pêche maritime et cultures marines
Discussion d'un projet de loi en troisième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en troisième lecture du projet de loi
(n° 437, 1996-1997), modifié par l'Assemblée nationale en deuxième lecture,
d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines. [Rapport n° 19
(1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
Monsieur le président, monsieur
le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la volonté exprimée tant par
le milieu professionnel que par les pouvoirs publics de bâtir un nouvel avenir
pour le secteur de la pêche maritime et des cultures marines, après la crise de
la filière en 1993-1994 et au-delà des mesures économiques et sociales
indispensables au redressement qui ont été prises, s'est concrétisée par ce
projet de loi d'orientation. C'est le résultat d'une réflexion sur les voies
possibles et d'une concertation avec les partenaires sociaux.
Le contexte de la présentation de ce projet de loi est tout à fait
particulier. En effet, ce texte a déjà été soumis, par mon prédécesseur
Philippe Vasseur, aux deux assemblées. Nous avions, à l'époque, indiqué les
avancées qu'il permettait et exprimé la nécessité d'une ambition plus grande.
Je tiens à souligner la qualité du travail accompli par le rapporteur, M.
Josselin de Rohan, aux différents stades d'évolution de ce projet de loi.
M. Jean-François Le Grand.
Très bien !
M. Louis Le Pensec,
ministre de l'agriculture et de la pêche.
A l'issue de ces examens par
les deux assemblées, une vingtaine d'articles ont été adopté de façon
conforme.
Il n'est pas fréquent qu'un projet de loi soit présenté en troisième lecture
devant la Haute Assemblée. Après les changements intervenus à l'Assemblée
nationale et compte tenu des enrichissements apportés au projet de loi, je me
devais, tant par respect pour la Haute Assemblée que pour saluer le travail
réalisé au cours des deux premières lectures, de venir devant vous aujourd'hui
présenter le projet de loi d'orientation dans sa nouvelle configuration.
La politique des pêches, nous le savons, est très dépendante du contexte
international et d'abord du cadre communautaire. Aussi, avant de rappeler les
objectifs du projet de loi et les enrichissements apportés, voudrais-je
intervenir, à quelques jours du conseil pêche qui aura à évoquer ces questions,
sur deux thèmes d'une actualité sensible et dont l'évocation éclairera un peu
nos travaux : je veux parler du plan d'orientation pluriannuel, le POP IV, et
des mesures techniques qui seront arrêtées avant la fin de l'année.
J'examinerai tout d'abord la question du POP IV. J'hérite d'une situation dans
laquelle il nous faut, dès 1997, résorber le retard issu du POP III et mettre
en oeuvre le POP IV avant d'obtenir à nouveau les aides à l'investissement. Le
cumul de ces deux situations conduirait, en 1997, à un besoin de sortie de
flotte de l'ordre de 3 % de la capacité totale. J'ai demandé au commissaire
européen, Mme Bonino, des aménagements tendant à obtenir un rétablissement des
aides en 1998. Si tel est le cas, je mettrai en oeuvre un plan de sortie de
flotte dès la fin de l'année 1997, préalablement à la reprise d'une
modernisation maîtrisée de la flotte française.
Par ailleurs, je serai attaché à ce que les spécificités méditerranéennes,
d'une part, et celles des départements d'outre-mer, d'autre part, soient prises
en compte dans le POP IV national, qui doit être adopté fin novembre.
Ainsi, pour les départements d'outre-mer, je défendrai la possibilité
d'augmenter l'effort de pêche et la reconnaissance du particularisme des
flotilles de chaque département.
J'en viens aux propositions de règlement sur les mesures techniques élaborées
par la Commission. Je suis conscient de la nécessité de dispositions permettant
de protéger les juvéniles pour maintenir la capacité de capture à venir. Il ne
faut néanmoins pas tomber dans l'excès. Il s'agit de trouver les justes
équilibres qui permettront d'assurer le revenu de nos marins et de prendre en
considération la diversité des pêcheries françaises et la complexité des
situations qu'elle engendre. C'est pourquoi je répéterai devant la Haute
Assemblée ce que j'ai dit récemment au commissaire européen : les cantonnements
envisagés dans le golfe de Gascogne sont inacceptables et d'ailleurs
scientifiquement injustifiables pour les pêcheurs français. Si, pour moi, le
retrait des cantonnements est un préalable politique, il nous faudra discuter
d'alternatives crédibles. D'autres points me préoccupent également, tel le
maillage en mer du Nord, pour lequel je défends un accroissement limité à 100
millimètres.
Par ailleurs, je tiens à confirmer ici que, s'agissant des filets maillants
dérivants, la réglementation en vigueur est respectée, ce qui est d'ailleurs
reconnu par l'administration espagnole, laquelle a pu assister aux contrôles
lors de la campagne en cours. Ni la volonté de préserver la ressource ni celle
d'assurer un développement durable de la pêche ne justifient leur remise en
cause. J'insiste pour que cette technique de pêche soit maintenue dans les
conditions de pratique actuelles. Je souhaite que la fermeté de mes propos sur
ces questions aille au-delà des murs de la Haute Assemblée.
Enfin, avant de conclure sur les aspects communautaires, je voudrais vous
indiquer ma volonté exprimée récemment à Mme Bonino de faire progresser
l'Organisation commune de marché des produits de la pêche pour que les efforts
d'organisation nationale que nous allons encore encourager trouvent un meilleur
écho dans le cadre communautaire.
Il me revient maintenant de présenter à la Haute Assemblée le projet de loi
nouveau et enrichi. Le 5 novembre 1996, il a été donné au Sénat d'examiner le
texte déposé par le précédent gouvernement. Le 4 mars 1997, à l'issue de la
discussion devant l'Assemblée nationale, vingt articles ont été adoptés de
façon conforme. La deuxième lecture au Sénat, le 17 avril dernier, a conduit à
l'adoption conforme de quatorze articles supplémentaires et à la suppression
d'un article. Ainsi, demeurent en discussion vingt et un articles.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tiens à me féliciter de la qualité du
rapport de M. Josselin de Rohan et des travaux de la commission des affaires
économiques et du Plan. Il me paraît nécessaire de remettre en perspective les
principales dispositions du projet de loi. Celles-ci sont conformes aux
principes et aux règles de la politique commune des pêches et respectent les
engagements internationaux de la France.
Les cinq axes du projet de loi - je ne ferai que les énumérer - concernent la
ressource et son accès, l'ajustement entre la production et les besoins du
marché, le statut des entreprises, les cultures marines et la modernisation des
relations sociales.
Je retracerai les dispositions du projet de loi qui ont fait l'objet d'un
examen par le Parlement.
Pour créer les conditions d'une gestion durable de la ressource, il convient
de concilier deux impératifs : assurer des conditions d'accès à la ressource
garantissant la préservation des stocks halieutiques et maintenir les
équilibres économiques et sociaux des zones littorales vivant de la pêche. A
cette fin, le projet de loi consacre le rôle de l'Etat dans la détermination
des conditions d'accès à la ressource et évite la cession des quotas ou des
licences, qui serait de nature à bouleverser les équilibres économiques et
sociaux et à pénaliser les professionnels de la mer.
Le projet de loi a quatre ambitions pour ajuster la production aux besoins du
marché.
Il s'agit d'abord de renforcer le rôle économique et interprofessionnel du
Fonds d'intervention et d'organisation des marchés des produits de la pêche
maritime et des cultures marines, le FIOM, pour en faire un véritable office
des produits de la mer et de l'aquaculture, à l'instar des offices
agricoles.
Il s'agit aussi de rationaliser le fonctionnement des infrastructures
portuaires dans le cadre de ce que j'appelle la commission régionale pour
l'amélioration des conditions de débarquement des produits de la mer, la
CORECODE.
Il s'agit encore de mieux impliquer les organisations de producteurs dans la
gestion des quotas de leurs adhérents.
Enfin, il est créé un Conseil supérieur d'orientation, instance consultative
placée auprès du ministre et chargée de veiller, par ses avis, à la cohérence
de l'ensemble des aspects de la politique des pêches et des cultures
marines.
Tout cela me semble de nature à développer les accords entre les différents
partenaires de la filière, du producteur au distributeur, pour assurer un
meilleur service au consommateur. Celui-ci doit en effet pouvoir bénéficier de
la sécurité alimentaire.
Pour moderniser les entreprises de pêche, qui sont pour l'essentiel des
entreprises individuelles, le statut de la société de pêche artisanale
permettra aux patrons pêcheurs propriétaires de mieux distinguer la gestion de
leur entreprise de celle de leur patrimoine propre. Il s'agit d'une option qui
ne remet pas en cause, pour celui qui la choisit, les avantages sociaux et
fiscaux de l'entreprise individuelle.
En outre, le projet de loi consacre la nature commerciale de l'activité de
pêche. Il en résulte pour le conjoint du chef d'entreprise un mandat général
d'administration courante lui permettant de représenter l'entreprise dans
l'ensemble de ses intérêts économiques.
La modernisation du secteur nécessite, par ailleurs, une adaptation de la
fiscalité pour assurer la création et le renouvellement des entreprises.
C'est pourquoi le projet de loi favorise la première acquisition d'un navire à
la pêche artisanale par un jeune patron pêcheur en permettant, par des
incitations fiscales, l'appel à des capitaux extérieurs pour mieux résoudre le
problème de l'autofinancement dans un secteur qui est, chacun le sait,
particulièrement capitalistique.
C'est pourquoi aussi le texte prévoit l'étalement de l'imposition des
plus-values de cession d'un navire de pêche, sous réserve de réinvestissement
dans le secteur des pêches maritimes. Cette mesure préservera la capacité
d'autofinancement, notamment de la pêche industrielle.
Ces deux mesures fiscales sont donc complémentaires.
S'agissant des cultures marines, le projet de loi affirme le caractère
agricole de ces activités. De même que, pour le mareyage, il confirme
l'existence de droits réels pour les installations qui sont situées en zones
portuaires départementales.
Un accès à la ressource organisé, une filière structurée, des entreprises
consolidées, toutes ces actions ne sauraient constituer à elles seules une
politique des pêches si les conditions de travail demeuraient en l'état.
C'est pourquoi ce projet de loi prévoit de moderniser les relations sociales
pour ce qui concerne les conditions d'appréciation de la rémunération minimale,
l'amélioration des protections sociales, le droit au repos.
Pour ces diverses mesures d'importance, il est accordé un plus grand rôle aux
partenaires sociaux, au travers des accords collectifs.
Afin d'encourager l'embauche de jeunes, la préretraite à la pêche sera
possible.
Enfin, pour la pêche comme pour la conchyliculture, les entreprises de marins
de moins de dix salariés pourront cotiser à un organisme collecteur paritaire
agréé unique pour assurer le financement de leur propre formation.
Dès mon arrivée au ministère de l'agriculture et de la pêche, j'ai tenu, dans
la ligne des remarques que j'avais formulées en tant que parlementaire, à
enrichir le texte par de nouvelles dispositions à caractère économique et
social. C'est pourquoi le Gouvernement a présenté vingt et un amendements.
La concertation engagée au cours de l'été a confirmé la nécessité de renforcer
trois des cinq axes du projet dans les domaines de l'accès à la ressource, de
l'entreprise de pêche et de la modernisation des relations sociales. Pour
chacun d'eux, j'insisterai sur les principales évolutions que je propose.
Je veux d'abord évoquer la captation des quotas. Pour ma part je préfère en
effet ce terme à l'anglicisme
quota hopping
.
Alors qu'il est demandé à nos pêcheurs de réduire leur effort de pêche, il est
inacceptable que des capitaux étrangers profitent de nos quotas, sans aucun
bénéfice pour l'activité portuaire et l'emploi.
Les règles communautaires sont, à cet égard, contradictoires : pour la pêche,
en effet, l'application des quotas nationaux est incompatible avec les
principes généraux de libre circulation. L'amendement que je présenterai vise à
limiter l'accès à nos quotas pour les navires d'un autre Etat membre.
Lorsqu'un navire est sous contrôle de capitaux d'un autre Etat membre, l'accès
à nos quotas et aux licences ne sera possible que pour ceux qui ont un lien
économique réel avec le territoire national et sont dirigés à partir d'un
établissement stable situé sur le territoire. Cette double liaison économique
et administrative conditionne l'accès aux quotas et aux licences.
Les deux notions auxquelles la loi fait expressément référence sont désormais
bien cernées par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés
européennes. Ainsi, le lien économique réel suppose que ces navires débarquent
et mettent en vente au moins 50 % de leurs prises dans un port français, ou que
leurs équipages soient composés d'au moins 50 % de marins résidant en France,
ou encore que la majorité des marées aient lieu au départ d'un port français.
Il peut aussi résulter d'une combinaison pondérée de ces mesures ou d'autres
éléments d'un poids économique ou structurel équivalent.
L'établissement stable, pour sa part, suppose l'existence d'un service
administratif et technique gérant le navire et entraîne la soumission de ce
dernier aux règles techniques et sociales de l'Etat du pavillon, et donc aux
contrôles correspondants. Ces conditions s'appliqueront à tous les navires, y
compris à ceux qui sont actuellement en activité.
Dans le même souci de protection de nos ressources, je vous proposerai le
renforcement important des amendes pour les navires étrangers pêchant
frauduleusement au large des terres Australes et Antarctiques françaises.
S'agissant de l'entreprise de pêche, il convient de rappeler que le secteur
des pêches maritimes et des cultures marines est le dernier à ne pas octroyer
un statut de conjoint collaborateur du patron pêcheur propriétaire ou du chef
d'exploitation. Le rôle des femmes dans l'entreprise n'était pas reconnu. Or
chacun sait, dans nos ports, combien leur participation est active, qu'il
s'agisse de l'avitaillement, de la gestion du bateau, ou même de la vente des
produits.
Depuis de longs mois, les associations de femmes de marins-pêcheurs et
d'exploitants conchyliculteurs avaient exprimé clairement leurs revendications.
Plusieurs réunions de travail avec mes services, un rapport d'inspection
générale ainsi qu'une concertation avec les rapporteurs de chacune des deux
assemblées ont permis de formuler des propositions.
Je tiens à rendre hommage à ces femmes, à leur détermination, et je salue la
récente création de la fédération interrégionale des « Femmes du littoral ».
Pour aller au-delà de ce qui a été proposé au cours des précédentes lectures
et pour répondre à leurs soucis légitimes, il convenait de prendre en compte
toute la diversité des situations. C'est pourquoi nous vous présentons un
système à options qui harmonise les situations entre la pêche et les cultures
marines et crée un véritable droit à la retraite. Celui-ci, proposé dans le
cadre de l'Etablissement national des invalides de la marine, ne porte pas
atteinte à la spécificité du régime des marins.
Le conjoint pourra obtenir une retraite à cinquante-cinq ans, sous réserve
qu'il cesse son activité dans l'entreprise ; de même, le remplacement pour
congé de maternité est proposé. En contrepartie de ces avantages, l'entreprise
devra payer une contribution sur la part « armement ».
Pour le propriétaire embarqué seul à bord, nous proposons en option la
possibilité d'un partage des droits entre le marin et son conjoint, sans
augmentation de cotisation.
Le conjoint a principalement un rôle de gestion, qu'il convenait de
reconnaître au sein des organisations économiques. C'est pourquoi il pourra
représenter l'exploitant et être élu aux différentes instances des organismes
de coopération, de mutualité ou de crédit maritimes, comme cela se pratique en
agriculture.
S'agissant de l'accès à la formation, la loi prévoit la possibilité pour les
conjoints de bénéficier de stages de formation dans le cadre du fonds
d'assurance formation-pêche. Je précise que l'ensemble des dispositions
relatives au conjoint intègrent et complètent celles qui étaient initialement
prévues pour les conjoints de conchyliculteur et qui avaient été défendues à
l'Assemblée nationale, notamment par Jean de Lipkowski.
J'ai conscience que les présentes dispositions ne répondent pas à l'ensemble
des demandes des femmes de marins, mais elles constituent une réelle avancée de
leurs droits.
Enfin, il convenait d'accentuer les avancées du projet de loi dans le domaine
de la modernisation des relations sociales, afin d'améliorer la protection des
salariés. C'est pourquoi je propose des mesures sur la prévention des risques
et les procédures de licenciement des capitaines.
Le métier de la pêche est dur ; c'est l'activité où, en proportion, les
accidents du travail sont les plus nombreux. Faut-il rappeler qu'annuellement
un marin sur six est victime d'un accident du travail, alors que la proportion
est déjà de un sur huit dans le bâtiment et de un sur vingt dans le régime
général ?
Nous ne pouvons pas accepter la fatalité du danger de l'exercice de la pêche.
C'est pourquoi nous nous devions d'étendre les principes généraux de prévention
aux entreprises d'armement maritime, notamment pour ce qui concerne la
consultation des partenaires sociaux au sein d'un organisme professionnel
d'hygiène et de sécurité du travail maritime ainsi que différentes dispositions
relatives au fonctionnement des comités d'hygiène et de sécurité et des
conditions de travail.
Il fallait aussi faire évoluer le statut du capitaine en lui accordant le
bénéfice du droit commun du licenciement maritime.
Je veux, en m'acheminant vers ma conclusion, intervenir sur le problème,
longtemps discuté par les instances professionnelles et controversé, de la
protection du chômage des marins dans le secteur de la pêche artisanale.
Si le texte, à cet égard, demeure inchangé, le Gouvernement a demandé à un
inspecteur général d'analyser la réalité du chômage dans ce domaine et les
modalités de son fonctionnement.
Il s'agit de concevoir, pour le mettre en oeuvre, un système d'indemnisation
soit dans le cadre des ASSEDIC, soit de façon spécifique, qui prenne en compte
les contraintes inhérentes à la pêche artisanale. J'entends que ce rapport soit
remis à la fin de cette année.
Enfin, vous avez constaté que, par amendement gouvernemental, une disposition
a été ajoutée au texte pour traiter le problème de la retraite complémentaire
des agriculteurs.
Il s'agit, en effet, de prendre des dispositions devenues très urgentes pour
combler le vide juridique laissé par un arrêt du Conseil d'Etat qui a annulé le
régime de retraite complémentaire des exploitants agricoles dénommé COREVA.
Celui-ci n'était en effet pas conforme au droit européen de la concurrence.
Les dispositions qui vous sont proposées règlent cette question en instituant
un système dans lequel l'agriculteur aura le choix entre une pluralité
d'assureurs. Le Gouvernement a veillé à ce que le texte garantisse
l'intégralité des droits et des avantages dont bénéficient déjà les exploitants
agricoles dans ce domaine.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, le temps nous a été donné d'approfondir le projet de loi, de
poursuivre la concertation avec les professionnels pour le compléter et
l'enrichir et d'acter un certain nombre d'avancées issues du dialogue entre le
Gouvernement et des deux assemblées.
Ce texte est de nature à offrir un cadre de travail permettant de moderniser
et de développer le secteur des pêches maritimes et des cultures marines, en
l'avenir duquel nous sommes confiants. Je suis convaincu que la Haute Assemblée
saura partager cette confiance dans l'avenir.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Josselin de Rohan,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voulu par le Président
de la République, élaboré après une très large concertation avec l'ensemble de
la profession par le gouvernement précédent, singulièrement par Philippe
Vasseur, à qui je tiens à rendre hommage, le projet de loi d'orientation sur la
pêche maritime et les cultures marines revient au Sénat en troisième lecture :
les nombreuses modifications apportées par l'Assemblée nationale lors de
l'examen du texte en deuxième lecture justifient un nouvel examen devant la
Haute Assemblée.
En effet, six articles restant en discussion ont été amendés et seize nouveaux
articles adoptés. Certaines des nouvelles dispositions sont l'aboutissement de
concertations engagées depuis le début de l'année 1997 entre les organisations
professionnelles et les pouvoirs publics, et ne bouleversent pas l'économie du
texte préparé par le précédent gouvernement.
Nous nous félicitons de voir menées à bonne fin et traduites dans la loi un
certain nombre de mesures dans le domaine social qui répondent à une forte
attente des professionnels.
Tel est le cas pour l'ouverture d'un droit à pension au bénéfice du conjoint
du patron pêcheur professionnel embarqué ou d'un chef d'exploitation de
cultures marines relevant du régime spécial des marins, de l'instauration d'une
prestation au bénéfice des conjoints collaboratrices destinée à couvrir les
frais exposés pour leur remplacement ou de la création au bénéfice du conjoint
survivant d'une femme marin, relevant à titre personnel du régime spécial de
sécurité sociale des marins, un droit à pension de réversion.
Je regrette néanmoins que le Gouvernement, qui a permis aux conjoints de
représenter l'artisan pêcheur dans les assemblées générales des coopératives
maritimes, ne soit pas allé jusqu'à autoriser les conjoints à participer aux
différentes activités des organisations professionnelles.
Deux dispositions renforcent de manière notable les droits des marins
embarqués et leur assurent une meilleure protection : il s'agit de l'obligation
de mentionner au rôle d'équipage la date et le lieu d'embarquement du marin et
de l'extension aux capitaines de la procédure de droit commun du licenciement
maritime sans que cette procédure affecte le mandat confié au capitaine par
l'armateur.
Dans le domaine économique, l'article 4
ter
vise à mettre fin à la
pratique dite des
quotas hopping,
ou captation de quotas, qui constitue
une véritable menace pour les pêcheurs dans la mesure où elle permet à des
intérêts étrangers de disposer des ressources qui nous sont allouées sans
recours substantiel à l'emploi de marins-pêcheurs français ni obligation de
débarquer le poisson dans nos ports. Une cinquantaine de navires sont exploités
à ce jour selon cette formule.
L'article 4
ter
dispose qu'un navire de pêche battant pavillon français
ne sera autorisé à pêcher sur les quotas nationaux ou ne se verra délivrer une
licence que s'il a un lien économique réel avec le territoire de la République
française et qu'il est dirigé et contrôlé à partir d'un établissement stable
situé sur le territoire français.
L'article 4
ter
est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice
des Communautés européennes, qui, à l'occasion de trois arrêts, Agegate,
Jarderow et Factortame, a dégagé les critères définissant le lien économique
réel et l'établissement stable.
Ainsi, pour être considérés comme ayant un lien économique réel avec le
territoire français, les navires de pêche exploités par des étrangers doivent
débarquer au moins la moitié de leurs prises dans un port français, employer
pour la moitié au moins de l'équipage des marins résidant dans une zone située
en France à partir de laquelle s'exerce une activité de pêche et faire partir
la majorité de leurs expéditions de pêche d'un port français.
La jurisprudence communautaire définit également la notion d'établissement
stable par l'existence, au sein de l'entreprise, de services administratifs et
techniques et par la soumission des navires intéressés aux contrôles
administratifs et sociaux de l'Etat du pavillon, et au respect de la
législation sociale nationale et communautaire.
Même si elles ne font pas totalement obstacle à la prise de contrôle par des
intérêts étrangers d'armements français, les dispositions précitées rendent
beaucoup plus malaisées, et par conséquent moins attrayantes, les captations de
quotas. A cet égard, elles constituent un progrès indéniable.
Si l'Assemblée nationale a procédé à des adjonctions heureuses au projet de
loi, elle a profondément modifié le régime d'autofinancement des pêcheurs lors
de la première installation et substitué à la procédure quirataire votée par le
Sénat une nouvelle rédaction qui met en place un système différent.
Tout le monde s'accorde à reconnaître la nécessité d'une aide à la première
installation des jeunes pour permettre le renouvellement de la profession.
Lors de l'examen du projet en première lecture, nous avions insisté fortement
pour que fût créé un fonds de placement qui faciliterait l'acquisition
minoritaire de parts de copropriété de navire avec un pêcheur artisan ou une
société de pêche artisanale dans le cadre de sa première installation. M.
Philippe Vasseur avait obtenu un accord de la Commission de l'Union européenne
sur cette formule, et notre Assemblée avait voté la disposition instituant ce
que l'on a appelé les « quirats jeunes ».
L'actuel Gouvernement a fait connaître son intention de mettre un terme au
système quirataire institué pour la flotte de commerce à l'occasion de la loi
de finances pour 1998. Il ne pouvait donc laisser subsister pour le seul
secteur de la pêche un dispositif auquel il est en principe hostile.
Nous aurons l'occasion, dans des débats ultérieurs, de souligner le caractère
néfaste de la décision du Gouvernement, qui entraînera de très graves
conséquences pour l'avenir de notre flotte marchande, de notre construction
navale et de nos ports et, bien entendu, pour l'emploi dans nos zones
littorales.
Toutefois, nous devons reconnaître que la solution préconisée par le projet de
loi pour le financement de la première installation constitue, dans le contexte
actuel, un moindre mal.
Je sais, monsieur le ministre, que vous avez lutté pour obtenir le dispositif
soumis à notre examen. Il est, à mon sens, beaucoup moins incitatif à la
mobilisation de l'épargne de proximité que celui que nous avions envisagé.
Le mécanisme qui nous est proposé suppose que les personnes physiques ou
morales souscrivent à des parts détenues par des sociétés anonymes et non par
des fonds de placement. Le montant de la déduction fiscale est bien moindre
puisqu'il passe de 500 000 à 125 000 francs pour un célibataire et de 1 million
à 250 000 francs pour un couple. Pour les personnes morales, le montant de la
déduction, qui n'était pas limité, est ramené à 25 % au maximum de leur
bénéfice imposable.
Par souci de réalisme et pour ne pas retarder la mise en place d'un système
favorisant l'installation des jeunes, nous voterons votre dispositif. Comment
le dit un proverbe breton que vous connaissez bien :
« Diouzh a vez ar
c'heuneud e vez ober tan »
; autrement dit : « Selon son bois, il faut
faire son feu ».
Cela ne préjuge en rien la suite, et nous dénoncerons, quand et comme il
convient, la mauvaise action que constitue la suppression des quirats.
Un mot sur ce que l'on intitule « Dispositions diverses » et qui fait l'objet
de l'article 35 A.
Cet article prévoit les règles applicables à la liquidation du régime des
cotisations versées aux organismes de retraite complémentaire des non-salariés
agricoles. Il s'agit, en l'occurrence, d'un cavalier, mais d'un cavalier qui,
dans la rédaction de l'Assemblée nationale, était particulièrement mal
équipé.
Ce n'est ni la première ni la dernière fois, hélas ! que nous serons appelés à
procéder à la validation législative d'une décision annulée par une
juridiction. Encore faudrait-il que les dispositions dont il s'agit, et qui
n'ont qu'un très lointain rapport avec le texte, ne donnent pas lieu de la part
des divers acteurs à des divergences d'appréciation, ce qui était le cas avant
que le Gouvernement ne vienne, heureusement, déposer un amendement - nous
l'examinerons tout à l'heure - qui, je l'espère, nous permettra, d'abord, de
nous y rallier, ensuite, de régler les problèmes qui s'étaient posés.
Il ne nous semblait pas normal, en effet, que la Haute Assemblée s'érigeât en
arbitre entre les divers acteurs et, éventuellement, entre deux administrations
qui n'avaient pas la même interprétation du texte.
Par conséquent, nous souhaitons que ce problème trouve une solution rapide et,
si l'amendement qui nous est soumis répond à nos préoccupations, nous vous
inviterons, mes chers collègues, à le voter.
De retouche en retouche et d'ajout en ajout, nous nous acheminons vers
l'adoption définitive d'un projet de loi qui contribuera sans conteste à
définir les orientations nouvelles pour les pêches et les cultures marines
françaises et à bien permettre, grâce à la modernisation de la filière et des
structures de l'entreprise, de demeurer au tout premier rang au sein de l'Union
européenne et de maintenir ou de conquérir de nouvelles parts de marché dans le
monde.
Il vous incombera, monsieur le ministre, de veiller à ce que cette loi, qui a
fait l'objet d'une préparation et de discussions exemplaires et très
enrichissantes pour tous les partenaires, prenne corps. Nous ne doutons pas que
votre ténacité bretonne saura triompher des derniers obstacles qui pourraient
encore subsister. Nous savons que le fait que vous soyez un élu du littoral
comme les hautes fonctions que vous occupez vous conduiront à défendre avec
ardeur la cause de la pêche française, en France comme à Bruxelles.
Nous serons à vos côtés pour faire en sorte que ce secteur vive et se
développe, qu'il demeure attractif pour les jeunes et fournisse de nombreux
emplois et des activités induites aux habitants de nos départements côtiers.
La pêche représente plus qu'une fonction nourricière ou une contribution très
importante à notre balance commerciale. Elle est une culture et un puissant
auxiliaire de l'aménagement du territoire. C'est tout l'enjeu de cette loi, et
c'est ce qui nous conduit, mes chers collègues, à vous demander de la voter
sous le bénéfice des quelques amendements que nous vous présentons.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard.
M. Alain Gérard.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée
nationale a adopté en deuxième lecture, le 24 septembre dernier, le projet de
loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines.
Vous avez donc souhaité, monsieur le ministre, inscrire ce projet de loi à
l'ordre du jour des deux assemblées. Par là même, vous avez reconnu le
bien-fondé de l'action du précédent gouvernement en faveur du secteur de la
pêche. Je ne peux, bien sûr, que m'en féliciter.
Seize nouveaux articles ont été introduits lors de cette deuxième lecture à
l'Assemblée nationale. Ils correspondent en réalité, et pour l'essentiel, aux
nouvelles dispositions engagées depuis le début de l'année 1997, dispositions
qui sont l'aboutissement de larges concertations entre les organisations
professionnelles et les pouvoirs publics ; je pense tout particulièrement au
dispositif relatif au statut du conjoint de patron pêcheur et de chef
d'entreprise de cultures marines.
Toutes ces nouvelles mesures, tout en complétant le projet de loi présenté en
première lecture au Sénat au mois de novembre 1996, ne bouleversent pas
l'économie générale du texte préparé et présenté par Philippe Vasseur.
Ce projet de loi d'orientation sur la pêche est fort attendu. Il l'est non
seulement par l'ensemble de la profession, devant la persistance des
difficultés structurelles et conjoncturelles de ce secteur, mais aussi par tous
ceux qui refusent le déclin d'une activité économique indispensable à
l'équilibre de notre littoral et d'une activité traditionnelle qui fait partie
intégrante de notre patrimoine culturel.
Ce projet de loi est attendu encore par tous ceux qui gardent en mémoire le
douloureux souvenir des graves incidents survenus à Rennes, le 4 février 1994,
jour sombre de notre histoire où fut lancé un véritable appel au secours de
toute une profession.
Au-delà des dispositions d'urgence qui ont été prises pour répondre à court
terme à cette crise, notamment les deux mesures essentielles qui ont fixé la
forte diminution des cotisations sociales et l'adoption d'un plan de grande
ampleur de restructuration de la pêche artisanale, c'est une véritable réforme
que nous engageons aujourd'hui, une réforme qui a fait l'objet d'une des plus
larges concertations jamais pratiquées avec l'ensemble des acteurs
concernés.
En effet, tant les directeurs de port ou de criée que les responsables
d'organisations de producteurs ou encore les patrons artisans ont témoigné de
la nécessité vitale d'une telle réforme.
Car - faut-il le rappeler ? - la modification du contexte international,
notamment par la définition des zones économiques exclusives et l'approbation
progressive de la ressource pour les Etats côtiers, la ressource de plus en
plus rare, voire l'épuisement de certains stocks, l'effondrement des cours de
plus en plus fréquent, la mondialisation des échanges et, enfin, le changement
des modes de consommation engagent aujourd'hui les professionnels de la pêche
dans une fuite en avant, un travail toujours plus important ne suffisant plus à
rembourser une dette toujours plus lourde.
La pêche subit aujourd'hui une profonde mutation, et ce projet de loi, qui est
résolument tourné vers l'avenir, répond à cette évolution.
Je tiens d'ailleurs à dire combien il est important que le projet de budget
pour l'année 1998 s'inscrive pleinement dans les perspectives ouvertes par ce
texte, un texte dont l'ambition est de doter l'activité de pêche d'un cadre
législatif adapté, propre à assurer sa pérennité.
Si vous me le permettez, monsieur le ministre, je souhaite maintenant attirer
votre attention sur trois points.
Le premier concerne la formation de nos jeunes pêcheurs, seule garantie du
maintien de l'emploi et de la pérennisation de l'activité.
Le système actuel de formation professionnelle, en cultivant sa spécificité,
est en effet mal adapté aux réalités du marché. Il faut, au contraire, que les
jeunes ayant reçu une formation technique ou paramaritime puissent bénéficier
de passerelles vers l'extérieur.
A cet égard, le fait de disposer depuis peu de niveaux correspondants à
l'éducation nationale, CAP ou BEP, laisse aux jeunes un choix plus large
d'éventuelles reconversions.
A l'inverse, le secteur de la pêche pourrait accueillir des jeunes venant
d'autres horizons professionnels. Aujourd'hui, les jeunes titulaires d'un BTS
n'ont pratiquement pas accès à la profession.
Cette ouverture de la profession ne doit cependant pas se faire au détriment
de la formation actuelle, et le maintien des établissements à vocation maritime
reste, bien sûr, une priorité.
A ce propos, permettez-moi, monsieur le ministre, de faire une suggestion qui
devrait, je l'espère, retenir toute votre attention.
Ne pensez-vous pas, en effet, qu'il y aurait lieu de regrouper les
établissements d'enseignement maritime sous la tutelle de votre ministère,
alors qu'ils sont aujourd'hui, curieusement, sous l'autorité du ministère des
transports ?
M. Jean-François Le Grand.
très bien !
M. Alain Gérard.
Il me semble qu'il serait plus cohérent et probablement plus efficace que les
établissements d'enseignement maritime dépendent du ministère de la pêche,
comme les établissements de formation agricole dépendent du ministère de
l'agriculture.
Je crois que la question mérite d'être posée, et je souhaite qu'une
concertation puisse être engagée avec les différents partenaires sur cette
proposition.
Pour le moment, le problème de la formation des jeunes demeure et il est
urgent de trouver une solution, surtout quand on apprend dans la presse qu'un
armement recrute cinquante marins pêcheurs portugais parce qu'il ne trouve pas
suffisamment de jeunes formés à la profession.
La formation est par conséquent une nécessité absolue, que ce soit pour un
futur pêcheur, pour une éventuelle reconversion, ou encore pour l'exercice
d'une activité complémentaire.
Je regrette, en second lieu, la mort annoncée du système des quirats, alors
qu'il est le principal instrument de relance de notre flotte de commerce.
Système mis en place jusqu'en 1966, il avait alors permis le développement de
nombre de nos ports de pêche. Adopté par le Parlement au profit de l'armement
au commerce en juillet 1996, il avait pourtant permis, depuis, plus de trente
commandes supplémentaires.
Etendu à la pêche par notre Haute Assemblée lors de la deuxième lecture de ce
projet de loi, le dispositif, fondé sur un encouragement fiscal en faveur de la
souscription de parts de copropriété de navires, était un atout supplémentaire,
non seulement dans l'incitation à l'installation des jeunes, mais aussi dans la
restructuration et la modernisation de la filière pêche.
Même si je m'en remets, avec regret, au nouveau dispositif calqué sur celui de
sociétés pour le financement de l'industrie cinématographique et audiovisuelle,
et adopté par l'Assemblée nationale, je souhaite, comme l'a préconisé notre
rapporteur, M. Josselin de Rohan, qu'il soit amélioré afin de l'adapter aux
besoins des pêches maritimes.
M. Josselin de Rohan,
rapporteur.
Très bien !
M. Alain Gérard.
Enfin, j'aimerais attirer votre attention, monsieur le ministre, sur l'article
35 A du projet de loi.
En effet, les chefs d'exploitation ou d'entreprise de cultures marines, et en
particulier les ostréiculteurs dépendant du régime de l'ENIM, Etablissement
national des invalides de la marine, ne peuvent déduire de leurs bénéfices
agricoles leurs cotisations de retraites complémentaires facultatives,
contrairement aux autres catégories professionnelles, notamment les salariés,
les titulaires de bénéfices industriels et commerciaux avec les dispositions de
la loi Madelin.
Cet oubli pourrait être corrigé dans l'avenir, et je crois que le futur projet
de loi de finances pourrait en être le cadre, en étendant le champ
d'application des dispositions de l'article 35 A, qui vise à réformer le régime
de retraite complémentaire des exploitants agricoles, aux chefs d'exploitation
ou d'entreprise de cultures marines relevant du régime de l'ENIM.
Pour conclure, je dirai simplement que je voterai ce texte, à titre personnel,
bien sûr, mais c'est aussi - je m'en fais le porte-parole - la position de mes
collègues des départements maritimes de l'Atlantique, particulièrement ceux de
la Manche, afin de doter le secteur des pêches et des cultures marines
françaises d'un cadre juridique, économique et social fort et rénové.
En dépit des difficultés graves qu'elle traverse depuis maintenant quatre ans,
la pêche peut aujourd'hui aborder l'avenir sous de meilleurs auspices, et se
préparer plus solidement à la négociation de la nouvelle politique commune des
pêches.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
permettez-moi tout d'abord de me réjouir, au nom du groupe socialiste et en
tant qu'élu d'une région à forte activité halieutique, de voir aujourd'hui
revenir devant nous ce texte bien conçu et nécessaire. Faute d'y trouver des
garanties suffisantes en matière de formation ou de pêche industrielle,
notamment, nous nous étions abstenus en deuxième lecture ; les modifications
apportées par le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont achevé de donner à
ce texte la cohérence que nous lui souhaitions.
La crise de février 1994 avait mis au grand jour les dysfonctionnements, les
contradictions, les angoisses des métiers de la mer : nous ne pouvons que nous
féliciter que, de ces événements, soit née une concertation sans précédent
permettant, à travers deux gouvernements successifs, d'aboutir à ce texte, dont
le champ d'action est très étendu et les effets profonds.
De cette crise passée, il faut tirer les conséquences, et nous nous
réjouissons de voir que le texte qui nous est aujourd'hui présenté va
pleinement dans ce sens. En effet, il met l'accent sur cinq axes essentiels à
la modernisation et à la réorganisation de la pêche : une meilleure gestion de
la ressource, plus que jamais nécessaire ; une réorganisation importante de la
filière ; une modernisation, tant légale que fiscale, du statut des entreprises
de pêche ; une réadaptation des cultures marines, et, enfin, une modernisation
des relations sociales au sein du secteur de la pêche.
La diminution de la ressource a largement contribué aux difficultés récentes
et actuelles de la pêche : les très fortes tensions auxquelles nous avons
assisté depuis plusieurs années, entre pêcheurs espagnols et français
notamment, soulignent l'importance de l'article 4
ter
visant à prévenir
la captation de quotas. Cela est important, et je souhaite que cet article
parvienne à régler des problèmes lourds de symboles humains autant que de
conséquences économiques.
Dans le même sens, la non-patrimonialisation des quotas ou des licences de
pêche permettra d'encadrer l'accès à la ressource et de donner ainsi un rôle
plus grand aux organisations de producteurs : ces organisations pourront
désormais gérer les quotas de leurs adhérents. Une gestion plus saine de la
ressource devrait résulter de toutes ces mesures, ainsi qu'une meilleure
intégration de l'activité des pêcheurs à l'ensemble de la filière. C'est ce à
quoi vise la suite du texte qui nous est soumis.
Une réorganisation de la filière pêche est, à cette fin, programmée. Le marché
français des produits de la pêche se caractérise en effet par une forte
dépendance à l'égard des importations : notre production nationale couvre à
peine la moitié de nos besoins. Cette organisation passe avant tout par une
meilleure prise en compte du marché et par la volonté d'éviter l'« atomisation
» excessive de l'offre qui menace aujourd'hui.
En ce sens, la transformation du FIOM en OFIMER devra permettre trois avancées
qui me semblent particulièrement bienvenues : le nécessaire pilotage par l'aval
de la filière, la création de comités spécialisés par thème ou par produit et,
enfin, l'affirmation de la vocation purement économique de l'Office, la section
sociale étant transférée au Comité national des pêches maritimes. Tout cela
devrait permettre d'y voir plus clair.
La multiplicité des points de débarquement nuisait en effet à la lisibilité
statistique, au contrôle sanitaire et à la transparence du marché. On crée donc
un agrément des lieux de débarquement, soumis à des garanties sanitaires et au
contrôle des ventes. Il reste cependant à examiner avec précision la
localisation des points de débarquement, puisque se pose en effet le problème
de l'aménagement du territoire et d'une économie hyper-spécialisée pour
certains petits ports, méditerranéens en l'occurrence.
D'une part, la possibilité est donnée aux mareyeurs de constituer des droits
réels sur leurs installations situées dans le domaine portuaire : cela est
justifié par l'importance de leurs investissements.
D'autre part, une commission est créée. Elle aura pour tâche de coordonner les
stratégies d'équipement des ports - Etat, collectivités, administrateurs de
ports et usagers.
Toutes ces mesures me semblent aller dans le bon sens et devraient permettre à
terme de donner à toute la filière pêche l'impulsion dont elle a besoin pour
sortir de la crise actuelle.
Le troisième volet du projet de loi vise à moderniser le statut des
entreprises de pêche. Là encore, on ne saurait trop se féliciter d'une action
en ce sens, car le statut de ces entreprises est le fondement du dynamisme de
la pêche française et des emplois qui dépendent d'elle : c'est la capacité des
sociétés de pêche à se moderniser et à rivaliser efficacement contre leurs
concurrents qui pourra garantir la nécessaire survie de la pêche française.
Comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre, trois mesures vont
particulièrement dans ce sens : la création des sociétés de pêche artisanale,
l'aide à la première installation et l'affirmation du rôle du conjoint des
pêcheurs.
L'instauration d'un statut des sociétés de pêche artisanale permettra aux
patrons pêcheurs propriétaires de mieux distinguer leur entreprise de leur
patrimoine propre. Ce passage du statut d'artisan à celui de société de pêche
artisanale, que la loi facilite en en neutralisant les effets sociaux et
fiscaux, est accompagné d'une autre mesure, à savoir la prise en compte par
l'ENIM du temps consacré à la gestion de l'entreprise. Ainsi sera validé pour
la retraite jusqu'à 50 % du temps total annuel de travail. Tout cela, je le
souhaite, permettra à la pêche française, grâce à une meilleure gestion, d'être
plus concurrentielle.
Encore faut-il assurer la pérennité de cette concurrence : tel est le sens des
incitations à la première installation. Le prix des navires rend en effet
l'installation de jeunes pêcheurs difficile, voire hasardeuse : il ne faut pas
que ceux qui ont la volonté de s'installer soient accablés par des charges
auxquelles ils ne pourront survivre. C'est pour cela que je me félicite de la
réduction de 50 % de la base imposable au titre de l'imposition sur les
bénéfices industriels et commerciaux réalisés au cours des soixante premiers
mois d'activité.
Les nouvelles mesures que vous préconisez, monsieur le ministre, en matière
d'allégement fiscal, permettront de soutenir ces jeunes patrons pêcheurs qui
sont l'avenir de la profession. Que l'on se rappelle que la pêche artisanale
représente 17 000 emplois directs et plus de 100 000 emplois indirects, et l'on
comprendra l'importance de la mesure !
Un autre élément important de cette redéfinition du statut des entreprises de
pêche est la reconnaissance de l'activité commerciale qu'est la pêche et
l'affirmation du rôle du conjoint. L'article 9, vous venez de le rappeler,
monsieur le ministre, lui ouvre un droit de pension et lui alloue un congé de
maternité. Il permet en outre au conjoint de représenter le pêcheur dans les
assemblées générales des sociétés coopératives maritimes. Je n'ai pas besoin
d'insister ici pour affirmer ma satisfaction de voir reconnu un état de fait
qui, sans être comparable à celui des exploitants agricoles, s'en rapproche,
comme il se rapproche de celui de tous ces métiers difficiles pour lesquels
l'épouse est bien souvent partie prenante dans la vie sociale du mari : que les
droits correspondants lui soient donc reconnus !
En quatrième lieu, j'évoquerai le nouveau cadre réglementaire des cultures
marines.
Elu de la Seine-Maritime, qui figure parmi les premiers départements
conchylicoles de France, je ne peux qu'être sensible au fait que le caractère
agricole de la conchyliculture soit reconnu et que l'entraide agricole soit
étendue aux conchyliculteurs et aux éleveurs marins.
De même, la création d'un nouveau genre de navigation, le système antérieur
étant devenu obsolète, me semblait-elle nécessaire : la limite des trois milles
de navigation est abolie par l'article 29, et les cultures marines sont
considérées comme une activité distincte de celle de la pêche ; on ne peut que
s'en féliciter.
J'en viens enfin à la modernisation des relations sociales. C'est là, en temps
de crise, l'un des points les plus sensibles car les plus directement
perceptibles. Or la pêche a trop souvent fait figure de parent pauvre en cette
matière, et il est satisfaisant de constater la remise en cause de certains
particularismes de la pêche. La concertation a permis aux marins-pêcheurs de
conserver certaines traditions - je pense ici au système de rémunération à la
part, dont le système est reconnu.
Votre texte aligne les modalités de licenciement et le régime des accidents de
travail sur le droit commun. Par ailleurs, et afin d'en finir avec le
dérôlement abusif, les contrats à durée déterminée sont également placés sous
le régime de droit commun.
Pour ce qui est de la rémunération à la part, que j'évoquais à l'instant, elle
doit être plus transparente : l'article 30 du titre VI oblige les employeurs,
lors de rémunération à la part, à informer le marin des données comptables
justifiant sa rémunération. La rémunération à la part ne doit pas empêcher un
salaire minimum : les problèmes posés par l'absence de SMIC seront réglés par
un lissage sur l'année ou sur une plus longue période. On peut regretter à ce
propos que le problème de l'affiliation aux ASSEDIC ou de la création d'un
régime spécifique n'ait pas été tranché.
Le texte vise enfin, et c'est une novation importante, à favoriser la
formation professionnelle et la préretraite. Sur ce point encore, il y a
urgence : pour 900 emplois vacants du secteur chaque année, seuls 200 jeunes
sortent des écoles avec un BEP ou un CAP, et 20 % d'entre eux ne sont pas
embarqués pour cause de service militaire ou de prolongation des études !
Si l'on songe qu'à partir de 2001 les enfants du baby-boom commenceront à
prendre leur retraite, on mesure le déficit dont est, à terme, menacée la pêche
française.
Je me réjouis donc de constater que la formation professionnelle pourra
désormais s'appuyer sur deux fonds spécifiques.
Peut-être aurait-il cependant mieux valu ne pas abaisser l'âge d'embarquement
des jeunes en formation de seize ans, comme c'était le cas jusqu'ici, à quinze
ans. Il serait tout à fait concevable d'organiser un enseignement à terre pour
les plus jeunes, ceux de quinze ans, qui prépareraient ainsi de manière plus
complète leur premier embarquement, effectué à seize ans, et parfois bien rude
pour de trop jeunes pêcheurs.
Enfin, dans cette incitation au développement des métiers de la pêche, on
aurait pu souhaiter que soient associés les plans emplois-jeunes à la filière
pêche et que soient adaptées les mesures de réduction du temps de travail.
Ces quelques observations, monsieur le ministre, n'enlèvent rien, évidemment,
à l'ampleur et à la valeur des réformes que ce texte propose pour un secteur
vital, mais particulièrement exposé, et auquel nous sommes tous attachés. Il
n'était que temps de voir enfin aboutir le résultat de tant d'efforts et la
réponse à tant d'espoirs.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi donc
nous revient, pour une troisième lecture au Sénat, le projet de loi sur les
pêches maritimes et les cultures marines.
La procédure est exceptionnelle, monsieur le ministre, puisqu'elle va nous
donner l'occasion de débattre des éléments nouveaux adoptés par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture. Et ces points nouveaux ne sont pas sans
importance, puisque le Gouvernement et, au-delà, la nouvelle majorité ont
enrichi le texte de loi de dispositions sociales majeures.
Pour situer mon propos dans le débat général, je voudrais insister sur
quelques points qui me paraissent importants.
Il s'agit avant tout d'accompagner la pêche française - ses hommes et ses
structures - sur les chemins du partenariat fixés par la politique commune des
pêches.
Mon collègue et ami Henri Weber est revenu sur les cinq grands axes qui
doivent devenir les outils essentiels à une redynamisation de l'ensemble de la
filière pêche de notre pays.
J'examinerai par conséquent les principales dispositions de la politique
générale des pêches maritimes de notre pays. A ce titre, je reviendrai sur les
points fondamentaux qui doivent assurer à la fois le développement et la
stabilité structurelle et fonctionnelle du monde des pêches.
Je profite de l'occasion pour dire tout le bien que je pense de l'excellent
rapport de M. Alain Parrès adopté par le Conseil économique et social. Gageons
que ce remarquable travail sera aussi une source d'inspiration et d'étude
prospective, une référence pour ceux qui ont en charge la vitalité et le
développement de cette activité si importante pour les économies littorales.
Mes chers collègues, la bonne santé de la pêche française et de ses marins
suppose un nouvel équilibre et une coordination renouvelée entre les différents
acteurs de la ou des professions concernées.
J'entends bien que soit créé un Conseil supérieur d'orientation des politiques
halieutiques, mais il me semble indispensable que soit dans le même temps
réaffirmé le rôle primordial du Comité national des pêches maritimes et des
élevages marins. Le CNPM est l'interlocuteur désigné et privilégié des pouvoirs
publics, il doit le rester.
Je souhaite, monsieur le ministre, que ces deux structures soient avant tout
des outils de cohérence au service des pêches maritimes et de leur
développement.
La commission de suivi de la pêche instituée en mars 1994 n'avait-elle pas
vocation à n'être qu'un instrument conjoncturel ?
J'attends avec beaucoup d'impatience le contenu du décret d'application. Je
vous demande donc de veiller à ce que cette nouvelle structure ne vienne pas se
superposer au CNPM et que soient intéressés tous les agents porteurs de
cohérence en matière de politique des pêches et des cultures marines.
Moi aussi, comme beaucoup d'autres, je note avec satisfaction la
transformation du FIOM en un véritable Office des produits de la mer, l'OFIMER.
Cet Office répond, en effet, à la nécessité d'impliquer davantage les
organisations de producteurs dans la gestion des quotas de leurs adhérents et
d'instaurer le nécessaire « pilotage par l'aval » de la filière.
Au travers du nouvel organisme, qui aura pour mission de dynamiser davantage
la filière et de participer à la reconquête du marché national et au
développement de l'exportation des produits d'origine française, il sera
nécessaire de mener une véritable politique nationale de qualité et de
promotion de nos produits.
Je souhaite que la valorisation des produits de la mer devienne une véritable
priorité et que des campagnes d'information initient un peu plus encore notre
pays à la consommation de ces produits de qualité.
Mais, parallèlement à cette invitation, l'actualité nous oblige à nous
interroger sur les procédures de retraits sous les criées. Tout le problème
réside dans le contrôle et la prise en charge de ces retraits.
L'agrément provisoire du FIOM prend fin aujourd'hui même, monsieur le
ministre, et les aides communautaires aux retraits d'espèces européennes sont
suspendues. Nous vous demandons de bien vouloir nous faire part de votre
position en la matière.
Avec 10,5 milliards de francs de déficit, les produits de la mer ont le
privilège, peu enviable, d'être le poste négatif le plus important de la
balance du commerce extérieur français.
Située dans les années soixante-dix entre 12 et 15 kilogrammes
per
capita,
la consommation directe représente aujourd'hui environ 25
kilogrammes en « poids équivalent entier », soit une progression de plus de 90
% en vingt ans. Cependant, si la consommation directe progresse régulièrement
et de manière significative, force est de constater et de regretter la démesure
de l'approvisionnement extérieur au marché national.
La raréfaction de la ressource n'explique ni le déficit de ce chapitre de la
balance commerciale ni les importations massives en provenance des pays de
l'Union européenne, voire des pays tiers.
Le rééquilibrage suppose une adaptation de notre marché par rapport au marché
international. L'Etat, mais aussi les collectivités locales et les organismes
interprofessionnels, doivent insuffler une dynamique conforme aux intérêts de
l'économie des pêches.
La crise de 1993 à 1994 a montré les limites d'un système usé par les
nouvelles conditions du marché, de la globalisation des économies, de la
mondialisation.
Le maintien et, si possible, le développement, j'allais dire la prospérité de
la pêche artisanale nécessitent une différenciation du capital familial et du
capital professionnel. Ainsi, les dispositions qui tendent à favoriser, dans
des conditions sociales et économiques neutres, le passage de l'entreprise
individuelle de pêche artisanale à la forme sociétaire, sont une excellente
chose. De même, tout ce qui peut aller vers plus de souplesse dans la gestion
difficile et aléatoire des entreprises de pêche va dans la bonne direction.
L'exonération de la taxe professionnelle sans limite dans le temps serait une
mesure de bon sens. Si l'on souhaite, à juste titre, la modernisation dans le
fonctionnement de l'entreprise de pêche par le passage à la forme sociétaire,
il convient en effet d'obtenir l'adhésion individuelle du plus grand nombre
d'artisans. A secteur fragilisé, mesure exceptionnelle !
Je veux maintenant mettre l'accent sur la modernisation des relations sociales
qui est précisée dans le titre VI.
Régulièrement, particulièrement depuis deux ans, la modernisation du statut
social des marins-pêcheurs revient sur la table des négociations. Le projet de
loi, qui est aussi le fruit d'une large concertation avec les milieux
professionnels des pêches maritimes, répond, nous l'espérons, à cette attente,
puisqu'il prévoit plusieurs améliorations notables du régime de travail. Les
avancées dans le domaine de la protection sociale, dans toute son acception,
étaient très attendues par les navigants eux-mêmes. Il devenait donc
indispensable de préciser un cadre législatif renouvelé, assoupli.
Sur l'initiative du nouveau gouvernement et sous son impulsion, l'Assemblée
nationale a traduit dans les faits des aspirations légitimes telle la
reconnaissance d'un véritable statut aux conjointes collaboratrices.
Je note au passage que le Gouvernement a proposé de légiférer dans l'instant
et de ne pas soumettre cette revendication aux interrogations et à
l'incertitude d'un rapport. Nous ne pouvons que vous en féliciter, monsieur le
ministre, car cette façon de procéder est empreinte de bon sens.
De même, le projet de loi enrichi définit les termes et les conditions de la
révocation des capitaines de pêche. Désormais, le bénéfice du droit commun du
licenciement maritime sera étendu à la pêche.
Enfin et toujours, dans cette recherche de transparence dans les métiers de la
pêche, seront mentionnés au rôle d'équipage le lieu et la date
d'embarquement.
Au total, le contrat de travail à la pêche devient un acte plus précis.
Monsieur le ministre, la bonne gestion et l'avenir des pêches maritimes
reposent pour une bonne part sur la maîtrise des captures et sur une
exploitation saine et raisonnable de la ressource halieutique. Nous en
convenons tous. La Commission est bien dans son rôle lorsqu'elle préconise une
gestion équilibrée, mais il convient de préciser deux éléments qui portent en
eux la fragilité d'un raisonnement purement technocratique.
Tout d'abord, les producteurs et les navigants reconnaissent régulièrement le
caractère non satisfaisant, pour ne pas dire très hypothétique, des études
scientifiques relatives à la biomasse.
Bien entendu, il ne s'agit nullement de critiquer le monde scientifique ; il
s'agit, bien au contraire, de mettre en avant et de relativiser les moyens mis
à la disposition des chercheurs et des techniciens de l'environnement
maritime.
Trop souvent les crédits affectés à la recherche sont engloutis dans des
projets démesurés quand, dans le même temps, le personnel réclame à juste titre
des moyens supplémentaires pour affiner des contrôles dont les résultats
seraient, à n'en pas douter, plus utiles aux professionnels, qui attendent des
éléments de prévisions pour gérer et exploiter correctement leur entreprise.
De même, si nous comprenons la pêche calibrée et, par là même, une pêche de
produits aux tailles commercialisables, nous ne pouvons que condamner la pêche
minotière. Il y a là, en effet, un scandale écologique et environnemental.
En matière de préservation de la ressource, il ne peut y avoir de double
langage. La fermeté est plus que nécessaire, et la Commission doit purement et
simplement interdire une pratique qui consiste à faire de la farine avec des
espèces juvéniles, pratique qui, je le répète, détruit irrémédiablement les
stocks.
M. Josselin de Rohan,
rapporteur.
Très bien !
M. Michel Sergent.
Nous comptons sur votre fermeté, monsieur le ministre, pour poser une nouvelle
fois ce grave problème à la fois à la Commission et au sein du Conseil des
ministres.
J'en viens maintenant aux conditions de travail et à la dimension sociale des
métiers de la pêche.
La spécificité des différents métiers nous oblige à une analyse qui ne peut,
en aucun cas, être généralisée.
Je ne veux revenir sur la pêche dite « côtière » que pour dire combien nous
attendons un rapport sur la bande côtière. Une police des pêches, notamment en
Manche et en mer du Nord, doit être étudiée pour faire prévaloir le droit dans
des eaux qui, jusqu'ici, étaient exploitées dans des conditions inacceptables,
car non précisées ou, tout au moins, mal précisées.
Je veux en outre évoquer le problème des mesures techniques - prévues par le
règlement CEE n° 3094/86 - et l'épineux problème de la taille des maillages.
J'attire votre atttention sur ledit règlement, qui doit entrer en vigueur au
plus tard le 31 décembre de cette année.
Elu du Pas-de-Calais, vous comprendrez fort bien que j'intervienne dans ce
débat pour défendre les intérêts des fileyeurs et des trémailleurs boulonnais,
calaisiens, mais aussi dunkerquois, et je vous remercie, monsieur le ministre,
de faire preuve de la plus grande fermeté sur la taille des mailles, ce qui
évite toute distorsion de concurrence.
J'en viens maintenant, et tout naturellement, à la pêche hauturière.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la pêche industrielle fraîche et la
pêche semi-industrielle connaissent des difficultés certaines, même si les
armateurs de ces deux segments d'activités et leurs navigants sont suffisamment
discrets pour ne pas régulièrement mettre en avant la fragilité de leur
secteur.
Aux problèmes de la ressource et du marché s'ajoute, avec une acuité certaine,
celui du vieillissement des navires. Le rajeunissement de la flotte hauturière
de pêche fraîche est aujourd'hui - en partie - assuré grâce au concours des
collectivités locales, à l'exemple de ce qui se fait dans le Nord -
Pas-de-Calais par l'institution régionale.
Cependant, il s'agit non pas de constructions nouvelles, mais d'un toilettage.
Sera-t-il suffisant ? Je ne crois pas.
Les armateurs concernés peuvent se réjouir de l'étalement des plus-values que
vous préconisez dans ce projet de loi, mais n'est-il pas temps de mettre en
place, à l'exemple de ce qui se fait dans l'agriculture, une structure de type
des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER ? Elle
aurait pour objet de faciliter la construction neuve et le renouvellement d'une
flotte qui demande et exige une réflexion nouvelle quant à l'approche technique
et technologique du travail en eaux profondes. Une fois encore, nous nous
demandons quelles sont vos intentions en la matière, monsieur le ministre.
Ce type d'activité qui a fait la force de la pêche française, a-t-il encore un
avenir dans les eaux communautaires ? La question se pose quand on considère,
avec perplexité et inquiétude, le détournement des quotas par les sociétés
mixtes.
L'idée de définir un lien économique réel avec le territoire national pour les
navires de pêche est-elle suffisante pour limiter l'érosion des capacités de
captures ? Je me pose la question. Je sais bien les difficultés rencontrées
pour limiter la captation de quotas, mais il me semble que le caractère non
cumulatif des conditions précisées ne soit pas un obstacle majeur pour certains
gros armements.
Depuis quelque temps déjà, l'expérience des bases avancées peut laisser
supposer une nouvelle donne en matière d'exploitation. Il semble que, face aux
enjeux nouveaux, les partenaires que sont les armateurs et les marins-pêcheurs
soient en phase à la fois avec les aspects conjoncturels et les défis que
suppose l'ouverture des marchés.
Cependant, il nous faut relativiser ce nouveau mode d'exploitation, car ce qui
est vrai pour l'Ouest Irlande peut ne pas l'être pour la mer du Nord. Au total
et en définitive, c'est bien l'avenir de la flotte hauturière française qui est
en jeu, et je suis intimement persuadé de la nécessité de se pencher sur la
pêche industrielle de notre pays. Un rapport pourrait peut-être apporter des
éléments sérieux d'appréciation.
Dans le même esprit se pose le problème des 18 000 kilowatts résiduels du POP
III lissés sur le POP IV. Pouvons-nous compter sur la prise en compte partielle
des kilowatts des navires des sociétés mixtes pour limiter la surcapacité
française supposée ?
Nous sommes conscients des difficultés que suppose la politique commune des
pêches mais, à bien y réfléchir, c'est la doctrine des pêches communautaires
qui est en jeu et qui mérite une nouvelle définition. Car même avec la
régulation des POP III et IV, il conviendra à terme de poser les jalons de
l'Europe bleue pour l'après 2002. L'Union européenne nous oblige à
l'instauration nette et précise d'un volet social uniformisé, conforme aux
intérêts des travailleurs.
Il est évident que dépend de cette affirmation l'avenir de nos entreprises et
la vitalité de nos économies.
Monsieur le ministre, ce projet de loi fait l'unanimité, mais il ne peut y
avoir d'avenir pour nos pêches et nos pêcheurs que s'il y a reconnaissance
d'une dimension sociale et humaine forte.
La pêche maritime de notre pays peut se développer, mais elle manque de
marins. Les métiers de la mer attirent - et c'est tant mieux - de plus en plus
de jeunes. Mais, paradoxalement, et dans le même temps, l'offre est supérieure
à la demande en matière d'emplois, et les écoles maritimes et acquacoles ne
sont pas toujours adaptées ou n'ont pas toujours les moyens de former
suffisamment les jeunes. La réforme de l'enseignement maritime doit répondre
durablement à ce problème de formation intiale ou continue.
A l'heure où nous cherchons de nouveaux emplois pour adapter notre pays aux
nouveaux enjeux du xxie siècle, ne serait-il pas judicieux de redécouvrir ces
métiers si nobles qui ont su faire profiter notre pays de leurs qualités
intrinsèques ?
Enfin, l'économie des pêches maritimes est aussi liée à l'enjeu que constitue
l'aménagement du territoire. La préservation de ces activités nécessite, en
effet, une vision globale des économies littorales.
Aussi, à côté de la dimension économique et sociale du problème, il nous faut
sans aucun doute alimenter notre réflexion par l'apport d'évaluations
plurisectorielles.
La nouvelle dynamique que vous entendez donner à la pêche et aux pêcheurs de
notre pays est sous-tendue par cette réalité qui puise à la fois dans la
géographie des régions concernées et dans la politique du développement
durable. C'est aussi dans cette perspective que doit s'inscrire ce projet de
loi.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il était, hier, impératif
d'affirmer la place des pêches maritimes françaises dans le concert des pays à
vocation maritime ; il est aujourd'hui de notre devoir de les accompagner vers
un avenir qui doit être, à n'en pas douter, heureux et prospère.
Bien entendu, le groupe socialiste votera ce projet de loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines, car il s'inscrit désormais dans une perspective plus en phase avec les réalités économiques et sociales de notre temps. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)3