M. le président. « Art. 10. _ Il est inséré, après l'article 225-16 du code pénal, une section 3 bis ainsi rédigée :
« Section 3 bis
« Des atteintes à la dignité de la personne
commises en milieu scolaire ou éducatif
«
Art. 225-16-1
. _ Hors les cas de violences, de menaces ou d'atteintes
sexuelles, le fait pour une personne de faire subir à une autre personne, par
des contraintes ou des pressions de toute nature, des actes ou des
comportements portant atteinte à la dignité de la personne humaine, lors de
manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire, éducatif, sportif ou
associatif, est puni de six mois d'emprisonnement et de 50 000 F d'amende.
«
Art. 225-16-2
. _ L'infraction définie à l'article 225-16-1 est punie
d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende lorsqu'elle est commise sur
une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie,
à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de
grossesse, est apparente ou connue de son auteur.
«
Art. 225-16-3
. _ Les personnes morales peuvent être déclarées
responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, des
infractions prévues par les articles 225-16-1 et 225-16-2.
« Les peines encourues par les personnes morales sont :
« 1° L'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38 ;
« 2° Les peines mentionnées aux 4° et 9° de l'article 131-39. »
Sur cet article, je suis saisi de six amendements qui peuvent faire l'objet
d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 29 est présenté par M. Jolibois, au nom de la commission des
lois.
L'amendement n° 62 est déposé par M. Hyest.
Tous deux tendent à supprimer l'article 10.
Par amendement n° 122, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article
10 pour l'intitulé de la section 3
bis
: « Des excès du bizutage ».
Par amendement n° 123, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste
et apparentés proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article
10 pour l'article 225-16-1 du code pénal :
«
Art. 225-1-6. -
Hors les cas de violences, de menaces ou d'atteintes
sexuelles, le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non,
par ordre, contrainte, pression ou invitation, à subir ou à commettre des actes
humiliants ou dégradants, notamment lors de manifestations ou de réunions liées
aux milieux scolaire, éducatif, sportif ou associatif, est puni d'un an
d'emprisonnement et de 100 000 francs d'amende. »
Par amendement n° 91, Mme Dusseau propose, dans le texte présenté par
l'article 10 pour l'article L. 225-16-1 du code pénal, après le mot : « sportif
», d'insérer les mots : « militaire, professionnel ».
Enfin, par amendement n° 124, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe
socialiste et apparentés proposent, dans le premier alinéa du texte présenté
par l'article 10 pour l'article 225-16-3 du code pénal, après les mots : « des
infractions », d'insérer les mots : « commises lors de manifestations, de
réunions liées aux milieux scolaire, éducatif, sportif ou associatif ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 29.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Je vais tout d'abord exposer le point de vue de la commission
sur la suppression de l'article 10.
Le problème est simple. Bien qu'il s'agisse d'affaires qui se passent très
souvent entre majeurs de dix-huit ans, le Gouvernement a saisi l'occasion de ce
projet de loi pour introduire une disposition importante tendant à réprimer ce
que, dans le langage commun, nous qualifions de bizutage.
La question est de savoir si la réprobation du bizutage doit figurer dans le
code pénal.
La commission des lois a étudié de manière extrêmement approfondie le problème
et elle a considéré qu'il était évident que ce que l'on voulait réprimer,
c'était non pas le bizutage en tant que tel, mais les excès auxquels il peut
conduire, excès qui, malheureusement - peut-être parce qu'on en parle plus ou
parce que l'on observe une véritable dérive depuis quelques années - sont
souvent constatés. D'ailleurs, les journaux s'en font l'écho !
Pour que le débat soit clair, la commission des lois m'a chargé de dire au
Sénat qu'elle est absolument déterminée à obtenir que cessent ces abus et ces
dérives. Il ne fait aucun doute que cette volonté, même si je ne sais pas
exactement ce qui se passe dans les consciences, a été partagée par l'ensemble
des nombreux collègues présents.
La question était la suivante : pour condamner ces dérives, est-il nécessaire
d'élaborer une loi particulière, de définir un nouveau délit ?
A cet égard, la commission des lois a remarqué qu'il était très difficile de
définir un délit, puisque le bizutage, dans sa partie qui peut être considérée
comme admissible, qui correspond à une tradition d'humour et de taquinerie,
devient parfois, lorsqu'il est poussé à l'excès, une horrible contrainte. Par
conséquent, il est malaisé de rédiger un texte qui respecte la règle
traditionnelle de notre code pénal : il faut qu'un texte soit très concret -
Nulla poena sine lege
- de manière à ne pas donner aux magistrats un
pouvoir d'appréciation.
Nous avons donc consciencieusement relu le code pénal, et nous avons remarqué
qu'il existait toute une série de textes permettant de sévir chaque fois que
l'on constatait concrètement qu'il y avait eu une dérive : une menace, une
agression sexuelle, une mise en danger d'autrui, une administration de
substances nuisibles, des destructions, dégradations, détériorations,
l'organisation de manifestations, et j'en passe...
En employant l'expression « et j'en passe », il me revient à l'idée que la
circulaire qui a été notifiée, je crois, à tous les responsables de milieux
scolaires - circulaire que je veux saluer ici - a bien cité un certain nombre
d'articles du code pénal mais en a oublié au moins un, également très
important, celui qui concerne la violence sans dommage physique, qui est de
plus en plus employée.
Selon les interprétations et les arrêts de la Cour de cassation qui précisent
cette notion, il suffit que la personne victime d'une violence ait un choc
émotif pour que la répression soit possible. Par conséquent, la commission des
lois, à la question de savoir pourquoi et comment réprimer les dérives, a pensé
qu'il était préférable d'utiliser le pouvoir disciplinaire et de rappeler qu'il
fallait utiliser le code pénal chaque fois que c'était possible.
C'est d'ailleurs une manière de rappeler que, dans bien de cas, s'il y a eu
dérives, c'est parce que l'autorité disciplinaire, sur place, se contentait
purement et simplement de fermer les yeux.
Dans ces conditions, la circulaire de Mme Royal peut être considérée comme une
circulaire courageuse qu'il faut donc soutenir. Il convient maintenant d'en
attendre le résultat.
J'en viens à la dernière partie de mon exposé : la rédaction telle qu'elle est
proposée n'est-elle pas dangereuse ?
Sur ce point, il faut reconnaître que nous devons faire montre de beaucoup
d'humilité. J'ai pris la plume, moi aussi ; j'ai essayé de rédiger un texte,
mais je n'en ai même pas parlé ! Je me suis en effet rendu compte que c'était
extrêmement difficile.
Il est malaisé de rédiger un texte qui figurera dans les tables de la loi. Il
y a eu la rédaction du Gouvernement, il y a eu ensuite celle qui a été
proposée, à l'Assemblée nationale, par Mme Bredin me semble-t-il. Nous en
examinerons une autre tout à l'heure. Mais peut-on rédiger un texte appelé à
être inclus dans le code pénal lorsque l'on veut condamner non pas quelque
chose, mais sesexcès ?
Ne sommes-nous pas dans le champ de ce que j'ai désigné, d'un terme peut-être
trop créatif, de droit pénal « comportemental » et non pas dans celui du droit
pénal classique, c'est-à-dire du droit où l'on définit exactement, et de
manière concrète la totalité du périmètre du délit ?
Je voudrais faire une autre observation pour être complet. La rédaction
élaborée par l'Assemblée nationale, dans un souci de bien circonscrire tous les
cas d'espèce, me paraît receler un risque.
Je ne prête à l'heure actuelle aux auteurs de ce texte aucune mauvaise
intention. Je les crois au contraire animés par les mêmes bonnes intentions que
moi lorsque je m'exprime pour réprimer les dérives possibles du bizutage.
Je constate néanmoins que la rédaction actuelle inclut les milieux scolaire,
éducatif, sportif et associatif, et je ne peux donc m'empêcher de penser que
si, un jour, par malheur, nous avions des gouvernements qui ne respecteraient
pas les mêmes valeurs que les nôtres, celles qui constituent véritablement le
tronc commun de notre amour de la démocratie, ce texte permettrait d'entrer
dans les associations, de demander le nom des adhérents. Comme certains veulent
également mettre en cause la responsabilité de la personne morale, ne
pourrait-on pas mener toutes sortes d'enquêtes au motif qu'il y aurait eu un
bizutage ?
Cette rédaction fait naître en moi une inquiétude puisqu'il prévoit que l'on
poursuivra « les comportements portant atteinte à la dignité de la personne
humaine » lors de manifestations.
Vous ne trouverez pas un sénateur qui acceptera que l'on porte atteinte à la
dignité de la personne humaine, car la Haute Assemblée est traditionnellement
la gardienne de ce droit constitutionnel !
En ne décrivant pas les comportements visés - comme je le disais tout à
l'heure à propos des « pressions de toute nature » - vous laissez un pouvoir
d'appréciation au juge, car le texte devient alors une simple recommandation
générale soumise à l'appréciation d'un tribunal, à une époque donnée.
La commission des lois m'a donc chargé de transmettre le message suivant :
oui, il faut lutter contre les excès du bizutage, mais, pour ce faire, la bonne
méthode n'est pas de créer un nouveau délit. Elle espère que la circulaire,
dont j'ai salué la publication, produira des effets, ce qui, je crois, est déjà
le cas. Le débat public qui s'est ouvert sur ce problème est bon et nécessaire.
De plus, l'introduction d'une disposition nouvelle dans le code pénal lui
paraît, du point de vue de la technique législative, présenter un risque, un
danger.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, pour présenter l'amendement n° 62.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je comprends parfaitement la volonté du Gouvernement de lutter contre les
bizutages dégradants ; il faut donc s'en donner les moyens. Un certain nombre
de mesures ont été prises. La discipline au sein des établissements peut aussi
contribuer à faire reculer de tels comportements.
Je comprends bien mais l'objet du texte du Gouvernement, également un peu
moins les dispositions introduites par l'Assemblée nationale. En tout état de
cause, il m'est apparu que tous les agissements visés étaient en fait couverts
par le code pénal. Un certain nombre de poursuites sont d'ailleurs d'ores et
déjà engagées pour des faits de bizutage qui se sont révélés attentatoires et
dangereux pour ceux qui en ont été victimes.
Faut-il pour autant créer un délit spécifique ? Précisez alors clairement,
comme l'a dit un de nos collègues, que vous voulez carrément créer un « délit
de bizutage », que le bizutage est interdit et que tous ceux qui se livreront à
de telles pratiques seront poursuivis. Mais je ne pense pas qu'il soit vraiment
utile de créer une nouvelle incrimination, dans la mesure où les violences et
les contraintes dont il s'agit sont déjà prévues dans le code pénal.
Voilà pourquoi j'ai proposé également la suppression de cet article 10.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre les amendements n°s 122 et
123.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'amendement n° 122 porte sur le titre de la section à insérer dans le code
pénal dont je rappelle les termes : « Des atteintes à la dignité de la personne
commises en milieu scolaire ou éducatif ». Je signale d'emblée au Gouvernement
que ce titre ne convient plus, l'Assemblée nationale ayant ajouté les milieux
sportif et associatif.
M. Jean-Jacques Hyest.
On pourrait ajouter aussi le milieu militaire !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
De plus, on risque surtout de ne plus très bien savoir de quoi il s'agit. Une
atteinte à la dignité de la personne, c'est très grave. Or, à la lecture d'un
tel titre, on ne comprend pas forcément ce qui en réalité est visé.
En revanche, tout le monde sait ce qu'est le bizutage ! Il n'y a donc pas de
raison de ne pas appeler un chat un chat, et Rolet un fripon ! De plus, si nous
consultons les dictionnaires, nous constatons que le mot « bizutage » y figure.
Le Petit Larousse définit ainsi le verbe bizuter : « Faire subir à un bizut des
brimades et des épreuves, supposées légères et amusantes, à titre d'initiation.
» Le terme « supposées » démontre bien que, dans la pratique, ces épreuves
peuvent ne pas l'être !
Voilà pourquoi nous proposons de modifier l'intitulé de la section 3
bis
de la façon suivante : « Des excès du bizutage ». Pour répondre à notre
collègue M. Hyest, nous ne demandons pas du tout une répression du bizutage !
Nous voulons seulement, si j'ose m'exprimer ainsi, la répression de ses excès.
Voilà pour l'amendement n° 122.
L'amendement n° 123 nous a demandé, comme tous les autres amendements, un
travail de réécriture. M. le rapporteur a souligné la très grande difficulté
qu'il y avait à formuler une telle disposition. Il en donnait pour preuve le
fait que, après la rédaction du texte initial, l'Assemblée nationale en a
proposé une seconde et que nous en proposons une troisième. Cette constatation
n'est pas très originale. Il est tout de même assez fréquent, dans le travail
parlementaire, de voir des modifications introduites par voie d'amendement à
l'Assemblée nationale rectifiés à nouveau au Sénat !
Dans un premier temps, nous nous sommes demandés si le texte tel qu'il nous
arrivait de l'Assemblée nationale répondait véritablement au but visé et s'il
existait réellement, comme on nous le dit, des cas ne tombant pas sous le coup
de la loi pénale. Après réflexion, nous avons effectivement trouvé des
exemples. Nous verrons de quoi il en retourne plus tard dans la discussion, si
toutefois je parviens à convaincre nos collègues ici présents. En tout cas, je
ne voudrais pas que certains combattent la proposition du Gouvernement
seulement pour une raison politique ! Ils auraient d'ailleurs grand tort d'agir
pour ce motif, car un sondage démontrerait aisément, j'en suis sûr, que
l'opinion attend qu'une loi permette de réprimer les excès de bizutage.
J'en viens plus précisément au texte qui nous est proposé : « Hors les cas de
violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles, » - nous sommes d'accord - « le
fait pour une personne de faire subir à une autre personne, par des contraintes
ou des pressions de toute nature, des actes ou des comportements portant
atteinte à la dignité de la personne humaine » - le mot « par » pose, selon
nous, quelques problèmes - « lors de manifestations ou de réunions liées aux
milieux scolaire éducatif, sportif ou associatif, est puni de six mois
d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende. »
Si, véritablement, de tels actes ou de tels comportements existent, en dehors
de ceux qui sont actuellement visés dans le code pénal, pourquoi ne les punir
que lorsqu'ils sont commis dans ces manifestations et ces réunions-là, et non
dans les autres ? Pourquoi parler d'« atteinte à la dignité de la personne
humaine », alors qu'on perd de vue, puisque cela ne figure pas dans le titre,
le fait qu'il s'agit seulement, mais tout de même, des excès du bizutage ?
Nous avons donc été amenés à proposer de porter la peine à un an
d'emprisonnement - ce qui permet, comme M. Robert Badinter nous l'a fait
remarquer en commission, de poursuivre en flagrant délit ces attaques - et
d'indiquer : « Hors les cas de violences, de menaces ou d'atteintes sexuelles,
le fait pour une personne "d'amener autrui, contre son gré ou non"...
»
En effet, en matière de bizutage, il arrive fréquemment que les victimes
soient quasiment consentantes. On ne les oblige pas ; on leur demande, on les
invite à faire quelque chose qui peut être humiliant, qui peut être dégradant,
et elles le font soit parce qu'elles se disent que, l'année d'après, elles
seront de l'autre côté de la barrière, soit parce qu'elles ont peur qu'un refus
nuise à leur carrière dans l'école, voire les empêche de poursuivre leurs
études.
Nous introduisons donc une notion nouvelle en précisant que, même si la
victime accepte de fait ce qui lui est demandé, cela reste et restera un délit.
Et qu'est-ce qui sera un délit ? « Le fait pour une personne d'amener autrui,
contre son gré ou non, par ordre, contrainte, pression ou invitation » -
c'est-à-dire même si, encore une fois, on lui demande seulement de le faire - «
à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants, notamment lors de
manifestations ou de réunions... » Pourquoi « notamment » ? Parce que d'autres
milieux que ceux qui sont actuellement retenus dans le texte peuvent être en
cause.
Selon M. le rapporteur, l'expression « des actes humiliants ou dégradants »
est vague, et les tribunaux devraient préciser ce qu'elle recouvre. Les
tribunaux sont faits pour cela ! Lorsqu'on punit l'injure, les tribunaux se
réservent de déterminer ce qui est injurieux et ce qui ne l'est pas. La formule
que nous proposons permettrait de viser les excès de bizutage qui existent et
que nous sommes unanimes à condamner. Voilà pourquoi nous demandons au Sénat
d'adopter cet amendement n° 123 !
MM. François Autain et Robert Badinter.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau, pour défendre l'amendement n° 91.
J'attire cependant votre attention sur un point, madame : si l'amendement n°
123 était adopté, votre amendement n° 91 deviendrait sans objet, à moins que
vous ne le transformiez en sous-amendement.
Mme Joëlle Dusseau.
Le débat qui s'instaure me rappelle celui que nous avons eu à propos du
harcèlement sexuel. A cette occasion, certains avaient souligné à quel point la
définition de ce nouveau délit allait poser problème. La notion de violence
imposée ainsi que celle de consentement et de non-consentement avaient suscité
de longues discussions.
Je suis très attentive au débat d'aujourd'hui et très soucieuse de voir
inscrit dans la loi ce délit de bizutage, au même titre que le délit de
harcèlement sexuel, qui avait pourtant posé le même type de problème aux
assemblées.
Par ailleurs, comme M. Dreyfus-Schmidt l'a fort justement rappelé, il s'agit
d'un type de délit contre lequel, compte tenu du poids de la « tradition » et
des craintes qu'il suscite, ceux qui le subissent n'osent pas porter plainte
ils sont même, « à la limite », « consentants »!
Tout cela me paraît relever de situations qui peuvent être amusantes et sans
conséquences, mais qui, parfois, sont totalement inacceptables et portent
gravement atteinte à la dignité humaine. C'est pourquoi il me semble si
important que ce délit figure dans la loi.
Il convient même de l'étendre. Le terme « notamment » me satisfait, bien sûr,
mais il reste néanmoins dangereux de limiter l'énumération aux milieux
scolaire, éducatif, associatif et sportif. C'est pourquoi je vous propose
d'ajouter les milieux militaire et professionnel.
S'agissant du milieu militaire, quelques échos de presse et quelques récits
parviennent jusqu'à nous, même si, on le sait bien, l'armée reste toujours, sur
bien des points, et donc sur celui-là aussi, la Grande muette. Nous savons
qu'il se passe dans ce milieu clos un certain nombre de choses qui portent très
gravement atteinte à la personne humaine.
Si j'ai voulu ajouter aussi le terme « professionnel », c'est de manière tout
à fait consciente et volontaire. En effet, récemment, j'ai eu connaissance de
plusieurs faits qui se sont déroulés dans des collectivités locales, dans des
mairies entre autres. Ainsi, des personnes employées au titre de contrats
emploi-solidarité auraient été soumises, au moment de leur entrée dans le
service concerné, à des formes de bizutage, à des contraintes portant atteinte
à la dignité de la personne humaine et comportant une indéniable connotation
sexuelle. Naturellement, les « victimes » ne pouvaient être que « consentantes
».
C'est pourquoi, même si l'amendement n° 123 de M. Dreyfus-Schmidt était
adopté, je souhaiterais le sous-amender en ajoutant au texte les deux termes :
« professionnel et militaire ». En effet, cette adjonction est essentielle,
sauf à nier la dimension importante du bizutage.
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 124.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
L'article 225-16-3 porte sur la responsabilité pénale des personnes morales
dans le cas des infractions prévues par les articles 225-16-1 et 225-16-2 du
code pénal. Bien évidemment, si ces deux articles étaient supprimés, l'article
225-16-3 n'aurait plus d'objet.
Or, nous pensons que, en tout état de cause, il pourrait être intéressant de
retenir la responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions
commises lors de manifestations, de réunions liées aux milieux scolaire,
éducatif, sportif ou associatif. Je suis sûr que notre collègue Mme Dusseau ne
manquera pas de sous-amender cet amendement afin d'y ajouter les milieux
militaire et professionnel.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Je demande
la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je souhaiterais en cet instant,
monsieur le président, évoquer le climat dans lequel le débat s'est déroulé en
commission. Je ne voudrais pas un seul instant que, même sous la forme
d'insinuation, on laisse à penser que les décisions que nous prenons sont
inspirées par une quelconque considération politique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Pas de votre part, monsieur le président, bien sûr !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je parle de l'ensemble de la
commission et de la manière dont nos travaux se sont déroulés.
Nous essayons de faire du droit, pas autre chose, dans un domaine qui est
difficile. Donc, en cet instant, je n'admets pas qu'on vienne jeter le doute
sur la manière dont nous avons travaillé.
Aucune considération d'ordre politique ne nous a guidés. Nous avons travaillé
dans le seul souci de bâtir un droit pénal conforme à nos traditions.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 122, 123, 91 et 124
?
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
La commission est défavorable à l'amendement n° 122 pour des
raisons de structure.
Néanmoins, je suis heureux que cet amendement ait été déposé parce que la
proposition de changement de titre montre bien ce qui sous-tend la position
qu'ont adoptée M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et
apparentés, position qui, je le rappelle - ce qui est tout à fait normal
puisqu'on peut changer d'avis - est différente de celle qu'ils avaient prise
lors du premier débat en commission.
C'est la raison pour laquelle, dans l'exposé que j'ai eu l'honneur de faire au
début du débat, j'ai parlé de l'unanimité de la commission...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Je vous en ai donné acte, monsieur le rapporteur.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
... quant à l'impossibilité, pour des raisons techniques,
d'instaurer un délit particulier concernant le bizutage.
En revanche, j'ai bien relevé la réserve que vous aviez émise sur le désir de
procéder à un examen plus approfondi, notamment sur la question des personnes
morales : en effet, se pose une difficulté particulière sur ce point, dans la
mesure où le livre Ier du code pénal permet de condamner les personnes morales
de droit privé, mais pas les personnes morales de droit public.
(Marques
d'approbation sur les travées socialistes).
Ainsi, en milieu scolaire,
selon le texte que vous proposez, mon cher collègue, ne pourrait être mise en
cause la responsabilité des personnes morales que pour un bizutage effectué
dans les écoles privées, et non pour celui qui interviendrait dans les écoles
publiques.
Sous cette réserve, j'accueille avec le plus grand plaisir, pour
l'enrichissement de notre discussion juridique, qui ne sera jamais dans mon
esprit - elle ne saurait l'être ! - une discussion politique, j'accueille,
dis-je, avec plaisir l'effort d'approfondissement que vous avez accompli dans
la rédaction du nouvel article, où vous donnez une nouvelle définition.
Si l'on vous suivait, figurerait donc dans le code pénal l'expression : «
excès de bizutage ». Il y a des excès de vitesse, des excès d'alcool, des excès
de violence ; il y aurait un excès de bizutage.
Mais, mon cher collègue, pour l'excès d'alcool on a des grammes ; pour l'excès
de vitesse, on a des kilomètres à l'heure ; pour l'excès de violence, on peut
mesurer les résultats de la violence !
Dans le domaine qui nous occupe aujourd'hui, il me semble imprudent de se
fonder sur la notion d'excès qui est, en l'espèce, difficilement mesurable.
J'en viens à l'amendement n° 123. Je retrouve dans la rédaction proposée les
écueils sur lesquels j'avais attiré l'attention de la commission, laquelle, à
l'époque, m'avait suivi.
En effet, pour définir les actes humiliants ou dégradants, on fait confiance
au juge. Or j'éprouve quelque inquiétude à cet égard. Sans vouloir empiéter sur
le futur débat qui va nous occuper prochainement, madame le garde des sceaux,
je voudrais faire remarquer les risques que l'on prend, avec un Parquet
totalement libre, en ne donnant pas une définition précise des termes dans le
code pénal. Dans certaines parties du territoire pourraient être poursuivies
certaines associations au motif que des actes dégradants ou humiliants auraient
pu se produire pour leur compte.
Je me permets de rappeler l'effort que nous avions déployé, notamment au sein
de la commission des lois, lors de la rédaction du code pénal. Nous avions
réussi à faire admettre, par exemple, une notion qui a suscité beaucoup de
discussions - je vois encore mon excellent collègue M. Rudloff discuter avec le
rapporteur que j'étais à l'époque - je veux parler de la mise en danger...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est très précis, la mise en danger !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Oui, c'est très précis, et c'est mesurable. Eh bien, cette
notion existe maintenant dans le code pénal.
Par ailleurs, l'article 222-13 du code pénal fait état des « violences ayant
entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n'ayant
entraîné aucune incapacité de travail ». Lorsqu'il n'y a aucune incapacité de
travail, c'est que les violences ont été extrêmement légères. La Cour de
cassation s'est engouffrée dans cette brèche en intégrant la jurisprudence du «
choc émotif ».
Ce que je veux dire, c'est que la commission est hostile à la notion d'excès
du bizutage.
Comment peut-on définir un tel excès ? On commet un excès lorsqu'on franchit
la frontière et que l'on commet un acte délictueux. Dès lors, on tombe sous le
coup d'un des nombreux articles du code pénal, qui a été récemment complété par
la notion de « mise en danger ».
Notre excellent collègue M. Dreyfus-Schmidt a l'esprit bouillonnant et
imaginatif. Je me suis efforcé, moi aussi, d'imaginer des situations. Très
honnêtement, je me suis dit que, si un proviseur avait la volonté d'aboutir -
comme le disait le général Mangin, il faut avoir la volonté d'aboutir si l'on
veut se faire suivre par les gens qui sont sous ses ordres - en suivant votre
circulaire, madame le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire,
circulaire dans laquelle vous aurez ajouté la notion de choc émotif - ce que
vous ferez peut-être -, il pourra, en l'état actuel du code pénal, obtenir que
des poursuites soient engagées.
Pour l'instant, je crois que notre réflexion n'a pas été suffisante pour
pouvoir introduire un chapitre relatif à l'excès de bizutage. Avant de définir
cette notion, il nous faudra observer les effets de la circulaire.
J'en arrive à l'amendement n° 124 portant sur la responsabilité des personnes
morales. Sur ce point, la commission a eu une position catégorique.
Cet amendement pose de nombreuses questions : dans les milieux scolaires, qui
va être la personne morale concernée ? Va-t-on poursuivre les associations
d'anciens élèves ? Avez-vous conscience, mes chers collègues, de l'immense
contentieux que vous allez susciter ? Poursuivra-t-on l'association des anciens
élèves de Polytechnique, de Saint-Cyr parce qu'il y aura eu une dérive ?
En fait, il faut que les proviseurs, les directeurs utilisent leur pouvoir
disciplinaire, comme le font déjà pour nombre d'entre eux.
Certes, des dérives se produisent, mais à ce moment-là la répression
disciplinaire joue son rôle et, souvent, les choses se passent très bien parce
qu'il y a encore des jeunes gens qui ont suffisamment d'humour, de sens de la
tradition et d'élégance pour cela.
Quant à l'amendement n° 91, je comprends très bien son objet. Effectivement,
quand j'étais élève officier à Saumur - le moment le plus agréable de ma vie -
on nous faisait faire des pompes, par exemple ; il s'agissait sans doute, tout
simplement, de nous « dresser ». Cet amendement, qui vise à inclure les
militaires dans le dispositif, démontre qu'il peut en effet y avoir des
bizutages partout.
Etant défavorable à tout le dispositif proposé, la commission ne peut qu'être
défavorable à cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble des amendements qui font
l'objet de la discussion commune ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention les arguments qui
viennent d'être échangés sur ce sujet auquel le Gouvernement attache une grande
importance.
Je précise que je ne m'exprimerai, en cet instant, que sur les amendements n°s
29, 62, 122, 123 et 91, me réservant de ne donner mon avis sur l'amendement n°
124 que lorsque le Sénat se sera prononcé sur les autres amendements.
Permettez-moi de rappeler brièvement devant quelle situation nous nous
trouvons : M. le rapporteur et M. Hyest proposent la suppression des
dispositions du projet de loi créant une nouvelle infraction afin de réprimer
spécifiquement le bizutage ; de son côté, M. Dreyfus-Schmidt et le groupe
socialiste ont déposé des amendements tendant à modifier le texte de l'article
10 tel qu'il a été proposé par le Gouvernement et amendé par l'Assemblée
nationale.
J'ai bien compris, monsieur le rapporteur, que vous êtes hostile aux excès du
bizutage ; vous l'avez dit...
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Vingt fois !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... avec une grande netteté, ainsi que M. Hyest,
d'ailleurs.
Vous avez, dans cet esprit, approuvé l'initiative prise par ma collègue Mme
Ségolène Royal à travers une circulaire visant à réprimer ces excès, ces
dérapages barbares, il faut bien le dire,...
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Parfois !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
... souvent barbares, dont on parlait malheureusement
fort peu jusqu'à ces derniers temps, mais qui sont de plus en plus portés à la
connaissance des autorités et de l'opinion.
J'ai bien compris aussi que votre interrogation est d'ordre juridique :
avons-nous besoin, pour réprimer les excès du bizutage, d'une nouvelle
incrimination dans le code pénal ? Le code pénal actuel n'est-il pas suffisant
?
J'indique d'emblée que je suis opposée aux amendements de suppression déposés
par MM. Jolibois et Hyest mais que, en revanche, je demande que soit substituée
à la rédaction figurant actuellement dans le projet de loi celle que proposent
M. Dreyfus-Schmidt et le groupe socialiste.
Permettez-moi maintenant de dire les deux raisons pour lesquelles je considère
qu'il est indispensable qu'une incrimination nouvelle et spécifique soit
introduite dans le code pénal. D'abord, les textes actuels ne permettent pas de
réprimer tous les comportements qui devraient être réprimés. Ensuite, pour que
la code pénal soit suffisamment expressif, effectif en la matière, un texte
spécifique est absolument nécessaire.
Rappelez-vous : c'est exactement de cette façon que nous avons procédé
lorsqu'a été voté le nouveau code pénal. L'exemple du harcèlement sexuel est
fameux, et Mme Dusseau l'a déjà évoqué. Pour ma part, je citerai trois autres
exemples d'incriminations qui ont été introduites dans le nouveau code pénal et
sur lesquelles il y a eu un consensus, tant il est vrai que le code pénal doit
échapper à des considérations et à des joutes plus proprement politiques.
Ainsi, le nouveau code pénal, à l'article 222-16, réprime de façon spécifique
les appels téléphoniques malveillants, qui étaient qualifiés auparavant de
violences par la jurisprudence.
De même, l'article 222-15 réprime de façon spécifique l'administration de
substances nuisibles, qui constituait également, selon les anciens textes, des
violences.
Quant à l'article 434-26, il vise spécifiquement la dénonciation aux autorités
publiques d'une infraction imaginaire, qui était auparavant qualifiée d'outrage
à magistrat ou à policier.
Pourquoi ce qui a été fait en 1992 ne serait-il plus justifié en 1997, étant
entendu que le problème du bizutage ne faisait pas, alors, l'objet de la même
prise de conscience qu'aujourd'hui ?
En quoi cette nouvelle incrimination serait-elle soudainement injustifiée ?
Certains, avant-hier, ont même cru bon - pas vous, monsieur le rapporteur,
votre souci étant uniquement celui d'une bonne législation - d'assimiler la
démarche du Gouvernement en la matière de la démagogie.
Il est vrai que l'incrimination qui figure dans le projet de loi modifié par
l'Assemblée nationale n'est pas totalement convaincante ; la rédaction proposée
par M. Dreyfus-Schmidt et le groupe socialiste me paraît bien meilleure.
S'agissant de la question des pouvoirs d'appréciation donnés au juge, M.
Dreyfus-Schmidt a répondu : en permanence, le juge est amené à porter des
appréciations,...
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Bien sûr !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux
... et nous avons besoin de lui faire confiance.
Puisque vous avez évoqué la future réforme, monsieur le rapporteur, j'ouvre
une parenthèse à ce sujet, même si je n'en fais pas un élément central de ma
démonstration.
Ce n'est pas parce que les parquets ne recevront plus des instructions
particulières pour des affaires précises qu'ils seront laissés à l'abandon : le
Gouvernement, j'en prends l'engagement, leur adressera des directives
applicables sur l'ensemble du territoire, et je vous assure que celles-ci
seront infiniment plus précises et détaillées que les circulaires
d'aujourd'hui, que personne ne lit, justement parce qu'il y a des instructions
particulières. Bien entendu, les parquets recevront notamment des directives
sur le bizutage.
Mais je ferme ici cette parenthèse, qui anticipait sur un débat que nous
aurons certainement dans les mois à venir.
Quoi qu'il en soit, je m'en remets à la sagesse de la Haute Assemblée sur
l'amendement n° 122 et je suis totalement favorable à la réécriture de
l'article 225-16-1 proposée par M. Dreyfus-Schmidt dans l'amendement n° 123.
En effet, cette rédaction ne fait plus référence à la dignité de la personne
humaine, expression sans doute trop chargée de sens, et vise des « actes
dégradants ou humiliants », ce qui désigne très précisément le comportement que
le Gouvernement souhaite voir sanctionné. Quant à la référence au milieu
scolaire, elle n'est plus qu'indicative, ce qui répond aux critiques portant
sur le caractère inégalitaire de la loi.
Je remercie donc très vivement les auteurs de cet amendement, qui montre de
manière éclatante - mais, pour ma part, je n'en avais jamais douté - à quel
point la discussion parlementaire peut améliorer les projets de loi.
Quant à l'amendement n° 91, déposé par Mme Dusseau, qui vise à étendre le
bizutage aux milieux militaire ou professionnel, il me semble qu'il pourrait
être retiré si l'amendement n° 123, qui ne limite plus le champ d'application
du nouveau texte, était adopté.
Je le répète, dans cette discussion, ce qui est fondamentalement en cause,
c'est la qualité du code pénal, et j'espère que la Haute Assemblée aura été
convaincue par les arguments juridiques que j'ai avancés.
Si le règlement de votre assemblée l'y autorise, Mme Ségolène Royal souhaitera
sans doute intervenir également pour dire à quel point il est fondé de prévoir
cette incrimination spécifique au vu de la réalité qui peut être
malheureusement observée aujourd'hui.
M. le président.
Madame le garde des sceaux, le Gouvernement a la parole quand il le veut, et
Mme Royal peut donc intervenir à tout moment.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.
Je demande la
parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Je me félicite de pouvoir effectivement intervenir dans
ce débat, qui est important parce qu'il touche au plus profond des valeurs du
système éducatif et même bien au-delà.
Je voudrais tout d'abord rendre hommage au travail tout à fait remarquable de
la commission des lois. Sans vouloir être désobligeante à l'égard de la
commission des lois de l'Assemblée nationale, je dois dire que le travail qui a
été accompli ici a permis d'approfondir et de poursuivre la réflexion en cours
au sein du ministère de l'éducation nationale quant à la façon dont nous
pouvons intelligemment faire progresser le dispositif législatif.
J'ai bien noté, monsieur le rapporteur, votre opposition sans faille aux excès
des bizutages et à d'autres actes dégradants.
Est-il légitime ou est-il superflu de légiférer davantage en ce domaine ?
Vous avez, pour votre part, avancé quatre arguments pour conclure à
l'inutilité d'une législation en la matière. Premièrement, selon vous, le
pouvoir disciplinaire est de nature à contenir les excès. Deuxièmement,
l'arsenal répressif actuel est, à vos yeux, suffisant. Vous estimez,
troisièmement, que le droit actuel permet de réprimer les actes visés souvent
plus sévèrement que ce qui est prévu dans le projet de loi. Enfin,
quatrièmement, vous jugez que la notion d'atteinte à la dignité de la personne
humaine est beaucoup trop floue.
Ces quatre arguments me paraissent tout à fait solides, mais je souhaite
simplement, en les reprenant un à un, apporter l'éclairage de l'expérience que
m'a donnée la gestion de la dernière rentrée scolaire.
L'exercice du pouvoir disciplinaire permet-il de contenir les excès de
bizutage ?
Depuis cinquante ans, le ministère de l'éducation nationale diffuse des
circulaires pour rappeler l'interdiction formelle de bizutage et ces textes ont
toujours été contournés.
Cette année, nous avons élaboré un texte un peu plus précis, un peu plus
ferme, rappelant l'ensemble des infractions pénales en cause et des peines
encourues. Vous avez relevé que cette circulaire restait silencieuse sur le
choc psychologique que pouvaient causer des actes de bizutage. J'ai pris bonne
note de votre remarque et, si nous avions à compléter cette circulaire, c'est
bien volontiers que nous évoquerions aussi cet aspect.
Pour la première fois, cette année, cette circulaire a été reprise par le
ministre de la défense ainsi que par le ministre de l'agriculture et de la
pêche, lorsque celui-ci a découvert que des faits de bizutage extrêmement
graves se déroulaient dans les lycées agricoles ; dans un lycée, en
particulier, le viol d'un élève de seconde a été dénoncé lors de cette rentrée,
mais il semble que de tels actes étaient perpétrés à chaque rentrée.
Les textes émanant du ministère de la défense et du ministère de
l'agriculture, qui font expressément référence à la circulaire de l'éducation
nationale, n'ont malheureusement pas, pour autant, empêché les incidents, les
brimades, les humiliations et les drames.
Dans différents lycées militaires, plusieurs exclusions ont été prononcées par
le ministre, en accord avec les chefs d'état-major. Il en a été de même dans
des lycées agricoles et des établissements d'enseignement supérieur. S'il a
fallu en venir là, monsieur le rapporteur, c'est tout simplement parce que les
bizuteurs sont persuadés de leur bon droit et de la légalité, voire de la
légitimité de leurs agissements.
J'ai diligenté des missions d'inspection. Des adultes ont été poursuivis sur
la plan disciplinaire. Pour la première fois, j'ai pris une sanction contre un
proviseur de lycée qui, dans l'emploi du temps des élèves, avait ménagé une
place au déroulement d'un bizutage. Des écoles d'ingénieurs sont actuellement
fermées pour des raisons du même ordre.
Je tiens à souligner que chacune de ces mesures a été extrêmement difficile à
prendre. Les arguments qui nous ont systématiquement été opposés reposaient
précisément sur l'absence de loi. Comment ne pas en déduire que la société
s'abrite derrière l'absence de loi réprimant expressément ces rites
initiatiques pour les tolérer ?
L'arsenal répressif actuellement en vigueur n'est-il pas suffisant ? On peut
effectivement, à bon droit, se poser la question.
Non seulement, monsieur le rapporteur, vous êtes hostile à la création d'un
nouveau délit, et je comprends parfaitement vos raisons, mais vous estimez que
l'arsenal répressif, notamment celui qui est lié à l'exercice du pouvoir
disciplinaire, devrait permettre de faire cesser ces pratiques humiliantes,
dégradantes ou vexatoires.
Cependant, monsieur le rapporteur, les faits qui remontent jusqu'à nous, par
courrier ou appels téléphoniques - à ce jour, et pour cette seule rentrée,
SOS-Violence a reçu 320 appels téléphoniques - prouvent qu'il est absolument
nécessaire de légiférer.
J'ai moi-même assuré une permanence à SOS-Violence car, pour comprendre la
situation, j'ai voulu prendre en direct des appels de parents - car ce sont les
parents qui constatent, au retour de leur enfant, que des choses anormales se
sont passées. Or, sur 320 appels, un seul a donné lieu au dépôt d'une
plainte.
Les élèves veulent en effet avant tout poursuivre leurs études : ils craignent
s'ils engagent des poursuites d'être simplement exclus de l'école, du lycée,
parce qu'ils ne supporteront pas le regard des autres élèves où ils liront le
reproche d'avoir enfreint la loi du silence et la solidarité de groupe.
C'est cette logique de groupe qui permet de légitimer la violence : la
transgression de l'interdit n'en est plus une dès lors que la violence s'exerce
en groupe sur un élève dont le seul espoir est de pouvoir continuer ses
études.
Même les parents - et c'est ce qui est incroyable - qui téléphonent à
SOS-Violence et s'inquiètent de l'état physique ou psychologique de leurs
enfants, en général de grands adolescents, refusent de déposer plainte parce
que ces derniers s'y opposent.
Même lorsque nous avons affaire à de jeunes adultes, qu'ils soient inscrits
dans une classe de préparation vétérinaire à Maisons-Alfort - des enseignants
de cet établissement m'ont écrit n'avoir pas pu, cette année encore, empêcher
les faits de bizutage - dans une faculté de médecine ou aux Beaux-Arts, nous
sommes confrontés à cette même peur de déposer plainte. Tous veulent avant tout
poursuivre leurs études.
Dans le même temps, les quelques élèves et étudiants qui ont le courage de
porter plainte pour violence à l'encontre des bizuteurs échouent dans leur
démarche.
A l'heure actuelle, en effet, toutes les plaintes sont classées parce que les
déclarations des plaignants se trouvent contrées par leurs adversaires qui
invoquent le caractère ludique ou festif des rites d'intégration. La contrainte
morale ou physique est niée en bloc par les personnes soupçonnées. La victime
n'arrive pas à convaincre les juges de la violence physique ou de la contrainte
morale, qui ne laisse souvent pas de trace.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement propose de se référer à l'acte
en tant que tel, à l'acte subi ou à l'acte exécuté par un jeune élève à la
demande d'un aîné. Peu importe le consentement invoqué ou brandi comme cause
exonératoire si l'acte a été objectivement avilissant, humiliant ou
vexatoire.
Aujourd'hui, c'est sur ce point que l'on bute puisque la victime elle-même -
même lorsqu'il s'agit d'un mineur et que ce sont ses parents qui ont porté
plainte - prétendra pour protéger ses études qu'elle a été consentante. Dès
lors, comment un juge peut-il poursuivre les auteurs du bizutage ?
Arrêtons-nous un instant sur l'exemple d'un bizutage imposé à toute une
classe. Imaginons qu'un seul ou une seule élève décide de briser la loi du
silence et dénonce, comme cela a été le cas cette rentrée dans un lycée
professionnel, des simulacres de scènes pornographiques, ou l'enfermement à
tour de rôle pendant trois heures des élèves dans une chambre froide avec des
cadavres d'animaux.
Pour que l'infraction de violence soit constituée, il faudra réunir deux
éléments : un élément matériel et un élément intentionnel.
La matérialité des faits ne soulève aucune difficulté. En revanche, c'est
l'élément intentionnel sur lequel se focalisera tout le débat : pour que
l'accusation prospère, la victime devra convaincre les juges de la volonté des
bizuteurs d'exercer, en pleine connaissance de cause, une violence ou une
contrainte sur sa personne.
Imaginons maintenant cette victime dans une salle d'audience face aux
bizuteurs et à leurs soutiens. Le débat va immédiatement se déplacer sur
l'absence de contrainte. Les bizuteurs feront défiler à la barre du tribunal
des témoins qui invoqueront la franche rigolade, l'irrésistible défoulement, la
subtile intégration. Les bizuteurs chercheront à rappeler au plaignant qu'en
réalité, à certains moments, il a souri et veilleront à faire citer à la barre
du tribunal des camarades qui viendront témoigner du fait que le bizuté s'est
amusé, lui aussi, de ce rite initiatique !
En revanche, les faits dans leur matérialité risquent d'être évacués des
débats. On n'abordera pas les agissements humiliants. On ne se référera guère
qu'à l'absence d'élément intentionnel : les bizuteurs tenteront de convaincre
les juges qu'ils n'ont jamais exercé de violence, qu'aucun acte n'a été
prémédité, que les bizutés étaient consentants et donc qu'aucune contrainte n'a
été exercée. Au bout du compte, ils prouveront que, dans le fond, tout cela a
fait du bien aux victimes et, dans le doute, la relaxe sera prononcée !
C'est cette logique-là, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les
sénateurs, qu'il nous faut combattre avec la plus grande énergie. C'est le
pseudo-consentement de la victime qui empêche la justice d'agir et de frapper.
A l'évidence, l'outil législatif - je le rappelle : les circulaires se
succèdent depuis cinquante ans - est inadapté.
Il faut se référer non plus au comportement de l'auteur d'un acte de bizutage,
mais à l'aspect dégradant de cet acte. L'élément intentionnel doit se trouver
dans la volonté de faire subir à autrui un acte dégradant portant atteinte de
manière directe à la dignité de la personne humaine.
Le bizuteur a-t-il voulu que son cadet d'un an - c'est un appel qui nous est
arrivé hier - embrasse une tête de veau en voie de décomposition ? Un autre
bizuteur a-t-il voulu convaincre un bizuté d'égorger un poulet - cela s'est
passé lors de cette rentrée - avant de l'obliger à se saouler au moyen d'un
entonnoir et de lui introduire des pétards dans l'anus ? Si vous admettez que
ces actes sont odieux, n'acceptez pas que l'on plaide la soirée paillarde, les
nuits de salle de garde, les rites initiatiques et les week-ends
d'intégration.
Référons-nous uniquement à l'acte : revêt-il, oui ou non, un caractère
dégradant, humiliant, vexatoire ? Si dans votre conscience de parlementaire, de
père ou de mère de famille, vous admettez que ces actes sont dégradants, vous
devez voter la création de ce délit.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, le droit actuel permettrait, dites-vous,
de réprimer ces actes souvent plus sévèrement que ne le prévoit le projet de
loi. Mais cette situation n'est pas nouvelle ! Il y a des précédents, qui n'ont
soulevé aucune contestation. Mme la ministre de la justice a ainsi rappelé tout
à l'heure les cas de coup de fil anonyme.
Enfin, dernière critique, l'atteinte à la dignité de la personne humaine
serait une notion beaucoup trop floue.
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
« Pourrait-être » !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Mais cette notion existe déjà dans le code pénal - vous
l'avez d'ailleurs souligné - puisque l'article 225-14, réprime « le fait de
soumettre une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de
dépendance, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la
dignité humaine ».
Les juges savent parfaitement, me semble-t-il, réprimer les agissements des
marchands de sommeil et ne sont nullement désarçonnés par cette notion de
dignité humaine qui fait partie de notre droit positif.
La crainte des victimes de déposer plainte, la difficulté pour le parquet de
qualifier pénalement certains actes, la nécessité d'interdire les pratiques
dégradantes, bien au-delà des frontières de l'éducation nationale, convaincront
la Haute Assemblée, j'en suis persuadée, puisque dans nos intentions nous nous
rejoignons, de la nécessité d'un dispositif législatif.
Les pratiques d'un autre âge observées dans le système scolaire s'apparentent
en définitive à celles des sectes et la loi doit nous permettre de les
réprimer, car elles ne correspondent nullement, et même s'opposent, aux valeurs
du système éducatif.
Tous les adultes, notamment tous les éducateurs du système scolaire, doivent
aussi cesser - vous l'avez dit, monsieur le rapporteur - par leur passivité ou
par leur indifférence, de cautionner ces pratiques contraires aux valeurs
éducatives.
Pour la première fois, je le disais tout à l'heure, une sanction disciplinaire
a été prise à l'encontre d'un proviseur. Elle a soulevé une très vive
contestation, allant jusqu'au dépôt d'un préavis de grève. Pourtant, les faits
sont là : j'ai eu entre les mains le rapport de l'inspection générale qui
décrit très précisément comment les adultes ont passivement laissé organiser un
faux emploi du temps et un faux cours, comment ils ont laissé pénétrer dans une
classe préparatoire vétérinaire des élèves ne faisant plus partie de
l'établissement, qui ont été présentés aux nouveaux comme des enseignants. Dès
lors, un bizutage dégradant a commencé, avec des actes à connotation sexuelle
qui laisseront sans doute des jeunes filles marquées à vie.
Or c'est précisément sur l'absence de toute loi que s'est reposée la
contestation et c'est ce qui met l'autorité administrative en situation de
faiblesse. J'attends donc de la Haute Assemblée que, dans sa sagesse, elle nous
aide à éradiquer cette forme de barbarie occulte.
Bien évidemment, et vous l'avez compris, il s'agit non pas de supprimer tout
ce qui peut contribuer à développer le sens de la fraternité, de la solidarité
et de la fête au sein d'une promotion, mais bien, en effet, d'éradiquer une
forme de barbarie, et je crois que le Sénat, notamment grâce à la qualité du
travail de sa commission des lois, peut nous y aider.
Pour conclure, monsieur le rapporteur, et toujours pour montrer à quel point
il est important d'adopter une disposition législative, je dirai que, comme
pour la montée de la violence et de l'incivisme, on assiste à une baisse de
l'âge des enfants qui pratiquent le bizutage. On observe ainsi, ce qui ne
s'était jamais vu, des phénomènes de bizutage en classe de sixième ! Il faut
absolument arrêter cette dérive. Les jeunes veulent ressembler aux plus grands
: dans un lycée où je me suis récemment rendue, les enfants entrant en classe
de sixième devaient s'aligner contre un mur et les élèves de cinquième de leur
donner des claques ! Ensuite, c'est l'escalade de la violence, les plus brutaux
ou les plus costauds tapant les plus faibles, les plus jeunes, les plus
timides.
Nous avons une responsabilité éducative majeure : faire front à cette montée
de l'incivisme. Je souhaite que le Sénat nous y aide. Ce n'est pas une question
de clivage politique : c'est une valeur éducative que nous devons défendre.
Il n'est pas seulement nécessaire de légiférer, il faut aussi adresser un
message éthique à l'opinion publique dans un contexte national encore tendu,
les sanctions à l'encontre des éducateurs ne s'étant pas opposés aux pratiques
de bizutage devant être arrêtées prochainement.
Ce message est attendu ; les jeunes générations y verront la nature des
valeurs que nous avons décidé de défendre ensemble.
(Applaudissements.)
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Nous vous avons entendue, madame le
ministre, et je veux vous rassurer, puisque, en quelque sorte, vous appelez la
Haute Assemblée à votre secours.
(Sourires).
Nous serions tout disposés à vous secourir, mais le problème c'est que
vous avez à votre disposition beaucoup plus que la Haute Assemblée ; vous avez
la justice, notamment la Cour de cassation dont les arrêts sont, en la matière,
sans la moindre ambiguïté.
Nous en sommes bien d'accord, la réprobation s'attache à ce que le bizutage
peut avoir d'excessif. Il n'est pas nécessaire d'insister. Vous avez cité un
cas particulièrement pénible, celui d'un viol. Mais il n'est pas besoin d'une
loi nouvelle pour condamner son auteur. Le viol est d'ores et déjà un fait
répréhensible ; c'est même un crime, et si une plainte a été déposée, il va de
soi qu'elle connaîtra l'aboutissement qui s'impose.
Par ailleurs, vous avez fait allusion à une certaine défaillance des autorités
administratives. En effet, c'est le métier des proviseurs, des principaux et
des directeurs des grandes écoles d'appeler leurs élèves à une certaine morale
de groupe et de les empêcher de commettre de tels actes, ce qu'ils n'ont
peut-être pas su faire jusqu'à présent.
Je souhaiterais donner lecture de l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour
de cassation en date du 26 janvier 1994, que vos services connaissent. Je ne le
préciserai pas, parce qu'il est assez nauséeux, l'acte de bizutage qui avait
été commis ; il ne correspondait peut-être pas à un délit tout à fait
précis.
Voici ce que dit la Cour de cassation : « Que vouloir présenter les faits
comme une plaisanterie de bizutage collectif ne correspond pas à la réalité et
permettrait trop aisément de nier un phénomène de groupe où chaque participant
doit répondre de son acte.
« Qu'en outre il convient de condamner fermement ces actes de barbarie morale
et leurs auteurs dont le comportement se situe »; cet arrêt est plus sévère que
le texte du projet de loi, ce que la chambre criminelle a écrit sur ce point
est remarquable - « entre le crétinisme et la cruauté, le tout dans une
atmosphère de pseudo-virilité insipide. »
Le crétinisme n'est pas la chose la plus répandue, je l'espère en tout cas. Il
s'agit non pas d'un délit, mais d'un simple fait. Et voilà que la Cour de
cassation s'indigne d'une attitude qui peut ressembler au crétinisme.
Tout est dans cet arrêt. Que voulez-vous de plus ? La Cour de cassation a
tranché. Le fait incriminé ne correspondait certainement pas à un délit précis,
même si l'on peut, en interprétant quelque peu, y reconnaître un délit. Or, la
Cour dit que c'est intolérable, qu'il est impossible d'admettre de telles
pratiques. Avec une vigueur qui dépasse ce dont nous, législateur, et vous,
Gouvernement, sommes capables, elle qualifie ces actes comme ils doivent être
qualifiés, quelque part entre le crétinisme et la cruauté. Elle conclut en
affirmant que les auteurs de ces faits ne doivent pas s'abriter derrière une
sorte de défense au nom d'une pseudo-virilité. Tout est là !
Nous disposons donc de moyens considérables. Il suffit - c'est là que se situe
la responsabilité du Gouvernement - au-delà des circulaires, que vous ayez le
courage de sanctionner un proviseur qui aura laissé se perpétrer des actes de
bizutage dans son établissement. Lorsque vous en aurez sanctionné un,
croyez-moi, les autres feront attention. Or, actuellement, ils disposent d'une
totale impunité. Il suffit en effet de faire passer un proviseur devant un
conseil de discipline - vous en avez le pouvoir - lorsque l'acte de bizutage
aura été commis dans des conditions aboutissant aux résultats que nous
examinons, et qui sont condamnés en des termes remarquables par la Cour de
cassation.
Madame le ministre, vous avez dit très gentiment que la réflexion de la
commission des lois du Sénat était plus approfondie que celle de la commission
des lois de l'Assemblée nationale. Je n'insisterai pas, nous le savons !
(Sourires.)
Vous êtes prête à accepter l'amendement proposé par notre
collègue M. Dreyfus-Schmidt et qui, je crois, n'a pas la faveur de M. le
rapporteur...
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Moi, je suis l'avis de la commission !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Monsieur le rapporteur, il vous
arrive de rédiger des amendements et de les proposer !
M. Charles Jolibois,
rapporteur.
Bien sûr ! En l'occurrence, la commission a émis un avis
défavorable.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Si l'amendement de M.
Dreyfus-Schmidt est accepté - ce que la commission, si j'ai bien compris, ne
semble pas disposée à faire - nous retrouverons toutes les difficultés que vous
avez signalées, madame le ministre, en ce qui concerne la reconnaissance, la
qualification des faits.
M. Jean-Jacques Hyest.
Effectivement !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Croyez-vous que le pauvre bizuté
aura le courage de dire devant le tribunal qu'il a fait l'objet d'un bizutage
dans des conditions odieuses, qu'il y a consenti ? Je fais malgré tout observer
que - c'est un grand principe de notre droit - le consentement de la victime
n'est pas une cause absolutoire. En effet, si vous pratiquez l'euthanasie avec
le consentement de la personne concernée, vous commettez un crime. Sur ce point
particulier, j'estime que le texte proposé n'apporte rien. C'est pourquoi je
préfère m'en tenir à la décision de la Cour de cassation. Dans la majesté de la
chambre criminelle, les juges ont le courage de dire : les auteurs de tels
actes sont des crétins ou des barbares et ils se prennent pour des hommes ;
c'est de la pseudo-virilité et on sanctionne. Que voulez-vous de plus ?
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
La décision de la Cour de cassation, que je ne
connaissais d'ailleurs pas, est effectivement remarquable. Il serait
intéressant qu'elle figurât dans la loi. Elle plaide précisément en faveur
d'une modification législative.
Par ailleurs, le fait de créer un délit spécifique de bizutage permettra
d'appliquer l'article 40 du code de procédure pénale. En effet, nous pourrons
donner des instructions très fermes concernant l'application de cet article,
aux termes duquel tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, a
connaissance d'un crime ou d'un délit doit en saisir le procureur de la
République.
Aujourd'hui, si je veux sanctionner un proviseur, celui-ci me répond qu'il
n'existe pas de délit spécifique de bizutage et qu'il n'avait donc pas à saisir
le procureur de la République.
Les parents qui mettent leurs enfants dans le système scolaire considèrent que
ce n'est pas à eux de porter plainte et qu'ils sont en droit d'attendre la
protection qui leur est due.
En créant un délit spécifique, vous permettrez à un proviseur, dès lors que
des faits de bizutage seront perpétrés, de saisir le procureur de la République
- et s'il ne le fait pas il sera sanctionné. La crainte d'être sanctionné fera
que le bizutage sera éradiqué du système scolaire. En effet, je préfère qu'il
n'y ait plus de bizutage plutôt que d'être obligée de prendre des sanctions car
cela voudra dire qu'il y aura eu des victimes.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je souhaite intervenir car M. le président Larché a
introduit un élément nouveau dans la discussion.
Sur le plan juridique, après le rappel, par Mme la ministre chargée de
l'enseignement scolaire, des difficultés auxquelles nous devons faire face, je
voudrais revenir sur le point central de notre discussion : est-il nécessaire
de créer une nouvelle incrimination dans le code pénal pour réprimer des
infractions qui aujourd'hui, à notre avis, ne sont pas couvertes par le code
pénal ?
Le Gouvernement n'a jamais dit que le code pénal en son état actuel ne
permettait pas de réprimer certaines infractions commises lors des délits de
bizutage. Jamais le Gouvernement n'a prétendu une chose pareille ! J'ai même
dit le contraire. J'ai précisé, dans mes interventions, que le code pénal
permettait en effet de réprimer les menaces les plus graves : viols, violences,
etc. Mais j'ai également indiqué - et Mme Royal a cité des exemples qui me
paraissaient éloquents - que la rédaction actuelle du code pénal ne nous
donnait pas la certitude que certaines atteintes à la dignité de la personne
seraient effectivement réprimées par les tribunaux.
Je me réjouis que la Cour de cassation ait commencé à aller dans ce sens dans
une jurisprudence récente.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Cet arrêt a été rendu voilà trois
ans !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il n'en demeure pas moins que c'est un cas particulier.
Le Gouvernement veut avoir l'assurance que le code pénal sera dorénavant
suffisamment précis, s'agissant de la qualification des faits, des infractions
qu'il convient d'incriminer, pour que soient réprimés, dans leur totalité, les
dérapages auxquels nous entendons mettre fin.
La question qui est posée devant votre assemblée me paraît désormais claire :
oui ou non, avons-nous besoin d'une nouvelle incrimination dans le code pénal
pour réprimer effectivement tous les excès de bizutage - je dis bien « tous » -
et pas seulement les plus graves d'entre eux ?
Voilà la question qui est posée. Au nom du Gouvernement, je réponds oui. Je le
répète : la solution proposée par M. Dreyfus-Schmidt permettra d'améliorer la
rédaction et de répondre avec plus de rigueur à ce problème.
M. le président.
Le débat a été, je crois, très large.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 29 et 62.
M. Nicolas About.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. About.
M. Nicolas About.
Avec tout le respect que je dois et l'amitié que je porte à M. le rapporteur
et à M. le président de la commission des lois, je voudrais indiquer, en tant
que médecin et comme maire, qu'il est temps de donner un signal très fort :
stop à la violence à l'école ! Stop à l'organisation de manifestations qui,
nous le savons, dégénèrent dans la très grande majorité des cas ! Stop au
laisser-aller et au laisser-faire d'un certain nombre de responsables
d'établissement !
Un texte est nécessaire. Il devra être affiché à l'entrée des établissements.
Surtout, nos élèves et les responsables doivent savoir que ces dispositions
seront appliquées.
La grande difficulté, c'est que l'on veut réduire l'objet de ce texte aux
excès du bizutage. Or le problème, ce sont non pas les excès, mais les
conditions dans lesquelles ils se produisent. Il ne faut donc pas se limiter à
dire que l'on va s'attaquer aux excès. En effet, permettre le bizutage, c'est
autoriser les excès. Il faudra énoncer très clairement, comme l'a dit Mme le
ministre chargé de l'enseignement scolaire, que, depuis cinquante ans, le
bizutage est interdit. Aucun texte, jusqu'à présent, ne l'a spécifié. Si nous
voulons que les notes adressées aux enseignants par le ministre soient claires,
il faudra commencer par dire que le bizutage est interdit et alors il n'y aura
plus d'excès de bizutage, il y aura simplement atteinte à l'interdiction de
bizutage.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues,
j'interviens maintenant car, si les amendements n°s 29 et 62 sont adoptés, il
me sera alors impossible de prendre la parole pour soutenir l'amendement n° 123
déposé par notre excellent collègues Michel Dreyfus-Schmidt.
Or, à cet instant du débat, je voudrais très clairement dire que nous sommes
dans un cas d'école extrêmement intéressant.
J'ai été quelque peu étonné, je l'avoue, d'entendre mon ami Charles Jolibois
affirmer qu'il s'agit d'un débat purement juridique et non d'un débat
politique. Mais c'est mieux que cela ! C'est un débat de politique juridique.
En effet, nous sommes non pas dans un débat politique au sens partisan du
terme, mais dans un débat visant à la meilleure organisation de la cité, ce qui
est à proprement parler, sans avoir besoin de citer Aristote, véritablement la
nature même de la politique et la première considération que doit conserver à
l'esprit le législateur.
Je pense que, s'agissant de ce qu'il faut bien appeler « le bizutage », pour
rester simple, les positions sont claires : nous sommes tous d'accord pour dire
que l'on ne saurait admettre les excès du bizutage. Je laisse de côté ce qui
constitue des actes de barbarie, car ces derniers sont sanctionnables par des
peines criminelles.
S'agissant par conséquent des excès du bizutage, la question suivante se pose
: devons-nous oui ou non ajouter à l'arsenal législatif ?
Je tiens tout d'abord à dire que vous avez à mon avis très bien fait, madame
la ministre, de manifester, par votre circulaire, votre volonté de mettre un
terme à des pratiques odieuses à l'intérieur des établissements scolaires.
Au-delà, un texte nouveau est-il réellement indispensable ? A dessein, je
souligne l'adjectif. En effet, indispensable est une chose ; utile en est une
autre. Un texte nouveau est-il indispensable ? Très franchement, ayant connu
avant ce débat l'arrêt de la Cour de cassation, je n'en suis pas sûr. Je crois
véritablement que nous pourrions nous en passer.
Est-ce à dire, pour autant, qu'il n'est pas utile ? Je ne le crois pas. A la
réflexion, il peut à mon avis être utile, et ce pour plusieurs raisons.
Je laisse de côté le fait qu'il marquera une volonté très ferme de mettre un
terme à tous ces excès. C'est ce que l'on appelle communément la « fonction
expressive ». Sur ce point, je crois avoir marqué, dans la préface du projet de
nouveau code pénal dont vous avez été saisi, la différence entre la fonction
répressive et la fonction expressive.
Mais ce n'est pas seulement cette proclamation qui importe ici. Je considère
que l'amendement n° 123 de notre ami Michel Dreyfus-Schmidt comporte un
resserrement de la qualification, une amélioration de l'incrimination, et qu'il
entraînerait, s'il était adopté, non pas une révolution, mais un progrès
législatif.
Compte tenu de la légitime volonté commune de mettre un terme à ces excès, ce
progrès, à lui seul, justifie l'adoption d'une nouvelle incrimination
spécifique.
Alors, quelle incrimination spécifique ? Assurément, cher Michel
Dreyfus-Schmidt, il faudra changer la dénomination. Nous pouvons trouver mieux
pour l'intitulé, me semble-t-il, que « des excès du bizutage ».
Toutefois, en ce qui concerne le texte proposé pour l'article 225-16-1 du code
pénal, je rends hommage à Michel Dreyfus-Schmidt. Chacun sait qu'il est l'un
des esprits les plus créatifs en matière d'amendements que connaissent nos
assemblées.
(Sourires.)
Il a ce génie poétique qu'évoque, bien avant Mao, l'art
chinois sur les mille fleurs qui naissent à l'inspiration du poète. Eh bien, à
l'instar des mille feuilles qui poussent au printemps sur les arbres du jardin
du Luxembourg, les amendements naissent de l'esprit de M. Dreyfus-Schmidt et
nous permettent de croire que, dans cet hémicycle du Sénat, c'est toujours le
printemps !
(Nouveaux sourires.)
Le texte produit aujourd'hui par notre collègue constitue
indiscutablement, je le répète, un progrès législatif. Certes, il peut encore
être amélioré, et je souhaiterais qu'il le soit au moins sur un point : comme
Mme Dusseau, je pense qu'on ne peut pas s'en tenir au milieu scolaire. Il y a
en effet les grandes écoles, auxquelles l'adjectif « scolaire » ne s'applique
pas, je crois. En tout cas, cela ne serait pas accepté aisément. Il faut donc
trouver le terme le plus général possible.
Il en est de même s'agissant de milieux que, bizarrement, on passe sous
silence : ainsi, comme l'un de nos plus éminents collègues, nous savons bien
que, à l'intérieur des armées au sens large du terme, existent des pratiques de
bizutage qui, en certaines circonstances, tomberaient indiscutablement sous le
coup de la loi. Il faut avoir le courage de le dire. Je suis également persuadé
qu'il existe des actes de bizutage en milieu professionnel.
Ce texte, à défaut d'être indispensable, est donc utile pour viser les excès
du bizutage. D'ailleurs, dans la suite de la procédure législative, nous
parviendrons certainement à améliorer encore la rédaction de cet excellent
amendement de notre collègue M. Dreyfus-Schmidt, auquel, à nouveau, je rends
hommage.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Mme Dusseau et M. Hoeffel
applaudissent également.)
M. Philippe de Gaulle.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. de Gaulle.
M. Philippe de Gaulle.
Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le
bizutage existe assurément dans l'institution militaire. Pour ma part, je ne
l'ai pas connu, car nous étions en temps de guerre. Mais il est une partie du
dressage, si l'on sait que la sueur épargne le sang. C'est l'école du yoga à la
résistance et à l'impassibilité. Mais ce bizutage est contrôlé par la
discipline militaire. Je ne l'approuve pas néanmoins.
Auparavant, en dehors de l'institution militaire, le bizutage était limité aux
seules grandes écoles, à une élite à l'intérieur de ces établissements et sans
excitation des médias, sauf peut-être pour les gadz'arts, pour lesquels il
s'agit en fait d'un grand chahut, et pour les étudiants en médecine, comme
antidote à l'atmosphère angoissante des hôpitaux.
Actuellement, la pratique du bizutage tend à se développer sous l'excitation
de la publicité et des médias. On va bientôt en arriver, si ce n'est déjà fait,
au bizutage en classe primaire par les têtes les plus faibles, les moins
assimilées à la société et les moins bien éduquées. Et le rançonnage n'est pas
loin !
La question est de savoir si l'on veut laisser le bizutage s'étendre, comme
c'est actuellement le cas, ou si l'on veut l'arrêter, comme je le souhaite.
A l'instar de mon collègue M. About, je suis donc favorable à une législation
spécifique, à un signal fort, si l'on ne se contente pas de paroles
démagogiques et si l'on est décidé à appliquer ce qui est proposé.
(Applaudissements.)
Mme Nicole Borvo.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Je considère moi aussi qu'il nous faut éviter, au sein de la Haute Assemblée,
toute hypocrisie, qu'il n'est pas nécessaire de modifier le code pénal en
fonction des circonstances et que le Gouvernement ainsi que les autorités
doivent se donner les moyens d'appliquer la loi.
Certes, les chefs d'établissement doivent prendre leurs responsabilités. De ce
point de vue, je tiens à féliciter Mme la ministre déléguée, chargée de
l'enseignement scolaire, pour sa circulaire, qui me paraît utile.
Toutefois, il faut ne pas être hypocrite et voir que le bizutage est non pas
hors la loi, mais tabou.
Un texte sur le bizutage est-il indispensable ou utile, pour reprendre la
distinction opérée par M. Badinter ? Il me paraît utile de signaler avec force
que, hormis le viol ou des violences extrêmes, des atteintes à la dignité
humaine sont commises à l'occasion de bizutages, et donc de faire mention du
bizutage dans le projet de loi.
Je pense également que l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt est meilleur que la
rédaction du projet de loi, et je le voterai donc.
D'ailleurs, je veux signaler que des organisations syndicales et des
associations très sérieuses ont créé un comité contre le bizutage en faisant
valoir que, si la loi permet certes de sanctionner les faits les plus graves,
elle n'est pas appliquée et qu'un tabou existe à l'égard du bizutage.
Je voterai donc contre les amendements visant à la suppression de l'article,
mais je voterai en revanche des deux mains l'amendement proposé par M.
Dreyfus-Schmidt.
M. Patrice Gélard.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Je suis désolé d'aller à contre-courant de tous les autres orateurs, et je
dois rendre hommage au talent oratoire de Mmes les ministres, qui m'ont un
moment ébranlé dans mon soutien à la commission.
Je constaterai tout d'abord une certaine déviation dans notre débat. En effet,
dans un premier temps, nous avons dénoncé les excès du bizutage, et,
maintenant, c'est le bizutage lui-même qui est condamné. Le débat a donc un peu
changé de nature.
Mais j'en reviens au fond du débat et au point de vue de la commission des
lois, qui a estimé que nous disposions d'un arsenal juridique suffisant.
Le Gouvernement m'a ébranlé sur un point qui va cependant me conforter dans
mon soutien à la position de la commission des lois. En fait, nous avons quitté
le terrain du bizutage pour passer à tout autre chose : on a ainsi parlé des
sectes, des associations, de l'armée, etc. Vous avez soulevé, mesdames les
ministres, le problème des comportements inadmissibles en société, qui est
peut-être plus vaste que celui de la protection des mineurs.
Dans ce cas-là, j'estime que ni le texte présenté par le Gouvernement, ni le
texte adopté par l'Assemblée nationale, ni le texte proposé par notre ami M.
Michel Dreyfus-Schmidt ne correspondent à la véritable incrimination nouvelle
que l'on veut introduire. Il faudra donc à l'avenir, après avoir réellement
fait le tour du problème, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, déposer un
nouveau projet de loi établissant une nouvelle incrimination.
De plus, les textes qui nous sont proposés sont trop flous et laissent
diverses possibilités d'interprétation. J'ajoute, entre nous soit dit, que, si
nous nous en tenions au projet de loi qui nous est soumis, nombre d'actes de
bizutage pourraient encore se produire à l'extérieur des locaux visés. Prenons
un exemple tout simple : le texte de l'Assemblée nationale vise les locaux
scolaires. Qui interdira le bizutage en dehors de ces locaux ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Le texte fait référence aux « milieux » !
M. Patrice Gélard.
En fait, le véritable problème est que nous disposons de l'arsenal juridique
et des moyens, mais que les autorités administratives ont fait preuve de
laxisme pendant des années et des années ! Pendant tout ce temps, ce fut la loi
de l'
omerta,
la loi du silence, respectée par les uns et les autres.
On commence à découvrir, petit-à-petit, maintenant que le voile est soulevé,
qu'il en est du bizutage comme il en allait autrefois du viol : tout le monde
se taisait, mais, maintenant, on ose enfin avouer les faits. On est entré dans
ce système. Je rappelle qu'il y a simplement huit jours la cour d'appel de
Nancy a prononcé des peines de six mois d'emprisonnement et de 10 000 francs
d'amende à l'encontre d'auteurs d'excès de bizutage. Le mouvement est,
enclenché et, dans l'état actuel des choses, je ne crois pas qu'il faille aller
plus loin.
Ou alors, vous recherchez à tout prix un effet d'annonce ; mais on n'est plus
là dans le domaine de la politique juridique dont parlait notre collègue M.
Robert Badinter.
Je préfère à ce moment-là que l'on renvoie à plus tard l'examen d'un véritable
article à insérer dans le code pénal qui prendrait en considération tous les
éléments de même nature.
(M. Daniel Millaud applaudit.)
Mme Joëlle Dusseau.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je voterai
pour ma part contre les amendements de suppression de ce délit dit « de
bizutage ».
La notion d'excès de bizutage, telle qu'elle est formulée par M.
Dreyfus-Schmidt dans son amendement n° 123, a tout à fait sa place dans ce
texte.
En effet, ce projet de loi concerne d'une manière générale des abus sexuels.
Or, les phénomènes de bizutage ont très souvent, une dimension sexuelle, même
en l'absence d'abus sexuel, et une dimension sado-masochiste.
En outre, le bizutage concerne assez souvent des mineurs, même s'il n'est pas
limité à ces derniers. Le projet de loi que nous examinons visant les gens en
général et les mineurs en particulier, le délit de bizutage y trouve donc tout
naturellement sa place.
Contrairement à l'un de nos collègues, qui considère qu'il est inutile
d'introduire la notion de délit dans ce texte puisqu'on commence à en parler,
j'estime qu'il faut faire attention. En effet, une des raisons pour lesquelles
le problème du bizutage est venu au jour est notamment le fait que
l'inscription de ce délit allait figurer dans le texte de la loi. Méfions-nous
donc : si cette notion disparaissait, une sorte de chape ne couvrirait-elle pas
à nouveau des situations qui sont inacceptables ?
Par conséquent, je pense qu'il nous faut saisir l'occasion et que notre
assemblée s'honorerait non seulement en inscrivant ce délit dans la loi, mais
en le faisant dans la formulation que propose notre collègue M.
Dreyfus-Schmidt, qui me paraît tout à fait appropriée.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 29 et 62, repoussés par le
Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des
lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
10:
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Majorité absolue des suffrages | 160 |
Pour l'adoption | 216 |
Contre | 102 |
En conséquence, l'article 10 est supprimé et les amendements n°s 122, 123, 91 et 124 n'ont plus d'objet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai que les absents ont toujours tort ! (Sourires.)
M. le président. Monsieur Dreyfus-Schmidt, un scrutin est un scrutin !
M. Alain Gournac. C'est cela, la démocratie !
Article 11