositions du code pénal et du code de justice militaire
permettront, par ailleurs, de sanctionner les éventuelles violations du
protocole II modifié.
Mais, au-delà de ces progrès, l'adoption du protocole II de la convention de
1980 doit être replacée dans le contexte de l'effort de la communauté
internationale en vue de l'élimination totale des mines antipersonnel
terrestres.
La France est favorable à l'interdiction totale des mines antipersonnel
terrestres et soutient donc l'objectif de parvenir à un instrument
international juridiquement contraignant et vérifiable qui interdise dans le
monde entier la production, l'emploi, le stockage et l'exportation de ces armes
véritablement inhumaines.
Comment parvenir à ce résultat ?
En premier lieu, nous soutenons la démarche suggérée initialement par le
Canada et qui doit conduire à la conclusion et à la signature par les Etats qui
le peuvent d'un accord d'interdiction totale à la fin de l'année à Ottawa. Nous
participons actuellement à une conférence qui se tient à Bruxelles sur ce sujet
et nous participerons activement à la conférence diplomatique qui s'ouvrira à
Oslo en septembre pour négocier les termes de la future convention d'Ottawa.
En deuxième lieu, nous considérons que des négociations doivent s'ouvrir à la
conférence du désarmement à Genève. Il importe, en effet, d'inclure tous les
pays concernés, et notamment les grands producteurs et utilisateurs des mines
antipersonnel terrestres. La conférence du désarmement constitue à cet égard
l'enceinte appropriée pour dégager des solutions vérifiables et à caractère
véritablement universel.
En troisième lieu - c'est là que nous retrouvons le texte qui vous est soumis
- nous considérons qu'il doit y avoir une synergie entre les efforts déployés
en vue de parvenir à l'interdiction des mines antipersonnel terrestres.
Le protocole II qui vous est proposé aujourd'hui est, reconnaissons-le,
insuffisant. La France, à titre unilatéral, a d'ailleurs adopté depuis
plusieurs mois des mesures qui vont plus loin. Néanmoins il reste un instrument
capital pour fixer un standard du comportement minimal aux pays qui ne sont pas
prêts, à ce stade, à renoncer totalement aux mines antipersonnel terrestres. Il
constitue, en attendant la mise au point puis l'entrée en vigueur d'autres
instruments, la seule base actuelle pour limiter l'usage des mines
antipersonnel terrestres.
J'ajoute que son adoption a correspondu à une initiative française et que,
même si le texte du protocole II modifié ne répond pas à toutes nos attentes,
la longue négociation à laquelle il a donné lieu a contribué fortement à la
prise de conscience de la communauté internationale sur la nécessité absolue de
progresser davantage encore vers l'interdiction totale.
Notre espoir est que, à côté du protocole II de la convention de 1980,
viendront prendre place d'autres instruments, d'autres étapes plus
contraignantes et plus rigoureuses, allant dans le sens de l'élimination
totale. J'ai cité la convention d'Ottawa, que nous souhaitons pouvoir signer
avant la fin de l'année ; les travaux de la conférence du désarmement devraient
également permettre de compléter le dispositif par d'autres accords à caractère
universel.
Telles sont, monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs
les sénateurs, les principales observations qu'appelle le protocole II modifié,
annexé à la convention de 1980 sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi
de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des
effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, protocole
qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. le président.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Lucette Michaux-Chevry,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la question des mines antipersonnel préoccupe vivement la communauté
internationale et de nombreuses organisations non gouvernementales depuis
plusieurs années.
La France figure parmi les pays les plus soucieux de limiter l'emploi de ces
armes et d'enrayer leurs effets dévastateurs. Elle a pris, tant sur le plan
interne que sur la scène internationale, des décisions et des initiatives très
importantes en ce sens. C'est notamment elle qui est à l'origine de la révision
du protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, que
nous examinons aujourd'hui, et dont elle souhaiterait vivement renforcer les
dispositions.
Point n'est besoin d'exposer l'ampleur du problème des mines antipersonnel et
ses conséquences, en particulier sur les populations civiles.
J'ai eu la tristesse, hélas ! sur les différents théâtres d'opérations, d'en
constater les ravages, surtout sur les enfants. J'évoque, dans mon rapport
écrit, les circonstances qui ont conduit à une véritable prolifération des
mines antipersonnel à travers le monde au cours des dernières décennies et les
effets désastreux de cette situation sur la vie des pays concernés et de leurs
populations longtemps encore après la fin des hostilités.
Dans le rapport écrit figurent également les estimations les plus couramment
admises par la communauté internationale, qui illustrent l'ampleur d'un
phénomène qui touche plus de soixante pays. J'indique simplement aujourd'hui
que, selon le comité international de la Croix-Rouge, chaque mois, 800
personnes sont tuées et de 1 000 à 1 500 autres grièvement blessées par des
mines antipersonnel.
Mon rapport écrit souligne, enfin, les limites du déminage, activité lente,
fastidieuse, dangereuse et surtout coûteuse, hors de portée de nombreux
pays.
Je veux maintenant aborder plus directement le texte qui nous est soumis et
qui tente, face à ce fléau, de faire progresser le droit international.
Je rappelle, tout d'abord, que le protocole II de la convention de 1980
relatif à l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et
autres dispositifs, n'avait, à l'époque, recueilli l'adhésion que de
soixante-deux Etats. Un grand nombre de pays d'Afrique, d'Asie du Sud-Est,
d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud restent encore en dehors de cette
convention, alors qu'ils sont pourtant très concernés par ce problème.
Limité dans sa portée géographique, le protocole II l'était aussi par ses
dispositions, à bien des égards trop peu contraignantes.
Dans ces conditions, quelle appréciation peut-on porter sur le nouveau
protocole II adopté, en 1996, à l'issue de la conférence de révision ?
Notre commission des affaires étrangères a considéré que ce texte comportait
un certain nombre d'avancées positives.
Premièrement - c'est important - son champ d'application est étendu aux
conflits armés non internationaux, qui n'étaient pas couverts par le précédent
protocole.
Deuxièmement, certains types de mines antipersonnel sont désormais interdits.
L'objectif poursuivi est de proscrire les mines dites « aveugles », les mines
lâches.
Troisièmement, les prescriptions relatives à l'emploi des mines et à
l'enregistrement des emplacements sont renforcées.
Quatrièmement, le nouveau protocole aborde la question essentielle du commerce
international des mines : les parties s'engagent à ne pas transférer de mines
dont l'emploi est interdit et à ne pas transférer de mines à un destinataire
autre qu'un Etat.
Enfin, le nouveau protocole comporte diverses dispositions nouvelles, dont la
plus significative concerne la protection des missions humanitaires qui se
rendent dans les zones minées.
Aux yeux de la commission, ces avancées réelles sont toutefois atténuées par
plusieurs insuffisances.
La possibilité d'une période transitoire, pouvant aller jusqu'à neuf années,
pour appliquer les normes relatives à la détectabilité et à la neutralisation
des mines est une concession de taille obtenue par certains pays
producteurs.
L'absence de régime de vérification est une deuxième lacune.
Enfin, la principale faiblesse du nouveau protocole, comme de l'ancien, est de
ne lier qu'une soixantaine d'Etats, qui ne sont pas nécessairement les plus
concernés.
Il nous est donc apparu que le texte adopté par consensus à Genève, le 3 mai
1996, témoignait des grandes difficultés de la communauté internationale à
trouver les moyens d'endiguer l'utilisation des mines antipersonnel.
Toutefois, la conférence de révision a incontestablement constituée un très
vaste forum au sein duquel ont pu s'exprimer les multiples préoccupations
humanitaires. Même si elle a débouché sur un texte insuffisant, elle a eu le
mérite de relancer l'action internationale contre les mines antipersonnel.
Indépendamment des négociations internationales, un certain nombre d'Etats ont
d'ores et déjà pris des mesures unilatérales, qui vont très au-delà de ce
protocole. La France se situe, sur ce plan, à la tête de la lutte contre les
mines antipersonnel.
Outre ses interventions humanitaires sur les champs de mines, notamment au
travers du financement du déminage et d'ateliers de fabrication de prothèses,
elle a pris trois décisions politiques majeures : l'arrêt des exportations,
l'interdiction de la fabrication et, enfin, la renonciation à l'emploi des
mines antipersonnel, « sauf en cas de nécessité absolue imposée par la
protection de ses forces. »
L'interdiction de l'exportation et de la fabrication fait l'objet d'un projet
de loi qui a été déposé au Sénat par le précédent gouvernement et dont nous
espérons pouvoir prochainement discuter.
J'ose espérer que nous pourrons aller très loin en ce domaine. Hélas ! il
n'est qu'à voir ce qui s'est passé ce matin à la conférence internationale de
Bruxelles sur l'interdiction des mines antipersonnel, où notamment les
Etats-Unis - pays gros producteur - la Chine, la Russie, le Pakistan ne sont ou
ne seront présents qu'à titre d'observateurs, pour se convaincre que le chemin
à parcourir pour arriver à ce que nous souhaitons tous, à savoir l'interdiction
totale, est encore long.
Je ne doute pas, cependant, que la France, pays de la défense des droits de
l'homme et de la protection des individus, aura le souci de continuer son
action exemplaire.
Malgré la prise de conscience par la communauté internationale des effets
dévastateurs des mines antipersonnel, surtout sur les populations civiles, les
parties réunies à Genève n'ont pu s'accorder sur un texte qui soit à la hauteur
de la gravité et de l'ampleur du problème posé.
Cette révision a constitué, toutefois, une étape positive dans le contexte
international. Voilà pourquoi la commission des affaires étrangères, tout en
déplorant certaines lacunes importantes, a décidé de recommander l'adoption de
ce projet de loi, qui constitue un premier pas vers l'interdiction totale de
l'emploi des mines antipersonnel.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
«
Article unique.
- Est autorisée la ratification du protocole sur
l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et autres
dispositifs tel qu'il a été modifié le 3 mai 1996 (protocole II, tel qu'il a
été modifié le 3 mai 1996) annexé à la convention sur l'interdiction ou la
limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être
considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme
frappant sans discrimination, fait à Genève, le 3 mai 1996, et dont le texte
est annexé à la présente loi. »