M. le président. La parole est à M. Doublet.
M. Michel Doublet. Mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre et concerne la désastreuse politique familiale du Gouvernement. (Murmures sur les travées socialistes.)
En effet, l'attitude actuelle du Gouvernement est fortement critiquable, tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, le Gouvernement a assené, en quelques jours, quatre mesures qui bouleversent totalement ce pour quoi a été créée la politique familiale, et cela, sans aucun dialogue !
Que sont devenues les affirmations selon lesquelles votre Gouvernement serait celui du dialogue ?
Vous êtes d'ailleurs obligé de reconnaître que vous êtes allé trop vite, puisqu'il semble que vous envisagiez maintenant d'ouvrir, peut-être dans un an, le débat pour une remise à plat de la politique familiale.
Votre attitude est également critiquable sur le fond, monsieur le Premier ministre.
Prenons, par exemple, le cas de l'AGED, l'allocation de garde d'enfant à domicile, aide forfaitaire et donc égale pour tous. Pourquoi en diminuer le montant de moitié ?
Vous affirmez haut et fort que l'Etat n'a pas à prendre en charge près de 80 % du coût des emplois familiaux. Vous avez moins d'état d'âme pour les emplois-jeunes qui pourtant ne correspondent qu'à des emplois et à des besoins virtuels. (Exclamations sur les travées socialistes.)
En outre, les chiffres que vous avancez sont inexacts ! Selon vous, 30 000 familles seraient touchées par la diminution de l'AGED. En réalité, elles sont 67 000 à en bénéficier !
M. Michel Charasse. On va pleurer !
M. Michel Doublet. De plus, les exemples que vous citez sont toujours extrêmes. Ils ne tiennent pas compte des loyers ou des remboursements d'emprunt qui pèsent sur les familles.
Peut-être une réforme est-elle nécessaire, mais ce n'est pas celle que vous nous proposez, dont les conséquences sont catastrophiques en termes d'emplois et de développement du travail au noir.
Plus grave encore, vous ne proposez aucune solution de substitution. Vous remettez en cause l'aide à la garde d'enfants à domicile en arguant que les familles n'ont qu'à mettre leurs enfants à la crèche. Or, vous savez très bien, monsieur le Premier ministre, qu'il n'y a pas assez de places en crèche et qu'un lit de crèche est considérablement plus coûteux pour la collectivité qu'une garde aidée à domicile. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux. C'est évident !
M. Michel Doublet. De plus, les horaires de travail des parents ne leur permettent pas toujours de s'organiser autrement qu'en embauchant une personne à domicile.
Il me semble, monsieur le Premier ministre, que vous confondez la politique sociale, qui est indispensable pour l'équilibre de la société, et la politique familiale, qui est vitale pour l'avenir de la nation.
Ne dressez pas une partie de la France contre une autre !
Contre toute logique, entendez-vous maintenir ces décisions ou les modifier pour que les familles ne soient pas pénalisées, comme le souhaite le Président de la République, M. Jacques Chirac ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, pour traiter le problème de la famille, il vaut mieux partir des réalités. Or nous nous trouvons confrontés aujourd'hui à un déséquilibre de la branche famille de la sécurité sociale de 13 milliards de francs et je dois dire que, si nous devions appliquer la loi votée sous M. Balladur en 1994, il y aurait 10 milliards de francs de plus de déficit d'ici à la fin de 1999. En effet, cette loi, qui est en grande partie la raison du déficit actuel, n'a pas été financée. Telle est aujourd'hui la situation.
Dès lors, pour énoncer très simplement les choses, le Gouvernement - et M. le Premier ministre l'a toujours dit - souhaite absolument poursuivre une politique qui permette des transferts des non-familles vers les familles. C'est cela la politique familiale !
Mais, dans notre pays, contrairement à beaucoup d'autres - cette remarque figure d'ailleurs dans un récent rapport international - la politique familiale entraîne des redistributions des familles les moins favorisées vers les familles les plus favorisées.
M. Michel Charasse. Et la Cour des comptes !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'en viendrai dans quelques instants au rapport de la Cour des comptes ! Ainsi, une famille qui a trois enfants et qui perçoit 100 000 francs de revenus annuels reçoit trois fois moins de prestations familiales qu'une famille de trois enfants qui gagne sept fois plus, c'est-à-dire 700 000 francs. Telle est la réalité. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
J'en viens maintenant à l'AGED, puisque vous en avez parlé. A ce propos, si vous le voulez bien, je m'attacherai à la réalité des chiffres, confirmés par l'association des employeurs de personnes à domicile. Il ne s'agit donc pas de chiffres que le Gouvernement invente, comme vous avez l'air de le dire.
Aujourd'hui, l'AGED bénéficie à 66 000 familles, mais, selon ce rapport, seule la moitié d'entre elles va être touchée par la réduction à 45 000 francs du plafond pour les emplois familiaux et à 50 % de l'exonération des cotisations sociales pour l'AGED, soit 33 000 familles. Or la moyenne des revenus mensuels de ces familles est de 30 000 francs.
M. Jean Chérioux. C'est énorme !...
M. Jean-Louis Carrère. Ce ne sont pas les plus malheureux !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Non, ce n'est pas énorme, monsieur Chérioux. Mais quand le déficit de la sécurité sociale est de 13 milliards de francs, trouvez-vous normal que l'Etat et la sécurité sociale remboursent plus des trois quart du coût d'un employé de maison à domicile, c'est-à-dire 85 000 francs sur les 115 000 francs que coûte un employé à temps plein ? (Applaudissements sur les travées socialistes et très vives exclamations sur les travées du RRP.)
M. Josselin de Rohan. Et les emplois-jeunes ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vais vous répondre tout de suite sur ce point : un emploi-jeunes coûte 92 000 francs à l'Etat, mais il va être utile à des dizaines, voire à des centaines de personnes... (Nouvelle exclamations sur les travées du RPR.) ... et ne sera pas au service unique - excusez-moi de vous le dire ! - de 2 % seulement des 3 millions de ménages qui, aujourd'hui, ont un enfant de moins de six ans, c'est-à-dire 0,2 % des familles françaises. Voilà la réalité !
Je vais maintenant, sans entrer dans la polémique, vous lire ce qu'indique le rapport de la Cour des comptes à propos de l'AGED.
M. le président. Brièvement, madame le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. « L'AGED est le mode de garde le plus coûteux en valeur absolue. Son coût est de 89 % plus élevé que celui d'une place en crèche. L'AGED engendre une ségrégation sociale évidente ; l'AGED, associée aux emplois familiaux, ne concerne que les familles qui disposent de revenus élevés. »
Je pourrais vous lire les cinq pages que la Cour des comptes - et non pas le Gouvernement - consacre à ce thème. Mais j'en termine en vous disant, monsieur le sénateur, qu'après ces deux mesures relatives aux emplois familiaux et à l'AGED une famille qui a un employé à domicile continuera à percevoir une aide qui variera entre 40 % et 60 %.
Aucun pays au monde ne rembourse à l'employeur de gens de maison entre 40 % et 60 % de ses frais. Pourtant, il existe d'autres pays au monde qui défendent, comme nous, les familles et la politique familiale. (Très vifs applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Carrère. Bonne réponse !
M. René-Pierre Signé. Ils ne savent que dire, ils sont K-O !
CRÉATION D'EMPLOIS-JEUNES
DANS L'ÉDUCATION NATIONALE