EMPLOI DES JEUNES
Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale, après déclaration d'urgence, relatif au développement d'activités
pour l'emploi des jeunes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Huguet.
M. Roland Huguet.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis
plusieurs années, ce sont environ 600 000 jeunes de moins de vingt-cinq ans qui
sont touchés par le chômage, ce chiffre demeurant stable malgré tous les
dispositifs d'aide à l'insertion dans le monde du travail et à la formation mis
en place en leur faveur.
Le faible niveau de qualification influe fortement aussi sur la durée du
chômage.
Dans mon département, ce sont plus de 33 000 demandeurs d'emploi qui ont moins
de trente ans !
Quel terrible constat !
Le système économique a connu, il est vrai, de profonds bouleversements. La
croissance a changé de nature. Nous entrons, par exemple, dans un nouveau cycle
d'équipement des ménages. La majorité des besoins « de base » se trouvent
satisfaits. C'est pourquoi les perspectives à attendre sont plutôt celles d'un
renouvellement, qui ne permettra malheureusement pas un développement massif
d'emplois dans les entreprises.
En revanche, nous voyons apparaître régulièrement des besoins collectifs
nouveaux, totalement insatisfaits pour certains ou insuffisamment pris en
compte pour d'autres, malgré les initiatives locales déjà développées.
Face à cette situation, il nous faut faire preuve d'imagination et d'audace,
ce que vous faites, madame la ministre.
Ce plan est en effet le premier signe fort en direction des jeunes, face à
leur crainte devant l'avenir, et c'est aussi d'un moyen de prévenir
l'isolement, l'exclusion et le risque de délinquance que nous débattons
aujourd'hui.
Il sera, je l'espère, complété par un second volet porté, lui, par les
entreprises, avec l'aide de l'Etat, pour 350 000 jeunes de plus.
L'enjeu du texte que nous examinons est simple. Nous avons tous conscience
qu'il existe des besoins locaux, sociaux, insatisfaits. Vous le savez bien, mes
chers collègues, tous les maires, tous les élus de terrain disent que les
besoins de services existent, et qu'ils ne peuvent y répondre, car ils ne sont
pas solvables dans l'immédiat. Ce sont les expériences mises en place qui
démontrent la réalité de ces besoins et la forte attente des bénéficiaires.
Mais ces activités ne permettent pas d'accéder à une réalité de métiers
définis, reconnus, encadrés, parce qu'elles ne peuvent pas être pérennisées.
Mes chers collègues, en apportant - c'est sans précédent - un financement
forfaitaire d'activité sur cinq ans équivalent à 80 % du SMIC, charges
comprises, par emploi créé pour la mise en place de ce plan, l'Etat entend
mettre en place bien autre chose qu'un nouveau système de traitement social du
chômage. Il veut offrir aux jeunes de vrais emplois correspondant à de vrais
besoins, s'inscrivant dans la durée par un véritable contrat de travail de
droit privé à durée indéterminée ou déterminée de cinq ans au moins.
Ce projet permettra de rendre la vie collective productrice de services
nécessaires à tous et créatrice d'emplois. C'est le projet de ce plan
emploi-jeunes.
C'est une nouvelle logique qui fait appel à l'imagination et au savoir-faire
des acteurs de terrain pour repérer les besoins, construire les réponses aux
attentes, définir des profils de postes nouveaux.
Elle fait appel à l'expérience des collectivités, à la responsabilisation des
citoyens, au dynamisme du monde associatif, à une réelle mise en synergie des
volontés de tous ceux qui oeuvrent, jour après jour, pour que la vie de chacun
soit plus facile, en mettant l'emploi au coeur d'un nouveau dispositif simple,
souple et, j'en suis sûr, efficace.
Le projet répond à une attente forte et constitue un espoir.
En aucun cas les emplois offerts ne se substitueront à des emplois existants.
Il s'agit de créer de nouveaux métiers, les métiers de demain, qui pourront
donner lieu - qui devront donner lieu ! - à des grilles de qualification et
générer des formations adaptées.
Le Gouvernement n'entend pas supprimer les dispositifs existants pour financer
ce plan, qui ne s'adresse qu'à une seule tranche d'âge. Les engagements sont
clairs : les contrats emplois consolidés, les CEC, sont maintenus, de même que
le sont les CES, en 1998, au nombre atteint en 1997, tout en étant recentrés
sur les publics prioritaires.
C'est pourquoi il s'avérera particulièrement important, dans les projets qui
seront élaborés, que des emplois puissent être offerts à tous les types de
publics, du niveau VI au niveau II ou I. Les acteurs devront être incités à
faire preuve d'imagination dans la construction des projets et il est important
qu'en raison de l'aspect novateur de la démarche l'Etat ou d'autres partenaires
publics puissent leur apporter une aide en matière d'ingénierie.
S'inscrivant dans la durée, ce plan offre aux jeunes qui seront concernés le
moyen de devenir des acteurs à part entière de la société dont, pour le moment,
ils se sentent isolés, voire de plus en plus exclus.
Mais l'inquiétude est forte quant au devenir de cette action. Au bout des cinq
ans, lorsque l'Etat ne prendra plus en charge 80 % du financement, que se
passera-t-il ?
La durée prend là, à mon avis, tout son sens. Les jeunes disposeront ainsi de
temps pour s'adapter à l'emploi, recourir à une formation tout au long du
parcours les amenant à une véritable reconnaissance professionnelle.
Les employeurs potentiels existent. Ces cinq ans permettront de faire la
preuve de la nécessité de pérenniser ces nouveaux métiers, qui deviendront
rapidement indispensables à tous. Ces cinq ans permettront de rechercher les
modalités de leur solvabilisation.
Cet objectif sera clairement affiché par les conventions conclues avec le
représentant de l'Etat, qui retiendront des objectifs de qualification, qui
fixeront les conditions de formation professionnelle et les formes d'un
tutorat.
Mais le texte qui nous est soumis comporte également un certain nombre
d'ouvertures vers l'emploi marchand.
Il s'agit, tout d'abord, de l'encouragement à la création d'entreprise par les
jeunes, notamment les diplômés. Nous savons tous que le manque d'initiative
dans ce domaine constitue une véritable faiblesse de notre économie. L'avance
remboursable et l'accompagnement de la création ou de la reprise d'entreprise
sur une durée de trois ans est une nouvelle avancée, une incitation en
direction des jeunes à entreprendre et, ainsi, à créer des richesses.
Il s'agit également de l'ouverture du contrat emploi-solidarité vers le monde
de l'entreprise, en permettant son cumul avec un emploi à mi-temps préparant à
la sortie vers le secteur marchand.
Ces deux éléments marquent la volonté forte de sortir de la logique de
l'emploi précaire et des « petits boulots ».
Outre la possibilité de cofinancement des collectivités territoriales, des
établissements publics ainsi que de toute autre personne morale de droit public
ou de droit privé, ce projet prévoit l'engagement des régions, dans le cadre de
leurs compétences, et d'autres personnes morales à l'effort de formation.
Le projet permet, enfin, une contribution limitée à la création d'un poste de
travail occupé par un bénéficiaire du revenu minimum d'insertion sur les
crédits d'insertion du département.
Là est également l'enjeu. Si nous voulons que ce plan novateur, original,
réussisse, il est absolument nécessaire que les acteurs publics se mobilisent
pour impulser le dispositif, accompagner la démarche, soutenir l'effort par le
cofinancement.
Je prendrai l'exemple de mon département.
Ce sont plus de 26 000 jeunes qui peuvent être concernés par ce plan, dans un
département de 1 435 000 habitants où le taux de chômage des jeunes varie,
selon les bassins d'emploi, de 22,9 % à 27,9 %.
Le Pas-de-Calais est un département fortement touché par la conversion
industrielle des dix dernières années et par le chômage, dont quarante-six
quartiers ont été retenus au titre du Pacte de relance pour la ville, un
département dont plus de 80 % des communes ont un potentiel fiscal inférieur à
la moyenne nationale, parfois même à la moitié de cette moyenne, comme les
villes du bassin minier, mais c'est aussi un département où la vie associative
est une tradition fortement ancrée, en résonance avec l'esprit de solidarité
qui anime sa population.
Le président du conseil général que je suis voit dans ce plan un profond
changement de méthode et d'approche, une innovation dans le traitement qui
conduira à renforcer une démarche d'analyse, d'expertise, d'intelligence et de
complémentarité dans le montage et l'agrément des projets.
Je ressens aussi les attentes fortes des jeunes, qui perçoivent ce plan comme
un espoir, une chance à saisir. Ils connaissent déjà la mobilisation et les
premiers résultats des expériences déployées depuis plus de deux ans dans notre
capitale régionale, madame la ministre. Ils sont impatients de voir démarrer et
de démarrer avec nous ce nouveau dispositif.
J'ai rencontré de très nombreux maires de mon département qui sont
sensibilisés à cette mesure, qui veulent s'impliquer dans sa mise oeuvre. Ils
demandent à être accompagnés en raison des situations financières de leurs
communes, que j'évoquais antérieurement. C'est pourquoi il aurait peut-être été
souhaitable de tenir compte de ces difficultés en modulant ou, mieux encore, en
« péréquant » la part restant à charge et en ne la fixant donc pas uniformément
à 20 %, évitant ainsi de charger celles de ces communes qui ont déjà le plus de
mal sur le plan budgétaire.
Par ailleurs, peut-être l'utilisation des crédits d'insertion paraît-elle
limitée. N'aurait-il pas été envisageable d'amplifier l'aide et de l'étaler
dans le temps, l'accompagnement permettant, de ce fait, une plus forte
mobilisation ?
Cependant, au-delà de ces remarques, je proposerai, dès la publication de la
loi, à mon assemblée départementale du Pas-de-Calais de s'impliquer fortement
dans ce dispositif, tout d'abord en versant un complément de 5 % à l'aide de 80
% de l'Etat pour 1 540 emplois - voire de 10 % s'il s'agit du recrutement d'un
bénéficiaire du RMI la première année - ensuite en recrutant très directement
500 jeunes dans le dispositif.
Mais il ne s'agit pas de faire du « chiffre ».
Un accompagnement adapté permettra de faire émerger des projets dans des
domaines très variés, en ouvrant le droit à l'expérimentation. Il s'adressera à
l'ensemble du public concerné, quel que soit son niveau de qualification, en
veillant à donner leur chance aux jeunes, filles et garçons, les plus en
difficulté, notamment ceux qui bénéficient du RMI. Il s'attachera à couvrir
l'ensemble du territoire départemental, tant dans les espaces urbains que dans
les territoires ruraux, qui ont besoin de structuration de services en faveur
du public.
Les gisements d'emplois sont très larges et vont, bien sûr, au-delà des
vingt-deux exemples dont on a tant parlé.
La gestion du patrimoine et de l'environnement, l'entretien de l'espace rural,
le domaine social, notamment l'accompagnement des personnes âgées, les
activités périscolaires, l'animation sportive, l'approche des nouvelles
technologies de la communication, dont parlait M. Chérioux ce matin,
l'animation culturelle, la sécurité : voilà quelques exemples de champs qui
s'avéreront porteurs.
En ce qui nous concerne, nous avons d'ores et déjà recensé vingt-sept
catégories de postes qui répondent aux trois conditions que vous avez évoquées
ce matin, madame la ministre, au moins très bien pour les deux premières. Quant
à la dernière condition, la pérennisation, peut-être la plus difficile, je
susciterai de mon assemblée départementale un engagement financier sensible, et
ce malgré une situation de trésorerie tendue, comme dans la plupart des
départements.
C'est environ 25 millions de francs en année pleine qu'il nous faudra pour
mettre en place ce dispositif.
Je pense, madame la ministre, que vous promouvez avec ce dispositif un
engagement sur la durée débouchant nécessairement sur le renforcement de la
demande mais aussi vers la solvabilisation. L'acceptation du paiement d'une
rémunération pour ces services nouveaux et donc leur pérennisation et leur
professionnalisation s'imposera, je le sais.
Toutefois, madame la ministre, pour faciliter la pérennisation, peut-être
faudra-t-il concevoir, après la troisième année - vous serez encore là ; nous
pourrons donc en reparler, même si aucun amendement en ce sens n'a été déposé
aujourd'hui - une dégressivité de l'aide et son étalement dans le temps ?
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Très bien !
M. Roland Huguet.
Pourquoi ne passerait-on pas de 80-20 pour les trois premières années à 60-40
pour la quatrième année, puis à 40-60 pour la cinquième et à 20-80 pour les
trois dernières - soit l'inverse d'aujourd'hui - à savoir 20 % pour l'État et
80 % pour l'employeur ?
Un système étalé sur huit années présenterait trois avantages : il n'y aurait
pas d'augmentation de dépenses pour l'État ; elles seraient étalées dans le
temps ; les employeurs y gagneraient en facilités. Certes, cela ferait huit
ans, au lieu de cinq, mais tout le monde souhaite la pérennisation de ces
emplois.
M. Jean Delaneau.
Jusqu'à la retraite !
M. Roland Huguet.
Pourquoi pas !
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Huguet, d'autres orateurs de votre groupe sont
inscrits dans la discussion générale.
M. Roland Huguet.
Avec un contrat de huit ans au lieu de cinq, le caractère pérenne du système
est renforcé tout en présentant des facilités pour les employeurs.
Avec ce texte, mes chers collègues, aidant à la création d'emplois nouveaux,
répondant aux besoins non satisfaits de la société, nous engageons les jeunes à
devenir les acteurs du développement économique et de la construction d'une
nouvelle société.
Le Gouvernement s'engage avec la jeunesse de la France. Il lui offre une
nouvelle forme d'intégration dans le monde du travail, dans la société.
Dès lors, mes chers collègues, comment refuser d'impliquer toute notre
volonté, de mobiliser toutes nos forces pour répondre à l'enjeu, pour relancer
l'économie, pour dynamiser la société, pour, enfin, sortir notre jeunesse du
désespoir dans lequel le chômage l'a plongé ?
Il est de notre devoir d'approuver ce texte pratiquement en l'état, sans trop
l'amender, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, et
de tout faire pour le mettre en oeuvre rapidement.
M. le président.
Veuillez conclure, je vous prie, monsieur Huguet !
M. Roland Huguet.
Nous n'avons pas le droit de décevoir tous ceux qui attendent : telle était la
conclusion de plusieurs de nos collègues, ce matin.
Pour ma part, j'en ajouterai une autre. A Sophia-Antipolis, voilà une dizaine
de jours, j'entendais notre président, M. René Monory, dire : « Il faut savoir
vaincre les résistances anciennes ; il faut aller de l'avant ; il faut faire en
sorte d'avoir de l'audace ». Eh bien, ce projet de loi répond à ses souhaits
!
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du R.D.S.E.)
M. le président.
La parole est à M. Vergès.
M. Paul Vergès.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'accueil fait
au plan emploi-jeunes à la Réunion est très révélateur de la gravité du
problème du chômage, de l'urgence des solutions à mettre en oeuvre et de la
spécificité de la situation réunionnaise.
Tout d'abord, il a éveillé un immense espoir parmi les jeunes chômeurs qui ont
été des milliers à se précipiter dans les ANPE ou au rectorat.
En même temps, il a agi comme un « détonateur » et a donné lieu à des
manifestations significatives dans diverses communes de l'île et
particulièrement à Saint-Denis où des groupes de jeunes expriment leur
frustration légitime, leur impatience et leur inquiétude. Depuis plusieurs
jours, des mairies annexes sont occupées par les jeunes qui manifestent leur
volonté de voir leur situation réglée concrètement et rapidement.
Tout cela montre à la fois l'importance que revêt ce plan emploi-jeunes mais
aussi ses limites : importance, car la perspective d'un nombre significatif
d'emplois dans les cinq ans à venir représente une éclaircie dans une société
où le RMI ou les CES sont trop souvent la seule perspective pour des jeunes
poussés à l'assistanat, au désespoir ou à la révolte ; limites, car il est
évident que les emplois-jeunes ne suffiront pas à régler le problème du
chômage.
Mme Hélène Luc.
C'est certain !
M. Paul Vergès.
En effet, en premier lieu, le nombre d'emplois créés restera insuffisant par
rapport au nombre de demandeurs. En deuxième lieu, les trois quarts des
chômeurs à la Réunion ne sont pas éligibles au dispositif ; environ 25 000 sur
112 000 le sont. D'ailleurs, parmi les jeunes qui manifestent actuellement,
nombreux sont ceux qui ont plus de vingt-six ans ou plus de trente ans. En
troisième lieu, comment gérer la sortie des emplois-jeunes au terme des cinq
ans ? Nous devons d'ores et déjà anticiper ce rendez-vous pour éviter ce qui
pourrait être un « effet boomerang ».
Que l'on apprécie l'apport particulièrement positif de ce plan emploi-jeunes
ou que l'on en souligne les limites, une chose est acquise : le problème du
chômage est désormais au centre du débat, à tous les niveaux de la société
réunionnaise. C'est le problème central et dominant.
Cette prise de conscience s'est affirmée, notamment en 1992, après les
événements du Chaudron, avec l'élaboration d'un plan de développement global,
le plan de développement actif, qui jetait d'ailleurs, dès cette époque, les
bases pour le développement d'emplois nouveaux dans le secteur non
concurrentiel. Conscientes de l'enjeu, l'ensemble des forces socio-économiques
avaient participé à son élaboration.
Une donnée est spécifique : à la Réunion, les chômeurs ont décidé de
s'organiser et de se regrouper en comités. La manifestation du 4 février 1997,
à Saint-Denis, de milliers de chômeurs, est considérée comme l'acte de
naissance de ce qu'il est convenu d'appeler le « mouvement » des chômeurs de la
Réunion. Aujourd'hui, sollicités pour présenter des projets, ils sont des
interlocuteurs incontournables - comme on dit - sur le problème qui les
concerne.
Selon les derniers chiffres connus, le nombre de chômeurs atteint 112 000,
soit 40 % de la population active. Les chômeurs de la Réunion sont la première
force sociale du pays, une force de plus en plus organisée.
Cette force ne peut que croître. Chaque année, 10 000 jeunes arrivent sur le
marché du travail alors que, dans les meilleures conjonctures, de 3 000 à 4 000
emplois nets sont créés. Ce sont donc 6 000 à 7 000 personnes supplémentaires
qui viennent grossir chaque année le nombre des chômeurs.
Cette évolution, due à la progression démographique, se poursuivra encore
durant près de trois décennies. La Réunion, dont la transition démographique
est en cours, passera de 600 000 habitants en 1990 à 1 million en 2025. Si la
France devait « encaisser » - si je puis dire - chaque année l'arrivée de 600
000 chômeurs supplémentaires et que sa population devait atteindre 100 millions
d'habitants dans moins de trente ans, tous les problèmes posés actuellement,
notamment celui du chômage, le seraient dans des termes et avec des
perspectives totalement différents.
Cette situation ne laisse donc à la Réunion aucun sursis. Quelles réponses
massives apporter au chômage dans une île qui cumule les problèmes des pays
développés - un chômage structurel découlant de la mutation économique actuelle
- et ceux des pays en voie de développement avec le poids de la croissance
démographique ? Nous pensons qu'aucune piste ne doit être négligée. Si tous les
efforts doivent être faits pour réussir le plan emploi-jeunes, dans le même
temps, nous devons engager la Réunion dans une véritable dynamique de
développement, adaptée à notre situation originale et véritablement créatrice
de richesses et d'emplois.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Très bien !
M. Paul Vergès.
S'agissant du plan emploi-jeunes, les conditions sont réunies pour sa réussite
à la Réunion.
Du fait de l'ampleur du chômage, la réflexion pour le développement d'une
économie « alternative » à l'économie concurrentielle a débuté en effet à la
Réunion depuis plusieurs années, avec l'élaboration du plan de développement
actif. Les besoins du pays, les secteurs correspondant à des emplois sont déjà
identifiés. On peut distinguer cinq domaines prioritaires : l'environnement, la
culture, le sport, l'éducation avec les actions de soutien scolaire et la
coopération régionale.
Nous avons pris bonne note de l'esprit de vos déclarations, madame la
ministre, esprit selon lequel le nombre d'emploi-jeunes sera fonction du nombre
et de la qualité des projets présentés. Les comités de chômeurs de la Réunion
ont déjà à coeur de relever ce défi.
Pour aider à la concrétisation des projets présentés, il serait souhaitable,
madame la ministre, de dépêcher à la Réunion un expert qui participerait à
l'ingénierie et à l'expertise des projets existants. Compte tenu des réelles
potentialités d'une montée en puissance du plan emploi-jeunes à la Réunion et
de l'importance du chômage dans les départements d'outre-mer, la Réunion
pourrait ainsi se positionner comme un « site pilote ».
Mais, répétons-le, nous devons rester lucides : quelle que soit la réussite du
plan emploi-jeunes, il ne suffira pas à régler le problème du chômage.
Or la Réunion est loin d'avoir épuisé les capacités de développement de
l'économie concurrentielle, sur le plan tant de la conquête de parts de marchés
à l'intérieur que de l'exportation.
Le développement de la Réunion ne pourra prendre corps que s'il s'inscrit dans
une vision stratégique pertinente. Il reposera sur la capacité à s'insérer dans
son environnement géo-économique.
La Réunion se trouve en effet positionnée au coeur de l'océan Indien, zone en
pleine mutation avec notamment l'émergence de la puissance indienne et le fort
dynamisme de l'axe d'échanges entre les pays de l'Afrique australe et ceux de
l'Asie du Sud-Est. Du fait de son statut européen, de la qualité de ses
infrastructures, de ses moyens de communication, de son niveau de formation, la
Réunion ne manque pas d'atouts et peut trouver sa place dans le concert des
échanges dans la zone. Pour cela, il faut une volonté politique et une
réorientation des flux financiers vers le développement.
L'objectif du développement clairement fixé, les réformes nécessaires peuvent
être engagées pour que puisse s'exprimer la solidarité interne, en complément
de l'indispensable solidarité nationale. Il faut qu'un véritable partenariat
entre le Gouvernement, les collectivités locales et les acteurs
socio-économiques puisse se nouer autour d'un projet de développement reflétant
une véritable ambition.
Dans cet esprit, la France et l'Europe doivent prendre plus conscience de
l'atout que représentent les départements et territoires d'outre-mer. Grâce à
eux, l'Europe est le seul regroupement continental à dimension planétaire. Une
loi programme pour la Réunion traduirait cette ambition politique. Ouvrant la
voie au développement, elle constituerait principalement le volet économique
complétant le plan emploi-jeunes.
Je voudrais exprimer en conclusion un espoir : le plan emploi-jeunes est, à
nos yeux, une première réponse à l'urgence et à la détresse sociale dans
laquelle est plongée une grande partie de la jeunesse et de la population
réunionnaise.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, doit-on
apprendre à pêcher ou apporter le poisson ? Le texte que nous examinons
aujourd'hui tend à privilégier le second terme de l'alternative. Je le dis car
cela est ma conviction au regard des dispositions proposées et non le résultat
d'une vision manichéenne qui consiste à rejeter systématiquement ce qui n'émane
pas de sa mouvance. En ce qui me concerne, choisir entre le coeur et la raison,
c'est le jugement de Salomon, à savoir une décision impossible à prendre.
Le projet de loi déposé procède de syllogismes bien connus où la majeure et la
mineure, prises isolément, sont des propositions fondées, mais dont la
conclusion est une contrevérité. Je n'irai pas jusque-là.
Avant de parler du dispositif, il convient de poser la vraie question : ce
plan aide-t-il réellement les jeunes à bâtir un avenir professionnel ?
Les modalités de sortie ne sont pas claires parce que le spectre de la
précarité continue à planer, fût-il repoussé à cinq ans.
Le chômage des jeunes, chacun d'entre nous ici peut y mettre des noms et des
visages. Au niveau national, ce sont 600 000 Français de moins de vingt-cinq
ans qui espèrent autre chose de l'existence que des petits boulots. Lorsqu'on
parle avec eux, et avec leur famille, on comprend qu'ils sont certes prêts à
saisir toute offre quelle qu'en soit la durée. Mais est-ce une raison pour ne
leur proposer qu'un avenir « à durée déterminée » ? Ils attendent autre chose
de la société dont nous sommes les acteurs et les décideurs politiques.
Le passage du témoin d'une génération à l'autre se fait mal. Si deux classes
d'âge cohabitent si longtemps sous le même toit, c'est bien en raison des
difficultés matérielles à assurer une indépendance qui fait refuser certaines
responsabilités. Il faut convenir que cette frilosité au stade individuel se
traduit, également, par un repli dans le comportement du citoyen.
Ce plan de création de 350 000 emplois nouveaux, en trois ans, dans le secteur
public et associatif, assorti d'un investissement de 35 milliards de francs par
an est sans nul doute un objectif ambitieux, servi par des moyens accordés.
Permettez-moi toutefois, madame le ministre, de douter qu'il débouche bien sur
des emplois définitifs et solvables, selon vos propres termes. Je m'en
explique.
Prenons l'exemple du ministère de la justice, qui annonce la création de 3 000
postes. Les recrutements concerneront des jeunes déjà formés aux tâches
administratives et sociales, des juristes ayant le niveau de la maîtrise, des
diplômés en lettres et des bacheliers. De deux choses l'une : ou bien il y a de
réels besoins en personnel à la chancellerie et des concours doivent être
ouverts pour pourvoir les postes vacants ou à créer, ou bien on fabrique du
sureffectif ! Or, tous les élus sont alertés par les présidents des instances
judiciaires départementales sur les insuffisances en matière de personnel dans
les tribunaux.
La démonstration est également valable pour les secteurs de l'éducation et de
la santé.
Tout d'abord, ces embauches s'adressent à des jeunes ayant déjà une formation,
au moins générale, alors que les grandes difficultés concernent ceux qui sont
sortis trop tôt et mal du système scolaire.
Par ailleurs - et je pense plus particulièrement à l'éducation nationale - je
relève l'incompréhension de ceux qui attendent un poste, comme les maîtres
auxiliaires ayant plusieurs années d'ancienneté dans leur profession, quand ils
entendent que 75 000 emplois seront créés par leur ministère de tutelle.
Dans les domaines que je viens de citer, et qui sont spécifiquement de la
compétence de l'Etat, il me semble qu'une fonction publique en effectif
suffisant pour assurer un service hospitalier humain et compétent, pour que la
justice soit rendue dans des délais raisonnables et pour que le système
éducatif soit adapté à son environnement ne serait pas perçue comme un luxe.
Les critères de convergences et les ratios retenus pour les déficits publics ne
doivent pas être des écrans.
Ma crainte est qu'à terme on ne dresse pour ce dispositif le même constat que
celui qui a été établi lors du rapport d'étape de la loi instituant le revenu
minimum d'insertion. L'allocation s'est pérennisée, mais le terme « insertion »
n'est que la survivance d'une intention louable. Dans l'esprit des auteurs et
du législateur, il s'agissait pourtant d'une aide matérielle temporaire
accompagnant un encadrement visant à une réintroduction dans le système
social.
J'ai peur que, avec le projet de loi aujourd'hui en discussion, on ne se
retrouve avec des emplois temporaires, qui viendront allonger la liste des CES
et autres contrats. On se demande bien pourquoi d'ailleurs les CIP ont été
repoussés comme une incongruité, alors que leur niveau de rémunération était
pourtant supérieur à ce qui nous est proposé aujourd'hui.
Je m'interroge aussi sur les effets de glissements induits. Tout d'abord,
certains chiffres évaluent à 100 000 les emplois menacés par l'entrée en
vigueur du dispositif examiné.
Par ailleurs, aucune charge, fiscale et parafiscale, ne viendra frapper les
créations d'emploi du plan exposé. Très bien ! Mais alors, pourquoi, dans le
même temps, réduit-on la déduction d'impôt accordée pour les emplois familiaux
? On sait que, de ce fait, nombre de foyers seront dans l'obligation de
renoncer à ces emplois. Outre la perte en effectifs salariés qu'elle
engendrera, cette opération va se solder par une recrudescence du travail non
déclaré. Il n'aurait pas fallu modifier ce qui donnait satisfaction aux parties
en cause. Pour les contractants, c'était un moyen de concilier vie familiale et
vie professionnelle, travail de proximité et revenu supplémentaire, couverture
sociale et charges supportables.
Qu'il faille aborder le xxie siècle avec un esprit neuf pour tenir compte des
mutations que, pour bien faire, il serait nécessaire d'anticiper, j'en
conviens. Toutefois, placer toute la mise sur cette seule case semble bien
risqué. J'aurais préféré répartir les chances en multipliant les pistes et
développer ce qui est porteur.
C'est le cas des structures de partenariat.
En qualité de collectivité territoriale, la Haute-Saône a mis en place avec
l'Etat, la région et les entreprises locales une antenne de l'université de
Franche-Comté dans le chef-lieu du département. Plusieurs disciplines sont
enseignées dans cette IUT qui s'enrichit d'année en année de nouvelles
spécialités. Chaque promotion est quasiment assurée de son entrée dans le monde
du travail dès l'obtention de son diplôme de fin de cycle.
Cette démarche pragmatique pourrait valablement s'appuyer sur les constats et
les recommandations d'un observatoire départemental de l'emploi. L'outil, au
contact des réalités, du terrain, à l'écoute des acteurs, permettrait une
adaptation constante des orientations et apporterait des réponses adéquates.
Les décalages observés entre l'offre et la demande seraient ainsi gommés.
La commission des affaires sociales s'est prononcée, après l'avoir amendé, en
faveur du texte que vous défendez, madame le ministre. Je ne peux m'y résoudre,
pour les raisons que je viens d'exposer, mais je ne m'y opposerai pas non plus
: trop de situations sont dramatiques pour renoncer au soulagement momentané
que ce texte procurera.
Et puis, d'autres textes nous disent que si un seul est sauvé, l'expérience
vaut d'être tentée ! Gageons que, sur la masse, subsisteront bien quelques
engagements à durée indéterminée.
Toutefois, le dispositif devra être complété par le volet traitant du secteur
privé, dont j'espère que nous aurons à débattre très prochainement, madame le
ministre.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt.
Ça m'étonnerait !
M. le président.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, « tout a été
essayé ». C'est en ces termes que François Mitterrand, à la fin de son premier
septennat, jugeait les dispositifs d'aide à l'emploi, mis en place par les
gouvernements successifs.
Or le nombre des chômeurs, notamment des jeunes, n'a cessé d'augmenter,
passant de 1,5 million en 1981 à 3,2 millions aujourd'hui, dont 600 000 jeunes
de moins de vingt-cinq ans.
Après tant d'années, on aurait pu penser que la leçon serait enfin retenue. Il
n'en est rien.
Bien au contraire, le plan que vous présentez, madame le ministre, est le
neuvième de ce type depuis 1977. Il annonce la création de 350 000 emplois dans
le secteur public et associatif et de 350 000 emplois dans le secteur privé, le
présent projet - et je souligne la modestie de son intitulé : « création
d'activités pour l'emploi des jeunes » - ne concernant que les premiers.
Beaucoup moins modeste sera le coût de ce nouveau dispositif puisque, avec une
subvention d'Etat s'élevant à 80 % du SMIC pour une durée de cinq ans, il sera
beaucoup plus avantageux que les précédents, qu'il s'agisse des contrats
emploi-solidarité ou du contrat initiative-emploi.
Ainsi, un coût global de 35 milliards de francs par an à partir de 1999
viendra s'ajouter aux 150 milliards de francs déjà consacrés aux aides à
l'emploi, avec le succès que l'on sait.
Cette décision de créer 350 000 emplois dans la « sphère publique » est la
dernière variante de la politique de traitement social du chômage conduite par
les pouvoirs publics.
Faute de vouloir s'attaquer aux causes du chômage, le Gouvernement tente d'en
atténuer les effets.
Cette politique est inefficace, elle est ruineuse. Et elle doit céder la place
à un véritable traitement économique global du chômage.
D'ailleurs - je l'ai noté avec une grande satisfaction - ce jugement est
partagé par l'un de nos collègues du groupe socialiste, et je ne saurais que
recommander la lecture de son dernier livre :
Droit au travail.
Il
s'agit en effet d'un authentique et remarquable plaidoyer en faveur d'une
politique de libération des énergies.
Il est établi que les pays qui ont les taux de prélèvements obligatoires et de
dépenses publiques les plus élevés sont aussi ceux qui ont les taux de chômage
les plus élevés, et inversement.
Nul n'ignore, en effet, qu'il existe deux types d'emplois : d'une part, les
emplois « marchands », qui sont producteurs de richesse, dans les entreprises,
et qui se financent eux-mêmes ; et, d'autre part, les emplois « publics », qui
répondent à des besoins de la société et qui, n'étant pas créateurs de
richesses, sont financés par des prélèvements effectués sur la valeur ajoutée
créée par les emplois marchands. Leur nombre est déjà excessif en France : près
de 25 % des salariés français sont, directement ou indirectement, au service
des pouvoirs publics. C'est plus qu'en Italie, pays pourtant réputé pour
l'omniprésence de son administration !
Leur financement par l'impôt est le premier responsable de notre incapacité à
créer des emplois marchands nouveaux.
Or, seuls acteurs économiques à pouvoir créer des emplois productifs, les
entreprises n'embauchent que si leur volume d'activité le justifie.
En période de « vaches maigres », ce n'est évidemment pas le cas. A cela
s'ajoutent deux handicaps propres à la France : un coût du travail relativement
élevé et de fortes rigidités dans les comportements sociaux.
Mes chers collègues, il n'est plus permis d'en douter : le problème de
l'emploi en France ne résulte pas de plans d'aide publique qui auraient été mal
calibrés. Il a pour origine des agents économiques démotivés, des ménages
appauvris et des entreprises qui n'investissent pas et qui n'embauchent pas, du
fait d'impôts trop élevés et de réglementations excessives.
A cet égard, comment ne pas dénoncer la logique confiscatoire de l'Etat le
plus cher du monde ? Les dépenses publiques accaparent 55 % de la richesse
nationale, au lieu de 30 % à 40 % dans le monde asiatique ou anglo-saxon et
moins de 50 %, en moyenne, dans les pays d'Europe. Or, dix points de PIB de
différence, cela représente une perte de 800 milliards de francs pour
l'innovation, pour la croissance et pour l'emploi ! La guillotine fiscale
ampute les entreprenants de leurs moyens de créer de la richesse au bénéfice de
tous.
Nous sommes bien obligés de constater que ce plan ne fera qu'accentuer le
déséquilibre entre le secteur public et le secteur privé, en alimentant le
cercle vicieux des dépenses publiques, des déficits, des impôts et du
chômage.
Une fois de plus, vous segmentez le problème du chômage. En donnant la
priorité aux jeunes, vous ne faites que changer l'ordre dans la file d'attente,
rien de plus.
En effet, les contrats ouverts aux jeunes de dix-huit à vingt-six ans ne
feront, pour la plupart, que chasser les contrats préexistants, au détriment
des autres catégories plus âgées ou des jeunes les moins qualifiés.
Un père de famille a-t-il moins besoin d'un emploi qu'un jeune de vingt ans ?
En effet, 25 % des plus de cinquante ans sont à la recherche d'un emploi !
Pire, le dispositif proposé est dangereux pour l'évolution des mentalités, car
il accrédite l'idée que l'obtention d'un emploi dépend davantage de sa tranche
d'âge et d'un guichet d'administration que de la rencontre, sur le marché du
travail, de ses compétences avec un besoin.
En outre, qui peut croire que les nouvelles activités - en l'occurrence,
parler de « métiers » serait un abus de langage - proposées par le Gouvernement
- agents de veille sur les bruits, médiateurs du livre, gardien de la mémoire
vivante notamment - représentent une véritable perspective d'avenir pour les
jeunes ?
Il est, par conséquent, manifeste que l'Etat sera incapable de valoriser le
travail de ces jeunes sans véritable statut. Par exemple, que fera-t-il des 40
000 jeunes que le ministre de l'éducation nationale veut recruter pendant les
quatre mois où les lycées, collèges et écoles seront fermés ?
Enfin, dans cinq ans, la suppression de la subvention à 80 % entraînera
mécaniquement la disparition de la plupart des emplois correspondants. Mon Dieu
! que de désillusions en perspective.
En effet, comment, déjà, ne pas être inquiets des effets d'annonce qui
entourent la création de ces « emplois » pour les jeunes ?
A en juger par le nombre des candidatures déjà déposées auprès de certains
ministères - elles sont, dans certains cas, quatre fois supérieures au nombre
de postes proposés - on peut se demander si le Parlement sert encore à quelque
chose, car, dans l'opinion, tout se passe comme si la loi était déjà votée !
Plus inquiétante encore est la déception qui ne manquera pas de s'emparer des
jeunes dont la candidature n'aura pas été retenue.
Oui, madame le ministre, votre dispositif est une bombe à retardement, une
pompe à alimenter le désarroi de la jeunesse, une machine à fabriquer des
aigris et des exclus. Mais, bien sûr, on peut considérer que l'Etat sera
responsable des dizaines de milliers de jeunes dont les emplois se seront
révélés artificiels et sans débouchés car dépourvus de formation
professionnelle. Dans ces conditions, l'Etat aura alors l'obligation morale -
et politique - de les intégrer dans la fonction publique.
Cela créera inéluctablement une fonction publique au rabais. Dans un premier
temps, la rémunération au SMIC accentuera la dévalorisation des diplômes.
Quelle ironie de l'histoire ! Les promoteurs de ce système sont ceux-là-mêmes
qui, il y a quelques années, manifestaient contre le contrat d'insertion
professionnelle, pourtant bien plus porteur d'espérance pour la jeunesse !
M. Alain Gournac.
C'est vrai !
M. Bernard Plasait.
Ainsi seront encore aggravés les problèmes de cohabitation avec les titulaires
alors que déjà se pose, dans la fonction publique, la question cruciale de la
surqualification par rapport aux emplois occupés. Autant d'éléments qui
obéreront davantage encore les perspectives de promotion et d'avancement dans
les carrières.
Constant dans sa vision malthusienne de l'économie, le Gouvernement choisit la
voie des dépenses publiques pour créer des emplois plus ou moins artificiels
plutôt que la réduction des impôts libérant l'initiative créatrice. Il préfère
la voie du contrôle administratif plutôt que celle de la confiance et de la
liberté des initiatives locales.
A l'heure où le parti travailliste britannique et le SPD allemand adaptent
leur pensée à un xxie siècle promis à l'initiative individuelle, la gauche
française s'accroche obstinément à une doctrine sociale-démocrate d'un autre
âge...
MM. Henri de Raincourt et René-Georges Laurin.
Eh oui !
M. Bernard Plasait.
... et c'est bien, madame le ministre, ce que traduit, avec éclat, le projet
de loi dont nous débattons aujourd'hui.
Comme le rappelait souvent Jacques Rueff : « Le vrai problème du gouvernement
en chaque période est d'apprécier la dose de passé que l'on peut tolérer dans
le présent et la dose de présent que l'on doit laisser subsister dans l'avenir
».
Eh bien ! madame le ministre, je vous le dis avec toute la force de ma
conviction, votre projet de loi est une terrible illusion. Certes, je ne doute
pas de son succès à court terme : il est assuré car, dans l'angoisse cruelle
pour l'avenir, toute offre d'emploi est bonne à prendre, surtout quand elle est
garantie par l'Etat.
Mais les élus locaux doivent avoir le courage de dire, même si c'est
impopulaire, quand il y a tromperie. Que vous soyez de bonne foi dans la
poursuite d'un objectif que nous avons tous en commun ne change rien au fond
des choses. Vous empruntez le mauvais chemin, madame le ministre, le mauvais
chemin de l'emploi public qui mènera les jeunes dans leur ensemble à une
impasse.
Votre projet de loi est en fait un plan de solidarité de 35 milliards de
francs. Il calmera la douleur pour une courte durée mais, après un soulagement
passager, je crains que le mal ne soit aggravé, aggravé pour les jeunes,
aggravé pour la collectivité. La seule solution, c'est celle d'une vraie
politique libérale qui, enfin, libère les énergies créatrices de ce pays.
M. Gérard Delfau.
On a vu le résultat !
M. Bernard Plasait.
Au total, madame le ministre, je crains que, avec les meilleures intentions du
monde, au-delà des apparences trompeuses, votre projet de loi ne soit un
mauvais coup pour les vrais emplois, les emplois durables, les emplois de
demain, ces emplois dont la France, dont tous les Français ont un urgent
besoin.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR, ainsi que sur quelques travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Grignon.
M. Francis Grignon.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de
loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes est un projet
de solidarité et non pas un projet économique. Certes, il a pour effet de
participer à la création de conditions de confiance qui auront un impact
positif sur le développement de l'activité économique, mais c'est avant tout un
projet de solidarité. Dans ces conditions, tout le problème est de savoir,
d'une part, si cette solidarité est réelle et crédible et, d'autre part,
jusqu'à quel degré de solidarité on est prêt à aller et avec quels moyens.
Ce projet de loi fixe un quota de 350 000 jeunes concernés par son
application. Je trouve cela injuste. Je pense qu'il y aura des déçus. Quand je
vois comment certains jeunes se précipitent sur les postes offerts par
l'éducation nationale en pensant se lover dans un cocon confortable, et quand
j'entends d'autres jeunes me dire qu'ils ne veulent pas, avec un bac + 2, voire
plus, devenir le « vide-corbeille » d'un fonctionnaire, je frémis quant aux
perspectives à moyen terme que nous sommes en train de leur offrir.
Au fait, madame la ministre, les jeunes ont-ils été consultés sur le texte que
vous présentez ?
Vous nous avez dit dans la présentation de votre projet de loi que ces emplois
ne sont pas des emplois publics, qu'ils ne sont pas non plus des emplois qui
feront concurrence aux emplois du secteur marchand. Pour ma part, je suis
convaincu que ces emplois seront en grande partie financés par les
collectivités ou les associations qu'elles subventionnent, ce qui revient au
même.
Dans ces conditions, pourquoi faire payer aux collectivités locales 20 % du
SMIC, charges comprises, augmenté forcément du complément de salaire qu'elles
auront à payer en fonction des compétences qu'elles demanderont ? Quand on
connaît les moyens disparates des collectivités locales et quand on sait, de
surcroît, que le manque de moyens va de pair avec la progression des
dysfonctionnements sociaux, on se demande où est la solidarité !
Après tout, les moyens de l'Etat, comme ceux des collectivités locales ou des
associations qu'elles subventionnent, proviennent bien tous de la poche du
contribuable. Pourquoi l'Etat n'assurerait-il pas une véritable péréquation de
solidarité en prenant en charge 100 % des salaires ainsi créés ? Les risques
d'abus de créations de postes par les collectivités seraient infimes, puisque
la mise en oeuvre contractuelle est tributaire de l'autorité préfectorale.
Au sujet des moyens qui seront déployés face aux objectifs de ce projet de
loi, j'ai une question précise à vous poser, madame la ministre. J'aimerais
savoir si les moyens alloués seront nouveaux ou si vous comptez procéder à un
redéploiement des moyens prévus pour financer les programmes et les actions
antérieures à ce texte.
Un amendement a prévu une aide au démarrage de 30 000 francs en moyenne. Je
trouve, une fois de plus, que l'on mélange les genres. Pourquoi ne pas
introduire cela dans les actions à venir en direction des entreprises ?
A ce sujet, je regrette vivement que l'on n'aille pas aussi vite dans les
mesures à prendre pour créer les conditions de développement de l'emploi dans
l'entreprise. Sans vouloir vous énoncer toutes les propositions qui sont dans
l'air, je voudrais vous dire combien je suis convaincu de la nécessité de
sortir un texte spécifique en direction des PME de proximité créatrices
d'emplois. J'ai présenté un rapport qui va dans ce sens à Mme la ministre
Marylise Lebranchu.
J'ai été écouté ; j'espère que je serai entendu, parce que je suis persuadé
que l'on ne doit pas seulement orienter nos jeunes dans des emplois sociaux,
dont l'évolution et la pérennité seront difficiles à contrôler. On doit aussi
les orienter vers des emplois économiques plus agressifs, certes, mais
valorisant leurs compétences acquises et nécessaires si l'on veut se donner les
moyens de nos ambitions sociales.
Je tiens à dire, madame la ministre, que ce que je défends n'est pas le
développement de l'esprit libéral ; c'est celui de l'esprit d'entreprise. Je
crois profondément que le projet de loi qui nous est présenté ne pousse pas les
jeunes à développer l'esprit d'initiative et d'entreprise, alors que cela
serait tout aussi nécessaire dans les activités sociales et de solidarité.
Sauf à voir le texte profondément modifié par les amendements de la commission
des affaires sociales, je ne vois pas comment je pourrais l'accepter en l'état.
Mais sait-on jamais !
On a dit à l'Assemblée nationale que le projet était celui du père Noël.
Espérons que notre assemblée en fera celui de la fée Carabosse et qu'un
consensus pourra être trouvé pour nos jeunes, car c'est bien de leur avenir
qu'il s'agit !
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quinze
ans, tous les gouvernements, quelles que soient les majorités, ont exploré et
imaginé des voies pour tenter d'apporter des solutions en matière d'emploi, ou
plutôt en matière d'activité des jeunes. Je citerai pour mémoire les TUC, les
CES devenus CEC, les CIE, les emplois de ville, les réflexions liées au temps
partiel, à la préretraite et à l'adaptation du temps de travail dont, avec
Jean-Pierre Fourcade, nous avons été des militants, à la condition qu'elles ne
reposent pas sur des illusions, mais qu'elles s'accompagnent d'une meilleure
organisation du travail, de la production et de la réglementation.
Beaucoup d'argent public, de dotations, de contributions ont été consacrés à
la lutte contre ce fléau à l'origine des fractures qui ne cessent de croître
dans notre société.
Le résultat : un taux de demandeurs d'emploi le plus élevé des pays développés
avec l'Espagne, une inexorable progression du nombre des chômeurs de longue
durée et des jeunes sans emploi. Aujourd'hui, plus de quatre millions de
personnes sont sans emploi dans notre pays si nous incluons le nombre d'actifs
potentiels en formation ou en stage !
Madame la ministre, je considère, tout comme vous, prioritaire toute démarche
en faveur de la relance de l'emploi. Comme tous les élus, je suis
quotidiennement en contact avec un nombre croissant de jeunes à la recherche
d'un premier emploi.
Dans ma propre commune, avec mes collègues du conseil municipal, nous n'avons
pas attendu ce texte pour agir.
Mais que constatons-nous à la lecture de ce projet ? L'Etat décrète l'emploi
par la création de services pour la plupart, nous le savons, artificiels, qui
correspondraient à des « besoins émergents non satisfaits » ?
Or, les vrais questions que j'ai envie de poser sont plutôt les suivantes.
Ce projet de loi répond-il aux problèmes posés à notre pays et à notre
jeunesse ?
Pourquoi, parmi les pays développés, la France est-elle à la fois la nation
qui a le plus d'emplois publics et parapublics et le plus de chômage ?
Pourquoi sommes-nous si mauvais pour lutter contre le chômage ?
Pourquoi n'avons-nous jamais réellement essayé que de traiter socialement le
chômage ?
Pourquoi, au fond, n'avons-nous jamais tenté d'activer les dépenses passives
du chômage ?
Pourquoi ne nous attachons-nous pas à rechercher les vraies libertés qui
permettent de créer des vrais emplois et non une sous-fonction publique
sous-payée ?
Bien sûr, il y aura des « métiers nouveaux », mais comment les financer si
nous continuons à voir nos activités se délocaliser, nos créateurs d'entreprise
et nos jeunes diplômés partir aux USA, à Londres ou à Cork, en Irlande ?
Le vrai débat est celui de la création d'emplois pérennes. La fuite en avant
pour encore plus d'assistance, de créations artificielles d'emplois hors des
champs économiques est hors sujet. En fait, aujourd'hui, nous débattons
ensemble de mesures « d'occupation sociale ».
Madame la ministre, j'ai envie de vous parler cet après-midi d'emploi. C'est
pourquoi je ne peux que m'interroger à la lecture de votre projet de loi sur
les objectifs, les conséquences à long terme et le financement d'un tel
dispositif.
Est-il sincère de présenter ces emplois comme des postes à pourvoir
immédiatement sans prévoir un dispositif lié à la formation ou au tutorat ?
Est-il sérieux de présenter une fois encore la facture liée au financement de
ces emplois aux contribuables français ?
Est-il raisonnable de mettre en concurrence les formations qualifiantes telles
que les contrats d'apprentissage, les contrats de qualifications et
d'orientations, qui déboucheront sur de véritables métiers insérant dans
l'économique, avec ces contrats mieux rémunérés mais qui n'offriront que peu de
débouchés à terme et pas de formation ?
Un sénateur du RPR.
Très bien !
M. Gérard Larcher.
Au-delà de ce projet, une question fondamentale se pose : aurons-nous un jour
le courage de regarder la réalité en face et d'étudier de façon objective les
entraves à la croissance et à l'emploi dans notre pays ? La lecture d'un
rapport établi, en mars dernier, sur ce thème, et d'un autre rapport rédigé à
l'issue des sixièmes rencontres franco-allemandes d'Evian par le MacKinsey
Global Institute avec le professeur Solow, prix Nobel, est tout à fait
éclairante à ce titre. Ce dernier s'intitule : « Supprimer les entraves à la
croissance et à l'emploi en France et en Allemagne ».
L'analyse débute en ces termes : « Après les décennies de prospérité et de
croissance régulière, les économies française et allemande se développent
aujourd'hui au ralenti ; de plus, ces deux pays souffrent de l'alourdissement
constant de la fracture sociale et d'un chômage élevé, surtout parmi les jeunes
et la main-d'oeuvre peu qualifiée. »
Leurs principales conclusions sont les suivantes : tout d'abord, notre
performance économique est inférieure. La France produit dans les secteurs de
l'automobile, de la construction de logements, des télécommunications, de la
banque, de la distribution et de l'informatique 40 % de biens et de services en
moins par habitant par comparaison aux cinq références mondiales principales.
La productivité du travail y est inférieure de 20 % et le niveau d'emploi par
personne en âge de travailler de 25 %. Notre taux de création d'emplois est
quatre fois moins élevé que le taux américain et deux fois moins élevé que le
taux allemand.
Ensuite, les réglementations sectorielles qui pèsent sur la recherche de gains
de productivité constituent, pour le professeur Solow, les principales entraves
à la croissance. Elles limitent la concurrence et diminuent les occasions pour
les entreprises de se mesurer aux meilleures entreprises mondiales.
Enfin, le niveau relativement élevé du coût minimum du travail est responsable
de la « psychose » des gains de productivité, car il fait obstacle au
redéploiement des travailleurs peu qualifiés et inhibe l'embauche de jeunes. Le
ministre travailliste britannique vient d'ailleurs de le reconnaître vendredi
dernier.
Naturellement, parmi ces trois observations, certaines peuvent heurter nos
valeurs, à commencer par le niveau des salaires minimum. Mais nos valeurs ne
sont-elles pas plus heurtées sur le fond par la réalité d'un chômage et d'une
exclusion qui ne cessent de croître ?
Que dit encore l'institut ? « La plupart des réglementations qui étouffent la
croissance de l'activité et de l'emploi ont été mises en place dans un souci de
protection sociale ». Or, non seulement les réglementations ont eu un impact
négatif sur la performance économique, mais encore elles ont souvent entraîné
des effets pervers qui, en fait, vont à l'encontre des objectifs sociaux.
M. Gérard Delfau.
C'est le catéchisme !
M. Gérard Larcher.
Ainsi, par exemple, les salaires minimaux élevés, au lieu de garantir un
niveau de vie satisfaisant, freinent la création d'emplois et aboutissent, en
fait, à empêcher les moins qualifiés et les jeunes à s'insérer dans la
population active.
(Protestations sur les travées socialistes.)
Il apparaît aujourd'hui nécessaire de découpler davantage l'économique du
social. Cette analyse a le mérite de mettre en évidence deux constats à
l'encontre des idées reçues.
D'une part, les faits montrent qu'une productivité de « classe mondiale » et
un niveau d'emploi élevé peuvent réellement aller de pair.
D'autre part, le développement de l'emploi ne doit pas se cantonner au bas de
l'échelle. Contrairement à une idée reçue, en cinq ans, plus de 80 % des
emplois créés dans les services aux Etats-Unis l'ont été dans des catégories
situées nettement au-dessus du niveau médian des salaires.
Il existe bien une possibilité réelle de réformes pratiques qui permettrait de
concilier objectifs économiques et objectifs sociaux.
Une modification de réglementation des secteurs économiques, associée à une
plus grande souplesse des marchés du travail et des capitaux, devrait
s'accompagner de mesures sociales explicites, axées sur les besoins et ciblées
- comme l'impôt négatif en contrepartie d'une évolution selon les générations
du salaire minimum - ou d'aides spécifiques aux plus défavorisés et aux jeunes
s'engageant dans la vie professionnelle ; je pense notamment au logement et à
la protection sociale.
Un tel « découplage » des politiques économique et sociale devrait permettre à
la France d'améliorer ses performances économiques sans pour autant sacrifier
ses ambitions de justice sociale.
Bien entendu, il ne s'agit pas de faire comme aux Etats-Unis ou en
Grande-Bretagne, encore que M. Blair ne bouleverse pas la politique précédente.
Mais continuer à dire : « nous sommes les meilleurs et nous prenons les
meilleures mesures », alors que, chaque année, la pauvreté augmente dans notre
pays, relève de l'auto-satisfaction.
Votre réponse, madame la ministre, c'est plus d'impôts pour les sociétés,
moins de déductions pour les emplois familiaux, plus de réglementation, plus de
fonction publique. Moi, je crois en l'Etat : un Etat garant de la protection
des plus faibles, mais aussi un Etat qui n'étouffe pas ceux qui créent
l'activité, la richesse et l'emploi, y compris l'emploi familial.
Comme vous, je trouve insupportable une société qui n'accueille pas ses
jeunes, mais je pense que, par ce texte, tel qu'il nous arrive de l'Assemblée
nationale, on se trompe et on les trompe.
Voilà pourquoi ce n'est que très profondément amendé par la commission et par
nos collègues que ce texte pourra recueillir notre vote
(Bravo ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste).
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je n'irai pas
au fond des choses et je ne reprendrai pas les excellentes interventions de mes
collègues du groupe socialiste, en particulier celle de Mme Dieulangard.
Sans revenir sur le préjugé favorable qui est le mien à l'égard de votre
projet, sur lequel je m'engagerai à fond sur le terrain, je voudrais vous
rapporter les questions techniques que se posent les maires pour pouvoir
participer en toute connaissance de cause à l'effort national en faveur de
l'emploi des jeunes.
Voici, madame le ministre, en vrac, en style télégraphique, ces questions qui
découlent du caractère novateur et inédit de votre démarche.
Tout d'abord : emplois-jeunes et fonction publique.
Les emplois-jeunes relèveront du droit privé - donc du droit du travail - même
lorsqu'ils seront employés dans les administrations publiques.
Or le service public comporte des règles particulières et dérogatoires du
droit du travail pour des raisons qui tiennent au principe de continuité dont
le Conseil constitutionnel a affirmé la valeur constitutionnelle.
La durée légale du travail n'est pas applicable dans la fonction publique
territoriale comme pour l'Etat ou le secteur privé. Chaque collectivité fixe
donc librement sa durée.
Les emplois-jeunes seront-ils soumis à la même durée du travail que les agents
territoriaux, c'est-à-dire plus ou moins trente-neuf heures ? Ou seront-ils
payés pour la durée légale indépendamment de celle applicable dans la
collectivité ?
Les agents territoriaux, en vertu de la continuité du service public, ne
peuvent prendre leurs congés annuels que sous réserve des nécessités du service
et les jours de congés non pris ne leur sont jamais payés.
Cette règle sera-t-elle applicable aux emplois-jeunes, contrairement au code
du travail, dès lors qu'elle découle de la Constitution elle-même ?
La notion de « service fait », base de la rémunération, n'a pas le même sens
dans le public et dans le privé. Quelle est celle qui prévaut ?
Les fonctionnaires - continuité du service - peuvent être réquisitionnés à
tout moment. Les contractuels de la fonction publique aussi. Mais qu'en est-il
des emplois-jeunes ?
Ne faudrait-il pas prévoir que les contrats sont de droit privé, sauf en ce
qui concerne les principes généraux du service public et de la fonction
publique, qui relèvent naturellement de la juridiction administrative ? Car on
voit mal les prud'hommes dire le droit en ce qui concerne tout ce qui découle
de la comptabilité publique ou de la continuité des services publics.
En ce qui concerne la rémunération, les emplois-jeunes seront rémunérés sur la
base du SMIC.
Les collectivités locales sont-elles tenues de les employer à temps complet
alors que certaines tâches sont saisonnières ou à temps partiel ? Je pense en
particulier aux petites communes.
Les collectivités locales auront-elles la faculté de rémunérer les intéressés
au-dessus du SMIC, en prenant à leur charge le supplément, puisque l'aide de
l'Etat reste à 80 % du SMIC ? Dans ce cas, n'est-ce pas une formule dangereuse
pour l'équilibre de la grille de la fonction publique, surtout si à diplômes
égaux un emploi-jeune se retrouve mieux rémunéré qu'un agent territorial ?
Bref, la loi édicte-t-elle un maximum et un minimum de rémunération, ou
seulement un minimum ?
Les collectivités peuvent-elles demander aux emplois-jeunes, en cas d'urgence
ou de nécessité, de faire des heures supplémentaires, dont elles supporteront
naturellement seules le coût ?
Enfin, pour les collectivités qui ont institué des régimes indemnitaires
spécifiques avant 1984 - genre treizième mois ou prime de fin d'année - ces
régimes s'appliqueront-ils aussi aux emplois-jeunes ?
En ce qui concerne la nature des fonctions, deux situations vont se présenter
:
D'une part, assurer des services dont l'intérêt général est manifeste et qui
ne peuvent être supportés que par les contribuables ;
D'autre part, assurer des services représentant pour les citoyens ce que
j'appellerai des facilités ou des suppléments de confort qui ne sont pas
forcément indispensables.
Sera-t-il possible, dans le second cas, de tarifer ces services et d'y
affecter des emplois-jeunes ? Ce qui permettrait de compenser à terme les
charges supplémentaires des collectivités locales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission.
Il faudra voter nos amendements !
M. Michel Charasse.
Cela, ce n'est pas sûr !
Et ne faut-il pas éviter que les emplois-jeunes donnent le sentiment aux
citoyens que décidément la collectivité publique - le contribuable - paiera
toujours tout, que tout est gratuit et que rien n'a un coût ?
MM. Alain Gournac et Charles Pasqua.
Très bien !
M. Michel Charasse.
En ce qui concerne la période d'essai, prévue initialement à un mois et
augmentée à deux par l'Assemblée nationale, n'est-ce pas un peu court pour des
gens qui n'ont jamais travaillé et qui vont faire des métiers inédits ?
Dans la fonction publique, le stage dure un an. Dans le privé, généralement
trois mois.
On comprend bien que la durée d'un an est trop longue dans ce cas-là. Mais
celle d'un mois ou même de deux paraît trop courte. Trois mois semblent le
minimum à la majorité des élus locaux que j'ai rencontrés.
Les préfets recevront-ils des instructions de souplesse en ce qui concerne les
dérogations d'âge ? C'est indispensable, notamment dans les petites et moyennes
communes.
Recevront-ils également des instructions de souplesse afin que les
non-diplômés puissent avoir les mêmes chances que les diplômés sur les emplois
n'exigeant aucune qualification particulière ?
Pourra-t-on faire passer un jeune d'un contrat de CES en cours à un
contrat-jeunes ?
Reste enfin la sortie du système, dans cinq ans. Les collectivités, même si
elles n'y sont pas légalement tenues, vont-elles devoir conserver les
intéressés et donc continuer à les rémunérer sans aide de l'Etat ? Celles qui
auront des difficultés financières devront naturellement les licencier. Cette
perpective ne risque-t-elle pas de freiner quelques ardeurs ?
Et comment les intégrer dans la fonction publique ? Les lois de 1983-1984 nous
ont débarrassés des contractuels ? Va-t-on les rétablir ?
Faudra-t-il titulariser les intéressés sans concours ? Que diront ceux qui
sont astreints aux concours ? Ne va-t-on pas vers une nouvelle cuvée de la
catégorie des maîtres-auxiliaires ?
M. Adrien Gouteyron.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Et comment accepter d'intégrer dans la fonction publique locale, sans
concours, ceux qui seront toujours là dans cinq ans et qui n'auront pas trouvé
d'autre solution ?
C'est pourquoi j'étais de ceux qui se demandaient si l'Etat ne pourrait pas
être l'employeur, les intéressés étant mis à la disposition des collectivités
locales contre versement par elles de leur participation de 20 % ? En fin de
période, lorsque les financements de l'Etat cesseront, c'est l'Etat qui mettra
fin aux contrats et pas les collectivités.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Quelles dispositions seront prises pour que les emplois-jeunes recrutés par
l'Etat pour son propre service - policiers, agents de l'éducation nationale -
ne se retrouvent pas dans cinq ans, par la pression de la population et de la
communauté éducative, imposés aux collectivités locales ? Ne faudrait-il pas
écrire noir sur blanc dans la loi que ces emplois-jeunes d'Etat ne pourront
être affectés qu'à des tâches relevant de l'Etat et ne pourront jamais être
pris en charge par d'autres que lui ?
Enfin, pour éviter les problèmes à la sortie du système dans cinq ans, ne
faut-il pas imposer aux intéressés - d'Etat ou locaux - de passer des concours
de la fonction publique, trois échecs entraînant automatiquement la fin du
contrat ?
Telles sont les questions qui m'ont été posées au cours de la réunion de
maires que j'ai organisée dans mon département. Je vous remercie, madame le
ministre, d'y porter attention. Toutes ne sont pas du domaine législatif.
Beaucoup, sans doute, sont du domaine réglementaire. Mais je voudrais que vous
ayez la conviction que vos réponses conditionnent - à mon avis - le succès de
votre plan pour l'emploi des jeunes, succès que, naturellement, je souhaite
ardemment.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes
amenés, ce soir, à débattre ensemble d'un texte très attendu par notre
assemblée, surtout très attendu par les jeunes de notre pays.
Près de 600 000 d'entre eux, âgés de moins de vingt-cinq ans, sont au chômage.
Nous sommes tous d'accord, je crois, pour juger cette situation inadmissible,
pour ne pas dire insupportable. L'inactivité d'un trop grand nombre de jeunes à
la sortie de leurs études, l'état de précarité et d'exclusion dans lequel se
trouvent les autres assombrissent à l'évidence le climat social et plongent les
forces vives de la nation dans le désarroi le plus total.
Doit-on rester des spectateurs impuissants face à ces difficultés ? Bien
entendu, non, et il faut le reconnaître. Depuis plusieurs années, les
différents gouvernements qui se sont succédé ont considéré l'emploi comme une
priorité. Mais, il faut l'admettre aussi, les moyens n'ont pas souvent été à la
hauteur des intentions, et la pratique récurrente de vieilles recettes a
rarement permis d'au moins stabiliser le taux du chômage.
Aujourd'hui, enfin, madame le ministre, on nous propose une démarche
volontariste, audacieuse, qui devrait permettre à 350 000 jeunes de s'insérer
dans le monde du travail autrement que de façon précaire.
L'intérêt de ce texte est double, car il ne se limite pas à un objectif
purement comptable, même si ce dernier est à lui seul une grande ambition.
Au-delà du principe qui consiste à briser massivement l'inactivité des jeunes
pour leur offrir des perspectives d'avenir plus radieuses, les mesures
contenues dans le projet de loi devraient également participer, je le crois
vraiment, au renforcement de la cohésion sociale de notre pays.
Les emplois proposés répondent à de réelles nécessités. Par leur nature, ils
concourent directement au renforcement du lien social. Destinés à occuper des
besoins émergents ou non satisfaits, ces nouveaux métiers sont fortement axés
sur le cadre de vie et l'aide aux personnes. Notre pays, comme beaucoup de pays
industrialisés, souffre d'un déficit en communication, en médiation et en
relations humaines. Ces emplois, en jouant la proximité, répondront à des
attentes personnelles et collectives. Nos quartiers, nos villes, nos campagnes,
les familles, les individus ont tout à gagner de ces nouveaux services.
Mes chers collègues, nous ne sommes plus au temps des certitudes et à l'époque
des croissances avérées. Seules des initiatives fortes telles que le projet de
loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes apporteront
une véritable réponse aux effets pervers de notre système économique.
C'est vrai, certains désapprouvent l'utilisation de l'argent public dans cette
entreprise. Pourtant, la situation des jeunes est tellement préoccupante
qu'elle exige une mobilisation spécifique. Pour l'instant, seul les secteurs
publics et associatifs - croyez bien que je le regrette ! - sont capables de
l'engendrer dans l'urgence.
Une autre logique, que l'on connaît fort bien puisqu'elle est pratiquée depuis
plusieurs années, consiste à alléger les charges des entreprises afin de les
inciter, exclusivement par le biais fiscal, à embaucher des jeunes. Le résultat
s'est toujours fait attendre.
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Yvon Collin.
Le secteur privé est soumis à une forte concurrence et son principal souci
n'est pas d'agir sur le volume global d'emploi. Toutefois, j'espère - nous
sommes nombreux à l'espérer - que la très prochaine Conférence pour l'emploi
démentira cette tendance et que les entreprises, comprenant tout l'intérêt de
ce projet de loi, s'associeront volontiers à cet effort national qu'est le
traitement du chômage.
M. Raymond Courrière.
Très bien !
M. Yvon Collin.
Dans un passé un peu lointain mais toujours riche d'enseignements, quand la
France avait besoin de rails pour ses trains, l'Etat était là, quand la France
avait besoin d'électrifier tous les foyers, l'Etat était là. Aujourd'hui, la
France a besoin d'emplois pour ses jeunes : l'Etat est là pour donner une
impulsion.
Il existe des besoins nouveaux, des demandes novatrices et une exigence
d'activité de la jeunesse. La collectivité doit provisoirement prendre en
charge la réponse : c'est effectivement son devoir !
Avant de conclure, je voudrais m'arrêter sur une question qui est souvent
revenue au cours des débats : le problème de l'après-contrat. Tout le monde se
demande ce que vont devenir les jeunes au bout de cinq ans. J'aimerais, moi,
qu'on me dise qui, aujourd'hui, dans le monde du travail, la fonction publique
mise à part, a la garantie de l'emploi au-delà de cinq ans ?
Mes chers collègues, le présent projet de loi, comme vous avez pu l'entendre,
recueille mon adhésion et celles des radicaux-socialistes. Toutefois, je tiens
à préciser que mon vote final dépendra des modifications qui seront retenues.
Si certains amendements venaient à dénaturer profondément le texte, je ne
pourrais que voter contre. J'espère, mes chers collègues, que la sagesse bien
connue du Sénat l'emportera.
(Applaudissements sur les travées du RDSE et sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Madame la ministre, c'est en mon nom personnel mais également au nom des
membres du groupe du l'Union centriste que je m'adresse aujourd'hui à vous.
Si un projet global de société, redonnant du sens et des perspectives d'avenir
à toute une génération, s'avère nécessaire, la lutte contre le chômage des
jeunes ne peut être dissociée de la politique de lutte contre le chômage en
général.
Si tous les jeunes sont exposés, le chômage n'est pas le même pour tous :
persistant pour les jeunes sans qualification, il est intermittent pour les
diplômés.
En effet, dans les dix années qui suivent la sortie du système éducatif, les «
sans diplôme » ou les moins diplômés sont trois fois plus chômeurs que les
diplômés de l'enseignement supérieur.
C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe de l'Union
centriste, nous nous sommes tout d'abord interrogés sur le fait que les 350 000
emplois inédits que vous souhaitez créer soient proposés, en majorité, à des
jeunes diplômés, bacheliers ou bac + 2.
La fin d'un cycle d'études, qu'il soit ou non couronné de succès, dans un
contexte d'éloignement - volontaire ou pas - du milieu familial, ne doit pas
être identifiée à une entrée dans une période de chômage. L'acte de recherche
doit être fortement aidé et appuyé par un soutien aux organismes d'accueil et
d'information : missions locales permanences d'accueil, d'information et
d'orientation, associations, etc.
La précipitation qu'ont suscitée les propositions d'emplois-jeunes révèle un
profond désarroi. Il faut découvrir le marché caché de l'emploi, apprendre à
élaborer un projet professionnel, à délimiter le champ de prospection à faire
le point des compétences. S'engouffrer dans un emploi aidé où les plus
défavorisés devraient être prioritaires nous paraît constituer un acte de
refuge et de sécurisation.
Il est nécessaire que les acquis et même le savoir théorique soient utilisés.
Des études longues et coûteuses pour les parents, qui ne sont pas tous des
nantis, doivent aboutir à une valorisation de leur investissement. Des emplois
émergents, même qualifiés, ne sont pas une réponse s'il existe une inadaptation
avec la formation initiale.
Vous avez précisé devant l'Assemblée nationale que votre texte n'était pas une
loi contre l'exclusion. Mais un chômeur, quel que soit son âge, quelle que soit
sa qualification, se trouve bien en situation d'exclusion pendant toute la
durée de son chômage, qui peut durer plusieurs années.
Nous nous sommes également demandé pourquoi votre plan emploi s'adressait
exclusivement aux jeunes de dix-huit à vingt-six ans, ainsi qu'aux moins de
trente ans qui n'ont jamais travaillé suffisamment longtemps pour bénéficier
d'une allocation de chômage. N'y a-t-il pas là une discrimination difficilement
acceptable ?
En effet, la recherche d'un emploi, une fois les études achevées, est toujours
émaillée de périodes de chômage plus ou mois longues. De fait, le chômage des
jeunes évolue comme celui des adultes, au gré de la conjoncture économique.
Dès lors, en portant l'essentiel de l'effort de la lutte contre le chômage sur
les jeunes, ne crée-t-on pas une injustice entre chômeurs ?
Il s'agit d'un problème qui touche tout autant les jeunes que les vieux
actifs, les moins qualifiés ayant plus de difficultés à retrouver un emploi.
Aussi peut-on s'interroger quant à la pertinence des politiques de l'emploi
ciblées sur une population particulière. Certes, il existe des arguments forts
: disposer d'un emploi reste le meilleur mode d'insertion sociale, celui qui
rate son insertion à l'aube de sa vie risquant de porter ce handicap tout au
long de celle-ci ; en outre, les jeunes sont moins bien couverts par la
protection sociale que leurs aînés puisqu'ils ne peuvent pas disposer du RMI
avant d'avoir vingt-cinq ans.
Mais le chômage des jeunes est-il plus tragique que celui des chômeurs de
longue durée chefs de famille ? Selon l'enquête sur l'emploi de l'INSEE, trois
chiffres suffisent pour se convaincre du contraire : avant de retrouver un
emploi, un chômeur attend en moyenne treize mois, un jeune chômeur seulement
huit, alors qu'un chômeur de plus de cinquante ans doit patienter en moyenne
vingt-deux mois.
Le débat semble donc trop focalisé sur les difficultés des jeunes de moins de
trente ans, sans qu'on se préoccupe outre mesure des autres catégories pour qui
le chômage de longue durée s'avère beaucoup plus dramatique, notamment ceux de
trente, quarante ou cinquante ans, chargés de famille, sans qualification ou
peu qualifiés, qui sont laissés pour compte. Ils constituent pourtant une
population beaucoup plus vulnérable, qui s'enfoncera encore un peu plus dans la
précarité et l'exclusion.
Vous me répondrez sans doute là encore, madame la ministre, que votre texte
n'est pas une loi contre l'exclusion.
Votre projet de loi contre l'exclusion, appelé « loi de cohésion sociale »,
sera-t-il prochainement déposé sur le bureau des assemblées ? Les chômeurs de
très longue durée y seront-ils prioritaires ? Comment allons-nous le financer
?
Du côté des collectivités locales, les élus, face à l'incitation permanente à
la dépense, savent qu'ils ne peuvent plus faire admettre à leurs contribuables
de nouvelles hausses des impôts locaux.
Il ne sera donc pas possible de demander, une seconde fois, une hausse des
impôts pour financer un plan de cohésion sociale. Les finances locales sont
trop fortement sollicitées au nom de la solidarité. Les élus ne pourront plus
faire passer une nouvelle hausse des impôts locaux après celle qui est induite
par le plan emploi-jeunes.
Nous nous sommes également interrogés, avec mes collègues du groupe de l'Union
centriste, sur la place que vous réservez aujourd'hui à la formation en
alternance et à l'apprentissage. Nous avons estimé, tout d'abord, que ce plan
emploi-jeunes pouvait discréditer la formation en alternance et
l'apprentissage.
L'apprentissage avait été au coeur du dispositif de mobilisation pour l'emploi
des jeunes qui avait été engagé par le gouvernement précédent et que nous avons
soutenu. Il avait été accéléré et le voilà aujourd'hui en quelque sorte
dévalorisé, alors que ses deux atouts majeurs sont la professionnalisation et
l'insertion.
Si les jeunes titulaires d'un baccalauréat professionnel trouvent aujourd'hui
un emploi aussi rapidement que la moyenne des diplômés de l'enseignement
supérieur, les apprentis s'insèrent mieux encore.
A ce propos, j'aimerais rappeler à cette tribune qu'entre les 4 et 10 juillet
derniers se sont déroulées les 34e Olympiades des métiers, à Saint-Gall, en
Suisse, réservées aux jeunes artisans de moins de vingt-six ans, représentant
les quarante métiers en cours et avec la participation de trente et un pays. Il
convient de souligner que nos jeunes artisans français y ont remporté dix
médailles et douze diplômes d'honneur. A ce concours international de
l'apprentissage et des métiers, la France s'est classée au troisième rang
mondial, en obtenant sept médailles d'or, notamment dans les métiers du
bâtiment et de l'industrie automobile. Ces jeunes qui font honneur à leur pays
ont entre dix-neuf et vingt et un ans.
Il est important de présenter nos plus vives félicitations à tous ces jeunes
titulaires d'un CAP, d'un BEP, ainsi qu'aux dirigeants d'entreprise, aux
professionnels membres du jury et à tous ceux qui ont contribué au succès de
cette manifestation.
Madame la ministre, vous avez déclaré à l'Assemblée nationale que vous étiez
très attachée à l'apprentissage et que vous souhaitiez mettre en place un fonds
national de péréquation de la taxe d'apprentissage, représentant environ 600
millions de francs.
Vous avez pris l'engagement de faire figurer cette mesure très attendue par
les régions et par les centres de formation d'apprentis dans votre texte sur
l'emploi des jeunes. Pouvez-vous aujourd'hui nous le confirmer ?
Avec l'inflation des emplois-jeunes réservés par l'éducation nationale, nous
sommes dans un système surréaliste qui produit ou gère des situations d'échec
culpabilisant les pouvoirs publics, lesquels ne trouvent comme solution que de
les intégrer à nouveau au système !
Il eût été préférable de cerner étroitement les emplois émergents, afin
d'éviter la compétition avec l'existant. Les stages qualifiants pendant la
formation induisent l'engagement futur.
La vie en entreprise, dans des services, avec des responsabilités
progressives, pourrait éviter le trop fameux : « On recherche... avec
expérience... » !
Madame la ministre, vous vous êtes engagée avec M. le Premier ministre, à la
suite des propos critiques du Président de la République, à faire en sorte que
l'objectif du Gouvernement soit bien de créer également 350 000 emplois dans le
secteur privé en trois ans.
Ce second volet du programme « 700 000 emplois-jeunes » est très attendu, bien
évidemment, par la majorité sénatoriale tout entière et nous souhaiterions que,
aujourd'hui même, vous preniez des engagements devant la Haute Assemblée quant
à la date d'inscription à l'ordre du jour de ce plan concernant le secteur
privé.
Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous nous sommes également
interrogés sur la philosophie de votre projet.
Il est indispensable de traiter du devenir du bénévolat, qui n'est pas
uniquement lié à la croissance du nombre des associations. Celles-ci vont
recruter cadres et permanents en créant de nouveaux besoins, voire des services
accessibles à ceux qui les paient.
La simplification des rapports entre individus dans les services, l'analyse
d'emploi en devenir, la formation, les statuts, l'évaluation des besoins, les
propositions marchandes : tout cela modifie nos liens sociaux sans pour autant
les resserrer.
Vous considérez, madame la ministre, que ces nouveaux emplois sont censés
fournir à la nation des services répondant à des besoins réels existants. Vous
estimez que, à l'issue du délai de cinq ans, ils vont rencontrer une demande
solvable. Je vous trouve bien optimiste. Mais je ne crois pas que vous vous
fassiez réellement beaucoup d'illusions.
Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous dénonçons le coût pour
les finances publiques qu'induit votre projet de loi ainsi que les nouvelles
hausses d'impôts locaux qui en découlent et qui vont encore s'ajouter aux
impôts supplémentaires que vous aller infliger aux contribuables français dans
la prochaine loi des finances.
La France va désormais être le seul des grands pays où les impôts continuent
d'augmenter.
A priori,
c'est pour le bon motif : créer des emplois. Mais
il s'agit bien d'un mécanisme qui consiste à faire financer ces emplois par le
contribuable.
A la hausse des impôts, il faut ajouter celle de la CSG, qui rapportera
environ 20 milliards de francs, dont il faut retirer, c'est vrai, les 13
milliards de francs rendus aux salariés sous forme de baisse des cotisations
sociales. Au total, ce sont donc entre 40 et 50 milliards d'impôts
supplémentaires qui seront prélevés l'an prochain. Il faudra sans doute trouver
la même somme en 1999.
Nous savons tous que la France détient, parmi les grands pays industrialisés,
le record du nombre d'emplois financés sur ressources publiques. Nous aurions
préféré que votre plan soit tourné uniquement vers l'emploi privé, c'est-à-dire
vers l'emploi producteur de richesses. Or la part de l'emploi privé va encore
diminuer au profit de celle de l'emploi public.
D'ailleurs, nous sommes particulièrement sceptiques sur les chances que vous
avez d'obtenir 350 000 embauches de jeunes dans le domaine privé, sauf à voir
la conjoncture se redresser durablement.
Vous faites appliquer les lois avant même qu'elles soient examinées et votées
par le Parlement. Il est tout de même insupportable pour le législateur - et ce
n'est pas une question de coquetterie ou de susceptibilité, s'agissant d'un
problème si grave - de voir des dispositions prises en vue de l'engagement
immédiat de moyens non encore acquis. Certes, il ne faut pas faire attendre ces
jeunes chez qui un espoir a été donné. C'est pourquoi nous comprenons
l'urgence. Mais peut-être ne faut-il pas non plus confondre urgence et
précipitation.
Les solutions étatiques ne sont pas les meilleures. En tout cas, elles ne sont
pas les nôtres !
Telles sont les raisons pour lesquelles mes collègues du groupe de l'Union
centriste et moi-même avons choisi d'apporter notre soutien aux amendements
tout à fait pertinents et constructifs proposés par le président et le
rapporteur de la commission des affaires sociales, ainsi qu'à ceux de nos
collègues de la majorité sénatoriale.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, alors que le
monde entier s'engage maintenant résolument sur la voie de l'économie de
marché, en favorisant la création d'activités nouvelles, donc de métiers
nouveaux, grâce à l'initiative privée, le gouvernement de la France voudrait
que notre pays soit l'un des derniers pays au monde à penser que c'est avec
l'argent des contribuables que l'Etat peut décréter la création d'emplois
nouveaux.
Votre démarche peut paraître habile aux Français, madame le ministre, du moins
dans un premier temps, car elle s'appuie sur l'état de délabrement profond de
la mentalité de nos concitoyens, tant la plaie du chômage est profonde.
Dans notre économie administrée, l'emploi public a acquis une telle image de
sécurité - il est vrai que tout a été entrepris, malheureusement, depuis plus
de deux décennies, pour donner une mentalité d'assisté à une majorité de
Français que de nombreux parents disent ces temps-ci à leur enfant : « Présente
ta candidature à un emploi-jeune. Même s'ils nous disent que cela n'est que
pour cinq ans, une fois que tu seras à l'intérieur, ils ne pourront pas prendre
la responsabilité de te rejeter à la rue à la fin d'un si long contrat ! »
Le projet du Gouvernement est dangereux à moyen terme, car il sera source
d'une grave désillusion, et il porte en lui le germe d'une inégalité profonde
entre les Français quant à l'accès à un emploi grâce à de l'argent public.
Il y a d'abord inégalité entre les jeunes pour accéder à ces nouveaux
emplois.
Les jeunes, qui sont déjà plus de 200 000 à s'être inscrits dans les rectorats
de France, ne s'y sont pas trompés. Vous allez créer une nouvelle classe de
privilégiés à durée déterminée. Cependant l'éducation nationale ne devant
retenir que 40 000 jeunes, comment empêcherez-vous que les 160 000 autres ne
ressentent une profonde amertume, d'autant qu'avec le système que vous mettez
en place, ce sont les jeunes déjà les plus exclus, les moins formés qui seront
laissés sur le bord du chemin ?
Ce sentiment d'inégalité sera d'autant plus fort que les autres contrats
visant à favoriser l'entrée dans la vie active - contrats d'apprentissage,
contrats d'insertion et autres - sont beaucoup moins aidés par l'Etat ou
beaucoup moins rémunérateurs.
Ce sentiment d'injustice se développera avec d'autant plus d'acuité que le
couperet de l'âge créera souvent, pour des jeunes chargés de famille et ayant
dépassé les trente ans, des situations intolérables face à des jeunes
célibataires de vingt ans, souvent encore hébergés par leurs parents et n'ayant
aucune obligation à honorer.
Devant votre projet de loi, nous sommes réalistes, madame la ministre : soit
les emplois créés répondent à une attente réelle du marché et trouveront ainsi
leur pérennisation par la rentabilité, et alors votre action n'aura eu pour
résultat que d'engendrer un effet d'aubaine dont la seule conséquence aura été
de tuer, avec de l'argent public, de vrais emplois créés par de vrais
entrepreneurs ; soit la création de ces emplois ne s'inscrit pas dans
l'économie de marché - c'est malheureusement l'hypothèse la plus crédible - et
vous obligerez alors moralement les collectivités et les associations à les
rendre pérennes au-delà du délai de cinq ans ce qui ne fera qu'appauvrir plus
encore le pays.
Votre texte risque ainsi d'entraîner de graves difficultés, au terme des cinq
ans, pour les collectivités locales et les associations, et celles-ci doivent
donc être dès maintenant vigilantes lorsqu'elles engagent des jeunes pour cette
durée, car le dispositif qui nous est soumis n'est pas sincère, comme pourrait
le dire un commissaire aux comptes qui vérifierait la cohérence existant entre
vos intentions et l'importance des moyens réellement mis en place.
En effet, dans la rédaction actuelle du projet de loi, rien ne garantit au
futur employeur - lequel ne pourra pas être l'Etat, cela est précisé - que
l'aide qu'il recevra sera bien maintenue pendant cinq ans à hauteur de 80 % du
SMIC, charges comprises.
Il est tout à fait plausible que, lors de la discussion des prochaines lois de
finances, M. le ministre de l'économie et des finances vienne nous expliquer
que la France, pour respecter les grands équilibres budgétaires, ne pourra pas
augmenter de dix milliards de francs par an son engagement en faveur des
emplois-jeunes.
Dans quelle situation sera alors placée la collectivité locale ou
l'association ? La baisse de l'aide de l'Etat ne pouvant constituer une cause
réelle et sérieuse de licenciement, elle devra alors dégager sur ses propres
capacités financières, ce qui sera impossible pour certaines petites
collectivités, les moyens d'honorer ses engagements sur cinq ans.
Cette appréhension est d'autant plus justifiée que, pour le premier exercice
budgétaire, il existe déjà une différence de 2 milliards de francs entre le
montant des dépenses que vous avez annoncé à l'Assemblée nationale - 10
milliards de francs pour 1998 - et celui des crédits qui figurent dans le
budget que M. le ministre de l'économie et des finances a présenté devant la
commission des finances du Sénat voilà quelques jours, à savoir 8,1 milliards
de francs pour financer les emplois-jeunes en 1998, dont 300 millions de francs
inscrits au budget de l'outre-mer.
Or, avec 8 milliards de francs, vous ne pourrez, madame le ministre, honorer
vos engagements que pour 80 000 jeunes en année pleine en 1998. Comme les
ministres de l'éducation nationale, de l'intérieur et de la justice - sans
parler des autres ministères - ont déjà annoncé qu'ils créeraient quelque 70
000 emplois dès ces prochaines semaines, ce qui représente déjà les sept
huitième des crédits prévus pour 1998, pensez-vous être sincère envers les
collectivités locales et les associations, alors que, dès le premier budget
d'exécution de cette loi, les crédits inscrits seront notoirement insuffisants
?
Cependant, le principal reproche que nous pouvons faire à votre projet de loi,
madame le ministre, va bien au-delà de ce manque latent de sincérité, puisqu'il
touche au dogme.
Sans hésitation, ce qui montre bien votre ignorance volontaire - je dis bien
volontaire - de la réalité du marché, vous nous proposez la création de 350 000
emplois, qui tous - c'est vous qui l'avez dit à plusieurs reprises - devront
s'inscrire dans le secteur concurrentiel. Vous oubliez totalement que, pour
créer des emplois dans une économie de marché, il faut des entrepreneurs.
Or vous conviendrez, madame le ministre, j'en suis convaincu, que la mission
des collectivités locales ou des associations n'est pas de se transformer en
entrepreneurs pour développer des secteurs émergents, donc des métiers nouveaux
dans une économie de marché, même si les activités nouvelles visées par le
présent texte gravitent autour de la sphère publique.
Aussi proposerons-nous, au cours de ce débat, plusieurs amendements dont
l'adoption permettrait de donner la possibilité à des entrepreneurs de créer et
de rendre pérennes, bien au-delà des cinq ans prévus, ces emplois-jeunes.
Si vous acceptez cette démarche, vous me mettrez en difficulté, madame le
ministre, car vous démontrerez alors que votre approche n'est en rien
dogmatique, et vous donnerez une toute autre portée à votre texte, en plaçant
des entrepreneurs à la tête de vos 350 000 emplois-jeunes.
En revanche, si vous refusez l'ouverture que nous vous proposons, vous
confirmerez que votre démarche ne s'inscrit en rien dans une optique
concurrentielle, et que le véritable objet de votre dispositif est d'anticiper
la création d'une sous-classe de la fonction publique.
Vous confirmeriez alors l'alourdissement durable de la dépense publique, ce
qui ne pourrait hélas ! qu'avoir des conséquences funestes à moyen terme, en
retardant encore le moment où la France, en diminuant de façon sensible le
montant des prélèvements obligatoires, pourrait, enfin, se donner la chance de
créer de vrais emplois concurrentiels, quand les autres pays, nos concurrents,
ont souvent, depuis près de quinze ans, choisi la voie de la liberté
d'entreprendre, mais aussi de l'espérance.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste).
M. le président.
La parole est à M. Mazars.
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur certaines travées du RDSE).
M. Georges Mazars.
Madame la ministre, ce débat, sous-tendu par tant de pessimisme et si peu
d'optimisme, doit vous paraître dur !
Les membres du groupe socialiste tiennent à affirmer leur soutien au
Gouvernement, qui a su, par le dépôt d'un projet de loi permettant la création
de 350 000 emplois-jeunes, tenir sa promesse.
La situation de l'emploi des jeunes est alarmante et nous vous félicitons,
madame la ministre, d'avoir su répondre par un signe fort à l'angoisse des
jeunes : il s'agit d'une mesure concrète autant que d'un message d'espoir. Vous
avez su mettre l'homme au coeur de vos préoccupations, au centre de l'économie.
Nous saluons donc le Gouvernement pour ce projet de loi novateur, audacieux et
en rupture avec les politiques libérales.
Ce texte ambitieux, qui prend en compte les attentes des jeunes et de leur
entourage, n'a pourtant pas manqué de susciter des critiques. Bien souvent,
loin d'être constructives, elles n'ont relevé que de l'objection partisane.
Ceux-là mêmes qui se dressent contre votre texte, madame la ministre, n'ont
aucune solution de rechange à proposer pour répondre à l'urgence.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Très bien !
M. Georges Mazars.
D'ailleurs, le bien-fondé de votre dispositif a mis dans l'embarras nos
adversaires politiques : le soutien apporté à votre projet de loi par trois
députés de l'opposition, et l'abstention de quarante et un autres, en est le
signe le plus patent.
Nous avons donc, ces dernières semaines, entendu et lu un certain nombre de
critiques à l'adresse de la création des emplois-jeunes.
Cette mesure a été prise trop rapidement, nous a-t-on objecté.
Il faut pourtant savoir répondre à l'urgence par l'urgence. Si nous avions
attendu un an ou plus pour mettre en oeuvre ce dispositif, bien des voix nous
l'auraient reproché, et avec raison ! Le groupe socialiste se réjouit de la
qualité du travail que vous avez accompli, madame la ministre, en concertation
étroite avec l'Assemblée nationale, dans un temps limité en raison des
exigences sociales.
Certains ont aussi critiqué le projet de loi parce qu'il ne concerne que les
jeunes.
Doit-on rappeler qu'il s'agit d'une catégorie particulièrement touchée par le
chômage ? N'est-il pas alors légitime de vouloir faire un geste en direction de
ceux qui se lancent aujourd'hui sur un marché du travail saturé ? De plus, pour
ce qui concerne les personnes dont la situation est la plus précaire, jeunes et
moins jeunes, le Gouvernement a prévu de déposer un texte relatif aux
exclusions sociales, qui sera examiné lors de la session ordinaire.
Certains craignent la création d'une fonction publique
bis,
au
rabais.
Faut-il encore répéter qu'il s'agit d'emplois nouveaux, ou de fonctions
permettant de répondre à des besoins non satisfaits ? Vous vous êtes pourtant
continuellement employée, madame la ministre, à l'expliquer. Agent de veille
écologique, assistant de crèche parentale, accompagnateur de malades atteints
du sida... La liste est longue, mais elle n'est pas limitative, et elle laisse
toute latitude aux initiatives des acteurs présents sur le terrain, notamment à
ceux du secteur associatif, qui connaissent bien les besoins à satisfaire.
Quant au salaire, qui est aussi visé par ce soupçon de création d'une fonction
publique au rabais, il est égal au SMIC. Rappelons qu'il s'agit là d'un
minimum, puisqu'il pourra être plus élevé si les partenaires qui financent les
20 % du salaire non pris en charge par l'Etat en ont les moyens et font
l'effort nécessaire. Mais surtout, en ces temps de crise sociale aiguë, les
jeunes préfèrent être payés au SMIC, être insérés dans le monde professionnel
et enrichir leur expérience que d'être exclus du monde du travail sans même
pouvoir bénéficier du RMI. Les milliers de candidatures enregistrées par
l'éducation nationale le montrent bien.
« Que se passera-t-il au bout de cinq ans ? », s'est-on encore inquiété.
Tout d'abord, nous allons donner du travail pendant cinq ans à 350 000 jeunes.
Cinq années, cela ne représente-t-il pas un véritable horizon, alors que l'on
constate que, depuis août 1996, le nombre des emplois précaires d'une durée
inférieure à un mois a augmenté de plus de 36 % sans que l'on s'en soucie ?
En outre, l'emploi-jeunes peut représenter un marchepied, ce qui n'est pas
rien lorsque l'on connaît la difficulté qu'ont les jeunes à s'intégrer dans le
secteur privé, par manque d'expérience professionnelle antérieure.
Par ailleurs, les dossiers seront sélectionnés en partie en fonction des
possibilités de pérennisation de l'emploi : à terme, certaines professions
trouveront des sources de financement dans le secteur marchand ou associatif.
L'Etat pourrait d'ailleurs prendre en charge 10 % à 20 % de ces emplois.
D'autres critiques ont concerné les charges pesant sur les collectivités
locales, jugées trop lourdes.
Or l'aide de l'Etat est énorme, puisqu'elle représente pour chaque emploi 80 %
du SMIC, charges sociales comprises, soit 92 000 francs par an. L'apport
restant à la charge de l'autre contractant est donc de 20 %, ce qui est bien
peu en comparaison des sommes versées en faveur, par exemple, des
emplois-ville. Mais, surtout, la souplesse du projet permet toute forme de
cofinancement : les départements et les régions auront le devoir d'aider les
communes les plus pauvres.
C'est du « gaspillage », nous a-t-on enfin objecté : « C'est l'emploi privé
qu'il faut développer pour faire reculer le chômage ! »
Nous sommes pour le moins étonnés que donner du travail à 350 000 jeunes
puisse être considéré comme du gaspillage ! Cela vaut bien mieux que
l'exonération des charges sociales accordée aux entreprises, qui ne change
rien, nous l'avons bien vu, à la courbe du chômage. Oui, nous optons pour une
nouvelle politique, fondée sur le rôle moteur de la collectivité publique. Ce
projet de loi choisit la relance par l'emploi.
Le groupe socialiste reconnaît que le Gouvernement fait un pari, mais la
situation économique et sociale actuelle est telle qu'elle demande imagination
et audace : ce projet de loi en fait preuve.
Nous tenons par ailleurs à attirer l'attention de Mme la ministre sur la
question des handicapés. Ils nous ont paru trop absents du texte ; or la prise
en charge sociale de ces personnes est un devoir de solidarité. Le groupe
socialiste pense que le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui pourrait
profiter aux handicapés à deux titres : d'une part, en garantissant l'emploi
d'un certain nombre de jeunes handicapés, d'autre part, en créant des fonctions
nouvelles d'aide sociale aux handicapés.
Les jeunes handicapés sont des exclus parmi les exclus : ainsi, le chômage les
touche dans des proportions considérables. Nous avons donc accueilli très
favorablement la mesure prévoyant de réserver 6 % des emplois-jeunes aux
personnes reconnues handicapées. Cet engagement reprend les dispositions de la
loi du 10 juillet 1987, mais, malheureusement, ce quota est loin d'être
respecté. Le sera-t-il dans le cas des emplois-jeunes ? Une grande vigilance
s'impose à cet égard, madame la ministre. Notons que de nombreux métiers, qui
sont d'ores et déjà proposés, sont accessibles aux handicapés : l'entretien des
espaces naturels et la valorisation du petit patrimoine bâti pourraient ainsi
être assurés par des handicapés mentaux, tandis que le soutien scolaire ou
l'animation en matière de nouvelles technologies conviendraient aux handicapés
physiques.
Par ailleurs, des emplois-jeunes pourraient permettre le développement de
l'aide sociale aux handicapés. Dans votre liste indicative figurent seulement
les fonctions d'« assistant de convivialité à domicile » et d'« agent
d'insertion des handicapés ». Nous souhaiterions que d'autres idées soient
retenues.
Tout d'abord, en ce qui concerne les loisirs, un grand nombre de besoins se
font jour : il faudrait, par exemple, faciliter l'accès des lieux de culture et
de détente aux personnes dépendantes.
Des jeunes pourraient aussi promouvoir l'artisanat des handicapés. En effet,
de nouveaux emplois pourraient consister à dresser l'inventaire de toutes les
richesses produites par ces personnes et à contribuer à l'amélioration de leur
qualité et de leur présentation, en vue d'une vente par catalogue.
Enfin, si des jeunes ayant une formation commerciale se chargeaient de la
distribution des produits issus des centres d'aide par le travail, les CAT, et
des ateliers protégés, cela permettrait la valorisation du travail effectué par
les handicapés au sein de ces entreprises.
Nos propositions concernant les handicapés nous semblent être en adéquation
avec l'esprit du texte. Nous espérons, madame la ministre, que vous serez
sensible à ces remarques, qui n'ont pas d'autre objet que de l'enrichir.
Au-delà des divergences politiques, les acteurs locaux sont collectivement
garants de l'intérêt général. Il est par conséquent de leur devoir envers nos
concitoyens de participer pleinement à la bonne mise en oeuvre de ce projet de
loi, sans compter qu'un échec politique sur la question sensible de l'emploi
ferait le lit de l'extrême droite.
Madame la ministre, vous nous avez présenté un dispositif permettant de venir
au secours des jeunes. Pour que ce projet réussisse, il faudra que nous
fassions preuve d'imagination. Faisons ce pari avec vous, prenons ensemble ce
risque, d'autant plus nécessaire que les emplois nouveaux et émergents sont les
emplois de demain.
Vous pouvez compter sur le soutien unanime du groupe socialiste, sans
toutefois préjuger de notre vote. En effet, si votre projet de loi venait à
être dénaturé par certains amendements et détourné de son seul objet, à savoir
favoriser l'emploi des jeunes, nous pourrions ne pas le voter ou nous
abstenir.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel.
Qu'elle est belle, la voix du maire de Dourgne !
(Sourires.)
M. le président.
La parole est à Mme Bocandé.
Mme Annick Bocandé.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de
loi qui est soumis aujourd'hui au Sénat traite d'un sujet qui nous mobilise
tous, au-delà de nos sensibilités politiques, puisqu'il concerne l'emploi des
jeunes et, par là même, leur intégration dans la société.
Certes, c'est un dispositif spectaculaire - d'autant qu'il a été très
médiatisé - qui suscite beaucoup d'espoir auprès des jeunes et de leurs
familles. Si la démarche est louable dans ses objectifs, madame la ministre,
elle me paraît plus critiquable dans la façon d'y parvenir. Ce nouveau
dispositif vient s'ajouter à tous ceux qui existent déjà, rendant leur
lisibilité, leur coordination et leur exploitation de plus en plus complexes.
Ils constituent des mesures palliatives, sans s'attaquer aux causes réelles du
mal.
J'aurais préféré qu'un projet de loi sur l'emploi traite les problèmes du
chômage non pas par classe d'âge - cela a déjà montré ses limites, même si les
jeunes de moins de vingt-cinq ans sont les plus touchés - mais de façon plus
globale, notamment en s'appuyant sur le secteur privé, en poursuivant la baisse
des charges sur les bas salaires et en utilisant mieux les dépenses passives
liées à l'indemnisation du chômage.
Vous souhaitez, madame le ministre, répondre à un problème structurel de notre
société par une loi dont la portée est limitée, mais qui ne pourra, je le
crains, régler le douloureux problème du chômage des jeunes. En outre, elle
risque d'avoir, à plus ou moins long terme, des effets pervers clairement et
objectivement évoqués par notre excellent rapporteur et par un certain nombre
de mes collègues : pérennité du financement du dispositif par l'Etat ;
pérennité des emplois au-delà des cinq années, sans laquelle la désillusion
serait forte - mais quel sera alors le coût pour les collectivités et les
employeurs ? Comment éviter le risque d'une augmentation de la pression fiscale
? Quelle pertinence peut avoir une cohabitation entre emploi à contrat privé et
secteur public et parapublic ? N'y a-t-il pas décalage entre la nature de
l'emploi proposé et la qualification du jeune ?
Le Sénat se doit donc d'apporter à votre projet de loi, madame le ministre,
des amendements significatifs - faisons-lui confiance - pour le rendre plus
réaliste et le mettre davantage en mesure d'apporter des réponses mieux
adaptées au monde économique qui nous entoure.
Il me semble que, dans une économie efficace, la satisfaction des besoins est
un but et la création d'emplois un moyen. En voulant, comme vous le préconisez,
prendre pour objectif la signature d'un nombre donné de contrats « jeunes » et
pour moyen la satisfaction des aspirations des Français, on aborde, me
semble-t-il, le problème à l'envers. Aurons-nous, au-delà des moyens,
l'imagination assez fertile pour créer autant d'emplois innovants et solvables
?
Sinon, le risque est alors grand de sombrer dans le travers désastreux dans
lequel vous ne souhaitez pas tomber, à savoir concurrencer le secteur privé en
détruisant des emplois qui entreraient en concurrence directe avec ceux qui
sont subventionnés et qui coûteront moins cher à l'employeur. Ne croyez-vous
pas porter également un rude coup à des services bénévoles qui existent déjà et
qui sont source de lien social fort et désintéressé ?
De plus, dans certains secteurs, le nombre de candidats sera très largement
supérieur aux capacités offertes ; aussi la pression sur les élus que nous
sommes sera-t-elle très lourde. Il faudra donc bien trouver des critères
objectifs à la désignation finale des bénéficiaires pour éviter, par exemple,
le clientélisme. J'aimerais avoir des précisions à ce sujet, madame la
ministre.
Je souhaite, pour ma part, que profitent en priorité des emplois-jeunes, ceux
qui sont le moins formés, car ceux dont les capacités et la formation sont
meilleurs pourront s'orienter vers des carrières professionnelles en
entreprise.
Ainsi, les emplois-jeunes permettraient aux moins qualifiés, à ceux qui ont le
moins de chance de trouver une solution, d'accéder à un premier emploi leur
procurant une expérience professionnelle qui leur manquait tant, mais aussi une
chance d'apprentissage du travail, de ses horaires, de ses contraintes, de la
considération qui en découle et de son utilité sociale.
Les bénéficiaires des emplois-jeunes devraient pouvoir suivre des formations
spécifiques et qualifiantes.
Par ailleurs, la gestion au plus près du terrain de ces emplois permettrait
sans doute aux régions d'organiser des formations adaptées. Ce devrait être
l'occasion de qualifier les emplois, d'établir des grilles de compétence
débouchant sur un diplôme et une homologation.
Pour pallier l'inexpérience du jeune et la spécificité de certains emplois, ne
faudrait-il pas favoriser l'encadrement du jeune par un tuteur référant, et
définir les modalités du financement de ce tutorat ?
Madame le ministre, le Premier ministre et vous-même avez annoncé la création
de 700 000 emplois-jeunes : 350 000 dans le secteur public - texte qui nous
occupe aujourd'hui - et 350 000 dans le secteur privé.
Au moment où la Conférence sur les salaires va s'ouvrir, quelles informations
pouvez-vous nous apporter sur la seconde partie du dispositif ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le texte qui
nous est soumis aujourd'hui tente de répondre à l'un des problèmes majeurs de
notre société : le chômage des jeunes. Ce problème est d'autant plus grave
qu'il interdit toute erreur de notre part. Or ce projet de loi, qui affiche
d'excellentes intentions et qui suscite un engouement bien compréhensible, ne
doit pas nous tromper.
En effet, il comporte, dans son principe même, de graves effets pervers. En
premier lieu, comment pourra-t-on vérifier que ces emplois correspondent bien à
des « besoins émergents » ou « non satisfaits », comme l'exige votre texte ? En
second lieu, ces métiers ne viendront-ils pas en concurrence avec des métiers
du secteur marchand ?
M. Serge Franchis.
Très bien !
M. André Jourdain.
Nous pourrions multiplier les exemples.
Il est bien évident que les collectivités et les associations seront tentées
de faire accomplir aux jeunes embauchés des missions qui existent déjà et pour
lesquelles elles manquent de personnel, d'autant que le contrôle sur le terrain
sera très difficile à effectuer.
Par ailleurs, si l'on peut s'interroger sur le bien-fondé de ces nouveaux
métiers, une question plus grave encore doit être posée : quel sera l'avenir de
ces jeunes au terme des cinq années ?
Pour certains d'entre eux, on imagine déjà une titularisation avec un statut
ambigu dans la fonction publique. Pour d'autres, on ne voit pas comment le
secteur marchand pourrait prendre à sa charge des emplois qui ne relèvent pas
du secteur privé et dont on ignore s'ils correspondent réellement à des
besoins.
En outre, ce texte ne prévoit pas d'obligation de formation. Or certains de
ces emplois, comme le soutien scolaire ou la médiation pénale, seront
nécessairement occupés par les jeunes les plus diplômés. Cela entraînera deux
conséquences négatives : d'une part, la dévalorisation des diplômés payés au
SMIC et, d'autre part, l'absence d'insertion pour les jeunes non qualifiés qui
seront ainsi condamnés aux « petits boulots ».
Ce dispositif va donc créer une jeunesse à deux vitesses, puisqu'il met en
concurrence, pour un même emploi, des jeunes diplômés et des jeunes non
qualifiés. Les moins employables d'entre eux, c'est-à-dire ceux qui sont en
grande difficulté, n'auront pas accès à ce dispositif. Ils iront vers des CES
qui n'offrent pas les mêmes avantages puisqu'ils sont moins rémunérés et durent
deux ans au maximum. Il y a là, me semble-t-il, une profonde injustice.
Par ailleurs, en l'absence de formation véritable, la plupart d'entre eux ne
bénéficieront toujours pas, au terme des cinq ans, d'une qualification ou de
l'apprentissage d'un métier qui existe dans le secteur marchand.
En dépit de vos déclarations, madame le ministre, ce texte constitue bel et
bien un énième plan de traitement social du chômage, dont nous connaissons par
avance les conséquences. Différentes études menées par la Direction de
l'animation, de la recherche, des études et des statistiques, la DARES,
montrent, en effet, que ce type de dispositif détruit inévitablement des
emplois dans le secteur marchand. Ces études sont d'ailleurs immédiatement
confirmées par les faits, puisque le coût de votre projet entraîne des
réduction de crédits pour l'AGED, l'allocation de garde d'enfant à domicile,
ainsi que dans le domaine de la défense, et donc des réductions d'emplois.
Votre plan crée ainsi de faux emplois pour en détruire de réels.
En résumé, je crains que ce texte n'enferme les jeunes dans un statut
arbitraire et totalement déconnecté de la vie économique du pays. De plus, en
leur évitant la mise en concurrence avec les adultes, on risque de fausser leur
trajectoire individuelle.
Pour ces raisons, votre projet de loi, dans sa forme actuelle, serait à
rejeter. Cependant, l'espoir qu'il suscite est important et il vaut mieux,
selon moi, l'améliorer sensiblement. Vous avez d'ailleurs déclaré devant la
commission des affaires sociales qu'il faut tout faire pour que les jeunes
puissent ensuite accéder au secteur marchand. La majorité de la commission vous
a entendue et notre excellent rapporteur, M. Louis Souvet, a modifié le texte
en ce sens.
Pour ma part, j'estime que les seuls emplois véritables sont ceux qui sont
créés par l'entreprise. Il me paraît donc indispensable d'ouvrir le dispositif
aux activités associatives liées à l'économie. Celles-ci constituent, en effet,
un moyen pertinent d'accéder au secteur marchand.
Notre objectif, vous l'aurez compris, est de créer une passerelle vers de
véritables emplois, ce que votre texte ne permet pas en l'état. De plus,
s'ajoutant à une éventuelle réduction du temps de travail, votre dispositif
dévoile le fond de votre pensée : à l'inverse de ce qui se passe chez nos
partenaires occidentaux, vous ne croyez plus à la croissance. En imposant aux
jeunes d'entrer dans des placards pour cinq ans, en voulant réduire la durée du
temps de travail, vous montrez une conception pessimiste de l'économie, donc de
l'emploi, conception qui hypothèque gravement l'avenir de notre pays.
Mme Joëlle Dusseau.
On est un des pays qui travaille le plus !
M. André Jourdain.
En conséquence, si ce texte n'est pas considérablement amélioré, je le
rejetterai. En effet, il constitue en son état actuel un danger pour la nation,
et en particulier pour sa jeunesse.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Roujas.
M. Gérard Roujas.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, certains
d'entre vous se souviennent sans doute des réticences, pour ne pas parler
d'hostilité, de nos collègues de la majorité sénatoriale lorsque, en 1981, le
Premier ministre de l'époque, M. Pierre Mauroy, avait proposé au Parlement de
voter un certain nombre de mesures d'avancée sociale telles que la retraite à
soixante ans ou la cinquième semaine de congés payés.
Nous allions, selon eux, rendre la France exsangue. La catastrophe annoncée ne
s'étant pas produite, ces mesures n'ont, depuis, jamais été remises en cause et
chacun se plaît à reconnaître leur bien-fondé.
Aujourd'hui, avec le projet de loi relatif au développement de l'emploi des
jeunes, j'ai le sentiment de revivre le même scénario en constatant le peu
d'enthousiasme de nos collègues de la majorité sénatoriale face au texte qui
nous est proposé.
L'analyse du présent vient ainsi confirmer celle du passé et l'on voit bien
apparaître toute la différence qui peut exister entre conservatisme et
immobilisme, d'une part, progrès et mouvement, d'autre part.
Je me réjouis, pour ma part, d'être une fois de plus dans le camp du
progrès.
Il faut reconnaître que, pour la majorité sénatoriale, le choix est délicat.
D'ailleurs, elle a du mal à cacher son embarras.
Soit elle rejette le texte en bloc et prend ainsi le risque de heurter
l'opinion publique, et plus particulièrement la jeunesse qui, de toute
évidence, adhère à la démarche du Gouvernement ; soit elle adopte le texte et
participe à la réussite d'un Gouvernement qu'elle combat, ce qui n'est pas,
a priori,
l'objectif d'une opposition.
Il ne lui reste donc que la voie intermédiaire, celle qu'elle a finalement
adoptée et qui consiste à amender le texte de manière à justifier son vote
négatif.
Si certaines des modifications qui nous sont proposées peuvent recevoir notre
adhésion, d'autres, en revanche, sont de nature à modifier l'esprit même du
texte, et cela nous ne pouvons l'accepter.
D'une manière générale, à trop vouloir amender le projet de loi, en
multipliant les contraintes, en le corsetant, le risque est grand de le rendre
inapplicable ou inefficace et de créer une grande désillusion chez nos jeunes
concitoyens.
Je souhaite, personnellement, que cette loi conserve une relative souplesse
afin de répondre au mieux aux objectifs fixés, à savoir combattre le chômage et
redonner espoir à la jeunesse.
Cette loi novatrice, audacieuse, va engager un processus d'expérimentation
sans précédent à l'échelle du pays, et bien malin est celui qui peut, à
l'instant présent, en cerner toute la portée. Elle va libérer l'initiative,
faire éclore les projets.
Je fais pleinement confiance aux jeunes qui sauront, ayant retrouvé l'espoir
et une fois engagés dans le processus, inventer les formules pérennisant
l'emploi dans lequel ils se seront investis.
La nécessité de ne pas créer trop de carcans dès le départ a été parfaitement
comprise.
En effet, l'article 3 du projet de loi stipule que, avant le 31 décembre 1998,
le Gouvernement présentera au Parlement un bilan de l'application de la loi et
de ses effets sur l'emploi.
Notre devoir sera, à ce moment-là, de tirer toutes les conclusions de
l'expérience vécue et d'apporter, le cas échéant, les modifications qui
s'imposeront.
Mais, de grâce, ne bloquons pas dès le départ un processus si important pour
l'avenir de notre pays et de notre jeunesse.
Vous l'aurez compris, madame le ministre, mes chers collègues, je suis
favorable à ce projet de loi, et je me réjouis que le Gouvernement confirme
ainsi sa farouche détermination à combattre le fléau du chômage.
Je ne reviendrai pas sur les différents aspects du projet de loi. Ce dernier,
je crois, est suffisamment clair, tant dans son objectif que dans les moyens
pour l'atteindre.
Cependant, je voudrais vous faire part d'une préoccupation.
L'Assemblée nationale a souhaité étendre l'accès à ces nouveaux emplois aux
jeunes bénéficiaires d'un contrat emploi-solidarité, d'un contrat emploi
consolidé ou d'un emploi-ville ; vous-même, madame le ministre, avez souhaité
étendre le dispositif aux jeunes qui sont en apprentissage.
Je comprends parfaitement le souci qui est le vôtre et celui des députés de
préserver un maximum d'équité entre les différentes catégories de contrats. Je
sais que ce souci est partagé par de nombreux sénateurs, notamment par notre
collègue rapporteur de la commission des affaires sociales.
Cependant, je crains que cette disposition ne soit préjudiciable au
développement des contrats en alternance, plus particulièrement à
l'apprentissage. Si les emplois-jeunes apparaissent comme plus attractifs
financièrement que les contrats d'apprentissage, ne court-on pas le risque de
voir les jeunes délaisser les seconds au profit des premiers ?
M. Louis Souvet,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Eh bien oui !
M. Gérard Roujas.
Or, l'apprentissage est, à mon sens, l'un des outils de la lutte contre le
chômage, et il doit le rester.
Je souhaite que, au sein de la politique générale du Gouvernement en faveur de
l'emploi, vienne s'ajouter, aux côtés tant des mesures en vue de la relance de
la consommation et de la présente loi que des mesures qui seront proposées
demain en faveur de l'emploi des jeunes dans le secteur privé, un volet en
faveur de l'apprentissage, rendant celui-ci plus attractif pour les jeunes qui
choisissent cette voie.
Cela dit, je souhaite à votre loi, madame le ministre, tout le succès qu'elle
mérite, et je reste persuadé que la cueillette des fruits dépassera la promesse
des fleurs, pour peu que nous tous, qui sommes aussi, pour la plupart, des élus
locaux, nous relayions sur le terrain la politique volontariste que vous avez
voulu impulser avec ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Franchis.
M. Serge Franchis.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi, fondé sur la situation très préoccupante de l'emploi des jeunes, s'appuie,
qu'on le veuille ou non, sur la logique d'un dispositif existant et sur une
volonté forte d'en multiplier les effets.
Les mesures antérieures qui, depuis l'invention des TUC, concourent à activer
les charges passives du chômage sont, à bon escient, maintenues.
Par votre projet de loi, madame la ministre, vous avez l'ambition d'offrir une
activité de service au plus grand nombre de jeunes sans emploi. Vous vous
adressez à un large public, allant jusqu'à celles et ceux qui ont bénéficié
d'un enseignement supérieur.
Une réelle priorité à l'emploi est affirmée. Nous ne pouvons indéfiniment
proclamer que l'emploi est la priorité des priorités et ne pas inciter les
entreprises, les administrations et les partenaires sociaux à un changement
radical de comportement.
Cela dit, l'analyse très objective qu'a faite ce matin M. Louis Souvet,
rapporteur, nous met en garde à l'égard de maintes dispositions de ce texte.
Très brièvement, je voudrais insister sur quelques points.
Premièrement, certains emplois qui seront pourvus le seront au détriment de
personnes entrant actuellement dans le champ de recrutement de ces activités et
âgées de plus de vingt-six ou trente ans.
En effet, les besoins dits « émergents » sont, ici ou là, déjà couverts, au
moins partiellement, en fonction d'initiatives prises de longue date soit par
des associations, soit par des collectivités locales. Les vingt-deux métiers
recensés ne sont pas tous de nouveaux métiers. Bien évidemment, les
dispositions proposées permettront d'en développer la pratique, quitte à
alléger la tâche des services traditionnels.
Nous l'observons pour les contrats emploi-solidarité, les contrats
emploi-consolidé ou les emplois de ville : les employeurs font, par ce biais,
l'économie de quelques postes statutaires. Une fonction publique
bis
est
en train de naître.
Deuxièmement, il est opportun de s'interroger sur le taux probable de
transfert au secteur marchand de ces missions confiées au service public. A
défaut d'une dégressivité de l'aide de l'Etat, on ne voit guère comment une
contribution suffisante des usagers pourrait être obtenue au terme d'une
période de cinq ans.
Les collectivités territoriales manifestent à ce sujet leurs inquiétudes. A la
sortie du dispositif, elles seront, de fait, placées devant l'obligation morale
de prendre en charge de nombreux services dont elles n'auront pas la capacité
d'assurer le financement.
Troisièmement, nous devons prendre conscience du fait que l'annonce d'un
recrutement massif de 350 000 jeunes est perçue par les bénéficiaires
potentiels comme l'ouverture d'un droit. Un sentiment d'injustice sera ressenti
d'autant plus cruellement par celles et ceux qui ne trouveront pas leur place,
au moins dans l'immédiat, dans le dispositif qu'ils appartiendront à la
catégorie des personnes les moins qualifiées.
La logique du système consisterait à écarter tout quota, toute limite d'âge et
à transformer en dépenses actives toutes les charges passives du chômage.
De là vient notre impatience - c'est mon quatrième point - de voir ce projet
de loi s'articuler dans un dispositif plus large qui puisse l'équilibrer et le
compléter.
S'agissant du temps de travail, l'Etat incite à sa réduction dans les
entreprises. La loi Robien est déjà une référence. Les perspectives d'un
passage à trente-cinq heures de travail hebdomadaire seront abordées lors de la
conférence sur l'emploi, le 10 octobre.
Mais qu'en sera-t-il pour la fonction publique ? Rien ne justifie que, pour
ses propres agents, l'Etat se tienne à l'écart de la politique qu'il tend à
promouvoir auprès des employeurs privés. Bien au contraire, la fonction
publique devrait permettre d'entreprendre les expériences les plus hardies,
susceptibles d'instituer une semaine de quatre jours. Le partage des emplois de
la fonction publique de l'Etat, des collectivités territoriales et des
établissement hospitaliers pourrait s'appliquer, au moins pour les nouveaux
recrutements, sans soulever de problèmes d'ordre budgétaire.
Je me félicite de l'adoption, par la commission des affaires sociales,
d'amendements très pertinents visant à favoriser le passage progressif des
emplois créés vers le secteur marchand, à permettre l'encadrement des activités
nouvelles en s'ouvrant à d'autres catégories de personnes exclues du marché du
travail et à encourager le recours à l'apprentissage.
Ces amendements respectent l'esprit du texte ; ils ne le dénaturent pas, ils
lui apportent plus de clarté, plus de souplesse, plus de réalisme.
L'application de cette loi restera cependant difficile. Elle nécessitera une
adhésion morale des partenaires de terrain que sont les élus locaux, les
organismes d'HLM, le monde associatif et les entreprises.
Sur ces travées, beaucoup souhaitent offrir une chance de succès à votre
projet de loi ainsi remanié, madame la ministre, tout en appelant de leurs
voeux l'intervention d'autres mesures qui puissent mieux embrasser la situation
tragique de l'ensemble des chômeurs, dont les chefs de famille et les chômeurs
de longue durée âgés de plus de trente ans, des mesures qui permettent que, là
où se créent les richesses et où se rendent les services, au sein de
l'entreprise, chacun puisse trouver sa place dans la dignité et avec la
considération qui lui est due.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Eckenspieller.
M. Daniel Eckenspieller.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le temps qui
m'est imparti étant extrêmement limité, je me bornerai, ne voulant pas priver
notre excellente collègue Mme Michaux-Chevry de son temps de parole, à soulever
ici très rapidement un point technique qui me paraît avoir été occulté jusqu'à
présent et qui me semble receler une menace majeure, dont les conséquences
financières, aussi bien pour l'Etat que pour les collectivités territoriales et
les établissements publics, pourraient se chiffrer à plusieurs milliards de
francs.
Le projet de loi dispose que les contrats emplois-jeunes sont des contrats de
travail de droit privé. Sans doute ne suffit-il pas de l'écrire sous cette
forme pour que le risque chômage puisse être couvert.
Si l'employé relève du droit privé, il n'en est pas de même, en l'occurrence,
de l'employeur. En effet, l'Etat n'est pas affilié à l'UNEDIC. Les
collectivités territoriales peuvent l'être sous réserve qu'elles le soient pour
l'intégralité des agents non stagiaires ou titulaires de la fonction publique
territoriale. En fait, celles qui le sont sont rarissimes, et elles emploient
d'ores et déjà de nombreux agents contractuels, auxiliaires ou vacataires.
Pour ces agents, qui ne sont pas affiliés à l'assurance-chômage, c'est la
collectivité qui supporte les charges liées à la perte d'emploi lorsque
celle-ci se produit, sans que l'UNEDIC intervienne de quelque façon que ce
soit.
C'est tellement vrai qu'il a fallu des dispositions dérogatoires pour que les
personnes engagées au titre des contrats emploi-solidarité puissent être
couvertes contre le risque chômage, et ce à un taux et à des conditions
spécifiques, différentes de celles du droit commun.
Il aura fallu six mois de négociations difficiles avec l'UNEDIC pour que ce
régime dérogatoire soit étendu aux contrats emplois de ville, et des
difficultés de même nature se sont posées lorsque les collectivités ont eu
accès à l'apprentissage.
C'est dire qu'aujourd'hui, dans l'état actuel du texte, nous sommes fondés à
penser que, comme pour leurs autres agents contractuels, l'Etat et les
collectivités territoriales auront à supporter les charges liées à la perte
d'emploi des jeunes qu'ils engageraient au titre du dispositif proposé. Le coût
en serait considérable.
Le coût de cette indemnisation est de l'ordre de 18 000 francs après quatre
mois d'emploi, de 30 000 francs après six mois, de 55 000 francs après un an et
de 110 000 francs après cinq ans.
Il s'agit là, me semble-t-il, d'un point capital qu'il convient de préciser
sans aucune ambiguïté avant que l'on n'incite les employeurs publics à
s'engager dans le dispositif proposé par le présent projet de loi. C'est vrai
pour ce qui concerne aussi bien l'Etat que les collectivités territoriales et
les établissements publics.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Lise.
M. Claude Lise.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, compte tenu du
temps de parole qui me reste, je ne peux que souligner l'intérêt tout
particulier du projet de loi qui nous est présenté pour les départements
d'outre-mer.
Chez nous, bien plus encore qu'ici, la seule annonce de ces mesures a suffi à
faire renaître l'espoir dans les rangs d'une jeunesse en proie, hélas ! depuis
trop longtemps, à un balancement inquiétant entre découragement et révolte.
Ai-je en effet besoin de vous rappeler l'acuité du problème de l'emploi aux
Antilles, en Guyane, ou à la Réunion ?
Certes, l'ampleur du phénomène est telle que l'on ne peut raisonnablement
prétendre tenter de l'endiguer grâce au seul dispositif contenu dans le projet
de loi actuel.
Nos jeunes en ont parfaitement conscience. Ils savent que les choses ne
changeront radicalement pour eux qu'une fois que l'on se sera attaqué au
mauvais développement qui sévit depuis si longtemps dans les départements
d'outre-mer, qu'une fois que l'on aura enfin mis en oeuvre un véritable plan
global de développement.
Mais ils ressentent mieux que personne l'urgence qu'il y a à démontrer par un
signal fort qu'il existe une réelle volonté politique de renverser le cours des
choses.
C'est précisément, et fort heureusement, ce qu'a compris le Gouvernement. Le
dispositif emploi-jeunes, tel que vous l'avez conçu, madame le ministre, est un
signal très fort à destination de la jeunesse qui prend, outre-mer, une
résonnance toute particulière.
Il tranche avec tout ce qui a été fait jusqu'ici, singulièrement avec le
fameux dispositif des contrats d'insertion par l'activité mis en place par la
loi Perben.
L'objectif qui avait été mis en avant alors était de privilégier, parmi les
différents modes d'insertion des RMistes d'outre-mer, ceux qui permettaient
l'accomplissement de tâches d'utilité sociale.
Objectif fort louable, mais en réalité vite contrecarré par l'invraisemblable
système des agences départementales d'insertion, les ADI, imaginé par quelques
technocrates parisiens obstinément sourds aux mises en garde des élus
locaux.
Etablissements publics nationaux placés sous la double tutelle des ministères
du budget et de l'outre-mer, ces ADI ont évidemment le plus grand mal à assumer
la tâche d'employeur de CIA qui leur a été assigné.
Elle se révèlent, en réalité, beaucoup plus efficaces dans la collecte des
crédits d'insertion que les conseils généraux sont obligés de leur verser que
dans la réalisation de leur mission première d'insertion.
C'est ainsi, pour ne prendre que le cas de la Martinique, que l'ADI locale a
terminé son exercice avec un compte administratif qui accusait un excédent de
trésorerie de plus de 122 millions de francs !
Il est donc évidemment urgent de réformer ces agences d'insertion.
Cette situation permet de comprendre une demande exprimée, comme vous le
savez, par de très nombreux élus, à savoir que le conseil général devant faire
un effort très important dans le dispositif que vous présentez, il faudrait
qu'il ait la possibilité d'imputer sur ces crédits une partie de sa
contribution. Compte tenu des sommes très importantes inutilisées dans les ADI,
cette demande est tout à fait raisonnable.
Chez nous, madame le ministre, plus certainement qu'ailleurs, le succès de ce
grand projet que vous nous présentez et qui répond à un besoin évident sera
pour une bonne part conditionné par la capacité du texte qui sortira de nos
débats à s'adapter au mieux aux réalités locales.
Les acteurs locaux sont en tout cas prêts à s'engager et ils ont déjà fait
part de nombreuses réflexions et présenté de nombreuses propositions en matière
d'emploi dans le cadre de ce dispositif.
Une telle mobilisation augure bien, je crois, de ce qui va se passer bientôt
sur le terrain, là où rien ne devra être négligé pour répondre efficacement à
une attente qu'il ne peut être question de décevoir : l'attente de ces jeunes,
beaucoup trop nombreux, qui ont un urgent besoin de reprendre confiance en
eux-même et en l'avenir.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen)
M. le président.
La parole est à Mme Michaux-Chevry.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'ouverture
d'un débat sur l'emploi est de nature à retenir l'attention de l'ensemble de la
représentation parlementaire.
Proposer des emplois, développer l'activité sur une durée de cinq années ne
pouvait aussi que retenir l'attention de l'ensemble des parlementaires.
Mais, si l'on examine la liste des emplois retenus par le Gouvernement, on est
étonné. En matière d'environnement, vous proposez ainsi à la jeunesse, madame
le ministre, d'aller sur les plages ou au bord des rivières ramasser de
l'herbe. Une société moderne, celle qui va aborder l'an 2000, devrait
s'intéresser plutôt aux technologies innovantes - éoliennes, énergie solaire -
et à la prévention des catastrophes naturelles ! Voilà qui aurait stimulé notre
jeunesse si ces projets d'emplois avaient été accompagnés des formations
adéquates...
L'espace aérien, l'espace maritime, les satellites de communication sont des
domaines que vous avez oubliés ! Vous vous cantonnez dans le petit cadre
d'Internet et d'Intranet, sans tenir compte des autoroutes de communication où
la France pourrait être présente...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cela, c'est vrai !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
...puisqu'elle est la puissance maritime la plus importante en Europe.
Et je pourrais multiplier les exemples en citant la coopération, les
opérations et les interventions humanitaires, notamment vers l'île d'Haïti ou
vers l'Afrique, où notre jeunesse a besoin de montrer sa générosité.
Vous êtes en train de geler notre jeunesse dans des secteurs qui ne sont pas
valorisants. Vous perdez de vue le fait qu'elle a besoin de s'épanouir et vous
l'hypothéquez sur des emplois de fonctionnaires aspirants.
(Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et
indépendants.)
Pour notre part, dans les départements d'outre-mer, nous n'avons pas
attendu ce projet de loi. Nous avons signé avec le secrétaire d'Etat à
l'outre-mer, M. Queyranne, un plan régional pour l'emploi, dans lequel nous
prenons précisément en compte ces secteurs valorisants pour stimuler la
jeunesse de l'outre-mer.
Je regrette, madame le ministre, que vous ayez complètement oublié
l'outre-mer. Aux termes de votre article 2
bis
- et je reprends ici les
propos de notre collègue M. Lise - ce sont les technocrates qui seront appelés
à décider de notre avenir puisque vous y écrivez que la loi ne sera mise en
oeuvre que par décret. Ce que je dis en ce moment ne sert donc à rien, puisque
ce seront les technocrates qui vont décider de l'avenir de l'outre-mer !
Vous semblez être très pressée pour la France hexagonale, où le problème de
l'emploi se pose pourtant avec une acuité moindre que chez nous. En outre-mer,
où vos projets ont créé un immense espoir, c'est déjà la révolution, notamment
à la Réunion, où les mairies sont envahies.
Pour la Guadeloupe, c'est la déception, puisque le recteur a déjà annoncé
l'arrivée de fonctionnaires dans les écoles et dans les collèges, mais pas dans
les lycées. La collectivité régionale que je préside, et qui compte vingt-neuf
lycées, est donc très pénalisée.
Je suis persuadée que, si vous aviez eu la volonté de régler réellement ce
problème outre-mer, vous auriez pris le temps de respecter le décret du 15
avril 1960, repris par la loi de 1982 : ce texte vous oblige, madame le
ministre, à consulter les collectivités territoriales que nous sommes avant de
voter un texte dont les dispositions sont applicables dans les départements
d'outre-mer.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR.)
Vous n'innovez pas, vous n'apportez pas d'élément nouveau. Pourtant,
j'espérais. Oui, vraiment, j'espérais ! En apprenant que vous aviez créé une
fondation très importante, « Agir contre l'emploi »...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Agir « pour » l'emploi !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
... ou « Agir contre l'exclusion », j'étais vraiment convaincue que vous
alliez apporter des éléments novateurs.
Force est de constater que nous en sommes restés aux petits boulots, aux
personnels de tri, aux agents dont la fonction est de faire la lecture aux
personnes âgées...
Ce n'est pas avec de tels projets que la France va préparer la jeunesse de
dix-huit à vingt-cinq ans à l'ouverture de l'an 2000 !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Alain Vasselle.
C'est le bon sens qui a parlé !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais tout d'abord remercier la
commission des affaires sociales, son président et son rapporteur, à la fois
pour le travail qu'ils ont réalisé et pour la modération de leurs propos à
l'occasion de l'examen d'un texte qui, effectivement, se veut innovant.
Lorsqu'on a échoué sur le chômage, comme nous l'avons tous fait ces dernières
années, on doit avoir un peu de modestie, et ce sur toutes les travées.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
C'est le cas aussi à la Guadeloupe, et j'en parlerai à Mme Michaux-Chevry tout
à l'heure.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Ah oui, vous me répondrez !
(Sourires)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Oui, nous en parlerons.
Nous sommes confrontés à des sujets difficiles, sur lesquels un grand nombre
de nos concitoyens attendent beaucoup de nous. Les propos idéologiques ou
dogmatiques,
a fortiori
les insultes du type « fée Carabosse » n'ont pas
leur place dans un lieu comme celui-ci ! Nous sommes ici pour trouver des
solutions, pour essayer ensemble de les construire. Et nous savons bien que
nous n'apporterons pas l'ensemble des réponses aux questions qui se posent car,
si cela était possible, il y a longtemps que le problème du chômage aurait été
réglé dans notre pays !
Je reprendrai, en essayant de les regrouper, les questions qui ont été posées,
et je répondrai en premier lieu au président de la commission, M. Fourcade, et
à son rapporteur, M. Souvet.
Tout d'abord, permettez-moi quelques remarques générales.
Nous avons effectivement tous échoué, le chômage que nous connaissons le
montre abondamment ces temps-ci, et je dois reconnaître que ces dernières
années n'ont pas été les meilleures, puisque le taux de chômage de longue durée
n'a jamais été aussi élevé, ainsi d'ailleurs que celui qui concerne les
jeunes.
Certains nous ont dit que la réponse était dans le libéralisme. Mais on voit
effectivement ce qu'a donné le libéralisme de Mme Thatcher en Grande-Bretagne,
ce qu'y ont donné la réduction du SMIC, la suppression des services publics !
On constate aussi que les Anglais ont préféré aujourd'hui élire Tony Blair, qui
essaie de trouver une solution équilibrée entre l'Etat et le marché.
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est aussi ce que nous
recherchons, ici, en France, et c'est d'ailleurs, au-delà de nos rangs, ce qui
réunit beaucoup de ceux qui se sont battus pour trouver un modèle européen. Je
pense au général de Gaulle comme au président Mitterrand.
(Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Emmanuel Hamel.
Ce n'est pas la même chose !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Le libéralisme, aujourd'hui,
c'est la loi du plus fort, c'est la rentabilité à court terme, c'est
l'individualisme, c'est ce qui fait qu'aux Etats-Unis, aujourd'hui, 40 millions
de citoyens n'ont pas accès à la santé et que, malgré l'augmentation de 8
millions d'emplois dans les services - j'y reviendrai - le chômage est tout à
fait important tandis que les ghettos persistent.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Adrien Gouteyron.
Ce n'est pas notre modèle !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ce n'est pas le modèle de tous,
mais certains l'ont cité !
Beaucoup d'entre vous ont évoqué la baisse des charges. Je rejoins, sur ce
point. l'intervention de l'un de vos collègues communistes, qui a dit avec
juste raison que nombre des aides qui ont été imaginées ces dernières années,
tant dans vos rangs que dans les nôtres, ont été ciblées et n'ont donné lieu à
aucune contrepartie de la part des entreprises.
En revanche, je fais partie de ceux qui pensent que le coût du travail est
trop élevé dans notre pays - je l'ai dit tout à l'heure - parce que les charges
sociales y sont trop assises sur les salaires, ce qui n'est le cas dans aucun
autre pays européen. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement vient de
changer l'assiette des cotisations salariales de sécurité sociale et que,
l'année prochaine, il changera l'assiette des cotisations patronales pour taxer
moins les salaires, et donc moins gêner l'emploi. Par conséquent, sur la baisse
des charges, je crois que nous sommes d'accord.
Certains d'entre vous ont cité l'exemple des Pays-Bas, et je m'en réjouis. Je
voudrais simplement vous rappeler, à titre d'information, que, aujourd'hui, les
prélèvements obligatoires y sont de cinq points supérieurs à ce qu'ils sont en
France. Essayons donc de traiter les sujets en prenant en compte la totalité
des paramètres !
Si les Pays-Bas ont réussi, c'est d'abord parce qu'ils sont parvenus à réduire
la durée du travail sans porter atteinte à la compétitivité des entreprises. Et
c'est bien ce que nous espérons faire nous-mêmes, en ouvrant des négociations à
partir de la Conférence sur l'emploi.
Voilà ce que je souhaitais répondre à M. Gournac, et je suis prête à lui
fournir un certain nombre de documents sur l'exemple des Pays-Bas, que je
trouve moi aussi tout à fait intéressant, mais sans doute pas pour les mêmes
raisons.
Je crois moi aussi - et je réponds là à M. Grignon - que l'emploi doit venir
des entreprises, ce qui ne signifie pas que l'Etat doit attendre les bras
ballants. Mais, quand je vois comment les grandes entreprises travaillent
aujourd'hui avec leurs sous-traitants, quand je vois comment le secteur
bancaire, qui est largement privé, n'aide pas les petites et moyennes
entreprises à se développer, je me dis que l'Etat se doit d'accompagner les
PME, comme nous l'avons fait dans le projet de budget pour 1998, notamment en
leur donnant les capacités de se développer, par exemple par le
capital-risque.
Par conséquent, moi aussi, je suis pour l'esprit d'entreprise, je crois qu'il
faut aider les PME, mais je crois que l'Etat a aussi son rôle à jouer dans
certains cas : il n'y a pas d'un côté le diable qui serait l'Etat, et de
l'autre le dieu qui serait le marché. Il y a, dans nos modèles, un travail à
faire en commun entre l'Etat et les marchés. C'est cela, me semble-t-il, le
modèle européen !
Mme Michaux-Chevry nous a demandé de favoriser les nouvelles technologies. Je
suis d'accord, madame le sénateur ! Toutefois, vous avez sans doute constaté
que le Gouvernement avait pris, là aussi, des mesures pour aider les petites et
moyennes entreprises qui se lancent dans les nouvelles technologies !
Nous sommes en retard, certes, par rapport aux Etats-Unis et il faut aider les
entreprises
start up
qui se lancent sur le marché, mais nous avons pris
des dispositions fiscales dès 1998. Peut-être ne connaissez-vous pas encore le
contenu du projet de budget ? Il est en tout cas dommage que vos amis ne
l'aient pas fait ces dernières années.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Si, nous l'avons fait ! Vous êtes en retard !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Enfin, l'aide à l'émergence de
nouvelles activités a permis, notamment aux Etats-Unis - c'est la raison pour
laquelle je reviens sur cet exemple - de créer huit millions d'emplois ces
dernières années. Toutefois, ces huit millions d'emplois ont surtout profité
aux usagers, aux clients solvables, à ceux qui ont de l'argent, alors que nous
souhaitons aujourd'hui, en France - comme en Europe, d'ailleurs - faire
effectivement en sorte que soient satisfaits les besoins en matière de
sécurité, de qualité de vie, d'accès à la culture, d'accès aux loisirs pour le
plus grand nombre. C'est cela qui fait sans doute l'originalité de notre
modèle.
Je voulais le dire de manière extrêmement simple, je crois moi aussi à
l'entreprise - j'y ai travaillé - et à l'esprit d'initiative, mais je pense
aussi que l'Etat doit inciter les différents partenaires à entrer dans une
logique économique pour accentuer un modèle de développement qui nous permettra
de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens et de créer des emplois.
Certains de vous ont manifesté beaucoup de mépris pour la fonction publique et
les services publics. Je pense d'ailleurs que, lorsque nous parlerons de santé,
d'éducation ou de sécurité, les mêmes nous diront que nous manquons
d'infirmières, d'instituteurs ou de policiers !
Il faut que l'on cesse, dans ce pays, de traiter de manière désagréable la
fonction publique et les services publics...
M. Emmanuel Hamel.
Dites-le à M. Allègre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... tout en demandant toujours
plus de fonctionnaires dans ces domaines.
D'autres ont prétendu que les jeunes se mettraient à l'abri dans des cocons à
l'éducation nationale, que ceux qui, aujourd'hui, font la queue devant les
rectorats essaieraient de se « planquer » en quelque sorte.
(Protestations sur les travées du RPR.)
Ecoutez, je reprends les termes qui ont été employés !
Cela reflète tout de même une totale méconnaissance du désespoir des jeunes
dans notre société à l'heure actuelle !
M. Alain Gournac.
On dirait que vous êtes les seuls à connaître la jeunesse !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Non, pas du tout, mais nous ne
nous permettons pas de tenir de tels propos sur les jeunes. Ces jeunes
apprécieront d'ailleurs, monsieur Gournac, puisque c'est vous qui avez employé
l'expression.
M. Alain Gournac.
Vous transformez ce que j'ai dit !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
M. Jourdain a dit qu'il croyait
à la croissance. Eh bien, nous aussi, et c'est précisément pour cela que nous
allons relancer la consommation que vous avez bridée ces dernières années,
messieurs, au point que la croissance de la France a été inférieure de 1 % à
1,5 % à celle des autres pays.
La vérité, c'est qu'il faut, aujourd'hui, pousser la croissance en favorisant
la consommation. Mais, nous le savons, la croissance seule n'est pas
suffisante. L'ensemble des experts réunis ces dernières semaines, ceux du
patronat comme ceux de l'administration, reconnaissent que, même avec une
croissance de 3 %, nous ne réduirons que très faiblement le chômage. Il faut
donc être innovant ; il ne suffit pas d'attendre les bras ballants.
Je dois dire que je n'ai pas entendu de proposition pour résoudre ce problème
du chômage.
M. Gournac a parlé de la rigidité du code du travail. Je suis bien placée pour
savoir que, dans bien des domaines, la durée du travail, les contrats à durée
déterminée et le travail temporaire, qui - il faut le dire - constituent
aujourd'hui 93 % des embauches, la suppression de l'autorisation administrative
de licenciement, le code du travail n'est plus aussi rigide que vous le dites.
La vérité, c'est qu'il y a encore très certainement des simplifications à
faire.
M. Alain Gournac.
C'est ce que j'ai dit !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est peut-être ce que vous
avez dit, mais ce n'est pas ce que j'ai entendu, puisque vous avez notamment
parlé des salaires et d'un certain nombre d'avantages.
J'en arrive au projet lui-même.
Il ne s'agit pas, messieurs Plasait et Jourdain, de traitement social du
chômage, d'accompagnement des jeunes dans des emplois bouche-trous ou dans des
« petits boulots ». C'est une démarche économique qui vise à accélérer un
processus de passage vers une société de services comme, encore une fois, les
Etats-Unis, par exemple, l'ont fait pour des catégories particulières.
Il s'agit bien - M. Collin l'a indiqué - d'un investissement sur cinq ans,
donc d'un investissement long. D'ailleurs, pour les jeunes, aujourd'hui, cinq
ans, c'est l'éternité. Mais la plupart des salariés de notre pays sont-ils sûrs
d'être encore dans leur entreprise dans cinq ans ? Aussi, quand j'entends
parler de précarité, je ne comprends pas !
Et vous, qu'avez-vous fait pour les jeunes ? Pour les CIP, les jeunes ont
apprécié : ils sont descendus dans la rue pour manifester. Pour les contrats
emplois-jeunes, ils font la queue devant les rectorats ! Les jeunes ont donc
déjà répondu à vos propositions.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. André Jourdain.
L'avenir le dira !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il y a des risques. M. le
président Fourcade en a évoqué un certain nombre. Je ne les méconnais pas. Nous
allons essayer de les assumer, notamment en ne retenant que des projets qui ne
sont pas des projets publics, qui ne font pas concurrence au privé - sur ce
point, je le répète, nous sommes très clairs avec les préfets et l'ensemble des
élus - mais aussi des projets qui ont toute chance d'être pérennisés à
terme.
M. le président Fourcade a également eu raison de dire qu'il fallait que, dans
notre pays, on apprenne à financer un certain nombre de services. Un pays au
niveau de vie développé est un pays dans lequel les individus, les ménages,
financent sur leurs propres revenus un nombre croissant de services.
Il n'y a pas que les biens durables, il n'y a pas que les biens matériels.
Nous devrons financer directement et indirectement ces services, tout en ayant
l'idée, bien sûr, d'aider les plus défavorisés.
Ces services seront peut-être financés dès la première ou la deuxième année.
Pourquoi attendre cinq ans ? J'ai déjà donné l'exemple de Lille. Nous sommes
passés de 70 % d'aide à ces nouvelles activités il y a trois ans à 40 % en
moyenne aujourd'hui, et certains emplois sont même d'ores et déjà totalement
solvabilisés par les clients qui, tout simplement, paient le prix des
services.
Faisons preuve d'imagination, tout en étant extrêmement attentifs au départ et
très restrictifs dans le choix des projets, et je suis convaincue que la plus
grande part de ces projets réussiront.
Plusieurs intervenants, dont M. Huguet, ont posé le problème du montant des
aides financières. Moi-même, j'ai beaucoup hésité au départ, car il me semblait
qu'il était sans doute possible d'accorder une aide plus importante aux
communes les plus en difficulté, communes rurales mais aussi communes
déshéritées ou ayant des quartiers sensibles.
Mais l'ensemble des associations de maires que j'ai consultées - M. Delevoye,
ici présent, ne me contredira sans doute pas - m'ont dit préférer que l'aide
soit la même pour toutes les villes. De l'association des maires de France à
l'association des grandes villes, en passant par celles des villes moyennes,
des petites villes mais aussi des villes de banlieue, elles ont toutes souhaité
être traitées de la même manière.
En revanche, il est effectivement souhaitable - certains l'ont dit - que les
conseils généraux et les conseils régionaux qui souhaiteront abonder l'aide de
l'Etat le fassent peut-être prioritairement pour ces communes qui ont le plus
de difficultés à financer les 20 %.
D'ailleurs, je me réjouis de voir que, au-delà du conseil général du
Pas-de-Calais, nombre de conseils généraux avec lesquels nous discutons
aujourd'hui adoptent cette démarche et décident donc d'abonder les fonds pour
les communes rurales ou les communes en difficulté.
M. Grignon m'a demandé comment nous allions financer ces emplois-jeunes.
Cela mérite une mise au point. Vous avez dit que nous créions de plus en plus
d'emplois publics : ce ne sont pas des emplois publics. Vous avez dit que nous
prélevions de plus en plus d'impôts, que nous faisions de plus en plus de
dépenses publiques : je tiens à rappeler que, pour la première fois depuis
quinze ans, dans le budget de 1998, les dépenses publiques n'augmenteront pas
plus vite que l'inflation.
Eh bien, c'est au coeur de ces dépenses publiques que M. le Premier ministre a
souhaité que soit fixée une priorité, l'emploi, et chaque ministère a dû
effectivement réduire ses dépenses pour garantir la possibilité de financer
plusieurs programmes, le programme de réduction de la durée du travail mais
aussi ce programme emplois-jeunes !
J'ai pris ma part, dans mon budget, à cette réduction d'un certain nombre de
crédits pour pouvoir mettre en place ce programme, mais la plupart des
ministères ont également contribué à son financement.
De la même manière, monsieur Trégouët, M. le Premier ministre a entendu
répondre à une demande des maires, le président Delevoye en tête, qui était de
ne pas accroître la fiscalité des collectivités locales. Le message a été
entendu, et ce dans une année 1998 particulièrement difficile, vous le savez.
D'ailleurs, je crois que c'est le précédent Premier ministre qui estimait que
ce budget était impossible à faire ! Nous, nous l'avons fait, en gardant
l'objectif de 3 % qui était nécessaire pour réaliser la monnaie unique.
Et si nous l'avons fait dans ce budget difficile, je suis convaincue que nous
continuerons à le faire les quatre années suivantes, car il est effectivement
essentiel que les collectivités locales puissent s'engager sur le moyen terme
sans crainte de nouveaux prélèvements qui leur poseraient des problèmes.
M. Lise a posé la question de savoir si les conseils généraux pourraient, sur
les crédits d'insertion, aider au financement de ces emplois. L'Assemblée
nationale a voté un amendement qui permet effectivement, sous certaines
conditions, pendant un an, à condition de ne pas dépasser 15 % sur les 20 %,
d'abonder ces crédits dès lors qu'un jeune titulaire du RMI pourrait occuper
cet emploi-jeune. Nous seront sans doute amenés à en reparler dans la suite de
nos débats.
En ce qui concerne la forme des contrats, je veux d'abord rassurer celui
d'entre vous qui m'a interrogé sur leur requalification. Nous avons questionné
à la fois le Conseil d'Etat et de nombreux juristes. Il en ressort clairement
que les contrats sont requalifiés comme contrats publics à trois conditions :
s'ils sont financés majoritairement par la collectivité locale ; si la mission
tombe dans les missions, reconnues par la loi, de cette collectivité locale ;
si le personnel travaille sous l'autorité de fonctionnaires.
Aucune de ces trois conditions n'est remplie en l'occurrence pour ces
emplois-jeunes. Il n'y a pas donc aucun risque de requilification. Mais c'est
aussi pour éviter une pérénisation parallèle à la fonction publique
territoriale que nous avons souhaité des CDD de cinq ans pour les collectivités
locales.
Mme Bocandé a posé la question de savoir s'il ne serait pas utile de mettre en
place des tuteurs. Nous sommes là en présence de jeunes qui, certes, sont au
chômage, mais qui sont en pleine santé, si je puis dire, tant physique que
morale. Ils ont une qualification ou non, ils ont suivi une formation ou non,
mais ils sont avant tout prêts à travailler. Un encadrement classique, qui fait
bien son travail, devrait donc suffire pour permettre à des jeunes qui ne sont
ni en difficulté ni en insertion de travailler effectivement dans des
entreprises.
En règle générale, le contrat est un contrat à durée indéterminée ; nous
réservons les contrats à durée déterminée pour les collectivités locales.
MM. Fischer et Chérioux se sont demandé pourquoi on n'étendait pas le système
au secteur privé. Sur ce point, je veux être très claire. D'abord, ces contrats
à durée déterminée sont non pas des contrats d'un an renouvelables jusqu'à cinq
ans, mais des contrats de cinq ans qui peuvent être rompus tous les ans.
Je ne connais pas d'entreprise privée qui, aujourd'hui, souhaiterait avoir des
CDD de cinq ans, car si l'on rompt un tel contrat au bout de la deuxième année,
on doit payer les cinq ans.
A l'heure actuelle, la réglementation du travail - j'allais presque dire «
malheureusement » - est beaucoup plus souple que cela, et un contrat à durée
indéterminée offre beaucoup plus de possibilités de flexibilité et de souplesse
qu'un contrat à durée déterminée.
M. Fischer s'est interrogé sur le point de savoir - nous en reparlerons au
cours du débat - si le travail à temps partiel, qui était prévu de manière
dérogatoire, devait rester dans la loi. Personnellement, je partage son souci
de faire en sorte que la plupart de ces contrats, la quasi-totalité même,
soient des contrats à temps plein ; il s'agit de vrais métiers, de vrais
emplois.
Nous avons maintenu la disposition après que certaines communes rurales ont
fait valoir que, dans certains cas, il ne serait pas possible de proposer des
emplois à temps plein, même s'il s'agissait d'emplois partagés avec d'autres
communes, pour certains territoires. Cependant, nous avons souhaité marquer le
caractère dérogatoire de la mesure afin de bien montrer qu'il ne s'agit pas de
la règle générale.
J'en viens aux règles applicables.
M. Fischer l'a dit, c'est le code du travail qui s'applique. Cela signifie que
le SMIC est le minimum et que, lorsque les emplois correspondront à des
conventions collectives, ils seront payés au salaire de ces conventions
collectives.
A ce propos, la réponse à toutes les questions qu'a posées M. Michel Charasse,
pour savoir si s'appliquait le statut des collectivités locales est non, car il
s'agit, dans tous les cas, de contrats de droit privé qui relèvent du code du
travail.
M. Michel Charasse a également souhaité que la période d'essai soit fixée à
trois mois, l'Assemblée nationale l'ayant déjà fait passer d'un mois à deux
mois. Le code du travail prévoit une semaine pour les ouvriers et les employés,
et un mois pour les cadres. Avec une période d'essai de deux mois, nous sommes
déjà au-delà de la durée générale prévue dans le code du travail. Cela étant
dit, je m'en remets, sur ce point, à la sagesse de la Haute Assemblée.
Monsieur Mazars, en ce qui concerne les handicapés, le code du travail
s'applique. Le respect du quota prévu est donc, bien évidemment, une
obligation. Dans les circulaires d'application, nous insisterons auprès des
préfets pour que les handicapés ne soient pas oubliés.
Enfin, je souhaite répondre sur quelques points particuliers.
S'agissant de l'éducation nationale, MM. Gournac et Larcher - je peux
comprendre leur irritation - ont dit qu'il leur paraissait difficile que l'on
commence à employer des jeunes avant même le vote de la loi.
Je précise que les contrats qui sont signés actuellement ne le sont pas dans
le cadre de ce projet de loi ; ce sont des contrats à durée déterminée...
Un sénateur du RPR.
Des contrats hors-la-loi !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Non, ces contrats sont prévus
dans le statut de la fonction publique et payés par le ministère de l'éducation
nationale. Mais je reconnais qu'il n'a pas été dit clairement qu'ils
n'entraient pas dans le champ de la nouvelle loi. Ce n'est qu'après la
promulgation de cette dernière loi que ces jeunes passeront, bien évidemment,
sous le statut qui sera voté par le Parlement.
M. Moinard m'a demandé ce qu'il adviendrait de la loi Robien. J'ai toujours
dit - et je continue à le faire - qu'elle avait eu l'avantage de remettre la
durée du travail au coeur des négociations collectives et qu'elle avait
certainement quelques inconvénients, inconvénients que son auteur reconnaît
d'ailleurs lui-même, à savoir un coût important, trop important peut-être pour
la collectivité nationale, et des effets d'aubaine.
Nous essayons aujourd'hui de monter un système qui accompagnera les
négociations sur la durée du travail, qui visera à répondre aux critiques qui
ont été portées sur la loi Robien et qui remplacera cette dernière quand la
nouvelle loi sera votée. D'ici là, la loi Robien perdure et est d'ailleurs
appliquée par mes services.
M. Jean-Louis Lorrain m'a demandé à quel moment le texte sur l'exclusion
serait examiné par le Parlement. Nous avons souhaité, bien sûr, nous appuyer
sur le travail considérable réalisé précédemment, principalement par les
associations mais aussi par le Conseil économique et social et par les
commissions au Parlement, mais nous avons aussi souhaité compléter le projet
par des programmes spécifiques sur trois ans ou cinq ans avec l'ensemble des
ministères concernés - logement, santé, éducation, culture, notamment - et donc
mettre du contenu dans ce projet qui sera présenté au printemps.
Je réaffirme mon attachement à l'apprentissage. Mais, en l'espèce, nous sommes
dans une logique tout autre. Il s'agit de vrais emplois qui n'ont rien à voir
avec des contrats en alternance, apprentissage ou contrats de qualification.
Je souhaite que les jeunes non qualifiés continuent à suivre ces parcours,
apprentissage et contrat de qualification, qui peuvent leur donner une
formation moins théorique que celle qu'ils ont pu recevoir dans le cadre de
l'éducation nationale et qui les a souvent menés à l'échec. A mon avis, les
emplois-jeunes ne poseront aucun problème à l'apprentissage ou à la formation
en alternance.
J'en arrive à la situation dans les départements d'outre-mer.
Madame Michaux-Chevry, je comprends mal votre irritation. Si les gouvernements
qui nous ont précédés avaient vraiment voulu instaurer une priorité en faveur
des départements d'outre-mer, ces derniers ne connaîtraient pas le taux de
chômage qui est le leur actuellement. Nous n'aurions pas des hommes, des femmes
et peut-être et surtout des jeunes qui en ont assez d'être assistés et qui
considèrent que leur dignité passe d'abord par un véritable emploi et non par
l'assistance. Cela s'appelle le RMI !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Le RMI, c'est vous !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous l'avez largement utilisé !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
J'étais contre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous l'utilisez, quand même !
Vous tenez souvent un discours ici et un autre là-bas. Je suis certaine que
vous ferez de même avec les emplois-jeunes. J'en prends le pari !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Vous n'avez pas consulté l'outre-mer alors que vous avez consulté tout le
monde !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je tiens à vous dire que je
considère justement que ce projet de loi sur les emplois-jeunes...
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Vous n'avez pas consulté l'outre-mer !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Bien sûr que si !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Vous n'avez pas consulté l'outre-mer ; vous avez violé la loi de 1982.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ai reçu hier matin dans mon
bureau, au ministère, le président du conseil général de la Réunion qui est
venu me voir, accompagné de députés, pour me demander - c'était la seconde
réunion - comment nous allions avancer ensemble. Début novembre, à la Réunion,
Jean-Marie Marx, qui fait partie de mon cabinet, accompagnera une mission pour
aider ce département d'outre-mer à mettre en place ces emplois. Je ne vous ai
pas reçue parce que vous ne me l'avez pas demandé.
Mme Lucette Michaux-Chevry.
Vous ne nous avez pas consultés...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mais si, madame, beaucoup
d'autres sont venus !
Mme Lucette Michaux-Chevry.
... comme le prévoit la loi de 1982 !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je puis vous dire aujourd'hui -
et c'est un démenti à vos propos - qu'une mission est déjà en place. Nous avons
travaillé avec le conseil général et des députés. Dès le début du mois de
novembre, trois ministres se rendront en même temps à la Réunion pour aider au
montage de ces projets.
M. Alain Vasselle.
Et aux Antilles ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les Antilles viendront après,
bien évidemment.
Pourquoi ce projet de loi est-il bon pour les départements d'outre-mer ? Parce
qu'il va faire émerger de nouvelles activités, de vrais emplois qui confèreront
une réelle dignité aux habitants de ces départements. Il permettra de faire
apparaître des métiers dont ils ont besoin, y compris pour valoriser leur
patrimoine culturel et touristique.
Après le mois de novembre, cette mission et le travail que nous réaliserons
avec les élus, je vous donne rendez-vous et nous verrons qui a raison en la
matière !
Je répète à MM. Vergès et Lise qu'effectivement j'ai proposé qu'un premier
montant de 300 millions de francs soit versé au FEDOM. Nous ferons un bilan dès
que ce crédit sera consommé. Je suis tout à fait prête à augmenter de nouveau
les crédits du FEDOM dès lors qu'il s'agira bien d'emplois pérennes et de vrais
métiers, qu'attendent les habitants des départements d'outre-mer.
Enfin, quelques questions m'ont été posées, s'agissant des emplois dans le
secteur privé.
M. Pelchat m'a demandé quand sera déposé un projet de loi concernant les
emplois-jeunes dans le secteur privé. Je ne peux répondre actuellement à cette
question. Je souhaite d'abord que les organisations patronales et syndicales se
saisissent de cette question - je crois qu'elles le feront - pour pouvoir à la
fois rechercher de nouveaux gisements dans ce secteur et étudier comment une
place plus grande peut être réservée aux jeunes, s'agissant de l'embauche comme
des formations en alternance. C'est seulement à la suite de ce travail des
partenaires sociaux que nous pourrons, s'ils le souhaitent, élaborer et
présenter un projet de loi au Parlement.
Le travail que nous effectuons pour rechercher des gisements d'emplois dans le
secteur privé correspond tout à fait à la logique que M. Chérioux a présentée
tout à l'heure en donnant des exemples très intéressants. Nous essayons de les
étudier comme nous le faisons actuellement pour un certain nombre de secteurs
d'activités.
J'en terminerai par la forme.
Mmes Dusseau et Dieulangard ainsi que M. Huguet sont intervenus pour souligner
l'importance de la souplesse et de la confiance que nous devons laisser aux
acteurs locaux. C'est tout l'esprit de ce texte. Je trouve paradoxal que ceux
qui demandent moins d'Etat, moins de centralisme veuillent des réponses toutes
faites dans la loi, s'agissant de projets innovants que nous sommes en train de
mettre en place sur le terrain.
Les jeunes veulent des vrais métiers. Contrairement à ce que j'ai entendu
dire, si les jeunes sont intéressés par ces métiers, c'est parce qu'ils se
rendent compte que ce sont des métiers qui mènent à une société moins dure,
plus solidaire, qui vont accroître le lien social dans notre pays. C'est cela
que les jeunes souhaitent, parce que leurs capacités de générosité et de
solidarité sont peut-être un peu plus grandes que les nôtres. Les jeunes
attendent des emplois, ils attendent aussi de voir changer cette société, MM.
Roujas et Mazars viennent de le dire. C'est aussi l'objectif de ce projet de
loi et on peut leur faire confiance pour que ce nouveau modèle de développement
se mette en place dans notre pays.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union
centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
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