M. le président. Nous reprenons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant la défense.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique de défense est, pour tous les pays qui veulent en avoir une, fondée sur une analyse des moyens et une volonté d'action internationale.
Elle ne peut donc s'abstraire de l'examen attentif du paysage stratégique mondial.
Voilà huit ans - déjà ! - le mur de Berlin s'effondrait et avec lui s'achevait une guerre froide qu'il avait tragiquement symbolisée. Il y a sept ans commençait ce qu'il est commun d'appeler la guerre du Golfe. Un an seulement entre le rêve, enfin réalisé, et un réveil douloureux !
L'évolution des mentalités, celle des responsables qui entraînent et motivent leurs fanatiques, avouons-le, se fait de nouveau entendre avec le bruit et la fureur des armes.
Aujourd'hui, tous les observateurs s'accordent à penser que le monde, s'il est plus juste, peut-être, est aussi plus instable. Le danger n'a pas cessé ; il a changé de nature et, surtout, il est plus diffus, moins cernable. L'illusion d'une sécurité globale et durable s'estompe. La réalité d'un monde divisé et encore violent apparaît à tous nos concitoyens qui suivent, en direct, une crise, une guerre, un acte de terrorisme aveugle. Comment ne pas en tenir compte !
Pourtant, tout n'est pas noir. En Europe même, l'espace à l'Est semble stabilisé. Dans l'histoire des peuples, ou plutôt des Etats et de leurs dirigeants, tout n'est que transitoire.
La Russie consolide un processus démocratique qui reste - soyons lucides - fragile et précaire. Les idéologies ne sont-elles pas prétexte au pouvoir ?
Cependant - il s'agit d'un fait important, me semble-t-il - la volonté des Européens de vivre ensemble, de consolider un immense ensemble économique et de bâtir un ensemble politique ne se dément pas.
La construction européenne est, désormais, au centre de nos préoccupations de politique de défense, même si, à Amsterdam, pour l'Union européenne, et à Madrid, pour l'Organisation du traité de l'Atlantique nord, l'OTAN, les avancées n'ont pas été considérables. L'Union de l'Europe occidentale, l'UEO, pour sa part, s'impose difficilement et la dernière réunion à Erfurt est à bien des égards un peu préoccupante.
Toutefois, même dans ce secteur essentiel, il y a plus d'Europe que jamais. La relation franco-allemande, malgré des hauts et des bas, constitue toujours un moteur essentiel. Je note, avec satisfaction, qu'une partie des éléments de la brigade franco-allemande est déployée en Bosnie.
L'idée d'une défense européenne chemine. Cela est très important pour nous et notre budget d'aujourd'hui. A ceux qui s'impatientent, je rappellerai qu'il a fallu trente ans pour que l'on puisse sérieusement parler d'une monnaie commune.
Dans l'industrie d'armement, le bilan est plus contrasté. Face au dynamisme de nos alliés américains, l'Europe se cherche encore, malheureusement !
Le projet d'agence de l'armement ne progresse pas très vite, même si la France relance sans cesse et sans se décourager le processus de réforme de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement, l'OCCAR. Toutefois, des interrogations demeurent sur la politique de coopération avec nos partenaires. Je sais pourtant qu'avec l'Allemagne, le Royaume-Uni et l'Italie des programmes concrets se poursuivent et que des projets se discutent. Mais allons-nous assez vite et assez fort ? Je pense que, pour notre part, le budget de la défense montre clairement notre volonté. Qu'en est-il de celle de nos partenaires ?
D'une façon générale, la France ne peut, dans le domaine de l'Europe de la défense, être naïve et se bercer d'illusions. Les égoïsmes nationaux et les habitudes de pensée ne se changent pas en quelques années. L'époque paraît difficile pour les « grands ennemis ». C'est peut-être une audacieuse politique de petits pas - cela fut dit ! - qu'il faut conduire avec détermination, constance et opiniâtreté !
Cette audace du réalisme nous paraît déjà illustrée dans la façon dont les autorités françaises ont géré le dossier de notre participation au commandement militaire intégré de l'Alliance.
Non, décidément, l'équilibre des pouvoirs et des responsabilités entre Américains et Européens n'était pas satisfaisant. Notre pays a donc eu raison de manifester son désir que l'Europe ait sa juste place au sein d'un organisme de défense collective, essentiel à sa sécurité. Il a eu raison aussi de rappeler sa disponibilité à poursuivre le débat.
La France n'a pas bloqué la discussion ; elle n'a pas non plus été isolée, contrairement à certaines prédictions pessimistes. Elle s'est montrée ouverte et solidaire.
Cette ouverture et cette disponibilié, la France les manifeste également envers nos partenaires africains. Le Gouvernement a décidé - il fallait le faire ! - d'adapter notre dispositif de forces prépositionnées en Afrique. Il l'a fait en nouant le dialogue avec nos amis et en préservant nos capacités d'intervention.
L'Afrique ne pouvait pas rester enfermée dans une relation de subordination avec notre pays. C'est un partenariat ouvert qui se dessine, une opportunité pour maintenir, dans la modernité, un lien entre des hommes et des femmes qui partagent la même langue et des mêmes références, même s'ils n'ont pas les mêmes ancêtres.
Il importe de ne pas renoncer à notre outil militaire, afin de mieux le mettre au service de notre diplomatie. La récente crise irakienne le montre, là aussi. Le recours à la force brutale ne constitue jamais la solution, nous le savons. Mais il faut que les nations et leurs organismes collectifs, comme les Nations unies, puissent faire respecter la loi internationale.
Un pays membre permanent du Conseil de sécurité ne saurait faillir à ses obligations. L'épée doit donc pouvoir être brandie de façon crédible si nécessaire, pour que la langue des diplomates se délie.
Votre tâche, monsieur le ministre de la défense, est de prévoir les scenarii d'évolution stratégique. Ce n'est pas simple dans les phases de transition, car l'univers est à la fois plus fluide et plus difficile à cerner. Votre mission est d'éclairer la représentation nationale sur les réponses que notre pays se doit d'apporter.
Je rappellerai que peu de nations se vivent et se pensent comme un acteur du monde. Aussi, la réflexion que nous devons mener ensemble sur notre politique de défense doit être à la hauteur de notre ambition.
Si ce que vous nous proposez peut laisser quelques insatisfactions, nous devons savoir aussi tenir compte de la conjoncture. Les périodes de mutation - et notre défense est en mutation - sont toujours difficiles. Monsieur le ministre, un certain nombre de membres de mon groupe et moi-même vous faisons confiance pour mener à bien cette noble tâche. (M. Biarnès applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le ministre, en présentant aujourd'hui votre projet de budget pour 1998, vous vous attaquez à une tâche délicate, voire difficile.
Tout d'abord, l'opposition, majoritaire au Sénat, ne vous facilite pas la tâche, c'est le moins que l'on puisse dire, et nous venons d'assister, depuis le début de la discussion, à une série d'attaques en piqué. Certaines sont, selon moi, particulièrement excessives et d'autres seraient susceptibles de semer le doute si elles étaient prises à la lettre par les militaires et tous ceux qui s'intéressent aux questions de défense.
Faut-il rappeler que c'est le gouvernement précédent et sa majorité parlementaire qui avaient fait reculer, dans les prévisions budgétaires, le montant des crédits d'équipement de 20 milliards de francs par rapport à la précédente loi de programmation militaire ?
Les crédits de fonctionnement, comme ce qui est proposé aujourd'hui, ne variant pas, ce sont 120 milliards de francs en six ans qui avaient été amputés des crédits d'équipement.
Robert Hue, dans sa campagne pour l'élection présidentielle, au printemps 1995, avait proposé, modestement, de baisser de 70 milliards de francs en cinq ans lesdits crédits et je me souviens des qualificatifs, eux aussi parfaitement excessifs, dont la majorité sénatoriale avait affublé, à l'époque, les sénateurs de mon groupe pour, quelques mois plus tard, accepter des coupes claires bien plus importantes.
J'ai bien dit, voilà un instant, « prévisions budgétaires » car, dans la réalité, avec les reports, les gels et les annulations, les crédits d'équipement avaient encore, et sans l'avis du Parlement, subi quelques cures d'amaigrissement au fur et à mesure de l'exécution du budget.
Ces rappels utiles devraient ramener à leurs justes proportions les accents d'indignation que nous avons entendus tout à l'heure.
Ces rappels utiles éclairent bien la complexité de la tâche du ministre de la défense.
Poursuivre la professionnalisation complète des armées décidée par le Président de la République - choix que nous ne partageons pas - maintenir l'essentiel des programmes d'armement, notamment nucléaires, contribuer à la baisse du déficit public sont un exercice auprès duquel ce que les anciens appelaient la recherche de « la quadrature du cercle » apparaît comme un jeu d'enfant.
Face à ces difficultés et à ces attaques, j'aurais été enclin, monsieur le ministre, à vous soutenir sans réserve et avec vigueur si je n'avais, avec mon groupe, plusieurs appréhensions en ce qui concerne ce budget.
Même après le débat et l'adoption du projet de budget à l'Assemblée nationale, qui, je le reconnais volontiers, a permis plusieurs avancées, notamment en direction des salariés des industries de défense, et apporté des précisions, mon sentiment et celui de mes collègues du groupe est mitigé.
J'ai, à la fois, beaucoup de raisons pour vous approuver et quelques raisons pour maintenir des appréhensions.
Tout d'abord, je veux dire à nouveau ici l'accord de tous les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sur les grandes lignes du budget général pour 1998, qui fait de l'emploi, de l'éducation de la santé et de la justice les premières priorités et demande aux contribuables français une participation plus justement répartie sur fond de réduction des déficits publics, ce que je comprends, même si mes amis et moi-même ne sommes pas d'ardents partisans de la descente, dès l'année 1998, au niveau de 3 % du produit intérieur brut pour répondre aux sacro-saints critères de Maastricht.
Il est intéressant que ceux qui se disent, à la fois, partisans de l'application pure et dure desdits critères et du discours réclamant, au nom du libéralisme, une baisse sensible des dépenses publiques soient les premiers, ici et ailleurs, à combattre les projets de budget comportant effectivement des baisses de dépenses publiques.
Nous, nous ne sommes pas dogmatiquement contre la réduction des dépenses d'armement, tant l'environnement mondial et son évolution, tant la réduction constatée chez nos partenaires et chez nos alliés - qui ont commencé cette réduction des dépenses d'armement plus tôt et plus sensiblement que nous ; et ne parlons même pas de la Russie - tant l'affirmation d'autres priorités nationales, notamment sociales, poussent à adapter à la baisse l'effort de défense de notre pays. Ce sont là les dividendes évidents et normaux de la détente.
Mais, dans ce budget que je considère comme un budget de transition, une baisse aussi sensible - près de 9 milliards de francs par rapport à l'annuité 1998 prévue initialement dans la loi de programmation militaire - est rude pour certains secteurs de notre outil de défense et tombe mal cette année, car plusieurs programmes essentiels arrivent dans leur période charnière.
Il est nécessaire, monsieur le ministre - d'autres l'ont dit, nous le disons également - que l'étau soit desserré en 1999 et qu'intervienne cette revue générale des programmes et des opérations d'investissement que vous avez annoncée.
Je dis cela, bien évidemment, en souhaitant que le Parlement soit associé en amont aux réflexions induites par cette revue générale et qu'il participe à l'élaboration des conclusions pour répondre à cette question centrale de l'adaptation cohérente de notre outil de défense au contexte géopolitique et aux menaces prévisibles, et j'ajouterai : aux moyens de la France.
A ce propos, il ne serait pas inutile d'élaborer un nouveau livre blanc, même si vous l'appelez autrement. Cela correspondrait bien à la logique de réalisme, de transparence et de solidarité affichée par le Gouvernement.
Vous le savez, nous avions souhaité que soient épargnées, dans ce projet de budget, la poursuite de l'essentiel des grands programmes de renouvellement des armements protégeant notre espace national et les commandes aux arsenaux et établissements d'Etat, déjà fragilisés par les politiques précédentes.
Vous le savez aussi, nous avions souhaité que cette baisse des crédits n'affecte que les crédits nucléaires, non pas ceux qui permettent de garder, pour l'heure, une capacité de dissuasion défensive suffisante - il serait d'ailleurs utile, je le dis au passage, de discuter et de se mettre d'accord sur ce niveau de suffisance - mais ceux qui continuent d'engager notre pays dans la production de ce que nous pensons être de nouvelles armes nucléaires.
Dans ce domaine, nous ne le rappellerons jamais assez, notre sécurité dépend autant de nos capacités de dissuasion que du respect du traité, de par le monde, de non-prolifération nucléaire, traité qui indique, en son article 5 ou 6, que les nations détentrices de l'arme nucléaire doivent s'engager dans la voie du désarmement. Notre sécurité dépend aussi des initiatives que nous serons capables d'impulser pour contribuer à la relance du processus de réduction en cours.
Peut-on sérieusement penser que le club des cinq puissances nucléaires pourra longtemps continuer à prêcher la non-prolifération au reste du monde, notamment à des pays comme l'Inde, sans s'engager un peu plus avant encore dans la voie de la réduction significative des armes atomiques ?
Nous sommes trop soucieux de la sécurité de notre pays et de son rôle dans le monde pour penser un seul instant que la France doive s'engager seule et unilatéralement dans le désarmement nucléaire. Mais, nous disons aussi que la France sous-estime le rôle qui pourrait être le sien - un rôle plus attendu que nous pouvons le penser par de nombreux pays - dans la relance du processus dont je parlais tout à l'heure.
Il est symptomatique, à cet égard, que des décisions encore récentes et significatives comme la fermeture du centre d'expérimentations du Pacifique, le démantèlement des missions tactiques Hadès et des missiles stratégiques du plateau d'Albion, les fermetures des usines de production de matières fissiles de Pierrelatte et de Marcoule n'aient pas été accompagnées à l'époque ou englobées dans une démarche diplomatique d'envergure de la part du Président de la République et du gouvernement précédent. C'était pourtant le moment de gommer les effets négatifs de la dernière campagne d'essais nucléaires.
A ce propos, j'avais trouvé intéressants les travaux de la commission de Canberra, à laquelle participait un ancien Premier ministre que vous connaissez bien et qui en avait fait rapport lors d'une réunion de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. De telles initiatives tracent, selon nous, des pistes de réflexion très utiles pour envisager l'avenir dans ce domaine. Nous avons le sentiment que cela manque un peu chez nous, en France.
C'est avec cette approche que nous ne sommes pas convaincus de la nécessité de développer un nouveau missile stratégique, le M 51, et un nouveau missile aéroporté.
A ce propos, je poserai une question à laquelle j'aimerais avoir une réponse : où s'arrêtent les nécessaires mesures à prendre pour assurer la maintenance et le remplacement des éléments de la dissuasion, pour sauvegarder notre potentiel scientifique et industriel, et où commence la production d'armes nucléaires nouvelles ?
S'agissant des équipements de simulation des essais nucléaires en laboratoire, commencent à poindre - vous l'avez déclaré en commission - des informations indiquant de possibles recherches communes militaires et civiles. La production d'électricité par la fusion nucléaire est l'un des enjeux majeurs des prochaines décennies. Si cela se confirmait, ne doit-on pas, dans un proche avenir, réorienter le projet en cette matière pour que des crédits de recherche civile, des crédits de notre société nationale, EDF pour ne pas la nommer, puissent être investis, soulageant d'autant les crédits militaires ?
Répondant aux sollicitations du président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie avait, en ce qui concerne l'avenir des personnels des arsenaux et établissements d'Etat, déclaré : « Les salariés ne sont pas responsables de cette situation catastrophique. »
Nous en sommes bien d'accord et je voudrais vous dire que nous avons apprécié, même si, bien entendu, cela ne règle pas tous les problèmes, les mesures que vous avez annoncées, telles que la « rallonge » de 500 millions de francs accordée à la délégation interministérielle aux restructurations de défense, le départ anticipé en retraite dès cinquante-deux ans, la non-fermeture de quatre des quatorze sites de GIAT Industrie et l'ouverture de négociations sur la réduction du temps de travail.
Cela répond en grande partie à nos propositions visant à stabiliser nos industries de défense et, surtout, à stopper l'hémorragie des effectifs. Nous n'avons jamais accepté de constater depuis de nombreuses années la baisse continue des plans de charge de notre industrie d'Etat.
Nous avons constamment insisté pour que soient engagées des reconversions de certaines activités vers des productions civiles. Le savoir-faire, l'expérience de ces salariés devraient, pour une partie d'entre eux, leur permettre de faire une autre carrière après une réorientation.
Vous avez déjà, en partie, répondu à l'attente de ceux qui, comme nous, préconisent de remplacer le plan Millon par un véritable plan de sauvegarde et de transition.
S'agissant de l'avion Rafale, si nous prenons acte, avec satisfaction, de la décision de poursuivre le programme, avec, certes, un léger retard, nous serions heureux qu'une commande pluriannuelle puisse être décidée dans les mois à venir. En tout cas, nous souhaitons qu'aucune entrave ne vienne retarder la livraison du Rafale marine.
Je ne veux pas dire par là que l'armée de l'air doive être négligée, mais, avec les Mirage 2000 D et 2000-5, nos forces aériennes sont et seront rapidement dotées de matériel de meilleur niveau alors que notre aéronavale en est encore aux Super-Etendard et, comble d'archaïsme, aux vénérables Crusader.
De l'avis de tous les experts, l'avion de transport ATF devrait constituer, en 1998, la préoccupation n° 1 dans le domaine aérien. Vous sera-t-il possible, monsieur le ministre, d'envoyer dans les mois à venir un signal fort, voire de donner un coup de pouce financier pour le démarrage des études et le lancement des appels d'offres ?
J'ai qualifié tout à l'heure votre projet de budget de projet de budget de transition, car, à ce titre, il est encore trop marqué par une loi de programmation militaire, que nous avions rejetée. Il est dans la logique d'une professionnalisation des forces armées, dont nous ne sommes pas convaincus du bien-fondé, mais il compte aussi de nouvelles orientations que nous approuvons et, surtout, il est porteur de plusieurs promesses.
Tout d'abord, il permet d'espérer la fin du grand écart scabreux entre, d'une part, des crédits désormais en rapport avec l'évolution du monde et des menaces et, d'autre part, une palette de programmes lancés, pour l'essentiel, du temps de la guerre froide.
Ensuite, il nous autorise à croire que l'on s'en tiendra aux prévisions budgétaires, le Gouvernement s'interdisant tout gel, toute annulation de crédits.
Enfin, il laisse présager que s'engageront des débats et réflexions pour une meilleure politique d'équipement de nos forces armées après cet exercice de vérité et de lucidité que sera cette revue générale des programmes et des opérations d'investissements.
Notre abstention d'aujourd'hui signifie tout cela, et aussi l'espoir qu'il nous sera possible, l'an prochain, de la transformer en vote de soutien actif. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Husson.
M. Roger Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 22 février 1996, le chef de l'Etat annonçait la professionnalisation de notre système de défense que confirmaient le Gouvernement et sa majorité, en 1997, ce dont je ne pouvais que me réjouir.
Nous savons tous que l'adaptation de notre outil de défense dépend incontestablement de l'exécution fidèle et intégrale de la loi de programmation militaire pour les années 1997-2002.
Or je constate que le projet de budget pour 1998 ne la respecte pas et ne rend plus réalisable les principaux objectifs reconnus comme indispensables par nos stratégies.
En effet, avec 184,7 milliards de francs, hors pensions, ce projet de budget est en retrait de 3,3 % par rapport au budget de 1997.
Ces 184,7 milliards de francs se répartissent entre le titre III - fonctionnement - et l'ensemble des titres V et VI - équipements - à hauteurs respectives de 103,7 milliards et de 81 milliards de francs.
La loi de programmation militaire pour les années 1997-2002, que j'ai votée en juin 1997, fixait les ressources annuelles de la période à 185 milliards de francs constants 1995, répartis en 99 milliards de francs au titre III et 86 milliards de francs aux titres V et VI.
Or, compte tenu de la dérive des prix, ces références deviennent 193 milliards de francs, dont 103 milliards de francs pour le fonctionnement et 90 milliards de francs pour les équipements.
Alors que, l'année dernière, j'avais pu dire que le budget de 1997, que j'avais d'ailleurs voté, était conforme à la loi de programmation militaire, aujourd'hui, je dois admettre que ce n'est plus le cas pour le projet de budget pour 1998.
Si la dotation inscrite pour le titre III est conforme aux prévisions de la loi de programmation militaire, les dotations inscrites aux titres V et VI, en revanche, sont en retrait de 9 milliards de francs par rapport à ces mêmes prévisions.
A ce stade, deux observations s'imposent.
Premièrement, malgré les engagements pris, ce projet de budget pour 1998 décroche très nettement du niveau des ressources garanti par la loi de programmation militaire et remet de ce fait en cause le modèle d'armée décidée en 1996.
Deuxièmement, la tendance lourde annoncée depuis 1990 d'accroissement de la part du titre III au détriment de celle des titres V et VI se confirme, ce qui se traduit, en volume, sur la période 1990-1998, par une stabilité des dépenses de fonctionnement et par une réduction massive du niveau annuel d'engagement des dépenses en équipement de 40 milliards de francs.
Je voudrais à présent faire rapidement une revue de détail du titre III avant de passer à l'analyse des crédits d'équipements dont la réduction massive sera lourde de conséquences pour l'avenir de nos forces armées.
Que constatons-nous ? Le titre III représente 56,1 % du budget en projet, soit 103,7 milliards de francs contre 102,2 milliards de francs en 1997. Il augmente donc de 1,5 % en francs courants. Mais cette évolution inclut une modification de périmètre. En effet, à périmètre égal, il progresse de 0,2 % par rapport à 1997. En francs constants, le titre III diminue donc de 1 % par rapport à 1997.
Si les rémunérations augmentent et si les crédits de fonctionnement diminuent parallèlement à la réduction du format des armées, il faut rappeler que la limite est atteinte depuis des années déjà sur le plan du fonctionnement et de l'activité des unités militaires ; 669 millions de francs en moins, soit une baisse de 4,37 % par rapport à 1997, ce qui représente un chiffre considérable quand on sait que le coût de fonctionnement d'un régiment est d'environ 50 millions de francs et celui d'une base aérienne, du double.
La situation est particulièrement délicate dans l'armée de l'air, dans l'aéronavale et dans l'ALAT, l'aviation légère de l'armée de terre, où les pilotes ne volent pas les cent quatre-vingts heures réglementaires fixés par le standard OTAN.
De même, les régiments de l'armée de terre maintiendront le nombre de jours de sortie au niveau atteint depuis 1996, c'est-à-dire quatre-vingts jours au lieu des cent jours de manoeuvre jugés nécessaires auparavant.
Quant à l'entretien programmé des matériels, l'EPR, il subira lui aussi une réduction significative : 331 millions de francs en moins, soit moins 15,5 % par rapport à 1997.
En conséquence, d'une part, l'armée de l'air connaîtra une baisse du nombre de ses appareils immédiatement disponibles. On estime à environ vingt-six les avions de combat qui vont rester cloués au sol faute de pièces de rechange ou qui seront cannibalisés pour fournir des pièces détachées.
D'autre part, les infrastructures de l'armée de terre comme de la gendarmerie devront également attendre avant d'être modernisées.
Enfin, la marine sera amenée à maintenir à quai deux bâtiments de surface jusqu'en 1999 - sans doute les Frégates Suffren et Duquesne - et à interrompre le service du porte-hélicoptères Jeanne d'Arc, bâtiment école qui, outre son utilité, est devenu un symbole.
Cette triste revue de détail m'oblige à dire que le titre III n'est pas satisfaisant.
Certes, et je m'en félicite, pour la première fois, le budget inscrit une provision pour les opérations extérieures de faible intensité : 260 millions de francs.
Certes, les rémunérations augmentent; mais, en définitive - mieux vaut le reconnaître franchement - ces coupes sur des titres du budget tels que le fonctionnement et l'entretien remettent en cause non seulement l'entraînement des troupes et leurs capacités opérationnelles, mais encore la sécurité des hommes, qui servent un matériel de moins en moins bien entretenu.
J'en viens maintenant à l'analyse des crédits d'équipements figurant aux titres V et VI.
La deuxième année de la programmation aurait dû se traduire par un titre V et un titre VI de 90 milliards de francs. Or, plafonnés à 81 milliards de francs, ces titres baissent de 8,7 % et, en deux ans, ces crédits auront diminué de 12 milliards de francs par rapport à la loi de programmation militaire, somme correspondant au coût de fabrication du deuxième porte-avions nucléaire qui n'est d'ailleurs toujours pas programmé.
Ces économies envisagées sur les titres V et VI sont donc lourdes de conséquences. Elles vont avoir pour principaux effets, d'abord, de retarder la modernisation de nos forces, ensuite, de réduire les stocks de munitions, et, enfin, de fragiliser notre industrie de défense.
En ce qui concerne la modernisation des forces, certains programmes majeurs vont connaître des décalages dans le temps, opération qui se révèle toujours, à la longue, plus chère. Par ailleurs, nos armées recevront au compte-gouttes des armements qui ne leur permettront pas de disposer de pleines capacités opérationnelles.
Ainsi, dans le domaine nucléaire, en diminution de 33 %, Le Vigilant , troisième sous-marin nucléaire lanceurs d'engins nouvelle génération, SNLE-NG, est retardé d'un an, prélude à l'abandon du quatrième, de même que le programme d'adaptation des SNLE au missile M 51.
Dans le domaine classique, l'armée de terre, s'agissant des blindés, ne recevra l'an prochain que 30 chars Leclerc au lieu des 33 prévus initialement ; au total, ne seront livrés que 400 chars, de quoi équiper 5 régiments en 2015. Je rappelle que l'Allemagne en possède actuellement quinze fois plus et l'Italie cinq fois plus. L'armée de l'air n'a pas commandé un seul avion de combat depuis cinq ans, et aucune commande de Rafale n'est prévue pour 1998. Non seulement, le programme Rafale, dont les crédits sont réduits de près de 20 %, voit son développement quasiment suspendu, mais encore les commandes pluriannuelles, inscrites dans la loi de programmation militaire, sont annulées, compromettant ainsi gravement les chances de succès commercial face à la concurrence étrangère.
S'agissant de la marine, le porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle, armé pour essais au début de l'année 1997, verra son admission au service actif, prévue pour juillet 1999, retardée de trois mois.
Nous n'avons donc actuellement que des avions ayant plus de trente ans d'âge moyen, en dehors desSuper-Etendard modernisés, sans porte-avions performant ; en octobre 1999, nous aurons un porte-avions nucléaire mais sans avions, car la première flottille de douze Rafale marine ne sera constituée qu'en 2002. Cela veut dire que, pendant deux années, notre groupe aéronaval ne pourra pas intervenir dans les zones où la menace aérienne est grave.
M. Emmanuel Hamel. C'est dramatique !
M. Roger Husson. Quant à la gendarmerie, elle connaîtra des retards dans l'informatisation de ses moyens, ce qui aura un impact en termes d'efficacité et de sécurité publique.
Enfin, dans le domaine du renseignement et des moyens de commandement et de communication, l'automatisation des mesures d'accès aux stations Socrate, le réseau interarmées de transmission, sera retardée d'un an.
De même, le SICA, le système d'information et de commandement des armées, moyen de commandement et de contrôle de l'état-major des armées, connaîtra un certain décalage dans son financement.
Le deuxième effet des économies envisagées sur les titres V et VI sera la réduction des stocks de munitions à un niveau très important.
En effet, la réduction drastique des commandes de missiles et de munitions rendra la situation de nos armées dramatique, d'abord parce que ces dernières n'auront plus de stocks de munitions, ensuite parce qu'elles seraient dans l'impossibilité, si le besoin s'en faisait sentir, de reconstituer rapidement des stocks suffisants.
Pour 1998, 190 missiles sol-air Mistral ne seront pas commandés, 2 400 missiles antichar Eryx sont reportés, de même que les commandes de munitions flèches - calibre 120 millimètres - pour le char Leclerc. Quant au MICA, le missile d'interception, de combat et d'autodéfense, qui doit équiper nos Mirage 2000, il voit ses commandes prévues divisées par quatre.
J'en viens au troisième et dernier effet des réductions envisagées sur les titres V et VI : la déstabilisation de notre industrie de défense à l'heure de sa restructuration et des alliances européennes.
En effet, ce secteur sera lui aussi fragilisé par la perte de commandes qu'il croyait acquises, et l'on peut dire que ce projet de budget pour 1998 équivaut, d'une part, à un ralentissement grave des cadences des chaînes industrielles sur les matériels majeurs qui se retrouvent tous décalés, entraînant un chômage partiel, et, d'autre part, à des licenciements certains : 1 milliard de francs de crédits d'équipements correspondant à environ 2 700 emplois, ce sont donc plus de 24 000 emplois qui vont disparaître.
Par ailleurs, il faut savoir que, au sein des industries de défense, la situation la plus délicate est celle des industries qui n'ont pratiquement pas de marché civil, tel le groupe GIAT Industries. Pour ce groupe, l'arrêt ou le report de certains programmes serait catastrophique, son chiffre d'affaires dépendant à plus de 80 % des activités de défense. Alors qu'il est capable de produire 110 chars par an, il n'en fabrique que 33 actuellement et n'en fabriquera, en 1998, que 30. De plus, il ne prévoit pas de retour à l'équilibre avant fin 1999. Quel avenir peut-on alors lui garantir ?
Je ne voudrais pas terminer l'analyse de ce projet de budget pour 1998 sans dire quelques mots sur l'aéromobilité, domaine cher à mon coeur, étant l'élu d'une région - la Lorraine - où se trouve implantée la quatrième division aéromobile, DAM.
En effet, dans votre projet de budget, monsieur le ministre, je constate que 800 millions de francs financeront l'industrialisation de l'hélicoptère de combat Tigre dans ses deux versions - hélicoptère d'appui et de protection et hélicoptère antichar - programme conduit en coopération avec l'Allemagne. Mais le silence du Gouvernement quant aux commandes de série de cet hélicoptère est des plus inquiétants. Les 80 appareils Tigre qui ont fait l'objet d'un accord avec l'Allemagne pour une commande pluriannuelle ferme seront-ils effectivement commandés ?
Je constate également que 460 millions de francs iront au développement de l'hélicoptère de transport NH 90, qui se poursuit malgré un retard de deux années sur le déroulement du programme auquel quatre pays - France, Italie, Allemagne et Pays-Bas - sont associés. Mais n'est-ce pas de nouveau un programme en sursis ?
Certes, les premières livraisons du Tigre demeurent prévues, en principe, pour l'année 2009. Quant à la première livraison du NH 90, elle devrait théoriquement intervenir en 2011.
Toujours est-il qu'avec deux régiments en moins, 1 800 hommes en moins, 172 appareils en moins, l'aviation légère de l'armée de terre, l'ALAT, aura, d'ici à 2002, une aéromobilité qui sera à 30 % de celle de la Grande-Bretagne et à 50 % de celle de l'Espagne.
En conclusion, je dirai, monsieur le ministre, que, face à un tel bilan, ce projet de budget n'est pas à la hauteur des enjeux fixés par la loi de programmation militaire et qu'il l'enterre.
Non seulement votre gouvernement a annulé 5,2 milliards de francs de crédits budgétaires depuis le 9 juillet dernier, mais encore votre budget, adopté par votre majorité le 18 novembre dernier à l'Assemblée nationale, réduit les crédits d'équipement de près de 10 milliards de francs par rapport à la loi de programmation militaire que nous avons votée voilà un an.
L'écart entre les décisions budgétaires gouvernementales et les objectifs votés par l'Assemblée nationale est aujourd'hui irrattrapable. On ne voit pas comment, en 1999, avec l'entrée en vigueur de la troisième phase de l'union monétaire européenne, un redressement budgétaire serait possible.
De plus, je constate qu'il n'y a plus de cohérence entre les mission assignées à nos armées et les moyens qu'elles reçoivent.
Comme je viens de le préciser, ce constat est grave parce qu'il met en cause non seulement l'efficacité de notre outil militaire, mais encore et surtout l'état d'esprit et le moral des armées.
Enfin, à terme - et c'est là le plus terrible - l'armée française, au rythme des coupes budgétaires et des étalements de programmes, ne sera plus en mesure de remplir l'intégralité de ses missions, car elle sera devenue une armée professionnelle, certes bien payée, mais sous-entraînée et dont les matériels seront de moins en moins entretenus. C'est-à-dire qu'elle sera devenue une armée de pays pauvre !
Pour toutes ces raisons, je ne voterai pas, à l'instar du groupe du RPR, ce projet de budget de la défense pour 1998. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en contact presque permanent avec les responsables militaires de l'armée de terre - ne suis-je pas l'élu d'un département situé à proximité du camp de Champagne ? - permettez-moi de vous affirmer que nous pouvons être fiers de la valeur des hommes et femmes qui la composent.
Le droit de réserve étant ô combien respecté, nous avons le devoir réciproque d'échanger nos préoccupations, ce qui me conduit, ce soir, à vous confier les miennes, qui sont le reflet concret des questions qui se posent à nous pour l'avenir de notre armée de terre, une armée qui poursuit ses missions sous quatre contraintes particulièrement lourdes.
La première est celle de la professionnalisation, entraînée par la cessation de la conscription nationale à un horizon désormais proche.
La deuxième concerne la diminution importante des effectifs puisque, d'ici à 2002, les effectifs de l'infanterie auront été réduits de 35 % et ceux de l'arme blindée cavalerie de 23 %. Reconnaissons, toutefois, une faible augmentation, dans le cadre de la « civilianisation » des personnels qui concourent à l'effort de défense mené par l'armée de terre.
Ces missions s'exerceront aussi, troisième contrainte, dans le cadre d'une baisse d'activité générale.
Enfin, même si les crédits de fonctionnement ne semblent pas diminuer dans votre budget, il n'en va pas de même pour les crédits d'investissement.
Cette quadruple contrainte, qui a déjà été évoquée par d'autres orateurs - en particulier par M. le président de la commission des affaires étrangères - me conduit à vous poser une question bien précise, monsieur le ministre : quelles sont les missions de l'armée de terre à l'horizon de cinq ou six ans ?
Bien sûr, l'armée de terre est là pour défendre le pays ; mais cette considération est trop globale.
Bien entendu, il lui appartient de se transformer en fonction de ses capacités de projection outre-mer ou en Afrique, dans n'importe quelle région des Balkans, du Proche-Orient ou du monde où notre participation à l'ONU pourrait nous conduire.
Plus fondamentalement, n'est-il pas aujourd'hui nécessaire, dans le cadre de la construction européenne, d'entamer une réflexion en profondeur sur les missions de défense de la future armée de terre ? Il n'y a plus de menace aux frontières de la France, ni même aux frontières de l'espace de l'OTAN ou de l'espace formé par l'Union économique ; cependant, les foyers de tension prolifèrent non loin de l'Europe : Maghreb, Proche-Orient, etc.
Dans cette situation géostratégique de diminution des tensions, compensée par une augmentation des menaces lointaines, ne convient-il pas, comme vous l'avez déjà évoqué, monsieur le ministre, d'envisager une refonte à mi-parcours de la loi de programmation militaire, notamment pour ce qui concerne les moyens et les missions de l'armée de terre ? A cet égard, un effort de réflexion serait l'occasion d'amorcer une réelle Europe de la défense, en coordonnant les structures et les missions des armées de terre européennes.
Mes réflexions me conduisent aussi à aller plus loin dans le domaine des interrogations. Ainsi, n'est-il pas temps, quelques années après la publication du Livre blanc sur la défense, d'envisager une nouvelle rédaction de ce document, comme d'aucuns l'ont déjà envisagé ? Le contexte général en Europe, que ce soit à l'ouest ou à l'est, mais aussi en Europe balkanique, en Méditerranée, au Proche-Orient, au Causase et dans le golfe Persique, a complètement changé depuis la rédaction de ce document. En outre, la conception même de l'armée française a évolué du fait de la professionnalisation.
Après un reformatage de l'armée, n'est-il pas temps, dans le cadre d'une double démarche officielle de réécriture de la loi de programmation militaire à mi-parcours et de réécriture d'un Livre blanc , de fixer pour le moyen terme les missions stables de l'armée de terre ?
Permettez-moi de conclure, monsieur le ministre, en vous renouvelant mon invitation à venir sur le terrain. Ce serait, pour nos militaires comme pour moi, un gage de confiance très apprécié, d'autant que notre région, il faut le reconnaître, est privilégiée par la restructuration et la professionnalisation.
Telles sont, ce soir, monsieur le ministre, les interrogations que je tenais à vous soumettre à l'occasion de l'examen de votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos portera sur l'inquiétude que m'inspirent les dotations budgétaires pour 1998 du budget de la défense, en particulier en matière de dissuasion.
Nous avions cru comprendre que la loi de programmation militaire était l'aboutissement d'une réflexion approfondie, d'une vision politique de ce que devait être la défense de la France dans le contexte géopolitique actuel, aboutissant à un nouveau modèle d'armée, un nouveau style de défense, plus efficace et moins coûteux.
Les programmes, on le sait, avaient été calculés au plus juste, toute diminution budgétaire ou tout retard pouvant avoir des conséquences considérables se répercutant des années après, alors qu'il serait trop tard pour réagir. Et, à ce titre, il importe, en particulier, que soit respectée la programmation 1997-2000, qui constitue la première étape de la loi.
Or si, en 1997, les crédits votés ont respecté la programmation, dans le projet de budget pour 1998, les ressources affectées à la dissuasion nucléaire sont inférieures de plus de 2 milliards de francs à celles de 1997 et représentent près de 13 % de moins par rapport aux prévisions pour 1998 de la loi, avec un impact des réductions de crédits plus fort sur le nucléaire que sur le reste du budget de la défense.
J'ai relevé ces chiffres dans l'excellent rapport de notre collègue Jean Faure, qui constate lui-même que ce projet de budget représente une nette rupture avec l'échéancier de la loi de programmation.
Avec la prévention, devenue prioritaire, la projection, qui utilise la majeure partie des moyens des forces classiques, et la protection, liée au concept de « sécurité intérieure », la dissuasion constitue la clef de voûte des quatre grands axes de notre force stratégique. Le Président de la République, M. Chirac, l'a qualifiée lui-même de « pilier » de notre stratégie de défense.
La dissuasion nucléaire reste donc l'élément fondamental de notre stratégie, mais c'est une notion dont l'opinion publique a une approche assez vague, voire contradictoire.
Conçue à l'origine dans le contexte de la guerre froide entre les deux grands blocs Etat-Unis et URSS, les données de la dissuasion étaient relativement claires.
La France, située aux avant-postes de l'Europe occidentale avec sa longue façade atlantique, risquait d'être le premier champ de bataille, livré à une terrible destruction en cas de conflit déclaré.
Ce fut la vision du général de Gaulle, soucieux de protéger notre territoire et les intérêts vitaux du pays, ainsi que notre indépendance nationale. C'est ce qui engendra le concept, puis la mise en oeuvre de la dissuasion.
Dans un premier temps, il s'agissait donc d'une sorte d'équilibre de la terreur pour maintenir la paix, ce qui était l'essentiel, aucun Etat n'ayant intérêt à attaquer un territoire du fait du risque qu'il encourrait alors.
La chute du mur de Berlin, l'effondrement de la Russie soviétique, la disparition du pacte de Varsovie ont fondamentalement bouleversé ces équilibres. Il n'y a plus d'antagonisme Est-Ouest, mais le monde n'a jamais été aussi dangereux.
En effet, le nombre des puissances nucléaires s'est multiplié : quarante-quatre Etats disposent de capacités nucléaires industrielles ou de recherche, dont les cinq grandes puissances déclarées, Etats-Unis, Russie, France, Angleterre, Chine, et les trois Etat dits du « seuil », l'Inde, le Pakistan et Israël.
Certes, il n'est pas douteux que nous nous trouvions dans un contexte de désarmement nucléaire marqué par les traités START I et START II, le traité de non-prolifération et le CTBT, signé par la France mais non encore en vigueur et qui concerne l'interdiction complète des essais.
Il n'en demeure pas moins qu'aucune des grandes puissances n'abandonne ses capacités nucléaires. J'en veux pour preuve les éléments suivants : les Etats-Unis, la Russie et la Chine ont conservé leurs sites d'essais, alors qu'avec la fermeture du centre d'essai du Pacifique nous n'avons plus aucune capacité matérielle d'expérimentation, d'où, pour nous, l'impérieuse nécessité de développer le programme de simulation.
De plus, les Etats-Unis investissent dans la recherche fondamentale, la supériorité technologique étant pour eux une priorité permanente : la Russie maintient son niveau technologique, la Chine développe des programmes majeurs pour se doter de propulseurs et d'une force statégique, le Japon est en mesure de fabriquer l'arme nucléaire. sans compter les alliances possibles de pays moins avancés, toujours avides de trouver des armes plus efficaces.
Quant à la France, la modification du contexte géostratégique l'a conduite à modifier et diminuer le nombre des composantes de sa dissuasion nucléaire.
Nous devons donc développer un programme de simulation, moyen nécessaire pour pérenniser notre capacité de dissuasion nucléaire et sur lequel reposent désormais entièrement, en l'absence d'essais, la garantie de la fiabilité et de la sûreté des armes actuelles et à venir.
L'enjeu est énorme, d'autant que les nouvelles générations de chercheurs et d'ingénieurs n'auront jamais été confrontées aux essais en grandeur réelle.
On le constate, le nucléaire est devenu une donnée de fait mondiale « incontournable », non seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan civil, liée à une demande sans cesse croissante d'énergie. Or, on le sait, la demande d'énergie nucléaire civile peut déboucher, pour certains pays, sur une utilisation militaire, d'où la nécessité de prévenir et de contrôler au maximum cet usage.
On le voit bien, la vigilance continue de s'imposer. Les deux composantes « complémentaires » et « modernisées » de notre force de dissuasion, la composante aéroportée et les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, les SNLE, doivent être capables de faire face, dans des conditions optimales sur le plan de l'efficacité, mais minimales sur le plan budgétaire. C'était bien ce seuil incompressible de dépenses que fixait la loi de programmation militaire, seuil en dessous duquel nous descendons de près de 13 % dans le projet de budget de 1998. Or, monsieur le ministre, vous le savez, plus l'on réduit les budgets, plus il faut être ferme sur les grands choix.
J'insisterai tout particulièrement sur un domaine qui m'est plus familier que la composante aéroportée, à savoir les sous-marins nucléaires, piliers de la FOST, la force océanique stratégique, qui sont, à l'heure actuelle, la pièce maîtresse opérationnelle de notre dissuasion.
Il faut bien reconnaître que le nucléaire a ses contraintes propres, qui sont le temps, car le nucléaire s'inscrit dans la durée, et le poids des investissements et des ressources humaines.
S'il est possible de créer et d'entraîner un régiment de parachutistes en deux ans, l'arme nucléaire nécessite, en revanche, un niveau élevé de connaissances et des compétences, un entraînement spécifique et, en ce qui concerne les sous-marins nucléaires, un environnement opérationnel. C'est une question de cohérence des moyens.
La loi de programmation militaire prévoit que la FOST doit impérativement disposer, en parc, d'un nombre minimal de quatre SNLE de nouvelle génération, c'est-à-dire dotés de hautes facultés de discrétion et d'indétectabilité, pour être capable d'assurer en permanence, à coup sûr, la présence de deux sous-marins à la mer, si nécessaire.
Or, actuellement, nous disposons de quatre SNLE, dont l'un sera prochainement désarmé, et d'un seul sous-marin de nouvelle génération, le Triomphant , qui devra être suivi du Téméraire en 1999 et du Vigilant en 2003, le quatrième, prévu pour 2007, n'étant toujours pas commandé, hélas ! Il s'agit d'un grave souci.
Il faut bien avoir présent à l'esprit le fait que c'est seulement dans un délai de cinq à dix ans que nous subirons, sur le plan de notre stratégie de défense, les conséquences de tous les engagements pris aujourd'hui.
En revanche, les conséquences industrielles et sociales sont visibles dès maintenant, et se traduisent, d'une part, par des pertes d'emplois dues aux nécessaires restructurations de notre industrie d'armement, en l'occurrence les directions des constructions navales, les DCN, GIAT Industrie et leurs entreprises sous-traitantes, et, d'autre part, par un manque de lisibilité, s'agissant de la baisse des crédits d'équipement, pour les industriels qui ont besoin d'établir des prévisions à moyen terme.
En bref, l'exigence conjointe d'un nombre minimal de sous-marins à la mer pour que ceux-ci soient opérationnels, que l'on appelle la « posture », et d'un allongement excessif des durées d'exécution dû à différents facteurs coûte très cher, comme l'a souligné la Cour des comptes. On estime ainsi que le coût global de mise en oeuvre pour quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération équivaudra au coût initialement prévu pour six ! Mais rappelons-nous aussi que les errements du Crédit lyonnais coûtent aux contribuables l'équivalent de la construction d'une bonne dizaine de sous-marins nucléaires ou de porte-avions du type du Charles-de-Gaulle .
M. Jean-François Le Grand. Très bien !
Mme Anne Heinis. De plus, prolonger la vie des sous-marins de la génération précédente, comme le propose le Gouvernement, contribue à augmenter les coûts. En effet, les SNLE de nouvelle génération sont profondément différents des anciens, ne serait-ce que sur les plans du carénage, de la maintenance et de la formation des équipages, dont seulement 10 % est commune. En outre, il est bien évident que les équipages doivent être doublés.
Tout cela affaiblit considérablement notre capacité de dissuasion et sa crédibilité.
Or, sur le plan de la dissuasion, M. le Premier ministre s'est prononcé : « La France ne révoque pas l'efficacité immédiate des armes nucléaires comme facteur de stabilité internationale et élément de sa propre sécurité... Articulée autour de deux composantes modernisées, notre force de dissuasion sera maintenue au meilleur niveau technologique, avec notamment la mise en oeuvre progressive des sous-marins de nouvelle génération. »
Mais le Gouvernement a-t-il bien mesuré le fait que le projet de budget de la défense pour 1998 menace de rompre l'équilibre de la programmation militaire, notamment en matière de dissuasion nucléaire ? Et s'il venait à confirmer en 1999 le recul imposé en 1998, c'est l'existence même de programmes majeurs qui serait alors menacée.
Il faut être bien conscient du fait que l'abandon de la dissuasion implique le changement de la nature des objectifs et le renoncement à une défense. Toucher au pilier central d'un système, c'est prendre les plus grands risques de le désintégrer, et obliger à des choix fondamentaux qu'il faut reconstruire. Peut-on dire que l'on opte pour une dissuasion nucléaire réelle et crédible, alors que l'on « sabre » les crédits de près de 13 %, au lieu du 1,4 % prévu par la loi et considéré comme un plancher absolu ?
On peut « sabrer » quand on a un grand choix, comme c'est le cas des Etats-Unis, qui passent d'environ cent à quarante sous-marins nucléaires d'attaque et de vingt à quinze SNLE, mais on ne peut pas le faire quand on est à la limite, comme nous, sous peine de risque d'effondrement.
La question fondamentale de la sécurité future de la France est là.
Abandonner la dissuasion signifie renoncer à notre sécurité et nous en remettre totalement à nos alliés d'aujourd'hui. Mais ceux-ci seront-ils toujours à nos côtés ? Les intérêts des uns peuvent contredire ceux des autres. L'histoire est, hélas ! pleine de rebondissements de ce genre. La Grande-Bretagne elle-même émet des réserves fermes sur ce point vis-à-vis de l'OTAN.
Par ailleurs, notre dissuasion contribue déjà à la dissuasion globale de l'Alliance atlantique et elle est appelée, il faut l'espérer, à revêtir une dimension européenne accrue. Quel poids aurons-nous en Europe si nous l'abandonnons, alors que la création, en novembre 1996, de l'OCCRA, organisation conjointe en matière d'armement entre l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni, constitue déjà un pas positif dans le sens d'une défense commune, en attendant que le concept de dissuasion concertée fasse son chemin peu à peu, même si l'on sait, compte tenu des obstacles, que ce sera long ?
Et si l'Europe réussit son union monétaire, il faudra bien qu'elle construise une puissance militaire commune, face à la double puissance monétaire et militaire des Etats-Unis. Sinon, elle sera dominée. Voyez, à cet égard, l'exemple de la Yougoslavie.
Tels sont, monsieur le ministre, les quelques points sur lesquels je souhaitais attirer votre attention. Il y a plus de questions que de réponses, et elles engagent l'avenir de notre pays, sa sécurité, son rang au sein des grandes puissances.
En conséquence, ce sont les incertitudes qui pèsent sur ces réponses et la gravité de ce qu'elles engagent qui font que, à mon regret, je ne pourrai pas voter votre projet de budget. En cela, je suis l'avis émis par la commission et son président, M. de Villepin. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Biarnès.
M. Pierre Biarnès. Monsieur le ministre, depuis des années, à l'occasion de l'examen des crédits du ministère de la défense, les représentants des différents secteurs concernés par la défense nationale jouent la même pastorale, comme des santons de la crèche provençale. (Sourires.) Aucun ne sort de son rôle immuable.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Ce sont les Géorgiques , c'est le retour des saisons !
M. Pierre Biarnès. Je suis moi-même bucolique !
Affichant un grand calme et une profonde conviction, le ministre assure aux représentants de la nation qu'en dépit de nouvelles amputations de crédits les grands objectifs fixés par la dernière en date des lois de programmation, elle-même en baisse sensible par rapport à la précédente, sont bien maintenus et seront bien atteints, au prix, tout au plus, de quelques nouveaux retards. Se faisant les porte-parole à la fois de la gent militaire la plus galonnée, des patrons de nos industries d'armement et des salariés de celles-ci, les élus du peuple, tous partis politiques confondus, font alors savoir au représentant du Gouvernement qu'ils doutent fort de la sincérité de ses propos. Ils exigent des garanties. On leur en donne sans barguigner, puisque les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. Fin de la représentation, à l'an prochain ! (Sourires.)
Plutôt que de me livrer à mon tour à ce petit jeu, je voudrais, monsieur le ministre, mes chers collègues, poser une toute autre question. Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il est grand temps de se demander si ces objectifs que notre pays s'est fixés voilà dix à quinze ans, dans un certain climat historique, pour équiper ses forces d'une nouvelle génération d'armements, mais que nous avons le plus grand mal à atteindre, sont bien conformes encore aux intérêts de notre défense et de notre sécurité, dans un monde dont les données géostratégiques ont, depuis, considérablement changé ?
Dans la décennie qui a suivi la guerre d'Algérie, la France, à peu près définitivement débarrassée de ses anciens engagements coloniaux, s'était enfin dotée, sous l'impulsion du général de Gaulle, d'une armée « moderne », apte à tenir son rang dans le conflit Est-Ouest alors dominant tout en préservant, le plus largement possible, son autonomie décisionnelle et opérationnelle par rapport à ses alliés, au premier rang desquels les Américains.
Tout en accordant une priorité absolue à la construction d'une force de dissuasion nucléaire nationale, elle s'était attachée, en même temps, à mettre en oeuvre, simultanément, toute une série de grands programmes d'armement conçus quelques années plus tôt, sous la Quatrième République, comme la bombe atomique elle-même, dont la construction fut décidée par Pierre Mendès-France, mais qui, pour la plupart, avaient été laissés juque-là dans leurs cartons : le porte-avions Clemenceau , les sous-marins nucléaires lance-engins de première génération, les avions de combat Jaguar et Mirage, les avions de transport Transall, les chars AMX...
Aujourd'hui, tous ces armements sont encore en service, mais ils sont plus ou moins frappés d'obsolescence, et il faut donc, a priori, les remplacer. D'où les nouveaux programmes lancés voilà quelque dix ans et qui aboutiront d'ici à la fin du siècle ou à peu après : le porte-avions à propulsion nucléaire Charles-de-Gaulle , les sous-marins nucléaires lance-engins de seconde génération du type Triomphant , l'avion de combat Rafale, le char Leclerc, entre autres matériels, à quoi on peut ajouter l'hélicoptère franco-allemand Tigre.
Autant de programmes dont la réalisation est extrêmement onéreuse et à la limite de nos possibilités, pour ne pas parler du coût nucléaire maintenu, alors que, cependant, il apparaît que, pour faire face aux conflits de type nouveau qui résultent du présent contexte géostratégique international, il faudrait que l'on développe aussi, et même prioritairement désormais, d'autres programmes encore plus coûteux, dans les domaines, essentiels à présent, de la surveillance militaire spatiale, de l'aérotransport pour la projection de forces à moyenne et à longue distances, des nouvelles armes de frappe de précision de longue et de très longue portée notamment.
Mais, pour réaliser ces armements du futur, un futur presque immédiat, notre pays n'a pas beaucoup d'argent, presque tous nos deniers restant mobilisés par la poursuite de la fabrication des chars et des avions de la « guerre froide » qui, pour nous, apparemment, n'est toujours pas terminée. Seules des avancées décisives et rapides dans la mise en place de l'Europe de la défense et de l'armement pourront permettre à la France de sortir de cet impasse dans laquelle elle se trouve. Or c'est là, précisément, que les Américains, qui n'ont pour objectif que de préserver leur prééminence sur le vieux continent, nous attendent.
Pendant que nous nous épuisons à produire, seuls qui plus est, le Leclerc ou le Rafale - qui ont été conçus, dans un contexte géostratégique qui n'existe plus, pour repousser juqu'à l'Oural les forces d'un camp socialiste aujourd'hui disparu - les Américains, eux débauchent méthodiquement nos partenaires européens potentiels dans le domaine crucial des nouveaux armements : ainsi, les Allemands, pour les programmes satellitaires Helios et Horus, que nos voisins d'outre-Rhin sont de plus en plus tentés de nous laisser sur les bras.
Il est à craindre qu'à force de vouloir se doter tout seul d'une gamme complète de matériels exclusivement tricolores, à excommunier tout le monde, à s'isoler de tout le monde la France ne devienne un jour - oh ! j'exagère - l'Albanie de l'armement.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Tout de même !
M. Pierre Biarnès. Jusqu'à quand, sous les prétextes apparemment les plus louables, mais, en fait, pas toujours très raisonnables, comme celui de vouloir sauver à tout prix des bassins d'emploi qu'il serait plus facile, en tout cas plus intelligent, de s'attacher à reconvertir, plutôt que de les transformer en « ateliers nationaux », jusqu'à quand, donc, continuerons-nous à préparer la guerre de demain en nous dotant des armements de celle d'hier ?
« Faute de savoir ce qu'il fallait faire à présent, ils se contentaient de continuer à faire ce qu'ils savaient », a dit un jour le maréchal de Saxe. Je suis convaincu, monsieur le ministre, que vous aurez à coeur de nous démontrer, dans les mois qui viennent, que, vous, vous ne relevez pas de cette formule. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est M. Le Grand.
M. Jean-François Le Grand. Monsieur le ministre, si les crédits de votre ministère reculent sur la plupart des chapitres, je m'inquiète plus particulièrement de la modification de la structure budgétaire de la Direction des constructions navales, la DCN.
La première modification consiste à séparer des activités de la DCN ses activités, dites étatiques, de conception et de pilotage des programmes, désormais confiées à la Délégation générale pour l'armement.
La deuxième a trait à l'enveloppe de 150 millions de francs inscrits au titre V pour alimenter le fonds d'adaptation industrielle consacré à la restructuration de la DCN. Si l'on compare les crédits inscrits dans le budget pour 1997 et ceux qui étaient attendus dans le cadre de la deuxième annuité de la loi de programmation au titre V, il manque 2,117 milliards de francs.
Ce que vous qualifiez de « simple encoche », monsieur le ministre, aura des conséquences graves. Elles sont même difficilement mesurables aujourd'hui.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je n'ai jamais employé cette expression !
M. Jean-François Le Grand. Alors, je l'ai lue !
Vous amputez le titre V et vous réduisez le titre III. M. René Galy-Dejean vous a dit à l'Assemblée nationale : « La marine devra gérer l'impossible. » Je reprends cette affirmation à mon compte.
Que propose le Gouvernement aujourd'hui pour assurer l'avenir des constructions navales ? Il envisage un rapprochement avec les chantiers navals britanniques, allemands ou italiens. Il s'agit là d'une bonne intention, mais à quel prix cela se fera-t-il ?
Vous allez devoir réorganiser la DCN pour remédier à une insuffisance de productivité, insuffisance illustrée par les chiffres d'affaires annuels et par personne réalisés en 1996. A titre d'exemple, cela représente 660 000 francs par an et par personne, contre 1 million de francs pour l'ensemble de l'industrie de défense française, et 1,1 million de francs pour les chantiers navals de l'Atlantique.
Si l'on compare avec nos amis européens, il s'agit alors de 1,7 million de francs pour l'Allemagne et de 900 000 francs pour les chantiers navals militaires anglais.
La perspective à court terme est inquiétante. En trois ans, les arsenaux auront perdu le cinquième de leurs heures de travail. Leur activité chutera d'environ 40 % dans les cinq années qui viennent. D'ici à 2002, les suppressions d'emplois à la DCN pourraient toucher le tiers des effectifs actuels.
Quel est donc, dans cette situation, l'avenir de l'arsenal de Cherbourg ? J'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous donniez des précisions sur cet arsenal. Face à ces perspectives sombres, je m'inquiète des propos rassurants qui ont été tenus par le député de Cherbourg, député de votre majorité, et qui faisaient presque croire que le fait d'avoir voté votre budget était une sorte d'assurance sur l'avenir.
Vous permettrez aux trois sénateurs de la Manche d'être légèrement plus circonspects, même si je lisais cet après-midi dans le journal Le Monde que le Gouvernement voulait impulser une nouvelle dynamique à la délégation interministérielle aux restructurations de la défense.
Comme le plan Laignel annoncé à grand fracas voilà quelques années, en dépit de l'enveloppe de restructurations inscrite au titre V, je crains que cette intention ne rejoigne la cohorte des voeux inexaucés.
D'une manière générale, il serait coupable, monsieur le ministre, de priver notre pays d'un excellent outil industriel et d'un savoir-faire remarquable.
Le monde n'est certes plus bipolarisé, mais il est déjà multipolarisé. Si la forme des conflits évolue, elle nécessite une adaptation de nos forces armées. La force de dissuation, dont vient de parler brillamment notre collègue Anne Heinis et sur laquelle je ne reviendrai pas, doit moins que jamais perdre de sa puissance et de sa valeur. Entamer sa crédibilité la réduirait à néant. Pénaliser la marine, c'est discréditer la force de dissuasion.
Enfin, monsieur le ministre, à Ottawa, le gouvernement français vient de signer avec 122 autres pays un traité de non-prolifération et de non-utilisation des mines antipersonnel. Soyez-en félicité.
Toutefois, à Ottawa, certains grands pays n'ont pas ratifié ce traité. Quelle sera donc l'attitude du Gouvernement à l'égard de la Russie, de la Chine ou des Etats-Unis, par exemple ? Votre réponse nous intéressera tous, y compris nos concitoyens, car il s'agit d'un problème majeur de notre société. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Bergé-Lavigne.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Mon intervention sera brève et ciblée.
Monsieur le ministre, nouveau ministre de la défense, vous avez hérité, entre autres dossiers difficiles, de celui de la restructuration de l'industrie aéronautique et spatiale européenne, restructuration rendue nécessaire par les concentrations entreprises aux Etats-Unis.
A Weimar, le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé la constitution de la future société euroépenne Airbus au 1er janvier 1999. C'est demain.
La force des géants américains procède de plusieurs propriétés : leur taille, leur présence sur tous les marchés, l'association du civil et du militaire.
Pour l'industrie européenne, les deux premières caractéristiques peuvent constituer des défis pour l'avenir et sont déjà en bonne voie. Mais l'association du civil et du militaire en France reste à faire.
Alors que nos partenaires British Aerospace, BAE, et Deutsche Aerospace, DASA, ont à la fois des activités civiles et militaires, en France, si l'on considère seulement la branche avion, prodigues, nous avons deux groupes : Aérospatiale, qui produit les avions civils, et Dassault, qui produit les avions militaires.
Aérospatiale, groupe public, rembourse scrupuleusement les avances que lui fait l'Etat. Dassault, entreprise familiale privée, reçoit pour les programmes militaires des aides de l'Etat qui, on peut le dire, et c'est un euphémisme, ont bien contribué à la bonne santé de l'entreprise !
Si l'on considère la seule année 1996, Dassault Aviation a doublé ses bénéfices et prévoit un chiffre d'affaires en hausse de plus de 50 % en 1997, et ce grâce au début de la livraison de soixante Mirage 2000 à Taïwan.
Alors que des négociations dures et difficiles se mènent pour parvenir à former ce grand groupe européen de l'aéronautique et de l'espace, que chaque pays veille jalousement à la défense de ses intérêts et de ses emplois, la France, pour être plus forte, devrait présenter un front uni.
Du fait de la mauvaise volonté d'un industriel qui fait passer ses intérêts propres avant ceux de son pays, nous allons à la bataille en ordre dispersé, modernes Horaces et Curiaces ; vous savez, monsieur le ministre, ce qu'il advint de ces derniers.
Il n'est plus acceptable que M. Dassault, au nom de ses intérêts bien compris, continue de bloquer à lui seul le processus de restructuration de notre industrie aéronautique. Alors qu'il reçoit des aides de l'Etat, il n'est plus acceptable qu'il se répande sur les médias en déclarant qu'il préférait « être petit et gagner de l'argent » plutôt que de s'intégrer à un grand groupe dont il n'aurait pas le contrôle.
L'Etat possède 47 % environ des actions de Dassault. Il serait peut-être temps, monsieur le ministre, de rapatrier celles-ci vers Aérospatiale, et de donner ainsi un signe fort utile et même indispensable à la restructuration nécessaire de notre industrie aéronautique nationale avant de partir vers le grand large de la société européenne.
J'aimerais, monsieur le ministre, avoir votre sentiment sur cette question urgente.
J'aurais beaucoup à dire évidemment sur cette restructuration annoncée, sur les conditions, les évaluations, les garanties en emplois, en retours industriels, ainsi que sur les inquiétudes des personnels de l'aéronautique qui aiment leur entreprise, qui sont fiers de leur savoir-faire et de leurs avions, et qui s'interrogent sur leur avenir, mais les quelques minutes qui m'étaient imparties ne m'en laissent pas le temps.
Quoi qu'il en soit, je ne doute pas, monsieur le ministre, que vous et l'équipe gouvernementale ménerez à bien ce dossier difficile, comme vous avez réussi la constitution du pôle français de l'électronique. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. En m'exprimant à la fin de ce débat, je veux commencer, bien sûr, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, par remercier tous ceux qui y ont contribué, car, dans leur diversité, ils ont, je crois, exprimé l'ensemble des préoccupations et des visions d'avenir qui doivent guider notre politique de défense.
Bien sûr, dans ce dialogue de qualité et de responsabilité, j'ai retrouvé la satisfaction que j'éprouvais quand je siégeais parmi vous.
Le vote du budget est une responsabilité majeure de la vie démocratique. C'est dans les fondements de la démocratie que s'est créé le consentement des représentants du peuple à l'attribution des crédits publics. A plus forte raison, au moment de se prononcer sur les crédits de la défense, chacun mesure bien la charge de signification politique que comporte une telle appréciation.
Le contexte dans lequel nous nous situons fait, je le sais, que la majorité du Sénat, avant même que s'ouvre ce débat, a arrêté sa résolution de voter contre ce projet de budget. Cela a été exprimé avec une grande franchise par les orateurs des groupes qui s'apparentent à l'opposition nationale, et cela a également été exprimé, avec un argumentaire de qualité, par la plupart des rapporteurs des commissions.
Il s'agit là d'une manifestation de désaccord politique qui est parfaitement légitime et qui est un effet de l'alternance qu'ont choisie les Français quand le chef de l'Etat leur a demandé de déterminer une majorité gouvernementale.
Je respecte cette attitude qui est dans la nature même du bicaméralisme. J'ajoute que les alternances successives que nous avons été amenés à vivre au cours des deux dernières décennies - puisque cela correspond à la période que j'ai moi-même passée dans la vie parlementaire - permettent à chacun de relativiser ce qu'il peut y avoir d'un peu anguleux dans l'expression de certains désaccords. Il est inévitable, nous en avons, chacun à notre tour, fait l'expérience, que telle ou telle insuffisance ou tel ou tel changement de direction donne lieu à de simples observations retenues lorsqu'elles émanent d'un gouvernement que nous soutenons et, évidemment, à des affirmations plus péremptoires lorsqu'elles résultent de l'action d'un gouvernement que nous combattons.
J'évoquerai, bien sûr, ces divergences en certains points de mon exposé, et je m'efforcerai de relever ce qui me paraît contestable ou découler de constats qui ne seraient pas tout à fait exacts. Evidemment, je ne pourrai répondre à toutes les remarques, vous voudrez bien m'en excuser, mesdames, messieurs les sénateurs.
C'est en partant des éléments qui ont fait l'objet du débat, sinon dans une approche consensuelle du moins dans un souci commun de crédibilité, que je vais exposer les fondements de la politique de défense du Gouvernement.
Je me sens d'autant plus fondé à le faire que ce débat a apporté des éléments positifs, dignes d'être enregistrés et exploités, à notre réflexion commune sur l'avenir de notre défense.
Je tiens à remercier tous les orateurs pour leurs interventions de grande qualité et, parmi eux, bien entendu, M. le rapporteur spécial, MM. les rapporteurs pour avis et, bien évidemment, M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Xavier de Villepin.
Je présenterai tout d'abord la relation qui existe entre les choix de politique de défense que sert le budget et les fondements politiques de nos orientations de défense. Je remercie en particulier le président de Villepin, MM. Vigouroux, Biarnès et Delanoë d'avoir versé certains de ces éléments de réflexion dans le débat.
La situation stratégique s'est modifiée voilà huit ou neuf ans. Le risque de conflit majeur au centre de l'Europe a disparu, la confrontation des deux blocs est maintenant derrière nous. Il est vrai que de nombreux éléments du paysage politique européen apparaissent stabilisés et rassurants : la Russie s'installe, avec des secousses, dans la démocratie, retrouve la voie du développement économique et noue de nouveaux rapports avec le reste de l'Europe. Le conseil conjoint OTAN-Russie, auquel je participais avant-hier, est significatif de la profondeur de cette évolution. Déjà, trois pays membres, voilà moins de dix ans, du Pacte de Varsovie ont conclu l'accord de base permettant leur intégration à l'Alliance atlantique. Toutefois, la péninsule balkanique en l'un de ses pays, connaît un conflit ouvert, avec tous les risques d'instabilité que cela peut entraîner pour les autres. Plusieurs interventions armées y ont été nécessaires au cours de cette décennie, interventions auquelles la France a participé chaque fois.
Le pourtour méditerranéen, qui nous est, bien sûr, proche par de multiples liens, reste instable, secoué par des divisions et des drames. Nous savons tous qu'il est une des origines à partir desquelles notre pays peut être - et est parfois - touché par la menace terroriste.
Allons plus loin : l'Asie est aussi une zone où des conflits restent possibles.
Bien sûr, nous nous sentons plus distants de ces enjeux. Mais la France est l'un des pays au monde qui pense avoir un message à délivrer, ainsi que des intérêts et des principes à défendre au-delà de son environnement immédiat. La France n'est pas qu'une puissance régionale, et c'est ce qui fait la différence entre son approche de la politique de défense et celle de beaucoup d'autres pays de taille et de moyens comparables.
Chacun voit bien, sur un plan géopolitique général, que l'Asie est un continent en croissance, dont l'influence mondiale est en constant développement. Il serait donc imprudent de penser que les enjeux de sécurité et de stabilité de l'Asie resteront secondaires pour nous. Elle est en train de prendre une place centrale dans le développement économique mondial.
Ce déplacement stratégique, qui se mesure dans l'économie, existera aussi demain dans les enjeux de défense. Malgré le dynamisme profond de l'Asie en développement, la fragilité de ses équilibres économiques et sociaux doit nous inciter à la vigilance et nous engager à nous intéresser de plus en plus à ce qui se passe sur ce continent.
En me limitant à de brefs rappels sur ces enjeux stratégiques, je voudrais souligner l'inquiétude que représente pour la France, compte tenu de son souci profond de la stabilité et de la coopération entre les peuples dans une ambiance pacifique, le risque de prolifération des armes de destruction massive. Cela ne concerne pas seulement les armes nucléaires, dont Mme Heinis a fait une analyse pertinente, mais concerne également les armes chimiques et biologiques.
Il faut ajouter, et cela rejoint une partie des réflexions originales énoncées par M. Biarnès tout à l'heure, que ce contexte est encore largement changeant.
Certes, un grand tournant stratégique a été pris au début de cette décennie mais, depuis lors, nous ne sommes pas restés dans une ligne droite. Il est de notre devoir de demeurer attentifs aux mouvements et mutations qui continuent de se produire.
Je rejoins tout à fait la recommandation formulée par M. Delanoë quant au souci d'écoute et d'innovation stratégique qui doit nous animer pour soutenir les moyens intellectuels de réflexion et d'information que détient notre pays.
Dans ce contexte général, la France maintient ses grands engagements de solidarité. Elle participe à l'Alliance atlantique. Elle a débattu, avec ses partenaires, de l'évolution et de la modernisation de cette Alliance. Elle a contribué, me semble-t-il, à accompagner la réflexion de ses alliés intégrés à l'organisation militaire commune sur l'allégement et l'assouplissement de cette organisation, réflexion en partie inspirée par la modernisation que la France a accomplie sur son propre outil de défense.
Après une évaluation à laquelle s'est livré le chef de l'Etat dans sa mission éminente, la France a estimé - c'est la position de l'ensemble des pouvoirs publics - que les conditions n'étaient pas réunies pour qu'elle s'intègre dans l'organisation militaire de l'Alliance.
En revanche, son partenariat politique est entier. Les mécanismes de sa coopération avec l'Alliance ont été éprouvés, en particulier sur le théâtre bosniaque.
La formule que nous avons trouvée avec nos alliés - ils nous en ont remercié, parce qu'ils pensent que la participation de la France aux activités nouvelles de l'Alliance est importante - marque une progression qui respecte nos principes d'indépendance et nous permet d'être associés efficacement à nombre d'activités.
Parmi nos partenariats stratégiques importants, il faut citer nos engagements avec nos partenaires africains francophones. Les accords qui nous lient à eux sont profonds et solides. Ils participent au sentiment d'un destin commun que nous éprouvons les uns et aux autres.
Il est logique, le temps passant, que les méthodes de ces partenariats de défense se modernisent, dans la fidélité à nos engagements. C'est également le cas du dispositif de coopération, qui porte encore parfois - et c'est significatif d'un passé - le terme d'assistance militaire auprès de nos amis africains ; cela doit changer. Notre dispositif militaire prépositionné en Afrique connaît une évolution qui a été réfléchie et entreprise avant l'entrée en fonction de ce gouvernement.
Notre capacité de maintien de la paix et de soutien à nos alliés est conservée avec un peu moins de 6 000 hommes, contre 8 000 hommes précédemment, dans un concept d'aide militaire qui datait des années soixante-dix.
Nous essayons - et je crois que les dialogues que nous poursuivons avec nos partenaires africains à cet égard sont constructifs - de développer un sentiment de responsabilité commune multilatérale chez nos amis africains quant au maintien de la paix dans leur région. Nous soutenons leurs efforts pour organiser, lorsque c'est nécessaire, des interventions en commun de rétablissement de la paix ou de gestion de crise. Ainsi, cela a été une expérience constructive lorsque, à Bangui, après des troubles intérieurs, une mission interafricaine de surveillance des accords s'est mise en place avec le soutien logistique de la France, en plein accord politique avec elle. Mais nous étions très nettement au second plan et les Africains assumaient la responsabilité à la fois politique et militaire de l'opération. C'est un bon précédent. Nous n'éprouvons aucun sentiment d'exclusivité, ce qui nous amène à dialoguer, sur le plan politique, avec nos partenaires britanniques et américains, membres, comme nous, du Conseil de sécurité à titre permanent, pour soutenir cette nouvelle organisation interafricaine de maintien de la paix.
Bien sûr, dans la recherche de convergence qui guide la politique de défense de la France, la volonté de mise en commun des responsabilités entre Européens détient une place centrale.
Certes, comme l'a rappelé tout à l'heure M. Vigouroux, avec beaucoup de pertinence, les progrès purement politiques de mise en commun des responsabilités de défense sont lents.
Toutefois, et ce n'est pas au Sénat que j'aurai besoin d'insister sur ce point, il ne faut pas, en matière d'Europe de la défense, adopter une attitude mythologique. L'Europe n'est pas encore une entité compacte de politiques internationales. La mise en commun des déterminations politiques majeures n'y est encore que balbutiante. Il est, à cet égard, inconséquent et improductif de se répandre en lamentations. Il est normal, s'agissant de pays marqués par de profonds antagonismes dans le passé et qui restent guidés par des traditions militaires profondément différentes, que la convergence des problématiques de défense soit progressive.
C'est ce qui nous conduit à saisir toutes les opportunités, à approfondir tous les champs de dialogue, mais surtout à travailler pas à pas dans tous les programmes conjoints qu'il s'agisse d'activités militaires proprement dites ou de réalisations industrielles, pour créer progressivement des réflexes communs et pour renforcer des solidarités vécues.
C'est ainsi que nous pouvons espérer faire progresser l'Europe de la défense. Il est vrai, comme cela a été dit, que l'Union économique et monétaire rendra sans doute possible une progression plus rapide, plus volontaire dans la détermination de choix politiques communs.
Je dois dire que ce que nous accomplissons en commun en Bosnie, dans une situation difficile, contribue sans doute bien plus que d'autres épisodes purement diplomatiques à asseoir ce sentiment de responsabilité commune et de communauté de destin.
Nous devons aussi avoir la lucidité de comprendre les motivations de nos alliés, de nos partenaires européens, qui ne partent pas des mêmes problématiques que nous.
La France, bien entendu, a le devoir d'engager une dynamique dans les objectifs de l'Europe de la défense, mais elle doit aussi savoir écouter. Les dialogues que nous poursuivons sur toute une série de situations concrètes pour essayer de dégager des positions commune sont, me semble-t-il, du bon travail. Il faut savoir les encourager.
Le budget sur lequel le Sénat doit se prononcer, ce soir, s'élève à 184,7 milliards de francs, auxquels s'ajoutent environ 53 milliards de francs de dépenses de pensions. Pour le Gouvernement, ce niveau global est suffisant, car il est cohérent avec nos responsabilités de défense et avec nos engagements internationaux.
Je ne me livrerai pas à une comparaison internationale sur les chiffres - j'observe d'ailleurs que chacun a été réservé à cet égard - car les structures de défense de bien des grands pays comparables sont assez différentes des nôtres. Certains ne sont pas des puissances nucléaires, d'autres ont des modes de décomptes de leurs engagements industriels de défense très différents des nôtres.
Je crois que, si on fait une comparaison globale au lieu de procéder secteur par secteur, on peut constater que la France - et c'est conforme au choix politique constamment réitéré par les majorités successives - conserve l'un des niveaux de défense les plus élevés d'Europe, mais aussi des pays membres du G 7.
Quand on se prononce sur le niveau global de ces crédits - et je sais gré à M. Bécart d'en avoir fait la remarque judicieuse - il faut tenir compte du contexte économique et financier dans lequel a été élaboré ce projet de loi de finances. Je rappelle que, voilà quelques mois, lorsqu'il a été décidé de consulter à nouveau les Français, cet exercice budgétaire paraissait particulièrement difficile à équilibrer.
L'objectif de baisse des déficits est unanimement partagé. La volonté de stabiliser les dépenses publiques est largement admise. Pour avoir argumenté dans ce sens lorsque je siégeais dans cette assemblée ou dans l'autre, je dois dire combien il m'est difficile de comprendre comment les économies budgétaires pourraient être salutaires lorsqu'elles sont demandées sur le plan du principe, mais deviendraient forcément dommageables, voire inacceptables, lorsqu'on vient à les appliquer à un domaine déterminé.
Ce projet de budget se place aussi dans le contexte d'une grande réforme déjà engagée, et qui, plusieurs orateurs ont bien voulu le rappeler, était un choix de la majorité précédente. Or, chacun le conçoit, la professionnalisation a de multiples conséquences et crée une pression importante sur la construction budgétaire.
L'attitude du nouveau gouvernement vis-à-vis de cette réforme a été une attitude pragmatique. Le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, a bien indiqué que le Gouvernement la faisait sienne. Pourtant, chacun en a le souvenir, avant d'être votée, cette réforme avait suscité des interrogations, des réserves, des oppositions.
Le gouvernement auquel j'appartiens a donc opté pour le réalisme et fait l'effort d'accepter une réforme déjà amorcée, en même temps qu'une bonne partie des choix stratégiques qui la fondaient.
Le Gouvernement et, au premier chef, le ministre de la défense s'efforcent donc maintenant de faire entrer cette réforme dans les faits.
Je ne méconnais pas la valeur de toute une série d'interrogations qui ont été formulées, dans différents cercles politiques, à l'égard de cette réforme. Mais enfin, une loi a été votée !
De toute façon, les interrogations qui sont émises aujourd'hui par les uns et par les autres étaient déjà en quelque sorte incluses dans la réforme au moment où elle a été décidée. Ce n'est évidemment pas de ce projet de loi de finances que date, par exemple, la question du coût global d'une armée professionnalisée ou, comme le rappelait Bertrand Delanoë tout à l'heure, celle du coût de la transition, qui est substantiel. Tout cela, on le savait, dès l'instant où l'on a opté pour la professionnalisation ! La majorité de l'époque en avait donc accepté les conséquences budgétaires.
S'agissant de cette réforme, il faut aussi évoquer ses conséquences sur les personnels militaires et civils. Il convient de penser à leur condition, de s'interroger sur leur sens de la mission et de se soucier de leurs perspectives professionnelles. Je remercie les sénateurs qui, dans leur rapport ou dans leur intervention, ont manifesté le souci d'une profonde solidarité, d'une écoute et d'une prise en compte des préoccupations de la communauté militaire.
Je crois que, comme l'ont indiqué certains orateurs, il convient de réfléchir à un développement de l'expression des militaires. Voilà en effet un corps, chargé d'une des fonctions majeures de l'Etat, qui va se trouver privé du contact permanent avec la jeunesse du pays dans sa diversité que lui offrait la conscription. Inévitablement, sa capacité de nouer des liens avec l'ensemble de la société, de pouvoir exprimer ses préoccupations et ses interrogations sur l'avenir va se poser en des termes nouveaux.
C'est la raison pour laquelle il a paru utile au Gouvernement que le chef d'état-major de l'armée de terre - c'est-à-dire, comme l'a souligné M. Vinçon, celle pour laquelle l'effort qu'induit la professionnalisation est le plus astreignant - exprime les interrogations et les préoccupations de la communauté militaire dont il a la charge. Il me semble que c'est ainsi que l'ensemble du public peut avoir connaissance des difficultés de cette transition, des obstacles à vaincre.
Les membres des commission spécialisées des deux assemblées ont l'habitude d'entendre régulièrement les chefs d'état-major, ce qui n'est pas l'usage pour les grands dirigeants des autres secteurs de l'Etat. Vous savez donc tous ici combien il est utile de recueillir ainsi la parole des responsables d'un corps qui ne connaît pas de forme organisée de représentation collective.
En tout cas, cela vaut certainement mieux que les récriminations anonymes.
M. Emmanuel Hamel. Il faut remercier le général Mercier de ses propos !
M. Alain Richard, ministre de la défense. J'observe que, dans les propos auxquels on a bien voulu s'intéresser, celui qui les a tenus a mis beaucoup de conviction pour appeler les militaires dont il a le commandement à relever le défi et à accomplir, chacun à son niveau de responsabilité, la réforme qui a été décidée par les autorités démocratiques.
A cet égard, je veux dire à M. Machet que les missions de l'armée de terre sont bien celles qu'il a sous-entendues dans son propos très pertinent et que, dès aujourd'hui l'armée de terre a acquis une capacité d'intervention en projection supérieure à celle que nous connaissions au moment de la guerre du Golfe, c'est-à-dire la dernière fois qu'elle a eu à mener une opération « en vraie grandeur ».
Chaque année, depuis lors, les effectifs disponibles dans des régiments professionnalisés, unités réellement mobiles, ont été en croissance, avec les dotations en matériel correspondantes, et ce processus va se poursuivre.
Bien sûr, pour les personnels pris individuellement, les contraintes liées à cette réforme sont importantes, mais les capacités opérationnelles de l'armée de terre sont bien en ligne avec les missions qui lui sont assignées et elles seront en constant développement.
En réponse à une partie des observations qui ont été faites par M. Trucy, au nom de la commission des finances, je soulignerai que les crédits destinés aux rémunérations des personnels de nos armées seront suffisants en 1998 : ils sont en pleine cohérence avec les objectifs de la loi de programmation.
Je rappelle que cette loi de programmation a été la première à fixer des objectifs en matière de personnel. Les dépenses correspondantes, qui croîtront de 3,5 % par rapport à 1997, permettent des recrutements. Ceux-ci se sont déjà bien déroulés au cours de l'année 1997 ; c'est en effet avec trois mois d'avance que, s'agissant des engagés, les objectifs de toute l'année ont été atteints.
Les rémunérations sont en hausse très nette. Par conséquent, l'attractivité des emplois d'engagé en début de carrière a été fortement améliorée par rapport aux années passées.
Les dotations pour les pécules en cas de départ volontaire - sans aucune obligation de dégagement des cadres - sont en augmentation de plus de 40 % pour 1998. Cela permettra de poursuivre l'effort de rajeunissement de nos cadres, en particulier des sous-officiers.
La création des emplois civils est budgétée dans des conditions conformes à la loi de programmation.
Je veux également indiquer à M. Trucy qu'une des tâches les plus délicates à réaliser à l'occasion de cette grande conversion, à savoir les mutations de personnels de la délégation générale pour l'armement vers les emplois civils des armées, s'effectue dans des conditions plus favorables qu'il n'était prévu. Ainsi, en 1997, le nombre d'agents volontaires pour passer à un emploi civil des armées a été supérieur aux prévisions faites en ce domaine.
De même, le projet de loi de finances prévoit une augmentation des crédits budgétaires favorisant la conversion, en fin de contrat, des militaires ayant une carrière courte. Cela est cohérent avec la volonté de conserver en permanence une armée professionnelle jeune. Ce sera là un élément important, à l'avenir, pour la bonne communication entre les armées et la nation.
En effet, nous n'aurons plus seulement des militaires accomplissant une carrière longue et ne quittant l'armée que pour prendre leur retraite ; nous aurons aussi beaucoup d'anciens militaires qui accompliront une seconde carrière en quittant l'armée encore jeunes et valoriseront ainsi l'expérience qu'ils y auront acquise.
La conscription reste un élément clé de notre dispositif militaire pour encore plusieurs années. L'année 1998, qui est la deuxième année de transition, donne lieu à des interrogations de la part de plusieurs d'entre vous du fait des dispositions légales qui ont été adoptées par le Parlement concernant le report d'incorporation pour motif professionnel.
Je rappelle d'abord que les possibilités de report pour motif professionnel ont été élargies à la demande de très nombreux parlementaires de tous bords.
Par ailleurs, les reports correspondent à un mouvement qui est étalé dans le temps puisque ce n'est qu'à partir de mars 1998 que pourront être attribués des reports aux jeunes titulaires d'un contrat à durée indéterminée et qu'à partir de décembre 1998 que pourront être attribués des reports aux jeunes titulaires d'un contrat à durée déterminée.
Ce mouvement sera, en outre, maîtrisé puisqu'il n'y aura pas automaticité du report ; celui-ci devra être justifié par un risque au regard de l'insertion professionnelle du jeune ; or un tel risque ne sera sans doute pas établi pour la majorité des demandeurs.
Il convient de signaler que, aussitôt après le vote de la loi - et il faut tenir compte de l'ensemble de commentaires qu'elle a suscités - plus de 96 % des jeunes convoqués en octobre 1997 pour l'appel qui est en train de se réaliser ces jours-ci auront répondu à cet appel. Ce pourcentage est comparable, voire meilleur dans certains cas, à celui qui a été constaté pour le même contingent de l'année dernière.
En outre, sur l'ensemble des jeunes concernés qui prennent contact avec le bureau du service national pour une adaptation des modalités de leur convocation, 13 % seulement font état de ce dispositif de report pour motif professionnel. Cela montre bien que, comme je m'étais efforcé d'en convaincre le Parlement voilà deux mois, ce dispositif n'a pas d'effet perturbateur significatif sur la réalisation des ressources humaines en appelés.
Il n'y a donc pas à débattre aujourd'hui d'une accélération de le professionnalisation, qui serait d'ailleurs une opération très difficile puisque le budget est arrêté en fonction de certains effectifs. Au demeurant, même si l'on choisissait - ce que ne fait pas le Gouvernement - d'augmenter les recrutements pour les différentes catégories de professionnels des armées, on risquerait alors de se trouver, sur le marché du travail, devant un problème de disponibilité, le nombre des volontaires pour ces emplois pouvant se révéler insuffisant.
Je rappelle d'un mot, puisque nous aurons l'occasion d'en reparler lors de la concertation préalable puis au cours du débat législatif, que cette réforme de la professionnalisation doit entraîner aussi la mise en place d'un projet majeur sur les réserves, et je remercie ceux d'entre vous qui en ont fait état. Rendez-vous est bien pris. Nous poursuivrons la concertation, notamment en ce qui concerne le statut professionnel des réservistes, dans les prochaines semaines.
Les crédits relatifs aux moyens des réserves sont d'ores et déjà en augmentation.
En résumé, le titre III de ce projet de budget, qui s'établit à plus de 103 milliards de francs, exprime la réelle volonté de soutenir les hommes dans la transformation de nos armées. Les moyens de fonctionnement sont conformes aux besoins de notre défense. Leur valeur, en proportion des effectifs, est en baisse de l'ordre de 1 %, ce qui supposera un effort de bonne gestion des crédits : une gestion telle que la pratiquent d'ailleurs régulièrement les militaires. Je crois, en effet, que les moyens sont judicieusement employés et que toutes les sources d'économie sont mises à profit.
Cet effort de bonne gestion est d'ailleurs tout à fait en ligne avec ce qu'ont demandé les représentants de la commission des finances du Sénat sur l'ensemble des budgets civils. S'il est proposé de consentir un effort de même nature pour le fonctionnement des unités militaires, je ne pense donc pas que cela puisse justifier une méfiance quelconque de la part de la Haute Assemblée.
Je voudrais également souligner que le niveau d'exercice appliqué dans l'armée de terre depuis 1996 est très comparable à ce qui se pratique dans d'autres pays. Il faut appréhender l'obligation de quatre-vingts jours de service extérieur en gardant à l'esprit qu'elle s'applique à une armée qui voit chaque année un nombre plus important d'unités se rendre sur des théâtres d'opérations extérieurs. Par définition, les missions ainsi accomplies viennent s'ajouter aux journées d'exercice qui sont demandées dans les unités qui restent stationnées en France.
L'activité de la marine nationale reste également soutenue.
J'indique à MM. Husson et Falco que, pour des raisons qui tenaient non aux moyens de fonctionnement mais aux crédits d'investissement, sur lesquels nous avons choisi de faire des économies, nous avons effectivement décidé de ne pas utiliser cette année la Jeanne d'Arc pour la formation des jeunes officiers. Toutefois les modalités de formation qui ont été mises en place à cette occasion - le chef d'état major de la marine vous en rendra certainement compte - paraissent aussi efficaces que celles qui relevaient de l'utilisation d'un bâtiment devenu au demeurant, assez traditionnel. Ce choix illustre un raisonnement que j'ai souvent entendu tenir dans cette assemblée et selon lequel une politique d'économies volontaires entraîne souvent des réformes au nievau de l'efficacité.
A ce point de mon propos, un peu à la jonction entre le titre III et le titre V, je mentionnerai les choix opérés dans ce projet de loi de finances en ce qui concerne la gendarmerie, choix sur lesquels M. Alloncle, dans son rapport, a bien voulu formuler des observations très pertinentes et positives.
La gendarmerie voit ses missions s'étendre du fait de la réforme de nos armées, puisqu'une partie des missions de protection du territoire qui incombaient traditionnellement aux nombreuses unités de l'armée de terre lui reviendront à l'avenir.
Ses moyens humains sont en augmentation, puisque ce sera la seule arme dont les effectifs globaux augmenteront, avec l'arrivée de quatre mille volontaires supplémentaires en plus des douze mille qui viendront remplacer les appelés.
Cela s'accompagne d'une modernisation des méthodes de la gendarmerie. Je note, en particulier, l'effort que nous accomplissons cette année - ce sera également le cas dans les années à venir - pour mieux répartir sur le territoire la police scientifique, ce qui aura un effet important sur le niveau d'élucidation des crimes et des délits.
Nous devons également consentir un effort - M. Alloncle l'a judicieusement noté - d'adaptation aux besoins de sécurité sur le territoire. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a demandé à deux parlementaires - le sénateur Jean-Jacques Hyest, que je salue ici, et le député Roland Carraz - de faire des propositions pour une bonne adaptation des moyens humains aux besoins de sécurité.
Je tiens à souligner, en réponse à une interrogation de M. Alloncle, que cette adaptation interviendra conformément aux principes définis par la loi d'orientation et de programmation du 21 janvier 1995 relative à la sécurité. C'est donc dans ce cadre permanent, qu'il ne paraît pas judicieux de remettre en cause, que s'effectuera l'analyse de la meilleure utilisation des moyens. Il ne faut pas, me semble-t-il, se fixer d' a priori en la matière. Seule la règle de l'efficacité doit prévaloir.
Toutefois, je souhaite souligner devant le Sénat que, à mes yeux, deux butoirs doivent être conservés : d'une part, une brigade doit être présente dans chaque canton, même les cantons qui sont les moins peuplés, car nous devons assurer la sécurité du territoire ; d'autre part, la gendarmerie ne doit pas se départir d'un minimum de moyens dans les milieux urbains, notamment parce que cela constitue le support d'une liberté de choix pour la magistrature.
Par ailleurs, la gendarmerie bénéficie, cette année, d'une régularisation de situation consécutive à une appréciation de légalité du Conseil d'Etat. A l'avenir, tous les gendarmes, sans exception, verront leur solde et leur coût de fonctionnement pris en charge, dès la loi de finances initiale, par les crédits du ministère de la défense. Un système quelque peu approximatif - je ne veux pas le juger trop sévèrement parce que, en tant que rapporteur du budget dans l'autre assemblée, j'avais contribué à sa mise en place - avait conduit à faire financer plus de 2 000 emplois de gendarmes par un fonds de concours.
A priori, aucune raison ne justifiait que subsiste une coïncidence entre le montant de redevance payé par les sociétés concessionnaires d'autoroute et le coût des emplois de gendarmes. Cette situation a donc été régularisée dans des conditions équilibrées.
La gendarmerie - je fais la transition avec le titre V - voit ses crédits d'investissement préservés, notamment pour lui permettre de moderniser son parc d'hélicoptères, qui est devenu un outil absolument indispensable à l'accomplissement de l'ensemble de ses missions. Ce parc a besoin d'être rajeuni et mis aux normes de sécurité.
Par ailleurs, malgré les efforts que nous accomplissons pour augmenter le niveau des subventions en matière immobilière, il est clair que la gendarmerie, qui doit s'adapter aux besoins de sécurité publique, doit disposer de plus de locaux afin de loger son personnel. Il s'agit d'un point sur lequel je ne fais pas mienne l'une des orientations qui avait été retenue par le gouvernement précédent : il ne me paraît pas très judicieux que certaines collectivités construisent des locaux de gendarmerie grâce à des subventions du ministère de la défense, alors que d'autres le feraient sans être subventionnées.
C'est la raison pour laquelle j'ai indiqué à vos deux collègues, présidents, respectivement, de l'Association des maires de France et de l'Association des présidents de conseils généraux, que je souhaite engager une concertation avec ces deux associations, afin de perfectionner le système de contribution de l'Etat à la réalisation des infrastructures de la gendarmerie. Nous pourrons ainsi, dans l'équité et la transparence, maintenir ce lien de confiance précieux qui unit les collectivités locales et la gendarmerie.
J'en viens au titre V, dont a surtout parlé M. Blin, rapporteur spécial ; d'autres orateurs, auxquels je m'efforcerai de répondre sont également intervenus sur ce point.
Ce titre V fait l'objet de certains reclassements budgétaires. En effet, soucieux d'une plus grande clarté des documents budgétaires, il m'a semblé qu'il ne devait pas continuer à comporter des dépenses de pur fonctionnement de la délégation générale pour l'armement. Si l'on veut établir une comparaison à périmètre constant, comme l'on dit, 500 millions de francs étaient « de trop » dans les crédits figurant au titre V de l'année dernière : c'est donc à la somme de 88,2 milliards de francs qu'il faut comparer les 81 milliards de francs du projet de budget pour 1998. Cette réduction demeure l'un des plus grands efforts d'équipement militaire des pays avancés.
Le choix de ce niveau de crédits a obéi à quelques principes que je souhaite rappeler. Certes, une loi de programmation oriente notre effort d'investissement. Cela correspond à un besoin de cohérence, surtout après les à-coups de la programmation des dépenses d'équipement militaire, qu'ont bien voulu rappeler plusieurs orateurs, pour la période de 1994-1996 : on avait alors assisté à des remises en cause peu cohérentes avec le principe de l'autorisation parlementaire.
Les grands choix d'équipement de notre défense sont assumés. Les programmes en coopération sont maintenus intégralement et tout un travail d'organisation de la progression des dépenses a été réalisé, de manière que le maximum des commandes qui étaient nécessaires pour la bonne dotation de nos armées soit maintenu.
Je citerai quelques chiffres. Avec les crédits qui sont prévus pour 1998, nous pourrons commander, pour la marine, par exemple, une frégate de type Horizon. Nous pourrons recevoir la livraison d'un transport de chalands de débarquement. En matière d'aéronautique navale, nous pourrons moderniser neuf Super Etendard et faire livrer deux avions de guet embarqués nécessaires à notre groupe aéronaval, les avions Hawkeye.
Nous pourrons, pour l'armée de l'air, faire livrer dix-sept avions de combat Mirage et rénover quatorze Transall. Nous pourrons apporter une capacité de tir de nuit à treize hélicoptères et commander deux nouveaux hélicoptères Cougar.
Je pourrais continuer ainsi longtemps, en particulier en citant les très nombreux exemplaires de missiles qui seront commandés ou livrés.
S'agissant des chars Leclerc, les crédits inscrits pour 1998 nous permettront à la fois d'en commander quatre-vingt-huit et d'obtenir la livraison de trente. Sur ce point, je ne rejoins pas tout à fait l'appréciation de M. Husson, puisque les trente chars Leclerc correspondent à la capacité actuelle de production des sites de GIAT.
La dissuasion demeure au centre - je tiens à rassurer sur ce point Mme Heinis - de la doctrine militaire de notre pays et les propos du Premier ministre, que vous avez bien voulu citer, sont d'une complète clarté à cet égard.
Nous consacrons désormais 20 % de l'ensemble de nos dépenses d'équipement militaire à la dissuasion. Il s'agissait de l'un des objectifs de la loi de programmation. Cela signifie qu'aucun décrochage n'a eu lieu en matière de dissuasion s'agissant de nos choix de dépenses militaires.
Ce qui a rendu possible une réduction des dépenses militaires c'est, en particulier, la capacité du CEA d'accepter un certain nombre d'économies sur le coût de sa contribution au développement et à la réalisation de nos équipements. La réduction a également été rendue possible grâce à l'étalement dans le temps des charges de démantèlement des deux installations très lourdes de Marcoule et de Pierrelatte, démantèlements qui ont été décidés bien avant cette loi de finances.
Pour répondre à la question qui m'a été posée à cet égard par M. Faure, je préciserai que plusieurs mois de travail et de discussion seront encore nécessaires, avec l'ensemble des entreprises concernées, afin de pouvoir définir le coût global de ces démantèlements. Ces derniers sont, en effet, liés à un certain nombre d'autres choix qui doivent être opérés par le Gouvernement en matière de sécurité nucléaire.
Quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération sont et resteront inscrits dans notre futur modèle d'armée. La livraison du troisième de cette série sera, il est vrai, différée d'un an, mais le maintien en activité d'un SNLE de la génération antérieure pendant une année supplémentaire ne présente pas un surcoût notable. La commande du quatrième SNLE-NG interviendra, comme prévue, avant la fin de la présente loi de programmation militaire.
De même, le missile M 51, pour lequel sont encore inscrits des crédits importants - vous pouvez le vérifier dans le document budgétaire - pourra être mis en service à la date prévue, c'est-à-dire en 2010. En réalité, l'étalement de dépenses que nous prévoyons a pour effet de faciliter le maintien des capacités scientifiques nécessaires dans les entreprises concernées.
Je tiens également à souligner l'importance que nous attribuons à la mission de prévention de nos armées et, en particulier, au renseignement.
M. Dulait a bien voulu reconnaître, avec le sourire, le caractère un peu indiscret de certaines de ses questions. Il me permettra de ne pas aller trop loin dans les détails.
Je lui indiquerai cependant, comme à MM. Blin et à Faure, la priorité que le Gouvernement attache au développement de la capacité d'observation satellitaire de notre pays. Ce sont donc plus de 1,4 milliard de francs qui sont inscrits en crédits de paiement pour l'année 1998 sur le programme Hélios.
Il est vrai - chacun le voit et en comprend les motifs - que nos partenaires allemands ont choisi, parce qu'ils avaient d'autres priorités, de ne pas s'engager financièrement sur ce programme. Toutefois, comme vous le savez, les accords qui ont été conclus entre les deux pays permettent à la France de poursuivre son effort dans ce sens.
Nous gardons l'espoir que nos amis allemands rejoindront ce programme ultérieurement. C'est la raison pour laquelle nous maintenons le principe et le calendrier du programme de satellite radar Horus qui doit suivre.
Je souhaite, à cet égard, souligner la qualité de notre partenariat avec les deux autres pays associés au programme Hélios - l'Italie et l'Espagne - qui, au cours des contacts récents, m'ont confirmé leur totale détermination à y prendre part.
Chacun voit bien que cela repose sur un choix prioritaire d'autonomie européenne en matière de collecte d'informations et d'analyse de renseignements.
C'est l'un des cas dans lesquels s'applique le constat que je dressais tout à l'heure : les priorités en matière de défense et les prises de position quant au degré d'autonomie désiré ne sont pas spontanément les mêmes entre les pays européens.
Ceux de nos partenaires qui, depuis près d'un demi-siècle, exercent un niveau de responsabilités élevé au sein de l'OTAN ne ressentent pas le même besoin que nous de devenir autonomes vis-à-vis de la superpuissance amie en matière de collecte d'informations.
Cela fait partie des domaines dans lesquels nous pouvons avoir nos préférences. Mais la coopération consiste aussi à s'associer à des pays qui ont d'autres perspectives politiques.
Par conséquent, nous irons notre chemin sur ces deux programmes et, comme l'ont dit plusieurs orateurs - nous l'avons bien vu lors de certains débats industriels récents - nous en retirerons des capacités technologiques très importantes.
A cet égard, malgré les observations qui ont été formulées par certains orateurs, je souhaite souligner que le niveau d'engagement de notre pays en matière de dépenses d'études et de développement demeure très élevé. Bien entendu, si l'on veut établir une comparaison avec une superpuissance qui, de surcroît, fait transiter - chacun le sait ! - une grande partie de ses crédits de recherche fondamentale par le budget de sa défense, nous ne sommes pas au même niveau. Toutefois, pour un pays comme le nôtre, 20 milliards de francs de crédits d'études et de développement représentent tout de même un outil majeur !
Ainsi que l'ont dit plusieurs orateurs, cette dotation doit de plus en plus être mise au service d'une stratégie duale.
Je tiens à souligner la qualité des discussions que nous engageons avec le ministère de la recherche pour essayer de faire converger les efforts de recherche des secteurs civil et militaire. Le domaine spatial en est une excellente illustration.
Les moyens de projection se trouvent, bien sûr, au centre de nos priorités de dépenses d'équipement, y compris en ce qui concerne les programmes de cohérence opérationnelle ; je pense, en particulier, aux systèmes d'information et de commandement. Sans doute M. Husson s'est-il trompé sur ce point, car les moyens que nous consacrons à ces systèmes sont constants.
Le groupe aéronaval poursuit son développement autour du Charles-de-Gaulle ; plusieurs d'entre vous ont bien voulu le noter. Le Charles-de-Gaulle sera mis en service au cours de l'année 1999, comme prévu par la loi de programmation.
Le décalage entre son entrée en service et la mise en service des avions Rafale qui lui sont affectés relève de décisions largement antérieures au présent projet de loi de finances. En effet, c'est seulement au début de cette année qu'a été consentie la commande des treize premiers avions Rafale destinés à la marine. Les moyens que nous consacrons cette année au programme Rafale permettent à cette première commande de s'appliquer sans aucun délai supplémentaire.
Les dispositions ont été prises par la marine de manière que l'entrée en service du porte-avions Charles-de-Gaulle se fasse avec un groupe aérien qui lui donne toute sa cohérence. Comme je l'ai noté tout à l'heure, les avions Hawkeye qui permettent d'assurer sa protection et la surveillance aérienne autour du groupe aéronaval seront également au rendez-vous.
Je veux souligner, puisque j'en viens au Rafale, que les crédits qui concerneront ce programme en 1998 - j'insiste bien pour les orateurs qui s'interrogeaient sur ce point - s'élèveront à 4,9 milliards de francs, au lieu de 4,4 milliards de francs en crédits de paiement en 1997. Donc, si des interrogations ou des préoccupations subsistent en ce qui concerne le développement de ce programme, la lecture tout à fait sereine du document budgétaire permet, me semble-t-il, de les lever.
Les hélicoptères Tigre entrent dans une phase d'industrialisation décidée en commun avec la République fédérale d'Allemagne. Mon homologue allemand et moi-même avons signé l'accord d'industrialisation au mois de juin. L'engagement de commande de la France sera conforme au document sur lequel elle a apposé sa signature.
Cela me conduit à insister sur le fait que l'ensemble des programmes d'armement en coopération seront dotés budgétairement comme il a été convenu avec nos partenaires. C'est pour nous un enjeu politique essentiel.
En matière de blindés, le programme Leclerc suit son développement selon la capacité de GIAT Industrie et les missiles de nouvelle génération - MICA, Apache, Scalp EG - connaîtront les développements qui ont été prévus.
Nous avons relevé, par rapport aux demandes spontanées des armées, le niveau de commandes en matière d'artillerie, d'armes légères et de munitions, car - monsieur Husson, sur ce point, il faut compléter votre information - lorsqu'on professionnalise une armée, que ses effectifs baissent et que les stocks existants sont déjà à un haut niveau, la demande logique dans une bonne gestion des armées, notamment de l'armée de terre, est une demande très faible. C'est pour des motifs de politique industrielle que j'ai demandé aux armées d'augmenter leurs commandes, sinon on aurait pu aller beaucoup plus bas. Si GIAT Industrie est, à cet égard, en difficulté, comme de nombreuses entreprises d'armement terrestre en Europe, c'est parce que ce phénomène est général, et il faut bien en prendre conscience objectivement.
Cela me conduit à vous donner quelques indications relatives à nos choix industriels.
Plusieurs orateurs ont bien fait de souligner que, dans notre pays, les industries de défense étaient un des points forts de notre dispositif technologique et industriel. Les conditions dans lesquelles le Gouvernement a pris ses responsabilités quant à la réorganisation du groupe Thomson illustrent sa volonté de renforcer les points forts de notre industrie, de rechercher des convergences européennes et de s'attacher à élargir le champ technologique des entreprises concernées, de manière à appliquer pleinement le principe de dualité. Le nouveau Thomson réalisera près de 40 % de son chiffre d'affaires dans le domaine civil et il pourra valoriser les moyens de recherche et de développement représentant près de 25 milliards de francs de dépenses annuelles. Comme l'a fait observer Mme Bergé-Lavigne, c'est une indication de ce que sera la stratégie globale du Gouvernement en matière d'industries de défense.
Dans le domaine aéronautique, nous sommes en effet conduits à hâter la marche, et c'est ce qui a fait l'objet d'un accord avec le gouvernement allemand au sommet de Weimar. Les concentrations aux Etats-Unis se sont déroulées rapidement, peut-être un peu moins vite que ne l'a décrit M. Maurice Blin tout à l'heure. En effet, c'est non pas en deux ans, mais en cinq ans qu'aura été réalisée la concentration de l'industrie aéronautique américaine civile et militaire. Certes, nous avons un léger décalage, qui provient du fait que nous sommes non pas une puissance unifiée, mais un ensemble de pays continuant à défendre leurs intérêts.
Toutefois, la stratégie dans laquelle s'est engagé le Gouvernement, et sur laquelle M. le Premier ministre donnera des précisions dans les prochains jours, est clairement une stratégie de conclusion d'accords européens en profondeur permettant d'établir sur notre continent des capacités communes de recherche, de développement et de fabrication, qui nous mettrons au niveau de la compétition mondiale et qui doivent, en effet, associer les domaines civil et militaire en France comme dans le reste de l'Europe.
Le dialogue avec la société Dassault se déroule comme il se doit. Il n'y a de blocages ni d'un côté ni de l'autre. En tout cas, il ne sera pas plus difficile à ce gouvernement qu'au précédent de trouver des modalités de rapprochement entre le groupe Dassault et Aérospatiale sans qu'il y ait de dogmatisme quant à la formule d'association de ces deux entreprises. Les contacts avec les gouvernements européens et les firmes européennes concernées sont aujourd'hui encourageants.
Quant à GIAT Industrie et à la DCN, si ces ensembles industriels sont, certes, confrontés à des difficultés supplémentaires par rapport à des entreprises déjà très ouvertes à l'international comme Thomson, Aérospatiale ou Matra, elles sont l'une et l'autre en évolution positive et progressent en termes de productivité et d'efficacité.
S'agissant de l'avenir du site de Cherbourg, je veux rassurer M. Le Grand. Ce n'est pas parce que je le dis à un sénateur de l'opposition après l'avoir dit à un député de la majorité que c'est une tactique. C'est une réalité, et vous pourrez d'ailleurs en vérifier les effets sur le terrain. Je suis sûr qu'alors vous aurez la bonne foi de m'en donner acte.
Les mesures que nous avons prises pour accompagner la transition en faveur de GIAT Industrie et de la DCN sont, comme plusieurs d'entre vous ont bien voulu le noter, d'abord des mesures de dynamisme économique, avec 500 millions de francs d'aide à la création de nouvelles activités dans les bassins d'emploi concernés. C'est l'intérêt profond de ces bassins d'emploi de ne pas rester dépendants d'industries uniquement liées à la décision politique et de faire baisser le niveau de concentration en activités industrielles militaires.
Ces 500 millions de francs seront gérés par une délégation interministérielle modernisée et dynamisée, avec des équipes de terrain qui rechercheront un partenariat approfondi avec les collectivités locales.
En accompagnement de ces mesures de dynamisation économique, nous avons pris une mesure autorisant des départs en retraite à cinquante-deux ans, qui permettra la transition en même temps qu'elle se substituera à certaines mesures autoritaires prévues dans le plan précédent.
Ensuite pourront être engagées les négociations sur la réduction de la durée du temps de travail, ce qui permettra de piloter toute une réorganisation industrielle qui, d'une part, sauvegardera des emplois et, d'autre part, donnera l'occasion, comme M. Bécart l'a suggéré tout à l'heure, d'étendre le savoir-faire et la technologie de ces entreprises vers des activités civiles.
Quatre commandes pluriannuelles ont été passées pour la première fois à la fin de 1997, qui confirment la volonté du Gouvernement de donner, comme cela a été demandé, plus de visibilité aux industries de défense.
La revue des programmes, sur laquelle plusieurs orateurs, notamment M. le président de Villepin, m'ont interrogé, n'aboutira pas, dans l'esprit du Gouvernement, à élaborer un nouveau Livre blanc. Cependant, elle sera l'occasion, conformément à ce que je disais en commençant, de nous interroger sur l'évolution des données stratégiques, sur les priorités relatives que doivent avoir certains systèmes d'armes dans le déroulement de la loi de programmation. Elle permettra aussi, bien entendu, de faire des évaluations du coût relatif de certains niveaux de performance ou de capacité, qui ont été prévus dans la loi de programmation, de manière à poursuivre l'application de celle-ci dans les conditions les plus rationnelles possibles, comme l'ont fait la plupart de nos partenaires européens.
Je souhaite que cette revue des programmes, lorsque le Gouvernement aura suffisamment avancé dans son travail technique, donne lieu à un débat - et je remercie M. le président Villepin d'avoir souhaité l'ouverture d'un dialogue public. Je crois, au surplus, que non seulement le Parlement et le Gouvernement, mais le pays tout entier y ont intérêt, car ce qui peut conduire à ce que les décisions en matière de niveau budgétaire de la défense soient parfois guidées par d'autres considérations, c'est le manque d'intérêt du public pour les préoccupations de défense et pour la compréhension de l'utilité des différents outils.
Par conséquent, si ce débat - comme je l'espère et comme je le crois - permet d'éclaircir les enjeux des futurs choix d'investissement en matière de défense, nous y serons tous gagnants.
Je voudrais maintenant conclure en disant que ce qui est implicite dans de nombreux aspects de notre débat - et je remercie M. Biarnès, entre autres orateurs, d'avoir souligné ce point - c'est que notre pays a des ambitions plus vastes que bien d'autres sur la scène internationale. En effet, il consacre plus de moyens à de la coopération et à son action culturelle internationale ; il est plus présent que d'autres dans les engagements de nombreuses institutions internationales ; son système de défense lui permet, y compris aux risques et périls de ses hommes, de se porter dans des conflits durs, dans des moments de violence internationale, quand bien des pays attendent que le calme soit rétabli pour exprimer leur volonté politique.
Ce projet de budget est guidé par une volonté de cohérence et de maintien d'un haut niveau de capacité et de technicité de nos armées ; il est nécessaire pour pouvoir répondre à toutes les situations où le choix politique du pays serait d'engager nos armes.
Bien entendu, ce projet de budget est marqué par un souci de gestion rigoureuse et par la volonté de réformer l'ensemble des dispositifs de gestion financière et industrielle, afin de permettre au contribuable d'être assuré du bon emploi de l'ensemble des crédits.
Il est présenté à la représentation nationale par le Gouvernement dans un esprit de sérénité, en faisant face à ses responsabilités. Je remercie tous ceux qui, participant au débat ce soir, ont manifesté leurs encouragements ou leur soutien à l'action du ministère de la défense. Je suis convaincu que nous pouvons nous rassembler sur les grands objectifs et que cela est nécessaire pour le moral des femmes et des hommes de la défense dont nous sommes, les uns et les autres, coresponsables. Je remercie donc les sénateurs qui se sont exprimés en ce sens pour avoir montré dans l'exercice de leur autorité de représentants de la nation à quel point ceux qui la servent aujourd'hui dans la défense, apportent un service désintéressé, courageux et loyal à l'ensemble de la collectivité nationale.
C'est notre rôle aux uns et aux autres - c'est surtout le vôtre, à vous qui vous prononcerez par le vote - de montrer aux citoyens que la défense s'adapte aux circonstances, et que nous assumons ensemble notre responsabilité collective. Nous agissons les uns et les autres dans le sens de la préservation des grands intérêts nationaux et des principes que la France entend défendre aux côtés des autres nations pacifiques pour le progrès dans le monde.
Ce projet de budget est donc l'expression sincère et sereine d'une volonté politique que je viens de résumer. C'est en toute confiance que je demande au Sénat, dans sa diversité, de se prononcer sur la politique de défense solide, lucide et déterminée que le Gouvernement entend mener au service du pays. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la défense et figurant aux articles 29 et 30.
Article 29
M. le président.
« Art. 29. - I. - Il est ouvert au ministre de la défense, pour 1998, au titre
des mesures nouvelles de dépenses ordinaires des services militaires, des
autorisations de programme s'élevant à la somme de 1 836 838 000 francs,
applicables au titre III "Moyens des armes de services".
« II. - Pour 1998, les crédits de mesures nouvelles de dépenses ordinaires des
services militaires applicables au titre III "Moyens des armes et
services" s'élèvent au total à la somme de 1 415 078 000 francs. »