M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Borvo pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme des longues journées de débats, que tout le monde a en mémoire, nous devons nous prononcer sur l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale tel qu'il a été remanié par la majorité sénatoriale.
J'indiquerai tout de suite que le texte qui nous est soumis aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui qui avait été adopté par l'Assemblée nationale. Pour M. le rapporteur, Charles Descours, le projet de financement de la sécurité sociale réécrit par la commission des affaires sociales a pour objet de mettre en oeuvre « une autre politique ».
En fait, il s'agit, pour la droite sénatoriale, non pas de recettes nouvelles susceptibles de résorber les difficultés financières de notre système de protection sociale, d'une part, et de réduire les inégalités d'accès aux soins ou de remédier à l'émiettement de celui-ci, d'autre part, mais tout simplement d'une réactivation de mesures qui nous ont, hélas ! déjà été proposées.
Les ordonnances de l'année dernière n'ont pas apporté de solution ; au contraire, elles ont échoué sur trois points.
Il s'agit tout d'abord d'un échec politique. Nous avons tous en mémoire la mobilisation tant des assurés sociaux que des médecins et personnels hospitaliers, demandant le retrait du « plan Juppé », qualifié « d'injuste ».
Ensuite, ce fut un échec économique et financier : ni la création d'une nouvelle recette fiscale, à savoir le RDS, le remboursement de la dette sociale, ni le rationnement des soins n'ont permis de réduire de façon significative le déficit de la sécurité sociale, et encore moins, nous le constatons aujourd'hui, de retrouver l'équilibre à la fin de 1997.
Enfin, l'échec social est patent : même si la France consacre 9,8 % de son PIB à la santé, l'état de santé de nos concitoyens ne cesse de se dégrader. Il faut donc envisager autrement les problèmes.
Ainsi, d'anciennes pathologies réapparaissent - je pense ici, bien sûr, à la tuberculose ; des rapports successifs nous montrent la dégradation de la santé des jeunes ; et surtout, de nombreuses personnes continuent d'être exclues des soins.
En limitant les remboursements et la part des dépenses de santé prises en charge par la sécurité sociale, le « plan Juppé » a induit, pour compenser, une augmentation de la charge financière supportée par les ménages et les mutuelles.
Destinées à rompre avec l'unicité du système de soins, les mesures prises ont accentué les inégalités entre les hôpitaux pour les accès aux soins et renforcé les cloisonnements existants - médecine de ville, hôpitaux...
Pour ne pas dépasser leurs enveloppes de prescription, les médecins se renvoient les malades les plus coûteux, évitant ainsi les pénalités. Faute de moyens suffisants, une large frange de la population est exclue des soins dentaires et ophtalmologiques - pour ne citer que ceux-là.
Attachés à l'hôpital public, les Français sont déroutés. Au niveau régional, sont décidés arbitrairement le nombre de prothèses à rembourser ou les fermetures de services, passant outre la demande de proximité.
Pour réaliser sa mission première de soins, l'hôpital doit être un lieu de technologie, mais aussi un lieu d'écoute, centré sur le malade afin de répondre pleinement à ses besoins.
Les droits attachés à la personne humaine, le droit à la sécurité sociale et le droit à la santé doivent être préservés.
Dans le contre-projet présenté par la majorité sénatoriale, le volet politique sanitaire a disparu dans son ensemble.
C'est pourquoi nous ne pouvons nous inscrire dans une logique guidée seulement par un objectif comptable.
Conscients de la nécessité de réduire puis de résorber le déficit de la sécurité sociale, nous n'acceptons pas qu'elle se traduise par un rationnement des soins inévitable, ces messieurs de la majorité souhaitant ramener l'augmentation de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, à 1,7 %, ou par des réductions de personnels induites par les économies décidées sur la gestion des caisses.
Soucieuse, selon elle, de préserver la cohérence du financement de la sécurité sociale, la droite sénatoriale refuse le transfert des cotisations sociales sur la CSG en supprimant l'article 3.
Résolument opposés à la CSG comme nous le sommes pour les raisons évoquées tout au long du débat, nous ne pouvons pour autant partager la démarche de la droite qui a des objectifs tout à fait étrangers aux nôtres.
En effet, M. Fourcade, lui-même, a justifié la censure de l'article 3 non pas par une hostilité de fond au principe même de cet impôt - il y est même favorable - mais par une trop grande précipitation du Gouvernement.
Les véritables raisons ne résideraient-elles pas plutôt en ce que la droite entend éviter le débat sur un autre financement possible de la sécurité sociale mettant à contribution les revenus du capital ?
Bien qu'incomplet - nous l'avons dit tout au long des débats - le projet gouvernemental sur la CSG permet d'envisager une taxation des revenus financiers spéculatifs sans laquelle la solidarité, clé de voûte de cette mesure, n'existerait pas.
Enfin, nous ne pensons pas que la droite sénatoriale ait le monopole de la défense de la famille, comme elle s'est évertuée à le faire croire, sa position s'étant traduite par une augmentation d'un dixième de point de la CSG affectée à la branche famille.
De plus, s'agissant du système actuel de l'AGED, l'allocation de garde d'enfant à domicile, qui procure aux familles les plus aisées des avantages importants, nous sommes favorables à un lissage des aides en fonction des revenus du couple et non à la prise en charge intégrale par l'ensemble des cotisations sociales dues au titre d'un emploi à domicile que la droite entend rétablir.
En conséquence, nous rejetons et la logique et l'ensemble des contre-propositions présentées par la majorité sénatoriale. Censées viser au redressement de la sécurité sociale, elles tendraient au contraire à en accentuer encore les déficiences.
Nous ne pouvons cautionner ces contre-propositions, et c'est pourquoi nous voterons contre le texte issu des débats sénatoriaux, en souhaitant que l'Assemblée nationale confirme les pas en avant faits sur l'initiative des députés communistes - je pense à l'engagement de remettre à plat la politique familiale et, comme je l'indiquais, à la recherche d'une participation des ressources financières des entreprises à la protection sociale - voire améliore encore le texte qu'elle avait adopté. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la réforme de notre système de protection sociale engagée par le précédent gouvernement avait pour objectif de sauvegarder notre système de sécurité sociale.
Longue à mettre en oeuvre en raison de la complexité des différents dispositifs et du changement de comportement qu'elle exigeait de tous, praticiens et patients, cette réforme a porté ses premiers fruits en réussissant à freiner l'augmentation sans cesse grandissante de nos déficits.
C'est pour cela qu'il est extrêmement regrettable que le Gouvernement ait tourné le dos à cette volonté de s'attaquer enfin aux causes et non plus aux conséquences des déficits sociaux.
Le projet de loi que vous nous avez présenté ne comporte en effet aucune vision d'avenir pour les différentes branches de la protection sociale et, bien souvent, ne présente pas d'évaluation des effets des mesures qu'il contient.
Ainsi, l'assurance vieillesse est complètement ignorée alors que nous savons tous que, d'ici à une dizaine d'années, une grande partie des régimes spéciaux ne pourront plus faire face à leurs dépenses et que le régime général sera totalement exsangue.
La politique de la famille est méconnaissable et se métamorphose en politique sociale, bien loin des objectifs initiaux. Nous en avons déjà longuement discuté.
Quant à l'assurance maladie, elle est gérée uniquement sous un aspect comptable, négligeant ainsi les outils créés pour cette fameuse maîtrise des dépenses de santé.
En outre, vous avez décidé de relâcher l'effort qui avait été demandé aux différents acteurs de notre système de santé publique en décidant une augmentation de 2,2 % de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, qui ne repose sur aucune enquête de santé publique et ne tient pas compte des conclusions de la récente conférence nationale de la santé. C'est regrettable.
Par ailleurs, le projet de loi que vous nous présentez constitue une atteinte grave et sans précédent à l'encontre de plusieurs catégories de personnes.
Il constitue une atteinte aux familles, tout d'abord.
En plafonnant les allocations familiales et en limitant les aides aux emplois familiaux, vous vous attaquez aux familles qui ont choisi d'avoir des enfants, aux jeunes parents qui ont fait le choix de travailler et avaient réussi à concilier harmonieusement activité professionnelle et maternité.
Dans une société où, malgré les protections du droit du travail, le marché de l'emploi est si dur envers les femmes en âge d'être mère, était-il nécessaire de les décourager un peu plus ?
Nous avons besoin d'enfants quel que soit le niveau social des parents. Il était donc essentiel que le Sénat supprime ces mesures iniques.
En outre, vous annoncez une « remise à plat » de la politique familiale. Cette expression est inquiétante. Espérons qu'il s'agisse d'une réforme globale et non d'une remise à zéro, comme vos mesures actuelles semblent, hélas ! le laisser présager.
Il s'agit d'une atteinte envers les épargnants, les travailleurs non salariés non agricoles, les retraités et tous ceux qui verront leurs ressources diminuées à l'occasion du basculement des cotisations sociales sur la CSG, dont les effets n'ont pas été évalués. Aucune compensation n'a été prévue.
Ainsi, il est facile de paraître vouloir augmenter le pouvoir d'achat des salariés. Mais, s'ils ont la malchance d'être également des épargnants, le gain risque de devenir une perte.
Le Gouvernement semble considérer les épargnants comme de grands capitalistes. Il en existe quelques-uns et ils sont nécessaires à notre économie pour assurer son développement et pour investir. Sachez cependant que la plus grande majorité des épargnants est modeste et va sans doute mal supporter le prélèvement massif et brutal que vous allez effectuer sur des sommes sur lesquelles elle a déjà payé l'impôt sur le revenu.
Croyez-vous vraiment relancer ainsi la consommation ?
Quant aux professions indépendantes, leur sort est peu enviable : vous prélevez 2 milliards de francs sur leur caisse de retraite, vous déplafonnez leurs cotisations familiales au moment où certains d'entre eux ne toucheront plus les allocations - il fallait oser ! - et leur pouvoir d'achat va baisser en raison du basculement de la CSG.
L'addition est un peu lourde. Heureusement, le Sénat est revenu sur ces dispositions.
Enfin, ce texte porte atteinte aux jeunes qui feront les frais de 130 milliards de francs de prélèvements supplémentaires au titre de la contribution au remboursement de la dette sociale, la CRDS, pour combler les 87 milliards de francs de déficits. Ils seront également sollicités pour faire face à la montée en charge brutale des pensions de vieillesse dans les années 2005-2010.
Une fois de plus, vous augmentez les prélèvements pour faire face aux déficits, sans avoir le courage de vous attaquer à leurs causes.
En conclusion, je tiens à féliciter MM. Descours, Vasselle et Machet, rapporteurs, et la commission des affaires sociales pour le travail qu'ils ont effectué afin de remanier en profondeur ce projet de loi et nous proposer une autre politique, dans la continuité de la réforme de 1995, plus constructive et plus transparente.
Pour toutes ces raisons, le groupe du rassemblement pour la République votera le texte tel qu'il a été amendé par la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous nous trouvons en présence de deux projets, ce qui nous met dans l'embarras.
Mme Hélène Luc. Ah !
M. François Lesein. Le projet du Gouvernement semble vouloir amputer les avantages vieillesse - l'autre jour, M. le secrétaire d'Etat à la santé n'a pas répondu à toutes mes questions - et il aggrave les différences de traitement budgétaire entre certains services publics, notamment en région parisienne.
Le contre-projet de la commission diminue les crédits médico-hospitaliers, et surtout hospitaliers, en proposant de ramener la progression de l'objectif national d'assurance maladie, l'ONDAM, de 2,2 % à 1,7 %. Les difficultés des hôpitaux vont donc s'accroître. Déjà l'an dernier, la réduction des crédits avait conduit à des fermetures temporaires de services, aggravant ainsi le manque de sécurité des malades.
Où se trouvent les bonnes solutions ? Sans doute un peu dans chacune de ces deux propositions ! Toutefois, ne fallait-il pas prendre un peu de temps, comme je l'ai souhaité l'autre jour, suivant en cela le voeu exprimé par M. Fourcade ? Le projet de loi qui nous est soumis est, en effet, discuté dans la précipitation, à la demande du Gouvernement. Déjà l'an dernier, j'avais demandé à votre prédécesseur, madame la ministre, que l'examen de ce texte soit distinct du débat budgétaire, qui provoque suffisamment d'effervescence.
Je ne me prononcerai sur aucun des deux projets, car cela ne me paraît ni bon ni sain. Par conséquent, je ne prendrai pas part au vote.
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au nom du groupe de l'Union centriste, je souhaite apporter une forme de conclusion à nos travaux sur ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, travaux qui ont été fort riches, empreints de passion et de franchise s'agissant d'un texte qui engage largement l'avenir de notre protection sociale.
Deux approches se sont opposées, ce qui est la logique même d'un débat majorité-opposition. L'approche du Gouvernement - de votre Gouvernement, madame la ministre - manquait parfois de clarté : elle reposait par moments sur quelques a priori idéologiques, suivis de promesses de concertation et de réformes. Tout s'est néanmoins déroulé, je dois le dire, dans un climat de sérénité. L'approche de la commission des affaires sociales, beaucoup plus pragmatique et courageuse, se situe clairement dans la continuité du plan Juppé.
Le contre-projet de la commission répond tout à fait, selon nous, aux critères d'un bon projet de loi de financement de la sécurité sociale. Fort de propositions intéressantes et cohérentes, il apporte une réponse aux différents défis qui nous sont imposés : la nécessité de lutter contre les déficits, ce qui est un exercice difficile, certes, et celle d'améliorer notre natalité.
Grâce aux différents amendements de la commission, l'indispensable effort de maîtrise des dépenses se trouve mieux réparti entre les différentes branches de la sécurité sociale et entre les acteurs du système de santé. Il n'est pas normal, en effet, que la branche famille soit soumise à des mesures d'économies spécifiques, alors que ce n'est pas le cas pour d'autres branches de la sécurité sociale, qui représentent pourtant une part plus importante des dépenses.
Que dire aussi, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, du secteur hospitalier qui représente près de la moitié des sommes consacrées à l'assurance-maladie ? Est-il normal que votre projet initial prévoit pour l'hôpital une augmentation des dépenses supérieure à celle de la médecine ambulatoire, sous prétexte d'un « étouffement » qui aurait été provoqué par vos prédécesseurs ?
Le Gouvernement donne l'impression de sous-estimer les réelles marges d'économies qui existent dans un secteur devenu trop opaque et coûteux.
A ce propos, vous avez eu devant le Sénat, madame la ministre, des mots assez sévères concernant la mise en place des agences régionales d'hospitalisation, les ARH. Selon vous, la précédente équipe gouvernementale se serait, en quelque sorte, « déchargée d'une partie de ses responsabilités sur les ARH ».
Or la déconcentration se révèle d'autant plus efficace que les représentants de l'Etat responsables localement sont mieux identifiés. Telle était la motivation de MM. Juppé et Barrot, à savoir une meilleure coordination des services sociaux de l'Etat et, par ailleurs, l'emploi de personnes d'horizons différents, alliant compétence et neutralité dans des choix, il est vrai, souvent difficiles.
Au cours de nos débats, vous avez critiqué, par moments, le soi-disant laxisme de vos prédécesseurs en matière de dépenses de santé ; je pense à M. Jacques Barrot que vous avez cité, confronté à la charge que vous connaissez aujourd'hui et qui s'est engagé à mener à bien une réforme difficile, malgré l'opposition conjuguée de tous les grands lobbies , professionnels et syndicaux, qui avaient intérêt au statu quo .
C'est ainsi que le précédent gouvernement Juppé a mis en place le système de reversement collectif, contre l'avis de tous les syndicats de praticiens, à l'exception d'un seul, MG-France.
Ce système, vous l'avez d'ailleurs repris à votre compte, alors que, lors de la préparation des ordonnances, je n'ai pas entendu beaucoup de représentants de l'ancienne opposition, dont vous étiez, se solidariser en public avec le gouvernement de l'époque sur ce genre de sujet.
L'autre défi auquel est confronté la France, à l'instar de la plupart des pays européens, est bien sûr le déclin démographique. Or votre projet va à l'encontre du devoir, qui revient à l'Etat, de tout faire pour assurer le remplacement des générations et ainsi l'avenir du pays.
Comme je l'ai dit dans mon rapport, vous vous attaquez à un certain nombre de prestations dont le pilier principal est constitué par les allocations familiales. Grâce aux modifications approuvées par le Sénat, ce socle indispensable à notre politique familiale est à nouveau intact, dans l'attente des probables modifications que l'Assemblées nationale ne manquera pas d'apporter, malheureusement.
Toutefois, un signal a pu ainsi être envoyé par les sénateurs de la majorité du Sénat à l'ensemble des familles françaises, signal selon lequel notre assemblée ne laissera pas sans réagir le Gouvernement porter atteinte aux engagements pris par l'Etat depuis 1945.
S'agissant de l'avenir, il est clair que les sénateurs de la majorité sénatoriale, notamment ceux de l'Union centriste, seront très vigilants par rapport aux éventuels projets en matière de politique familiale qui pourraient ressortir de la concertation ou réflexion que vous avez annoncée pour 1998.
En conclusion, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, j'indiquerai que le groupe de l'Union centriste votera, naturellement, le texte proposé par la commission des affaires sociales, tout en remerciant son président, M. Fourcade, ainsi que MM. les rapporteurs, notamment M. Descours, pour le travail effectué ; sans oublier tous ceux qui se sont consacrés à cet important dossier. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépensants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous voici parvenus à la fin du débat sur la deuxième loi de financement de la sécurité sociale. Tout au long de la semaine dernière, ce débat a opposé, d'une part, le Gouvernement et ceux dont nous sommes qui soutiennent son projet de loi et, d'autre part, la majorité sénatoriale qui s'est inscrite dans une tout autre logique.
Je retiens que l'accord s'est réalisé au moins sur un point, à savoir la nécessité de réduire le déficit structurel de la sécurité sociale auquel ont eu à faire face ces dernières années tous les gouvernements successifs.
Nous sommes donc d'accord pour retenir le chiffre de 12 milliards de francs de déficit pour l'année 1998 au lieu des 37 milliards de francs de cette année.
Mais, au-delà, nous divergeons totalement sur les moyens de parvenir à ce résultat. Je le dis tout net : ceux qui sont proposés par la majorité sénatoriale ne nous paraissent pas convaincants.
C'est pourquoi le groupe socialiste sera conduit à voter contre le texte qui est issu de nos débats, dont je me réjouis cependant qu'ils aient laissé moins de place à la polémique que certains débats précédents.
En fin de compte, nous pouvons tous dresser le même constat : si l'on n'y porte pas remède, notre système de protection sociale sera rapidement en danger. Il n'y a pas aujourd'hui pléthore de solutions pour le sauver.
L'élargissement de l'assiette des prélèvements en est une, car la seule contribution des salaires est devenue à la fois archaïque et injuste, pénalisante pour l'emploi et discriminante pour les entreprises de main-d'oeuvre.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé de recourir à l'augmentation et à l'élargissement de la CSG, qui va donc se substituer, pour les salariés, à la cotisation maladie, en leur apportant en même temps un peu plus d'un point de pouvoir d'achat supplémentaire.
Il s'agit là, nous semble-t-il, et quoi qu'en pense la majorité sénatoriale, qui pour autant ne nie pas l'utilité de la CSG, d'une mesure équitable et efficace pour remédier à ce déficit persistant lourd de conséquences pour les futures générations. Je vous renouvelle donc, madame la ministre, notre accord total avec votre projet de loi.
Je ne reviendrai pas, à cette heure, sur la polémique que la majorité sénatoriale a voulu entretenir sur les mesures concernant la famille. Des accusations absurdes ont été lancées contre la politique du Gouvernement dans ce domaine, les procureurs ayant la mémoire étrangement courte par rapport aux contradictions, pour ne pas dire autre chose, de la politique familiale des deux gouvernements précédents : prélèvements fiscaux accrus, sur la loi famille de 1994 non financée, réduction de l'allocation de rentrée scolaire, non-revalorisation du barème des prestations familiales, etc.
M. Alain Gournac. Les familles jugeront !
M. Claude Estier. Des chiffres ont été cités, que je ne reprends pas, mais ils montrent que, loin de s'attaquer aux familles, voire de les « assassiner » comme certains ont osé le dire... (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Comme les associations le disent !
M. Claude Estier. Je vois que vous continuez sur la même lancée !
... le Gouvernement a fait le choix à la fois de l'efficacité...
M. Alain Gournac. Pas sur le dos des familles !
M. Claude Estier... car il faut bien s'attaquer au déficit de la branche famille, et de la solidarité en ne demandant un effort qu'aux familles les plus aisées.
Depuis un demi-siècle, notre système de protection sociale fait partie intégrante de la vie quotidienne de chaque Français. Mais sa banalisation nous a fait quelquefois perdre de vue qu'il constitue, avec l'enseignement public, l'une des plus grandes conquêtes de la République.
Fondée sur la liberté d'accès aux soins, notre sécurité sociale a instauré l'égalité des chances face à la maladie, la solidarité entre les générations, entre les biens portants et les malades, entre les soignants et les soignés.
Continuer à faire ces choix, c'est chercher collectivement le meilleur niveau de garantie par rapport aux besoins de notre société et à nos possibilités. Le projet du Gouvernement, qui vous doit tant, madame la ministre, répond à cet impératif. C'est pourquoi nous souhaitons, contrairement à la majorité sénatoriale, qu'il soit bientôt mis en oeuvre car il est garant de justice, de solidarité et de pérennité pour notre sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le travail effectué par la commission des affaires sociales sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, particulièrement celui qui a été accompli par ses rapporteurs, MM. Jacques Machet, Alain Vasselle et Charles Descours, mérite d'être salué. Ces derniers ont parfaitement montré, tout au long des débats, que l'inspiration de leur travail était non pas de démanteler votre projet, madame le ministre, mais de se référer à une logique constante de construction d'un équilibre d'une autre nature pour la sécurité sociale. Cette logique a été à plusieurs reprises très clairement rappelée par le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade.
Il s'agit de rompre avec l'accroissement des prélèvements pour convaincre les acteurs, particulièrement les professionnels, de mobiliser leurs propres responsabilités pour atteindre la maîtrise du système dans son ensemble. Vous n'avez pas nié l'intérêt de cette démarche, madame le ministre. Vous ne l'avez pas non plus rejetée, mais vous avez cherché des ressources nouvelles en qualifiant cette recherche de réforme structurelle. Nous pourrions en débattre car, si habile soit-elle, la méthode s'analyse tout de même comme un prélèvement élargi sur le produit intérieur brut.
La question est de savoir si cette ponction supplémentaire viendra neutraliser un emploi productif ou improductif de la ressource nationale. Tout prélèvement ne prend en définitive sa pleine signification qu'une fois mesurées les conséquences des emplois finaux de la dérivation des flux financiers ainsi opérés.
Le niveau global de prélèvement atteint dans notre pays nous a conduits non seulement dans le domaine des rendements décroissants, mais aussi dans celui des bilans négatifs et contreproductifs.
Peut-on, en tout état de cause, qualifier de structurelle une réforme qui consiste à créer des critères de ressources pour l'attribution des allocations familiales ? Peut-on qualifier de réforme structurelle la réduction du champ d'application de l'allocation de garde d'enfant à domicile ? A ce sujet, je regrette que vous n'ayez semblé voir dans cette allocation qu'une largesse excessive à l'égard des familles.
Or, si certains éléments méritent d'être encouragés aujourd'hui, ce sont bien l'assimilation nouvelle du foyer familial à une petite entreprise susceptible de créer des emplois et l'encouragement des emplois familiaux sur lesquels nous reviendrons lors de l'examen du projet de loi de finances.
Certes, l'aide à la garde de jeunes enfants est importante. Certes, son succès a été notable. Mais pendant combien d'années des ponctions en sens inverse ont-elles été effectuées sur les excédents de la branche famille ? Il faut éviter les à-coups brutaux dans toute politique. La famille, dites-vous, mérite mieux que ces basses querelles. Soit ! Mais ne peut-on dire aussi que la famille mérite un peu de stabilité s'agissant de la politique qui la concerne ?
Il importe d'explorer plus complètement la pertinence de l'assimilation du foyer familial à une très petite entreprise créatrice d'emplois à vocation sociale. Quand on recherche des emplois nouveaux, serait-il interdit de rechercher aussi des entreprises nouvelles ? Quand on veut partager le travail, il est aussi possible d'essayer de commencer par partager les ressources créatrices d'emplois.
En ce domaine, deux solutions sont possibles. L'une a trait au prélèvement fiscal, qui se fonde sur l'idée qu'un usage public de la richesse nationale serait plus efficace qu'un usage privé. C'est ce dernier qui est privilégié par l'AGED et par le régime fiscal des emplois familiaux.
Vous semblez craindre ces audaces, madame le ministre, et pourtant c'est le même mécanisme qui est en jeu dans l'entreprise en général, dans lesquelles les salaires sont bien considérés comme une charge portée au compte d'exploitation et viennent diminuer d'autant les bénéfices.
Dès lors, l'assimilation de la famille à une petite entreprise serait-elle abusive uniquement parce que la disparité des ressources familiales ne permettrait pas à toutes les familles de créer des emplois ? J'avoue que la question est importante, et elle devra être explorée avant d'être trop vite écartée.
Vous avez employé des expressions très encourageantes, et même très belles, à l'égard de la famille. Nous pouvons y adhérer, mais, hélas ! les mesures que vous proposez ne viennent pas étayer vos propos et nous ne pouvons donc pas vous suivre. Or, ce sont les mesures qui donnent leur véritable sens aux affirmations et fondent les symboles.
Ainsi, conformément aux principes auxquels ils croient profondément, c'est-à-dire l'encouragement à ceux que l'on a appelés les « grands aventuriers des temps modernes », la stabilisation et le plus vite possible la décroissance des prélèvements globaux, la mobilisation des acteurs et des professionnels de la santé publique, les sénateurs du groupe des Républicains et Indépendants voteront le projet de loi de financement de la sécurité sociale, tel qu'il a été amendé par le Sénat, sur proposition de la commission des affaires sociales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les orateurs qui m'ont précédé ont fort bien expliqué les raisons pour lesquelles la majorité de notre assemblé a choisi de suivre les recommandations de la commission des affaires sociales et de son rapporteur, M. Charles Descours.
A vrai dire, les scrutins publics qui ont eu lieu au cours de ce débat montrent déjà les orientations de la majorité des sénateurs non inscrits au nom desquels je m'exprime.
Tout d'abord, en votant l'amendement de suppression de l'article 3, nous avons rejeté le transfert des cotisations maladie vers la CSG, estimant que cette disposition pénalisait particulièrement 1,5 million de travailleurs non salariés se trouvant à la tête d'une affaire indépendante, tels que les artisans, les commerçants et les professions libérales, ainsi que la quasi-totalité de l'épargne et des économies que les personnes âgées ont pu réaliser au cours de leur vie.
En ce qui concerne les Français de l'étranger, les protestations contre l'augmentation de la CSG avaient été particulièrement vives parmi les professeurs et les coopérants.
Le deuxième amendement de suppression que nous avons voté concerne l'article 19. Il s'agit là d'une question de principe, beaucoup plus grave : la mise sous condition de ressources des allocations familiales est une décision tout à fait contraire à l'esprit d'égalité et de fraternité qui avait sous-entendu, voilà plus de cinquante ans, la loi créant cette aide essentielle aux familles, qui était attribuée à tous les Français, quelle que soit leur situation de famille.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jacques Habert. Vous savez à quel point l'opinion française, sensible à ce projet, a réagi contre l'inégalité qui allait être créée. La majorité du Sénat leur a donné raison.
Notons au passage que les Français résidant hors de France, sauf s'ils sont fonctionnaires et sous certaines conditions, ne touchent plus d'allocations familiales lorsqu'ils partent à l'étranger. Il s'agit là d'une injustice contre laquelle ils ne cessent de s'élever, d'une discrimination qui les frappe d'autant que les étrangers qui arrivent en France, à la minute où ils posent le pied sur notre sol, reçoivent les mêmes allocations que nos compatriotes, proportionnellement au nombre de leurs enfants.
Les Français de l'étranger souhaiteraient sur ce point être traités par la mère patrie aussi bien que les étrangers en France. Ce n'est malheureusement pas le cas et beaucoup reste à faire dans ce domaine. Mais si nous pouvions établir au moins une certaines égalité, mettre au point un système fondé sur l'équité et la réciprocité, le Gouvernement pourrait trouver là, madame le ministre, des sources d'économies sans doute considérables.
Enfin, le troisième amendement de suppression voté par notre assemblée, à la demande de la commission des affaires sociales, ainsi d'ailleurs que de la commission des finances et d'autres intervenants, a concerné la réforme tendant à réduire le taux de prise en charge des cotisations sociales pour l'AGED, l'allocation de garde d'enfant à domicile.
Là encore, nombreuses ont été les protestations contre cette mesure qui risque de conduire au chômage toutes sortes de personnels particulièrement utiles ou même d'encourager le travail clandestin. En adoptant l'amendement de suppression, notre assemblée a contribué à aider grandement les familles par le maintien d'un système très apprécié et qui a fait ses preuves.
Pour compenser le manque à gagner résultant de ces trois suppressions, le Sénat propose, à l'article 5, l'institution d'une nouvelle taxe de santé publique sur les cigarettes et les tabacs. Pourquoi pas ? C'est bien souvent, il est vrai, la proposition à laquelle on se résout. Mais il est certainement encore possible d'augmenter les taxes pesant sur le tabac, dont la consommation n'a pas diminué malgré l'accroissement des prix. Pour notre part, nous n'y voyons aucun inconvénient.
En conclusion, je formulerai deux remarques d'ordre général. Nous aurions souhaité, tout d'abord, que ce projet de loi vise dans l'ensemble à une bien meilleure maîtrise des dépenses de santé, au lieu de s'en tenir à des mesures ponctuelles, des palliatifs qui, malheureusement, touchent toujours la même partie - vous savez laquelle - de la population. Ce sont là des discriminations qui paraissent assez insupportables, même dans le projet de loi modifié qui résultera des travaux du Sénat. C'est la raison pour laquelle au moins l'un d'entre nous s'abstiendra.
Par ailleurs, l'un des membres de notre groupe m'a prié de dire qu'il voterait contre le projet de loi tel qu'il se présente maintenant. Notre collègue Philippe Adnot a proposé, à l'article 25, un amendement tendant à modifier les dispositions du projet faisant passer la durée de vie de la CADES, la caisse d'amortissement de la dette sociale, de treize à dix-huit ans.
Cette disposition ayant été maintenue dans le projet de loi, notre ami sénateur de l'Aube votera contre le projet de loi.
Cependant, vous l'avez deviné, mes chers collègues, dans l'ensemble, la majorité des sénateurs non inscrits continuera à suivre les recommandations de nos commissions. Au moment du scrutin public, ils voteront le texte, tel qu'il ressort des travaux du Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. la parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'indique d'emblée que j'approuve le texte élaboré par le Sénat sur la proposition de la commission des affaires sociales. Mais je saisis surtout l'occasion qui m'est donnée, madame le ministre, pour traiter à nouveau de la politique familiale non pas pour rouvrir la polémique, mais pour dire ce que j'ai sur le coeur.
Tout d'abord, madame le ministre, je regrette très vivement que les seules économies substantielles que vous nous proposez soient réalisées aux dépens de la branche famille.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Adrien Gouteyron. Nous changeons de système. Cela a été dit, mais je tiens à le répéter. En 1970, 14 % des prestations familiales étaient versées sous condition de ressources ; actuellement, ce taux est de 40 % environ ; avec les mesures que vous nous proposez, il passera à 85 %. Il n'est pas possible de rester indifférent à cette situation, madame le ministre.
J'estime que ces mesures sont dangereuses et inopportunes ; vous frappez au coeur de la politique familiale et, cela, nous ne pouvons pas l'accepter.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Vous le faites à un moment, madame le ministre - et c'est surtout pour cette raison que j'ai voulu prendre la parole - où notre société a le plus grand besoin de la famille.
Que disent ceux qui enseignent dans les établissements scolaires situés dans des zones difficiles ? Selon eux, leur principale difficulté tient au fait qu'ils ne peuvent pas s'appuyer sur les familles.
Il faut donc restaurer la cellule familiale.
M. Alain Gournac. Ah oui !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Il faut lui envoyer un signal positif et non pas négatif d'autant plus que, après des décennies d'individualisme quelque peu hédoniste, notre société, nous le voyons bien, est en quête de valeurs - même si cela peut paraître banal de le dire - de repères et de soutiens. Où ces valeurs peuvent-elles être tout naturellement transmises sinon, d'abord, au sein de la famille !
MM. Alain Gournac et Jean Chérioux. Très bien !
M. Adrien Gouteyron. Le respect des générations entre elles, le respect des opinions des autres, le sens de la solidarité et du noyau familial s'apprennent, d'abord, au sein de la famille et c'est pourquoi, madame le ministre, les mesures que vous nous avez proposées et auxquelles le Sénat a voulu remédier sont plus qu'une erreur ; elles sont réellement une faute.
Voilà ce que je tenais à vous dire à l'occasion de cette explication de vote. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à la fin de ce débat, je souhaite exprimer le soutien des sénateurs radicaux socialistes du groupe du RDSE au projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté par le Gouvernement.
Je constate, bien entendu, que des modifications profondes ont été apportées par la majorité sénatoriale, dont le véritable contre-projet a le mérite de la cohérence politique et financière. Je suis en désaccord fondamental avec la philosophie qui le sous-tend et ses a priori « idéologiques », pour reprendre en la lui retournant l'expression de notre collègue M. Machet.
Je suis favorable au basculement des cotisations maladie sur la CSG, plus juste, moins pénalisante pour l'emploi, avec une assiette plus large et concernant l'ensemble des revenus. Cette extension de la CSG a, de plus, pour avantage de diminuer la part des cotisations sociales dans les prélèvements obligatoires, part qui est de très loin supérieure, en France, à la moyenne européenne. Or nombre de nos collègues ne sont-ils pas toujours prêts à nous montrer le modèle européen ?
Je suis favorable à l'allongement de la durée du remboursement du RDS, car le déficit de la sécurité sociale a pris une ampleur sans précédent dans la décennie 1990, notamment depuis 1993, le déficit cumulé passant de 100 milliards de francs en 1993 à 240 milliards de francs fin 1995. Quoi qu'il en soit, il faut bien prendre en compte le déficit de 1996, de 57 milliards de francs, et le déficit de 1997, de 35 milliards de francs !
S'agissant du débat sur les prestations familiales, qui a pris l'ampleur que l'on sait au sein de notre assemblée, je crois qu'il faut ramener les choses à leur juste niveau.
La mise sous condition de ressources des allocations familiales est annoncée comme provisoire par le Gouvernement. (Exclamations ironiques sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Elle est cependant pratiquée par au moins quatre autres pays de l'Union européenne et, à un moment où trois caisses sur quatre sont en déficit chronique, elle permet le choix de la solidarité et de la justice sociale.
Quand j'entends M. Gouteyron évoquer les problèmes que connaissent les familles dans les quartiers difficiles, je ne comprends pas que, dans un pays où environ sept millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, la solidarité à leur égard ne soit pas pour lui prioritaire.
J'en viens à la limitation des avantages de l'AGED. Je dois redire ici à quel point je suis scandalisée par cette sorte de chantage au travail au noir auquel, plus au moins discrètement, avec plus ou moins de décence, certains se sont livrés. (Prostestations sur les mêmes travées.)
Il faudrait donner aux plus aisés d'entre nous une allocation pour la garde d'enfants sans condition de ressources ? Il faudrait maintenir au niveau où elle a été fixée par le gouvernement Juppé la déduction fiscale, soit 45 000 francs ? Et, s'il l'on touchait à des avantages aussi exorbitants, aussi singuliers en Europe, les personnes les plus aisées de ce pays, faute de se voir payer la plus grande partie des salaires et des charges de la garde d'enfants, n'auraient plus qu'une solution, le travail au noir ? A qui voudrait-on faire croire cela ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Madame la ministre, votre projet va résolument dans le sens du pragmatisme, de la solidarité effective et de la réduction du déficit. Il reste nombre de chantiers à mener à bien, mais je crois que vous avez l'énergie pour le faire, dans la nécessaire concertation.
Les sénateurs radicaux socialistes sont favorables à votre projet. C'est pourquoi ils voteront... contre le projet issu des travaux de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de ce débat qui nous aura tenus éveillés des jours et des nuits, le sentiment qui peut prévaloir est que, comme l'a dit M. Estier, il y a au moins un point d'accord entre nous : il s'agit de l'objectif que nous devons tenter d'atteindre, quoi que vous ayez pu affirmer voilà quelques semaines, madame la ministre, sur l'antenne d'une chaîne nationale - n'avez-vous pas déclaré que l'objectif du Gouvernement n'était pas de maîtriser les dépenses ? - et je constate que M. Estier en convient avec nous.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je n'ai jamais dit cela !
M. Claude Estier. Sur quelle chaîne était-ce ?
M. Claude Huriet. C'était sur France 2, mais nous pourrons en reparler, et je suis en tout cas très satisfait que vous infirmiez ce propos, madame la ministre. Nous sommes donc tous bien d'accord sur l'objectif de maîtrise des dépenses.
Les enjeux sont considérables. Très sensibles aux arguments développés la semaine dernière par notre collègue M. Adnot, nous sommes conscients que le pis-aller que représente le prolongement du remboursement de la dette sociale ne peut se concevoir et être accepté que dans la mesure où, simultanément, des efforts de maîtrise des dépenses sociales - et plus précisément des dépenses de santé - sont engagés et poursuivis avec persévérance et détermination.
Ce point d'accord, mes chers collègues, se traduit d'ailleurs, cela a été plusieurs fois souligné, par une certaine continuité dans les moyens mis en oeuvre.
Cette continuité a trouvé son point de départ, notre collègue Charles Descours l'a rappelé la semaine dernière, dans un débat qui avait eu lieu ici même, alors que M. Teulade était en charge de ce dossier difficile : le Sénat avait approuvé les dispositions qui lui étaient présentées par le gouvernement de l'époque parce qu'il lui paraissait inéluctable qu'une démarche de maîtrise des dépenses de santé soit engagée sur une longue période.
Cette démarche a été entreprise et je pense qu'il était important, pour l'image de la Haute Assemblée et pour celle que doit donner un débat démocratique parlementaire, de souligner ce point.
Personne ne peut non plus contester - et, d'ailleurs, vous ne l'avez pas fait, madame la ministre - que, à partir de cette initiative de M. Teulade, la démarche du plan Juppé et les ordonnances d'avril 1996 se sont inscrites peu ou prou dans ce souci d'optimisation et de maîtrise des dépenses.
Mais, bien sûr, à côté de cela, que de champs de désaccords !
Je ne veux pas en dresser l'inventaire. Il l'a été tout au long de nos débats, qu'il s'agisse du financement de la sécurité sociale ou du basculement des cotisations maladie vers la CSG. Nous ne contestons d'ailleurs pas le principe de ce basculement, mais nous sommes très hostiles aux modalités qui nous sont proposées.
A ce sujet, vous me permettrez, madame la ministre, de vous communiquer un courrier, en date du 17 novembre, que beaucoup d'entre nous ont reçu et qui contredit l'accord auquel vous vous étiez référée voilà quelques jours, lorsque vous avez affirmé que, après les explications que vous aviez données aux différents partenaires sociaux, il semblait que les arrière-pensées et les inquiétudes avaient disparu. Il apparaît aujourd'hui que tel n'est pas tout à fait le cas, puisque cette lettre, qui émane de la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment, reprend à son compte les résultats des simulations auxquelles notre rapporteur Charles Descours s'était lui-même référé.
Un autre champ de désaccord peut être trouvé avec la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Nombreux sont les orateurs qui en ont parlé, et je pense que leurs interventions peuvent suffire à mettre un terme provisoire à notre débat. J'aimerais pourtant, madame la ministre, que vous nous fassiez connaître prochainement le sort que le Gouvernement envisage de réserver aux suppléments familiaux de traitement des fonctionnaires.
En conclusion, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la majorité sénatoriale a fait preuve, dans ce débat nécessaire et difficile, non seulement d'une très grande maturité - cela ne vous surprendra pas - mais aussi du sens de ses responsabilités. Nous ne nous sommes pas laissés aller à la facilité, idée que certains opposants entretiennent parfois.
C'est ainsi que, loin d'avoir d'emblée recouru à une disposition de procédure en rejetant, par l'adoption d'une question préalable, tout débat sur ce point - il méritait mieux - nous sommes, au contraire, allés dans le sens de la discussion : nous avons, en effet, amendé le texte.
Là encore, nous n'avons pas sacrifié à la facilité en augmentant les dépenses, mais nous avons réduit les recettes. Je pense que cette attitude est à mettre à l'actif de notre commission des affaires sociales, de son président, de ses rapporteurs et de la majorité sénatoriale tout entière.
A travers la démarche constructive que nous avons entreprise et qui nous honore, nous avons partagé ce souci d'atteindre notre objectif commun. Voilà qui me donne l'occasion non seulement d'apporter, après M. Machet, le soutien du groupe de l'Union centriste aux propositions défendues par la commission des affaires sociales, mais aussi de rendre hommage à tous ceux qui en ont été les artisans. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, sur l'ensemble de ce texte, je me rallie sans hésiter aux conclusions de la commission des affaires sociales et de nos excellents collègues, les rapporteurs Charles Descours, Jacques Machet et Alain Vasselle, dont je tiens à saluer le travail approfondi et équilibré.
La Haute Assemblée a fait la preuve de sa maturité et de son esprit constructif en amendant le texte de l'Assemblée nationale pour en atténuer certains excès évidents. Les points de divergence ne manqueront certes pas avec les députés, mais je compte sur la vigilance de nos collègues membres de la commission mixte paritaire pour préserver les acquis de notre assemblée, notamment en ce qui concerne la famille.
Mes critiques et mes amendements ont essentiellement porté sur ce point, parce que je considère qu'il y a là un déséquilibre manifeste. Des efforts considérables sont demandés à cette branche - et à elle seulement - alors qu'on n'en demande pas autant aux deux autres branches qui, elles, souffrent de déficits structurels. De plus, on lui fait supporter des charges qui devraient être imputées aux autres branches et qui sont la cause principale de son déficit. C'est là une injustice flagrante. A moins, comme l'évoquait mon collègue M. Machet, qu'il ne s'agisse d'un parti pris idéologique ?
C'est l'accumulation de ces mesures qui provoque mon hostilité, car elle aboutit au démantèlement de la politique familiale, d'autant que cet ensemble est aggravé par le projet de loi de finances, sur lequel nous aurons prochainement l'occasion de manifester notre opposition.
Certaines mesures, prises isolément, peuvent paraître acceptables à certains. Je ne parle naturellement pas de la mise sous condition de ressources des allocations familiales, qui signifie à elle seule un bouleversement de notre politique familiale, une rupture du contrat moral entre l'Etat et les citoyens ; c'est pourquoi j'y suis totalement opposé.
Vous essayez très habilement de noyer les poissons, madame le ministe, en défendant chaque mesure isolément. Mais nous ne sommes pas dupes, car nous savons bien que, à partir du moment où vous vous attaquez au principe d'universalité à propos des allocations familiales, c'est l'ensemble de notre système de protection sociale qui se trouve ébranlé. Demain, rien ne vous empêchera, malgré vos promesses d'aujourd'hui, de mettre sous condition de ressources, par exemple, le remboursement du « petit risque » maladie ou le versement de certaines retraites.
M. Claude Estier. C'est un procès d'intention !
M. Dominique Braye. Non, je ne crois pas sérieusement que la sauvegarde de notre système de protection sociale, dont je n'ignore pas par ailleurs la situation périlleuse, impose un reniement, même partiel, du principe qui le sous-tend.
Votre mise sous condition de ressources des prestations familiales, contrairement à ce que vous annoncez, madame le ministre, n'entraîne aucune redistribution vers les plus modestes.
M. Alain Gournac. Bravo !
M. Dominique Braye. Oui, il faut le dire haut et fort, elle ne sert qu'à faire des économies. Votre approche est exclusivement comptable. Mais où sont donc passées la solidarité et la place de l'homme dans la société, dont vous nous parlez tant ?
Ainsi, à propos des emplois familiaux, vous demandez aux employeurs de faire preuve de solidarité en renonçant à une partie de la subvention dont ils bénéficiaient sur les charges sociales, en oubliant au passage que les jeunes femmes employées à ce titre bénéficiaient elles aussi de cette subvention. Elles y avaient trouvé non seulement un emploi, mais aussi la chance d'acquérir une qualification. C'est la reconnaissance de cette qualification que j'ai d'ailleurs voulu souligner, par mon amendement relatif à la formation continue.
Vous cassez l'emploi à domicile, qui avait enfin trouvé une stabilité. Vous le condamnez à la régression, à la précarité et aux pratiques clandestines, et ce au détriment des comptes de la sécurité sociale, ce qui est un comble, avouons-le, dans ce projet de loi qui a théoriquement un objectif inverse. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Quel chantage !
Mme Joëlle Dusseau. N'importe quoi !
M. Dominique Braye. La garde d'enfants offre, certes, un service à la famille qui l'emploie ; elle a aussi et surtout une utilité sociale : l'éducation des enfants à laquelle elle participe est bénéfique à l'ensemble de la société. Dans son rapport, Mme Gisserot soulignait d'ailleurs qu'il fallait considérer « ce qu'il en coûte à notre société de ne pas investir dans la famille ». Vous n'avez pas intégré ce paramètre, pourtant capital, dans votre approche comptable, madame le ministre : quel est le coût global pour notre société de la non-éducation des enfants, comme le rappelait tout à l'heure M. Gouteyron ?
Mme Joëlle Dusseau. Les femmes au foyer !
M. Dominique Braye. A propos du passage au noir des emplois familiaux, je suis désolé de ne pouvoir vous suivre, madame le ministre, lorsque vous réfutez notre argument. Nous devons, vous devez être réaliste : nos concitoyens ne sont pas aussi disciplinés que vous voudriez le faire croire.
J'aimerais cautionner votre vision angélique des choses, mais je ne le puis raisonnablement. Entre payer des cotisations dont ils étaient jusqu'alors exemptés et passer la garde des enfants au travail au noir, beaucoup d'employeurs n'auront pas le choix. (Protestations sur les travées socialistes.)
Mais oui ! D'ailleurs, madame le ministre, vous le reconnaissez implicitement en prônant un renforcement des contrôles à domicile, ainsi que vous l'avez dit devant la commission des affaires sociales.
Je ne crois pas, pour ma part, que le « flicage » de nos concitoyens jusque dans leur domicile soit une solution dans un Etat de droit à la veille du XXIe siècle ! Vous affichez un souci des libertés qui s'accorde mal avec une telle solution.
Cette incitation, car il n'y a pas d'autre terme, au licenciement et, surtout, au travail au noir, est en contradiction flagrante avec une priorité à l'emploi que vous affichez haut et fort depuis votre arrivée au pouvoir. Faut-il donc croire que cela n'est qu'un slogan destiné à soutenir la popularité du Gouvernement auprès de l'opinion ?
Vous dites prendre conscience des difficultés matérielles que vos mesures produiront dans ces familles, alors même que vous vous attaquez à la liberté de choix entre travail et vie familiale. Et nous savons bien que la nécessité du choix portera encore trop souvent sur les femmes. On peut le regretter, mais n'éludez pas le problème avec des voeux pieux comme vous le faites. « Les faits sont têtus », comme vous aimez à le dire, madame le ministre,...
M. Michel Caldaguès. Moins qu'elle !
M. Dominique Braye. ... et ils vous apportent chaque jour la contradiction.
Oui, je défends le travail des femmes et, surtout, leur liberté de choix.
M. Claude Estier. Cinq minutes, monsieur le président.
M. Dominique Braye. Vos mesures vont ajourd'hui à l'encontre de ce choix.
Vous pénalisez le travail féminin, vous pénalisez les femmes.
Mme Hélène Luc. Vous les avez mises au chômage, les femmes !
M. Dominique Braye. Vous pénalisez les couples mariés.
Mme Joëlle Dusseau. Qui ne pénalisez-vous pas, madame la ministre !
M. Dominique Braye. Alors ne nous faites pas croire que vous défendez la famille et que vous êtes sensible à ses problèmes !
Aujourd'hui plus que jamais, comme le rappelait M. Gouteyron, dans la conjoncture économique et sociale bouleversée que nous connaissons, l'Etat a le devoir impérieux d'investir dans la famille. Je crois profondément que la famille apporte un remède à nombre des maux qui minent actuellement notre société. Chaque famille, parce qu'elle assure l'avenir de la collectivité nationale, est justiciable de son soutien, quel que soit son niveau de revenu. Il serait socialement dangereux de ne plus traiter les familles de manière égalitaire dans l'accès aux prestations.
M. Claude Estier. Cinq minutes !
M. Dominique Braye. Il s'agit du principe, il s'agit du symbole. Vous me répondrez que c'est peu de chose en regard du déficit de la sécurité sociale et de la misère que subissent trop de nos concitoyens. Je crois au contraire que principe et symbole donnent sens à notre société et que nous ne pouvons faire l'économie du sens quand notre société est menacée d'implosion.
Monsieur le président, madame le ministre...
Mme Joëlle Dusseau. Madame « la » ministre !
M. Dominique Braye. ... monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il existe bien d'autres moyens de construire l'Etat solidaire auquel nous aspirons tous.
M. Claude Estier. On l'a vu avec le gouvernement précédent !
M. Dominique Braye. La Haute Assemblée l'a bien compris, d'une part en affirmant sa volonté de défendre la branche famille, d'autre part en prouvant que cette défense ne se faisait pas au détriment de la solidarité, comme voulait nous le faire croire le Gouvernement, mais que, au contraire, elle la renforçait.
C'est tout le sens du contre-projet élaboré par le Sénat, et c'est pour cela que, comme mes collègues du Rassemblement pour la République, je voterai ce texte avec conviction. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'ai l'impression que ma tâche sera extrêmement difficile et que je risque, compte tenu des propos que je vais tenir, de ne recueillir l'approbation ni de la droite ni de la gauche de cet hémicycle.
Objectivement, il faut reconnaître que notre choix est délicat et la situation un peu exceptionnelle. Le texte dont nous discutons n'a en effet plus aucun rapport avec celui du Gouvernement.
M. Claude Estier. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Nous sommes au moins d'accord sur ce point !
M. Guy Cabanel. On peut se poser la question de savoir si c'est bien le texte du Gouvernement qui est soumis à nos suffrages.
En fait, deux logiques s'affrontent ici : celle du Gouvernement et celle de la commission des affaires sociales.
Je dois dire que la commission des affaires sociales a présenté avec conviction un certain nombre de propositions. On peut y adhérer, on peut les discuter, mais elles constituent quand même un ensemble logique. Il est vrai que la commission des affaires sociales et, au-delà, le Sénat ont eu la tâche facile, car il s'agissait de répondre à une émotion, justifiée ou non, mais une émotion réelle de la population.
Le Sénat a en effet souhaité maintenir en l'état la politique familiale en refusant la mise sous condition de ressources des allocations familiales et la réduction de l'allocation de garde d'enfant à domicile. C'était une démarche facile. Cela étant, madame la ministre, je suis tout de même surpris que, pour une année et à titre transitoire, vous ayez pris des décisions qui prêtent aux critiques, alors que vous allez vous-même définir, je le pense dès l'année prochaine, les grandes lignes d'une politique familiale dans le cadre de la protection sociale.
Je n'entrerai pas dans le débat sur l'équité, sinon pour constater que, chaque fois que l'on met sous condition de ressources des prestations, on s'engage dans un système tout à fait différent de celui que nous connaissons. Certains pays ont géré leur protection sociale en retenant le principe de mise sous condition de ressources, et pas très loin de nous. Ainsi, les Pays-Bas ont connu pendant longtemps de nombreuses prestations sociales et même de nombreux remboursements en matière d'assurance maladie sous condition de ressources ; mais il en résulte un effet de seuil toujours difficile à supporter et des problèmes très délicats, notamment en cas de petites variations de ressources en cours d'année.
Donc, cette démarche me paraissait déjà discutable. Mais il y a plus.
Vous aviez deux façons de faire monter en puissance la CSG : progressivement ou d'un seul coup. Vous avez choisi de le faire d'un seul coup. Vous auriez pu certes aller jusqu'à 5 %, mais vous avez retenu un niveau déjà élevé, de 4,1 %. Il était donc aisé à la commission des affaires sociales, par la voix de ses talentueux rapporteurs, de vous alerter alors sur le fait que, compte tenu de l'abandon concomitant des réductions d'impôt sur le revenu prévues dans la dernière loi de finances, on risquait une augmentation de la pression fiscale et parafiscale qui pourrait paraître, pour certaines catégories de citoyens, en particulier les classes moyennes, particulièrement difficile à supporter.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales a tout de même accepté une politique de taxation de l'épargne avec extension de l'assiette des autres contributions sociales, mais elle a refusé le nouveau prélèvement social de 2 % sur l'épargne populaire.
Là aussi, on pourrait dire que le Sénat a profité d'une petite faille dans le dispositif gouvernemental en trouvant des accents un peu populistes qui lui ont permis de justifier sa démarche. Mais à quoi tout cela aboutit-il, sinon à priver de ressources la sécurité sociale ?
Dès lors, il a fallu trouver, en compensation, des économies de gestion, bien hypothétiques, d'ailleurs, et, en tout cas, assez mal définies dans le document de la commission des affaires sociales. Mais, surtout, on a fait le choix de maintenir la progression de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie, le fameux ONDAM, à son niveau de 1997, c'est-à-dire à 1,7 % - la commission des finances a même proposé, dans un élan qui m'a paru un peu audacieux, un taux de 1,3 %, mais nous en sommes restés à 1,7 % - alors que le Gouvernement se fondait, dans le projet de loi initial, sur une prévision de 2,2 %. C'est sur ce choix que je ne suis pas d'accord.
Les deux logiques du projet gouvernemental et du texte amendé par le Sénat n'ont comme point commun que la limitation du déficit prévisionnel à 12 milliards de francs. Or, j'ai été échaudé l'année dernière, lors du vote du plan de financement de la sécurité sociale.
M. Claude Estier. Vous avez raison !
M. Guy Cabanel. J'ai en effet voté très gentiment une limitation du déficit à 26,9 milliards de francs, mais un audit récent nous livre des résultats qui n'ont plus aucun rapport avec cette somme. A moins d'un heureux effet de la croissance, le pari que nous prenons actuellement peut-il être tenu, même dans le cadre d'un ONDAM limité à 1,7 % ? Je crains que ce ne soit pas possible et il faut s'en rendre compte, en raison de la lenteur de la mise en oeuvre de la réforme de la sécurité sociale. Elle n'incombe, du reste, ni au gouvernement actuel, ni au gouvernement qui l'a précédé, mais elle est inhérente au lourd appareillage qu'il fallait mettre en place.
Aujourd'hui, il n'est pas possible de dire que la maîtrise des dépenses de santé soit vraiment, objectivement, en cours. En effet, le redéploiement de l'offre de soins ne fait que commencer. Les agences régionales d'hospitalisation sont, certes, installées depuis plusieurs mois. L'ANAES, l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation pour la santé, l'a été plus récemment, mais selon un déroulement normal qui n'appelle aucune critique. Malheureusement, les agences régionales d'hospitalisation n'ont pas beaucoup avancé dans leur tâche.
L'élaboration des nouveaux schémas régionaux d'organisation sanitaire, l'évaluation des activités hospitalières et libérales, l'accréditation par service ou par établissement - il existe trois mille sept cents établissements hospitaliers en France - sont des épreuves de longue haleine. Il s'ensuit que le redéploiement de l'offre de soins ne se fera pas en un jour, et qu'il sera douloureux. Vous avez vous-même prévu dans votre projet de loi un fonds spécial destiné à faciliter les mesures prises dans ce cadre, mais nous n'en sommes pas encore au stade de leur application.
La limitation relative de la demande n'est, à mon avis, que le résultat du choc psychologique de la réforme annoncée en 1995. Tout laisse craindre qu'une population âgée chaque jour plus nombreuse exigera plus de soins. Ce n'est pas le carnet de santé, dont l'application s'est enlisée, qui aidera vraiment à la rationalisation des examens et des prescriptions.
Que faire ? Ce sur quoi il faut agir prioritairement et avec la plus grande énergie, c'est l'informatisation.
L'informatisation peut contribuer efficacement à la rationalisation souhaitée des examens et des prescriptions à la condition qu'elle permette le stockage des informations codées et cryptées pour en assurer la confidentialité.
Dans ces conditions, le système de santé, et donc de protection sociale, n'est pas encore régulé. Il ne peut se contenter, en 1998, d'un ONDAM à 1,7 % sans risque de difficulté, en particulier hospitalière.
C'est pourquoi je m'abstiendrai lors de ce vote difficile sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998.
Je ne suis d'ailleurs pas certain de l'efficacité de la contre-proposition du Sénat : que se passera-t-il quand il s'agira d'appliquer vraiment un ONDAM contraignant, qui pourra entraîner des difficultés peut-être plus grandes encore que la prise en considération d'une phase transitoire dans l'adaptation de l'offre de soins et de l'évolution de la demande ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, je serai bref, tout ayant été dit et si bien dit par les collègues de la majorité sénatoriale qui m'ont précédé ; je n'y reviendrais donc pas, sinon pour me féliciter des propos qui ont été tenus par les uns et par les autres.
Permettez-moi deux remarques, l'une générale, l'autre sur un aspect particulier de la loi, qui concerne l'AGED, et une très brève conclusion.
La remarque générale, tout d'abord. Je tiens à féliciter nos rapporteurs, le président et tous les membres de la commission des affaires sociales, qui ont accompli un travail important et constructif...
M. François Autain. Destructif !
M. Alain Vasselle ... pour changer complètement la logique du Gouvernement. L'objectif de limitation des déficits de la sécurité sociale constitue, comme l'ont dit notamment M. Estier et M. Huriet, un point commun...
M. Claude Estier. C'est le seul !
M. Jean Chérioux. Ce n'est pas beaucoup !
M. Alain Vasselle ... entre le Gouvernement et nous. Mais n'est-ce pas là l'essentiel, puisque c'est tout à la fois reconnaître la logique de la démarche des précédents gouvernements et donner acte, tant à M. Balladur qu'à M. Juppé, du travail considérable et tout à fait positif qu'ils ont accompli pour tendre à la maîtrise des dépenses de la sécurité sociale ?
M. Claude Estier. Le résultat n'est pas là !
M. Alain Vasselle. Vous ne l'aviez pas fait antérieurement, car vous nous aviez laissé une situation, en 1993, des plus déplorables.
M. Alain Gournac. Oui !
Mme Joëlle Dusseau. On connaît les chiffres du déficit !
M. Alain Vasselle. Pour y remédier, nous avons dû prendre des mesures impopulaires dont vous avez tiré profit électoralement, mais dont vous ne savez pas tirer profit pour le bien de la France,...
Mme Joëlle Dusseau. Ce n'est pas vrai, monsieur Vasselle !
M. Alain Vasselle ... plus particulièrement pour le bien des familles. (Applaudissements sur les travées du RPR. - Protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Ce sont les Français qui ont voté !
M. Alain Vasselle. La preuve en est que le texte gouvernemental se caractérisait, en dehors de l'aspect positif de la limitation du déficit, par une accentuation des prélèvements obligatoires, ce que vous dénoncez vous-même, ce que nous avons tous dénoncé, ce que les gouvernements successifs ont dénoncé, ce que les présidents de la République qui se sont succédé depuis plus de dix ans ont dénoncé ! Et quel est le seul gouvernement qui s'est attaqué au problème ? Certes, après avoir dû prendre des mesures peu favorables,...
M. Claude Estier. Ah oui !
M. Alain Vasselle. ... parce qu'il a bien fallu limiter le déficit budgétaire qui pénalisait notre économie ! Mais M. Juppé avait engagé la France sur la voie du redressement et de l'amélioration des prélèvements obligatoires. Or qu'a fait le Premier ministre lorsqu'il est arrivé aux responsabilités ? Il a mis un terme à la réforme fiscale qui avait été engagée et il n'a cessé d'augmenter les prélèvements obligatoires à l'occasion des textes qui ont été proposés jusqu'à aujourd'hui, que ce soit le texte sur l'emploi des jeunes, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et, on le verra également, le projet de loi de finances. Heureusement qu'il est limité par les critères européens, notamment celui des 3 % du PIB ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - Exclamations sur les travées socialistes.) Vous avez, outre l'augmentation des prélèvements, pris une mesure qui s'est traduite par une très forte pénalisation des familles. Vous avez confondu politique familiale et politique de solidarité !
Mme Joëlle Dusseau. De certaines familles, ce n'est pas pareil !
Mme Hélène Luc. Et vous, qu'en avez-vous fait de la famille ?
M. Alain Vasselle. M. Gouteyron a rappelé très justement, tout à l'heure, quelle était la situation antérieure.
M. Alain Gournac. Excellemment !
M. Alain Vasselle. De 14 % seulement dans les années soixante-dix, les mesures de solidarité au bénéfice de la branche famille sont passées à 40 %. La politique de solidarité à l'égard de la famille n'a donc pas été négligée, mais elle a été, au contraire, renforcée au fil du temps par les gouvernements successifs, qu'ils aient été de gauche ou de droite.
Or vous, que faites-vous ? Vous accentuez cette politique de solidarité non pas pour aider ces familles - les dispositions que vous avez prises ne sont pas des mesures de solidarité car elles ne bénéficient ni aux familles en difficulté ni aux familles deshéritées...
M. Alain Gournac. Très bien ! Absolument ! (M. Adrien Gouteyron applaudit.)
M. Alain Vasselle. ... mais uniquement pour des raisons comptables et fiscales et pour satisfaire au critère de 3 % du PIB fixé par Maastricht.
Quand, par des discours généreux, vous voulez faire croire à l'opinion publique que toutes les mesures que vous prenez sont des mesures de solidarité, vous trompez les Français !
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Alain Vasselle. Vous trompez les familles qui sont en difficulté !
M. Claude Estier. Les Français ont voté ; c'était dans nos engagements électoraux !
M. Alain Gournac. Oui, mais faites attention !
M. Alain Vasselle. Vous avez confondu politique sociale et politique familiale.
Ma deuxième remarque, sur laquelle je serai plus bref, porte sur l'AGED. Il est quand même assez cocasse de constater que le ministre qui propose cette réforme de l'AGED soit aussi le ministre du travail et de l'emploi. (M. Gournac sourit.) L'AGED n'a pas été uniquement institué avec l'objectif de venir en aide aux familles aisées, moyennes ou à des familles qui appartiennent à des milieux sociaux élevés. C'était d'abord une mesure pour favoriser l'emploi.
Cette mesure pour l'emploi, qui a eu son succès, a été renforcée par les gouvernements successifs. En 1990, les emplois familiaux étaient au nombre d'environ 400 000 et nous les avons portés à plus d'un million aujourd'hui.
M. Alain Gournac. Oui !
M. Alain Vasselle. Cela signifie que, par cette mesure, le ministre, qui devrait être le ministre de l'emploi, va devenir le ministre du chômage. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Alain Gournac. Mais si !
M. Alain Vasselle. Des hommes et des femmes qui occupaient ces emplois vont ainsi se retrouver au chômage. Voilà quel sera le résultat de votre politique !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Alain Vasselle. Mes chers collègues, ce sera ma conclusion, donnons au Gouvernement deux rendez-vous.
Le premier rendez-vous est devant l'opinion publique, que le Sénat prend à témoin, à travers les contre-propositions qu'il a faites. Elle appréciera le caractère concret de nos propositions... (M. le secrétaire d'Etat sourit.)
M. Claude Estier. Il y a déjà eu un jugement !
M. Alain Vasselle. ... et l'intérêt qu'il y aurait à les suivre comparées à celles du Gouvernement.
Le second rendez-vous que nous vous donnons, c'est devant le Conseil constitutionnel. Nous allons engager un recours devant lui sur ce droit universel qui avait été mis en place pour la famille. Je ne doute pas que le Conseil constitutionnel, dans sa sagesse, saura retenir nos arguments et remettra en cause les propositions qui ont été faites par le Gouvernement à travers ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Oudin, rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le Parlement vote désormais à peu près en même temps et dans des délais très rapprochés à la fois la loi de financement de la sécurité sociale qui nous occupe ce soir et la loi de finances. C'est une nouveauté qui date de la réforme constitutionnelle de février 1996 que nous devons au gouvernement précédent.
Nous avons ainsi, en face de nous, des masses financières tout à fait considérables, plus de 1 500 milliards de francs pour le projet de loi de finances, plus de 1 700 milliards de francs pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale, et des déficits, qui sont également considérables.
Face à ces déficits, la commission des finances a souhaité que nous ayons toujours une attitude cohérente à la fois pour limiter la hausse des dépenses et pour mieux encadrer l'évolution des prélèvements obligatoires, qu'ils soient fiscaux ou sociaux.
A cet égard, trois constats peuvent être dressés brièvement.
D'abord, notre taux de prélèvements obligatoires est l'un des plus élevés des pays développés. Nous l'avons dit, mais je crois qu'il faut y insister.
Ensuite, il y a une corrélation étroite entre le niveau de prélèvements obligatoires et le niveau de chômage.
Enfin, si nous ne souhaitons pas augmenter les prélèvements, il vaut mieux maîtriser l'évolution des dépenses et là se situe une partie du débat.
Dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, que constatons-nous ?
D'abord, les recettes nouvelles s'élèvent, il est vrai, à 12,7 milliards de francs. Mais si l'on ajoute les prélèvements prévus par la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier - qui a été votée - à ceux qui sont prévus dans le projet de loi de finances pour 1998, c'est au total, mes chers collègues, 80 milliards de francs de prélèvements obligatoires supplémentaires pour 1997 et 1998 que le Gouvernement nous propose.
Si nous avons refusé le basculement des cotisations sociales sur la CSG, c'est parce qu'il se traduisait par une surimposition de 4,6 milliards de francs et, de surcroît, parce que cette extension ne s'accompagnait pas, contrairement aux prévisions initiales, d'une réduction de l'impôt sur le revenu.
Quoi qu'il en soit, je crois que la majorité sénatoriale doit poursuivre sa réflexion pour avoir une attitude cohérente sur l'ensemble des différentes politiques de taxation : taxation par l'impôt sur le revenu, taxation par la CSG, taxation par la CRDS, contribution pour le remboursement de la dette sociale, taxation de l'épargne, imposition sur les sociétés - et nous savons que, dans une Europe ouverte, l'épargne est fluide et que les entreprises peuvent se délocaliser là où la conjoncture est la meilleure - enfin, taxation sur les consommations par les droits ou les taxes spécifiques.
Je pense que, dans tous ces domaines - l'expérience du dernier débat nous le montre - nous devons opérer, si cela est possible, dans l'avenir une opération de simplification indispensable. En effet - peut-être l'avez-vous remarqué - nous commençons à atteindre un niveau déraisonnable dans la complexité de nos taxations fiscales et sociales.
Pour ce qui est des dépenses, j'aurai quatre brèves observations à formuler.
En ce qui concerne, d'abord, l'avenir des régimes de retraite et, plus particulièrement, des régimes spéciaux et des régimes du secteur public, nous n'avons toujours pas de perspectives sérieuses sur les conditions d'un équilibre à long terme.
L'exemple de la CNRACL est, à cet égard, extraordinairement illustratif. Voilà un régime dont l'équilibre démographique encore positif se dégradera inéluctablement à long terme. Voilà un régime dont la situation financière actuelle est obérée par des prélèvements excessifs effectués au titre de la compensation et de la surcompensation. Or, la seule solution qui nous est proposée est d'autoriser ce régime à s'endetter. Le Sénat l'a refusée, je crois à juste titre, car c'était la voie de la facilité, la voie la plus mauvaise à lui offrir.
Ma deuxième observation concerne les dettes au régime général. La caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES, a été créée pour recueillir cette dette, comme on dit, pour la « cantonner », la financer par une contribution spéciale, la CRDS. Elle a 140 milliards de francs de déficit à amortir en treize ans. La loi de financement de la sécurité sociale nous propose, aujourd'hui, d'ajouter 87 milliards et de prolonger l'existence de la caisse de cinq ans, de 2008 à 2014. Pour éviter de relever le taux de la CRDS de 0,5 % à 0,7 %, la majorité sénatoriale a accepté l'allongement de la durée de vie de cette caisse, en demandant toutefois sa dissolution au 31 janvier 2014.
La troisième observation, c'est notre refus de voir effectuer des économies sur la seule branche famille, sans qu'une réflexion et une concertation préalables avec tous les acteurs se soient engagées.
Enfin, ma quatrième et dernière observation portera sur l'évolution des dépenses de l'assurance maladie, dont notre collègue M. Cabanel vient de parler. C'est vrai, cette évolution est encadrée par l'ONDAM.
Notre souci est toujours de dépenser mieux ; cela ne veut pas dire forcément toujours dépenser plus. En tout état de cause, cela signifie, compte tenu de la lourdeur du système sur laquelle vous avez parfaitement insisté, un effort de maîtrise de l'évolution de ces dépenses ininterompue, une lutte sans cesse contre les gaspillages, une réaffectation permanente des moyens.
Personne ne conteste l'importance des actions que nous devons entreprendre : la Cour des comptes, l'inspection générale des affaires sociales, l'IGAS, la mutualité française, le médecin chef de la CNAM chiffrent par milliards de francs les gaspillages éventuels qui peuvent être mieux utilisés dans d'autres domaines de l'assurance maladie, bien entendu.
C'est la raison pour laquelle le taux d'évolution de l'ONDAM a autant d'importance et en aura autant à l'avenir. Fixé à 1,7 % en 1997 - cette année - le Gouvernement l'a porté à 2,2 % pour l'an prochain. Le Sénat l'a ramené à 1,8 % alors même que l'inflation ne s'établira l'an prochain qu'à 1,3 %.
Une telle action ne peut être menée sans l'appui, la participation et le soutien du monde médical et paramédical et, d'ailleurs, de l'ensemble des acteurs de l'offre médicale.
Les ordonnances de 1996 et les textes qui ont suivi nous donnent tous les moyens de mieux maîtriser ces dépenses. A nous de les utiliser ; à vous - je m'adresse au Gouvernement - de mieux les utiliser.
Au niveau que nous avons atteint pour nos prélèvements obligatoires et nos dépenses sociales, nous avons, je crois, objectivement tous les moyens de faire face à l'ensemble des besoins de solidarité nationale. Mais cela nécessite, je le répète, des actions considérables de maîtrise de l'évolution de toutes nos dépenses publiques et sociales et de réaffectation de ces mêmes dépenses.
Les efforts que nous ne ferons pas aujourd'hui se traduiront par des déficits. Ils auront pour conséquence de transférer aux générations futures, à celles de nos enfants et de nos petits-enfants, les résultats de nos faiblesses actuelles, et cela n'est pas acceptable.
C'est la raison pour laquelle la majorité sénatoriale a choisi de faire preuve de lucidité et de courage. Nous avons donc élaboré un contre-projet pour prendre acte au moins devant l'avenir. La commission des finances du Sénat, bien entendu, apporte son soutien à ce contre-projet. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de RDSE.)
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au terme de ce débat dont je ne reprendrai pas les arguments qui ont été longs, passionnés et très intéressants, je voudrais d'abord adresser mes remerciements à la présidence pour la manière dont elle a facilité la conduite des débats, et à nos collègues de la majorité sénatoriale qui ont accepté les conclusions de la commission des affaires sociales dans leur très grande majorité, et l'ont toujours suivie sur chacun des articles pour définir un projet alternatif à celui qui a été présenté par le Gouvernement.
Nous aurions pu retenir la solution de facilité, c'est-à-dire rejeter purement et simplement le texte sans en débattre. Nous n'avons pas fait ce choix. Nous avons, au contraire, décidé de confronter au grand jour nos positions, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, avec celles du Gouvernement sur chaque prélèvement nouveau, sur chaque objectif de dépense.
L'exercice n'était pas simple, compte tenu des lignes de conduite que nous nous étions fixées, comme le Gouvernement : réduire le déficit de la sécurité sociale à 12 milliards de francs pour 1998, mais réduire ce déficit, à la différence des propositions du Gouvernement, en contenant l'évolution des prélèvements et celle des dépenses.
Si je dis que l'exercice n'était pas simple c'est que ces lignes de conduite, vous le savez, mes chers collègues, imposent une discipline que vous avez respectée sans jamais fléchir.
Je crois qu'il était bon que, comme nous le faisons ce soir, les explications de vote et le vote soient dissociés de la discussion des amendements qui, souvent, se termine au milieu de la nuit. Or, la solennité de cet important budget mériterait que nous en discutions à un moment plus opportun.
En ce qui concerne les dépenses, par exemple, nous aurions pu, ce qui est somme toute assez simple, faire des coupes claires générales sans jamais dire précisément quelles dépenses peuvent être réduites.
Nous aurions pu adopter une démarche purement comptable qui consiste à jongler avec des milliards de francs, sur un coin de table, sans réfléchir à l'impact sur le terrain, en vérifiant simplement que les plus compensent les moins. Telle n'a pas été notre démarche. Sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, par exemple, nous n'avons pas procédé ainsi.
Nous avons certes estimé que le taux proposé par le Gouvernement n'était pas incitatif pour entreprendre les nécessaires adaptations de notre tissu hospitalier. Nous pensons, nous vous l'avons dit, madame la ministre, que la contrainte budgétaire n'est pas la clé des restructurations ; mais nous pensons aussi que, sans contrainte budgétaire, la politique du fil de l'eau, lorsque le taux directeur permet de financer l'offre à périmètre constant, ne fera pas bouger les choses spontanément. C'est un point qui nous a séparés.
Nous avons dit aussi que 10 % de l'ONDAM correspondent aujourd'hui à des dépenses non encadrées, et personne ne l'a contesté. Nous avons cité ces dépenses et, comme l'année dernière, nous avons adopté un amendement prévoyant un encadrement de l'évolution des dépenses du secteur médico-social, dès 1998.
Même si cela était peu populaire, nous l'avons fait, car nous croyons qu'il faut le faire dès 1998 et non pas à partir de 1999, comme vous nous le promettez, madame le ministre. Nous verrons bien !
Nous vous avons invitée à procéder de même dans les meilleurs délais pour les prescriptions faites par d'autres médecins que les médecins libéraux à titre externe aux hôpitaux, et ce n'est qu'alors que nous avons réduit l'ONDAM, en conséquence et dans ces seules proportions.
Voilà pourquoi nous pouvons, je le crois, être satisfaits du travail accompli par notre assemblée et de la démarche qu'elle a su retenir.
Bien sûr, nous nous sommes opposés aux deux mesures les plus contestées de ce projet de loi.
Il s'agit tout d'abord du basculement, que nous estimons aventureux compte tenu des sommes gigantesques en jeu, des cotisations maladie sur la contribution sociale généralisée. A notre avis, cela pénalisera gravement de nombreux Français, dont on ne sait pas comment ils arbitreront leurs placements, qu'ils soient travailleurs indépendants ou épargnants.
La seconde mesure très contestée, plusieurs orateurs l'ont répété ce soir, c'est la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, qui remet en cause, cela a été dit et redit, les principes fondateurs de la sécurité sociale.
Nous sommes en effet convaincus, tout comme vous peut-être, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que, même pour un an, nous ne devons pas jouer avec le socle du contrat social, auquel tous les Français sont légitimement attachés. Nous risquerions en effet d'aggraver encore la fracture sociale.
Au terme de ce débat, je voudrais vous remercier, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de la manière dont vous avez accepté la confrontation de nos arguments, la confrontation de deux projets pour la sécurité sociale.
Je suis convaincu, et nombre de mes collègues avec moi, que vous partagez notre attachement à la protection sociale, dont vous êtes vous-mêmes, je l'espère, persuadés.
Nous pensons que, pour sauver la protection sociale, il faut que celle-ci continue à servir des prestations à tous les Français, qu'il s'agisse des prestations vieillesse, maladie ou famille.
Nous pensons aussi qu'il faut qu'elle n'absorbe pas une part toujours plus importante du revenu de nos concitoyens.
Nous estimons que la protection sociale, et donc l'équilibre de nos sociétés, seront menacés le jour où les classes moyennes jugeront qu'elles paient trop pour le service rendu - et ce jour n'est pas loin -, qu'elles paient trop alors qu'elles ne reçoivent rien.
Ce jour-là, il y aura une vraie rupture dans le système de sécurité sociale, et je crois que nous sommes proches de ce moment. C'est le message que je voulais faire passer, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat. Voilà ce qui nous sépare. S'il n'en était pas ainsi, nous n'aurions pas présenté un contre-projet à votre projet de loi de financement.
Nous avons amendé votre projet, et j'espère que vous n'emploierez pas le terme « dénaturé », nous allons maintenant l'adopter sous une forme qui, selon nous, donne les meilleures chances à la sécurité sociale à laquelle, tous, sur tous les bancs, je l'espère, nous sommes très attachés, même si nous sommes tous, sur tous les bancs également, persuadés qu'elle doit évoluer. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 15:
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 308 |
Majorité absolue des suffrages | 155 |
Pour l'adoption | 211 |
Contre | 97 |
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d'abord remercier les membres de la Haute Assemblée car, si les débats ont été souvent vigoureux, ils ont, en règle générale, été de qualité, comme certains d'entre vous l'ont déjà dit.
Je voudrais également saluer le travail accompli par vos rapporteurs, MM. Machet, Vasselle et Oudin, ainsi que par M. Descours et par le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade.
Je voudrais aussi remercier les sénateurs qui ont bien voulu soutenir la démarche engagée par le Gouvernement. Il s'agit plus particulièrement de Mmes Dieulangard, Derycke et Dusseau, de MM. Autain et Chabroux, ainsi que de M. Estier. Je tiens encore à remercier Mme Borvo et M. Fischer qui ont notamment déposé des amendements pertinents sur le contre-projet de la commission des affaires sociales.
Nous nous accordons tous sur ce point : la situation est difficile. Avec un déficit de 37 milliards de francs cette année et un déficit prévisible, si nous ne faisions rien, de 33 milliards de francs l'année prochaine, le déficit auquel nous souhaitons parvenir - 12 milliards de francs environ - peut paraître convenable.
Il nous faut avancer avec détermination, mais aussi avec modestie.
Etant donné le nombre de fois où l'on a dit aux Français que le déficit de la sécurité sociale allait être comblé, ils n'y croient plus. Nous sommes donc bien conscients, Bernard Kouchner et moi-même, à un moment où le Gouvernement s'engage comme il le fait aujourd'hui, qu'il nous faudra atteindre les résultats que nous nous sommes fixés. En tout cas, tel est notre état d'esprit, et vous le savez bien.
Nous avons certes eu des désaccords profonds avec la majorité sénatoriale ; nous avons cependant pu engager des débats de fond.
Tout d'abord, nous avions proposé une réforme d'ampleur du financement de la sécurité sociale, visant à donner à celle-ci une assiette à la fois plus dynamique et plus équilibrée, permettant d'assurer sa pérennité. Sur ce point, je regrette que la commission des affaires sociales n'ait pas retenu cette année ce que son rapporteur avait dit, l'année dernière, sur les limites d'un financement assis sur les seules cotisations.
Je voudrais maintenant en revenir à la politique familiale, après les propos que l'on a encore entendus ce soir, qui ne sont tenus, je le reconnais, que par quelques-uns.
Nous avons le droit de penser, lorsque le déficit s'établit à 13 milliards de francs, quand beaucoup de familles souffrent, alors que le Gouvernement a versé 10,5 milliards de francs en cinq mois aux familles, notamment aux plus fragiles, qu'il faut réintroduire de la solidarité dans la politique familiale. Vous avez quant à vous le droit de contester nos méthodes, mais vous ne pouvez pas dire que nous brisons les familles. En effet, les dispositions que nous avons proposées quant aux emplois familiaux concernent 0,25 % des familles françaises, et celles qui portent sur l'AGED touchent 30 000 familles sur 9 500 000 !...
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, si vous avez le droit d'être en désaccord avec nous, vous ne pouvez pas dire, je le répète, que nous brisons la famille.
J'ajoute que, depuis cinq mois, nous avons apporté aux familles 10,5 milliards de francs.
Les désaccords n'impliquent pas que l'on tienne de faux propos. Les familles jugeront, avez-vous dit ; à mon avis, elles ont déjà jugé !
Quoi qu'il en soit, il faut travailler et c'est ce que nous allons faire.
Comme nous le savons, la politique familiale se construira avec l'ensemble des Français, la politique familiale ne se résume pas aux prestations familiales, elle regroupe la politique de l'emploi pour les jeunes, la politique du logement, la politique de sécurité.
Croyez bien que les associations familiales, quelles que soient leurs positions sur telle ou telle mesure technique, ne sont pas dans la rue à déplorer que ce Gouvernement mette à bas les familles, elles sont dans nos bureaux, en train de discuter.
C'est ainsi que je conçois la démocratie et le travail que nous devons accomplir en ce qui concerne la famille, dont nous sommes tous d'accord ici pour dire qu'elle est la cellule de base dans laquelle les enfants doivent se construire et doivent aussi construire leur devenir affectif, collectif.
Je préfère que nous en parlions de cette façon, les désaccords techniques n'impliquant pas les insultes. En tout cas, je ne vois pas comme cela le débat démocratique, et je remercie tous ceux, très nombreux au Sénat, qui n'en ont pas proféré.
Je regrette que nous n'ayons pas pu nous mettre d'accord sur la CSG.
La majorité sénatoriale a, par ailleurs, proposé des mesures d'économie. Nous sommes en désaccord sur ce point. Nous n'avons pas accepté de réduire à 1,7 %, selon la proposition de la commission des affaires sociales, et encore moins à 1,3 %, selon celle de la commission des finances, le taux de progression des dépenses maladie, tout simplement parce que nous sommes convaincus qu'il est impossible de faire bouger un système lorsque tous les freins sont serrés.
Nous nous trompons peut-être ! Vous nous avez fait part à l'instant de votre conviction sur ce sujet, monsieur le rapporteur. Notre conviction à nous, c'est que les hôpitaux n'évolueront que si on leur donne un peu de mou, c'est qu'on ne transforme pas des lits de court séjour en lits de long séjour en « fermant tous les robinets », c'est qu'il n'est pas possible aujourd'hui de réduire à moins de 3,15 % l'évolution du secteur médico-social alors que les besoins pour les handicapés et les personnes âgées sont si importants. Nous ne sommes pas capables - non plus - je le dis très simplement mais fermement - de réduire la part de la médecine de ville pour l'année prochaine alors que nous ne sommes même pas sûrs, les chiffres le montrent jour après jour, de tenir les objectifs de cette année.
Voilà nos convictions, elles reflètent la réalité actuelle.
Comme certains l'ont déjà dit, nous croyons que l'hôpital doit vivre correctement cette année pour pouvoir changer. Nous croyons que nous ferons évoluer l'hôpital ensemble, car il doit le faire.
Nous croyons de plus que les outils de la maîtrise des dépenses de santé, à laquelle je suis attachée, à laquelle le Gouvernement est attaché, ne sont pas encore tous en place. Nous allons les mettre en place avec les professionnels, mais aussi avec les élus. C'est une démarche qui est peut-être différente de celle à laquelle vous croyez, mais qui, je l'espère, portera ses fruits.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je regrette que nous ne nous soyons pas mis d'accord sur le transfert de la CSG, car je pense profondément qu'il pérénise l'avenir de notre protection sociale.
Je comprends que vous puissiez être en désaccord sur telle ou telle mesure technique de la politique familiale, bien que notre souhait soit d'insuffler de la solidarité dans cette politique et de faire évoluer la situation.
Je regrette également que, sur la politique de la santé, vous nous ayez demandé de réaliser des économies peu explicites, alors que nous essayons de mettre en mouvement l'ensemble des professionnels, des élus et de nos concitoyens autour des états généraux de la santé que nous organiserons l'année prochaine.
Voilà pourquoi nous ne pouvons pas être en accord avec le texte que vous avez voté.
Il n'en reste pas moins que nos débats, je le crois, font honneur à notre démocratie, puisqu'ils ont largement marqué notre attachement commun au système de protection sociale, même si nous avons deux visions de son avenir. Je souhaitais en remercier le Sénat, tout particulièrement M. le président et MM. les rapporteurs de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe du RDSE et du groupe communiste, républicain et citoyen. - M. Machet applaudit également.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce fut un beau débat. Je dois d'abord remercier M. le président de la commission des affaires sociales, les rapporteurs et vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Mais, voilà, nous ne sommes pas d'accord ! Finalement, c'est normal.
Je ne parlerai ni de la CSG - Martine Aubry vient de résumer nos positions - ni de la famille, dont nous avons longuement débattu. Nous n'attentons pas à cette noble institution, à laquelle nous sommes au moins aussi attachés que vous. Je ne parlerai pas non plus de la vieillesse. J'évoquerai, en revanche, la santé, car j'ai entendu ici des propos qui marquent nos préoccupations.
Oui, à partir d'une analyse semblable, nous aboutissons à des solutions très différentes. Pour être bref sur un sujet qui mériterait plus, je dirai que les tentatives que nous avons faites pour une maîtrise plus maîtrisée, pour une comptabilité plus comptable, n'avaient rien de dirigistes.
Ces tentatives étaient le contraire de l'excès de dirigisme, de l'excès de comptabilité, le contraire d'une notion diamétralement opposée aux objectifs humains !
M. Dominique Braye. Elles ne sont pas efficaces !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Les vôtres ne l'ont pas été non plus puisque vous avez été politiquement battus, et en particulier sur ce sujet ! Vous pouvez hocher la tête, cela fait désormais partie de l'histoire !
Je voudrais précisément m'attacher à la différence de méthode qu'il y a entre nous.
Des sénateurs, et pas seulement sur les travées de gauche, se sont posés des questions et ont approuvé notre démarche générale, car nous avons le même objectif.
Non, nous ne pouvons pas dépenser éternellement plus pour le système de santé ; nous le savons ! Oui, bien sûr, nous souhaitons l'harmonisation et la modernisation de nos hôpitaux ; nous le savons !
J'approuve ce que vous avez dit, monsieur Descours, à propos des couches moyennes de ce pays : à force de tant payer, sont-elles encore satisfaites de ce qu'elles reçoivent ? Oui, c'est notre préoccupation aussi ! Cela ne revient-il pas à dire qu'il faut mesurer l'offre de soins ?
Parlons de la demande de soins, mesdames, messieurs les sénateurs ?
Que dois-je faire quand vous venez me demander - vendredi dernier et aujourd'hui encore - dans un hôpital ou dans un autre établissement de votre circonscription, exactement le contraire de ce que vous avez souhaité ici ?
Alors, que dois-je penser ? Que vous êtes des « duplices » ? Mais non, vous n'êtes pas des « duplices ». Vous êtes humains dans ce cas-là, et vous vous demandez quels sont les besoins de santé de la population et quels sont les besoins dans les hôpitaux.
Et ce que demande le personnel ? Serait-ce toujours excessif ? Non ! C'est comme cela, et nous avons choisi, nous, d'y faire très attention après une année d'étranglement au cours de laquelle tout a été excessif dans l'autre sens.
Vous nous dites qu'un pourcentage de 1,7 eût été préférable à 2,2. Mais ce n'est pas le problème ! En termes entièrement comptables, bien sûr que nous aurions été d'accord. Croyez-vous que nous souhaitons dépenser plus ? Allons !
Convenez que, dans les hôpitaux qui sont les vôtres, mesdames, messieurs les sénateurs, les dettes étaient alors excessives et qu'il y manque encore 23 millions de francs d'un côté ou 5 millions de francs de l'autre. Il y a du personnel qui n'a pas été engagé, des malades qui réclament des soins et des dispositifs hospitaliers qui ne sont pas remboursés.
Il faut donc que nous desserrions l'étau et que nous reprenions les choses en main. Pourquoi ? Parce que nous pensons qu'à force de mettre un couvercle sur une marmite qui bout, on va la faire exploser.
Il me semble que, pour maîtriser les dépenses, pour montrer le cap en se gardant du laxisme, il faut le faire avec les élus que vous êtes - vous venez nous consulter toujours, et vous avez raison - avec le personnel, qui vient se demander quel est son avenir - nous avons affirmé qu'il n'y aurait pas de licenciements, c'est quand même important - avec les usagers et avec les syndicats. C'est une différence importante ; c'est cela qui nous a opposés les uns aux autres.
Je ne regrette pas ce débat. Je pense, au contraire, que c'est ainsi l'on avance.
Vous nous avez donné rendez-vous à propos de l'hôpital, de la santé et de la santé publique à propos des libéraux, dont je parlerai un autre jour. Lorsque nous sommes arrivés aux affaires, les divers groupes de médecins ne se parlaient même plus. Croyez-vous que cela nous a amusés ? Cela ne vous a pas amusés non plus, mais c'était la réalité : ils ne se parlaient plus.
Les groupes antagonistes - non pas dans les milieux hospitaliers, mais dans les milieux libéraux et médicaux - sont beaucoup plus opposés les uns aux autres que dans les milieux ouvriers ! Croyez-vous que cela soit normal ? Ce sont les conséquences du plan Juppé.
Alors nous avons choisi une méthode différente. Vous nous avez donné rendez-vous dans quelques mois ou dans quelques années. Moi aussi, je vous donne rendez-vous, et je n'ai pas regretté ce débat, dont je vous remercie. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je remercie le Gouvernement d'avoir accepté la discussion au fond sur l'ensemble des sujets. Je remercie Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité de n'avoir pas conclu cette fois, comme lors de la discussion du projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emplois des jeunes, que le Sénat avait dénaturé le texte du Gouvernement.
Le Sénat n'a pas dénaturé le texte, il a proposé une autre logique ; je constate que la grande majorité du Sénat l'a d'ailleurs acceptée.
Si vous permettez, je ferai encore deux observations.
Ce qui choque nos convictions, dans tous les débats, c'est d'abord que les notions d'économie, de réduction de la dépense paraissent, au Gouvernement comme aux administrations, invraisemblables et impossibles à réaliser.
Madame la ministre, vous avez dit que, parmi les solutions que nous avons proposées, certaines économies ne seraient jamais faites. Notre système de protection sociale a plus de 50 milliards de francs de frais de gestion. Les maires qui sont ici savent parfaitement que, lorsque n'importe quelle caisse installe un bureau quelque part, elle a des moyens que nous n'avons pas, que les services de l'Etat n'ont pas et que beaucoup d'autres services publics n'ont pas.
Nous pensons donc, nous qui sommes des hommes de terrain modestes, nous qui comptons à un franc près, qu'un certain nombre d'économies de gestion sont possibles : dans les frais administratifs, dans les rythmes de traitement, notamment dans les glissements catégoriels, dans un certain nombre de liquidations de prestations.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. On trouve toute une série d'exemples à cet égard dans le rapport de la Cour des comptes.
Nous avons proposé d'ajouter un ou deux milliards de francs aux économies possibles. Nous pensons que si, dans ce pays, nous ne sommes pas capables de réduire un certain nombre de frais de gestion et de réhabiliter le concept d'économie, nous ne résisterons pas à la compétition mondiale, à l'ouverture des frontières et à l'arrivée, sur le marché, d'un certain nombre de pays dynamiques qui n'ont pas de statuts, pas d'histoire, qui n'ont pas à tenir compte de conflits, et qui, par conséquent, nous damerons le pion.
J'en viens au second point qui nous a choqués. Nous avons trouvé un point commun au projet de loi de financement de la sécurité sociale et au projet de loi de finances pour 1998, dont nous allons engager la discussion jeudi prochain. Ce point commun est la limitation d'un certain nombre de mesures, avantageuses peut-être, concernant la famille. Or, compte tenu de l'importance des débats et de la crise que nous connaissons, nous pensons qu'il n'est pas convenable d'additionner quatre mesures - deux dans le premier texte, que nous venons de voter, et deux ans le second - touchant les familles alors que, par ailleurs, on supprime la réduction de l'impôt sur le revenu votée pour cinq ans l'année précédente. C'est la raison pour laquelle une grande émotion s'est manifestée non seulement dans cet hémicycle, mais dans l'ensemble du pays. Vous nous avez donné rendez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat ; nous l'acceptons bien volontiers.
On vante l'habileté politique du Gouvernement avec sa « majorité plurielle ». Nous avons vu l'expression de cette pluralité ! Si cela se produisait chez nous, on parlerait de cacophonie ! Mais vous vous enrichissez de vos différences, car il s'agit d'un système de majorité plurielle. Bravo ! La prochaine fois que nous aurons des divergences entre nous, je me référerai aux propos de Mme Borvo pour justifier le fait que l'on peut tenir des propos différents en participant à un même courant politique, à un même courant d'idées !
Ce qui nous a choqués, c'est donc que les deux projets comportent quatre dispositifs touchant la famille. Ils auraient pu être envisageables si le Gouvernement avait décidé de continuer à réduire l'impôt sur le revenu. Ce n'est pas le cas. Par conséquent, toute une série de familles, à la limite des familles moyennes et des familles aisées - et nous avons des divergences pour savoir si elles sont moyennes ou aisées - vont durement supporter en 1998 l'accumulation de ces quatre mesures. Nous pensons que c'est trop et qu'il appartenait à la représentation nationale de vous le dire avec force, avec fermeté, avec netteté ! C'est ce que nous avons fait, et je tiens à remercier tous nos collègues. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
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