SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Décisions du Conseil constitutionnel
(p.
1
).
3.
Financement de la sécurité sociale pour 1998. -
Discussion d'un projet de loi (p.
2
).
Discussion générale : Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité ; M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
MM. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales, pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie ; Jacques Machet, rapporteur de la commission des affaires sociales, pour la famille ; Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales, pour l'assurance vieillesse ; Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances ; Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales ; Mmes Joëlle Dusseau, Nicole Borvo, M. Georges Gruillot.
Suspension et reprise de la séance (p. 3 )
MM. Claude Huriet, Bernard Seillier, François Autain, François Lesein, Guy
Fischer, Alain Gournac, Jean-Louis Lorrain, Mme Marie-Madeleine Dieulangard,
MM. Bernard Joly, Emmanuel Hamel, Michel Mercier, Mme Dinah Derycke.
Mme le ministre, MM. le secrétaire d'Etat, Charles Descours, rapporteur.
Clôture de la discussion générale.
MM. Charles Descours, rapporteur ; le président. Renvoi de la suite de la
discussion.
4.
Communication de l'adoption définitive de propositions d'acte communautaire
(p.
4
).
5.
Dépôt de propositions d'acte communautaire
(p.
5
).
6.
Ordre du jour
(p.
6
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le procès-verbal de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
2
DÉCISIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
M. le président.
J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du
7 novembre 1997, le texte de deux décisions rendues par le Conseil
constitutionnel qui concerne :
- d'une part, la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et
financier,
- d'autre part, la loi portant réforme du service national.
Acte est donné de cette communication.
Ces décisions du Conseil constitutionnel ont été publiées au
Journal
officiel
, édition des lois et décrets.
3
FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE POUR 1998
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 70,
1997-1998). [Rapport n° 73 (1997-1998) et avis n° 79 (1997-1998)].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, comme je l'ai dit devant la commission des
affaires sociales et lors de mon audition sur la politique familiale, je me
félicite que la représentation nationale puisse débattre de l'avenir de notre
système de protection sociale pour la seconde fois cette année. L'accès à la
santé, le droit à la retraite, l'aide aux familles constituent, en effet, les
fondements essentiels de la solidarité entre les citoyens comme entre les
générations.
Comme vous le savez, nous engageons ce débat dans un contexte difficile marqué
par des déficits massifs : depuis quatre ans, le déficit du régime général
s'élève à environ 50 milliards de francs par an.
Les prévisions font apparaître un déficit de 37 milliards de francs pour 1997
et de 33 milliards de francs pour 1998. Le projet de loi adopté par les
députés, en première lecture, a confirmé la volonté du Gouvernement de ramener
le déficit du régime général à 12 milliards de francs et, si la conjoncture le
permet, de retrouver l'équilibre en 1999.
A cet égard, nous devons tous être modestes. Trop souvent, on a annoncé une
disparition du « trou », comme l'on dit, de la sécurité sociale, sans que les
résultats aient été à la hauteur de nos espérances.
Les Français, vous le savez bien, quoique très attachés à notre système de
protection sociale, doutent, voire s'interrogent fortement sur notre capacité
collective à garantir son avenir.
Tel est bien l'enjeu de notre discussion qui, je l'espère, donnera lieu à un
véritable débat démocratique au cours duquel les arguments de fond, les faits
et les chiffres seront préférés à des défenses qui, parfois, apparaissent un
peu corporatistes, ou à des jugements un peu hâtifs.
Je suis convaincue qu'ici tout le monde fera en sorte que nous ayons cet
échange démocratique, que mérite bien l'avenir de notre protection sociale.
Personne ne contestera le fait, quelles que soient par ailleurs nos
divergences, qu'une sécurité sociale en déficit c'est une sécurité sociale
affaiblie et ce sont des solidarités à notre cohésion sociale menacées.
Ainsi, pour conforter la sécurité sociale, nous avons souhaité asseoir son
avenir sur une base de financement plus large. Nous avons tenu à rééquilibrer
les contributions des revenus du capital et du travail, à supprimer les
avantages disproportionnés accordés à certains et à réorienter l'effort en
direction des plus modestes.
Par ailleurs, nous estimons que l'amélioration de la santé de nos concitoyens
nécessite une implication plus forte des professionnels et, évidemment, des «
usagers » eux-mêmes. L'expérience, une fois encore, nous montre qu'une
politique comptable trop centralisée et technocratique ne constitue pas une
véritable politique de santé.
Notre projet ambitionne donc de réduire de deux tiers le déficit prévu pour le
régime général en 1998, en veillant à ce que les mesures proposées soient
cohérentes avec les politiques structurelles que nous engageons, pour aller
au-delà d'un simple redressement comptable.
J'aborderai tout d'abord la réforme du financement.
Nos mécanismes de financement sont, aujourd'hui encore, trop exclusivement
concentrés sur les revenus du travail. Il en résulte, notamment, une faiblesse
chronique des recettes, pour beaucoup à l'origine des déficits que nous
connaissons.
Je vous rappelle que la part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué
d'environ 10 % depuis le début des années quatre-vingt dans notre pays.
En outre, la concentration des prélèvements sur les revenus du travail
contribue à en renchérir le coût, ce qui constitue un obstacle à l'emploi ;
nous le savons pertinemment.
C'est pourquoi nous vous proposons une réforme d'ampleur du financement de la
protection sociale, qui se traduit par un basculement quasi-intégral des
cotisations maladie des actifs salariés et des retraités vers la contribution
sociale généralisée, la CSG.
Cette réforme est fondamentale, car la sécurité sociale disposera ainsi d'une
base de financement élargie et plus équilibrée, d'une assiette plus dynamique à
partir de laquelle nous obtiendrons des ressources en augmentation année après
année.
Cette réforme répond également à une exigence de justice sociale, celle de
rééquilibrer les prélèvements entre les revenus du travail et ceux du capital.
Il est juste, en effet, que l'ensemble des revenus soient appelés à contribuer.
C'est ainsi que s'exprime la solidarité de tous devant la maladie.
Ce rééquilibrage sera d'ailleurs prolongé par l'extension de l'assiette du
prélèvement de 1 % actuellement affecté à la Caisse nationale de l'assurance
maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS et à la Caisse nationale des
allocations familiales, la CNAF, à l'ensemble des revenus de l'épargne
assujettis à la CSG. C'est donc, au total, plus de 20 milliards de francs qui
seront prélevés sur les revenus du capital et qui contribueront au
financement.
Le basculement des cotisations maladie vers la CSG permet ainsi un
accroissement substantiel du pouvoir d'achat des actifs salariés d'environ 1,1
%. Il se traduit également par une hausse du pouvoir d'achat des exploitants
agricoles et de celui de 80 % des indépendants non agricoles.
Cette réforme favorise l'emploi puisqu'elle augmente le pouvoir d'achat, donc
la consommation, ce dont a besoin aujourd'hui notre pays pour asseoir sa
croissance.
Nous faisons en ce domaine - je le dis sans esprit de polémique - un autre
choix que nos prédécesseurs. Je vous rappelle en effet que, en 1996, le pouvoir
d'achat du salaire net moyen a diminué de 1,3 % du fait des prélèvements. C'est
ce que vient de confirmer une étude récente de l'INSEE. C'est sans doute l'une
des raisons qui expliquent une croissance moins forte de la consommation dans
notre pays par rapport à nos principaux partenaires européens et un taux de
croissance insuffisant.
Par cette réforme du financement, le Gouvernement vous propose, au contraire,
de conjuguer soutien à la croissance et recherche d'une plus grande justice
dans les prélèvements. Il s'agit donc d'une réforme d'équité, car la cotisation
maladie est aujourd'hui injuste : elle pèse surtout sur les revenus du travail,
avec des taux inégaux selon les catégories ; elle revêt même, parfois, un
caractère dégressif, comme c'est le cas, par exemple, pour les travailleurs
indépendants non agricoles.
Je sais que la commission propose un autre choix en revenant sur ce transfert
et en proposant un relèvement de la CSG de 0,1 point. J'avoue ne pas très bien
saisir cette logique, car ce n'est pas en rognant sur le pouvoir d'achat des
salariés qu'on relancera la consommation et la croissance ! J'écouterai
cependant MM. les rapporteurs avec grand intérêt.
Si je ne vous ai pas convaincus, je vous demande d'écouter avec attention les
arguments d'un grand connaisseur de notre système de protection sociale : « La
structure de financement de l'assurance maladie apparaît de plus en plus
inadaptée. Ses ressources reposent encore, à titre quasiment exclusif, sur les
cotisations sociales, contrairement à l'évolution amorcée dans les autres
branches. Cette situation a plusieurs conséquences.
« D'une part, on l'a rappelé, l'équilibre de cette branche est
particulièrement dépendant de la conjoncture économique et de l'évolution de la
masse salariale.
« D'autre part, elle est source d'iniquité, puisque, à revenu égal et pour des
prestations identiques, l'effort demandé aux assurés est très variable selon la
structure de leurs revenus, les cotisations sociales ne pesant essentiellement
que sur les revenus d'activité.
« Or, comme l'a souligné le conseil des impôts, la structure des revenus tend
à évoluer au profit des revenus du patrimoine dont la part est passée de 7 % à
plus de 11 % dans les revenus des ménages. »
Ces propos sont tout simplement extraits d'un rapport de la commission des
affaires sociales. Le grand connaisseur de notre système de protection sociale
- peut-être l'aurez-vous reconnu - n'est autre que M. Descours.
(Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE. - M. Descours s'exclame également.)
J'ai de bonnes lectures, monsieur le rapporteur !
M. Emmanuel Hamel.
Excellentes !
M. Charles Descours,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres
financiers généraux et l'assurance maladie.
Je vous en félicite !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vérité en 1996, erreur en 1997
? Ce qui était vrai hier l'est encore aujourd'hui, me semble-t-il. Il serait
curieux que des changements soient intervenus en un an sur des problèmes aussi
structurels.
Il faut se rendre à l'évidence : la réforme de la CSG engagée par la gauche en
1991 - elle a été reprise, d'ailleurs, par les gouvernements successifs entre
1991 et aujourd'hui - et à laquelle nous faisons franchir cette année une étape
essentielle est une réforme juste. Elle est, de plus, rendue nécessaire pour
garantir la pérennité et l'efficacité du système de financement de l'assurance
maladie.
Par conséquent, ne nous opposons pas sur de faux prétextes ! Je ne pense pas
que vous considériez que les revenus du capital et du patrimoine ne doivent pas
être taxés autant que les autres revenus, comme c'est le cas aujourd'hui dans
tous les pays. On comprendrait mal que la France demeure en retard.
J'ajoute, enfin, que nous avons eu le souci, à la différence de nos
prédécesseurs, de ne pas pénaliser les retraités et les chômeurs.
Nous vous proposons, en effet, de différencier la hausse de la CSG qui
concerne les revenus d'activité et celle qui s'applique aux revenus de
remplacement. Il s'agit d'éviter une baisse du pouvoir d'achat des chômeurs et
des retraités. La quasi-totalité d'entre eux acquittent des cotisations maladie
à hauteur de 2,8 %, ce qui représente le niveau de la hausse de CSG que nous
vous proposons.
La politique conduite précédemment, par l'accumulation des prélèvements entre
le RDS et la hausse des cotisations maladie, avait entraîné une baisse de 3 %
du pouvoir d'achat de la pension de base du retraité imposable entre 1993 et
1997.
Les propositions que nous vous soumettons feront contribuer pour plus de 20
milliards de francs les revenus du capital. Elles s'inscrivent dans notre
démarche de réforme structurelle du financement de notre système de protection
sociale. C'est un premier pas.
La question de l'assiette des cotisations patronales est posée. Nous nous
proposons d'étudier une réforme de l'assiette de ces cotisations qui la rende
plus favorable à l'emploi. Faut-il prendre en compte la valeur ajoutée ou une
autre assiette ? Faut-il moduler l'assiette en fonction du rapport masse
salariale-valeur ajoutée, ce qui pénalise les entreprises qui ont choisi
d'engager des investissements autres que productifs ou le remplacement des
hommes par les machines ?
Voilà ce sur quoi nous travaillons. Cette réforme n'est pas simple. Il faudra
notamment vérifier qu'elle n'entraîne pas d'effets pervers ni des transferts
trop lourds d'un secteur à l'autre. Nous sommes néammoins déterminés à
l'engager dès la prochaine loi de financement.
M. François Autain.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je voudrais maintenant aborder
les dispositions relatives à la politique familiale. Ayant déjà eu l'occasion
d'en débattre avec vous la semaine dernière, je m'attarderai donc moins sur ce
sujet, sachant que nous aurons certainement l'occasion d'y revenir lors de nos
discussions.
Notre débat sur la politique familiale doit s'apprécier à la fois au regard
non seulement de la situation de la branche famille, dont le déficit est de 13
milliards de francs en 1997, mais aussi de l'évolution de la place de la
famille dans nos sociétés.
Les raisons du déficit ont été rappelées, en particulier par M. Fourcade. Si
le déplafonnement intervenu en 1990 a entraîné une perte de 7 milliards de
francs, 63 milliards de francs d'excédents accumulés ont été affectés aux
autres branches en 1993. Enfin, la loi de 1994, qui n'était pas financée, pèse
aussi sur la situation actuelle.
Je le répète ici, reconnaissons que nous avons tous une part de responsabilité
dans le déficit actuel de la branche famille et parlons plutôt de l'avenir !
La famille constitue, chacun s'accordera sur ce point, la cellule de base de
notre organisation sociale. Elle est le lien irremplaçable entre les
générations. Elle assure un rôle éducatif évident. Elle s'avère être un refuge
pour les jeunes, et même pour les moins jeunes, face aux difficultés de la vie.
C'est là où se construisent affectivement les enfants, là où ils ont leurs
premiers repères. Mais la famille subit aujourd'hui la crise, tout comme notre
société. Elle n'est protégée ni des tensions sociales ni de la paupérisation
d'une partie de la population. Aussi la famille doit-elle être aidée et
confortée.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les premières initiatives du
Gouvernement montrent que telle est son ambition. Il a quadruplé le montant de
base de l'allocation de rentrée scolaire, revalorisé les allocations logement,
créé un fonds pour l'accès aux cantines scolaires, programmé la réhabilitation
de 120 000 logements supplémentaires. Ce sont près de 10 milliards de francs
qui ont ainsi été apportés en cinq mois aux familles les moins favorisées.
Je comprends mal les critiques formulées à ce sujet. Qui a été condamné par le
Conseil d'Etat pour les décisions prises en 1993 et en 1995 en matière de
revalorisation ou plutôt de non-revalorisation des prestations familiales ? Qui
a gelé les prestations familiales en 1996 ? Qui a augmenté la TVA qui affecte
le pouvoir d'achat des familles les plus modestes, celles qui consomment ? Qui
a prélevé plus de 120 milliards de francs sur les familles entre 1994 et 1996
?
Pour ce qui nous concerne, nous n'entendons pas poursuivre une telle
politique. Vous l'avez constaté dans les premiers choix du Gouvernement. Nous
vous proposons le choix d'une politique de développement et de solidarité.
Notre système d'aide aux familles - et c'est une spécificité française -
s'avère plus favorable pour les revenus les plus élevés.
Un déficit majeur, une redistribution à rebours, les difficultés de nombreuses
familles modestes, voilà ce qui nous a conduits à renforcer l'effort en faveur
des familles les plus en difficulté et à conditionner l'octroi des prestations
familiales à un plafond de ressources. Ce n'est pas une dénaturation de la
politique familiale comme je l'entends parfois ; c'est tout simplement la
définition, dans une période de crise pour la branche famille, d'une politique
familiale de solidarité.
Croyez bien, et nous en sommes tous d'accord, que si la situation n'avait pas
été telle, personne n'aurait pensé effectivement à supprimer les allocations
familiales des familles les plus aisées.
M. Emmanuel Hamel.
Libérez-vous des tabous financiers !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
La mise sous condition de
ressources concernera moins de 8 % des foyers qui perçoivent aujourd'hui les
allocations familiales, soit environ 4 % des familles avec enfants. Cette
disposition heurte, je le sais et je peux le comprendre, les convictions de
ceux qui sont attachés à l'universalité de cette prestation, mais n'oublions
pas que la logique profonde de la politique familiale est une logique de
solidarité.
On s'assure contre un risque. Avoir un enfant n'est pas un risque ; c'est une
chance. Ce n'est pas comme le fait de tomber malade, de devenir âgé ou d'être
touché par le chômage. Si nous souhaitons avoir un réel débat de fond, il faut
le rappeler.
Les associations familiales et les organisations syndicales ont exprimé des
réserves sur la voie qui a été choisie. Elles ne contestent pas la nécessité
d'introduire plus de solidarité dans notre politique familiale, mais elles
souhaitent y parvenir par une réforme fiscale, notamment par une réforme du
quotient familial. Nous en avons débattu avec elles et nous continuerons de le
faire.
Le Gouvernement s'est engagé à réexaminer cette question. Il est disposé à
envisager qu'une réforme fiscale soit substituée à la mise sous conditions de
ressources des allocations familiales, sous réserve d'un consensus avec les
associations familiales et les organisations syndicales sur ce point.
J'entends d'ailleurs que cette réflexion ne se limite pas aux seules aides
financières car la politique familiale doit être envisagée dans sa globalité ;
la réduction de la durée du travail ainsi que les politiques en matière
d'éducation et de logement contribuent à aider les familles dans l'éducation de
leurs enfants.
Nous nous appuierons sur les consultations qui ont déjà été réalisées et qui
se poursuivront dans la perspective d'aboutir pour la Conférence de la famille
qui s'ouvrira en 1998.
C'est aussi le souci de réduire des avantages disproportionnés qui nous a
conduits à proposer de limiter à 50 % le montant des cotisations prises en
charge dans le cadre de l'AGED. Je ne reviendrai pas sur le débat qui a déjà eu
lieu dans cette enceinte.
Cette prestation est concentrée sur un nombre très restreint de familles
puisqu'elles ne sont que 66 000. En fait, 30 000 seront touchées par la baisse
du plafond pour les emplois familiaux et celle de l'AGED.
Ce mode de garde reste, en France, extrêmement aidé puisque après ces deux
réformes, nous rembourserons encore aux familles, si je puis dire, entre 40 %
et 60 % du coût d'une employée à domicile à temps plein, ce qui n'existe dans
aucun autre pays.
Ceux qui critiquent l'effort que nous engageons pour financer des
emplois-jeunes, qui sont utiles à des centaines de personnes, trouvent parfois
normal - et je ne le comprends pas - que 80 000 francs puissent être versés,
comme c'est le cas aujourd'hui en France, à une famille. Or ce sont justement
ces familles qui auraient le plus de facilités pour financer ces emplois et
qui, je le rappelle, seront encore aidées à un niveau oscillant entre 40 % et
60 % du coût après notre réforme.
M. Alain Gournac.
Il faut de vrais emplois !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Tous les élus, qu'ils soient de
droite ou de gauche, que j'ai rencontrés ces jours-ci à propos des
emplois-jeunes semblent considérer qu'il s'agit de vrais emplois.
M. Claude Estier.
Absolument !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il ne faut pas tenir deux
discours, l'un ici et l'autre sur le terrain, monsieur le sénateur !
Cette mesure répond donc à un souci de justice, en visant à apporter une aide
équilibrée aux ménages, quel que soit leur choix personnel en matière de garde
d'enfants.
Je comprends toutefois les problèmes posés à certains couples par cette
disposition et n'ignore pas les difficultés qu'ils rencontrent pour trouver,
dans certains cas, notamment en région parisienne, des modes de garde adaptés.
Aussi, pour les familles dont les revenus s'élèvent à moins de 300 000 francs,
un amendement adopté par l'Assemblée nationale a prévu d'atténuer, pour cette
année, l'effet de la mesure.
J'espère que nous pourrons débattre de ce sujet sereinement. Mon souci est
d'aider les familles les plus modestes et d'avoir sur cette question un débat
digne et de qualité.
A cet égard, je voudrais vous rappeler ce que déclarait M. Juppé en 1996 : «
Faut-il aider toutes les familles exactement de la même manière, quel que soit
leur niveau de revenu ? En posant cette question, j'ai conscience de m'attaquer
à un tabou qui remonte à 1945 ! C'est la doctrine bien connue : on n'aide pas
la famille, on aide l'enfant.
« Je pense que le P-DG qui gagne 100 000 francs par mois n'est pas dans la
même situation que le smicard. Il n'est pas normal d'aider tout le monde de la
même façon. »
M. Alain Gournac.
Oui, « de la même façon » ! Il n'est pas question de suppression !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nos moyens étant limités, il y
a deux solutions : ou bien nous mettons sous conditions de ressources les
prestations qui ne le sont pas, ou bien nous corrigeons les inégalités par
l'impôt, en réintroduisant les allocations dans la base taxable.
Pourquoi ces réflexions qui ont été faites voilà deux ans et qui n'ont pas
donné lieu, il est vrai, à des réalisatons concrètes ne nous serviraient-elles
pas de base pour débattre correctement aujourd'hui ? C'est la question que je
souhaitais vous poser.
M. François Autain.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Ces propos devraient inciter la
majorité sénatoriale à faire preuve de nuances, et j'ai apprécié ceux qui l'ont
fait lors du débat que nous avons eu sur la politique familiale.
J'évoquerai maintenant les problèmes des retraites et des personnes âgées. Le
Gouvernement souhaite consolider les régimes par répartition. A travers eux
s'exprime clairement la solidarité entre les générations. Eux seuls peuvent
offrir les garanties que nous devons à nos aînés. Ils resteront le socle de nos
systèmes de retraite.
Bien sûr, la capitalisation, c'est-à-dire la capacité pour certains de nos
concitoyens d'épargner pour leur retraite, peut avoir sa place mais sous
certaines conditions. Toutefois, elle ne trouvera pas cette place en
affaiblissant les régimes de sécurité sociale, fondés sur la répartition, ni en
étant réservée à une minorité de privilégiés. Elle doit rester un complément
qui ne peut prétendre se substituer à la répartition.
Nos régimes de retraite subissent, pour la plupart, des charges croissantes et
doivent se préparer au choc démographique de l'après-2005. Avec plus de 3
millions de chômeurs, nos concitoyens ne sont pas spontanément prêts à
supporter un coût fortement croissant pour assumer les retraites.
Nous avons toutefois, en ce domaine, un devoir d'explication, de pédagogie et
de lucidité. Tous les régimes sont à des degrés divers, confrontés à ces
exigences. Chacun, dans le cadre de ses spécificités, j'allais presque dire de
sa culture, doit préparer son avenir et relever le défi démographique. La
réflexion sur l'avenir de nos systèmes de retraite, engagée depuis le livre
blanc de 1991, doit se poursuivre.
Autre défi lié au vieillissement, la prise en charge de la dépendance.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Ah !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Les personnes âgées aspirent à
vivre chez elles le plus longtemps possible. A cet égard, l'adoption d'une
proposition de loi émanant du Sénat et instituant une prestation spécifique
dépendance a suscité beaucoup d'espoirs, mais sa mise en oeuvre provoque
aujourd'hui des réactions. Cette loi n'est pas celle que nous aurions proposée,
mais elle est votée et en application depuis presque six mois.
Certains avaient manifesté des inquiétudes quant aux risques d'inégalités d'un
département à l'autre. Elles se sont même aggravées du fait des modalités
d'application et des pratiques très restrictives adoptées par certains
départements.
Toutefois, je tiens à le souligner, la nouvelle législation comporte plusieurs
avancées, comme la mise en place d'une véritable coordination gérontologique,
qui implique de nouvelles méthodes de travail pour l'ensemble des partenaires
concernés par l'aide aux personnes âgées dépendantes. Il s'agit d'une avancée
importante qui pourrait d'ailleurs être transposée dans le domaine du handicap.
Je crois qu'il faut effectivement garder ces positions.
Doit-on, pour autant, abroger la loi, comme certains le demandent ? Très
franchement, cette solution ne me paraît pas réaliste. Nous devons d'abord
examiner les améliorations à apporter à la loi votée.
Nous souhaitons aussi avancer rapidement sur la voie de la réforme de la
tarification des établissements...
MM. Jean Chérioux et Michel Mercier.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... en engageant sans tarder
une concertation nécessaire, mais qui reste à mener, avec l'ensemble des
partenaires concernés.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Henri de Raincourt.
C'est indispensable !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vais réunir, la semaine
prochaine, le comité national de gérontologie. Je traiterai de cette question
avec l'ensemble des partenaires qui seront autour de la table. Nous devons
travailler autour de deux axes : la réforme des aides à domicile et celle de la
tarification des établissements.
Si nous réussissons, avant l'été, à avancer dans ces deux domaines, nous
pourrons modifier la loi pour qu'elle n'ait pas d'effets pervers tout en
gardant ses effets positifs. C'est en tout cas ce que je souhaite.
J'espère que nous nous retrouverons sur ce terrain avec les différents
partenaires concernés, qu'il s'agisse des conseils généraux, des professionnels
ou des intéressés eux-mêmes.
Avant d'évoquer l'assurance maladie, je voudrais vous indiquer dans quel état
d'esprit M. Kouchner et moi-même abordons le problème de la santé.
Il s'agit de répondre aux besoins tels qu'ils sont et là où ils sont,
d'assurer à tous l'accès à des soins de qualité et d'améliorer l'efficience de
notre système pour utiliser au mieux les ressources qui y sont allouées. C'est
à partir de ces principes que nous envisageons la question de la maîtrise des
dépenses de santé.
Leur niveau élevé dans notre pays - 9,8 % du PIB, soit le troisième rang des
pays de l'OCDE - indique que cette maîtrise est possible sans nuire à la
qualité des soins. Ce taux élevé ne nous permet d'ailleurs pas de nous
féliciter de résultats sanitaires supérieurs à ceux des pays de niveau de
développement comparable.
Il s'agit donc bien de maîtriser les dépenses de santé et non les seules
dépenses d'assurance maladie, car, dans notre pays, le niveau de prise en
charge des soins est particulièrement faible. Il ne s'élève qu'à 73,5 %, ce qui
nous place parmi les derniers pays du classement de l'OCDE. Cela explique que
l'accès aux soins soit très difficile pour les personnes les plus
vulnérables.
Dans cette situation, on ne peut rechercher l'équilibre des régimes de
l'assurance maladie par la baisse continuelle des niveaux de remboursement. De
telles mesures, on le sait, sont sans efficacité structurelle. Elle n'en
aggravent pas moins les difficultés d'accès aux soins des plus défavorisés. La
voie de la hausse des charges sociales nous est également interdite. Aussi, la
maîtrise des dépenses de santé reste-t-elle un impératif.
Cependant, nous pensons qu'il faut cesser de considérer notre système de santé
comme une machine à dépenser qu'il faudrait brider de manière autoritaire et
centralisée. N'oublions pas qu'il est avant tout au service de nos concitoyens
et de leur santé.
Nous le régulerons non pas en l'étouffant sous des objectifs et des
enveloppes, mais en engageant les politiques structurelles, en concertation
avec les professionnels de santé, et en donnant la parole aux citoyens et aux
élus. C'est le sens des états généraux de la santé que M. Bernard Kouchner et
moi-même préparons et qui se réuniront à partir du printemps prochain.
Ces états généraux seront un moment fort de dialogue entre les professionnels,
les élus et nos concitoyens.
C'est dans cet esprit que nous vous proposons de fixer l'objectif national des
dépenses d'assurance maladie pour 1998 à 613,6 milliards de francs, soit une
progression de 2,23 % par rapport à l'année précédente.
Ce taux d'évolution est largement inférieur à celui des recettes et représente
une contribution implicite au rééquilibrage des dépenses d'assurance maladie
d'environ 9 milliards de francs.
L'enveloppe consacrée au secteur médico-social progressera de 3,15 % pour
permettre de mieux faire face à l'ampleur des besoins des personnes âgées
dépendantes et des personnes handicapées. Il s'agit d'améliorer la prise en
charge des premières par la création de 7 000 lits de section de cure médicale
et de 2 000 places de services de soins infirmiers à domicile.
Par ailleurs, les moyens supplémentaires consacrés aux personnes handicapées
s'élèveront à 250 millions de francs en 1998, contre 100 millions de francs
seulement en 1997. Nous pourrons ainsi mieux répondre au manque de places, qui
a été mis en évidence par l'amendement Creton, et aux besoins des traumatisés
crâniens et des personnes atteintes de handicaps rares ; nous pourrons
également améliorer la détection précoce des handicaps chez les enfants.
L'enveloppe des dépenses d'assurance maladie consacrée à l'hospitalisation
publique augmente, dans notre projet de budget, de 2,2 % pour 1998, après une
année 1997 où l'évolution avait été brutalement limitée à 1,25 %.
Nous savons les effets que des coupes budgétaires fortes et aveugles peuvent
entraîner pour de nombreux hôpitaux, notamment pour ceux qui mènent depuis des
années une politique courageuse de restructuration et de bonne gestion, et dont
l'activité se développe grâce à la qualité des services qui y sont rendus.
Il serait vain de croire que les hôpitaux évolueront sous l'effet d'une
asphyxie budgétaire.
Je considère aujourd'hui que le plan Juppé ne s'est intéressé aux hôpitaux
qu'à travers cet encadrement budgétaire. Notre objectif est de mettre en place
une réforme de l'hôpital, et non de la tutelle. Il faut adapter l'hôpital et
ses activités aux besoins et aux attentes de la population, notamment en
matière de sécurité, d'efficacité et de proximité.
Notre priorité doit être la qualité des soins et la sécurité des patients. M.
Bernard Kouchner vient d'installer le conseil d'administration de l'ANAES,
l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé...
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Enfin !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vous rappelle, monsieur
Descours, que nous sommes en fonctions depuis quelques mois seulement.
M. Alain Gournac.
On vous verra à l'oeuvre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
L'ANAES permettra d'apporter à
nos concitoyens des garanties quant à la qualité des structures au sein
desquelles ils sont accueillis.
L'adaptation de notre système hospitalier doit aussi être guidée par la
recherche de l'efficience des structures de soins. Nous savons tous que
d'importantes disparités existent en ce domaine, depuis quinze ans de budget
global où les dotations budgétaires se bornaient, à quelques ajustements près,
à reconduire les actions passées. Nous disposons maintenant des données du
programme de médicalisation des systèmes d'information.
Certes, cet outil est encore imparfait, et certains le jugent trop
technocratique. Cela est vrai, mais il peut, utilisé avec discernement, nous
permettre d'orienter l'allocation des moyens et de corriger les inégalités de
moyens entre régions comme entre établissements de santé.
Enfin, notre système hospitalier doit s'adapter pour mieux répondre aux
besoins. Les techniques évoluent, les exigences de sécurité augmentent, les
aspirations des patients se modifient et les caractéristiques des populations
prises en charge changent.
Nous devons donc mieux appréhender les besoins à partir d'une connaissance
plus précise de l'état de santé des populations région par région, mais aussi
des comportements en matière de consommation. Nous devons également disposer
d'un état des lieux plus précis sur l'état actuel des structures de soins, sur
les manières dont les besoins de santé sont actuellement pris en compte. D'où
notre décision de lancer, dès la fin de l'année 1997, la révision des SROS, les
schémas régionaux d'organisation sanitaire.
Nous comptons associer les populations et les élus à cette révision. La
recomposition de notre tissu hospitalier ne peut être le produit de décisions
technocratiques, aussi éclairées soient-elles.
Je suis certaine qu'à partir d'un diagnostic partagé sur les besoins de santé,
les risques spécifiques, l'analyse de la qualité à la fois de santé et de
gestion des établissements, le dialogue est seul à même de favoriser les
évolutions nécessaires.
La remise en chantier des SROS ne retardera pas les évolutions dont la
nécessité est avérée. Nous nous donnerons les moyens de les mettre en
oeuvre.
Le budget du ministère de l'emploi et de la solidarité prévoit, en effet, une
enveloppe de 500 millions de francs, laquelle permettra de rapprocher deux
structures hospitalières, de transformer, par exemple, un service de court
séjour en unité de soins de longue durée. Il faut pouvoir investir, donc en
avoir les moyens, pour faire évoluer l'hôpital.
De même, un fonds d'accompagnement social, pour favoriser la mobilité et la
formation, sera financé sur le budget de l'assurance maladie à hauteur de 300
millions de francs.
Rien ne sera possible si nous ne donnons pas une perspective aux acteurs de
terrain et sans mobiliser leur énergie et leurs talents. La pression sur les
budgets n'est pas une fin en soi. Je n'en conteste pas la nécessité, mais il
faut revenir à l'essentiel : la protection de la santé. C'est la mission du
service public hospitalier, c'est la vocation des personnels hospitaliers,
c'est le sens même de notre engagement dans la réforme de l'hôpital.
Pour la médecine de ville, l'objectif de 2,1 % est à la fois exigeant et
confiant. Il traduit notre volonté de réorganiser progressivement mais
concrètement notre système de santé. Il faut développer des réseaux, notamment
avec les médecins référents, et renforcer les actions de santé publique ; les
chantiers sont nombreux, M. Bernard Kouchner en parlera.
Malgré le volontarisme affiché dans les ordonnances de M. Juppé,
l'informatisation était en panne. Au-delà des incantations, les pouvoirs
publics ne s'étaient pas donnés les moyens de conduire un projet porteur de
changements fondamentaux. Le projet avait été présenté et conçu comme un
élément de contrôle et de coercition, alors qu'il doit être un outil à la
disposition des professionnels et de la qualité des soins. Je pense, par
exemple, aux informations que contiendra le volet d'information médical de la
carte Vitale, au développement des logiciels d'information médicale et d'aide à
la prescription, aux échanges que permettra le réseau Santé Social pour un
meilleur suivi du patient.
Un véritable saut qualitatif aux retombées considérables est possible :
pouvoirs publics, caisses et professionnels de santé doivent le réussir
ensemble. Pour cela, une mission à l'informatisation du système de santé sera
mise en place dans les prochains jours et permettra de coordonner l'action à la
fois de la CNAM, de l'Etat et des professionnels de santé.
En ce qui concerne la régulation des dépenses, les mécanismes, dont nous
héritons, ont suscité une vive opposition au sein du corps médical.
Pourtant, pour que ces mécanismes puissent prétendre à l'efficacité sur le
long terme, il faut rechercher leur adhésion et leur participation.
M. Juppé a cru que l'on pouvait réguler notre système sans les médecins. Or,
l'essentiel est de mettre en oeuvre des mécanismes qui conjuguent régulation et
amélioration de la qualité des soins.
M. Alain Gournac.
On verra à l'oeuvre ! Il est facile de critiquer.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il faut tout mettre en oeuvre
pour impliquer plus directement les acteurs de terrain au contact des réalités.
Sans concertation, on ne voit jamais. Alors faisons la concertation ; on verra
ensuite ceux qui effectivement vont dans le sens que nous souhaitons tous,
c'est-à-dire une amélioration de la santé de nos concitoyens et une protection
sociale qui soit sauvée.
Je voudrais également évoquer le médicament. Tout le monde s'accorde à
reconnaître qu'en France nous en consommons trop. La surconsommation de
médicaments entraîne des interactions médicamenteuses dangereuses et conduit à
des hospitalisations.
J'ai demandé à l'Observatoire des prescriptions un bilan, par classe
thérapeutique, de l'adéquation entre les besoins et la consommation de
médicaments.
Dans le cadre de la politique conventionnelle avec l'industrie pharmaceutique,
le Gouvernement fixera pour 1998 des objectifs ambitieux de réduction des
volumes. Une telle modération est d'ailleurs nécessaire pour que nous puissions
attribuer les prix qu'il méritent aux médicaments nouveaux issus de l'effort de
recherche des laboratoires.
Parallèlement, nous devons faire baisser les dépenses de promotion. Industrie
pharmaceutique et sécurité sociale ont, en ce domaine, des intérêts
convergents. Le présent projet de loi prévoit une augmentation de la taxe sur
les dépenses promotionnelles. Elle touchera ceux d'entre eux qui dépensent le
plus. La politique du médicament générique ne sera pas touchée par ce
dispositif ; elle va, au contraire, changer d'échelle.
Pour conclure sur l'assurance maladie, nous prévoyons de majorer les droits
sur le tabac de 1,3 milliard de francs pour lutter contre le tabagisme...
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Bravo !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... ainsi que sur le tabac à
rouler, le tabagisme étant un fléau majeur responsable de 60 000 morts par
an.
J'ajoute, enfin, que le Gouvernement est conscient du fardeau que supporte la
sécurité sociale du fait des déficits accumulés au cours de la législature
précédente. Il a donc décidé d'apurer le passé. La dette sera reprise pour un
montant de 87 milliards de francs par la CADES, la Caisse d'amortissement de la
dette sociale. Il a été décidé de prolonger de cinq ans la CRDS, la
contribution pour le remboursement de la dette sociale. La charge d'intérêt du
régime général sera ainsi allégée de 3 milliards de francs.
L'ensemble de ces dispositifs doit nous conduire à ramener le déficit à 12
milliards de francs, soit une réduction majeure de l'ordre de 21 milliards de
francs. Tel est le projet du Gouvernement.
Je voudrais à ce stade, et en conclusion, souligner le travail du Sénat, en
remerciant plus particulièrement sa commission des affaires sociales. Celle-ci
ne s'est pas contentée de rejeter ou de critiquer le texte qui parvenait de
l'Assemblée nationale, elle a choisi de proposer un ensemble d'amendements
qu'elle présente comme un contre-projet. Je ne sous-estime pas la vivacité des
critiques qui vont être exprimées et je souhaite qu'elles le soient dans le
cadre d'un débat véritablement démocratique. Je pense, à la lecture des
rapports, que nous pourrons le réaliser.
Nous pouvons donc comparer le projet de la commission des affaires sociales,
complété par la commission des finances, et celui du Gouvernement, amendé par
l'Assemblée nationale.
Avant de dire en deux mots ce qui nous oppose, je souhaiterais malgré tout
relever un point de convergence, qui est loin d'être anecdotique.
Les amendements du Sénat retiennent l'objectif de réduire à 12 milliards de
francs le déficit pour 1998. Vous reconnaissez ainsi sans ambiguïté le
bien-fondé et la validité du cap fixé par le Gouvernement ; c'est un premier
pas.
Toutefois, je dois le dire, je reste perplexe sur la nature des mesures
préconisées par la Haute Assemblée, lesquelles s'appuient sur une vision de la
sécurité sociale qui n'en change pas la base, notamment en ce qui concerne le
financement.
En abandonnant la substitution de la CSG à la cotisation maladie, vous
renoncez à avoir une base plus dynamique et à taxer les revenus du capital.
Vous préférez une mesure qui accroît encore les prélèvements sur l'ensemble des
revenus du travail, sur les chômeurs et sur les retraités.
A vous lire, je comprends mal qu'il faille attendre l'assurance maladie
universelle ou la réforme des cotisations patronales pour avancer, alors que
vous reconnaissez vous-même la nécessité de progresser.
Je me refuse à vous suivre dans cette voie car je pense qu'il n'y a pas de
temps à perdre pour avancer vers un équilibre de la sécurité sociale.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Il n'y a, en effet, pas de temps à perdre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Attendre est une conception qui
n'est pas la nôtre s'agissant du financement de la sécurité sociale.
J'en terminerai par une dernière remarque sur votre tentative de ne pas
dégrader les comptes et de rester dans l'épure du texte voté par l'Assemblée
nationale. Je parle de « tentative » car nous avons recalculé les conséquences
de vos amendements et nous n'arrivons pas au même résultat.
Une partie des économies prévues par votre projet ne nous paraît pas relever
de la réalité - j'aurai l'occasion d'y revenir au cours du débat. Je pense,
notamment, à votre proposition visant à économiser 1,4 milliard de francs sur
le fonctionnement des caisses. Peut-être y a-t-il des économies à faire...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Sûrement !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous y travaillons, notamment
avec le président de la CNAM. Cependant, aujourd'hui, je ne peux vous suivre
sans savoir véritablement où se situent ces économies et comment nous allons
les faire. J'apprécierais que M. le président Fourcade ou MM. Huriet et
Descours, présidents des conseils de surveillance de la CNAM et de l'ACOSS,
l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, précisent où ils ont
trouvé ces économies et si leur dialogue fructueux avec les partenaires sociaux
et les gestionnaires leur a effectivement permis de les dégager.
Les économies que vous projetez de réaliser sur l'assurance maladie, et qui
varient d'ailleurs d'une commission à l'autre, sur l'ONDAM - Objectif national
des dépenses d'assurance maladie - ne sont que la traduction d'une approche un
peu comptable, permettez-moi de vous le dire.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
C'est ce que l'on vous a dit lors du débat sur la politique familiale !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous allons le voir ! Il faut
nous expliquer où vous réalisez les économies dans l'hôpital et dans la
médecine de ville, autrement nous ne pouvons pas aligner des chiffres.
Pour l'ensemble de ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le
Gouvernement ne peut suivre la majorité sénatoriale sur un projet qui lui
paraît moins juste et peu efficace économiquement. Le débat nous permettra de
discuter...
M. Alain Gournac.
Tout de même !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... des éléments généraux et,
je l'espère, d'améliorer encore le projet de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE
- Mme Luc applaudit également.).
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les
dispositions relatives à l'assurance maladie se résument à quelques chiffres.
Vous savez pourtant l'importance que ces chiffres revêtent : c'est la santé de
nos concitoyens qui est en question.
Or j'ai entendu les propos de M. le rapporteur...
(Exclamations amusées sur de nombreuses travées).
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Vous ne m'avez pas entendu : je n'ai pas encore parlé !
(Sourires.)
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Mais je vous lis, monsieur le rapporteur : j'ai cet
avantage !
M. Emmanuel Hamel.
Ce plaisir !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
J'ai lu - et j'entendrai - dans vos propos comme un
regret : auriez-vous souhaité non pas de la rigueur mais de la sévérité, non
pas une maîtrise des dépenses mais un prolongement de la diète à laquelle nos
hôpitaux ont été soumis ? Décidément, nos appréciations sur l'état de notre
pays divergent !
S'agit-il seulement d'une pensée alternative sujette à fluctuations politiques
? Je ne peux pas le croire !
Les professionnels de santé approuvent-ils la manière dont le Gouvernement a
fixé les objectifs de dépense ? Vous vous attristez. Ne disent-ils pas être
pris à la gorge ? C'est vous qui, alors, criez au laxisme. Je le répète : il
s'agit, vous le savez, monsieur le rapporteur, de la santé publique, sujet qui,
je le souhaite, devrait dépasser nos querelles.
M. Alain Gournac.
Cela, c'est de la polémique !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
A vous entendre, on comprend mieux, rétrospectivement,
ce qui a provoqué l'échec de la méthode employée par nos prédécesseurs, qui
pensaient que seule l'arme des chiffres pouvait vaincre je ne sais quelle
hargne dépensière qui se serait répandue comme une traînée de poudre dans les
hôpitaux, dans les cabinets, dans les laboratoires.
Nous n'avons jamais nié la nécessité de la maîtrise, ni avant les élections
législatives, ni après. Mais, comme trop d'impôts tuent l'impôt,...
M. Alain Gournac.
Oui !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
... nous savons que trop de contraintes provoquent un
effet dévastateur souvent inverse.
Ce qui nous intéresse, c'est de veiller à ce que l'argent que la collectivité
consacre à l'assurance maladie soit utilisé pour améliorer la santé de nos
concitoyens, pour assurer l'égalité de tous devant l'accès aux soins, et que ce
montant financier soit ajusté en fonction des priorités de santé que nous avons
définies.
Au cours des cinq mois qui se sont écoulés - et ce matin encore - nous avons,
Martine Aubry et moi-même, reçu les représentants des professions de santé, du
monde libéral comme du monde hospitalier, et certains plusieurs fois. J'ai
visité de nombreux hôpitaux, certains qui connaissent des situations
difficiles, d'autres - et avec vous en particulier, mesdames, messieurs les
sénateurs - qui innovent remarquablement.
J'ai reçu les représentants des personnels hospitaliers, sur le plan national
comme à l'occasion de mes déplacements, et je vais multiplier ces déplacements,
prévus et imprévus.
J'ai entendu de la part de ces représentants et des élus - oui : et des élus !
- un langage responsable.
Là encore, à les entendre, j'ai mieux compris, rétrospectivement, l'échec de
la méthode précédente. Je ne crois pas que le but poursuivi ait été décisif :
cette maîtrise « rêvée » comme une fin en soi. Mais cette méthode ne convenait
pas. Elle s'était trompée de cible. Elle s'était trompée d'époque.
Les mentalités ont évolué. Les personnels des hôpitaux, les professions
paramédicales, les médecins ne demandent pas qu'on leur donne un chèque en
blanc. Ils ne réclament pas toujours plus. Ils veulent qu'on leur donne les
moyens de soigner nos concitoyens et qu'on les aide à le faire au mieux. En
dialoguant avec eux, en informant le public, en organisant les états généraux,
nous parviendrons à une prise en charge égalitaire, et ensuite seulement à la
maîtrise.
Nous entendons non pas faire peser une contrainte aveugle et uniforme sur
l'ensemble du système de santé, mais ajuster les ressources disponibles en
fonction des besoins.
Oui, il y a des sources - des torrents, devrais-je dire ! - de dépenses
inutiles, et parfois dangereuses. Il y a aussi des domaines dans lesquels il
faut des moyens supplémentaires si l'on veut davantage de qualité et de
sécurité.
Dépenses inutiles et parfois dangereuses ? La surconsommation des médicaments,
nous en avons eu la confirmation à la fin de la semaine dernière, en offre un
exemple criant, même si elle n'est pas seule en cause, bien entendu.
Vous savez que la France détient quelques records en la matière : nous
dépensons, nous achetons et, surtout, nous consommons dix-neuf fois plus de
veinotoniques et de vasodilatateurs qu'en Angleterre, et deux fois plus qu'en
Allemagne.
Un sénateur du RPR.
Cela ne sert à rien !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
A rien du tout !
On relève quinze fois plus d'achats d'hypolipémiants dans notre pays qu'en
Angleterre, et 2,4 fois plus qu'en Allemagne. Nous consommons deux fois plus
d'antibiotiques qu'en Angleterre, et deux fois et demie plus qu'en Allemagne.
Nous consommons trois à quatre fois plus de psychotropes que nos deux
voisins.
Face à ces chiffres, qui sont ceux de l'Agence française du médicament...
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et pour l'assurance
maladie.
Excellente agence !
(Sourires.)
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Et pour cause : dès qu'une idée émane du Sénat, elle
est évidemment excellente, et nous ne pouvons manquer de nous rappeler que le
Sénat est à l'origine de la création de cette agence.
(Nouveaux sourires.)
Face à ces chiffres, qui ont été publiés la semaine dernière, Mme Aubry
et moi-même avons demandé à l'Observatoire national de la prescription et de la
consommation de médicaments en ville et à l'hôpital de confirmer et d'analyser
plus finement ces résultats et de les confronter aux besoins réels de la
population.
Vous m'objecterez, mesdames, messieurs les sénateurs, que les besoins réels de
la population sont bien difficiles à apprécier et que les instruments nous
manquent. Ces instruments, même partiels, existent cependant, et nous devons
nous appuyer sur eux.
Nous devons ainsi prendre en compte les besoins de santé en matière de
médicaments et d'hospitalisation comme en matière de visites en ville ou de
consultations pour ajuster au mieux les dépenses, car c'est seulement à partir
de la connaissance de ces éléments que la maîtrise sera possible.
Il y a matière à dépenser moins en soignant mieux, en évitant un certain
nombre des effets indésirables mis en évidence par l'étude dont je viens de
parler, qui a été menée dans l'ensemble des centres régionaux de
pharmacovigilance à la demande de l'Agence française du médicament et qui a
fait apparaître que, sur un jour donné, 10 % des personnes hospitalisées
présentent au moins un effet indésirable dû aux médicaments, et dont au moins
un tiers souffre d'effets graves.
C'est pour lutter contre cette surconsommation, problème majeur de santé
publique, que nous vous proposons d'augmenter la taxe sur les dépenses
promotionnelles et de la rendre progressive. Il ne s'agit pas d'une manière
d'acharnement - non thérapeutique ! - sur l'industrie pharmaceutique, mais
d'une nécessité qui découle des chiffres.
Nous préférons agir ainsi plutôt que comme l'a fait le gouvernement précédent,
qui avait institué une taxe exceptionnelle et uniforme qui ne portait pas sur
les seules dépenses promotionnelles. Or, mesdames, messieurs les sénateurs,
vous n'aviez pas dénoncé cette taxe beaucoup plus lourde qui pénalisait
indifféremment les efforts de recherche, que nous entendons promouvoir, et les
excès de dépenses promotionnelles, sans modifier aucunement les
comportements.
C'est pour aider les prescripteurs que nous mettrons en place une information
indépendante en matière de médicaments. La formation médicale continue,
justement rendue obligatoire, ne doit pas dépendre de l'industrie
pharmaceutique, et donc ni de la presse médicale ni de la visite médicale.
Ces objectifs, nous les inclurons dans l'accord cadre que nous discutons avec
l'industrie pharmaceutique, car nous entendons donner un véritable contenu à la
politique conventionnelle pour les trois années à venir. L'industrie
pharmaceutique doit connaître les objectifs du Gouvernement et prendre des
engagements, que les conventions ont vocation à faire respecter de manière
concertée.
Mais il y a des domaines vers lesquels il faut savoir réorienter les
ressources dont nous disposons, pour mieux soigner. Je pense, notamment, à la
sécurité dans les hôpitaux. Rien ne sert d'ériger des normes - vous le savez,
puisque vous êtes les auteurs de propositions qui ont déjà pris forme de loi et
qui aboutiront à un autre texte législatif en matière de sécurité sanitaire -
si l'on ne donne pas les moyens aux hôpitaux de les respecter, si on n'en
contrôle pas les conditions d'application.
Si nous donnons un peu plus de respiration aux hôpitaux, c'est notamment dans
cette optique. Cela paraît indispensable lorsqu'on connaît les chiffres des
affections nosocomiales et la rigueur des règles d'hygiène et de stérilisation
que nous avons dû, encore très récemment, rappeler par voie de circulaire pour
que ces règles soient respectées dans le secteur public et dans le secteur
privé.
Vous le savez, notre politique hospitalière consiste à viser l'égalité des
chances sur tout point du territoire. Cela signifie concilier les impératifs de
sécurité auxquels je faisais allusion, en matière d'infections hospitalières en
particulier - avec lesquels on ne transige pas - et la proximité, quand elle
est nécessaire, quand elle est justifiée.
Cette proximité conduit à aider - et nous l'avons fait - certains petits
établissements qui doivent non seulement être maintenus, mais aussi renforcés.
Or, encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai eu souvent
l'occasion de visiter avec vous vos établissements de proximité, et j'ai pu
alors constater que le discours n'était pas forcément le même sur place et à
Paris. Ainsi, sans personnaliser le propos - ce que je souhaiterais faire car
ces visites furent toujours enrichissantes - permettez-moi de rappeller qu'à ce
moment-là le discours n'était pas un discours de rigueur ou de maîtrise, mais
qu'il tenait compte des besoins de la population. Je vous en félicite !
Cette politique conduit aussi à favoriser les expériences innovantes, à
encourager la solidarité interhospitalière, au-delà des différences de statut.
J'ai eu l'occasion de le voir à Villeneuve-sur-Lot comme à Lillebonne la
semaine dernière, à Brives ou à Tulle comme en région parisienne, à Dourdan
très récemment mais aussi à Rambouillet.
Pour que cette harmonisation hospitalière soit mise en place, il faut du tact,
mais surtout beaucoup de temps. De un an à deux ans sont nécessaires pour que
les élus d'abord, les équipes hospitalières, les syndicats, le personnel et la
population ensuite prennent la mesure de ces nécessités. Mais il faut surtout
refuser toute méthode brutale. Cette politique est le contraire de
l'immobilisme. L'hôpital est un organisme vivant et, sans oxygène, il
s'atrophie, nous l'avons vu l'année dernière. Et l'oxygène dont je parle, ce
sont les 2,2 % par rapport au 1,25 %. Alors, avec cet oxygène, l'organisme
retrouve la force nécessaire au mouvement.
Nous entendons redonner une dynamique à l'hôpital, le remobiliser pour qu'il
puisse accomplir ses missions. Pour cela, l'enjeu central est celui de la
qualité.
Vous avez souligné, monsieur Descours, les retards pris dans l'installation de
l'ANAES, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Oui, cela, je l'ai dit !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Il est exact que ces retards ont été importants. Il a
fallu en effet un an, à quelques jours près, au précédent gouvernement pour
prendre le décret précisant l'organisation et le rôle de l'ANAES.
Mais je souligne, monsieur le rapporteur, que les choses se sont ensuite
accélérées. Ainsi, quand il s'est agi des nominations, les membres de l'ANAES
ont été désignés par arrêté du 30 mai 1997, entre les deux tours des élections
législatives. On ne pouvait pas faire plus vite !
Cette accélération a été si brutale qu'elle a soulevé de nombreuses
protestations, et c'était certainement légitime. Il a donc été nécessaire de
mener une consultation juridique sur ces textes et de proposer l'élargissement
du conseil scientifique, solution d'ailleurs bien acceptée par tous, pour
étendre le champ de compétences de cette instance. Cette dernière fonctionne
maintenant, monsieur le rapporteur.
La mise en place des différents conseils, ainsi que la désignation de leurs
présidents, du directeur général et du secrétaire général ont eu lieu, vous le
savez, au début du mois d'octobre dernier.
La période de consultations de l'été a été mise à profit pour progresser dans
la constitution des équipes et pour continuer d'avancer sur le guide de
l'accréditation, qui est un signe de qualité.
Sans confondre vitesse et précipitation, le calendrier de travail fixé est
extrêmement serré et ambitieux. En particulier, la procédure d'accrédition sera
opérationnelle dès juin 1998. Vous le savez, tous les établissements français
devront faire connaître la date d'accréditation qui leur paraîtra la meilleure
avant 2001. Or, en France, les établissements à accréditer sont au nombre de 3
700.
Vous vous plaignez de la « respiration » accordée aux hôpitaux. Mesdames,
messieurs les sénateurs, je me souviens des questions que vous nous avez posées
à cet égard, et je suis certain que vous n'oubliez ni le manque de praticiens
hospitaliers ni les postes vacants dans les hôpitaux : plus de mille ! Je doute
fort qu'en augmentant la contrainte financière sur ces établissements on puisse
recruter le nombre de médecins nécessaire. Ou alors, expliquez-moi comment ! Or
il y a là un véritable enjeu de santé publique. Sachez que nos hôpitaux
risquent de ne plus fonctionner par défaut de personnels hospitaliers,
particulièrement de praticiens dans les spécialités que vous connaissez,
notamment l'obstétrique, la gynéco-obstétrique, l'anesthésie, la psychiatrie et
bientôt la chirurgie.
Pour notre part, nous nous sommes attachés à trouver des réponses concrètes à
la pénurie constatée dans certaines spécialités. Nous avons ainsi constitué des
groupes de travail sur les quatre premières disciplines que je citais. Oh ! ce
ne sera pas le miracle, mais ce faisant nous nous efforçons de pallier, dans la
plus large concertation, les manques certains apparus dans quelques hôpitaux de
proximité, avant de mettre en oeuvre une réforme plus profonde.
Les réponses ne se déclinent pas uniquement en termes de statut ou de salaire.
Le fonctionnement des équipes médicales doit être différent. Sur ce point, nous
sommes en parfait accord. Des expériences originales et réussies d'astreintes
communes sur plusieurs établissements doivent être mieux connues.
Par ailleurs, tant qu'il n'y aura pas de réforme de l'internat, d'une part,
une adéquation entre les médecins formés dans les différentes disciplines et
les besoins du pays, d'autre part, nous devrons chercher les moyens d'attirer
les médecins vers ces spécialités déficitaires et de les garder à l'hôpital. Ce
n'est pas en se récriant lorsque l'on desserre l'étau sur l'hôpital que l'on y
parviendra.
De même, il nous faut manifester une volonté forte quand il s'agit de « santé
publique », expression terriblement absente au mois de novembre 1995 !
M. Paul Blanc.
Supprimez l'internat qualifiant !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je suis parfaitement d'accord avec vous et j'entends
que vous me souteniez dans cet effort, car nous ne ferons pas l'unanimité.
Le rapport annexé au présent projet de loi décrit clairement les objectifs du
Gouvernement en matière de santé publique, objectifs que j'ai déjà longuement
détaillés et que je ne reprendrai pas maintenant.
Il me paraît en revanche important d'insister, après Mme Aubry, sur les
mesures de lutte contre le tabagisme.
Les façons de lutter contre le tabagisme sont connues : campagne d'éducation
et d'information, interdiction de publicité et interdiction de fumer dans les
lieux publics, augmentation du prix des cigarettes.
Cette dernière mesure est importante et efficace ; elle a toujours été
efficace en France et dans les autres pays, nous le savons. Contrairement à
certaines rumeurs, elle ne s'accompagne pas systématiquement du développement
d'un marché parallèle. Ainsi, les importations illicites sont plus importantes
en Italie et en Espagne, où les prix sont plus bas, que dans les pays d'Europe
du Nord, où ils sont élevés !
La taxe de santé publique, créée par ce projet de loi, va dans ce sens, comme
les discussions en cours pour éviter une guerre des prix du tabac dont les
principales victimes sont les fumeurs ainsi encouragés. Notre objectif est
clairement de diminuer la consommation.
Parallèlement, les fonds de prévention du tabagisme gérés par l'assurance
maladie seront plus que doublés, puisqu'ils passeront de 20 millions de francs
à 50 millions de francs, dès l'an prochain. Si nous n'avons pas voulu faire
plus, c'est parce que les structures étaient incapables d'absorber plus, sauf à
nuire à l'efficacité de leurs campagnes. Cela nous permettra tout de même de
développer des actions de prévention, d'éducation et d'information sur les
méfaits du tabagisme, en particulier à destination des jeunes. Je serai très
heureux d'avoir avec vous le débat nécessaire sur les toxiques en général, les
toxiques légaux et les toxiques illégaux, sur l'utilisation des psychotropes et
sur la façon dont nous pouvons lutter contre tous les toxiques à la fois. Les
temps sont mûrs pour que nous avancions.
Vous savez que nous avons refusé que la Coupe du monde de football, qui
intéresse la jeunesse de notre pays, soit la vitrine d'une marque d'alcool et
que la loi sur la prévention de l'alcoolisme soit ouvertement bafouée ou
détournée quand le monde entier aura les yeux braqués sur la France.
Voilà qui illustre une nouvelle fois notre volonté de donner ses lettres de
noblesse à la santé publique, et non pas seulement aux soins. Les soins sont
certes indispensables et ils sont assurés efficacement par des équipes très
souvent compétentes, mais notre système est trop axé sur le soin et ne prend
pas suffisamment en compte la prévention et la santé publique.
Tout cela ne figure certes pas dans les dispositions qui vous sont soumises,
mesdames, messieurs les sénateurs. Sachez cependant que tel est l'état d'esprit
du Gouvernement, et que tel est le cap que nous maintiendrons en matière de
santé publique.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles
du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
(M. Jean Delaneau remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres
financiers généraux et l'assurance maladie.
Monsieur le président,
permettez-moi, tout d'abord, de remercier les membres du Gouvernement ici
présents de me lire aussi attentivement !
(Sourires.)
Cela étant, chacun
pourra constater au cours du débat qu'il n'y a pas de contradiction dans mes
propos. Si la majorité à l'Assemblée nationale change, si les gouvernements
changent, la majorité sénatoriale et la commission des affaires sociales
défendent, elles, l'une et l'autre, année après année, les mêmes principes.
M. Claude Estier.
C'est pour cela qu'il faut que le Sénat change aussi !
(Sourires.)
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Je ne suis pas sûr que tous vos amis soient d'accord avec vous sur ce point,
monsieur Estier. J'ai cru comprendre qu'un vrai débat s'est instauré au sein du
parti socialiste sur la question de la limitation du cumul des mandats !
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons effectivement
tous intérêt à engager un débat digne et de qualité sur la politique que vous
nous présentez. Nous ne la soutenons pas et nous savons, tout comme vous je
l'espère, le caractère un peu réducteur des arguments que vous avez avancés.
Il existe entre nous une divergence de fond, qui nécessiterait sans doute des
développements plus longs que ce que nous autorise le débat d'aujourd'hui, mais
un certain nombre d'arguments polémiques, comme les miens tout à l'heure, ne
doivent pas nous empêcher de discuter de manière approfondie de la politique
que nous défendons, les uns et les autres.
Je m'en tiendrai pour l'heure aux idées-forces dans cette intervention
liminaire, me réservant d'entrer plus avant dans le détail lors de la
discussion des articles.
Madame le ministre, nous devons tous en effet rester modestes. Siégeant depuis
dix ans au sein de la commission des comptes de la sécurité sociale, j'ai vu
passer nombre de ministres qui, à leur arrivée, professaient les meilleures
intentions mais qui, malheureusement, au fur et à mesure des événements,
révisaient leurs positions.
Mes chers collègues, aujourd'hui, pour la deuxième fois seulement, le
Parlement est appelé à discuter d'un projet de loi de financement qui devrait
traduire l'expression d'un meilleur contrôle de la nation sur l'évolution de la
sécurité sociale et contribuer ainsi à sauvegarder un système auquel tous les
Français sont légitimement attachés.
Or que constatons-nous dans le texte qui nous est proposé sinon, outre 14,5
milliards de francs de prélèvements nouveaux, et, pour assurer le bouclage, une
reprise de la dette du régime général, des économies de dépenses exclusivement
ciblées sur la famille ? Malheureusement, c'est la branche dont les dépenses
progressent le moins vite et dont le déficit traduit notamment le poids des
charges indues. Nul doute que ces dispositions auraient été mieux comprises si
les économies avaient été elles-mêmes mieux réparties entre les autres
branches. Mais non ! A la lecture de ce projet de loi, seule la branche famille
est concernée.
Il nous faut pourtant, à nous, parlementaires, faire passer un message et un
projet d'avenir aux gestionnaires des caisses, aux professionnels de santé, aux
assurés sociaux, aux familles et aux retraités.
Ni l'institution d'un contrôle parlementaire sur la sécurité sociale, qui
visait à promouvoir dans la gestion quotidienne de la protection sociale la
traduction d'une vision d'ensemble et à long terme, ni les conclusions d'un
débat national sur le montant des ressources allouées à la sécurité sociale et
sur la manière dont elle les dépense ne sauraient se traduire par les mesures
qui nous sont proposées dans ce projet de loi.
Ce débat, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, permettra, je
l'espère, de montrer qu'il existe une autre politique de protection sociale,
fondée sur l'ajustement de l'évolution des prestations de sécurité sociale aux
besoins de la population, la maîtrise des prélèvements et l'adaptation des
conditions de gestion des caisses à l'évolution de notre société.
Evidemment, la discussion d'un projet fondé sur une telle politique aurait
nécessité un débat d'une toute autre nature que celui que nous allons avoir. Un
tel projet appellerait, en effet, une discussion sur la nature et le périmètre
de l'offre de soins, sur l'adaptation des prestations aux attentes de la
population et, monsieur Kouchner, comme vous l'avez dit, sur l'évolution des
modes de vie des familles et sur le contenu des retraites de demain. Au lieu de
quoi, nous aurons à débattre, article après article, des modes de taxation des
laboratoires pharmaceutiques et des grossistes répartiteurs, des prélèvements
injustes opérés sur la caisse des clercs de notaires ou sur la C3S, de
l'alourdissement de 30 % de la fiscalité sur l'épargne et de toutes les
dispositions qui, dans ce projet de loi, frappent les professions indépendantes
et les professions libérales.
Bien sûr, nous parlerons de la famille ; du reste, nous avons déjà ouvert le
débat ici, voilà quelques jours. Madame le ministre, vous avez décidé, pour
l'année 1998 seulement, nous dites-vous, de remettre en cause les principes
fondateurs de la politique familiale qui, depuis cinquante ans, ont permis
d'instituer une indispensable solidarité au profit de l'enfant.
Sur chacun de ces sujets, nous montrerons par nos amendements qu'un autre
projet était possible, un autre projet que nous estimons meilleur pour la
sécurité sociale, pour les assurés sociaux et, madame le ministre, meilleur
aussi pour les contribuables !
Avant d'évoquer la situation de l'assurance maladie, je vais donc examiner
plus en détail les dispositions du projet de loi de financement de la sécurité
sociale et le projet alternatif de la commission des affaires sociales.
Le projet de loi présenté par le Gouvernement vise à réduire le déficit de la
sécurité sociale, qui passerait ainsi de 33 milliards de francs en tendanciel à
12 milliards de francs. Vous nous avez dit que nous étions d'accord sur ce
point, ce qui est déjà d'importance. Mais, puisque vous avez contesté nos
chiffres, permettez que je conteste aussi les vôtres ! Nous n'arrivons pas,
nous, à une réduction d'une telle ampleur, alors que nous l'approuvons dans son
principe, bien sûr. Il nous semble, notamment, que le déficit tendanciel de la
branche maladie à été surévalué.
Mais laissons ces querelles de chiffres, qui sont ce qu'elles sont. C'est sur
la manière dont ce déficit a été réduit que je voudrais argumenter. La lecture
des mesures proposées dans le projet de loi est en effet une longue litanie de
prélèvements nouveaux ou aggravés. Ainsi, le basculement des cotisations
maladie sur la CSG représenterait 4,6 milliards de francs, selon vous. Or,
madame le ministre, c'est en vain que nous avons demandé à vos services des
précisions sur les modalités de calcul de cette estimation. Nous pouvons donc
légitimement la mettre en doute.
M. Alain Gournac.
Sans doute un problème de courrier !
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Je continue mon énumération : élargissement de l'assiette des prélèvements de
1 % perçus au profit des branches famille et maladie : 4,6 milliards de francs
; majoration des cotisations des clercs de notaire et des travailleurs
indépendants : 0,5 milliard de francs ; augmentation des taxes sur les contrats
de prévoyance, sur les dépenses de promotion des laboratoires pharmaceutiques
et sur les ventes directes de médicaments remboursables : 1,1 milliard de
francs.
Tout cela est à peu près de la même veine que les demandes d'économies que
nous formulons nous-mêmes pour la gestion des caisses. On ne peut donc pas nous
reprocher de chercher des recettes nouvelles dans des économies sur la gestion
et, dans le même temps, trouver des recettes exactement de même nature !
J'aurai terminé mon énumération quand j'aurai cité la ponction sur la C3S et
l'intégration de la caisse mutuelle d'assurance vieillesse des cultes, la
CAMAVIC. Cela fera un régime de retraite en moins, et nous n'en compterons donc
plus que cent cinquante-trois ! Il y a là un effort important que le
Gouvernement engage en commençant sans doute par le régime le moins contesté
!
(Sourires.)
Le tout cumulé représente 14,5 milliards de francs.
Passons du côté des dépenses, maintenant.
Le Gouvernement constate l'évolution des dépenses maladie et renonce à les
maîtriser en retenant un objectif de 2,2 %, soit le taux d'évolution tendanciel
calculé par la commission des comptes de la sécurité sociale.
Le Gouvernement concentre les économies sur la branche famille, avec la mise
sous condition de ressources des allocations familiales - 4 milliards de francs
- et la diminution de l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED, pour
un montant de 750 millions de francs. Alors que la famille, personne ne peut le
contester, représente 20 % seulement des dépenses de sécurité sociale, alors
que c'est la branche dont les dépenses augmentent le moins vite, elle contribue
pour moitié à la réduction du déficit ! Il y a là une distorsion avec les
autres branches qui nous semble pour le moins injuste.
M. Alain Gournac.
Ils ne sont pas à ça près !
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Vous avez reconnu, madame le ministre, que d'autres réponses, notamment
fiscales, auraient pu être données aux questions qui étaient posées et vous
soulignez désormais, à chaque occasion, le caractère provisoire, pour la seule
année 1998, de la mise sous condition de ressources des allocations familiales.
Pourquoi ne pas avoir retenu tout de suite cette solution ?
Vous avez beaucoup argumenté sur le fait que nous allions perdre l'année 1998.
A vous entendre dire que les mesures que vous prenez concernant la famille ne
sont pas très bonnes, que vous ferez mieux l'année prochaine, qu'il y aura donc
une conférence sur la famille, que vous verrez bien, également, ce que vous
ferez l'année prochaine concernant la maladie, en attendant la conférence sur
la santé, nous avons le sentiment, compte tenu des chiffres que vous nous
donnez, que c'est le budget présenté par le Gouvernement qui est un budget
d'attente et que c'est le Gouvernement qui fait l'impasse sur l'année 1998.
Pour notre part, dans notre projet de budget, nous estimons ne pas buter contre
le même écueil.
Enfin, une économie de 3 milliards de francs résulte de la reprise de la dette
de la sécurité sociale à hauteur de 87 milliards de francs. Cette mesure est
fondée, mais elle devient contestable si elle ne s'accompagne pas de mesures
tendant à réduire la progression des dépenses.
Il faut que les comportements soient plus responsables, car, en allongeant la
durée de vie de la Caisse d'amortissement de la dette sociale - la CADES - vous
succombez à une tentation à laquelle, selon nous, d'autres gouvernements
succomberont ensuite, de sorte que, dans les années 2030, la CADES reprendra
les déficits des années 2005 et suivantes. Si donc sur le principe nous n'avons
rien à dire, nous estimons qu'il faut fixer un butoir pour que la CADES ne vive
pas
ad vitam aeternam.
Le contre-projet que je vais maintenant vous présenter, madame le ministre, a
le même objectif que le vôtre : réduire à 12 milliards de francs le déficit de
la sécurité sociale en 1998.
Nous voulons toutefois vous montrer qu'il est possible de parvenir à ce
résultat sans procéder, comme vous le faites, à des prélèvements massifs, sans
remettre en cause, comme vous le faites avec les mesures affectant la branche
famille, les fondements de notre protection sociale et sans laisser filer les
dépenses, comme vous le faites aussi, notamment pour la branche maladie.
Je présenterai ce contre-projet en suivant trois axes : sauvegarder la
politique familiale, préserver la cohérence du financement de la sécurité
sociale et rétablir un véritable objectif de maîtrise des dépenses. Je
répondrai, chemin faisant, à un certain nombre de critiques, parfois
polémiques, sur la façon dont nous présentons ce contre-projet.
En ce qui concerne la sauvegarde de la politique familiale, nous sommes
opposés au projet du Gouvernement parce qu'il remet en cause l'un des
fondements de cette politique. Si c'est ce que l'on veut, il faut organiser un
vrai débat sur la politique familiale et non pas, au détour d'une loi de
financement, prévoir des mesures qui traduisent un changement de politique
alors qu'elles ne sont motivées que par des impératifs budgétaires.
Vous nous avez assuré que la mise sous condition de ressources, qui touche
aujourd'hui les allocations familiales, ne déborderait pas le cadre de la
famille. Mais vous savez, comme moi, que depuis longtemps des dispositions sont
prêtes, au ministère des finances, visant à ne pas prendre en charge le petit
risque maladie. Dès lors, qui nous prouve que vous-même ou votre successeur,
après la branche famille, ne toucherez pas à la branche maladie ? C'est sur ce
point que notre opposition est la plus ferme.
Enfin, nous proposons, c'est vrai, d'augmenter de 0,1 % la CSG. Madame le
ministre, vous savez très bien que nous avons voté en 1994 une loi instituant
l'indépendance financière des branches. Pour revenir sur les dispositions
concernant la branche famille que vous avez proposées sans augmenter le déficit
de 12 milliards de francs, il nous fallait donc trouver des ressources dans
cette même branche, puisque nous ne pouvons pas passer d'une branche à une
autre. D'où ce relèvement exceptionnel de 0,1 %, qui concernera seulement
l'année 1998 puisque, nous aussi, nous regarderons les résultats de la
conférence sur la famille. Nous verrons, l'année prochaine, ce que le
Gouvernement nous aura proposé et la position que le Sénat aura prise.
J'en viens au deuxième axe de notre projet : préserver la cohérence du
financement de la protection sociale.
Bien sûr, nous ne sommes pas contre le transfert des cotisations sur la CSG
puisque, l'année dernière, nous l'avons voté, sous un gouvernement que nous
soutenions. Faites-nous la grâce de croire que nous ne changeons pas aussi
facilement d'idée d'une année à l'autre !
Cela étant, le président du conseil de surveillance de l'ACOSS que je suis ne
sait pas, à l'heure où il vous parle, quels seront les effets induits par ce
transfert de 1 % sur la CSG des cotisations, notamment sur toute la partie non
salariale. Nous ne connaissons pas non plus les réactions qu'auront les
Français, notamment les épargnants.
Clarifier les comptes, asseoir les ressources sur une assiette plus
diversifiée et plus dynamique que la seule masse salariale, identifier ce qui
relève de l'assurance ou de la solidarité, assainir les relations financières
avec l'Etat, tels sont les enjeux d'une réforme du financement de la sécurité
sociale. Nous y sommes favorables cette année comme nous l'étions l'année
dernière.
En revanche, le basculement massif et inconsidéré des cotisations d'assurance
maladie vers la CSG n'est pas acceptable. Les effets réels de ce basculement,
qui porte sur des masses financières considérables, de l'ordre de 300 milliards
de francs - tout à l'heure, vous avez argumenté sur des chiffres dix fois
inférieurs - soit trois points de PIB, n'ont pas été mesurés, non plus que
l'ampleur des compensations promises à telle ou telle catégorie, en premier
lieu aux fonctionnaires.
J'ai auditionné soixante organisations de tous ordres. Je me suis aperçu au
fil des auditions qu'un grand nombre de professions allaient subir une perte de
pouvoir d'achat soit pendant la période d'activité, soit au moment de la
retraite. Je citerai, entre autres, les médecins, les professionnels de la
santé, les artisans et commerçants, les professions libérales. Le bâtonnier du
barreau de Paris me disait ainsi qu'il participait moins aux grèves que ses
collègues de province, mais que la mesure poserait des problèmes dramatiques
dans un cabinet de groupe comme le sien, n'ayant pas droit au statut de société
commerciale. Je crois, du reste, que Mme le garde des sceaux en a été
informée.
De même, que va-t-il se passer pour les fonctionnaires des collectivités
locales ? Qui va compenser la partie des revenus constituée de primes ; sur
lesquelles nous allons dorénavant prélever la CSG ?
Le problème est encore le même pour les agents hospitaliers, qui perçoivent à
peu près 15 % de primes. Une somme correspondante est-elle inscrite dans le
budget des hôpitaux pour compenser cette différence, de manière qu'ils ne
perdent pas de pouvoir d'achat ?
Quel sera l'impact, sur le comportement des ménages, de cette aggravation sans
précédent des prélèvements sur l'épargne, plus de 20 milliards de francs si
l'on y ajoute les autres mesures prévues dans le projet de loi de financement
et dans le projet de loi de finances ? Comment réagiront les épargnants ?
Sans vouloir polémiquer plus que vous, madame le ministre, je rappelle tout de
même que, selon les termes mêmes du rapport annexé au projet de loi qui émane
du Gouvernement, il s'agit de distribuer du pouvoir d'achat aux actifs salariés
afin « d'engager dans les meilleures conditions les négociations sur la
réduction de travail ».
En résumé, en étant un peu rapide, comme vous l'avez été vous-même parfois, je
dirai que les trente-cinq heures seront financées par une ponction sur
l'épargne. Cela, ce n'est pas supportable. Nous voulions le dire et nous nous
devons de le faire savoir.
Il est étonnant que cette fiscalisation intervienne alors qu'aucun calendrier
précis n'est prévu pour la mise en place de l'assurance maladie universelle,
qui constitue la contrepartie du financement par la solidarité de la branche
maladie. Nous sommes d'accord pour distinguer ce qui relève du contributif de
ce qui relève de la solidarité. Comme nous avons été d'accord pour la
vieillesse, nous sommes d'accord pour la maladie, mais, là aussi, il faut que
l'indispensable réforme de l'assiette des cotisations patronales progresse et
que le rapport qui est en gestation débouche sur des décisions. Vous nous avez
dit que les projets gouvernementaux seraient présentés l'an prochain. Nous
aimerions savoir quand ils entreront en vigueur.
Madame le ministre, vous avez dit qu'avoir un enfant n'était pas un risque ;
j'ajouterai que ce n'est pas un risque non plus d'être âgé. C'est en effet
quelque chose qui est inscrit dans nos cellules. Si donc il y a un risque
maladie, s'il n'y a peut-être pas un risque maternité, il n'y a pas, en tout
cas, de risque de devenir vieux, car malheureusement, je ne vois pas comment
nous pourrions l'éviter. Vouloir différencier la famille, la maladie et la
retraite selon que c'est ou non un risque me paraît donc quelque peu
artificiel.
J'en arrive au troisième axe de notre projet : rétablir un véritable objectif
de maîtrise des dépenses.
Il est important de contenir la progression de l'objectif national de dépenses
d'assurance maladie, l'ONDAM, et de faire en sorte que toutes les dépenses qui
y figurent soient encadrées et se plient dans leur évolution à la même
discipline que celle qui est acceptée par la médecine de ville et les
établissements hospitaliers.
En outre, il est indispensable que soient confirmés des objectifs ambitieux en
matière d'économies de gestion au sein des caisses de sécurité sociale, dans le
cadre d'une clarification des missions et des tâches qui leur sont confiées.
Pour traiter de l'assurance maladie, je me référerai au rapport de la
commission des comptes de la sécurité sociale. Dans ce rapport - vous ne l'avez
pas assez souligné - il apparaît clairement - je m'en félicite - que les effets
du plan Juppé ont entraîné de substantielles économies pour l'assurance maladie
et que l'objectif de dépenses, au vu des six premiers mois de 1997, aurait de
grandes chances d'être respecté sur l'ensemble de l'année, d'autant que le taux
de dépenses de septembre, qui vient d'être publié, n'est pas si mauvais.
Ce serait là un succès des professionnels de santé - je veux les en féliciter
- car ils ont intégré dans leur pratique quotidienne des comportements
rigoureux allant dans le sens du juste soin.
Ce serait un succès aussi pour le Parlement et le précédent gouvernement. Avec
cette première loi de financement, nous aurions ainsi prouvé qu'il est possible
de maîtriser les dépenses sans rationnement des soins et sans aucun
déremboursement - je suis d'accord avec ce que vous avez dit sur les
pourcentages de remboursement : le plan Juppé n'aggravait pas les
déremboursements.
Toutefois, atteindre l'objectif n'est pas tout à fait assuré. Avant-hier,
madame le ministre, au congrès de MG France, vous avez lancé un vibrant appel
aux professionnels pour qu'ils essaient d'y parvenir.
En effet, si le Gouvernement ne clarifie pas rapidement ses intentions en
matière de maîtrise de dépenses, les dérapages observés au mois d'août
pourraient se reproduire au cours du dernier trimestre et l'objectif de 1997
pourrait ainsi être dépassé.
Vous avez critiqué les ordonnances Juppé, mais vous n'avez pris aucune
décision contraire, même si vous avez multiplié les retards et les critiques.
Cela me paraît grave, car cette réforme est fragile et l'on pourrait voir ses
effets annulés par le seul attentisme du Gouvernement.
Je me réjouis de l'installation de l'ANAES. Je rappelle toutefois que les
décrets étaient pris depuis fin avril et qu'il s'est donc écoulé un certain
temps jusqu'à cette installation.
S'agissant des hôpitaux, vous avez semble-t-il - c'est clair dans le rapport
annexé au projet de loi et M. Kouchner, à l'instant, ne l'a pas démenti -
reporté les restructurations à plus tard, à 1999 pour être précis, en les
subordonnant à l'adoption de nouveaux schémas régionaux d'organisation
sanitaire, les SROS.
Certains SROS existent déjà. Vous avez dit qu'ils n'étaient pas assez
démocratiques, qu'il fallait les refaire. J'en prends acte, en relevant qu'il
faudra au moins une année pour les refaire - vous le savez bien - et qu'il n'y
aura donc pas de restructuration sanitaire en 1998.
Je vous retourne, dès lors, ce que vous avez dit tout à l'heure, à savoir
qu'on ne peut pas faire l'impasse sur l'année 1998 ; vous dites que c'est nous
qui la faisons ; moi, je pense que c'est le Gouvernement qui la fait.
Vous avez également estimé - je vous renvoie, là aussi, au rapport annexé -
que les agences régionales de l'hospitalisation seraient des institutions
insuffisamment démocratiques. De tels propos sont de nature à remettre en cause
l'autorité des directeurs d'agences régionales, dotés de pouvoirs très forts,
mais qui sont à la tête d'institutions nouvelles et donc fragiles.
Toujours en ce qui concerne les hôpitaux, monsieur Kouchner, ce n'est pas
parce que vous fixerez un taux de progression d'ONDAM de 2,2 % que vous
attirerez plus de médecins dans les hôpitaux. Vous savez très bien qu'il s'agit
d'un problème de statut, de mode de vie et de salaire. Améliorez ce statut, et
nous vous suivrons.
Je le répète, ce n'est pas parce que vous accorderez 1 milliard de francs
supplémentaires que vous aurez plus de médecins, plus d'anesthésistes, plus de
neurologues, plus de chirurgiens dans les hôpitaux !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je n'ai pas dit cela !
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
En ce qui concerne les soins de ville, là encore, la définition d'une
politique est renvoyée à plus tard, après des états généraux de la sécurité
sociale que vous avez annoncés pour le printemps, madame la ministre, mais qui
se dérouleront plutôt en été et qui devraient se conclure à l'automne.
Nous soutenons tous l'informatisation mais elle prend également du retard : le
lancement de la carte VITALE 1, qui devait commencer en décembre, vient d'être
reporté au mois d'avril prochain. Un avenant conventionnel très contestable,
qui avait été signé début juin par les partenaires sociaux, a été entériné par
vous voilà seulement quelques semaines, ce qui est un délai beaucoup plus long
que pour les conventions habituelles.
J'en viens à la politique du médicament. Ce n'est pas en instaurant une taxe
supplémentaire que sera réglé le problème qui oppose les officines et
l'industrie. Je crois qu'il y a là un vrai débat, mais que tous les partenaires
devraient se réunir autour d'une table. En effet, ce n'est pas une taxe sur la
vente directe ou non qui réglera la question de la distribution du médicament.
Là aussi, nous y reviendrons au cours du débat.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne réduit le déficit
que grâce à un alourdissement des prélèvements. Il y a la CSG, il y a la taxe
sur le tabac, qui est une bonne chose. A ce propos, je vous rappelle que la
majorité sénatoriale a voté la loi Evin avec, à l'époque, le soutien
extrêmement modéré de nos collègues socialistes, qui s'étaient abstenus.
(Sourires sur les travées socialistes.)
La majorité sénatoriale n'a donc
de leçon à recevoir de personne !
M. Georges Gruillot.
Très bien !
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Par ailleurs, l'instauration de deux nouvelles taxes sur la promotion des
médicaments me semble critiquable. Il faut poursuivre, dans ce domaine, la
politique conventionnelle qui a été initiée depuis 1994.
Du côté des dépenses, l'objectif national des dépenses d'assurance maladie de
2,2 % ne me semble pas acceptable pour trois raisons essentielles.
Premièrement, ce taux n'était pas nécessaire pour procéder aux indispensables
ajustements en faveur des professionnels de santé si l'objectif de 1997 est
respecté.
Deuxièmement, ce taux permettra de financer l'offre hospitalière à périmètre
constant et, je le répète, cela confirme le gel des restructurations en
1998.
Troisièmement - et cela est psychologiquement grave - ce taux est inéquitable,
d'abord parce que le Gouvernement annonce que le taux hospitalier progressera
plus que le taux des médecins libéraux. Je sais bien que le différentiel est de
0,10 %, mais vous savez très bien que les médecins libéraux, que vous recevez
actuellement, ont le sentiment, à tort ou à raison, qu'on leur demande plus
d'efforts qu'aux hôpitaux.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Ça, c'est vrai !
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Ainsi, vous alimentez la thèse selon laquelle les médecins libéraux seraient
des boucs émissaires.
Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je reviens au secteur
médico-social. A cet égard, l'amendement que nous présenterons est identique à
celui que nous avons défendu l'année dernière sur le texte proposé par M.
Jacques Barrot. Il n'y a donc aucune polémique sur ce point. Simplement, nous
estimons que 70 milliards de francs de dépenses qui ne sont pas encadrées sont
intolérables alors qu'on demande des efforts considérables aux professionnels
ambulatoires et aux professionnels hospitaliers. Il faut que les autres
dépenses, comme on dit, c'est-à-dire cette enveloppe « autres prescripteurs »
de 70 milliards de francs, soient encadrées. Je ne suis pas le seul à
l'affirmer, la Cour des comptes l'a dit avant moi. Les prescriptions faites par
les médecins des hôpitaux et exécutées en ville sont de plus en plus
importantes, notamment avec la sortie de la réserve hospitalière des
médicaments très coûteux.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Tout à fait !
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Nous proposerons donc au Sénat de réduire l'objectif national des dépenses de
l'assurance maladie de 3,3 milliards de francs. Cette réduction n'est pas une
brimade supplémentaire à l'égard des professionnels de santé, mais sera le
résultat de l'encadrement de dépenses telles que celles du secteur
médico-social, même si ce dernier n'est pas très content de cette proposition
pour cette année, pas plus qu'il ne l'était l'année dernière.
Pour la commission des affaires sociales, plusieurs options étaient possibles.
Elle pouvait refuser de discuter le projet de loi. Madame le ministre, vous
nous avez rendu hommage de ne pas avoir choisi cette voie et je vous en
remercie. Elle pouvait également repousser l'ensemble des mesures dudit projet
de loi, ce qui revenait au même.
Nous avons préféré proposer une autre politique et un texte qui sera
profondément amendé. Le Sénat montrera ainsi, si vous le souhaitez, mes chers
collègues, et si vous acceptez les conclusions des rapports de votre
commission, qu'il sait être responsable et constructif et que, parfois, sur tel
ou tel point, il l'est, me semble-t-il, plus que le Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Machet, rapporteur.
M. Jacques Machet,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la France a toujours souligné l'attachement qu'elle portait à
la famille.
Le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 affirme que « la nation
assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur
développement ». Il précise en outre que « la nation garantit à tous, notamment
à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la
sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »
Avant d'examiner ce projet de loi de financement de la sécurité sociale avec
sérénité - comme vous, madame la ministre - je souhaite rappeler solennellement
que nous devons considérer la cellule familiale comme le socle essentiel de
notre société. La famille est le lieu privilégié de l'éducation des enfants, de
la transmission des valeurs, de respect et de la solidarité entre les
générations. Elle est également le lieu où se construit l'avenir du pays.
Mes chers collègues, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la
politique familiale est donc non pas un coût mais un investissement pour la
collectivité.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains
et Indépendants.)
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Jacques Machet,
rapporteur pour la famille.
Le Gouvernement ne semble pourtant pas
partager cette conception. Il propose en effet, dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998, la mise sous condition de
ressources des allocations familiales. Présentée comme une mesure de solidarité
et de justice, cette disposition procède en réalité d'une seule volonté
d'économies financières justifiée par le déficit que connaît la branche
famille.
Dans un premier temps, j'ai donc choisi d'analyser les origines du déficit de
la branche famille, ce qui m'amènera à constater que celui-ci témoigne à la
fois du succès rencontré par la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille et
de la multiplicité des charges indues qui pèsent sur les finances de la
branche.
Dans un deuxième temps, j'examinerai, pour les condamner, les mesures
relatives à la famille proposées par le Gouvernement dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1998, mesures qui remettent en cause
les fondements de la politique familiale de notre pays.
Enfin, dans un dernier temps, j'exprimerai le souhait qu'un nouveau souffle
soit donné à la politique familiale, dans la continuité des travaux menés par
la Conférence de la famille.
Beaucoup a déjà été dit lors du débat sur la famille organisé au Sénat le 4
novembre dernier ; par conséquent, je serai bref.
Le déficit de la branche famille témoigne, je le répète, du succès rencontré
par la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille et de la multiplicité des
charges indues qui pèsent sur elle.
La branche famille connaît aujourd'hui un déficit qui devrait atteindre 13,2
milliards de francs en 1997 et 11,8 milliards de francs en 1998. Les mesures
proposées par le Gouvernement ramèneraient le déficit prévisionnel à 2,8
milliards de francs en 1998.
Je souhaite rappeler, mes chers collègues, que la branche famille n'a
cependant pas toujours été déficitaire. Elle a connu, au contraire, jusqu'en
1994, des excédents réguliers qui ont souvent permis de financer les déficits
des branches vieillesse et maladie. La séparation des branches de la sécurité
sociale et l'obligation de l'équilibre financier pour chacune d'entre elles,
prévues par la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, sont
intervenues au moment même où la situation de la branche famille connaissait
les premières difficultés. Après avoir assuré un soutien solidaire aux autres
branches, lorsqu'elle était excédentaire, la branche famille se retrouve seule
face à son déficit.
Le déficit de la branche famille est imputable pour une part au succès
rencontré par la loi relative à la famille de 1994, qui devrait finalement
coûter six milliards de francs supplémentaires par rapport aux prévisions
initiales.
A cet égard, je souhaite m'élever contre les critiques fréquemment exprimées
qui soulignent le coût trop élevé de la loi du 25 juillet 1994 relative à la
famille. Nous devrions, au contraire, nous féliciter du succès que cette loi a
rencontré : la loi famille était nécessaire et a manifestement répondu à des
besoins et à des attentes de la population.
(M. Chérioux applaudit.)
Le déficit de la branche famille résulte aussi des charges tout à fait
étrangères à sa vocation qu'elle supporte. Avant de décider de mesures aussi
graves que la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, le
Gouvernement eût été bien inspiré de procéder à un réexamen d'ensemble des
charges indues pesant sur la branche famille.
Celle-ci assure ainsi gratuitement pour le compte de l'Etat la gestion du
revenu minimum d'insertion, le RMI, et de l'allocation aux adultes handicapés,
l'AAH, pour un coût total de 1,5 milliard de francs.
(Mme le ministre opine.)
De même, le versement effectué par la caisse
nationale d'allocations familiales à la caisse nationale d'assurance vieillesse
des travailleurs salariés au titre de l'assurance vieillesse des parents au
foyer atteint un montant, sans doute excessif, de près de 20 milliards de
francs par an. Si le principe de cette cotisation n'est pas contestable, le
montant versé soulève, quant à lui, certaines interrogations : il représente en
effet à lui seul 8 % des dépenses de la branche.
Une remise à plat de l'ensemble des transferts et des charges supportés par la
CNAF s'impose dans les meilleurs délais. Les responsables de cette caisse nous
l'ont confirmé au cours de nos auditions.
Mes chers collègues, il ne s'agit pas pour moi ici de nier l'existence du
déficit de la branche famille ; il s'agit simplement de mettre l'accent sur les
aspects comptables de ce déficit, qui doivent conduire à relativiser
l'importance que l'on peut lui accorder. Procéder, comme s'apprête à le faire
le Gouvernement, à une réforme fondamentale de la politique familiale, du seul
fait de ce déficit, serait une erreur lourde de conséquences.
Les mesures proposées par le Gouvernement dans le projet de loi de financement
de la sécurité sociale remettent en cause les fondements de la politique
familiale.
A travers les diverses mesures qu'il comporte, le projet de loi de financement
frappe particulièrement les familles auxquelles il impose un très lourd tribut.
Le Gouvernement a manifestement souhaité transformer la politique familiale en
une variable d'ajustement des comptes sociaux : la branche famille supporte en
effet l'essentiel du poids des économies prévues par le projet de loi de
financement. En outre, les effets des mesures défavorables décidées se
conjugueront pour certaines familles. Enfin, faute de moyens suffisants,
l'action sociale de la branche famille risque d'être compromise.
Pour la commission des affaires sociales, la mesure la plus choquante - je
l'ai déjà dit, chacun l'a dit - et la plus inacceptable est naturellement la
mise sous conditions de ressources des allocations familiales.
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Jacques Machet,
rapporteur pour la famille.
Remarquons d'abord que la méthode du
Gouvernement est extrêmement critiquable : elle se caractérise par une absence
totale de concertation avec les partenaires sociaux et le mouvement
familial.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance
vieillesse.
Provocation !
M. Jacques Machet,
rapporteur pour la famille.
Certes, vous avez pris des engagements,
madame la ministre, tout à l'heure dans votre intervention.
En outre, la décision du Gouvernement précède la réflexion de fond annoncée
pour 1998. Etait-il nécessaire de bouleverser le cadre de la polique familiale
à la veille d'un réexamen d'ensemble de cette politique ?
Présentée comme une mesure de justice et de solidarité, la mise sous
conditions de ressources des allocations familiales répond au seul souci de
faire des économies financières : où est la solidarité lorsqu'il s'agit
uniquement de diminuer les prestations pour certaines familles sans reverser la
différence aux plus modestes d'entre elles ?
La mise sous conditions de ressources remet en cause l'universalité des
allocations familiales, principe fondateur de la politique familiale, et
transforme cette dernière en une politique d'aide sociale à vocation
redistributive : si cette mesure est votée, 82 % des prestations familiales
seront versés sous conditions de ressources, contre 42 % auparavant.
Le Gouvernement prend une décision lourde de menaces pour l'avenir de notre
système de protection sociale : il ouvre en effet la voie aux critères de
ressources pour l'ensemble de la sécurité sociale. Demain, les prestations
maladie seront-elles versées en fonction des ressources de l'intéressé ? Le
Gouvernement prend également le risque de voir des parts croissantes de la
population se détourner d'une protection sociale dont elles ne percevraient
plus les prestations et donc le bien-fondé.
Avec cette mesure inconsidérée, le Gouvernement apporte un soutien inespéré et
- je l'espère - involontaire à ceux qui souhaitent démanteler notre système de
protection sociale.
S'agissant de la diminution de l'allocation de garde d'enfant à domicile, la
commission des affaires sociales estime que cette mesure va pénaliser les
femmes qui travaillent et risque de favoriser le développement du travail au
noir. L'AGED permet en effet aux femmes actives - particulièrement aux cadres -
de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Elle vient suppléer le
manque de places en crèches, qui est particulièrement flagrant dans certaines
agglomérations. Sa réduction risque de conduire à des licenciements et
encouragera à nouveau le recours au travail clandestin, ce qui se traduira
in fine
par une baisse des rentrées de cotisations sociales et par une
augmentation du chômage.
Pourtant, mes chers collègues, une autre politique familiale est possible.
Notre pays a le devoir et - j'en suis convaincu - la capacité de donner un
nouveau souffle à sa politique familiale.
La France a, depuis les années trente, mené une politique familiale
vigoureuse, qui a permis un redressement démographique spectaculaire à partir
de 1945. Aujourd'hui, grâce à cette politique familiale, notre pays bénéficie
d'une situation démographique plus favorable que celle de ses partenaires : la
natalité s'est redressée en 1996 pour la deuxième année consécutive ; le taux
de fécondité s'établit à 1,72 en 1996, soit un chiffre nettement supérieur à
ceux de l'Union européenne - 1,44 - de l'Allemagne - 1,30 - ou de l'Italie -
1,22. Nous pouvons nous en réjouir !
Or, pour être efficace, la politique familiale doit s'inscrire dans la durée.
Il est donc à craindre que les mesures défavorables aux familles que s'apprête
à faire voter votre Gouvernement n'érodent la confiance des Français dans
l'avenir de la politique familiale, et ne se traduisent, à terme, par une
diminution des naissances.
Mes chers collègues, je vous propose, au contraire, d'aller de l'avant, de
réaffirmer avec force la nécessité, l'ardente obligation d'une politique
familiale ambitieuse et volontariste.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Jacques Machet,
rapporteur pour la famille.
Les propositions concrètes qui permettraient
de donner un nouvel élan à la politique familiale existent, la qualité des
réflexions issues des groupes de travail et du comité de pilotage de la
Conférence de la famille en témoigne. Je me félicite, à cet égard, des débuts
particulièrement prometteurs de la Conférence de la famille, instance de
concertation et d'échange qui est indispensable pour l'élaboration d'une
nouvelle politique familiale.
Sachons tirer profit du remarquable travail accompli sous l'égide de Mme
Gisserot. Ce travail constitue, en effet, une base de réflexion relativement
consensuelle et susceptible d'être acceptée par tous.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
politique familiale ne devrait pas être un terrain d'affrontements politiques
car il en va de l'avenir de notre pays. Cessons de nous déchirer ! Ayons une
ambition commune pour la famille, ainsi que cela a été dit. Unissons nos
efforts pour que la politique familiale soit véritablement la politique de la
nation tout entière.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle,
rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance
vieillesse.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les régimes de retraite couvrent douze
millions de personnes et pèsent d'un poids considérable dans l'économie
française. Les prestations versées par les régimes obligatoires représentaient,
en 1995, 12,5 % de la richesse nationale.
La branche vieillesse ne donne pourtant pas lieu, dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale, à de longs développements. Nul ne peut
cependant ignorer les problèmes que généreront dans les années à venir les
déséquilibres grandissants.
L'adaptation de nos régimes de retraite aux évolutions démographique et
économique est l'un des chantiers les plus difficiles des gouvernements
successifs dans les vingt années à venir. On ne peut que regretter, madame la
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas mis à profit
l'année 1998 pour poursuivre les réformes structurelles engagées par les
précédents gouvernements. On pourrait donc, de ce point de vue, la considérer
comme une année perdue.
Tout d'abord, je dresserai l'état des lieux de la branche vieillesse : je
constaterai que les déficits se stabilisent mais que la situation reste
toujours préoccupante à long terme.
Dans un deuxième temps, j'évoquerai les mesures ponctuelles et d'inspiration
souvent critiquable contenues dans le projet de loi, mesures qui ne
dispenseront pas d'un examen des problèmes immédiats et d'une réflexion en
profondeur sur l'avenir des régimes de retraite.
Enfin, j'étudierai comment l'instauration de la prestation spécifique
dépendance a conduit la branche vieillesse à redéfinir les axes prioritaires de
son action sociale.
Je souhaiterais d'abord faire le point sur la situation des régimes
d'assurance vieillesse. Si les déficits se stabilisent, je le disais à
l'instant, la situation reste préoccupante à long terme.
Le déficit prévisionnel de la branche vieillesse a été estimé, pour 1997, à
8,5 milliards de francs et devrait atteindre, en 1998, selon l'évolution
tendancielle retenue, 8,3 milliards de francs. Des dispositions figurant dans
le projet de loi de financement devraient le ramener à 4,3 milliards de
francs.
Si le déficit est donc a peu près stabilisé, il est pourtant loin d'être
résorbé, et l'annexe C du projet de loi, à laquelle je vous invite à vous
reporter, mes chers collègues, prévoit un nouveau déficit de 6,8 milliards de
francs en 1999 et de 8,6 milliards de francs en l'an 2 000.
Le rythme d'évolution en volume des prestations versées se ralentit
régulièrement depuis 1995. Cette évolution tient, d'une part, à une évolution
démographique plus favorable - l'arrivée des classes creuses nées avant la
guerre - et, d'autre part, aux effets de la réforme des retraites de 1993 que
la Haute Assemblée avait approuvée et dont l'impact financier devrait être de
1,5 milliard de francs en 1997 et de 2 milliards de francs en 1998.
Il convient de rappeler que les mesures adoptées en 1993 prévoyaient un
allongement progressif de 150 à 160 trimestres de la durée d'assurance prise en
compte pour bénéficier d'une pension à taux plein, une extension de la période
de référence de dix à vingt-cinq années et une indexation des pensions de
retraite sur les prix à la consommation, valable cinq ans, jusqu'à la fin de
l'année 1998, date à laquelle nous devions à nouveau en délibérer.
Pour importante qu'elle soit, cette réforme des retraites n'aurait pas suffi à
elle seule à limiter l'aggravation des déficits. La stabilisation actuelle
résulte aussi de l'augmentation des recettes de la CNAVTS depuis 1993. Elle
provient du relèvement de 1,3 point du taux de la contribution sociale
généralisée au 1er juillet 1993 et de la création du Fonds de solidarité
vieillesse au 1er janvier 1994. Elle découle, ensuite, de la suppression de la
remise mensuelle forfaitaire de quarante-deux francs au 1er septembre 1995.
Elle vient, enfin, de la création de la Caisse d'amortissement de la dette
sociale, plus connue sous le nom de CADES, et de la contribution de
remboursement de la dette sociale, ainsi que de la taxe de 6 % sur les
contributions à la prévoyance complémentaire, prévues par le plan de réforme de
la protection sociale de novembre 1995.
Au total, en année pleine, on peut estimer à 58 milliards de francs l'effet
sur le solde du régime général d'assurance vieillesse de l'augmentation des
flux financiers qui lui sont destinés depuis 1993.
Mes chers collègues, on mesure ainsi l'effort important qui a été accompli par
la collectivité pour sauvegarder la branche vieillesse du régime général. Des
trois branches, c'est d'ailleurs celle qui tend le plus vers l'équilibre, même
si celui-ci n'est pas complètement atteint.
Les régimes complémentaires, plus particulièrement ceux de l'AGIRC et de
l'ARRCO, enregistrent quant à eux les premiers effets positifs des accords du
25 avril 1996.
Pour faire face aux difficultés annoncées, ces régimes ont emprunté la voie de
la négociation collective, ajustant progressivement les règles de
fonctionnement aux nouvelles contraintes financières. Les accords du 25 avril
1996 ont permis de préserver la situation pour les prochaines années en
procédant à une augmentation des taux des cotisations et à une diminution des
rendements.
Les effets de ces accords sont considérables : le solde de l'AGIRC,
l'association générale des institutions de retraite des cadres, devrait être
amélioré de 3,2 milliards de francs en 1997 et de 5,8 milliards en 1998 ; celui
de l'ARRCO, l'association des régimes de retraites complémentaires, de 2
milliards de francs en 1997 et de 4 milliards de francs en 1998.
Pour ces régimes complémentaires, le contentieux du financement des droits à
retraite pour les périodes indemnisées au titre du Fonds national pour l'emploi
et du régime de solidarité n'est pas encore réglé. Je souhaite attirer votre
attention sur ce point, madame la ministre, comme je l'ai fait en commission
des affaires sociales : il importe de trouver dans les meilleurs délais une
solution pour la mise en oeuvre de l'engagement de l'Etat de financer les
droits de retraite attribués par ces régimes de retraites complémentaires.
Je crois qu'un engagement a déjà été pris, mais il ne porte que sur 200
millions de francs, ce qui est loin du compte.
Je crois cependant savoir, madame la ministre, que vous êtes prête à
réexaminer l'évolution de ces deux régimes et à prévoir les dispositions qui
permettraient de mettre un terme à cette situation.
S'agissant des régimes spéciaux de retraite, leur situation est toujours aussi
difficile à appréhender. Leur financement est en effet assuré par des
cotisations fictives d'employeurs ou par une subvention d'équilibre. Par
ailleurs, leur solde étant par définition toujours nul, il n'existe aucun moyen
de connaître leur situation réelle.
La commission des affaires sociales a bien conscience que la question des
régimes spéciaux est un sujet délicat. Cependant, les perspectives
démographiques de ces régimes ne semblent pas plus favorables que celles du
régime des salariés.
La commission estime, par conséquent, qu'il est aujourd'hui indispensable
d'engager une réflexion en profondeur sur la nature, les conditions d'équilibre
et l'avenir de ces régimes, et ce après une très large concertation.
D'une manière plus générale, les perspectives à long terme de l'ensemble des
régimes d'assurance vieillesse restent inquiétantes.
Du fait d'une évolution démographique défavorable - le départ à la retraite de
la génération du
baby-boom
- la plupart des régimes vont connaître des
besoins de financement croissants à partir de 2005.
Selon le rapport Briet, qui est consacré aux perspectives à long terme des
retraites, le nombre de cotisants par retraité tomberait, entre 1995 et 2015,
de 1,75 à 1,22 pour le régime général, de 2,53 à 1,40 pour les fonctionnaires
civils, et de 3,62 à 1,33 pour les agents des collectivités locales ce qui
montre la nécessité d'étudier très attentivement la situation préoccupante de
la CNRACL.
Mon collègue M. Charles Descours n'a pas manqué d'attirer l'attention du
Gouvernement sur ce point. Le président de la commission des affaires sociales
y veillera lui aussi.
La réforme des retraites du régime général de 1993 aura, à terme, des effets
certes positifs, mais insuffisants. En hypothèse moyenne, cette réforme placera
le régime général dans une situation proche de l'équilibre pour 2005, elle
réduira de moitié le besoin de financement résiduel à l'horizon de 2015, mais
elle laissera entier le problème de la période ultérieure. A législation
inchangée, le déficit du régime général pourrait être supérieur à 100 milliards
de francs en 2015, ce qui signifierait un retour à des niveaux de déficit
considérables.
Mes chers collègues, je pense que vous considérez avec moi que ces éléments
sont inquiétants et appellent une véritable prise de conscience des problèmes
qui se poseront. Il est encore temps ! N'attendons pas, madame la ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il soit trop tard !
Au regard de ces défis, que propose le Gouvernement dans le projet de loi de
financement de la sécurité sociale ? Des mesures ponctuelles, je l'ai dit tout
à l'heure, d'inspiration que l'on peut considérer souvent comme critiquable,
qui ne dispenseront pas d'un examen des problèmes immédiats ni d'une réflexion
en profondeur sur l'avenir de notre système de retraite.
Pour limiter à 4,3 milliards de francs le déficit de la branche vieillesse en
1998, comparés aux 8,5 milliards de francs constatés à la fin de 1997, quelle
est la solution choisie par le Gouvernement ? Une solution de facilité, celle
qui a été dénoncée par mon collègue Charles Descours pour ce qui concerne la
branche famille et la branche maladie.
Une fois de plus, au lieu de freiner les dépenses constatées, on choisit
l'accroissement des prélèvements de 1,8 milliard de francs avec l'élargissement
de l'assiette des prélèvements de 1 % sur les revenus du capital et le
relèvement du taux de la taxe sur les contributions des employeurs à la
prévoyance complémentaire, qui passerait de 6 % à 8 %, l'utilisation de
l'excédent de la contribution sociale de solidarité des sociétés, l'intégration
financière de la Caisse mutuelle d'assurance vieillesse des cultes, dont les
ressortissants se préoccupent des répercussions qu'une telle intégration pourra
avoir sur leur taux de contribution, notamment en ce qui concerne la maladie et
les cotisations retraites - M. Chérioux vous interpellera sur ce point - et,
enfin, la reprise partielle de la dette par la Caisse d'amortissement de la
dette sociale.
La commission des affaires sociales regrette que le Gouvernement ait jugé
nécessaire de procéder à une nouvelle augmentation des prélèvements. En outre,
ces opérations ont souvent un caractère - veuillez excuser le terme - de «
recettes de poche », et certaines d'entre elles ne sont pas reconductibles.
Deux problèmes essentiels doivent pourtant être rapidement examinés : l'impact
sur les retraités de l'augmentation de la contribution sociale généralisée et
l'actualisation du mode de revalorisation des pensions.
L'impact pour les retraités du basculement de la cotisation sociale
d'assurance maladie sur la CSG est encore mal connu. M. Descours a bien
expliqué tout à l'heure ce qui nous inquiétait de ce point de vue. Le
Gouvernement prétend que cette opération sera neutre pour les retraités. La
réalité est beaucoup plus complexe.
Nous pouvons affirmer aujourd'hui - M. Le Pensec l'a reconnu devant la
commission et a dit que des mesures seraient prises pour rendre l'opération
neutre mais, pour le moment, nous ne les connaissons pas - que certaines
catégories de retraités, ceux des régimes de non-salariés non agricoles par
exemple, seront perdantes.
De plus, le mode d'indexation de la revalorisation des pensions de retraite,
qui s'effectue aujourd'hui sur l'évolution prévisionnelle des prix, doit être
réexaminé avant la fin de l'année 1998, je l'ai dit tout à l'heure. Le
Gouvernement n'a pas encore fait connaître s'il envisageait une modification de
ce mode d'indexation. Peut-être nous donnerez-vous ce soir des informations sur
vos intentions, madame la ministre.
Ces deux questions pourraient avoir une incidence forte sur le pouvoir d'achat
des retraités. A cet égard, je souhaite rappeler combien notre commission est
attachée au principe du maintien du niveau de vie des retraités. Parce que ce
dernier est aujourd'hui légèrement supérieur à celui des actifs, les retraités
sont parfois abusivement présentés comme des privilégiés. De nombreux retraités
touchent pourtant encore de très faibles pensions ; 1 million de personnes
âgées bénéficient du minimum vieillesse, ce qui n'est pas négligeable !
Avant d'évoquer l'avenir de notre système de retraite, je voudrais dire un mot
de la situation de l'assurance veuvage.
L'assurance veuvage dégage aujourd'hui un solde excédentaire de 1,5 milliard
de francs environ, solde qui vient diminuer le déficit de la branche
vieillesse. Or, parallèlement, l'allocation veuvage versée est d'un montant
très faible - j'insiste sur ce point, mes chers collègues - inférieur au RMI
dès la deuxième année de versement. Cette situation est anormale ; il est grand
temps, me semble-t-il, d'utiliser l'excédent de l'assurance veuvage pour
améliorer la situation des veufs et des veuves.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour l'assurance vieillesse.
Des mesures ont déjà été prises
antérieurement, mais il faut aller beaucoup plus loin, car cette branche est
exemplaire et permettrait de le faire.
Les problèmes rencontrés par les veuves et les veufs appellent naturellement
une réflexion plus générale sur la question des droits dérivés. Dans les
circonstances actuelles, une augmentation du taux de la réversion, porté de 52
% à 54 % en 1995, n'est pas envisageable, car le coût financier en serait trop
élevé pour les régimes d'assurance vieillesse. Il n'en reste pas moins qu'un
passage progressif vers le taux de 60 % est un objectif souhaitable.
Mes chers collègues, la réflexion sur l'avenir de notre système de retraite
doit être pourvuivie. Cet avenir passe, pour la commission des affaires
sociales, par une consolidation de la répartition et par un développement
maîtrisé de la capitalisation.
La commission des affaires sociales souhaite réaffirmer solennellement que la
retraite par répartition doit rester le socle de notre système d'assurance
vieillesse.
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Alain Vasselle
rapporteur pour l'assurance vieillesse.
Que l'on ne fasse pas au Sénat de
procès sur ce point ! Il l'a toujours réaffirmé et quand il a adopté le texte
sur les fonds de pension, il ne l'a pas fait pour remettre en cause le système
de retraite par répartition !
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour l'assurance vieillesse.
La période la plus faste des
régimes de répartition est sans doute révolue : il faut désormais réfléchir aux
mesures qui permettront d'assurer leur pérennité.
La loi du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite ouvre la voie à
l'instauration en France de fonds de pension et d'un dispositif facultatif de
retraite par capitalisation. Les décrets d'application de cette loi n'ont pas
encore vu le jour et il ne semble pas que le Gouvernement ait l'intention de
les faire paraître prochainement.
La loi du 25 mars 1997 risque donc ne jamais entrer en vigueur. On ne peut que
le regretter. La retraite par capitalisation est aujourd'hui un complément
indispensable à la retraite par répartition.
L'expérience des fonds de pension, telle qu'elle a été engagée par la loi du
25 mars 1997, devrait donc être poursuivie. Il est d'ailleurs particulièrement
choquant que le Gouvernement, sans ouvrir un débat au Parlement sur une
modification ou une abrogation de ce texte, bloque l'application de la loi en
s'abstenant de prendre les décrets d'application. J'espère, madame la ministre,
que vous nous apporterez quelques apaisements sur ce point dans votre
réponse.
J'en viens maintenant à l'action sociale de la branche vieillesse, et je
terminerai par cette question.
La prestation spécifique dépendance amène en effet la branche vieillesse à
redéfinir les axes prioritaires de son action sociale.
Le vote par le Parlement de la loi du 24 janvier 1997 a constitué une étape
considérable dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes : elle a
en effet ouvert la voie à une coordination des actions des différents acteurs
qui était souhaitée depuis longtemps par tous les intervenants.
Cette coordination est considérée comme une chance pour les caisses de
sécurité sociale : elle leur a permis de réexaminer et d'accroître l'efficacité
et la cohérence des actions financées par leurs fonds d'action sociale.
La commission ne dispose à ce jour d'aucun véritable bilan de la mise en place
de la prestation spécifique dépendance. En effet, le Comité national de la
coordination gérontologique, qui a été institué par l'article 1er de la loi et
qui doit théoriquement rendre public chaque année un rapport comprenant un
bilan de l'application de la loi, ne s'est toujours pas réuni à ce jour ; je
crois savoir qu'il devrait le faire prochainement.
Si la prestation spécifique dépendance à domicile semble aujourd'hui
fonctionner de façon relativement satisfaisante dans la quasi-totalité des
départements, la situation est moins favorable pour les établissements.
Certaines informations font, en effet, état de disparités importantes dans le
montant de la prise en charge suivant les départements. Il faut imputer cette
situation à l'absence de réforme de la tarification. A cet égard, j'observe que
le rapport annexé au projet de loi de financement précise que « le Gouvernement
souhaite mener en 1998 l'indispensable réforme de la tarification des
établissements accueillant les personnes âgées. »
Lors de votre audition par la commission des affaires sociales du Sénat, le 4
novembre dernier, vous avez déclaré, madame la ministre, que la réforme de la
tarification serait présentée avant l'été 1998. Nous vous en donnons acte. Je
me félicite de l'annonce de ce calendrier prévisionnel, je tiens à vous
rappeler que tout retard supplémentaire dans la réforme de la tarification
risquerait de compromettre la mise en place de la prestation spécifique
dépendance en établissement et ne ferait que conforter les disparités
constatées.
Par ailleurs, je prends acte de la volonté du Gouvernement, inscrite dans le
projet de loi, de financer 7 000 lits de sections de cure médicale et 2 000
places nouvelles de services de soins infirmiers à domicile, qui n'avaient pas
été ouverts faute de financements. Vous respectez donc, madame la ministre,
l'engagement qui avait été pris par le précédent gouvernement.
Nous souhaiterions simplement connaître la situation réelle à ce jour, une
fois que nous aurons assuré le financement de ces 14 000 lits et de ces 4 000
places. Combien de places de soins infirmiers à domicile et de lits de sections
de cure y a-t-il encore à financer ? Je pense qu'il serait intéressant que nous
fassions le point aussi rapidement que possible.
L'instauration de la prestation spécifique dépendance a amené la branche
vieillesse à recentrer son action sociale sur certaines catégories de personnes
âgées.
La mise en place de la PSD a ainsi abouti à un partage des compétences entre
les départements et les organismes de la branche retraite : je vous rappelle,
mes chers collègues, que les premiers prendront en charge les personnes âgées
les plus dépendantes, classées selon la grille AGGIR de 1 à 3, dont les
ressources sont inférieures au plafond de versement de la prestation spécifique
dépendance ; les seconds recentreront leur action sur les personnes âgées non
éligibles à la prestation spécifique dépendance, c'est-à-dire celles dont le
niveau de dépendance mesuré selon la grille AGGIR est compris entre 4 et 6,
quels que soient leurs revenus, ou entre 1 et 3, mais avec des ressources
supérieures au plafond précité.
Le 5 juin 1997, la Caisse nationale d'assurance vieillesse a pris acte des
adaptations nécessaires de son action sociale au nouveau contexte créé par la
PSD, et il n'y a pas de croisement de financements possible en ce qui concerne
les personnes éligibles à cette prestation.
Ces premiers éléments sont tout à fait encourageants. La loi instaurant la PSD
est certainement perfectible, nous n'en doutons pas. La commission des affaires
sociales est néanmoins profondément convaincue qu'elle pose des jalons
importants pour l'avenir de la prise en charge des personnes âgées. A cet
égard, le Sénat a bien agi en prenant l'initiative à travers la proposition de
loi du président de la commission des affaires sociales, M. Fourcade, texte que
nous avons cosigné avec plusieurs membres de cette Haute Assemblée.
(M. Chérioux applaudit.)
Tels sont, monsieur le président, les quelques éléments de réflexion que
je souhaitais soumettre aux membres du Gouvernement ainsi qu'à l'ensemble de
mes collègues de la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, madame le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, pour la deuxième
fois, nous examinons le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Chacun s'accorde à constater que ce texte de loi est un grand progrès par
rapport à la période passée, car il permet - enfin ! - au Parlement de débattre
de la situation et de l'avenir de notre système de sécurité sociale.
A cette occasion, il faut rendre hommage à l'action du gouvernement d'Alain
Juppé, à qui nous devons à la fois la modification de la Constitution, la
création de ce débat parlementaire, ainsi que la mise en oeuvre des principales
dispositions qui donnent désormais au Gouvernement les moyens d'agir sur
l'ensemble du dispositif de protection sociale.
Au nom de la commission des finances, je dresserai trois constats et je
formulerai sept orientations qu'il nous paraît nécessaire de suivre pour une
meilleure maîtrise de l'évolution des dépenses sociales et une meilleure
cohérence de nos systèmes fiscal et social de taxation.
Le premier constat est une évidence.
Nos compatriotes sont profondément attachés à notre système de protection
sociale tel qu'il a été créé, voilà plus de cinquante ans, par le général de
Gaulle et constamment développé depuis, dans un cadre de forte solidarité qui
préserve toutefois le principe de liberté.
Cette double contrainte de la solidarité et de la liberté nous impose de
développer l'esprit de responsabilité à tous les niveaux et dans tous les
secteurs. Cela est d'autant plus nécessaire que nous agissons dans un cadre
partenarial où les acteurs sont nombreux et pas toujours parfaitement
conscients des impératifs des équilibres financiers. Je me souviens d'un
médecin disant : « on m'a appris à soigner, mais pas à compter ».
La commission des finances estime qu'au niveau atteint par les prélèvements
obligatoires en France - et qui est un des plus élevés des pays développés -
nous avons les moyens financiers de faire face à toutes les nécessités de la
solidarité nationale.
Certes, cela nous impose des efforts de rigueur, de redéploiement des moyens,
d'analyse de l'efficacité des dépenses existantes, afin d'orienter au mieux
notre action vers les besoins les plus nécessaires.
Bref, il ne s'agit ni de réduire ni de rationner ; il s'agit de lutter contre
les gaspillages, contre les dépenses improductives, contre les lourdeurs et les
scléroses, afin de ne pas toujours dépenser plus, mais de dépenser mieux.
C'est ainsi que l'on assurera la pérennité de notre système de protection
sociale.
Le second constat concerne le rôle du Parlement.
L'absence du Parlement dans le domaine de la sécurité sociale ne pouvait pas
durer. La commission des finances était particulièrement préoccupée d'assister
aux échecs répétés de plans dits de redressement et à la hausse continue des
prélèvements sociaux.
J'avais, pour ma part, déposé en 1993, 1994 et 1995 des propositions de loi
visant à réformer un système obsolète qui a pris fin avec la réforme
constitutionnelle du 22 février 1996.
Désormais, nous pouvons légiférer avec une meilleure connaissance des données
financières et sanitaires de notre système de protection sociale.
J'ai dit « meilleure » et je ne dirai pas « parfaite », car nous avons encore
d'immenses progrès à accomplir.
Le système comptable de la sécurité sociale, bien qu'il ait été beaucoup
amélioré au cours de ces dernières années à la suite des recommandations de la
commission des comptes de la sécurité sociale, doit encore être perfectionné
pour nous donner une vue parfaitement fiable et exhaustive des comptes
sociaux.
Le rôle de la commission des comptes, que nous avons toujours défendu, doit
être préservé et développé pour nous permettre de mieux apprécier l'évolution
tendancielle des comptes pour les années futures.
Enfin, n'oublions pas l'appui que nous apporte la Cour des comptes, fidèle au
rôle de conseil du Parlement que lui a dévolu la Constitution.
Depuis la loi de juillet 1994, la Cour des comptes remplit une mission de plus
en plus importante pour contrôler l'ensemble des comptes sociaux et éclairer le
Parlement.
Pour ce faire, la Cour des comptes a adapté ses structures et créé une
nouvelle chambre à vocation uniquement sociale. Compte tenu de l'importance des
masses financières en cause, c'était une nécessité.
La qualité des rapports de la Cour n'est plus à démontrer et nos commissions
ont tout intérêt à s'appuyer davantage sur les capacités d'expertise de cette
haute juridiction financière.
Nous avons toutefois un regret à formuler à propos de la précipitation dans
laquelle nous travaillons en raison des délais impartis pour l'examen de la loi
de financement de la sécurité sociale. La commission des finances, lors de la
discussion de la loi organique, avait mis en garde contre cet écueil, dont nous
constatons aujourd'hui les inconvénients.
Dans le domaine budgétaire, le débat d'orientation préalable qui se déroule au
printemps constitue une véritable avancée. Madame le ministre, ne pourrait-il
en être de même pour la loi de financement ?
Le troisième constat concerne l'évolution à terme de l'ensemble de nos comptes
sociaux.
Cette évolution inquiète la commission des finances qui part du principe qu'il
convient d'arrêter la croissance des prélèvements obligatoires et que l'effort
de stabilisation doit porter autant sur les prélèvements sociaux que sur les
prélèvements fiscaux.
La rigueur que nous souhaitons pour le budget de l'Etat doit trouver son
équivalent dans les comptes sociaux, sachant que ceux-ci sont confrontés, en
outre, à des contraintes démographiques qu'il faut pouvoir intégrer et dont
nous a parlé M. Alain Vasselle.
Le 15 novembre 1995, le Premier ministre de l'époque, M. Alain Juppé, avait
annoncé un plan d'ensemble de réforme, de modernisation et de
responsabilisation de la sécurité sociale.
Ce plan était nécessaire. Il était attendu et il a été mis en oeuvre par un
grand nombre de textes. Certes, cette réforme a suscité des remous, des
mécontentements et des conflits, mais je constate qu'elle existe et que les
instruments nécessaires sont désormais à la disposition du Gouvernement.
L'indispensable maîtrise des prélèvements obligatoires résulte d'une double
nécessité : la première concerne les conséquences qu'un niveau excessif peut
avoir sur la compétitivité et la localisation de notre système productif.
Certaines études récentes, qui ont été menées, d'ailleurs, à la demande de la
commission des finances, montrent l'étroite corrélation qui existe en France
entre la hausse des prélèvements obligatoires et celle du chômage. Je vous
renvoie à un graphique qui figure dans mon rapport écrit.
La seconde nécessité résulte de la mise en oeuvre de l'euro. Avec un marché
unique et une monnaie unique, nous aurons, bien évidemment, une économie
unifiée qui mettra davantage en évidence les dysfonctionnements liés aux
disparités des niveaux des prélèvements obligatoires, que nous ne pourrons pas
compenser par des fluctuations monétaires.
Il faut donc que nous ayons une politique cohérente et rigoureuse des
prélèvements obligatoires.
Si la coordination gouvernementale peut se faire sous l'égide du Premier
ministre, la commission des finances estime en revanche que notre organisation
parlementaire présente des faiblesses liées au fait que les prélèvements
fiscaux dépendent des commissions des finances et que les prélèvements sociaux
sont du ressort des commissions des affaires sociales...
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Mais c'est le même
Parlement !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Il y a là un léger dysfonctionnement que nous
n'avons pas su apprécier suffisamment tôt. Bref, une réflexion doit être menée
sur ce problème.
Pour mettre en oeuvre une politique des prélèvements obligatoires cohérente
sur le long terme, la commission des finances propose de déterminer et de
respecter sept orientations fondamentales.
La première orientation est, bien entendu, de réduire le déficit global de la
sécurité sociale par une action privilégiée sur la hausse des dépenses.
La commission des finances souhaite que l'équilibre soit atteint pour chaque
branche, sans artifices et sans transferts déguisés, notamment entre les
accidents du travail et l'assurance maladie. Cela dit, lorsque le déficit
global de la sécurité sociale est transféré à la CADES, il s'agit d'un
mécanisme qui va directement à l'encontre de la séparation des branches.
La deuxième orientation concerne la stabilisation de la croissance de l'ONDAM,
l'objectif national de dépenses de l'assurance maladie.
Les dépenses de l'assurance maladie ont mobilisé, cette année, 600 milliards
de francs, soit une augmentation de 1,7 % sur les dépenses de 1996.
Quelle augmentation faut-il accepter pour 1998, compte tenu de la situation de
notre régime d'assurance maladie ?
Tous les esprits avertis savent qu'il existe de grandes sources d'économies
possibles, qui devraient permettre de réaffecter les moyens pour atteindre plus
d'efficacité financière et de meilleurs résultats sanitaires.
Qu'elles proviennent de l'IGAS, de la Cour des comptes, du médecin-conseil de
la CNAM ou de la mutualité française, toutes les analyses concordent pour
dénoncer les inégalités régionales, les surcapacités ici, les insuffisances
ailleurs - à l'instant, M. le secrétaire d'Etat nous parlait des
surconsommations étonnantes en France - bref, nous avons là l'exemple d'une
utilisation parfois peu rationnelle de nos moyens.
Il faut donc mieux connaître, mieux évaluer, mieux contrôler et mieux
réaffecter des ressources forcément limitées.
Or l'informatisation ne se développe pas assez vite, le PMSI - programme de
médicalisation du système d'information - comme la carte VITALE 2 prennent du
retard, les procédures d'accréditation n'avancent pas comme il serait
souhaitable, les agences régionales de l'hospitalisation n'ont pas reçu toutes
les directives nécessaires, bref, madame le ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, vous avez en mains tous les moyens du pilotage que l'on est en droit
d'attendre de vous. Mais, pour le moment, les résultats tardent.
Dans ces conditions, alors que la commission des comptes de la sécurité
sociale faisait apparaître une hausse tendancielle des dépenses d'assurance
maladie de 2,1 %, vous avez fixé la croissance de l'ONDAM à 2,2 %.
La commission des affaires sociales a souhaité ramener cette croissance à 1,8
%, contre 1,7 % en 1997.
Or la commission des finances estime que, désormais, il faut caler la
croissance de l'ONDAM sur celle de l'inflation : le taux prévisible de cette
dernière étant de 1,3 % en 1998, selon le Gouvernement, c'est donc à ce chiffre
qu'il convient de fixer l'augmentation de l'ONDAM.
Puis-je ajouter que cette masse financière, qui s'établirait ainsi à 608
milliards de francs, devrait comprendre le fonds d'accompagnement social pour
la modernisation des hôpitaux et le développement des actions de prévention de
la CNAM, que vous avez placés en dehors de l'ONDAM ? Est-il raisonnable de
fixer une limite à l'évolution de cet objectif tout en créant à côté des fonds
spécifiques qui ne sont plus maîtrisés ?
A terme, pour être cohérente avec la position qu'elle a prise pour les
dépenses budgétaires, la commission des finances estime que l'objectif qui
devrait être visé est celui de la reconduction de l'ONDAM en francs
constants.
La troisième orientation touche à la préservation de la politique familiale.
Les choix que vous avez faits dans le domaine de la famille ne recueillent pas
l'accord de nos commissions. Vous le savez : ils nous paraissent
particulièrement dommageables pour l'avenir.
La politique démographique doit s'élaborer sur une période particulièrement
longue et elle dépend de la politique de la famille. Toute l'Europe - et, bien
entendu, la France - connaît un déclin démographique lourd de dangers. Tous les
spécialistes vous diront que l'avenir de notre démographie se joue sur le
troisième enfant. Toutes les analyses montrent que plus les familles ont
d'enfants, plus leur pouvoir d'achat s'amenuise.
Dans ces conditions, notre ligne de conduite est clairement tracée - notre
collègue Jacques Machet l'a longuement exposée : il faut aider toutes les
familles, et particulièrement les familles nombreuses.
La commission des finances approuve donc toutes les propositions faites dans
ce sens par la commission des affaires sociales.
La quatrième orientation est celle d'une politique cohérente d'imposition sur
le revenu.
Cela nous amène au problème central de la CSG, la contribution sociale
généralisée, puisque, désormais, nous avons et nous aurons une double
imposition sur le revenu avec des bases différentes : une imposition
progressive avec l'impôt sur le revenu et une imposition proportionnelle avec
la CSG.
La coexistence de ces deux types d'impositions nous a amenés l'an dernier,
sous le précédent gouvernement, à accepter le principe d'un premier basculement
entre les cotisations sociales et la CSG, à la condition toutefois que puisse
intervenir une baisse concomitante de l'impôt sur le revenu pour éviter que ne
soit accrue la taxation globale des revenus.
Or, vous avez abandonné le plan d'allégement de l'impôt sur le revenu.
De surcroît, la basculement que vous nous proposez se traduit par une
surtaxation globale de 4,6 milliards de francs, d'autant moins acceptable que
les compensations sont inéquitables et se font essentiellement au détriment des
non-salariés.
La cinquième orientation est d'avoir, en parallèle, une politique cohérente de
taxation de l'épargne.
Par nature, une large partie de l'épargne est mobile. Dans une Europe à
monnaie unique, toute erreur dans la taxation de l'épargne risque d'entraîner
des déplacements importants de cette même épargne et donc de l'assiette
taxable.
Personne ne conteste que les revenus de l'épargne doivent contribuer à
l'effort de solidarité sociale. Dès lors que nous refusons la hausse de la CSG,
la commission des finances estime qu'il est possible d'accepter l'extension de
l'assiette des contributions sociales existant par ailleurs sur l'épargne, à
condition d'en réduire le taux.
Nous préférons un taux plus faible sur une base plus large plutôt que
l'inverse. C'est une question de bon sens, et vous trouverez les raisons de ce
choix longuement développées dans mon rapport écrit.
La sixième orientation consiste à avoir une plus forte cohérence dans les
taxations sociales.
Sous la pression des besoins sur lesquels vous ne vous êtes pas donné les
moyens d'une maîtrise suffisante, vous multipliez les taxes sans prendre
l'exacte mesure des conséquences de certaines de vos décisions.
C'est la raison pour laquelle la commission des finances n'est pas favorable à
l'augmentation du taux de la taxe sur la prévoyance supplémentaire. ni au
bouleversement de la fiscalité applicable au secteur de la distribution des
médicaments, ni à l'affectation du produit de la C3S, la contribution de
solidarité sociale sur les sociétés, au régime général alors qu'elle avait été
créée au bénéfice des régimes des non-salariés. En outre, elle estime inutile
de créer une contribution sociale spécifique sur les tabacs, alors qu'il est
plus simple d'accroître les droits de consommation existants.
Enfin, la septième et dernière orientation consiste à préconiser une politique
d'équilibre à long terme.
Cela implique un préalable : que vous ayez, que nous ayons tous le courage de
regarder l'avenir avec rigueur et clairvoyance - M. Vasselle l'a rappelé tout à
l'heure.
Nous avons déjà évoqué la stabilisation souhaitable de la croissance de
l'ONDAM.
Nous avons souligné l'importance d'une vision à long terme de notre politique
démographique et des régimes de retraite.
Cela est vital pour notre pays, cela ne l'est pas moins pour l'équilibre de
l'ensemble de nos régimes de retraite.
L'équilibre des régimes de retraite du secteur public est loin d'être résolu ;
c'est un euphémisme. Le cas de la CNRACL, la caisse nationale de retraite des
agents des collectivités locales, est l'exemple même d'une mesure à court terme
dont on refuse de voir l'engrenage fatal vers lequel elle nous conduit.
Dans le projet de loi de financement, il nous est demandé d'autoriser un
endettement, alors qu'aucune mesure ne nous est présentée pour un rééquilibrage
futur. Je vous renvoie aux développements que consacre mon rapport écrit à ce
sujet, mais la position de la commission des finances est claire : elle refuse
la logique de l'endettement sans politique de redressement.
Tout déficit se traduisant par un endettement à long terme, je conclurai mon
propos en évoquant la CADES, la Caisse d'amortissement de la dette sociale.
La CADES est un bon outil qui sert un mauvais objectif : l'apurement des
déficits sociaux au moyen d'une augmentation des prélèvements.
Faute d'avoir pu résoudre les problèmes d'équilibre de nos comptes sociaux,
nous reportons toujours davantage sur les générations de nos enfants et de nos
petits-enfants les conséquences des errements de nos politiques actuelles.
La CADES est un bon outil en ce qu'elle permet de cantonner la dette, de la
limiter dans le temps et de lui affecter une ressource spécifique.
Nous l'avons créée pour treize ans, afin d'apurer un endettement cumulé de 140
milliards de francs.
Par le présent projet de loi de financement, il nous est demandé d'y affecter
87 milliards de francs supplémentaires et d'en prolonger l'existence de cinq
ans - jusqu'au 31 janvier 2014 - faute de quoi il aurait fallu augmenter le
taux de la contribution de remboursement de la dette sociale de 0,5 à 0,7
point.
La commission des finances émet un avis favorable sur cette mesure, à la
condition expresse que la loi précise bien que la CADES sera supprimée le 31
janvier 2014 et que ses biens seront dévolus à l'Etat.
Certes, nous ne l'ignorons pas, une loi peut défaire ce qui a été fait par une
précédente loi. Toutefois, il y a là un engagement solennel qui a été pris
devant la nation, et cet engagement implique au moins nos consciences ainsi que
celles de nos successeurs.
Certains pourront estimer que les positions prises par la commission des
finances sont trop rigoureuses ou trop contraignantes. Nous ne le croyons
pas.
Nous avons atteint un niveau relativement exceptionnel de protection sociale.
Or l'efficacité de celle-ci, à enveloppe constante, peut être considérablement
améliorée. Tel est, pour nous, l'enjeu.
Faute d'en avoir pris conscience suffisamment tôt, d'autres pays développés
ont dû faire des révisions déchirantes. C'est à cet effort de clairvoyance et
de rigueur que nous vous invitons pour garantir la pérennité, l'efficacité et
l'équité de notre système de protection sociale.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indép»endants et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après
les exposés, aussi dense que précis, des quatre rapporteurs, je souhaite
limiter mon propos à une observation et à deux questions de fond.
Mon observation est la suivante : compte tenu de l'ampleur des masses
financières dont nous allons traiter - un peu plus de 1 700 milliards de
francs, en dépenses comme en recettes - l'information du Parlement aurait dû
être plus précise.
En effet, bien qu'un volume considérable de documents et de rapports soit
joint au projet de loi, manquent encore un certain nombre d'éléments qui nous
permettraient de mieux fonder notre jugement.
Il manque ainsi un état précis des flux financiers et des transferts d'un
régime à l'autre, notamment en matière de retraite. Il manque une décomposition
des objectifs de dépenses, distinguant nettement ce qui relève des prestations,
ce qui constitue des éléments annexes des prestations et ce qui relève des
frais de gestion. Il manque également des hypothèses macroéconomiques
permettant de mesurer les conséquences des prélèvements que le Gouvernement se
propose d'aggraver. Cela vaut, bien sûr, pour le basculement des cotisations
maladie sur la CSG.
Dès lors que, dans une société aussi fragilisée que la société française, on
propose des transferts de plusieurs dizaines de milliards de francs, seul un
ensemble d'études d'impact permet d'en apprécier les effets. Or toutes ces
études d'impact, à l'évidence, ne sont pas disponibles.
Madame la ministre, je me réjouis, comme vous - c'est un point sur lequel nous
sommes tous d'accord - que la représentation nationale ait pour la deuxième
fois à débattre de l'avenir de notre système de sécurité sociale. Toutefois, il
faudra encore perfectionner votre méthode et nous fournir, non pas plus de
chiffres globaux, mais des études d'impact et des éléments financiers qui nous
permettront d'affiner notre jugement.
J'en viens à mes deux questions.
Tout d'abord, les moyens de rééquilibrer les comptes de notre régime général
de sécurité sociale qui sont prévus dans ce texte sont-ils bien choisis ?
Quant à ma seconde question, elle concerne le moyen terme et elle est donc, à
ce titre, source d'une bien plus grande préoccupation : que va devenir la
contribution sociale généralisée ?
S'agissant du premir point, tout le monde est d'accord sur la nécessité de
réduire les déficits ; vous l'avez vous-même souligné, madame la ministre,
c'est le point de convergence entre le Gouvernement, la commission des affaires
sociales et, je le suppose, la totalité de cette assemblée.
En effet, tolérer un déficit chronique des comptes sociaux, c'est accepter de
faire payer le prix de notre « train de vie social » d'aujourd'hui aux
générations futures, alors que, on le sait, celles-ci seront confrontées à des
problèmes fort lourds, du fait de l'évolution de notre démographie : le
vieillissement de la population met en question, de manière angoissante,
l'avenir de notre système de retraite, et c'est aussi, à terme, un facteur
d'alourdissement de nos dépenses de santé.
Comme les trois rapporteurs de la commission des affaires sociales, puis M.
Oudin l'ont indiqué à juste titre, le mécanisme de la reprise des dettes de la
sécurité sociale par la CADES ne pourra pas être éternellement prolongé. En
effet, si ce déficit chronique devait peser sur les générations de demain, nous
aurions mis en place une mécanique infernale. Je suis persuadé que, dans dix,
quinze ou vingt ans, les jeunes générations au travail n'accepteront pas les
taux de cotisation qui permettraient de rééquilibrer l'ensemble des
systèmes.
Il faut donc que, avant 2005 et surtout 2015, nous ayont jeté les bases d'un
véritable rééquilibrage de l'ensemble de nos comptes sociaux.
Ce rééquilibrage peut-il être opéré sans majorer les prélèvements obligatoires
? Le texte que vous nous proposez, madame la ministre, monsieur le secrétaire
d'Etat, est fondé davantage sur une majoration des prélèvements que sur une
réduction des dépenses. Or nous pensons ici - c'est la divergence de fond que
nous avons avec le Gouvernement - que, compte tenu de l'ouverture de nos
frontières à la compétition mondiale, l'équilibre des comptes sociaux passe
nécessairement par une maîtrise des dépenses, de toutes les dépenses, qu'il
s'agisse des prestations ou des frais de gestion.
Selon nous, il manque au projet de loi de financement de la sécurité sociale
un affichage clair de l'orientation retenue dans ce domaine. Il est question
d'évolution tendancielle, de maîtrise de tel ou tel secteur, mais les économies
proposées sur les dépenses ne concernent que la famille, avec, au passage, une
remise en cause de l'universalité des allocations familiales ; notre ami
Jacques Machet a rappelé pourquoi, à nos yeux, ce moyen était inacceptable.
La deuxième source d'économies concerne la charge de la dette ; je viens d'en
parler.
Malheureusement, je n'ai vu, dans le projet de loi, aucune autre indication
claire tendant à rappeler aux partenaires sociaux que la maîtrise des dépenses
est une préoccupation prioritaire. J'ai peur que les mécanismes contenus dans
les différents articles, ainsi que l'a parfaitement souligné M. Charles
Descours, ne donnent l'illusion à beaucoup de professionnels et de partenaires
sociaux que la rigueur est désormais révolue. M. Bernard Kouchner l'a affirmé :
nous allons nous concerter, nous allons discuter, nous allons revoir... J'ai
l'impression que cette espèce de temporisation va être un facteur de
redémarrage de la dépense. Or, à mon avis, il aurait fallu marquer clairement
que l'orientation était non pas à l'augmentation des prélèvements mais à la
réduction des dépenses.
(Applaudissements sur les travées des Républicains
et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Pour ce qui est de l'avenir, je constate que, dans le rapport d'orientation,
que nous proposerons de modifier, tout est renvoyé à plus tard : la
détermination de la politique de la famille à la fin de l'année 1998, l'examen
des questions liées à la santé à la réunion des états généraux de la santé,
l'état des problèmes de la branche vieillesse à une réflexion approfondie...
Et, sur les plans d'épargne retraite, il n'y a rien,...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Si !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... sauf cette campagne
actuelle de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs
salariés expliquant que le texte voté par le Parlement est une infamie en ce
qu'il revient à introduire le renard dans le poulailler. On se demande
d'ailleurs qui respecte quoi dans ce pays, quand on voit une caisse nationale,
financée par des ressources dont nous avons à débattre, lancer une campagne
contre un texte de loi voté par le Parlement ! Vous nous avez demandé tout à
l'heure quelles économies pourraient être réalisées, madame la ministre. Eh
bien, on aurait au moins pu faire celle-là !
(Sourires.)
Ni les mesures inscrites dans le projet de loi ni les orientations qui
l'accompagnent ne répondent à la vraie question. La vraie question est de
savoir comment rééquilibrer durablement les comptes. J'estime - je l'ai dit
l'année dernière et je le répète cette année - que la priorité doit être donnée
à une rationalisation de la gestion et, surtout, des structures de notre
système de sécurité sociale.
L'informatisation est en retard, nous le savons tous, mais je crains, de toute
façon, qu'elle n'apporte pas de progrès substantiels. Mon expérience d'élu
local m'a montré que les miracles annoncés ne se traduisent pas toujours,
finalement, par de réelles économies.
La mise en place des unions régionales de caisses d'assurance maladie doit
permettre la mise en commun de certains moyens, mais on pourrait profiter,
madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de l'institution d'un régime
universel d'assurance maladie pour simplifier les relations entre les dix-neuf
régimes d'assurance maladie existant actuellement, ce qui se traduit par
quelques dizaines de milliards de francs.
J'ai noté dans le projet un point intéressant : l'objectif national des
dépenses de l'assurance maladie, l'ONDAM, s'élève à 613,6 milliards de francs
et l'objectif de dépenses assigné à la branche maladie - maternité - invalidité
s'élève, lui, à 678,3 milliards de francs. La différence, de 64,7 milliards de
francs, correspond notamment à des frais de gestion et à un certain nombre
d'actions. Eh bien, dans ces 64,7 milliards de francs de différence entre
l'objectif de la branche et l'objectif national opposable à tous les
professionnels pour les dépenses d'assurance maladie, gisent, selon moi,
quelques économies.
Sur les dépenses de gestion des quatre régimes, qui ont représenté en 1997 une
somme légèrement supérieure à 44 milliards de francs, nous avons, là aussi,
quelques possibilités de réductions et d'améliorations.
Chacun doit contribuer au redressement des comptes sociaux. A cet égard, la
rationalisation des compétences entre les caisses peut se révéler féconde. M.
Machet a rappelé tout à l'heure les 20 milliards de francs que la caisse
d'allocations familiales verse à la caisse d'assurance vieillesse : en fonction
de quoi ? De quelle convention ? De quels critères ? Compte tenu de quelle
méthode de gestion ? De quelle comptabilité analytique ? On n'a pas de réponse
!
M. Jean Chérioux.
Exactement !
M. Alain Vasselle,
rapporteur pour l'assurance vieillesse.
On ne connaît même pas le montant
exact !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Comment convaincre
chacun de la nécessité d'un équilibre des comptes face à la diversité des
prestations et à la complexité des flux financiers ?
L'exemple de la CNRACL, bien connu au Sénat, est significatif : le tiers des
emplois de cette caisse de retraite correspond à des transferts, c'est-à-dire à
des compensations et à des surcompensations inter-régimes. Quelle n'a pas été
notre stupéfaction de découvrir dans le projet de loi une possibilité, pour la
CNRACL, d'emprunter afin d'assurer avec ponctualité ses versements aux autres
régimes, autrement dit d'emprunter non pas pour payer les pensions de ses
allocataires, mais pour payer des compensations à d'autres régimes !
Tout cela n'est pas sérieux et, bien entendu, ne peut nous dispenser de mener
une réflexion approfondie sur les régimes spéciaux, notamment sur les écarts
entre les prestations versées par les différents régimes spéciaux de retraite,
sur leur situation réelle, sur leurs perspectives et, peut-être, sur la fusion
d'un certain nombre d'entre eux, de manière à diminuer les coûts et à
harmoniser les prestations.
J'en arrive à la deuxième question, qui est la plus préoccupante pour l'avenir
: que va devenir la contribution sociale généralisée ?
Madame la ministre, chacun ici est conscient, me semble-t-il - Charles
Descours vous l'a dit - de la nécessité d'asseoir les ressources de la sécurité
sociale sur une assiette plus diversifiée, plus dynamique, et sur une plus
longue période que la seule masse salariale. Sur ce point, à l'exception
peut-être encore de quelques îlots de résistance, tout le monde est d'accord.
Un premier pas a été fait dans ce sens l'an dernier, mais il conviendrait d'en
dresser un bilan détaillé avant d'en faire un second.
Or le présent projet de loi prévoit une nouvelle étape, d'une ampleur
exceptionnelle, puisque la CSG augmenterait de plus de quatre points. Vous
reconnaissez vous-même, madame la ministre, que ce basculement considérable
risque de s'effectuer en pénalisant de nombreuses catégories de personnes :
vous envisagez, en effet - cela était impensable au moment de la création de la
CSG - d'établir des taux différenciés non seulement pour les chômeurs et les
retraités, mais également pour les fonctionnaires. Tout à l'heure, vous avez
oublié de parler des fonctionnaires, madame la ministre, mais vous serez bien
obligée de leur appliquer un taux spécial !
De surcroît, cette mesure intervient alors même que l'étude parallèle sur la
nécessaire réforme de l'assiette des cotisations patronales n'a guère avancé.
J'ai noté votre engagement de lancer la réflexion pour que, dès l'année
prochaine, nous puissions y voir clair. Il aurait été préférable, me
semble-t-il, d'établir un certain parallélisme entre le basculement vers la CSG
des cotisations d'assurance maladie et la réforme de l'assiette des cotisations
patronales.
En décidant le basculement massif des cotisations maladie des assurés vers la
CSG, le Gouvernement poursuit simultanément quatre objectifs. Premièrement, une
préoccupation financière immédiate - il convient de procurer des recettes
nouvelles dès 1998 à la branche maladie du régime général ; compte tenu de la
situation, il faut le faire ! Deuxièmement, une volonté de réforme de
l'ensemble de nos prélèvements obligatoires, qui conduit à accroître
massivement les prélèvements sur l'épargne. Troisièmement, un choix «
conjoncturel », celui de relancer la consommation par la distribution de
pouvoir d'achat aux salariés actifs. Enfin, quatrièmement, une ambition
politique, celle de faciliter, ce faisant, les négociations relatives à la
réduction du temps de travail.
Ces quatre objectifs figurent dans l'exposé des motifs du projet de loi.
Toutefois, le souci de procurer un surcroît de recettes au régime général dès
1998 comporte une forte part d'aléas en l'absence d'une étude d'impact. En
effet, si une diversification de l'assiette du financement constitue une
garantie sur une longue période, le rendement des prélèvements sur l'épargne,
les concessions qu'il faudra faire à toutes les catégories de travailleurs
indépendants, qui sont plus victimes de la réforme que gagnants, les
modifications qu'il faudra apporter à un certain nombre d'autres dispositifs,
tout cela se traduira par des moins-values de recettes que nous sommes
aujourd'hui incapables d'évaluer.
Il aurait été préférable, me semble-t-il, de procéder à un basculement limité
sur trois ou quatre ans, de manière à en mesurer les effets et à étudier les
corrections qui s'imposaient, évitant ainsi de se lancer dans l'inconnu.
En effet, le vrai problème est de savoir ce que le Gouvernement, auquel vous
appartenez tous les deux, madame la minitre, monsieur le secrétaire d'Etat,
veut faire de la CSG.
Ou bien l'on s'oriente - mais alors il faut le dire ! - vers un système à
l'anglaise ou à la danoise, dans lequel le financement de la protection sociale
est assuré par l'impôt sur les ménages. Ainsi, au Danemark, où nous sommes
allés voilà peu de temps, ou en Grande-Bretagne, c'est l'impôt sur les ménages,
très élevé, qui finance la totalité de la protection sociale. C'est un choix
qui implique un impôt sur le revenu à assiette très large, mais sans
cotisations sociales à la charge des entreprises. Dans ce système, les charges
de travail et les charges de salaires des entreprises sont, eu égard à la
concurrence internationale, tout à fait comparables d'un pays à l'autre.
Ou bien l'on essaie de mettre en place un système mixte, dans lequel on
augmente la CSG pour obtenir une assiette plus dynamique, mais sans toucher aux
cotisations patronales, notamment en matière d'allocations familiales ou
d'assurance maladie. Toutefois, si nous sommes les seuls à adopter un système
de ce type, le risque est grand d'avoir un chômage plus important et des
prélèvements fiscaux excessifs. En outre, aucune garantie sur l'équilibre
durable du système ne peut être donnée.
En effet, en matière de CSG, deux thèses existent, et j'interrogerai
d'ailleurs le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur ce
point la semaine prochaine.
La première thèse consiste à transformer la CSG en cotisation de base de
l'impôt sur le revenu. On reviendrait ainsi au système antérieur à 1959. Je
faisais partie des équipes qui ont procédé à la réforme fiscale de 1959 ; j'ai
ce privilège de l'âge sur beaucoup d'autres. A l'époque, il y avait une taxe
proportionnelle sur les revenus dont les taux étaient variables et une surtaxe
progressive.
Certains ici, je le sais, souhaiteraient que l'on revienne à ce système, comme
si le fait de revenir à un système fiscal d'avant-hier nous permettrait de
gagner des parts de marché ultérieurement. C'est une idée ! Mais alors, il faut
le dire et, dans ce cas, la CSG n'est plus déductible du tout ; elle devient
l'impôt sur le revenu !
Dans la seconde thèse, on conserve le système de cotisation sociale de la CSG,
qui permet de financer l'ensemble de la protection sociale. Dès lors, il s'agit
d'une cotisation sociale, et elle doit être entièrement déductible de l'impôt
sur le revenu.
Toutefois, le système actuel dans lequel on augmente le taux de la CSG, avec
une partie non déductible - celle qui va à la famille - avec un RDS qui est
affecté à la CADES, et une partie déductible, est un système mixte. Nous sommes
les champions, en Europe, des systèmes mixtes ! Il est clair qu'il faudra
choisir un jour. Cela mérite un large débat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Effectivement !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Il s'agit non pas d'une
question que l'on peut trancher en cinq minutes, mais d'un problème de fond.
En effet, ou bien l'on s'oriente vers un nouveau système d'impôt sur le revenu
généralisé, mais il n'y a plus de cotisations sociales sur les entreprises. A
ce moment-là, la compétition devient possible si, bien entendu, le problème de
la taxe professionnelle est également réglé...
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Absolument !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... les deux affaires
étant, en effet, liées. Ou bien l'on conserve un système de contribution
sociale alimentant le budget social déductible de l'impôt sur le revenu.
Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de loi que vous
nous présentez ne tranche pas : il se borne à majorer les prélèvements avec, au
passage, un peu plus de prélèvements sur l'épargne, sur les revenus des
travailleurs, sur les caisses, etc.
M. François Autain.
Qu'avez-vous fait l'année dernière ?
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Il faut choisir !
Devons-nous nous orienter vers un système de protection sociale à la nordique,
financé par l'impôt sur le revenu, ou vers un système de protection sociale
mixte, financé par les partenaires sociaux, avec une contribution généralisée
?
Le système que vous nous proposez a un grand défaut : nous n'en mesurons pas
les conséquences et nous ne savons pas dans quel sens choisir.
C'est dans ce contexte que nous avons cru devoir modifier profondément le
texte adopté par l'Assemblée nationale. Nous allons donc avoir un débat
difficile et sérieux. J'espère que tout esprit de polémique ou de boutique,
encore plus méprisable, sera absent de notre discussion et que nous essaierons,
ensemble, de trouver des solutions acceptables qui dépassent les clivages
politiques et les conflits idéologiques.
M. François Autain.
Cela va être difficile !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
L'état actuel de notre
société ne permet pas, aujourd'hui, à la classe politique de différer sans
cesse, en renvoyant à demain et à après-demain, la solution d'un problème
fondamental. En 2005, les systèmes de retraite ne fonctionneront plus !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
En 2015, l'ensemble du
système de protection sociale risque d'exploser !
Au lieu de renvoyer sans cesse à plus tard la solution au problème, de s'en
remettre à la concertation généralisée, aux états généraux, à la réflexion, il
faut avoir le courage de réduire les dépenses. Cela, au moins, nous pouvons le
faire ! C'est dans cette voie que la commission des affaires sociales vous
demande de vous engager.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 58 minutes ;
Groupe socialiste : 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 42 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 35 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 22 minutes.
Je vous demanderai, mes chers collègues, de respecter les temps de parole qui
vous ont été impartis, afin de ne pas amputer celui des collègues de votre
groupe.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
débat est le deuxième qui nous réunit depuis la loi organique du 22 juillet
1996 décidant que serait annuellement discuté, dans les deux assemblées, le
financement de la sécurité sociale. Une semaine après notre discussion sur la
politique familiale, c'est donc l'occasion de dresser des constats, d'examiner
les propositions gouvernementales, et d'émettre un vote.
Il s'agit d'un débat essentiel : l'avenir de la protection sociale est un
problème fondamental de notre société, pour aujourd'hui et pour les années à
venir. C'est un débat d'autant plus intéressant que la commission des affaires
sociales, sur l'initiative de son président, a élaboré un contre-projet. Cela
ne saurait nous étonner puisque c'est la même démarche que la majorité de
droite de la commission et du Sénat avait adoptée pour les emplois-jeunes. Je
souhaite d'ailleurs rendre hommage à M. Fourcade, président de la commission,
pour cette démarche qui démontre une belle constance et qui prouve que, pour
lui, la politique est d'abord un combat d'idées et de projets. Je partage
entièrement son avis.
(Exclamations sur les travées du R.P.R. et des Républicains et
Indépendants.)
Sur ce point-là du moins !
(Sourires.)
Le projet de loi que nous propose le Gouvernement part de constats, fixe
des buts et propose des mesures.
Le premier constat, c'est d'abord la nécessaire réflexion sur la spécificité
française.
On parle souvent - M. Oudin y a encore fait allusion tout à l'heure - de
l'importance des prélèvements obligatoires en France par rapport à l'Europe.
C'est faire peu de cas de l'analyse de ces prélèvements obligatoires. Or la
part des cotisations sociales s'élève à environ 42 % en France, contre 29 % en
Europe.
En France, c'est vrai, par le biais des cotisations, le travail est surtaxé
par rapport aux autres pays.
Le choix du Gouvernement de fiscaliser par le biais de la CSG est donc plus
juste, parce qu'il porte sur l'ensemble des revenus, notamment ceux du
patrimoine et du capital, hors épargne populaire. Il est également logique
puisque de plus en plus de personnes sont exclues du monde du travail. Il est
aussi plus conforme à l'esprit européen. Sur ce dernier point, je suis
d'ailleurs en relatif désaccord avec M. Fourcade.
En effet, deux systèmes se sont longtemps opposés en matière de protection
sociale : le système des cotisations fondées sur le travail, ou système
bismarckien, et le système de l'assurance universelle fondée sur l'impôt, tel
qu'il a été défini par Beveridge dans les années quarante.
Aujourd'hui, tous les Etats européens ont des systèmes mixtes, fondés sur les
cotisations et les impôts, mais avec une part d'impôt largement plus importante
que celle des cotisations. L'amplification du recours à la CSG est donc à la
fois plus rationnel et plus juste.
La spécificité française réside aussi dans l'augmentation régulière du taux
des dépenses de santé par rapport au PIB. Nous étions au septième rang mondial
en 1980 et au troisième depuis 1993. D'après les derniers chiffres connus, nous
occupons toujours ce troisième rang.
Nous sommes les plus grands consommateurs de médicaments au monde ; nous avons
le plus grand nombre de lits d'hôpital par habitant et, pourtant, nous occupons
un rang moyen au vu de tous les indicateurs de santé, à une exception près, la
longévité féminine. La part des dépenses par rapport au PIB s'accroît chaque
année sans que cela se traduise par une amélioration des indicateurs sanitaires
par rapport à nos partenaires.
En bref, on consomme plus d'argent, mais avec des résultats plutôt moins
satisfaisants que les autres et avec une prise en charge par l'assurance qui
est globalement en recul depuis une vingtaine d'années, qu'il s'agisse des
soins ambulatoires ou des biens médicaux, même s'il faut se réjouir d'un
progrès dans la prise en charge des frais hospitaliers et des transports
sanitaires.
Le constat, c'est bien sûr la dégradation financière, lente dans les années
quatre-vingt, énorme depuis le début des années quatre-vingt-dix. D'une dette
cumulée de 110 milliards de francs en 1993, on est passé à une dette cumulée de
240 milliards de francs au 31 décembre 1995. Il fallait y ajouter celle de
1996, qui s'élevait à 57 milliards de francs et que M. Oudin semblait avoir
oubliée puisqu'il s'interrogeait sur l'opportunité de prolonger la CADES.
La prévision initiale d'équilibre pour 1997 s'est transformée, dans la loi de
financement de novembre dernier, en une prévision de déficit de 25 milliards de
francs. On sait maintenant que celui-ci se situera aux environs de 35 milliards
de francs.
Nous sommes donc devant un déficit fort et structurel, qui a pris une grande
ampleur durant cette dernière décennie, et ce d'autant que, pour la troisième
année consécutive, les trois principales caisses sont en déficit.
Il faut, pour le moment, gérer ce déficit et je ne vois pas d'autre solution
que celle qui est proposée, c'est-à-dire la prolongation de la mission de la
CADES, et donc du RDS qui l'approvisionne.
Il convient aussi de procéder aux nécessaires réformes de structures - le
Gouvernement s'y engage d'une manière forte - et, bien sûr, de garder
l'objectif d'une meilleure santé de la population française.
Le Gouvernement propose donc une démarche de plus grande justice financière
sur le plan des recettes. C'est l'extension de la CSG avec, en contrepartie, la
baisse ou la disparition des cotisations maladie des salariés, ce qui doit
conduire globalement à une hausse non négligeable du pouvoir d'achat de ces
derniers. Ce point très important n'a pas été suffisamment souligné.
Le Gouvernement propose également un certain nombre de mesures ponctuelles,
telles que la remise en place d'une taxe sur le tabac, qui devra impérativement
financer la prévention, et une hausse de la CSG sur les recettes des jeux, qui
a donné lieu à des débats quelque peu « aléatoires » à l'Assemblée nationale
que, j'espère, nous nous épargnerons.
J'approuve ces mesures ainsi qu'une décision un peu à la marge mais qui me
paraît intéressante et significative d'un état d'esprit et qui consiste à
sortir les médicaments génériques du champ de la taxe payée par les fabricants
de médicaments. On sait bien que, en dépit des effets d'annonce peu suivis de
conséquences, ces médicaments sont peu développés en France.
Enfin, toujours en ce qui concerne les recettes, je n'aurai garde d'oublier la
décision qui faisait l'objet d'un débat ici même voilà huit jours, et tendant à
la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. C'est un des
chevaux de bataille de la majorité sénatoriale et de la commission des affaires
sociales.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Et des associations familiales !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Et des partenaires
sociaux !
Mme Joëlle Dusseau.
MM. Fourcade, Machet et Descours l'ont encore redit ici en proposant de
supprimer cette mise sous conditions de ressources et la limitation des
avantages de l'AGED. Il s'agit d'un débat de fond intéressant, et il est vrai
que la solution n'est pas forcément évidente.
Le Gouvernement propose d'ailleurs avec beaucoup de sagesse que la première
mesure soit prise pour un an et qu'après on remette les choses à plat.
M. Adrien Gouteyron.
Sagesse qui est venue un peu tard !
Mme Joëlle Dusseau.
Il faut dire que le système des prestations familiales en France, qui sont au
nombre de 13 au minimum, est complexe et manque de lisibilité.
Mais, au-delà, la question de l'universalité du droit est une véritable
question qu'il ne faut pas traiter à la légère. Le précédent gouvernement avait
d'ailleurs fait à l'origine un choix inverse, en préférant l'imposition des
allocations familiales, décision à laquelle il avait renoncé par la suite. M.
Juppé avait bien entendu pris de nombreuses précautions dans la présentation de
cette proposition, en soulignant le fait qu'il ne fallait pas pénaliser les
familles à revenus faibles.
Pourtant, entre les deux systèmes, il en est un, l'imposition, qui pénalise
les foyers modestes et moyens, et l'autre, la mise sous conditions de
ressources, qui pénalise les foyers aisés et très aisés. En effet, il est vrai
que, même pour les revenus élevés, les prestations familiales non soumises à
obligation de ressources représentent un revenu non négligeable.
Une étude de 1995 établie par les services du Premier ministre de l'époque
afin de préparer les forums régionaux de la santé montre que, pour une famille
avec deux enfants, les prestations familiales augmentent de 30 % à 40 % le
revenu disponible pour un salaire net annuel de 40 600 francs. Toujours pour
cette même famille, l'augmentation de revenu liée aux allocations familiales
est de 15 % pour un salaire net de 101 000 francs, et de 10 % pour un salaire
net de 225 000 francs ; elle se maintient au-dessus de 5 % pour des revenus
annuels compris entre 350 000 francs et 750 000 francs.
On comprend que la diminution de 5 % de revenus pour un couple dont le revenu
salarial annuel est compris entre 350 000 francs et 750 000 francs est toujours
désagréable parce que c'est toujours de l'argent en moins. Mais entre cette
situation, peu agréable certes pour les gens aisés et très aisés, et la
fiscalisation, qui pénalise les foyers modestes et très modestes, on voit bien
de quel côté sont la solidarité et la justice sociale, d'autant que cette
modulation en fonction des ressources se retrouve dans d'autres pays
européens.
M. le président.
Veuillez conclure, madame Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau.
Je ne dirai pas ce que je pense de l'AGED !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Dommage !
Mme Joëlle Dusseau.
Je soulignerai simplement qu'il me paraît important de prévoir la mise sous
conditions de ressources de cette allocation.
Enfin, je ne parlerai pas du lien entre la politique familiale et les
allocations familiales. J'indiquerai simplement qu'il est inexact de prétendre
qu'il existe un lien étroit entre les aides financières à la famille et le
nombre d'enfants. Toutes les études démographiques l'ont bien démontré depuis
un certain nombre d'années.
En conclusion, madame la ministre, les sénateurs radicaux socialistes du
groupe du RDSE sont favorables à ce projet de loi et espèrent pouvoir le voter
dans de bonnes conditions, mardi prochain.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, M. Descours nous a révélé que rien ne devait changer pour la
commission des affaires sociales et, par extension, pour la majorité
sénatoriale. Je crois, au contraire, que les choix que nous avons la
responsabilité de faire en matière de santé et de protection sociale doivent
clairement indiquer une orientation nouvelle.
Chacun a en mémoire l'année 1995. Le plan de réforme conçu par M. Juppé, qui
lui a légué son nom, fut le détonateur d'une énorme mobilisation populaire. Ce
plan, qualifié de courageux par nombre de médias et applaudi par les pouvoirs
économiques, avait un inconvénient de taille : huit Français sur dix, selon une
enquête réalisée en novembre 1995, le jugeaient injuste parce qu'il faisait
porter une charge excessive sur les plus faibles.
La réaction populaire de décembre 1995 sanctionnait plus de dix ans
d'offensive ultralibérale, au cours desquels l'abaissement du coût du travail
et la limitation de la protection sociale ont été des objectifs constants.
Les élections de 1997 ont confirmé cette sanction. La majorité des Français
veulent plus de justice en matière de santé et de protection sociale. Ils sont
très attachés aux principes d'égalité, d'unité et de solidarité nationale selon
lesquels tout individu est en droit d'attendre de la collectivité sécurité
matérielle et protection de la santé, comme cela figure en tête de la
Constitution.
En même temps, les Français jugent sévèrement la politique menée depuis des
années en matière de santé et de protection sociale. S'agissant plus
particulièrement de la politique hospitalière, selon un sondage réalisé le 8
octobre 1997 et publié dans
le Quotidien du médecin,
sept personnes sur
dix estiment que les pouvoirs publics privilégient la limitation des dépenses
de santé au détriment de la santé des malades.
L'appréciation des Français est légitime : notre système de santé s'est
détérioré ; les mesures comptables prises depuis 1990 n'ont abouti qu'à
rationner les soins, les prestations familiales et les retraites, au détriment
des salariés, et n'ont pas apporté de solutions de financement durables. C'est
cette situation qu'il faut changer et c'est à cela que le groupe communiste
républicain et citoyen veut contribuer.
Les objectifs du Gouvernement, tels qu'ils figurent dans le rapport annexé au
projet de loi voté par l'Assemblée nationale, s'inscrivent dans une logique
nouvelle.
La volonté affichée d'améliorer la santé, de réduire les inégalités et de
rétablir l'équilibre financier reçoivent notre approbation.
Pour optimiser l'efficacité du système de soins, le Gouvernement entend partir
des besoins de la population tels qu'ils sont et impliquer impérativement les
professionnels et les personnes concernées.
Dans ce sens, nous apprécions l'engagement du Gouvernement d'organiser des
états généraux de la santé qui déboucheraient sur des décisions, avant la
prochaine loi de financement pour 1999. Cette démarche tournant le dos à la
logique autoritaire fait droit à l'appel des principales organisations
concernées par la santé, les treize, qui, depuis le printemps dernier, font un
gros effort d'élaboration et revendiquent un « Grenelle de la santé ». Nous
apprécions aussi que les priorités de la Conférence nationale de la santé
soient reprises par le Gouvernement.
Nous sommes évidemment favorables à une meilleure prévention par le dépistage
plus systématique de certains cancers, à l'amélioration de la protection
sanitaire des jeunes par un renforcement de la médecine scolaire et
universitaire que nous voudrions voir déboucher sur une véritable inversion de
tendance, monsieur le secrétaire d'Etat, par la lutte contre le saturnisme et
le tabagisme.
De même, nombre de problèmes, comme l'importance des infections iatrogènes et
nosocomiales, hélas ! révélées chaque jour, doivent être pris à bras-le-corps
tout comme la nécessité d'augmenter la prise en charge par la médecine de ville
du VIH.
Aussi, si nous approuvons les orientations du Gouvernement et revendiquons
nous-mêmes plus d'ambition, nous sommes réservés, comme nos amis l'ont expliqué
à l'Assemblée nationale, sur la traduction en termes de financement.
En effet, en hausse mais intégrant l'impératif de réduction du déficit,
l'objectif national des dépenses d'assurance maladie a été fixé à 613,8
milliards de francs pour 1998.
L'augmentation de 2,2 %, inférieure à la croissance attendue, nous paraît
limiter quelque peu l'ambition affichée, même si, s'agissant de la médecine de
ville, elle permettra de desserrer l'étau imposé précédemment.
En ce qui concerne l'hôpital, on constate certes une évolution sensible du
taux directeur, puisque l'augmentation est de 2,3 % contre 1,5 % l'an dernier,
mais, vous le savez, les décisions antérieures ont entraîné des conséquences
graves, que nous subissons aujourd'hui par manque d'investissements pendant des
années.
S'il est urgent d'entreprendre des réformes structurelles du système français
de soins, celles-ci ne doivent pas se faire au détriment du service public
hospitalier, qui a besoin de plus de démocratie et d'oxygène, et non de
suppression d'hôpitaux ruraux ou de services prétendument non rentables. Je
vous renvoie à l'article 21 du projet de loi tendant à créer un fonds
d'accompagnement social pour la modernisation des hôpitaux.
Compte tenu d'un taux directeur moyen, on peut s'inquiéter légitimement, étant
donné les disparités régionales, des conséquences pour certains hôpitaux, en
particulier de l'Ile-de-France. Je m'inquiète bien évidemment, en ce qui me
concerne, des restructurations parisiennes.
En effet, les mesures qui ont été annoncées jusqu'à présent, au titre, certes,
du plan Juppé, ne peuvent que nous alarmer, et je crois qu'il est temps de
revoir démocratiquement les SROS.
Nous ne pensons pas que les moyens soient illimités, mais nous souhaitons une
évaluation démocratique des besoins et une réforme résolue du financement qui,
pour l'asseoir durablement, fasse contribuer les revenus financiers.
Aussi le groupe communiste républicain et citoyen ne s'inscrit-il évidemment
pas, bien au contraire, dans le contre-projet de la majorité sénatoriale.
Celle-ci, au mépris du suffrage universel, préconise les mêmes recettes que
celles qui ont échoué depuis des années.
Mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, le bilan de votre politique de
protection sociale est désastreux au niveau tant de l'état de santé de la
population
(Protestations sur les travées du RPR et de l'Union centriste.),
qui s'est dégradé, que du financement même de celle-ci.
M. Claude Huriet.
Il ne faut pas exagérer !
Mme Nicole Borvo.
Or vous persévérez. Ainsi, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie
est réduit, au détriment de l'hôpital public, ce qui laisserait entendre encore
plus de fermetures de lits et d'hôpitaux, de dysfonctionnements et de
suppressions d'emplois.
Dans le même esprit, la commission préconise des économies de gestion dans les
dépenses de fonctionnement des caisses de sécurité sociale, ce qui signifie, là
aussi, en clair, suppressions d'emplois et remise en cause des services rendus
aux assurés.
En revanche, et cela n'étonnera personne, la droite fait silence sur la
question de la contribution des entreprises et des revenus financiers au
financement de la protection sociale.
M. Robert Pagès.
Très bien !
Mme Nicole Borvo.
Pas question pour vous d'envisager une taxation des revenus financiers
spéculatifs ! Pas question d'envisager une modulation ou une modification de
l'assiette des cotisations sociales ! Pas question de faire en sorte que les
contraintes de financement pesant sur les salaires soient allégées en mettant à
contribution spéculation immobilière, placements financiers, immobilisations
des grands groupes ou des ménages les plus fortunés.
Donc, si notre groupe formule des réserves à l'égard du projet de financement
gouvernemental, elles n'ont ni les mêmes fondements ni les mêmes finalités que
la majorité sénatoriale.
Comme vous le savez, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, nous
sommes hostiles à la mise sous conditions de ressources des allocations
familiales. Nous notons néanmoins comme positif le caractère provisoire de
cette mesure, à la suite du vote à l'Assemblée nationale de l'amendement de mon
amie Muguette Jacquaint. Nous souhaitons qu'il soit explicitement prévu qu'elle
ne s'appliquera qu'en 1998.
Il en est de même de l'engagement pris par le Gouvernement d'étudier avec
attention, au titre des chantiers pour 1998, l'attribution d'allocations
familiales dès le premier enfant. J'ai eu l'occasion de donner mon point de vue
lors du débat sur la politique familiale ici même et vous avez, madame la
ministre, donné des assurances à cet égard.
Conscients de la nécessaire « remise à plat » de la politique familiale dans
sa globalité, nous sommes néanmoins opposés à la fiscalisation de la branche.
Nous y serons vigilants et nous veillerons aussi à la protection des minima
sociaux.
De plus, nous comptons sur le Gouvernement pour respecter les garanties
données lors du débat à l'Assemblée nationale pour qu'en aucun cas cette mise
sous condition de ressources n'ouvre la voie à un dispositif identique pour
l'assurance maladie.
Enfin, permettez-moi de préciser qu'en 1991, lorsque l'application de 1,1 % de
CSG à la branche famille a été décidée, cette branche était excédentaire et
que, corrélativement, cette opération a eu pour conséquence un allégement des
cotisations patronales.
Aujourd'hui, à l'inverse, rien n'est prévu dans le projet de loi qui nous est
soumis sur la participation patronale pour réduire le déficit de la branche
famille. Pourquoi ne pas aller dans ce sens dans l'immédiat ?
Nous sommes sensibles à la volonté affirmée par le Gouvernement de progresser
vers plus de justice sociale et de faire contribuer certains revenus
financiers, ce que vous faites en élargissant l'assiette de la CSG. Néanmoins,
le choix du basculement permanent et définitif du financement des cotisations
sociales vers la CSG et de la reconduction pour cinq ans du remboursement de la
dette sociale ne peut nous convenir.
Il conduit à une fiscalisation de la sécurité sociale, ce qui signifie sa
soumission aux aléas budgétaires annuels globaux, tandis que l'on dégage les
employeurs de leurs responsabilités. Les deux combinés ouvrent le risque d'une
protection sociale minimale, complétée par la protection sociale privée chère à
M. Bébéar.
De plus, avec la CSG proposée par le Gouvernement, les revenus financiers des
entreprises, banques et assurances, qui pèsent pourtant énormément sur la
croissance et l'emploi, ne sont pas touchés.
J'ajoute que je ne suis pas persuadée, d'une part, que cet impôt soit en
mesure de pérenniser le financement de la sécurité sociale et, d'autre part,
que l'opération se solde, pour les salariés, par un gain significatif de
pouvoir d'achat.
Par exemple, l'assiette de la CSG étant beaucoup plus large que celle des
cotisations maladie, des problèmes vont se poser, tant pour les fonctionnaires
que pour les salariés du privé.
Mon collègue Guy Fischer évoquera ultérieurement le problème des retraites et
les inquiétudes légitimes qu'il suscite.
Notre choix est celui de l'instauration d'une cotisation additionnelle assise
sur les revenus financiers des entreprises, dès cette année. Cette mesure
profiterait à l'emploi.
C'est dans cet esprit que nous proposons de moduler les cotisations sociales
patronales en fonction de la politique d'emploi de l'entreprise, et donc des
mesures particulières pour les PME-PMI.
C'est en taxant la spéculation, qui détourne aujourd'hui l'argent de l'emploi
et de l'intérêt général, que notre protection sociale trouvera d'autres bases
de financement, des recettes durables.
De ce point de vue, nous apprécions, bien entendu, l'engagement du
Gouvernement de travailler à une modification de l'assiette des cotisations
patronales en fonction de la valeur ajoutée et de la masse salariale. Le
rapport de M. Chadelas, qui propose la modulation de la cotisation selon un
ratio masse salariale - valeur ajoutée, est intéressant de ce point de vue.
Tout au long du débat, nous allons nous efforcer d'éviter aux Français le plan
Juppé
bis
que nous propose la majorité sénatoriale et de faire des
propositions constructives pour favoriser l'émergence d'une nouvelle logique de
financement pour la protection sociale.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen. - M. François Autain applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Gruillot.
M. Georges Gruillot.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que
nous examinons aujourd'hui est la deuxième application pratique de la réforme
constitutionnelle du 22 février 1996.
Je rends hommage à la détermination avec laquelle le gouvernement précédent a
initié et conduit cette réforme indispensable au maintien et à l'efficacité de
notre système de protection sociale. Chacun de nous, aujourd'hui, en reconnaît
le bien-fondé.
Avant d'aborder plus directement le problème du financement des retraites,
laissant à mes collègues le soin de détailler les autres aspects de ce texte,
j'appelle votre attention, madame le ministre, sur les conditions de
tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Si les dispositions de l'article 9, telles qu'issues du débat à l'Assemblée
nationale, devaient être adoptées en l'état, cela reviendrait à supprimer toute
autonomie aux partenaires sociaux dans la gestion de cette branche
spécifique.
En effet, imposer à la commission des accidents du travail le respect de
l'équilibre financier déterminé par ce texte permettrait au Gouvernement de
faire entériner au Parlement les excédents qu'il souhaite dégager chaque année
au moyen du taux de cotisation d'accidents du travail et de maladies
professionnelles.
Ces cotisations ont engendré, depuis 1983, un excédent cumulé de près de 30
milliards de francs, qui a servi à combler d'autres déficits sociaux.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Oui !
M. Georges Gruillot.
De telles dispositions vont à l'encontre de la politique de prévention des
risques et d'amélioration des conditions de travail que conduisent les chefs
d'entreprise.
Par ailleurs, elles aggravent considérablement leurs charges, ce qui, sur un
plan strictement économique, me paraît proprement inopportun.
Si j'ai pris le soin d'ouvrir mon propos sur cet exemple, c'est parce qu'il me
paraît révélateur de la manière dont est abordé le problème général du
financement social, à la faveur de mesures comptables qui semblent ignorer la
réalité économique - des entreprises comme des particuliers - et ses
contraintes.
Au sujet des retraités, madame le ministre, vous proclamez qu'ils ne perdront
pas de pouvoir d'achat avec la mise en oeuvre de vos nouvelles dispositions. La
vérité me semble tout autre. En effet, si, pour les seules retraites de base,
la diminution de 2,8 points des cotisations maladie équilibre l'augmentation de
2,8 points de la CSG, il n'en va pas de même pour les retraites
complémentaires, qui supporteront à la fois la CSG et un point supplémentaire
de cotisation maladie.
De même, les bonifications de retraite pour charges de famille seront taxées,
alors qu'elles n'entrent pas dans l'assiette des cotisations maladie.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
C'est très vrai !
M. Georges Gruillot.
Si nous ajoutons à cela la surtaxation de l'épargne et la suppression de la
demi-part supplémentaire attribuée aux personnes seules ayant charge de
famille, alors, force est de constater que le pouvoir d'achat des retraités est
dangereusement menacé, contrairement à vos affirmations.
Le caractère ponctuel et l'impact limité de ces mesures sur les comptes des
régimes d'assurance vieillesse est d'autant plus grave qu'un certain nombre de
dossiers importants ne sont pas traités, tels que les problèmes des veuves ou
des handicapés vieillissants.
En effet, madame le ministre, après avoir rappelé que la situation de la
branche vieillesse restera déséquilibrée pour les années à venir, le rapport du
Gouvernement indique seulement que « cette situation appelle une réflexion
approfondie sur l'évolution des prestations et des ressources des systèmes de
retraites, que le Gouvernement entend conduire en prenant en compte l'évolution
des conditions de vieillissement, de la durée et du mode de vie ». On
conviendra du caractère extrêment vague des informations données au Parlement
par le Gouvernement !
Or la dégradation rapide des comptes des régimes d'assurance vieillesse, qui
devrait intervenir après 2005, nous impose de réfléchir à des mesures
correctives qui seraient d'autant mieux acceptées qu'elles seraient étalées
dans le temps.
Dans votre rapport, vous affirmez également votre attachement au mécanisme de
retraite par répartition. Nous sommes également très favorables à ce principe,
institué par le général de Gaulle en 1945 et qui consacre la notion de
solidarité nationale, mais nous aimerions connaître vos intentions sur
l'éventuelle abrogation ou modification de la loi du 25 mars 1997, qui a créé
les plans d'épargne retraite.
D'autre part, madame le ministre, comment comptez-vous aborder et traiter le
problème du financement de la Caisse nationale de retraite des agents des
collectivités locales ? Cette caisse est incluse dans la liste des régimes de
sécurité sociales autorisés à recourir à l'emprunt pour couvrir leurs besoins
de trésorerie, dans la limite de 2,5 milliards de francs. Or, s'agissant de
cette mesure, le président du conseil d'administration de la caisse a condamné
publiquement, le 29 octobre dernier, la nécessité de recourir à l'emprunt pour
couvrir les besoins de trésorerie du régime et il vous demandait de le recevoir
accompagné d'une délégation.
Il est dommage qu'en lieu et place de la concertation et du dialogue
préalables un président de caisse de retraite soit obligé, en pleine discussion
de votre projet de loi à l'Assemblée nationale, de vous demander une audience
pour débattre d'une telle mesure !
Dans un passé récent, vous le savez, la CNRACL a dû faire face à des besoins
de trésorerie importants à cause du décalage dans le temps pour financer des
acomptes de compensation et de surcompensation.
L'année dernière, le gouvernement d'Alain Juppé avait pris l'engagement de
mettre en oeuvre une réforme du financement de cette caisse de retraite pour en
assurer la stabilité.
Un artifice comptable ponctuel ne donnant aucune assurance quant à la
pérennité du financement de la CNRACL ne peut remplacer cette réflexion de
fond. Une nouvelle augmentation de la cotisation employeur est, bien sûr,
inacceptable. Aussi, je vous suis reconnaissant de bien vouloir, madame le
ministre, nous préciser vos intentions à ce sujet.
Dans le même ordre d'idées, je regrette que ce projet de loi porte un coup
sévère aux retraités employés et clercs de notaire. Je sais que vous avez été
saisie récemment d'une lettre évoquant ce sujet par Mme Guigou, garde des
sceaux, qui s'émeut également de ce problème.
Vous proposez de nouvelles règles de calcul pour la compensation bilatérale
entre le régime général et celui des clercs et employés de notaires. Ces règles
aboutissent à accroître la charge de ce régime spécial de 210 millions de
francs par an.
Ce prélèvement intervient au moment même où les partenaires sociaux du
notariat entamaient des discussions sur l'avenir de leur régime. Leurs efforts
risquent donc d'être récompensés soit par la disparition du régime ou son
absorption, soit par de nouvelles augmentations de charges.
Cette mesure, à nouveau purement comptable, ne peut que compromettre gravement
l'existence d'un système auquel l'Etat n'a que peu contribué et accorde à cette
caisse le « triste privilège » de subventionner le plus le régime général en
étant à peu près le plus petit régime soumis à compensation.
En cédant à cette logique financière, ce projet de loi aggrave les charges qui
pèsent sur nos concitoyens. Cette année, alors que les rentrées fiscales
s'améliorent, vous suivez une logique de ponctionnement des revenus de
l'épargne populaire qui comporte, à mon sens, deux risques majeurs.
Le premier concerne la délocalisation des patrimoines hors de France. La
libéralisation du marché des capitaux permet aujourd'hui de transférer très
facilement ses économies d'une banque française à une banque luxembourgeoise ou
allemande.
M. Guy Fischer.
Pas n'importe qui !
M. Georges Gruillot.
M. André Babeau, directeur du centre de recherche de l'épargne, a d'ailleurs
fait part de telles inquiétudes dans sa lettre du mois d'octobre.
Le second risque, tout aussi important, concerne notre économie nationale. Il
est parfaitement résumé par un éditorialiste d'un grand quotidien du matin, qui
déclarait récemment : « En assimilant l'épargne au capital, et le capital au
mal, l'Etat prend le risque de détourner les Français de ce qui est pourtant
aussi l'un des moteurs de la croissance : l'investissement. » Je pourrais
reprendre totalement à mon compte cette analyse, tant le fait d'épargner
consiste, pour des millions de Français, non pas à faire diminuer les sommes
sur leur feuille d'impôts, mais à se prémunir contre les aléas de
l'existence.
Madame le ministre, ces questions m'amènent à un constat amer. Ce projet de
loi de financement manque de souffle et d'ambition. Convaincus de la nécessité
d'assainir les comptes sociaux et conscients de l'effort que cela suppose, nous
regrettons que ces dispositions, dénuées de perspectives d'avenir et, plus
grave, de générosité, ne permettent ni d'apprécier l'exacte expression d'une
réelle solidarité nationale ni d'évaluer sur le long terme les gages de
redressement et de pérennité de la sécurité sociale.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à vingt et une heures trente.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une
heures trente.)
M. le président.
La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
voilà deux ans, le 15 novembre, le Premier ministre, M. Alain Juppé, présentait
une réforme audacieuse de notre système de sécurité sociale qui visait à en
assurer la pérennité, à en améliorer l'efficience, à en optimiser le coût, en
un mot à le moderniser.
Cette réforme profonde, la première depuis la création de la sécurité sociale
par le général de Gaulle, intervenait dans un contexte politique, économique et
psychologique difficile. Marquant « la fin des illusions », elle devait se
heurter à des réactions d'incompréhension, à des oppositions diverses, qui
étaient d'autant plus prévisibles que les « sacrifices » ne pouvaient être
acceptés que si les résultats qu'on pouvait en attendre étaient rapidement
perceptibles, ce qui n'était pas toujours le cas.
Faut-il pourtant rappeler que « la réforme Juppé » rompait avec le passé,
puisqu'elle ne comportait ni mesures de déremboursement, ni hausses des
cotisations et des prélèvements ? Nous l'avons soutenue, nous avons contribué à
l'expliquer. Nous l'avons sans doute fait trop vite, trop tard en termes
politiques.
Mais, en l'absence de ratification des ordonnances du 24 avril 1996 par le
Parlement - ce que notre collègue Mme Beaudeau qualifiait l'an dernier de «
scandaleux » -nous avons la satisfaction de constater que le Gouvernement
actuel et sa majorité « plurielle » - y compris les communistes - ne remettent
pas en cause ces ordonnances. « L'usine à gaz », selon l'expression d'un de nos
collègues socialistes, continue donc de fonctionner, même si ce n'est qu'au
ralenti ! Et cette simple constatation vide de tout leur sens les critiques
formulées depuis des semaines quant à l'insuffisance des résultats de la
réforme en termes comptables.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Très bien !
M. Claude Huriet.
A travers le présent projet de loi de financement, le Gouvernement n'échappe
pas à une profonde contradiction entre l'affirmation des objectifs et les
moyens mis en oeuvre. Il prétend faire sien l'objectif d'Alain Juppé, la
maîtrise des dépenses sociales, et, s'inscrivant dans la même logique, il
ambitionne un retour à l'équilibre dans deux ans.
Pourtant, il tarde à activer les instruments de la maîtrise : l'ANAES,
l'informatisation, l'expérimentation des réseaux et filières, la formation
continue obligatoire des médecins. Surtout, l'augmentation de l'ONDAM,
l'objectif national des dépenses d'assurance maladie - soit 2,2 % - correspond
en fait à l'évolution tendancielle des dépenses telle que l'a calculée la
Commission des comptes de la sécurité sociale. En cette matière, le discours
n'est qu'« incantatoire » s'il n'est pas l'expression d'une ferme volonté
politique.
A l'occasion du débat qui s'ouvre aujourd'hui, nous souhaitons connaître la
politique du Gouvernement : s'agit-il de maîtriser les dépenses sociales ou de
réenclencher la spirale infernale de l'augmentation des prélèvements ?
Dans le champ extrêmement vaste couvert par notre système de sécurité sociale,
parmi l'inventaire établi à l'occasion du débat parlementaire sur la loi de
financement, sur les orientations et les choix à propos desquels le Parlement a
désormais « son mot à dire », je souhaite retenir votre attention, madame la
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, sur quatre domaines particuliers.
Je formulerai d'abord quelques réflexions critiques sur le rapport annexe du
Gouvernement faisant l'objet de l'article 1er du projet de loi, sur la
politique du médicament, et quelques interrogations inquiètes sur la situation
de la branche vieillesse. Par ailleurs, en qualité de président du conseil de
surveillance de la CNAF, je vous ferai part de mon opposition à la remise en
cause des fondements mêmes de la politique familiale par le Gouvernement.
L'article 1er du projet de loi a pour objet l'approbation du rapport relatif
aux orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et aux
objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de
la sécurité sociale.
L'énoncé des priorités laisse quelque peu perplexe. Il s'agirait d'améliorer
la santé, de réduire les inégalités, de retrouver l'équilibre financier. Qui
n'y souscrirait ? Mais peut-on réellement parler des priorités quand les
objectifs sont aussi généraux ?
L'analyse du contenu suscite, elle aussi, nombre d'interrogations sur la «
politique de santé » du Gouvernement et sur les moyens qu'il souhaite mettre en
oeuvre.
Hormis le fait que ce rapport est relatif « aux conditions générales de
l'équilibre financier de la sécurité sociale », auxquelles nous ne pouvons
souscrire, le flou de son contenu nous conduit à le rejeter et à adopter le «
contre-rapport » établi par la commission des affaires sociales.
Je souhaite cependant faire deux remarques.
En premier lieu, l'interrogation sur les priorités des systèmes de soins à
partir des besoins de santé nécessite à mon sens une réflexion approfondie, et
ce pour deux raisons.
D'abord, nul n'est capable aujourd'hui d'apprécier les « besoins de santé ».
Les besoins ressentis, les besoins exprimés et les attentes des populations ne
peuvent suffire à eux seuls à définir les priorités des systèmes de soins.
Sont-ce les maladies les plus fréquentes, les plus douloureuses, les plus
invalidantes ou les maladies les plus graves qui figureront parmi les priorités
?
Ensuite, définir des priorités des systèmes de soins amène à s'interroger sur
le devenir des domaines considérés comme « non prioritaires » et des moyens
dont ils seront, ou ne seront pas, dotés.
Par ailleurs, la création, au sein du ministère de la santé, d'une direction
de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques semble engager
la réforme du ministère voulue par M. Hervé Gaymard et la modernisation de
l'administration que, en tant que rapporteur de la proposition de loi relative
à la sécurité sanitaire, j'appelle de mes voeux.
Le médicament contribue à l'amélioration de la santé des Français et, comme
une récente étude du CREDES l'atteste, avec ses 85 000 salariés, à l'activité
économique du pays.
L'institutionnalisation du Comité économique du médicament par la loi du 28
mai 1996 et le développement de la politique contractuelle depuis quelques
années, qui a contribué à la maîtrise des dépenses de santé, doivent permettre
à la France de conserver son rang.
Dans une compétition internationale très vive, toute remise en cause
unilatérale de la politique contractuelle affaiblit notre position à l'égard de
nos partenaires et de nos concurrents étrangers.
La politique du médicament doit en outre éviter les surconsommations et
favoriser l'innovation.
Le premier objectif correspond à la mise en place des références médicales
opposables et à la politique du « juste soin », pour reprendre l'expression de
M. Jacques Barrot. Il va de pair avec la formation médicale continue
obligatoire, mais on peut regretter les retards dans la mise en place de cette
dernière.
Quant au deuxième objectif, à savoir favoriser l'innovation, il est
difficilement compatible, d'une part, avec les mesures financières qui frappent
l'industrie pharmaceutique dans notre pays et, d'autre part, avec l'absence
d'une véritable politique du médicament. Le coût de la recherche est faramineux
: on estime en effet à 2 milliards de francs le coût de la recherche d'une
nouvelle molécule.
Si 4 % seulement des molécules mises sur le marché sont françaises - contre 20
% il y a vingt ans - c'est bien parce que le pourcentage des dépenses
consacrées à la recherche est plus faible en France - 13,5 % - qu'ailleurs : 16
% en Grande-Bretagne, 19 % aux Etats-Unis. Il est vrai qu'une évolution plus
favorable semble toutefois se dessiner depuis trois ou quatre ans.
L'idée - à vrai dire un peu simpliste - selon laquelle l'industrie
pharmaceutique en France investit trop peu dans la recherche parce qu'elle
investit trop dans la promotion et la publicité est contredite par les chiffres
: sur trois ans, de 1993 à 1996, le chiffre d'affaires s'est accru de 14 %, les
dépenses de recherche de plus de 20 %. Quant aux dépenses de promotion, elles
n'ont augmenté que de 3 %, tandis que les investissements de la presse médicale
ont chuté de 46 % !
La presse médicale française est en péril et, en aggravant les taxes sur la
promotion, on risque de la condamner à une mort lente.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il ne faut pas oublier les
abonnements !
M. Claude Huriet.
S'il est un domaine dans lequel l'action du Gouvernement doit s'inscrire dans
la durée, c'est bien celui des retraites, chapitre sur lequel se sont exprimés
plusieurs intervenants ; je ne m'y attarderai donc pas.
Désigné par les présidents des assemblées pour assurer la présidence du
conseil de surveillance de la Caisse nationale des allocations familiales,
c'est à ce titre que je voudrais maintenant m'exprimer.
L'an dernier, chers collègues de l'opposition sénatoriale, vous nous aviez
accusés de bafouer la démocratie parce que nous n'attendions pas les résultats
de la Conférence nationale de la famille pour énoncer des propositions ! Mais
aujourd'hui, comment pouvez-vous accepter sans broncher les décisions du
Gouvernement concernant la réforme des allocations familiales ? Ces décisions
ont en effet été prises hâtivement, sans concertation, sans débat démocratique
préalable, ce qui a suscité un tollé de la part du conseil d'administration de
la CNAF et de tout le mouvement familial, qui est allé jusqu'à parler d'«
atteinte à la dignité de l'enfant ». Comment pouvez-vous vous contenter du
simple engagement de tenir une Conférence de la famille, l'année prochaine
seulement ?
Au-delà d'une décision qui ne serait que de simple opportunité, pour combler
le déficit de la branche famille, ce qui nous sépare fondamentalement, madame
la ministre, c'est la rupture totale avec la politique familiale française au
profit d'une politique sociale.
Or la famille ne peut être considérée comme un handicap ou comme un échec ;
c'est une organisation de la vie en société qu'il faut promouvoir par une
politique s'inscrivant dans la durée. C'est un investissement, y compris en
termes économiques, puisque « le petit d'homme est, dès son premier instant, un
consommateur ».
Très différente est une politique « sociale » qui vise, au nom de la
solidarité - principe que nous ne récusons pas, bien au contraire - à
améliorer la situation des plus défavorisés.
Comme l'affirme fort opportunément le professeur Lecaillon, une politique
sociale a vocation à s'éteindre lorsqu'elle aura atteint son objectif. A
l'inverse, une politique familiale a vocation à être pérennisée.
S'il avait été moins aveuglé par une idéologie égalitaire, le Gouvernement
aurait gagné à s'inspirer du rapport Gisserot pour définir clairement ses
objectifs. Selon ce rapport, il conviendrait de rétablir l'égalité entre les
personnes ayant charge d'enfants et les autres, de reconnaître la participation
des parents à la création des richesses et de solvabiliser certaines familles.
Selon Mme Gisserot, chacun de ces objectifs appellerait d'ailleurs des mesures
différentes.
A tout mélanger, à ne faire sien que le troisième objectif - à savoir,
solvabiliser certaines familles - le Gouvernement, qu'il le veuille ou non,
démantèle la politique familiale.
Près de la moitié des prestations familiales sont actuellement accordées «
sous conditions de ressources ». Ainsi une famille nombreuse à faibles revenus
bénéficie davantage de la politique familiale, et c'est tant mieux !
La mesure envisagée par le Gouvernement n'est pas une mesure de
redistribution, c'est une mesure d'économie. Ainsi, 4 milliards de francs ne
bénéficieront plus aux familles. Or, cette mesure d'économie est d'autant plus
mal ciblée qu'en matière de protection sociale ce sont les dépenses de la
branche famille qui progressent le moins vite.
Madame la ministre, vous affirmez que vous n'appliquerez le principe d'équité
que vous défendez qu'aux seules allocations familiales.
Pourquoi ? Si ce principe est bon, vous qui êtes une femme de conviction et
vous qui n'êtes pas femme à vous arrêter en chemin, vous l'appliquerez aux
autres branches telles que la branche maladie. Une fois remis en cause le
principe d'universalité de la protection sociale, c'est tout l'édifice fondé
voilà cinquante ans qui risque de se lézarder.
M. Henri Weber.
Mais non, mais non !
M. Alain Gournac.
Mais si, mais si !
M. Claude Huriet.
Et vous serez naturellement amenée à appliquer ce même princpe d'équité aux
fonctionnaires dont les suppléments familiaux de traitement - qui représentent
6 milliards de francs - sont actuellement d'autant plus élevés que le salaire
est important. Le Gouvernement va-t-il, au nom du principe que vous défendez
pour les allocations familiales, décider de soumettre le versement du
supplément familial de traitement aux conditions de ressources ?
Avant de conclure mon intervention, je ne peux pas ne pas relever une autre
contradiction entre le discours d'un Gouvernement qui entend privilégier le «
social » et ses choix budgétaires : je veux parler du budget d'action sociale
de la Caisse nationale des allocations familiales. Ce budget contribue au
développement des équipements et services qui profitent aux familles les plus
modestes.
L'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et
sociaux demande, c'est bien le moins, que le Fonds national d'action sociale
connaisse, en 1998, une progression supérieure au taux de l'inflation, sous
peine de subir un ralentissement sans précédent.
L'exemple des contrats-enfance est très significatif, puisque le taux d'effort
des familles est fonction des revenus. Nous entrons ainsi de plain-pied dans la
démarche que vous défendez.
Or, si vos décisions sont confirmées, le manque à gagner atteindra 600
millions de francs, compromettant le développement de cette action, tel que le
précédent Gouvernement l'avait engagée.
J'emprunterai ma conclusion au Premier président de la Cour des comptes.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Très bonne référence !
M. Emmanuel Hamel.
C'est un grand président !
M. Claude Huriet.
Le président Joxe considère en effet que la marge d'incertitude qui affecte
les comptes de la sécurité sociale est largement supérieure à la marge de
manoeuvre de tout gouvernement en ce domaine.
Je l'emprunterai aussi au rapport de la Commission des comptes de la sécurité
sociale concernant la sécurité sociale « terre de contrastes », selon
l'expression des auteurs de ce rapport.
Après avoir relevé que les économies réalisées par l'ensemble des branches ont
atteint près de 65 milliards de francs en deux ans, les auteurs du rapport
concluent : « Dans un environnement institutionnel considérablement rénové, la
sécurité sociale évolue, se transforme, se réforme. Tout ne va pas au mieux,
comme le montre la persistance de certains déficits, mais les déséquilibres
sont moins lourds. Tous les problèmes ne sont pas réglés, mais beaucoup
progressent. Toutes les perspectives ne sont pas favorables, mais des
éclaircies se font jour. »
Bel hommage rendu au gouvernement précédent ! De tels propos relativisent le
poids de l'héritage que vous invoquiez à l'Assemblée nationale voilà quelques
jours, madame le ministre !
C'est avec la ferme volonté de poursuivre la démarche engagée depuis deux ans,
sans renier les principes fondateurs de notre système de protection sociale,
que la commission des affaires sociales du Sénat a amendé le projet de loi du
Gouvernement. Nous souscrivons aux termes du rapport qu'elle a rédigé, comme
aux dix recommandations qu'elle soumet à la Haute Assemblée. La commission peut
être assurée du total soutien du groupe de l'Union centriste.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, la gestion de notre système de protection sociale constitue un
enjeu exceptionnellement important. En soi d'abord, car c'est toute la
conception de notre société, la conscience que nous avons collectivement de
notre avenir et la solidarité qui doit être organisée entre tous qui sont en
cause.
Cet enjeu est en effet bien plus grave qu'il y a cinquante ans, car le
développement du système atteint un seuil critique qui le fait entrer, d'une
certaine manière, en conflit avec la production nationale. Ce seuil critique
résulte non seulement des masses financières en jeu, mais surtout de l'absence
de régulation assurée à leur évolution.
Les taux de progression spontanée des dépenses de protection sociale sont
assez régulièrement supérieurs à ceux du produit intérieur brut. Cette
discordance pouvait, au départ, ne pas être outre mesure inquiétante. Il n'en
est plus de même aujourd'hui, quand le taux des prestations de protection
sociale dans le produit intérieur brut atteint 30 % en 1996.
Ce taux de redistribution sociale devrait même normalement être source de
fierté nationale s'il était un indicateur fiable de cohésion sociale et si son
niveau était le fruit d'un objectif délibérément recherché, maîtrisé et
universalisable. Or, force est de le reconnaître, il est trop souvent subi, non
réellement maîtrisé et, hélas ! pas nécessairement considéré par les autres
pays comme un idéal imitable.
En 1970, le taux de redistribution sociale était de l'ordre de 20 %. Il
atteint 30 % en 1996, comme je l'ai déjà dit. Cette progression a été, pour une
part, voulue et acceptée, et résulte, pour une autre part, d'une efficacité
pour le moins incertaine de nos politiques de régulation.
En l'état actuel des choses, la politique de régulation demeure primordiale,
quel que soit le nom qu'on lui donne. Les querelles sémantiques qui naissent à
son sujet relèvent souvent de la sophistique. Ainsi, l'expression de maîtrise
comptable, qui tient parfois lieu d'anathème, révèle bien la complexité du
sujet.
Une régulation des dépenses ne peut être mesurée qu'en termes comptables et, à
tout prendre, il vaut mieux regarder les choses en face plutôt que de se
dissimuler la réalité et procéder comme dans certains pays nordiques, où la
régulation des dépenses de santé se fait insidieusement et physiquement par les
files d'attente dans les hôpitaux.
Cette politique de régulation, qui ne devrait donc pas être dite comptable,
mais qui pourtant ne peut être appréciée qu'au plan comptable, est en tout état
de cause primordiale, puisque l'avenir de tout le système en dépend. Je pense
que personne n'a jamais imaginé une manipulation de thermomètre pour faire
baisser la fièvre !
Nous avons eu, nous aussi, l'ambition de mener une politique structurelle. La
différence entre le projet que nous avons soutenu l'année dernière et le vôtre
a été clairement exposée par notre excellent rapporteur Charles Descours ainsi
que par Claude Huriet à l'instant ; je n'y ajouterai rien. J'indiquerai
seulement les limites qui existent en matière d'élargissement de l'assiette
vers les revenus du capital.
Le principe de cet élargissement ne me choque pas philosophiquement.
Malheureusement, les limites sont d'ordre physique.
D'une part, la mobilité internationale des capitaux étant tellement plus
grande que celle du travail, les revenus de celui-ci constituent, hélas ! une
assiette plus facilement saisissable que ceux du capital. Croyez-bien que c'est
cette réalité qui a freiné les ardeurs des gouvernements précédents.
D'autre part, la rémunération du travail peut être évaluée à 3 872 milliards
de francs, tandis que l'excédent d'exploitation net des amortissements et de la
rémunération du travail non salarié atteint au maximum 962 milliards de francs,
soit quatre fois moins que la rémunération du travail. Vous connaissez
parfaitement ces réalités, madame le ministre.
Vous êtes encore alertée, par le Sénat, sur la dimension structurelle de la
politique de sécurité sociale, à partir des analyses de la commission des
affaires sociales, qui s'est opposée à une extension des critères de ressources
pour le bénéfice des prestations familiales, craignant d'y voir une évolution
progressivement destructrice de la solidarité.
La logique de déplafonnement des cotisations, très largement mise en oeuvre
depuis plusieurs années et systématisée avec la contribution sociale
généralisée, ne peut être contestée que si l'on veille bien parallèlement à ce
que la redistribution ne soit pas abusivement restrictive.
A ce sujet, je ne pourrai que redire ce que j'ai déjà énoncé lors du débat sur
la politique familiale, en souhaitant un bilan complet des aides à la famille
pour vérifier et améliorer la cohérence et la justice de son contenu.
Deux indicateurs doivent en particulier être pris en compte.
Le revenu disponible par tête au sein de la famille est un premier critère
important pour régir la redistribution horizontale traditionnellement associée
à la notion même de politique familiale, bien qu'elle soit loin de constituer
son seul critère.
La notion de budget familial type, régulièrement élaboré et mis à jour par
l'Union nationale des associations familiales constitue un second critère
déterminant pour apprécier aussi bien le besoin de la redistribution verticale
que celui de la redistribution horizontale. Personnellement, je ne conçois pas
d'opposer les deux.
Une politique redistributive verticale des revenus est, certes, une politique
sociale, mais elle peut être aussi un élément fondamental de politique
familiale dès lors qu'elle rend possible la vie de famille, qui, sans elle,
serait condamnée à la misère. Toutefois, il est vrai que l'une comme l'autre
peuvent et doivent même supporter une certaine modulation, car l'égalité
absolue, d'un côté comme de l'autre, n'est ni possible ni souhaitable. L'erreur
consisterait à bouleverser les choses sans avoir d'instrument de mesure fiable
de l'impact des mesures sur les budgets familiaux par tête.
A ce sujet, quelques chiffres sont intéressants à citer : le revenu mensuel
par tête d'un ménage de deux enfants à 25 000 francs par mois s'élève à 6 250
francs. Celui d'un ménage de trois enfants à 30 000 francs par mois est de 6
000 francs. Celui d'un ménage de cinq enfants à 40 000 francs par mois
représente 5 714 francs. Rappelons pour mémoire que le SMIC mensuel est, au 1er
octobre 1997, de 6 663 francs. Il n'est pas non plus inintéressant de savoir
que le revenu mensuel moyen par tête des Français s'est élevé, en 1996, à 11
200 francs.
Je ne veux pas tirer de ces données des conclusions superficielles. Je
souhaite seulement rappeler les précautions qui doivent entourer nos démarches
quand on parle de seuils et de plafonds, appréciés de manière trop globale à
propos de l'évaluation des revenus familiaux.
En matière de protection sociale, nous naviguons depuis quelque temps dans des
zones à risques : risque d'exténuation de l'effort national d'un côté, risque
d'atomisation sociale de l'autre. D'un côté, le bateau s'enfonce, de l'autre
les passagers s'échappent dans les chaloupes plus petites, où ils se regroupent
selon des critères d'optimisation de la « rentabilité » individuelle de leurs
efforts.
Depuis trente ans, on a empêché les chaloupes de sortir vers des régimes d'un
autre type. Seul un troisième niveau de retraite complémentaire a réussi à
prendre la mer dans des conditions météorologiques d'ailleurs incertaines. Je
suis de ceux qui souhaitent que le bateau commun ne coule pas, et que le
troisième étage des voiles puisse aussi être sous le vent.
(Murmures sur plusieurs travées.)
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Oh !
M. Bernard Seillier.
Pour cela, il faut qu'il soit gouverné intelligemment, c'est-à-dire qu'il
convient de demander à tous les passagers de faire un effort.
Depuis plusieurs décennies, les seules mesures mises en oeuvre pour maintenir
en service notre système de protection sociale ont consisté à augmenter les
prélèvements ou à diminuer les remboursements, soit activement, soit
passivement, en laissant agir, par exemple, l'érosion monétaire, comme ce fut
le cas pour les allocations familiales depuis 1945.
Pour la première fois dans l'histoire de notre protection sociale, le
gouvernement précédent, dirigé par Alain Juppé, a essayé de s'engager dans une
autre voie, avec Jacques Barrot, Hervé Gaymard et le soutien de sa majorité
parlementaire. La caractéristique de l'entreprise a été mal comprise. Son
inspiration conserve cependant, à mes yeux, toute sa validité.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de revivifier l'animation solidaire de notre
système de protection sociale, autrement dit la responsabilité partagée de son
fonctionnement.
Au fil des ans, l'organisation de notre sécurité sociale s'est alourdie et
complexifiée. La situation démographique, d'un côté, tant celle des
bénéficiaires que celle des prescripteurs, et le développement des technologies
médicales et des établissements de soins de l'autre, ont considérablement
alourdi les charges et éloigné la facilité de perception des responsabilités
personnelles des acteurs.
Aujourd'hui, la préservation du système français passe par une amélioration
continue de la productivité à travers une véritable politique de santé
publique, grâce aussi à l'informatisation, qui permet une évaluation constante
des thérapeutiques et des traitements. Je crois que tout le monde en est
convaincu. Les efforts sont seulement à poursuivre.
Plus difficile est la revitalisation des responsabilités personnelles, aussi
bien celle des patients que celle des prescripteurs.
Celle des patients a été recherchée à travers le carnet de santé et
l'institution d'un itinéraire d'accès aux soins, préférentiellement axé sur le
médecin de famille avec le contrat de confiance. Je crois aussi que l'éducation
à la santé doit être développée chez tous, quel que soit l'âge, éducation aussi
à l'incidence collective des comportements personnels.
La responsabilité des prescripteurs doit aussi être réactivée. Au fil du
temps, le jeu combiné de la liberté d'installation et du conventionnement
automatique n'a pas permis de développer le sens d'une responsabilité
économique et sociale du médecin et de l'hôpital, compatible avec le sens,
heureusement incontestable et exceptionnel, de leur responsabilité
thérapeutique. Il faut absolument résoudre cette dialectique.
Il a été imaginé d'appeler certains médecins, dont le volume global
d'honoraires avait progressé, à refinancer le compte d'exploitation de
l'assurance maladie, si celui-ci venait à accuser un déficit. Le terme de «
reversement » a été employé. Il a été analysé et perçu comme une sanction
collective d'abus individuels. Dès lors, l'incompréhension a enrayé la
fécondité de la démarche. Il s'agissait, en fait, de solliciter la solidarité
d'une catégorie éminente d'acteurs du système pour garantir la pérennité de
celui-ci, dans le propre intérêt, d'ailleurs, de ces acteurs.
Certes la question est complexe, car la solidarité des acteurs peut être mise
en cause de plusieurs manières.
Le rythme et le montant des revalorisations des honoraires constitue un
premier moyen. Il a été utilisé depuis toujours, sans que cela soit souligné.
Sa technique est doublement inefficace. Parce qu'il est l'objet de tractations
et éventuellement de surenchères, le résultat n'est pas nécessairement
compatible avec l'objectif d'équilibre. Il est de plus impropre à stimuler la
responsabilité économique des prescripteurs. C'est pourquoi a été imaginé cet
ajustement
a posteriori
que l'on a appelé le reversement.
Sa faiblesse a peut-être été de ne pas être suffisamment articulé sur les
dispositions simultanées pour le réseau hospitalier. La médecine de terrain a
pu penser qu'elle était seule rendue responsable des dépassements d'objectifs
en matière d'assurance maladie. Mais aussi, l'éthique de responsabilité qui
existait derrière la disposition a été mal interprétée et peut-être mal
expliquée. En fait, je ne vois pas d'autre voie féconde en ce qui concerne
l'indispensable régulation économique du système de protection sociale, et
singulièrement de l'assurance maladie, que d'en confier la responsabilité
fondamentale aux acteurs principaux que sont les prescripteurs, qu'ils soient
personnes morales - les hôpitaux - ou personnes physiques, c'est-à-dire les
médecins de terrain. Ce sont eux qui détiennent la clef de l'avenir du
système.
Les autres acteurs, syndicats d'employeurs et de salariés, gestionnaires des
caisses, Etat et Parlement depuis peu, ne disposent que d'instruments
subsidiaires et d'ajustement purement mécaniques, dès lors que le fait
générateur de la dépense est hors de leur portée.
Le pari que ce système soit contrôlable a été esquissé. M. le président
Fourcade a démontré de façon remarquable que ce pari était parfaitement sensé,
mais à une première condition : que son système de financement soit clair et
cohérent. J'ajouterai une seconde condition : que ceux qui sont l'âme du
système de sécurité sociale, les médecins, acceptent d'assumer cette
responsabilité centrale indissociable de leur liberté.
Il m'est arrivé de comparer au début de cette année le système de
responsabilité mis en place à une recapitalisation d'une entreprise par ses
actionnaires. J'admets que l'analogie était imparfaite. Je voulais faire
comprendre que le système français de sécurité sociale est en dernier ressort
entre les mains des médecins eux-mêmes, à travers les établissements
hospitaliers ou les cabinets privés.
J'ai lu dans la presse que vous alliez prochainement rencontrer les syndicats
médicaux, madame le ministre. Vous aurez l'occasion de démontrer l'efficacité
de votre démarche de concertation avec le corps médical, démarche qui a pour
objectif, nous avez-vous dit dans votre intervention, d'entraîner l'adhésion et
la participation des médecins.
Dans votre propos, vous avez mis en opposition une démarche comptable et une
démarche structurelle ; vous me permettrez de dire que si on ne peut ni les
confondre ni les opposer, on ne peut les concilier que par un progrès éthique,
tant individuel que collectif. C'est sûrement un des grands défis lancés à
notre époque que celui d'organiser concrètement l'articulation dynamique des
différentes conditions du bien-être, celui de la personne comme celui des
communautés les plus larges.
Je pense que les futurs programmes scolaires d'instruction civique devront
comporter un chapitre important traitant de la contribution de chacun à une
protection sociale élargie, à ce que j'appellerai une véritable écologie
sociale, non seulement par une contribution financière librement consentie,
mais aussi par un comportement quotidien.
Notre succès dans ce domaine sera capital ; outre le fait qu'il puisse être un
bien en soi, ce qui suffit à en faire un idéal désirable, il pourra seul fonder
la crédibilité indispensable à une contribution française à l'ambition d'une
Europe sociale. C'est pourquoi je souhaite ce succès. C'est aussi pour cette
raison que, dans l'immédiat, les sénateurs du groupe des Républicains et
Indépendants feront leurs les propositions de la commission des affaires
sociales aussi brillamment exposées par son rapporteur, M. Descours, que
synthétisées par son président, M. Fourcade, et qu'ils voteront le projet de
loi amendé par ses soins.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le premier examen d'un projet de loi de financement de la
sécurité sociale nous exposait l'an dernier aux risques inhérents à toute
innovation. Après avoir lu et entendu la majorité sénatoriale, je crains que,
cette année, nous n'ayons à faire face au risque de contrefaçon : d'abord, la
commission saisie au fond nous propose un véritable contre-projet de loi ;
ensuite, d'une manière un peu diffuse, la commission des finances nous promet
une série d'amendements dont les conséquences nous éloignent des propositions
de la commission des affaires sociales, ce qui démontre, s'il en était besoin,
que la majorité sénatoriale a, elle aussi, ses contradictions.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Elle est plurielle !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Elle est complémentaire !
M. François Autain.
Je dois dire que, en écoutant M. le président de la commission des affaires
sociales et les rapporteurs tout à l'heure, j'avais le sentiment que la
majorité sénatoriale réglait, à travers vous, madame le ministre, ses comptes
avec le gouvernement Juppé.
A vous entendre aujourd'hui, en effet, mes chers collègues, j'imagine votre
souffrance quand vous étiez dans la majorité et qu'il vous fallait voter la
CSG, le déficit, le CRDS - que certains d'ailleurs appelaient à l'époque,
souvenez-vous, le « remboursement de la dette socialiste » ; je pense qu'il va
falloir maintenant ajouter un « D » et parler du CRDSD, puisqu'il s'agit du «
remboursement de la dette socialiste et de la droite » - la CADES, et j'en
passe, mais aussi ces transferts que le président Fourcade a découverts tout à
l'heure. Je l'ai entendu parler d'un transfert de 37 milliards de francs de la
CNAF vers la CNAM qu'il fallait, de toute urgence, remettre en cause.
Je m'étonne vraiment du fait que ce transfert soit passé inaperçu l'année
dernière lorsque nous avons examiné ce texte de loi ! Je le regrette, mais il
n'est jamais trop tard. En tout cas, Mme le ministre n'y est strictement pour
rien.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
On s'éloigne du sujet !
M. François Autain.
Je vais maintenant revenir à l'analyse du projet de loi. Je tenterai d'abord
d'analyser l'original que vous nous présentez, madame le ministre, et ensuite
les copies défendues par les commissions.
M. Claude Estier.
Mauvaise copie !
M. François Autain.
Je formulerai d'abord deux observations de forme et de méthode.
Je partage avec la Cour des comptes le sentiment que le calendrier retenu pour
l'examen de ce projet est le bon. Il permet de fonder la définition de notre
politique, qu'elle soit budgétaire ou sociale, sur les mêmes hypothèses
économiques et financières. Certes, un tel exercice impose au Gouvernement des
délais très serrés, je le reconnais, d'autant plus serrés cette année que le
Gouvernement - vous n'êtes pas sans le savoir - a été changé à la veille de
l'été.
Mais, madame le ministre, vous n'êtes pas responsable de ce changement, dont
la majorité sénatoriale se serait d'ailleurs, sans doute, volontiers passée
!
Monsieur le rapporteur, vous conviendrez que le reproche que vous avez adressé
plusieurs fois au Gouvernement actuel d'avoir pris quelque retard dans la mise
en oeuvre de certaines mesures paraît bien injuste et mériterait plutôt d'être
adressé à ceux qui ont choisi de dissoudre l'Assemblée nationale. Toutefois, je
comprends que vous ne puissiez pas porter sur ce point un jugement
équitable.
Il reste que ce calendrier, malgré ses contraintes, ne me paraît pas devoir
être changé.
Après la forme, j'en viens au fond.
Vous nous proposez, madame le ministre, d'engager une réforme ambitieuse du
financement de notre sécurité sociale qui conduit à basculer presque
intégralement sur la contribution sociale généralisée le financement par les
assurés de l'assurance maladie.
Vous prétendez, monsieur le rapporteur, qu'il s'agirait d'une remise en cause
des fondements de la sécurité sociale. Vous prétendez cela quand, l'an dernier,
vous n'hésitiez pas à parler, s'agissant de la CSG, d'une cotisation sociale
universelle. Vous prétendez cela quand, au mois de juin dernier, vous vous
apprêtiez, si le sort des urnes vous avait été favorable, à soutenir un
gouvernement - je sais que cela aurait été difficile - dont la déclaration de
politique générale déjà prête proposait - c'est un secret de polichinelle -
d'augmenter de deux points la contribution sociale généralisée en inscrivant
cette mesure dans un plan visant les mêmes objectifs que ceux qui sont
aujourd'hui défendus.
Vous prétendez cela encore en oubliant qu'une telle mesure permet d'accroître
sensiblement le pouvoir d'achat des actifs salariés, maintient celui des
inactifs et préserve enfin celui de la plupart des non-salariés. Je reconnais
avec vous, et avec Mme le ministre, qu'à peu près 20 % de non-salariés risquent
d'être pénalisés par cette mesure.
Vous prétendez cela enfin, alors que vous êtes d'accord avec nous sur
l'intérêt de fonder sur d'autres revenus que les salaires le financement de la
protection sociale.
Quelles ressources choisissez-vous pour financer la suppression du
plafonnement des allocations familiales ? La CSG ! A très faibles doses,
certes, car vous avez besoin de vous en désintoxiquer, étant donné la hausse de
1 % intervenue l'année dernière, mais cela dit vous y recourez quant même ! Et
que prétendez-vous attendre du Gouvernement ?
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Rien !
M. François Autain.
Qu'il recherche le plus vite possible les moyens d'alléger les cotisations
patronales en modifiant l'assiette de la participation des entreprises.
Cessez donc de prétendre qu'il y a, entre nous, sur ce sujet, une opposition
de fond, alors qu'il n'y a en vérité que désaccord sur le calendrier.
J'approuve, quant à moi, madame le ministre, le choix du Gouvernement. Je vous
invite simplement, pour l'avenir, à reprendre à votre compte l'intérêt porté
par la commission saisie au fond au financement de la branche famille par la
CSG.
Le deuxième objectif de ce projet de loi est la réorientation de l'effort vers
les plus modestes.
Vous nous proposez, pour atteindre cet objectif, de soumettre désormais
l'attribution des allocations familiales à des conditions de ressources et de
réformer l'AGED selon des modalités aménagées par l'Assemblée nationale.
Là encore, la commission saisie au fond, par la voix de ses deux rapporteurs
et avec le soutien, toujours énergique, de son président, craint une remise en
cause des principes fondateurs de notre protection sociale.
En plaçant les allocations familiales sous conditions de ressources, vous
dites que le Gouvernement transformerait la politique familiale en une
politique d'aide sociale, et vous citez pour nous en convaincre, deux taux :
41,9 % des prestations familiales étaient jusqu'ici placés sous conditions de
ressources alors que 82,3 % le seraient désormais.
Mais enfin - et je me tourne, je ne sais pas pourquoi, vers M. le président
Fourcade
(sourires sur les travées socialistes)
- faut-il rappeler qui
était ministre de l'économie et des finances lorsque, renonçant à une réforme
ambitieuse de l'impôt sur le revenu, le premier gouvernement de M. Valéry
Giscard d'Estaing proclamait, en 1975, l'universalité de l'aide aux familles et
engageait une politique de plafonnement systématique des prestations
familiales, portant ainsi le taux des prestations placées sous conditions de
ressources de 17 % à 42 % ?
Je vous pose la question, mes chers collègues : pourquoi y aurait-il une
différence de nature entre un taux qui passe de 42 % à 83 % quand il n'y aurait
qu'une différence de niveau entre un taux de 17 % et un autre de 42 % ?
Personnellement, je ne vois pas.
Je comprends mal que ceux qui ont engagé un processus, que j'approuve au
demeurant, intentent un procès en excommunication à l'encontre de ceux qui
entendent le poursuivre.
D'autres que moi - je pense à ma collègue et amie Mme Dinah Derycke - ont déjà
rappelé lors d'un récent débat - ils y reviendront sûrement tout à l'heure, je
n'insisterai donc pas - les mesures peu défendables prises par le gouvernement
précédent contre les familles.
Je m'en tiendrai seulement à partager les conclusions de notre collègue
Jacques Machet qui reconnaît, avec beaucoup de franchise et d'honnêteté, que le
déficit de la branche famille tient avant tout à la dérive imprévue des coûts
entraînés par la « loi famille » du 25 juillet 1994...
M. Jean Chérioux.
Il n'a pas parlé de « dérive » !
M. François Autain.
Il n'a pas parlé de dérive ?
M. Jean Chérioux.
Il a dit : « le succès », ce n'est pas tout à fait la même chose !
M. François Autain.
Pour ma part, j'ai retenu le mot « dérive ». Quoi qu'il en soit, voilà ce
qu'il en coûte de légiférer à crédit, pour reprendre ici la formule forte
employée contre cette loi par notre président.
Quant au gouvernement actuel, personne ne peut oublier les mesures qu'il a
prises en vue de porter aide aux familles les plus défavorisées, notamment en
revalorisant fortement l'allocation de rentrée scolaire, que le gouvernement
précédent avait réduite.
C'est pourquoi, madame le ministre, je soutiens, pour ma part, votre politique
familiale, même si elle a été modifiée par l'Assemblée nationale pour tenir
compte des spécificités de la région d'Ile-de-France.
Je n'aborderai pas les questions relatives à l'assurance vieillesse, qui
seront traitées par ma collègue et amie Marie-Madeleine Dieulangard. Je
formulerai toutefois deux remarques incidentes.
L'article 18, pourquoi ne pas le dire, nous pose un problème. L'autorisation
qu'il accorde à la CNRACL de recourir à l'emprunt pour faire face à ses
difficultés de trésorerie ne semble pas répondre aux souhaits de son président,
M. Domeizel, qui l'estime superflu pour 1998 et qui craint même que l'adoption
de cette disposition ne conduise le Gouvernement à reporter, encore une fois,
au-delà du 1er janvier 1999, la réforme de la surcompensation entre régimes
spéciaux.
Je sais, madame le ministre, que vous vous êtes engagée, à l'Assemblée
nationale, à mettre en place un groupe de réflexion sur ce sujet. J'aimerais
que vous nous le confirmiez.
Je voudrais également dire quelques mots de la dépendance des personnes âgées
et des effets souvent désastreux de la réforme intervenue l'an dernier. Pour le
coup, le principe d'égalité s'en trouve fort ébranlé et la protection des plus
faibles gravement menacée.
M. Aubert Garcia.
Tout à fait !
M. Michel Mercier.
C'est excessif !
M. François Autain.
Je le maintiens : gravement menacée.
Il est regrettable que trente départements en aient profité pour mettre en
cause gravement les prestations offertes aux personnes handicapées.
J'aborde là des questions touchant directement à la santé de nos concitoyens,
ce qui m'offre une transition pour aborder le dernier volet de mon
intervention, lequel concerne l'assurance maladie.
Vous nous proposez, madame le ministre, de fixer l'objectif national de
dépenses d'assurance maladie pour 1998 à 613,8 milliards de francs, chiffre de
9 milliards de francs inférieur aux recettes, ce qui permet de mesurer l'effort
demandé pour maîtriser l'évolution financière de cette branche.
J'approuve ce choix, qui tient compte des contraintes subies par les acteurs
de notre système de santé. Ce desserrement des contraintes financières
contribue à apaiser, dans les professions de santé, un climat qui s'était
détérioré sous le précédent gouvernement. Sont ainsi créées les conditions
d'une reprise du dialogue.
Ce desserrement permet aussi au secteur hospitalier de sortir de la crise
financière dans laquelle il se débattait ; il rend du même coup moins
difficiles les prochaines et indispensables restructurations hospitalières.
Approuvant votre choix, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je
répondrai surtout aux critiques et aux propositions pour le moins surprenantes
de la commission saisie au fond.
Vous voulez nous faire croire, monsieur le rapporteur, que les objectifs du
précédent gouvernement pour 1997 n'auraient été tenus que jusqu'à son départ,
au mois de juin dernier.
Certes, comme vous l'indiquez, les dépenses ont dérivé au cours de l'été. Il
n'en reste pas moins vrai que le mois de septembre, vous l'avez d'ailleurs
reconnu dans votre intervention, fait ressortir une progression de moins d'un
dixième de point.
Si vous avez eu raison, madame le ministre, d'appeler les professions à la
plus grande vigilance, et vous venez encore de le faire devant le congrès de
MG-France, tous les observateurs estiment que l'objectif devrait être atteint
cette année.
Notre rapporteur reproche au Gouvernement de ne pas mettre en oeuvre les
instruments de la maîtrise médicalisée des dépenses. Mais que fait-il lui-même
à travers ses propositions ? Il nous suggère une maîtrise comptable en
réduisant arbitrairement le montant de l'objectif par la mise en oeuvre, tout
aussi arbitraire, d'un encadrement des dépenses engagées par le secteur
médico-social.
Je demande à MM. les présidents de conseils généraux - certains sont peut-être
présents - s'ils peuvent approuver une démarche qui conduirait sans nul doute à
remettre en cause la création de 7 000 lits de section de cure médicale et de 2
000 places de service de soins infirmiers, à laquelle s'était engagé le
gouvernement précédent et qu'ils attendent avec impatience.
M. Jean Chérioux.
Il n'y aurait sûrement pas une telle remise en cause !
M. François Autain.
Mais il y a plus surprenant encore : le rapporteur soupçonne le Gouvernement
de vouloir, après avoir plafonné l'attribution des allocations familiales,
plafonner aussi l'accès à l'assurance maladie ; accusation purement gratuite.
M. le rapporteur semble oublier les propositions lancées par les milieux
libéraux de l'actuelle opposition et qui pourraient conduire à confier aux
compagnies d'assurances privées, comme pour les HMO -
Health Maintenance Organizations
- américaines, la gestion de l'assurance
maladie ; une méthode qui déboucherait à coup sûr sur la sélection des risques
et, partant, sur le développement d'une protection sociale à deux vitesses.
Autre source d'étonnement : le rapporteur continue de défendre le projet
d'assurance maladie universelle, reprochant au Gouvernement d'en retarder
l'échéance, tandis qu'il refuse - et j'ai déjà dit dans quels termes - le
basculement du financement de l'assurance maladie vers la contribution sociale
généralisée. Ces deux projets vont évidemment de pair.
J'ajoute que l'assurance maladie universelle, c'est la garantie de l'égalité
de tous les Français devant la santé. L'assurance maladie universelle que nous
voulons, c'est aussi un dispositif qui préserve l'organisation professionnelle
de notre protection sociale et donc la gestion de cette dernière par les
partenaires sociaux.
Telle est la raison pour laquelle, madame le ministre, je souhaite qu'une
telle réforme puisse aboutir avant la fin de l'exercice 1998.
J'évoquerai maintenant brièvement la maîtrise médicalisée des dépenses.
Le rapporteur - je suis navré de vous citer autant, monsieur le rapporteur,
mais vous m'avez tant donné matière à le faire ! - reproche d'abord au
Gouvernement le retard pris pour mettre en place l'ANAES. Mais, enfin, qui a
dissous l'Assemblée nationale, provoquant ainsi une rupture dans l'action
gouvernementale ?
M. Jean Chérioux.
C'est un refrain !
M. François Autain.
En outre, comment ne pas rappeler que le décret instituant cette agence a été
publié fort tard ?
Quant aux retards pris dans l'informatisation des cabinets médicaux, ils sont
d'abord imputables au gouvernement précédent, vous obligeant, madame le
ministre, à décaler vous-même les échéances. Et pourtant, sans ces instruments,
il n'y a pas de maîtrise médicalisée des dépenses d'assurance maladie.
C'est avec les mêmes instruments que nous réussirons une restructuration
maîtrisée de l'appareil hospitalier. Telle est la raison pour laquelle, madame
le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, j'approuve l'élaboration de
nouveaux schémas d'organisation hospitalière propres à fixer, dans la
concertation, le cadre de l'action de nos administrations déconcentrées, et
notamment celle des agences régionales de l'hospitalisation, dont les
directeurs ne sauraient agir que dans le cadre d'une politique clairement
définie.
S'agissant du récent avenant conventionnel destiné à engager la construction
de véritables réseaux de santé publique, il faudra, madame le ministre, tenter
d'aller plus vite et plus loin si nous voulons que l'effort financier engagé à
ce titre ne le soit pas en pure perte. A cet égard, des expérimentations sont
souhaitables, qui doivent être développées rapidement.
J'en viens maintenant aux équilibres généraux de la sécurité sociale et donc à
l'examen du coeur du « réacteur » sénatorial.
Je rappelle que le gouvernement précédent envisageait le 15 novembre 1995,
devant l'Assemblée nationale, de réduire de moitié le décifit prévisionnel des
comptes sociaux dès 1996 et de rétablir l'équilibre de la sécurité sociale en
1997.
Ce rappel ne paraissant guère avoir été fait cet après-midi, je crois bon de
le faire moi-même. Après tout, certains avaient peut-être oublié ce qui avait
été dit alors !
Quel est le résultat ? Nous sommes bien obligés de le constater aujourd'hui,
le déficit a continué de se creuser en 1996 et en 1997. Il devrait se situer à
plus de 33 milliards de francs en 1998 si aucune mesure n'était prise.
Le Gouvenement nous propose de le ramener à 12 milliards de francs pour
l'année prochaine et de confier à la CADES le soin de reprendre à son compte le
déficit accumulé jusqu'à la fin de cette année.
Cette méthode, je le reconnais, manque singulièrement d'imagination. Au
demeurant, madame le ministre, je ne vous le reproche pas, mais je m'étonne que
la commission saisie au fond condamne une démarche entreprise par le
gouvernement précédent...
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Non, nous ne condamnons pas !
M. François Autain.
... ou du moins émette des critiques sur cette démarche et vous reproche de la
confier à une institution créée par ce même gouvernement.
Voilà que les générations futures ne méritent d'être affligées par le
financement des déficits passés que lorsque ceux-ci ont été constitués par
certains gouvernements, mais pas par les autres !
(Sourires sur les travées socialistes.)
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur Autain.
M. François Autain.
Quand c'est un gouvernement de gauche, cela pose un certain nombre de
problèmes ; d'ailleurs, vous n'avez pas manqué de nous le rappeler longuement,
monsieur le rapporteur.
J'avoue ne pas très bien comprendre ce que signifie votre position.
Voulez-vous donc que les 87 milliards de francs de déficit constitués par vos
amis soient honorés par des prélèvements supplémentaires et immédiats ?
J'aimerais aussi comprendre la cohérence du dispositif par lequel vous
entendez assurer autrement le financement du déficit prévu par le Gouvernement
pour 1998.
Assurer autrement le financement du déficit, pourquoi pas ? Mais je note que
vous le maintenez au même niveau, offrant ainsi à Mme le ministre la
satisfaction de constater qu'il est inévitable pour vous comme pour elle.
La méthode que vous proposez pour maintenir le déficit a de quoi faire
sourire. Vous reprochez en effet au Gouvernement d'augmenter les recettes,
plutôt que de diminuer les dépenses. Toutefois, lorsqu'une diminution de
dépenses ne vous convient pas - je parle ici du plafonnement des allocations
familiales -, vous proposez non pas une autre diminution de dépenses, mais une
augmentation de recettes.
Et quand vous proposez une augmentation de recettes, vous suggérez, en
recourant à la CSG, de pénaliser l'épargne, que vous prétendez par ailleurs
vouloir défendre !
M. Henri Weber.
Bien vu !
M. Aubert Garcia.
Très juste !
M. François Autain.
Quand vous allégez certains prélèvements qui ne conviennent pas à certains
groupes d'intérêt, vous proposez, là encore, non pas de diminuer les dépenses,
mais d'aggraver d'autres prélèvements.
Quant à vos réductions de dépenses, parlons-en !
La diminution de 3,5 milliards de francs de l'ONDAM passe, comme je l'ai déjà
montré, par une remise en cause des engagements de l'Etat envers les
départements. Elle suppose la mise en oeuvre d'un taux directeur des dépenses
du secteur médico-social, sans que soient envisagées les modalités de sa
définition.
L'an dernier déjà, notre collègue Jean Chérioux rappelait les conditions
préalables de la mise en oeuvre d'un tel taux...
M. le président.
Mon cher collègue, vous utilisez le temps de parole de vos collègues !
M. François Autain.
Non, parce que j'avais demandé vingt-deux minutes !
M. le président.
Non, vous disposez de vingt minutes !
M. François Autain.
J'avais demandé vingt-deux minutes, et je prendrai vingt-deux minutes !
(Rires.)
M. le président.
Vous avez dépassé votre temps de parole !
M. François Autain.
Bien sûr puisque vous m'avez interrompu, monsieur le président !
(Nouveaux rires.)
M. Jean Chérioux.
C'est ce qu'on appelle de la bonne foi !
M. François Autain.
Je parlais précisément de vous, monsieur Chérioux, et en bien d'ailleurs !
M. Emmanuel Hamel.
On ne peut parler qu'en bien de M. Chérioux !
M. François Autain.
C'est justement ce que je fais, monsieur Hamel.
Vous rappeliez donc, monsieur Chérioux, les conditions préalables de la mise
en oeuvre d'un tel taux et les délais nécessaires à leur élaboration.
M. Jean Chérioux.
Et je suis prêt à le redire !
M. François Autain.
Le gouvernement précédent n'ayant pas présenté de réforme au Parlement,...
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
A cause de la dissolution !
(Sourires.)
M. François Autain.
... il convient de vous laisser le temps, madame le ministre, de la
préparer.
Qu'est-ce qui a retardé la mise en oeuvre de cette réforme ? Vous m'avez
enlevé le mot de la bouche, monsieur le rapporteur : c'est la dissolution de
l'Assemblée nationale. Mais nous n'allons pas y revenir sans arrêt !
Enfin, vous nous proposez 2,4 milliards de francs d'économies de gestion, dont
1 milliard de francs par un transfert de charges à l'Etat. Beau cadeau fait, en
vérité, à vos amis de la commission des finances, lancés dans un exercice
budgétaire déjà acrobatique !
Quant aux économies de gestion demandées aux caisses, je vous renvoie,
monsieur le président Fourcade, aux réponses que vous adressait encore
récemment M. Jacques Barrot : les marges sont désormais faibles.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Cela représente 45
milliards de francs !
M. François Autain.
Alors, au bout du compte, que reste-t-il du « projet alternatif » défendu par
la commission ? Rien de sérieux en ce qui concerne la maîtrise des dépenses,
rien d'ambitieux en ce qui concerne les recettes et un consentement explicite
sur le montant du déficit.
Je voudrais, pour conclure, lever une ambiguïté. Certes, les recettes
employées par l'actuel gouvernement ne sont pas toutes éloignées de celles qui
nous étaient proposées hier, pas assez en tout cas pour justifier ce procès en
excommunication dont nous sommes l'objet.
Toutefois, la ressemblance des recettes ne saurait conduire à considérer qu'il
s'agit de la même politique.
Quand, l'an dernier, on augmentait les cotisations maladie des retraités et
des chômeurs, aujourd'hui, on maintient leur pouvoir d'achat et on augmente
celui des salariés.
Quand, l'an dernier, on diminuait certaines prestations familiales et qu'on
gelait leur progression, cette année, on redistribue l'effort des uns vers ceux
des autres qui sont les plus défavorisés en réduisant le déficit résultant de
la mise en oeuvre d'une loi votée à crédit, pour reprendre la formule de M. le
président du Sénat.
Quand, l'an dernier, on promettait de sanctionner les professions de santé par
des mécanismes purement comptables, aujourd'hui, on se donne les moyens et le
temps d'engager, avec une concertation propre à en dégager les voies, une vraie
maîtrise médicalisée.
Cette maîtrise médicalisée, je le rappelle, a été lancée dès le début des
années quatre-vingt-dix par René Teulade, un ministre que vous avez
courageusement soutenu dans son entreprise, monsieur Descours.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Enfin une amabilité !
M. François Autain.
Pourquoi ne pas aujourd'hui apporter le même soutien à Mme Martine Aubry et à
M. Bernard Kouchner ?
M. Claude Estier.
En effet !
M. François Autain.
Ce soutien, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe
socialiste ne vous le marchandera pas. Il apportera toutes ses voix à votre
dispositif. Il s'opposera, en revanche, à toute contrefaçon. C'est au vu de nos
délibérations qu'il se déterminera sur l'ensemble des travaux du Sénat, mais
c'est dès aujourd'hui qu'il apporte sans hésitation son appui à votre
politique.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Monsieur Autain, j'ai indiqué quelle était la règle du jeu au début de la
séance. Dans la mesure où vous avez dépassé votre temps de parole de cinq
minutes, vos collègues du groupe socialiste auront cinq minutes de moins pour
s'exprimer. Il n'y a pas de règle particulière pour vous.
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour débattre du projet de loi
de financement de la sécurité sociale, dispositif indispensable à la sauvegarde
des fondements de notre système de protection sociale.
Déjà l'année dernière, j'avais exprimé le voeu d'une discussion menée avec
sérénité en dehors d'une période où le Parlement se trouve dans l'effervescence
du débat budgétaire. Je regrette encore une fois les conditions dans lesquelles
nous sommes conduits à discuter de ce texte.
Je souhaite, madame le ministre, formuler quelques critiques à l'encontre de
ce projet de loi.
La première concerne la participation des travailleurs indépendants et
libéraux. Le texte, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale en
première lecture, prévoit une augmentation de leur participation à la CSG, mais
reste flou quant à d'éventuelles contreparties en matière de baisse des
cotisations maladie. En effet, à partir de certains niveaux de revenus, la
hausse de la CSG n'est plus contrebalancée.
Chacun sait que l'assiette de la cotisation maladie des travailleurs
indépendants est plus ciblée que celle de la CSG, qui est prélevée non
seulement sur le revenu professionnel, mais également sur toutes leurs
cotisations sociales, sans distinguer la part patronale et la part
salariale.
Ainsi, l'opération d'élargissement du taux de CSG devient défavorable à partir
de 165 000 francs de revenu annuel, ce qui pénalise nombre d'artisans de notre
pays.
L'augmentation du taux de CSG fait apparaître une deuxième série de
difficultés qui peuvent avoir des répercussions défavorables sur le budget de
certaines communes ; je fais allusion aux taxations spécifiques des casinos.
Cela surprend peut-être, mais il en est ainsi ! A la ponction par l'Etat de 14
% sur le chiffre d'affaires s'ajoutera le prélèvement de 200 millions de francs
de CSG supplémentaires ; ce qui pourrait avoir des effets néfastes sur
l'emploi, l'investissement et la gestion communale.
Je souhaite également vous exprimer mon profond regret de constater que la CSG
s'applique aux pensions et retraites des anciens combattants et victimes de
guerre.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Ah !
M. François Lesein.
Je ne m'attarderai ni sur la mise sous conditions de ressources des
allocations familiales ni sur l'AGED ; mes collègues en ont parlé avant moi.
Mais il existe un risque de mise sous condition des naissances aggravant la
diminution du taux de natalité, alors que l'espérance de vie augmente.
Cela me conduit à la proposition de la commission des affaires sociales. Je
suis d'accord avec M. Fourcade sur la nécessité de réduire les déficits. Il
nous propose soit l'augmentation des cotisations, soit la diminution des
prestations et des frais de fonctionnement. Pour ma part, je suis fermement
opposé à la diminution des prestations, peut-être pas à celle des
remboursements, mais à coup sûr à la réduction des crédits des services
hospitaliers.
Je vous citerai l'exemple d'un important hôpital parisien d'obstétrique, qui
m'a fait part de ses préoccupations. En 1997, le budget qui lui a été accordé
était en diminution de 0,7 % par rapport à 1996. Compte tenu de l'effet
glissement vieillesse technicité, obligatoire - 3 % - et de l'inflation - 1,3 %
-, cela aboutit en réalité à une diminution de 5 % de ses moyens
budgétaires.
Faut-il souligner que cette diminution est l'une des plus faibles pour les
hôpitaux de la région parisienne, hors assistance publique qui, elle, est
défavorisée ? Cependant, ces établissements assurent bien, eux aussi, un
service public. Le seul prétexte est qu'ils sont sous statut de droit privé.
Cela n'est pas tout à fait convenable.
Cet établissement, que je ne nommerai pas, assure 2 750 accouchements par an
et il est conduit à refuser 190 parturientes par mois. Les diminutions
budgétaires de l'an dernier l'ont amené à procéder à des licenciements de
personnel et à la fermeture d'un étage pendant trois semaines en été et deux
semaines à Noël. Il s'agissait du service de chirurgie des urgences
obstétricales pour des grossesses pathologiques. C'est très grave ! Tout cela
nuit à la sécurité des femmes qui accouchent.
Faut-il s'étonner, madame le ministre, que la mortalité néonatale et
périnatale augmente de façon inquiétante depuis quelques années ?
Faut-il s'étonner du manque de places pour que la mère puisse accoucher en
toute sécurité, à la fois pour elle et pour l'enfant ? A l'heure actuelle,
c'est la course à l'inscription dans un service obstétrical dès le début de la
grossesse. Faudra-t-il que les femmes s'inscrivent avant la conception,
monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Ce serait plus prudent ! On peut toujours annuler !
(Sourires.)
M. François Lesein.
Monsieur Fourcade, vous nous proposez, de bloquer la progression de l'ONDAM
pour l'an prochain à 1,7 %, au lieu des 2,2 % proposés dans le projet du
Gouvernement. C'est inacceptable, compte tenu des exemples que nous
connaissons.
Je souhaite maintenant rappeler à M. le président de la commission comme à Mme
le ministre l'ordonnance du 4 octobre 1945 qui porte organisation de la
sécurité sociale : elle garantit la maladie, la famille, les retraites, mais
pas la prise en charge, même partielle, de l'aménagement de certains services
hospitaliers - c'est du ressort de l'Etat - ni la formation de certains
personnels, médecins et infirmières - c'est du ressort de l'université - le
tout étant couvert par une cotisation générale prélevée sur l'ensemble des
salariés et des employeurs.
Madame le ministre, tous les services de l'Etat employeur sont-ils à jour des
cotisations ? Non ! Vous proposez même une différenciation quant au prélèvement
prévu sur les fonctionnaires. Je reste persuadé que si les charges étaient
payées et les cotisations perçues, les difficultés seraient moindres et
peut-être même n'y en aurait-il pas du tout.
Cette situation n'est pas nouvelle. Je ne l'impute pas au ministre actuel, il
en a toujours été ainsi. Mais il est peut-être temps de réagir.
Madame le ministre, trop d'anomalies émaillent votre budget. De même, mes
collègues de la commission des affaires sociales qui proposent une diminution
des crédits pour certains services hospitaliers plongent le médecin que je suis
dans l'embarras, pis dans l'étonnement, de voir s'aggraver certains risques
médicaux au nom d'une sacro-sainte économie budgétaire.
Madame le ministre, on n'économise pas sur la santé, notamment sur notre
avenir démographique qui mériterait certainement plus de courage. J'attends les
réponses à mes interrogations, avec l'espoir qu'elles me rassureront. Seulement
après, je déterminerai mon vote, certainement sans enthousiasme.
Vous avez prévu, madame le ministre, la réunion d'une Conférence de la
famille. Je crois, comme le président Fourcade, qu'un autre projet est
nécessaire, avec une discussion plus approfondie et en dehors de la
présentation budgétaire.
(Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, le conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance
vieillesse a, à une très large majorité, rejeté le projet de loi de financement
de la sécurité sociale que nous examinons à partir de ce jour.
Cette précision liminaire me permet de formuler d'entrée deux remarques sur ce
projet de loi.
Il ne comporte, en effet, aucune disposition fondamentale sur la question des
retraites du régime général, attendu, en particulier, que ce n'est que le
rapport annexé à l'article 1er du texte issu des travaux de l'Assemblée
nationale qui fait référence à l'éventuelle mise en place d'un observatoire des
retraites et à une analyse critique de la loi portant création de la prestation
spécifique dépendance.
Toutefois, pour être complet sur cette question, j'observe que la commission
des affaires sociales a purement et simplement procédé à la suppression de ces
éléments du rapport annexe, son attention étant en effet obnubilée par la
défense de loi sur la famille de 1994 et par une quête quasi obsessionnelle de
la maîtrise des dépenses de santé.
Cela présente au moins un avantage : on est ainsi dispensé de devoir
s'expliquer sur le bilan des quatre dernières années en matière de politique
des retraites.
Comment, à ce stade, peut-on par exemple oublier que la loi sur les retraites
de 1993 s'est traduite par une remise en cause larvée du droit à la retraite à
soixante ans à taux plein ?
Comment oublier les multiples mesures de gel de la progression des pensions ou
de la majoration des retenues pratiquées sur ces pensions, tel l'alourdissement
de la contribution sociale généralisée ?
Comment oublier que le plan Juppé, que les retraités, comme d'autres, ont
sanctionné d'une certaine façon au printemps dernier, prévoyait une remise en
cause des régimes particuliers de retraite et de prévoyance, remise en cause
dont je subodore - j'allais oublier ce point, messieurs de la majorité
sénatoriale - qu'elle n'est pas encore tout à fait écartée, puisqu'on peut,
sans trop de risques, conclure que le rapport que la commission des affaires
sociales compte demander au Gouvernement tendra probablement à cet objectif
?
Comment oublier, encore, que vous avez voté une loi de finances initiale pour
1997 qui prévoyait la remise en question de la déduction de 10 % du revenu
imposable des retraités et pensionnés, mesure qui devrait être, nous
semble-t-il, purement et simplement rapportée ?
Comment oublier, enfin, que vous vous êtes faits les hérauts de la mise en
place des fonds de pension, véritable machine de guerre contre l'emploi, les
salaires et les garanties offertes à l'ensemble des salariés par le régime
général, qui est fondé sur le principe de solidarité entre les générations ?
On se doit donc, aujourd'hui, de dresser le véritable état des lieux de la
retraite.
Les évolutions de la société ont fait en sorte, de manière incontestable, que
la durée de vie s'est allongée et,
a fortiori,
que cette durée de vie se
double d'une situation de santé des individus plus satisfaisante.
L'un des acquis de notre système de protection sociale réside d'ailleurs dans
cette amélioration de la condition sanitaire des retraités.
Des inégalités profondes persistent toutefois en ces domaines, comme elles
subsistent ou existent pour ce qui est des autres domaines de la protection
sociale.
Cependant, nous pensons que cette situation est consubstantielle non pas de
notre régime de protection sociale, mais bien plutôt des conditions générales
de l'activité socio-économique.
C'est à la réduction de ces inégalités que nous devons aussi nous attacher au
travers de notre système de protection sociale.
Chacun connaît ici les évolutions de la situation des retraites : le nombre
des personnes ne bénéficiant que de pensions minimales ne va cesser de se
réduire dans les prochaines années ; celui des retraités qui ont accompli une
carrière professionnelle complète continuera, en effet, de croître, compte tenu
des taux d'activité des personnes âgées aujourd'hui de trente-cinq à cinquante
ans.
Le nombre des retraités va-t-il pour autant devenir « insupportable » pour la
collectivité des actifs ? Sans doute faut-il se poser la question à moyen
terme, à l'horizon 2005.
Le paradoxe est que nous devrions, en toute objectivité, connaître au
contraire actuellement une situation positive de nos régimes de retraite, les
classes d'âge les plus nombreuses, celles de l'après-guerre, étant en effet
théoriquement en pleine activité professionnelle.
Cela ne montre que trop que le principal facteur de difficulté de la
protection sociale réside dans la persistance d'un trop haut niveau de chômage
dans notre pays...
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
C'est vrai !
M. Guy Fischer.
... le chômage qui s'est doublé, depuis une vingtaine d'années, d'une
précarisation forcenée du travail et, depuis environ quinze ans, d'une
déflation salariale tarissant les ressources de notre protection sociale, tou
en motivant la montée en charge de nouveaux besoins de protection sociale.
De surcroît, alors même que certains essaient de montrer du doigt les
retraités, on constate que le niveau moyen des retraites est aujourd'hui
largement inférieur à 6 000 francs mensuels nets par pensionné et qu'il
atteint, dans certaines secteurs d'activité, des niveaux proprement indignes de
notre époque.
Comment ne pas noter ici que vous ne souhaitiez pas inclure dans le champ des
priorités de la protection sociale la nécesaire revalorisation des retraites du
régime agricole, dont l'indigence motive aujourd'hui que nombre de leurs
bénéficiaires sollicitent l'attribution du revenu minimum d'insertion ?
La réflexion que nous menons sur la protection sociale ne peut donc pas
omettre le problème des pensions et des retraites. Il importe donc que ce
projet de loi de financement en fasse clairement état.
Cela implique notamment que l'on cesse de considérer uniquement les pensions
et les retraites comme une sorte de poids mort, de dépenses insupportables pour
la collectivité, qu'il faudrait réduire, comme toute dépense excessive.
L'argent des pensions et des retraites est un élément du revenu des ménages ;
il participe donc, comme tout élément de ce revenu, à leur consommation de
biens et de services et à la constitution de leur épargne.
Oublier cette dynamique naturelle de la protection sociale est un contresens
économique et, pour tout dire, une sorte de mensonge politique par omission.
Aujourd'hui, l'interdépendance entre générations est plus grande. Bien
souvent, le nouveau retraité se trouve confronté au chômage de ses enfants,
voire de ses petits-enfants, et à la dépendance de ses parents.
Cela ne doit cependant pas nous faire oublier qu'il y a lieu, tout en
préservant et en développant le pouvoir d'achat des retraites, de sécuriser et
de pérenniser les ressources du régime par répartition.
Il serait tentant de mettre à contribution les revenus financiers des ménages
plutôt que ceux des entreprises pour sécuriser ce financement, alors même que
les ménages de retraités sont, bien souvent, parmi ceux qui consacrent une part
relative de leur revenu plus importante que les autres ménages et confortent
ainsi, dans des proportions modestes, l'épargne populaire.
Il nous semble aujourd'hui indispensable d'opter pour une voie de sécurisation
des ressources de la protection sociale pour que revienne à l'honneur le
financement issu des sources traditionnelles de financement de la protection
sociale, c'est-à-dire un prélèvement opéré sur la richesse créée par l'activité
économique. Cela contribuera également à redonner à la situation des retraités,
relativement diverse au demeurant, une plus grande équité.
C'est en effet, à notre sens, essentiellement par le renforcement du régime
par répartition que nous pourrons parvenir à répondre aux défis du financement
de l'assurance vieillesse.
Je ne peux, par ailleurs, conclure sans souligner une fois de plus la
nécessité, parce que la loi actuelle ne peut pas le permettre, d'inclure dans
le champ de compétence de l'assurance vieillesse la gestion du risque de la
dépendance physique et morale qui affecte une partie de la population
retraitée.
On peut d'ailleurs escompter que les progrès à venir de la gérontologie et
notre plus grande connaissance des phénomènes du vieillissement permettront, à
moyen terme, de prévenir, sinon de guérir, les principales affections
caractéristiques de cet état de dépendance.
A l'heure actuelle, la mise en place de la prestation spécifique dépendance se
traduit par des inégalités de traitement inacceptables.
Mais c'est bien aussi parce que des efforts particuliers doivent être
accomplis dans ce domaine que la gestion de ce risque a toute sa place dans
notre régime de protection sociale conventionnelle.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'attachera donc, dans ce débat, à
développer des propositions spécifiques sur cette question de l'assurance
vieillesse, convaincu de répondre en cela aux attentes des partenaires sociaux
en ce domaine.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Gournac.
M. Alain Gournac.
« Notre objectif est clair : protéger et conforter la famille. »
M. Claude Estier.
Ah oui !
M. Alain Gournac.
« C'est le lieu de repère pour les enfants, le lieu où s'apprend le respect de
l'autre. Défendre la famille, c'est donner à chacun sa vraie place et
promouvoir la solidarité. »
C'est en ces termes, madame la ministre, que, le 4 novembre dernier, vous avez
conclu votre déclaration sur la politique familiale. Ces termes, je les ferais
miens s'ils n'étaient pas de simples mots habillant une réalité contraire.
Vous parlez de solidarité mais je ne vois pas où elle est.
M. Henri Weber.
Relisez les textes !
M. Alain Gournac.
Ecoutez !
M. Aubert Garcia.
Mais nous sommes tout ouïe !
M. Alain Gournac.
En effet, les économies que vous envisagez de réaliser par le biais du
plafonnement des allocations familiales pénaliseront les familles que vous
dites aisées. Pour autant, elles ne seront pas redistribuées aux familles
démunies. Elles vous serviront uniquement à réduire le déficit de la branche
famille de la sécurité sociale.
M. Claude Estier.
C'est déjà pas mal !
M. Alain Gournac.
Les économies que vous envisagez de réaliser par le biais de la diminution
d'un quart ou de moitié de l'AGED pénaliseront les familles que vous prétendez
aisées. Pour autant, elles ne seront pas redistribuées aux familles les plus
démunies. Elles vous serviront uniquement, là encore, à réduire le déficit de
la branche famille de la sécurité sociale.
Cela ne vous empêche pas de déclarer : « La solidarité doit s'exercer entre
les familles pour aider les plus fragiles à retrouver plus de dignité. » Je
constate que ce qui est ôté aux familles que vous avez décrété aisées n'est pas
redistribué pour venir en aide aux familles fragiles.
M. Claude Estier.
La réduction du déficit, c'est quand même quelque chose !
M. Alain Gournac.
Vous invoquez la solidarité pour justifier les diminutions de ces aides, mais
le produit de ces diminutions est détourné de l'objectif que vous prétendez
rechercher.
Si, avec vos collègues du Gouvernement, vous voulez vous donner une image de
bons gestionnaires, pensez plutôt à réduire les dépenses.
M. François Autain.
Quelles dépenses ?
M. Alain Gournac.
Mais ne touchez pas à la famille !
Vous avez déclaré au début du mois de novembre : « Il faut avoir de quoi
remplir convenablement le caddy pour pouvoir accomplir pleinement son rôle de
parent. » Si cette condition n'est pas suffisante, elle est toutefois - je suis
d'accord avec vous - nécessaire.
Pourquoi alors ne redistribuez-vous pas à ces parents «
qui-ne-remplissent-pas-convenablement-le-caddy »...
M. Emmanuel Hamel.
Employer le terme français !
M. Alain Gournac.
... le montant de ce que vous prenez aux autres ? Soyez solidaire, madame la
ministre, et pour cela, montrez-vous plus cohérente !
Vous avez également déclaré que « tout débat sur la famille doit prendre en
compte la question du travail des femmes ». Comme vous avez raison !
Elles étaient 40 % à travailler au début des années soixante. Elles sont près
de 80 % aujourd'hui,...
M. François Autain.
C'est très bien !
M. Alain Gournac.
... ce qui constitue le taux le plus élevé en Europe et, pour vous, un motif
de fierté que je partage.
N'oublions pas, toutefois, que nombre de ces femmes n'ont pas réellement
choisi de travailler. Elles y ont été obligées parce que le seul salaire du
mari ne suffisait pas à faire vivre la famille et à « remplir convenablement le
caddy ».
M. Emmanuel Hamel.
Dites « le panier » ! N'oubliez pas qu'en ce moment se tient le sommet de la
francophonie !
(Sourires.)
M. Alain Gournac.
J'ai repris le terme initialement employé.
Cela explique qu'à partir du moment où l'allocation parentale d'éducation le
leur permettait elles aient choisi de s'arrêter de travailler. Il faut savoir
que cette allocation parentale, dont le montant est de 2 964 francs par mois,
est beaucoup plus incitative pour les femmes qui ne gagnent que le SMIC que
pour les autres.
M. Michel Mercier.
C'est vrai !
M. Jean Chérioux.
C'est une mesure sociale !
Mme Dinah Derycke.
Et les hommes ?
M. Alain Gournac.
L'engouement pour cette allocation chez des femmes heureuses de pouvoir se
consacrer à l'éducation de leurs enfants peut être aussi un motif de fierté.
C'est la liberté de travailler ou de ne pas travailler qui doit, en ces deux
cas, nous réjouir, madame la ministre !
Si vous voulez que 80 % de femmes continuent à travailler, pourquoi
décidez-vous de diminuer aujourd'hui de la moitié ou du quart le montant de
l'AGED, selon le niveau de leurs ressources ?
Pourquoi voulez-vous qu'elles fassent garder leurs enfants dans des crèches
qui n'existent pas...
M. Guy Fischer.
Et pour cause !
M. Alain Gournac.
... ou qui, lorsqu'elles existent, ferment à dix-huit heures, avant le retour
des parents ?
Mme Dinah Derycke.
Et les pères ?
M. Alain Gournac.
Je parle des parents.
Pourquoi voulez-vous que les femmes fassent appel à une voisine qui ira
chercher l'enfant et le gardera jusqu'à ce qu'elles rentrent ?
Mme Dinah Derycke.
Pourquoi « elles » ? Pourquoi pas « ils » ?
M. Alain Gournac.
Pourquoi voulez-vous qu'elles fassent garder un enfant malade par cette même
voisine ?
Vous n'ignorez pas, je pense, que les crèches refusent les enfants malades et
que, dans le secteur privé, à la différence du secteur public, les « jours pour
enfant malade », avec solde, n'existent pas.
Venons-en au déficit de la branche famille, puisque vous vous situez, au fond,
dans une perspective purement gestionnaire dans laquelle la solidarité est non
pas réellement prise en compte mais seulement invoquée.
Vous savez très bien que ce fameux déficit n'existerait pas si le changement
de mode de cotisation de la branche famille avait été compensé.
Cette cotisation est passée de 9 % des salaires plafonnés en 1988-1989 à 7 %
des salaires déplafonnés, privant ainsi la branche famille de 7 milliards de
francs de recettes par an.
Pour assurer les mêmes recettes, le taux sur les salaires déplafonnés aurait
dû être non de 7 % mais de 7,35 %. Le gouvernement de l'époque n'a apporté la
différence que la première année et a omis de le faire ensuite.
M. Charles Descours
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Ce déficit n'existerait pas non plus si l'allocation vieillesse pour personne
au foyer n'était pas imputée sur la branche famille pour un montant de 20
milliards de francs, alors que le versement de cette allocation ne représente
que 5 milliards de francs.
Où sont ces 15 milliards de francs ? Rétablissez donc les comptes comme ils
devraient l'être, et la branche famille ne sera pas en déficit en l'an 2000,
comme vous nous l'annoncez.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Autrement dit, que la branche famille soit la branche famille, toute la
branche famille, rien que la branche famille !
Vouz avez également déclaré, madame la ministre, que le « logement était un
élément fondamental de la vie de famille ». Là aussi, je ne peux qu'adhérer à
vos propos, comme chacun d'entre nous ici.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
On a déjà fait beaucoup !
M. Alain Gournac.
Mais comment pouvez-vous faire une telle déclaration et, dans le même temps -
c'était le 1er novembre - supprimer par décret, du jour au lendemain, le prêt à
0 % à tous ceux qui ne sont pas primo-accédants ?
M. Guy Fischer.
Cela évite le surendettement !
M. Alain Gournac.
Tant pis pour tous les dossiers de crédit qui étaient bouclés et qui sont
désormais annulés !
Tant pis pour les personnes divorcées qui, à cause d'un petit capital
constitué par la revente d'un bien immobilier acheté hier en commun avec leur
conjoint, ne pourront plus s'acheter d'appartement !
Tant pis pour les jeunes couples qui avaient réussi à acheter une studette et
qui, ayant un enfant, n'envisageront plus de sitôt l'achat d'un appartement
!
Madame la ministre, quel fossé entre la générosité des paroles et la réalité
des décisions !
Mme Dinah Derycke.
Ils ne connaissent pas la réalité !
M. Alain Gournac.
Personne n'a le monopole de la solidarité et, dans le domaine social, l'écoute
la plus large possible du terrain n'est pas la plus mauvaise méthode.
Parlons de solidarité, oui, bien sûr ! Mais, surtout, écoutons ceux qui en ont
besoin !
Vous avez déclaré que la diminution de l'AGED et le plafonnement des
allocations familiales ne sont « critiqués que par quelques associations
familiales qui restent très minoritaires ». J'aimerais que vous me citiez des
associations familiales qui soutiennent vos mesures.
En ce qui concerne le plafonnement des allocations familiales, la CFDT, la CGT
et l'Union nationale des syndicats autonomes ont fait des communiqués de presse
avec l'UNAF, dont je recevais tout à l'heure des représentants, pour s'opposer
au plafonnement des allocations familiales.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Très bien !
M. Alain Gournac.
Elles entendent ainsi défendre le principe d'universalité de la sécurité
sociale.
(M. Jacques Machet applaudit.)
Pour ma part, je déposerai avec mes collègues du groupe du Rassemblement
pour la République un amendement de suppression de l'article 19.
Pour finir, vous nous garantissez, madame la ministre, que, tant que vous
serez au Gouvernement, on ne touchera pas au remboursement des « petits risques
dans le domaine de la maladie ». Dont acte !
Cependant, c'est le respect aujourd'hui des principes qui garantit leur
respect demain.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, voilà deux ans déjà, le Sénat se réunissait pour débattre des
grandes orientations du plan Juppé. A ce jour, il serait sans doute prématuré
de dresser un bilan de cette « révolution » au sein de notre système de
protection sociale. On peut comprendre que le Gouvernement entende reprendre à
son compte la plupart des réformes accomplies.
Je pense, en particulier, à la mise en place de la convention d'objectifs de
gestion entre la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés
et l'Etat, aux agences régionales d'hospitalisation, à l'ANAES ainsi qu'à la
réforme de l'organisation des caisses.
En somme, le système de gestion paritaire hérité de l'ordonnance de 1945 avait
besoin d'être rénové en profondeur grâce, notamment, à un partage clair des
responsabilités entre, d'un côté, les partenaires sociaux qui représentent les
assurés et le patronat, cofinanceurs du système, et, de l'autre, l'Etat,
assisté évidemment par la représentation nationale.
C'était la motivation du plan préparé par Alain Juppé et Jacques Barrot. Nous
pouvons être fiers de ces avancées, même si des ajustements sont certainement
nécessaires. En tout état de cause, on ne perçoit pas de projet alternatif
crédible.
Sur le plan strictement financier, les gouvernements Balladur et Juppé auront
eu néanmoins un double mérite.
Le premier est d'avoir apporté des réponses immédiates aux déséquilibres du
régime général d'assurance vieillesse, dont le déficit a été ramené de 39,5
milliards de francs en 1993 à 7,9 milliards de francs en 1996, ainsi qu'à la
dérive des dépenses de médecine ambulatoire. Malgré les débats, parfois
houleux, autour des ordonnances en 1996, leurs effets psychologiques sur la
modération des dépenses sont incontestables.
Le second mérite est d'avoir mis en place des cadres essentiels dans la
perspective d'une maîtrise durable des dépenses d'assurance maladie.
Je n'entrerai pas dans le débat sans fin sur les causes du dépassement de
l'objectif de déficit en 1997, si ce n'est pour préciser que, à l'instar des
recettes du budget général, qui ont connu une réduction importante durant le
premier semestre de 1997, du fait d'un ralentissement de la croissance sensible
dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, les recettes de la sécurité
sociale ont également souffert du relatif retournement de conjoncture.
Le problème n'est pas nouveau, et le précédent gouvernement avait raison
d'envisager une réforme tendant à modifier l'assiette des cotisations sociales
patronales, afin de les rendre moins sensibles à la croissance économique et à
l'évolution de la situation de l'emploi. Il n'en a malheureusement pas eu le
temps, mais les dernières années ont déjà été fort riches en réformes, comme
nous l'avons vu.
Madame la ministre, votre gouvernement envisage à présent de reprendre cette
idée afin, notamment, d'alléger le poids des prélèvements sur les industries de
main-d'oeuvre. Voilà une autre orientation dont vous vous êtes inspirée !
Cependant, les autres causes du déficit sont complexes et multiples. Outre la
diminution des recettes du fait de la conjoncture, on peut incriminer,
notamment, le comportement des assurés, les progrès scientifiques ou encore le
vieillissement de la population.
Peut-être l'un des rares torts de la réforme de M. Juppé a-t-il été de
négliger l'aspect éducatif au profit d'une vision trop technique,
administrative. Il fallait, en quelque sorte, une éducation civique, non
seulement de l'assuré, mais également du praticien. En effet, la contrainte
financière ne suffit pas, ne peut suffire à assurer la pérennité du système de
protection sociale « à la française ».
L'« assuré-citoyen », au-delà de la formule, est un concept à développer. Le
citoyen est responsable dans ses choix familiaux, professionnels, politiques ;
il doit donc l'être face à la maladie.
L'éducation à la consommation a fait de grands progrès en vingt ans, mais,
appliquée aux soins, elle suscite des résistances. Peut-on parler du « juste
soin » ?
Une exigence de qualité et d'efficacité, opposée à une science qui a intégré,
dans son éthique, les soins les mieux adaptés aux connaissances, résiste à
l'approche commerciale, pourtant évidente. La cohabitation entre l'économie et
la pratique médicale doit être totalement intégrée dans le comportement
médical. Les soins changent en fonction, non seulement des technologies, mais
aussi des rapports sociaux.
Le travail à l'acte doit être complété par l'activité en réseaux - personnes
âgées, drogue, prévention, urgence, soins à domicile - et par le développement
d'une nécessaire approche médico-sociale.
Au sein de mon propre département, dans le domaine médico-social, nous
disposons ainsi de pôles gérontologiques regroupant tous les intervenants de la
politique de prise en charge des personnes âgées, les représentants des
caisses, des associations, des collectivités locales et les directeurs
d'établissement. Il s'agit, pour nous, d'un outil irremplaçable d'évaluation
des besoins dans un contexte de stagnation des moyens.
L'effort d'adaptation et de rigueur dont je parle doit concerner également les
gestionnaires et les personnels des caisses de sécurité sociale, soit 180 000
personnes dont le statut n'est ni l'un des moins protecteurs ni l'un des moins
avantageux au sein du secteur public.
Le gouvernement précédent a décidé très opportunément de geler l'ensemble des
gros projets immobiliers programmés au niveau des caisses.
De même, de son côté, le Sénat a voté un amendement au projet de loi de
financement de la sécurité sociale pour 1997, amendement qui appelait les
organismes de protection sociale à faire un effort supplémentaire afin de
maîtriser leurs dépenses de gestion. Il en sera de même cette année.
Je souhaiterais, à ce stade de mon intervention, dire un mot sur un sujet qui
nous tient particulièrement à coeur, à mes collègues de la majorité sénatoriale
et à moi-même : je veux parler de l'évolution de la politique familiale et des
projets inquiétants que nourrit le Gouvernement à son égard. Je pense
évidemment, en particulier, à la mise sous conditions de ressources des
allocations familiales.
Le développement des prestations familiales sous conditions de ressources,
chacun le sait, est un phénomène relativement ancien. Au début des années
soixante-dix, face aux prémices de la crise économique, les gouvernements de
l'époque avaient souhaité mettre en place des allocations dont l'objet était
d'apporter un supplément de revenu aux populations les plus fragiles,
c'est-à-dire, notamment, les familles monoparentales et les familles nombreuses
disposant de revenus modestes. D'où l'application d'une condition de ressources
dont personne ne conteste la légitimité en l'espèce.
A ce jour, 50 % des prestations familiales sont déjà sous conditions de
ressources. Or, le Gouvernement nous propose d'exclure à présent du bénéfice
des allocations familiales, pour une période limitée apparemment, près de
quatre cent mille familles considérées comme « aisées ». Les allocations
familiales constituent le coeur même de notre dispositif de soutien aux
familles. Y porter atteinte a une valeur toute symbolique.
Ce qui est particulièrement significatif dans ce projet de loi, c'est
l'absence de mesures positives suffisantes en faveur des familles, en dehors du
report du paiement des allocations familiales pour les enfants jusqu'à l'âge de
dix-neuf ans, mesure déjà prévue par le gouvernement de M. Juppé.
Ce gouvernement ne compte-t-il plus reconnaître l'existence d'un risque «
famille », au même titre que les risques vieillesse et maladie ? Les
incertitudes économiques, la précarité de l'emploi rendent pourtant de moins en
moins évidente pour nos concitoyens la décision de constituer une famille.
Vous le savez bien, madame la ministre, notre désaccord sur la politique
familiale est plus profond qu'il n'y paraît. Il est d'ordre philosophique. Pour
mon courant politique en particulier, inspiré par le personnalisme
communautaire, la famille n'est pas un simple acteur économique. Noyau de la
société, elle représente un cadre privilégié pour les solidarités
intergénérationnelles, la transmission du savoir et des valeurs. L'affaiblir ou
la déstructurer par de telles mesures, c'est en quelque sorte appauvrir ce
terreau indispensable à la vitalité, au dynamisme de notre pays, et c'est faire
indirectement, ce qui est plus grave, le jeu de certaines idéologies
extrémistes et xénophobes.
Face à une certaine approche d'inspiration existentialiste, individualiste,
dominante dans une partie de la gauche française actuelle, nous souhaitons
proposer la vision d'une société à la fois solidaire et enracinée dans ses
valeurs.
J'ai cru comprendre que certains de nos collègues communistes étaient très
réticents au regard des choix du Gouvernement sur la famille. C'est bien le
signe qu'il ne s'agit pas là d'un sujet de droite, du centre ou de gauche. Il
n'y a pas, d'un côté, des familles dites « privilégiées », que l'on pourrait
taxer et dont l'opposition serait, en quelque sorte, le « porte-parole », et,
de l'autre, les familles plus modestes, dont une gauche plus soucieuse
d'égalité serait la seule à comprendre les problèmes.
Le débat ne se pose donc pas en des termes aussi simplistes.
Pour conclure sur ce sujet, permettez-moi de rappeler certaines propositions
avancées dans le rapport Gisserot dont le gouvernement précédent, qui en avait
été saisi au début de l'année, s'était largement inspiré pour élaborer un
avant-projet de loi.
Toute réforme de la politique familiale devrait, selon moi, avoir pour
priorité d'améliorer l'ensemble des dispositifs permettant aux parents de mieux
concilier l'exercice d'une activité professionnelle avec la vie familiale.
Ainsi, il conviendrait d'assouplir les règles relatives au travail à temps
partiel et au congé parental. De façon générale, le recours au temps partiel
reste encore insuffisant en France, par rapport à ce que l'on constate chez
certains de nos voisins européens. Ce n'est malheureusement pas la priorité
choisie actuellement par le Gouvernement, sa préférence allant vers les
trente-cinq heures.
Une autre proposition me semble intéressante, celle de la création d'une «
épargne famille », une forme de fonds de solidarité familiale qui pourrait
ouvrir droit à une bonification de l'Etat. Nous pourrions établir un pacte de
prévoyance intergénérationnelle. Ce projet, développé par notre collègue Denis
Badré, correspond, sur le plan philosophique, aux options du courant de pensée
qui vise à renforcer la solidarité au sein de la cellule familiale dans une
société économiquement et moralement en crise.
Nous attendons donc, madame la ministre, la concertation que vous avez
annoncée pour 1998, quoique certaines pistes envisagées soient plutôt
inquiétantes.
Face à un déficit persistant, qui peut malheureusement s'accroître encore les
prochaines années, il faut trouver d'autres solutions et les substituer aux
augmentations de recettes - la France se caractérise déjà par un taux de
prélèvement excessif - ou aux ponctions sur les fonds destinés normalement aux
familles de France.
En premier lieu, il convient bien sûr d'assurer une réelle maîtrise des
dépenses de santé, notamment des dépenses hospitalières. Le gouvernement
précédent avait déjà posé les bases d'une telle politique. Le pays doit
persévérer dans cette voie. Vous disposez, en la matière, d'un outil nouveau et
déjà performant, je veux parler des agences régionales d'hospitalisation,
chargées de la tutelle et de la restructuration des cliniques privées et des
hôpitaux publics.
La mise en réseau d'établissements paraît à cet égard indispensable et il faut
une autorité neutre, proche du terrain et compétente pour la susciter :
l'agence régionale d'hospitalisation.
Cependant, un encadrement efficace des dépenses ne peut pas se faire sans une
évaluation du coût réel de l'acte hospitalier. A ce propos, le programme de
médicalisation du système d'information le PMSI, apparu dès 1982, constitue un
outil intéressant qu'il faudrait sans doute développer en complément,
évidemment, de l'évaluation qualitative des services hospitaliers et des études
épidémiologiques.
En outre, s'agissant du problème de l'accréditation, il serait souhaitable que
l'ANAES puisse lancer les premières procédures dès que possible. Les
expérimentations tarifaires de réseaux et de filières de soins, le codage des
actes et des pathologies, la poursuite de l'utilisation du carnet de santé, la
formation médicale continue sont autant d'outils à notre disposition.
Nous attendons également avec impatience la présentation au Parlement du
projet de loi créant l'assurance maladie universelle, projet préparé par
l'ancien gouvernement.
Concernant le financement du système, je déplore qu'il n'y ait pas, dans ce
texte, une mesure d'harmonisation des assiettes de CSG entre salariés et
professions indépendantes, ce qui ne sera pas sans poser de réels problèmes
d'équité en cas de hausse de la contribution.
Enfin, nous devons impérativement trouver une solution durable aux
déséquilibres financiers, à moyen ou à long terme, des régimes de retraite de
base et des régimes complémentaires.
Une meilleure coordination tant des régimes financiers que des règles de
liquidation des droits à pension semble, en particulier, indispensable.
En conclusion, votre projet de loi, madame la ministre, même s'il se situe
dans la continuité de la réforme de 1996, ne répond que très imparfaitement aux
différents défis auxquels notre protection sociale est confrontée : la
dénatalité, le vieillissement de la population, la demande croissante de soins,
un chômage accru et un déficit récurrent.
C'est pourquoi je suivrai la commission des affaires sociales du Sénat dans
ses différents amendements, tout en félicitant son président, M. Jean-Pierre
Fourcade, ainsi que mes collègues rapporteurs MM. Jacques Machet, Charles
Descours et Alain Vasselle, pour la qualité du travail accompli.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, en examinant pour la deuxième année consécutive le projet de
loi de financement de la sécurité sociale, nous débattons, de fait, des
orientations futures de notre protection sociale et de son avenir.
Je m'attacherai à traiter de l'un de ses piliers : la branche vieillesse.
Son avenir ne peut s'envisager, selon nous, qu'en préservant les principes
fondateurs de l'ensemble de notre protection sociale, à savoir, d'une part, la
solidarité, c'est-à-dire la solidarité entre les individus, entre les
générations et les régimes, d'autre part, la justice, afin de garantir la
cohésion sociale, que sous-tend notamment la préservation du niveau de vie des
retraités.
Nos concitoyens nous rappellent régulièrement et avec force à ces
exigences.
Cependant, près d'un demi-siècle après sa création, l'assise du financement de
nos retraites se révèle à la fois fragile et en décalage par rapport à
l'évolution de notre société. Les jeunes entrent plus tardivement sur le marché
du travail en sachant, d'emblée, qu'ils seront confrontés à des périodes de
chômage et de précarité. L'allongement de l'espérance de vie, qui correspond à
un véritable progrès, il faut l'affirmer, et qui ouvre de nouvelles
perspectives pour le troisième et le quatrième âges, se traduit également par
de nouvelles charges pour la collectivité.
Nous sommes bien tous conscients des conséquences de la contrainte
démographique sur la gestion de notre système de retraite par répartition dès
aujourd'hui, mais surtout à l'horizon 2005.
Le projet de loi que nous propose le Gouvernement prévoit un volume de
dépenses de plus de 754 milliards de francs pour la branche vieillesse, et en
fait ainsi le premier poste.
Ces propositions devraient se traduire par une réduction de moitié d'un
déficit évalué initialement à plus de 8,3 milliards de francs.
L'option prise par le Gouvernement est celle de la consolidation et de la
sécurisation de notre système de retraite par répartition, qui prendront appui
sur la modernisation de son mode de financement, sur une croissance correcte,
mais aussi sur la fin des incertitudes concernant les remboursements des
exonérations de cotisations sociales pour des régimes qui doivent pouvoir
compter sur des recettes stables.
Là où les gouvernements de M. Juppé avaient mis en place, dans une relative
confusion, des fonds de pension « à la française », s'adressant à un public
restreint et déstabilisant les régimes complémentaires, le gouvernement de
Lionel Jospin entend dégager, en concertation avec les partenaires sociaux, de
nouvelles pistes pour l'évolution des prestations et des ressources de notre
système.
Au seuil de cette « réflexion en profondeur » que nous souhaitons, tout comme
M. Vasselle, il convient de maintenir le déficit dans des marges maîtrisables,
c'est-à-dire aux alentours de 4,3 milliards de francs. C'est ce que vous faites
et c'est ce que vous nous proposez dans le projet de loi de finances pour
1998.
A cette fin, le Gouvernement nous suggère de recourir à des prélèvements qui
ont été mis en place par ses prédécesseurs mais qui, alternance oblige, sont
désormais qualifiés - je l'ai entendu ce soir à plusieurs reprises -, de «
recettes de poches » par certains de vos collègues.
Les sénateurs socialistes souscrivent à cette proposition du Gouvernement de
relever de 6 % à 8 % la taxe perçue sur les contributions versées par les
employeurs pour des prestations complémentaires de prévoyance, l'article 10
exonérant les petites entreprises employant au plus neuf salariés.
Chacun sait que ces versements peuvent se substituer à des augmentations de
salaires et échapper aux cotisations sociales. Au passage, je signale que les
fonds de pension portent en eux les germes d'une telle dérive.
Certains s'inquiètent de voir l'augmentation de ce taux mettre en difficulté
nos régimes complémentaires. J'aurais aimé qu'une telle préoccupation inspire
leur position lors du débat sur ces mêmes fonds de pension !
Le produit de cette taxe étant affecté au fonds de solidarité vieillesse - 500
millions de francs - la redistribution au profit de personnes particulièrement
fragilisées satisfait pleinement aux impératifs de solidarité.
L'utilisation de l'excédent de la C3S à hauteur de 1,2 milliard de francs en
1998 a sérieusement animé les débats de nos collègues députés à l'Assemblée
nationale, certains allant même jusqu'à qualifier de « détournement » cette
affectation au régime des salariés, alors que la loi du 12 avril 1996 portant
diverses mesures d'ordre économique et financier prévoyait, « le cas échéant »,
l'extension de la répartition de ce solde.
Permettez-moi de faire un simple commentaire sur ce transfert : quand il
s'agit, pour le régime général, de prendre en charge des affiliations qui ont
vocation à engendrer à terme des déficits - intégration que nous ne remettons
pas en cause -, nous n'entendons plus ces mêmes collègues s'enflammer et
dénoncer un détournement éventuel des fonds du régime général.
Mes chers collègues, ayons donc le souci d'une cohérence élémentaire dans nos
discussions !
Le Gouvernement intervient par ailleurs dans les dispositifs particulièrement
sensibles et complexes des compensations.
Il s'agit d'abord de solliciter la caisse des clercs et employés de notaires
pour une charge de 210 millions de francs, afin de corriger des règles de
compensation qui, au fil des années, avaient permis à cette caisse de dégager
des excédents.
Il s'agit par ailleurs d'autoriser la CNRACL - il faut bien l'évoquer ! - à
emprunter temporairement 2,5 milliards de francs afin de couvrir, à la fin de
l'année 1998, un besoin de trésorerie. Il est inutile de le cacher, cette
disposition suscite des interrogations au sein de l'ensemble de nos groupes.
Assumant pour la plupart des responsabilités locales, nous connaissons la
dégradation du rapport démographique de cette caisse, mais nous mesurons le
poids de la surcompensation, qui a été limitée, en 1996, à 25 %.
Les initiatives parlementaires, tant à l'Asssemblée nationale qu'au Sénat, ont
pour point commun de mettre l'accent sur l'urgence d'une réforme structurelle
de ce régime spécial. Vous vous y êtes engagée, madame la ministre, et nous
l'attendons.
J'en viens maintenant à la question fondamentale de la modernisation du
financement de notre protection sociale.
Les socialistes ont pris leurs responsabilités dès 1991, en décidant que
serait progressivement élargie et diversifiée l'assiette de son financement,
dans un souci de plus grande justice sociale et d'une efficience renforcée.
Depuis, le concept de la CSG a rallié bon nombre de ses opposants. J'avais
d'ailleurs cru comprendre que la majorité qui, dans cet hémicycle, soutenait
MM. Balladur et Juppé n'y était pas hostile.
Lors de la campagne des législatives de juin dernier, nous avions clairement
défendu devant toute la population le principe de son extension.
Le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, organise ainsi
le basculement de l'essentiel des cotisations maladies sur une CSG déductible,
désormais fixée à 4,1 % sur les revenus d'activités et de l'épargne - à
l'exception des produits d'épargne populaire - et à 2,8 % sur les revenus de
remplacement, dont les retraites.
Notre rapporteur, M. Descours, propose ni plus ni moins de supprimer ce
basculement au motif que l'on ne peut en mesurer précisément l'impact, ce
basculement qui, à l'en croire, va conduire à une « fragilisation des
ressources » et à des « injustices dans notre système de financement ».
Je veux bien admettre que ces propos se situent dans un contexte donné, celui
de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour l'année
1998. Mais, en 1997, avouez-le, le contexte était sensiblement le même, et vous
avez voté - fort justement - une mesure à peu près identique, même si elle
était moins ambitieuse et moins équitable, il est vrai.
Mais quelle idée vous faites-vous, mes chers collègues, de la solidité d'une
ressource reposant essentiellement sur une masse salariale qui diminue, alors
que la production des richesses par des machines s'accroît, alors que
l'informatisation de notre société commence tout juste à produire ses effets
sur l'organisation du travail, alors que se développe un temps partiel plus
involontaire que choisi ?
Quelle idée vous faites-vous de la justice d'un financement fondé sur les
seuls revenus du travail, alors que ceux qui proviennent de placements
mobiliers et immobiliers prennent une place de plus en plus prépondérante ?
Si nous examinons la situation des retraités à la lumière de la nouvelle
législation que l'on nous propose, nous devons rappeler quelques évidences.
Ce nouveau régime ne s'appliquera, bien sûr, qu'aux retraités imposables, soit
à environ 50 % d'entre eux. Leurs pensions ne subiront pas de prélèvement
supplémentaire du fait du basculement des 2,8 % de cotisation maladie sur la
CSG.
Reste la question de l'épargne, qui fonde, me semble-t-il, l'essentiel de la
controverse quant à l'application de cette réforme aux retraités. Chacun sait
que nos aînés ont à coeur de se constituer une épargne, en vue de faire face à
certaines difficultés telles que celles qui peuvent être consécutives au décès
du conjoint, à la prise en charge de leur dépendance, à la nécessité de
secourir, en cas de besoin, un enfant ou des petits-enfants.
Comment, dès lors, justifier une différence de traitement entre les produits
de l'épargne des actifs et des retraités alors que cette épargne chez les
retraités est fort importante ? Ainsi, selon notre collègue M. Edouard Landrain
à l'Assemblée nationale, les retraités détiendraient près de 75 % des
portefeuilles boursiers.
En tout cas, nous refusons le procès d'intention qui nous est fait sur cette
question alors que, pour sa part, la droite a augmenté en moyenne le taux des
cotisations sociales et de la CSG payées par les retraités de 4,2 %, sans que
cela corresponde à un transfert de cotisations.
Mme Dinah Derycke.
Très bien !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Dans le prolongement de cette mesure, il est logique que l'assiette du
prélèvement de 1 % opéré sur les revenus de placements à l'intention de la
caisse nationale d'allocations familiales et de la caisse nationale d'assurance
vieillesse des travailleurs salariés soit alignée sur celle de la CSG.
Madame la ministre, mes chers collègues, l'examen d'un projet de loi sur le
financement de la sécurité sociale est un exercice un peu particulier au regard
du droit parlementaire. Nos discussions doivent être toutefois le moment
privilégié pour exprimer un certain nombre de messages en direction des
partenaires sociaux, qui sont au coeur de la gestion des organismes de sécurité
sociale.
Les socialistes sont convaincus qu'ils ont une légitimité particulière pour
organiser les revenus de remplacement. Ainsi, en ce qui concerne les fonds de
pension, nous ne nions pas la légitimité de la création d'une épargne
supplémentaire et facultative. Nous estimons toutefois que le régime des fonds
de pension, tel qu'il a été défini par la loi du 25 mars 1997, organise des
inégalités pour le futur.
En premier lieu, cette loi ne concernera que très rarement les salariés des
PME, celles-ci n'étant généralement pas en capacité d'abonder ces fonds.
En second lieu, le régime particulièrement avantageux d'exonération des
cotisations va appauvrir le premier et, surtout, le second étage des retraites.
Les gestionnaires ont fait leurs comptes : la perte sera de 4 milliards de
francs pour l'ARRCO et de 8 milliards de francs pour l'AGIRC.
De l'aveu même de M. Thomas, qui est le père de cette loi - et même en
considérant qu'il a pu sous-évaluer la perte pour le régime complémentaire - le
déficit pourrait atteindre 2 milliards de francs.
Les organisations syndicales de salariés ne s'y sont pas trompées, qui ont
fait de cet avantage financier l'élément déterminant de leur opposition à cette
loi.
Ce débat parlementaire est également l'occasion d'aborder la situation des
régimes spéciaux, notamment de ceux du secteur public.
A ce sujet, nous pensons que leur évolution ne saurait être envisagée sans
qu'il soit tenu compte du fait qu'ils forment un tout avec la situation sociale
et statutaire des agents publics.
J'aurais souhaité, par ailleurs, évoquer les difficultés que rencontrent
certaines catégories de retraités. Je crains toutefois que le temps me manque.
J'y reviendrai donc ultérieurement au cours de notre débat.
Je terminerai, madame la ministre, mes chers collègues, en exprimant nos
déceptions sur les conditions de mise en oeuvre de la prestation spécifique
dépendance, mais nous avons pris acte de vos intentions sur ce point.
La dépendance des personnes âgées est un défi majeur qui nous est posé dès
aujourd'hui. Nous en cernons bien les causes, nous commençons tout juste à en
appréhender les exigences, qui ne se posent pas uniquement en termes
financiers, mais aussi en termes de prévention, de recherche et d'organisation
sociale dans nos cités.
Lors du débat parlementaire sur la loi du 24 janvier 1997, les socialistes
avaient perçu et dénoncé les carences et les effets pervers que recelait ce
dispositif. Nous y sommes, mes chers collègues ! M. François Autain a brossé à
l'instant un tableau édifiant de ce que nous observons sur le terrain. Mais
nous y reviendrons aussi au cours du présent débat.
Madame la ministre, vous vous êtes saisie de l'ensemble des difficultés
concernant la mise en application de la PSD. Vous souhaitez en débattre avec
les acteurs, comme vous nous l'avez confirmé. Nous, nous souhaitons que ce qui
ressortira de ce débat puisse, avec l'ensemble des partenaires, faire émerger
une politique de prise en charge globale de la dépendance des personnes âgées
dans notre pays.
Dans ce cadre, il conviendra, bien entendu, de traiter de la question capitale
de la tarification des établissements médico-sociaux et hospitaliers et de ses
conséquences sur les budgets hospitaliers.
Il est également urgent que la question de la prise en charge des personnes
handicapées mentales vieillissantes soit traitée.
Madame la ministre, vous mesurez, nous mesurons parfaitement la dimension du
chantier qui nous attend.
Par ce projet de loi, vous nous démontrez que le Gouvernement entend aborder
ces « grands travaux » en défendant, avec détermination et sans démagogie, des
positions courageuses afin de préserver notre protection sociale. Il est
impératif de réformer notre système en sauvegardant les fondements de notre
solidarité nationale.
Soyez assurée, madame la ministre, du soutien actif des socialistes de cette
assemblée.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je n'aurai pas l'outrecuidance de paraphraser les propos de
nos rapporteurs, excellents, compétents et précis, qui nous ont présenté le
texte profondément remanié sur lequel nous aurons à nous prononcer. C'est donc
sur l'esprit, sur l'approche des réformes proposées que je centrerai mon
intervention.
La démarche qui a prévalu pour construire le projet de loi sur le financement
de la sécurité sociale pour 1998 se retrouve d'ailleurs dans celui de la loi de
finances. On a l'impression d'aborder le xxie siècle avec un
remake
de
la théorie hégélienne de « la fin de l'Histoire ». Vous réinsufflez vie au
vieil affrontement ritualisé - bourgeois, d'un côté, et prolétaires, de l'autre
- en lui donnant une terminologie plus conforme au temps.
Je crois vraiment que cette lecture économique et sociale est surannée. Il y a
aujourd'hui les producteurs, avec, d'une part, tous les acteurs, d'autre part,
les improductifs, et, entre les deux, des zones, des formes d'affrontements
sauvages. C'est aux premiers d'assumer les seconds parce qu'ils font partie du
même corps. L'exercice de la solidarité ne se nourrit pas d'un esprit
revanchard.
Or, la plupart des mesures proposées portent en filigrane l'opposition entre
les nantis et les démunis avec une leçon morale à la clé et une incitation à
éprouver un sentiment de culpabilité.
Lors de la toute récente déclaration du Gouvernement sur la politique
familiale, vous avez dit, madame le ministre, rechercher une meilleure
solidarité pour faire face aux besoins des familles. C'est donc pour cette
raison qu'aujourd'hui vous nous proposez de mettre sous condition de ressources
les allocations familiales.
Ainsi, on remet en cause un principe que jusque-là personne n'avait contesté :
l'enfant, l'enfant seul crée le droit à l'allocation, en dehors de toute autre
considération.
Agir ainsi, c'est introduire et développer dans les esprits la confusion entre
aide sociale et allocations familiales. Mais le raisonnement va plus loin : il
joue sur l'hypothèse que les familles dites « aisées » n'oseront pas
revendiquer leurs droits tout en laissant croire aux autres familles qu'elles
pourraient bénéficier des économies ainsi réalisées.
Par ailleurs, les chiffres avancés laissent perplexe : 6 milliards de francs
seraient ainsi récupérés ! Mais qui peut croire que les familles de deux
enfants gagnant plus de 25 000 francs reçoivent 10 % des sommes affectées aux
prestations familiales ?
En corollaire, je pose une autre question : pourquoi ne pas redistribuer cette
somme sous la forme d'une allocation au premier enfant plutôt que de l'affecter
à la réduction du déficit de la branche famille ? Il y a là un détournement de
l'aide à l'enfant. Même s'il est nécessaire d'équilibrer les comptes, cela ne
se fait pas à n'importe quel prix. La mesure se justifiait donc pleinement !
Fort de ce constat, poussons le raisonnement ! Puisqu'il y a des familles
riches qu'il ne faut plus aider de la même façon, pourquoi n'estimerait-on pas
qu'il y a des malades, appartenant à la même catégorie, dont il va falloir
revoir les remboursements, comme des retraités bien lotis, bénéficiant d'autres
types de revenus, qui seraient susceptibles de se voir appliqués des taux
différenciés ?
Vous avez affirmé, madame le ministre, qu'on n'entrerait pas dans cette
logique. Permettez-moi d'en douter, d'autant que l'on observe dans la loi de
finances que, dans le calcul de l'impôt sur le revenu, le plafond fixé pour que
les conjoints survivants qui ont élevé au moins un enfant puissent bénéficier
de la demi-part est abaissé de 16 200 francs à 3 000 francs.
Les veuves civiles seraient-elles aussi des nanties, elles à qui l'on refuse,
aussi, dans la plupart des cas, la majoration pour enfants quand elles
perçoivent un revenu qu'elles ont acquis par des droits propres, en dehors de
la pension de réversion ?
Non seulement la mesure figurant dans la loi de finances est injuste, mais
elle n'a fait l'objet d'aucune concertation avec la fédération des associations
de veuves civiles chefs de famille, qui est la structure représentative
reconnue. Qui donc a pu apprécier la situation réelle de cette catégorie ?
On retrouve la même logique en ce qui concerne l'AGED et les emplois
familiaux, pour lesquels la déduction fiscale est remise en cause. Vous avez
d'ailleurs déclaré que la France était le seul pays où l'Etat payait en partie
des employés de maison à ceux qui pouvaient en avoir !
Quelles seront les conséquences de ces dispositions si elles sont votées ? Il
en résultera des pertes d'emplois, d'emplois de proximité qui satisfont en
majorité des femmes, autant celles qui utilisent ces services que celles qui
fournissent ces prestations.
On peut parier, les deux parties ayant intérêt à faire perdurer ces
situations, que le travail au noir va se multiplier. Une part des salaires sera
déclarée et l'autre pas. Là où il n'y aura pas licenciement, il y aura perte de
rentrées de cotisations sociales.
Dans un budget familial, les enveloppes financières ne sont pas extensibles ;
pour rester à l'intérieur sans risque de déséquilibre, ce sont bien les
montages que je viens de décrire qui seront mis en place.
Il y a vraiment matière à s'interroger sur la valeur du dogme ! A vouloir
pourfendre ce qui est considéré comme des avantages qui outragent, on supprime
des emplois, pas des emplois de cadres, de dirigeants à hauts salaires, mais
ceux qui permettent à une femme chef de famille de s'occuper aussi de ses
enfants, ceux qui lui apportent un complément de revenu sans pour autant
qu'elle délaisse son foyer en effectuant des trajets impossibles. Quel
méritoire réajustement !
Quittons l'esprit pour observer les chiffres. Les incitations mises en place
pour l'AGED ont engendré 200 000 emplois à l'issue de formations qui en fixent
le coût unitaire à 90 000 francs par an. Le dispositif emploi-jeunes définit un
objectif de 350 000 emplois à créer pour un coût unitaire de 92 000 francs par
an. On lâche donc la proie pour l'ombre avec, au passage, un alourdissement des
charges.
Cette forme de pensée et de comportement me fait fortement songer à ces
syllogismes détournés, dans leur conclusion, de leur rigueur logique par des
artifices du discours. Aussi, madame le ministre, pas plus que je ne croirai
qu'un cheval borgne est cher, je ne soutiendrai le texte que vous avez
déposé.
(Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur celles de
l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel.
Ni vous, madame le ministre - ou madame « la » ministre, mais je n'ai pas
encore pris contact avec l'Académie française pour connaître la formule qu'il
convient aujourd'hui d'employer - ni vous, monsieur le secrétaire d'état,
n'avez, dans vos discours de cet après-midi, évoqué le rapport de la Cour des
comptes sur la sécurité sociale, publié au mois de septembre 1997. La rue
Cambon, aujourd'hui, peut en être attristée !
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
J'ai réparé cet oubli !
M. Emmanuel Hamel.
Autre constat : le rapport du Gouvernement présentant les orientations de la
politique de santé et de sécurité sociale ainsi que les objectifs qui
déterminent les conditions générales de l'équilibre financier - rapport de
vingt-deux pages annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale
pour 1998 - ne fait allusion qu'une seule fois et sur un seul sujet au rapport
annuel sur la sécurité sociale établi par la Cour des comptes et adressé au
Parlement. C'est vraiment trop peu !
L'une des causes du jugement si souvent sévère, parfois trop, de l'opinion
publique sur le pouvoir, qu'il soit de droite ou de gauche, quelle que soit la
majorité qui le soutient, est le sentiment que le Gouvernement néglige les
observations de la Cour des comptes, ne s'inspire pas de ses suggestions, ne
donne pas suite à ses propositions.
Dans son rapport, la Cour, par un souci d'objectivité auquel je rends hommage,
rend publiques les réponses des ministres à ses observations. J'ai lu les
vôtres aux pages 419, 441, 443 et 481.
Elles me créent le devoir de vous confier un espoir madame le - ou la -
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat : puissiez-vous l'un et l'autre - ou
l'une et l'autre - non pas par le biais de vos collaborateurs et à travers eux,
mais par vous-même, lire et relire la page 61 du rapport de la Cour, qui
contient dix suggestions sur le suivi de la loi de financement de la sécurité
sociale et la présentation des données annexées au projet de loi de financement
; les pages 145 à 147, qui regroupent trente-deux suggestions sur le
financement de la sécurité sociale, la gestion de la dette, la Caisse
d'amortissement de la dette sociale ; la page 185, qui résume les conclusions
du chapitre VII sur l'encadrement des dépenses maladie ; les pages 253 à 257,
qui comprennent quarante-sept propositions de la Cour sur l'encadrement des
dépenses hospitalières, les dépenses ambulatoires, les prothèses internes et
leur tarification ; la page 295, qui vise six propositions et suggestions sur
l'allocation parentale d'éducation ; la page 364, qui contient six propositions
sur les régimes spéciaux de sécurité sociale ; enfin, les pages 387 et 389, qui
résument les propositions de la Cour sur les travaux des comités départementaux
d'examen des comptes des organismes de sécurité sociale.
Très respectueusement, comme c'est mon devoir, madame le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, pour vous inciter à cette lecture, pour que ces 112
propositions de la Cour vous inspirent et se concrétisent par l'action et par
les réformes qu'elle vous a suggérées, je vais, par questions écrites, demander
les suites que vous allez donner à chacune d'entres elles.
Je crois devoir vous avertir que je prends cet engagement, par souci du bien
public, d'ailleurs.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vous remercie, monsieur le
sénateur.
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, je reviendrai sur l'un des points qui a fait l'objet de
nombreuses interventions ce soir, à savoir la prise en charge des personnes
âgées dépendantes.
Tout d'abord, madame le ministre, je vous remercie des propos ouverts et
pragmatiques que vous avez tenus dans votre exposé introductif.
La loi du 24 janvier 1997 a organisé la prise en charge des personnes âgées
dépendantes. Avant d'examiner les problèmes que peut soulever sa mise en
oeuvre, je rappelerai quelques-uns de ses apports.
Quant à moi, j'en relève principalement trois.
Tout d'abord, cette loi a le mérite d'exister, ce qui n'est pas si mal.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est vrai !
M. Michel Mercier.
Ensuite, elle coordonne l'action des différents intervenants.
Enfin, et c'est une première, elle instaure une prestation spécifique.
Cette loi se veut modeste, son titre l'atteste puisqu'il s'agit d'une loi
intérimaire. En attendant une autre loi créant une prestation autonomie, elle
instaure une prestation spécifique dépendance.
Je tiens à rappeler à ce propos que tous les gouvernements qui se sont succédé
ces dernières années ont essayé de régler ce problème et que tous ont échoué.
Avant l'adoption de ce texte, nous étions dans une situation à la fois de
non-droit, de flou juridique et, pour tout dire, de relative pagaille. Ce
texte, pour modeste qu'il soit, est donc le bienvenu, d'autant qu'il aborde les
questions sociales d'une manière nouvelle, organisant l'action des différents
intervenants contribuant à la prise en charge des personnes âgées
dépendantes.
Il s'agit donc d'une prestation en nature, déterminée par une équipe
médico-sociale qui se rend auprès de la personne âgée et effectue une
évaluation objective à partir d'une grille nationale d'évaluation. Ces apports
de la loi du 24 janvier 1997 ne seront pas, je crois, remis en cause.
Mais ce texte présente d'autres atouts. Il organise en effet une coordination
de l'action de tous ceux qui travaillent auprès de la personne âgée, disais-je
- collectivités locales, associations et caisses de sécurité sociale, maladie
ou vieillesse - cette coordination s'exprimant par des conventions. Je relève,
d'ailleurs, que beaucoup ont déjà été signées.
Les conseils généraux ont été chargés de la mise en oeuvre de ce texte. Ils
avaient, en effet, de façon inorganisée, déjà commencé à prendre en charge les
personnes âgées dépendantes en versant une allocation compensatrice bien
connue.
Le fait que l'on ait confié aux conseils généraux cette charge fait que
beaucoup se sont interrogés sur les problèmes d'inégalité de traitement. Je
voudrais essayer, sur ce point, de dire les choses telles qu'elles
apparaissent.
Le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur ce problème de
l'inégalité de traitement. Il a rappelé quelles étaient les limites que la
Constitution posait dans ce domaine. Tout acteur chargé de l'application de la
loi, notamment les préfets, doit faire respecter cette décision du Conseil
constitutionnel. Mais je voudrais quand même rappeler à cette tribune qu'on ne
doit pas opposer l'inégalité de traitement qui résulterait des collectivités
locales et l'égalité de traitement qui résulterait de l'action de l'assurance
maladie dans son ensemble.
En réalité, les inégalités subsistent même lorsque c'est l'assurance maladie
qui intervient et, qu'il s'agisse de lits de long séjour ou de lits de cure
médicale, la prise en charge n'est pas identique pour un même degré de
dépendance et les tarifs plafonds varient d'un département à l'autre alors que
les sommes financières en jeu devraient être semblables pour des personnes dans
le même état, ce à quoi tend la loi du 24 janvier 1997.
Que peut-on dire de la mise en oeuvre de cette loi quelques mois après le
début de son application ? Il est encore trop tôt pour en tirer des
enseignements définitifs. Comme vous l'avez très justement indiqué, madame le
ministre, il faut laisser un peu de temps au temps et attendre que tous les
textes réglementaires soient pris avant de pouvoir évaluer les résultats de la
loi, notamment au sein du comité national de la coordination gérontologique,
que vous allez réunir dans quelques jours.
D'ores et déjà, les premiers problèmes se posent et les premières
constatations sont faites sur le terrain depuis la mise en oeuvre de la
prestation spécifique dépendance.
En ce domaine, il faut bien distinguer cette prestation à domicile de la
prestation en établissement.
S'agissant de la prestation spécifique dépendance à domicile, on peut dire, je
crois, que cela se passe relativement bien. La coordination commence à jouer.
Des conventions sont signées. Les départements ont plutôt bien fait leur
travail. Une rapide enquête montre que, pour la mise en oeuvre de cette
prestation spécifique dépendance, 400 emplois ont été créés par les conseils
généraux, ce qui n'est pas tout à fait négligeable !
Le montant de cette prestation ne comporte pas de tarif horaire dans le
département. La loi permet seulement de valoriser un plan d'aide. Dans un
département comme celui que j'ai l'honneur de représenter ici, le montant moyen
de la prestation spécifique dépendance à domicile est supérieur de 500 francs
par mois au montant moyen de l'allocation compensatrice pour tierce personne
qui était versée aux mêmes personnes.
Il est évident qu'il reste des problèmes à régler. L'un des principaux sera de
concilier la liberté de choix de la personne aidante par la personne dépendante
avec la nécessaire professionnalisation de la personne aidante. Sur ce point,
nous sommes ouverts et prêts à travailler avec vous et vos services.
S'agissant de la mise en oeuvre de la prestation spécifique dépendance en
établissement, les choses sont plus complexes. Je voudrais rappeler quelques
vérités élémentaires tirées de la loi et qui montrent que les critiques
actuellement formulées à l'encontre de cette prestation ne semblent pas
pertinentes.
Il est prévu que le paiement de la prestation spécifique dépendance en
établissement aura lieu dès la promulgation de la loi. Le droit est clair :
aujourd'hui, les départements doivent donc payer la prestation en
établissement.
Mais, comme je l'ai rappelé, la loi du 24 janvier 1997, se veut un texte
intérimaire. En vue de son application, le décret du 28 avril 1997 par son
article 13, met en place une disposition transitoire précisant que, jusqu'à la
réforme de la tarification, les départements s'aideront d'un barème
départemental pour établir les prestations liées à la dépendance.
Ce décret n'a, pas plus que la loi, pour objet de modifier le droit tarifaire.
Vos services l'ont d'ailleurs rappelé par un télex quelque peu péremptoire à
l'ensemble des administrations locales, et nous ne le contestons pas. Les prix
de journée sont les mêmes avant ou après la PSD. Dans ces conditions, à quoi
sert la PSD en établissement aujourd'hui ?
C'est tout simple. Ce n'est ni plus ni moins qu'une prestation d'aide sociale
destinée à solvabiliser les personnes âgées qui sont prises en charge par ces
établissements. Cela signifie donc, aujourd'hui, pour être encore plus précis,
que la PSD, lorsqu'elle est payée en établissement - et elle doit l'être
partout - n'a d'autre objet, dans les établissements qui ne sont pas habilités
à l'aide sociale, que de permettre aux personnes âgées dépendantes d'être
néanmoins prises en charge partiellement par la collectivité locale, au titre
de la dépendance. En d'autres termes, tant que la réforme tarifaire n'est pas
intervenue, la PSD permet à ceux qui sont dans un établissement lucratif d'être
malgré tout « solvabilisés ». On le voit bien, les principales questions sont
de savoir à quoi sert la prestation spécifique dépendance en établissement et
qui doit la gérer. Cela revient à poser le problème des coûts de la dépendance,
et donc de la réforme de la tarification car, tant que cette réforme
n'interviendra pas, il ne pourra pas y avoir de prestation efficace payée en
établissement.
Les critiques qui sont faites sur la diversité des tarifs mis en place selon
les départements relèvent d'un effet d'optique, car, en vérité, on ne finance,
avec cette prestation, ni plus ni moins de choses qu'avant sa création,
c'est-à-dire qu'avec l'aide sociale classique. Encore une fois, il faut
préciser ce qui doit être pris en charge par la prestation spécifique
dépendance, c'est-à-dire réformer la tarification d'établissement.
Nous ne méconnaissons pas, madame le ministre, la difficulté d'une telle
tâche. Si nous disons tous que la réforme doit se faire à coût constant, nous
savons parfaitement qu'elle ne réussira pas et qu'il faudra rechercher d'autres
ressources. Le problème des lits que vous créez, conformément à la loi - et
nous vous en donnons acte - montre bien que l'on ne peut pas, dans ce domaine,
agir à coût constant. Les collectivités locales sont prêtes à travailler avec
le Gouvernement, tout comme les auteurs de la proposition de loi d'origine
sénatoriale.
Une expérimentation avait été faite dans douze départements. Peut-être
pourrions-nous à nouveau utiliser cette méthode expérimentale pour mettre en
place la réforme de la tarification, qui est urgente. C'est elle qui donnera
tout son sens à la loi du 24 janvier 1997. Ce n'est qu'après que nous pourrons,
ensemble, porter un jugement sur cette loi et voir si elle doit être améliorée
ou complètement modifiée. En attendant, elle ne mérite pas l'excès de critiques
dont elle a été l'objet ces derniers temps.
Je voulais vous dire, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que
nous sommes ouverts et prêts à travailler avec vous sur cette réforme de la
tarification.
(Applaudissements.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, chacun en convient, à gauche comme à droite : la famille
constitue la structure de base de notre société. Elle joue un rôle essentiel
pour la cohésion sociale.
Le débat qui s'est instauré depuis quelques mois dans notre pays, et
particulièrement au Parlement à l'occasion de la loi de financement de la
sécurité sociale, a démontré, si l'on excepte quelques propos outranciers et
caricaturaux, que nous étions tous attachés à la nécessité de préserver et de
conforter la politique familiale.
Toutefois, des divergences existent, et c'est bien normal, quant à la
définition, au rôle et à la nature de cette politique.
Longtemps excédentaire, la branche famille accuse aujourd'hui un déficit
important, prévu à plus de 12 milliards de francs pour 1997, alors que la
majorité des prestations sociales et familiales ont été diminuées ou limitées
depuis 1994.
Ce déficit important est d'ordre structurel : il résulte, en grande partie, de
la mise en place de mesures non évaluées et non financées inscrites dans la loi
de 1994 relative à la famille.
Cette situation est périlleuse, puisque la loi de 1994 relative à la sécurité
sociale a posé le principe de l'obligation d'équilibre financier de chacune des
branches du régime général et de l'individualisation de leur trésorerie.
Cette évolution vers un déficit sans cesse croissant doit être stoppée, sans
quoi la branche famille tout entière serait menacée. Chacun en a pris
conscience, à droite comme à gauche, le Gouvernement en premier.
Il a pris ses responsabilités et opéré les choix nécessaires, avec le souci
d'instaurer plus de justice dans les transferts financiers vers les familles et
avec la volonté affirmée d'entreprendre, dans la concertation, une remise en
forme d'une politique familiale inventée voilà maintenant cinquante ans.
Afin de corriger les effets négatifs des mesures de restriction des
gouvernements qui l'ont précédé, il a adopté des mesures d'urgence pour un coût
de 10 milliards de francs, renforçant ainsi le pouvoir d'achat des familles les
plus modestes.
La remise à niveau des prestations et leur augmentation risquaient toutefois
d'aggraver encore le lourd déficit de la branche famille.
Ne voulant pas légiférer à crédit, comme la droite en 1994, en accord
d'ailleurs avec la majorité sénatoriale, le Gouvernement nous propose des
mesures transitoires permettant de rétablir l'équilibre financier de la
branche, tout en avançant vers une plus grande justice sociale.
Tel est le sens des propositions gouvernementales visant à limiter le montant
de l'AGED et à plafonner les allocations familiales pour les familles disposant
de revenus élevés.
Ces mesures concernent 400 000 familles sur environ 5 millions d'allocataires
; il faut rappeler que 3 300 000 familles avec un enfant à charge ne perçoivent
pas d'allocations familiales.
Cette volonté de rééquilibrer plus justement l'aide aux familles modestes a
été comprise de la majorité de nos concitoyens, y compris des familles plus
favorisées, qui se sentent solidaires de toutes celles qui vivent le chômage,
la précarité ou l'exclusion.
C'est faire injure à ces familles que de prétendre qu'elles seraient égoïstes
et donc hostiles à une redistribution vers celles qui en ont le plus besoin.
Mais la droite, sans doute dépitée d'avoir perdu le pouvoir, crie au scandale,
espérant pouvoir s'approprier la défense de la famille qu'elle veut transformer
en un véritable fonds de commerce électoral.
La droite, et avec elle la majorité de cette assemblée, oublie ainsi la
diversité des familles et des situations qu'elles vivent, oublie la crise
économique qui a plongé nombre d'entre elles dans la pauvreté et la précarité,
oublie que, dans notre pays, un nombre croissant d'enfants ne mangent pas à
satiété ; elle oublie aussi que les inégalités sociales se sont dangereusement
creusées, générant la peur, l'incertitude du lendemain, l'insécurité et la
violence qui sont un facteur de précarisation pour l'ensemble des familles.
La droite, et avec elle la majorité sénatoriale, veut oublier, et surtout
faire oublier, ses lourdes responsabilités dans la constitution du déficit de
la branche et dans la dégradation des revenus sociaux des familles.
Elle veut oublier et faire oublier que, de 1993 à 1997, elle a gelé les
plafonds de ressources, assujetti les prestations familiales au remboursement
de la dette sociale, diminué puis imposé les indemnités journalières de
maternité, restreint l'aide au parent isolé, l'allocation parentale pour jeune
enfant, les aides au logement. Toutes mesures qui ont lourdement pesé sur les
familles les plus modestes, qui sont aussi les plus nombreuses.
Toutes mesures qui n'ont indigné personne à droite et ici même au Sénat.
Cela aussi, la droite veut l'oublier !
Pour bien prendre la mesure de cette amnésie collective, il suffit de se
reporter au débat sur la loi de financement de 1997.
M. Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, reconnaissait alors
que « les dispositions de la loi famille de 1994 s'avéraient bien plus
coûteuses que prévues », et le rapporteur de la commission des affaires
sociales du Sénat évoquait, pour sa part, une « dérive des dépenses non
négligeable » qu'il attribuait aux trois dispositions prises en faveur de la
garde des jeunes enfants.
Dérive non négligeable, qui, selon lui, mettait en péril l'application des
mesures prévues en faveur des jeunes adultes privés de revenus.
Dérive non négligeable alors même que « la non-revalorisation de la base
mensuelle des allocations familiales avait permis d'économiser 2,6 milliards de
francs » et que la « rationalisation des aides au logement avait engendré une
économie de 900 millions de francs ».
« Rationalisation », le mot est savant et suffisamment technocratique pour
camoufler l'amputation de l'aide au logement.
Dérive non négligeable alors que le rapporteur observait encore que « la mise
sous conditions de ressources de l'allocation pour jeunes enfants avait
engendré plus d'économies que prévu, ce qui pourrait signifier que les familles
exclues étaient plus nombreuses qu'envisagées à l'origine ».
Terribles aveux qui n'ont pas empêché la majorité sénatoriale de droite de
suivre ses recommandations et d'adopter l'ensemble du dispositif
gouvernemental, écartant alors sans plus d'hésitation les critiques et
protestations de l'UNAF.
Il est vrai qu'à cette époque la droite n'avait pas encore fait de la famille
son cheval de bataille politique de prédilection.
Parce qu'elle se veut amnésique, la droite juge aujourd'hui plus habile de
porter le débat non sur la situation effective des familles, mais sur les
grands principes.
C'est ainsi qu'elle ne s'oppose au plafonnement des allocations familiales que
parce qu'il porterait atteinte au principe d'universalité dont on nous a même
dit qu'il était inscrit dans la Constitution !
Sans mettre en doute la sincérité de l'ensemble de ces propos et de leurs
auteurs, force est de constater que la démonstration aurait gagné en
crédibilité si, dans le même temps, un concert de protestations n'avait été
orchestré contre le Gouvernement à propos de la mise sous conditions de
ressources de l'AGED et de la limitation de la réduction fiscale pour l'emploi
de toute personne à domicile, deux mesures particulièrement
antiredistributives, au financement élevé se faisant presque exclusivement sur
des deniers publics et ne bénéficiant qu'à une minorité de familles aisées.
Nous aurons l'occasion, au cours de la discussion des articles, de revenir
sur les chiffres déjà longuement cités lors de la déclaration du Gouvernement
sur la politique familiale. Il m'apparaît plus utile d'examiner les arguments
entendus ici ou là.
On nous a dit que chaque enfant avait des droits. Personne ne l'a nié. Bien au
contraire, tous les orateurs de gauche ont insisté sur le droit de chaque
enfant de vivre au milieu de sa propre famille, dans un logement décent, de
manger chaque jour à sa faim, de recevoir tous les soins que son état de santé
nécessite, de partir en vacances, d'aller à l'école dans des conditions
favorisant ses études, tous droits qui permettent à un enfant de s'épanouir
pleinement.
Ces droits sont-ils remis en cause pour un seul enfant ? Nullement.
On nous a rappelé que tout enfant possédait une créance sur la société. Cela
est juste.
C'est la raison pour laquelle, quel que soit le revenu des parents, le
principe d'une sécurité sociale pour tous doit être préservé, l'école de la
République laïque et gratuite pour tous doit être confortée, des logements de
bonne qualité, au loyer abordable et en nombre suffisant doivent être offerts
aux familles, à toutes les familles. C'est ce que le Gouvernement a entrepris
de réaliser, et ce dès l'été dernier.
C'est cela aussi la solidarité nationale. Cette dernière ne s'exerce pas
uniquement par l'application de mesures strictement pécuniaires.
Madame la ministre, vous avez eu raison d'affirmer que la politique familiale
ne pouvait s'apprécier exclusivement à l'aune des prestations versées.
On nous a rappelé que le principe de l'universalité valait pour chaque famille
et pour chaque enfant, quels que soient le revenu de ses parents, la
composition de sa famille ou son rang de naissance, et que ce principe
constituait le fondement même de la solidarité familiale.
Le principe est beau, mais il n'est pas exact et n'a jamais été totalement
appliqué. C'est ainsi que 3 300 000 familles avec un enfant sont, depuis
toujours, exclues du bénéfice des allocations familiales.
La venue d'un enfant, parce qu'il serait le premier, n'entraînerait-elle
aucune charge supplémentaire pour ce foyer ? Les cotisations ne sont-elles pas
prélevées sur les salaires des membres de ces familles ? Ces familles
n'appartiendraient-elles pas à la nation ? Les socialistes ne partagent pas
cette conception.
Fallait-il laisser aller le déficit au risque de mettre tout le système en
faillite ?
Le Gouvernement a choisi : sa réponse est non, bien évidemment.
Devait-il continuer, comme l'ont fait les gouvernements précédents, à réduire
jusqu'à les rendre squelettiques l'ensemble des prestations familiales, à
diminuer le pouvoir d'achat des familles les plus modestes ou à limiter
provisoirement les allocations et aides accordées aux familles qui n'en ont pas
financièrement besoin ?
Le Gouvernement a opté pour plus d'équité, plus de justice sociale, plus de
responsabilité.
M. le président.
Veuillez conclure, madame.
Mme Dinah Derycke.
Par les mesures qu'il a prises immédiatement, il a prouvé que sa détermination
de sauver la branche famille n'était pas que de nature comptable ou financière,
mais entendait répondre aux besoins et à la situation de la majorité des
familles.
Le Gouvernement a choisi, la majorité de droite du Sénat aussi, mais ses choix
sont radicalement différents.
Dans son contre-projet, elle propose de conserver les prestations dont
elle-même a admis l'année dernière qu'elles coûtaient cher, qu'elles
bénéficiaient aux familles les plus aisées et qu'elles contribuaient, par leurs
effets antiredistributifs, à accroître les inégalités au bénéfice d'une
minorité.
L'évidence éclate alors : plus que la défense d'un principe, la droite défend
la politique qu'elle a mise en place, politique qui visait à privilégier les
plus aisés de notre société.
Alors qu'elle n'a cessé de pourfendre, au moins en paroles, le poids des
prélèvements sociaux obligatoires, jugés excessifs et anti-économiques, elle
pousse le cynisme jusqu'à proposer le relèvement de 0,1 % de la CSG.
M. le président.
Je vous redemande de conclure, madame.
Mme Dinah Derycke.
J'ai dit « cynisme », car, par ailleurs, elle refuse le basculement des
cotisations sociales sur la CSG, qui, tout en assurant une assise plus solide à
notre système de protection sociale, permet aux salariés, et donc à la majorité
des familles, y compris celles qu'elle prétend défendre, de bénéficier d'une
augmentation de 1,1 % de pouvoir d'achat.
Je conclurai en indiquant que, pour sa part, le Gouvernement n'a pas souhaité
bouleverser les recettes de la branche famille, ne voulant pas aggraver les
prélèvements sociaux.
Cette solution aurait été une fuite en avant qui aurait contribué à fragiliser
le système.
Il a préféré assainir la situation de la branche famille tout en établissant
plus d'équité.
En prélude à nos débats, vous nous avez dit la semaine dernière, madame la
ministre : « sachons raison garder ». Vos propos ont été noyés sous un flot
d'invectives. La politique familiale mérite mieux que ce débordement de propos
tendancieux. Sa réforme nécessaire ne saurait s'accomoder d'un combat passéiste
aux arrière-pensées politiciennes.
Il faut préparer l'avenir avec réalisme et courage, qualités qui vous sont
reconnues, madame la ministre, et que vous avez montrées dans la préparation de
ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais également en
sachant être attentive aux interrogations du mouvement familial.
C'est pourquoi dans l'élaboration de ce nouveau projet de société le groupe
socialiste sera à vos côtés.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, M. Bernard Kouchner et moi-même avons écouté
avec attention vos critiques et propositions.
Les critiques, provenant de la majorité sénatoriale, m'apparaissent pour le
moins contradictoires, pour ne pas dire incohérentes. Certains nous disent que
nous sommes laxistes quand d'autres nous reprochent une démarche comptable.
Certains nous disent que nous avons mis nos pieds dans les traces de M. Juppé
et d'autres que l'on abandonne tout ce qu'il a fait.
Il faudrait quand même savoir ce que l'on nous reproche vraiment, et surtout
si, dans les propositions qui nous sont faites, existent des réponses aux
critiques formulées !
Pour notre part, nous n'avons que deux soucis : répondre le mieux possible,
par la protection sociale, aux besoins de nos concitoyens - je pense évidemment
à ceux dont l'état de santé nécessite une intervention, aux familles, notamment
les plus défavorisées, aux handicapés, aux personnes âgées -, et cela tout en
réduisant le déficit de notre système de protection sociale, car sa pérennité -
beaucoup l'ont dit, Mme Dieulangard comme Mme Derycke à l'instant - est une
nécessité si l'on veut préserver la cohésion sociale de notre pays.
Par ailleurs, et François Autain l'a très bien expliqué tout à l'heure, j'ai
entendu beaucoup de critiques qui auraient pu porter sur ce qui a été fait par
les précédents gouvernements aux cours des dernières années.
Ainsi, pourquoi n'a-t-on pas stigmatisé la vision comptable quand on a
étranglé les hôpitaux avec un ONDAM fixé à 1,25 % l'année dernière ? Je connais
et vous connaissez tous comme moi des hôpitaux - ce sont souvent les mieux
gérés, ceux de meilleure qualité - qui n'arrivent plus à répondre aux besoins
des malades en raison des dispositions que le gouvernement Juppé a mis en place
l'année dernière.
M. Gournac s'est félicité du fait que je considère le logement comme faisant
partie de la politique familiale. Comment se fait-il qu'il n'y ait eu aucune
critique alors que l'APL est bloquée depuis quatre ans et que des problèmes
majeurs sont intervenus dans le financement du logement social ?
Pourquoi n'a-t-on pas parlé de laxisme lorsque le gouvernement précédent a
pris certaines mesures ? Nous avons essayé, Bernard Kouchner et moi, de ne pas
passer notre temps à critiquer le plan Juppé ; nous avons plutôt essayé
d'expliquer comment nous pouvions sauver la protection sociale. Mais, dans la
mesure où nous continuons à être critiqués en permanence, je dirai moi aussi un
certain nombre de choses.
Pourquoi n'a-t-on pas critiqué le laxisme de M. Barrot quand, entre les deux
tours des élections législatives, a été pris un arrêté modifiant les marges des
pharmaciens qui aurait coûté 470 millions de francs à la sécurité
sociale,...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
C'est vrai !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... arrêté que je me suis
empressée d'ajourner dès que je suis arrivée ?
Voilà les vrais laxismes. Et je n'ai jamais entendu une seule voix à droite
pour les critiquer, sans doute parce qu'il s'agissait de mesures
clientélistes.
Venons-en maintenant à la réalité des problèmes tels qu'ils se posent.
Ce qui intéresse les Français, c'est l'avenir de la protection sociale.
Tout d'abord, parlons de la réforme de l'assiette du financement.
Nous avons souhaité fixer une assiette plus dynamique et plus juste.
Quand l'assiette actuelle a été mise en place, les salaires constituaient 90 %
des revenus dans notre pays. Ils n'en constituent plus que 50 %. Comment
peut-on, dans un pays où les dépenses de santé vont continuer à croître, ce qui
est normal dans un pays développé, même s'il faut les maîtriser, même s'il faut
lutter contre les gâchis, comment, dis-je, peut-on asseoir les recettes sur une
assiette qui diminue d'année en année et qui, en tout cas, a diminué de 10 %
ces dix dernières années ? Telle est la question à laquelle il faut
répondre.
Nous avons donc décidé d'accélérer la réforme que nous avions lancée en 1991
et qui a d'ailleurs été poursuivie par les différents gouvernements, en
utilisant la contribution sociale généralisée.
Certains n'aiment pas la CSG. J'ai bien entendu les critiques qui ont été
formulées à son endroit, s'agissant notamment de sa complexité. Mais tout le
monde s'accorde - Mme Borvo l'a très bien dit - sur le fait que chaque revenu
doit contribuer à l'avenir de la protection sociale. C'est la raison pour
laquelle, cette année, les revenus du capital contribueront pour plus de 20
milliards de francs au financement de la sécurité sociale.
M. Oudin a établi un lien entre la réforme de l'impôt sur le revenu et celle
du financement de la sécurité sociale. Pour ma part, je ne vois pas très bien
ce lien. La CSG est en effet un impôt proportionnel, c'est ce qui en fait la
modernité par rapport à une contribution, à une assurance, alors que l'impôt
sur le revenu est un impôt progressif.
Alors que nous avons souhaité ne pas poursuivre en 1998 la baisse de l'impôt
sur le revenu qui, je le rappelle, ne profitait qu'aux redevables de l'impôt
sur le revenu, c'est-à-dire à un Français sur deux, et favorisait ceux dont les
revenus étaient plus importants, alors qu'il manquait 80 milliards de francs
pour boucler le budget et respecter nos engagements européens, je ne vois pas
ce qui pouvait nous empêcher de mettre en place une réforme juste du
financement de la sécurité sociale. L'impôt sur le revenu est un autre sujet ;
il ne faut pas mélanger le budget de l'Etat et le budget de la sécurité
sociale.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Tout cela contribue aux prélèvements obligatoires,
madame le ministre !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur Oudin, j'ai cru
comprendre que, à cet égard, la commission des finances n'était pas totalement
d'accord avec la commission des affaires sociales. Moi, je partage l'avis de la
commission des affaires sociales et je crois que c'est un grand progrès pour
notre protection...
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
Votre collègue des finances ne partage peut-être
pas votre avis !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Jusqu'à preuve du contraire, il
n'y a qu'un seul Gouvernement ! Ici, j'ai entendu deux voix. Jusqu'à présent,
le Gouvernement, lui, ne s'est exprimé que par une seule voix ; il n'a qu'une
position, celle que je défends ce soir, sur la réforme du financement de la
protection sociale.
Mme Gisèle Printz.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous considérons - et M.
Fourcade l'avait très bien dit en commission - que c'est un progrès d'avoir une
assiette spécifique pour la sécurité sociale, de telle sorte qu'il n'y ait pas,
chaque année, à discuter avec tel ou tel ministre de l'avenir de la protection
sociale, de la santé dans notre pays, de l'avenir des prestations familiales,
de l'avenir des retraites, en fonction de la conjoncture économique. C'est un
progrès que de disposer, pour la protection sociale, d'une assiette forte,
dynamique, évoluant de manière beaucoup plus progressive que ne le permet le
système actuel.
C'est la raison pour laquelle ce transfert des cotisations vers la CSG
constitue un véritable progrès, qui sera complété par la modification de
l'assiette des cotisations patronales, je l'espère, dès l'année prochaine.
M. René Régnault.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
A entendre MM. Fourcade,
Descours, Oudin et Gruillot, notamment, le prélèvement sur l'épargne serait
trop important.
Vous savez tous que, par rapport à nos principaux partenaires européens, la
fiscalité française de l'épargne, après avoir été forte, avait subi un coup de
balancier beaucoup trop important dans l'autre sens.
Aujourd'hui, la fiscalité moyenne pesant sur les salaires est, en France, de
20 %, alors qu'elle n'était que de 10 % pour ce qui concerne les revenus de
l'épargne.
En Allemagne, l'épargne est imposée à 30 %. Pourtant, personne n'a prétendu
que l'épargne était trop taxée dans ce pays et que les capitaux le fuyaient.
Le prélèvement supplémentaire sur les revenus d'épargne reste modéré, et
d'abord parce que l'épargne populaire, contrairement à ce que j'ai entendu, en
est exclue.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Et les plans d'épargne logement ? C'est de l'épargne populaire, ce n'est pas
le grand capital !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Cela dépend de ce que vous
mettez dedans !
Chacun sait aujourd'hui que tout Français qui, après avoir rempli son livret
de caisse d'épargne, a encore un peu d'argent ouvre un plan d'épargne logement.
S'il suffit qu'un produit d'épargne devienne répandu pour qu'il soit considéré
comme relevant de l'épargne populaire, où s'arrêtera-t-on ?
Que ne citez-vous l'assurance vie ? Vous admettrez que, pour un contrat
d'assurance vie d'un montant de 300 000 francs et pour un autre d'un montant de
3 millions de francs, il est légitime de prévoir des régimes fiscaux différents
!
Les livrets A, les livrets bleus, les CODEVI, les livrets jeunes, les livrets
d'épargne populaire restent exonérés de tout prélèvement.
Pour les placements en assurance vie et les plans d'épargne logement, qui sont
assujettis à la CSG depuis le début de 1997, les prélèvements sont limités à 10
% dans la plupart des cas.
Ce sont les placements soumis au prélèvement libératoire qui seront soumis à
un taux global de prélèvement de 25 %, au lieu de 20,9 %. Cela signifie, par
exemple, pour un taux d'intérêt de 5,5 %, une rémunération nette qui passera de
4,35 % à 4,13 %.
Telle est la réalité des chiffres. On est donc loin d'une mise à bas de
l'épargne dans notre pays et d'une incapacité d'investir pour nos entreprises
!
Du reste, je le rappelle, ces entreprises ont aujourd'hui un taux
d'autofinancement de 120 % et elles ont placé 2 500 milliards de francs sur les
marchés financiers.
Les entreprises ont surtout besoin d'une augmentation de la consommation. Or
c'est bien par le transfert des cotisations maladie vers la CSG que nous allons
redonner du pouvoir d'achat et donc stimuler la consommation.
M. René Régnault.
Tout à fait exact !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est cela qui redonnera
confiance aux entreprises et relancera l'investissement, nous en sommes
convaincus.
D'ailleurs, si je lis bien les indicateurs fournis par les divers
observatoires et instituts économiques, c'est effectivement ce qu'ils font
ressortir.
Qui perd et qui gagne au transfert des cotisations maladie vers la CSG ?
Pour les salariés, je crois que personne ne le conteste, cela représente 1,1 %
de gain de pouvoir d'achat.
En ce qui concerne les retraités, que MM. Descours, Oudin et Gruillot ont
notamment évoqués, certains rappels méritent d'être faits. D'abord, seuls les
retraités imposables, c'est-à-dire 45 % d'entre eux, sont concernés par cette
substitution puisque les autres ne paient pas de CSG - et il y a d'ailleurs là
une exception. Ensuite, cette cotisation maladie est diminuée de 2,8 % sur les
pensions de base, comme sur les pensions AGIRC et les pensions ARRCO qui
atteignent aujourd'hui ce niveau-là. La substitution est donc neutre pour ces
pensions.
Les assiettes de la CSG et de la cotisation maladie sur les pensions de
retraite sont légèrement différentes mais, si l'on évoque les pertes, il ne
faut pas oublier les gains.
Il y a une perte sur les majorations pour enfants, mais un gain pour les
majorations pour tierce personne. Il y a une perte pour les retraités
indépendants non agricoles, qui acquittent aujourd'hui une cotisation de 2,9 %
sur la retraite de base et pas de cotisation sur leur retraite complémentaire,
mais un gain pour environ 700 000 anciens agriculteurs exploitants, qui ne
paieront plus de cotisations maladie et resteront exonérés de CSG, car ils ne
sont pas imposables.
Telle est la logique de la CSG, qui fait participer tous les revenus de la
même façon à l'assurance maladie.
J'ai eu un peu de mal, je l'avoue, à entendre les critiques de la majorité
sénatoriale s'agissant des retraités, me souvenant que vous aviez augmenté la
CSG de 1,3 % en 1993, sans aucune contrepartie,...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Eh oui !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... augmenté la cotisation
maladie de 1,2 % en 1996, sans aucune contrepartie, prélevé un RDS de 0,5 % en
1996 et augmenté la cotisation maladie de 1,02 % en 1997, sans aucune
contrepartie...
Mme Marie-Madeleine Dieulangard.
Voilà !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... puisque la substitution de
la CSG à la cotisation s'est faite au taux de 1 pour 1. Ainsi, ce sont au total
4,2 points de prélèvements supplémentaires sur les retraités qui ont été
décidés par l'ancienne majorité. Voilà la réalité !
Je pourrais dire quasiment la même chose pour les non-salariés non
agricoles.
En fait, pour eux, la situation est même pire. Aujourd'hui, le système est
extrêmement dégressif et injuste puisque le travailleur indépendant qui gagne
moins que le plafond de sécurité sociale - 165 000 francs - supporte une
cotisation de 11,4 %. Il ne supporte plus qu'une cotisation de 9 % jusqu'à cinq
fois le plafond, c'est-à-dire 823 000 francs. Au-dessus de ce plafond, il ne
supporte plus rien. Néanmoins, il y a une cotisation minimale fixée à 7 507
francs.
Ce système dégressif et injuste, nous allons le remplacer par une CSG qui sera
proportionnelle et dont l'assiette sera plus large que celle de la cotisation.
Cela signifie que 80 % des travailleurs indépendants vont y gagner. D'ailleurs,
leurs prélèvements globaux vont diminuer d'au moins 500 millions de francs.
Les grands gagnants de cette réforme sont évidemment les travailleurs
indépendants à revenus modestes : 20 % d'entre eux ont un revenu net inférieur
à 25 000 francs ; ils économiseront 3 600 francs puisque la cotisation minimale
va diminuer. Pour ceux qui se situent au-dessus de la cotisation minimale,
l'opération sera légèrement gagnante ou neutre, jusqu'à un revenu de 235 000
francs par an.
Seulement 20 % des travailleurs indépendants seront légèrement perdants. Pour
un revenu inférieur à 823 000 francs, l'effort demandé n'excédera pas 0,5 %
après impôt et, au-delà de cette somme, il ne dépassera jamais 1 %.
Voilà les chiffres. Nous les avons récemment revus avec l'UNAPL, et ils ne
sont pas contestés.
J'en viens maintenant à l'assurance maladie.
MM. Fourcade, Descours, Oudin et Huriet ont considéré que notre projet n'était
pas assez volontariste en matière d'économies.
J'ai bien entendu que vous souhaitiez réaliser un certain nombre d'économies,
notamment au niveau de la gestion, étant rappelé que les frais de gestion des
différentes caisses s'élèvent à 44 milliards de francs.
Qu'il faille être vigilant, je suis la première à en être convaincue. Nous en
avons parlé encore récemment avec le président de la Caisse nationale
d'assurance maladie.
Les dépenses des caisses, ce sont d'abord, pour 70 %, des dépenses de
personnel. Ce sont aussi des investissements technologiques et des dépenses
visant à assurer un accueil convenable des assurés.
On ne baisse pas les frais de gestion ou les coûts d'organisation des caisses
juste comme cela ! D'ailleurs, des conventions d'objectifs et de gestion sont
passées entre les caisses et l'Etat. Des conventions signées par mon
prédécesseur sont en cours d'application. Les dépenses inscrites dans les
prévisions sont la traduction de ce que M. Barrot a signé avec ces caisses.
Pour le moins, la signature de l'Etat doit être respectée. En tout cas, je
l'honorerai, ce qui ne m'empêchera pas, bien évidemment, de parler économies
avec les différents présidents de ces mêmes caisses.
On a aussi évoqué de prétendus retards de notre part. Or, dès notre arrivée,
Bernard Kouchner et moi-même avons été parfaitement clairs devant les
représentants des syndicats de médecins que nous avons reçus deux ou trois
semaines après notre prise de fonctions : nous leur avons bien dit que la
maîtrise des dépenses de santé devait rester une réalité. Nous savons
pertinemment que c'est la condition de survie de notre système de protection
sociale.
Il existe des outils mis en place par le plan Juppé, dont certains, tel le
reversement collectif, sont critiqués. Nous avons dit aux médecins que ce
système n'était peut-être pas parfait, qu'il était sans doute injuste, mais que
nous ne le changerions pas tant que nous n'en aurions pas trouvé un
meilleur.
M. Jacques Oudin,
rapporteur pour avis.
C'est très bien, cela !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Il faut nous écouter, monsieur
le rapporteur ! Eux nous ont écoutés !
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Juppé disait la même chose !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Nous allons mettre en place un
groupe de travail qui commencera, au début du mois de décembre prochain, à
réfléchir avec les syndicats de médecins à un autre système. Si nous trouvons
un système plus cohérent et plus efficace, nous le mettrons en oeuvre.
Vous nous avez demandé si notre discours sur la vigilance relative aux
dépenses de santé avait été entendu. Ce discours nous l'avons tenu jour après
jour, car nous savons très bien que tout ce qui a été fait est d'une terrible
fragilité et qu'un discours centralisé et comptable n'a jamais changé les
pratiques de santé dans aucun pays.
C'est bien par la concertation avec l'ensemble des partenaires, et non pas en
renvoyant sur le bord de la route ceux qui ne sont pas d'accord avec nous, que
nous avancerons. C'est la raison pour laquelle nous avons remis dans le jeu
l'ensemble des syndicats de médecins, car il n'est pas acceptable, dans notre
pays, de penser que l'on peut régler les problèmes de santé dans le cabinet
d'un premier ministre, sans se concerter avec les professionnels de santé,
qu'ils soient hospitaliers ou de médecine libérale.
En ce qui concerne le partage de l'information, notre conviction profonde, à
Bernard Kouchner et à moi-même, c'est que nous n'avancerons véritablement dans
la maîtrise des dépenses de santé que lorsque nous connaîtrons les chiffres
précis. Un groupe de travail sera mis en place, là encore, début décembre, qui
rassemblera la CNAM, des médecins et nous-mêmes, pour que nous puissions
connaître le plus vite possible, mois par mois, les chiffres par région, par
caisse, par risque, afin que l'on puisse faire une analyse collective des
débordements et prendre les bonnes décisions.
C'est comme cela que l'on progressera, et non pas en prenant des sanctions
individuelles ou en montrant du doigt telle ou telle personne.
J'en viens à l'informatisation.
Lorsque nous sommes arrivés, il existait un certain nombre de projets : le
projet SESAM-VITALE d'automatisation des feuilles de soins, dont la maîtrise
d'ouvrage est assurée par la CNAM ; le réseau santé sociale, qui est un réseau
neutre et ouvert, construit sur des normes Internet ; enfin, la carte des
professionnels de santé.
Nous avons très rapidement compris, en écoutant les spécialistes, que ces
systèmes étaient à la fois coûteux et incohérents, et qu'ils comportaient de
nombreux risques. Il ne suffit pas d'avoir des câbles ; encore faut-il savoir
ce que l'on va mettre dedans ! Nous voulons éviter que, demain, nos médecins
reçoivent surtout de la publicité des laboratoires pharmaceutiques, au lieu de
recevoir une information qui a été contrôlée selon des règles d'éthique et des
règles scientifiques.
Dans quelques jours, nous allons désigner un « Monsieur Informatisation », qui
va s'attacher à rendre de la cohérence à l'ensemble de ces systèmes, afin de
réinjecter de l'éthique et de l'efficacité dans ce qui n'est constitué
aujourd'hui que de beaucoup de paroles, mais de très peu d'action, et qui, en
tout cas, a coûté extrêmement cher.
Sur l'hôpital, on nous dit, là encore, que nous tardons. Mais que s'est-il
passé ?
Le précédent gouvernement a mis en place ARH, ou des agences régionales
hospitalières, dirigées par des hommes qui n'ont pas véritablement de statut et
dont le salaire a été fixé à la tête du client, et je pèse mes mots.
(Murmures d'approbation sur les travées socialistes.)
Le précédent gouvernement s'est débarrassé du problème des hôpitaux en
s'en remettant à ces fonctionnaires. Comme s'il était possible de traiter des
problèmes tels que la fermeture d'un service dans un hôpital, la transformation
d'un service de court séjour en service long séjour - ou tout simplement la
mobilité à l'intérieur d'un hôpital - ou la passation d'un accord entre une
clinique privée et un hôpital public uniquement en s'en remettant à un
fonctionnaire, aussi expert soit-il.
Un hôpital, c'est, pour les Français, la santé à proximité de chez soi ; c'est
un lieu d'emploi, et c'est parfois le principal employeur d'une localité ;
c'est un lieu d'aménagement du territoire.
Nous reprendrons donc le problème de l'hôpital en partant des besoins de santé
de la population, en partant de l'analyse des risques du fonctionnement et de
bonne gestion des hôpitaux existants et en discutant, comme M. Bernard Kouchner
l'a fait à Pithiviers ces derniers temps, avec les élus, avec la population,
avec les médecins, pour savoir quelle est la bonne décision à prendre.
C'est donc l'inverse de ce qui a été fait précédemment puisque n'ont été
prises, jusqu'à l'été dernier, que des décisions comptables et technocratiques.
Nous prendrons nos responsabilités ; nous irons nous expliquer avec les élus,
nous ne nous cacherons pas derrière un fonctionnaire pour arrêter des
décisions. C'est d'abord l'état de santé de la population qui est en cause.
Nous ferons en sorte de privilégier la sécurité et la proximité si nous le
pouvons, tout en réduisant les gâchis.
Nous savons aussi que la mobilité est importante et que les lits pour les
handicapés et les personnes âgées manquent dans l'ensemble de nos régions. Par
conséquent, lorsqu'il faudra effectuer des reconversions, eh bien ! nous les
ferons pour répondre à ces besoins. Alors, qu'on ne nous dise pas que nous
avons perdu notre temps !
(« Très bien ! » sur les travées socialistes.)
Nous allons procéder à une révision des SROSS et, là aussi, je souhaite
dire très simplement les choses. Les SROSS existaient ! C'était une première
génération : quelques-uns étaient d'excellente qualité alors que d'autres
étaient très moyens, voire inexistants.
Nous avons décidé de relancer cette réflexion sur les schémas régionaux
d'organisation sanitaire et sociale, afin de pouvoir prendre les bonnes
décisions, après une concertation avec les élus et la population dans le cadre
des états généraux dont vous entretiendra tout à l'heure Bernard Kouchner.
J'en viens maintenant à la famille. Beaucoup d'entre vous en ont parlé,
notamment MM. Machet, Gournac et Lorrain. Je tiens à rappeler - mais Mme
Derycke l'a très clairement dit - la raison pour laquelle nous avons été
conduits à prendre des mesures : aujourd'hui, la branche santé est fortement
déficitaire - de 13 milliards de francs - et si nous désirons continuer à aider
les familles, il faut commencer par réduire ce déficit.
Je souhaite d'ailleurs indiquer à ceux qui disent que ces fonds ne sont pas
affectés aux familles que les économies réalisées cette année restent bien dans
la branche famille et qu'elles nous permettront, par exemple, d'étendre à tous
les enfants le bénéfice des allocations familiales en faisant passer l'âge
requis de 18 à 19 ans ; cette mesure sera notamment utile aux familles dont les
enfants ne poursuivent pas leurs études mais sont sans travail et qui,
aujourd'hui, ne perçoivent pas des allocations familiales.
Quant à la responsabilité sur les déficits actuels, j'ai dit, dès mon propos
introductif, qu'elle nous incombait à tous. En tout cas, une chose est claire :
nous ne ferons pas, nous, voter des lois que nous ne pourrons pas financer. Ne
pas se moquer des familles, c'est d'abord ne pas leur promettre des mesures que
nous ne serons pas capables de financer. Si nous étions obligés d'appliquer la
« loi Balladur » de 1994, ce seraient 10 milliards de francs de plus, je le
rappelle, qui s'ajouteraient au déficit d'ici à la fin de l'année 1999. Notre
pays ne pourrait pas le supporter ! Il faudra donc revoir tout cela.
Je ne reviendrai pas sur le récent débat que nous avons eu sur la famille. Je
souhaite simplement apporter quelques précisions eu égard à certaines
interventions.
On s'est félicité du succès de l'allocation parentale d'éducation. Très bien !
Mais, dans le même temps, on nous a reproché de renvoyer les femmes à la maison
en supprimant les allocations familiales à partir d'un certain niveau de revenu
ou en réduisant les avantages de l'AGED.
Là aussi, soyons clairs ! L'année prochaine, en raison des modifications que
vous avez apportées à l'allocation parentale d'éducation, notamment la dernière
réforme, 500 000 femmes seront retournées au foyer. Aujourd'hui, les mesures
proposées par le Gouvernement sur l'AGED cumulées à celles qui portent sur les
emplois familiaux toucheront 300 000 familles. On voit bien que le problème ne
se pose pas exactement dans les mêmes termes. Pour ma part, je suis convaincue
que lorsqu'on gagne en moyenne 50 000 francs nets par mois, ce n'est pas la
suppression de ces avantages qui ramènera les femmes à la maison, et je m'en
réjouis.
S'agissant de l'AGED - je l'ai indiqué en aparté à M. Joly - on nous dit que
200 000 emplois risquent de disparaître. Le passage de 100 % à 50 % de l'AGED
va toucher, aux dires mêmes des associations d'employeurs d'employés familiaux,
30 000 familles. Comment 30 000 familles pourraient-elles supprimer 200 000
emplois ? Cela aussi, il faudra me l'expliquer !
Quant à la Cour des comptes, on en a beaucoup parlé ce soir, pour la louer, ce
dont je me félicite.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mais alors, monsieur le
sénateur - et je me ferai un plaisir de vous l'envoyer - lisez les dix pages du
rapport de la Cour des comptes consacrées à l'AGED...
Un sénateur socialiste.
Tout à fait !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... et vous verrez combien
elles sont instructives ! Elles nous expliquent que l'AGED ne contribue pas à
améliorer la qualité des modes d'accueil, qu'elle correspond au mode de garde
le plus coûteux qui existe aujourd'hui en France et qui n'a son pareil dans
aucun autre pays, que le cumul de l'AGED et de la réduction d'impôt représente
une subvention élevée, croissant avec le revenu et profondément inégalitaire et
qu'elle peut contribuer à une ségrégation sociale. Dans ce domaine également,
la Cour des comptes doit être lue et entendue, j'en suis convaincue.
M. Claude Estier.
Vous allez mettre cela dans vos questions, monsieur Hamel !
M. Emmanuel Hamel.
Ne faites pas de sélection dans la lecture du texte !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je vous enverrai l'ensemble du
rapport - je vous citerai les dix pages sur l'AGED - avec un immense plaisir,
monsieur le sénateur !
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
C'est quand même le Parlement et le Gouvernement qui font des propositions
!
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
En ce qui concerne l'action
sociale de la branche famille, soyez assurés que je serai extrêmement attentive
à ce que la CNAF dispose des moyens nécessaires, notamment pour développer les
modes de garde collectifs et pour s'occuper des familles les plus
défavorisées.
L'avenant financier 1998-2000 à la convention d'objectifs et de gestion doit
être signé prochainement. Vous qui êtes soucieux de réaliser des économies sur
les frais de gestion - et je vous comprends - vous admettrez que nous
souhaitions faire un point sur l'efficacité des dépenses actuelles - c'est ce
que nous réalisons avec la CNAF - avant d'augmenter le budget d'action
sociale.
Je rappellerai, par exemple, que les 600 millions de francs annuels que Mme
Veil avait prévus pour le développement des aides aux crèches n'ont été
consommés qu'à hauteur des deux tiers, faute de correspondre aux attentes des
collectivités.
Par conséquent, il nous faut d'abord établir ce diagnostic avant de pouvoir
progresser.
J'en arrive aux questions de certains d'entre vous, notamment de M. Vasselle,
relatives à l'assurance vieillesse. Vous avez parlé de situation préoccupante
pour le régime général et pour les régimes spéciaux, et vous nous reprochez
notre attentisme.
Si je partage votre analyse, c'est uniquement pour reconnaître que c'est
l'ensemble des régimes français de retraite qui doit faire l'objet d'une
réflexion approfondie et non pas tel ou tel régime spécial que l'on montrerait
du doigt.
Il convient à cet égard, et le Gouvernement s'y est engagé, d'effectuer un
diagnostic général.
En effet, si, à la première lecture, des dispositifs paraissent plus
avantageux, il ne faut pas oublier que certains d'entre eux ne comportent pas,
par exemple, de retraite complémentaire, que d'autres prévoient un minimum
inférieur au minimum général. Ainsi, c'est l'ensemble des avantages qu'il faut
comparer et non pas tel ou tel dispositif.
Nous allons, je le répète, engager une large concertation en nous appuyant sur
l'observatoire des retraites, dont j'ai accepté la création devant l'Assemblée
nationale. J'espère que nous pourrons faire le point de la situation très
rapidement. Nous avons peut-être perdu du temps, mais je tiens à souligner que,
au mois de juin, nous avons éprouvé beaucoup de difficulté pour savoir où en
étaient les régimes spéciaux de retraite. Dans un certain nombre de domaines,
nous ne sommes pas encore totalement éclairés.
En ce qui concerne la revalorisation des pensions, les modalités seront
réexaminées dans le courant de l'année 1998, comme il se doit aux termes de la
loi de 1993.
Le Gouvernement a limité la hausse de la CSG sur les retraites à 2,8 points
pour qu'elle puisse être compensée par une baisse à due concurrence des
cotisations, ce qui n'avait été fait ni en 1993, ni en 1996, ni en 1997. Nous
souhaitons, effectivement, maintenir le pouvoir d'achat des retraités,
directement mais aussi indirectement, sans peser par des prélèvements
excessifs.
L'amélioration des pensions de réversion par une augmentation de leur taux de
54 % à 60 % coûterait 1,7 milliard de francs. C'est l'un des éléments qu'il
convient de prendre en compte. Toutefois, compte tenu de la situation
préoccupante dans laquelle se trouve la branche vieillesse - vous avez été
nombreux à insister sur ce point - s'agit-il aujourd'hui de l'une des priorités
? C'est l'un des points que nous aurons à examiner.
En ce qui concerne les fonds de pension, je souhaite, là aussi, rappeler la
position du Gouvernement ; elle est relativement claire et va tout à fait dans
le sens de ce qu'ont dit Mme Dieulangard et M. Fischer.
Tout le monde peut penser aujourd'hui que nous avons intérêt à favoriser ceux
de nos concitoyens qui épargnent pour leur retraite. Tout le problème est de
faire en sorte que cette épargne retraite par capitalisation ne remette pas en
cause, par des avantages injustifiés trop importants, nos régimes par
répartition, qui doivent rester au coeur de nos régimes de retraite.
Nous considérons donc que la loi Thomas - et c'est la raison pour laquelle les
décrets n'ont pas encore été pris - comportait de trop larges possibilités
d'exonération, sans qu'un accord collectif soit obligatoire - elle privilégiait
ainsi certaines catégories et risquait de faire concurrence au régime par
répartition - et qu'elle retirait un certain nombre de recettes à la sécurité
sociale par le transfert de salaires directs vers des salaires différés,
notamment pour les catégories les plus aisées des entreprises. Par conséquent,
nous devons être extrêmement attentifs.
Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie désignera, dans
quelques jours, une personnalité qui réexaminera ce problème des fonds de
pensions dans une logique qui est la nôtre : favoriser l'épargne-retraite, oui,
mais ne pas en profiter pour accorder des avantages disproportionnés à ceux de
nos concitoyens qui sont déjà privilégiés.
Nous avons vu quel a été le résultat s'agissant des emplois familiaux et de
l'AGED. C'est pourquoi nous ne resterons pas dans la logique de la loi Thomas
sur ce point.
M. Vasselle nous a demandé combien de lits restaient à financer, après les
places qui seront créées en sections de cure médicale ou en services de soins
infirmiers à domicile cette année.
S'agissant des services de soins infirmiers à domicile, il ne restera que
quelques centaines de lits à financer, chiffre qui sera d'ailleurs largement
dépassé l'année prochaine.
Pour ce qui est des sections de cure médicale, il restera 11 000 lits à
financer. Nous traiterons, là aussi, de ce sujet devant le Comité national de
coordination gérontologique.
Je souhaite dire maintenant quelques mots sur la prestation spécifique
dépendance, à la suite de l'intervention de M. Mercier. Globalement, je partage
assez bien son analyse. Effectivement, nous pouvons critiquer aujourd'hui cette
prestation spécifique dépendance - d'ailleurs, nous l'avions fait au moment où
votre assemblée l'avait proposée et votée - mais elle a le mérite d'exister,
après plusieurs textes de loi et diverses expérimentations qui sont restés sans
suite.
Cette loi se qualifie elle-même d'« intérimaire » et - vous l'avez rappelé -
constitue donc le préalable d'une réforme plus importante.
J'ai dit moi-même, tout à l'heure, qu'elle me paraissait présenter un double
avantage : le premier, c'est d'avoir mis en place une grille d'évaluation de la
dépendance à l'échelon national, qui d'ailleurs n'est pas contestée et, le
second, c'est d'avoir obligé les acteurs de terrain à mieux coordonner leurs
actions et à travailler en réseaux.
Aujourd'hui, cette loi ne répond pas à notre attente, et ce pour deux
raisons.
Tout d'abord, il existe effectivement des différences extrêmement grandes d'un
département à l'autre puisque les aides, notamment en faveur des
établissements, varient de un à dix. Tel est le bilan que nous présenterons
devant le Comité national de gérontologie dans quelques jours.
Ensuite, s'agissant de l'aide à domicile, certains départements ont incité les
personnes âgées qui bénéficient d'une exonération à 100 % des cotisations
sociales à utiliser du personnel de gré à gré. Il en est résulté une perte de
qualité des services puisque, très souvent, il ne s'agit pas de personnes «
professionnalisées », au sens fort du terme.
Il nous faut donc revoir, si possible avant l'été, les deux grands aspects de
cette réforme, à savoir l'ensemble des aides à domicile et la tarification des
établissements. J'espère que nous parviendrons avec les professionnels, les
conseils généraux et l'Etat à nous mettre d'accord sur ces projets de
tarification.
Enfin, en ce qui concerne les aides à domicile, il importe que nous
réexaminions attentivement l'ensemble des aides qui sont octroyées dans notre
pays.
Nous travaillons aujourd'hui sur des aides qui se sont ajoutées les unes aux
autres. Tout à l'heure, nous avons parlé de la famille et nous avons constaté
les effets pervers de ces aides, qui correspondaient, selon les époques, à des
philosophies extrêmement différentes.
Finalement, une seule question se pose aujourd'hui : quand l'Etat ou les
collectivités publiques doivent-ils aider au maintien à domicile d'un
particulier, d'un enfant, d'un handicapé ou d'une personne âgée ?
Sans doute nous faut-il entreprendre une réflexion qui repose sur une double
logique.
Une logique de dépendance physique : appréhender l'enfant jeune, la personne
handicapée, la personne âgée en fonction de son niveau de dépendance.
Une logique fondée sur l'aspect financier : est-il normal aujourd'hui - et
c'est l'ancien Premier ministre qui s'interrogeait - de donner à des personnes
âgées qui font parfois partie des plus grandes fortunes de notre pays les mêmes
avantages - en termes de réduction des cotisations sociales ou de réduction
fiscale - qu'à des personnes qui n'ont pas les moyens de se payer quelqu'un à
domicile ?
Comme certains l'ont souligné tout à l'heure, être âgé aujourd'hui ne
constitue pas un risque. Tous ces systèmes ont été mis en oeuvre à une époque
où le départ à la retraite intervenait à 65 ans et où l'espérance de vie
atteignait, en moyenne, 70 ans. Aujourd'hui, on prend sa retraite à 60 ans,
alors que l'on vit en moyenne jusqu'à 80 ans.
Dans ces conditions, ne faut-il pas envisager une autre façon de répartir les
ressources publiques ? Cela fait partie de la réflexion que nous allons
entreprendre dans les semaines à venir avec la personnalité que je désignerai
pour travailler sur ces problèmes d'aides à domicile.
Comme M. Kouchner et moi-même l'avons déjà souligné, nous devons, en matière
de protection sociale, être à la fois modestes et déterminés.
Nous devons être modestes, car beaucoup de choses ne dépendent pas de nous.
Nous ne sommes pas là lors de l'application du budget de l'Etat. Ce n'est pas
nous qui prenons les décisions ; ce sont nos concitoyens, les professionnels de
santé et un certain nombre d'institutions. C'est donc par la conviction - et la
politique, dans le fond, c'est aussi cela - par le volontarisme, par le respect
des règles et des valeurs que nous parviendrons à sauver effectivement, tous
ensemble, notre protection sociale.
C'est la raison pour laquelle nous estimons que la méthode technocratique et
centralisée ne peut être une bonne méthode, et c'est pourquoi, dans tous les
domaines, nous essaierons de travailler dans la concertation et, le plus
possible, par le débat démocratique sur le terrain.
A cet égard - je le dis très cordialement - le projet présenté par la majorité
sénatoriale ne nous permet pas d'avancer, et on perçoit bien la difficulté de
la question. Dans le fond, les prélèvements que vous proposez existent déjà.
Vous souhaitez augmenter de 0,1 % la CSG, sans aucune contrepartie en termes
de pouvoir d'achat, contrairement à ce que nous proposons. Nous estimons en
effet qu'il est sain, pour des raisons de justice sociale et pour des raisons
économiques, de fixer des contreparties.
Vous proposez donc des prélèvements, mais aussi plus de déficit, car je n'ai
toujours pas compris où se trouvaient les économies que vous voulez réaliser.
Je pense, pour ma part, que nous devons mener jusqu'à leur terme les
conventions que nous avons conclues avec les caisses. Elles ont été signées et
nous devons respecter la signature de l'Etat.
Il y aurait donc, si nous vous suivions, un peu plus de déficit et surtout, je
le crois, moins de solidarité. Or nous avons voulu, dans la branche famille,
apporter de la solidarité dans un pays en crise où, il faut bien le dire,
certaines familles souffrent beaucoup plus que d'autres. Les Français l'ont
d'ailleurs très bien compris même s'il nous faut mettre en place une véritable
politique de la famille qui prenne en compte non seulement les prestations
familiales mais aussi certains éléments, tels que la durée et l'aménagement du
temps de travail, l'éducation, le logement et la sécurité, c'est-à-dire tous
ces problèmes qui touchent nos familles.
Soyez en tout cas certains, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous
continuerons avec la même détermination à faire en sorte que notre système de
protection sociale devienne pérenne, c'est-à-dire qu'il atteigne le plus
rapidement possible l'équilibre tout en traitant au mieux les besoins de la
population - je pense notamment aux besoins de santé - afin que les plus
fragiles d'entre nous soient mieux protégés.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je rends hommage à
votre courage, mais je constate qu'il est zéro heure quarante-cinq et je sais
que, pour être populaire, il ne faut pas abuser de votre temps.
(Sourires.)
Ces nobles murs si bien décorés ont entendu de fortes paroles
aujourd'hui. J'évoquerai simplement quelques souvenirs pour vous dire à quel
point la modestie - puisque je ne traiterai que des dépenses de santé et de
l'hôpital - sied à ce sujet.
J'étais déjà ministre de la santé en 1992, lorsque j'ai entendu M. Alain Juppé
protester contre la maîtrise, médicalisée à l'époque, des dépenses de santé que
M. René Teulade et moi-même tentions de faire accepter, du moins dans les
esprits.
M. François Autain.
C'est un mauvais souvenir !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je me souviens qu'à ce moment-là nul n'aurait pu
penser, pas même vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que M. Juppé allait
décidément être le chantre de la maîtrise, médicalisée ou non, des dépenses de
santé !
Et puis, vous vous souvenez tous - je ne le dis pas dans un souci de polémique
- que M. Chirac avait déclaré, au cours de la campagne pour l'élection
présidentielle, que la maîtrise des dépenses de santé n'était pas un
problème.
Aussi ai-je entendu avec beaucoup de surprise M. Chirac affirmer voilà
quelques semaines devant une délégation de toutes les organisations syndicales
médicales qu'il n'était pas question de maîtrise comptable, ni de maîtrise du
tout des dépenses de santé.
Il est difficile, dans ces conditions, de se faire une idée. Certes, tout le
monde s'accorde pour ne pas dépenser plus que ce qu'il a. En matière de
dépenses, introduire un litre et demi dans un litre est très difficile. Cela
déborde ! Ce n'est pas si facile. Sans les médecins, sans les élus, sans la
population et sans concertation, cela ne fonctionnera jamais. La preuve en est
que cela n'a pas marché pour M. Juppé. Nous ne nous en plaignons pas puisque
nous sommes ici, mais nous le regrettons du point de vue des dépenses de santé.
Le déficit de la sécurité sociale, qui atteignait 53 milliards de francs en
1996, s'élèvera à 37 milliards de francs en 1997. Ce rappel ne me réjouit pas
mais c'est ainsi.
Et puis, vous le savez, puisqu'il y a de nombreux médecins parmi vous, les
dépenses médicales, avant d'être ordonnées, s'additionnent, elles ne se
soustraient pas. Lorsqu'il s'agit de votre enfant ou de l'un de vos parents,
vous exigez, lorsqu'il subit le moindre traumatisme, qu'il passe un scanner.
Cet acte médical coûte plus cher qu'une simple radio du crâne ou qu'un examen
clinique, mais il en est toujours ainsi.
Tout s'additionne pendant un certain temps. Comment peut-on ordonner et
maîtriser les dépenses de santé ? Un certain nombre de sénateurs ayant quitté
l'hémicycle, je répéterai ce que j'indiquais à M. Descours : il est facile de
parler ainsi de maîtrise des dépenses de santé entre nous, car nous la
souhaitons tous. Seulement, quand il s'agit de votre hôpital, mesdames,
messieurs les sénateurs, le discours change totalement.
Je me rends souvent sur place - et je ne m'en plains pas ; je poursuivrai
cette démarche - pour discuter avec les élus, les syndicats, hôpital par
hôpital, non pas dans un but de maîtrise des dépenses de santé - nous n'en
sommes pas là - mais pour renforcer tel ou tel service. Car les hôpitaux de
proximité sont nécessaires. Il faut aussi assurer l'égalité d'accès aux soins
pour tous, et ce ne sont pas de vains mots. C'est une idée forte dans notre
système de protection sociale. Lorsque l'un d'entre vous me tient un discours
complètement différent de celui qu'il prononce ici, il devient alors plus
proche des réalités.
Oui, je sais - je l'ai dit et écrit - qu'il est nécessaire de diminuer les
dépenses de santé et le nombre des examens. Mais le niveau de santé ne doit pas
baisser. Tel est ainsi résumé le problème.
Il y aura une harmonisation. Il y aura ce que l'on appelle, et j'y reviendrai,
les RMO, c'est-à-dire les examens négatifs, ceux qu'il ne faut pas faire il y
aura peut-être aussi des RMO positifs. Tout cela s'ordonne. Certes, des
instruments sont imparfaits, mais nous souscrivons à toutes ces
recommandations. Toutefois, cela ne suffit pas.
J'ai personnellement appris - j'ai déjà été ministre de la santé, j'ai été un
médecin, mais aussi un malade - que l'on n'y parviendra qu'avec l'assentiment
de tous. Il faut une concertation avec les élus. Le plan Juppé prévoyait - ce
n'était pas la moindre mesure - que le maire de la ville ne soit plus président
du conseil d'administration de l'hôpital. Après tout, cette mesure n'était pas
si sotte car le maire est forcément influencé. Mais ce dispositif n'a pas
fonctionné.
Comment peut-on imaginer que l'élu se désintéresse de son hôpital, qui est la
vie même au coeur de sa ville et qui est l'expression d'un corps vivant ?
L'hôpital n'est pas une entreprise comme les autres. Nous y sommes attachés
parce qu'il est le premier employeur. Sa suppression aurait de terribles
conséquences sur l'identité même de la ville, alors que le travail manque, que
le chômage gagne parfois et que l'école a quelquefois fermé. Quand ferait-on de
la politique alors ? Il faut mener toutes ces actions de front. Ce n'est pas
simple, et les querelles qui nous opposent les uns et les autres ne sont plus
de mise face à ce grand problème.
Le système performant que nous avions après la guerre s'est quelque peu
dégradé parce qu'il ne s'est pas adapté aux réalités. Ce système se déroulait
en vase clos. Le marché était captif et n'a pas fonctionné, notamment pour nos
produits pharmaceutiques. Certains laboratoires ont disparu alors que,
justement, ils devaient bénéficier de ce marché captif.
On note des aspects un peu mystérieux en ce domaine, et les positions
idéologiques et les certitudes que j'ai entendues, face à la réalité à laquelle
est confronté un hôpital, ne pèsent pas lourd.
Je suis infiniment partisan de la maîtrise des dépenses de santé. Je ne peux
pas faire autrement. Quand nous avons proposé une maîtrise médicalisée des
dépenses de santé, vous n'en avez pas voulu
(M. le rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance
maladie fait un signe de dénégation.)
Je parlais de la majorité
sénatoriale ; peut-être l'avez-vous voulue, monsieur Descours ?
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. Descours, rapporteur, avec l'autorisation de M. le
secrétaire d'Etat.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Je rappelle que j'ai été rapporteur du projet de loi relatif à la maîtrise
médicalisée des dépenses de santé que M. Teulade et vous-même avez présenté. La
majorité sénatoriale a adopté ce projet de loi et les sénateurs socialistes se
sont abstenus.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel.
Excellent rappel !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Le rappel précédent de l'action que j'ai entreprise
n'avait pas soulevé le même enthousiasme, mais j'espère que vous ne l'avez pas
considéré comme complètement inutile !
La maîtrise médicalisée des dépenses de santé a été remplacée par une maîtrise
plus dure. Certes, il ne s'agit pas de l'objectif ni de l'essence même du
projet, monsieur Descours, mais la méthode est essentielle. Les moyens qui ont
été employés ne sont pas bons. La preuve, c'est que non seulement le système a
dérapé - en termes comptables, il n'a pas fonctionné - mais aussi, dans les
faits, les conséquences sociales et politiques ont été absolument
insupportables.
Dans votre rapport, monsieur Descours, vous évoquez des signes de relâchement
de la politique de maîtrise des dépenses de santé qui se traduisent, dans les
faits, par les premiers dérapages.
Non, monsieur Descours, nous ne faisons pas preuve de laxisme. Les dérapages
enregistrés aux mois de juillet et d'août - Mme Aubry a déjà répondu à cette
question - sont dus, vous le savez certainement, à l'arrêté pris par M. Barrot.
Notamment, les marges consenties aux pharmaciens ont coûté 400 millions de
francs en année pleine. Les prix figurant sur les boîtes de médicament n'ont
pas pu être corrigés immédiatement et ont donc été remboursés sur cette base
pendant deux mois ; ensuite, en septembre, l'augmentation s'est élevée à 0,1 %.
Vous voyez donc que le système n'a pas beaucoup dérapé.
Vous nous reprochez la taxation sur la promotion, mais il n'est pas nécessaire
de dépenser autant d'argent pour inciter les médecins à prescrire tel ou tel
médicament alors que, justement, pour les médicaments essentiels, le système
fonctionne. Tel est le sens même de notre action. En concertation avec la
profession, nous engagerons une autre réflexion pour faire diminuer les
pressions subies par les médecins lors de visites médicales qui sont le
contraire de l'information médicale et qui entraînent un dérapage des dépenses
de santé.
Monsieur Descours, vous avez indiqué que l'objectif de 2 % ne nous permettrait
pas de recruter des praticiens hospitaliers. Le problème, avez-vous dit, tient
au statut, et vous avez raison. Mais il n'y a pas que les praticiens
hospitaliers. Les personnels infirmiers étaient tellement « écrasés » que les
départs à la retraite n'étaient pas suivis d'embauche comme ils auraient dû
l'être et les remplacements n'étaient pas effectués pendant les vacances.
L'objectif de 2 % ne concerne pas seulement les praticiens. En ce domaine,
l'étude d'un nouveau statut est nécessaire. Il faut dans l'urgence, autour des
quatre groupes de travail que nous avons institués, à savoir l'anesthésie,
l'obstétrique, la radiologie et la psychiatrie, essayer de parer au plus
pressé.
Mais le changement des statuts est nécessaire, tout comme la modification des
études médicales ou le remplacement de l'internat par une autre formule pour ne
pas sélectionner les généralistes par l'échec. Nous nous y emploierons mais il
nous faudra, monsieur le rapporteur, au moins dix ans.
Nous avons des projets - et nous serions très heureux d'en débattre avec vous
- pour harmoniser les études des spécialistes et des généralistes car - c'est
une évidence - il est beaucoup plus difficile de connaître tout sur tout et
d'être un bon interne que de connaître tout sur un seul organe. Il n'y a donc
aucune raison pour que l'acte intellectuel soit rémunéré différemment si nous
parvenons à réformer ces études.
L'adaptation de notre système de santé vise-t-il à répondre aux attentes des
Français ? C'est la question que s'est posée Mme Borvo en abordant de nombreux
problèmes de santé publique, et notamment le saturnisme. Je vous ai déjà
répondu qu'avec Louis Besson - vous en constaterez les premières conséquences
dans quelques semaines - nous avons entamé un inventaire de ces maisons où la
peinture au plomb du début du siècle est encore présente. Vous savez que la
difficulté consiste à reloger les familles pendant le temps des travaux et à
hospitaliser ceux qui ont souffert des conséquences d'une hyperplombémie, mais
nous allons le faire très rapidement.
S'agissant de l'hépatite C, vous savez que les centres de diagnostic anonyme
et gratuit s'occupent du dépistage non seulement du HIV, mais également de ces
hépatites.
En ce qui concerne les dispositions propres au tabagisme et à l'alcoolisme,
nous avons fait passer de 20 millions de francs à 50 millions de francs la
dotation du fonds de lutte contre le tabagisme et, si nous n'avons pas fait
plus, je l'ai dit, c'est parce que nous n'avions pas de quoi recueillir plus
d'argent.
Nous nous sommes ainsi adaptés, ainsi que vous le souhaitiez, madame Borvo,
aux conclusions de la conférence nationale de santé publique.
S'agissant du sujet essentiel du suicide des adolescents, dont nous détenons
le record mondial, nous allons faire en sorte que leur suivi soit assuré, que
lorsqu'ils arrivent dans un service d'urgence ils soient vus par un psychiatre,
avant, ensuite, ce qui n'est pratiquement jamais le cas, d'organiser leur suivi
à la sortie de l'hôpital. Là aussi, madame Borvo, cela veut dire que nous
devons former des psychiatres. S'ils n'existent pas, en effet, ils ne pourront
pas suivre ces jeunes ! Cela suppose que les psychiatres ne doivent pas
s'installer seulement en ville, fuyant l'hôpital général, comme ils le font, à
cause de problèmes de statut et de salaire.
Beaucoup d'entre vous ont souhaité connaître le calendrier des états généraux,
en particulier M. Descours. Un groupe de pilotage sera mis en route dans les
jours qui viennent. A partir du premier trimestre, des débats auront lieu dans
les régions. Nous espérons - gardez ce chiffre pour vous, car je ne sais pas si
nous l'atteindrons parce que cela supposerait cent réunions - que, dans chaque
région, se dérouleront quatre ou cinq réunions sur des thèmes d'intérêt à la
fois régional et général sur l'équilibre du système de santé dans les régions,
sur les besoins de santé publique et sur tous les sujets de la santé publique ;
puis, après ces débats régionaux - mais ce n'est pas à moi d'en décider - avant
la fin de 1998, puisque M. le Premier ministre a promis que cela se passerait
en 1998, les sujets qui auront été traités dans les régions donneront lieu à
deux ou trois jours de débats de synthèse à Paris.
Je ne veux pas abuser de mon temps de parole...
M. le président.
Vous avez tout le temps, monsieur le secrétaire d'Etat : aucune limitation
n'est prévue pour les membres du Gouvernement !
M. Emmanuel Hamel.
C'est passionnant !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Si vous me dites que c'est passionnant, monsieur
Hamel, je continue !
(Sourires.)
Vous avez critiqué le retard pris dans la mise en place de l'ANAES. Je
vous rappelle que cette agence a été créée par nos prédécesseurs, mais qu'elle
ne s'était pas encore réunie, n'ayant ni secrétaire général ni directeur. Cette
agence est destinée à accréditer les services au regard de la qualité, ce qui
est essentiel. Nous ne l'avons pas remise en cause, au contraire ! Ce qui est
en cause, en effet, c'est non seulement la qualité des hôpitaux, mais aussi
celle des services à l'intérieur des hôpitaux.
Je vous rappelle que l'agence nationale pour le développement de l'évaluation
médicale, l'ANDEM, que nous avions créée et qui était son prédécesseur très
légitime puisqu'elle remplissait la même tâche en matière de qualité, était
dotée de 36 millions de francs pour son fonctionnement ; l'ANAES est dotée de
130 millions de francs, dont 80 millions de francs figurent au budget de
l'Etat. Ce n'est peut-être pas assez, mais c'est quand même beaucoup plus !
L'ANAES travaille maintenant sur quinze nouveaux thèmes et références. Il
s'agit des références médicales opposables négatives - « Monsieur le docteur,
vous ne devez pas faire cela » - que nous voulons en partie transformer en
références positives, ce qui économiserait beaucoup d'argent : « Monsieur le
docteur, vous devez faire cela devant telle situation pathologique ».
L'accréditation sera un moyen d'éviter que nous trouvions dans la presse, dans
Science et avenir
ou dans quelque autre publication, l'attribution aux
services hospitaliers d'une, de deux ou de trois étoiles. C'est, en effet, à
nous de le faire !
Je rappelle à cet égard à ceux qui nous ont posé la question que le PMSI ou
le point ISA dont deux instruments de mesure qui sont à la disposition de tous
: nous avons rendu publiques toutes ces notions. Nous espérons simplement que
la direction des hôpitaux et nous-mêmes nous en servirons avant la presse et
que nous éviterons les mauvaises surprises avec de mauvais étiquetages qui
paraîtraient à l'improviste dans la presse et qui entraîneraient, comme
d'habitude, beaucoup de bruit, et surtout des commentaires discutables.
Vous avez dit, monsieur Descours, que nous faisions peser trop d'efforts sur
les professionnels libéraux. Franchement, je ne vois pas comment vous pouvez
dire cela ! Les professionnels libéraux bénéficient de 2,1 points
d'augmentation par rapport aux 2,2 points de l'hôpital et, véritablement, avec
0,1 point d'écart entre les objectifs libéraux et hospitaliers, dire que nous
faisons peser tout l'effort de maîtrise sur les libéraux, c'est exagéré.
Par ailleurs, Martine Aubry a évoqué le reversement que nous n'avons pas
souhaité faire disparaître parce que c'était un levier dont nous avions encore
besoin. J'espère que cela ne dérapera pas, même si, je n'en suis pas sûr, mais
nous avons beaucoup insisté, Martine Aubry et moi-même, en allant voir les
médecins de MG France qui ont choisi l'avenant à la convention et qui sont
devenus médecins référents, pour leur dire que rien n'était fait et qu'il
fallait absolument veiller sur les dépenses de santé. Nous espérons aussi que
d'autres médecins ne joueront pas le jeu inverse en faisant basculer tout notre
système sous le prétexte de querelles syndicales.
Vous m'avez interrogé sur les primes des fonctionnaires hospitaliers au regard
de la CSG : selon vous, ils seraient défavorisés par le transfert de la
cotisation maladie vers la CSG. Une compensation sera assurée, comme en 1997,
et le coût en est intégré dans l'enveloppe prévue pour l'hôpital, monsieur
Descours.
Monsieur Oudin, vous disiez, à propos du tabac, qu'il aurait mieux valu
augmenter les droits de consommation au profit de la CNAM. Permettez-moi de
citer quelques chiffres. Les droits de consommation sur le tabac rapportent à
l'Etat 54 milliards de francs, dont 2,8 milliards de francs seulement sont
affectés à la Caisse nationale d'assurance maladie, ce qui n'est vraiment pas
beaucoup.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
C'est un scandale !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je vous remercie de le dire !
La nouvelle taxe de santé publique sur le tabac vise à augmenter le prix de
vente des tabacs, y compris celui des tabacs à rouler puisque, comme je vous
l'ai dit, l'écart est de 7 %. C'est une taxation complexe, mais nous allons
engager l'argent que nous allons en retirer dans la lutte contre le tabagisme,
en particulier à destination des jeunes.
M. Emmanuel Hamel.
Et des sénateurs, car trop de nos collègues fument !
(Sourires.)
M. le président.
Allons, monsieur Hamel !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
C'est pourtant assez juste, monsieur le président ! Et
l'on pourrait également le dire des médecins...
Je crois avoir répondu sur la question du PMSI, et Mme Aubry a répondu sur
l'essentiel des autres points.
S'agissant de l'informatisation des professions de santé, il y aurait beaucoup
à dire sur SESAM-VITALE 1 et SESAM-VITALE 2 et sur l'expérience en Bretagne,
qui n'a pas encore été lancée.
Madame Borvo, au sujet de la campagne de dépistage des cancers, un effort plus
important a été consenti, et les tranches d'âge pour les cancers féminins, ce
qui est un objectif prioritaire, ont été bien définies. La manière qualitative
dont ces examens seront proposés va tout changer, puisque 20 à 30 % de ces
examens, notamment en ce qui concerne le cancer du col, n'étaient pas
interprétables, ce qui, dans notre pays, était très dommageable en termes non
seulement de santé publique mais aussi de coût.
Vous nous avez également interrogés sur l'inégalité des moyens entre les
établissements de santé en Ile-de-France. L'Assistance publique de Paris doit
évoluer et, notamment, s'ouvrir à la concertation.
Mme Dusseau est absente, mais je lui aurais volontiers répondu : nous voulons
plus de sécurité, et plus de prévention.
Monsieur Huriet, s'agissant de la modernisation de l'administration, nous
poursuivons la mise en oeuvre du dispositif que M. Gaymard a lancé. Sa mise en
place, avec le financement nécessaire, demanderont cependant quelques mois. En
effet, il convient de se préoccuper de la capacité de l'administration centrale
à prendre en charge son rôle de pilotage, de revoir l'organisation des services
concentrés - vous avez tout à fait raison à cet égard - afin que les agents qui
sont débordés par les tâches supplémentaires qui leur sont confiées, notamment
en matière de sécurité sanitaire, soient à même de remplir leur mission. Il
faut donc tenter de préciser leurs tâches. En effet, vous le savez, toutes les
organisations que nous avons mises sur pied - établissements et instituts -
assument des tâches multiples qui sont parfois redondantes les unes par rapport
aux autres. Il faut les rendre transparentes.
S'agissant de l'expérimentation des filières et des soins, le système est mis
en place sous la direction de M. Soubie. Sept dossiers lui ont ainsi été
attribués dès maintenant.
Nous avons confié également aux médecins référents, grâce à l'avenant
conventionnel, un rôle en matière de santé publique centré très précisément sur
l'hépatite C, l'alcool et le tabac. Nous expérimenterons cette initiative, car
le dépistage de l'hépatite C constitue l'un de nos grands chantiers.
La formation continue obligatoire est malheureusement en panne. Mais ce n'est
pas de notre faute, monsieur Huriet ! Nous l'avons trouvée en panne et nous
l'avons débloquée. Nous l'avons fait de façon arbitraire, ce qui ne nous plaît
pas, puisque les syndicats étaient dans un tel état d'esprit, après le fameux
plan Juppé - pardonnez-moi de vous le dire encore une fois - qu'ils ne
s'adressaient plus la parole. Ils étaient donc incapables de mettre en place et
de faire démarrer entre eux cette formation continue. Ce n'était pas l'argent
qui manquait, mais une volonté commune.
Seuls les laboratoires pratiquaient un peu cette formation, ce qui ne nous
plaisait pas. Nous avons donc débloqué la situation, nous avons lancé une
enquête de l'IGAS pour savoir ce qui se passe dans la formation, et j'espère
que nous serons en mesure de vous proposer prochainement des réformes très
profondes.
Sur le médicament, monsieur Huriet, loin d'être en panne, la politique
conventionnelle entre au contraire dans une phase nouvelle. En créant le comité
économique du médicament, la loi du 28 mai 1996 a prévu que la composition et
les règles de fonctionnement de ce dernier seraient fixées par décret. Un an
plus tard, les textes n'étaient toujours pas sortis. Nous avons donc dû nous
mettre à la tâche et le décret est sur le point d'être publié. Sachez, monsieur
Huriet, que, là encore, ce n'est pas de notre faute et que nous avons agi au
plus vite.
Un deuxième décret relatif à la fixation des prix des médicaments
remboursables et aux procédures conventionnelles va être publié au terme d'une
phase de concertation avec la profession. L'accord cadre avec le syndicat
national des industries pharmaceutiques pourra alors être conclu. Une lettre de
cadrage fixera l'ensemble du dispositif.
Mme Martine Aubry a évoqué la remise en chantier des SROSS. Nous voulons
absolument aboutir avec les régions, en pleine concertation. Il importe que les
agences régionales suivent des lignes qui, après avoir été discutées, soient
acceptées par les partenaires.
J'en arrive, sinon au terme de mon propos, du moins au terme du temps que je
m'étais fixé, et je vais vous rendre la liberté.
M. Emmanuel Hamel.
Nous ne l'avions pas perdue en vous écoutant !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Nous devrions nous entrendre plus souvent l'un et
l'autre, monsieur le sénateur !
M. Michel Mercier.
Nous allons les laisser tous les deux !
(Rires.)
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je voulais dire à M. Fischer que, même s'il ne m'a pas
posé de question, j'ai été content de l'entendre !
(Sourires.)
De même, m'adressant à M. Gournac, je reconnais que le
remboursement du petit risque est un vrai débat, car il s'agit de ne pas
pénaliser ceux de nos concitoyens les plus en difficulté. D'ailleurs, monsieur
Lorrain, le « juste soin » et le « juste remboursement du soin » font également
l'objet d'un vrai débat.
Quant au carnet de santé, non seulement un malade sur deux ne le présente pas,
mais encore un seul médecin sur trois le remplit ! Nous en sommes là. Ce
n'était pas une mauvaise idée que de pouvoir suivre sa propre pathologie, ses
propres soins, bref son état de sa santé, le tout sur un carnet, mais cela ne
marche pas. Il faut donc remplacer le carnet, et ce grâce à une meilleure
informatisation.
Je dirai encore à Mme Dieulangard combien j'ai eu de bonheur à l'entendre et
à Mme Derycke que je ferai de sa demande de justice, de calme et d'équité
sociale, une vraie consigne d'action.
Mesdames, messieurs les sénateurs, à notre arrivée, Martine Aubry et moi-même
avons trouvé le corps médical fracassé.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est vrai !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Ainsi, le syndicat qui représente les généralistes ne
parlait plus au syndicat qui représente à la fois les généralistes et les
spécialistes. Et non seulement on se regardait de part et d'autre en chiens de
faïence, mais de surcroît, pour la formation médicale continue et pour le
reste, on en était à se faire des procès !
Telle est la conséquence d'une politique qui, sur le fond, a sans doute été
justement décidée - il s'agissait de maîtriser les dépenses de santé - mais
qui, sur la méthode, a injustement préféré une maîtrise strictement comptable à
une maîtrise qui aurait pris en compte tous les paramètres. D'où la nécessité
aujourd'hui de restaurer le dialogue entre les différents partenaires :
médecins, malades, professionnels de santé et, bien sûr, élus.
J'en ai terminé, mesdames, messieurs les sénateurs, et je vous remercie de
votre attention.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE. -
M. Emmanuel Hamel applaudit également.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours,
rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie.
Monsieur le président, je demande la réserve de l'article 1er jusqu'après
l'examen de l'article 26.
Je rappelle que l'article 1er tend à approuver un rapport annexé au projet de
loi, rapport qui ne prendra toute sa valeur qu'au terme de la discussion des
articles.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, votre demande de réserve concernant la discussion des
articles, je vous invite à la formuler de nouveau cet après-midi, dès la
reprise de l'examen du projet de loi.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4
COMMUNICATION DE L'ADOPTION DÉFINITIVE
DE PROPOSITIONS D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication,
en date du 6 novembre 1997, l'informant que :
- la proposition d'acte communautaire n° E-276 : « proposition de décision du
Conseil et de la Commission concernant la conclusion de l'accord de partenariat
et de coopération entre les Communautés européennes et leurs Etats membres,
d'une part, et la Russie, d'autre part » a été adoptée définitivement par les
instances communautaires par décision du Conseil du 30 octobre 1997 ;
- la proposition d'acte communautaire n° E-924 : « proposition de règlement
(CE) du Conseil concernant l'interruption de certaines relations économiques
avec l'Angola afin d'amener l'UNITA à remplir les obligations qui lui incombent
dans le processus de paix » a été adoptée définitivement par les instances
communautaires par décision du Conseil du 30 octobre 1997 ;
- et que la proposition d'acte communautaire n° E-930 : « proposition de
règlement (CE) du Conseil modifiant le règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil
relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun
et suspendant, à titre autonome, la perception des droits du tarif douanier
commun pour certains produits relatifs aux technologies de l'information » a
été adoptée définitivement par les instances communautaires par décision du
Conseil du 3 novembre 1997.
5
DÉPÔT DE PROPOSITIONS
D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement (CE) du Conseil relatif à la mise en oeuvre des
régimes spéciaux d'encouragement à la protection des droits des travailleurs et
à la protection de l'environnement prévus par les articles 7 et 8 des
règlements (CE) n° 3281/94 et (CE) n° 1256/96 du Conseil portant application
des schémas pluriannuels de préférences tarifaires généralisées pour certains
produits industriels et agricoles originaires de pays en développement.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-948 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- règlement (CE) du Conseil concernant l'interruption de certaines relations
économiques avec la Sierra Leone.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-949 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant les articles 6 et 9 du
règlement (CE) n° 1172/95 relatif aux statistiques des échanges de biens de la
Communauté et des Etats membres avec les pays tiers.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-950 et
distribuée.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- proposition de décision du Conseil et de la Commission relative à la
conclusion de l'accord euro-méditerranéen entre les Communautés européennes et
leurs Etats membres, d'une part, et le Royaume Hachémite de Jordanie, d'autre
part.
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le numéro E-951 et
distribuée.
6
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, fixée à
aujourd'hui, jeudi 13 novembre 1997 :
A dix heures trente :
1. Discussion des conclusions du rapport (n° 72, 1997-1998) de M. Guy
Allouche, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
sur la proposition de loi (n° 56, 1997-1998) de M. Jacques Larché tendant à
faciliter le jugement des actes de terrorisme.
Aucun amendement n'est plus recevable.
A quinze heures et le soir :
2. Questions d'actualité au Gouvernement.
3. Suite de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité
sociale pour 1998, adopté par l'Assemblée nationale (n° 70, 1997-1998).
Rapport (n° 73, 1997-1998) de MM. Charles Descours, Jacques Machet et Alain
Vasselle, fait au nom de la commission des affaires sociales.
Avis (n° 79, 1997-1998) de M. Jacques Oudin, fait au nom de la commission des
finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucun amendement n'est plus recevable.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée le jeudi 13 novembre 1997, à une heure vingt.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
En application de l'article 9 du règlement, M. le président du Sénat a été informé que lors de sa réunion du 6 novembre 1997, la commission des affaires économiques et du Plan a désigné M. Louis Moinard pour siéger au sein du comité consultatif du Fonds national pour le développement des adductions d'eau, en remplacement de M. Louis Mercier, démissionnaire.
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
M. Pierre Laffitte a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 23
(1997-1998) de M. Louis Souvet et plusieurs de ses collègues, visant à la
protection du patrimoine géologique.
M. James Bordas a été nommé rapporteur de la proposition de résolution n° 65
(1997-1998) de M. James Bordas, présentée en application de l'article 73
bis
du règlement, sur la proposition de décision du Parlement européen
et du Conseil relative au cinquième programme-cadre de la Communauté européenne
pour des actions de recherche, de développement technologique et de
démonstration (1998-2002) et la proposition de décision du Conseil relative au
cinquième programme-cadre de la Communauté européenne de l'énergie atomique
(EURATOM) pour des activités de recherche et d'enseignement (1998-2002) (n° E
847).
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
M. Bernard Joly a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 45 de M.
Pierre Laffitte tendant à modifier l'article L. 145-7 du code de
l'urbanisme.
M. Gérard Larcher a été nommé rapporteur de la proposition de résolution n° 61
de M. Maurice Blin et plusieurs de ses collègues tendant à créer une commission
d'enquête chargée d'examiner le devenir des grands projets d'infrastructures
terrestres d'aménagement du territoire dans une perspective de développement et
d'insertion dans l'Union européenne.
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE
ET DES FORCES ARMÉES
M. Hubert Durand-Chastel a été nommé rapporteur du projet de loi n° 64
(1997-1998) autorisant l'approbation de l'accord international de 1994 sur les
bois tropicaux (ensemble deux annexes).
M. Michel Alloncle a été nommé rapporteur du projet de loi n° 76 (1997-1998)
autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle
entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la
République de Cuba pour la prévention, la recherche et la poursuite des fraudes
douanières.
M. André Boyer a été nommé rapporteur du projet de loi n° 77 (1997-1998)
autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle
en matière douanière entre le Gouvernement de la République française et le
Gouvernement de la République de Pologne.
M. André Boyer a été nommé rapporteur du projet de loi n° 78 (1997-1998)
autorisant l'approbation de la convention d'assistance administrative mutuelle
entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de
l'Ukraine pour la prévention, la recherche et la poursuite des fraudes
douanières.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Avenir de l'université Paris-X
et du pôle Léonard-de-Vinci
116.
- 12 novembre 1997. -
M. Michel Duffour
attire l'attention de
M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie
sur la situation de l'enseignement supérieur dans les Hauts-de-Seine et le
manque de moyens criant dont disposent l'université Paris-X et ses 35 000
étudiants alors que, à proximité de celle-ci, le pôle Léonard-de-Vinci
accueille dans ses 50 000 mètres carrés de locaux moins de 3 000 étudiants.
Paris-X étouffe avec des locaux conçus initialement pour recevoir 20 000
étudiants et ne peut remplir ses missions éducatives dans des conditions
satisfaisantes. Des élus des Hauts-de-Seine ont attiré l'attention du précédent
ministre sur cette situation en soulignant la nécessité de doter cette
université des moyens de fonctionnement nécessaires afin d'étoffer l'équipe
pédagogique et les capacités d'accueil. La progression du budget du ministère
de l'éducation nationale et de la recherche est une bonne mesure. C'est un
permier acte pour résoudre la crise qui traverse les universités françaises. Il
est cependant évident que l'ampleur des retards accumulés pèsera négativement
sur l'action gouvernementale dans un permier temps. Comment, dans ces
conditions, ne pas être scandalisé par l'existence du pôle Léonard-de-Vinci
quasiment vide. Cet établissement privé, au tarif d'inscription prohibitif, a
été financé à hauteur de 1,2 milliard par les contribuables des Hauts-de-Seine,
qui continuent de payer 100 millions de francs par an en fonctionnement pour
une structure qui devrait servir l'intérêt public. Cette situation est
inacceptable. Le Premier ministre avait, avant les dernières élections
législatives, considéré que le gouvernement d'alors devait « faire en sorte que
cette université privée soit intégrée à l'université de la République ». C'est
pourquoi il demande à M. le ministre de lui faire part des permières
initiatives prises pour donner le maximum d'essor à Paris-X, de l'évolution
qu'il souhaite impulser pour modifier la fonction du pôle Léonard-de-Vinci et
de l'état de ses contacts avec la présidence du conseil général des
Hauts-de-Seine pour intégrer cet établissement à l'université publique.
Rémunérations complémentaires
des agents des collectivités territoriales
117.
- 12 novembre 1997. -
M. Daniel Hoeffel
appelle l'attention de
M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la
décentralisation
sur la portée de l'article 70 de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996,
modifiant l'article 111 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, relatif à la
validation des compléments de rémunération collectivement acquis par les agents
titulaires d'un emploi dans une collectivité territoriale. La rédaction de cet
article a en effet fait naître certains doutes quant à l'application de ces
dispositions. Il lui demande donc s'il ne serait pas possible d'apporter dans
les meilleurs délais, et si possible avant la fin de l'année afin que les
collectivités locales concernées puissent verser sans risque leur prime de fin
d'année, une réponse claire aux questions suivantes : les régimes indemnitaires
mis en place par certaines collectivités avant l'entrée en vigueur de la loi du
26 janvier 1984 et dont l'existence a été légalisée par cette loi peuvent-ils
concerner tous les agents de ces collectivités, titulaires ou non titulaires,
et ceci indépendamment de la date de leur recrutement, qu'elle soit antérieure
ou postérieure au 26 janvier 1984 ? Compte tenu des inégalités pouvant exister
entre les agents des diverses collectivités, serait-il possible de régulariser
la situation des collectivités qui ont institué des primes de fin d'année après
l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984, qui sont de ce fait illégales
? Enfin, et par voie de conséquence, les établissements publics de coopération
intercommunale créés postérieurement pourraient-ils profiter de cette réforme
pour mettre en place un complément de rémunération ?
Accès aux réseaux d'aides spécialisés
aux élèves en difficulté
118.
- 12 novembre 1997. -
M. Adrien Gouteyron
attire l'attention de
M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie
sur le problème de l'accès aux réseaux d'aides spécialisés aux élèves en
difficulté aux élèves des établissements privés sous contrat. Mis en place par
une circulaire n° 90-082 du 9 avril 1990, ces RASED se définissent comme « un
ensemble fonctionnel et cohérent d'actions destiné à apporter, dans les écoles
maternelles et élémentaires où il intervient, des aides spécifiques et
différenciées aux élèves en difficulté. Il lui demande, sachant qu'aux termes
de ladite circulaire, « toute école relève des actions d'un réseau », si les
prestations spécifiques assurées par les RASED sont exclusivement réservées à
l'enseignement public. Dans l'affirmative, il souhaiterait qu'il lui indique
comment il entend assurer, pour les élèves du privé, l'égalité d'accès au
service public posé par la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 dite loi
Debré.
Délocalisation de la Sonacotra
119. - 12 novembre 1997. - M. Dominique Braye attire l'attention de Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement sur la délocalisation annoncée du siège national de la Sonacotra à Mantes-la-Jolie. Cette décision avait été prise le 10 avril 1997 par le CIAT (comité interministériel sur l'aménagement du territoire), parmi plusieurs mesures de délocalisations d'administration ou d'établissements publics au profit de sites en reconversion industrielle et de sites d'intervention prioritaire de la politique de la ville. La ville de Mantes-la-Jolie, cumulant ces deux critères, était particulièrement éligible à bénéficier d'une telle mesure, qui permettait des retombées économiques positives : arrivée dans la commune de plus de 200 emplois, sans compter les emplois induits, générant une taxe professionnelle annuelle d'environ 5 millions de francs. Mantes-la-Jolie et son agglomération sont en effet sinistrées au plan économique et aux prises avec de graves difficultés financières (potentiel fiscal inférieur de 40 % à la moyenne nationale) et d'importants problèmes sociaux (taux de chômage élevé, plus grande ZUP de France avec le Val Fourré). 800 emplois industriels y ont été supprimés ces deux dernières années, et plusieurs autres sites industriels sont menacés à brève échéance. L'exercice budgétaire de la commune, pour la seule année 1998, du fait de la diminution des ressources fiscales et de certaines dotations, sera marqué par une perte annuelle de 9 millions de francs, qu'aurait compensée pour moitié la taxe professionnelle versée par la Sonacotra. Dans ce contexte, la délocalisation à Mantes-la-Jolie de la Sonacotra était une mesure particulièrement attendue, vitale pour cette ville et l'ensemble de son agglomération, ce que l'ensemble des élus locaux du district urbain de Mantes ont souligné à l'unanimité. Il leur a semblé indispensable de rappeler que M. le Premier ministre lui-même a affirmé que les engagements pris par le précédent gouvernement doivent être honorés, en vertu du principe républicain de continuité, et ce d'autant plus que la survie économique d'une commune et de tout un bassin d'emploi est en jeu. En conséquence, il lui demande donc de maintenir la décision de délocaliser le siège national de la Sonacotra à Mantes-la-Jolie et de préciser la date à laquelle cette délocalisation sera mise en oeuvre.