RÉFORME DU SERVICE NATIONAL
Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n°
30, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle
lecture, portant réforme du service national. [Rapport n° 35 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le texte qui est aujourd'hui soumis à votre examen représente à mon
sens une synthèse équilibrée des propositions du Gouvernement et de la volonté
de la représentation nationale.
La volonté du Gouvernement était d'inscrire ce projet de loi dans une logique
d'enracinement d'un nouveau consensus national sur les réformes militaires en
cours.
Ce texte est un tout, incluant les contraintes d'une professionnalisation
maintenant généralement acceptée ainsi que le maintien du lien armées-nation,
que tout le monde appelle de ses voeux, et l'assurance demandée par tous d'un
possible rétablissement de l'appel sous les drapeaux si la sécurité du pays
venait à l'exiger.
Ce consensus sur les buts a, je le crois, existé depuis le début du débat. Il
restait à le forger autour des moyens pour y parvenir. Les débats, tant ici, au
Sénat, qu'à l'Assemblée nationale, ont témoigné d'une volonté partagée
d'atteindre cet objectif. Les préoccupations des deux assemblées, prenant en
compte des sensibilités politiques diverses, se sont rejointes sur de nombreux
aspects du texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
L'Assemblée nationale a souhaité revenir à une lecture proche de son texte
initial, mais elle l'a fait sous l'éclairage constructif de vos travaux, en
incluant diverses dispositions qui s'inscrivaient dans un ensemble jugé
cohérent par elle.
Certaines propositions du Sénat, aussi argumentées et intéressantes qu'elles
aient pu être, pouvaient affecter la logique interne du texte : ce sont celles
que l'Assemblée nationale n'a pas retenues ; en revanche, d'autres propositions
qui affinaient et, il faut le dire, amélioraient le dispositif présenté en
première lecture l'ont été.
J'en donne rapidement le détail.
Le débat sur le chapitre III, traitant du recensement, a maintenu en l'état
l'amendement de votre commission atténuant la sanction pour non-accomplissement
de l'obligation de recensement. Les députés ont été convaincus par cette
proposition du Sénat.
Les souhaits du Sénat ont rejoint également ceux de l'Assemblée nationale avec
la proposition faite au cours des débats d'élaborer un nouveau protocole entre
la défense et l'éducation nationale.
De même, l'amendement de votre collègue M. Delanoë, permettant l'enseignement
à l'école des principes et de l'organisation de la politique européenne de
sécurité commune, a été repris dans le nouveau texte de l'Assemblée nationale.
Il en a été de même, de façon littérale cette fois, pour la désignation de cet
objectif de formation.
Les députés ont en outre suivi votre proposition de consultation du Conseil
supérieur des Français de l'étranger pour les modalités d'application de
l'enseignement de défense et de l'appel de préparation à la défense pour les
jeunes Français établis hors de France.
En revanche, la divergence n'a pas été aplanie en ce qui concerne l'intitulé
de la journée de convocation de défense ; nous nous sommes expliqués, je crois,
sur les motifs de cette différence d'appréciation sur les termes qui ont un
retentissement sur le fond de ce dispositif.
Quant au principe du suivi médical, véritable problème qui a été soulevé avec
insistance par le Sénat, il méritait effectivement d'être débattu. Toutefois,
l'Assemblée nationale comme le Gouvernement ont estimé qu'il n'était pas
opportun de trancher aujourd'hui ce débat par la loi. Le Gouvernement a le
problème parfaitement présent à l'esprit. Des pistes de réflexion comme la
prise en compte par la médecine scolaire ou une coordination entre la médecine
scolaire et les généralistes engagés dans le principe du médecin référent sont
à l'étude.
La solution, qui est naturellement interministérielle, devra être trouvée sans
la précipation due à l'urgence qui entoure les travaux législatifs. Je souhaite
pouvoir annoncer au Sénat, dans les mois qui viennent, qu'une solution a été
retenue par le Gouvernement.
A propos du débat sur le volontariat, qui faisait effectivement apparaître une
divergence entre les conceptions défendues dans chacune des assemblées, je
voudrais réaffirmer ceci : à partir du moment où le Gouvernement souhaite
permettre aux jeunes de s'insérer professionnellement en leur offrant un statut
social, il n'apparaissait plus possible de ménager, au sein des formations
militaires, un volontariat d'une autre nature. Faiblement rémunéré, celui-ci
risquait d'être à l'origine de décalages de qualité dans le recrutement des
jeunes employés au sein des armées par rapport à ceux qui peuvent être recrutés
par les services de l'administration civile.
Le volontariat que nous préconisons s'adresse à des jeunes qui souhaitent se
consacrer à la défense de notre pays sans pour autant en faire le métier d'une
vie. L'adoption par l'Assemblée nationale de l'amendement de votre commission
soulignant son caractère temporaire montre bien, d'ailleurs, cette
appréciation. Toutefois, en ce qui concerne les conditions de rémunération et
les conditions de durée, l'accord complet n'a pas été possible.
Je tiens enfin à souligner la similitude des approches entre les deux
assemblées sur le difficile dossier des reports et dispenses.
Comme vous le savez, le projet de loi initial du Gouvernement partait du texte
qui avait été approuvé par le Sénat lors du précédent débat législatif. La
modification qu'y a introduite le Gouvernement, après dialogue avec l'Assemblée
nationale, n'a pas rencontré d'opposition de principe devant le Sénat, la
différence portant sur la limitation à deux ans du report en faveur des jeunes
titulaires d'un contrat à durée indéterminée.
A cet égard, je veux indiquer, et je le répéterai devant l'Assemblée
nationale, que le Gouvernement, s'appuyant sur la condition de fond que le
report doit être justifié par les difficultés d'insertion professionnelle du
jeune, considère qu'il n'a rien d'automatique. En outre, les conditions
d'application de ce report seront examinées par une commission régionale. Le
report ne sera en quelque sorte « calibré » qu'en fonction de la situation
spécifique du jeune.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le dernier examen
par le Sénat de ce texte est évidemment un moment important de notre vie
politique. C'est un moment de la vie républicaine où la raison, je crois,
sublime les débats, qui ont pu être, à certains moments, vifs. Le projet de loi
qui vous est soumis représente, à mon sens, un compromis équitable entre les
conceptions de l'ensemble de la représentation nationale et celles du
Gouvernement.
C'est l'essentiel qui doit être souligné. Nous sommes en possession d'un
projet qui a sa cohérence, qui crée un « parcours citoyen » et facilite le
passage à l'armée professionnelle, qui ouvre de nouvelles voies pour développer
le lien armées-nation et qui ouvre la voie à la constitution des nouvelles
réserves en maintenant notre capacité de remonter en puissance les effectifs si
la défense de la nation le justifie. C'est bien l'essentiel, et l'apport du
Sénat dans cette élaboration aura été déterminant.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Serge Vinçon,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, comme le précédent projet de loi portant réforme du service
national, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui induira une véritable
réforme de société. En effet, l'interruption du service national obligatoire,
la professionnalisation et le passage au volontariat seront à l'origine d'un
nouveau rapport de chacun à la défense de son pays et de l'instauration de
relations inédites entre la jeunesse et l'armée.
Une modification aussi profonde de notre culture de défense aurait justifié un
accord entre les deux assemblées.
C'est donc dans cet esprit que nous avons travaillé en première lecture. Nous
avons abordé de manière objective et positive le texte qui nous était soumis,
même si nous regrettions l'abandon du précédent projet, plus complet et plus
ambitieux.
Nous n'avons donc pas, en première lecture, bouleversé le projet de loi qui
nous était soumis ; nous avons cherché à l'améliorer, en cohérence avec les
positions soutenues par le Sénat lors du débat du printemps 1996 sur l'avenir
du service national et à l'occasion de l'examen du précédent projet de loi.
Je vais rappeler brièvement les modifications que le Sénat a adoptées le 7
octobre dernier, sur la proposition de la commission des affaires étrangères,
de la défense et des forces armées.
Nous avons, tout d'abord, adopté une nouvelle définition du service national
rénové, en proposant une autre rédaction de l'article L. 111-2 du futur code du
service national. Celle-ci comportait tout d'abord des nuances d'ordre
terminologique. Nous avons ainsi préféré les termes de « Rencontre
armées-jeunesse » à ceux d'« appel de préparation à la défense ». Notre choix
présentait au moins le mérite de la cohérence avec l'objet même de cette
nouvelle obligation, qui est essentiellement de maintenir un lien privilégié
entre les jeunes et l'armée. De même, nous avons préféré nous référer au terme
de « conscription », plus clair et historiquement plus signifiant que ceux d'«
appel sous les drapeaux ».
Notre définition du service national rénové tendait également à élargir le
contenu de la Rencontre armées-jeunesse à un bilan de santé, conformément aux
conclusions des réflexions que nous avons conduites au printemps 1996 et aux
dispositions du précédent projet de loi.
Je demeure, pour ma part, fermement convaincu de la nécessité de procéder à ce
bilan de santé à l'occasion de la Rencontre armées-jeunesse, non seulement dans
une perspective de santé publique, mais également dans l'hypothèse d'une
remontée en puissance du service national obligatoire, que ce bilan de santé
pourrait très certainement, je le maintiens, monsieur le ministre, permettre
d'accélérer.
Enfin, la rédaction retenue par la commission pour l'article L. 111-2 du futur
code du service national visait à souligner le caractère exceptionnel du
rétablissement éventuel de la conscription, en subordonnant celui-ci à des
considérations exclusivement liées à la défense de la nation, de manière à
éviter que le service national obligatoire ne puisse être rétabli en fonction
d'appréciations contingentes sur les missions assignées
le parti d'éviter de figer d'ores et déjà à une journée la durée de la
Rencontre armées-jeunesse, afin de permettre un éventuelle modification de
celle-ci en fonction des leçons de l'expérimentation, et pour tenir compte du
bilan de santé, dont nous n'avons jamais dit qu'il aurait lieu forcément lors
de cette journée.
Sans remettre en cause le volontariat, nous avons souhaité écarter tout risque
de confusion entre les emplois-jeunes et les volontariats créés par le présent
projet de loi. En effet, celui-ci a défini les volontariats selon les mêmes
principes que les emplois-jeunes, en ce qui concerne leur rémunération et,
beaucoup plus grave à mon avis, leur durée. Nous avons jugé qu'il était
regrettable que, ce faisant, les volontariats soient conçus avant tout comme un
emploi et comme un service rendu par la collectivité aux jeunes. Cette
interprétation du volontariat est difficilement conciliable avec la logique du
service national dont relèvent les volontariats, qui impliquerait plutôt la
notion de service rendu par les jeunes à la collectivité.
Nous avons regretté que le présent projet de loi ne s'appuie pas sur la
définition du volontariat à laquelle renvoyait le précédent projet. Sans dénier
aux jeunes le souci de rechercher une première expérience valorisante sur un
plan professionnel, ce texte faisait confiance aux jeunes Français et à leur
capacité de dévouement.
Nous avons donc proposé, pour éviter toute confusion entre le volontariat et
les emplois-jeunes, de réduire à deux ans la durée des volontariats et de
rappeler que ceux-ci qui constituent un concours « temporaire » à une mission
d'intérêt général qui ne saurait se concevoir dans une perspective de carrière.
Dans notre esprit, le jeune qui aurait souhaité poursuivre dans le métier des
armes aurait pu souscrire un engagement, même court, au-delà de ses deux années
de volontariat.
Convaincus que le volontariat dans les armées, tel qu'il est conçu par le
présent projet de loi, conduira à altérer la spécificité du statut des engagés
à un moment où cette catégorie de personnels militaires conditionne le succès
de la professionnalisation, nous avons souhaité faire en sorte que certains
éléments déterminants du statut général des militaires soient réservés aux
engagés, sans pour autant que ces restrictions puissent, à mon avis, réduire
l'intérêt des volontariats sous statut militaire.
Par ailleurs, nous avons estimé qu'il était opportun de rétablir la
possibilité d'un volontariat fractionné, qui était prévue par le précédent
projet, avec l'accord et à la demande des armées, pour que le volontariat
puisse éventuellement s'intégrer dans un cursus universitaire et que les armées
puissent ainsi attirer des volontaires de haut niveau susceptibles de succéder
aux scientifiques du contingent.
Nos propositions avaient également pour objet d'encadrer la mise en oeuvre du
service national rénové, en s'appuyant sur les avis d'instances spécialisées
susceptibles de guider la mise en oeuvre de la réforme et son suivi ultérieur.
Nous avons donc posé le principe de la compétence du Conseil supérieur des
Français de l'étranger à l'égard des modalités d'accomplissement du service
national rénové par les jeunes Français établis hors de France. Nous avons
aussi restauré le Haut Conseil du service national, créé par le précédent
projet de loi, en insistant sur ses compétences dans le domaine de
l'enseignement des principes de la défense et à l'égard du contenu de la
Rencontre armées-jeunesse.
Enfin, par souci du principe d'égalité, nous avons tenu à assujettir aux
nouvelles obligations du service national les jeunes gens nés en 1979. En
effet, ce projet de loi dispense l'ensemble de cette classe de toute
obligation, que ce soit dans l'ancien ou dans le nouveau système.
Compte tenu de l'extrême brièveté de l'« appel de préparation à la défense »,
je n'ai pas été convaincu par les arguments d'ordre pratique qui nous ont été
opposés à l'encontre de l'extension de la nouvelle obligation aux jeunes gens
nés en 1979. Nous avions, en effet, proposé que ces jeunes puissent participer
à la Rencontre armées-jeunesse jusqu'à la fin de l'année 1999, pour laisser le
temps à l'administration compétente d'organiser une montée en puissance
harmonieuse du nouveau système. Pourquoi ce délai n'est-il pas suffisant pour
organiser une obligation aussi brève ?
C'est également le souci de respecter le principe d'égalité qui nous a conduit
à modifier les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale à l'égard des
jeunes qui, soumis à l'obligation du service national jusqu'en 2002, possèdent
un emploi et, de ce fait, considèrent leur incorporation avant tout comme une
contrainte. Il nous a paru équitable de limiter à une durée maximale de deux
ans la durée des reports susceptibles d'être accordés aux titulaires d'un
contrat de travail à durée indéterminée, afin d'éviter que, par le biais de
reports successifs, ces jeunes ne puissent
de facto
échapper à leur
obligation.
Nous avons considéré que les modifications du code du travail induites par ce
projet de loi garantissaient aux appelés qui avaient un emploi avant leur
incorporation de retrouver celui-ci à leur libération.
Nous avons ainsi voulu concilier les préoccupations légitimes des jeunes à
l'égard de l'emploi avec les besoins des armées pendant la période de
transition vers la professionnalisation. Il serait, en effet, très inquiétant
de renoncer à assurer correctement la défense du pays jusqu'en 2002. Il était
du devoir du Sénat et plus particulièrement de la commission des affaires
étrangères et de la défense de rappeler cette évidence, mieux, cette
obligation.
Je veux maintenant rappeler l'apport de l'Assemblée nationale au présent
projet de loi lorsqu'elle l'a examiné en première lecture.
Des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale ont précisé de manière
opportune certains aspects techniques de la réforme du service national.
Ainsi a-t-elle reconnu aux participants à l'appel de préparation à la défense
le statut d'appelés. L'Assemblée nationale a également étendu expressément à la
détection de l'illettrisme l'objet de l'appel de préparation à la défense.
L'Assemblée nationale a en revanche aggravé la confusion entre volontariat et
emploi. Dans une certaine mesure, le texte du Gouvernement était, sur ce point,
cohérent. Certes, le volontariat était défini selon la même logique que les
emplois-jeunes, mais au moins n'était-il pas présenté comme un élément du
service national. L'Assemblée nationale a renforcé l'ambiguïté du volontariat
en faisant expressément de celui-ci une modalité d'accomplissement du service
national rénové, tandis qu'elle souscrivait aux dispositions du projet de loi
inscrivant le volontariat dans une logique de carrière.
L'Assemblée nationale a également tenu à étendre aux volontaires d'importantes
dispositions du statut général des militaires, brouillant ainsi les contours du
statut d'engagé et peut-être incitant ceux-ci à considérer le statut d'engagé
comme relativement moins attractif que celui de volontaire.
Enfin, c'est l'Assemblée nationale qui a créé les reports d'incorporation
susceptibles d'être attribués aux jeunes titulaires d'un emploi. Cette
disposition placera probablement les armées dans une situation très difficile
pendant la délicate période de transition. Elle pourrait compromettre gravement
la professionnalisation pendant la période de montée en puissance de
celle-ci.
Notons que la formule adoptée par l'Assemblée nationale n'est même pas très
satisfaisante pour les jeunes eux-mêmes, en dépit de la présentation qui en a
été faite, compte tenu des incertitudes qui demeurent sur les critères qui
seront retenus par les commissions régionales de dispense, seules compétentes
en matière de délivrance des nouveaux reports d'incorporation créés par
l'Assemblée nationale.
Lors de la tentative de conciliation qui a eu lieu, le 9 octobre dernier, en
commission mixte paritaire, nous avons été dans l'obligation de constater
l'absence d'accord possible sur les propositions les plus importantes faites
par le Sénat en première lecture, à savoir la dénomination « Rencontre
armées-jeunesse », l'extension de l'objet de celle-ci à un bilan de santé, la
diminution de la durée du volontariat et la révision, en conséquence, des
articles du statut général des militaires susceptibles de s'appliquer aux
futurs volontaires dans les armées, enfin sur la limitation de la durée du
report d'incorporation des titulaires d'un contrat de travail à durée
indéterminée.
Le bilan de la nouvelle lecture effectuée par l'Assemblée nationale, le 13
octobre dernier, est sans surprise par rapport au désaccord constaté en
commission mixte paritaire.
L'Assemblée nationale a confirmé un état d'esprit globalement négatif à
l'égard des propositions, pourtant modérées, pourtant positives, du Sénat.
La dénomination « Rencontre armées-jeunesse » a ainsi été rejetée, au profit
de celle d'« appel de préparation à la défense ». De même au terme de «
conscription », sont préférés ceux d'« appel sous les drapeaux », que je
persiste à trouver moins satisfaisants.
L'Assemblée nationale a rétabli sa définition ambiguë du futur service
national, qui fait de l'« appel sous les drapeaux », c'est-à-dire de l'éventuel
rétablissement de la conscription, une modalité normale d'accomplissement du
service national, sur le même plan que le recensement et que l'« appel de
préparation à la défense ». Comment une telle disposition est-elle compatible
avec la professionnalisation ?
Dans le même esprit, l'Assemblée nationale a maintenu sa conception discutable
des critères de rétablissement de la conscription, en persistant à se référer
aux « objectifs assignés aux armées », ce qui confirme la possibilité de
soumettre la professionnalisation à certaines révisions.
L'Assemblée nationale a jugé pertinent d'exempter l'ensemble des jeunes gens
nés en 1979 de toute obligation, ce qui est manifestement contraire au principe
d'égalité.
L'Assemblée nationale a également annulé les dispositions relatives au bilan
de santé.
Le Haut Conseil du service national est également supprimé, alors que cette
instance aurait pu jouer un rôle très positif dans la mise en oeuvre de la
réforme, notamment en guidant les débuts de l'enseignement sur la défense, qui
peut susciter tant d'interrogations.
La durée du volontariat est à nouveau fixée parallèlement à celle des
emplois-jeunes, et l'Assemblée nationale a rétabli tous les articles du statut
général des militaires qu'elle souhaitait appliquer aux volontaires.
Enfin, l'Assemblée nationale a maintenu les dispositions relatives aux
nouveaux reports d'incorporation destinés aux jeunes qui ont un emploi,
dispositions qu'elle avait adoptées en première lecture, malgré les difficultés
d'ores et déjà prévisibles qu'elles engendreront pour les armées.
L'Assemblée nationale s'est par ailleurs bornée à admettre des aspects pour la
plupart mineurs du texte adopté par le Sénat.
Elle a ainsi accepté de réviser la définition du devoir de défense, dont le
principe est posé par le premier article du futur code du service national.
L'Assemblée nationale a accepté d'atténuer les sanctions susceptibles d'être
imposées pour non-accomplissement du recensement, en maintenant la limite d'âge
de vingt-cinq ans au-delà de laquelle ces sanctions deviennent sans objet.
L'Assemblée nationale a accepté deux des trois amendements de nos collègues
socialistes - pourquoi pas les trois ? - relatifs à l'enseignement des
principes de la défense, étendus à la défense européenne, enseignement qui doit
renforcer le lien armées-nation. En revanche, l'Assemblée nationale n'a pas
admis l'information des jeunes sur les principes de la politique étrangère et
de sécurité commune pendant l'« appel de préparation à la défense ».
L'Assemblée nationale a admis que le volontariat constitue un concours «
temporaire » à une mission d'intérêt général. Mais comme elle a par ailleurs
rétabli la durée de cinq ans prévue par le texte initial du projet, on ne peut
dire qu'elle accepte de disjoindre le volontariat de la logique de carrière
dans laquelle il s'inscrit.
Enfin, l'Assemblée nationale a, à la demande du ministre de la défense, que je
remercie pour son intervention, adopté sans modification l'article L. 114-12 du
futur code du service national, qui soumet l'organisation du service national
rénové pour les jeunes Français établis hors de France à l'avis du Conseil
supérieur des Français de l'étranger et à celui de son bureau permanent dans
l'intervalle de ses sessions.
Je suis quand même très étonné que notre suggestion de rétablir le volontariat
fractionné, à laquelle, monsieur le ministre, vous vous étiez déclaré favorable
au Sénat, n'ait pas été reprise par l'Assemblée nationale.
Mes chers collègues, dans ce contexte, il paraît difficilement envisageable
que le Sénat modifie à nouveau aujourd'hui le projet de loi qui nous est soumis
en proposant une nouvelle fois tous les amendements que nous avons adoptés le 7
octobre. Cette hypothèse serait valable si nous avions la moindre chance de
faire aboutir l'une de nos propositions. Mais il n'en est rien.
Je vous propose donc d'opposer la question préalable afin de constater qu'il
n'y a pas lieu de continuer à délibérer en nouvelle lecture sur le projet de
loi portant réforme du service national, texte que le Sénat a abordé avec
objectivité et - je le crois - honnêteté lors de la première lecture. Il a
accompli un travail constructif dont il ne reste presque rien dans le texte que
nous examinons aujourd'hui.
Lorsque nous avions été saisis, à la fin de l'année 1991, du projet de loi
tendant à réduire à dix mois la durée du service militaire, votre commission
des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait proposé de
voter une question préalable en nouvelle lecture. En effet, après le travail
constructif et rigoureux accompli par le Sénat en première lecture, nous avions
tiré les conséquences qui s'imposaient du texte adopté par l'Assemblée
nationale en nouvelle lecture et dans lequel ne figurait aucune des
dispositions principales adoptées par le Sénat.
La question préalable que la commission des affaires étrangères, de la défense
et des forces armées vous propose d'opposer aujourd'hui au projet de loi, comme
celle qu'elle avait proposée voilà six ans, n'est donc pas inspirée par le
refus d'examiner cette réforme. Elle tend à constater que le Sénat est mis dans
l'impossibilité de participer à l'élaboration d'un texte pourtant essentiel
pour notre défense et pour notre jeunesse.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées au RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Nous parvenons donc ce matin, en petit comité il faut bien le reconnaître, à
la fin du processus de la réforme du service national, dont la dernière étape a
été abordée avec ce projet de loi déposé par M. le ministre de la défense et
débattu ici même en première lecture le 7 octobre.
A cette occasion, le groupe socialiste avait opté pour une « abstention
constructive » à l'égard du texte issu des débats du Sénat. En effet, la
majorité sénatoriale, sans dénaturer le projet de loi, je vous en donne acte,
monsieur le rapporteur, l'avait cependant sensiblement modifié, ce qui nous
empêchait de le voter en l'état.
La nouvelle lecture à l'Assemblée nationale a redonné à ce texte son contenu
d'origine. Les députés ont adopté une rédaction qui nous paraît plus conforme
aux souhaits du Gouvernement, tout en prenant en compte certains apports du
Sénat, s'agissant notamment de la dimension européenne et du renforcement du
lien armées-nation, apports introduits par deux amendements déposés ici même
par le groupe socialiste et défendus par notre collègue Bertrand Delanoë. Nous
nous en félicitons, même si nous regrettons que notre troisième amendement
n'ait pas été également adopté !
(Sourires.)
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Très bien !
M. Claude Estier.
Sans revenir sur l'ensemble des dispositions, je souhaite exprimer le soutien
du groupe socialiste au projet de loi qui nous est proposé.
D'abord, ce projet de loi permet d'accompagner le processus de
professionnalisation des armées en prenant la précaution de ne pas couper
l'armée de la société. C'est un souci essentiel auquel les socialistes sont
extrêmement sensibles. Nous ne voulons pas que l'évolution de la défense se
fasse au détriment du lien armées-nation ; mais je crois que nous sommes tous
d'accord sur ce point.
Nous constatons ensuite que l'appel sous les drapeaux est suspendu et non pas
supprimé. On préserve ainsi les capacités de remontée en puissance, si les
besoins de défense, par malheur, l'exigeaient. Sur ce point, qui recueille
d'ailleurs lui aussi une approbation dans cet hémicycle, il nous paraît
important que la réforme du service national n'apparaisse pas comme une
condamnation pour toujours de l'armée mixte, de l'armée de conscription. Nous
ne savons pas aujourd'hui ce que l'avenir nous réserve ; nous savons en
revanche qu'il convient de garder les yeux ouverts face aux défis et aux
menaces dans notre monde en perpétuel mouvement. La possibilité, conservée par
ce texte, de recourir à l'appel sous les drapeaux constitue alors une forme de
prudence particulièrement nécessaire.
Je voudrais enfin insister sur le rôle qui sera dévolu à l'éduction nationale
dans la diffusion de l'esprit de défense, en prenant en compte, bien entendu,
la dimension européenne de toute politique de défense et de sécurité. Nous ne
doutons pas de la capacité de l'éducation nationale à assurer ce rôle.
Toutefois, nous ferons preuve d'une très grande vigilance pour qu'elle puisse,
dans les meilleures conditions et avec les moyens adéquats, remplir cette
éminente mission qui viendra compléter et enrichir le parcours formateur des
citoyens français.
Nous sommes, depuis l'an dernier, engagés dans un processus de transition vers
l'armée professionnelle, processus complexe, nous le savons tous, dans un
contexte budgétaire difficile qui incite à la prudence. Nous avions dit, voilà
quelques mois, que la décision du Président de la République d'abandonner
l'armée mixte allait entraîner des difficultés majeures ; nous y sommes, et
c'est au nouveau gouvernement d'y faire face.
Ce projet de loi prouve, en tout cas, monsieur le ministre, que vous avez pris
rapidement la mesure de votre tâche et que, sans tarder, vous avez corrigé
certaines dispositions du projet précédent qui nous paraissaient
contestables.
Ainsi, ce texte s'inscrit dans le processus de professionnalisation et prépare
une autre évolution très importante : la réforme, mieux encore, la refonte des
réserves, sujet majeur pour notre défense et pour l'avenir du lien
armées-nation.
Le nouveau service national comprendra donc l'appel de préparation à la
défense, le recensement et l'appel sous les drapeaux. Le projet de loi assure
le maintien du volontariat et prévoit le rôle de l'éducation nationale pour
sensibiliser les jeunes Français à leur devoir de défense.
C'est dans cette perspective que le groupe socialiste soutiendra le projet de
loi du Gouvernement tel qu'il a été amendé par l'Assemblée nationale et, je
vous le dis d'emblée pour m'éviter d'avoir à reprendre la parole, qu'il votera
contre la question préalable opposée par la majorité sénatoriale.
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de
ce présent projet de loi en première lecture est suffisamment frais dans les
mémoires pour qu'il paraisse opportun de ne se borner aujourd'hui qu'à quelques
rappels.
Tout d'abord, nous ne sommes pas convaincus, au sein du groupe communiste
républicain et citoyen, du bien-fondé de la disparition du service national et
moins encore de la non-mise en chantier de sa modernisation, de son adaptation
à la situation stratégique, de son adaptation à la société et à la jeunesse
d'aujourd'hui.
Si le service national avait besoin d'une profonde cure de jouvence en ce qui
concerne sa durée, trop longue, l'efficacité de l'instruction civico-militaire
qui était dispensée et la crédibilité du passage dans certaines unités, il
restait, même avec ses lourdeurs et ses défauts, un élément d'éducation
physique, civique et morale. Il constituait un passage, pour certains, à l'âge
adulte, un lieu de brassage social, un élément d'unification nationale,
d'intégration, d'adhésion à la nation. Il limitait certains dégâts de la
fracture sociale dont souffre notre pays : une partie de nos jeunes
compatriotes ne se sent plus intégrée dans le corps social, n'a plus le
sentiment d'appartenir à la nation, ne se sent plus citoyenne.
Nous mesurons pourtant tout à fait, monsieur le ministre, combien il aurait
été difficile de mettre en chantier un projet de rénovation. Une partie
croissante de l'opinion considère en effet la suppression de la conscription
nationale comme un fait acquis.
Je ne rappellerai pas non plus, monsieur le ministre, les améliorations que
votre projet de loi apporte aux dispositions prévues par votre prédécesseur,
notamment pour relancer, sous d'autres formes que la conscription, le lien
distendu entre les forces armées et la société, pour forger la prise de
conscience des jeunes citoyens quant à leur devoir de vigilance et de défense
de la communauté nationale.
C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle nous voterons tout à
l'heure, nous aussi, contre la question préalable opposée par la majorité
sénatoriale, bien que nous conservions, comme en première lecture, une
appréciation mitigée sur l'ensemble du projet de loi.
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
J'ai peu de choses à ajouter aux interventions qui viennent d'être faites. Je
veux toutefois dire à M. le ministre deux choses.
Premièrement, nous voulons le remercier d'avoir veillé, par son initiative
personnelle, à la réintroduction dans le texte de la disposition de l'article
L. 114-12, qui prévoit l'intervention du Conseil supérieur des Français de
l'étranger et que nos collègues de l'Assemblée nationale n'avaient pas retenue.
Ils n'avaient d'ailleurs rien retenu des propositions du Sénat.
La consultation du Conseil supérieur des Français de l'étranger ou de son
bureau permanent est donc désormais prévue. Je vous remercie, monsieur le
ministre, d'être intervenu sur ce point.
Deuxièmement, je voudrais exprimer un sentiment de tristesse.
Voilà quinze mois que nous parlons de réforme du service national. Nous avons
déjà examiné le projet Millon, dont nous avons longuement débattu. Nous y
avions trouvé des dispositions qui nous paraissaient bonnes et nous avions
adopté plusieurs amendements déposés par nos collègues socialistes.
Après avoir examiné ce nouveau texte tel qu'il ressortait de nos travaux,
l'Assemblée nationale a décidé de l'adopter sans rien accepter de nos
propositions. C'est vraiment triste, car nous avions travaillé en respectant
les lignes de force de ce nouveau projet - les deux projets se ressemblent
beaucoup.
Le travail fait par notre commission des affaires étrangères, de la défense et
des forces armées, notamment par son président et par son rapporteur, M.
Vinçon, a été remarquable. Nous y avons nous-mêmes passé des heures. Je ne peux
pas croire qu'il n'y avait absolument rien à prendre dans nos propositions.
L'Assemblée nationale n'a, en tout, retenu que deux des amendements présentés
par nos collègues socialistes. Nous avons l'impression que tous les autres
amendements, destinés à apporter des modifications, à traduire les suggestions
faites par la commission et par la majorité de notre assemblée, n'ont même pas
été lus ; en tout cas, ils n'ont pas été adoptés.
Je trouve, encore une fois, que c'est triste et que cela relève d'un esprit
qui n'est pas conforme au devoir de collaboration entre les deux assemblées,
devoir qui devrait prévaloir lorsqu'il s'agit de textes si importants pour
l'avenir du pays.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel.
Pauvre pays !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
La discussion générale est close.
QUESTION PRÉALABLE