PLACEMENT
SOUS SURVEILLANCE ÉLECTRONIQUE

Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi (n° 285, 1996-1997), modifiée par l'Assemblée nationale, consacrant le placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des peines privatives de liberté. [Rapport n° 323 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi consacrant le placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des peines privatives de liberté a été adoptée au printemps dernier par l'Assemblée nationale.
La commission des lois du Sénat a décidé de faire siennes les modifications qu'ont apportées les députés à ce texte et de vous proposer une adoption conforme.
Je souhaite que notre discussion soit aujourd'hui riche et que toutes les questions que le Gouvernement se pose, comme à l'évidence nombre de nos concitoyens, puissent trouver réponse.
Je ne voudrais pas que le débat soit occulté, que nous donnions l'impression de nous précipiter et qu'il subsiste demain des obstacles que nous aurions plus tard les plus grandes difficultés à surmonter.
L'enjeu est suffisamment important pour que le Gouvernement fasse connaître sa position et souligne les difficultés éventuelles.
Le placement sous surveillance électronique représente dans notre droit une innovation d'une importance considérable, tant sur le plan éthique que dans les modalités pratiques d'application.
Pour la première fois, le condamné est appelé à prendre en charge lui-même sa propre peine privative de liberté.
Les réformes engagées depuis plus d'un siècle ont toujours visé à gagner sur le temps de l'incarcération, pour privilégier une application individualisée de la peine hors des murs de la prison.
L'évolution de la législation et des pratiques a toujours consisté à privilégier la liberté, fût-elle encadrée par un contrôle social, par rapport à toutes les mesures privatives de cette liberté.
Ainsi, la libération conditionnelle, en 1885, le sursis simple, en 1891, la liberté surveillée des mineurs, en 1912, le sursis avec mise à l'épreuve, en 1958, ou la réforme de l'exécution des peines, voilà tout juste vingt-cinq ans, s'inscrivent dans ce mouvement.
Cette évolution s'est poursuivie dans une période plus récente par la mise en place du travail d'intérêt général et des autres peines alternatives à la détention prévues dans le nouveau code pénal.
Le garde des sceaux compte bien poursuivre cette évolution et donner au milieu ouvert les moyens qui lui permettront de remplir au mieux sa mission.
Ainsi la ministre de la justice, dont je vous prie d'excuser l'absence ici ce matin - mais vous en connaissez les causes - mène actuellement une profonde réforme des services d'insertion et de probation, qui a pour objet de permettre, d'une part, une plus grande complémentarité entre les milieux ouvert et fermé et, d'autre part, l'émergence d'un service renforcé et clairement identifié.
Cette modification des structures s'accompagne, comme vous avez pu le constater lundi dernier, lors du vote du budget du ministère de la justice, d'un effort très soutenu en matière de créations de postes : 200 travailleurs sociaux supplémentaires seront recrutés pour renforcer les équipes du milieu ouvert et du milieu fermé.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous faire part des remerciements du garde des sceaux, qui a pris acte du vote unanimement favorable du Sénat sur le budget de son ministère.
La perspective en la matière est claire : donner aux services sociaux les moyens nécessaires à la mise en place d'une politique privilégiant à la fois la libération conditionnelle et les peines alternatives à l'emprisonnement.
Le Gouvernement est convaincu que la surpopulation carcérale ne pourra être sérieusement limitée que par une politique active dans cette direction.
La proposition de loi que vous examinez aujourd'hui en deuxième lecture suscite également une interrogation sur la politique d'application des peines.
Elle met en lumière la coexistence, parfois paradoxale, de la mise en oeuvre de peines de plus en plus longues et de mécanismes permettant des libérations anticipées.
Le dispositif de cette proposition s'affiche clairement comme un outil permettant de limiter la durée du séjour dans un établissement pénitentiaire. L'évocation d'un tel sujet alors que les sanctions prononcées s'allongent et que l'appareil répressif tend à se renforcer mérite un débat général de fond.
La proposition de loi présente des aspects positifs, qui conduisent le Gouvernement à ne pas s'y opposer, mais elle soulève des problèmes de principe qui doivent être soulignés.
Dans son principe, et sur le plan social, cette construction présente trois avantages pratiques primordiaux : elle offre la possibilité d'éviter les effets néfastes et désocialisants de l'incarcération ; elle permet une individualisation marquée de la peine ; elle est un moyen de lutte contre la surpopulation carcérale.
Sur un plan juridique cette modalité d'application des peines privatives de liberté offre un ensemble tout à fait novateur.
Le Parlement a pris en compte l'indispensable consentement du condamné, avant toute décision de placement sous surveillance électronique.
De plus, la proposition de loi va dans le sens de la judiciarisation des décisions du juge de l'application des peines et, à ce titre, elle est opportune.
Ainsi, elle s'inscrit dans la réflexion nécessaire sur le rôle et les pouvoirs du juge de l'application des peines.
Enfin, le texte intègre largement la possibilité pour le juge d'adapter la mesure de placement sous surveillance électronique aux situations personnelles des condamnés.
Cette proposition de loi, pour l'ensemble de ces raisons, ne fait donc pas l'objet, dans son principe général, d'une opposition de la part du Gouvernement.
Le texte soulève néanmoins des questions de fond.
La première interrogation que le Gouvernement souhaite mettre en avant porte sur les publics susceptibles d'être concernés par la nouvelle mesure proposée.
Cette disposition, par sa conception même, s'adresse à des condamnés qui doivent pouvoir disposer d'une insertion sociale certaine, notamment jouir d'un logement.
En effet, il paraît difficile de placer sous surveillance électronique des détenus qui ne disposeraient d'aucun soutien familial.
Il est à craindre que cette facilité d'exécution de la peine ne soit vécue comme étant uniquement réservée à une population pénale privilégiée.
Par ailleurs, le dispositif de la proposition de loi ne peut être conçu que comme une possibilité supplémentaire ouverte aux personnes qui, dans le système actuel, ne pourraient pas bénéficier d'une libération conditionnelle.
Il serait en effet tout à fait contraire à l'objectif qui nous est commun de voir cette mesure « empiéter » sur des mesures d'élargissement actuellement couvertes par les textes existants.
Des craintes demeurent, sur ce point, de voir la nouvelle mesure se substituer à des modalités plus libérales d'application de la peine.
En outre, le placement sous bracelet électronique risque de stigmatiser le détenu par une identification possible pour les tiers, ce qui n'est pas sans poser des problèmes éthiques sérieux.
Des inquiétudes demeurent également quant à la mise en place d'un fichage informatique de la surveillance électronique. Des réflexions complémentaires doivent être menées sur ce point.
Enfin, il convient de s'interroger sur le rôle et la mission de l'admission pénitentiaire dans le suivi de ce dispositif.
Pour la première fois, des fonctionnaires seront conduits à surveiller directement des condamnés en dehors de tout établissement. Cette mission de simple contrôle ne sera pas assortie d'un travail d'insertion et de socialisation : seule la fonction de surveillance sera mise en valeur.
Il convient de rappeler que la mission de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire comporte à la fois la surveillance et la réinsertion. Cette double mission s'applique aux surveillants.
La brèche ouverte sur ce point par la présente proposition de loi mérite questionnement.
Consciente de ces écueils, Mme le garde des sceaux a souhaité, au nom du Gouvernement, saisir la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Dans un avis rendu le 5 décembre dernier, cette instance indique qu'elle ne voit pas d'objection de principe à formuler sur la mesure que propose le Parlement.
Elle émet néanmoins des réserves sur trois points.
Premièrement, elle souligne les effets négatifs sur les tiers du caractère éventuellement apparent du dispositif installé sur le condamné.
Deuxièmement, elle s'inquiète du port de ce bracelet par les mineurs, notamment en l'absence d'autorisation préalable des parents.
Enfin, troisièmement, elle met en garde sur l'exploitation informatique du dispositif au regard des exigences imposées par la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
Le Gouvernement partage cet avis. Le changement introduit par ce texte est d'importance et nécessite une réflexion forte, beaucoup de prudence et, de toute façon, une série d'expérimentations limitées.
Au-delà des observations de principe, portant sur le fond, ce texte laisse entrevoir des difficultés sérieuses dans ses modalités d'application et dans son expérimentation.
Tout d'abord, des adaptations non négligeables paraissent nécessaires, tant pour assurer l'équilibre juridique du système que pour garantir son applicabilité, c'est-à-dire son efficacité.
Dans la mesure où certains de ces ajustements semblent indispensables pour satisfaire des exigences de constitutionnalité, Mme la ministre de la justice avait envisagé de déposer, au nom du Gouvernement, des amendements.
J'insisterai particulièrement sur un aspect du texte qui semble contraire à la Constitution.
Le placement sous bracelet électronique induit, dans son application, qu'un domicile privé devient, sinon une annexe de l'administration pénitentiaire, du moins un lieu sous surveillance de la puissance publique.
Dans ce lieu, du matériel de surveillance sera mis en place, l'installation téléphonique personnelle du chef de maison sera utilisée, les occupants seront sollicités à tout moment, y compris, le cas échéant, la nuit.
Le texte initial de la proposition de loi n'envisage pas, en effet, la situation d'un placement sous surveillance électronique en dehors du domicile propre du condamné. Or cette situation est susceptible de se présenter dans de très nombreuses hypothèses.
Ainsi, dans le cas, notamment, où le placement sous surveillance électronique intervient à l'issue d'une période de détention, le condamné se trouvera soit dépourvu de domicile personnel, soit, dans le meilleur des cas, cotitulaire du droit d'habitation, par exemple avec son conjoint.
Dans certains cas, il sera hébergé par des tiers, tels des associations de réinsertion, des foyers ou des lieux appartenant à des collectivités publiques ou privées.
Dans d'autres situations encore, le placement sous surveillance électronique pourra être décidé ailleurs que dans un local d'habitation et, en particulier, dans des locaux professionnels, associatifs voire médico-sociaux, comme cela se pratique dans la plupart des pays européens où ce régime d'exécution des peines existe déjà.
Dans toutes ces hypothèses, il est bien évident que la décision du juge de l'application des peines ne pourra s'imposer au propriétaire des locaux ou au titulaire du droit au bail, fût-il le conjoint, le concubin ou un membre de la famille du condamné.
En dehors même de la difficulté pratique qu'elle générerait, une solution qui imposerait le port du bracelet électronique sans l'accord du maître des lieux serait une atteinte au droit de propriété ainsi qu'au droit à l'intimité de la vie privée, qui sont constitutionnellement protégés.
C'est pourquoi il est indispensable de prévoir dans la loi que l'accord du maître des lieux devra être recueilli préalablement à toute décision du juge de l'application des peines.
L'expression du consentement figure d'ailleurs dans les législations étrangères soit expressément, comme aux Pays-Bas ou en Nouvelle-Zélande, soit de façon indirecte quand le placement est une modalité d'exécution d'une peine alternative ou d'une libération conditionnelle.
De même, le placement sous surveillance électronique peut être prononcé au bénéfice des mineurs, avec leur consentement, recueilli en présence de leur avocat, comme pour tout autre condamné.
Aucune disposition ne prévoit, dans le texte, que le consentement des titulaires de l'autorité parentale soit sollicité.
Il apparaît surprenant qu'une mesure aussi spécifique puisse être prise sans que les responsables de l'enfant, qui sont en général ceux qui hébergent le mineur, aient pu donner leur accord.
J'ajoute que ce consentement des titulaires de l'exercice de l'autorité parentale est d'autant plus nécessaire que ceux-ci devront assumer toutes les conséquences civiles du comportement du mineur pendant la durée du placement.
Un deuxième point concerne également les mineurs.
Si l'application du régime de la surveillance électronique est apparu comme une nécessité, dans la mesure où, plus que tous autres, les mineurs doivent être protégés des effets néfastes d'une première incarcération, l'article 4 de la proposition de loi, qui prévoit une modification de l'ordonnance du 2 février 1945, m'apparaît à la fois inutile et source de difficultés d'interprétation.
En effet, la jurisprudence considère, jusqu'à présent, que toutes les dispositions du code pénal et du code de procédure pénale auxquelles l'ordonnance de 1945 ne déroge pas - c'est le cas des dispositions relatives au régime d'application des peines - sont applicables aux mineurs.
Dans ces conditions, la précision inscrite dans l'article 4, dans la mesure où elle n'est pas d'usage pour les autres catégories de peines, pourrait à l'avenir entraîner pour ces dernières une interprétation a contrario préjudiciable. Il aurait donc été préférable de supprimer l'article 4 du texte.
En revanche, des règles particulières devraient être prévues pour adapter les articles 723-7 à 723-13 du code de procédure pénale aux peines prononcées contre les mineurs, afin notamment de tenir compte des règles relatives à l'autorité parentale, aux catégories de mineurs concernés et à la répartition des attributions entre le juge des enfants et le juge de l'application des peines.
Il s'agit là des impératifs les plus sérieux dont le législateur doit tenir compte.
Toutefois, d'autres dispositions, qui n'ont pas la même portée juridique et éthique, doivent venir compléter le texte pour le rendre applicable.
Le juge de l'application des peines, pour statuer sur un éventuel retrait de la mesure en cas d'incident, doit le faire en audience de cabinet, en présence du condamné et, le cas échéant, de son conseil. Or ce magistrat n'a pas pour autant de moyen juridique de le faire comparaître de force devant lui.
L'exécution de la peine se poursuit normalement et le temps des recherches nécessaires pour l'appréhender s'impute sur celle-ci, de sorte que, si l'on ne peut retrouver l'intéressé avant la fin de sa peine, il ne pourra plus être réincarcéré à ce titre.
Dans un souci de crédibilité de l'institution, et indépendamment des poursuites susceptibles d'être engagées pour évasion, il convient donc de permettre au juge de l'application des peines de faire rechercher immédiatement le condamné par mandat.
Cette solution a d'ailleurs été prévue, pour les mêmes raisons d'efficacité, dans le cadre du projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles, ainsi qu'à la protection des mineurs victimes.
Votre assemblée l'a adoptée le 30 octobre dernier pour la rédaction de l'article 763-7 du code de procédure pénale.
Un autre point sur lequel il me semble important d'engager une réflexion est celui des conditions de délégation à des personnes de droit privé pour la mise en oeuvre du dispositif technique.
Je remarque que l'Assemblée nationale a supprimé les dispositions initialement prévues à cet effet.
Le choix du garde des sceaux n'est pas encore fixé dans ce domaine. Il convient de souligner qu'il y aura lieu de modifier la loi si le Gouvernement entend opter pour ce type de délégation.
Une contradiction dans la rédaction des alinéas premier et deuxième de l'article 723-13 peut être relevée : l'un semble imposer la présence d'un avocat lors de l'audience sur l'éventuel retrait de la mesure alors que l'autre l'exclut.
Aussi aurait-il convenu de modifier les termes de ces deux alinéas en reprenant ceux de l'actuel article 733-1 du code de procédure pénale concernant l'audience du tribunal statuant en chambre du conseil en matière d'application des peines, et qui ne fait de la présence de l'avocat une obligation que si le condamné en formule la demande.
Enfin, le texte, dans sa rédaction actuelle, ne règle pas suffisamment la question de l'applicabilité du placement sous surveillance électronique aux territoires d'outre-mer.
Certes, pour des raisons pratiques évidentes, il n'a pas paru souhaitable de procéder à l'extension du régime du placement sous surveillance électronique dans les territoires d'outre-mer. C'est pourquoi la proposition de loi ne prévoit aucune disposition d'applicabilité.
Juridiquement, cette solution aurait dû imposer les dispositions de coordination désormais classiques depuis l'entrée en vigueur du nouveau code pénal.
Sans modification des articles du code pénal et du code de procédure pénale sur les exceptions d'application de ces textes à l'outre-mer, la surveillance électronique pourrait y être considérée comme applicable.
Le Gouvernement n'a pas souhaité déposer des amendements sur ces modifications envisageables du texte. Le garde des sceaux a entendu privilégier l'initiative parlementaire.
Il lui est apparu, ainsi qu'à l'ensemble du Gouvernement, qu'il était souhaitable de voir adopter définitivement ce texte, fruit de débats très riches notamment au sein du Sénat, présenté sur l'initiative de l'un de vos membres, M. Cabanel.
Le Gouvernement s'en remet donc à la sagesse de votre assemblée.
Néanmoins, il est du devoir de la ministre de la justice, que je représente aujourd'hui, de vous dire qu'elle estime que, tel qu'il se présente, ce texte ne peut pas raisonnablement trouver application sans être amendé, à la fois pour les raisons juridiques qui ont été rappelées et pour les problèmes pratiques qui ont été évoqués.
Des expérimentations sont nécessaires avant toute généralisation.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite maintenant attirer votre attention sur deux aspects qui semblent avoir été négligés par le précédent ministre de la justice et qui auraient mérité que votre assemblée soit plus informée.
En premier lieu, l'impact budgétaire pour le ministère de la justice n'a pas été estimé à sa juste mesure.
Les évaluations auxquelles il a été procédé font état d'un coût global en année pleine de l'ordre de plusieurs dizaines de millions de francs, selon les hypothèses retenues pour le déploiement du dispositif. Ces chiffres tiennent compte des dépenses d'investissement et de fonctionnement.
Le coût définitif en ce qui concerne l'unité centrale de gestion pourrait être estimé à 3 millions de francs pour l'acquisition, l'installation et la maintenance de l'ordinateur et du logiciel d'exploitation et à 1,5 million de francs pour le budget annuel de fonctionnement.
Ce chiffrage n'est qu'une indication qui mérite une expertise plus précise. Les études indispensables devraient permettre d'y parvenir.
En ce qui concerne les mesures, il a été estimé, compte tenu, d'une part, du nombre des condamnations concernées et, d'autre part, du nombre de détenus remplissant les conditions de délai, qu'environ 2 300 personnes sur 137 établissements pénitentiaires pourraient bénéficier du placement, soit près de 850 000 jours de surveillance par an.
Par ailleurs, il a été retenu une durée moyenne de placement de quatre mois seulement.
Ainsi, le coût global moyen de la journée de surveillance pourrait être compris entre 200 et 250 francs ; mais il convient de remarquer qu'il s'agit de chiffres minimaux qui ne signifient pas nécessairement une charge financière moins lourde pour les établissements pénitentiaires, du moins dans l'immédiat.
Au Canada, où le prix de revient journalier est évalué à environ 180 francs, soit moitié moins, en théorie, que pour l'incarcération, une baisse des mesures prononcées a été constatée du fait des restrictions budgétaires.
Pour ne citer qu'un exemple supplémentaire, les Pays-Bas ont investi dans l'expérience 4 millions de florins sur deux ans, soit 6 millions de francs par an pour vingt-quatre condamnés, ce qui revient à un prix journalier de près de 700 francs.
Je ne m'attarderai pas davantage sur ce point, mais il faut bien être conscient que l'investissement initial du système est une charge nouvelle pour l'Etat.
En second lieu, et en considération de l'enjeu exceptionnel du texte que nous examinons aujourd'hui, le Gouvernement n'est pas certain que la voie de l'expérimentation préalable ait été explorée comme il convenait de le faire.
Sur les dix Etats à travers le monde qui se sont lancés dans cette voie, tous, à l'exception des Etats-Unis, ont procédé à une première expérimentation du système.
L'étude de droit comparé à laquelle s'est livré M. Cabanel a démontré que les pays qui ont tenté l'expérience ont tardé à passer au stade de la généralisation. D'ailleurs, il y a lieu d'observer que, parmi ces pays, se trouvent peu de représentants de l'Europe, d'une culture juridique comparable à la nôtre.
Il apparaît indispensable de préciser que, compte tenu de l'importance des évolutions induites par la proposition de loi et de la nécessaire prudence, la généralisation du placement sous bracelet électronique ne pourra se faire qu'après une période d'études et de réflexions.
Cette période ne saurait être inférieure à une durée de deux années minimum à compter, d'une part, de l'adoption des modifications importantes et nécessaires du texte que je viens de préciser et, d'autre part, de l'obtention de crédits en conséquence.
La France ne peut s'engager dans une telle évolution généralisée sans que des expérimentations précises aient été menées, accompagnées de réflexions.
Une étude conduite par les services de la chancellerie a permis de procéder à une évaluation budgétaire de telles expérimentations. Là encore, les sommes en jeu ne sont pas négligeables.
Comme vous le voyez, l'engagement sollicité de l'Etat n'est pas faible. En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le placement sous surveillance électronique constitue une évolution notable de notre droit de l'application des peines.
La prudence et les difficultés de fond et d'application que le Gouvernement entend souligner rendent un bilan indispensable.
Les expérimentations qui seront réalisées permettront de recenser les difficultés juridiques posées par ce nouveau dispositif. Elles permettront d'effectuer également les choix opportuns en matière technique.
Une nouvelle loi sera nécessaire non seulement pour améliorer le texte en discussion sur les points soulevés par le garde des sceaux, mais également pour tirer les conséquences des expérimentations.
Telle est, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la position du Gouvernement sur la proposition de loi que votre commission des lois vous demande d'adopter en termes identiques à ceux de l'Assemblée nationale. Le Gouvernement, pour sa part, je le répète, s'en remet à la sagesse de votre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Georges Othily, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus d'une année s'est écoulée depuis que le Sénat a adopté, en première lecture, la proposition de loi de notre collègue M. Cabanel. C'était le 24 octobre 1996 ; M. Toubon était au banc du Gouvernement.
Nous avions constaté avec satisfaction que le placement sous surveillance électronique dépassait les clivages politiques. Mme le garde des sceaux nous l'avait par la suite confirmé puisque, lors de son audition par la commission des lois, le 8 juillet dernier, elle avait qualifié ce procédé d'utile.
Un large consensus semble donc s'être dégagé sur le principe même du placement sous surveillance électronique, tout au moins pour son application à des condamnés.
Je ne crois donc pas utile de rappeler pour la énième fois tous les avantages de ce procédé tant pour l'intéressé que pour la justice ou la société : vous les connaissez, monsieur le ministre, tout comme les membres de cette assemblée qui ont voté la proposition de loi en première lecture à la quasi-unanimité.
Depuis son arrivée place Vendôme, Mme le garde des sceaux a plusieurs fois affirmé son souci de favoriser le développement des substituts à l'incarcération. Ce souci s'inscrit dans la droite ligne des préoccupations de la commission des lois.
Comme vous, monsieur le ministre, nous refusons la politique du « tout carcéral ». Comme vous, nous estimons que la prévention de la récidive ne saurait se fonder exclusivement sur la prison. Comme vous, nous sommes tout à fait disposés à améliorer l'existant.
Mais nous sommes aussi prêts à proposer des solutions novatrices. La surveillance électronique, la prison à domicile, en est une. Vous pourriez nous suivre, dites-vous, sous certaines conditions. Quelles sont-elles ?
Il faut l'accord des titulaires de l'exercice de l'autorité parentale, lorsque le bénéficiaire de la surveillance électronique est mineur. Mais reconnaissez avec nous qu'il est difficilement concevable que le juge de l'application des peines impose cette mesure à des parents qui n'en voudraient pas.
Je formulerai la même observation à propos de l'accord du maître des lieux d'assignation, que vous souhaiteriez rendre obligatoire. Pensez-vous vraiment que le juge imposera la présence d'un condamné contre l'avis du propriétaire des lieux ?
Je note, par ailleurs, que les questions que vous soulevez, notamment l'éventuelle faculté pour le juge de l'application des peines de décerner un mandat d'arrêt, ne concernent pas seulement le placement sous surveillance électronique ; elles peuvent s'appliquer à toutes les mesures d'exécution des peines en milieu ouvert.
Pour être bref, je ne prendrai que deux exemples.
Premièrement, pourquoi n'exigerait-on pas aussi l'accord du maître des lieux dans le cadre d'une libération conditionnelle ?
Deuxièmement, pourquoi ne permettrait-on pas au juge de l'application des peines de décerner un mandat d'arrêt contre le bénéficiaire d'une permission de sortir qui ne réintègre pas sa prison ?
Vous le voyez, monsieur le ministre, je ne rejette pas a priori vos suggestions. J'estime simplement qu'elles soulèvent des questions qui déborderont du champ du placement sous surveillance électronique.
En tant que rapporteur pour avis des crédits consacrés à l'administration pénitentiaire, je suis tout disposé à les étudier avec la plus grande attention, mais pas dans le cadre d'une mesure particulière.
Après ces considérations d'ordre général, j'en viens au contenu même de la proposition de loi.
Je rappellerai simplement pour mémoire les principaux axes de ce texte.
Le placement sous surveillance électronique pourra profiter aux condamnés à une courte peine de prison, inférieure à un an, et à ceux qui n'auront plus qu'une année à accomplir.
La décision relèvera du juge de l'application des peines, qui sera aussi chargé de veiller à la bonne exécution de la mesure.
En cas de violation du placement sous surveillance électronique, le juge de l'application des peines pourra révoquer la mesure, ce qui entraînera la réincarcération de l'intéressé.
La proposition de loi qui nous revient de l'Assemblée nationale comprend treize articles, soit dix de plus que celle que nous avions adoptée en octobre 1996. Cette différence tient au fait que les députés ont préféré diviser l'article 1er, qui comprenait dix-huit alinéas.
Sur le fond, les deux textes sont très proches, voire identiques, sous réserve de deux précisions, de deux aménagements et d'une adjonction.
La première précision ne paraît poser aucune difficulté à la commission des lois, car elle consiste à indiquer que la personne sous surveillance électronique est placée sous le contrôle du juge de l'application des peines dans le ressort duquel elle a été assignée.
La seconde précision consiste à rendre expressément applicable aux mineurs le dispositif de la proposition de loi. Nous ne l'avions pas exclu et nous pouvions donc en déduire que, dans notre texte, le placement sous surveillance électronique était applicable aux mineurs. Mais ce qui va sans dire va mieux en le disant.
Le premier aménagement concerne les moyens de préserver l'inviolabilité du domicile. Nous avions, à cette fin, prévu que les contrôles au domicile ne pourraient être effectués la nuit sauf en cas d'alerte électronique. L'Assemblée nationale a adopté une solution plus simple : les contrôleurs ne pourront pénétrer dans un domicile sans l'accord de l'intéressé.
Le second aménagement concerne le recours contre la décision de retrait du placement sous surveillance électronique. Nous avions prévu la faculté pour le condamné de saisir le tribunal correctionnel. L'Assemblée nationale lui a tout simplement offert la faculté d'interjeter appel devant la chambre des appels correctionnels.
L'adjonction, qui est la principale innovation de l'Assemblée nationale, se situe à l'article 3. Elle consiste à prévoir que le condamné pourra être déclaré coupable d'évasion s'il neutralise le procédé de contrôle à distance.
C'est une solution que la commission des lois a approuvée, par analogie avec ce qui est déjà prévu, par exemple, en cas de semi-liberté ou de placement à l'extérieur. C'est d'ailleurs dans la logique de la « prison à domicile », également appelée « prison sans barreaux » : le condamné est considéré comme incarcéré ; s'il trahit la confiance qui a été mise en lui, il doit être sanctionné.
Mes chers collègues, la commission des lois vous propose donc d'adopter sans modification la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plus de cinq ans, alors que je venais d'être nommé à la commission des lois, je montais à cette tribune pour dénoncer les risques pour la société française d'une surpopulation carcérale de plus en plus importante d'année en année.
J'attirais alors l'attention du Sénat sur ce substitut original à l'emprisonnement que constitue la « prison à domicile », mis au point depuis une vingtaine d'années grâce au progrès de la technologie électronique.
Le placement sous surveillance électronique est l'une des vingt propositions que j'ai ensuite présentées en 1995 dans un rapport intitulé Pour une meilleure prévention de la récidive.
Aujourd'hui, je me réjouis de voir le Sénat examiner en deuxième lecture la proposition de loi que j'ai déposée le 4 juin 1996 et qui a été complétée par l'Assemblée nationale lors de son examen le 25 mars 1997.
J'eusse aimé que Mme Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, puisse être présente aujourd'hui. Mais je sais que si elle n'assiste pas à nos débats, c'est en raison de son état de santé ; je formule à son intention des voeux de prompt rétablissement.
Monsieur le ministre, vous avez accepté de représenter le Gouvernement en l'absence de Mme le garde des sceaux, et je vous en remercie. J'ai été sensible à la présentation que vous avez faite des éléments figurant dans cette proposition de loi qui ont été retenus par le Gouvernement.
Vous venez d'évoquer le point de vue de Mme le garde des sceaux. En effet, lors d'un entretien, le 3 décembre dernier, Mme Guigou m'avait fait connaître ses observations sur certaines dispositions de ce texte.
Je prends acte, monsieur le ministre, des éléments de réflexion qui ont été apportés et qui auraient pu revêtir la forme d'amendements. Mais tel n'a pas été le cas, ce qui simplifie l'examen de ce texte.
Comme je l'ai fait de vive voix lors de ma rencontre avec Mme le garde des sceaux, je m'engage à favoriser toutes mesures tendant à faciliter l'application du placement sous surveillance électronique comme de tout autre dispositif alternatif à l'incarcération. Mon objectif est d'épargner à de petits délinquants, qui sont souvent des primo-délinquants, la désinsertion familiale et sociale sans éviter pour autant la sanction pénale, car nos concitoyens ne le comprendraient pas.
En même temps, je souhaite limiter le surpeuplement chronique de certains établissements pénitentiaires. J'attire ici une nouvelle fois l'attention du Sénat sur la situation de certains d'entre eux, en particulier les maisons d'arrêt ; c'est en effet dans ce secteur que se pose le plus de problèmes.
Je remercie le rapporteur de la commission de lois, M. Othily, qui a donné avec coeur un avis favorable sur la proposition de loi, après un examen attentif de celle-ci. Il a analysé avec soin les réserves formulées par le Gouvernement. Son excellent rapport et la brièveté du temps qui m'est imparti me conduisent simplement à souscrire sans réserve à ses réponses.
Pour ma part, je n'exclus pas la possibilité de déposer une nouvelle proposition de loi relative à l'exécution des peines en milieu ouvert. En réalité, la plupart des questions posées par le Gouvernement en ce domaine sont d'ordre général. Il nous faut développer le milieu ouvert qui constitue en quelque sorte un ballast dans le fonctionnement de l'administration pénitentiaire et en définir plus précisément les modalités.
Quand nous parlons du milieu ouvert, nous pensons naturellement à la libération conditionnelle, à la semi-liberté au placement à l'extérieur voire aux permissions de sortir, comme l'a évoqué M. le rapporteur, et ce avec le double souci du maintien des liens familiaux et sociaux et du respect de la personne humaine.
Naturellement, je souhaite réserver à Mme le garde des sceaux la primeur de mes réflexions. Une démarche parlementaire n'aurait en effet d'intérêt que si la chancellerie n'a pas elle-même préparé de son côté un texte de même nature.
En conclusion, je souhaite que le Sénat achève aujourd'hui le processus législatif tendant à faire reconnaître en France le principe du placement sous surveillance électonique.
J'ai découvert l'application pratique de ce dispositif en participant, en 1994, à une délégation de la commission des lois du Sénat au Canada, délégation conduite par M. Jacques Larché. J'ai ainsi pu constater sur le terrain qu'il était possible d'appliquer très simplement ce dispositif.
N'étant pas juriste, j'ai beaucoup appris en tant que membre, pendant trois années, de la commission des lois. Je dois beaucoup à son président, à ses membres ainsi qu'à ses collaborateurs, qui m'ont aidé dans l'élaboration de la proposition de loi.
Le principe du placement sous surveillance électronique reconnu, la France pourra rejoindre les pays européens qui ont déjà suivi l'exemple des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Il est vrai que la plupart des pays européens ont procédé à des expérimentations assez larges ; une loi expérimentale a même été adoptée en Suède avant que soit appliqué le placement sous surveillance électronique. Malheureusement, en France, nous n'avons pas eu cette faculté.
Si la France adopte aujourd'hui le principe du placement sous surveillance électronique, elle n'aura que quatre ans de retard par rapport à la Suède, trois ans par rapport à la Grande-Bretagne et deux ans par rapport aux Pays-Bas, pays qui expérimentent actuellement ce dispositif. Il n'est que temps d'appliquer dans notre pays ce substitut à l'incarcération qu'utilisent aujourd'hui de nombeuses nations développées et soucieuses d'humaniser leur système pénitentiaire. Je serais heureux qu'une collaboration s'instaure entre le Sénat et le Gouvernement sur ce point ; le débat d'aujourd'hui en est l'augure. Je m'en réjouis. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous étions et nous restons sceptiques sur la pertinence de la mesure proposée. La surveillance par le port d'un bracelet électronique soulève de graves questions. Cette mesure a des défenseurs en cette enceinte même et ils sont aussi soucieux que nous le sommes de la défense des libertés individuelles. Toutefois, demeurent nos craintes. Nous savons, comme chacun d'entre vous, que le rapport entre les surveillants et les détenus est de un à trente-cinq et que les prisonniers vivent dans des conditions de plus en plus inacceptables.
Je me rejouis d'ailleurs que Mme le garde des sceaux - à qui je souhaite un prompt rétablissement - envisage de prendre des mesures pour permettre aux prisonniers d'avoir un minimum de vie privée.
La surpopulation des prisons, avec un taux d'environ 116 %, est le mal premier du système carcéral français. Sur 54 496 détenus, 22 521 individus, soit 41 % de la population carcérale au 1er janvier 1997, sont des prévenus, même s'il faut distinguer ceux qui sont en détention provisoire et ceux qui ont déjà été condamnés mais qui font appel. La situation ne peut donc rester en l'état.
Régler ce problème central est, par conséquent, essentiel.
Le Gouvernement s'est engagé dans cette voie, en proposant un projet de budget de la justice en progression de 4,2 % et dont la majorité sénatoriale a dû reconnaître les aspects positifs. C'est une véritable mesure d'urgence qui s'imposait.
Certes, me dira-t-on, la vie carcérale ne va pas en être modifiée du tout au tout. Toutefois, le désengorgement de la procédure judiciaire ne serait pas hors de notre portée si nous décidions d'un grand effort national. Choisit-on une bonne voie, même de transition, avec la mesure inscrite aujourd'hui à l'ordre du jour ?
La priorité, c'est, selon nous, sortir d'une logique sécuritaire qui a montré ses insuffisances et ses limites, sans entrer pour autant dans une logique uniquement financière de traitement des « flux de condamnés de justice ».
Nous avons insisté sur ce point dès la première lecture, en proposant de renforcer l'application de mesures alternatives à l'incarcération, de garantir un réel suivi du délinquant et de permettre une véritable réinsertion de celui-ci.
D'ailleurs, des mesures alternatives à l'incarcération existent déjà, je pense notamment à la liberté conditionnelle, à la semi-liberté ou au placement à l'extérieur.
La création de cent postes, dont quarante-huit postes d'éducateur, dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse témoigne de l'amorce positive, en ce domaine, enclenchée par le Gouvernement.
En effet, sans un renforcement considérable de ce volet de réinsertion sociale, les peines alternatives ne vident pas les prisons. La situation actuelle en témoigne.
Permettez-moi d'ailleurs de regretter au passage, comme l'avait déjà fait mon amie et collègue Mme Nicole Borvo l'an passé, qu'aucune mesure concrète d'accompagnement social du condamné ne soit envisagée dans cette proposition de loi.
Je tenais à expliciter notre approche sur ces points avant d'en venir à l'objet même de la surveillance électronique sous forme de bracelet.
L'intégrité physique du condamné n'est-elle pas menacée par cette mesure ?
Ce marquage se traduit par une réelle soumission corporelle et soulève plusieurs questions. Quelles sont les chances, pour l'individu placé sous le contrôle permanent de ce bracelet, fixé au poignet ou à la cheville selon les convenances personnelles de chacun, de se réinsérer ? Quelle peut être sa vie sociale alors qu'il est enfermé à son domicile ? Quelle chance a-t-il de retrouver un emploi ?
Nous prenons acte que le recours au procédé du bracelet est envisagé comme une modalité d'exécution d'une peine privative de liberté, et non comme une peine prononcée par la juridiction de jugement, qu'il suppose le consentement de l'intéressé donné en présence d'un avocat et qu'il ne peut s'appliquer que sous certaines conditions : domicile fixe, stabilité de vie.
Mais ce dernier critère, sorte de garde-fou, n'est-il pas le meilleur moyen d'instituer, là aussi, une justice à deux vitesses ? En effet, quelle solution pour les sans-domicile, les sans-travail, en un mot ceux qu'il est convenu d'appeler les exclus ?
Seuls certains délits et donc certains délinquants pourraient « bénéficier » d'une telle mesure.
Par ailleurs, cette nouvelle possibilité offerte au juge de l'application des peines risque d'avoir les mêmes effets que la mise en place, au début des années soixante-dix, du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve. Ce dispositif risque, dans la pratique, d'être utilisé soit comme substitution non à la prison elle-même, mais aux peines d'emprisonnement avec sursis, soit comme un palliatif à la libération conditionnelle pour les fins de longues peines. Ces risques ont-ils été bien pesés ?
Est-il envisageable que des hommes et des femmes vivent au sein de la société tout en étant surveillés en permanence ?
Ne court-on pas le danger ultime, certes, mais non inconcevable, en supprimant la distinction entre en dedans et en dehors, de contribuer à propager les principes carcéraux à l'ensemble de la société ?
M. Jacques Habert. Oh ! Oh !
M. Michel Duffour. Cependant, l'état de santé des détenus dans les prisons françaises est tel et la situation qui leur est faite si inacceptable que nous ne voulons pas apparaître opposés à tout ce qui pourrait aller à l'encontre de la surpopulation carcérale, au moment où le Gouvernement envisage de prendre des mesures courageuses concernant les prisons.
Toutefois, nos réserves demeurent et je vous prie de nous en excuser, monsieur le rapporteur. C'est pourquoi les membres du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne pensais pas intervenir dans ce débat, mais les propos si intéressants rapportés par M. le ministre en l'absence de Mme le garde des sceaux, à laquelle nous adressons, bien sûr, nos voeux amicaux de rétablissement, me conduisent à prendre la parole.
D'abord, je voudrais rendre hommage à notre collègue Cabanel. En effet, il faut beaucoup de persévérance et d'énergie pour réussir dans un domaine où, le plus souvent, le fantasme remplace la réalité. Je voudrais aussi rendre hommage à notre ami Othily pour la précision et la qualité de son rapport.
Je souhaiterais simplement rappeler à la Haute Assemblée ce qu'est la finalité de cette proposition de loi.
Il ne s'agit que de tenter de voir quelle technique moderne on peut utiliser pour réduire le détestable taux d'incarcération qui nous préoccupe depuis si longtemps.
En ce qui concerne l'incertitude qui résulterait des problèmes soulevés, je dirai simplement que si vous demandiez aux intéressés - je n'ose dire aux consommateurs - s'ils préfèrent être chez eux sous surveillance électronique ou demeurer dans une maison d'arrêt, la réponse serait assurément en faveur de la première proposition et sans doute à l'unanimité.
De quoi s'agit-il en vérité ? De rien d'autre que d'une des expressions de ce qui dominera demain notre société, à savoir tirer les conséquences les meilleures des progrès de la technologie.
Il faut bien mesurer ce qu'est, aujourd'hui, dans notre temps, le développement du secteur du travail à domicile, qui nourrit souvent des inquiétudes quant aux conditions de sa rémunération mais qui s'inscrit inévitablement - j'y insiste - dans la production contemporaine et qui ne cessera de se développer, tout simplement parce que les techniques informatiques le permettent et qu'elles se concilient parfaitement avec ce que nous recherchons tant, c'est-à-dire la souplesse et la meilleure adaptation possible du travail aux conditions de vie.
En ce qui concerne le domaine judiciaire, je tiens à le marquer, cette révolution technologique est déjà en marche. Il faut savoir que de grands arbitrages internationaux se déroulent, pour les neuf dixièmes de la durée de la procédure, en dehors de tout contact entre les représentants des parties. En effet, c'est par la voie informatique, plus particulièrement par Internet, que se déroulent des arbitrages considérables, pendant des mois et jusqu'au moment ultime de l'audience, entre des conseils qui se trouvent respectivement en Asie, aux Etats-Unis et en Europe, le tribunal arbitral siégeant aux Pays-Bas, à Genève ou à Paris. C'est cela la dimension de l'avenir.
Il est inévitable et souhaitable que nous utilisions le développement des techniques pour tenter de faire face aux problèmes que nous connaissons et qui, il faut bien le dire, se posent aujourd'hui avec plus d'acuité que jamais. En effet, la libération conditionnelle est aujourd'hui plus difficile à obtenir que jamais non parce que les juges témoigneraient à cet égard d'une inflexibilité particulière, mais tout simplement parce que les conditions de réinsertion, et au premier chef la condition du contrat de travail, sont très difficiles à remplir.
Il est donc bienvenu que nous nous tournions vers ce qui permet, grâce au progrès technique, de modifier les conditions classiques du placement en libération conditionnelle.
Le vrai problème, indépendamment des difficultés juridiques, voire constitutionnelles, qui ont été évoquées, c'est de s'assurer ou d'espérer que la surveillance électronique de ceux qui accomplissent de courtes peines ne mordra pas sur le secteur de la libération conditionnelle ordinaire, car cela irait à l'encontre de la volonté du législateur et pourrait être considéré comme une sorte de détournement de finalité. Cependant, connaissant les juges de l'application des peines, je suis convaincu que tel ne sera pas le cas. Je suis également persuadé que, après la période d'expérimentation et lorsque nous reviendrons sur cette question - c'est inévitable - en examinant un projet de loi émanant de la chancellerie qui aura pesé tous les aspects et les coûts de cette mesure, nous pourrons alors en élargir le champ d'application.
Mais l'heure de l'expérimentation a sonné, et il n'est que temps. Je le répète : le groupe socialiste s'y associera. Certes, des problèmes se posent, mais face à la situation humaine qui est celle de tant de condamnés à de courtes peines qui n'aspirent qu'à ne pas demeurer en prison, notre réponse ne peut qu'être positive.
Enfin, je souhaite que l'on garde à cette procédure sa véritable dénomination, à savoir « placement sous surveillance électronique » et, surtout, que l'on ne lui substitue pas celle de « prison sans barreaux », qui, permettez-moi de le dire, n'a, ici, aucun sens. En l'occurrence, il ne s'agit précisément pas, et il ne doit surtout pas s'agir de prison. Par ailleurs, que serait une prison qui se promènerait ainsi avec le condamné lorsqu'il sortirait de son domicile ? Il ne faut jamais omettre de souligner que, entre domicile et prison, il ne saurait y avoir, sous quelque forme que ce soit, une identification possible. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. D'abord, je regrette que, compte tenu des circonstances, Mme le garde des sceaux n'ait pas pu participer à nos travaux, d'autant que, dans les conversations personnelles que j'ai eues avec elle dès sa prise de fonctions, elle avait marqué un intérêt très vif pour cette proposition.
Je voudrais saluer en cet instant un très bon exemple de travail parlementaire, dont je rappellerai la genèse : un voyage, une idée, une étude, une proposition de loi. Ce n'est pas si fréquent. Nous sommes parvenus à ce résultat qui, j'en suis persuadé, va obtenir l'assentiment du Sénat.
Nous sommes malgré tout, je tiens à le dire, dans une situation quelque peu paradoxale. Nous allons, bien sûr, voter cette proposition de loi. Or, ce texte n'entrera pas en vigueur tant qu'il n'y en aura pas un autre - c'est très exactement ce que vous avez dit, monsieur le ministre.
J'ai eu la curiosité, légitime, d'examiner les amendements envisagés par le Gouvernement car le directeur du cabinet de Mme le garde des sceaux, M. Vigouroux, a eu la courtoisie de me les faire connaître. Or, je dois le dire, ils ne me paraissent pas indispensables à l'application immédiate de la loi. Pour bon nombre d'entre eux, je me demande même s'ils sont absolument nécessaires. En tout cas, ils sont très en retrait par rapport aux propos que vous avez tenus. En effet, les réserves assez considérables que vous avez exprimées ne figurent pas dans ces amendements.
Aussi, lorsque nous aurons voté cette proposition de loi, je ne manquerai pas de faire une démarche personnelle - cela m'arrive quelquefois - auprès de Mlus précise. Les études indispensables devraient permettre d'y parvenir.
En ce qui concerne les mesures, il a été estimé, compte tenu, d'une part, du nombre des condamnations concernées et, d'autre part, du nombre de détenus remplissant les conditions de délai, qu'environ 2 300 personnes sur 137 établissements pénitentiaires pourraient bénéficier du placement, soit près de 850 000 jours de surveillance par an.
Par ailleurs, il a été retenu une durée moyenne de placement de quatre mois les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er A