PRÉVENTION ET RÉPRESSION
DES INFRACTIONS SEXUELLES
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 11, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la prévention et à la répression
des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs victimes.
[Rapport n° 49 (1997-1998) et avis n° 51 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, le préambule de la convention des Nations
unies relative aux droits de l'enfant nous rappelle que la protection de
l'enfant constitue un devoir impérieux dans toutes les sociétés
démocratiques.
Pourtant, parce que son jeune âge le rend vulnérable, l'enfant est trop
souvent la victime privilégiée de la violence des adultes. Nous savons
aujourd'hui que 30 000 signalements concernant des violences ou des mauvais
traitements à enfants sont adressés chaque année aux pouvoirs publics. Malgré
l'importance de ce chiffre, nous savons aussi qu'il ne correspond pas à la
réalité, car de nombreuses violences demeurent encore cachées.
Trop souvent, en effet, les victimes ne veulent ou ne peuvent pas les
dénoncer, notamment quand les violences émanent de proches - familles,
éducateurs - ce qui est le cas dans 80 % des affaires de violence sur
enfant.
Lorsqu'elle est constituée par des atteintes ou des agressions sexuelles,
cette violence est d'autant plus insupportable qu'elle est dirigée contre des
êtres très jeunes qui sont par nature d'une grande fragilité.
Par ailleurs, même si la récidive existe pour toutes les infractions, la
délinquance sexuelle est peut-être la seule qui porte en germe une possibilité
de recommencement.
C'est pourquoi notre législation pénale doit appréhender cette forme de
criminalité, qu'elle concerne ou non des victimes mineures, avec un arsenal
répressif adapté et spécifique.
De nombreuses modifications de notre droit sont ainsi intervenues ces
dernières années. En 1980, la définition du viol a été élargie et la répression
des infractions sexuelles a été aggravée. En 1989, un régime spécial de
prescription des infractions commises sur des mineurs par des personnes ayant
autorité - qui concernait, en pratique, les faits d'inceste - a été
institué.
Le nouveau code pénal, adopté en 1992 et entré en vigueur en 1994, a poursuivi
cette évolution en aggravant de nouveau les peines encourues en cas de viol.
La loi du 1er février 1994 a institué une peine incompressible pour les plus
graves des crimes commis sur des mineurs et a prévu que les auteurs
d'infractions sexuelles devaient pouvoir bénéficier d'un suivi médical en
détention.
Ces différents textes - il convient de le souligner - ont été votés par le
Sénat, dont la volonté de protéger au mieux les intérêts des enfants s'est
manifestée avec constance, notamment lors de la réforme du code pénal et lors
de l'examen de la loi du 1er février 1994. C'est d'ailleurs M. Jolibois, qui
rapporte aujourd'hui le présent texte, qui était le rapporteur de la commission
des lois pour le livre II du nouveau code pénal, réprimant les atteintes à la
personne, et pour la loi précitée de 1994.
Enfin, je rappelle que mon prédécesseur, M. Jacques Toubon, avait déposé, au
début de cette année, un projet de loi tendant à renforcer la prévention et la
répression des atteintes sexuelles, projet qui n'a pu être examiné par le
Parlement en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale.
Toutes ces réformes, ou ces projets de réforme, qui ont montré une évolution
des mentalités, notre société ayant lentement mais sûrement pris conscience de
l'ampleur et de la gravité du problème, sont toutefois insuffisants.
L'amélioration de notre droit doit en effet se poursuivre dans deux directions
fondamentales qui, jusqu'ici, n'ont pas été prises en compte de façon
satisfaisante.
D'une part, il convient de renforcer notablement la protection des victimes
mineures, en les dotant d'un véritable statut juridique inspiré par les
sentiments de compassion et de compréhension que l'institution judiciaire comme
l'ensemble de la société doivent avoir à leur égard.
D'autre part, il faut que la répression pénale, qui doit fermement sanctionner
les auteurs de ces actes, intègre également la dimension psychologique et
médicale du problème causé par la délinquance sexuelle, une telle évolution de
notre droit étant indispensable pour tenter de diminuer la récidive de ces
infractions.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement auquel j'appartiens a décidé de
reprendre le projet de mon prédécesseur, qui répondait à une forte attente de
la société.
Toutefois, après avoir procédé à de nombreuses consultations, notamment auprès
de responsables d'associations d'aide aux victimes et auprès du corps médical,
j'ai voulu modifier ce projet de loi afin de l'améliorer et d'atteindre au
mieux les deux objectifs de protection des mineurs et de lutte contre la
récidive.
Ce nouveau projet de loi, élaboré en concertation étroite avec Mme Ségolène
Royal, ministre délégué à l'enseignement scolaire, et M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé, a été examiné et adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale au début de ce mois.
Avant de vous présenter les deux principaux objectifs de ce projet de loi, je
veux rendre hommage au travail particulièrement approfondi de la commission des
lois du Sénat et, en particulier, de son rapporteur, M. Charles Jolibois, que
son rôle à l'occasion des précédentes réformes que je viens d'évoquer désignait
tout naturellement pour connaître du présent texte.
La commission a, comme à son habitude, procédé à de nombreuses auditions
publiques sur cette question, afin d'aborder cette discussion de la façon la
plus éclairée possible.
Pour l'essentiel, les amendements adoptés par la commission, le plus souvent
sur l'initiative de son rapporteur, vont tout à fait dans le sens du projet du
Gouvernement, dont ils renforcent la cohérence, la lisibilité et l'efficacité.
Je me réjouis donc que ce projet, qui doit évidemment, compte tenu de son
objet, dépasser les clivages politiques, fasse l'objet d'un véritable
consensus.
S'il subsiste quelques divergences entre la commission et le Gouvernement ou
entre le Sénat et l'Assemblée nationale, celles-ci portent sur des points, à
mes yeux, secondaires, et pourront, j'en suis convaincue, s'estomper lors de
l'examen des articles ou lors des navettes.
Je me félicite, par ailleurs, que la commission des affaires sociales du Sénat
ait également examiné le texte, car l'analyse et les propositions de son
rapporteur, M. Bimbenet, viendront très utilement enrichir le débat.
Permettez-moi maintenant de préciser les dispositions concernant le premier
volet important, à savoir le renforcement de la défense des mineurs
victimes.
De très nombreuses dispositions du projet ont pour objet ou pour conséquence
de renforcer la protection ou la défense des mineurs victimes d'infractions
sexuelles. Il en résulte d'ailleurs la création d'un véritable statut des
mineurs victimes, et ce pour la première fois dans notre droit pénal.
Avant d'exposer ces différentes dispositions, je veux rappeler qu'elles ont
été élaborées en liaison étroite avec de nombreuses associations de défense des
enfants victimes de sévices sexuels, dont l'expérience sur le terrain a
considérablement enrichi la réflexion de l'administration et du Gouvernement.
Je tiens ici à rendre un particulier hommage à la qualité du travail accompli
quotidiennement par ces associations et à la force de conviction qui anime
leurs membres.
La première disposition du projet renforçant les droits des mineurs concerne
la question de la prescription. Le point de départ de la prescription des
infractions commises contre les mineurs est différé jusqu'à la majorité des
victimes, même si ces infractions n'ont pas été commises par un ascendant ou
une personne ayant autorité. La commission propose de ne pas limiter les
nouvelles dispositions à certains crimes, limitativement énumérés, mais de les
rendre applicables à tous les crimes commis sur des mineurs. Je m'en remettrai,
sur ce point, à la sagesse du Sénat.
Il est également prévu que, pour les délits les plus graves, la durée de cette
prescription soit portée à dix ans, comme pour les crimes. La commission
propose de supprimer cette disposition. Je n'y suis évidemment pas favorable et
j'espère que les explications du Gouvernement pourront convaincre le Sénat sur
ce point.
Plusieurs autres dispositions du projet visent à assurer que les mineurs
victimes feront l'objet des soins appropriés à leur état.
Ainsi, la victime d'une infraction sexuelle devra obligatoirement faire
l'objet d'une expertise médico-psychologique.
De même, la liaison entre les différentes instances judiciaires sera mieux
assurée : le procureur de la République ou le juge d'instruction devra informer
sans délai le juge des enfants de l'existence d'une procédure pénale concernant
les mineurs victimes d'infractions sexuelles, si une procédure d'assistance
éducative a été ouverte.
Enfin, il est prévu que les soins dont devront faire l'objet les mineurs de
quinze ans victimes d'infractions sexuelles devront être remboursés à 100 % par
la sécurité sociale. La commission propose une extension de cette prise en
charge, sur laquelle je m'expliquerai lors de l'examen de l'article concernant
cette disposition.
Les autres dispositions du projet destinées à renforcer les droits des mineurs
victimes ont pour objectif commun de limiter au minimum le caractère par nature
traumatisant d'une procédure judiciaire, tout en assurant l'efficacité de leurs
droits.
Ainsi, les mineurs victimes devront être représentés au cours de la procédure
par un administrateur
ad hoc
dès lors qu'existera un risque de conflit
d'intérêts entre le mineur et ses représentants légaux, et ce même au cas où
ces derniers ne défendront pas les intérêts du mineur.
J'aurai, là encore, l'occasion de donner la position du Gouvernement sur les
différents amendements déposés sur cette question par la commission lors de
l'examen des articles.
Par ailleurs, seules les auditions ou confrontations des mineurs victimes qui
sont strictement nécessaires à la manifestation de la vérité devront être
effectuées par le juge d'instruction, afin d'éviter le traumatisme résultant
d'interrogatoires répétés. Nous savons en effet que répéter, c'est revivre
lorsqu'on a subi ce type d'agression.
De même, les auditions des mineurs victimes d'infractions sexuelles pourront
faire l'objet, avec leur accord, d'un enregistrement, ce qui permettra en
pratique de limiter leurs auditions ultérieures au cours de la procédure.
Le projet initial du Gouvernement prévoyait la possibilité de procéder à des
enregistrements audiovisuels ou à des enregistrements simplement sonores.
L'Assemblée nationale a supprimé cette seconde possibilité, mais j'espère que
le Sénat pourra adopter le sous-amendement du Gouvernement qui propose de la
rétablir.
Cette question de l'enregistrement, audio ou vidéo, a fait l'objet, au sein de
la commission des lois, d'une réflexion particulièrement riche, qui l'a
conduite à réécrire la disposition du projet de loi. Pour l'essentiel, cette
réécriture est justifiée ; je pense, notamment, à la création d'une infraction
spécifique en cas de diffusion de l'enregistrement.
Enfin, au cours de ses auditions, y compris lors de l'enquête, le mineur
pourra être accompagné d'une personne qualifiée, comme un éducateur, un
psychologue ou un proche.
Doit-on aller plus loin, et prévoir, comme le propose la commission, qu'un
mineur victime devra être assisté d'un avocat dès le début de l'enquête ? Il
s'agit là d'une question complexe, que nous devrons examiner de façon
approfondie lorsque cet amendement viendra en discussion.
En dernier lieu, plusieurs dispositions du projet viennent conforter la
protection judiciaire dont les mineurs peuvent bénéficier en améliorant la
répression de certaines infractions dont ils sont les victimes habituelles.
Ainsi, le projet prévoit d'aggraver certaines infractions, telles que la
corruption de mineur en cas d'utilisation d'un réseau de téléinformatique,
comme le Minitel ou Internet. Certaines personnes n'hésitent pas, en effet, à
utiliser ces moyens modernes de communication, qui constituent d'indéniables
progrès techniques, pour prendre dans leurs filets leurs futures victimes.
De même, la répression des délits de provocation d'un mineur à l'usage de
stupéfiants, de provocation d'un mineur à participer à un trafic de
stupéfiants, de provocation d'un mineur à la consommation excessive de boissons
alcooliques, de provocation d'un mineur à la commission de crime ou de délit ou
de corruption de mineur est aggravée, dans le texte, lorsque ces faits sont
commis à l'intérieur ou aux abords immédiats d'un établissement scolaire.
Dans le même esprit, le projet vise à réprimer de façon spécifique certains
faits commis à l'encontre des élèves ou des étudiants dans le milieu scolaire
ou éducatif et qui constituent des atteintes inadmissibles à la dignité de la
personne. Il s'agit de certaines formes de « bizutage », qui demeurent en
vigueur et auxquelles on parvient difficilement à mettre un terme malgré les
efforts intervenus, notamment en matière de discipline.
Dans les cas les plus graves, ces faits constituent d'ores et déjà des
infractions pénales, comme les violences, les menaces ou les atteintes
sexuelles. Mais tel n'est pas toujours le cas, et c'est pourquoi le présent
projet institue une incrimination spécifique.
La commission estime qu'une nouvelle incrimination n'est pas nécessaire. Je ne
partage évidemment pas cette analyse. Je tenterai de convaincre le Sénat sur ce
point lors de l'examen de l'article en cause.
Dernière disposition d'importance améliorant la répression d'infractions
sexuelles commises contre des mineurs, celle concernant ce que l'on désigne par
l'expression atroce de « tourisme sexuel ».
Le projet étend et améliore les dispositions actuelles de notre droit
permettant une application extraterritoriale de la loi pénale. Ainsi, celle-ci
sera applicable pour l'ensemble des crimes et délits sexuels commis à
l'étranger sur des mineurs soit par des Français, soit par des personnes
résidant habituellement sur le territoire national.
La commission propose de supprimer cette seconde hypothèse.
Je crois, là encore, que ce serait une erreur, mais je suis persuadé que nous
arriverons à un accord sur cette question.
J'en viens maintenant à la deuxième partie de mon exposé, à savoir
l'institution d'un suivi socio-judiciaire des auteurs d'infractions sexuelles
destiné à prévenir la récidive.
La récidive des délits et des crimes sexuels, surtout lorsqu'ils sont commis
sur des enfants, est un problème extrêmement douloureux.
Même s'il n'existe pas d'étude totalement convaincante sur cette question,
trois constatations ont pu être faites ces dernières années.
Tout d'abord, la pratique judiciaire montre qu'il arrive que des personnes
antérieurement condamnées pour des infractions de nature sexuelle commettent de
nouveau des faits similaires, parfois plus graves que ceux qui avaient suscité
une première intervention de la justice.
Deuxième constatation : des équipes médicales, s'inspirant de pratiques
étrangères, ont montré qu'il existe parfois, pour certains types de délinquants
ou de criminels sexuels, des traitements appropriés qui sont de nature à
diminuer les risques de passage à l'acte.
Enfin, il a été constaté que les dispositifs juridiques actuellement existants
en matière d'aménagement des peines, tels que le sursis avec mise à l'épreuve
ou la libération conditionnelle, étaient insuffisants pour permettre un suivi
de ces condamnés après leur libération.
De ces trois constatations, qui ont donné lieu à de multiples rapports, il est
apparu qu'il était nécessaire d'instituer dans notre arsenal répressif une
nouvelle mesure, qui permettrait aux juridictions de prononcer, au-delà des
peines classiques de l'emprisonnement ou de la réclusion, une nouvelle modalité
de suivi judiciaire, social et, éventuellement, médical. Améliorant le
dispositif envisagé par le précédent gouvernement, le présent projet tend à
instituer une mesure de suivi socio-judiciaire, afin que les personnes
condamnées pour infractions sexuelles soient placées, après leur libération,
sous la surveillance du juge de l'application des peines pendant une durée de
cinq ans en matière correctionnelle et de dix ans en matière criminelle.
Pendant cette durée, le condamné devra respecter certaines obligations, comme
l'interdiction de se rendre dans certains lieux ou d'entrer en contact avec des
mineurs. S'il ne respecte pas les obligations qui lui seront imposées, le juge
de l'application des peines pourra ordonner sa réincarcération, pour une durée
initialement fixée par la juridiction de jugement.
Une injonction de soins, qui ne pourra être prononcée que si les experts
estiment qu'un traitement est possible, pourra constituer une modalité
d'application facultative de la mesure de suivi socio-judiciaire. Dans ces
conditions, le suivi pourra être prononcé, y compris contre les personnes qui
ne paraissent pas initialement pouvoir faire l'objet d'un traitement. Ce point
est évidemment extrêmement important, puisqu'il montre le caractère évolutif de
la mesure de suivi. Bien évidemment, aucun traitement ne pourra être entrepris
sans le consentement du condamné.
C'est dans cette optique de surveillance judiciaire que le condamné pourra
faire l'objet de soins, conformément à la demande formulée ces dernières années
par des médecins psychiatres spécialisés dans le traitement d'auteurs de
violences sexuelles, qui estiment que ces personnes ont besoin d'une forme
d'incitation judiciaire suffisamment ferme pour accepter des soins qui, en
définitive, pourront leur être profitables, comme ils seront profitables à la
société tout entière.
La mise en place de ces soins se fera par l'intermédiaire d'un médecin
coordonnateur, chargé en quelque sorte d'assurer la liaison entre le juge de
l'application des peines et le médecin traitant.
Telles sont, dans leurs grandes lignes, les principales caractéristiques de
cette nouvelle mesure de suivi socio-judiciaire, qui, bien qu'elle constitue
une véritable innovation dans notre droit, se rapproche, par ses différents
aspects, de concepts juridiques plus traditionnels, comme ceux de peine
complémentaire, de sursis avec mise à l'épreuve ou de libération
conditionnelle.
Je me félicite, dans ces conditions, que la commission des lois du Sénat ait
accepté cette nouvelle mesure.
Les amendements adoptés par celle-ci n'ont d'ailleurs pas d'autre objet que de
renforcer l'efficacité du suivi socio-judiciaire, en allongeant sa durée, en
aggravant la sanction encourue s'il n'est pas respecté et en précisant les
conditions dans lesquelles cette sanction peut être prononcée, enfin, en
incitant plus fortement le condamné à commencer un traitement en détention pour
préparer le « passage » aux soins qui lui seront prodigués après sa mise en
liberté.
Ces modifications correspondent tout à fait à l'esprit du projet de loi ; je
pense notamment à l'amendement qui tend à préciser que le juge de l'application
des peines pourra mettre à exécution « en plusieurs fois » l'emprisonnement
sanctionnant le non-respect du suivi socio-judiciaire. Certains amendements
peuvent toutefois soulever certaines interrogations au regard du principe de
proportionnalité. Je m'en expliquerai lors de l'examen des articles.
S'agissant des dispositions concernant les médecins coordonnateurs, qui sont
intégrées dans le code de la santé publique, votre commission des affaires
sociales propose un certain nombre de modifications qui me paraissent
également, pour l'essentiel, tout à fait justifiées. Je dois à cet égard me
féliciter encore une fois que votre commission des affaires sociales ait pu
approfondir les aspects de santé publique de la réforme.
Bien évidemment, cette nouvelle mesure de suivi socio-judiciaire, de même que
celle qui renforce les droits des victimes mineures, supposeront des moyens
nouveaux.
Ces moyens, qui seront dégagés progressivement, au fur et à mesure de la «
montée en puissance » de l'application des nouveaux textes, concerneront à la
fois le ministère de la justice et le ministère de la santé.
Ont ainsi été débloqués des crédits pour la création de nouveaux postes dans
les comités de probation et d'assistance aux libérés, qui seront chargés de
suivre les personnes placées sous suivi socio-judiciaire.
Il en est de même pour les crédits destinés à l'indemnisation des médecins
coordonnateurs, dont le rôle en la matière sera capital.
En ce qui concerne le budget de la justice, et s'agissant des services
judiciaires, je puis vous indiquer que, dans le projet de loi de finances pour
1998, dix emplois supplémentaires de juges des enfants, sur quarante emplois de
tribunaux de grande instance et d'instance, seront créés.
Ces juges bénéficieront du renfort d'une partie des assistants de justice
prévus, qui sont au nombre de deux cent vingt. Une partie des trente magistrats
supplémentaires de cours d'appel sera affectée aux chambres des affaires
familiales et sera conduite à connaître des situations des mineurs en danger
d'ordre sexuel.
Plus de 5 millions de francs de crédits supplémentaires au titre des frais de
justice permettront de revaloriser le montant des frais d'expertises
psychiatriques qui résulteront de ce projet de loi.
S'agissant des services pénitentiaires, sept emplois supplémentaires de
psychologues et plus de 2 millions de francs en moyens matériels permettront le
renforcement des moyens pour le projet d'exécution de peine.
Avec plus de 200 emplois, le renforcement des emplois du milieu ouvert
permettra d'assurer le suivi des délinquants sexuels, de même que l'inscription
de 10 millions de francs pour la réforme des services pénitentiaires
d'insertion et de probation.
S'agissant enfin de la protection judiciaire de la jeunesse, la création de
100 emplois, répartis dans les services éducatifs auprès des tribunaux, et
l'inscription d'une augmentation de 11 millions de francs pour le
fonctionnement de ces services permettra la mise en oeuvre des dispositions
concernant les mineurs. D'une façon générale, le Gouvernement s'engage à ce que
tous les moyens nécessaires à la mise en oeuvre des nouveaux textes puissent
être dégagés en temps utile.
Je voudrais enfin rappeler, comme je l'ai fait devant l'Assemblée nationale,
que ce projet de loi a pour objectif d'assurer dans notre législation pénale un
meilleur équilibre entre la répression, la prévention et les droits des
victimes.
Bien sûr, aucun texte de loi ne pourra totalement éradiquer la récidive, aucun
traitement médical, aucun suivi judiciaire n'offrira jamais la garantie absolue
d'éviter le renouvellement des infractions. Mais nous savons qu'il est possible
d'en limiter les risques, et il est du devoir du Gouvernement de prendre en
cette matière toutes ses responsabilités, en mettant en place l'arsenal
législatif le mieux à même de permettre l'application, dans un cadre de
contrainte judiciaire, de thérapies médicales dont les experts nous disent
qu'elles donnent, malgré leur caractère encore imparfait, des résultats
tangibles.
Comme je l'ai également indiqué devant l'Assemblée nationale, si ce projet de
loi pouvait n'éviter ne serait-ce qu'une seule récidive, s'il ne permettait de
sauver la vie que d'un seul enfant, il serait déjà indispensable, et le travail
du Gouvernement, du Parlement et des autorités judiciaires s'en trouverait
pleinement justifié.
Enfin, au-delà du droit, au-delà des nouvelles institutions judiciaires qu'il
met en place - le suivi socio-judiciaire, le statut des mineurs victimes - ce
texte présente une dimension symbolique.
Il doit, en effet, accompagner et surtout amplifier une modification de nos
mentalités, une véritable prise de conscience sociale, qui fait que la lutte
contre les atteintes à l'intégrité et à la dignité de la personne, tout
particulièrement lorsqu'elles concernent l'enfant, constitue désormais une
priorité nationale.
Il faut faire cesser la loi du silence qui pèse encore beaucoup trop sur les
dysfonctionnements sociaux ou familiaux ; il faut soulever la chape de plomb
qui recouvre les victimes d'inceste, d'agressions ou d'atteintes sexuelles ; il
faut bousculer les idées reçues selon lesquelles de tels faits ne peuvent pas
arriver, ou n'arrivent qu'aux autres, les
a priori
de suspicion contre
les victimes, les réticences de certains à prendre en compte l'aspect santé
publique du problème.
Je ne peux, en conclusion, que rappeler les propos que je tenais voilà moins
d'un mois devant l'Assemblée nationale : bien qu'il puise ses racines dans le
plus profond désespoir - celui qui résulte des crimes commis contre les enfants
- ce projet de loi se veut un texte d'espoir.
Espoir de voir reculer la récidive de ces infractions intolérables, grâce aux
progrès de la médecine alliés à l'action de la justice.
Espoir de diminuer la souffrance des victimes, grâce à une prise en charge
plus humaine et plus complète de celles-ci.
Espoir de ne plus voir les enfants martyrs devenir eux-mêmes, à l'âge adulte,
des oppresseurs parce que leur statut de victime n'aura pas été pris en compte
par la justice.
Espoir que la prise de conscience de notre société face au fléau que
représente l'oppression et l'exploitation sexuelle des personnes vulnérables se
concrétise dans l'action.
Je vous demande ici de bâtir un droit encore en devenir, un droit pour les
générations futures, qui protégera l'enfance et qui, ce faisant, protégera
l'humanité tout entière.
Lorsqu'elles seront, dans quelques semaines, définitivement adoptées par le
Parlement, ces nouvelles dispositions pourront être appliquées par les
juridictions avec le discernement, la fermeté, la dignité et la compassion
nécessaires ; elles permettront de faire reculer la barbarie et la
souffrance.
C'est dans cet esprit, et avec cette ferme volonté, que je vous demande,
mesdames, messieurs les sénateurs, de bien vouloir adopter ce projet de loi.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi
est l'aboutissement d'une longue réflexion, qui a fait l'objet de plusieurs
rapports et, sous une forme un peu différente, d'un projet de loi du précédent
garde des sceaux.
Il faut d'abord citer le rapport de la commission d'étude pour la prévention
de la récidive des criminels, présidée par Mme Marie-Elisabeth Cartier, qui
avait notamment proposé l'instauration d'un « suivi postpénal » - nous avons
auditionné Mme le professeur Cartier au cours de la journée du 15 octobre - le
rapport de la commission d'études sur l'évaluation et l'expertise psychiatrique
des condamnés, présidée par Mme le docteur Thérèse Lemperière, le rapport du
groupe de travail sur le traitement et le suivi médical des auteurs de délits
et crimes sexuels, présidé par le docteur Claude Balier, que nous avons
également auditionné et qui avait préconisé un suivi thérapeutique à la sortie
de prison pour ces personnes.
Déjà, la loi du 1er février 1994 prévoyait des dispositions à caractère
thérapeutique. Vous vous étiez alors prononcés sur la peine incompressible de
trente ans.
Ce projet de loi, qui est la continuité, en quelque sorte, d'une préoccupation
née depuis quelques années et qui devient, compte tenu des statistiques - je
peux le dire - maintenant lancinante, contient quatre séries de
dispositions.
Bien sûr, l'innovation principale est l'institution d'un suivi
socio-judiciaire des personnes condamnées pour infraction sexuelle.
Quels sont les conditions et le contenu de ce suivi socio-judiciaire ?
Tout d'abord, ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il s'agit d'une peine
complémentaire qui sera prononcée par la juridiction de jugement de façon
concomitante avec la peine principale. Sa durée pourrait aller jusqu'à cinq ans
en cas de délit et dix ans en cas de crime.
Dans le cadre du suivi socio-judiciaire, toute une série de mesures pourraient
être prononcées : interdiction d'exercer une activité professionnelle,
obligation de répondre aux convocations du juge de l'application des peines, de
s'abstenir de paraître dans certains lieux ou de fréquenter certaines
personnes, interdiction d'exercer une activité impliquant un contact habituel
avec des mineurs.
Selon une expression que j'ai déjà utilisée, le délinquant est placé, à la
sortie de prison, sous une sorte d'« ombrelle pénale » à l'abri de laquelle il
est soigné, surveillé, et grâce à laquelle la société sera protégée.
Parmi ces mesures, il convient d'insister tout particulièrement sur
l'injonction de soins qui est susceptible d'être prononcée après une
expertise.
L'inobservation par le condamné de ces obligations pourrait entraîner son
incarcération pour une durée maximale fixée
ab initio
par la juridiction
de jugement, qui aura donc trois types de condamnation à prononcer : la
condamnation pour la faute, la durée du suivi socio-judiciaire et une
condamnation éventuelle au cas où le délinquant ne se conformerait pas au suivi
socio-judiciaire qui lui serait appliqué.
Dans le projet de loi, cette condamnation pour non-accomplissement des
prescriptions socio-judiciaires ne saurait excéder deux ans en cas de délit et
cinq ans en cas de crime.
Toutefois, il faut se rappeler que la décision d'incarcération dans le cas
d'infraction au suivi socio-judiciaire sera prise par le juge de l'application
des peines, qui disposera d'un pouvoir d'appréciation de l'opportunité de la
sanction et qui pourra notamment décider de ne mettre à exécution qu'une partie
de l'emprisonnement prévu, voire de ne pas prononcer la mise à exécution et de
donner un avertissement pour que ce suivi recommence.
La personne ne pourra être astreinte à une injonction de soins qu'après avoir
donné son consentement. Toutefois, en cas de refus, le juge de l'application
des peines pourra mettre à exécution l'emprisonnement prévu pour manquement au
suivi socio-judiciaire.
Quel va être le champ d'application de ce suivi socio-judiciaire ?
Il s'agit d'une peine complémentaire ; ce dispositif est en effet inscrit dans
le chapitre du code relatif aux peines complémentaires et il ne peut être
prononcé que dans les cas prévus par la loi.
Le projet de loi vise ainsi le meurtre ou l'assassinat accompagné de viol, les
agressions sexuelles, les atteintes sexuelles, ainsi que la corruption de
mineurs, la diffusion d'images pédophiles et la diffusion d'un message
pornographique susceptible d'être perçu par un mineur.
Comment ce suivi socio-judiciaire va-t-il être exécuté ?
Pour des raisons essentiellement éthiques, le projet de loi ne prévoit pas que
le suivi, tout particulièrement l'éventuelle obligation de soins, débute en
prison. En revanche, chacun s'accorde à reconnaître que tout doit être fait
pour inciter autant que possible le condamné à suivre un traitement médical en
prison.
En cas d'obligation de soins, un médecin coordonnateur sera désigné pour faire
le lien entre le médecin traitant et la justice.
Le texte prévoit aussi un renforcement de la répression des atteintes
sexuelles sur les mineurs.
Il s'agit d'abord de l'allongement du délai de prescription pour infraction
sexuelle. Ce délai commencerait à courir à la majorité de la victime, quel que
soit l'auteur - alors qu'actuellement ce point de départ spécifique ne concerne
que les infractions commises par les proches du mineur - et il serait porté de
trois à dix ans pour les délits sexuels.
Il s'agit ensuite de la répression du tourisme sexuel. La loi française est
ainsi rendue applicable à toute atteinte sexuelle commise contre un mineur à
l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement en
France et il n'est pas que ce délit soit également réprimé par le pays où les
faits sont commis. Cette dernière exigence avait pratiquement réduit à néant la
poursuite contre ce que l'on appelle le « tourisme sexuel ».
Il s'agit encore de l'interdiction de mettre à la disposition des mineurs des
cassettes vidéo à caractère pornographique et de la création de nouvelles
circonstances aggravantes, telles que le recours à un réseau de
télécommunication pour commettre une infraction ou le fait qu'un délit soit
commis à l'intérieur ou à proximité d'un établissement scolaire.
Le texte prévoit par ailleurs la création d'un fichier national des
délinquants sexuels, destiné à centraliser les traces et les empreintes
génétiques.
Le projet de loi prévoit également des modifications des procédures
applicables aux infractions contre les mineurs ainsi que la possibilité - c'est
très important - de désigner un administrateur
ad hoc
lorsque la
protection des intérêts du mineur victime n'est pas assurée par ses
représentants légaux, ce qui est, hélas ! parfois le cas lorsque les
représentants légaux normaux sont mêlés à l'infraction elle-même.
La possibilité d'enregistrer l'audition du mineur victime d'une infraction
sexuelle est prévue. Cette nouveauté permettra d'éviter la multiplication des
dépositions traumatisantes pour l'enfant.
Un recours accru à l'expertise médicale tant du délinquant que de la victime
en cas d'infraction sexuelle figure également dans le projet de loi.
Par ailleurs, les soins dispensés aux mineurs de quinze ans victimes
d'atteintes sexuelles seront pris en charge par l'assurance maladie.
Le texte prévoit également la création d'un délit spécial de bizutage.
L'article 10 du projet de loi punit en effet de six mois d'emprisonnement et de
50 000 francs d'amende le fait, hors les cas de violences, de menaces ou
d'atteintes sexuelles, « de faire subir à une autre personne... des actes ou
des comportements contraires à la dignité de la personne humaine, lors de
manifestations ou de réunions liées au milieu scolaire, éducatif, sportif ou
associatif ». Telle est la rédaction proposée par l'Assemblée nationale.
Que vous propose la commission ?
La commission a tout d'abord accepté le texte dans son ensemble. Elle se
bornera à vous demander de renforcer l'efficacité du suivi socio-judiciaire. A
cette fin, elle propose de doubler la durée maximale du suivi socio-judiciaire,
en la portant à dix ans en cas de délit et à vingt ans en cas de crime.
Je m'empresse de le dire, cette proposition qui a été acceptée par la
commission des lois vise à conférer une plus grande liberté au juge qui,
souvent, prononce une peine très longue dans une optique de protection de la
société.
Dans la mesure où il aura maintenant à sa disposition la peine complémentaire
de suivi socio-judiciaire, le juge aura la faculté de diminuer la durée de la
peine d'emprisonnement si cela se justifie dans le cas qui lui est soumis et,
en contrepartie, d'augmenter la peine de suivi socio-judiciaire de manière que,
dans un cadre concret, le délinquant puisse être protégé sous ce que j'ai
appelé « l'ombrelle pénale ».
La commission propose par ailleurs de porter de deux ans à cinq ans la durée
de l'emprisonnement prévue en cas d'inobservation d'un suivi socio-judiciaire
prononcé pour délit. Nous avons envisagé, comme Mme le garde des sceaux a bien
voulu le signaler tout à l'heure, que le juge de l'application des peines
puisse prononcer cette peine de manière successive, en plusieurs fois, jusqu'à
atteindre le total de la peine. C'est donc pendant la durée du suivi
socio-judiciaire que le juge de l'application des peines aura à sa disposition
une durée non pas de deux ans, que nous avons estimée trop courte, mais de cinq
ans.
La commission a par ailleurs émis le voeu que soit remis à exécution
l'emprisonnement prévu en cas de nouveau manquement aux obligations du suivi
socio-judiciaire jusqu'à concurrence du total de la peine.
En outre - c'est une nouveauté - la commission des lois souhaite inciter au
maximum le condamné à se soigner en prison. Lors des auditions, nous avons été
frappés par le fait que l'ensemble des personnes que nous avons entendues
souhaitaient que le traitement puisse commencer pendant le séjour en prison. Si
le condamné refuse de suivre un traitement, il ne pourra bénéficier des
réductions de peine supplémentaires sans l'avis conforme de la commission
d'application des peines.
La commission souhaite également assurer une meilleure répression des
infractions sexuelles et des atteintes aux mineurs.
En cas de récidive, le délinquant sexuel ne pourra bénéficier de réductions de
peine supplémentaires qu'avec l'avis conforme de la commission de l'application
des peines.
Afin de prévenir la diffusion de messages pornographiques ou pédophiles sur le
réseau Internet, la commission propose d'habiliter des représentants du CSA à
constater ces infractions et à dresser un procès-verbal dont une copie sera
adressée aux offreurs de sites. Ceux-ci seront alors informés de l'activité
illicite de leurs cocontractants et devront mettre fin au contrat, sous peine
de tomber eux-mêmes sous le coup de la complicité.
Le dernier volet des modifications que vous soumet la commission des lois
concerne l'amélioration de la protection du mineur victime.
Il s'agit, d'abord, de la possibilité de désigner un administrateur
ad
hoc
dès l'enquête et non après la nomination d'un juge.
Il s'agit ensuite de l'assistance du mineur victime d'une infraction sexuelle
par un avocat dès le début de l'enquête, et ce conformément à la demande faite
par les juges du tribunal pour enfants que nous avons entendus. Si les parents
ne sont pas en mesure de nommer l'avocat, il sera désigné par l'administrateur
ad hoc
.
Il s'agit encore de l'interdiction d'utiliser l'enregistrement audiovisuel
devant la juridiction de jugement afin de respecter le caractère oral des
débats, qui est traditionnel dans notre droit.
Il s'agit aussi de la destruction automatique de cet enregistrement cinq ans
après l'extinction de l'action publique, car il ne faudrait pas que l'on puisse
se servir de ces enregistrements. En outre, il sera interdit de publier cet
enregistrement, sous peine d'un an d'emprisonnement et de 100 000 francs
d'amende.
Enfin, la commission, une fois encore à l'unanimité - une minorité ne s'étant
fait entendre que sur le problème de la responsabilité des personnes morales -
a proposé de supprimer le nouveau délit de bizutage.
Elle condamne avec fermeté toutes les dérives du bizutage. Elle estime
cependant que le nouveau code pénal permet d'atteindre pratiquement chaque cas
particulier, chacune de ces dérives et de ces transformations, en véritable
délit alorsde alors que certains les qualifient de traditions.
Je viens d'avoir la confirmation - mais je m'y attendais - que nous
discuterons à nouveau de ce sujet lors de l'examen des articles.
La commission des lois n'a pas non plus accepté la réécriture du délit pour
harcèlement sexuel, qui avait été défini dans le nouveau code pénal, au Sénat
d'ailleurs. Le Gouvernement veut préciser cette rédaction, en ajoutant un
membre de phrase, pour la rendre conforme à celle qui figure dans le code du
travail. Cela ne nous paraît pas nécessaire. Il peut en effet y avoir, d'une
part, une définition pénale et, d'autre part, des dispositions dans le code du
travail.
En conclusion, je dirai que le souhait de la commission et - je vous demande
de m'excuser de me mettre en avant - du rapporteur, est que le consensus qui
avait présidé au vote du code pénal - de ce code tellement primordial pour une
nation - se retrouve sur ce nouveau texte, si important, si moderne, si porteur
d'espoir. Il serait nécessaire de trouver un terrain d'entente pour la mise en
oeuvre de ce texte dans les années futures.
Par ailleurs, nous nous sommes bien entendu préoccupés de la question des
moyens. Nous avons été rassurés par vos déclarations, madame le garde des
sceaux, tant en commission qu'à l'instant, en séance publique.
Mais nous ne pouvons ignorer que ces dispositions vont entraîner - hélas ! -
en raison du nombre des délinquants de cette nature particulière, une
augmentation considérable des besoins en personnels. M. le rapporteur pour avis
de la commission des affaires sociales confirmera certainement que de nouveaux
experts, des psychiatres et des médecins en nombre important ainsi quede
nouveaux juges de l'application des peines seront nécessaires. Néanmoins, ce
texte peut, compte tenu de son importance, être soumis à vos votes, avec
l'espérance que des moyens importants seront consacrés à sa mise en oeuvre.
Je l'affirme, mes chers collègues, ce projet de loi vaut vraiment la peine
d'être adopté.
(Applaudissements.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Bimbenet,
rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
Monsieur le
président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois,
monsieur le rapporteur de la commission des lois, mes chers collègues, le
projet de loi que nous examinons aujourd'hui a pour objet de répondre à
l'angoissant problème que pose à notre société la récidive de personnes
appréhendées par la justice pour avoir commis des violences de nature sexuelle
et dirigées en particulier contre les enfants.
L'évolution des techniques médicales depuis le début des années soixante-dix
permet d'espérer le succès d'une politique de prévention fondée sur des
dispositifs de suivi appropriés se caractérisant, notamment, par l'application
simultanée de soins psychiatriques et médicamenteux.
L'enjeu que représente la protection contre les actes les plus odieux qui
frappent les enfants rendait impératif le dépôt d'un texte par le nouveau
Gouvernement. C'est pourquoi la commission des affaires sociales s'est
félicitée, madame la ministre, que vous ayez déposé, le 3 septembre dernier, un
projet de loi qui reprend, pour une très large part, le contenu du texte déposé
au cours de la précédente session par votre prédécesseur, M. Jacques Toubon.
Qualifiée de perversion dans le langage courant, la pédophilie, c'est-à-dire
l'attirance sexuelle envers les enfants prépubères, âgés de 13 ans ou moins est
considérée par l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, comme une maladie
consistant en un « trouble de la préférence sexuelle ».
Il n'existe pas de tableau clinique définitif de la personnalité des
pédophiles. Selon certains psychiatres, il faudrait distinguer trois cas : les
sujets très « carencés » sur le plan affectif, dont le psychisme est peu
organisé et parfois assorti d'une débilité intellectuelle ; les sujets
fragiles, dont le sentiment d'identité est mal assumé et qui peuvent, dans des
situations « limites », recourir à des actes de violence, voire passer au
meurtre ; enfin, les sujets stables, intelligents et organisés, souvent de
mauvaise foi, qui sont à l'origine de nombreux actes déviants, mais qui
commettent rarement des meurtres.
En tout état de cause, la pédophilie n'est pas réprimée pour elle-même ; elle
l'est pour les actes criminels ou délictueux auxquels elle peut conduire et que
le rapporteur de la commission des lois a évoqués.
Face aux statistiques, qui font apparaître globalement entre 18 000 et 20 000
infractions sexuelles constatées par la police chaque année, la commission des
affaires sociales a tenu à présenter trois observations.
En premier lieu, il semble clair que les statistiques diffusées par le
ministère de l'intérieur et le ministère de la justice ne rendent compte que
des faits mis au jour par les institutions publiques. Elles ne permettent pas
d'appréhender entièrement la réalité sociale d'un phénomène inquiétant.
En second lieu, nous avons été frappés par l'augmentation constante du nombre
d'infractions sexuelles constatées ou réprimées au cours des dix dernières
années.
La commission des affaires sociales tient à souligner qu'il peut y avoir deux
explications à cela.
Cette augmentation peut être due à la multiplication des actes répréhensibles.
Dans ce cas, il faudrait s'interroger, d'une part, sur les risques que ferait
courir le développement d'images, de produits ou de réseaux de communication à
caractère pornographique, d'autre part, sur certains messages véhiculés
complaisamment par divers médias.
Il faut également se demander si les résultats statistiques ne montrent pas
une plus grande vigilance des institutions judiciaires et policières à l'égard
des problèmes de délinquance sexuelle, et, surtout, un changement positif
d'attitude morale qui tient au fait que les victimes portent plainte plus
fréquemment qu'auparavant.
Enfin, en troisième lieu, la commission des affaires sociales a noté que si,
envisagée globalement, la délinquance sexuelle ne présentait pas de taux de
récidive plus élevé que pour d'autres formes de délinquance, certaines
catégories de délits sexuels, en revanche, font apparaître un risque de
récidive qui est particulièrement élevé. Tel est le cas, en particulier, des
attentats à la pudeur, qui sont fréquemment le fait de personnalités
pédophiles.
De plus, la probabilité de récidive croît avec le nombre d'actes déjà commis.
De 10 % pour les primodélinquants, le taux de récidive va doubler pour un
primorécidiviste et peut atteindre un taux de 40 à 50 % pour un délinquant
sexuel déjà condamné à deux reprises. Le risque élevé de récidive justifie
d'autant plus la mise en place d'un véritable suivi des délinquants sexuels et,
en particulier, des pédophiles.
Il existe deux grands types de traitement : les thérapies psychologiques,
d'une part, les prescriptions médicamenteuses, d'autre part.
S'agissant des psychothérapies, la commission des affaires sociales a relevé
qu'il n'existait à ce jour aucune statistique établissant de manière
incontestable que le taux de récidive des sujets subissant ce type de thérapie
diminue significativement.
Il ne faut pas pour autant en tirer des conclusions pessimistes, car cela
tient au caractère récent du développement de ces traitements, à l'absence de
recul sur l'ensemble de la vie d'un condamné et au caractère trop restreint des
échantillons.
De plus, on peut attendre beaucoup de l'alliance entre des soins
psychothérapiques et des soins médicamenteux qui prennent, dans ce cas, la
forme de traitements antihormonaux ou antiandrogènes. Ceux-ci ont pour effet de
limiter ou de supprimer les fantasmes sexuels déviants non désirés, et donc de
réduire ou d'éliminer la tentation du passage à l'acte.
Les premiers essais de ces traitements remontent aux années soixante-dix et,
avec le recul, il est visible que, si des effets secondaires indésirables
peuvent apparaître, ils ne présentent qu'un faible degré de gravité et
disparaissent avec l'interruption du traitement.
Si les traitements antihormonaux ou antiandrogènes agissent rapidement et
peuvent permettre à certains individus déviants de retrouver une vie normale,
la commission des affaires sociales tient néanmoins à souligner qu'il serait
illusoire de croire en une « magie du médicament ».
La première limite des prescriptions médicamenteuses tient au fait qu'il ne
s'agit pas d'un traitement à finalité curative ; il s'agit seulement d'un
traitement à finalité symptomatique. Avec l'interruption du traitement, le
risque est élevé de voir réapparaître les conduites sexuelles incriminées ; en
d'autres termes, ces produits inhibent la libido, mais ils ne modifient pas en
profondeur les préférences sexuelles du sujet, sauf traitement psychiatrique
réussi.
Par ailleurs, les traitements antihormonaux ou antiandrogéniques ont une
efficacité limitée dans un certain nombre d'hypothèses, en particulier chez les
pédophiles psychopathes, qui présentent une personnalité profondément
antisociale, refusent toute forme d'aide ou de traitement, nient les faits et
ne se reconnaissent aucun sentiment de culpabilité. Il ne faut pas oublier que
des récidives criminelles ont été constatées chez des individus qui avaient
fait l'objet d'une castration chirurgicale en Allemagne et aux Etats-Unis.
Les résultats sont également décevants pour les pédophiles qui se droguent ou
abusent de l'alcool, qui vivent repliés sur eux-mêmes, sans soutien amical ou
familial, ou encore qui ont fait d'un seul enfant l'objet prévilégié de leurs
pulsions déviantes.
En conclusion, s'agissant de ces traitements, la commission des affaires
sociales a souligné deux points.
D'une part, et nombreux sont les psychiatres qui le soulignent, l'efficacité
d'un traitement est subordonnée à l'adhésion du sujet. Un pédophile qui nie
avoir agressé des enfants et qui persiste à se présenter comme une victime ne
pourra pas faire l'objet d'une thérapie efficace. Cela n'exclut pas, bien sûr,
qu'une incitation ferme à recourir à un traitement soit proposée à un prévenu
afin de l'aider à s'engager dans un processus de prise de conscience.
D'autre part, il nous est apparu que les différentes formes de traitement
psychothérapeutique ou médicamenteux n'étaient pas exclusives l'une de l'autre,
mais qu'elles pouvaient être utilisées de manière conjointe. Elles gagnent sans
doute, alors, en efficacité.
Ce projet de loi institue, dans le code pénal, une nouvelle peine visant les
criminels et délinquants sexuels, appelée peine de suivi socio-judiciaire.
Celle-ci consiste dans l'obligation, pour le condamné, de se soumettre, sous
le contrôle du juge, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à
prévenir la récidive.
Je ne reviendrai pas sur le dispositif de la peine de suivi socio-judiciaire,
qui est très bien exposé dans votre rapport, monsieur Jolibois.
Nous l'avons noté pour notre part il est prévu, pour respecter les
préoccupations éthiques, que l'injonction ne pourra être ordonnée qu'après une
expertise médicale établissant que le délinquant sexuel peut faire l'objet d'un
traitement. Cette disposition permet notamment de prendre en compte l'hypothèse
d'une contre-indication médicale.
Il est prévu également que le traitement ne pourra être imposé sans le
consentement préalable du condamné, mais qu'en cas de refus de se soigner le
délinquant sexuel se verra infliger une peine de prison supplémentaire qui est
significative. L'incitation à se soigner qui pèse sur le condamné est donc très
forte, ce qui conduit à relativiser le débat sur la notion d'obligation de
soins prévue par le texte de M. Jacques Toubon.
S'agissant des articles qui entrent dans le champ de sa saisine, la commission
des affaires sociales a tout d'abord porté un jugement favorable sur le
dispositif qui est consacré à l'aspect médical de la mise en oeuvre du suivi
socio-judiciaire et qui ne diffère pas sensiblement de celui qui était proposé
dans le projet de loi de M. Jacques Toubon.
La commission des affaires sociales s'est félicitée en particulier qu'un
équilibre ait pu être trouvé entre le système judiciaire et les principes de
base qui doivent s'instaurer entre le malade et son médecin. Cet équilibre est
rendu possible grâce à la séparation fonctionnnelle entre un médecin
coordonnateur et un médecin traitant.
Le médecin traitant, en relation directe et régulière avec le condamné,
prescrit le traitement, en définit la nature et la périodicité, et procède aux
éventuelles modifications rendues nécessaires par l'évolution de l'état du
sujet.
Le médecin coordonnateur a vocation à assurer les relations avec l'institution
judiciaire, servant ainsi d'« écran » entre le médecin traitant et le juge de
l'application des peines, afin de garantir l'autonomie des choix thérapeutiques
du praticien traitant.
La séparation entre un médecin coordonnateur et un médecin traitant présente
donc de grands avantages du point de vue du respect de la déontologie
médicale.
S'agissant du libre choix du thérapeute, le condamné pourra choisir son
médecin traitant, sous réserve de l'accord du médecin coordonnateur, afin
d'éviter toute forme d'abus.
Concernant le choix du traitement, le juge de l'application des peines
contrôle que le condamné respecte bien les obligations de consultation par le
médecin traitant, mais ne peut s'ingérer dans la thérapie décidée par
celui-ci.
Concernant le secret médical, il est en principe protégé, sauf si le condamné
ne respecte pas ses obligations ou si des difficultés d'exécution du traitement
apparaissent. Dans cette hypothèse, le médecin traitant pourra alerter le juge
de l'application des peines ou, s'il le souhaite, entrer seulement en relation
avec le médecin coordonnateur.
Le bureau du Conseil national de l'ordre des médecins, réuni le 29 septembre
1997, a approuvé l'esprit du projet de loi et a estimé qu'il emportait
globalement l'adhésion, sous réserve de la mise en oeuvre des moyens financiers
nécessaires.
A ce stade, la commission des affaires sociales a présenté deux observations
et quelques amendements.
Notre première observation est un souhait. Il importe, madame la ministre,
lors de la préparation des décrets d'application, que le médecin coordonnateur
ne soit pas considéré comme un contrôleur du médecin traitant et qu'il ne
puisse intervenir dans ses choix thérapeutiques. Le médecin coordonnateur a
vocation à prendre en charge les relations avec les autorités judiciaires et à
assurer auprès de celles-ci un rôle d'évaluation de l'évolution du condamné,
dans le respect de l'autonomie des choix du médecin traitant. Il joue un rôle
de référence et de soutien à l'égard du médecin traitant.
Notre deuxième observation est un voeu : le suivi socio-judiciaire repose sur
la qualité des expertises qui seront réalisées à la demande de la justice sur
le délinquant sexuel. Il importe que le niveau de rémunération de ces
expertises soit revalorisé pour garantir la bonne exécution du service public.
Il vous appartiendra, madame la ministre, de vous assurer que les mesures
financières seront prises pour conforter la réussite de votre dispositif.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales proposera que les médecins
coordonnateurs soient désignés parmi des psychiatres ou des médecins ayant
suivi une formation appropriée, afin qu'ils puissent dialoguer dans de bonnes
conditions avec le médecin traitant.
Soucieuse du respect du secret médical, elle vous proposera par ailleurs un
ajustement afin que le médecin traitant soit seulement habilité à saisir le
juge de l'application des peines lorsque le traitement du condamné aura été
interrompu, et non dans l'hypothèse imprécise de difficultés survenues dans
l'exécution du traitement.
La commission des affaires sociales s'est également saisie de l'article 21,
qui concerne la prise en charge par la sécurité sociale des victimes
d'infractions sexuelles. Elle vous proposera, à cet article, que le bénéfice de
cette mesure protectrice soit étendu aux mineurs âgés de quinze à dix-huit ans.
Enfin, la commission des affaires sociales a examiné l'article 32
bis
,
qui a pour objet de modifier la procédure de sortie d'un hôpital psychiatrique
des malades hospitalisés d'office et déclarés pénalement irresponsables de
leurs actes.
Sans préjuger le débat que nous aurons lors de l'examen des articles, nous
nous sommes vivement inquiétés de cette disposition, qui aurait pour effet de
faire dépendre la décision de sortie du malade de la décision d'un magistrat
ayant voie prépondérante au sein d'une commission spécifique, alors même que la
justice aurait prononcé un non-lieu et se serait en quelque sorte dessaisie du
prévenu pour le confier au secteur psychiatrique.
Nous avons regretté que cette disposition soit introduite à l'occasion de la
discussion de ce texte, alors qu'elle ne concerne pas exclusivement, loin de
là, des délinquants sexuels et que nous ne disposons pas encore de tous les
éléments d'information sur le rapport d'évaluation, qui devrait prochainement
être publié, sur la loi du 27 juin 1990 relative aux hospitalisations
d'office.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales a souhaité la suppression
de cet article 32
bis
dans l'attente d'une réforme d'ensemble destinée à
remédier aux éventuels dysfonctionnements de l'hospitalisation d'office.
Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle a adoptés, la
commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur les dispositions
de ce projet de loi dont elle était saisie.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les modalités
juridiques du texte aujourd'hui soumis à notre délibération ont été
parfaitement et complètement exposées par les rapporteurs.
Leurs observations, leurs remarques, ont fait l'objet, au sein de la
commission, d'une très large approbation.
Sur un sujet d'une telle gravité et d'une telle difficulté, la consultation
publique de personnalités éminentes et d'une compétence éprouvée a
considérablement aidé notre réflexion.
Je voudrais redire à tous ceux, psychiatres, magistrats, enseignants, qui ont
bien voulu s'associer à nos travaux, ainsi qu'à ce père de famille qui savait,
hélas, de quoi il parlait, la reconnaissance que nous leur devons.
Le but du législateur en ce domaine est, sans doute, de prévoir la répression
nécessaire de crimes ou de délits particulièrement odieux.
Mais, nous en sommes tous persuadés, il ne saurait se borner à cela. Il doit
aussi assurer une double protection en empêchant une récidive éventuelle : la
protection des victimes, mais aussi celle du coupable contre lui-même.
Madame le garde des sceaux, nous avons estimé que, pour l'essentiel, votre
texte était bon.
Vous avez repris, en ses grandes lignes, le projet établi par votre
prédécesseur et vous nous proposez une solution satisfaisante sur un point
particulièrement délicat. Le problème est clair à poser, mais il est difficile
à résoudre et peut-être allons-nous le faire en commun.
Que doit-il se passer lorsque le délinquant a accompli la peine encourue ? Le
suivi sociojudiciaire tel que notre rapporteur vous l'a exposé nous paraît
constituer une solution acceptable, du point de vue tant du droit que de
l'éthique médicale de la protection nécessaire de la victime et de la tentative
de réhabilitation du coupable.
Accessoirement, je vous dirai que je fais miennes la préoccupation et la
réserve que M. le rapporteur a exprimées sur deux points : la préoccupation -
vous y avez partiellement répondu - porte sur les moyens considérables,
relevant sans doute de votre budget et de celui du secrétaire d'Etat à la
santé, qui seront nécessaires à la mise en oeuvre de la loi si nous voulons
qu'elle entre en vigueur telle qu'elle doit l'être ; la réserve - mais ce n'est
pas un très grand sujet d'inquiétude, compte tenu de votre réaction - porte sur
une partie du dispositif qui nous est soumis.
Je vous dirai que nous n'avons pas souhaité occulter l'importance de ce dont
nous délibérons aujourd'hui par des dispositions secondaires et inutiles
concernant ce qu'il est convenu d'appeler le bizutage.
Le code pénal comporte toutes les dispositions nécessaires pour réprimer en
tant que de besoin ce que ces pratiques peuvent avoir parfois d'abusif et de
répréhensible.
Mais, d'une manière plus générale - je laisse à M. le rapporteur le soin de
préciser à nouveau au cours du débat les modifications, importantes parfois,
qui devraient être apportées -, je souhaite, en cet instant, m'interroger sur
ce qui a pu conduire notre société à ces pratiques que nous réprouvons.
Je vois au moins deux raisons qui, jusqu'à une date assez récente, ont soit
freiné, soit gêné les répressions nécessaires.
La première est le laxisme d'une certaine intelligentsia qui croyait bon de
protester contre les sanctions infligées à des pédophiles, justifiant de tels
actes par un droit de l'enfant à la sexualité.
Pourquoi se serait-il senti coupable, ce pédophile découvert au bout de vingt
ans de pratiques telles qu'elles auront conduit au suicide l'une des victimes,
s'il a pu lire, accompagnée de la signature de Jean-Paul Sartre, telle motion
approuvant en fait ce qui était devenu pour lui une sorte d'habitude honteuse
?
Au laxisme s'est ajouté le poids d'un certain silence : l'éducation nationale,
le milieu éducatif, le corps médical, les églises même, ont trop longtemps
préféré dissimuler des agissements coupables plutôt que de dénoncer à la
justice tel ou tel de leurs membres dont la déviance sexuelle était pourtant
connue.
Aujourd'hui, les mentalités ont évolué.
Sommes-nous pour autant en présence, comme certains de ceux qui ont participé
à nos travaux nous l'ont dit, d'un véritable fléau ? Je ne le crois pas et je
ne veux pas le croire. Fondamentalement, notre société est saine car elle
repose sur l'exigence du respect de la dignité humaine, qui s'applique, au
premier chef, aux enfants.
Nous devons nous garder de toute psychose, et je m'inquiète lorsque des
enseignants en viennent à dire qu'ils n'osent plus se trouver seuls avec un
enfant.
C'est pourquoi, dans le signalement des affaires, il appartient à tous ceux
qui en ont la charge de faire preuve de discernement et d'une grande prudence
car certaines dénonciations peuvent se révéler, en définitive, des
affabulations qui traduiraient des fantasmes.
Si de telles accusations aboutissent à des procès, soit en correctionnelle
soit en cour d'assises, il ne faudrait pas que certaines mesures destinées à
protéger l'enfant du trouble inévitable qui accompagne les interrogatoires
répétitifs diminuent les droits de la défense, qui, en ce domaine comme en tout
autre, doivent être strictement protégés.
Aujourd'hui, je me réjouis que nous nous retrouvions non pas tellement sur une
répression plus forte des abus sexuels, mais sur une prévention
considérablement améliorée de la récidive.
Cette répression et ses dispositions nouvelles s'inscrivent dans le droit-fil
du nouveau code pénal, que, pendant quatre ans - et c'est l'une de nos fiertés
-, nous avons élaboré ensemble par-delà les divergences de majorité entre
l'Assemblée nationale et le Sénat.
Je l'ai souvent dit, le code pénal n'est pas un simple recueil
d'incriminations et de sanctions que nous décidons en fonction de la gravité
des infractions.
Il est d'abord surtout un symbole et, comme le disait notre regretté ami
Marcel Rudloff dont nous sommes nombreux à avoir gardé le souvenir, c'est la «
véritable table de la loi, réceptacle des valeurs fondamentales de notre
société, de la morale collective ».
Parmi ces valeurs fondamentales, nous l'affirmons aujourd'hui et de façon
unanime, figure la protection des personnes les plus vulnérables et
particulièrement de nos enfants mineurs.
C'est d'ailleurs au nom de la protection de l'enfance et plus généralement de
la famille que j'ai publiquement pris parti contre la dépénalisation du
cannabis.
Si, demain, nous tolérions plus ou moins ouvertement l'usage de certaines
drogues, nous nous trouverions - et les enfants en seraient victimes - devant
la même difficulté que celle qu'ont rencontrée les Pays-Bas.
Les trafiquants, nous le savons tous, ignorent la distinction entre drogues «
douces » et drogues « dures » : pour eux, l'essentiel c'est de vendre.
Je ferai les mêmes remarques à propos du code des codes : le code civil, qui,
lui aussi, renferme les règles essentielles de notre vie commune, comme, par
exemple, l'institution du mariage.
Va-t-on demain remettre en cause la cohérence de notre système de valeurs par
la création de toutes pièces d'un contrat d'union civile et sociale qui serait,
en quelque sorte, un sous-mariage ?
Loin de moi la tentation de confondre droit et morale. Mon souci est, tout au
contraire, d'éviter la confusion des genres.
Chacun, sous réserve de ne pas nuire à autrui, peut vivre comme il l'entend,
mais qu'on ne demande pas au législateur de légitimer, de légaliser, le
concubinage hétérosexuel, homosexuel, et - pourquoi pas ? - l'union entre
frères et soeurs.
Peut-on en effet légiférer sur ce qui est hors norme ?
Face aux drames qui frappent nos enfants, qu'ils soient victimes ou
délinquants, il est parfois de bon ton de déclarer que, si de tels drames se
produisent, c'est, en définitive, parce que notre société, les individus
eux-mêmes, ont perdu leurs repères ou leurs références.
Tâchons au moins que le législateur donne lui-même l'exemple et marque, par
une attitude cohérente, son attachement profond aux valeurs fondamentales de
notre société.
Je pense - et je m'en réjouis - que c'est ce que nous faisons aujourd'hui.
(Applaudissements.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, messieurs les rapporteurs,
mes chers collègues, dans notre société, la protection des enfants demeure une
absolue priorité. La révélation répétée d'épouvantables crimes sexuels et la
découverte de réseaux de pédophilie suscitent la révolte. Il n'est pas une mère
ou un père qui, dans sa douleur, n'ait éprouvé l'envie de venger ses enfants en
s'en prenant au meurtrier.
Notre société ressent le besoin, fort compréhensible, d'agir par tous les
moyens pour que de tels drames ne se reproduisent pas. On ne peut que se
réjouir de l'intention du législateur d'agir sur ce sujet dramatique.
Prenons pourtant garde : s'il faut, avant tout, protéger nos enfants, il
convient également d'éviter de trop dériver sur la fausse piste d'un soin
médical efficace à 100 % et qui serait, aux yeux de nos concitoyens, la
panacée.
C'est pourquoi, madame la ministre, votre projet de loi, qui s'inspire de
celui qu'avait préparé votre prédécesseur, procède d'une volonté louable de
prévenir et réprimer les infractions sexuelles, viols ou actes de pédophilie
tout en protégeant les mineurs victimes.
Il reprend largement, et je m'en félicite, l'architecture générale du projet
qui avait été adopté en Conseil des ministres le 29 janvier 1997, sous le
précédent gouvernement.
Mais, avant tout commentaire, quelques chiffres s'imposent ; ils sont
éloquents.
En 1995, en France, 5 500 cas d'abus sexuel sur enfants ont été recensés. En
dix ans, le nombre annuel de délits et crimes sexuels a augmenté de 25 %,
essentiellement à cause des agresseurs d'enfants. Près de 5 000 personnes sont
actuellement incarcérées dans notre pays pour des infractions aux moeurs, soit
13 % de la population carcérale, dont près de 3 000 pour viol !
Par ailleurs, le nombre de récidives ne cesse de croître. On sait en effet
que, dans les quatre années qui suivent leur libération, 4 % des délinquants
sexuels vont immanquablement récidiver, soit une trentaine au minimum, ce qui
est beaucoup trop important.
Est-il acceptable de penser que les futures victimes, elles, seraient
condamnées à mort par avance ?
Votre texte, madame la ministre, bien que novateur à de nombreux égards, est à
mon sens assez peu répressif vis-à-vis des violeurs et assassins d'enfants, car
une thérapie, même bien choisie et bien suivie, ne peut suffire à réduire de
façon sensible la délinquance sexuelle.
Avant d'exprimer, de manière constructive, un certain nombre de critiques, je
tiens à vous faire savoir que nombre de dispositions de ce projet de loi vont
dans le bon sens.
Je citerai d'abord celle qui permet, au moment du jugement, le prononcé d'une
peine complémentaire de « suivi socio-judiciaire » afin de surveiller les
auteurs d'infractions sexuelles à leur sortie de prison. Mais il conviendrait,
en la matière, d'aller un peu plus loin.
De même, la disposition qui assujettit le condamné à diverses mesures visant à
prévenir toute récidive de sa part, notamment, si cela se révèle utile, à une «
obligation de suivre un traitement médical », va dans la bonne direction.
Le fait que l'inobservation du « suivi socio-judiciaire » puisse, sur décision
du juge de l'application des peines, donner lieu à un emprisonnement dont la
durée maximale est fixée, lors de la condamnation par le tribunal ou la cour
d'assistes, à deux ans en cas de délit et à cinq ans en cas de crime est
également essentiel à nos yeux.
La répression des infractions sexuelles passe, d'abord, comme vous le
soulignez, par un allongement de la prescription. Celle-ci courra dorénavant à
compter de la majorité de la victime, quel que soit l'auteur de l'infraction,
et non plus, comme à l'heure actuelle, à compter de la date de l'infraction,
sauf si l'auteur a autorité sur la victime.
Elle passe, ensuite, par la lutte efficace, donc dotée de moyens budgétaires
importants, contre le « tourisme sexuel » : est ouverte la possibilité de
poursuivre tout délit sexuel commis à l'étranger par un Français, sans qu'il
soit exigé que ce délit soit aussi puni par la législation du pays où les faits
sont commis.
Elle passe, enfin - et c'est là une excellente disposition -, par la création
d'un fichier national des empreintes génétiques des auteurs d'infractions
sexuelles, destiné à centraliser les prélèvements de traces génétiques ainsi
que les traces et empreintes génétiques des personnes condamnées pour crime ou
délit sexuel. La création d'un tel fichier est en effet indispensable.
J'apporte tout mon soutien à la disposition de procédure pénale - c'est la
plus intéressante, voire la plus importante - visant à permettre
l'enregistrement de l'audition du mineur victime d'une infraction sexuelle afin
d'éviter la multiplication de ses dépositions.
Je crois également utile de faire maintenant apparaître certaines limites de
votre projet.
A ce titre, je souhaite que les efforts de réflexion et de proposition
entrepris par la commission et rapportés par notre excellent collègue M.
Jolibois soient soutenus et votés par une forte majorité des membres de notre
assemblée.
Il m'apparaît nécessaire, en effet, d'une part, de renforcer l'efficacité du «
suivi socio-judiciaire » en portant à dix ans, au lieu de cinq, en cas de
délit, et à vingt ans, au lieu de dix, en cas de crime, la durée maximale de
cette mesure, d'autre part, de fixer à cinq ans l'emprisonnement susceptible
d'être prononcé pour sanctionner son inobservation, qu'il s'agisse d'un crime
ou d'un délit.
La commission est également tout à fait fondée à souhaiter que, autant se
faire que peut, un délinquant soit incité à suivre un traitement médical en
prison. Tout condamné qui refuserait de se soigner ne pourrait plus, dès lors,
bénéficier de réductions de peine supplémentaires sans l'avis de la commission
d'application des peines.
Il est tout aussi indispensable de rendre plus strictes les conditions
d'octroi des réductions de peine supplémentaires aux récidivistes en les
subordonnant à l'avis conforme de cette même commission d'application des
peines.
Il convient également d'assurer en continu, à chaque étape de la procédure, la
présence d'un avocat auprès de l'enfant victime d'une infraction sexuelle.
De même, il est nécessaire d'assurer efficacement la confidentialité des
enregistrements audiovisuels, notamment par l'interdiction de leur diffusion et
en prévoyant leur destruction cinq années après le procès.
Il me semble aller de soi que les soins dispensés à tous les mineurs victimes
de sévices sexuels doivent être remboursés.
Il convient aussi de prévoir l'information des offreurs de sites Internet - et
c'est le sens de plusieurs amendements cosignés par mes collègues non inscrits
et membres du rassemblement parlementaire des sénateurs pour la famille et
l'enfance - de la diffusion par leur prestataire de service « hébergeur »
d'images à caractère pédophile ou pornographique.
En l'occurrence, j'irai plus loin que la commission en proposant, dans un
article additionnel après l'article 15, non pas seulement que des agents du CSA
soient habilités et qu'une copie de leurs procès-verbaux soient adressée à
l'offreur de site, mais que les prestataires de services, lorsqu'ils «
transmettent une image ou une représentation de nature pomographique d'un
mineur ou tendent à inciter des personnes à commettre les délits de
proxénétisme ou de corruption de mineurs soient punis de 500 000 francs
d'amende ».
Par ailleurs, n'est-il pas anormal qu'existe actuellement dans notre droit une
disparité de traitement de l'agresseur selon que la victime est âgée de plus ou
de moins de quinze ans ? C'est ce qui m'a amené à déposer un amendement avant
l'article 7.
J'affirme ici en toute conscience qu'aucune clémence n'est acceptable pour les
crimes d'enfants quels qu'ils soient. C'est pourquoi je demande que soit
qualifiées de viols les agressions sexuelles sur des mineurs de quinze ans et
qu'elles soient, par conséquent, considérées comme des crimes, avec le régime
des peines applicables en pareil cas : vingt ans de réclusion criminelle,
trente ans en cas de mort de la victime et perpétuité lorsque la mort est
précédée, accompagnée ou suivie de tortures ou d'actes de barbarie.
Enfin, madame le garde des sceaux, je serai réservé au sujet de votre projet
de création d'un délit spécial de « bizutage », étendu non seulement aux
réunions et manifestations en milieu scolaire ou éducatif, mais également aux
manifestations et réunions liées aux milieux sportif ou associatif. En effet,
comme l'a indiqué M. le rapporteur, le droit actuel permet déjà parfaitement de
réprimer ces actes répréhensibles.
Pour conclure, madame le garde des sceaux, je souhaiterais porter à votre
connaissance un cas d'inceste qui me paraît mériter votre attention.
Il n'est malheureusement pas rare de constater que les déboires administratifs
succèdent trop souvent aux douleurs profondes de la tragédie familiale qu'est
l'inceste. C'est le cas, exemplaire en tous points, d'une mère de famille qui a
dénoncé son mari pour le viol de sa fille mineure. Ce dernier a été condamné à
dix années de réclusion criminelle. Pendant son incarcération, son épouse - qui
n'a pas divorcé - continuait de percevoir le salaire de son mari jusqu'à la
date de son départ à la retraite.
Or elle apprend que, en vertu de l'article 58 du décret n° 65-77 du 9
septembre 1965 relatif au régime de retraite des agents des collectivités
locales, non seulement son traitement sera diminué de moitié en raison de la
condamnation pénale de son mari, mais elle est également obligée de rembourser
le trop-perçu au titre des échéances versées à tort à son époux depuis son
incarcération.
Voilà une situation qui démontre que le courage de cette femme la pénalise
triplement ! Cette famille paye, en effet, le prix de la souffrance
psychologique, morale et matérielle.
Je souhaiterais donc savoir si vous entendez prendre des mesures pour
supprimer les dispositions de cet article en cas d'infraction sexuelle ou
d'inceste.
En conclusion et malgré les quelques réserves que je viens d'évoquer, les
sénateurs non inscrits voteront ce texte dans leur grande majorité, car il
s'agit pour le législateur d'éviter la récidive criminelle chez les délinquants
sexuels et les « violeurs d'anges », à défaut de pouvoir jamais la proscrire
totalement.
Rappelons-nous en cet instant que, en mars 1997, quatre jeunes filles
d'Outreau, près de Boulogne-sur-Mer, Amélie, Peggy, Audrey et Isabelle furent
violées, puis étranglées sur la plage Sainte-Cécile par deux frères tous deux
récidivistes.
Sans être pessimiste par nature, madame le garde des sceaux, force m'est de
constater qu'aucune réforme de la justice, aussi séduisante soit-elle, ne
rendra la vie à ces quatre adolescentes innocentes.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Madame le garde des sceaux, reprenant à juste titre l'initiative du précédent
gouvernement, vous nous proposez aujourd'hui de renforcer les sanctions
relatives aux infractions sexuelles commises sur les mineurs et de prévenir la
récidive des délinquants sexuels.
Les nombreux débats qui ont agité nos deux assemblées autour de la question du
traitement à réserver aux délinquants sexuels ne sauraient pas nous faire
oublier que c'est d'abord et avant tout l'enfant qui doit se trouver au coeur
de nos préoccupations.
Notre mission première consiste à libérer la parole, celle des adultes, bien
sûr, au sein des familles ou des institutions, mais aussi celle des enfants.
Trop longtemps, la parole des enfants a été mise en doute : l'infans était
celui qui ne parlait pas ou dont la parole ne comptait pas.
Aujourd'hui, s'il faut reprendre l'initiative, c'est d'abord pour envoyer un
signal très fort à destination des enfants qui souffrent ou ont souffert de
sévices sexuels et que la peur ou la honte paralyse.
A ces enfants, nous devons dire solennellement que la justice n'aura plus
aucune indulgence pour ceux qui commettent le meurtre de leur enfance.
Notre deuxième mission est de protéger l'enfant lorsqu'il a eu le courage de
témoigner contre son agresseur.
Nous le savons, dans près de 80 % des cas, le mineur victime d'abus sexuels
connaît son agresseur : ce dernier fait partie de ses proches, de ses voisins,
quand il n'est pas membre de sa propre famille. Quand un enfant prend le risque
de révéler les violences sexuelles qu'il a subies, malgré l'onde de choc
familiale que sa révélation va provoquer, il est de notre devoir de lui assurer
un soutien psychologique durant son parcours, souvent long et pénible, au sein
de l'institution judiciaire.
C'est pourquoi je ne peux que souscrire à toutes les mesures d'accompagnement
qui pourront être prises à l'égard de l'enfant reconnu victime.
Je regrette néanmoins qu'aucune mesure ne soit prévue pour encourager, par une
prise en charge adaptée, les thérapies familiales qui sont pourtant
indispensables à l'équilibre retrouvé de la famille et, par conséquent, de
l'enfant. A l'immense sentiment de culpabilité qui affecte les enfants victimes
d'abus sexuels, il ne faut pas ajouter celui de l'explosion familiale.
Il importe également que l'enfant n'ait pas le sentiment d'avoir été trompé
deux fois : une première fois par son agresseur, une seconde fois par la
société dans sa façon de rendre la justice.
C'est pourquoi il me paraît nécessaire que les cassettes vidéo des auditions
de l'enfant soient non seulement protégées par des scellés durant l'instruction
mais encore définitivement détruites à l'issue du procès. Comment des enfants
qui ont parfois servi à tourner des films pornographiques pour des pédophiles
pourraient-ils comprendre que des images recueillant leurs confidences soient
encore en circulation et exposées à des adultes ? Par respect pour l'intimité
de l'enfant et du futur adulte, il convient de détruire ces enregistrements une
fois le procès terminé.
Notre troisième mission, lorsque des enfants ont parlé, est de prendre les
précautions nécessaires pour les préserver de la récidive.
Toutes les statistiques le montrent, les risques de réitération de l'acte sont
deux fois plus grands chez les pédophiles que chez les autres délinquants
sexuels. Cela signifie que le passage à l'acte, loin de calmer les pulsions du
pédophile, constitue une sorte d'excitant. Un peu comme un toxicomane, le
pédophile condamné n'aura de cesse de combler la sensation de manque qu'aura
provoquée l'abstinence imposée en prison. Dans 25 % des cas, s'il n'est pas
soigné, le pédophile réitérera son acte après sa sortie de prison, confirmant
le terrible adage souvent avancé par les Canadiens : « pédophile un jour,
pédophile toujours ».
Même si je les comprends en tant que médecin, je m'inquiète des nombreuses
précautions oratoires que vous avez prises, madame le ministre, pour aborder la
délicate question de l'obligation des soins : « injonction de soins », « forte
incitation », « libre consentement du malade » ; tous ces termes ne font que
masquer l'extrême difficulté que rencontrent la médecine et la justice pour
faire accepter au délinquant sexuel des soins dont il ne veut pas.
Rappelons que, sur l'ensemble des pervers sexuels condamnés, seuls 10 % sont
en réalité accessibles aux soins. Que ferez-vous, madame le garde des sceaux,
que ferons-nous des délinquants sexuels les plus dangereux, ceux qui refusent
tous les traitements proposés, qui rejettent toutes les injonctions ou autres
incitations ?
Je crains, hélas ! comme vous, madame le ministre, que votre texte ne règle en
rien cette grave question.
En matière de prévention de la récidive, beaucoup reste à faire. Nos efforts
doivent porter en priorité sur l'institution scolaire et les structures
parascolaires, sans pour autant céder à la psychose qui consisterait à voir
dans chaque enseignant, chaque éducateur, chaque animateur, un pédophile, même
si malheureusement, il convient de rappeler que de nombreux pédophiles exercent
des professions liées à l'enfance. On peut même dire qu'il y a chez eux une
véritable préméditation dans le choix professionnel qu'ils opérent, dans la
mesure où c'est avant tout la proximité des enfants qu'ils recherchent dans la
profession qu'ils choisissent, qu'ils soient animateurs, éducateurs ou
enseignants.
La plus grande vigilance est donc de mise dans ces secteurs ; elle doit se
manifester sur trois plans, et d'abord sur celui de la prévention.
Tout doit être mis en oeuvre pour que l'effort de prévention à l'école ne
repose plus sur le simple bénévolat des enseignants. La pédophilie est un
phénomène trop grave pour ne pas être abordé par des spécialistes.
Dans le même temps, il n'est pas normal de faire reposer sur les seuls enfants
la responsabilité des signalements. Prévenir les enfants, c'est bien ; alerter
les adultes, exiger d'eux qu'ils s'engagent, c'est mieux.
L'effort de prévention doit donc porter prioritairement sur les adultes et les
professionnels, afin de briser la loi du silence qui règne encore dans certains
établissements scolaires. Il convient de rappeler à tous les éducateurs les
peines qu'ils encourent en cas de non-dénonciation d'abus dont ils ont
connaissance dans le cadre de leurs fonctions.
Notre vigilance doit aussi se manifester au plan de la protection.
Lorsque le moindre doute de pédophilie plane sur un enseignant, un éducateur
ou un animateur, ou toute autre personne, le signalement aux autorités
compétentes doit se faire sans tarder afin qu'une enquête soit diligentée. Sans
faire de chasse aux sorcières, il convient néanmoins de prendre toutes les
précautions nécessaires pour protéger les enfants. Dans cette optique, la
suspension immédiate des fonctions ne doit pas être vécue comme une sanction,
mais comme une simple mesure de protection des mineurs, à laquelle il ne faut
pas hésiter d'avoir recours.
J'ajoute que, malgré les précisions apportées par la récente circulaire de Mme
le ministre délégué chargée de l'enseignement scolaire, il existe encore des
aberrations dans les procédures disciplinaires au sein de l'éducation
nationale.
Par exemple, il est inadmissible que des enseignants soupçonnés de pédophilie
soient réintégrés dans leurs fonctions au bout de quatre mois, voire mutés dans
un autre établissement, alors que les enquêtes pouvant aboutir à des poursuites
judiciaires ne sont pas encore achevées.
A mon sens, lorsque la profession de la personne soupçonnée la met directement
en contact avec des enfants, les mesures de suspension ne doivent prendre fin
qu'à l'expiration de toutes les procédures d'enquête nécessaires au traitement
de l'affaire et à son éventuel classement sans suite par le procureur de la
République. La procédure disciplinaire doit suivre la procédure judiciaire et
non se substituer à elle. Il en va de la sécurité de nos enfants.
Enfin, notre vigilance doit s'exercer en matière de sanctions.
Le présent projet de loi donne au tribunal la possibilité d'interdire au
délinquant sexuel d'exercer certaines professions impliquant un contact avec
des mineurs. Je ne peux qu'approuver une telle mesure. Je pense néanmoins
qu'une telle interdiction devrait être systématique, et non pas facultative,
pour tous ceux qui ont abusé d'enfants dans l'exercice de leurs fonctions
d'éducateur.
Par ailleurs, parmi les dispositions de ce texte visant à prévenir les
infractions sexuelles sur mineurs, la répression de la pornographie enfantine
est étrangement absente. Notre assemblée ne doit pourtant pas reculer devant la
nécessité de réglementer certains abus de la liberté d'expression. Madame le
garde des sceaux, vous proposez de renforcer la protection du jeune public en
étendant la réglementation à l'ensemble des vidéogrammes. Je pense, moi, qu'il
faut aller encore plus loin.
J'ai récemment découvert un arrêté émanant du ministère de l'intérieur qui
interdisait la vente à des mineurs d'une revue pornographique comportant des «
descriptions complaisantes de scènes outrancières mettant parfois en scène des
mineurs ». Si la vente de cette revue est désormais interdite aux mineurs, j'en
conclus, hélas ! qu'elle est toujours autorisée aux majeurs.
Permettez-moi de voir dans cet arrêté l'illustration d'un défaut majeur de
notre législation : le peu de place accordé à l'enfant en tant que victime.
Nous avons su protéger l'enfant en tant que public, mais nous avons négligé le
fait qu'il puisse être transformé en objet sexuel. Notre législation française
est ainsi faite que, si l'on punit le trafic d'images pédophiles lorsqu'elles
ont vocation à être diffusées, on ne punit pas leur détention à titre privé. Or
ce n'est pas seulement la diffusion d'images pédophiles qui est condamnable,
c'est l'utilisation même de l'enfant à des fins pornographiques qui doit l'être
!
Bien souvent, les pédophiles réalisent des images d'enfants qui ne sont
diffusées que dans des cercles restreints, voire qui ne servent qu'à leur «
consommation » personnelle et privée. Ils n'encourent alors aucune sanction,
bien que les traumatismes subis par les enfants soient, eux, très réels.
En outre, les grandes affaires de pédophilie ont récemment montré que la
détention de revues ou de films à caractère pédophile, bien loin d'avoir un
effet de catharsis, constitue un des éléments favorisant les comportements
déviants et les passages à l'acte. Je m'inscris donc en faveur d'une sanction
pénale pour la détention d'images pédophiles à titre privé.
Par ailleurs, parce qu'un acte de pédophilie constitue un crime à part
entière, il me paraît urgent d'inscrire dans la loi un interdit majeur
concernant toute forme d'incitation à des violences sexuelles sur mineurs.
Comme tout appel au meurtre ou à la violence raciale, l'apologie des actes
pédophiles doit être condamnée avec la plus grande fermeté. Je propose donc
d'en faire un délit pénal, puni des mêmes peines que l'incitation à la haine
raciale.
Je voudrais, enfin, aborder deux autres points, et d'abord ce que j'appelerai
la « récidive transfrontalière ».
Dans le cadre de mon mandat de délégué du Sénat à l'Assemblée du Conseil de
l'Europe, je mène un combat afin que les quarante Etats qui forment le
continent européen se dotent d'une législation cohérente et suffisamment
dissuasive.
En particulier, je suis parti du constat suivant : un criminel jugé et
condamné pour des faits de pédophilie dans un Etat, s'il commet à nouveau les
mêmes faits, mais dans un autre Etat, ne se trouve pas en état de récidive ; il
n'encourt donc pas les peines aggravées encourues par les récidivistes.
J'ai donc soumis à l'Assemblée du Conseil de l'Europe, avec mes collègues
Daniel Hoeffel et Jacques Legendre, la proposition d'établir un registre placé
sous l'autorité de la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg.
Ce registre, où seraient consignées les condamnations à trois ans ou plus de
privation de liberté, sur notification obligatoire des Etats membres du Conseil
de l'Europe, ne pourrait être consulté que par les magistrats saisis de
poursuites contre des faits de pédophilie.
Ainsi, en cas de condamnation définitive antérieure, la juridiction saisie
pourrait prononcer les peines prévues pour les récidivistes, quand bien même
les faits anciens et nouveaux n'auraient pas été commis dans le même Etat.
L'Europe unie ne doit pas être un espace où les criminels peuvent se jouer des
incohérences juridiques pour échapper partiellement ou totalement à la sanction
de leurs crimes.
Prenons garde, alors, aux réactions de l'opinion publique, qui ne saurait
apporter son soutien à une Europe de la libre circulation des criminels.
J'espère donc, madame le garde des sceaux, que le Gouvernement français
soutiendra l'initiative de l'Assemblée du Conseil de l'Europe afin que cette
possibilité d'établir et de prendre en compte la récidive transfrontalière se
fonde sur une convention du Conseil de l'Europe.
Il est vital qu'au-delà de l'Europe communautaire tout le continent tel qu'il
est représenté au Conseil de l'Europe apparaisse comme un espace de sécurité,
où sont protégés les droits de l'homme, certes, mais d'abord les droits des
plus vulnérables, c'est-à-dire des enfants.
Je voudrais encore attirer votre attention, madame le garde des sceaux, sur un
dernier aspect méconnu des violences sexuelles imposées à des enfants, voire à
des bébés.
Avec le regroupement familial, sont apparues en Europe, et en particulier en
France, des coutumes africaines que, en tant que médecin, je ne peux que
qualifier de tortures.
Les associations de femmes africaines qui militent pour la prévention et la
répression des excisions et des infibulations en Europe demandent que
l'application des lois l'emporte sur la force des coutumes des communautés
immigrées.
J'attire en outre votre attention sur la situation parodoxale qu'on laisse
perdurer en France.
Le tribunal administratif de Lyon a rendu, le 12 juin 1996, une décision
annulant une mesure d'expulsion à l'encontre d'une personne de nationalité
guinéenne en situation irrégulière, au motif que ses deux fillettes auraient pu
être exposées, en cas de retour dans leur pays, à des risques de mutilations
sexuelles.
Pour prononcer cette annulation, le tribunal administratif conclut que les
coutumes en question sont constitutives des traitements dégradants et inhumains
prohibés par la convention européenne des droits de l'homme.
Le tribunal souligne d'ailleurs l'absence d'incrimination spécifique,
s'interrogeant : « L'excision serait-elle un tabou dans notre droit ? »
Ce tabou, comme celui qui a trop longtemps protégé les auteurs d'inceste, de
viol, ou de toute violence sexuelle, doit être levé. J'avais envisagé le dépôt
d'amendements en ce sens au projet de loi dont nous discutons. J'y ai renoncé,
estimant, avec les juges administratifs, que « l'inflation des incriminations
pénales trop étroites ne règle rien ».
Néanmoins, le droit à la différence ne doit pas être l'alibi de
l'indifférence.
Comment justifier que des juges administratifs refusent l'expulsion pour
protéger des fillettes d'un traitement qualifié de « dégradant et inhumain » et
que, par ailleurs, les juridictions de l'ordre judiciaire montrent tant
d'indulgence pour ceux qui, en France, imposent ces traitement à des fillettes,
Françaises ou ayant vocation à le devenir ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas du tout !
M. Nicolas About.
Mais si ! Personne n'a jamais fait l'objet d'une condamnation majeure sur ce
point ; seules des condamnations extrêmement mineures ont été prononcées.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et en cour d'assises à Douai ?
M. Nicolas About.
Quelles peines ont été prononcées ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je n'en sais rien, mais...
M. Nicolas About.
Il ne s'agit que de peines de principe, assorties de sursis.
M. Robert Badinter.
Ce sont des jurés qui se sont prononcé ! C'est leur conscience qui a parlé
!
M. Nicolas About.
Le rôle des représentants du peuple consiste aussi à dire au Gouvernement ce
que le peuple pense. C'est ce que je fais aujourd'hui.
M. François Autain.
Il n'y a qu'à supprimer les jurés !
M. Nicolas About.
Contrairement à ce que vous affirmez et qui correspond d'ailleurs à une
opinion trop répandue, les instructions données par le Gouvernement aux
juridictions sont indispensables dans la mesure où elles garantissent
l'application de la volonté démocratiquement exprimée par les représentants du
suffrage universel. C'est aussi leur droit, et pas seulement celui des jurés,
de s'exprimer à ce sujet.
Aussi, madame le ministre, je vous demande d'appeler l'attention des chefs de
juridiction et des représentants du ministère public sur ce type de violences
sexuelles infligées aux fillettes en France. Elles sont plusieurs dizaines de
milliers, selon les femmes africaines elles-mêmes.
Il s'agit de violences graves qui doivent être poursuivies, comme le
permettent les articles 222-9 et 222-10 du nouveau code pénal, sous
l'incrimination de « violences volontaires ou complicité de violences
volontaires à enfants de moins de quinze ans ayant entraîné une mutilation
».
Je vous laisse juge des moyens, madame le ministre : incrimination nouvelle ou
poursuite sur la base des textes existants. Mais, à l'heure où nous débattons
de la protection des enfants contre la violence des adultes, nous devons
combattre toutes ces formes de violence, sans tabou.
La protection des fillettes contre l'excision et l'infibulation ne doit pas
être mentionnée seulement pour empêcher une expulsion ; elle doit être
appliquée non seulement aux frontières de notre pays, mais sur tout le
territoire français, quelle que soit la nationalité des fillettes exposées à
cette violence.
J'espère donc, madame le ministre, que vous souscrivez à ces observations et
que vous serez en mesure de prendre l'engagement, devant le Sénat puis devant
l'Assemblée nationale, de poursuivre la répression exemplaire de ces « coutumes
» inacceptables.
Information et prévention ne suffisent pas, hélas ! et, selon la phrase du
moraliste français, « entre le fort et le faible, c'est la loi qui libère et la
liberté qui opprime ». Donnons la protection de la loi aux fillettes qui vivent
en France et lançons un message clair de solidarité à celles qui luttent en
Afrique pour mettre fin à ces « coutumes » barbares.
(Applaudissements sur
les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
(M. Paul Girod remplace M. Michel Dreyfus-Schmidt au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les
membres du groupe socialiste soutiennent les efforts du Gouvernement. Je
devrais d'ailleurs dire « des gouvernements », puisque vous avez, madame la
ministre, à juste titre, repris, en l'améliorant, un projet de loi de votre
prédécesseur pour prévenir, autant qu'il est possible, la récidive en matière
d'infractions sexuelles et, plus simplement, pour soigner, bien plus que pour
punir, tout en les soumettant à diverses obligations et mesures de surveillance
ou d'assistance, ceux qui, à l'évidence, sont d'abord des malades.
C'est une voie courageuse parce qu'étroite et onéreuse : étroite, parce que la
science médicale a encore des progrès à faire pour guérir ces malades-là ;
onéreuse, parce que soigner coûte évidemment plus cher qu'enfermer purement et
simplement.
Je disais que vous avez amélioré le projet de votre prédécesseur. Chacun le
reconnaît. Vous avez tiré les conclusions qui s'imposaient du fait qu'il n'est
pas possible de soigner quelqu'un qui ne le veut pas : celui qui ne le voudra
pas sera, si j'ose dire, « traité » différemment, c'est-à-dire mis, ou remis,
en prison.
Exit donc le « suivi médico-social ». Vous nous proposez le « suivi
socio-judiciaire ». Nous vous suivrons.
La commission des lois du Sénat a procédé, vous le savez, madame la ministre,
puisque vous y avez participé, à d'intéressantes séances répétées d'auditions
publiques, qui ont permis le dépôt d'amendements que nous croyons souvent
enrichissants.
C'est ainsi que nous sommes unanimes à désirer que les auteurs d'infractions
sexuelles puissent être amenés à se soigner non pas seulement à titre de peine
principale ou à l'expiration d'une peine d'emprisonnement, mais pendant la
durée même de l'emprisonnement.
M. Robert Badinter.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela suppose, bien évidemment, des moyens importants afin de disposer du
personnel formé à cette fin dans des locaux à cette fin réservés.
C'est déjà ce que le législateur a prévu à l'article 718 du code de procédure
pénale, en vertu duquel les auteurs d'infractions sexuelles « exécutent leur
peine dans des établissements pénitentiaires permettant d'assurer un suivi
médical et psychologique adapté ».
Vous nous direz sans doute, madame la ministre, que, malheureusement, ce texte
est resté quasiment lettre morte, même si, par une fiction indigne, tous les
établissements pénitentiaires sont réputés être tels.
Or les auteurs d'infraction sexuelle doivent être non seulement soustraits,
pour pouvoir être efficacement soignés, à la discrimination, aux brimades et
aux mauvais traitements de ceux qui sont encore trop souvent leurs « codétenus
», mais également séparés, dans des espaces thérapeutiques distincts, les
exhibitionnistes d'une part, les névrosés d'autre part, les psychopathes
ailleurs encore et, enfin, les auteurs de crime de sang. Cela coûtera cher,
mais c'est indispensable.
Je n'entrerai pas maintenant dans le détail des amendements que nous serons
amenés à défendre dans l'espoir de rendre le meilleur possible un texte
technique et complexe qui a encore besoin d'être enrichi par la navette.
Ce que je dis là me paraît vrai, par exemple, pour ce que j'appellerai, plutôt
que « les atteintes à la dignité de la personne humaine », plus prosaïquement,
plus populairement et plus justement « les excès du bizutage ».
En toute bonne foi, je n'en doute pas, la commission des lois du Sénat a cru
voir là une recherche d'effet d'affichage, comme, soit dit entre nous, elle en
a si souvent accepté dans le passé.
M. Robert Badinter.
Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Tel que le texte était rédigé au départ et plus encore tel qu'il l'a été par
l'Assemblée nationale, on pouvait s'y tromper.
Après avoir beaucoup réfléchi, et revenant sur notre vote - vous avez rappelé,
à juste titre, ce qu'il avait été, monsieur le rapporteur - nous sommes arrivés
à la conclusion que, « hors les cas de violences, de menaces ou d'atteintes
sexuelles », doit être puni d'un emprisonnement, non pas de six mois, mais d'un
an, afin de pouvoir être poursuivi en flagrant délit, et d'une amende de 100
000 francs le fait - je cite le texte de l'amendement que nous défendrons, et
d'abord en commission - « pour une personne d'en amener une autre, contre son
gré ou non, par ordre, contrainte, pression ou invitation, à subir ou à
commettre des actes humiliants ou dégradants, notamment lors de manifestations
ou de réunions liées au milieu scolaire, éducatif, sportif ou associatif. »
Un tel texte devrait permettre que soit mis fin à des excès qui ne se
perpétuent que parce que, par peur des représailles ou du qu'en dira-t-on,
comme dans la perspective d'être bientôt initiateur à son tour, la victime est
trop souvent quasi consentante. Vous le constatez, notre amendement reprend le
problème à la base. Il n'est pas limité au milieu scolaire, éducatif, sportif
et associatif. En effet, nous ajoutons l'adverbe « notamment », qui pour une
fois est nécessaire, pour dire que c'est partout que ces excès doivent être
punis et poursuivis, étant entendu, je le répète, que, même si on constate un
semblant d'acceptation de la part de la « victime », il doit y avoir poursuite.
Cet amendement complète le code pénal, contrairement au texte tel qu'il
résultait des travaux de l'Assemblée nationale. Nous aurons l'occasion d'en
débattre.
Il en sera de même des nombreuses mesures proposées pour protéger et ménager
les victimes mineures. La plupart de ces dispositions s'imposent, mais aucune
ne doit, bien entendu, risquer d'entraver la recherche de la vérité ou de
porter atteinte au « parallélisme des formes » : je pense, en particulier, à
l'enregistrement audiovisuel de la déposition d'un mineur victime, qui ne
saurait remplacer dans tous les cas les confrontations, les nouvelles auditions
ou les comparutions.
Je pense aussi que, si la suggestion de la commission des lois du Sénat visant
à rendre obligatoire la présence d'un avocat auprès d'un mineur victime est
retenue, il n'y a plus lieu, sauf à oublier le « parallélisme des formes » dont
se réclame M. le rapporteur, de rendre obligatoire, comme l'a demandé
l'Assemblée nationale, la présence auprès de cette victime « d'un psychologue
ou d'un médecin spécialiste de l'enfance ou d'un membre de la famille du mineur
ou de l'administrateur
ad hoc
... ou encore d'une personne chargée d'un
mandat du juge des enfants. »
Si les deux parties sont assistées d'un avocat, pourquoi imposer la présence
d'une autre personne d'un côté exclusivement ?
Il faut en effet ne pas aller trop loin. C'est ce qui a été fait en
décidant... provisoirement - heureusement, le bicamérisme existe dans notre
pays - qu'en matière de diffamation la vérité des faits diffamatoires pourrait
être prouvée, dans le cas d'infractions sexuelles contre un mineur, même si
l'infraction est « amnistiée ou prescrite » ou si elle « a donné lieu à une
condamnation effacée par la réhabilitation ou » - écoutez-bien ! - « la
révision » ! Cette énormité a même échappé, à la fin d'une longue séance de
travail, à la commission des lois du Sénat ! Nous avons déposé un amendement
pour y mettre bon ordre.
Je voudrais terminer ces quelques réflexions - car il est exclu, dans le cadre
de la discussion générale, d'aborder toutes les difficultés de ce texte - en
disant que nous sommes pleinement d'accord avec la commission des affaires
sociales du Sénat lorsqu'elle conclut à la suppression de l'article 32
bis,
qui prévoit que, pour savoir s'il peut être mis fin à
l'hospitalisation d'office de l'auteur reconnu irresponsable d'un crime ou d'un
délit, on s'en remette à une commission composée de deux médecins dont un
psychiatre - un seul psychiatre ! - et d'un magistrat ayant voix prépondérante
!
Cela me paraît, je dois le dire, une monstruosité juridique : l'intéressé
ayant été reconnu par la justice pénalement non responsable, la justice est
évidemment dessaisie, et la seule question qui se pose - savoir si ce malade
est encore ou non dangereux, soit pour autrui, soit pour lui-même - ne relève à
l'évidence que de la médecine.
J'observe que l'article L. 348-1 du code de la santé publique en son état
actuel est parfaitement satisfaisant : il ne rend possible la fin de
l'hospitalisation d'office du criminel ou du délinquant irresponsable « que sur
les décisions conformes de deux psychiatres n'appartenant pas à l'établissement
et choisis par le préfet sur une liste établie par le procureur de la
République », « ces deux décisions résultant de deux examens séparés et
concordants. »
Dans l'hypothèse saugrenue du texte dont nous sommes actuellement saisis, le
psychiatre qui s'opposerait à la mise en liberté pourrait être mis en minorité
par l'abstention du médecin non psychiatre et l'acquiescement du magistrat !
Vouz noterez d'ailleurs que nous sommes ici dans le cadre général des auteurs
irresponsables d'infractions, et non plus dans celui des infractions sexuelles,
auxquelles le projet de loi est tout de même consacré !
Vous le voyez, madame la ministre, et vous aussi, mes chers collègues, le
Gouvernement peut compter sur le concours actif et éclairé du groupe socialiste
; ce n'est pas mon ami François Autain, qui interviendra tout à l'heure, lui
aussi au nom du groupe socialiste, qui me démentira.
(Applaudissement sur les travées socialistes et sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de
loi est résolument axé sur la prévention de la récidive. Il s'agit d'un sujet
délicat en matière de crimes et délits sexuels, mais d'une entreprise
nécessaire et urgente.
Le texte traite en particulier des délits sexuels concernant les mineurs.
Récemment, j'ai rencontré une jeune femme qui a vécu dans son enfance des
agressions sexuelles de la part du fils de sa gardienne, qui avait quatorze ans
de plus qu'elle. Cette jeune femme n'avait d'autre mot pour décrire ce qu'elle
avait vécu que le mot « massacre ». « J'ai été massacrée », disait-elle, et
pensant aux autres enfants, ceux d'aujourd'hui, elle me répétait : « Il faut
arrêter le massacre ».
Pourtant, ce que je souhaite d'abord dire concerne l'ensemble des agressions
sexuelles, que les victimes soient des enfants ou des adultes.
Des décennies ont été nécessaires pour que la loi soit enfin respectée, pour
que les viols soient effectivement poursuivis comme des crimes, et non comme
des délits. Il a fallu des décennies pour que les victimes osent parler et
porter plainte, pour qu'elles n'aient pas honte, ou qu'elles triomphent de leur
honte.
En effet, l'une des caractéristiques de ces crimes est que la victime a honte,
plus que l'agresseur.
Quand enfin la loi du silence a été levée, quand les victimes ont osé porter
plainte, ont osé parler, on a vu croître le nombre de procès. Certains se sont
dit alors que la société se délitait, que les hommes se mettaient à violer les
femmes, bref que la bonne vieille morale traditionnelle était en recul. Mais
les hommes ne se mettaient pas à violer les femmes : les femmes, pour la
première fois, massivement, osaient porter plainte contre les hommes.
Aujourd'hui, le même phénomène concerne les enfants : la loi du silence
commence à être levée. Mais la parole des enfants, en se libérant, ouvre les
portes sur un enfer clos.
Toutefois, je ne voudrais pas que, dans notre réflexion et notre loi, les
agressions et les crimes concernant les adultes soient oubliés. En effet, il
s'agit toujours d'un traumatisme grave et parfois irréparable.
C'est pourquoi je souhaite que la prise en charge médicale à 100 % concerne
l'ensemble des personnes victimes d'une agression ou d'un crime sexuel ; je
pense aux nombreuses femmes dont j'ai suivi le parcours ou que j'ai eu
l'occasion de rencontrer, et pas seulement aux enfants.
Le fait que le projet de loi précise la notion de harcèlement sexuel me
satisfait. Peu après que la loi sur le harcèlement sexuel a été débattue, j'ai
soutenu, en tant que présidente d'un centre d'information sur les droits des
femmes, une jeune femme qui a intenté un procès contre son employeur. Je sais
toutes les pressions qu'ont subies alors les autres employées pour ne pas
témoigner en faveur de cette femme et le courage qu'il a fallu à celle-ci pour
aller jusqu'au bout de sa démarche. J'ai lu les expressions plutôt choquantes
qui ont été employées lors du débat à l'Assemblée nationale. Heureusement, les
mentalités ont évolué, et dans l'opinion publique parfois plus vite que parmi
les élus. Je suis donc particulièrement satisfaite de constater que le projet
de loi actuel complète la notion de harcèlement sexuel en y ajoutant la notion
de « pression ».
A un moment où les femmes représentent moins de la moitié des actifs, mais
plus de la moitié des chômeurs, cette précision est vraiment la bienvenue.
Je ne souhaite pas, bien sûr, que l'on en arrive à la situation américaine,
dans laquelle, bientôt, plus un homme ne pourra être seul avec une femme dans
un ascenseur ou lui faire l'ombre d'une avance sans encourir le risque d'être
accusé de harcèlement sexuel. Mais il est nécessaire de donner les moyens aux
femmes de dénoncer, de poursuivre ceux qui se livrent à de telles pratiques.
C'est nécessaire pour les femmes. Mais c'est également nécessaire pour les
hommes, afin que ces derniers aient enfin une réflexion sur un comportement
qui, pour être quotidien, n'en est pas moins inacceptable et délictueux.
Cette réflexion sur l'approfondissement de la notion de délit de harcèlement
sexuel m'amène à vous dire, madame la ministre, à quel point j'approuve le
titre II de votre projet de loi concernant la création du délit de bizutage.
J'ai pris connaissance de la controverse qui s'est développée à l'Assemblée
nationale et dans la presse, et je sais qu'un amendement de suppression a été
déposé par la commission des lois. J'espère toutefois que notre assemblée ne va
pas suivre cette proposition.
Je me réfère précisément au débat sur le délit de harcèlement sexuel auquel je
faisais allusion. On a dit, à ce moment-là, qu'il n'y avait pas lieu de créer
ce délit, que ce n'était après tout pas pour quelques excès, certes
condamnables, qu'on allait mettre en accusation tous les patrons qui feraient
des propositions à leur secrétaire. On a invoqué la culture latine, la
galanterie française bien connue, l'empressement bien naturel des hommes
vis-à-vis des femmes, que sais-je encore... Et puis on s'est rendu compte qu'il
y avait là des situations de force, d'oppression, de contrainte, de pouvoir, et
qu'il arrivait - et il arrive encore - que celui qui était en position de
force, de contrainte, de pouvoir, d'oppression abusait de cette situation et
imposait sa volonté de possession.
Le bizutage relève à bien des degrés d'une situation comparable. On invoque la
tradition. Mais est-il bien sûr que les cérémonies diverses qui ont marqué dans
le passé et qui marquent encore, dans certaines sociétés, le passage de
l'adolescence à l'âge adulte doivent être reprises à notre compte ? On invoque
l'intégration dans le groupe. En effet, certains bizutages sont tellement
symboliques de l'entrée dans le groupe que s'y refuser entraîne parfois
l'exclusion de la liste des anciens élèves de telle ou telle école. Mais est-on
sûr que ce soit l'intégration souhaitable aujourd'hui ?
On a dit que les excès étaient déjà passibles de poursuites judiciaires. Je ne
sais comment l'enfermement pendant des heures d'une personne dans une chambre
froide est passible de poursuites devant la justice. Mais tous ces excès le
seraient-ils - et, à mon avis, ils ne le sont pas - que l'on se heurterait au
même problème que pour les délits et crimes sexuels : l'impossibilité
psychologique et sociale pour la victime de porter plainte. Or, l'objectif de
ce projet de loi est de s'adresser d'abord aux victimes et de penser d'abord à
elles. C'est pourquoi l'inscription du délit de bizutage me paraît tout à fait
justifiée.
Je n'invoquerai que pour le principe l'argument de l'image que donne la
jeunesse française dans des échanges scolaires et universitaires qui se
multiplient. Chacun garde en mémoire la réaction des élèves allemands lors des
échanges avec l'Ecole nationale supérieure des arts et métiers.
Mais l'essentiel du projet de loi que vous nous soumettez, madame la ministre,
est consacré aux délits et crimes concernant les enfants : ce texte prévoit
l'aggravation de certaines peines, la modification des termes de la
prescription et la création du suivi socio-judiciaire.
Pendant longtemps, la notion de crime sexuel a visé essentiellement des
phénomènes exceptionnels qui bouleversaient l'opinion publique : enlèvements
d'enfants accompagnés de sévices, viols, meurtres. La société comptait ainsi
quelques individus abominables mais rares.
Mais, depuis quelques années, notamment depuis 1991 et le vote de la loi
étendant la prescription à dix ans après la majorité, les affaires ont commencé
à se multiplier. Leur nombre n'est pas très grand, mais tout de même : 1 723
condamnations pour atteintes sexuelles, agressions sexuelles et viols sur
mineur de moins de quinze ans en 1994.
L'attention de l'opinion s'est focalisée sur un certain nombre d'affaires
concernant des éducateurs, des enseignants ; je pense également au cas terrible
de ce foyer de l'enfance en Grande-Bretagne.
Puis sont intervenues la saisie des cassettes pédophiles, la mise au jour des
réseaux et l'inculpation des utilisateurs de ces cassettes. Entre la pédophilie
et l'utilisation de telles cassettes, les données me paraissent de toute façon
différentes, même si, à l'origine, il y a bien sûr des enfants, qui sont soit
prostitués, soit amenés par différents moyens à avoir des relations
sexuelles.
L'opinion publique s'est ainsi émue, ces derniers temps, d'affaires à
connotation homosexuelle, même si l'on sait qu'un certain nombre de plaintes et
de condamnations ont touché des foyers dans lesquels des éducateurs ont abusé
de jeunes filles, notamment de malades mentales.
Dans l'opinion, l'agression sexuelle devenait ainsi plus fréquente que dans le
passé, à dominante homosexuelle et liée à des milieux éducatifs.
Notre discussion intervient dans ce contexte, bien réducteur par rapport à la
réalité. Or, si un certain nombre de personnes ayant travaillé sur ce sujet
connaissent ou du moins pressentent la réalité, l'opinion, quant à elle, la
méconnaît ou la refuse.
La réalité est d'abord dans la fréquence des abus sexuels sur des mineurs :
ils s'élèvent à 10 000 par an selon la direction centrale de la police
judiciaire, qui évalue à plus de 4 000 le nombre annuel de viols. En 1996, le
service national d'accueil téléphonique pour l'enfance maltraitée a reçu 960
000 appels ; 130 000 ont pu recevoir une réponse, dont 23 000 portaient sur des
abus sexuels.
La réalité est dans la proximité de celui qui commet les actes : 75 % des
auteurs font partie de l'entourage familial ; 43 % des abus, soit près de la
moitié, sont le fait du père. Et l'on sait que, quand il y a plusieurs filles,
toutes ces dernières sont amenées à avoir des relations sexuelles avec leur
père, parfois avec le consentement de la mère, parfois avec son refus de
savoir. J'ai dit « avoir des relations sexuelles avec », puisque l'on sait bien
que, dans ces cas-là, il n'y a pas réellement viol. Ce sont ces situations qui
sont les plus fréquentes et qui constituent l'enfer quotidien de milliers de
petites filles.
C'est pourquoi j'ai désiré que la commission des affaires sociales soit saisie
pour avis de ce dossier. Je l'ai souhaité non pas seulement pour des problèmes
de remboursement de soins ou de nature du médecin qui donnera son avis sur le
suivi médical, quand ce dernier existera, mais parce que le crime ou le délit
sexuel, quand il se produit, bouleverse toute la famille - les frères et
soeurs, les parents - et que la très grande majorité des abus sexuels se situe
dans la famille, derrière ces foyers clos, ces portes refermées, là où Gide
voyait la protection jalouse du bonheur, mais où se créent parfois des
situations irréparables.
J'ai souhaité la saisine de la commission des affaires sociales parce qu'il
faut que nous sachions tout cela et que nous le disions, parce que la parole
libérée des enfants - elle l'est déjà aujourd'hui et le sera encore plus demain
- va nous le crier à la figure.
Mes chers collègues, dénoncer un fait, dire que c'est un délit, que c'est un
crime, ne pas seulement se focaliser sur le fait minoritaire, marginal, mais
cibler aussi l'essentiel, surtout s'il est difficile à dire et à admettre,
c'est la responsabilité du législateur, et l'honneur de l'homme ou de la femme
politique.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen,
et sur les travées socialistes.)
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. Paul Girod au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE
M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le 20
novembre prochain, nous célébrerons pour la deuxième fois la journée des droits
de l'enfant, adoptée à l'unanimité en 1996 sur la proposition des
parlementaires communistes. Notre pays s'honore aujourd'hui en se préparant à
se doter d'une législation tendant à renforcer la protection des mineurs
victimes d'agressions sexuelles et à lutter contre la récidive en la matière,
afin de montrer sa volonté de faire « des droits de l'enfant » un véritable
engagement politique.
C'est pourquoi nous nous félicitons, d'une part, du fait qu'un tel projet de
loi vienne en débat au Parlement en début de session et, d'autre part, du
travail de concertation mené par le Gouvernement et la commission des lois du
Sénat afin d'obtenir l'approbation d'une grande partie des professionnels
concernés par les mesures proposées.
Nous allons donc aborder un sujet d'une extrême gravité et nous devons le
faire dans la sérénité, sans débordement, ni dérive.
Je veux rappeler ici qu'en 1994 a été adoptée ce qu'on a appelé la « peine de
prison perpétuelle » pour les criminels sexuels, mais sans pour autant
s'attaquer aux causes profondes et aux risques de récidive.
Notre code pénal dispose ainsi d'un arsenal répressif important en la matière
; mais la réalité montre que les textes seulement répressifs ne suffisent pas.
Et c'est bien la raison pour laquelle ce projet de loi est discuté aujourd'hui
au Parlement.
Les agressions sexuelles commises à l'encontre des enfants entraînent une
colère instinctive et légitime. Il convient d'y apporter des réponses
permettant à la société de se protéger contre ces délits et ces crimes et, en
même temps, d'améliorer les textes pour prévenir la récidive.
C'est ainsi que, comme nous le verrons dans le détail, le projet de loi
institue, d'une part, une peine de suivi socio-judiciaire et, d'autre part, un
statut juridique des mineurs victimes.
Le présent projet de loi corrige les principaux défauts du précédent projet de
loi déposé par M. Toubon. Ce dernier, en effet, visait à créer une véritable
obligation des soins, confondant ainsi les rôles respectifs du juge et du
médecin. Cela avait soulevé à l'époque un tollé quasi général, surtout de la
part du corps médical, car cette disposition était contraire à l'éthique
médicale.
Le système qui nous est proposé aujourd'hui a été accueilli favorablement par
les corps professionnels concernés. Cette peine complémentaire de suivi
socio-judiciaire a également reçu une large adhésion de la part des personnes
présentes aux auditions de la commission des lois.
Le principe en est simple : au moment du jugement, la juridiction pourra, en
plus de la peine de prison, imposer au condamné des mesures de surveillance et
d'assistance qui s'appliqueront dès sa libération.
Ce suivi socio-judiciaire est non plus seulement médical, mais aussi social,
et c'est cette innovation qui doit participer à la prévention et à la
limitation de la récidive en matière d'agressions sexuelles.
Le condamné sera placé sous surveillance du juge d'application des peines pour
une durée de cinq ans pour un délit et de dix ans pour un crime.
La commission des lois propose de porter ces durées respectivement de cinq ans
à dix ans pour les délits, et de dix ans à vingt ans pour les crimes.
Doit-on nécessairement aller vers une telle escalade dans l'échelle des peines
de suivi socio-judiciaire ?
Les moyens prévus pour mettre en oeuvre l'application de la présente loi
seront-ils suffisants pour couvrir un tel allongement de la durée de ce suivi
?
Nous ne devons pas tomber dans l'excès et nous laisser tenter par un « suivi à
vie ».
Ce suivi pourra par ailleurs s'accompagner de certaines obligations telles que
l'interdiction de fréquenter certains lieux accueillant des mineurs, d'entrer
en relation avec des mineurs ou d'exercer une profession ou une activité
bénévole impliquant un contact avec des mineurs.
Le condamné devra également consulter un médecin qui lui remettra, à
intervalles réguliers, des attestations destinées au juge de l'application des
peines.
En cas d'inobservation de ces obligations, le juge de l'application des peines
pourra ordonner sa réincarcération pour une durée de deux ans pour un délit et
de cinq ans pour un crime.
Là encore, la commission des lois s'inscrit dans une logique répressive
accrue, puisqu'elle fixe à cinq ans la peine prévue en cas de violation du
suivi socio-judiciaire sans faire la distinction entre un crime et un délit ;
cela nous choque.
Par ailleurs, alors que, dans le projet de loi de M. Toubon, l'injonction de
soins ne pouvait être prononcée que par la juridiction de jugement, le présent
texte, quant à lui, l'instaure également pour le juge de l'application des
peines. Ainsi, tout ne reste pas figé au jour de la condamnation.
Cette formule souple permet, par exemple, si le détenu évolue lors de son
incarcération, de lui imposer une injonction de soins, avec l'accord des
experts, même si elle n'avait pas été prévue initialement dans le suivi.
De plus, contrairement au premier texte, qui interdisait tout suivi si
l'expert concluait que le condamné était inaccessible aux soins, les présentes
dispositions permettent, dans ce cas, un suivi socio-judiciaire sans injonction
de soins.
L'injonction de soins suppose toujours le consentement du condamné car, plus
qu'une obligation de se soigner, il s'agit d'une modalité facultative de la
mesure de suivi socio-judiciaire dont l'objet est d'inciter le condamné à se
soigner.
Il convient de faciliter autant que faire se peut un tel traitement et
d'inciter le condamné à y recourir.
C'est ainsi que, tous les six mois, le juge de l'application des peines devra
proposer aux délinquants sexuels de suivre un traitement.
Il faut savoir que les auteurs de violences sexuelles ont besoin d'une sorte
d'incitation ferme pour accepter des soins qui peuvent être, à terme,
profitables à eux-mêmes ainsi qu'à la société.
Nous regrettons, en l'occurrence, que la commission des lois ramène à une fois
par an seulement, au lieu de deux fois dans le texte, l'information faite au
condamné de la possibilité de suivre un traitement.
Bien évidemment, ces dispositions vont devoir s'accompagner de moyens
nouveaux.
La réussite d'une telle politique d'incitation repose, pour l'essentiel, sur
le développement de moyens en termes de personnels, mais aussi concernant les
services médico-psychologiques régionaux des prisons, qui dépendent de
l'hôpital public et qui sont actuellement au nombre de vingt-six.
La mise en oeuvre de ces soins sera assurée par le biais d'un médecin
coordonnateur chargé de faire la liaison entre le juge de l'application des
peines et le médecin traitant.
S'agissant des dispositions contenues dans le projet de loi tel qu'il nous
revient de l'Assemblée nationale et relatives au suivi socio-judiciaire, les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen y son favorables et ils
espèrent vivement qu'elles contribueront à limiter substantiellement le taux de
récidive en matière de crimes et de délits commis sur des enfants.
En les acceptant, ils estiment contribuer à quelque chose d'important, de très
important.
J'en arrive maintenant aux dispositions du texte qui tendent à renforcer la
protection et la défense des mineurs victimes d'infractions sexuelles.
En instituant ce statut des mineurs victimes, le texte qui nous est proposé
marque une innovation notable dans le droit pénal français.
Tout d'abord, le projet de loi prévoit que les modalités de prescription des
crimes et des délits, prescription qui court depuis 1989 non pas à partir des
faits mais à partir de la majorité de l'enfant, seront étendues aux infractions
commises par toute personne et non plus seulement par les personnes ayant
autorité sur la victime ou par les parents, ce qui élargit les possibilités de
poursuivre les auteurs d'infractions sexuelles.
Par ailleurs, la prescription des délits d'agression ou d'atteintes sexuelles
les plus graves est portée de trois à dix ans, comme pour les crimes. Ainsi, le
mineur victime d'un délit ou d'un crime pourra porter plainte jusqu'à l'âge de
vingt-huit ans, au lieu de vingt et un ans actuellement.
En matière de prescription, il faut se méfier de la confusion entre les délits
et les peines qui pourraient en résulter, ainsi que de la disproportion avec
d'autres crimes qui ne sont pas visés par les règles spécifiques de
prescription.
Le texte pose ensuite en principe l'obligation d'une expertise
médico-psychologique des mineurs victimes, aux fins d'apprécier la nature et
l'importance du préjudice subi ainsi que la nature des soins à dispenser, ce
que nous apprécions positivement.
De plus, le fait que les soins dispensés aux mineurs de moins de quinze ans
victimes soient enfin pris en charge est à saluer.
Toutefois, nous souhaitons étendre cette prise en charge intégrale des soins à
tous les mineurs victimes d'abus sexuels, et non plus seulement aux moins de
quinze ans.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit que les victimes seront représentées
par un administrateur
ad hoc
au cours de la procédure lorsque la
protection de leurs intérêts n'est pas assurée par leurs représentants
légaux.
Cette disposition est d'importance puisque l'on sait que, dans 80 % des cas,
les infractions sexuelles commises sur un mineur sont le fait des parents et
que, par voie de conséquence, les intérêts de l'enfant ne peuvent être défendus
par les parents.
Nous proposons, comme le fait la commission des lois, d'aller plus loin en
permettant de désigner cet administrateur dès le stade de l'enquête.
Nous proposons aussi que le mineur soit assisté d'un avocat dans le cadre
d'une procédure pénale, et ce dès le début de l'enquête. En effet, il serait
anormal que le mineur délinquant bénéficie d'un avocat dès le début de
l'enquête alors que, lorsque le mineur est la victime, il n'en bénéficie
pas.
Ces deux mesures renforceraient légitimement la défense des mineurs dans la
procédure pénale.
Quant aux auditions, le texte prévoit leur enregistrement audiovisuel afin
d'en limiter le nombre et d'éviter ainsi de nombreux traumatismes à l'enfant
quand il doit dire et redire les faits, surtout lorsque ces auditions
surviennent longtemps après les faits, réduisant à néant les effets bénéfiques
des thérapies suivies par les victimes. Il est estimé, en effet, qu'un enfant
victime de violences doit répéter son récit en moyenne près de dix fois, depuis
les premières révélations effectuées auprès de l'instituteur, puis auprès du
directeur de l'école, jusqu'au procès, en passant par l'assistance sociale, les
officiers de police judiciaire de la brigade des mineurs, le médecin légiste,
le juge d'instruction, les éducateurs, l'avocat.
Il est fort regrettable qu'en la matière il n'y ait aucune coordination entre
les services. Il est donc grand temps de prendre en considération la situation
de l'enfant dans la procédure pénale, sans ajouter de traumatismes. C'est en ce
sens que devrait aller la proposition d'enregistrer les auditions.
Toutefois, cet enregistrement audiovisuel soulève d'ores et déjà de nouvelles
et nombreuses questions.
Le projet de loi prévoit que les enregistrements originaux seront placés sous
scellés et que des copies pourront être consultées au cours de la procédure. Il
faut être vigilant quant à l'utilisation de ces copies ! Une seule copie ne
pourrait-elle pas suffire ? Ne pouvons-nous prévoir, comme le préconise la
commission des lois, une transcription sur papier du témoignage de l'enfant
afin d'éviter d'influencer les jurés, l'image étant plus forte que l'écrit ?
Ne faut-il pas envisager, également, la destruction de l'enregistrement et de
la copie à l'issue de l'extinction de l'action publique, pour éviter des
manipulations incontrôlées ou bien encore que ces enregistrements resurgissent
longtemps après, une fois la victime devenue adulte, avec tout ce que cela peut
comporter comme nouveaux traumatismes ?
D'autres questions juridiques demeurent quant à la valeur juridique de la
cassette, son utilisation dans la procédure, sa transmission entre diverses
institutions, son archivage, etc.
Des questions de moyens, auxquelles il faudra répondre, madame le garde des
sceaux, sont aussi soulevées par ces dispositions. En effet, eu égard à la
faiblesse des moyens de la police et de la justice, rares seront les
commissariats et les palais de justice équipés de caméscopes et de
magnétoscopes.
De plus, la mise en place de cette nouvelle technique va nécessiter une
formation des personnes qui entendront les enfants dans ces conditions.
Déjà, à l'heure actuelle, certains policiers qui interrogent les enfants
reçoivent une formation afin d'acquérir les bases nécessaires, car ils ne sont
pas préparés à entendre ce qu'un enfant âgé de trois, huit ou douze ans a à
leur dire. Les efforts doivent donc être poursuivis en la matière.
Bien évidemment, nous apprécions le fait que le mineur soit accompagné par une
personne qualifiée lors de ces auditions et que seules les confrontations des
mineurs strictement nécessaires à la manifestation de la vérité soient
effectuées par le juge d'instruction.
Il est à noter également avec satisfaction que la liaison entre les diverses
instances judiciaires soit mieux assurée.
Par ailleurs, le projet de loi renforce la répression des infractions
sexuelles, les atteintes à la dignité humaine et les infractions mettant en
péril les mineurs.
A l'occasion de l'examen d'un tel texte, la tentation est grande d'alourdir
davantage les peines, déjà revues à la hausse lors de la refonte du code pénal,
alors qu'on a pu constater qu'une répression accrue ne réglait pas tout à elle
seule. Méfions-nous, par conséquent, du tout répressif !
En revanche, il était nécessaire de considérer comme circonstance aggravante
l'utilisation de moyens modernes de communication, tels que le Minitel et
Internet, pour entrer en contact avec la future victime.
De même, il était grand temps de prévoir la répression du « tourisme sexuel »
- quelle horrible expression ! - y compris en dehors de nos frontières.
C'est ainsi que les crimes et délits commis à l'étranger sur des mineurs par
des Français seront sanctionnés, quand bien même ils ne seraient pas incriminés
par la législation du pays où ils auraient été commis.
Est également prévue, à juste titre, la responsabilité pénale des agences de
voyage proposant du « tourisme sexuel ».
Concernant le délit spécial de bizutage, créé par le projet de loi et dont la
commission des lois demande la suppression, je ferai quelques observations.
La récente actualité a mis en évidence des abus préoccupants, lors de séances
de bizutage, qui ont amené le Gouvernement à réagir en rédigeant une circulaire
spécifique, en mettant à disposition un « numéro vert » et, enfin, en créant un
nouveau délit réprimant ces pratiques d'un autre âge.
Nous avons tous été légitimement choqués par ce que nous avons pu entendre et
lire dans la presse sur les détails sordides du déroulement de ces cérémonies
plus que douteuses, aux conséquences dangereuses pour l'individu. Mais faut-il
légiférer en la matière en insérant dans notre code pénal, au demeurant
suffisamment répressif, un nouveau délit, alors que figurent déjà dans ce code
de nombreuses infractions susceptibles d'être retenues pour qualifier certaines
pratiques déplorables de bizutage ? Je pense notamment aux violences,
agressions sexuelles, mise en danger d'autrui, administration de substances
nuisibles, etc.
En l'espèce, dans le cadre d'un nouveau climat de lutte déterminée contre les
pratiques de bizutage, il faut surtout que les autorités compétentes engagent
des poursuites disciplinaires à l'encontre des auteurs de ces faits et que la
loi pénale s'applique.
Nous avons entendu l'intervention de notre excellent collègue Michel
Dreyfus-Schmidt. Comme lui, nous pensons que, au cours de l'examen des articles
et des amendements, nous aurons l'occasion d'y réfléchir encore, de même que
nous reviendrons plus longuement sur certains thèmes.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen accueillent d'ores
et déjà favorablement l'ensemble des mesures proposées et ils espèrent que le
débat pourra les enrichir encore.
Ils comptent également sur l'effectivité des moyens, qu'ils soient financiers
ou en personnels, pour leur bonne mise en oeuvre.
(Applaudissements sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées
socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, M. Jacques
Toubon, alors garde des sceaux, avait déposé, dans un climat chargé d'émotion
dont chacun se souvient, un projet de loi renforçant la prévention et la
répression des infractions sexuelles. Depuis, d'autres affaires ont été
relatées par les médias, toutes aussi dramatiques, toutes aussi scandaleuses,
toutes aussi odieuses pour les victimes et leur famille.
Trop longtemps niée, la réalité de cette violence s'incarne pourtant dans des
chiffres qui donnent toute l'ampleur de ces tragédies : 65 000 enfants en
danger dans notre pays en 1995, c'est autant de vies qui peuvent être brisées ;
5 500 enfants victimes d'abus sexuels, c'est 5 500 innocences détruites.
De plus, si la médecine connaît encore mal les troubles du comportement, les
experts ont établi la certitude qu'il y a un risque élevé de récidive si aucune
prise en charge médicale ou psychothérapique n'est offerte à ceux qui en
souffrent.
Or l'opinion publique a été frappée, dans toutes les affaires qui ont été
relatées par les médias, par le nombre de récidivistes qui y figurent. Le jeu
des réductions et des remises de peine remettant en liberté des auteurs
d'infractions graves sans qu'ils aient été soignés contribue au malaise
ressenti par nos compatriotes.
L'augmentation du nombre des infractions sexuelles, plus particulièrement de
celles qui sont commises sur les mineurs, avait conduit, ainsi que je viens de
le rappeler, le précédent gouvernement à déposer un projet de loi. Je me
réjouis que vous ayez repris le principe de ce projet, mais je déplore qu'avec
le texte que vous nous soumettez vous ne soyez pas en mesure d'atteindre les
objectifs que vous vous êtes fixés, c'est-à-dire la prévention et le
renforcement de la protection des victimes.
En effet, tel qu'il nous a été transmis par l'Assemblée nationale, ce texte ne
met pas les soins médicaux au centre du dispositif et, par là même, n'apporte
pas une réponse adaptée au grave problème de la récidive.
Je regrette que vous ayez combattu, à l'Assemblée nationale, un amendement qui
aurait fait de l'injonction de soins une obligation lorsque l'expertise
médicale établissait que le patient était susceptible de suivre un traitement
médical. Cet amendement apportait une réponse au risque de récidive, risque
qu'il est de notre devoir de réduire au maximum.
Il ne s'agissait pas, d'ailleurs, d'une proposition contraire à notre droit
pénal, puisque l'article L. 132-45 du nouveau code pénal relatif à la mise à
l'épreuve permet d'obliger le condamné à se soumettre à des mesures médicales.
Il en est de même de l'article L. 132-26 sur le régime de semi-liberté. Ce
point étant fondamental, le groupe du RPR déposera un amendement instaurant une
obligation de soins.
En effet, je le répète, comment expliquer à l'opinion publique, aux parents
des victimes, qu'un condamné ne soit pas tenu de se faire soigner dès lors
qu'un expert médical a attesté qu'il était malade et qu'il pouvait faire
l'objet d'un traitement ?
Quelle serait notre responsabilité, mes chers collègues, si nous laissions
cette brèche dans notre législation ?
De même, nous ne pouvons que regretter la faible durée qui est prévue pour le
suivi sociojudiciaire, d'autant que, pour une majorité de médecins, les
délinquants peuvent redevenir aussi dangereux qu'avant dès qu'ils ont arrêté le
traitement. Aussi, je tiens à appuyer la volonté de notre rapporteur de porter
la durée de la peine de suivi socio-judiciaire au maximum à dix ans en cas de
délit et à vingt ans en cas de condamnation pour crime.
Nous ne pouvons également qu'approuver les propositions de la commission
tendant à alourdir les peines prévues en cas d'inobservation du suivi
socio-judiciaire.
En outre, je me réjouis que l'Assemblée nationale ait adopté certains des
amendements de nos collègues de l'opposition qui améliorent ce texte. Il en est
ainsi de la création d'un fichier national des empreintes génétiques des
condamnés pour crimes sexuels, de la suppression de la possibilité pour les
détenus qui suivent un traitement en prison de bénéficier d'une libération
conditionnelle, du fait de soumettre la sortie de l'hôpital psychiatrique des
criminels déclarés pénalement irresponsables à l'avis conforme d'une commission
composée d'un représentant de l'autorité administrative, de deux médecins, dont
un psychiatre, d'un magistrat et d'un médecin traitant.
Par ailleurs, vous me permettrez d'évoquer le dispositif proposé pour les
atteintes à la dignité de la personne commises en milieu scolaire, éducatif ou
sportif.
On peut considérer que ce dispositif est superfétatoire, puisque les
différentes incriminations prévues par le code pénal permettent d'atteindre
toutes les hypothèses visées, notamment la mise en danger d'autrui et les
violences. La Cour de cassation prend d'ailleurs en compte, ainsi que l'a
souligné notre excellent rapporteur M. Jolibois, le « choc émotif » causé par
des violences, même si elles n'ont pas occasionné de dommages directs pour la
victime.
En la circonstance, plus qu'un texte de loi, il faut une volonté de la part
des autorités qui sont investies de pouvoirs disciplinaires et qui ont toujours
la possibilité de saisir le procureur de la République aux fins de
poursuites.
Madame le ministre, le groupe du RPR votera ce projet de loi si les
amendements qu'il juge essentiels sont adoptés.
(Applaudissements sur les
travées du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les
statistiques du ministère de la justice sont alarmantes ; elles montrent en
effet un accroissement particulièrement inquiétant de la délinquance sexuelle,
notamment à l'encontre des mineurs. En dix ans, de 1983 à 1993, ce type de
délinquance a augmenté de 25 %. Par ailleurs, 4 000 personnes ont été
incarcérées pour des infractions aux moeurs, soit 13 % de la population
carcérale.
Pourtant, parallèlement, on assiste à une augmentation constante de la
lourdeur des peines de réclusion criminelle, avec des taux de récidive qui sont
encore alarmants.
Constatant que la répression seule ne suffisait pas, votre prédécesseur,
madame le garde des sceaux, au mois de janvier de cette année, a pris
l'initiative de présenter un projet de loi dont l'objet était de prévenir,
autant que faire ce peut, la récidive des infractions commises par ce qu'il est
convenu d'appeler les « délinquants sexuels ».
Je suis satisfait que vous ayez souhaité reprendre, dans ses grandes lignes,
l'économie de ce projet qui instituait une nouvelle peine pour ce type de
délinquants. Votre prédécesseur l'avait appelée « peine complémentaire de suivi
médico-social » ; vous la qualifiez quant à vous de « peine de suivi
socio-judiciaire », ce que nous approuvons plus volontiers.
Si l'on cherche à soigner les troubles de la personnalité des délinquants
sexuels par un suivi médical durant un certain nombre d'années, il faut savoir
les incertitudes qui existent sur les traitements, sur leur diversité et leur
efficacité ; il faut également savoir l'absence de formation des médecins à ce
type de prise en charge, le manque de psychiatres et de travailleurs sociaux,
ainsi que de juges d'application des peines.
L'application de cette loi, donc de cette peine complémentaire de suivi
socio-judiciaire, se heurtera, par conséquent, à des difficultés de grande
ampleur.
Si le projet de loi emporte globalement mon adhésion, il impose néanmoins de
prévoir des moyens à la mesure des ambitions affichées. La prévention des
délits et crimes sexuels suppose en effet un effort financier de l'Etat. Pour
que cette nouvelle peine puisse avoir des effets positifs très significatifs,
l'Etat devra consentir des dépenses nouvelles.
J'aurais souhaité que l'on se penche d'aussi près sur le sort des enfants qui
ont subi des abus sexuels.
Chez les enfants victimes, le préjudice peut occasionner des troubles de la
personnalité, notamment des déficiences du langage, des incapacités dans le
comportement ou la communication, voire d'importants problèmes psychologiques.
De tels préjudices peuvent engendrer des handicaps longtemps, parfois tout au
long de la vie, et même transformer ces enfants en délinquants potentiels
lorsqu'ils ont été victimes de leurs parents ou de leurs proches.
Si l'on veut s'attaquer à la récidive des délinquants sexuels, il faut
empêcher parallèlement que les victimes, qui ont eu une sexualité perturbée
pendant de trop nombreuses années, ne deviennent elles-mêmes, plus tard, des
délinquants. Il s'agit là d'une forme de récidive qui se transmet par les
victimes.
Le préjudice subi est donc immense pour les enfants victimes. Il l'est aussi
pour les parents, qui, parfois, ne peuvent jamais s'en remettre.
Le projet de loi vise, en instituant la peine de suivi socio-judiciaire, à
tenter de soigner les délinquants, mais il n'évoque en aucun cas le suivi
médical des victimes. Ces dernières ont pourtant subi un traumatisme grave qui
les perturbera peut-être durant toute leur vie.
Vous avez estimé, madame le garde des sceaux, lors de l'examen de l'article 21
en première lecture à l'Assemblée nationale que la prise en charge à 100 % des
soins dispensés à tout mineur victime d'une infraction sexuelle, quel que soit
son âge, ainsi qu'aux parents et, éventuellement, aux frères et soeurs des
victimes, posait un problème de recevabilité financière. Cette réponse est
profondément regrettable.
Si la question de la recevabilité financière ne se pose pas pour soigner les
délinquants, elle doit encore moins se poser pour les victimes, surtout
lorsqu'une mère a perdu son enfant et que celui-ci a subi d'atroces sévices
sexuels avant d'être assasiné.
S'il est justifié que la collectivité protège ses enfants, il est tout aussi
justifié qu'elle contribue à les soigner et à les aider à s'épanouir, voire à
se réinsérer dans la société lorsqu'ils ont subi un traumatisme grave pouvant
les laisser sur le bord de la route, avec de graves problèmes psychologiques
qui deviendront le lourd fardeau de toute une vie.
Sur ce sujet-là, vous n'êtes pas laxiste, madame le ministre, et aucun d'entre
nous ne doit l'être.
Les délits et atteintes sexuelles contre les mineurs, particulièrement contre
les enfants, sont les plus odieux, les plus intolérables, les plus
insoutenables. Ne lésinons pas sur les moyens, y compris sur les moyens
financiers, pour les empêcher. C'est aussi l'avenir de notre société qui est en
jeu.
J'aurais souhaité que Mme le ministre chargé de la santé soit présente
aujourd'hui à vos côtés, madame le garde des sceaux, car elle est également
concernée par ce texte.
J'aimerais attirer votre attention, au vu des témoignages des services de PMI,
sur la situation intolérable qui suit le processus de signalement. Il peut, en
effet, se passer plusieurs mois avant que des mesures de protection ne soient
prises. Le travailleur social est dépositaire de l'information, sans moyen
d'action, et la famille n'est pas toujours informée de la procédure en cours ;
des dégâts physiques et psychologiques considérables peuvent ainsi se
poursuivre.
Un père incarcéré pour sévices est un agresseur ; mais sa famille, quant à
elle, nécessite un soutien spécifique : la mère est en position difficile et
les enfants deviennent des victimes de proximité.
L'ensemble de la famille nécessite une prise en charge thérapeutique. Celle-ci
ne doit pas se limiter aux enfants et aux adolescents. Chez l'adulte aussi, des
soins psychothérapiques seront longtemps nécessaires ; or il s'agit de soins
coûteux.
J'aimerais que vous attachiez un intérêt particulier aux structures
accueillant des enfants, en plus des institutions classiques d'hébergement. Les
centres de loisirs recrutent un encadrement de faible compétence, permettant la
promiscuité entre des personnalités qui peuvent être perverses et les enfants.
La vigilance du ministère de la jeunesse et des sports doit être exacerbée,
sans que soit remis en cause ce type d'activités, qui est par ailleurs fort
utile.
Le placement des enfants en familles d'accueil impose également aux services
départementaux de la protection de l'enfance la nécessité d'organiser une
formation pointue des travailleurs sociaux. Malheureusement, des familles
peuvent créer des situations à risques alors que la majorité d'entre elles,
bien sûr, font preuve de dévouement.
Le projet de loi voté par l'Assemblée nationale, qui crée un statut du mineur
victime, marque néanmoins une avancée.
Je ne peux ainsi qu'approuver la désignation d'un mandataire
ad hoc
chargé de représenter l'enfant au cours de la procédure.
Lorsque la défense des intérêts de l'enfant ne peut être assurée par ses
représentants légaux, un mandataire est choisi soit parmi les proches de
l'enfant, soit sur une liste de personnalités présentées par les associations
agréées pour la défense de l'enfance.
Pour conclure mon propos, madame le garde des sceaux, je voudrais exprimer ma
satisfaction de voir la pratique du bizutage enfin reconnue comme un délit.
C'est en effet la seule solution que l'on ait trouvée pour y mettre un terme
une bonne fois pour toutes.
Je tiens à saluer particulièrement le courage et la détermination de Mme Royal
sur ce sujet.
Il faut briser la loi du silence et faire évoluer les mentalités. En effet, là
aussi, trop d'adolescents ou d'adolescentes souffrent, et la mise en service du
numéro vert l'a bien prouvé. Là aussi, les traumatismes peuvent être graves
pour des jeunes garçons et des jeunes filles timides et complexés qui subissent
brimades et humiliations devant toute une classe.
De nombreux jeunes renoncent même à s'inscrire dans certaines grandes écoles
en raison des coutumes qui y prévalent à l'égard des bizuts.
Il faut absolument bannir cette violence morale et physique, qui peut aller
jusqu'à la perversion, et qui est incompatible avec les valeurs mêmes de
l'éducation.
Dans son « Bloc-Notes » du
Figaro littéraire
, François Mauriac écrivait
déjà, faisant référence à des incidents survenus dans plusieurs établissements,
en 1963, que « le sadisme apparaît à l'oeil nu dans ces sortes de plaisirs que
se donne à elle-même la jeunesse ».
Il est par ailleurs scandaleux d'entendre, à notre époque, un président de la
société des anciens élèves d'une grande école affirmer que « le but des
traditions est de créer une homogénéisation des comportements à l'arrivée et de
limiter les écarts de caractères ».
Il ne s'agit pas de provoquer un retour de balancier vers la pudibonderie et
l'émotivité exacerbée. Les rites ne peuvent s'inscrire que dans une société
tribale où l'initiation est un passage structurant. Le bizutage peut
disparaître, comme cela est le cas dans certaines universités, en faveur de la
fête. Il ne concerne en rien le respect des traditions.
L'esprit même de cette pratique est malsain et il n'est que temps d'en
réprimer les excès. Aux chefs d'établissement de faire leur devoir, en leur âme
et conscience. Mais en ont-ils tous la volonté ? Cette pratique du bizutage
dans de nombreux établissements est pour nous scandaleuse et peut être
assimilée, dans de trop nombreux cas, à des sévices sexuels.
Une nouvelle loi aura, sans doute, un effet psychologique sur les chefs
d'établissement qui ont fermé les yeux trop longtemps. Le danger, c'est que le
bizutage souterrain s'organise, y compris en dehors des établissements et, sur
ce point, il faudra être vigilant.
Madame le garde ses sceaux, le choix de retenir ce projet de loi dans vos
priorités éclaire votre sensibilité pour des souffrances souvent
insurmontables.
Il serait indécent que des excès de verbe, d'indignation ou de haine,
s'élèvent de cette tribune.
Vous avez le souci du traitement socio-judiciaire de ces actes de barbarie.
Nous souhaiterions que les victimes restent au centre de vos préoccupations.
Leurs cris étouffés, leurs blessures sans cicatrices sont, ce jour,
particulièrement en évidence.
Notre accompagnement juridique, social et politique ne sera jamais à la
hauteur. Il nous faut faire acte de prévention et de suivi, avec tenacité et
rigueur.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR, ainsi que
sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Revol.
M. Henri Revol.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il est
des sujets graves qui nécessitent une mobilisation unanime, un débat
constructif et un consensus des acteurs de la vie politique, au-delà de tout
clivage idéologique. Tel est le cas aujourd'hui.
Le projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions
sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs victimes reprend, dans une large
mesure, le projet de loi présenté au mois de janvier 1997 par le gouvernement
d'Alain Juppé.
L'ambition de ce texte est grande mais l'enjeu est considérable. Les
infractions sexuelles sont des actes inqualifiables, humainement
insupportables. Par conséquent, aucune mesure pour les éviter ne peut être
négligée et écartée. Je suis convaincu que les travaux de la Haute Assemblée
traduiront ce souci commun de lutter contre ces abominables agissements et d'en
réparer au mieux les désastreuses conséquences. Sur les dispositions proposées,
je suivrai donc les propositions des rapporteurs.
Ce n'est pas sur le corps du texte que je développerai mon intervention ;
c'est sur un greffon, un appendice, à vrai dire subrepticement introduit sous
la forme de l'article 10 du projet de loi, tendant à créer un délit de
bizutage, que plusieurs orateurs avant moi ont évoqué.
Un professeur corrigeant une dissertation annoterait en marge : « hors sujet »
ou : « redondant avec le code pénal ».
Il n'est pas nécessaire, je pense, d'énumérer les articles du code pénal qui
permettent de sanctionner les abus et les éventuelles formes répréhensibles de
ces pratiques initiatiques et folkloriques appelées généralement « bizutage
».
Mon éminent collègue Charles Jolibois en a largement fait mention dans son
excellent rapport.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Merci !
M. Henri Revol.
L'avis du Conseil d'Etat rendu en août dernier sur le sujet va dans le même
sens. Ainsi a-t-il estimé que « l'objectif poursuivi » par l'article 10 du
projet de loi « devrait pouvoir être atteint en engageant des poursuites contre
les bizuteurs et non pas en créant une nouvelle incrimination difficile à
appliquer par le juge pénal ».
Enfin, est-il besoin d'évoquer l'arsenal juridique qui existe depuis 1928 et
qui interdit le bizutage ? Malgré les sanctions envisagées par divers textes de
1944, 1954, 1962, 1992 et 1993, cette tradition, en vigueur depuis des
décennies, persiste.
Il faut bien noter que les débordements sont rares et que, dans la très grande
majorité des cas, il s'agit de manifestations sympathiques marquant l'arrivée
de nouveaux élèves dans une communauté d'études spécialisées couronnant un
cursus scolaire secondaire, qui dirigera les élèves vers l'une des grandes
professions de notre société contemporaine.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire, dont
j'espérais la présence cet après-midi, à vos côtés, madame le garde des sceaux,
a voulu depuis longtemps éradiquer toutes ces pratiques dans les universités et
dans les grandes écoles. Elle s'est réjouie de la collaboration de son
administration avec les services du ministère de la justice pour aboutir à
l'introduction de cet article 10 dans le projet de loi.
Afin d'en justifier l'importance et pour éviter qu'il ne passe inaperçu, Mme
Royal a abondamment cité dans les médias, mais aussi à la tribune de
l'Assemblée nationale, un certain nombre de cas répréhensibles signalés par des
témoignages téléphoniques - grâce au numéro vert - ou écrits. Il semble que,
dans ces citations, aient été particulièrement désignées, en faisant l'amalgame
avec le bizutage, les « traditions » pratiquées dans les divers centres de
l'Ecole nationale supérieure d'arts et métiers, l'ENSAM.
Mme le ministre Ségolène Royal a notamment porté une grave accusation contre
l'ENSAM lors de son intervention à l'Assemblée nationale le 30 septembre
dernier, en citant la lettre d'une institutrice dénonçant les sévices qu'aurait
endurés son fils entré au centre de Lille en 1981 et qui seraient, d'après
elle, responsables de la dépression et, plus tard, du décès par overdose de ce
jeune homme.
Cette citation d'une accusation sans preuve est un fait extrêmement grave, que
l'ENSAM serait en droit de poursuivre devant les tribunaux. Je m'étonne qu'un
ministre de la République puisse utiliser à son profit les mêmes méthodes
d'accusation sans preuves que celles de journalistes sans scrupule, tels ceux
que nous avons vus récemment à l'oeuvre dans la mise en cause d'anciens
ministres.
D'après les renseignements que j'ai recueillis à bonne source, la réalité
serait tout autre que celle qui a été relatée par cette institutrice, dont je
comprends certes la douleur, mais que, justement, cette douleur a égarée.
Il en va de même, madame Dusseau, des faits auxquels vous avez fait allusion
et qui concernaient des élèves allemands du centre franco-allemand de l'ENSAM
de Metz. Je vous invite à affectuer vous-même une vérification, ce que j'ai
fait. La relation produite par les médias est sans fondement.
Sur les instructions du ministre de l'éducation nationale, M. Allègre, sur la
foi de prétendues plaintes d'élèves ou de parents, le directeur général de
l'ENSAM a fait fermer deux centres, celui de Lille et celui de Cluny, à compter
du 14 octobre dernier. Cette mesure arbitraire, qui frappe les élèves
ingénieurs de première et de deuxième année, porte un grave préjudice à ces
jeunes gens en interrompant leur formation et en faisant peser sur eux une
suspicion inadmissible.
En effet, malgré les demandes réitérées de la Société des anciens élèves à la
direction générale de l'école pour obtenir copie des prétendues plaintes et du
rapport des inspecteurs généraux qui ont visité les centres concernés, aucune
communication de ces documents n'a pu être obtenue.
Devant cette situation, le 23 octobre dernier, 2 500 élèves de l'ENSAM, sont
venus de tous les centres pour manifester devant l'hôtel Matignon, sans
d'ailleurs, notons-le bien au passage, que la moindre mention de cet événement
n'ait été faite dans les médias pourtant habituellement si empressés à nous
montrer divers groupes de quelques dizaines d'individus pancartes à la main.
D'après ce que m'ont rapporté des témoins, à l'issue de cette manifestation,
un protocole d'accord a été signé entre les représentants des élèves et la
direction générale de l'ENSAM, représentée par son directeur général adjoint.
Hélas ! dès le lendemain, le directeur général remettait en cause cet accord,
une situation de blocage de plus en plus intolérable s'ensuivant.
Gadz'arts moi-même, et fier de l'être, je vous demande solennellement, madame
le garde des sceaux, d'intervenir auprès de votre collègue M. Allègre afin
qu'il donne toutes instructions pour une réouverture immédiate des centres de
Lille et de Cluny de l'ENSAM, cela sans conditions, pour que le calme revienne
et que la formation des élèves ingénieurs se poursuive normalement.
On peut s'interroger sur les motivations de Mme Ségolène Royal lorsqu'elle
fait de l'ENSAM la cible de ses attaques contre le bizutage, quand on sait que,
depuis longtemps, la communauté Arts et métiers a su parfaitement organiser
l'intégration des nouveaux élèves. Je vous invite, monsieur Lorrain, à venir,
en ma présence si vous le souhaitez, visiter ces établissements.
M. François Autain.
A Lille !
(Sourires.)
M. Henri Revol.
Vous verrez que l'intégration des nouveaux élèves se fait à l'occasion de
traditions qui, en quelques semaines, créent des promotions solidaires,
capables ensuite de se réaliser dans des activités collectives pratiquées avec
une efficience d'ailleurs étonnante, dans des domaines qui incluent aussi bien
la promotion de la technologie que des activités humanitaires : ingénieur sans
frontières, opérations « gazole » pour Gadz'arts solidaires, missions d'aide
aux classes primaires défavorisées et beaucoup d'autres actions.
Cette activité d'intégration, dont il faut souligner qu'elle est librement
consentie, n'est pas figée ; au contraire, elle est suivie et contrôlée. Le
conseil d'administration de l'école a mis en place un observatoire des
traditions dans chaque centre, observatoire qui regroupe tous les partenaires :
direction, professeurs, personnels non enseignants, élèves, anciens élèves et
personnalités extérieures.
On peut s'interroger encore plus sur la hargne avouée de Mme Ségolène Royal
contre la société des anciens élèves de l'ENSAM, laquelle regroupe 27 000
membres. Cette association est l'héritière d'une culture qui agrège ses membres
autour de valeurs relatives à la compétence professionnelle : sens du concret,
de la réalisation, de l'innovation et de valeurs humaines ; sens de l'équipe,
respect d'autrui, capacité d'écoute, tolérance, don de soi, solidarité,
éthique, engagement collectif.
Les adhérents de la société constituent un tissu industriel inestimable pour
la connexion de l'école avec la réalité économique. Pour preuve de l'adaptation
de l'école aux besoins de notre économie, faut-il préciser que le taux de
chômage des ingénieurs qui en sont issus est le plus faible de la profession
?
M. François Autain.
Il s'est trompé de débat !
M. Henri Revol.
La société des anciens élèves de l'ENSAM a de tout temps eu un rôle novateur.
Elle a inventé la formation internationale des Gadz'arts en jouant un rôle
déterminant dans la création à Bordeaux d'un cursus franco-ibérique et dans la
création à Metz d'un cursus franco-allemand.
Madame le garde des sceaux, comme vous, comme nous tous, je dénonce les excès
qui, de temps en temps, peuvent se produire dans les pratiques dénommées
bizutage. Comme vous, je souhaite que les auteurs en soient punis. Mais
appliquons la loi : elle existe !
Et, de grâce, ne généralisons pas, ne faisons pas l'amalgame entre les
pratiques répréhensibles et les processus d'intégration parfaitement encadrés
et librement acceptés ! De grâce, aidez à mettre fin à ce faux procès contre
l'ENSAM. Cette grande école doit retrouver la paix et la sérénité.
Il n'est pas inutile de rappeler que le recrutement, dans cette école, s'est
toujours pratiqué majoritairement dans les couches populaires de la nation, et
que cette école, nul ne le conteste, est un instrument irremplaçable de
promotion sociale dans l'enseignement technique supérieur.
Dans la mesure où l'arsenal législatif pour lutter contre les excès du
bizutage existe déjà dans notre droit, je me félicite, mes chers collègues, que
notre commission des lois propose la suppression de l'article 10 du projet de
loi.
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer, j'espère que notre Haute
Assemblée aura la sagesse de suivre cet avis.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et des
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que
nous examinons aujourd'hui est particulièrement important, car il aborde un
sujet sensible par ses implications familiales et sociales souvent dramatiques,
et un sujet encore trop souvent occulté puisque, comme vous l'avez rappelé,
madame la ministre, dans votre déclaration liminaire, le nombre de personnes
victimes de violences sexuelles a toujours tendance à être sous-estimé.
L'ampleur et la gravité de ce problème ont été tragiquement illustrées en
Belgique et, plus récemment, en France, avec la mise en évidence de réseaux
d'exploitation sexuelle.
Depuis ces événements, il semble que le silence social qui pesait sur un grand
nombre de violences sexuelles soit en train de se rompre. Des victimes,
jusqu'alors murées dans leur secret, ont pu enfin retrouver la parole.
Répondant à une forte attente de l'opinion publique, ce projet de loi comprend
un grand nombre de novations en ce qui concerne tant la prévention et la
répression des infractions sexuelles que la protection des victimes. Votre
texte, madame la ministre, constitue une réelle avancée dans la répression des
violences sexuelles et propose un arsenal législatif spécialement adapté aux
mineurs. Le groupe socialiste ne peut que s'en féliciter.
Avec l'instauration d'un « suivi socio-judiciaire », assorti d'une injonction
de soins, les agresseurs d'enfants pourront désormais être soumis à de
nouvelles interdictions visant à leur éviter le contact avec les mineurs dans
leurs activités professionnelles, bénévoles ou de loisir. Compte tenu du risque
toujours possible de récidive, cette disposition est particulièrement
opportune.
Nous devons vous féliciter, madame la ministre, d'avoir écarté l'obligation de
soins que prévoyait le texte initial, rendu caduc par la dissolution de
l'Assemblée nationale, car il est établi qu'on ne peut soigner, avec quelque
chance de succès, que les personnes qui le souhaitent. La réussite de ce type
de traitement requiert, en effet, la coopération et la participation active du
patient.
Mais il ne convient pas pour autant, comme l'indique une étude récente,
d'attendre une demande de soins psychiques. Encore faut-il savoir
impérativement la susciter.
Parallèlement, l'arsenal répressif s'est étoffé.
Quatre nouvelles dispositions ont retenu mon attention.
Premièrement, les peines encourues pour les « atteintes sexuelles sur mineurs
commises sans violence » sont portées de deux à cinq ans et de 200 000 à 500
000 francs, plus encore en cas de circonstances aggravantes. Un article précise
par ailleurs que l'utilisation des réseaux de communication constitue une
circonstance aggravante.
Un délit sur le bizutage est créé.
Certes, le bizutage, notamment dans les dérives auxquelles il donne lieu, peut
constituer une atteinte à la dignité de la personne, car il comporte de
multiples humiliations et, malheureusement, parfois aussi des agressions à
caractère sexuel.
Cependant, il semble bien que la création de ce délit puisse donner lieu à des
interprétations diverses puisque certains juristes l'estiment redondant, voire
inutile.
Pour ma part, son maintien ne me gênerait pas outre mesure, d'autant que, sur
l'initiative de mon collègue et ami Michel Dreyfus-Schmidt, le groupe
socialiste proposera une disposition alternative qui, je l'espère, pourra
rallier la majorité de notre Haute Assemblée.
A défaut, il faudrait à tout le moins, à l'avenir, poursuivre la campagne
anti-bizutage engagée cette année par Mme le ministre délégué chargé de
l'enseignement scolaire, campagne dont l'efficacité ne me semble pas pouvoir
être mise en doute.
L'article 14 complète les dispositions concernant le tourisme sexuel. En
effet, un trop grand nombre de Français et de personnes résidant en France,
auteurs de déli ou de crimes à caractère sexuel perpétrés à l'étranger contre
des mineurs, se trouvaient encore protégés des lois françaises. Désormais, ce
ne sera plus le cas. Ainsi pourront être identifiés des hommes qui commettent
peut-être le même type de délits sur notre territoire.
L'article 7 améliore la définition du harcèlement sexuel en faisant référence
à des « pressions de toute nature » et non plus seulement à l'utilisation «
d'ordres, de menaces ou de contraintes ». Cette disposition met en concordance
le code pénal avec le code du travail, puisque ce dernier inclut déjà les «
pressions de toute nature ». Il rend plus cohérent l'ensemble de la législation
en matière de harcèlement sexuel.
Mais la principale innovation de ce texte réside dans la mise en place d'un
véritable droit des victimes mineures.
Le report des délais de prescription pour les crimes et délits commis par
quelque personne que ce soit en est l'un des points forts. Le nouveau délai
commencera à courir à compter de la majorité de la victime et non plus de la
date des faits. La loi de 1989, complétée en 1995, avait déjà instauré ce
délai, mais uniquement pour les violences sexuelles perpétrées par des
ascendants ou des personnes ayant autorité. Grâce à ce projet, le report à la
majorité sera de mise pour toute agression sexuelle commise par quiconque, que
ce soit un frère, un voisin, un oncle, un cousin... Nous savons très bien que
les victimes ont beaucoup de difficulté à parler, tant le silence qui entoure
le viol est prégnant. La honte et la culpabilité enferment les enfants dans le
mutisme. Les refoulements sont très fréquents, les souvenirs ne réapparaissant
parfois que des années après. Compte tenu de la gravité des faits et des
récidives possibles, ce nouveau report de prescription est pleinement
justifié.
La motivation des classements sans suite est aussi l'un des aspects importants
de ce nouveau droit des enfants victimes. Les affaires d'agressions sexuelles
sont complexes à traiter, puisque rares sont les preuves tangibles, surtout
lorsqu'il s'agit d'enfants ; l'autorité est l'arme essentielle qui paralyse
sans laisser aucune trace. C'est ainsi que de nombreux dossiers sont classés
sans suite. La demande de motivation devrait donc permettre à la fois d'éviter
des classements hâtifs et de donner une explication à la victime et à sa
famille.
L'avertissement du procureur envers la victime devra dorénavant être précisé
par écrit. Dans la pratique, les procureurs attendent que les victimes se
manifestent pour les informer du classement sans suite de leur plainte. La
moindre des choses n'est-elle pas de les avertir de la suite de l'affaire
qu'elles ont portée en justice ? Cette disposition met fin à une situation qui
ne prenait pas suffisamment en compte l'intérêt des victimes.
La prise en charge à 100 % des soins des enfants victimes est aussi une mesure
indéniablement positive. Les conséquences psychologiques sont telles que
l'enfant doit, très souvent, suivre une psychothérapie ou un traitement
médicamenteux. La société se doit de prendre en charge ces divers soins : il
s'agit là d'une mesure de justice sociale.
On peut toutefois se demander s'il revient bien à la sécurité sociale de
supporter cette nouvelle dépense. C'est pourquoi, madame la ministre, le groupe
socialiste se montre tout à fait solidaire de votre projet.
Il convient néanmoins d'émettre quelques observations. C'est ce que je ferai
maintenant.
Je regrette tout d'abord que ce projet de loi n'ait pas mieux pris en compte
la protection des victimes adultes. N'oublions pas que plus de la moitié des
victimes d'agressions sexuelles sont adultes et que 90 % d'entre elles sont des
femmes. Les magistrats comme l'opinion publique sont, aujourd'hui plus que
jamais, davantage sensibilisées aux agressions commises sur les enfants que sur
celles commises sur les adultes. Le nombre respectif de condamnations l'atteste
: les violeurs d'adultes sont environ quinze fois moins condamnés que les
violeurs d'enfants.
L'affaire belge a suscité de nombreuses initiatives législatives dans toute
l'Europe, ainsi qu'un fort mouvement d'opinion en faveur de l'enfance
maltraitée. Voilà qui est bien légitime : l'inquiétude, l'intérêt et la
vigilance à l'égard de toutes les violences sexuelles contre les enfants ne
doit en aucun cas faiblir. Néanmoins, est-il nécessaire de distinguer de façon
aussi nette, comme on le fait souvent, tant dans les discours que dans les
textes législatifs, les enfants des adultes ? On invoque avec raison «
l'innocence » et la « faiblesse » des enfants. Mais faut-il pour autant
considérer que le cas des adultes est moins grave ? Certains seraient tentés de
le penser au motif qu'ils sont capables de se défendre. Pourtant, leur parole
est-elle réellement plus suspecte, leur douleur moins digne d'intérêt ? Je me
garderai, bien entendu, de répondre à cette question délicate et difficile.
Faut-il rappeler que les traumatismes du viol sont multiples et complexes ? La
façon dont une victime peut vivre, ou plutôt tenter de revivre après un viol
dépend d'un grand nombre de facteurs.
L'agression sexuelle est d'abord un acte de domination et d'humiliation dont
la sexualité est le vecteur ; touchant à l'intimité de l'individu, elle est la
plus destructrice.
Les conséquences psychologiques sur les victimes ne touchent pas qu'à la
sexualité, loin de là : dévalorisation de soi, culpabilité, honte,
somatisations diverses, cauchemars, phobies, anorexie, boulimie, etc... ; tel
est le lot de celles et de ceux qui sont victimes d'agressions sexuelles. La
prise en compte juridique, l'écoute de l'entourage sont autant de facteurs qui
influent sur la reconstruction psychologique souvent lente de la victime.
Au regard de toutes ces considérations, peut-on affirmer sans risque de se
tromper qu'une agression dans l'enfance aura des conséquences plus graves qu'un
viol à l'âge adulte ? Je n'en sais rien. L'expérience du collectif contre le
viol, qui s'occupe à la fois des enfants et des adultes victimes - ces
dernières étant, rappelons-le, majoritairement des femmes - semble montrer que
la réponse est loin d'être évidente.
Mais ne faisons pas de comparaisons vaines et inutiles ... Considérons
simplement que les victimes adultes vivent, elles aussi, des douleurs
insoutenables, des traumatismes de toute nature. Elles ne peuvent être les
oubliées d'un texte sur les violences sexuelles.
Les mesures que vous nous soumettez sont positives, madame la ministre ; mais
pourquoi en limiter le bénéfice aux seuls mineurs ? Il était bien sûr important
de mettre en place certaines dispositions spécifiques, comme la nomination d'un
administrateur
ad hoc
ou l'aggravation des peines encourues par les
agresseurs d'enfants ; mais bien d'autres mesures pourraient concerner aussi
les victimes adultes : je pense, par exemple, à la motivation des classements
sans suite ou encore au remboursement intégral des soins. Mais nous reviendrons
sur ces points lors de la discussion des amendements.
Par ailleurs, ce texte soulève un certain nombre d'interrogations qui restent
aujourd'hui sans réponse.
Pourquoi des hommes se livrent-ils à des agressions sexuelles ? Telle est la
question centrale qui laisse perplexes à la fois l'opinion publique et les
spécialistes. Une réponse unique n'est en aucun cas satisfaisante. Par
ailleurs, l'expérience québécoise montre qu'il faut rester prudent sur l'issue
des thérapies, quelles qu'elles soient. Les psychiatres et les acteurs sociaux
s'accordent pour affirmer qu'il y a plusieurs types de violeurs et qu'ils ne
sont pas tous des malades mentaux.
Les psychiatres se sont élevés, en temps utile, contre une peine de thérapie
obligatoire. En effet, je le répète, on ne peut soigner les agresseurs que
s'ils le souhaitent et que s'ils reconnaissent que leur état est dangereux.
Mais, pour les autres, qu'en est-il ? Les psychiatres ne nous proposent pas
véritablement de réponse satisfaisante. Alors, que faire ?
Peut-être - c'est une suggestion que je vous fais, madame la ministre - le
Gouvernement pourrait-il prendre l'initiative de créer un pôle de recherche sur
cette question. Il comprendrait, outre des thérapeutes, différents acteurs
sociaux : des criminologues, des sociologues, des représentants des
associations de victimes, des juristes. Ce groupe de recherche, par son
caractère pluridisciplinaire, serait peut-être mieux à même d'appréhender la
complexité et la diversité des agressions sexuelles et de leurs auteurs qu'un
praticien, si compétent soit-il, exerçant dans l'isolement.
Ces recherches pourraient d'ailleurs contribuer à faciliter l'élaboration des
politiques de prévention. Vous avez déjà, madame la ministre, en collaboration
avec Mme la ministre déléguée à l'enseignement scolaire, oeuvré avec beaucoup
d'opportunité dans ce domaine, et ce dès votre arrivée. La circulaire d'août,
la mise en place du numéro vert SOS-bizutage et vos diverses interventions
publiques sont autant de mesures positives qui semblent avoir déjà porté leurs
fruits. Il faut s'en réjouir. Le Gouvernement doit poursuivre ses efforts dans
ce sens. Mais ne pourrions-nous pas généraliser ces campagnes de
sensibilisation et de prévention à toutes les violences sexuelles, qu'elles
soient perpétrées sur les enfants ou sur les adultes ?
En ce qui concerne maintenant la formation des divers acteurs amenés à
rencontrer les victimes lors de la procédure, des programmes de formation
existent déjà et ont permis une nette amélioration. Je pense notamment à
l'accueil des victimes dans les commissariats. Cependant, il reste beaucoup à
faire, tant certains préjugés persistent dans l'esprit des hommes et des femmes
qui, dans l'exercice de leurs fonctions, doivent pouvoir mieux prendre en
compte la détresse des victimes.
Il conviendrait, par exemple, de considérer avec plus de sérieux les
dépositions de personnes handicapées mentales, dont on sait qu'elles sont
particulièrement exposées à ce genre de sévices. Il conviendrait également
d'améliorer encore la qualité des interrogatoires, tant le dialogue avec les
victimes est délicat : une déposition pour viol ne saurait être reçue dans les
mêmes conditions qu'une plainte pour cambriolage.
Ces efforts de sensibilisation au caractère spécifique des violences sexuelles
doivent aussi concerner les juges. En prenant mieux en compte la lourdeur de la
procédure pour les victimes, ils devraient tendre à réduire au strict
nécessaire les actes de procédure.
Enfin, les formations doivent aussi concerner le personnel des services
d'urgences médico-judiciaires ainsi que les experts psychiatres chargés
d'examiner les victimes.
J'évoquerai maintenant la prise en charge des agressions sexuelles, qui nous
semble importante pour plusieurs raisons : d'abord, parce que nous sommes
garants des libertés de chacun de nos concitoyens et de leur protection ;
ensuite, parce que c'est un devoir de solidarité envers la détresse et le
désarroi des victimes et de leur famille ; enfin, dans une moindre mesure,
parce que ces agressions coûtent très cher à la collectivité. Evoquons
simplement le prix des internements des condamnés, le coût que représentent,
pour la collectivité, les conséquences psychopathologiques supportées par les
victimes et leur famille, les éventuels arrêts de travail. Ces coûts sont
élevés et c'est toute la société qui les assument. C'est pourquoi s'investir et
investir dans une véritable politique de prévention peut représenter à terme un
réel bénéfice pour la société tout entière.
Il est devenu nécessaire et urgent de prendre en compte cette attente sociale,
ne serait-ce que pour éviter qu'elle ne donne lieu, comme dans l'affaire de
Boulogne-sur-Mer, par exemple, à des récupérations politiques dont on sait à
qui elles profitent et ce qu'elles dissimulent.
En ce sens, votre projet de loi, madame la ministre, nous semble être une
réponse adaptée et conforme aux valeurs de nos sociétés démocratiques. Voilà
qui devrait contribuer à faire évoluer les mentalités. C'est pourquoi, madame
la ministre - ai-je besoin de vous le dire ? - le groupe socialiste votera
votre texte.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Dusseau applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues,
intervenant le dernier dans la discussion générale, je serai bref, les
précédents orateurs ayant déjà abordé de nombreux points.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des dispositions du projet de loi,
excellement présentées par MM. Jolibois et Bimbenet. Je me bornerai à apporter
quelques compléments.
Je m'attarderai un peu sur l'aspect juridique du problème, l'aspect social
ayant été largement développé par un certain nombre de nos collègues.
Devant l'augmentation inquiétante du nombre d'infractions sexuelles qui
concernent surtout les mineurs, il était nécessaire de légiférer, et cela
d'autant plus que les médias relatent volontiers ces cas horribles, en s'y
attardant souvent plusieurs semaines.
Ainsi, madame le garde des sceaux, vous avez été conduits, votre prédécesseur
et vous-même, à revoir la législation dans ce domaine.
Il faut rappeler que l'aggravation des peines requises contre la délinquance
et la criminalité sexuelle avait été prévue lors de la réforme du code pénal.
Ceux qui ont participé à son élaboration s'en souviennent.
La loi du 1er février 1994, qui a prévu une peine incompressible pour les
crimes les plus graves, allait dans le même sens. Il était apparu que certains
criminels devaient subir une peine incompressible en raison de leur
dangerosité.
J'ai noté que le titre du projet de loi tel qu'il a été adopté par l'Assemblée
nationale ne correspond pas tout à fait à son contenu. Il s'agit non pas de
prévention des crimes et délits sexuels, mais de prévention de la récidive. Par
ailleurs, est mentionnée la protection des mineurs victimes, mais c'est de la
protection des mineurs en général qu'il est question.
Pour répondre à ces objectifs, il est envisagé une nouvelle catégorie de
peines ou de modes d'exécution de la peine : le suivi sociojudiciaire.
Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale a écrit dans son
rapport que c'est une mesure
sui generis,
qui emprunte à la fois au
sursis avec mise à l'épreuve, à la libération conditionnelle et au contrôle
judiciaire. C'est dire que, pour définir les contours exacts de ce suivi
sociojudiciaire et pour créer des outils juridiques nécessaires, à sa mise en
oeuvre, il faut créer ou modifier pas moins de cinquante articles du code pénal
ou du code de procédure pénale, ce qui démontre la difficulté de la tâche.
Avant tout commentaire sur le contenu de cette nouvelle peine, il faut
apprécier la pertinence de la solution proposée, solution qu'un certain nombre
de pays ont tenté de mettre en oeuvre ou se proposent de mettre en oeuvre.
La plus ancienne expérience, menée au Canada, semble ne pas avoir vraiment
diminué la récidive. De nombreux experts ont noté que les auteurs d'infraction
sexuelle nient souvent leur responsabilité et utilisent tous les moyens pour
éviter la prison en cherchant à manipuler les procédures de soins et
d'assistance. Il est donc nécessaire de prendre des précautions pour que ces
mesures aient une réelle efficacité ; je crois que le projet de loi y
parvient.
Le suivi socio-judiciaire est bien présenté comme une peine complémentaire :
on parle de personnes condamnées. Cependant, on peut douter de sa nature
juridique lorsqu'on lit dans le projet de loi qu'il comprend également des
mesures « d'assistance destinées à prévenir la récidive ». Que l'assistance
devienne une peine, voilà qui est très intéressant !
En effet, il existe de vraies peines complémentaires : l'interdiction
d'exercer certaines professions ou l'interdiction de fréquenter certains lieux
ou milieux.
Les interrogations concernant la durée du suivi socio-judiciaire sont
également révélatrices du caractère hybride de cette mesure. Puisqu'il s'agit
d'une peine, cette durée est, bien entendu, fixée lors de la condamnation. Or,
parfois, elle ne s'appliquera que dix ans plus tard, ou vingt ans plus tard si
les propositions de la commission des lois sont adoptées. Certes, le juge
d'application des peines peut moduler cette durée, mais l'ambiguïté demeure
entre la notion de suivi et celle de peine.
Par ailleurs, le suivi socio-judiciaire peut même être une peine principale,
ou une alternative à l'incarcération - solution qui me paraît préférable -, ce
qui pose un vrai problème puisque, dans ce cas, l'injonction de soins semble
devoir s'imposer. Or, on le sait, on ne peut forcer quelqu'un à se soigner. Il
faut donc souhaiter que l'appréciation de la volonté du condamné de se
réinsérer socialement soit réelle et vérifiée pour que la mesure soit suivie
d'effet.
Il est vrai, et les spécialistes semblent d'accord sur ce point, qu'un suivi
socio-judiciaire peut avoir une certaine efficacité, à condition d'être
sérieusement contrôlé. Il pourrait donc répondre aux reproches de l'opinion
publique au sujet de ces délinquants sexuels, auteurs de délits parfois
mineurs, qui deviennent des récidivistes, voire pire, des criminels, parce
qu'on n'a pas assuré un suivi criminologique. C'est pourquoi, malgré ces
interrogations réelles, il convient de suivre les conclusions de la commission
des lois.
Cela dit, ainsi que vous l'avez souligné, madame le garde des sceaux, il ne
faut pas tomber dans un pessimisme exagéré, car l'augmentation du nombre de cas
signalés d'abus sexuels contre des mineurs résulte sans doute des mesures qui
ont été prises pour améliorer la révélation des faits, notamment la loi de
1989.
De plus, la coopération existante dans ce domaine - et je peux vous assurer
qu'elle fonctionne bien dans le département de Seine-et-Marne - entre les
parquets, les conseils généraux et l'éducation nationale permet, surtout dans
le milieu familial et dans les établissements scolaires, de mettre fin au
martyre que subissent les enfants victimes d'abus sexuels.
La récidive est significative, certes, mais les délinquants, souvent, ne sont
malheureusement déférés à la justice qu'après la répétition de nombreuses
infractions ; d'où l'importance de la prévention.
J'en viens à quelques dispositions concrètes du projet de loi et tout d'abord
à l'article 18
ter,
qui allonge le délai de prescription à dix ans pour
certains délits.
En tant que législateur, nous devons respecter certains principes. On ne peut
impunément remettre en question la règle fondamentale de différenciation entre
les délits et les crimes en matière de prescription, surtout si le code de
procédure pénale et le projet de loi lui-même prévoient déjà un renforcement
pour les délits commis contre des mineurs en ne faisant courir le délai de
prescription qu'à partir de la majorité.
Il m'apparaît que cette indifférenciation du délit et du crime va à l'encontre
de toute la démarche pénale de rigueur et de codification.
L'article 10 crée une incrimination spécifique pour le bizutage. Bien entendu,
nous sommes tout à fait hostiles au bizutage et je m'aperçois que nos deux
collègues qui ont plaidé cet après-midi pour l'institution d'un délit de
bizutage sont tous deux médecins.
Je crois, madame le garde des sceaux, que M. le secrétaire d'Etat à la santé
devrait veiller spécialement à l'interdiction du bizutage dans les facultés de
médecine. Peut-être en a-t-il lui-même été victime à un moment quelconque de
ses études !
Les cas visés constituent déjà des infractions pénales : violences, menaces,
atteintes sexuelles ou toutes violences ayant entraîné une incapacité de
travail inférieure ou égale à huit jours ; et ne parlons pas du délit de mise
en danger de la personne ! Ce serait donc, à mon sens, une erreur de charger
inutilement le code pénal d'un délit indéfini ou comportemental, comme le
notait très justement notre rapporteur.
Nous ne le dirons jamais assez : appliquons les textes avant de vouloir les
modifier ou les compléter.
Quant aux cas restants, pour ce qui est du bizutage, ils relèvent du droit
disciplinaire, certainement pas du droit pénal.
S'agissant de l'article 19, le texte proposé pour l'article 706-52 du code
pénal m'a causé, je l'avoue, une certaine surprise.
Ce texte conditionne les cas où le juge d'instruction procède aux auditions et
aux confrontations de mineurs victimes à un objectif de manifestation de la
vérité. Mais toute la procédure judiciaire ne vise-t-elle pas à la
manifestation de la vérité ? Existe-t-il des cas dans lesquels le travail du
juge d'instruction, notamment lors des auditions, a d'autres objectifs que la
manifestation de la vérité ?
Une telle disposition me paraît relever de la circulaire. Dans un texte de
loi, elle semble non seulement inutile mais encore dangereuse, compte tenu des
multiples contestations auxquelles son interprétation ne manquerait pas de
donner lieu.
Il s'agit de garder clairement à l'esprit qu'on ne légifère pas ainsi ; on
légifère à partir d'un ensemble de textes déjà votés et codifiés qui forment un
ensemble cohérent.
Avant de conclure, je soulèverai à mon tour un problème de taille, celui de la
mise en oeuvre du projet de loi.
Il est tentant, pour résoudre les problèmes de notre société, de légiférer et,
particulièrement en matière de justice, de créer de nouvelles infractions ou de
multiplier les modifications des textes en vigueur. Mais il faut se méfier
d'une législation excessive et rejeter les projets irréalisables. Je pourrais
d'ailleurs rappeler quelques réformes - parfois avortées - de la procédure
pénale qui n'ont pu être mises en oeuvre faute de moyens.
Par exemple, en ce qui concerne les criminels sexuels, le placement
obligatoire en établissement spécialisé n'a en fait, aujourd'hui, aucune
réalité.
Notons au passage que l'affectation des juges de l'application des peines ne
tient guère compte de la répartition des centres de détention. On nous a
indiqué, lors des auditions de la commission, que certain juge d'application
des peines à temps partiel avait en charge un centre de détention de 800
détenus ! Cela paraît complètement aberrant !
Si l'on ne trouve pas les moyens appropriés, il ne pourra y avoir de mise en
oeuvre rapide du suivi socio-judiciaire.
Nous souhaitons donc connaître les moyens nouveaux nécessaires à la mise en
oeuvre de la législation qui nous est soumise. Je dois dire que l'étude
d'impact ne nous a pas complètement éclairés.
Pour conclure, je voudrais rappeler combien des sujets tels que celui des
infractions sexuelles ayant des mineurs pour victimes sont complexes et
terribles. Parce qu'ils touchent aux fondements de la morale et de notre
société, ils imposent une particulière vigilance.
La précipitation et l'empressement nous font parfois passer à côté de
l'essentiel ; il convient de bien analyser et de comprendre avant d'agir.
Je suis heureux que ce texte ait évité un certain nombre d'écueils et qu'il
ait été l'occasion d'une réflexion approfondie. En particulier, il est
important que la victime, l'enfant, n'ait pas été négligée, comme cela a pu
être le cas pendant très longtemps. Souvent, les victimes n'ont pas été
suffisamment prises en considération par la procédure judiciaire.
De tels comportements doivent amener chacun à se poser des questions quant à
la place respective des enfants et des adultes dans notre société et quant à
l'image qu'on en donne à tout moment et à tout va.
C'est pourquoi la prévention et l'éducation sont plus que jamais
indispensables, voire primordiales. Mais, madame la garde des sceaux, ce n'est
plus la seule affaire de la justice !
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste. - M. le rapporteur applaudit également.)
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je voudrais d'abord saluer l'excellent travail réalisé par le Sénat
et en remercier tout particulièrement le rapporteur, M. Jolibois, le rapporteur
pour avis, M. Bimbenet, ainsi que le président de la commission des lois, M.
Jacques Larché.
Les améliorations que le Sénat souhaite apporter à ce texte vont nous
permettre, je le crois, d'accomplir une oeuvre législative marquante, à la
mesure de la gravité du sujet dont il s'agit.
Je voudrais également remercier ceux qui sont intervenus cet après-midi du
soutien qu'ils ont généralement apporté à ce projet.
Pour la plupart d'entre vous, vous avez su montrer combien il importait que la
réprésentation nationale se retrouve unie pour dire la réalité de ce qui se
passe en matière de délinquance et d'agressions sexuelles. Vous avez évité les
exagérations, les outrances.
Dans cette affaire, il convient en effet de regarder la réalité en face, sans
la minorer, mais sans non plus faire appel à des craintes irraisonnées ou à des
fantasmes de toutes sortes.
Je vous sais gré, en particulier, d'avoir reconnu que nous ne pouvions pas
offrir, par ce texte, le remède miracle à la récidive. C'est tout à l'honneur
de la représentation nationale de distinguer, en l'état actuel de nos
connaissances, compte tenu des progrès scientifiques, ce qui peut être fait
aujourd'hui et ce qu'il reste difficile de faire.
Les travaux de la commission et notre discussion ont montré que ce texte
pouvait être amélioré. Bien sûr, il demeure quelques points sur lesquels le
Gouvernement et le Sénat ne sont pas parfaitement en accord : les
responsabilités de la commission chargée de l'hospitalisation psychiatrique ;
le remboursement à 100 % des soins pour tous les mineurs victimes d'infractions
sexuelles, voire pour une partie de leur famille ; le délit de harcèlement ; le
bizutage.
Ce sont là, à mes yeux, les quatre principaux points sur lesquels nous allons
devoir poursuivre nos discussions, afin de parvenir, je l'espère, à un
accord.
J'ai noté que des opinions différentes s'exprimaient sur ces sujets, et c'est,
me semble-t-il, ce qui fait la grandeur de votre assemblée que de permettre
l'expression de sensibilités individuelles, la manifestation de doutes ou
d'interrogations, au-delà de l'appartenance à tel ou tel groupe politique.
Quoi qu'il en soit, je me félicite de cette convergence des efforts en vue
d'améliorer ce texte.
Je souhaite maintenant répondre à quelques intervenants qui m'ont paru déroger
à cet assez large consensus.
Je dirai d'abord à M. Demuynck que si l'obligation des soins n'a pas été
retenue, c'est précisément parce qu'elle n'est pas applicable : les médecins
psychiatres la refusent, d'abord parce qu'elle est contraire à leur éthique
médicale, ensuite parce qu'elle est incompatible avec l'efficacité des soins,
le consentement du malade étant l'une des conditions de la réussite du
traitement psychiatrique.
En introduisant l'injonction de soins, nous ne nous en remettons pas seulement
à la bonne volonté du malade, qui, dans certains cas, est en effet totalement
absente, mais, par une conjonction du dialogue et de l'injonction, nous tentons
de faire avancer les dossiers et de donner toutes leurs chances aux soins, y
compris en prison.
M. Revol est quant à lui longuement intervenu sur la question du bizutage ; il
s'est notamment fait le défenseur d'une école dont j'ai compris qu'il était
issu. Pourquoi pas ? Ce qui m'a paru moins admissible, ce sont les propos qui
ont été tenus à l'égard de ma collègue Ségolène Royal, dont personne ne peut
mettre en doute la sincérité lorsqu'elle s'attaque à ce qu'elle qualifie à
juste titre de pratiques d'un autre âge donnant lieu à des dérives qui ne
devraient plus être tolérées. Il importe d'éviter que les enfants, les jeunes,
soient victimes de ces dérives.
On peut certes mettre en doute la nécessité d'établir une nouvelle
incrimination, comme l'a d'ailleurs fait le rapporteur de la commission des
lois. En revanche, on ne peut pas douter de la sincérité des membres du
Gouvernement et de leur volonté de lutter efficacement contre ce type de
comportements.
M. Guy Allouche.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Quant à M. About, il a posé plusieurs questions
précises, sur un ton qui tranchait avec celui qu'ont employé la majorité des
orateurs.
Monsieur le sénateur, la détention de cassettes pornographiques mettant en
scène des mineurs est d'ores et déjà punie au titre du recel par l'article
321-1 du code pénal.
Des condamnations ont été récemment prononcées contre des détenteurs de
cassettes pédophiles poursuivis dans l'affaire du réseau Toro Bravo par le
tribunal correctionnel de Paris, sur le fondement du recel de fixation et de
diffusion d'images pornographiques.
Par ailleurs, la provocation à commettre des agressions sexuelles existe déjà
dans notre droit : l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse
prévoit, pour la punir, une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000
francs d'amende.
Il n'y a donc pas lieu de créer un nouveau délit puisque notre arsenal
répressif l'a déjà institué.
Quant à l'excision pratiquée sur des petites filles, c'est une pratique
barbare, que notre législation pénale réprouve quelles que soient les
traditions des pays où elle est imposée. Il s'agit d'une mutilation, et c'est
d'ailleurs comme telle qu'elle est réprimée par le code pénal.
Il n'y a donc pas de banalisation de ces affaires, ni dans notre législation
ni dans l'application qui en est faite. Les faits sont poursuivis sous la
qualification criminelle de violences ayant entraîné une mutilation sur une
mineure de quinze ans. Ce crime est puni de quinze ans de réclusion criminelle
par l'article 222-10 du code pénal. Il n'y a jamais de correctionnalisation
judiciaire de ces agressions, c'est-à-dire d'omission d'une circonstance
aggravante pour faire juger les faits par le tribunal correctionnel.
J'ajoute que, si les cours d'assises - qui sont composées de neuf jurés et de
trois magistrats, et sont souveraines dans leurs décisions - ont pu, en
fonction de la personnalité des auteurs, prononcer des peines assorties de
sursis, la stigmatisation de ces comportements qui portent atteinte à
l'intégrité physique de petites filles n'en est pas moins forte. Ces pratiques
sont condamnables et donnent lieu à des condamnations effectives. Pour ma part,
je fais confiance aux juges et aux jurés pour appliquer la loi avec toute la
sévérité et le discernement nécessaires.
Enfin, M. Darniche a évoqué le cas particulier d'une mère de famille ayant eu
le courage de dénoncer un viol commis par son mari sur sa fille et qui ne
perçoit que la moitié de la retraite de son mari.
La règle est en effet qu'un condamné à une peine criminelle perd, pendant
l'exécution de celle-ci, le droit au versement de sa retraite. Il est toutefois
certain que, dans le contexte familial qui a été décrit par M. Darniche, on
peut s'interroger sur le bien-fondé d'une règle dont l'application aboutit à
diminuer les ressources financières d'une famille déjà très atteinte par les
conséquences de l'infraction commise par le père sur sa fille. Je m'engage donc
à soumettre cette question à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union
centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
7