LOI DE FINANCES POUR 1998
Discussion d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances pour 1998,
adopté par l'Assemblée nationale. [N°s 84 et 85 (1997-1998).]
Dans la discussion générale de ce projet, moment toujours très important de la
vie du Sénat, la parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le budget étant
une véritable somme de chiffres, de prévisions et d'analyses, comment en
proposer une lecture simple qui le rende intelligible et révèle l'orientation
politique qui l'inspire ?
Ce souci aura guidé nos travaux, ceux que nous menons depuis plusieurs
semaines, sous la bienveillante, éminente et rassurante autorité de Christian
Poncelet, avec tous les commissaires de la commission des finances, auxquels je
veux exprimer ici ma gratitude.
Afin de donner un caractère plus concret à l'exercice qui nous réunit
aujourd'hui, j'ai choisi de conserver un fil conducteur tout au long de mon
propos, en cherchant à répondre à cette double question : d'une part, ce budget
prépare-t-il ou non la France à son ouverture sur le monde et, d'autre part,
donne-t-il à notre jeunesse toutes les chances pour réussir son avenir ?
Tout d'abord, il convient de souligner que ce budget s'inscrit dans un espace
économique qui est devenu sans frontières, aussi bien pour les marchés que pour
les hommes.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, votre
hypothèse de 3 % nous semble un pari, risqué, car fondé sur l'accélération de
la croissance pour atteindre un niveau que nous n'avons pas connu depuis
longtemps et qui est supérieur à notre potentiel.
Le timide mouvement de reprise amorcé se confirmera-t-il, alors que les pays
d'Asie du Sud-Est sont ébranlés par la crise financière que l'on sait, alors
que les prévisions de croissance outre-Atlantique se détériorent, alors que le
passage à la troisième phase de l'Union économique et monétaire peut se révéler
difficile pour les pays européens dont les monnaies ne sont pas à l'abri d'un
mouvement de spéculation et alors que, en France, le Gouvernement introduit,
selon la commission des finances, des facteurs aléatoires supplémentaires ?
Il le fait, d'abord, en prévoyant une reprise de la consommation des ménages,
alors qu'il décide, dans le même temps, une surtaxation de l'épargne qui
suscitera des réflexes d'épargne de précaution supplémentaire et alors qu'il
remet en cause la politique de la famille.
Il le fait, ensuite, en espérant une reprise de l'investissement, alors que,
dans le même temps, il resserre l'étau fiscal sur les entreprises par des
prélèvements supplémentaires, alors qu'il ouvre, sous la menace d'une loi, le
débat sur les trente-cinq heures, alors qu'il remet en cause les exonérations
de charges sur les bas salaires, alors qu'il envoie aux investisseurs étrangers
des signaux aussi négatifs que la suppression des provisions pour
licenciement.
Certes, la prévision est par nature aléatoire. Mais était-il bien opportun,
monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, quand la France doit
montrer sa capacité à s'imposer dans « une économie de marché ouverte », de
vouloir faire la morale au monde en se prétendant capable de modifier seul le
partage de la valeur ajoutée ?
Si j'ai voulu insister sur la fragilité de cette hypothèse de croissance,
c'est parce que tous nous connaissons son importance décisive sur nos finances
et nos déficits publics ; souvenons-nous de 1992 !
J'en viens à l'équilibre budgétaire. Je m'attacherai d'abord au solde fixé à
3,05 % du produit intérieur brut.
Dans le contexte que je viens de décrire, un tel solde devient fragile, alors
qu'il est le garant de notre crédibilité dans le monde, en particulier
vis-à-vis de nos principaux partenaires, crédibilité relative puisque nous
occupons l'avant-dernier rang dans les prévisions de l'Union européenne.
Pourtant - faut-il le rappeler, mes chers collègues ? - contrairement à ce que
l'on peut dire parfois ici, ce solde n'est pas une coquetterie comptable. Il
n'est pas non plus la punition d'une imprudente promesse faite à Maastricht. Il
est une impérieuse nécessité de saine gestion, une obligation morale absolue à
l'endroit de nos enfants et de nos petits-enfants ; c'est un engagement qui
doit être partagé par la nation tout entière et rassembler toutes les
sensibilités politiques républicaines.
Ne nous leurrons pas, la signification réelle qui s'attache au déficit est
claire je pense en particulier ; au déficit de fonctionnement du budget de
l'Etat, qui atteindra encore cette année 100 milliards de francs. Elle révèle
cruellement que nous n'osons pas prélever sur nos compatriotes ce que nous nous
croyons autorisés à dépenser en leur nom.
Faut-il rappeler que 3 % du PIB, c'est 16 % du budget de l'Etat, c'est encore
100 milliards de francs de trop pour simplement stabiliser la dettes et non pas
même la réduire - et que ces 3 % du PIB conduisent à accroître encore, en 1998,
notre stock de dette de 257 milliards de francs ?
Il ne suffit plus que les gouvernements se rejettent mutuellement la
responsabilité de la dette. Cette dette, il faut la réduire ; ce budget n'y
parvient pas, et la trajectoire qu'il dessine n'annonce pas sa stabilisation
avant l'an 2000.
La France de demain, celle de nos jeunes, se voit donc invitée une nouvelle
fois à se préparer au remboursement de ce qui s'apparente bien, disons-le, à
une forme de lâcheté de nos générations.
Si la nécessité impérieuse de réduire nos déficits n'a plus à être démontré,
il faut proclamer bien haut qu'il ne faut surtout pas les réduire en
alourdissant davantage les prélèvements.
Cela me conduit directement à parler des recettes pour constater que,
contrairement à la présentation qui en a été faite, les prélèvements
obligatoires, selon la commission des finances, ne baisseront pas en 1998.
L'évolution présentée par rapport au PIB ne change rien à la réalité des faits
: les cotisations et les impôts prélevés sur les Français augmentent bel et
bien en 1998.
Et, pour être mieux mesurée, cette augmentation doit être analysée à
législation constante afin de ne pas encourager les gouvernements, pour
l'avenir, à répartir les augmentations d'impôts dans trois textes différents ;
je pense à ce que nous appelons vulgairement le MUFF, c'est-à-dire le projet de
loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, au projet de loi
de financement de la sécurité sociale et au présent projet de loi de
finances.
Mes chers collègues, si l'on tient compte de l'effet des mesures fiscales du
MUFF - 24 milliards de francs en 1997 et 17 milliards de francs en 1998 - de la
suppression de l'allégement de l'impôt sur le revenu votée l'an passé - 17
milliards de francs - des effets du projet de loi de financement de la sécurité
sociale - 12,7 milliards de francs - et des effets du projet de loi de finances
pour 1998, le total des nouveaux prélèvements instaurés par l'actuel
Gouvernement depuis sa prise de fonctions sera de 80,2 milliards de francs.
Voici enfin élucidé le mystère du budget « infaisable » !
Voilà comment un budget réputé « infaisable » devient soudain un budget «
faisable », presque « simple » à boucler - je parle sous votre contrôle,
monsieur le président de la commission des finances.
Les vives critiques que vous avez émises, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, à l'encontre du précédent gouvernement, sur les
augmentations qu'il avait décidées, sont apparemment déjà oubliées puisque ces
hausses sont non seulement maintenues mais doublées, selon les calculs que je
viens de faire.
La France est désormais seule à s'engager dans cette fuite en avant fiscale ;
elle est seule à assurer l'équilibre par l'accroissement de l'impôt ; elle est
seule à ne pas croire aux vertus de la diminution de la dépense.
« L'exception française » - pour reprendre l'expression désormais consacrée -
devient celle où les prélèvements sont les plus lourds du G7, celle ou la
dépense y est aussi la plus forte.
A l'heure où les entreprises réexaminent leur localisation, c'est-à-dire la
localisation de leurs emplois, en Europe et dans le monde, est-il réaliste,
est-il prudent, est-il responsable d'ajouter toujours de nouveaux prélèvements
?
A l'évidence, la spirale infernale de l'augmentation des prélèvements ne sera
jamais brisée dans notre pays sans un engagement politique formel de tenir la
dépense. Tel sera, si vous en êtes d'accord, mes chers collègues, l'un des
messages forts du Sénat.
J'en viens précisément aux dépenses.
Les dépenses sont en augmentation de 26 milliards de francs, dont 21 milliards
de francs au titre du budget général.
Cette progression de 21 milliards correspond, pour 19 milliards de francs, aux
dérives spontanées des frais de personnel et, pour 2 milliards de francs, à la
charge de la dette. Elle confirme une rigidité - une sorte de fatalité - de la
dépense que le Sénat connaît bien puisque sa commission des finances l'a
souvent analysée.
Le Gouvernement pourrait méditer utilement ce que MM. Nasse et Bonnet ont
préconisé dans leur rapport d'audit : « Agir sur la dépense est le seul moyen
de réduire les déficits. »
M. Jean Delaneau.
Très bien !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Le Gouvernement pourrait également méditer utilement
ce que la commission des finances avait écrit et que vous aviez approuvé à
plusieurs reprises, mes chers collègues, à savoir : « Lorsque l'essentiel des
diminutions de dépenses provient des baisses de transfert et des salaires
publics, l'ajustement connaît la réussite ; lorsque les dépenses se
maintiennent, lorsque les investissements accusent une chute importante, c'est
l'échec ! ».
Hélas, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le projet de
budget qui nous est présenté ne répond pas à ces recommandations, qui sont
pourtant un préalable au succès.
Alors même que le Sénat avait regretté la croissance des effectifs publics en
1996, qu'il avait apprécié la diminution inscrite en 1997, le projet de budget
pour 1998 opère un nouveau changement de cap en prévoyant la création de 6 500
emplois nouveaux. La pression sur la dépense va s'accroître encore avec la
création annoncée de 350 000 emplois jeunes.
Dans ces conditions, comment ne pas redouter, que, à l'instar de ce qui eut
lieu dans les années quatre-vingt, le Gouvernement laisse filer la dépense,
laisse se creuser le déficit ?
Je rappelle que les crédits civils de rémunérations et charges sociales se
sont accrus, entre 1987 et 1996, de près de 120 milliards de francs et que les
retraites ont augmenté de 58 milliards de francs sur la même période.
Parallèlement, les dépenses d'intervention de l'Etat, qui représentent près de
500 milliards de francs, continuent d'augmenter, conséquence de l'empilement de
mesures et de l'incapacité à choisir et à évaluer l'efficacité.
Ainsi, les transferts sociaux ne sont toujours pas sous contrôle. Un exemple
en témoigne : le total des crédits consacrés au RMI, à l'allocation pour
adultes handicapés et aux aides personnelles au logement augmente encore de
façon très sensible - de 5 milliards de francs - ce qui porte leur augmentation
depuis 1992 à près de 70 %.
Il résulte de ce qui précède que le seuil de 3 % est atteint de la pire
manière, c'est-à-dire en coupant dans les dépenses d'investissement.
L'investissement, surtout l'investissement militaire - je ne traiterai pas de
ce point ; le président Xavier de Villepin le fera, comme d'habitude,
excellemment - devient la variable d'ajustement et continue d'être réduit de 8
milliards de francs.
La politique de baisse du coût du travail est sérieusement infléchie - de 6,5
milliards - et les économies présentées comme telles ne sont souvent que des
jeux d'écriture ou de simple constatation.
Le constat est clair : la maîtrise des dépenses n'est pas au rendez-vous. On
mesure ce contresens historique à l'aune de l'intransigeance budgétaire de nos
partenaires, qui, il faut le rappeler, sont aussi nos concurrents.
Face à ce constat, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le
message de la commission des finances du Sénat est clair : une autre politique
budgétaire est nécessaire ; une autre politique budgétaire est possible : elle
passe par une vraie politique de réduction de la dépense publique.
La commission des finances, mes chers collègues, ne peut donc vous recommander
d'adhérer aux choix du Gouvernement, qui vont à l'encontre des conclusions
qu'elle a sans cesse formulées depuis 1992.
Aussi ai-je mandat de vous proposer de marquer, sans ambiguïté, la volonté du
Sénat de persévérer avec constance dans la voie de la maîtrise des dépenses et
d'inscrire l'oeuvre de redressement dans la durée.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Aussi ai-je mandat de vous proposer de ramener le montant des dépenses du
budget général à celui de la loi de finances initiale pour 1997 et de geler,
par voie de conséquence, les 21,3 milliards de francs de dépenses
supplémentaires.
La commission des finances vous propose d'engager deux démarches
complémentaires : d'une part, d'opérer des économies sur des crédits consacrés
à des éléments que nous jugeons contestables de la politique du Gouvernement
dans trois domaines principaux, la fonction publique, l'emploi, l'éducation
nationale ; d'autre part, d'opérer une réduction forfaitaire aux titres III et
IV des budgets sans affecter les dépenses en capital ni celles qui sont
affectées aux missions régaliennes de l'Etat.
Cette solution est la seule qui soit à la portée du Parlement, celui-ci ne
disposant pas, comme l'exécutif, des instruments d'expertise et de synthèse
budgétaires qui permettent l'ajustement des économies par chapitre. Celles-ci
seront donc adoptées par titre.
Quels sont les éléments contestables de la politique du Gouvernement ?
Trois politiques méritent de faire l'objet d'une vive contestation de la part
du Sénat, dans l'optique que j'indiquais au début de mon propos, à savoir
l'avenir de la France et l'avenir des jeunes.
La première politique contestable est celle de la fonction publique.
Comment ne pas s'inquiéter de voir notre pays emprunter une voie exactement
opposée à celle de ses concurrents ?
Avec le quart de ses emplois occupés par des fonctionnaires, la France se
retrouve
leader
européen en la matière.
De 1973 à 1996, la France aura créé 1 600 000 emplois publics et détruit
quelque 600 000 emplois dans le secteur privé.
Parallèlement, depuis 1987, les emplois publics auront diminué de 22 % en
Angleterre ; l'Allemagne en aura supprimé 250 000 et les Pays-Bas les auront
réduits de 0,4 % par an.
Comment s'obstiner au point de ne déceler aucun lien entre la montée du
chômage et la progression des emplois publics ?
Comment rester sourd aux mises en garde successives faites par des experts ?
Sans même parler de M. Choussat, je citerai M. Jean Picq : « L'Etat ne connaît
pas le nombre de ses fonctionnaires ». Je citerai également M. Alain Minc : «
La fonction publique a le choix entre évoluer aujourd'hui avec intelligence ou
subir demain un séisme statutaire ».
M. Gérard Delfau.
C'est un expert en faillites !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Non, décidément, il ne sera pas possible de rendre la
France compétitive, conquérante, si une grande partie de son potentiel humain
reste confiné dans un système étatique ancien, antérieur à l'ouverture de nos
frontières.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc.
Monsieur Lambert, nous aurions aimé vous l'entendre dire plus tôt !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
La deuxième politique contestable est celle de
l'emploi.
Mes chers collègues, le fléau du chômage, avec son cortège de drames humains,
est insupportable, et tout le monde en est d'accord.
Evitons néanmoins que notre hâte, que notre aspiration sincère à mettre fin à
cette situation ne nous conduisent à empiler chaque année des mesures nouvelles
qui, par leur coût et leurs effets pervers, aggravent encore le mal.
Comment ne pas remarquer que la courbe des dépenses affectées à l'emploi est
sans effet sur la courbe du chômage ?
Le moment n'est-il pas venu de dire non à la création de nouveaux emplois
publics ?
Le temps n'est-il pas venu pour nous de dire clairement que la politique
préconisée par le Sénat, c'est : moins d'emplois publics, pour plus d'emplois
privés ; moins de dépenses publiques, pour moins d'impôts sur le travail ;
moins de lois, moins de réglementations, pour moins de rigidité du marché du
travail ?
Le moment n'est-il pas venu de dire au pays que la politique pour l'emploi
traduit un arbitrage sournois au bénéfice de ceux qui ont un emploi contre ceux
qui n'en ont pas ?
Qui aura le courage de dire au pays, sinon le Sénat, que chaque relèvement du
SMIC, pour favorable qu'il soit à ceux qui travaillent, éloigne, chaque fois
davantage de l'accès à l'emploi ceux qui n'en ont pas ?
Qui osera dire que la France est, dans bien des secteurs, plus robotisée que
le Japon, parce que le coût du travail peu qualifié y est excessif ?
M. Gérard Delfau.
Il fallait y remédier !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Mes chers collègues, la politique du Gouvernement en
matière d'emploi n'est pas celle qui permettra à la France de réussir son
ouverture, l'ouverture de son économie sur le monde, celle qui offrira un
avenir aux jeunes. Cette politique ne peut être la nôtre !
M. Claude Estier.
C'était celle de M. Juppé !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
La troisième politique qui me paraît contestable
concerne l'éducation nationale.
En ce domaine, pourquoi ne pas tout simplement suivre M. Christian Sautter
lui-même, qui, dans son livre
La France au miroir du Japon,...
M. René Régnault.
Bonne lecture !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
... dont je vous recommande la lecture, préconise de
« diminuer les effectifs de l'Etat, en ne remplaçant qu'un fonctionnaire sur
deux partant à la retraite, au motif que nous avons bien assez de
fonctionnaires pour assumer les tâches traditionnelles et prendre en charge les
responsabilités nouvelles » ?
MM. Charles Descours et Philippe Marini.
Bravo !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Vous pouvez en effet applaudir, mes chers
collègues.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Ivan Renar.
Allez les choeurs !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Il est vrai aussi qu'il assortit sa proposition d'une
mise en garde dont je n'ai sans doute pas assez tenu compte : « Quiconque
suggérerait qu'en raison de l'évolution démographique il serait sage de
diminuer le corps des instituteurs et des professeurs de collège pour accroître
le nombre d'enseignants dans les lycées ou dans l'enseignement supérieur se
ferait critiquer de tout côté. »
Eh bien, monsieur le secrétaire d'Etat, chiche !
J'en arrive à ma conclusion.
La politique traduite dans le budget qui nous est présenté aurait pu
légitimement justifier un rejet du Sénat. Mais c'eût été priver ce dernier de
la possibilité de proposer des solutions alternatives souhaitables et
possibles.
Aussi, mes chers collègues, la commission des finances vous proposera-t-elle
d'adopter un budget corrigé, comportant les ajustements nécessaires.
Ce faisant, le Sénat fera apparaître les vrais enjeux ; il proposera une autre
politique, une politique qui marque la volonté que la France reste un grand
pays, la quatrième puissance industrielle du monde.
Non, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le Sénat ne vous
suivra pas dans ce qu'on appelle à tort « l'exception », mais qui n'est que «
l'illusion » française.
M. Daniel Goulet.
Très bien !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Non, mes chers collègues, n'engageons pas notre
jeunesse dans cette voie sans issue de l'exception française.
Comme nous avons pu le constater lors des journées mondiales de la jeunesse,
les jeunes n'ont pas peur. Ce sont nos générations qui ont peur. Les jeunes,
eux, ont l'audace et le courage pour inventer l'avenir.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
Ils ne se font aucune illusion sur le mirage des « droits acquis », car
ils savent que ces droits sont « acquis » contre eux.
La France sait, au fond d'elle-même, qu'il lui faut se réformer. Elle en a le
génie. Mais encore faut-il que ses gouvernements abandonnent leurs mauvaises
habitudes, à savoir dépenser plus et donc imposer plus, reporter les déficits
sur les générations futures, freiner le dynamisme des entreprises et pratiquer
la traque fiscale sur les plus courageux de nos compatriotes, au risque de les
encourager à fuir à l'étranger.
La politique préconisée par la commission des finances vise à donner à la
France et aux Français l'ambition, l'envie d'entreprendre, à donner à notre
jeunesse l'envie de partir à la conquête du monde, non pour imposer un modèle
économique périmé, mais pour éclairer le chemin, non pas celui de l'exception,
mais celui de l'identité française, cette identité qui sait concilier
performance et cohésion, efficacité économique et harmonie sociale, cette
identité qui saura faire partager à l'Europe et au monde une des valeurs
essentielles de notre République, à savoir la primauté et la dignité de la
personne humaine.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR
et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le ministre,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, à l'orée du troisième
millénaire, la France doit rompre définitivement avec toute tentation de rester
immobile dans un monde en révolution.
La France doit vaincre sa propension naturelle à fuir la réalité, combattre sa
tendance spontanée à se réfugier dans une prétendue singularité - la trop
fameuse « exception française » - et lutter contre son aptitude éprouvée à
rechercher, lorsqu'elle se trouve confrontée à des difficultés, des boucs
émissaires pour justifier ses atermoiements et ses peurs.
La mondialisation induite par la victoire du marché, accélérée par l'ouverture
des économies et amplifiée par l'explosion des nouvelles technologies de
l'information constitue, à l'évidence, un phénomène inéluctable, irrésistible
et surtout irréversible.
Plutôt que de diaboliser cette nouvelle donne économique, notre pays doit se
préparer à l'affronter pour, en quelque sorte, l'apprivoiser, en tirer parti et
renouer de manière durable avec la croissance.
Au-delà des différences dans nos sensibilités politiques, en demeurant bien
légitimes dans une démocratie, c'est notre devoir et notre honneur de femmes et
d'hommes politiques que de promouvoir une pédagogie du réveil, du sursaut et du
redressement de la France.
Cette adaptation de la France à son nouvel environnement économique et
géopolitique passe, nous le savons tous, par des réformes structurelles dont la
conception et l'application exigent de tous, sans exception, du courage et de
la détermination.
A mes yeux, le prélude à cette indispensable mutation de notre pays réside,
d'une part, dans l'urgente nécessité de « dégraisser le mammouth » que
constitue l'Etat et, d'autre part, dans l'ardente obligation de réussir l'euro,
qui devrait faire de l'Union européenne un bouclier contre les excès de la
mondialisation.
(Applaudissements sur quelques travées du RPR ainsi que sur les travées de
l'Union centriste.)
M. Xavier de Villepin.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est à l'aune de ce double
impératif catégorique, la réduction des dépenses publiques et la réussite de la
monnaie européenne, que je voudrais, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, porter une appréciation, la plus objective possible, sur
votre projet de budget.
Mais auparavant, monsieur le ministre, je tiens à saluer l'habileté médiatique
dont vous avez fait preuve lors de la présentation de ce budget.
M. Josselin de Rohan.
Il est bien placé !
(Sourires.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Par la magie du nombre trois,
érigé pour l'occasion en nombre d'or - 3 % de croissance, 3 % de déficit - et
par le prompt renfort de prélèvements supplémentaires, un budget réputé
infaisable s'avère un exercice aisément surmontable, presque un jeu d'enfant !
Le parcours du combattant s'est transformé en une promenade de santé !
(Sourires.)
M. Roland du Luart.
Pas pour le contribuable !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Cela mérite que nous y
réfléchissions. Comme disent les paysans de chez moi, il y a là quelque chose
qui n'est pas très clair. Mais ainsi qu'on l'a sussuré, les contribuables vont
bientôt découvrir ce qu'il en est exactement.
M. René Régnault.
Certains contribuables !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Comme vous le savez, monsieur le
ministre, la commission des finances est très attachée à la réduction des
dépenses publiques ; M. le rapporteur l'a rappelé avec force, persuasion et
compétence dans son excellente intervention.
Nous sommes en effet persuadés que la croissance molle que connaît la France
depuis le début des années quatre-vingt-dix trouve son origine dans l'excès de
nos dépenses publiques, qui asphyxie notre économie.
Lourdes au point de représenter 55 % du produit intérieur brut, les dépenses
publiques ne peuvent qu'alimenter les prélèvements obligatoires, nourrir les
déficits, grossir l'endettement de l'Etat, gonfler la charge de la dette,
restreindre les marges d'action des gouvernements et hypothéquer l'avenir de
nos enfants et petits-enfants.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Les Français doivent savoir que le montant des prélèvements obligatoires
opérés sur leurs revenus, soit 46 % du produit intérieur brut, excède de près
de quatre points la moyenne des pays de l'Union européenne. C'est, à
l'évidence, un handicap.
Cet écart équivaut - on ne le sait pas assez - à une ponction supplémentaire,
à un surcroît de prélèvements de plus de 300 milliards de francs par an.
M. Roland du Luart.
Et l'on s'étonne que la croissance soit molle !
M. Michel Moreigne.
Mais vous en êtes largement responsables !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Pour ma part, je ne peux
m'empêcher d'effectuer un rapprochement entre ce triste record en matière de
prélèvements obligatoires et le niveau de notre chômage, qui est supérieur de
deux points à la moyenne européenne.
M. Michel Sergent.
Et l'augmentation de la TVA ? C'est vous !
M. René Régnault.
C'est votre héritage !
M. Claude Estier.
Tout cela, il fallait le dire l'année dernière !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
A un niveau aussi exorbitant,
les prélèvements obligatoires...
M. René Régnault.
Ils sont la conséquence de la politique que vous avez conduite et qui a été
sanctionnée !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... étouffent l'initiative
privée, démotivent les forces vives de la nation et poussent les jeunes talents
à l'exil, ce qui est encore plus grave pour l'avenir de notre pays.
M. Charles Descours.
Eh oui !
M. Philippe Marini.
Même M. Attali le dit !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Les Français doivent également
savoir qu'en 1998 l'Etat consacrera près de 100 milliards de francs, sur les
centaines de milliards qu'il empruntera, à la couverture d'une partie de ses
dépenses de fonctionnement.
Mes chers collègues, Maastricht ou pas Maastricht, l'entreprise France ne peut
plus continuer à vivre au-dessus de ses moyens et tenter de survivre à
crédit.
Il est donc impératif de réduire les dépenes publiques. Telle est la démarche
que, dans l'intérêt du pays, devra emprunter, bon gré mal gré, tout
gouvernement. Cette cure d'amaigrissement permettra d'alléger la pression
fiscale, de libérer l'initiative privée et de rapprocher la croissance de notre
économie de son rythme de progression potentiel, afin de faire, enfin, reculer
le chômage.
Or, sur le front de la maîtrise des dépenses publiques, ce projet de budget
nous semble, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, faire preuve
de trop de timidité.
En effet, les charges de l'Etat augmentent plus rapidement que l'inflation,
alors que le gouvernement précédent avait, lui, procédé à leur gel.
Pour les dépenses de fonctionnement, la dérive est plus inquiétante, car elles
progressent plus de deux fois plus vite que la hausse des prix.
En revanche, les dépenses d'investissement, alors que ce sont elles qui
préparent l'avenir, continuent de diminuer. Ainsi, sur un budget d'environ 1
600 milliards de francs, à peine 10 % seront consacrés à l'investissement
public, lequel est, au demeurant, pour l'essentiel, assumé par les
collectivités territoriales. Cela n'est pas suffisant pour préparer
l'avenir.
De plus, le projet de budget comporte des « bombes à retardement ». Tel est le
cas, à mes yeux, de l'arrêt du processus de diminution des effectifs des
fonctionnaires et, surtout, du début de financement des emplois-jeunes, qui
déboucheront inéluctablement sur une intégration dans la fonction publique
d'Etat et dans la fonction publique territoriale.
M. Josselin de Rohan.
Bien sûr !
M. René Régnault.
Vous ne préféreriez tout de même pas que ces jeunes soient au chômage !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il est vrai qu'on ne tire pas
sur le père Noël, même si l'on n'y croit plus !
(Sourires.)
Il reste que nous vivons dans un pays où les emplois publics représentent
plus du quart des emplois salariés. C'est le taux le plus élevé au sein de
l'Union européenne.
En définitive, le Gouvernement s'est contenté d'un service minimum pour se
conformer, ric et rac, à l'impératif de bonne gestion d'un déficit public à 3
%.
M. Claude Estier.
Ce n'est déjà pas si mal !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Et encore ce résultat
minimaliste n'est-il obtenu que grâce à l'excédent de trésorerie - de 0,2 % -
dégagé par les collectivités locales et par le renfort d'un recours à l'impôt
pour obtenir, et assez rapidement, des recettes supplémentaires.
A cet égard, deux observations s'imposent.
En premier lieu, l'ampleur des prélèvements supplémentaires est masquée par la
dispersion des diverses mesures entre le projet de loi de finances et le projet
de loi de financement de la sécurité sociale.
Au-delà du manque de lisibilité que provoque cet éparpillement, il entraîne
une multiplication des intervenants dans le processus d'élaboration et de
discussion de la loi fiscale.
Désormais, deux ministères et deux commissions par assemblée, aux logiques et
aux cultures différentes - monsieur le ministre, vous ne sauriez me démentir
sur ce point - cohabitent pour la confection de la norme fiscale.
Cette parcellisation des tâches ne semble pas constituer un facteur
d'efficience législative et il faudra, j'en suis convaincu, revenir sur ce
schéma.
En second lieu, le choix des « cibles » mises à contribution témoigne de la
rémanence de certaines pesanteurs idéologiques que je croyais rangées dans les
oubliettes de l'histoire.
A qui demande-t-on des sacrifices ? Aux entreprises, aux épargnants, grands et
petits, et surtout aux désormais fameuses « classes moyennes supérieures
»...
M. Jean-Pierre Fourcade.
Les « aisés » !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... puisqu'on appelle maintenant
ainsi les classes moyennes.
Ces dernières sont, en effet, victimes d'un tir groupé avec l'abandon du
processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le revenu, la diminution de
la réduction d'impôt afférente aux emplois à domicile, la mise sous condition
de ressources des allocations familiales et la réduction du montant de
l'allocation de garde d'enfant à domicile.
L'objectivité commande toutefois de reconnaître que le projet de budget
contient, en revanche, des mesures potentiellement positives. Tel est le cas
des dispositions destinées à favoriser l'éclosion et à assurer l'essor des
entreprises innovantes, notamment dans le domaine des technologies de
l'information, où se situent les emplois de demain.
Cependant, ces mesures ne pourront produire leur plein effet que si leurs
aspects positifs ne sont pas contrariés par un environnement fiscal, juridique
et culturel globalement défavorable à la création de richesses. On paraît, en
quelque sorte, vouloir une chose et son contraire.
Je ne manifeste pas d'hostilité de principe à un basculement des cotisations
salariales sur la contribution sociale généralisée, à condition que cette
montée en puissance de la CSG s'accompagne d'un allégement de l'impôt sur le
revenu, conçu comme un prélude à la réforme de celui-ci.
A maints égards, la CSG constitue un impôt moderne, avec son assiette large,
sa mise à contribution de tous les Français et de presque tous les revenus,
ainsi que son prélèvement à la source.
Le temps me semble donc venu de faire preuve d'audace fiscale, et je propose
de fusionner la CGS et l'impôt sur le revenu pour donner naissance à une
nouvelle contribution, dont le socle serait constitué d'une cotisation
forfaitaire du type CSG, à assiette élargie, sur laquelle viendrait se greffer
une surtaxe progressive.
En définitive, la commission des finances regrette que la solution de facilité
du recours à des recettes supplémentaires ait dispensé le Gouvernement d'un
réel effort d'économies.
Bien plus, la commission considère que la maîtrise des dépenses publiques
passe par la recherche d'économies structurelles, qui ne peuvent résulter que
d'une approche nouvelle de la dépense et, surtout, d'une réforme de l'Etat.
A ce sujet, trois pistes doivent être explorées.
Tout d'abord, les dépenses publiques doivent faire l'objet d'une mise à plat
et d'une évaluation systématique de leur efficacité. A cet égard, les aides à
l'emploi, qui se caractérisent par un phénomène d'empilement, de stratification
et de sédimentation, constituent, à l'évidence, une terre d'élection pour
l'évaluation. C'est ce à quoi il faudra que les uns et les autres, exécutif et
législatif, nous nous consacrions.
Il nous semble pour le moins curieux, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, que l'on rogne sur les crédits alloués à la politique
d'allégement du coût du travail peu qualifié dans le secteur marchand sans en
avoir évalué au préalable les effets et de surcroît, afin de commencer à
financer les emplois-jeunes, qui constituent l'antichambre de l'intégration
dans la fonction publique et qui, bien sûr, ne procurent pas de richesses à
répartir.
Par ailleurs, il nous paraît indispensable de procéder à une nouvelle
délimitation du périmètre d'intervention de l'Etat et à une nouvelle définition
de ses modalités d'action. Il s'agit de dépouiller l'Etat des missions dont il
s'acquitte si mal, celles d'Etat gestionnaire et d'Etat actionnaire.
Il est donc indispensable de poursuivre jusqu'à son terme le processus de
privatisation de toutes les entreprises publiques du secteur concurrentiel,
sans s'arrêter au « et, et » - et privé et public - qui a remplacé le « ni, ni
» d'hier - ni privatisations ni nationalisations. Cela constitue, en quelque
sorte, un prétexte pour nous conduire à l'immobilisme.
En l'occurrence, le Gouvernement doit laisser vivre les fonds de pension, qui,
en dégageant une épargne motivée, permettront tout à la fois d'absorber les
privatisations et d'assurer la pérennité française de nos principales sociétés
industrielles et financières.
Peut-être pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, où vous en êtes en ce qui concerne ces fonds de pension,
pour lesquels nous attendons les décrets d'application, sauf à modifier le
texte initial.
M. Philippe Marini.
Ce serait tout à fait opportun !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il s'agit enfin, et surtout - M.
le président du Sénat le répète sans cesse, et je reprends son propos - de
relancer la décentralisation, qui est au milieu du gué, en ouvrant aux
collectivités locales de nouveaux territoires d'intervention.
Bien sûr, ces avancées ne pourront avoir lieu que si l'Etat respecte un code
de bonne conduite dans ses relations financières avec les collectivités
territoriales.
A ce propos, force est de constater que le projet de budget, qui respecte
l'esprit, sinon la lettre, du pacte de stabilité, ne comporte pas de turpitudes
pour les budgets locaux.
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Gérard Delfau.
Quelle objectivité !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Effectivement ! Je vous remercie
de le souligner, mon cher collègue ! Vous voyez que l'opposition s'efforce de
faire preuve d'objectivité !
M. René Régnault.
On fera le bilan !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Si je fais le bilan de l'action
passée, je crois que vous aurez des regrets à exprimer !
M. Claude Estier.
Tout n'est pas noir !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Tout n'est pas noir, mais tout n'est pas rose non plus !
M. Josselin de Rohan.
C'est un tour de passe-passe !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Toutefois, le projet de budget
soulève des interrogations et suscite des inquiétudes.
La principale interrogation porte sur le mécanisme de remplacement du pacte de
stabilité, qui arrive à échéance à la fin de l'année 1998.
Je souhaite que vous nous indiquiez, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, comment vous allez construire le prochain pacte de
stabilité, si toutefois vous avez l'intention de maintenir un pacte de
stabilité entre les collectivités locales et l'Etat.
L'inquiétude majeure concerne l'avenir de la Caisse nationale de retraites des
agents des collectivités locales...
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... et le devenir de la
cotisation patronale après le sursis qui a été accordé, sursis destiné à
assurer le succès du plan emplois-jeunes.
M. Josselin de Rohan.
Des élections aussi !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
D'après les informations que
nous avons pu recueillir, au terme de l'exercice 1998, après la ponction
effectuée sur les crédits de la Caisse nationale de retraites des agents des
collectivités locales au bénéfice de la compensation démographique et après la
réduction des actifs par rapport aux retraités, nous risquons de nous trouver
en présence d'un déficit d'environ 3 milliards de francs, ce qui conduira tout
naturellement à une augmentation des cotisations patronales.
Le second élément auquel il convient de se référer pour porter une
appréciation sur ce projet de budget, c'est dans son degré de contribution à la
réussite de l'euro.
En effet, un fonctionnement harmonieux et efficace de l'union monétaire
européenne repose sur une convergence fiscale et sociale pour conjurer le
risque d'une concurrence stérile entre les pays membres de l'Union européenne.
Prenons garde aux délocalisations intra-européennes, faute d'avoir harmonisé
les régimes fiscaux et sociaux !
Or, dans cette nouvelle donne européenne, qui constitue une nouvelle
frontière, la France est, à l'évidence, handicapée par un coût du travail plus
élevé que dans la plupart des pays européens et par le poids des prélèvements
obligatoires qui pèsent sur les entreprises.
La France doit donc relever le défi de sa compétitivité fiscale et sociale.
Au regard de cet impératif, le projet de budget s'apparente davantage à un
budget de résignation à l'euro qu'à un budget de préparation de notre pays à
ladynamique de l'euro. En effet, loin de promouvoir l'indispensable convergence
fiscale, le budget organise, au contraire, la divergence.
C'est ainsi que le Gouvernement a choisi de relever le taux de l'impôt sur les
sociétés au moment même où le libéral de gauche qu'est Tony Blair préfère, lui,
le baisser. La décision du Gouvernement français sera lourde de conséquences,
car elle risque de prolonger la panne de l'investissement des entreprises, de
différer le retour de la croissance et de rendre virtuelle l'hypothèse des 3 %
sur laquelle il a bâti son projet de budget pour 1998.
En outre, le vieillissement de l'appareil productif ne pourra manquer
d'entraîner un retard technologique, qui se traduira par la fabrication de
produits moins performants.
Ce phénomène d'obsolescence induira, à terme, des pertes de parts de marchés,
alors que l'exédent commercial dégagé par la France représente, depuis 1992, le
principal, sinon l'unique, moteur de notre faible croissance.
La compétitivité de nos entreprises ne pourra, en outre, qu'être affectée par
les trente-cinq heures, qui renchériront les coûts de production, si cette
réduction de la durée hebdomadaire du travail est imposée de manière
autoritaire et uniforme, sans négociation décentralisée et sans répartition
équitable de sa charge entre l'Etat, les entreprises et les salariés.
Enfin, l'abandon du processus quinquennal d'allégement de l'impôt sur le
revenu, le relèvement du taux de l'impôt sur les sociétés et l'alourdissement
de la fiscalité de l'épargne constituent trois séries de mesures qui alimentent
l'instabilité de la règle fiscale.
Cette insécurité, qui s'accompagne parfois d'effets « économiquement »
rétroactifs, est condamnable : elle brouille les choix des agents économiques,
qu'elle incite à l'attentisme, et elle risque de dissuader les investisseurs
étrangers, qu'elle invite à la prudence.
Le monde évolue rapidement, mais la France semble prendre son temps. Elle
musarde et s'offre même le luxe d'aller à contre-courant de ses partenaires
européens, comme dans l'aventure des trente-cinq heures.
C'est précisément pour appeler l'attention de nos concitoyens sur les risques
lénifiants et anesthésiants de ce budget que la commission des finances a
décidé de proposer au Sénat d'infléchir, de corriger le projet de loi de
finances dans le sens de ses préoccupations, en cohérence, je le rappelle, avec
ses propositions des années précédentes.
Utilisant toute la mince marge de manoeuvre dont elle dispose, la commission
des finances a adopté une démarche qui repose sur ce que j'appellerai trois «
commandements » : sanctuariser le montant du déficit budgétaire au niveau fixé
par le Gouvernement ; éliminer, dans toute la mesure du possible, les
prélèvements fiscaux supplémentaires et préserver le processus quinquennal
d'allégement de l'impôt sur le revenu ; enfin, et surtout, geler, en francs
courants, le montant des dépenses au niveau atteint en 1997.
Rompre avec le cercle vicieux du toujours plus - toujours plus de dépenses,
toujours plus d'impôt - tel est le message que le Sénat souhaite adresser aux
Françaises et aux Français.
N'ayons pas peur, mes chers collègues, de défendre avec force nos convictions.
La démocratie exige que nos concitoyens disposent aujourd'hui d'une alternative
crédible.
(M. du Luart fait un signe d'approbation.)
Le Sénat a un devoir d'alerte.
Rappelons à nos concitoyens les exigences du principe de réalité.
Refusons que des utopies généreuses, qui auraient dû rester des slogans à
finalité électorale, se transforment en drames économiques et en erreurs
historiques.
Tous ensemble - je dis bien « tous ensemble » - luttons pour que la France
conserve toute sa place dans le concert des nations libres, prospères et
solidaires.
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Guy Fischer.
C'est la lutte finale !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le
rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, sous l'autorité du
Premier ministre, Christian Sautter et moi-même vous présentons aujourd'hui,
après son examen par l'Assemblée nationale, le premier projet de loi de
finances de cette législature.
Il a pour vocation, vous en conviendrez, de traduire, dans les faits et dans
les chiffres, les engagements que la nouvelle majorité a pris devant le peuple
à l'occasion de la dernière campagne électorale.
M. René Régnault.
C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ces engagements
concernent principalement l'emploi. C'est en effet notre préoccupation à tous,
sur l'ensemble des travées, j'en suis sûr, même si nous n'avons pas tous les
mêmes méthodes ou les mêmes propositions pour tenter de porter remède au
chômage.
L'emploi est clairement la finalité de la croissance. Toutefois, notre action
doit également s'orienter dans une autre direction, celle de la solidarité : la
solidarité est un moteur de la croissance, dont nous ne pouvons pas nous
passer,...
M. René Régnault.
Tout à fait !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... tant il est
vrai que notre pays n'est jamais aussi beau et aussi puissant que lorsqu'il est
juste.
M. René Régnault.
Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est la raison
pour laquelle le projet de loi de finances que nous vous présentons comporte
des mesures tendant à la fois à assainir la situation de l'emploi et,
parallèlement, à améliorer parfois, à magnifier, lorsque cela a commencé bien
avant nous - les différentes composantes qui permettent d'en affirmer la
solidarité.
Je souhaite exposer brièvement ce projet devant vous, en formulant cinq
remarques.
Premièrement, s'agissant de la méthode, Christian Sautter et moi-même désirons
modifier, avec votre accord et avec votre participation, le calendrier un peu
traditionnel de la préparation de la loi de finances.
En effet, il nous apparaît que celui-ci est beaucoup trop tardif et qu'il
entraîne des débats trop précipités. Tous ceux qui, à la commission des
finances, participent ou ont participé dans le passé à la discussion des
projets de loi de finances reconnaîtront volontiers que leurs conditions
d'examen ne sont pas satisfaisantes ; M. le rapporteur général l'indiquait
encore tout à l'heure au début de son intervention.
En outre, cette année, le décalage de quelque huit semaines avec lequel ce
projet de loi de finances a été préparé en raison des élections législatives -
au demeurant, je ne m'en plains pas, mais le temps de travail s'en est trouvé
raccourci - nous a conduits, les uns et les autres, à oeuvrer dans des
conditions encore plus difficiles que par le passé.
La proposition que nous formulons n'est pas révolutionnaire. Néanmoins, elle
peut améliorer les choses. Elle se résume en trois points.
Tout d'abord, dès le mois de juin, le Gouvernement transmettra aux assemblées
une situation des finances publiques sur laquelle, si elles le désirent - je le
souhaite ! - les commissions des finances pourront entendre les explications
des responsables des finances publiques. Ainsi, un débat aura lieu sur la
situation à mi-année et sur la situation prévisionnelle pour l'année
suivante.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est ce que demande la
commission des finances, monsieur le ministre !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'en suis ravi,
monsieur le président !
Ensuite, le Gouvernement rendra public, avant la fin du mois de juillet, le
cadrage général de la loi de finances qu'il se propose de présenter au
Parlement pour l'année suivante, c'est-à-dire le niveau des dépenses, des
recettes, et donc du déficit.
Enfin, nous pourrons ainsi déposer, dans les tout premiers jours du mois de
septembre, sur le bureau des assemblées, le projet de loi de finances, de sorte
que les commissions concernées puissent travailler pendant tout ce mois et
mieux s'informer sur le maquis des chiffres évoqué tout à l'heure par M. le
rapporteur général.
Seule la difficulté à comprendre parfois certains chiffres peut d'ailleurs
expliquer les critiques qui ont été émises et auxquelles je voudrais maintenant
répondre !
Ma deuxième remarque a trait, bien évidemment, à la croissance. Celle-ci joue
un rôle extrêmement important, surtout pour l'emploi, mais aussi, dans une
certaine mesure, moindre il est vrai, pour le budget.
Comme vous le savez, la prévision de croissance sur laquelle a été établi ce
budget est de 3 %.
M. Philippe Marini.
C'est très optimiste !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est beaucoup
par rapport au passé, mais c'est sans doute, encore trop peu par rapport à ce
qu'il nous faudrait, et la croissance trop faible des années qui viennent de
s'écouler est l'une des causes, même si c'est loin d'être la seule, chacun le
reconnaîtra, de l'augmentation du chômage pendant la même période.
Cette prévision de 3 % est jugée par certains trop optimiste. Or, la
Commission européenne vient d'estimer que la croissance atteindrait 3,1 % en
France, et le Fonds monétaire international, généralement peu soucieux de faire
des cadeaux aux gouvernements qui annoncent un taux de croissance, a validé ce
taux de 3 %.
Néanmoins, il s'agit, j'en conviens, d'une prévision, et certains peuvent
faire observer, à juste raison d'ailleurs, que, depuis l'établissement de
celle-ci, certains événements se sont produits. Ceux-ci ne remettent-ils pas en
cause le taux annoncé ?
Un événement majeur est notamment survenu ; je veux parler de la crise
financière en Asie. Il convient donc de nous interroger ensemble, et je le fais
devant vous, sur les conséquences prévisibles à ce jour pour notre taux de
croissance de ce qui s'est passé sur les places financières asiatiques.
En réalité, comme chacun peut le pressentir, la crise financière asiatique
aura sans doute des conséquences sur le taux de croissance des pays concernés.
La croissance très élevée qu'ils enregistraient va certainement être freinée de
façon significative durant quelques mois, voire peut-être un an.
Mais, comme vous le savez aussi, la part de nos exportations vers ces pays est
assez modeste ; elle varie, selon les pays, entre 3 % et 5 %. Le passage de 8 %
à peut-être 3 % ou 4 % du taux de croissance de ces pays n'aura, en fin de
compte, que des conséquences assez marginales sur nos exportations. Ne
convient-il pas cependant d'en tenir compte ?
Il s'avère que, dans le même temps, l'hypothèse de croissance sur laquelle le
budget a été bâti se fondait sur un ralentissement des économies anglo-saxonnes
plus important que celui que nous constatons. En fait, ces économies n'ont pas
connu de ralentissement. Nous avons même constaté avec surprise que l'économie
américaine continuait d'avoir un cycle de croissance extrêmement long. Il en
est de même pour nos amis britanniques. Dans ces conditions, ceci compensant
cela en termes d'effet direct réel sur la croissance, nous n'avons pas
aujourd'hui à modifier notre prévision.
Pour autant, n'y-aura-t-il pas un effet financier en dehors des exportations ?
On pourrait l'imaginer, mais un examen attentif de la situation - à cet égard,
nous pouvons nous référer à la crise de 1987 - nous permet de constater que,
tout comme cette année-là, les pertes enregistrées par les épargnants sur les
marchés boursiers ne font que compenser la hausse très rapide enregistrée
depuis le début de l'année et que, au total, le bilan reste largement
positif.
D'autre part, nous pouvons également constater que la crise de 1987, qui a été
pour le moment plus profonde que celle que nous connaissons, n'a pas entraîné,
en 1988, bien au contraire, un ralentissement de la croissance.
Il ne convient pas de sous-estimer ce qui se passe sur les marchés asiatiques,
mais il ne convient pas non plus pour le moment d'en surestimer l'importance
sur notre croissance ni sur celle de nos voisins européens. Je maintiens donc,
évidemment avec les réserves d'usage s'agissant d'une prévision, le taux de 3 %
qui vous a été annoncé.
M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général, ce
dernier avec plus d'inquiétude encore, se sont interrogés sur notre taux de
croissance. Je veux croire que leurs questions témoignaient d'une certaine
inquiétude et n'étaient pas un motif de réjouissance.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Il faut toujours souhaiter le succès de la France
!
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Telle est mon
opinion, et je ne voudrais pas que l'on puisse reprocher au rapporteur général
de la commission des finances du Sénat, comme Chateaubriand l'écrivait à propos
de Charles X, d'avoir parfois compté les malheurs de son pays au nombre de ses
espérances.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Je le répète, je ne souhaite que le succès de la
France !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'en suis
certain, monsieur le rapporteur général, et, dans ces conditions, puisque nous
souhaitons tous ici que cette prévision de croissance se réalise, ne laissons
pas accroire l'idée que c'est impossible. Nous atteindrons, l'année prochaine,
ce taux de 3 %.
M. Roland du Luart.
L'ennui, c'est que Bercy se trompe toujours !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Par ailleurs, il
faut prendre en compte la réalité. Or, nous constatons que la consommation
redémarre : le troisième trimestre enregistre une croissance de 2,7 % par
rapport au deuxième trimestre, ce qui est important. Je sais, comme vous, que
les statistiques sur la consommation sont assez fluctuantes, mais, enfin, mieux
vaut qu'elles soient positives !
Tout laisse donc à penser que nous connaissons bien un redémarrage de la
consommation. La politique du Gouvernement a d'ailleurs beaucoup accompagné ce
redémarrage de la consommation par différentes mesures concernant le SMIC,
l'allocation de rentrée scolaire ou d'autres domaines.
Plus inattendu est le redémarrage plus précoce que prévu de l'investissement.
La croissance assez sensible des importations de biens d'équipemement est
bienvenue. Les statistiques tendent à prouver - je le dis encore une fois avec
les réserves d'usage s'agissant de prévisions - que la reprise de
l'investissement pourrait être plus rapide que nous ne l'avions prévu, ce qui
laisse à penser, là encore, que notre prévision n'a pas de raison d'être remise
en cause.
M. le rapporteur général a déclaré que les mesures proposées à l'Assemblée
nationale par le Gouvernement dans le projet de budget, en ce qui concerne
notamment la fiscalité de l'épargne, risquaient, de manière paradoxale mais
intéressante, de gonfler celle-ci alors qu'elle est moins rémunérée en termes
nets puisque plus imposée, parce que les épargnants auraient plus besoin
d'épargner.
Ce raisonnement que ceux qui connaissent bien ces problèmes ont reconnu trouve
son origine dans une thèse développée en 1954 dans la
revue américaine
d'économie
par deux économistes au nom italianisant, Endo et Modigliani,
thèse selon laquelle, contrairement à une idée courante, l'épargne est d'autant
plus abondante qu'elle est mal rémunérée.
Cette thèse est intéressante et je salue là, d'ailleurs, la référence
implicite de M. le rapporteur général. Malheureusement, force est de
reconnaître qu'elle n'a jamais été vérifiée dans les faits et que, beaucoup
plus traditionnellement, les Français épargnent seulement quand leur placement
rapporte.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Nous dresserons un bilan dans un an !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dans ces
conditions, la fiscalisation accrue de l'épargne, sur laquelle je reviendrai,
tendrait plus à accroître la consommation qu'à la diminuer.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ou alors les épargnants
délocalisent leurs placements !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est un autre
sujet, monsieur le président, mais vous avez raison et nous pourrons y revenir.
En tout cas, je ne crois pas beaucoup à la thèse de la reconstitution de
l'épargne.
Pour conclure sur la croissance, je dirai que, bien évidemment, nul ne peut
garantir un taux de croissance. J'entendais tout à l'heure un sénateur dire que
Bercy s'est souvent trompé. Certes ! Mais peut-être m'autoriserez-vous à dire
que, parfois, le Sénat aussi !
(Sourires.)
En tout état de cause, l'expérience la plus récente n'est pas mauvaise,
car la prévision de croissance établie pour 1997 par les mêmes services mais
sous un autre gouvernement se réalisera. Espérons donc que l'habileté dont ont
fait preuve les fonctionnaires des finances dans les prévisions pour 1997 ne
sera pas démentie par leur analyse pour 1998.
Le troisième point que j'aborderai, après la méthode et la croissance,
concerne le déficit. Celui que nous vous proposons dans ce projet de loi de
finances s'élève à 3 %. Je ne sais, monsieur le président, si le chiffre 3 a un
caractère magique, mais les mathématiciens savent bien qu'il a des propriétés
particulières. En tout cas, nous ne l'avons pas choisi.
Ramener le déficit à 3 %, contrairement aux affirmations que je viens
d'entendre était une opération délicate. En effet, il est apparu en milieu
d'année, grâce à la fois à l'audit des finances publiques réalisé par MM.
Bonnet et Nasse, auquel on a fait référence tout à l'heure, et aux déclarations
faites par le Premier ministre sortant au nouveau Premier ministre - chacun les
connaît puisqu'elles ont été publiées par la presse - que le déficit serait
plutôt situé entre 3,5 % et 3,7 %.
Revenir à un déficit de 3 % n'était pas nécessairement une opération simple,
d'autant que ce taux, vous le savez comme moi, doit être augmenté de 0,4 à 0,5
point du PIB en raison du versement de la soulte de France Télécom. Par
conséquent, il s'agissait de faire passer le déficit de 4 %, et non de 3,6 %, à
3 %.
Certains ont parfois mis en doute le travail accompli par les fonctionnaires
de la Cour des comptes. Je ne pense pas que ce soit le cas de l'un d'entre vous
et l'esprit républicain qui prévaut dans notre société veut que, fort
heureusement, les fonctionnaires sont rarement critiqués. Certains avaient
peut-être cette tentation, mais, en tout cas, nul ne mettra en doute les
déclarations de M. Juppé.
Nous avions donc, quelles que soient nos sources, la certitude, au milieu de
l'année, que le déficit réel était de l'ordre de 4 %.
Nous voulons le ramener à 3 % pour deux catégories de raisons.
La première, qui a été évoquée par les orateurs précédents, a trait à nos
engagements européens. Oui, il est vrai que nous voulons faire l'euro parce que
nous avons une certaine idée de la France, selon laquelle la souveraineté que
nous aurons du point de vue monétaire, et qui sera partagée avec nos
partenaires autour d'une monnaie devenue unique, vaut mieux qu'une apparente
souveraineté sans partage lorsque notre monnaie n'est gérée que par nous et que
nous savons bien, en réalité, à quel point elle est dépendante d'autres
décisions.
M. Jacques Genton.
Très bien !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nous voulons
faire l'euro parce que nous avons aussi une certaine idée de l'Europe, selon
laquelle ce grand continent a sa place. Par conséquent, les efforts qui ont été
entrepris jusqu'à maintenant et qui se poursuivent pour lui donner un marché
unique, un marché intérieur sans frontières, une normalisation industrielle,
doivent porter leurs fruits. Ceux-ci ne seront véritablement à notre
disposition que si nous détenons le dernier élément qui complète le marché
unique, à savoir une monnaie pour tous.
La monnaie unique permettra aux entreprises, notamment aux plus petites
d'entre elles, d'éviter les risques de change - les petites et moyennes
entreprises n'ont pas les moyens de gérer leur trésorerie en devises. Elle
permettra aussi d'éviter les dévaluations compétitives, dont nombre de nos
secteurs ont souffert, au cours des dernières années, parce que tel ou tel pays
de l'Union européenne recourait à cet artifice pour rendre ses exportation plus
compétitives. Elle présentera donc beaucoup d'avantages pour nos entreprises,
comme pour nos concitoyens.
Enfin, vous voulons également l'euro parce que nous avons une certaine
conception du monde, selon laquelle l'Europe n'est pas appelée à jouer les
rôles de second rang.
Si nous voulons que notre continent dispose d'un moyen d'intervention
économique, d'une présence monétaire sur la planète qui lui permette non pas de
combattre mais de contrebalancer la puissance des Etats-Unis d'Amérique et du
dollar, nous devons disposer ce cet instrument monétaire, sinon nous renonçons,
pour une durée que je ne peux pas évaluer,...
M. Roland du Luart.
C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... à faire
entendre sur la scène économique du monde la voix de l'Europe.
Voilà pourquoi nous voulons que la monnaie unique se réalise. Il faut, à cette
fin, vous le savez comme moi, remplir un certain nombre de critères et force
est de reconnaître - je le dis sans esprit polémique - que la situation que
nous avons trouvée après les élections disqualifiait la France.
Il fallait donc prendre des mesures. Je reviendrai peut-être sur ce point
brièvement tout à l'heure. Ces mesures ont été prises et doivent nous permettre
de parvenir à un déficit qui n'excède pas 3 %.
Vous aurez d'ailleurs à examiner, dans quelque temps, le collectif budgétaire
que M. Christian Sautter et moi-même vous soumettrons pour boucler cette année
et vous pourrez constater que l'effort qui a été entrepris - chose rare dans
les annales de la République, en tout cas au cours de ces dernières années -
permettra aux dépenses publiques de se situer en fin de compte, en 1997, à un
niveau indentique à celui qui a été voté par le Parlement.
Cette situation devrait sembler à tous naturelle, mais nous savons bien que
l'exécution des lois de finances a malheureusement donné lieu, année après
année, à des dépassements que tous les sénateurs s'accorderont sans doute
volontiers à juger inconsidérés. Eh bien, cette année, le collectif que nous
vous présenterons sera équilibré, comme l'ont été d'ailleurs les décrets
d'avance ! Dans ces conditions, les dépenses nouvelles ayant toutes été
financées par des annulations de crédits, vous trouverez bien, au bout du
compte, un total de dépenses publiques égal à celui qui a été voté par le
Parlement.
Aurai-je la facétie de rappeler que, parmi les dépenses nouvelles qu'il a
fallu financer, quelques-unes n'incombaient pas vraiment au nouveau
gouvernement et relevaient peut-être parfois d'une certaine sous-estimation des
dépenses initiales ? Certaines étaient évidemment imprévisibles : je pense aux
opérations militaires extérieures ; c'est bien normal. D'autres étaient tout de
même plus prévisibles.
Vous constaterez que 650 millions de francs sont inscrits dans le collectif
pour rendre compatibles les charges de l'Etat en matière de retraite des
fonctionnaires avec ce qui, évidemment, était calculable dès le début de
l'année et qui avait pourtant été omis.
De la même manière, les sommes nécessaires à la réévaluation du traitement des
fonctionnaires n'étaient pas toutes présentes. De même, ce que le prêt à taux
zéro dit « prêt Périssol » nécessitait a été sous-estimé de quelque 2 milliards
de francs, si j'ai bonne mémoire.
Bref, vous trouverez, au total, un ensemble de dépenses que, bonne fille, le
nouveau gouvernement solde au nom du précédent. Mais il le solde sans augmenter
le total des dépenses. Je pense que tous ceux qui, ici, à l'instar du président
de la commission des finances et de M. le rapporteur général, souhaitent une
maîtrise des dépenses publiques reconnaîtront l'effort qui a été fait en la
matière ! Mais nous y reviendrons lors de l'examen du collectif.
M. Philippe Marini.
C'est grâce au contribuable !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Non, monsieur le
sénateur ! Pendant quelques instants, vous avez dû penser à autre chose. En
effet, je ne peux pas imaginer que vous n'ayez pas compris que, lorsque le
total des dépenses est le même que celui qui a été voté en début d'année, le
contribuable n'a rien à voir dans l'affaire. Ce sont des dépenses en moins qui
compensent des dépenses en plus. Cela me semble un équilibre dont vous
conviendrez.
M. Philippe Marini.
On l'obtient par des recettes supplémentaires !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il n'y a pas de
recettes supplémentaires en cause lorsque l'on parle d'une égalité entre le
total des dépenses réalisées et le total des dépenses votées ! Cela veut dire
que les dépenses nouvelles ont été compensées par des annulations de
dépenses.
M. Gérard Delfau.
C'est évident !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Si vous souhaitez
argumenter ainsi sur le déficit, nous y reviendrons tout à l'heure.
Reconnaissez avec moi - ou alors, le dialogue devient difficile, si l'on remet
en cause les axiomes de l'arithmétique ! - que lorsque la dépense totale est
égale à celle qui a été votée, c'est qu'il n'y a pas de dépenses
supplémentaires et que, par conséquent, tout ce qui pouvait venir en excédent a
été financé par la diminution d'autres dépenses. Jusque-là, il me semble,
honnêtement, que la position du Gouvernement est solide.
Seconde catégorie de raisons conduisant à ramener le déficit à 3 % : nous ne
pouvons pas continuer, nous tous, quelle que soit notre couleur politique, à
avoir un budget dans lequel le service de la dette est passé, en quelques
années, d'environ 10 % à près de 20 %, limitant par là de plus en plus, et à
terme totalement, les capacités d'intervention de l'Etat.
M. Claude Estier.
C'est exact !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. le président
Poncelet rappelait tout à l'heure, à juste raison, que l'investissement public
est insuffisant. Je n'entre pas dans son raisonnement en disant qu'il aurait pu
être beaucoup plus élevé cette année. Je crois que, malheureusement, c'était
impossible. Toutefois, je concède qu'il est aujourd'hui insuffisant par rapport
aux besoins de notre pays. En effet, chacun le sait, le service de la dette
croît fortement et « mange » toutes les possibilités.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il est donc
impératif que nous soyons capables de limiter le service de la dette. Or, nous
ne pouvons pas raisonnablement espérer le limiter à l'avenir par la baisse des
taux, car ceux-ci sont déjà très faibles. Par conséquent, la seule vraie
manière pour limiter le service de la dette, c'est de limiter la dette
elle-même, et, pour ce faire, il faut limiter le déficit. Il y a là un
impératif pour nous tous.
Plus on croit - peut-être pas de la même manière sur toutes les travées - que
le budget de l'Etat doit servir au fonctionnement de l'économie et est un
instrument dont le Gouvernement doit utiliser chacune des possibilités en
faveur de l'économie, plus on doit être favorable à la réduction du déficit
pour permettre de dégager de nouvelles marges de manoeuvre.
Ceux qui sont très libéraux - il y en a sans doute parmi vous - peuvent dire :
peu importe, laissons le déficit augmenter, laissons le service de la dette
exploser, l'Etat ne pourra plus intervenir ; c'est tant mieux, moins il
intervient, mieux c'est !
(Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Josselin de Rohan.
On ne peut pas raisonner comme cela !
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est une caricature du libéralisme !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est en effet une caricature !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous ne le dites
même pas ! S'il y avait des extrêmistes au Sénat, ils le diraient peut-être,
mais il n'y en a pas !
En tout cas, je me tourne vers ceux qui, dans cette assemblée, souhaitent,
comme moi, que la dépense publique soit efficace au service du pays. Pour cela,
il faut que le Gouvernement en retrouve la maîtrise et, pour ce faire, le
service de la dette doit diminuer !
Mais on peut aller plus loin. Dans notre pays, la dette publique rapportée au
PIB est passée en quinze ans - sous différents gouvernements, de toutes les
couleurs ; la question n'est pas de chercher les responsabilités - de 20 % à 57
%. Comparé à celui d'autres pays, ce taux se regarde encore avec une certaine
admiration. Certains pays sont à plus de 100 %, mais nous ne sommes pas obligés
de nous comparer aux plus mauvais.
Ce qui est important, c'est que ce taux baisse. Nous ne pouvons laisser - et
là aussi cela dépasse les clivages politiques
(M. le président de la
commission des finances fait un signe d'assentiment) -
aux générations qui
suivent, à nos enfants, à nos petits-enfants, une situation dans laquelle la
dette publique augmente, signifiant par là que nous avons financé nos propres
dépenses sur des impôts qu'ils devront payer.
Dans ces conditions, je considère que c'est un devoir absolu de l'ensemble de
notre collectivité nationale, et donc du Gouvernement qui est là pour la
représenter, de se mettre en situation de faire baisser le ratio de la dette
publique par rapport au PIB.
Si nous continuons au rythme que nous avons engagé cette année, le ratio de la
dette publique par rapport au PIB commencera à baisser en l'an 2000, pour la
première fois de notre histoire. Je ne sais quel sera le Gouvernement en place
à ce moment-là et je sais encore moins quel sera alors le ministre de
l'économie et des finances, mais si, d'aventure, je devais être celui-là, ce
serait pour moi - et je pense pour vous qui peut-être voterez le projet de
budget, aujourd'hui ou demain - une grande satisfaction de constater que nous
aurons rendu, par ce biais-là, à notre pays, un véritable service en faisant en
sorte que, autant que faire se peut, chaque génération assume ses propres
charges et ne reporte pas sur les générations suivantes des charges indues.
Cela suppose, évidemment, que nous diminiuons notre déficit, et c'est donc une
raison qui, pour moi, vaut au moins autant que celle que j'énonçais tout à
l'heure.
C'est pourquoi ce projet de budget vous est présenté avec un déficit de 3 %,
et, encore une fois, l'effort à faire était considérable compte tenu du
dérapage à mi-année et de la disparition de la soulte de France Télécom.
Pour y parvenir - ce sera ma quatrième remarque - nous avons, autant qu'il
était possible, maîtrisé la dépense.
J'ai bien entendu les remarques faites par M. le rapporteur général et par M.
le président Poncelet. J'en vois quelle est la part naturelle dans une
assemblée comme la vôtre. Je considère toutefois que l'effort qui a été fait -
jamais suffisant, me dira-t-on, très bien ! - est considérable.
C'est la première fois depuis vingt ans que les dépenses du budget général
s'accroissent au même rythme - à vrai dire un tout petit peu moins, mais ne
chicanons pas - que les prix, autrement dit que leur croissance en francs
constants sera nulle.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est la deuxième fois !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'espérais que
cette remarque qui me donne l'occasion de faire un commentaire
(Sourires),
ou plutôt deux, que j'aurais peut-être trouvé malvenus -
parce que je ne prends pas plaisir à critiquer mes prédécesseurs - si vous ne
m'y aviez pas incité. Toutefois, devant une telle provocation, je ne peux que
réagir.
(Nouveaux sourires.)
C'est la deuxième fois, dites-vous, monsieur le
rapporteur général, et vous pensez sans doute à l'année dernière.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Nous verrons !
M. Philippe Marini.
A l'année 1987 !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je suis moins
formel que vous ; il faudrait que je vérifie. Pour être tout à fait honnête,
j'avais le sentiment que cela remontait à vingt ans mais peut-être est-ce dix
ans.
En tout cas, pour l'année dernière, chacun de vous aura noté - car aucun
sénateur ne peut se laisser abuser de cette manière - que la notice explicative
du budget de 1997 qui a été diffusée à la presse ne comportait pas les mêmes
chiffres que le budget qui a été présenté. Le décalage de 10 milliards de
francs qui existait entre les deux pouvait donner le sentiment, lorsqu'on
lisait la notice explicative, qu'il y avait effectivement une croissance très
faible des dépenses, mais la réalité était un peu différente. Si, d'aventure,
certains d'entre vous n'avaient pas fait ce constat à l'époque, je les invite à
le faire dans les jours à venir ; c'est toujours extrêmement instructif.
Autre remarque : un calcul qui introduirait les comptes d'affectation
spéciale, les comptes spéciaux du Trésor, peut conduire, en effet, à une
comparaison qui met à égalité l'année dernière et cette année. Toutefois, nous
le savons tous, l'estimation des comptes spéciaux du Trésor est pour le moins
aléatoire. Ils peuvent varier d'un jour à l'autre. Dans ces conditions, il est
raisonnable de considérer les dépenses réelles du budget.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Nous verrons lors de l'examen des articles !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nous verrons à
l'arrivée ! Dans ces conditions, je ne retiens même pas ce que je disais tout à
l'heure sur la sous-estimation d'un certain nombre de dépenses. En effet, vous
pourriez me dire que, cette année, certaines dépenses ont peut-être été
sous-estimées. Je ne retiens donc pas cet argument.
La présentation qui a été faite l'année dernière, d'une part, et la volonté de
mêler aux dépenses réelles du budget ce qui se passe sur les soldes et les
comptes spéciaux du Trésor, d'autre part, font que, lorsque l'on regarde
véritablement les chiffres - je suis sûr que vous aurez tous à coeur de le
faire - on constate que cette année - je n'en tire pas une gloire excessive,
mais cela a été difficile -, pour la première fois depuis vingt ans - quelqu'un
a dit 1987, je vérifierai - nous avons une croissance nulle de la dépense en
termes réels.
J'ai bien entendu que le Sénat proposait de la rendre nulle non pas en francs
constants mais en francs courants. Comme, en francs courants, elle augmente de
21 milliards de francs, à savoir 18 milliards de francs pour l'augmentation de
la rémunération des fonctionnaires induite par les procédures existantes et 3
milliards de francs pour l'augmentation du service de la dette, donc deux
augmentations qui étaient inévitables, vous proposez de diminuer la dépense de
21 milliards de francs. Nous verrons comment vous les imputez ces 21 milliards
de francs.
Vous avez dit tout à l'heure que vous ne disposiez pas de la possibilité de
faire une imputation par chapitre. Toutefois, je suis sûr que, au cours de la
discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances, vous aurez à
coeur de nous dire, sur tel sujet ou sur tel autre : si nous le pouvions, nous
retirerions telle somme.
En effet, 21 milliards de francs, cela ne se trouve pas facilement, mesdames,
messieurs les sénateurs. Lorsque l'on veut les retirer, il faut vraiment dire
où on les prend.
Au demeurant, pardonnez-moi cette facétie, mais vous vous souvenez sans doute
que l'accroissement du budget de 1997 sur 1996 était de 25 milliards de francs.
Honnêtement, vous seriez plus crédibles si, l'année dernière, vous aviez
empêché cette augmentation.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes. - M. Renar applaudit également.)
Nous avons fait ce qui était en notre pouvoir pour maîtriser la dépense, et
d'autres efforts devront encore être consentis. Dans le collectif, vous verrez
que, pour 1997, l'effort de maîtrise est de l'ordre de 40 milliards à 50
milliards de francs par rapport à l'estimation de l'audit.
Certes, il n'y a pas de secret : diminuer la dépense de quelques dizaines de
milliards de francs par rapport à l'estimation figurant dans l'audit, cela
signifie des économies sur certains postes, et ce n'est pas indolore.
Néanmoins, on ne peut pas vouloir que les dépenses publiques soient maîtrisées
sans qu'aucun budget soit touché. Nous verrons donc dans le détail, budget par
budget, quelles décisions ont été prises.
Je ne suis pas de ceux qui pensent que la dépense publique est par nature
mauvaise, au contraire. Je pense cependant qu'elle ne se justifie que quand
elle est efficace. Chaque franc que les Français paient au titre de leur impôt
doit être employé de la façon la plus efficace possible, et ce qui compte,
c'est l'efficacité de cette dépense publique.
Vous ne pourriez, pas plus que moi, je pense, mesdames, messieurs les
sénateurs, accepter un budget qui serait deux fois moins important, mais dont
la moitié serait gaspillée ou utilisée sans efficacité. Le problème est non pas
tellement de savoir si la dépense publique est supérieure ou inférieure de 1 %
à celle de nos voisins, mais de savoir si l'utilisation que nous faisons des
deniers publics est efficace. De ce point de vue, le débat que nous aurons, je
l'espère, tout au long de l'année qui vient pour la préparation du projet de
loi de finances pour 1999 nous permettra d'avancer sur cette question de
l'efficacité de la dépense publique.
Je conclurai mon propos par une cinquième remarque, en vous priant, mesdames,
messieurs les sénateurs, de m'excuser d'avoir été long.
Cette remarque touche, bien entendu, puisque j'ai évoqué le déficit et la
dépense, à la fiscalité. Sur ce sujet, le Gouvernement ne croit pas à la
théorie du « grand soir fiscal », qui ferait que l'on déposerait d'un seul
coup, sur le bureau des assemblées, un gros dossier entouré d'une faveur rose,
rouge ou verte
(Sourires)
, en disant : « Voici la réforme fiscale !
».
La réforme fiscale est quelque chose qui se fait en continu ; d'autres l'ont
engagée avant nous - pas toujours dans les directions qui nous conviennent,
mais c'est cela la démocratie. Nous avons donc commencé, à travers ce projet de
budget, un début de réforme, et d'autres sujets - j'y viendrai tout à l'heure -
devront être abordés plus tard.
Ce début de réforme vise à rééquilibrer les prélèvements sur le travail et le
revenu du capital.
Tout à l'heure, M. le président de la commission des finances s'insurgeait
contre l'existence d'une loi de financement de la sécurité sociale telle
qu'elle existe. Je ne veux pas, du haut de cette tribune, me prononcer pour ou
contre, mais je crois me rappeler que cette modification résulte d'un vote des
assemblées réunies en congrès, à laquelle la majorité sénatoriale n'a pas dû
être absente.
Un sénateur socialiste.
Eh oui !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Me permettez-vous de vous
interrompre, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous en prie,
monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de M. le
ministre.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Sur ce point, la commission des
finances, dans les travaux préparatoires comme en séance publique, avait émis
les plus expresses réserves, au motif qu'il risquait d'y avoir des télescopages
préjudiciables aux contribuables. Aujourd'hui, cela se vérifie !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne suis pas en
désaccord avec ce qu'a pu penser la commission des finances du Sénat et je
regrette que, dans sa sagesse - et dans sa majorité -, le Sénat n'ait pas suivi
sa commission des finances.
M. Jean-Pierre Fourcade.
Pas moi !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Nous n'allons pas
entamer ce débat maintenant, monsieur Fourcade !
M. Jean-Pierre Fourcade.
On ne peut pas toujours revenir en arrière !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certes ! Au
demeurant, personne ne propose de revenir en arrière : allons de l'avant !
Mais je ne veux pas m'immiscer dans un débat entre deux éminents sénateurs
qui, de surcroît, ont été tous les deux nos prédécesseurs à Christian Sautter
et à moi-même. Donc, vous traiterez ce débat à l'intérieur d'un huis clos
sénatorial.
(Sourires sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Il reste que le rééquilibrage de la pression fiscale entre les revenus du
travail et les revenus du capital est une orientation que le Gouvernement
souhaitait mettre en oeuvre. Il le fait, et, si je comprends que certains
puissent critiquer cette orientation, elle n'en est pas moins sans doute la
principale caractéristique de l'évolution de la fiscalité retenue au travers de
ce budget.
Une autre caractéristique est le refus de l'aggravation du déséquilibre, déjà
trop fort dans notre pays, entre la fiscalité indirecte et la fiscalité
directe.
Je voudrais, là aussi sans facétie, relever une contradiction entre le
président de la commission et le rapporteur général, d'une part, et le
Gouvernement, d'autre part.
J'ai entendu que la commission proposait de diminuer de 21 milliards de francs
les dépenses - j'ai dit tout à l'heure quel était mon scepticisme à cet égard -
et d'utiliser la ressource ainsi dégagée à poursuivre la baisse de l'impôt
engagée par le gouvernement précédent - je ne me trompe pas ? - ...
(M. le rapporteur général sourit.)
Vous ne confirmez pas ?... C'est pourtant bien ce que vous avez dit,
monsieur le rapporteur général !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Nous y viendrons lors de la discussion des articles
!
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous attendez la
suite ? Vous avez raison !
(Rires.)
J'ai entendu dans la même déclaration qu'il convenait de poursuivre
l'harmonisation fiscale entre les pays européens, car c'était un point
important.
Je suis d'accord avec vous sauf que, comme vous le savez, notre pays est celui
dans lequel la fiscalité directe est la plus faible et la fiscalité indirecte
la plus forte.
M. Michel Sergent.
Eh oui !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il faut donc
quand même savoir vers quoi nous voulons converger ! Si nous voulons que notre
structure de prélèvements en direction des ménages converge vers la moyenne
européenne, alors c'est le chemin inverse qu'il faut prendre : il faut diminuer
la TVA - ce à quoi le Gouvernement est favorable - et l'obtenir soit par la
baisse des dépenses - c'est le mieux, et c'est ce que le Gouvernement veut
essayer de traduire dans les budgets à venir - soit par l'augmentation des
impôts directs, ce que je ne recommande pas. Mais, à tout le moins, ne baissons
pas les impôts directs, car, si nous les baissons, nous nous éloignons de ce
que font tous nos partenaires européens.
M. Michel Sergent.
Evidemment !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Si l'on veut la
convergence, on ne peut pas vouloir la réforme Juppé !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
M'autorisez-vous à vous
interrompre de nouveau, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous en
prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances, avec
l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Convenez, monsieur le ministre,
que, en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, l'harmonisation est
intervenue à une certaine époque, mais que l'on s'en écarte aujourd'hui. Le
gouvernement précédent en porte peut-être une responsabilité, mais le vôtre
davantage, monsieur le ministre, car hier, c'était 10 %, alors qu'aujourd'hui,
c'est 15 % en plus.
La fiscalité d'ensemble sur les sociétés représentait hier 33,3 ; aujourd'hui,
nous en sommes à 41,6.
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je vous remercie,
monsieur Poncelet, de me rappeler ce point. Nous avons déjà eu ce débat à
propos du MUFF, mais il mérite d'être repris à l'instant, et j'allais
l'oublier.
Cependant, avec la surtaxe de M. Juppé et celle que le Gouvernement vient de
mettre en oeuvre, nous serons à 41 %, soit un taux inférieur à celui de
l'Allemagne et de l'Italie.
Par ailleurs, la surtaxe de 15 % que le Parlement a votée au titre du MUFF
est, comme vous le savez, temporaire ; dans deux ans, elle aura disparu, car
vous l'avez votée temporaire.
(Murmures sur les travées du RPR.)
Or, l'habitude du Gouvernement, vous le constaterez, est de respecter ce que
fait le Parlement. Il le fait même pour des dépenses que vous avez votées
l'année dernière, sous un autre gouvernement. Dès lors, vous pensez bien qu'il
le fera pour ce qu'il a proposé lui-même !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il faut le faire pour la réforme
fiscale et pour les réductions qui ont été décidées !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Je ne peux pas
vraiment vous garantir que le caractère temporaire vaille autant pour la
réforme de M. Juppé, et je ne me souviens d'ailleurs pas qu'à l'époque le Sénat
ait refusé de voter cette surtaxe au nom de sa pérennité.
M. René Régnault.
Absolument !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Dans ces
conditions, reconnaissez que la réforme de cette année a quand même meilleure
allure que celle des années précédentes !
M. Josselin de Rohan.
Parce que c'est vous qui la proposez ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Pourquoi ne pas supprimer la surtaxe de l'année
précédente, monsieur le ministre ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Parce qu'elle est
temporaire, monsieur le rapporteur général !
Quoi qu'il en soit, continuez à soutenir le Gouvernement dans son effort sur
la dépense et nous pourrons baisser les impôts, y compris, peut-être, la
surtaxe de M. Juppé. Mais, ce jour-là, que me direz-vous ? Qu'il ne faut pas la
supprimer parce que c'est celle de M. Juppé, ou qu'il faut la supprimer parce
que c'est de l'impôt ? Cruel dilemme que nous aurons à examiner plus tard,
lorsque les ressources que nous aurons dégagées par la maîtrise des dépenses le
permettront.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Les contribuables ne feront pas la différence !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
En attendant, il
est certain - et j'en terminerai sur ce sujet - qu'il faut tout de même couper
la tête à un canard qui court depuis un peu trop longtemps, celui de la hausse
des prélèvements.
Lorsque la somme des prélèvements fiscaux est, au bout d'une année, celle qui
a été votée par le Parlement en début d'année, je vois mal comment on peut dire
qu'il y a hausse des prélèvements. Que certains prélèvements se soient
substitués à d'autres, que certains aient moins rapporté que prévu et que
d'autres les aient remplacés, certes ; que, éventuellement, ce ne soient pas
les mêmes contribuables qui soient touchés et que l'on veuille critiquer cela,
c'est tout à fait loisible. Mais, lorsque la masse des impôts ne varie qu'à 2
ou 3 milliards de francs près, alors les prélèvements sont les mêmes.
M. Philippe Marini.
La pression fiscale, c'est ce que paient les contribuables ! Que paie chacun
d'eux ?
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Certains paient
plus, d'autres paient moins !
M. Hilaire Flandre.
Allez voir sur le terrain !
M. Philippe Marini.
Ce n'est pas une abstraction, la pression fiscale !
M. Roland du Luart.
Ce sont toujours les mêmes qui paient !
M. Hilaire Flandre.
Nous vous amènerons des feuilles d'impôts !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ce ne sont pas les mêmes qui ont payé !
M. Philippe Marini.
Justement !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Oui, justement !
M. le président.
Mes chers collègues, je vous en prie !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
J'ai plaisir à
cet échange entre sénateurs ! Mais je dois dire que je rejoins plus volontiers
ce que j'ai entendu sur ma gauche que ce que j'ai entendu sur ma droite.
M. Philippe Marini.
Le contraire vous créerait des problèmes !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pas du tout ! Je
sais avoir la même objectivité que M. Poncelet.
(Sourires.)
Or, en
l'occurrence, force est de reconnaître que ce ne sont pas les mêmes. Mais
personne n'a prétendu que nous souhaitions que ce soient les mêmes !
M. Philippe Marini.
C'est plus pour les entreprises !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Ce que nous
disons, c'est que la pression globale d'ensemble n'a pas augmenté, et les
statistiques de l'INSEE le montrent.
Certes, au sein de la pression d'ensemble, ce ne sont pas les mêmes qui sont
touchés, mais si vous croyez, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité
sénatoriale, que c'est une critique que vous nous adressez là, vous vous
trompez. Nous considérons, au Gouvernement - et, je pense, dans l'opposition
sénatoriale - que c'est un compliment que vous nous faites que de nous
reprocher d'avoir su ainsi modifier la structure du prélèvement fiscal.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Josselin de Rohan.
Notamment sur l'impôt !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Pour 1998, la
recette fiscale augmente de 3,1 %, tandis que la croissance nominale augmente
de 4,2 %. Chacun d'entre vous pourra assez rapidement en déduire que la
pression fiscale va diminuer, et il aura raison.
M. Philippe Marini.
CSG non comprise ! Vous « saucissonnez » !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
CSG non comprise,
en effet. Mais laissez-moi terminer : si vous me « saucissonnez » moi aussi, je
ne pourrai plus produire mes arguments !
(Rires.)
Pour ce qui est de la pression fiscale d'Etat, je maintiens les chiffres
que je viens d'évoquer. Lorsque l'on introduit ce qui se passe pour la CSG, le
constat est que cela ne change pas beaucoup, puisque, comme chacun le sait, la
CSG représente pour sa plus grosse masse un transfert de cotisations maladie,
ce qui ne change rien au prélèvement total. Mais, comme il ne s'agit que de sa
plus grosse masse et qu'il y a un petit prélèvement en plus, M. Marini n'a pas
tout à fait tort et, effectivement, la baisse de la pression fiscale que nous
pouvons attendre en 1998 n'est pas aussi importante que le laissaient entendre
les chiffres que j'évoquais à l'instant. Elle passera cependant - ce sont des
chiffres prévisionnels, j'en conviens - de 46 % à 45,9 %.
Vous me direz que ce n'est pas beaucoup. Mais c'est beaucoup mieux que la
croissance régulière du taux de pression fiscale depuis quatre ans, qui est
passé de 42 % à 46 % dans le budget que vous avez voté l'année dernière, à la
même époque.
M. René Régnault.
Eh oui ! Cela va dans la bonne direction.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Christian
Sautter détaillera devant vous, en dépenses comme en recettes, les priorités
qui ont été choisies, et chacun constatera qu'elles sont conformes aux
engagements du Gouvernement.
Avant de terminer, je voudrais rappeler à ceux d'entre vous qui voudront bien
l'entendre que ce gouvernement n'est en place que depuis six mois. Or, voilà
neuf mois, presque jour pour jour - c'était le 21 février, nous sommes le 20
novembre - une rumeur commençait à enfler dans l'ensemble du pays - elle allait
devenir une décision - celle de la dissolution.
Lorsque les Français - comme vous, sans doute, et comme moi - se sont
interrogés sur les raisons de cette dissolution, nombreuses ont été les
hypothèses. L'une a pris force dans l'esprit de nos concitoyens, selon laquelle
le budget serait tellement difficile à boucler pour 1997 et à préparer pour
1998 qu'il valait mieux organiser les élections avant qu'après. Les confidences
faites par M. Juppé à M. Jospin, lorsqu'il lui a transmis ses pouvoirs, n'ont
d'ailleurs fait que renforcer, après les élections, il est vrai, cette
impression.
Pourtant, nous vous présentons ce projet de budget sans drame, avec un déficit
de 3 %, avec des priorités financées, avec probablement une baisse des
prélèvements obligatoires - avec en tout cas une stabilisation - et je ne vois
pas ce qu'il y a là de miraculeux. Il n'y a pas de miracle budgétaire dans
cette affaire ! Il n'y a pas non plus d'artifices budgétaires, il y a
simplement une maîtrise très rigoureuse de la dépense.
M. Josselin de Rohan.
Il y a la croissance, aussi. Cela peut aider !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
sénateur, j'avais scrupule à parler trop longtemps, mais puisque vous m'y
invitez si gentiment,...
M. Josselin de Rohan.
Mais oui : je vous écoute sans me lasser !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
... je vais me
livrer à un petit calcul que vous aurez le loisir de vérifier.
L'année dernière, vers février-mars, les prévisions de croissance établies par
l'administration s'élevaient à 2,7 %. Aujourd'hui, j'estime cette croissance à
3 % - vous me dites que c'est trop optimiste, mais là n'est pas le débat - et
je prévois donc un supplément de croissance de 0,3 %, ce qui équivaut à 24
milliards de francs de PIB puisque, vous le savez, le point de PIB peut être
évalué à 80 milliards de francs. Or, il faut savoir que cette hausse de 24
milliards de francs du PIB représente, dans la mesure où le prélèvement de
l'Etat est
grosso modo
de 15 %, près de 3 milliards de francs de
recettes fiscales supplémentaires. Et encore, je le voudrais bien car, comme
vous le savez, une part du PIB provient de l'exportation et l'exportation ne
rapporte pas de TVA.
Comme vous le savez aussi, une bonne part de notre système fiscal voit ses
recettes assises sur l'activité de l'année précédente. L'impôt sur le revenu,
ou encore l'impôt sur les sociétés, se fondent sur l'activité de l'année
passée. La croissance de 1998 n'a donc rien à voir avec les recettes de 1998.
Pour 1999, vous aurez raison, mais pour 1998 le supplément de croissance
rapportera, selon les calculs du ministère des finances, environ 1 milliard de
francs de recettes fiscales supplémentaires. Vous voyez que nous sommes loin de
la cinquantaine de milliards de francs qu'il a fallu trouver !
C'est donc bien la maîtrise des dépenses et non pas la croissance qui est à
l'origine du résultat que nous vous présentons.
J'ai cité beaucoup de chiffres, je m'en excuse auprès de vous, mais
permettez-moi d'en citer encore une série qui, sur le plan économique - mais il
n'y a pas, Dieu merci ! que l'économie - me semble illustrer l'histoire de
notre pays au cours de ces dernières années.
Chaque année, il est intéressant d'examiner ce qui, dans l'accroissement du
produit intérieur brut, c'est-à-dire dans celui de la richesse nationale, est
prélevé par le secteur public. Vous trouverez sans doute que ce prélèvement est
toujours trop élevé, mais je n'entrerai pas dans ce débat.
En 1994 - je ne remonte pas plus loin - 48 % de l'accroissement de la richesse
produite ont été ponctionnés par le secteur public : Etat, sécurité sociale,
collectivités locales... Comme le taux de prélèvement obligatoire était, à
l'époque, inférieur à 48 %, cet incrément a entraîné logiquement la hausse des
prélèvements obligatoires que nous avons connue pendant cette période.
En 1995, ce ne sont plus 48 %, mais 57 % de l'accroissement de la richesse
nationale de l'année qui ont été prélevés par le secteur public. Ce chiffre de
57 %, nettement supérieur au taux de prélèvement obligatoire moyen, a conduit à
un alourdissement supplémentaire de la pression fiscale.
En 1996, année dont tous les Français se souviennent, que s'est-il passé ? La
TVA a augmenté de 2 %, tandis que 89 % de l'accroissement de la richesse
nationale ont été prélevés par le secteur public. Et l'on s'étonne que la
croissance ait été cassée ! Et l'on s'étonne que les Français aient trouvé
insupportable que l'effort supplémentaire fourni pendant l'année ait été
intégralement ponctionné par la sphère publique !
En 1997, nous allons revenir à un taux de 57 % ou 58 %.
Mais, en 1998, mesdames, messieurs les sénateurs, nous passerons à 41 %, soit
un taux inférieur à celui des prélèvements obligatoires, ce qui est une autre
manière de montrer que ce dernier baissera. Pour la première fois, l'incrément
sera moindre que la moyenne, et c'est pour cela que le taux de prélèvement
obligatoire baissera.
Pour la première fois donc, depuis de nombreuses années, nous sommes à 40 % ou
à 41 %, résultat que, sans doute, nous pouvons encore améliorer, mais qui
n'avait pas été atteint dans le passé, surtout pas cette fameuse année 1996, de
triste mémoire pour les Français, singulièrement pour la majorité de l'époque,
qui lui doit pour beaucoup, je pense, son échec électoral subséquent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de budget n'est pas la quadrature
du cercle. Il est l'expression de choix difficiles sur les dépenses,
d'orientations politiques sur la structure des recettes et de la volonté de
s'engager dans une politique budgétaire différente.
Année après année, le Gouvernement vous présentera un budget qui poursuivra
dans la même direction.
L'année prochaine, je l'ai dit devant la commission des finances, nous
souhaitons travailler sur la fiscalité locale. Si le Sénat et sa commission des
finances en sont d'accord, nous travaillerons pendant toute l'année en relation
étroite. Certes, au bout du compte, le Gouvernement tranchera, mais nous aurons
ainsi tracé ensemble les voies de la réforme de cette fiscalité locale dont
chacun s'accorde à reconnaître, sans doute surtout au Sénat, qu'elle mérite
quelques aménagements.
Tel est donc le chantier que nous ouvrons pour cette année et sur lequel
j'invite la Haute Assemblée à travailler avec nous. De la sorte, maîtrisant la
dépense, diminuant le déficit, réformant la structure des prélèvements
obligatoires, année après année, le Gouvernement sera en situation de fournir
au pays le budget dont il a besoin.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous priant de
pardonner la longueur de mon propos, je laisse maintenant à M. Sautter le soin
de vous donner de plus amples détails sur la structure des dépenses comme sur
la structure des recettes.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, monsieur le président
de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames,
messieurs les sénateurs, laissez-moi vous dire d'emblée l'honneur que j'éprouve
à vous présenter, pour la première fois, le projet de loi de finances.
Ainsi que l'a dit à l'instant M. le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie, le projet de budget pour 1998 est tout à la fois économe et
conforme aux priorités du Gouvernement : priorité à l'emploi et à la création
d'activités, priorité aux équipements collectifs, priorité à la solidarité et
aux grands services publics de la vie quotidienne.
Ces priorités figuraient dans le projet initial du Gouvernement, mais elles
sortent renforcées de la première lecture à l'Assemblée nationale.
Monsieur le rapporteur général - parviendrai-je à vous en convaincre - le
projet de budget qui vous est présenté est bien un projet en faveur de la
jeunesse, car il donne la priorité à la croissance. Or, la langueur dont
souffrait à cet égard notre pays depuis six ans ouvrait peu de perspectives à
la jeunesse. C'est donc un projet de budget pour la croissance, pour l'emploi,
pour la formation, pour la recherche.
Un budget pour l'emploi, disais-je. Les dépenses en faveur de l'emploi
s'élèvent en effet à 156 milliards de francs environ et connaissent une
progression de 3,6 %.
Vous vous préoccupez, monsieur le rapporteur général, de l'emploi des jeunes.
Nous mobiliserons 8 milliards de francs pour 1998, ce qui devrait permettre à
150 000 jeunes d'accéder non pas à un emploi de fonctionnaire, mais à un
véritable emploi d'intérêt général, bien rémunéré et formateur. Cette décision
du Gouvernement, qui a été préfinancée pour la fin de l'année 1997, a été
saluée par une première réaction très encourageante des élus locaux et de nos
concitoyens - les jeunes, leurs parents, leurs grands-parents. Il y a là un
progrès à souligner.
Vous avez insisté, monsieur le rapporteur général, sur l'augmentation des
dépenses. Fallait-il donc, pour financer ces investissements utiles en faveur
de l'emploi des jeunes, tailler dans les dispositifs d'aide aux chômeurs de
longue durée, ces personnes qui, en raison de leur âge, de leur handicap, de
leur longue inactivité, ont quelques difficultés à retrouver un emploi ? Le
Gouvernement a décidé, et il assume ce choix avec une certaine fierté, de
conserver ces dispositifs, de façon qu'aucun Français, quel qu'il soit, ne
reste au bord de la route.
Le deuxième budget en augmentation est celui de l'éducation nationale. Il
s'élève à 334 milliards de francs, en hausse de 10 milliards de francs, soit
3,1 % de plus que l'année précédente. On relève la création de 1 537 postes
budgétaires, dont 1 354 dans l'enseignement supérieur. Ces créations sont
indispensables pour assurer le bon fonctionnement de nos écoles et de nos
universités, pour renforcer notre capacité d'enseignement et de recherche, pour
lutter contre l'exclusion en milieu scolaire et pour familiariser nos jeunes à
l'usage des nouvelles technologies.
Dans un exposé particulièrement charpenté, monsieur le rapporteur général,
vous avez fait allusion à la fonction publique et, en particulier, à
l'éducation nationale. L'administration centrale de l'éducation nationale est,
certes, fort étoffée et le ministre compétent a d'ailleurs pour ambition de
redéployer sur le terrain un certain nombre de postes budgétaires de
l'administration centrale.
J'adopte un instant votre raisonnement : vous souhaitez diminuer de 21
milliards de francs les dépenses de l'Etat prévues dans le projet de budget que
nous présentons. J'ai lu dans la presse que vous proposiez de réduire de 10
milliards de francs le budget de l'éducation nationale, mais je vous accorde
que vous n'avez pas repris ce chiffre aujourd'hui. Un observateur peu avisé -
mais il n'y en a pas ici - dirait qu'il est facile de trouver 10 milliards de
francs d'économies sur un total de 335 milliards de francs. Or, ce n'est pas si
simple.
Je vous suggère donc plusieurs pistes, que nous pourrons explorer ensemble
dans les jours qui viennent.
Si l'on veut diminuer le budget de l'éducation nationale de 10 milliards de
francs, on peut, première solution, réduire les effectifs d'enseignants et de
personnels techniques de 58 000 personnes. Est-ce ce que souhaite la majorité
sénatoriale ? Deuxième solution, on peut supprimer l'ensemble du système des
bourses et les aides apportées notamment aux cantines. Cela fait aussi 10
milliards de francs, mais est-ce ce que vous souhaitez ? Troisième solution -
il y a peut-être là une piste intéressante -, on peut réduire d'un quart les
aides à l'enseignement privé ! Est-ce vraiment ce que vous souhaitez ?
(Sourires.)
Enfin, dernière solution qui mérite méditation, on peut transférer aux
collectivités locales le fonctionnement et l'équipement de l'ensemble des
établissements d'enseignement supérieur !
D'ailleurs, si, comme vous l'avez dit à juste titre, monsieur le rapporteur
général, il ne faut pas toucher aux missions régaliennes, j'estime avec le
Gouvernement et, j'en suis sûr, avec la majorité de la Haute Assemblée, que
l'éducation nationale est bien une mission régalienne de l'Etat dans notre pays
et qu'elle n'a pas à être confiée au secteur privé, comme cela peut se faire
au-delà des océans.
Ces solutions esquissées et ces questions posées, nous somme impatients, M.
Strauss-Kahn et moi-même, de débattre des 21 milliards de francs d'économies
que vous allez suggérer !
M. Alain Lambert
rapporteur général.
Je n'ai jamais parlé de 10 milliards de francs !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Si vous ne les prenez pas sur l'éducation nationale,
vous les prendrez ailleurs. Mais nous aurons l'occasion d'en discuter.
Mme Hélène Luc.
Monsieur le rapporteur général, vous vous plaignez chaque année de la
faiblesse des crédits. Où allez-vous trouver ces économies ?
M. Jean Chérioux.
Votre catalogue est bien choisi, monsieur le secrétaire d'Etat, mais on ne
peut pas dire qu'il soit sans arrière-pensées !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
On a le catalogue que l'on peut, monsieur le sénateur
!
Ce projet de budget consacre une vraie progression des dépenses en faveur de
la recherche. L'enveloppe allouée au budget civil de recherche et de
développement technologique, qui atteint 53 milliards de francs, progresse de
6,2 %. Est-ce une dépense inutile, alors que l'on sait qu'aux Etats-Unis -
référence qui n'est pas mauvaise en la matière - la conjugaison de financements
d'Etat et de financements privés pour la recherche industrielle est une source
de compétitivité ?
Je n'aurai garde d'oublier, dans ce projet de budget, les dispositions visant
à aider à développer les activités des entreprises petites et moyennes, qui
sont les principales créatrices d'emplois, comme il est facile de le
constater.
A cet instant, je souhaite m'élever contre certaines affirmations que l'on
peut lire ici ou là et auxquelles M. Poncelet a fait écho quand il a parlé
d'exil. Il est très important - c'est un point sur lequel nous pourrons, me
semble-t-il, être unanimes - que la « natalité » d'entreprises en France,
particulièrement dans le domaine des hautes technonologies, progresse par
rapport à ce qu'elle a été dans un passé récent ou lointain.
Aussi avons-nous prévu deux dispositions pour encourager fiscalement les
créateurs d'entreprises. Il s'agit, d'une part, de bons de souscription
d'actions bénéficiant d'un régime fiscal favorable, d'autre part, de la
possibilité offerte à ces créateurs d'entreprise de différer l'imposition des
plus-values qu'ils pourraient réaliser lorsqu'ils vendent une entreprise qu'ils
ont lancée avec succès, dans le cas où les sommes sont réinvesties dans des
entreprises dynamiques.
Je mentionnerai également l'institution d'un crédit d'impôt-emploi de 10 000
francs par emploi supplémentaire créé, dans la limite de cinquante emplois
chaque année. Voilà une mesure qui favorise les PME et qui pourrait « diffuser
» sur l'ensemble du territoire.
A la suite d'objections sévères formulées par Bruxelles, nous avons pris des
dispositions importantes en faveur des petites entreprises du textile, de
l'habillement, des cuirs et peaux, secteurs d'activité auxquels, je le sais,
vous êtes nombreux à être attachés. Sachez que le Gouvernement partage votre
préoccupation.
Après avoir insisté sur l'importance des mesures fiscales et des dépenses en
faveur de la croissance, je rappelle que ce projet de budget est aussi consacré
à l'investissement collectif.
M. Poncelet a déploré, à juste titre, la diminution des investissements
civils. Je pense que nous aurons l'occasion de constater que, tous financements
confondus - moyens budgétaires et comptes d'affectation spéciale -, ces
investissements civils progresseront l'an prochain, c'est une bonne nouvelle,
de 5,6 % en autorisations de programme et de 2,4 % en crédits de paiement.
J'ajoute que ces investissements supplémentaires seront principalement
consacrés aux transports, notamment les transports collectifs, au patrimoine
culturel ainsi qu'à la justice.
Par ce projet de budget, nous cherchons à renforcer la solidarité entre les
Français car, M. Strauss-Kahn l'a dit, le développement de notre pays repose
sur sa cohésion. Le projet de loi de finances pour 1998 comporte donc ces
dépenses à finalité sociale auxquelles M. le rapporteur général a fait allusion
; il conforte le budget de la santé, de la solidarité, de la ville - ces
budgets augmentent de 3,1 % - et reprend une tendance à la hausse des aides
personnalisées, qui ont été revalorisées en juillet 1997 et qui vont croître
encore en 1998.
Cet accent mis sur la solidarité est maintenant encore plus appuyé, et ce sous
l'impulsion de la majorité de l'Assemblée nationale. J'en donnerai deux
illustrations.
Tout d'abord, les retraites les plus faibles des actifs agricoles ont été
majorées très sensiblement ; il s'agit des conjoints qui ont travaillé sur les
exploitations agricoles ou d'aides familiaux qui n'ont pas suffisamment cotisé.
A ce titre, 680 millions de francs ont été ajoutés. J'espère que vous
confirmerez cette augmentation.
Ensuite, vous trouverez dans le projet de budget d'importantes mesures en
faveur des anciens combattants d'Algérie. Là aussi, nous pourrons sans doute
facilement nous entendre.
En ce qui concerne la fiscalité, comme M. le ministre de l'économie l'a
précisé, nous avons limité les inflexions fiscales en ce qui concerne les
entreprises et les particuliers dans le sens d'une plus grande équité, de façon
que l'impôt soit payé d'abord et avant tout en fonction du montant des revenus
et non pas seulement en fonction d'héritages du passé et, parfois, de
l'habileté de tel ou tel.
Le pacte républicain suppose, comme cela figure dans la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen, l'équité fiscale. Un certain nombre de mesures qui
vous sont proposées vont dans ce sens.
Je ne peux toutes vous les présenter aujourd'hui - nous aurons l'occasion d'y
revenir - mais j'en détaillerai une : il s'agit de la souscription des parts de
copropriété de navires.
Cette mesure était
a priori
intéressante. Néanmoins, son coût, estimé à
quelque 400 millions de francs, s'est finalement élevé à 2 milliards de francs.
De plus, contrairement à ce qui était espéré, la construction navale et la
marine marchande françaises n'ont pas bénéficié considérablement de cette
disposition.
Par conséquent, nous cherchons en la matière une manière de dépenser mieux,
tout en soutenant notre construction navale et notre marine marchande.
Il en va de même dans d'autres domaines : je pense, par exemple, à la
déduction des investissements réalisés dans les départements et les territoires
d'outre-mer.
Sur ce point, si le principe d'un investissement privilégié dans les DOM-TOM
est bon, il faut cependant accroître le rendement en termes d'emplois. C'est
pourquoi l'agrément prévu par la loi sera délivré véritablement en fonction de
l'impact effectif sur l'emploi dans les DOM-TOM, impact qui sera contrôlé
a
posteriori.
De plus, quelques dispositions mineures ont été ajoutées pour éviter que
certains contribuables ne profitent de cette loi pour s'exonérer, par exemple,
de l'impôt de solidarité sur la fortune. Ainsi, l'Assemblée nationale a
conservé le caractère entièrement déductible de l'investissement dans les
DOM-TOM, mais a décidé que les déficits d'exploitation ne pourraient être
imputés que sur des revenus de même nature.
M. Roland du Luart.
Cela vide la disposition de sa substance !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Mais nous aurons l'occasion de reparler de tous ces
points.
Il est important de constater que, après la première lecture du projet de loi
de finances à l'Assemblée nationale, la part des ménages dans les 14 milliards
de francs de recettes supplémentaires est passée de 5 milliards de francs, ce
qui était déjà extrêmement modeste, à 2,5 milliards de francs, et ce grâce à
des prélèvements supplémentaires limités sur les entreprises, la suppression de
la déductibilité des provisions pour licenciements étant la mesure
essentielle.
La non-augmentation des prélèvements sur les ménages français, en 1998,
permettra à ces derniers de retrouver, après impôt, les hausses de revenus
qu'ils avaient avant impôt. L'analyse budgétaire rejoint ainsi l'analyse
économique. Je citerai deux chiffres pour bien montrer le contraste : en 1998,
nous prévoyons - certains économistes prévoient même davantage - une hausse de
revenu disponible des ménages, après inflation, de 2,3 %. Or, en 1996, après
une formidable ponction fiscale sur les ménages, le pouvoir d'achat des
familles françaises avait baissé de 1,6 %, et la langueur de la croissance y
trouve facilement une explication.
Ce projet de budget vise également à améliorer la vie quotidienne de tous les
Français et à permettre à tous les citoyens ou les résidents de notre pays, où
que soit leur domicile - cela fait partie du modèle français et peut-être de
l'exception française - d'avoir accès à une même qualité de services
collectifs. Il y a là un point important de notre civilisation et il n'y a
aucune raison de jeter le service public avec l'eau du bain de la
mondialisation !
Pour illustrer ce point, je citerai le budget de la culture, qui est en hausse
de 3,7 %, si on laisse l'audiovisuel de côté. S'élevant actuellement à 0,95 %
du budget de l'Etat, il atteindra rapidement 1 %, comme la majorité s'y est
engagée. Il est important de constater que l'effort de restauration du
patrimoine est repris, que la démocratisation de l'accès à la culture est
renouvelée : l'éducation artistique va être renforcée et une action en vue de
la diffusion de la politique culturelle sur l'ensemble du territoire est
entreprise.
Le budget de la justice est également très important pour la vie quotidienne
des Français : il est en progression de 4 % avec - c'est vrai, et il ne faut
pas, à mon avis, le regretter - 762 créations d'emplois. Je dirai d'ailleurs à
M. le rapporteur général que le ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie, auquel il a fait une allusion bienveillante, supprime, quant à
lui, 550 emplois. Nous sommes donc dans une logique de redéploiement des
effectifs de fonctionnaires et non dans une logique de progression de ces
derniers.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Puissiez-vous être imités.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Les Français sont également attachés à la sécurité, et
le budget du ministère de l'intérieur va connaître une croissance de 3,6 %.
Faut-il le regretter ? Personnellement, j'assume pleinement le fait que 8 250
agents de sécurité financés grâce à la nouvelle procédure des emplois-jeunes
assurent la sécurité aux abords des écoles et rétablissent le droit dans les
zones urbaines sensibles. Ce sont, à mon sens, de bonnes décisions, que vous
aurez à coeur, j'en suis sûr, de voter lorsque le projet de budget
correspondant viendra en discussion devant vous.
Le projet de budget de la défense suit, c'est vrai, les injonctions de M. le
rapporteur général, puisqu'il diminue de 2,1 % par rapport à 1997. Toutefois,
cette réduction ne remet pas en cause le processus de professionnalisation des
armées, qui se poursuit, la création d'effectifs militaires expliquant le
chiffre de 6 500 que vous avez cité, monsieur le rapporteur général.
Les moyens de fonctionnement baissent de 1,3 milliard de francs, ce qui est
conforme à la réduction du format des armées. Quant à la dotation en crédits
d'équipement - nous aurons l'occasion de revenir sur ce point - elle est
cohérente avec la poursuite de la réalisation des objectifs stratégiques de la
loi de programmation, qu'il s'agisse de la modernisation de nos forces ou de
nos capacités opérationnelles.
J'aborderai un dernier point : le projet de budget des collectivités locales,
auquel M. le président de la commission des finances a bien voulu faire
allusion en disant qu'il ne comportait pas de turpitudes, ce que j'ai pris
comme un compliment.
C'est un point important. M. le Premier ministre a effectivement décidé de ne
pas majorer, en 1998, les cotisations des collectivités locales à la CNRACL, la
Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.
Cela dit, le problème de la CNRACL est posé : l'évolution démographique pèse
sur cette caisse, et je ne peux évidemment, par fonction et par conviction
personnelle, que m'associer à l'appel lancé par M. le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie à votre Haute Assemblée, en particulier à la
commission des finances, pour que nous trouvions ensemble des solutions.
Monsieur Poncelet, vous m'avez interrogé sur la suite donnée au pacte de
stabilité. M. le Premier ministre a eu l'occasion de dire, lors du congrès de
l'Association des maires de France, que nous chercherions ensemble, par la
méthode du dialogue et non par celle de la décision unilatérale, qui avait été
employée en 1995, à nouer une convention conciliant les objectifs de l'Etat et
ceux des collectivités locales en la matière.
J'ajouterai que l'Assemblée nationale, à la demande de sa majorité - certaines
dispositions ont d'ailleurs été adoptées à l'unanimité - a pris trois mesures
importantes pour les collectivités locales.
Premièrement, le Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, le
FCTVA, est maintenant accessible immédiatement aux groupements de communes,
alors que, jusqu'à présent, seules les communes pouvaient en bénéficier, et ce,
avec un retard de deux ans. Il s'agit là d'une disposition coûteuse pour
l'Etat, mais la dépense a été inscrite dans le projet de budget.
Deuxièmement, les bases d'imposition sur les propriétés bâties, qui auraient
dû rester stables, si l'on avait prolongé la référence, traditionnelle depuis
1981, à l'indice de la construction, progresseront - le Gouvernement, après
mûre réflexion, a accepté cette augmentation - de 1,1 %.
Troisièmement, afin de favoriser les zones de revitalisation rurale,
revitalisation à laquelle le Gouvernement, comme beaucoup d'entre vous, est
attaché, il est prévu, dans le prolongement de la loi d'orientation sur le
développement et l'aménagement du territoire, que, désormais, les sociétés
voulant reprendre des entreprises en difficulté ou décentraliser des
établissements industriels, bénéficieront pendant cinq ans d'une exonération de
la taxe professionnelle.
J'ajoute - c'est, je crois, une disposition novatrice - que, lorsque des
artisans employant des salariés créeront de nouvelles activités dans ces zones
de revitalisation rurale, ils bénéficieront, eux aussi, de l'exonération de
taxe professionnelle pendant cinq ans, l'Etat prenant à sa charge la
différence.
En conclusion, sachez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le projet de
budget soumis à votre examen - j'espère d'ailleurs que vous voudrez bien
l'approuver - constitue une première étape pour vivifier la croissance, pour
renforcer l'emploi et la justice sociale dans notre pays, tout en assurant
pleinement nos engagements européens, auxquels nombre d'entre vous sont très
fortement attachés.
Ce projet de budget vise à accompagner la reprise de l'activité économique et
à redonner confiance à tous ceux qui, dans notre pays, consomment,
investissent, embauchent et créent des richesses. Dans cette perspective, il
maîtrise les dépenses et stabilise les prélèvements obligatoires.
L'Etat va donc retrouver donc peu à peu des marges d'action pour redonner
espoir à la jeunesse et pour détromper tous les sceptiques qui ne voient dans
le chômage et l'accroissement des inégalités qu'une fatalité à subir.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du groupe communiste républicain et citoyen.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 104 minutes ;
Groupe socialiste : 85 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 69 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 55 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 26 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe :
14 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon
propos portera sur les conditions dans lesquelles le Gouvernement présente le
projet de budget pour 1998, sur les orientations de celui-ci, sur les
modifications apportées par l'Assemblée nationale, sur les propositions du
groupe communiste républicain et citoyen et sur celles de la majorité de la
commission des finances.
Le 2 mai prochain, nous connaîtrons le nom des pays qui entreront dans l'euro.
La Grande-Bretagne a renoncé. L'Allemagne est à la recherche de 58 milliards de
recettes supplémentaires. Mais on peut d'ores et déjà affirmer que la France
sera présente. Telle est la volonté du gouvernement français.
Les choix budgétaires du Gouvernement expriment cette volonté. Le déficit, en
pourcentage par rapport au produit intérieur brut, se montait à 4,1 %, en 1996,
et à 3,1 % en 1997. Il sera de 3 % en 1998. Un premier objectif est atteint.
Mais les chiffres sont là : cette diminution est obtenue par une modération
des dépenses de l'Etat décrétée artificiellement. Il s'agit bien, en effet,
d'une décision très artificielle. Rien ne justifie la diminution des dépenses
de onze budgets civils, ni une diminution des besoins, ni une croissance à 3,1
%, ni une baisse de l'inflation.
C'est une véritable loi d'airain du déficit à réduire qui est le moteur de ce
budget. Cette course effrénée à la réduction des dépenses se révèle
malthusienne, inefficace et perverse pour le niveau de vie des Français.
Les grands équilibres du budget sont fixés par une limitation globale
d'augmentation des dépenses de 1,4 %, soit le taux d'inflation envisagé.
De plus, le projet de loi de finances entérine un arrêt du processus engagé de
baisse de l'impôt sur le revenu et revalorise de 1,1 % le barème. Ce sont
l'impôt sur le revenu et l'ensemble des seuils indexés sur le barème qui sont
concernés. Ce sont des mesures contestables pour la plupart. Mais le budget
comprend, en revanche, des propositions nouvelles exprimant un début de
modification du traitement fiscal, de l'épargne et des revenus du travail.
Nous sommes donc encore assez loin de ce qui est nécessaire en matière de
justice fiscale et sociale. L'absence de mesures plus audacieuses par extension
de l'assiette des prélèvements prive le budget de ressources nouvelles.
Un problème majeur se pose alors. En quinze ans, la part des salaires dans les
richesses est tombée de 68 % à 62 % ; celle des profits a progressé de 25 % à
31 % ; celle du chômage de 7,3 % à 12,5 %.
Le budget de 1998, faible par les ressources nouvelles, n'aura d'influence sur
la stabilisation du chômage qu'à la fin de l'année 1998. La contribution
sociale généralisée rapportera, en 1998, de 300 milliards de francs à 350
milliards de francs, c'est-à-dire autant, sinon plus, que l'impôt progressif.
Or, avec la contribution sociale généralisée, ce sont les salariés et les
retraités qui sont touchés et mis à contribution. Dans le même temps, encore
trop de revenus financiers sont exonérés. Du fait de cette insuffisance des
ressources, les collectivités locales se retrouvent, une fois de plus, cette
année, dans le cadre étroit du pacte de stabilité.
La dotation globale de fonctionnement forfaitaire n'augmente que de 0,55 % et
l'enveloppe du pacte de stabilité de 1,36 % ; la dotation de compensation de
taxe professionnelle sert, une fois de plus, de variable pour ajustements avec
une baisse globale de 4,85 % de son montant en francs constants.
A l'Assemblée nationale, les députés du groupe communiste et apparenté ont
présenté de nombreuses propositions pour infléchir certains choix et décider
d'autres mesures financières complémentaires ou modificatives.
Elles portaient notamment sur une réforme démocratique de la fiscalité, la
création de tranches supplémentaires sur les plus hauts revenus, la remise en
cause de la mise sous condition de ressources des allocations familiales dans
la loi de financement de la sécurité sociale. La TVA pourrait être réduite sur
les abonnements EDF-GDF et sur un minimum de consommation d'énergie par
foyer.
La fiscalité peut être un levier pour l'emploi. Nous sommes partisans des
aides aux petites et moyennes entreprises, dont les ressources pourraient être
relevées par l'augmentation des plafonds des CODEVI.
L'injustice de la taxe d'habitation doit être réduite et le mode de calcul sur
le foncier bâti revu pour les revenus les plus modestes.
Pour réduire de façon non pas formelle mais efficace l'endettement de l'Etat,
ne serait-il pas possible d'instaurer un emprunt obligatoire à faible taux par
mise à contribution des banques, des compagnies d'assurances et des hauts
revenus que fait prospérer l'endettement de l'Etat ?
Une réforme du crédit est vitale pour une relance de l'investissement civil
qui ne dépassera pas 70 milliards de francs. Sans investissement, aucune
production nouvelle ou accrue, aucun plan de relance de notre économie ne sont
possibles.
De même, dégager des moyens nouveaux pour la santé et les hôpitaux, accorder
les allocations familiales dès le premier enfant ne suppose-t-il pas que l'on
instaure des cotisations sur les revenus financiers, notamment ceux des
entreprises, et que l'on taxe les laboratoires pharmaceutiques, qui réalisent
des profits exorbitants ?
Voilà, monsieur le ministre, ce que proposaient mes amis à l'Assemblée
nationale. Vous n'avez pas répondu.
Ces modifications au projet de budget initial restent toujours à faire. Vous
avez d'ailleurs reconnu que celles qui ont été apportées à l'Assemblée
nationale ont été mineures et ne portaient que sur cinq milliards de francs au
plus. Vous reconnaissez, en outre, que le projet de loi de finances repose sur
une hypothèse de croissance économique dont la réalisation était par nature
aléatoire.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Eh oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il est vrai que, sans volonté politique affirmée, il est difficile de faire
naître une croissance nouvelle.
Vous avez précisé, monsieur le ministre, que « la prévision de croissance
établie pour 1997 se confirmait aujourd'hui et laissait présager que l'objectif
de 3 % de croissance serait tenu pour 1998 ». Vous avez même indiqué que « cet
objectif était inférieur au chiffre de 3,1 % de croissance envisagé par la
Commission européenne ». Autrement dit, la France atteindra l'objectif du
déficit maîtrisé, mais ne pourra pas atteindre l'objectif de croissance
proposé.
Il s'agit d'un problème politique majeur : soit la réduction des dépenses
maintient la France dans la médiocrité - ce sont les propositions que vous
faites, messieurs Lambert et Poncelet - soit cette réduction des dépenses de
fait est le terreau sur lequel peut se développer une politique de croissance
nouvelle et de développement économique.
J'insisterai sur cette seconde partie de l'alternative.
Comment, avec des dépenses à volume constant, peut-on avoir comme objectif une
nouvelle réduction des déficits ?
La gestion active de la dette a des limites. En 1989, l'écart entre le coût
moyen de la dette et le taux de croissance était nul. L'effet boule de neige
des charges de la dette était coûteux. Mais, en 1996, cet écart atteint 4,5 %.
Il faut donc que la croissance en volume progresse d'au moins 4 % pour réduire
la différence. Les effets de la dette ne sont négociables, de l'avis des
experts, qu'à un niveau de 85 %. Le Gouvernement le dit, et là, bien entendu,
il a tout à fait raison. C'est la progression de la croissance qui stabilisera
le stock de la dette, contiendra l'effet boule de neige de la charge d'intérêts
et mobilisera les ressources fiscales pour financer le budget pour 1998 en
maintenant à l'identique le taux des prélèvements obligatoires.
Comment fabriquer cette croissance qui ne peut pas être espérée de façon
providentielle ?
La réduction des déficits avec un minimum de relance ne produira pas une
croissance nouvelle. Il faut bien voir également que la croissance n'a plus un
rendement aussi fort en recettes fiscales.
Le pari sur l'exportation produit une croissance affaiblie en rendement, car
cette dernière ne génère pas de TVA ; la stagnation des revenus des salariés
actifs ne permet plus de progression des recettes fiscales ; la consommation,
ralentie, porte prioritairement sur des produits de première nécessité, donc,
comme chacun sait, moins taxés ; la politique menée ces dernières années visait
surtout à réduire les produits financiers et à accorder des privilèges fiscaux
renouvelés.
Comment, dans un tel environnement, la croissance pourrait-elle naître sous
forme de génération spontanée ?
Nous pensons que la France a aussi besoin d'un grand projet national de
mobilisation de ses ressources pour le développement économique et la
production de la richesse. D'ailleurs, dans son histoire, elle a démontré que
c'était toujours autour d'une politique audacieuse de renaissance ou de
développement fondée sur les atouts et les richesses du pays que l'on pouvait
non pas attendre, mais fabriquer de la croissance.
Nous déposerons donc un certain nombre d'amendements pour favoriser cette
marche du pays vers la croissance, notamment par des mesures favorables au
pouvoir d'achat et à la consommation, à l'emploi, au logement, aux
collectivités territoriales et à l'allégement de la pression fiscale. Nos
amendements se répartiront en cinq catégories.
Un premier groupe portera sur la suppression de certains plafonnements
concernant les veuves et les retraités, sur la fiscalisation des allocations
maternité, sur la suppression des abattements forfaitaires accordés à certaines
professions, ainsi que sur la déclaration commune d'union de fait, sur laquelle
nous reviendrons.
Un deuxième groupe portera sur des recettes nouvelles, à savoir la taxation
des mouvements de capitaux, l'amortissement des investissements immobiliers
privés, la majoration de l'impôt sur les sociétés, la remise en cause de
l'avoir fiscal et la non-restitution de celui-ci, et enfin l'extension de
l'assiette pour le calcul de l'impôt sur la fortune et la suppression de
l'allégement pour personnes à charge.
Un troisième groupe visera à proposer des abaissements de taux de TVA et le
relèvement du plafond des CODEVI, les comptes pour le développement
industriel.
Un quatrième groupe portera sur les finances locales et tendra à relever le
plancher de la taxe professionnelle et le plafonnement de la taxe
professionnelle à la valeur ajoutée, à augmenter la dotation globale de
fonctionnement, à modifier le taux de remboursement du fonds de compensation de
la TVA.
Un dernier amendement, de caractère très politique, visera à réduire la
contribution française au budget de l'Union européenne.
Je me permettrai d'insister sur ce dernier amendement. Actuellement, la
France, dans la répartition des charges européennes, donne plus qu'elle ne
reçoit. C'est déjà beaucoup, certains disent beaucoup trop. Mais
l'élargissement de l'Union entraînera des charges nouvelles. A combien se
monteront-elles pour notre budget : 30 milliards de francs, 40 milliards de
francs, 50 milliards de francs ? Peut-être 60 milliards de francs, annoncent
certains !
Quelles seront, en la matière, les nouvelles attributions du conseil de l'euro
qui est en voie de création ? Est-ce lui qui décidera ou avalisera-t-il les
exigences financières de la banque centrale ?
La question est politique, mais aussi budgétaire, et même économique.
N'envisage-t-on pas, actuellement, des réductions de 30 % du prix de la viande
bovine ?
Confirmez-vous que la France devrait, de plus, rembourser environ 500 millions
de francs payés aux agriculteurs et que Bruxelles trouverait injustifiés ?
Si nos amendements étaient retenus, un pas nouveau serait fait en direction
d'une croissance nouvelle qui, pour commencer à être efficace, devrait
atteindre les 4 %.
Notre groupe se situe dans une gauche plurielle, qui cherche une politique
nouvelle. Il est lui-même un groupe pluriel. Nos analyses et nos propositions
sont donc forcément nuancées, voire différentes, mais elles sont toujours
fondées sur un objectif unique d'importance majeure : une politique de progrès
s'appuyant sur un budget novateur et ambitieux.
A ce propos, je veux donner notre avis sur les propositions faites par vous,
messieurs Lambert et Poncelet, et par la majorité de droite de la commission
des finances.
Vous allez présenter un contre-budget. Celui-ci comporte, en fait, un seul
terme au niveau de l'objectif et une méthode simpliste !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Simple ! Pas « simpliste »...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... et inefficace au niveau de la construction budgétaire.
Vous l'écrivez, votre politique se résume simplement : dépenser moins pour
prélever moins ; donner à la France et aux Français l'ambition, l'envie
d'entreprendre et de partir à la conquête du monde ;...
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Bonne idée !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... ouvrir le chemin qui concilie performance et cohésion, efficacité
économique et harmonie sociale en France et en Europe.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Parfait !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le rapporteur général, avec tout le respect que je vous dois, je suis
obligée de rappeler que vous osez écrire que ce serait le devoir et l'honneur
du Sénat d'incarner une telle politique, car ce serait celle de la
responsabilité et du progrès.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
En effet !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Vous vous trompez, et vous le savez.
Il ne faut pas que votre contre-budget puisse faire illusion.
Mme Hélène Luc.
Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
La politique que vous proposez est celle du renoncement et du recul pour la
France. Le rapport que vous avez présenté est bien, en effet, celui du
renoncement.
Je me suis efforcée de démontrer que la croissance, contrôlée et mise au
service du pays et des Français, était notre chance.
A la page 33 du tome I du rapport général, vous affirmez, au contraire, que la
progression éventuelle de la croissance française remet en cause l'insertion de
l'économie française dans son environnement international.
Vous écrivez : « C'est évidemment préoccupant, d'autant plus que le
Gouvernement devrait avoir pleine conscience de l'inopportunité d'une gestion
économique et sociale isolée de celle des partenaires, c'est-à-dire non
coordonnée avec eux. »
A la page précédente de ce même rapport, pour étayer votre raisonnement, vous
partez d'un tableau dans lequel l'évolution du produit intérieur brut des pays
industrialisés démontrerait que notre pays connaîtrait une activité plus
soutenue que les autres.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est ce qu'il faut souhaiter !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je me demande si vous le souhaitez !
Cette évolution de plus de 3 % est supérieure à celle de l'Allemagne, du
Royaume-Uni, de l'Italie, de la Belgique, des USA, du Canada ou du Japon.
Vous semblez le regretter. N'est-ce pas du renoncement ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Non !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
J'estime, nous estimons, notre groupe estime - et, je pense, la gauche tout
entière ainsi, je le sais, que d'autres collègues sur d'autres travées - que si
cette prévision de croissance se réalisait, ce serait un bon point pour la
France et le niveau de vie des Français.
Votre diminution systématique des prévisions budgétaires ne serait pas
seulement une politique de renoncement, voulant moins de croissance et de
progrès. Ce serait aussi une politique de recul pour le pays.
Onze budgets civils dans ce projet de loi de finances sont déjà en baisse.
Avec votre réduction systématique de dépenses, combien d'autres voulez-vous
voir diminuer ?
Vous finiriez par faire plonger l'ensemble du budget dans le recul. Nous avons
déjà, avec ces onze budgets en diminution, une situation inédite. M. le
ministre de l'économie et des finances le reconnaît.
Depuis cinquante ans, nous n'avions pas connu une telle situation. Mais la
commission des finances souhaite aller plus loin encore. Renoncer à un projet
de croissance, de produit intérieur brut plus important, c'est en fait - je
vous renvoie ici au dictionnaire, messieurs de la majorité - un abandon, une
démission.
Votre projet de réduction du budget est l'antithèse de l'ambition pour la
France. Nous ne vous suivrons pas et, sans attendre, nous affirmons que nous
voterons contre votre contre-budget parce qu'il ne sert pas les intérêts de
notre pays, parce qu'il ne sert pas son avenir. A moins que la sagesse ne
vienne, mais nous en doutons !
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat,
mes chers collègues, voilà un budget authentiquement socialiste, garanti
d'origine...
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
C'est gentil !
M. Josselin de Rohan.
... dans sa conseption, dans son élaboration et, bien entendu, demain, dans
son application.
Le projet de loi de finances soumis à notre examen n'est pas le reflet du
socialisme rampant, du socialisme « dégriffé » des années quatre-vingt-dix,
mais bien un retour du socialisme à la française le plus authentique.
Grâce à lui, nous constituerons une exception que l'Europe ne nous enviera
pas.
Nous retrouvons dans ce budget les caractéristiques traditionnelles des
budgets de la gauche, plurielle ou singulère : accroissement de la dépense
publique, aggravation des prélèvements obligatoires et accentuation du
tout-Etat.
M. Marc Massion.
Vous ne l'avez pas lu !
M. Josselin de Rohan.
Nous sommes reconnaissants à M. le président de la commission des finances et
à M. le rapporteur général d'avoir su, dans leurs très remarquables analyses
orales et écrites du projet de loi de finances, démonter ou mettre en lumière
les artifices, les tours de passe-passe et les mécanismes sur lesquels repose
le budget ainsi que les dangers auxquels il nous expose.
Ils ont notamment montré combien aléatoires étaient les prévisions de
croissance sur lesquelles est fondée la loi de finances et combien elles
risquaient, en dépit des affirmations de M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie - j'espère n'avoir oublié aucun qualificatif -
d'être contredites par les turbulences financières de ces dernières semaines et
par les variations du cours du dollar.
Ils ont décrit les dispositions contestables utilisées par le Gouvernement
pour équilibrer ce budget, telle l'imputation de 20 milliards de francs aux
dotations en capital destinées aux entreprises publiques non privatisables sur
le compte d'affectation spéciale du produit des entreprises privatisables,
telle la débudgétisation que constitue la prise en charge de l'entretien du
réseau routier national par le FITTVN, le fonds d'investissement des transports
terrestres et des voies navigables.
Ils ont dénoncé, à juste titre, le montage en trompe-l'oeil que représente
l'affichage d'une croissance de la dépense publique de 1,36 % obtenue grâce à
une diminution massive de crédits de la défense qui affectera durement la
capacité opérationnelle de nos armées, réduira sévèrement l'emploi dans nos
industries de l'armement et videra de sa substance la loi de programmation
militaire.
M. Serge Vinçon.
Ô combien !
M. Josselin de Rohan.
M. le président de la commission des finances, qui est un homme dont je salue
l'indulgence, n'a pas voulu parler de « turpitude » à propos de la CNRACL, la
Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
M. Paul Loridant.
Nous n'avons pas de leçon à recevoir dans ce domaine !
M. Josselin de Rohan.
Il est vrai qu'il n'y a pas, pour l'instant, d'augmentation de la cotisation
!
Je ne veux pas croire que celle-ci soit différée seulement pour des raisons
bassement électorales. J'ai cependant le sentiment, compte tenu de l'équilibre
prévisible de cette caisse, que nous reculons pour mieux sauter.
M. Marc Massion.
Vous en avez usé et abusé !
M. Josselin de Rohan.
Je crains malheureusement que l'augmentation ne soit différée.
M. Jacques Oudin.
C'est un risque !
M. Josselin de Rohan.
Mais quoi que puissent dire ou écrire les analystes et les observateurs les
plus avertis des questions financières, rien ne vient ébranler les certitudes
de nos gouvernants.
J'ai la faiblesse de penser que ses années sabbatiques n'ont pas appris
grand-chose à la majorité plurielle. Elle revient aux affaires avec la même
vision passéiste du développement économique que jadis, avec la même constance
dans l'erreur.
Revêtons-nous de nos préjugés, disait Jean Cocteau, ils nous tiennent
chaud.
Pourtant, les mêmes causes ayant les mêmes effets, ce budget est lourd de
conséquences pour l'avenir, par ce qu'il présage autant que par ce qu'il
engage.
Cette fois-ci, la dépense publique n'est pas réhabilitée, elle est
magnifiée.
Sans attendre la loi de finances, deux entreprises publiques, la SNCF et La
Poste ont été « incitées » à accroître leurs recrutements sans aucune
considération pour les engagements contractés en vue de rationaliser une
gestion qui coûte très cher aux contribuables.
M. Serge Vinçon.
Cent cinquante milliards de francs !
M. Josselin de Rohan.
Grâce au zèle ardent de son très médiatique cornac, le « mammouth » a gonflé
les effectifs de l'éducation nationale de 40 000 unités.
Les efforts de redéploiement et de meilleure organisation des agents de la
fonction publique esquissés par le gouvernement Juppé sont réduits à néant.
Pourtant, 27 % des emplois en France ressortissent au secteur public, contre
16 % chez nos partenaires de l'Union européenne. Si nous arrivions simplement à
la moyenne européenne, nous réaliserions une économie de 400 milliards de
francs, représentant 25 % du budget.
Comme l'écrit dans sa note au Gouvernement l'inspecteur général des finances
Jean Choussat : « Il est vain d'imaginer que l'on parviendra à améliorer la
compétitivité de notre économie, à relancer la croissance, à résorber les
déficits, tant que l'on continuera à ignorer superbement les enjeux qui
s'attachent à la principale entreprise du pays ? »
La réponse nous est apportée par la loi de finances : en 1998, les dépenses de
fonctionnement croîtront de 3,15 %, soit deux fois plus vite que le taux
d'inflation. L'Etat ne diminue pas son train de vie.
La conséquence de l'augmentation de la dépense publique, c'est une hausse des
prélèvements obligatoires.
Cette hausse ne saurait être justifiée par le manque de rentrées fiscales
prévues pour l'exercice 1997 puisque le rendement des impôts est bien supérieur
à ce qui était attendu, du fait d'une reprise de la croissance.
Rapporté au PIB, les prélèvements seront supérieurs à 45,9 %, taux qui nous
range parmi les pays où les prélèvements sont les plus lourds. Pour en prendre
la mesure réelle, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie, il faut prendre en compte les majorations intervenues en 1997 au
titre non seulement des mesures d'urgence d'ordre financier, mais également le
projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, qui représente
4,5 milliards de francs qui s'ajoutent aux 24 milliards de francs prévus par
les MUFF.
Il est, enfin, audacieux de laisser présager une baisse de la fiscalité locale
sachant que les transferts de l'Etat vers les collectivités locales croîtront
de 1 % et que ces dernières devront assurer 20 % du financement des
emplois-jeunes.
Plutôt que de réduire le déficit des finances publiques en réduisant la
dépense, le Gouvernement choisit de maintenir ou d'augmenter ces dernières et
de recourir, une fois encore, à l'impôt, au risque de provoquer, un jour, la
révolte des contribuables.
Toute révérence gardée, M. Strauss-Kahn, dans l'exercice auquel il se livre à
propos du budget, nous fait penser, comme le rappelait complaisamment un
journaliste, au clown Albert Grock.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Me permettez-nous
de vous interrompre, monsieur le sénateur ?
M. le président.
Monsieur de Rohan, autorisez-vous M. le ministre à vous interrompre ?
M. Josselin de Rohan.
Quand j'aurai terminé mon propos, M. le ministre pourra dire tout ce qu'il a à
dire.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Vous êtes donc
deux fois grossier, monsieur le sénateur !
Mme Hélène Luc.
Cela ne se fait pas !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Quoi qu'il en soit, Grock était un très grand artiste.
Dans un numéro célèbre, il s'efforçait, en vain, en dépit de gants d'une
longueur immense, d'atteindre, à partir de son tabouret, un piano à queue dont
il était séparé par une très grande distance.
M. Marc Massion.
C'est passionnant !
M. Josselin de Rohan.
Au lieu de rapprocher le tabouret du piano, il entreprenait à grand-peine et
avec force mimiques, de rapprocher le piano du tabouret, à la grande joie du
public.
C'est l'exercice auquel vous vous livrez, monsieur le ministre, en refusant de
diminuer la dépense publique et en augmentant les impôts.
La fiscalité frappera trois cibles privilégiées : les grandes sociétés, la
famille et l'épargne.
En accroissant de 24 milliards de francs la fiscalité sur les entreprises, le
Gouvernement va à l'encontre de ce qui se fait dans les pays voisins, notamment
en Grande-Bretagne ou en Allemagne, qui envisagent d'alléger l'impôt sur les
sociétés.
De nouveau, nos entreprises figureront, en Europe, dans le quart le plus
imposé.
Leur compétitivité en sera affectée, surtout si, de surcroît, elles doivent
supporter les conséquences d'une diminution du temps de travail.
Leurs investissements seront sans doute réduits, alors que tout le monde
s'accorde à reconnaître la faiblesse du niveau des investissements en
France.
M. Marc Massion.
Ça repart !
M. Josselin de Rohan.
C'est, une fois encore, l'emploi qui fera les frais de cette décision car,
selon une formule célèbre, les investissements d'aujourd'hui sont les emplois
de demain.
La faiblesse des fonds propres de nos entreprises, jointe à une rentabilité
nettement inférieure à celle de leurs concurrents étrangers, en fait des proies
faciles pour des groupes étrangers.
Enfin, les surcoûts auxquels elles sont astreintes conduiront à de nouvelles
délocalisations et à de nouveaux exodes à l'étranger de jeunes entrepreneurs ou
de jeunes cadres, dont notre pays a cependant un cruel besoin.
M. Philippe Marini.
Comme le dit M. Attali !
M. Josselin de Rohan.
Le Gouvernement atteint, en second lieu, les familles.
La loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale conjuguent
des dispositions qui frapperont la classe moyenne. On peut la baptiser « classe
moyenne supérieure », c'est tout de même la classe moyenne.
Cette catégorie de la population sera touchée par la suppression de la
demi-part du quotient familial accordée aux personnes seules ayant élevé leurs
enfants. Un million de Français devraient être affectés par cette décision,
comme ils le seront par l'abandon des réductions d'impôts décidées par le
gouvernement précédent.
Nous avons eu récemment l'occasion de discuter longuement des conséquences
pour les familles de la division par deux de l'AGED et du versement des
allocations familiales sous condition de ressources, qui pénalisent
respectivement 65 000 et 450 000 familles.
Nous avons dénoncé ces atteintes au principe de l'égalité et de l'universalité
de la sécurité sociale.
Les deux mesures entraîneront des difficultés sérieuses pour les ménages
désireux d'accéder à la propriété et qui, pour obtenir un prêt bancaire, ont
fait figurer ces ressources dans leur plan de financement.
Elles conduiront des mères de famille à renoncer à leur travail faute de
pouvoir rémunérer une garde.
Elles pourraient aussi conduire des personnes ayant à charge un conjoint
handicapé nécessitant une aide soignante à domicile à faire hospitaliser le
malade où elles seraient dans l'impossibilité de payer la garde.
Où est l'économie pour les finances publiques ?
Votre dernière cible, c'est l'épargne. En 1998, l'épargne sera taxée de 20
milliards de francs supplémentaires.
La pénalisation de l'assurance vie et les prélèvements arrêtés par la loi de
financement de la sécurité sociale répondent à des préoccupations moins
économiques qu'idéologiques : il faut alléger la pression sur le travail en
augmentant celle qui pèse sur le capital.
En outre, l'idée selon laquelle, en taxant l'épargne, on incitera nos
compatriotes à consommer davantage est un leurre, ainsi qu'en témoigne
l'évolution de l'ARS, l'allocation de rentrée scolaire.
L'épargne des Français est trop largement encore une épargne de précaution,
une assurance contre la précarité de l'emploi ou contre les perturbations
économiques et sociales.
En imposant à l'excès l'épargne, le Gouvernement s'expose à trois risques : la
délocalisation, la mobilisation des épargnants et la chute de
l'investissement.
Dans une Europe sans barrières, la délocalisation de l'épargne n'est qu'une
formalité.
Il n'y a pas de croissance sans investissement, ni d'investissement sans
épargne. Comme le notait fort judicieusement M. Izraelewicz dans un remarquable
article paru dans
Le Monde
: « L'épargne exige un effort, un
renoncement. Sa diabolisation comme l'instabilité fiscale risquent à terme
d'assécher cette source de la croissance... et de favoriser aussi le passage
sous capitaux étrangers de nombre d'entreprises françaises. »
M. Philippe Marini.
Très juste !
M. Josselin de Rohan.
Le « tout Etat » est, enfin, l'une des caractéristiques saillantes de cette
loi de finances. A l'ère de l'économie mondiale et de l'euro, dans un univers
où la circulation des biens et des capitaux ne rencontre plus guère de
barrières, la France continue à privilégier l'étatisme.
Le ralentissement ou l'arrêt des privatisations ne permettra pas à nos
entreprises publiques appartenant aux secteurs concurrentiels de bénéficier des
capitaux ou des partenariats nécessaires pour conserver ou conquérir des parts
de marché. La gestion de ces entreprises demeurera, hélas ! encore trop soumise
à des considérations politiques et non aux impératifs de leur développement.
Quels investisseurs étrangers accepteront d'être, même indirectement, les
partenaires de l'Etat français quand il s'agira de s'allier à une entreprise
publique ?
Pouvons-nous durablement continuer à être les seuls en Europe à conserver un
transport aérien public, une entreprise de télécommunications publique, une
industrie aéronautique au sein desquels l'Etat conserverait une part majeure du
capital ?
Pendant que le Gouvernement freine ou tergiverses un peu partout des alliances
se nouent au-dessus des frontières, des conglomérats se constituent qui, parce
qu'ils seront plus puissants et plus riches que nos entreprises nationales,
priveront ces dernières de leurs débouchés et les marginaliseront.
C'est, une fois de plus, l'emploi qui sera victime de l'idéologie.
La logique à laquelle obéit la politique économique de la gauche plurielle
nous semble bien singulière.
Elle entend privilégier l'emploi, mais elle fait peser de lourdes contraintes
sur les entreprises du secteur marchand en accroissant les prélèvement
obligatoires et en leur imposant une réduction de la durée du travail, ce qui
accroîtra leurs coûts et affectera leur compétitivité, au risque, bien sûr, de
les amener à freiner les embauches.
Bien pis, elle affecte au financement d'emplois publics des sommes destinées à
compenser les charges d'entreprises qui appartiennent à des secteurs exposés à
une concurrence étrangère anormale.
Au lieu d'abaisser les charges pesant sur les employeurs de main-d'oeuvre non
qualifiée, ce qui permettrait la création d'emplois, l'Etat s'apprête à
consacrer 35 milliards de francs au financement d'emplois qui sont pudiquement
qualifiés d'émergents et d'utilité sociale, mais qui sont des emplois publics à
peine masqués.
Un gouvernement de gauche se devrait de militer pour plus d'égalité. Or, que
constatons-nous ?
Chaque jour, l'écart se creuse davantage entre un secteur public rigide,
protégé par ses statuts et ses avantages divers, et pesant lourdement sur les
finances publiques, et un secteur marchand, exposé à la concurrence et toujours
plus sollicité pour combler les déficits : d'un côté la sécurité, de l'autre la
précarité ; d'un côté la dépense, de l'autre les charges.
On mesure mal l'amertume et les rancoeurs que suscite cette situation ainsi
que les risques, à terme, pour la cohésion sociale. On ne mesure pas encore non
plus les conséquences sur notre économie.
N'est-ce pas l'un des bons esprits de la gauche, conseiller du défunt
président Mitterrand, qui décrit de manière saisissante l'émigration à
l'étranger des jeunes informaticiens, des chefs d'entreprise et des
innovateurs, parce qu'ils ne trouvent pas, dans notre pays, l'environnement ou
le climat propice à leur épanouissement ?
A terme, la chape de plomb qui pèse sur notre pays aura les mêmes conséquences
que la révocation de l'édit de Nantes, qui a fourni à la Prusse, la Hollande et
l'Angleterre des élites dont la France a été cruellement privée par
l'intolérance de son roi.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques Oudin.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Enfin, on ne saurait proclamer son adhésion au renforcement de la construction
européenne et à l'instauration de l'euro, et mener une politique qui soit, en
fait, contraire à de tels objectifs.
La limitation du déficit budgétaire, critère de qualification pour l'euro, a
été acquise au prix d'un relèvement sensible des prélèvements fiscaux. Elle ne
saurait être indéfiniment reconduite.
Il n'y a pas, à terme, de salut possible sans diminution de la dépense
publique. Tous les pays d'Europe l'ont entreprise, sauf la France.
Il n'y a pas de perpective de développement possible, tant pour les
entreprises que pour les particuliers, sans une réforme de la fiscalité
conduisant à son allégement et à sa simplification. Tous nos partenaires en
sont convaincus, sauf nous. Nous passons peut-être pour une exception, mais,
hélas ! pas pour un exemple. Singulière originalité que celle qui risque de
nous exposer à la compassion plutôt qu'à l'admiration !
M. le rapporteur général du budget, M. le président de la commission des
finances et les membres de la commission se sont livrés à un effort très
méritoire pour montrer ce que devrait être un budget répondant aux impératifs
réels de notre économie.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Merci !
M. Josselin de Rohan.
Nous sommes sans illusions sur le sort réservé à cette construction, mais elle
permet à tout le moins de montrer qu'une autre gestion des finances publiques
est possible, à condition que prévale une autre conception de l'économie.
Cette conception est fondée sur la conviction que la voie de la croissance et
de la prospérité passe par celle de la liberté.
Il faut cesser de décourager, de pénaliser et de contraindre tout ce qui, dans
ce pays, innove, crée et produit. Il faut profiter des perspectives que nous
offre la mondialisation de l'économie ou l'élargissement de l'Europe pour
ouvrir à nos entreprises de nouveaux marchés. Pour ce faire, le rôle de l'Etat
est bien moins d'aider nos entreprises que de créer autour d'elles un
environnement favorable à leur expansion.
Il faut cesser de consacrer des sommes considérables aux aides à l'emploi,
qui, contrairement aux déclarations publiques, continuent de s'empiler les unes
sur les autres sans résultats probants. Il faut, au contraire, consacrer la
plus grande partie de ces crédits à l'allégement des charges sociales. Il faut,
enfin, que l'Etat cesse de prélever, pour le financement de ses dépenses, des
capitaux dont nos entreprises ont un besoin essentiel pour investir.
C'est assez dire combien nous sommes éloignés de la vision du Gouvernement et
peu enclins à émettre un jugement favorable sur sa politique.
M. Marc Massion.
On l'avait compris !
M. Josselin de Rohan.
« Au-delà des chiffres, c'est un état d'esprit qu'il faut changer. Retrouver
un projet, redonner le sentiment que l'avenir du monde se joue ici, que la
France dans vingt ans aura quelque chose de neuf à dire aux autres parce
qu'elle aura su recevoir, accueillir et choyer ceux qui risquent. »
Qui s'exprime de la sorte ? Un ultralibéral, un suppôt du capitalisme et des
puissances d'argent ? C'est M. Jacques Attali, dans un article auquel j'ai fait
allusion et qui résume avec lucidité la conjoncture que nous affrontons et la
direction dans laquelle il faut que nous nous engagions.
(Applaudissements
sur les travées du RPR.)
C'est assez dire que nous ne trouvons, dans ce projet de budget, aucun motif
d'espérer, aucun remède aux difficultés de notre économie, aucune réforme des
structures périmées.
Nous voterons le budget rectifié issu de nos délibérations, comme nous
repousserons tout projet qui ne prendrait pas en compte nos avertissements, nos
préoccupations et nos suggestions.
Mais au-delà des péripéties du débat parlementaire, c'est au pays que nous
nous adressons...
M. René Régnault.
Vous vous êtes déjà adressés à lui, et il vous a répondu !
M. Josselin de Rohan.
... pour le mettre en garde contre les illusions entretenues par la démagogie,
les séductions de la facilité et les tentations du reconcement. Si nous
censurons la politique actuelle, c'est parce qu'elle nous paraît contraire à
l'intérêt national, en ce qu'elle masque aux Français la réalité et qu'elle
tourne le dos au futur !
(Protestations sur les travées socialistes ainsi
que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
La vérité se fera un jour. Fasse pour la France qu'elle ne soit pas trop
cruelle !
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste. - Nouvelles protestations
sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Un sénateur sur les travées du RPR.
La vérité, ça fait mal !
M. René Régnault.
Quelle vérité ? La vôtre ?
M. le président.
La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, lors du récent débat sur
le projet portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, mes
collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même vous avions exprimé notre
vive inquiétude au vu des premières orientations budgétaires du
Gouvernement.
Notre assemblée est à présent saisie du projet de budget pour 1998, dont la
préparation a été accompagnée d'un audit des finances publiques et de
nombreuses concertations. Malgré ces précautions, il faut reconnaître,
malheureusement, que ce projet confirme nos craintes quant à la volonté réelle
du nouveau pouvoir de continuer la courageuse action de ses prédécesseurs
contre les principaux maux dont souffre notre pays depuis de trop longues
années.
Or, en cette fin de vingtième siècle, la croissance constante des dépenses et
de l'emploi publics n'est pas, ou n'est plus, un soutien efficace à la
croissance et une solution au problème du chômage.
Cette progression constante des dépenses est une des causes majeures de
l'augmentation des prélèvements obligatoires qui ont servi à les financer.
La pression fiscale, dans notre pays, a un effet négatif sur l'activité, sur
le dynamisme des acteurs susceptibles d'investir et de créer des emplois : son
augmentation va de pair avec l'augmentation dramatique du chômage.
Ce Gouvernement ne semble pas avoir réellement conscience de cette situation
puisque sa politique tend, au contraire, à aggraver la taxation du capital
productif.
Le projet de budget a, selon nous, trois défauts rédhibitoires.
D'abord, il se fonde sur des hypothèses économiques incertaines.
Ensuite, l'effort de maîtrise des dépenses publiques est insuffisant.
Enfin, du fait de ce laxisme budgétaire relatif, le Gouvernement est contraint
d'accroître sensiblement les prélèvements sur les entreprises, les épargnants
et les ménages, ce qui laisse prévoir des conséquences préjudiciables, à la
fois sur l'investissement et pour la consommation intérieure.
En premier lieu, le projet de budget pour 1998 repose sur des prévisions de
croissance aléatoires.
Certes, prévoir l'évolution de l'économie est devenu un art difficile pour
tous les gouvernements depuis le début de la crise, dans les années 1973 et
1974. Depuis cette période, nous vivons une suite de récessions et de reprises
économiques cycliques. Ces perturbations économiques sont de plus en plus
rapprochées, compte tenu à la fois de l'ouverture des marchés, de la grande
sensibilité de l'investissement, et donc de l'emploi par rapport à la demande
extérieure, et, enfin, de la fluidité des capitaux au niveau mondial.
Ainsi, derrière l'optimisme affiché par leurs chiffres, les experts, y compris
ceux du ministre des finances, reconnaissent que la reprise actuelle reste
vulnérable. Ils redoutent, en particulier, un choc boursier plus important
encore que celui que nous vivons à cause de la crise asiatique.
Ce nouveau krach pourrait avoir pour conséquence, notamment, une chute du
dollar, dont la hausse, ne l'oublions pas, a stimulé nos exportations. Tabler
dans le projet de budget sur un maintien du dollar à six francs au cours de
l'année 1998 paraît donc, monsieur le secrétaire d'Etat, un pari audacieux. Il
en est de même pour les taux d'intérêt, annoncés stables, quand il est possible
qu'ils progressent, notamment sur le long terme.
Une chose est fort probable : selon l'OCDE, l'impact négatif de la crise en
Asie du Sud-Est sur la croissance des vingt-neuf pays occidentaux pourrait être
d'ores et déjà de 0,2 % cette année et en 1998. Le niveau de la demande
extérieure en 1998 est donc incertain.
Plus grave encore, la demande intérieure, qui devrait, selon les instituts de
conjoncture, assurer 90 % de la croissance en France, risque, de son côté, de
pâtir des importantes ponctions que les responsables gouvernementaux
envisagent, malheureusement, au détriment de certaines familles. Je pense aux 5
milliards de francs d'économies opérées sur les prestations familiales et
également à un certain nombre de mesures fiscales contenues dans ce projet de
budget. Quant aux retombées positives éventuelles de la conférence salariale,
elles restent pour le moment problématiques.
Au-delà de ces incertitudes, le tort majeur de ce gouvernement est de
consentir un effort insuffisant de maîtrise des dépenses publiques, malgré ce
que vous nous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat.
En dehors même de la contrainte européenne, le devoir de tout gouvernement
devrait être d'accentuer l'effort de réduction du déficit public, réduction
engagée dès 1993.
Il nous faut impérativement assainir et moderniser notre économie face aux
mutations que connaît l'environnement international ; pour les marchés
financiers, toute politique laxiste est interprétée comme un signe de faiblesse
de l'économie.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est juste !
M. Xavier de Villepin.
Une politique budgétaire rigoureuse est la condition
sine qua non
de la
baisse des taux d'intérêt. Cette baisse est aujourd'hui essentielle pour notre
économie dans la mesure où c'est un moyen de favoriser l'investissement privé
et, en même temps, de réduire la charge de la dette.
Au-delà des tendances politiques des gouvernements des uns et des autres,
l'ensemble des pays de l'Union sont d'accord pour mener une politique
d'assainissement des finances publiques. Il en va ainsi de l'Allemagne,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Contrairement à ce que l'on dit
!
M. Xavier de Villepin.
... notre principal partenaire, de l'Espagne, dirigée par un premier ministre
de centre droit, ou de l'Italie, dont le gouvernement de centre gauche est
soutenu par le parti communiste.
M. Jacques Legendre.
Voilà qui est intéressant !
M. Xavier de Villepin.
Avec ou sans le traité de Maastricht, les pays de l'Union européenne auraient
été contraints de mener une politique de rigueur ; l'endettement public était
devenu trop insupportable : il était passé de 56,1 % du PIB à 73,2 % en
1996.
En second lieu, la réduction du déficit est effectivement nécessaire au
respect des critères permettant la réalisation de la monnaie unique, qui est
une vraie chance pour la France et pour l'Europe.
A ce sujet, je dirai que le Gouvernement entend respecter les engagements
européens, mais, monsieur le secrétaire d'Etat, dans une version minimale.
Ainsi, nonobstant le caractère aléatoire des prévisions économiques retenues,
le budget devrait, sur le papier, respecter le critère des 3 % du PIB pour les
déficits publics.
Cependant, l'effort de redressement des comptes devrait en rester là, alors
que le montant du déficit budgétaire est nettement supérieur aux dépenses en
capital et à la charge de la dette.
Ainsi, notre pays va continuer à financer des dépenses de fonctionnement par
des recettes d'emprunt et le stock de la dette continuera à croître en 1998, en
valeur absolue comme en proportion du PIB.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Et consacrer une partie de
l'emprunt au financement de dépenses de fonctionnement est tout à fait
contraire aux principes de bonne gestion !
M. Xavier de Villepin.
La maîtrise des dépenses, dans ce budget, risque donc de se révéler
insuffisante, alors que, contrairement aux souhaits de certains, le futur euro
devrait constituer une monnaie forte, ainsi que le remarquaient récemment MM.
Raymond Barre et Jacques Delors dans un éditorial commun.
C'est d'ailleurs la motivation du futur pacte de stabilité monétaire, dont le
principe a été adopté par la France et qui sera imposé à tous les membres de la
future Union économique et monétaire.
L'effort que notre pays n'accomplira pas en 1998. lui sera demandé, tôt ou
tard, dans les années à venir.
M. Roland du Luart.
Assurément !
M. Xavier de Villepin.
Il n'en sera que plus douloureux.
Le retour aux vieux démons de la dépense publique était perceptible dès les
premières décisions prises par le Gouvernement. Je pense à la réutilisation des
10 milliards de francs de crédits gelés en février 1997 par le précédent
gouvernement et aux premières embauches dans le secteur public.
Dans le projet de loi de finances pour 1998, on note également un certain
relâchement en matière de dépenses, notamment de dépenses de fonctionnement.
Selon le Gouvernement, les dépenses de l'Etat, dont la croissance est fixée à
1,36 % pour une inflation de 1,4 %, connaîtraient « la plus faible évolution
depuis quinze ans ». Or, le taux de 1,36 % est déjà trois fois supérieur à la
tendance effectivement enregistrée entre juillet 1996 et juillet 1997, période
pendant laquelle on n'a pas dépassé 0,5 %.
Je rappelle que, sur ce plan, l'évolution n'était que de 0,8 % en 1987, sous
le Gouvernement de M. Chirac.
Ce qui est plus inadmissible encore, c'est la progression des dépenses de
fonctionnement de l'Etat : celles-ci augmentent en effet de 1,4 % en francs
constants, contre 0,5 % seulement en 1996, sous le gouvernement de M. Juppé.
Quant aux dépenses d'investissement, créatrices d'emplois, elles sont
sacrifiées, en particulier celles qui touchent à la défense nationale.
Conséquence de ces arbitrages : la loi de programmation militaire ne sera pas
respectée en 1998. Nous le déplorons très fortement et nous ne manquerons pas
de le dire à l'occasion du débat sur le budget de la défense.
Non seulement aucune politique de réduction des dépenses courantes n'est
envisagée, mais les bénéfices des efforts entrepris par les précédents
gouvernements sont anéantis du fait, notamment, d'une reprise du recrutement
dans la fonction publique.
Or, selon l'OCDE, les effectifs des administrations publiques en France
représentent déjà 25 % environ de l'emploi total, contre 16 % en RFA et 14,5 %
en Grande-Bretagne. Cette différence explique en grande partie l'écart qui
existe entre notre pays et ses partenaires en matière de dépenses publiques
!
De 1993 à 1997, les précédents gouvernements ont commencé, avec un courage
certain, à réduire les effectifs de la fonction publique ; ainsi, 5 000 postes
ont été supprimés en 1996, principalement grâce au non-remplacement des
personnes partant à la retraite.
M. Roland du Luart.
Très juste !
M. Xavier de Villepin.
Voilà à présent que notre pays est en train de recourir de nouveau à cette
vieille recette keynésienne consistant à créer des emplois en grande partie
artificiels et rémunérés par la collectivité nationale.
C'est le cas des 350 000 emplois-jeunes qui doivent être créés sur cinq ans.
Or, nous ne sommes plus, monsieur le secrétaire d'Etat, en 1932 ou 1933. Dans
l'histoire récente de l'économie française, chaque fois que l'on a accru les
effectifs des agents publics, ce fut au détriment du nombre des emplois
productifs.
Comme le montre M. Jean Choussat dans sa récente note sur les effectifs de
l'administration, « quand la population d'âge actif y a augmenté de cent, la
France a détruit dix-huit emplois privés et créé vingt-sept emplois publics,
quarante-cinq chômeurs et quarante-six inactifs ».
Loin de réduire le chômage, le recrutement de nouveaux fonctionnaires tend, à
terme, à l'aggraver.
L'autre défaut de ce budget découle logiquement de ce qui précède : l'excès de
dépense publique entraîne une augmentation sensible des impôts et taxes. La
croissance des recettes fiscales nettes sera, en 1998, de 4 % environ par
rapport à la loi de finances initiale pour 1997 et de 3,1 % par rapport à la
loi de finances de 1997 révisée, soit une hausse de plus de 51 milliards de
francs, comme l'a justement indiqué notre rapporteur général dans le tome I de
son rapport.
A titre de comparaison, dans le projet de budget précédent, les recettes
nettes ne connaissaient qu'une évolution très faible, de 0,4 % environ. Si
cette hausse très sensible des recettes provient en partie de la croissance
économique, elle a aussi pour origine des mesures fiscales dont les principales
cibles sont les familles, les épargnants et, avant tout, les entreprises.
A lui seul, en 1998, le secteur productif risque d'être ponctionné de 31
milliards de francs, si l'on ajoute les 9 milliards de francs prévus dans le
budget aux 22 milliards de francs de prélèvements contenus dans le projet
portant diverses mesures urgentes. Et je n'intègre pas le coût, à terme, du
passage aux trente-cinq heures, problème sur lequel notre collègue Jean Arthuis
et le groupe de l'Union centriste ont demandé la création d'une commission
d'enquête.
Alors que les gouvernements de MM. Balladur et Juppé avaient consacré près de
43 milliards de francs supplémentaires à l'allégement du coût du travail pour
les bas salaires, vous vous apprêtez, monsieur le secrétaire d'Etat, à limiter
ou à remettre en cause certains dispositifs d'exonérations, comme celui qui est
applicable au secteur textile.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. René Régnault.
Il y a une directive européenne !
M. Xavier de Villepin.
Certes, tout en augmentant
a priori
la pression fiscale, pour les
entreprises comme pour les ménages, ce gouvernement annonce des allégements
pour 1999 et l'an 2000. Mais la question est de savoir si, dans ce délai, il
disposera des marges nécessaires à de telles mesures, qui pourraient toucher,
s'agissant des entreprises, et en particulier des PME, la taxe professionnelle
ou les cotisations patronales.
Dans l'immédiat, nos gouvernants semblent compter sur une supposée santé
financière des entreprises, qui pourrait permettre à celles-ci « d'assumer »
sans encombre ces majorations d'impôt.
En réalité, que constate-t-on actuellement ?
Il est vrai que les entreprises se sont désendettées, ces dernières années.
Leur structure financière reste cependant toujours moins favorable que celle de
leurs concurrentes étrangères : les dettes représentent 58 % de leurs bilans,
contre 34 % seulement en Allemagne. Par ailleurs, elles ne sont pas
complètement à l'abri d'une augmentation des taux d'intérêt dans les prochains
mois ou les prochaines années.
C'est donc un pari dangereux que prend le Gouvernement : le risque de
dispositions fiscales comme celles que vous nous proposez est d'accroître
encore l'écart existant, en termes de prélèvements pesant sur les entreprises,
entre la France et ses principaux partenaires et concurrents européens.
Déjà, les entreprises de dimension internationale prennent leurs dispositions
afin de revoir à la baisse leurs bases imposables en France.
Je ne m'étendrai pas sur le grand péril que constitue la délocalisation des
activités et des entrepreneurs, sans oublier, bien entendu, la fuite de
l'épargne,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Cela, c'est grave !
M. Xavier de Villepin.
... cette épargne qui est pourtant indispensable à une réelle reprise de
l'investissement, dont la France a impérativement besoin.
Simultanément, nos voisins conduisent une politique inverse, en allégeant les
charges sur les sociétés privées.
Parmi les « nouveaux dragons », ces partenaires européens qui attirent un
nombre croissant d'entreprises de haute technologie, on trouve des pays comme
les Pays-Bas ou l'Irlande. L'un est dirigé par un social-démocrate, l'autre par
un conservateur. Leurs remèdes contre le chômage, fort efficaces dans les deux
cas, se recoupent : ils comprennent une baisse massive des charges, corrélative
à un effort de rationalisation des dépenses publiques et des transferts
sociaux, la maîtrise des coûts salariaux et un effort particulier en matière de
formation professionnelle.
Nous ne devons pas sous-estimer les conséquences négatives sur la consommation
et l'investissement de l'augmentation des impôts acquittés par les ménages et
les épargnants. Si l'on intègre les mesures figurant dans la loi de financement
de la sécurité sociale, ce sont au moins 20 milliards de francs qui vont être
prélevés directement sur les Français. L'année dernière, le budget adopté pour
1997 prévoyait
a contrario
des allégements de 16 milliards de francs.
A ce sujet, le Gouvernement a décidé de remettre en cause la réforme sur cinq
ans de l'impôt sur le revenu, que la majorité sénatoriale avait soutenue l'an
dernier. Cette réforme avait un double avantage : un allègement sans précédent,
dans notre pays, de l'impôt et la suppression d'un certain nombre de niches
fiscales qui nuisent à son rendement.
Prétextant une « dérive » du déficit au premier semestre de 1997, vous avez
décidé, monsieur le secrétaire d'Etat, de remettre en cause le vote du
Parlement. Nous le regrettons vivement. En revanche, le groupe parlementaire
auquel j'appartiens soutiendra l'amendement de la commission des finances
tendant à rétablir le barème de l'impôt sur le revenu proposé par le
gouvernement Juppé.
Voilà donc pour l'analyse non exhaustive d'une loi de finances qui ne peut
manifestement pas satisfaire mon groupe et notre majorité sénatoriale.
A ce stade de mon intervention, je souhaite rendre hommage à la démarche
réfléchie et ouverte de la commission des finances du Sénat. De concert avec
les autres commissions du Sénat et les groupes de la majorité, elle est
parvenue à élaborer un projet de budget corrigé dont nous partageons tout à
fait la philosophie.
Se situant clairement dans la continuité des budgets précédents, ce projet
allie lucidité et rigueur, face aux défis auxquels notre pays est confronté,
tant il est vrai que la mondialisation des marchés, l'évolution rapide des
techniques et l'émergence de nouveaux concurrents industriels génèrent à la
fois d'immenses opportunités mais aussi des difficultés certaines.
Il est donc primordial de réformer, dès que possible, nos structures
économiques et sociales, issues de l'après-guerre, afin de permettre à la
France de disposer d'un maximum d'atouts dans un contexte inédit. A la veille,
nous l'espérons, de l'instauration de la monnaie unique européenne, le projet
de loi de finances pour 1998, monsieur le secrétaire d'Etat, vous en offrait
l'opportunité. Malheureusement pour notre pays, vous ne l'avez pas saisie.
Il appartient à présent à l'opposition et à sa représentation parlementaire au
sein du Sénat d'offrir aux Français un projet économique alternatif. Ce sera
l'objet de nos débats.
Sous le bénéfice de ces observations, et après avoir rendu de nouveau hommage
à l'excellent travail réalisé par la commission des finances, à son président,
M. Christian Poncelet et à son rapporteur général, notre ami Alain Lambert, le
groupe de l'Union centriste soutiendra le budget corrigé proposé par l'ensemble
de la majorité sénatoriale.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Adnot.
M. Philippe Adnot.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
m'exprimant au nom de l'union des sénateurs non inscrits, je souhaite indiquer
d'emblée que nous nous situons dans la ligne définie par la commission des
finances, sous la houlette de son très puissant président, M. Poncelet
(Rires sur les travées de l'Union centriste et du RPR)
, et à la lumière
de l'avis éclairé de son rapporteur général, M. Lambert.
Nous tenons à souligner le courage politique de cette ligne en ce qui concerne
la maîtrise des équilibres financiers, sachant combien il eût été plus
confortable de nous contenter de critiquer l'insuffisance des crédits ou
l'augmentation des prélèvements obligatoires.
Nous soutenons cette ligne responsable. A titre personnel, voilà plusieurs
années que je présente l'examen du fascicule budgétaire dont j'ai la charge en
rappelant qu'un bon budget est non pas celui qui augmente le plus, mais celui
qui utilise au mieux les crédits dont il dispose.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est vrai !
M. Philippe Adnot.
Pour autant, cette attitude doit être approfondie et étendue à l'analyse des
conséquences du projet de budget sur les entreprises et les particuliers : le
niveau des prélèvements aura des répercussions sur l'emploi, par la diminution
de la compétitivité des entreprises ou la baisse du pouvoir d'achat des
citoyens.
A ce sujet, il nous paraît important de souligner que ce projet de budget,
après les mesures prises dans le MUFF, consolide et alourdit les prélèvements
décidés par le gouvernement précédent. En effet, ce dernier avait accru l'impôt
sur les sociétés de 10 % ; son successeur le consolide et l'accroît de 15 %, ce
qui représente 25 %.
En matière de pression fiscale, le gouvernement de M. Jospin, c'est « Juppé
plus » : 120 milliards de francs pour M. Juppé ; 120 milliards de francs plus
50 milliards de francs pour M. Jospin.
M. Hubert Durand-Chastel.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
Nous devons également appréhender ce budget sous l'angle de la pertinence de
l'utilisation des crédits de l'Etat, notamment de l'investissement et des
conséquences des choix opérés.
Force nous est de constater que l'apparent équilibre a primé sur toute autre
considération.
Dans tous les budgets, priorité a été donnée à l'augmentation des dépenses de
fonctionnement. Jamais la dépense n'a été considérée pour ce qu'elle engageait
comme transformation de la société, comme évolution qualitative de notre
activité économique, donc d'avenir pour notre jeunesse, alors même que, sous
nos yeux, nous pouvons mesurer les effets des choix opérés par le tandem
Clinton Al Gore en faveur des métiers de l'avenir et leurs implications en
termes de valeur ajoutée.
Au-delà de ce budget, de son évolution qualitative et quantitative, nous
souhaitons attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, mais aussi
la vôtre, la nôtre, mes collègues, sur l'inefficacité de la maîtrises des
équilibres budgétaires si, ensuite, au fil des textes, nous laissons se
développer tous les ingrédients d'une société de plus en plus pesante, rigide
et suradministrée.
Nous venons d'examiner le texte relatif au financement de la sécurité sociale
: l'allongement de la durée de vie de la Caisse d'amortissement de la dette
sociale est une véritable bombe à retardement pour les générations suivantes.
Je prends date pour constater les méfaits du manque de volonté d'expliquer la
vérité aux Français.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Il est important de la dire !
M. Philippe Adnot.
Il n'est pas un texte, qu'il soit d'origine parlementaire ou gouvernementale,
qui ne crée les conditions de nouvelles réglementations, de nouvelles charges.
Les motivations sont toujours généreuses. Les obligations normatives décidées
par Bruxelles sont, bien souvent, à l'origine de ces nouveaux textes. Ce n'est
pas une excuse !
Nous tenons à réaffirmer ici que le problème majeur du chômage et de son
cortège de difficultés ne pourra trouver de solution que dans l'allégement des
contraintes fiscales et administratives, que dans la libération des énergies
créatrices, que dans l'affirmation d'une dépense publique orientée vers la
création de richesse collective.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Philippe Adnot.
Tout le reste, même marqué du sceau des bonnes intentions, est illusoire.
Cette ligne de conduite suppose l'effort de tous, le vôtre aujourd'hui,
monsieur le secrétaire d'Etat, le nôtre demain.
(Très bien ! et
applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
face à nos compatriotes, face à nos enfants, face à notre histoire, nous avons
pour mission d'inscrire notre pays parmi ceux qui relèveront les défis d'une
économie mondialisée toujours plus exigeante.
Cette réussite, c'est la clef de l'emploi, de la prospérité et de l'harmonie
sociale.
Cette réussite, que nous appelons tous de nos voeux, conduit à opérer des
choix difficiles, parfois douloureux. Mais différer ces choix, c'est les rendre
demain encore plus difficiles, encore plus douloureux.
La caractéristique essentielle de ce projet de budget et, précisément, de
retarder ces choix, voire d'aggraver les contraintes qui entravent notre
dynamisme économique.
Ce projet de budget retarde les choix nécessaires en aggravant la pression
fiscale et sociale sur les cadres, fer de lance de notre économie, et sur les
classes dites « moyennes supérieures », qui sont la cible naturelle de toutes
les ponctions nouvelles. Cette attitude dogmatique est dangereuse dans une
économie ouverte, européenne, mondiale.
En interrompant la réforme quinquennale de l'impôt sur le revenu, en
maintenant des taux marginaux très élevés, en ponctionnant l'épargne, en
démantelant la politique familiale applicable à ces catégories de revenus, on
offre sans doute à une partie de l'électorat une satisfaction d'ordre
politique.
Mais est-ce ainsi que l'on motivera les cadres, les professions libérales et
les entrepreneurs individuels, bref tous ceux dont dépendent directement les
performances de nos entreprises ? Est-il vraiment responsable de pénaliser le
travail, le risque et la réussite ?
Peut-on, dans le même temps, signer le traité d'Amsterdam, qui défend - ce
sont ses propres termes ! - « une économie de marché ouverte où la concurrence
est libre » et prendre des mesures nationales incompatibles avec l'esprit
d'entreprise ?
M. Jacques Oudin.
Très juste !
M. Roland du Luart.
Pour ma part, je considère que le volet fiscal du projet de budget qui nous
est soumis n'est pas favorable à notre économie, et que, de fait, il est en
contradiction avec nos engagements européens. Ses effets négatifs
s'additionneront à ceux d'un système fiscal qui, aux dires de tous les experts
que la commission des finances a entendus, a déjà pour effet de procurer un
rendement réel négatif au patrimoine d'un grand nombre de ménages, dès lors que
l'on prend en compte la cascade d'impositions qui lui sont attachées.
En France, hélas ! la fiscalité des revenus et celle du patrimoine incitent à
la délocalisation, à l'optimisation, à l'évasion et, je le déplore, au travail
clandestin. Politiquement correcte ou non, cette réalité incontournable, nous
feignons de l'ignorer parce qu'elle nous dérange.
La commission des finances a régulièrement averti les gouvernements précédents
des risques encourus, avec, il est vrai, un succès modeste l'an dernier. Elle
est donc parfaitement dans son rôle lorsqu'elle réitère ses avertissements :
notre système fiscal conduit à la fuite légale des capitaux et - ce qui est
plus grave - à l'évaporation de l'assiette imposable.
D'ailleurs, je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous
indiquiez le nombre de personnes qui ont quitté la France depuis le
déplafonnement décidé par M. Juppé l'an dernier.
Regardons quelques instants autour de nous : les cadres français les plus
performants se tournent vers l'étranger ; nos concurrents anglais viennent en
France vanter les charmes fiscaux de la région du Kent ; les entreprises sont
contraintes de se livrer à des contorsions juridiques pour minorer la part des
salaires versés en France ; pis encore, nombre d'élèves, parmi les plus
brillants, à peine sortis de nos universités ou de nos grandes écoles, ont
désormais pour priorité de trouver un emploi à l'étranger, notamment sur la
place de Londres. Quand nous en discutons avec eux, ils nous accusent de «
ringardise », de ne rien comprendre à l'économie mondiale. Ont-ils vraiment
tort, mes chers collègues ?
Les éléments de fiscalité des entreprises contenus dans ce projet de loi de
finances participent de cette « exception française », que M. le rapporteur
général a raison de rebaptiser « illusion française ».
Là encore, il suffit de parcourir la presse ou de constater ce qui se passe
dans nos départements pour mesurer les évolutions de notre système productif :
les PME françaises les plus dynamiques - notamment celles du secteur
agro-alimentaire - sont absorbées par leurs concurrentes européennes ; les
grandes sociétés délocalisent à l'étranger des pans entiers de leur activité ;
les investisseurs étrangers détiennent près de la moitié de la capitalisation
boursière de nos plus belles valeurs.
Quelles réponses apportons-nous à cette perte de substance économique ?
Nous aggravons l'impôt sur les sociétés. Nous incitons les grandes entreprises
de transformation des métaux, du raffinage pétrolier ou de vente par
correspondance à se redéployer à l'étranger.
Nous faisons entendre aux investisseurs étrangers que la France sera désormais
le seul pays développé à ne plus admettre la déductibilité des provisions pour
licenciement et que son Gouvernement veut contraindre les entreprises à
modifier la répartition de la valeur ajoutée.
Nous incitons les épargnants à souscrire des contrats d'assurance vie auprès
de compagnies étrangères.
Nous modifions, enfin, la fiscalité de l'épargne dans un sens défavorable aux
actions, à l'épargne à risque, qu'il faudrait justement encourager.
Mes chers collègues, je ne veux nullement jouer les Cassandre, car j'ai
confiance dans les réserves d'énergie de notre vieille nation. Toutefois, mon
devoir de lucidité me commande d'énoncer devant vous les risques que la
politique d'aggravation des prélèvements obligatoires du Gouvernement fait
courir à notre économie.
Sans vouloir polémiquer, je rappellerai que, pour les années 1997 et 1998, les
prélèvements obligatoires s'élèvent à 80 milliards de francs et que, pour la
seule année 1998, ils représentent indiscutablement 56 milliards de francs.
Nous affaiblissons l'esprit d'entreprise et nous divisons le pays en dressant
les employés des secteurs « exposés » contre les fonctionnaires du secteur «
abrité ».
Nous instituons un système fiscal radicalement différent de celui de nos
partenaires européens et nous aggravons les prélèvements qui font fuir
l'emploi.
Nous orientons notre épargne nationale vers les emplois les moins productifs,
en nous refusant tant à créer des fonds de pension dynamiques qu'à réviser les
mécanismes de l'épargne administrée.
Pourtant, dans le même temps, le Gouvernement signe le traité d'Amsterdam,
réaffirme son attachement à l'euro et préconise une harmonisation fiscale
européenne. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour prédire que cette
politique du « grand écart » ne pourra pas être menée pendant très longtemps et
que les réalités les plus évidentes ne pourront être occultées durablement.
Ni la croissance des investissements étrangers en France, ni les excédents de
notre balance commerciale, ni même les résultats financiers de nos entreprises
ne doivent nous bercer d'illusions. Comme l'Allemagne, car nous conduisons la
même politique que celle qu'elle a menée depuis une dizaine d'années, nous
allons voir les investissements étrangers en France décroître et les
investissements français à l'étranger se développer.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Cela a déjà commencé !
M. Roland du Luart.
Absolument, je vous l'accorde. Nous le constatons, précisément, parce qu'il ne
fera plus bon produire en France. Il suffit d'interroger certains grands chefs
d'entreprise pour s'apercevoir qu'ils vont prendre des décisions.
Comme en Allemagne, nos grandes entreprises trouvent dans leurs filiales
étrangères l'essentiel de leurs profits, ce qui poussera les fonds de pension
actionnaires à exiger d'elles de « réduire la voilure » en France.
Quant aux excédents de notre balance commerciale, ils proviennent, pour une
très large part, de la forte croissance de la demande mondiale et de la
faiblesse de nos investissements.
Mes chers collègues, ces indicateurs ne sauraient susciter l'optimisme béat.
Ils doivent nous convaincre que la France va perdre de sa substance
industrielle et de son dynamisme économique. L'étude que la commission des
finances a commandée à l'institut Rexecode le démontrerait, si jamais nous en
doutions.
En matière de dépenses, le projet de loi de finances qui nous est transmis ne
correspond pas non plus aux dures exigences de l'heure.
Sans doute la croissance assez élevée du PIB en 1998 pourra-t-elle masquer
provisoirement cette absence de maîtrise de la dépense publique.
Mais, dès lors que nous retrouverons le sentier de notre croissance
potentielle, ce que les simulations de l'OFCE prévoient, apparaîtront des
déséquilibres graves ; ce seront les mêmes que ceux que nous avons connus
depuis 1993, quand la « réhabilitation de la dépense publique », lancée en
période de forte croissance, a montré ses graves conséquences en période de
croissance ralentie. L'histoire budgétaire de notre pays sera ainsi faite
d'erreurs renouvelées. Quel dommage, assurément !
Les facteurs d'emballement de la dépense publique sont réunis dans le projet
de budget que nous examinons.
Les effectifs de la fonction publique repartent à la hausse, alors même que
les dépenses de personnel et de retraite se sont accrues de 200 milliards de
francs en dix ans. Il faut se souvenir que le non-remplacement du départ en
retraite d'un fonctionnaire sur cinq pendant dix ans ne représenterait qu'une
économie de 16 milliards de francs en 2007, alors que les 350 000
emplois-jeunes nous coûteront, à court terme, 35 milliards de francs de
plus.
Rien n'est fait, par ailleurs, pour réformer les régimes spéciaux de retraite
des fonctionnaires, alors que le poids de ces retraites se sera accru en francs
constants, en 2010, de 70 milliards de francs. Il y a pourtant urgence, compte
tenu de l'inertie de ces dispositifs et de la pyramide des âges ; ainsi, une
réforme qui réduirait de 1 % chaque année pendant dix ans le montant moyen des
nouvelles pensions concédées ne procurerait que 3,9 milliards de francs
d'économies en 2007, soit 2,5 % du montant total des pensions.
Le courage montré en son temps par le gouvernement de M. Balladur pour les
retraites du secteur privé n'a pas fait d'émules, c'est le moins que l'on
puisse dire. Or, nous savons tous, depuis le Livre blanc de M. Michel Rocard,
que ce dossier sera explosif dans les dix prochaines années.
Rien n'est fait non plus, bien au contraire, pour réduire la part de l'Etat
dans la prise en charge de la fiscalité locale. Même si les mesures prises en
matière de taxe d'habitation sont généreuses, elles se traduisent par plus de
un milliard de francs de prise en charge supplémentaire par l'Etat, ce qui rend
encore plus préoccupante l'évolution des concours passifs de l'Etat aux
collectivités locales.
En effet, la véritable question est la suivante : peut-on être généreux quand
on finance cette générosité par le déficit budgétaire et par l'emprunt ? Cette
question vaut, mes chers collègues, pour l'ensemble des dépenses sociales de
l'Etat, pour lesquelles notre rapporteur général nous a cité des chiffres fort
préoccupants. La générosité à crédit est-elle autre chose que l'habillage
comptable de la faiblesse et de l'irrésolution ?
M. Denis Badré.
C'est une bonne formule !
M. Roland du Luart.
De surcroît, je constate que le Gouvernement accélère les débudgétisations de
dépenses, qu'il s'agisse des aides personnelles au logement, des subventions
aux entreprises publiques, des crédits routiers ou des aides à la presse.
Les transferts de crédits budgétaires vers des comptes spéciaux du Trésor ont
un effet optique bienvenu sur la croissance des dépenses, mais ils participent
néanmoins de cette absence de maîtrise de la dépense que nous ne pouvons que
déplorer. Notre rapporteur général a raison de souligner que les charges
réelles de l'Etat s'accroîtront plus en 1998 qu'en 1997. Pour illustrer cet
exemple, il suffit de prendre en compte les conséquences de l'augmentation de
la durée de vie de la CADES.
Le groupe des Républicains et Indépendants ne peut donc se rallier aux
orientations d'un gouvernement qui n'améliore le solde budgétaire que grâce à
une ponction fiscale considérable, masquant ainsi l'accroissement préoccupant
de la dépense.
Pour ma part, je suis sincèrement inquiet des effets de cette politique,
effets que nous ne percevrons que dans quelques mois, lorsque les contribuables
auront pris la mesure des efforts nouveaux qui leur sont demandés.
M. Marc Massion.
Quels contribuables ?
M. Roland du Luart.
Ceux qui paient l'impôt !
M. René Régnault.
Ceux qui ne peuvent pas se débrouillent pour ne pas le payer !
M. Roland du Luart.
Vous savez fort bien que seuls 48 % de Français paient l'impôt. Il s'agit d'un
problème d'assiette.
Je pense notamment aux retraités, qui subiront à la fois la diminution de la
déduction de 10 % non compensée par la baisse du barème, le plafonnement de la
demi-part des personnes seules ayant élevé des enfants, le plafonnement de la
restitution de l'avoir fiscal, qui touchera des dizaines de milliers de
retraités modestes, et la diminution de 50 % de la réduction d'impôt pour les
emplois à domicile, si nécessaires à nombre de nos anciens, sans oublier
l'aggravation de la CSG, qui viendra ponctionner le revenu de leur épargne.
L'ensemble de ces mesures, prises, hélas ! sans aucune concertation ni vision
d'ensemble, auront des conséquences que nous aurons bientôt, mes chers
collègues, à mesurer.
Je pense également à toutes les personnes physiques et aux entreprises qui se
verront appliquer des prélèvements fiscaux et sociaux considérablement alourdis
sur les plus-values qu'ils auront pu réaliser en 1997.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je dois vous avouer que cette rétroactivité de
fait me choque profondément, qu'elle s'applique aux ventes de fonds de commerce
ou à des réalisations d'actifs rendues nécessaires par les accidents de la vie.
L'Etat ne s'honore guère lorsqu'il reprend sa parole et qu'il change les règles
du jeu en cours de partie.
Je comprendrais très bien que des nouvelles mesures s'appliquent à compter du
dépôt de la loi de finances. Mais il n'est pas normal de changer la donne, à
partir du 26 septembre, pour des dispositions qui ont été prises par les
contribuables sur la base de la précédente loi de finances.
M. Jean-Pierre Fourcade.
C'est vrai !
M. Roland du Luart.
Le Gouvernement ne s'honore pas davantage lorsqu'il applique aux ménages
recourant à des emplois à domicile une rigueur qu'il se garde bien de s'imposer
à lui-même, puisqu'il augmente le nombre des emplois publics. S'il fallait une
preuve supplémentaire que l'emploi public chasse l'emploi privé, elle serait
ainsi apportée.
Parce qu'il ne maîtrise pas la dépense et qu'il accroît les prélèvements
obligatoires en valeur absolue, ce projet de budget ne peut être accepté en
l'état par le Sénat. Le rapporteur général et le président de la commission des
finances du Sénat l'ont démontré tout à l'heure avec précision et persuasion.
Au nom du groupe des Républicains et Indépendants, je leur apporte donc tout
notre soutien dans cette entreprise difficile mais salutaire de correction de
ce budget.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce n'est qu'en maîtrisant
la dépense que nous pourrons baisser les impôts et relancer la croissance. Ce
n'est qu'en maîtrisant la dépense que nous cesserons de sacrifier les intérêts
légitimes des générations à venir.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Roland du Luart.
Ce n'est qu'en maîtrisant la dépense que nous accomplirons notre mission de
rétablissement des grands équilibres, condition indispensable de notre
compétitivité dans l'Europe de la monnaie unique et donc de la préservation du
pacte social à la française.
(Applaudissements sur les travées des
Républicains et Indépendants et du RPR.)
9