SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Elargissement de l'Union.
- Discussion d'une question orale avec débat portant sur un sujet européen (p.
1
).
MM. Nicolas About, auteur de la question ; Jacques Genton, président de la
délégation du Sénat pour l'Union européenne ; Xavier de Villepin, président de
la commission des affaires étrangères ; Claude Estier, Christian de La Malène,
Denis Badré, François Lesein, Jean-Luc Bécart.
M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.
Clôture du débat.
3.
Protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière.
- Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture (p.
2
).
Discussion générale : MM. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement ;
Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois ; Robert Pagès, Michel
Dreyfus-Schmidt.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er. - Adoption (p.
3
)
Article 1er
bis (supprimé)
(p.
4
)
Amendement n° 2 rectifié de M. Pagès. - MM. Robert Pagès, le rapporteur, le
secrétaire d'Etat, Guy Allouche. - Rejet.
L'article demeure supprimé.
Article 2. - Adoption (p.
5
)
Article 3
bis
(p.
6
)
Amendements identiques n°s 1 du Gouvernement et 3 de M. Pagès. - MM. le
secrétaire d'Etat, Robert Pagès, le rapporteur, Guy Allouche. - Rejet des
amendements.
Adoption de l'article.
Article 4. - Adoption (p.
7
)
Vote sur l'ensemble (p.
8
)
M. Guy Allouche.
Adoption de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance (p. 9 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
4.
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire du Burkina Faso
(p.
10
).
5.
Questions d'actualité au Gouvernement
(p.
11
).
INSCRIPTION D'OFFICE
DES JEUNES SUR LES LISTES ÉLECTORALES (p.
12
)
MM. Jean Clouet, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.
ACTIONS À MENER POUR PRÉVENIR
LES VIOLENCES URBAINES (p.
13
)
M. François Lesein, Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.
RÉPONSES AU MOUVEMENT DES CHÔMEURS (p. 14 )
Mmes Hélène Luc, Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.
VIOLENCES URBAINES (p. 15 )
MM. Joseph Ostermann, Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur.
DROIT À L'EMPLOI (p. 16 )
M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.
SITUATION DE LA COMMUNAUTÉ HARKIE (p. 17 )
M. Michel Bécot, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.
ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER (p. 18 )
MM. André Maman, Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie.
CONSÉQUENCES DE LA CRISE ASIATIQUE (p. 19 )
MM. Joël Bourdin, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
RÉVISION CONSTITUTIONNELLE (p. 20 )
MM. Serge Vinçon, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.
POLITIQUE DE LA VILLE (p. 21 )
M. Pierre Mauroy, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.
AMÉNAGEMENT DU RÉSEAU TGV
DANS LE DOUBS ET DANS LE JURA (p.
22
)
MM. Jean Pourchet, Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement.
PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
6.
Diminution des risques sanitaires liés à l'exposition à la musique
amplifiée.
- Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p.
23
).
Discussion générale : MM. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des
affaires sociales ; Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé ; Mme Dinah
Derycke, M. Jean-Luc Bécart.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er. - Adoption (p.
24
)
Article 2 (p.
25
)
M. le rapporteur.
Adoption de l'article.
Article 3 (p. 26 )
Amendement n° 1 du Gouvernement. - MM. le secrétaire d'Etat, le rapporteur. -
Adoption.
Amendement n° 2 du Gouvernement. - M. le secrétaire d'Etat. - Retrait.
Adoption de l'article modifié.
Intitulé (p.
27
)
Vote sur l'ensemble (p.
28
)
MM. Emmanuel Hamel, le secrétaire d'Etat, Mme Anne Heinis.
Adoption de la proposition de loi.
7.
Communication du Gouvernement
(p.
29
).
Suspension et reprise de la séance (p. 30 )
8.
Dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse aux oiseaux
migrateurs.
- Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission (p.
31
).
Discussion générale : Mme Anne Heinis, rapporteur de la commission des affaires
économiques ; MM. Roland du Luart, Jean-Louis Carrère, Pierre Lefebvre, Mme
Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de
l'environnement.
Clôture de la discussion générale.
Article unique (p. 32 )
Amendement n° 1 rectifié de M. du Luart. - M. Roland du Luart, Mmes le
rapporteur, le ministre, MM. Philippe François, Jacques Habert, Jean-Louis
Carrère. - Adoption.
Adoption de l'article unique modifié.
Articles additionnels après l'article unique (p. 33 )
Amendement n° 2 de M. Lefebvre. - M. Pierre Lefebvre, Mmes le rapporteur, le
ministre, M. Jacques Habert. - Rejet.
Amendement n° 3 de M. Lefebvre. - M. Pierre Lefebvre. - Retrait.
Intitulé (p. 34 )
M. le président, Mme le rapporteur.
Vote sur l'ensemble (p. 35 )
MM. Roland du Luart, Pierre Lefebvre, Jean-Louis Carrère, Philippe François,
Jacques Habert, Mme le rapporteur.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi.
9.
Transmission d'une proposition de loi
(p.
36
).
10.
Dépôt d'un avis
(p.
37
).
11.
Ordre du jour
(p.
38
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
ELARGISSEMENT DE L'UNION
Discussion d'une question orale avec débat
portant sur un sujet européen
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat portant
sur un sujet européen suivante :
M. Nicolas About interroge M. le ministre délégué chargé des affaires
européennes sur les conséquences des décisions prises par le Conseil européen
de Luxembourg en ce qui concerne l'élargissement de l'Union.
Il lui demande comment sont évaluées les répercussions de ces décisions sur
les différents pays candidats et quelles précisions ont été apportées
concernant le financement de l'élargissement ainsi que la réforme des
institutions européennes.
Il lui demande également quelles seront les missions de la Conférence
européenne qui associera les Etats membres et tous les pays candidats à
l'adhésion. (N° QE 3.)
Je rappelle au Sénat que, dans un tel débat, ont droit à la parole, outre
l'auteur de la question et le Gouvernement, un représentant de la délégation du
Sénat pour l'Union européenne, un représentant de la commission permanente
compétente et un représentant de chaque groupe.
Chaque orateur dispose d'un temps de parole de dix minutes et il n'y a pas de
droit de réponse au Gouvernement.
La parole est à M. About, auteur de la question.
M. Nicolas About.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
préparation du Conseil européen de Luxembourg a donné lieu à un débat non
seulement au sein du Parlement européen mais encore au sein des parlements de
la plupart des pays membres de l'Union.
Ce débat faisait suite aux propositions de la Commission européenne tendant à
ouvrir des négociations d'adhésion avec cinq des dix pays candidats d'Europe
centrale et orientale ainsi que avec Chypre, et donc à ajourner l'ouverture des
négociations avec les cinq autres pays candidats.
Cette approche de la Commission a suscité de sérieuses réserves tant chez les
parlementaires européens que chez beaucoup de parlementaires nationaux. Les
inquiétudes portaient sur le risque de voir se constituer deux groupes de pays,
les « élus et les « ajournés », entre lesquels un fossé durable était
susceptible de se creuser, aboutissant à recréer une ligne de partage au centre
même de l'Europe, à l'image de ce qu'avait induit la méthode adoptée par les
Américains pour l'extension de l'OTAN.
Beaucoup de parlementaires plaidaient, en conséquence, pour une conception du
processus d'élargissement permettant d'englober tous les pays candidats
d'Europe centrale, même si, à l'évidence, certains pays étaient destinés à
rejoindre l'Union beaucoup plus rapidement que d'autres. Telle était, en
particulier, la position exprimée par la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
Le Conseil européen a fait droit, au moins en partie, aux préoccupations
parlementaires. La solution retenue donne, certes, priorité aux six
candidatures - ou, si l'on veut, aux « cinq plus une » - retenues par la
Commission, mais un effort manifeste est fait pour éviter la formation de deux
groupes.
Le processus d'élargissement, tel qu'il a été lancé par le Conseil européen,
englobe les onze candidatures et leur applique à toutes l'article relatif aux
adhésions du traité sur l'Union européenne, c'est-à-dire l'article O.
Les conclusions du Conseil précisent que les onze pays « sont appelés à
adhérer à l'Union européenne sur la base des mêmes critères et qu'ils
participent aux mêmes conditions au processus d'adhésion ». Dans ce sens, une
stratégie dite de « pré-adhésion renforcée » est définie, au profit de tous les
pays candidats ; elle s'exprime, notamment, dans la mise en place de «
partenariats pour l'adhésion » adaptés à chaque pays et dans un renforcement
des « aides pré-adhésion » qui seront réparties selon « le principe de
l'égalité de traitement, indépendamment de la date de l'adhésion ».
Ce compromis est satisfaisant. Ce qui paraît principalement souhaitable,
aujourd'hui, c'est qu'il soit pleinement appliqué, de telle sorte que, lorsque
le processus d'adhésion parviendra à son terme, les solidarités de fait qui
existent en Europe centrale soient respectées. A l'évidence, il est souhaitable
que la Lituanie et la Lettonie puissent, le moment venu, se joindre à l'Estonie
; de même, la Slovaquie doit pouvoir rejoindre la Hongrie et la République
tchèque.
Cependant, si l'on adopte ainsi une conception dynamique de l'élargissement,
fondamentalement englobante même s'il y a une différenciation dans le temps, la
question de la révision institutionnelle vient nécessairement au premier
plan.
Or, sur ce point, les conclusions du Conseil européen sont plus que
décevantes. Certes, elles réaffirment qu'il y a bien un préalable
institutionnel à l'élargissement - le mot est employé - mais ce préalable est
défini comme « un renforcement et une amélioration du fonctionnement des
institutions conformément aux dispositions du traité d'Amsterdam ».
On s'en tient donc au protocole adopté à Amsterdam, c'est-à-dire à un
préalable institutionnel de portée limitée et de faible valeur
contraignante.
L'absence de tout progrès dans ce domaine, alors que le processus
d'élargissement est maintenant officiellement lancé, est très inquiétante.
J'observe qu'en même temps un discours se développe au sein de la Commission
européenne, selon lequel les questions institutionnelles débattues lors de la
Conférence intergouvernementale n'auraient pas l'importance qu'on leur avait
prêtées. Seule serait vraiment nécessaire une extension des votes à la majorité
qualifiée ; pour le reste, l'Union élargie pourrait fonctionner selon les
règles actuelles ou avec des adaptations limitées. Ce type de discours est
naturellement très bien reçu par certains « petits » Etats membres.
Une clarification est donc indispensable. Il ne suffit pas de dire qu'« une »
révision institutionnelle est un préalable à l'élargissement ; il faut dire
laquelle, sinon rien n'empêchera de s'en tenir à de modestes aménagements.
Le précédent gouvernement avait, quant à lui, établi un lien entre l'extension
de la majorité qualifiée, la repondération des votes du Conseil et la réforme
du fonctionnement de la Commission. Ce point de vue, on le sait, n'a pas
triomphé à Amsterdam, mais il n'a pas non plus été officiellement abandonné par
la France ; dès lors, devons-nous admettre, monsieur le ministre, que le
nouveau gouvernement l'a repris à son compte ? Il est indispensable que le
Gouvernement précise sa conception du préalable institutionnel.
Pour ma part, j'ai le sentiment que, dans la durée, une Union élargie ne
pourra fonctionner sans évoluer vers un système de type fédéral. Je sais que ce
terme reste tabou dans la classe politique française et suscite de nombreuses
craintes, mais c'est conscient de cet état d'esprit que j'ai choisi de
l'utiliser. « De type fédéral », cela signifie simplement une répartition
claire et efficace des domaines de compétence entre les différents centres de
décision de l'Union européenne, et ce dans le respect des identités nationales.
Il ne s'agit donc pas, contrairement à ce que certains affirment, de renoncer à
notre souveraineté.
La France ne pourra préserver cette souveraineté face aux défis de demain,
tels le commerce électronique, le crime organisé, le besoin d'une politique
étrangère et de défense efficace, sans cette organisation politique
fédérale.
En dehors de cette voie, l'Europe des nations représente une somme de
souverainetés limitées et peu crédibles sur la scène internationale.
Bien entendu, cette évolution ne pourra se faire que par étapes mais, si la
première est manquée, il sera extrêmement difficile d'avancer ensuite.
Un autre sujet d'interrogation concerne l'avenir de la Conférence européenne.
Cette idée d'origine française a été retenue par le Conseil européen, mais on
peut aujourd'hui se demander si elle conserve sa pertinence.
L'idée de la Conférence européenne s'accordait assez bien avec les
propositions initiales de la Commission : elle définissait un cadre pour une
coopération entre les pays membres de l'Union et l'ensemble des pays candidats,
atténuant donc la coupure entre les pays retenus pour l'ouverture de
négociations d'adhésion et les autres.
En même temps, elle permettait d'associer la Turquie, sous une forme
appropriée, au processus d'élargissement. Or, aujourd'hui, ce processus englobe
clairement tous les pays candidats d'Europe centrale et orientale et Chypre,
avec lesquels se poursuivra le « dialogue structuré » qui les associe tous à
l'Union. Quant à la Turquie - j'y reviendrai - elle se tient ou est tenue pour
l'instant à l'écart.
Dans ces conditions, on peut se demander quelle raison d'être subsiste pour la
Conférence européenne.
Faut-il en faire une enceinte encore plus vaste, en courant le risque d'un
double emploi avec le Conseil de l'Europe ? Ou faut-il admettre que, à moins
d'un accord avec la Turquie, la Conférence européenne est mort-née ?
Il serait, à mes yeux, hautement souhaitable, monsieur le ministre, que vous
nous aidiez à y voir plus clair sur ces points.
S'agissant de la Turquie, on a le sentiment que des maladresses ont été
commises à l'égard de ce pays lors de la préparation du Conseil européen, et en
disant cela, je le précise, je n'incrimine pas notre gouvernement. Toujours
est-il que les relations entre l'Union et la Turquie connaissent une crise.
Je sais bien que certains de nos partenaires n'ont guère de sympathie pour la
candidature de la Turquie, même à long terme. Cependant, renoncer au
rapprochement avec ce pays serait, me semble-t-il, une grave erreur.
La Turquie est le seul pays musulman à avoir adopté un système politique fondé
sur la laïcité, chaque jour remis en cause par les islamistes. C'est un grand
pays, à l'influence grandissante en Asie centrale, une région dont l'importance
stratégique et énergétique croîtra au siècle prochain.
Enfin, à l'évidence, une solution du problème chypriote, qui intéresse
directement l'Europe, passe par un accord avec la Turquie, et non par une
attitude de confrontation.
Laisser de côté la Turquie serait donc contraire aux intérêts européens ; ce
serait laisser une influence exclusive aux Etats-Unis dans une zone
charnière.
L'option de l'adhésion de la Turquie doit donc rester ouverte, d'autant
qu'elle est le meilleur levier pour la modernisation de ce pays.
On peut, bien sûr, souligner le fossé qui subsiste entre la Turquie et
l'Europe, mais nul n'envisage une adhésion de la Turquie à un terme rapproché.
De plus, nous venons de constater que l'Histoire pouvait s'accélérer et prendre
des directions inattendues. Qui aurait prévu il y a dix ans que nous serions,
en ce début de 1998, en train d'organiser l'entrée des pays d'Europe centrale
et orientale dans l'Europe communautaire ?
Une attitude constructive à l'égard de la Turquie est donc nettement
préférable à la frilosité. Elle est en même temps le seul moyen dont nous
disposons pour encourager l'ouverture économique et la démocratisation accrue
dont ce pays a tant besoin. Il me paraît donc souhaitable que le Gouvernement
encourage une clarification positive de la politique de l'Union à l'égard de la
Turquie.
Pour terminer, j'ajouterai que, même si les conclusions du Conseil européen
sont bien orientées, nombre d'interrogations et de motifs d'inquiétude
subsistent. L'élargissement est lancé, mais le terrain n'est toujours pas
balisé, qu'il s'agisse des institutions, du financement, ou encore des limites
géographiques du processus.
Cela appelle de notre part un effort pour clarifier nos positions et pour
entraîner nos partenaires. La France doit rester vigilante. Ne cédons pas à la
tentation de faire de l'Europe un vaste espace économique sans réelle
consistance politique et sans influence internationale !
L'Union européenne ne doit, en ces instants cruciaux pour son avenir, ni
décevoir les espoirs des Européens de l'Est, ni renforcer l'euroscepticisme des
Européens de l'Ouest, et elle ne doit pas non plus abandonner la dimension
méditerranéenne de son projet, dont plus personne ne parle.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union
européenne.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Monsieur le
président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question que M.
Nicolas About pose au Gouvernement, en accord avec la délégation du Sénat pour
l'Union européenne, je me permets de le souligner, nous invite fort
opportunément à nous exprimer dans le cadre d'un débat public sur les décisions
prises le mois dernier par le Conseil européen en ce qui concerne
l'élargissement de l'Union.
Les considérations pertinentes présentées voilà un instant par l'auteur de la
question sur les conditions dans lesquelles se sont finalement déroulés et
terminés les travaux me dispensent d'en reprendre l'exposé. J'essaierai plutôt
d'exprimer le sentiment de ceux qui suivent attentivement le développement
d'une Communauté européenne vieille déjà de quarante ans.
A juste titre, on a pu souligner qu'il importait de prendre conscience de la
portée historique de ce Conseil européen de Luxembourg, qui a ouvert la porte
de l'Union à onze nouveaux pays, les dix pays associés d'Europe centrale et
orientale, et Chypre.
Sachons observer que cette dimension historique comporte elle-même deux
aspects très différents.
Le premier aspect est réconfortant : c'est la concrétisation de la fin de la
guerre froide. Le continent européen va surmonter définitivement les divisions
artificielles nées de l'affrontement entre l'Est et l'Ouest, et la méthode qui
est retenue pour cette grande entreprise est celle qu'avaient choisie les pays
d'Europe occidentale dans les années cinquante, à savoir la méthode
communautaire !
Peut-on imaginer preuve plus décisive, plus éclatante de la validité de cette
méthode ?
Libérées de l'emprise soviétique, les ex-« démocraties populaires » ne se
prononcent pas pour une quelconque « troisième voie » entre l'Est et l'Ouest ;
ce qu'elles choisissent, c'est de se joindre au processus engagé par les
Européens de l'Ouest, tant il leur paraît évident que ce processus a conduit au
succès.
L'élargissement est donc, avant tout, une éminente victoire de la construction
européenne. Dois-je dire, mes chers collègues, que je m'en réjouis vivement
?
Cependant, ce tournant historique comporte également un deuxième aspect, plus
difficile à apprécier, qui est le changement du caractère spécifique de
l'Europe communautaire.
Il est vrai que l'apparence de l'Europe s'était déjà modifiée très
sensiblement lors de l'adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark et de
l'Irlande. Mais, si l'entrée de la Grèce avait encore un peu plus éloigné la
Communauté des équilibres de départ, celle de l'Espagne et du Portugal,
contrairement à ce que l'on semblait redouter ici et là, l'en avait ensuite
rapprochée. Soyons satisfaits d'avoir, au Sénat, contribué à favoriser
l'admission des pays ibériques dans le traité de Rome.
L'élargissement à trois pays neutres, en 1995, nous a de nouveau éloignés de
l'esprit initial des Communautés. Je ne suis pas convaincu d'ailleurs que, sur
le moment, nous ayons bien mesuré le changement d'ambiance qu'allait entraîner
le passage de douze à quinze membres.
Désormais, avec la perspective de l'adhésion dans quelques années de cinq,
six, huit nouveaux pays, l'altération sera plus profonde encore. Ne nous
méprenons pas sur les conséquences de cette importante modification des limites
de l'Union, mes chers collègues.
Je veux rappeler que la Communauté des Six était un ensemble relativement
homogène, fortement soudé dès l'origine par l'axe franco-allemand avec une
République fédérale non encore unifiée. Dans ce cadre, il était finalement
toujours possible d'arriver à un accord raisonnable lorsqu'un choix
indispensable à la mise en oeuvre des principes retenus dans les traités devait
être fait. Les conceptions sur l'étendue des problèmes à régler en commun,
sinon sur la formulation des décisions, étaient assez voisines. Dans ces
conditions, la Communauté pouvait contourner, dans la pratique courante, les
aspirations des fondateurs à un fédéralisme qu'il convenait de définir par
l'expérience.
La construction européenne a longtemps vécu sur cet acquis. Mais, depuis le
dernier élargissement, nous avons déjà atteint les limites de ce type de
fonctionnement. Nous sentons bien que l'entreprise rencontre des difficultés
pour progresser. Le caractère plutôt décevant, reconnaissons-le, du traité
d'Amsterdam en est l'illustration la plus nette. Le seul grand projet qui
rassemble les Européens aujourd'hui, la mise en place de la monnaie unique, a
été décidé par l'Europe des Douze.
La leçon est claire : une Union européenne encore élargie ne pourra plus
atteindre ses objectifs à partir des bases originelles. Non seulement elle
comptera trop d'Etats membres pour y parvenir, mais surtout elle sera trop
hétérogène. M'exprimant ainsi, je ne pense pas seulement aux disparités
économiques et sociales considérables qui la caractériseront et qui justifient
les délais exigés pour que les critères imposés à l'adhésion soient respectés,
je pense aussi au fait que beaucoup de ses membres n'auront pas été portés par
l'élan initial de la Communauté.
Je crois de mon devoir de rappeler ce qu'était cet élan qui a conduit à la
mise en place des premières Communautés dans les années cinquante.
L'Union à vingt ou vingt-cinq membres, pour ne pas se déliter, devra
impérativement disposer d'institutions centrales plus fortes, d'autant que les
pays auront entre eux trop de différences naturelles pour que l'effort
d'harmonisation reste aussi poussé qu'aujourd'hui.
Si nous persistons à l'intérieur d'une Union élargie à vouloir nous doter de
règles uniformes et détaillées dans de très nombreux domaines, nous aboutirons
à de graves distorsions, car ces règles ne seront pas appliquées de la même
manière par tous les Etats et ne pourront pas l'être.
Une Union élargie aura donc besoin à la fois de plus d'autorité et de plus de
subsidiarité. Elle devra être plus fédérale qu'aujourd'hui, mais aussi moins
interventionniste.
Comme vous pouvez le constater, monsieur About, je ne m'éloigne pas beaucoup
des propos que vous avez tenus voilà un instant.
Un tel programme, reconnaissons-le, sera difficile à remplir, car il heurtera
à la fois la propension des institutions européennes à intervenir toujours plus
et la tendance des Etats membres à se défier des centres de décisions ou de
recommandations placés au-dessus d'eux.
Ainsi, le risque existe que l'Union se trouve de moins en moins capable
d'adopter un système de type fédéral, au moment même où un tel système
deviendra de plus en plus nécessaire pour lui permettre d'accomplir ses
missions.
Les problèmes que devra résoudre une Union très hétérogène sont
particulièrement évidents dès que l'on prend en compte le cas de la Turquie.
Ce pays, contre toute attente, est celui qui a fait le plus parler de lui lors
du Conseil européen de Luxembourg. De nombreux observateurs ont découvert à
cette occasion qu'il avait plus de moyens de pression qu'on ne pouvait le
penser. Mais quelle attitude adopter dans cette affaire ?
La Communauté a reconnu, voilà trente-cinq ans, la vocation de la Turquie à
l'adhésion ; cette vocation a été officiellement réaffirmée il y a dix ans et à
nouveau confirmée lors du Conseil européen de Luxembourg. Personne ne peut
prétendre pourtant qu'il y ait eu en trente-cinq ans un véritable rapprochement
entre la Turquie et les pays membres de la Communauté. On doit même constater
qu'une adhésion de la Turquie paraît aujourd'hui toujours aussi éloignée, voire
hypothétique.
Pourrons-nous rester durablement sur une ligne consistant à affirmer
l'éligibilité de la Turquie sans jamais prendre les mesures qui pourraient en
permettre la concrétisation ? Bon gré mal gré, nous devons donc intégrer à
notre vision de l'Europe future que, tôt ou tard, la Turquie sera membre de
l'Union, à moins qu'elle-même n'ait cessé entre-temps de le souhaiter - ce qui,
tout bien pesé, ne serait sans doute pas une très bonne nouvelle.
Soyons lucides si elle voit le jour, une Union de trente pays, allant de la
Laponie à l'Asie mineure et de la mer Noire à l'Atlantique, n'aura plus
grand-chose à voir avec la vision des pères fondateurs, même si Jean Monnet a
conclu ses
Mémoires
en soulignant que la Communauté des six n'était
qu'une « étape ».
Dans ces conditions, si nous ne voulons pas que l'Union perde en substance ce
qu'elle aura gagné en étendue, il apparaît indispensable de consolider, sans
doute autour de l'euro, la coopération privilégiée qui s'est établie à l'Ouest
du continent et qui reste la plus étroite jamais accomplie entre les Etats
d'Europe souverains, ayant de lourdes pesanteurs historiques.
L'Europe élargie aura besoin d'un pôle d'entraînement, ou, si l'on veut, d'un
pôle magnétique de nature à contrecarrer les tendances à la dispersion. C'est
aux pays premiers signataires des traités de le proposer, et oserai-je dire, de
savoir l'imposer par une intelligente persuasion. Je me permets de le leur
rappeler du haut de la tribune du Sénat de la République française.
Evitons de lâcher la proie pour l'ombre. L'acquis communautaire, y compris le
traité d'Amsterdam, ne doit pas être remis en cause ; il doit, au contraire,
être repris par les nouveaux adhérents.
Efforçons-nous donc de prendre la mesure des enjeux extrêmement complexes du
processus d'élargissement, non pour le retarder, mais pour le maîtriser. Il
faut se réjouir de cet élargissement ! Qui souhaiterait le retour à la guerre
froide ? Mais, en même temps, il nous faut veiller à ce que l'agrandissement de
l'édifice n'en menace pas les fondations.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, prenons garde - ce sera ma
conclusion - à ne pas faire de la construction européenne une tour de Babel
politique. Notre exigence d'une structure plus efficace pour la nouvelle Union
doit être comprise en ce sens par tous ceux qui veulent poursuivre l'oeuvre
exaltante et pacificatrice de rapprochement des peuples porteurs de la
civilisation du monde occidental.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, en prenant à Luxembourg, le 12 décembre dernier, la décision
d'ouvrir la porte de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et
orientale, les chefs d'Etat et de gouvernement des Quinze n'ont pas seulement
confirmé un choix dont le principe avait été retenu, dès juin 1993, à
Copenhague : ils ont pris une décision à la dimension historique évidente,
destinée à effacer les divisions du continent européen héritées de la guerre
froide.
Sans doute pourrait-on relever que, après la création de l'euro, qui constitue
une concession majeure de l'Allemagne, l'élargissement à l'Est répond
parfaitement aux intérêts stratégiques de nos voisins. Mais cet élargissement
constitue surtout une évolution politique inéluctable et un défi sans précédent
pour l'Union européenne. En effet, il s'agit de permettre cette réintégration
dans la famille européenne des pays d'Europe centrale et orientale sans
dilapider l'acquis communautaire ni renoncer à notre ambition européenne. Dès
lors, bien des questions se posent aujourd'hui aux Quinze pour mener à bien
cette difficile entreprise. J'en évoquerai brièvement trois.
La première porte naturellement sur les pays concernés, au moins dans un
premier temps, par ce nouvel élargissement. L'enjeu n'est pas mince. En effet,
si des adhésions groupées et précipitées ne pourraient que conduire à
l'affaiblissement de l'Union dans son ensemble, un processus d'intégration trop
différencié ferait courir le risque de faire apparaître, en Europe, de
nouvelles lignes de fracture, d'autant plus inacceptables qu'elles seraient
parfaitement contradictoires avec l'objectif, essentiellement politique, que
l'on cherche à atteindre par l'élargissement.
Les décisions de Luxembourg se sont, à cet égard, efforcées d'atténuer les
risques de la différenciation proposée par la Commission en faveur des cinq ou
six pays les mieux préparés, en instaurant également un processus qui concerne
l'ensemble des pays européen candidats. Cependant, des interrogations
demeurent.
Pouvez-vous, d'abord, nous confirmer, monsieur le ministre, que les Etats
faisant partie de la première vague ne pourront pas faire obstacle à des
adhésions ultérieures, alors que le traité confère en la matière, je le
rappelle, un droit de veto à tout Etat membre ? Il s'agit là, je crois, d'un
point politiquement important qui devrait être clairement acté.
Ensuite, la Conférence européenne, qui doit se réunir pour la première fois à
Londres en mars prochain et rassembler, avec les Quinze, tous les candidats à
l'adhésion, doit constituer un forum politique utile sur des sujets d'intérêt
commun. Mais ne risque-t-elle pas d'apparaître comme une bien mince
compensation à l'ouverture de négociations immédiates ? Quel sera, monsieur le
ministre, le contenu précis de cette conférence ? Ne sera-t-elle pas purement
mondaine ? Et quelle sera l'articulation de ses travaux avec les discussions
poursuivies à Quinze dans le cadre des deuxième et troisième piliers ?
Comment ne pas évoquer également, comme l'ont fait excellemment MM. Nicolas
About et Jacques Genton, le cas de la Turquie, qui frappe à la porte de
l'Europe depuis le début des années soixante ? Nous devons tout faire pour
renouer fermement les fils du dialogue avec ce pays. La France peut, me
semble-t-il, jouer un rôle très positif pour conduire Ankara à participer à la
Conférence européenne. En effet, s'il est clair - je partage à ce sujet ce
qu'ont dit les deux orateurs précédents - que personne - sauf peut être aux
Etats-Unis - n'imagine que la Turquie se trouve dès aujourd'hui en situation
d'adhérer à l'Union européenne, il va aussi de soi que nous devons tout mettre
en oeuvre pour éviter que ce grand pays, par déception ou par rancoeur, ne
succombe aux tentations extrémistes, tout en bloquant toute évolution du
dossier chypriote, au moment même où des négociations d'adhésion doivent être -
à tort ou à raison, je me pose la question - commencées avec Chypre.
Une deuxième série de questions nous conduit à aborder les modalités des
futurs élargissements.
Quelle solidarité financière pourra être assurée, demain, au sein de l'Union
alors que, d'un côté, les pays demandeurs seront plus nombreux et que, de
l'autre, les pays contributeurs sont engagés dans des efforts durables de
rigueur budgétaire ? Chacun sait que l'Allemagne se plaint de plus en plus de
verser quelque 60 % des contributions nettes au budget communautaire, tandis
que - faut-il le rappeler ? - la position française est beaucoup plus
avantageuse, monsieur le ministre. Si les dépenses communautaires doivent
continuer à respecter le plafond de 1,27 % du PIB de l'Union, qu'en sera-t-il
dans une Union européenne à vingt ou vingt-cinq membres ?
Monsieur le ministre, pouvez-vous, dans ce contexte, nous donner quelques
précisions sur le coût et le financement de l'élargissement de l'Union qui
paraît faire l'objet d'évaluations presque aussi aléatoires que l'élargissement
de l'OTAN ?
Troisième question : dans quelle mesure et sous quelle forme peut-on faire
d'une véritable réforme institutionnelle un préalable à la mise en oeuvre de
tout nouvel élargissement ? Je rejoins la position de notre collègue et ami
Nicolas About : cette réforme est nécessaire et indispensable.
Cependant, la tâche ne sera pas aisée. Pour tout dire, j'ai le sentiment que
le « parti de la réforme » est aujourd'hui singulièrement affaibli en Europe.
Nous n'avons d'ailleurs guère trouvé que l'Italie et la Belgique pour
s'associer à nos propositions. Plus généralement, tout porte à craindre que,
face à la dynamique historique du processus d'élargissement, la demande de
réforme institutionnelle ne pèse plus très lourd.
Il reste que les dispositions institutionnelles du traité d'Amsterdam, qui
auraient pu, pour une Union maintenue à quinze Etats membres, représenter
quelques timides améliorations, présentent des insuffisances très préoccupantes
dans la perspective d'une Europe élargie.
Nous devons donc, selon moi, non pas - je le souligne - rejeter la
ratification du traité d'Amsterdam,...
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères.
... avec toutes les
conséquences qui en résulteraient, mais indiquer clairement à nos partenaires
qu'il ne pourra y avoir d'élargissement sans réforme.
Nous devons, je crois, pour y parvenir, prendre l'initiative de proposer une
méthode, voire un calendrier. La méthode de la Conférence intergouvernementale
a montré ses limites. Que pensez-vous, monsieur le ministre, de la possibilité
de confier à quelques personnalités européennes incontestables ou à un « comité
des sages » le soin de formuler les propositions les plus adaptées ?
Avec la mise en place de mécanismes assouplis de « coopérations renforcées » -
seul moyen de préserver, demain, dans le cadre d'une Union élargie,
l'approfondissement de la construction européenne - avec la mise en oeuvre,
désormais acquise, de l'euro - qui constituera le vrai projet fédérateur de
l'Europe au tournant du siècle - une réponse pourrait être ainsi apportée au
manque de projet clair qui caractérise aujourd'hui la construction européenne.
Alors, seulement, les incertitudes liées à l'élargissement pourront être
dissipées et nous éviterons de voir encore s'éloigner la perspective d'une «
Europe puissance » que nous continuons à appeler de nos voeux.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil
européen qui vient de se tenir à Luxembourg marque le premier point
d'aboutissement d'un long processus de préparation et de cadrage du lancement
des négociations d'adhésion, dont l'origine réside dans l'article O du traité
sur l'Union européenne.
Le Conseil européen de Luxembourg a donné son accord à l'engagement d'un
élargissement sans précédent de par le nombre de pays candidats, leur
hétérogénéité et leur situation politique, économique et sociale.
Leur adhésion et leur intégration est un projet avant tout politique. En
effet, la perspective de nouvelles adhésions porte en elle-même l'interrogation
de l'avenir de la construction européenne : parviendrons-nous à réussir une
intégration politique, économique et sociale de cette importance sans pour
autant mettre en danger les principes, les objectifs et les moyens de la
construction européenne ? C'est la question que nous nous posons tous.
La difficulté centrale de l'élargissement est la suivante : comment permettre
aux pays candidats de parvenir dans un délai relativement bref à un degré de
développement économique et social important sans que, pour autant, leur
participation à la construction communautaire entraîne la dilution ou
l'affaiblissement de l'Union.
Cet élargissement constitue certes une chance historique pour l'Europe, mais
il n'est pas sans risque pour le projet politique de l'Union européenne, compte
tenu de l'hétérogénéité croissante des intérêts et des perceptions du rôle de
l'Union qu'il entraînera.
Cet enjeu avait déjà été bien cerné par le Conseil européen de Copenhague en
juin 1993 : préserver, voire accroître « la capacité de l'Union à assimiler de
nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne » et en
« répondant à l'intérêt général aussi bien de l'Union que des pays candidats
».
La qualité de l'Union, la motivation et la volonté politique des Etats membres
de faire progresser l'Union dans le sens d'une plus grande intégration
pourraient être jugées à l'aune de cette capacité. C'est en tout cas une
occasion de réfléchir aux objectifs que l'on veut s'assigner, en d'autres
termes à la nature même de l'Union européenne. Celle-ci est face à un défi
majeur qui a rendu nécessaire la définition d'une stratégie d'ensemble,
l'élargissement n'étant que l'un des éléments d'un projet plus global de
réforme du cadre financier et des politiques communes de l'Union.
La question que l'on peut aujourd'hui se poser est donc la suivante : les
conclusions de ce Conseil européen répondent-elles de manière satisfaisante aux
exigences et aux contraintes d'un tel élargissement ?
Le Conseil européen est parvenu à définir une formule permettant de lancer «
un processus d'adhésion englobant les dix Etats candidats d'Europe centrale et
orientale et Chypre... qui participent aux mêmes conditions au processus
d'adhésion... à travers l'établissement d'un dispositif d'encadrement unique ».
Le Conseil européen a donc opté pour une même ligne de départ, donnant à chaque
pays candidat sa chance.
Nous nous félicitons, en particulier, de l'adoption du principe d'une
conférence européenne annuelle, qui devrait permettre des discussions
multilatérales fructueuses dans les domaines d'intérêt commun relevant de la
politique étrangère et de sécurité commune, de la justice et des affaires
intérieures, ainsi que de la coopération régionale.
Les conclusions du Conseil européen consacrent aussi le principe selon lequel
la durée et le rythme des négociations pourront varier en fonction de
l'évolution des différents pays. La combinaison des processus permet en fin de
compte d'entretenir la mobilisation de tous les pays candidats, en utilisant
l'objectif d'adhésion comme un aiguillon.
Je ferai quelques remarques sur le choix des candidats.
D'abord, je formulerai une réserve sur la différenciation qui a été faite
entre les Etats baltes. Qu'est-ce qui distingue les pays baltes entre eux ?
Cette distinction ne peut-elle porter préjudice à leur système de coopération
régionale ?
Par ailleurs, j'ai l'espoir que l'engagement des négociations avec Chypre
permettra rapidement de parvenir à un accord politique sur le statut de l'île,
sur le différend qui la divise.
Enfin, nous pouvons regretter que la Turquie ait repoussé l'offre du Conseil
européen. En effet, les exigences faites à la Turquie sont simplement celles
que l'Union s'impose à elle-même et impose aux pays candidats : respect de
critères politiques - démocratie, Etat de droit, respect des minorités et des
droits de l'homme - respect de critères économiques et reprise intégrale de
l'acquis communautaire, enfin, reprise de l'ensemble des instruments mis au
point dans le cadre des deuxième et troisième piliers.
Cela dit, nous nous félicitons de la mise en place d'une stratégie dynamique
de pré-adhésion qui aboutira à ce que les pays candidats soient tout
particulièrement évalués à leur capacité à appliquer les principes de l'Union
européenne.
Le partenariat d'adhésion, instrument central de la stratégie d'adhésion,
recensera les priorités à mettre en oeuvre, établira un calendrier et définira
les actions de soutien qui seront entreprises.
Nous espérons qu'une partie substantielle des moyens sera consacrée au
financement des investissements dans des domaines tels que l'environnement, les
transports et la sûreté nucléaire.
Ce qui nous paraît particulièrement intéressant est la mise en place d'une
procédure de suivi substantielle, dont le principe est le maintien d'une
approche dynamique destinée à prendre en compte les efforts continus des pays
candidats.
Mais de nombreuses questions fondamentales restent en suspens.
Certes, la France a obtenu un certain nombre de satisfactions, à savoir le
maintien de la ligne directrice agricole, la double programmation des dépenses
- celles qui sont nécessaires aux réformes des politiques communes et celles
qui sont dévolues à l'élargissement - ainsi que l'inscription du préalable
institutionnel à l'élargissement de l'Union.
En termes de méthode, l'approche de l'élargissement a été conditionnée par les
débats qui ont entouré le Conseil européen de Luxembourg et qui ont mis en
valeur - cela a été rappelé - deux sensibilités différentes parmi les Etats
membres : d'une part, ceux qui souhaitent une réforme plus fondamentale avant
le lancement du processus d'élargissement - en premier lieu, la France,
soutenue par l'Italie et la Belgique - et, d'autre part, ceux qui voudraient
des réformes modestes, pourvu qu'elles permettent l'élargissement, et qui se
sont donc refusé à accepter que soient inscrites des orientations concrètes
dans les conclusions du Conseil, dans des domaines tels que le financement
futur de l'Union, et donc de l'élargissement, et la réforme des politiques
communes.
Le résultat a été le suivant : le Conseil européen s'est limité à donner
quelques orientations très générales sur les différents volets d'Agenda 2000,
affichant un niveau d'ambition très bas.
En particulier, le Conseil européen n'a pas souhaité s'exprimer sur la
question du coût financier de l'élargissement.
Or, nombreux sont ceux qui craignent que le coût réel de cet élargissement
n'ait été sous-estimé, en particulier en raison de l'absence d'évaluation
quantitative des besoins des pays candidats.
Si l'apport de l'élargissement en termes de stabilité politique et de sécurité
est indéniable, son impact sur les économies des quinze Etats membres reste à
évaluer avec beaucoup plus de précision.
C'est bien dans cette interrogation sur la viabilité de l'évaluation que fait
la Commission européenne des besoins des pays candidats que résident non
seulement la clé de l'élargissement, mais aussi la définition d'un cadre
financier crédible et une réalisation des réformes des politiques agricoles et
structurelles qui ne les mettent pas en danger.
Le débat sur la portée et les conséquences réelles de l'élargissement est pour
l'instant entravé par un double postulat : l'élargissement doit être réalisé
dans un cadre financier inchangé et les Etats membres veulent réaliser cet
élargissement sans augmenter leur contribution au budget communautaire.
Il reste donc à savoir si l'Europe veut vraiment se donner les moyens de
réussir cet élargissement, dont la taille est sans précédent dans la
construction européenne.
Quant à la réforme institutionnelle, elle est certes inscrite dans les
premières lignes des conclusions du Conseil européen, mais il n'y a pas de
stratégie arrêtée. Le Conseil européen n'a pas pris d'engagements précis sur la
nature, la méthode, l'étendue et le calendrier de la réforme institutionnelle
indispensable à la réalisation de l'élargissement. Cette absence d'engagement
nous paraît gravement préoccupante et, si je m'en réfère aux propos qui
viennent d'être tenus à cette tribune par les orateurs précédents, je crois que
nous nous rejoignons tous sur ce point essentiel.
Au-delà des éléments de satisfaction que j'ai évoqués au début de mon
intervention, les inconnues et les questions fondamentales restent donc
sensiblement les mêmes.
On peut reprocher au document de la Commission de manquer de vision politique
et d'être axé essentiellement sur des questions pratiques, dans la plupart des
cas de nature financière.
Il faut maintenant attendre les rapports sur la réforme de la politique
agricole commune et sur la refonte des politiques structurelles que la
Commission présentera au printemps, ainsi que le rapport sur le cadre financier
futur pour évaluer sérieusement les conséquences de l'élargissement et son
impact sur les politiques communes.
Il reste que le Gouvernement français et, lorsque cela est possible, le
Parlement se doivent d'être vigilants pour que la réforme institutionnelle ne
se fasse pas à la veille des premiers accords d'élargissement, lorsque
l'échéance prime le contenu, et pour que l'élargissement, sous prétexte qu'il
est inévitable, ne soit pas bradé au risque de mettre en danger les politiques
communes, internes et communautaires, et de privilégier une politique de
charité et d'urgence au détriment d'une politique de solidarité.
Comme cela a été fait à l'Assemblée nationale, nous exprimons le souhait que
l'ensemble des propositions de textes qui feront suite à « Agenda 2000 », en
particulier les propositions de perspectives financières et les projets
d'accords interinstitutionnels, soient transmises au Parlement français.
Pour les nouveaux Etats comme pour l'Union, un élargissement réussi suppose
des efforts de tous et une réelle volonté politique pour les susciter.
Cet élargissement doit être l'occasion de renforcer la paix et la démocratie
en Europe et d'accroître sa puissance dans le monde. Voilà qui nous amène à
faire nôtre la résolution « Agenda 2000 » votée par le Parlement européen en
décembre 1997 : « Le processus d'élargissement ne pourra se réaliser avec
succès que dans la mesure où tous les pays candidats pourront être intégrés
dans les politiques communautaires et où celles-ci pourront contribuer au
développement économique de ces pays ainsi qu'à leur intégration dans l'Union
».
(M. le président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne et M. André
Boyer applaudissent.)
M. le président.
La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les
autres orateurs, je voudrais d'abord et avant tout saluer l'orientation
essentielle retenue par le Conseil européen de Luxembourg : l'élargissement à
l'Est va se concrétiser, et ses modalités sont désormais conçues de manière à
éviter la formation durable de deux groupes au sein des pays candidats.
Naturellement, tout dépendra de la manière dont ces modalités seront mises en
oeuvre, du côté de l'Union comme du côté des pays candidats.
Dans sa gestion de l'élargissement, l'Union devra faire jouer pleinement le
dispositif d'encadrement global qui est prévu à l'échelon des ministres des
affaires étrangères pour associer les Etats membres et les onze pays candidats
; en même temps, elle devra appliquer le principe de l'approche individuelle
des progrès de chaque candidature.
Surtout, le succès du dispositif dépendra de la détermination des pays
candidats à poursuivre les réformes. Les cinq pays avec lesquels la Commission
européenne n'avait pas prévu d'ouvrir des négociations ont fait valoir, à juste
titre, la situation intérieure difficile qui allait naître pour eux de ce
choix. Les efforts déjà consentis risquaient de paraître inutiles, et la
poursuite des réformes allait être découragée.
Dès lors que le Conseil européen, tenant compte de leurs observations, a
défini une formule incluant ces Etats, il incombe à ces derniers de continuer
et d'amplifier leurs efforts d'adaptation afin de rejoindre les pays les plus
engagés dans le rapprochement avec l'Union.
Les pays avec lesquels vont bientôt s'ouvrir des négociations d'adhésion ont
eux aussi, de toute manière, un important chemin à faire : l'avis de la
Commission soulignait avec raison qu'aucun d'entre eux n'était véritablement
prêt à participer au marché unique.
C'est donc des pays candidats eux-mêmes que viendra l'impulsion décisive. Il
est vrai que le Conseil européen a prévu d'augmenter les aides directes, dites
de « pré-adhésion », qui bénéficieront à tous les pays candidats, sans
discrimination fondée sur la date envisageable pour l'adhésion. J'espère que
l'augmentation du montant de l'aide ira de pair avec celle de son efficacité.
Mais, en tout état de cause, de même que l'aide Marshall n'a pas été la cause
principale du relèvement de l'Europe de l'Ouest, l'aide financière de l'Union
pourra seulement être un adjuvant pour la reconstruction de l'Est. Dans ces
conditions, il est clair que l'élargissement à l'Est ne sera pas « un long
fleuve tranquille ».
C'est donc à juste titre que la France, dans la préparation du Conseil
européen, avait proposé des orientations destinées à canaliser, en quelque
sorte, ce processus, à l'encadrer.
Ces orientations étaient au nombre de trois.
La première visait la réforme institutionnelle : la France a réaffirmé que le
bon fonctionnement de l'Europe élargie supposait des institutions plus
efficaces et plus légitimes.
La deuxième orientation portait sur l'encadrement financier du processus : la
France a plaidé pour le financement de l'élargissement dans le cadre du plafond
actuel des ressources propres, c'est-à-dire 1,27 % du produit intérieur brut de
l'Union.
Enfin, la troisième orientation visait l'équilibre entre l'Est et le Sud : la
France a notamment soutenu à cet égard que l'élargissement à l'Est devait
s'effectuer sans donner à la Turquie le sentiment d'une mise à l'écart durable,
voire définitive. C'était l'une des raisons du projet de Conférence européenne
soutenu par notre pays.
Nous étions d'accord avec ces orientations que défendait le Gouvernement
français, et nous espérions que la France saurait se faire entendre par le
Conseil européen.
Or, même avec les yeux de la foi, il est bien difficile d'estimer que ces
orientations ont été véritablement prises en compte à Luxembourg.
Sur le problème institutionnel - d'autres l'ont dit avant moi - les
conclusions du Conseil européen renvoient seulement au protocole annexé au
traité d'Amsterdam, c'est-à-dire à un texte extrêmement ambigu, qui ne garantit
pas véritablement une réforme institutionnelle avant l'élargissement.
Sur le financement de l'élargissement, les conclusions adoptées à Luxembourg
ne contiennent rien de précis, rien de contraignant, et notamment pas
l'engagement de s'en tenir au plafond actuel des ressources propres.
Enfin, loin de permettre un rapprochement avec la Turquie, le Conseil européen
de Luxembourg a creusé un fossé entre ce pays et l'Union, de telle sorte qu'on
peut se demander ce qui reste du projet de Conférence européenne, même si le
Conseil européen l'a accepté dans son principe.
Le constat me paraît clair : pour l'essentiel, la France n'a pas réussi à
faire passer ses messages spécifiques.
D'où cela vient-il ? Faut-il penser que nous ne savons pas nous concentrer sur
un très petit nombre de priorités, voire sur une seule priorité ? On peut
observer, par exemple, que l'Espagne, qui n'a pas notre poids, est arrivée dans
la négociation avec un seul objectif - empêcher la confirmation du plafond des
ressources propres - et qu'elle a eu gain de cause. Ne devrions-nous pas, nous
aussi, savoir mieux hiérarchiser nos objectifs ? N'est-ce pas ainsi, et
seulement ainsi, que nous pourrons donner une crédibilité suffisante à nos
positions ?
Je m'interroge d'autant plus que le Conseil européen de Luxembourg fait suite
à celui d'Amsterdam et à celui de Luxembourg I. Là aussi, qu'il s'agisse de
faire en sorte que la politique de l'euro obéisse à des préoccupations allant
bien au-delà de considérations strictement monétaires, qu'il s'agisse de faire
en sorte que les problèmes de l'emploi reçoivent la priorité première qu'ils
méritent, les préoccupations de la France étaient nécessaires et légitimes.
Mais, de la même manière, la France n'était pas parvenue, sinon nominalement, à
faire prendre en compte ses principales préoccupations. Et les qualificatifs
triomphants, comme la promesse de rendez-vous futurs, ne sauraient dissimuler à
l'analyste lucide la minceur des résultats obtenus. Il n'est que de voir le peu
d'enthousiasme qui se manifeste ici ou là, dans notre pays, pour accepter la
paternité du traité d'Amsterdam, comme le peu d'empressement à mettre en route
la procédure de ratification !
Il est difficile, dans ces conditions, de ne pas avoir le sentiment que la
France, dans la configuration actuelle de l'Europe, ne parvient pas à peser
réellement sur les décisions, à conserver son influence.
Cela peut paraître un paradoxe, car ce qui caractérise l'Europe, depuis la
chute du mur de Berlin, c'est - à l'échelle de l'Histoire - le succès des
thèses françaises. Souvenons-nous de l'isolement du général de Gaulle lorsqu'il
prophétisait la réunification de l'Europe ! Aujourd'hui, ce sont les principes
de la Révolution française : les droits de l'homme, le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, qui sont la référence commune de l'Europe, « de
l'Atlantique à l'Oural ».
Il est vrai que, par définition, le poids matériel de la France est
nécessairement moindre à l'échelle de la « grande Europe ». Mais la France ne
pourrait-elle conserver néanmoins un rôle de référence dans ce vaste ensemble ?
D'autant que nous avons, avec beaucoup de pays d'Europe centrale et orientale,
des affinités historiques qui ne demandent qu'à revivre.
Face à cette absence de crédibilité, je n'ai pas de réponse toute prête. Il
est bon, certes, de montrer l'exemple et de se battre sur tous les fronts de
l'Europe, mais l'on risque de se payer de mots et d'être payés de même.
Peut-être y aurait-il intérêt à concentrer davantage nos efforts, comme font
tant d'autres - pour ne pas dire tous les autres - sur les priorités
françaises. Et j'ai le sentiment qu'une des leçons du Conseil européen de
Luxembourg, c'est qu'il est sans doute nécessaire d'effectuer une certaine mise
à jour de notre diplomatie si l'on veut que l'Europe de demain corresponde à ce
que la France en attend.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'actualité
européenne est spécialement riche. De nombreux débats sont ouverts, tous
essentiels. Personnellement, comme la plupart d'entre nous, je m'en réjouis.
Cela confirme que la construction européenne est bien vivante et qu'elle se
poursuit dans tous les domaines, même si c'est avec quelques difficultés dans
certains d'entre eux.
Ce nouveau débat parlementaire, dont nous devons remercier nos collègues MM.
Genton et About, rappelle aussi que cette construction est d'abord politique et
qu'elle concerne au premier chef nos parlements nationaux.
L'Europe des Etats s'est très normalement bâtie dans le cadre de conférences
intergouvernementales, mais - et c'est heureux - notre Europe aujourd'hui
concerne et intéresse directement tous les citoyens.
Les conférences intergouvernementales rencontrent alors leurs limites, ainsi
que le président de Villepin l'a rappelé voilà quelques instants, et, très
naturellement aussi, nous nous heurtons à des problèmes liés à la sauvegarde
des souverainetés nationales.
Il nous faut aujourd'hui imaginer un nouveau modèle d'organisation
démocratique dans lequel le supranational n'apparaisse pas en contradiction
avec les identités de chaque nation. Nous devons démontrer qu'il peut, au
contraire, les relayer et les valoriser.
Peut-être plus que l'Europe des Etats, l'Europe des citoyens est riche de sa
diversité, des particularismes, des histoires, des cultures des peuples qu'elle
réunit et, j'ose le dire, des souverainetés de chaque Etat.
Il est classique de considérer que l'Union européenne appelle ses membres à
faire mieux ensemble ce qu'ils éprouvent des difficultés à réussir isolément.
Ne perdons cependant pas de vue qu'elle existe vraiment lorsqu'elle les amène,
en plus, à engager en commun les actions nouvelles à côté desquelles ses
membres seraient passés s'ils étaient restés isolés.
Il s'agit donc, d'abord, de « faire mieux ensemble ». Cela exige plus que
jamais une application rigoureuse et volontariste du principe de subsidiarité.
Ne chargeons pas la barque de l'Europe en lui transférant des charges qui sont
mieux assurées localement. C'est inefficace et, plus grave, cela dessert
fortement une Union qui devient alors au mieux budgétivore, au pire
bouc-émissaire de toutes nos difficultés, voire de nos échecs.
A côté du « faire mieux ensemble », l'Europe prend donc sa dimension politique
lorsqu'elle développe une action propre. L'Union n'est ni une société dont nous
porterions des actions ou dont nous attendrions des dividendes, ni un syndicat
de défense qui, moyennant cotisation, nous protégerait d'un monde dangereux.
L'Union politique doit tendre à faire exister l'Europe en soi, sans rien
enlever aux nations qui la composent. Son action doit alors viser d'abord plus
de cohésion et d'harmonie à l'intérieur, plus de paix et de démocratie dans le
monde. C'est bien dans cet esprit que la notion d'élargissement se confond avec
le principe même de la construction européenne.
Depuis cinquante ans, l'Union s'élargit géographiquement et sectoriellement.
C'est en cela qu'elle est politique. La construction européenne serait restée
lettre morte si elle n'avait porté, dès l'origine, cette ambition d'ouverture.
Une Europe fermée ne serait pas allée loin ; une Europe achevée se révèle
inutile pour les Européens, échoués sur les rives d'un monde qui poursuivrait
son cours en l'oubliant.
Alors se pose la question de savoir si « élargissement » signifie fatalement «
dilution ». Il ne faudrait pas qu'après avoir séduit et intégré les uns après
les autres chacun des membres de l'Association européenne de libre-échange,
l'AELE, elle devienne elle-même une grande AELE.
Pour réduire ce risque, nous devons veiller très attentivement à conserver à
la construction européenne son souffle politique. C'est à ce prix que nous
découvrirons les voies qui nous permettront d'approfondir l'Union, notamment au
plan de ses institutions. Ici, avec notre foi dans l'Europe, le plus grand
pragmatisme doit nous guider si nous voulons progresser. D'ailleurs, la
construction européenne n'est-elle pas caractérisée par une étonnante et
constante alchimie d'utopie et de pragmatisme, de passion et de réalisme,
d'émotion et de raison ?
Nous devons donc aujourd'hui pouvoir nous appuyer sur ce qui marche - c'est le
pragmatisme ! - à savoir la mise en place de l'Union monétaire. Celle-ci est, à
l'évidence, un approfondissement en passe de réussir. C'est vrai, même si
l'Union ne réunira au départ que onze membres - mais onze membres qui ont
renforcé leur cohésion : onze membres déterminés - et c'est vrai surtout car
cet approfondissement porte précisément sur un sujet essentiel pour la vie
économique et pour l'emploi, sur un sujet de souveraineté : frapper monnaie
n'est-il pas une prérogative de souveraineté ? Nous sommes bien là au coeur du
politique.
La mise en place de l'euro se fera. Voilà quelques mois encore, les Cassandre
considéraient qu'elle se ferait au mieux dans la douleur et qu'elle risquait
même de plonger l'Europe dans le chaos. Aujourd'hui, à l'inverse, ce serait
l'arrêt du processus ou le retour en arrière qui serait catastrophique ! Nous
voyons le chemin parcouru, du fait, notamment, d'une mobilisation de toutes les
forces vives des Etats membres.
La Grande-Bretagne elle-même a participé activement au dessin des nouvelles
pièces et ne refuse pas de présider l'Union en un semestre précisément crucial
pour l'euro. Nos amis britanniques savent bien qu'ils nous rejoindront un jour,
comme ils l'ont toujours fait !
L'Union monétaire amène à bâtir une organisation spécifique, à la fois
politique et monétaire. La démarche engagée dans ce domaine me semble
exemplaire. Un approfondissement réel est donc possible dès lors qu'on se donne
la peine de se mettre d'accord sur un véritable objectif commun et sur une
procédure politique.
Nous vivons ici un recentrage de la construction européenne sur onze membres
déterminés, recentrage à partir duquel nous devrions pouvoir « rebondir » pour
relancer la construction de l'Union en retrouvant l'essentiel, cet « essentiel
» qui, par ailleurs, pousse onze autre Etats à nous rejoindre.
On a souligné, à juste titre, qu'un problème institutionnel se posait. Mais il
ne doit pas cacher l'essentiel : il est, c'est vrai, plus difficile de
fonctionner à vingt-cinq qu'à six.
Mais si ce problème institutionnel se pose, c'est surtout parce que nous avons
évidemment moins de sujets de préoccupations communs à vingt-cinq qu'à six.
Nous retrouvons donc le vrai débat politique, dont le problème institutionnel,
certes important, n'est qu'une expression. Nous devons revenir à l'essentiel :
ce qui peut amener nos vingt-cinq Etats à s'unir doit être le coeur de ce qui a
amené nos six, nos douze ou nos quinze Etats à s'engager ensemble.
Il y a évidemment, derrière cette grande aventure de l'histoire du monde, un
moteur politique, un projet sans doute encore insuffisamment explicité et qui
porte sur de vrais sujets : prospérité et solidarité, sécurité intérieure et
extérieure, démocratie, liberté et paix dans le monde. Ce sont bien, en tout
cas, ces sujets qui motivent les candidats à l'Union.
L'objectif étant retrouvé ou réidentifié, il faut avancer et, pour cela, nous
devons être très pratiques. Des progrès doivent être réalisés au plan
institutionnel, Amsterdam étant à l'évidence resté un peu en panne dans ce
domaine. Et, puisque l'intergouvernemental a atteint ses limites, il nous
faudra impliquer beaucoup plus nos parlements.
Il faut aussi être réaliste : si Amsterdam n'a été qu'un demi-succès, c'est en
grande partie parce que le couple franco-allemand a été ébranlé à Poitiers.
L'Allemagne, reprenant alors sa liberté de parole, a confirmé, en clair, que,
pour elle, l'élargissement représentait une priorité, avec ou sans réforme
constitutionnelle, alors que la France a toujours demandé des progrès
préalables sur l'approfondissement avant de s'engager.
Pour progresser, il nous faut aujourd'hui, à l'évidence et par priorité,
retrouver nos partenaires et amis allemands.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Denis Badré.
Une bonne occasion très concrète se présente avec l'Agenda 2000 : travaillons
avec eux sur le budget, la PAC, les politiques structurelles. Nous devons
pouvoir recréer avec les Allemands une vraie complicité autour de trois
principes.
Tout dérapage budgétaire lié à l'élargissement est à proscrire. Il tuerait
l'Europe aux yeux des Européens. La démarche a déjà été très clairement
manifestée en Allemagne.
S'agissant de la PAC, ce n'est pas le FEOGA-garantie qui doit nous inquiéter,
puisque les cours des produits agricoles dans les pays d'Europe centrale et
orientale - les PECO - sont inférieurs aux cours mondiaux, mais c'est bien plus
la reprise de l'acquis communautaire par les PECO, notamment l'exigence que
représente le grand niveau de qualité sanitaire atteint par notre production
agricole.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Denis Badré.
En matière de politique structurelle, je dirai oui à la cohésion - à
l'évidence, puisqu'elle construit l'Europe - et non au saupoudrage qui, lui,
détruit l'image de l'Europe.
Pour favoriser ce rapprochement franco-allemand indispensable à la réussite de
l'élargissement, la préparation des nouvelles perspectives budgétaires, sur
laquelle, monsieur le ministre, le rapporteur spécial de la commission des
finances que je suis par ailleurs attirait fortement votre attention voilà
quelques semaines, représente une véritable opportunité. Ne la manquons pas.
Monsieur le ministre, le groupe de l'Union centriste croit plus que jamais en
la construction européenne. Les perspectives de son élargissement nous
appellent, comme toujours, à être très lucides, et bien sûr à conforter
fondamentalement nos convictions.
Nous avons devant nous une véritable opportunité pour poser tous les vrais
problèmes. Ne les éludons pas. Nous avons surtout, à l'évidence, l'occasion de
revenir à l'essentiel et de faire comprendre à nos concitoyens que la
construction européenne est bien ce grand dessein susceptible de les
réconcilier avec la politique, la vraie, celle qui nous fait vivre autour de
nos clochers, celle qui doit, en même temps, permettre à notre continent de
continuer à adresser au monde un message d'humanisme, message dont nous n'avons
sans doute pas encore nous-même mesuré toute la portée.
Il s'agit tout simplement, monsieur le ministre, de construire l'Europe pour
l'homme.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie
tout d'abord notre collègue Nicolas About de l'opportunité de sa question,
heureuse initiative qui permet à la Chambre Haute d'exprimer son sentiment sur
l'élargissement de l'Union européenne, les négociations d'adhésion devant se
tenir, selon les textes, six mois après la Conférence intergouvernementale.
Année déterminante pour l'évolution de la construction européenne, 1998
devrait nous permettre d'assister non seulement au lancement de l'euro, mais
aussi aux premières négociations d'adhésion de plusieurs candidats d'Europe
centrale et orientale.
Cette modification substantielle des contours de l'Union européenne imposera,
bien entendu, un reformatage majeur du schéma européen, du point de vue tant
institutionnel et politique qu'économique et social.
Européen de coeur, je suis de ceux qui se réjouiront de la réunification du
continent européen et de ses populations grâce à l'élargissement de l'Union
européenne.
Pragmatique par raison, j'estime cependant nécessaire d'évaluer la capacité
des candidats à l'adhésion à atteindre le niveau économique et politique
suffisant pour permettre et réussir leur intégration au sein de l'Union. A cet
égard, le Conseil européen de Copenhague de 1993 a levé toute ambiguïté. En
effet, ce Conseil a précisé que les Etats postulants à l'adhésion devront,
d'une part, être dotés d'institutions démocratiques respectant la primauté du
droit, des droits de l'homme, et la protection des minorités. Ces candidats
devront, d'autre part, développer une économie de marché capable d'évoluer dans
le cadre d'échanges concurrentiels. Il leur faudra, en outre, pleinement
adhérer à l'ensemble des politiques européennes.
Le sommet de Luxembourg des 12 et 13 décembre derniers a confirmé les
propositions de la Commission européenne quant aux candidatures susceptibles de
donner lieu à l'ouverture de négociations, c'est-à-dire celles de l'Estonie, de
la Hongrie, de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovénie.
En outre, rappelons que le Conseil européen avait déjà avalisé la candidature
de Chypre avant la réunion de Luxembourg. Cela fait donc six pays.
Le Conseil a, de plus, approuvé la création d'une Conférence européenne
destinée à établir des contacts réguliers entre les autres pays candidats ayant
signé un accord d'association avec les Etats membres de l'Union.
Je constate que la plus grande partie des Etats candidats pour lesquels
l'ouverture des négociations a été reportée semblent avoir pleinement compris
et accepté la décision communautaire.
Les cinq Etats que sont la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie et
la Slovaquie semblent satisfaits de bénéficier d'un délai supplémentaire pour
poursuivre les réformes indispensables à leur bonne intégration dans l'Union.
Mais aucun butoir n'a été fixé. N'est-ce-pas pour ces pays un manque
d'incitation voulu, monsieur le ministre ?
J'en viens à la Turquie, elle qui, en revanche, a manifesté son
incompréhension de la décision européenne. Malgré les explications
communautaires et l'intervention de plusieurs représentants des Etats membres,
la Turquie semble encline à une réaction de recul. Elle envisage même de ne pas
participer à la Conférence européenne, créée tout spécialement pour les Etats
candidats à l'adhésion.
Mes chers collègues, la réaction turque doit non seulement ne pas être
sous-estimée, mais, bien au contraire, bénéficier de toute notre attention.
Si j'approuve pleinement, bien sûr, la décision du Conseil quant au report des
négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, il me semble
toutefois impératif de calmer le dépit de la Turquie.
A cet égard, monsieur le ministre, deux problèmes se posent dans lesquels la
Turquie joue un rôle majeur.
Tout d'abord, s'agissant du rapprochement américano-israélo-turc dans le cadre
des manoeuvres navales et aéronavales en Méditerranée commencées le 7 janvier
dernier, je souhaite connaître votre sentiment quant à un rapprochement accru
de la Turquie et des Etats-Unis.
La décision européenne n'est-elle pas la cause d'une consolidation de ce
rapprochement ? Comment envisagez-vous de contrecarrer les effets négatifs
qu'un tel rapprochement pourrait produire sur les relations politiques,
économiques et sécuritaires de la France et de l'Europe avec les Etats du
bassin méditerranéen ?
Le deuxième problème, c'est la question kurde, problème éminemment difficile
et actuel. Comment l'Union européenne peut-elle en effet inciter la Turquie à
jouer le rôle géographique et stratégique qui devrait être le sien, alors
qu'elle vient, par ailleurs, de lui réitérer son refus quant à son adhésion à
l'Union ? Il me semble souhaitable et urgent, monsieur le ministre, que vous
nous apportiez quelques informations à ce sujet.
J'en reviens aux questions institutionnelles.
Si le sommet de Luxembourg a clairement marqué l'ouverture des négociations
d'adhésion avec six nouveaux Etats, il faut, en revanche, souligner que tout
reste à faire en matière de réformes institutionnelles.
Le texte final adopté à Luxembourg affirme bien que « l'élargissement de
l'Union nécessite au préalable un renforcement et une amélioration du
fonctionnement des institutions conformément aux dispositions du Traité
d'Amsterdam ». C'est lié.
Mais le plus grand silence règne quant à la forme concrète que pourraient
prendre ces nécessaires évolutions institutionnelles, notamment l'extension du
vote majoritaire, la modification de la pondération des votes et la composition
de la Commission.
C'est pourquoi je souhaite, monsieur le ministre, que vous fassiez un tour
d'horizon des modifications des institutions européennes que la France envisage
de demander, le moment venu, afin de connaître les chances de succès de ces
demandes.
Je ne m'étendrai pas sur l'impact financier que ne manquera pas d'avoir le
futur élargissement de l'Union. Vous savez comme moi, monsieur le ministre, mes
chers collègues, que les économies des futurs Etats membres sont très peu
développées. L'Union élargie devra donc obligatoirement faire preuve d'une
énorme capacité de financement. D'où proviendront ces sommes sachant que, sur
les rares contributeurs nets au budget communautaire, la France et l'Allemagne
traversent des périodes budgétaires difficiles ? Il faudrait, monsieur le
ministre, que vous nous expliquiez ce qui est envisagé.
Vous savez également que les agriculteurs français, tout comme leurs
homologues européens, ne sont pas prêts à se sacrifier pour la modernisation de
l'agriculture des Etats d'Europe centrale et orientale. Il en va de même des
bénéficiaires des aides structurelles de l'ensemble des Etats de l'Union, qui
sont tous touchés par des difficultés économiques et sociales parfois majeures,
alors qu'il semblerait que l'aide européenne aux régions françaises soit
susceptible d'être affectée par une baisse de 20 %.
Quelles seront les décisions qui permettront de concilier ces différents
impératifs financiers ? C'est une autre question, monsieur le ministre.
Telles sont quelques-unes de mes interrogations. Aux quelques questions que
j'ai pu vous poser, j'attends vos réponses, monsieur le ministre, car il est
indispensable que les parlementaires et les élus locaux que nous sommes y
voient plus clair.
Je partage, avec la grande majorité des Français, le point de vue pragmatique
qui veut que l'on accepte le changement quand il est utile et les efforts et
les restrictions quand ils sont nécessaires.
Si les efforts que vous nous demanderez vont dans le sens de l'intérêt de
notre pays et de l'Europe, s'ils affichent une grande ambition susceptible
d'améliorer le sort de nos concitoyens, vous pourrez compter sur mon adhésion
pleine et active, ainsi que sur celle de mon groupe, qui, vous le savez, est
très attaché à la construction européenne. D'ailleurs, ne s'appelle-t-il pas le
Rassemblement démocratique et social européen ?
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon amie
Danielle Bidard-Reydet, qui était inscrite initialement dans ce débat, mais qui
ne pouvait être présente aujourd'hui, m'a demandé de la remplacer.
Comme la plupart des Français, nous sommes favorables à la construction
européenne. Nous aspirons à construire des relations stables, des relations de
codéveloppement sur le continent européen. Nous aspirons à contruire une Europe
qui surmonte ses fractures historiques, une Europe respectueuse des acquis de
chacun et favorisant la croissance au profit de tous.
La question, aujourd'hui évoquée, de l'élargissement ne peut être dissociée de
celle des enjeux et des objectifs affichés de la construction européenne.
Pour notre part, nous avons la volonté de construire des rapports de
codéveloppement propres à promouvoir les échanges, à consolider la paix sur le
continent et à amorcer une rupture avec la logique impitoyable de l'actuelle «
mondialisation ».
Dans cette logique, le chantier de la « Grande Europe » doit respecter des
règles de véritable partenariat, reposant sur un dialogue effectif avec tous
les pays candidats sur un pied d'égalité.
Si le dessein de l'Europe était simplement de s'engager plus à fond dans la
guerre économique planétaire, l'élargissement se traduirait par des contraintes
draconiennes pour les pays candidats, un accroissement des inégalités de
développement entre régions favorisées et défavorisées, la révision à la baisse
des acquis de la politique agricole commune et des fonds structurels, et un
encouragement au chantage aux délocalisations.
Dans ce cas, cela reviendrait à un marché de dupes pour les populations des
anciens comme des nouveaux pays membres de l'Union européenne. Cette logique se
traduirait dans les faits par de dangereuses désillusions et de graves tensions
en Europe pouvant déboucher sur des crises.
Quelle est notre analyse des décisions prises par le Conseil européen, les 12
et 13 décembre dernier, sur la question de l'élargissement ?
Dans un premier temps, je formulerai nos inquiétudes sur le processus
d'élargissement choisi. Ensuite, je soulignerai l'aspect positif potentiel
qu'il présente. J'en terminerai en présentant nos propositions de réorientation
de la construction européenne.
Quels sont les risques de l'élargissement ?
Tout d'abord, la manière dont s'engagent les négociations est critiquable.
S'agissant des pays candidats, le processus de négociation retenu risque
d'entraîner entre eux une sévère concurrence du fait de la différence de
traitement qui leur est réservée.
En effet, les négociations vont d'abord s'ouvrir, dès le printemps de cette
année, avec un premier groupe de pays de l'Est - Hongrie, Pologne, Estonie,
République tchèque, Slovénie - et Chypre, qui avaient bénéficié d'un avis
favorable de la Commission européenne en juillet 1997 dans son Agenda 2000.
Pour les autres pays candidats - Roumanie, Slovaquie, Lettonie, Lituanie et
Bulgarie - les négociations ne s'ouvriront qu'après qu'ils auront été reconnus
« prêts ». Ils seront soumis à une évaluation annuelle pour mesurer les progrès
réalisés.
S'agissant de la Turquie, je suis assez d'accord avec MM. About, de Villepin
et Lesein sur le nécessaire dialogue avec ce pays en vue de son arrimage, sous
une forme ou sous une autre, au « navire Europe ». C'est, à l'évidence, une
question importante, même s'il faut aujourd'hui encore souligner que des
obstacles non négligeables restent dressés, tant en raison du problème de
Chypre, évidemment, du contentieux de la mer Egée, de l'action inacceptable des
forces armées turques au Kurdistan, que de la persistance, au sein de la police
turque, de « mauvaises habitudes expéditives » très éloignées du respect des
droits de l'homme.
D'emblée, les pays et les populations sont placés, dirais-je, dans une logique
de concurrence.
Comment, d'un côté, travailler à rassembler dans un espace européen unifié,
équilibré, dans une logique de partenariat et, de l'autre, engager des
négociations à plusieurs niveaux en créant des clivages entre les pays
candidats ?
Les actuels pays bénéficiaires de la politique agricole commune et des fonds
structurels - notamment, pour ces derniers, la Grèce, le Portugal, l'Espagne et
l'Irlande - s'inquiètent, on le sait, de l'arrivée de nouveaux pays pouvant
aboutir à une baisse significative de leurs « subventions ».
Ces politiques communautaires ont représenté 80 % des dépenses budgétaires de
l'Union européenne ces dernières années. Or, les pays candidats seront
concernés par ces mesures, étant donné, notamment, le poids de leur
agriculture.
Dans la mesure où les contributions des pays membres ne sont pas augmentées -
nous savons que l'Allemagne, par exemple, souhaite une réduction de sa
contribution - on peut se demander comment sera financée la hausse des fonds
nécessitée par l'entrée de nouveaux pays potentiellement bénéficiaires de ces
politiques communautaires. On peut se demander également combien cela coûtera à
notre pays.
Deuxièmement, le processus de négociations prévu pose problème dans la mesure
où il établit une relation de subordination.
La Commission impose aux pays candidats des contraintes draconiennes,
s'inscrivant dans une politique ultralibérale.
C'est la mise en place d'une logique conduisant à des privatisations et à
l'abandon de secteurs d'activités importants, qui nécessitent, certes, dans la
plupart des pays candidats, notamment en Europe de l'Est, de profondes
rénovations, ce qui entraînera un chômage massif, une précarité généralisée et
une dégradation sociale dans ces pays.
L'application de cette logique met en concurrence des peuples et des
économies, au détriment, nous semble-t-il, du progrès économique et social.
Elle impose des abandons de souveraineté nationale et peut tendre à exacerber
certains nationalismes et à provoquer des tensions graves pour l'équilibre de
ces régions.
La marche forcée vers la monnaie unique s'inscrit, selon nous, dans cette même
logique d'abandon de souveraineté. Aujourd'hui, l'euro conduit, avec
l'application des critères de convergence de Maastricht, à l'accentuation de la
précarité et des pressions sur le pouvoir d'achat.
Cependant, une des décisions de ce Conseil européen de Luxembourg constitue un
axe potentiellement positif.
Les Quinze ont décidé de mettre en place une « Conférence européenne »
réunissant les quinze pays membres et tous les « Etats européens ayant vocation
à adhérer ». Elle prévoit de rassembler tous les pays concernés par
l'élargissement pour examiner ensemble les deuxième et troisième piliers du
traité : politique étrangère et de sécurité, affaires intérieures et
justice.
Mais la Conférence ne doit pas se limiter à ces seules questions, certes
importantes, qui donneraient la vision d'une Europe uniquement préoccupée des
problèmes de l'immigration. Elle doit également aborder les questions
économiques et sociales. Les questions de l'emploi, du développement économique
de la protection sociale sont les questions fondamentales à débattre dans
l'optique d'une Europe au service des populations.
De même, cette Conférence doit s'ouvrir aux parlements européens et nationaux,
ainsi qu'aux représentants des « sociétés civiles », c'est-à-dire aux
représentants des syndicats, des organisations non gouvernementales et des
associations.
Le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution plusieurs
articles du traité d'Amsterdam comme touchant aux conditions essentielles
d'exercice de la souveraineté nationale.
La meilleure procédure, selon nous, celle qui relève de la souveraineté
directe du peuple, principe fondateur de la République, est, dans ce cas, le
référendum.
Depuis le référendum sur le traité de Maastricht, d'importantes décisions ont
été prises. Elles vont souvent au-delà des dispositions arrêtées par les
traités déjà ratifiés et elles engagent l'avenir des pays et des peuples de
façon contraignante ; c'est le cas avec l'euro et le pacte de stabilité.
Les Français sont finalement peu ou assez mal informés de ce qui se prépare.
La consultation par référendum, en permettant l'instauration d'un large débat,
favorisera, nous le pensons, de nouvelles avancées tant au niveau de la
perception des problèmes par nos compatriotes qu'au niveau de la construction
européenne elle-même.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut rapprocher l'Europe du
citoyen, et, en cette veille de grands changements que la construction
européenne va connaître, il nous paraît capital de consulter les Français.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. Robert Pagès
Très bien !
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, je veux d'abord remercier M. About de sa
question, qui nous donne l'occasion d'un débat sur un sujet important, après le
Conseil européen de Luxembourg des 12 et 13 décembre dernier, qui ne l'a pas
été moins.
Je crois que la tonalité de vos débats est assez claire : il s'est agi, en
effet, lors de ce Conseil européen, d'un moment important de la construction
européenne, puisque les Européens ont décidé d'ouvrir un processus qui doit
permettre la réunification de la famille européenne, séparée par l'Histoire. Il
s'agissait donc, effectivement, d'un moment historique, qualificatif parfois
galvaudé, mais, en l'occurrence, tout à fait justifié.
Ce Conseil européen difficile se présentait sous des auspices médiocres - je
reviendrai peut-être tout à l'heure sur les observations faites par M. de La
Malène. Mais la France a su peser en faveur d'un processus, finalement retenu,
qui soit à la fois global - c'était très important - inclusif mais aussi
flexible.
Avant d'aborder les questions soulevées, je veux dire que ce Conseil a été
empreint, ainsi que l'a déclaré M. le Président de la République, d'une
certaine émotion. Certes, ce n'était pas la première fois que l'Europe se
réunissait à vingt-six, mais c'était la première fois que les « Vingt-six »
étaient réunis dans une perspective qui est bien celle de la réunification
européenne. M. Genton a bien cerné le sujet : la perspective d'un
enrichissement considérable pour l'Union européenne, voire d'une redéfinition
du dessein européen, et l'altération éventuelle de la nature de la construction
européenne sont autant de questions qui sont posées par l'élargissement.
J'articulerai ma réponse à la question de M. About autour de points : tout
d'abord la méthode d'élargissement décidée par le Conseil européen, qui a
suscité un véritable intérêt mais qui connaît aussi des incertitudes ; la
Conférence européenne, dont l'intérêt semblerait désormais plus limité,
monsieur About ; la réforme des institutions de l'Union, qui est indispensable
et urgente ; la Turquie et le nécessaire renforcement de son ancrage à l'Europe
; enfin, le cadre financier et la réforme des politiques communes.
Sur la méthode décidée par le Conseil européen à Luxembourg, je veux d'abord
exprimer quelques motifs de satisfaction, sans doute les principaux.
D'une façon générale, la présidence luxembourgeoise a été une excellente
présidence, à la fois inventive, souple, très ouverte aux thèses françaises,
propice à reconstituer un travail franco-allemand qui n'est pas toujours des
plus faciles ; une présidence qui a été parfaite de bout en bout, sauf,
peut-être - s'il fallait apporter un petit bémol - sur la question turque : ce
pays a peut-être été poussé dans ses retranchements en provoquant les réactions
que l'on connaît.
Le Conseil européen a pris des décisions essentielles pour l'avenir de
l'Europe, que l'on peut qualifier d'historiques, puisqu'il a engagé de façon
maintenant irréversible le processus d'élargissement aux pays d'Europe centrale
et orientale.
La méthode retenue me semble pertinente, puisqu'elle permet le lancement
effectif d'un processus d'adhésion inclusif, qui englobe donc tous les pays
candidats, ce qui est très important. Le Président de la République et le
Gouvernement partageaient le souci exprimé par M. de Villepin : il fallait
éviter que de nouvelles lignes de fracture ne se créent à l'occasion d'une
différenciation trop prononcée. J'avais à plusieurs reprises, lors d'auditions
devant la délégation ou devant la commission des affaires étrangères du Sénat,
indiqué à M. de La Malène que cela me paraissait possible.
La présidence luxembourgeoise a trouvé un moyen particulièrement astucieux et
inventif d'y parvenir. Rien n'aurait été pire que de donner le sentiment à
Luxembourg de ne retenir que les candidats les mieux préparés en se fondant sur
des considérations techniques qui ne valent, par rapport à l'évolution
fantastique que connaissent ces pays, que pour quelques mois ou quelques années
et d'écarter les autres du champ de l'élargissement.
M. Estier a mentionné le cas des Etats baltes. Il se trouve que, lors de la
semaine précédant le Conseil européen, j'ai eu l'occasion de me rendre dans ces
Etats. Pour trouver les fondements d'une différenciation, il fallait avoir une
loupe que je n'avais pas emportée avec moi. On voit bien qu'autant peut-être,
c'est vrai, l'Estonie a quelques avantages s'agissant des réformes
institutionnelles ou administratives, autant il n'est pas raisonnable
d'affirmer qu'en cinq ans la situation ne peut pas changer. Il n'est pas
impossible que, au contraire, tel ou tel pays, la Lituanie ou la Lettonie,
pourrait éventuellement, dans ce délai, rattraper son retard. La perspective
raisonnable reste donc que ces pays se voient offrir la chance d'adhérer
ensemble, même si, au départ, il existe quelques petites différences. C'est à
cette perspective que nous parvenons, car le Conseil européen a bien compris
les risques d'une discrimination. Il a évité cet écueil puisque, en définitive,
les chefs d'Etat et de gouvernement ont décidé de lancer un processus
d'adhésion avec les dix pays candidats d'Europe centrale et orientale ainsi
qu'avec Chypre sur un pied d'égalité. Il a clairement inscrit ce processus dans
l'article O du traité relatif à la procédure d'adhésion à l'Union.
On peut partager sur ce point la satisfaction de M. François Lesein. Cette
référence au traité fondateur est évidemment très importante puisqu'elle
consacre la décision de l'Union d'intégrer en son sein l'ensemble des
candidats. Il y a bien, après Luxembourg, une vocation égale à l'adhésion et à
un rythme qui respecte les spécificités de chacun des candidats.
Ayant participé au déjeuner des ministres des affaires étrangères des pays
candidats, je peux effectivement dire que tous, finalement, voyaient là une
réponse à leurs soucis. Certains souhaitaient en fait attendre, sans le dire ;
certains souhaitaient aller vite ; tous manifestaient une satisfaction égale
par rapport à ce qui s'était produit et avaient la sensation, je crois fondée,
que des chances égales leur étaient données.
Par ailleurs, le Conseil européen a explicitement prévu que, sur la base d'un
rapport de la Commission, le Conseil pourrait décider l'ouverture de
négociations d'adhésion avec d'autres candidats qui seraient prêts. La date de
début des négociations ne préjuge pas, c'est très important, celle de leur
conclusion. Certains pays, partis plus tard, rattraperont, voire dépasseront
les candidats entrés plus tôt en négociation.
C'est pourquoi je soulignais que ce processus était un processus flexible, ce
qui est fondamental. Il s'agissait, là aussi, d'une demande de la France,
appuyée par d'autres pays.
A cet égard, la préoccupation exprimée par M. de Villepin est légitime. Elle
est d'ailleurs reprise par les autorités françaises. En réalité, il n'y aura
pas, car il ne peut pas y en avoir, deux trains séparés de l'élargissement. Les
premiers nouveaux adhérents ne doivent pas pouvoir s'opposer à tout
élargissement ultérieur. Le cadre général des négociations adopté par le
Conseil prévoit « l'acceptation du principe par chaque candidat de placer sa
candidature dans le contexte du processus inclusif d'élargissement instauré par
le Conseil européen ». Nous sommes donc bien dans ce cadre global et inclusif.
On ne pourra pas le découper en tranches, en revenant plus tard sur des
oppositions entre telle ou telle nation - on voit bien lesquelles - dans le
contexte parfois mouvementé de cette Europe centrale et orientale.
Enfin, le renforcement de la stratégie de préparation de l'adhésion autour de
partenariats d'adhésion, qui seront adoptés avant le 15 mars, permettra
d'accompagner la mise à niveau des pays candidats. De plus, dans le cadre de la
prochaine programmation financière, les crédits PHARE seront complétés par des
aides dites préstructurelles ainsi que par une assistance dans le secteur
agricole. Ces aides tiendront compte des besoins des pays candidats, notamment
de ceux des moins avancés d'entre eux.
J'en profite pour répondre à une observation de M. Bécart. Les conditions
posées par la Commission aux réformes dans les pays d'Europe centrale et
orientale sont rigoureuses, personne ne peut le nier. Ces pays ont procédé
massivement à des privatisations. Pourront-ils poursuivre dans cette voie dans
le contexte de crise que connaissent l'économie mondiale et les marchés
financiers aujourd'hui ? Il est moins certain que ce rythme se maintiendra à la
même vitesse. Mais il n'est pas exact de dire que les privatisations sont
imposées par l'Union européenne, car ce n'est pas le cas. Et d'ailleurs, il est
des exemples d'aides PHARE à des services publics. L'Union européenne, c'est
vrai, a une tendance libérale - qui peut le nier ? - mais elle ne prône pas un
système ultralibéral. Elle permet l'évolution d'économies qui conservent des
services publics forts.
Quant à l'intérêt et à l'avenir de la Conférence européenne, évoqués par M.
About, repris avec le même souci par M. de Villepin, la question est bien sûr
légitime. Deux éléments pourraient jeter en effet un doute sur la pertinence de
cet instrument, qui est assurément d'inspiration totalement française. Nous
avons été porteurs, inventeurs de bout en bout de cette conférence.
Premier élément : la méthode retenue par le Conseil européen, qui atténue
fortement la différenciation entre les candidats, semble définitivement les
prémunir contre le risque d'apparition de nouvelles fractures sur le continent
européen. Or, précisément, l'un des objectifs assignés à la Conférence
européenne était d'aider à la prévention d'un tel risque. Le risque est
moindre. Aussi l'outil était-il nécessaire.
Second élément : la participation de la Turquie à la Conférence est évidemment
nécessaire. C'était là une des raisons qui nous ont conduits à la proposer. Or
le traitement relativement, pour ne pas dire très insatisfaisant imposé à ce
pays à Luxembourg laisse planer un doute quant à sa participation. Je
reviendrai sur ce point.
Mais, pour autant, la Conférence européenne demeure l'un des éléments
essentiels destinés à garantir la cohérence d'un processus d'élargissement qui,
pour reprendre l'expression de M. de La Malène, ne sera pas un long fleuve
tranquille. Il sera long et sans doute très complexe.
Pourquoi la Conférence européenne est-elle un élément très important ?
D'abord, parce que c'est la seule enceinte qui réunira les membres actuels et
futurs de l'Union européenne.
Ensuite, parce que c'est un forum indispensable pour que ses membres puissent
traiter des questions d'intérêt général - politique extérieure et de sécurité
commune, affaires de justice et affaires intérieures, projets économiques
d'intérêt commun - en préfigurant l'Europe à vingt-cinq, ou trente demain.
Pour ma part, je crois qu'il faut accepter cette Conférence européenne. Elle
est un peu fondée sur les conceptions françaises et, d'ailleurs, le Président
de la République l'a voulue ainsi : petit à petit, nous avons cessé de la
concevoir comme un élément du processus d'élargissement pour en venir à une
entité plus vaste à laquelle d'autres pays pourraient plus tard s'agréger,
notamment la Suisse, la Norvège ou l'Ukraine, c'est-à-dire à une préfiguration
d'une Europe beaucoup plus vaste, qui est celle de demain. La Conférence tend
donc à se déconnecter du processus d'élargissement et prend une signification
plus vaste.
Il est clair que nous suivrons avec attention les décisions que prendra la
Turquie lorsque lui sera lancée - cela a été décidé - l'invitation à participer
à la Conférence européenne. J'y reviendrai dans quelques instants.
La troisième question est celle de l'urgence et de l'impératif d'une réforme
des institutions. Nous en parlons à chacune de nos discussions ici et, au fond,
elle fait l'unanimité, en tant que question en tout cas, sur toutes les
travées.
M. About a parfaitement raison : la réforme institutionnelle reste à faire, et
le Gouvernement, à Amsterdam et depuis Amsterdam, l'a dit avec force. Comme
vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, il nous reste à dire laquelle nous
souhaitons.
J'aborde ce sujet en présence de Michel Barnier, avec qui j'en parlais encore
hier soir, en commentant quelques mots qui ont été prononcés à propos de
l'actuelle ou de l'ancienne majorité : il y a finalement une continuité
extrêmement grande. C'est vrai, le Gouvernement peut souligner qu'il a pris
l'affaire en fin de course ; mais M. Barnier me faisait observer dans une
conversation privée qu'il avait manqué quelques semaines - pas tout à fait de
notre fait, mais cela s'est trouvé ainsi ! - au précédent gouvernement pour
achever cette négociation.
Je note que les uns et les autres, à quelques semaines près, nous avons obtenu
sur ce point un succès modéré. Il n'est donc pas à mon sens raisonnable,
monsieur Badré, d'attribuer l'échec institutionnel d'Amsterdam à je ne sais
quel malaise à Poitiers. Le ver était largement présent dans le fruit !
S'agissant de l'extension d'une partie de la réforme, sur laquelle
s'interrogeait M. de Villepin, nous nous efforçons de trouver des alliés. Il
est vrai que nous ne sommes pas très nombreux, mais il y a clairement l'Italie
et la Belgique, et il y aura demain, j'en suis persuadé, les Pays-Bas et
l'Espagne. De plus, j'ai la conviction que la présidence britannique est prête
à jouer sur des positions qui sont assez proches des nôtres.
A Luxembourg, cette réforme n'était pas à l'ordre du jour ; ce n'était ni le
lieu, ni le moment ; l'agenda de Luxembourg était considérable, sans parler du
Conseil de l'euro et d'autres questions. Ce qu'une Conférence
intergouvernementale lourde et longue n'avait pas pu produire, nous ne pouvions
pas le faire en six mois, c'est clair.
En revanche, nous avons obtenu à Luxembourg la confirmation que la réforme des
institutions est un préalable indispensable à l'élargissement, ce qui va
au-delà de la seule réthorique. Sur cette question, sachez que la détermination
du Président de la République et du Gouvernement est entière. Je sais qu'elle
est largement partagée par les parlementaires, à l'Assemblée nationale et au
Sénat, comme l'ont prouvé les interventions de tous les orateurs.
Dans la période qui s'ouvre, nous devrons prendre appui sur les conclusions du
Conseil européen pour obtenir une véritable réforme des institutions permettant
à une Union élargie de fonctionner efficacement. Dans ce contexte, M. About
nous demande de préciser notre conception sur ce préalable institutionnel.
Tout d'abord, je crois qu'il faut le dire, il n'y aura pas de conclusion des
prochaines négociations d'adhésion sans une réforme institutionnelle
préalable.
M. Nicolas About.
Très bien !
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
Cela répond à l'engagement solennel de la France et
d'autres Etats membres, comme en témoigne la déclaration signée par la France,
la Belgique et l'Italie annexée au traité d'Amsterdam.
Quel sera le contenu de cette réforme institutionnelle ? Ne cachons pas qu'il
faut encore y réfléchir. Il ne serait pas raisonnable que nous nous contentions
de reprendre des positions qui, à Amsterdam, n'ont pas fait l'unanimité et qui
ont provoqué une crise. L'élargissement à dix ou douze pays entraîne un
changement d'échelle qui ne s'improvise pas.
Parmi les composantes de la réflexion, figurent aussi le passage à la monnaie
unique et le choc fédérateur qu'il entraînera.
Certains orateurs, notamment M. Badré, ont évoqué la perspective fédérale, qui
serait indispensable pour que fonctionne une Union à vingt ou trente membres.
Pour ma part, je ne crains pas de dire que ce n'est pas un tabou et
qu'effectivement, lorsque nous parlons avec M. Hubert Védrine de choc
fédérateur de l'euro, nous pensons bien à une perspective fédérale, même si ces
termes sont peut-être quelque peu éloignés de la réalité.
Pour revenir à la réforme institutionnelle à plus court terme, les thèmes en
sont connus.
Premièrement, il s'agit d'une Commission plus collégiale, donc plus
restreinte. C'est essentiel pour que celle-ci retrouve son rôle de garant de
l'intérêt communautaire.
Deuxièmement, c'est une extension, je dirais presque une sytématisation, du
vote à la majorité qualifiée dans les domaines où la dernière Conférence
intergouvernementale n'a pu aboutir.
Troisièmement, il s'agit - l'on retrouve, finalement, des orientations déjà
connues - d'une nouvelle pondération des voix au Conseil, qui est indispensable
en termes d'efficacité et de représentativité des Etats membres.
Quelle sera la méthode ? Sur ce point, je partage l'avis de M. de Villepin :
la méthode de la CIG - cela méritera peut-être de plus amples débats - a montré
certaines de ses limites ; il faut donc réfléchir à une nouvelle méthode. Celle
du « comité des sages » est possible, ou, en tout cas, celle d'une procédure
spécifique combinant le caractère politique de la démarche et le souci de son
efficacité.
Cette question ne manque pas d'intérêt, me semble-t-il. Là encore, parce que
nos réflexions en sont à un stade préliminaire et que, je l'avoue, nous avons
du temps, nous aurons l'occasion d'en reparler.
Le quatrième aspect de la question de M. About concerne la nécessité de
renforcer l'ancrage de la Turquie à l'Europe. Mais ce sujet a également été
évoqué par MM. de Villepin, Lesein et Bécart.
Comme vous le savez, M. Hubert Védrine, le ministre des affaires étrangères,
vient de se rendre en Grèce et en Turquie. Il a engagé une discussion de fond
sur ces questions, dans le prolongement du Conseil européen. Je veux d'emblée
préciser notre position, qui rejoint la vôtre, monsieur About.
La Turquie est un partenaire stratégique essentiel parce qu'elle est à la
confluence de plusieurs mondes - l'Europe, le Caucase et le Proche-Orient -
parce que c'est un grand pays et un pays laïc. Son ancrage à l'Union européenne
est nécessaire pour assurer son évolution démocratique ainsi que son
développement économique à long terme.
Nous devons tous avoir à l'esprit les risques que présenterait une rupture de
cet ancrage, à savoir les tentations islamistes, d'une part, le blocage de la
question de Chypre, d'autre part, sans oublier, comme l'évoquait M. François
Lesein, les rapports avec les Etats-Unis. En effet, ce dernier pays reste sans
doute notre allié et notre partenaire, mais il est aussi notre compétiteur.
La Turquie est un élément stabilisateur pour l'ensemble de la région. C'est
pourquoi, je le dis sans ambages, elle mérite mieux que le traitement qui lui a
été accordé à Luxembourg, d'autant que l'union douanière ne lui a pas apporté
tout ce qu'elle était en droit d'attendre, notamment en matière d'aide
financière, alors que l'Union européenne, pour sa part, a très largement
bénéficié des effets de cette union douanière en termes commerciaux.
De notre point de vue, il est très important d'envoyer des signaux politiques
forts sur les perspectives européennes de la Turquie afin de conforter
l'orientation occidentale de ce pays et d'emporter le soutien de l'opinion
publique turque aux réformes qui sont nécessaires pour aller dans ce sens, mais
qui sont coûteuses économiquement et politiquement. C'est le sens de la visite
effectuée par M. Hubert Védrine à Ankara peu de temps après la tenue du Conseil
européen.
A Luxembourg, l'Union européenne a réaffirmé timidement l'éligibilité de la
Turquie, elle a mis au point une stratégie d'intégration, elle a entériné le
principe de la participation d'Ankara à la Conférence européenne. Ces éléments
incluent la Turquie dans le processus d'élargissement, même si elle n'est pas
partie prenante, dans l'immédiat, du processus d'adhésion proprement dit. Ne
nous cachons pas que la Turquie a un long chemin à parcourir pour se conformer
aux critères de Copenhague, qu'il s'agisse des droits de l'homme, des rapports
avec ses voisins ou du dossier de Chypre.
M. Hubert Védrine ne s'est pas rendu dans ce pays pour tenir un discours
complaisant : nous avons dit à nos interlocuteurs que la Turquie devait
évoluer. Il est dans le même temps naturellement dans son intérêt de prendre le
temps de la réflexion pour analyser les propositions formulées par le Conseil
européen.
Aussi convient-il, selon nous, d'inviter Ankara à prendre un peu de recul par
rapport au Conseil européen de Luxembourg. Tout n'a pas commencé, tout ne s'est
pas achevé à Luxembourg ! Lors des trente dernières années, au-delà des aléas
politiques, nous avons accompli pas à pas beaucoup de choses avec ce pays. Nous
souhaitons préserver et accroître cet acquis.
A ce titre, nous estimons que la stratégie européenne pour la Turquie définie
à Luxembourg devrait être engagée rapidement et que ce pays devrait participer,
sans qu'aucune condition préalable ne lui soit opposée, à la réunion de la
Conférence européenne prévue à la mi-mars.
Je relève toutefois un problème : M. Hubert Védrine a eu le sentiment très net
qu'à l'heure où nous parlions le gouvernement turc, avec beaucoup de fermeté,
ne manifestait pas le souhait de participer à cette réunion. Comme vous le
savez, M. Yilmaz a en effet indiqué que la date retenue ne figurait pas sur son
agenda, ce qui est quelque peu ennuyeux. M. François Lesein s'est interrogé sur
le rapprochement entre la Turquie et les Etats-Unis. L'ancrage à l'OTAN de la
Turquie est ancien, ce qui fait que le lien américano-turc est très fort ; et
il peut encore se renforcer à l'occasion des difficultés de l'Europe.
Quant au partenariat stratégique américano-turco-israélien, je pense qu'il
rencontrera des limites évidentes dans le contexte moyen-oriental, la Turquie
ne pouvant totalement s'isoler, comme l'ont démontré ses déboires lors du
sommet de l'Organisation de la conférence islamique, en décembre. Il y a sans
doute là un motif de préoccupation. Mais il ne faut pas l'exagérer.
Au sujet de la question kurde, vous l'avez souligné à juste titre, il est
contradictoire de rejeter un pays loin de l'Europe tout en le sommant de
résoudre des questions qui sont extraordinairement délicates.
En conclusion de mon propos sur la Turquie proprement dite, je dirai que tous
ces éléments prouvent qu'il n'y a pas de raison d'être pessimiste à l'excès. La
Turquie a fait la preuve de sa bonne volonté dans les derniers jours pour
coopérer avec l'Europe dans la maîtrise des flux migratoires, notamment lors de
la réunion des chefs de la police à Rome. J'ai bon espoir que cette attitude de
coopération se poursuivra sur d'autres plans, c'est-à-dire sur le plan général
des relations turco-européennes.
S'agissant de Chypre, et pour répondre aux préoccupations de M. Claude Estier,
je dirai que nous attendons de toutes les parties qu'elles adoptent une
attitude responsable. La réaction de la Turquie sur Chypre est à la mesure de
sa déception. Elle est très clairement exagérée et il faut s'efforcer, à
présent, de convaincre Ankara que la Turquie n'aurait rien à gagner à s'engager
dans une épreuve de force. Cela implique que la Grèce et les Chypriotes grecs
fassent également preuve d'ouverture. Cela implique aussi que la Turquie fasse
ce qu'elle a à faire.
A Luxembourg, nous avons oeuvré pour que les conclusions reflètent la lettre
et l'esprit de la décision du 6 mars 1995. Le Conseil européen a ainsi affirmé
que les négociations contribueront à la recherche d'une solution politique en
vue de la création d'une fédération bicommunautaire, bizonale. L'objectif doit
donc être celui de l'entrée dans l'union d'une île réunifiée. C'est ce que le
Président de la République a affirmé tout au long du Conseil européen.
Par ailleurs, le Conseil européen a très clairement demandé que la délégation
chypriote comprenne des représentants de la communauté chypriote turque. Cela
constitue, en effet, la garantie que les négociations d'adhésion favoriseront
un règlement politique conforme aux résolutions des Nations unies.
Je tenais à vous donner la position de la France sur la question turque. Ne
nous cachons pas qu'il s'agit d'un dossier extraordinairement délicat dans la
conjoncture présente. La France s'efforce de convaincre les Turcs qu'il leur
faut améliorer leurs relations avec les Grecs et avec l'Europe, et les
Européens qu'il leur faut être plus ouverts vis-à-vis de la Turquie. Le chemin
qui reste à parcourir est important, je manquerais à la vérité si je ne le
disais pas.
Je veux enfin traiter des orientations relatives au cadre financier et aux
politiques communes, en réponse à la question de M. About et aux interrogations
fortes de M. de Villepin.
Le Conseil de l'Europe a souligné les principes fondamentaux qui devront
guider, dans le contexte de l'élargissement, l'établissement d'un nouveau cadre
financier et la réforme des politiques communes, essentiellement celle de la
PAC et des fonds structurels. C'est un dossier très difficile, sur lequel les
intérêts des uns et des autres sont différents, voire divergents.
Reconnaissons que la plupart de nos partenaires ne souhaitaient pas, pour des
raisons variées, aborder à Luxembourg d'autres questions que celle de
l'élargissement au sens strict. Pour la plupart - c'était le cas de l'Espagne,
comme cela a été mentionné par M. de La Malène, c'était le cas de l'Allemagne
aussi, pour d'autres raisons - ils ne voulaient aborder à Luxembourg que la
question de l'élargissement au sens strict, sans aborder son volet interne,
c'est-à-dire ses conditions.
Le Gouvernement français et le Président de la République se sont battus tout
au long de ce conseil et ils ont obtenu, avec le soutien de la présidence
luxembourgeoise et de certains de nos partenaires, que quelques principes de
base soient rappelés au plus haut niveau de l'Union avant que les négociations
ne commencent dans le détail, sur la base des propositions de la Commission,
qui sont attendues pour la fin du mois de mars.
Reconnaissons d'emblée, avant de revenir rapidement sur la position prise par
l'Europe, que notre niveau d'ambition était initialement plus élevé, voire
sensiblement plus élevé ; mais je crois qu'au cours de ce dernier après-midi de
réunion du Conseil européen l'essentiel a été acquis.
La Commission est invitée à aller de l'avant et à présenter des propositions
précises sur la base du travail qu'elle a effectué dans le cadre d'« Agenda
2000 ». Cela signifie qu'un cadre financier devra être établi, en prenant en
compte l'impératif de rigueur budgétaire mentionné par les conclusions du
Conseil et en se fondant sur une double programmation des dépenses.
M. de Villepin s'est interrogé sur le coût de l'élargissement. On connaît les
estimations de la Commission : 45 milliards d'écus pour les pays nouveaux
adhérents, au titre des fonds structurels ; 15 milliards d'écus pour la PAC,
pour les mêmes pays ; quant au coût de l'effort de préadhésion, il serait de
l'ordre de 9 milliards d'écus.
Il s'agit là, évidemment, d'une évaluation sujette à caution. C'est pourquoi
nous avons demandé une double programmation, car l'on ne sait pas très bien
quels pays auront adhéré dans cinq ans étant donné que l'on a un peu tout
mélangé. Raison de plus pour mener maintenant ce travail. Or le fait que le
Conseil européen ait décidé de le faire est tout à fait important. C'était une
demande essentielle du Gouvernement français ; nous avons obtenu
satisfaction.
Les principes essentiels relatifs à la PAC ont été rappelés. Là aussi, ce fut
une rude bataille, dans laquelle je soulignerai le rôle du Président de la
République, dont on connaît l'attachement à notre agriculture.
J'en rappellerai brièvement les points importants : approfondissement de la
réforme de 1992, en prenant soigneusement en compte les spécificités
sectorielles et le modèle agricole européen ; préservation de la ligne
directrice agricole, ce qui est, bien sûr, fondamental.
En ce qui concerne les fonds structurels, la moisson est beaucoup plus mince.
En effet, la plupart des Etats membres n'ont pas souhaité aller au-delà d'une
référence générale aux orientations proposées par la Commission. Il en résulte
une situation contrastée : nous aurons plus de liberté pour examiner les
positions de la Commission mais, en même temps - ne nous le cachons pas - nous
aurons encore plus de terrain à occuper pour faire respecter nos intérêts
nationaux fondamentaux, ce que, je le sais, chacun ici, sur toutes les travées,
souhaite.
C'est sur la base de ces principes que le Gouvernement continuera à faire
valoir ses demandes au sein du Conseil dès que la négociation s'engagera sur
les propositions de la Commission.
S'agissant du cadre financier, nous plaiderons pour le maintien du plafond des
ressources propres à 1,27 % du PNB, avec une marge substantielle destinée à
prendre en compte les disciplines de l'Union économique et monétaire.
Nous exigeons également que l'on ne modifie pas la décision sur les ressources
propres de l'Union. Cette décision ne pourrait d'ailleurs être modifiée qu'à
l'unanimité. L'objectif espagnol n'est donc pas totalement atteint puisque, à
défaut de modification, la décision continuera de s'appliquer.
Nous refusons de nous engager dans un débat sur la notion illusoire de juste
retour, et cela quel que soit le pays qui le demande, que ce soit la
Grande-Bretagne ou même nos amis Allemands.
En matière agricole, nous attendrons les propositions formelles de la
Commission. Si nécessaire, nous rappellerons, bien évidemment avec force, les
demandes formulées par les ministres de l'agriculture le 17 novembre 1997. Un
différentiel d'aides incitatives doit être maintenu en faveur des
oléoprotéagineux, c'est important. La réforme de l'OCM bovine doit être plus
équilibrée et offrir des soutiens adéquats à l'élevage extensif. Enfin, nous
marquerons une nouvelle fois notre hostilité à une réforme du secteur du lait
telle que l'envisage la Commission dans « Agenda 2000 ».
Tous ces éléments doivent être pris en compte dans le cadre d'une ligne
directrice agricole préservée.
Sachez, enfin, que la vigilance du Gouvernement s'exprimera également en
matière de fonds structurels. Nous souhaitons que des mécanismes de transition
soient mis en place pour les régions qui pourraient être affectées par la
réforme, en particulier celles de l'objectif 1.
Nous veillerons également au bon équilibre des instruments, en particulier de
l'objectif 1 et du fonds de cohésion, ainsi qu'à la définition de nouvelles
politiques permettant de répondre à nos besoins en termes de reconversion
économique, sociale, urbaine et rurale, et de lutte contre le chômage.
Pour ce faire, comme beaucoup d'entre vous l'ont d'ailleurs esquissé, il faut
peut-être resituer la problématique de l'élargissement dans son contexte.
En effet, l'avenir de l'Europe ne se réduit pas à son élargissement, qui n'en
est qu'une des dimensions. L'avenir de l'Union - au moment où nous entamons
l'année 1998, il faut le rappeler - passe d'abord par la mise en place de
l'Union économique et monétaire telle que nous la concevons en France,
c'est-à-dire réorientée vers la croissance et vers l'emploi.
Je suis persuadé, pour ma part, que nous en mesurerons très vite l'impact
fédérateur. Je pense, comme M. Badré, qu'il faut « s'appuyer sur ce qui marche
» pour faire redémarrer le projet européen. Je partage l'observation du
président Genton : cet aspect fédérateur de l'Union économique et monétaire est
un moyen d'éviter que l'on perde en substance ce que l'on gagne en ampleur.
C'est sur ce môle qu'il faut bâtir un nouveau départ de la construction
européenne.
Cette Union économique et monétaire constitue d'ailleurs, avec le Conseil de
l'Europe, l'une des premières applications avant la lettre du mécanisme de
coopération renforcée instauré par le traité d'Amsterdam.
Cette coopération renforcée constitue assurément l'une des avancées majeures
du traité d'Amsterdam. C'est une notion qui devrait se révéler extrêmement
féconde pour l'approfondissement de la construction européenne, car c'est un
antidote à l'inertie et au blocage.
Pour donner à ce mécanisme toute son ampleur, il faut d'abord - la question a
été soulevée par M. Bécart - ratifier le traité d'Amsterdam, dont je dirai un
mot, on comprendrait mal que je ne le fasse pas.
Le Conseil constitutionnel a, le 4 décembre 1997, été saisi conjointement par
le Président de la République et par le Premier ministre. Nous avions identifié
les problèmes constitutionnels éventuels. Le Conseil constitutionnel, sans
grande surprise - en tout cas pour nous - a rendu sa décision : soit le traité
doit être modifié, ce qui ne nous paraît pas très raisonnable, compte tenu de
la situation complexe de l'Europe - nous ne demandons pas une nouvelle
renégociation - soit la Constitution doit être révisée. Elle le sera.
Sur ce point, l'article 89 de la Constitution est très clair : « L'initiative
de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la
République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement. »
C'est au Président de la République que revient l'essentiel des initiatives,
même si le Gouvernement a un rôle à jouer en ce domaine. C'est notamment lui
qui, en application de l'article 89, choisit entre le référendum et le Congrès.
C'est la procédure normale.
Pour ma part, j'ai une préférence. On la connaît, je ne la cache pas ; je l'ai
d'ailleurs exprimée publiquement. Je crains, en effet, dans l'hypothèse du
référendum, non pas la réponse, mais la question. La façon de la formuler
pourrait, alors qu'il s'agit somme toute d'une révision très limitée, réveiller
une série de peurs. Le Congrès est donc la meilleure solution, et un débat doit
s'engager devant le Parlement.
M. Jacques Genton,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Pierre Moscovici,
ministre délégué.
De toute façon, il aura à en débattre, car, en toute
hypothèse, un vote doit intervenir dans les deux chambres. Ainsi, le Président
de la République apportera en fait la réponse à votre question, monsieur
Bécart, quant à la formule choisie.
En toute hypothèse, il est très important que le Parlement, une fois qu'il
aura, je l'espère, adopté ce traité qu'il ne devrait pas rejeter, manifeste
clairement, selon des formes qui restent à définir, sa volonté de voir ce
traité s'appliquer, et qu'il y ait en même temps un préalable institutionnel.
Le Parlement doit pouvoir s'exprimer sur ce point, et cet aspect très important
devrait faire l'objet d'un consensus sur toutes les travées.
Je voudrais maintenant revenir sur quelques réflexions que vous avez
formulées, monsieur de La Malène, concernant l'impact de la France dans le
débat européen. Vous avez posé de véritables questions.
La construction européenne connaît aujourd'hui des difficultés. C'est une
machine lourde, complexe, dont le fonctionnement doit être amélioré, pour ne
pas dire totalement révisé. C'est pourquoi une réforme des institutions est
nécessaire. Mais je ne partage pas votre conviction selon laquelle les intérêts
français n'auraient pas été entendus lors du Conseil européen de Luxembourg.
Je me suis rendu à ce Conseil, comme le Premier ministre, comme le ministre
des affaires étrangères, comme le Président de la République, en considérant
qu'il s'agissait probablement de l'un des rendez-vous les plus difficiles que
nous abordions parce que la France était la seule à avoir une perspective
globale, que vous avez rappelée, sur tous les sujets.
En ce qui concerne les institutions, nous avons obtenu le préalable, c'est
très important. Quant à l'élargissement, nous souhaitions un processus global,
inclusif, flexible. Nous l'avons obtenu, avec d'autres. Dans le cadre
financier, nous étions seuls à défendre certaines positions, et nous n'avons
pas tout obtenu.
Le Conseil de Luxembourg a marqué, en quelque sorte, un nouveau départ.
L'élargissement se présente dans les meilleures conditions possibles compte
tenu de l'extrême complexité du phénomène, et la France y est pour beaucoup.
Selon vous, la France devrait se concentrer sur un petit nombre d'objectifs,
comme l'Espagne. Le succès espagnol à Luxembourg est en trompe-l'oeil. Comme je
l'ai dit, la décision « ressources propres » ne peut être modifiée qu'à
l'unanimité. L'Espagne a obtenu un succès de façade, mais rien n'a changé. Nous
abordons la discussion financière dans des conditions qui sont très difficiles,
mais qui ne se sont pas dégradées par rapport à ce qui se passait avant le
Conseil européen de Luxembourg.
Mais la France n'est pas l'Espagne. Notre pays est en effet, au sein de
l'Union européenne, l'un des seuls avec l'Allemagne à avoir une vision globale
de l'Europe. Ce couple moteur, même s'il connaît des vicissitudes, qui sont
dues non pas à telle ou telle circonstance politique, mais bel et bien à des
intérêts objectivement divergents actuellement sur l'élargissement, sur les
conditions financières, sur les institutions, reste un couple essentiel. Il
fallait le dire alors que nous célébrerons, la semaine prochaine, le
trente-cinquième anniversaire du traité de l'Elysée.
Voilà des choses qu'il faut répéter. Je le répète : la France est un des seuls
pays à avoir une vision globale de l'Europe. Elle doit continuer à l'avoir.
Cela l'expose, bien sûr, parfois à être attaquée, mais c'est tout à fait
fondamental.
En conclusion, je dirai qu'il faut effectivement, comme le souhaitait M. de
Villepin, bâtir une Europe qui soit une Europe puissante, tout en veillant,
comme le souhaitait Claude Estier, à ce que l'élargissement ne signifie pas un
affaiblissement, une dilution des politiques communes.
Nous sommes face à un ensemble de dossiers extraordinairement complexes,
mélangés, imbriqués, dont la résolution est difficile. C'est à cela que nous
nous attaquerons au cours de l'année 1998 et des années suivantes, avec le
souci de redonner un grand dessein à l'Europe.
Ce grand dessein, c'est celui d'une Europe des peuples, d'une Europe
populaire, qui serve les hommes et toutes les couches de la population. Nous
devons en effet veiller à éviter qu'autour de la construction européenne ne se
crée une sorte de fracture sociale qui serait également une fracture politique.
Je pense que notre débat aura contribué à montrer que cette préoccupation était
largement partagée par la Haute Assemblée.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées
du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
Le débat est clos.
3
PROTECTION
DES PERSONNES SURENDETTÉES
EN CAS DE SAISIE IMMOBILIÈRE
Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de
loi (n° 259, 1996-1997), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale
en deuxième lecture, renforçant la protection des personnes surendettées en cas
de saisie immobilière. [Rapport n° 325 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, je vous prie tout d'abord de vouloir bien excuser ma collègue
Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice, qui est empêchée et
que je supplée très volontiers pour ce texte dont l'intérêt, s'agissant de
saisie immobilière, ne peut pas laisser indifférent le secrétaire d'Etat au
logement.
Vous avez souhaité poursuivre en seconde lecture l'examen de la proposition de
loi renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie
immobilière.
Ce texte, débattu à l'Assemblée nationale au printemps dernier, apporte une
réponse immédiate, mais partielle, aux problèmes que pose la procédure de
saisie immobilière, qui est inadaptée à bien des égards.
Si le Gouvernement adhère aux principaux objectifs poursuivis, il n'en reste
pas moins que le texte ne répond pas pleinement à son objectif, qui est de
lutter efficacement contre l'exclusion sociale.
Il se limite à renforcer l'information du débiteur saisi pour prévenir la
vente judiciaire, à améliorer la liaison entre les procédures de saisie
immobilière et de surendettement et à assurer un contrôle judiciaire de la mise
à prix.
Parce que la perte du logement est l'une des premières causes d'exclusion, il
est impératif de mener une réforme ambitieuse comportant un double volet :
d'abord, et avant tout, prévenir la vente forcée du logement ; ensuite,
lorsqu'elle est inéluctable, s'assurer qu'elle se déroule dans les conditions
humaines et économiques les plus satisfaisantes possibles.
Cette réforme est programmée par le Gouvernement dès cette année 1998, sans
pour autant qu'il renonce, dans l'intervalle des travaux, à accroître les
garanties des débiteurs dont le logement principal serait menacé.
Le Sénat a choisi de se rallier à des aménagements ponctuels sur lesquels je
voudrais maintenant m'exprimer.
Avant d'en venir à l'article 3
bis,
dont le Gouvernement souhaite la
suppression, et je m'en expliquerai tout à l'heure, je tiens à souligner que le
texte, dans ses grandes lignes, apparaît au Gouvernement comme globalement
positif.
Le renforcement de l'information des débiteurs sur leurs droits, dès le
premier acte de la saisie, est de nature à prévenir les ventes forcées et
mérite, à ce titre, d'être approuvé.
J'adhère aussi pleinement à la sanction de nullité assortissant cette
obligation.
Je sais que cette question a fait l'objet de vifs débats lors des précédentes
lectures, mais je crois pour ma part qu'elle est seule de nature à assurer
l'effectivité de l'obligation nouvelle.
C'est cette même volonté d'efficacité protectrice qui justifie les
dispositions du texte améliorant la liaison entre les procédures de saisie
immobilière et de surendettement.
On n'a que trop dénoncé les ventes forcées réalisées en dépit de procédures de
surendettement en cours.
Il faut que les commissions de surendettement puissent demander, y compris
jusqu'au dernier stade de la saisie immobilière, la remise de la vente.
Cette disposition vient heureusement compléter le mécanisme, adopté dès la
première lecture du texte, permettant au débiteur de demander la réduction du
capital restant dû après la vente sur saisie.
En effet, bien que prévu dès son origine par la loi Neiertz, ce dispositif
était resté très largement ineffectif.
Les deux assemblées se sont accordées pour imposer les formalités propres à
permettre au débiteur de faire valoir ses droits.
J'en viens maintenant au contrôle judiciaire de la mise à prix.
Désormais, le débiteur pourra, s'il estime la mise à prix manifestement
insuffisante, recourir au juge. C'est là un progrès social manifeste.
Il s'agit de mettre fin à des pratiques abusives et fort anciennes consistant
à fixer la mise à prix à hauteur de la créance en occultant la valeur réelle du
bien.
S'agissant des modalités de contestation, je sais que le Sénat a marqué une
hésitation sur les obligations imposées au débiteur en matière de preuve.
Il a souhaité, dans un premier temps, soumettre la recevabilité de la
contestation à des justificatifs.
La commission vous propose aujourd'hui de vous rallier à la position de
l'Assemblée nationale excluant toute restriction à la saisine du juge.
Je crois cette position plus juste.
Le Gouvernement ne peut, en revanche, souscrire au mécanisme de remise en
vente des biens sur baisses successives du prix en l'absence d'enchères, le cas
échéant jusqu'à la mise à prix initiale.
Cette faculté, si elle est systématiquement utilisée, revient à priver de tout
effet le principe même de la contestation judiciaire. En tout cas, on peut
craindre qu'il n'en soit ainsi.
M. Robert Pagès.
Eh oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Soucieux d'emporter le bien au meilleur prix, les
enchérisseurs pourraient attendre, d'un commun accord, la baisse de la mise à
prix pour porter les premières enchères.
Cet effet est déjà observé pour les ventes judiciaires sur liquidation et sur
licitation, qui prévoient également une possibilité de baisse de mise à
prix.
Le Gouvernement ne souhaite pas voir généraliser un mécanisme qui susciterait
de faux espoirs chez le débiteur, qui alourdirait en pure perte la procédure et
qui pourrait générer inutilement des frais d'expertise si le juge y avait
recours.
Pour autant, le Gouvernement a conscience qu'en l'état actuel de la procédure
de saisie immobilière la coexistence des deux règles du contrôle judiciaire de
la mise à prix et de l'adjudication d'office au créancier poursuivant à défaut
d'enchère au prix ainsi fixé peut susciter des difficultés dans certaines
hypothèses.
Je songe, notamment, au syndicat de copropriétaires...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Eh oui !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
... créancier de charges impayées, qui se retrouverait
propriétaire forcé d'un lot et, par là même, débiteur de son propre
débiteur.
Ce problème révèle les limites du texte qui vous est actuellement soumis et
démontre la nécessité d'une réforme globale, seule propre à prendre en compte
la diversité des situations.
Il faut pouvoir faire face à l'ensemble des cas en approfondissant, au-delà du
schéma judiciaire actuel, toutes les pistes propres à permettre d'élaborer des
solutions adaptées à ce qui constitue toujours un drame humain pour le
débiteur.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les propos liminaires que je
souhaitais formuler devant vous dans cette phase ultime d'examen de la
proposition de loi.
Le consensus qui est progressivement dégagé au sein des deux assemblées doit
beaucoup au travail des commissions, et je voudrais, à cet égard, remercier
mesdames et messieurs les commissaires, particulièrement M. Hyest, rapporteur
de la proposition, et M. Larcher.
En adoptant ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, vous apporterez une
première réponse à des situations contre lesquelles nous devons tous nous
mobiliser.
Le Gouvernement poursuivra cette oeuvre, et je ne doute pas que le Parlement
s'y associera.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la présente
proposition de loi est issue de plusieurs propositions de loi déposées par nos
collègues députés pour faire face à une situation difficile.
L'Assemblée nationale, dans un premier temps, s'était intéressée à la saisie
immobilière dans son ensemble. Or, pour lutter contre l'exclusion, nous devons
essentiellement nous intéresser à la saisie des logements principaux. Tel est
donc l'objet de cette proposition de loi.
La réforme de la saisie immobilière dans son ensemble est un problème vaste,
sur lequel le Gouvernement travaille depuis de très nombreuses années sans
avoir pu encore nous soumettre un texte ; enfin, il nous promet qu'il en sera
déposé un prochainement.
La commission des lois du Sénat a, je le rappelle, examiné le texte en
deuxième lecture au début du mois d'avril, par conséquent avant le résultat des
élections législatives ; je tenais à le souligner.
Vous avez noté, monsieur le secrétaire d'Etat, les améliorations réelles
apportées par le texte et notamment la meilleure coordination qu'il assurait
entre la procédure de traitement du surendettement et la procédure de saisie
immobilière, qui posait un vrai problème. En effet, au cours des travaux d'un
groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des
finances sur les problèmes de surendettement, M. Paul Loridant et moi-même,
nous sommes aperçus que la mauvaise articulation entre les procédures
engendrait d'importantes difficultés.
Les nouvelles dispositions permettront, en outre, au juge du surendettement de
réduire la dette après la vente du bien immobilier alors qu'auparavant des
familles qui avaient perdu leur logement principal se voyaient contraintes de
payer encore pendant de nombreuses années.
En première lecture, le Sénat avait introduit un article additionnel visant à
accorder au débiteur dont le logement principal est saisi un délai de six mois
à compter de la signification du commandement pour procéder à la vente amiable
de ce bien.
Prenant en considération les objections formulées au cours du débat en
deuxième lecture à l'Assemblée nationale selon lesquelles, d'une part,
l'ouverture automatique d'un délai de six mois à compter de la signification du
commandement pour procéder à la vente amiable peut se révéler contraire aux
intérêts du débiteur, d'autre part, le projet de réforme de la saisie
immobilière en cours d'élaboration prévoit la tenue d'une audience
d'orientation permettant au juge d'aménager une telle possibilité, la
commission vous proposera de maintenir la suppression de l'article premier
bis,
introduit au Sénat en première lecture. Elle a en effet estimé qu'à
ces arguments s'ajoutaient la possibilité de demander au juge la conversion de
la saisie immobilière en vente volontaire ainsi que le constat selon lequel les
organismes de crédit parviennent, dans la majorité des cas, à des solutions
amiables.
Je rappelle par ailleurs qu'il arrive, grâce au fonds de solidarité logement,
pour peu que le département fasse preuve d'un certain dynamisme, que les biens
immobiliers soient rachetés par l'intermédiaire, d'organismes de logement
social et qu'y soient relogées des familles surendettées. C'est un aspect du
problème que l'on oublie souvent. Les départements y sont sensibles dans la
mesure où la perte du logement signifie la dispersion de la famille, avec les
conséquences qui en découlent. Si l'on utilise à bon escient cette procédure,
on aura déjà fait un pas dans le bon sens.
Reste l'article 3
bis,
auquel le Gouvernement n'est pas favorable. Je
vais essayer de défendre le dispositif proposé, dont la commission souhaite
l'adoption en l'absence d'une meilleure solution.
Nous sommes favorables à l'intervention du juge dans la mise à prix, cette
dernière étant parfois insuffisante. Après tout, le créancier veut, lui,
rentrer dans les fonds qu'il a prêtés et, s'il fixe la mise à prix au montant
de sa créance, je ne vois là rien que de très normal. Par ailleurs, les ventes
sur saisie immobilière sont faites pour essayer de trouver le juste prix de
vente. On n'a pas encore trouvé, hélas ! de meilleure solution.
Mais, compte tenu de la situation du marché immobilier, dans certaines zones,
l'impossibilité de vendre le bien pose un certain nombre de problèmes.
Avec le mécanisme proposé initialement par l'Assemblée nationale, lorsqu'il
n'y a pas d'enchérissement sur la nouvelle mise à prix, c'est le créancier qui
devient adjudicataire.
Vous imaginez les conséquences : un créancier pourrait être déclaré
adjudicataire à une somme supérieure à sa créance. Or, les créanciers ne sont
pas toujours des organismes institutionnels.
Vous avez cité un bon exemple, monsieur le secrétaire d'Etat, celui de la
copropriété.
Nous savons fort bien que, lorsqu'un copropriétaire ne paie plus ses charges
depuis un certain nombre de mois, voire quelquefois d'années, il en résulte une
multiplication des situations de surendettement, par effet de ricochet. De
nombreux syndics bénévoles nous ont signalé ce phénomène, en particulier dans
les villes nouvelles.
Nous avons donc été amenés à proposer l'introduction d'un mécanisme d'enchères
descendantes similaire à celui qui existe en matière de liquidation judiciaire
pour les commerçants.
Si le mécanisme n'est pas parfait, il reste qu'un système dans lequel le
créancier poursuivant, en l'absence d'enchères, est automatiquement déclaré
adjudicataire au prix fixé par le juge n'est pas acceptable et peut avoir des
effets pernicieux.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, compte tenu des enjeux et de
l'intérêt global des dispositions proposées pour améliorer la situation des
personnes surendettées, la commission a maintenu sa proposition, qui lui paraît
constituer un équilibre nécessaire sans lequel le dispositif n'aurait plus de
sens.
L'absence de ce mécanisme entraînerait bien des difficultés d'application,
mais surtout - monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez fort bien -
rendrait plus difficile l'obtention du crédit et aboutirait à un
renchérissement de celui-ci. Or, nous devons tous favoriser l'accession sociale
à la propriété et, partant, l'activité du bâtiment.
Pour tous ces motifs, la commission des lois vous propose, mes chers
collègues, de voter conforme la proposition de loi adoptée par l'Assemblée
nationale en deuxième lecture.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
texte sur lequel nous avons à nous prononcer parcourt depuis quelques années
les méandres de la procédure législative.
Nous avons tous eu l'occasion, les uns et les autres, de nous exprimer sur ces
dispositions tendant à assurer une protection supplémentaire aux personnes
surendettées en cas de saisie immobilière.
Le groupe communiste républicain et citoyen voudrait tout de même revenir sur
les situations souvent dramatiques dans lesquelles se trouvent les personnes
surendettées, mais aussi sur les causes du surendettement, qui semblent avoir
été quelque peu oubliées dans l'examen de cette proposition de loi.
Jusque dans le début des années quatre-vingt-dix, les personnes surendettées,
pour une large part, devaient leur situation à l'accumulation de prêts et à des
taux d'endettement volontairement excessifs. Ce phénomène était accentué par le
rôle décisif joué par certains établissements prêteurs, peu scrupuleux en la
matière.
Je me permets d'ailleurs de rappeler que le groupe communiste républicain et
citoyen avait, en décembre 1996, proposé d'intégrer à ce texte, lors de la
première lecture, un article responsabilisant les établissements prêteurs. Cet
amendement n'a pas été retenu, et cela est fort dommage, car la non-prise en
compte du rôle joué par les organismes prêteurs conduit à cautionner une
procédure autorisant les pratiques douteuses de certaines professions.
Aujourd'hui, les causes du surendettement se sont modifiées. Elles sont
maintenant davantage le fruit de la difficile situation économique et sociale
que connaît notre pays et qui se traduit par la perte d'un emploi, l'éclatement
de la cellule familiale, tout cela entraînant une diminution très sensible des
revenus.
Les nouveaux surendettés, dénommés « surendettés passifs » dans le rapport de
l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, n'ont pas recours
aux crédits. Leurs dettes sont constituées par des impayés de loyer, de facture
d'électricité, d'eau, de cantine, de téléphone, d'hôpital, d'impôts locaux,
c'est-à-dire uniquement des dépenses liées à la vie quotidienne.
Depuis le début de la décennie, le nombre de ces surendettés passifs ne cesse
de croître ; bien entendu, cela tient en particulier à l'augmentation du nombre
de chômeurs.
Le mouvement social rassemblant les chômeurs est d'ailleurs la juste
expression du malaise des personnes qui ne vivent qu'avec des minima
sociaux.
Actuellement, la cause principale du surendettement est donc la misère, le
chômage. Or le texte n'offre pas, à notre avis, suffisamment de garanties aux
débiteurs saisis. La saisie immobilière est une voie d'exécution qui permet aux
créanciers de faire vendre le logement du débiteur afin de se voir rembourser
leurs créances.
Cette procédure conduisant à la vente du logement principal enferme les
personnes surendettées dans l'exclusion. La perte d'une adresse, pour une
personne surendettée au chômage, se traduit aussi par l'impossibilité de
retrouver des conditions de vie normale, voire un emploi.
Et la fréquence de ces situations dramatiques ne paraît pas devoir diminuer.
En témoignent les prévisions des organismes patronaux, qui estiment à 25 %
seulement des actifs le nombre de personnes qui auront un emploi stable et un
statut au début du troisième millénaire.
En France, ce serait près de 13 millions de personnes qui ne pourraient
subvenir à leurs besoins sans les différentes aides sociales. Autant dire que
le nombre de familles surendettées n'est pas près de baisser !
En 1995, il y a eu une augmentation de 35 % du nombre de dossiers déposés sur
le bureau de la commission de surendettement.
Actuellement, 30 % de ces familles ne peuvent même plus assurer le paiement
des dépenses courantes de la vie quotidienne.
Les différentes lois votées ces huit dernières années, notamment la loi
Neiertz, ont peut-être permis, dans certains cas, d'aider les ménages en
difficulté, par un rééchelonnement des remboursements et une renégociation des
taux d'intérêt, mais elles ne suffisent plus à répondre aux difficultés des
personnes surendettées.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui se veut un texte de
protection des débiteurs saisis. Or, au fil des débats parlementaires, sa
portée s'est trouvée réduite, et nous avons à nous prononcer maintenant sur un
texte où la seule innovation est l'inscription dans le commandement de saisie
de quatre mentions supplémentaires.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Pas seulement !
M. Robert Pagès.
Les dispositions qui prévoyaient, pour le débiteur saisi, la faculté de
disposer d'un délai de six mois afin de procéder lui-même à la vente amiable de
son immeuble ou encore celles qui permettaient une prise en compte du prix réel
de l'immeuble, garantissant ainsi une objectivité plus grande que la mise à
prix par le créancier, ont disparu.
Chacun sait ici que les créanciers, pour être sûrs de la vente du bien, et
donc assurés d'être payés, tiennent uniquement compte, dans la fixation du
montant de la mise à prix, du montant de leur créance, négligeant la véritable
valeur du logement saisi.
Certes, il est possible de faire appel au juge mais certains de ces débiteurs
sont dans une situation telle qu'ils n'usent même pas de cette faculté.
Tel qu'il nous est soumis, le texte prévoit que, en l'absence d'enchère, le
prix de mise en vente pourrait être abaissé jusqu'au montant de la mise à prix
initiale.
Pouvez-vous me dire qui va enchérir quand on sait que, en patientant un tant
soit peu, on peut obtenir le même bien pour un prix infiniment inférieur ?
Cette disposition n'élargit aucunement les garanties du débiteur. C'est
pourquoi nous proposons également de supprimer l'article 3
bis
.
M. le rapporteur a proposé d'émettre un vote conforme. Or il a reconnu
lui-même, en commission, que le dispositif de l'article 3
bis
n'était
pas pleinement satisfaisant. Nous sommes d'ailleurs convenus que la suppression
de ce texte n'était pas, non plus, pleinement satisfaisante.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Elle ne le serait pas du tout !
M. Robert Pagès.
Il me semble que, dès lors, il serait plus sage de ne pas voter le texte
conforme, ce qui permettrait éventuellement, au cours d'une navette qui ne
serait pas nécessairement un enterrement, pour reprendre la formule de M. le
président de la commission des lois, de trouver une solution intéressante.
C'est une raison supplémentaire de supprimer l'article 3
bis
comme nous
le proposons, avec le Gouvernement.
L'autre modification que nous souhaitons concerne le délai de six mois octroyé
au débiteur afin qu'il procède à la vente amiable de son bien.
Cette disposition avait été retenue lors de la première lecture au Sénat, sur
proposition de M. Hyest. Il nous semble que ce délai constitue une garantie
importante et qu'il serait dommage de ne pas retenir une telle disposition.
M. le rapporteur nous a expliqué tout à l'heure que, en fixant un délai de six
mois, on risquait simplement de rendre systématique le recours à ce délai et de
réduire ainsi la période de réflexion d'un an qui est observée dans la
pratique. Je ne suis pas vraiment convaincu par cette objection. En prévoyant
le délai de six mois, on apporterait au moins une garantie de réflexion.
Nos amendements représentent, à nos yeux, le minimum des garanties qu'il
convient d'accorder aux personnes surendettés subissant une saisie immobilière.
Je sais bien que nous avons aussi à défendre les créanciers,...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Non pas à les défendre, mais à les protéger !
M. Robert Pagès.
... mais le texte, je me permets de le rappeler, porte sur la défense des
surendettés. Il faut choisir, mes chers collègues !
La procédure de saisie immobilière attend d'être réformée depuis 1967. Cela
fait donc trente ans que l'on connaît des vides juridiques en la matière. La
réforme devient urgente. M. le secrétaire d'Etat nous a confirmé qu'elle devait
être programmée par le Gouvernement dans le cadre de la future loi relative à
l'exclusion. Nous nous en félicitons et espérons qu'elle n'attendra pas trente
ans de plus !
La proposition de loi dont nous débattons était-elle vraiment nécessaire ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Oui !
M. Robert Pagès.
Fallait-il légiférer au coup par coup, sans débat de fond ? Je n'en suis pas
sûr.
De plus, nous regrettons, comme j'y faisais allusion tout à l'heure, que cette
proposition de loi ne s'attaque qu'aux conséquences, même si celles-ci ne sont
pas négligeables, du surendettement, sans aborder suffisamment les causes
profondes du développement de ces situations.
Ce qu'il aurait fallu, c'est traiter les problèmes qui se posent en amont du
surendettement et qui y conduisent.
Même si l'on améliore la situation du débiteur, celui-ci n'en est pas moins
obligé de vendre son logement. C'est donc avant qu'il faut se préoccuper de ces
situations dramatiques.
Cela implique d'abord de lutter contre le chômage, bien sûr, mais aussi de
responsabiliser les établissements prêteurs et de protéger le consommateur, y
compris contre lui-même. En effet, dans notre société de consommation, tout est
fait pour susciter la tentation et inciter les gens à acheter, même - et
peut-être surtout - quand ils n'en ont plus les moyens. N'est-ce pas ainsi
qu'il faut interpréter l'installation d'un magasin
Crazy George's
à
Bobigny, une ville où l'on dénombre 4 500 chômeurs, soit 12 % de la population
globale ?
J'ai entendu dire que la Seine-Maritime allait aussi voir s'ouvrir un tel
magasin. A mon sens, ce n'est pas acceptable.
Soucieux d'appréhender le problème dans sa globalité, le groupe communiste
républicain et citoyen s'abstiendra sur l'ensemble de ce texte si ses
amendements ne sont pas adoptés.
(Applaudissements sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mes
observations seront au nombre de trois : la première sera d'ordre
constitutionnel, la deuxième sera consacrée à la réalité du problème qui est
évoqué à travers cette proposition de loi et la troisième tendra à démontrer
qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation et qu'il importe de
poursuivre la réflexion, quitte à le faire rapidement.
Sur le plan constitutionnel, la discussion de cette proposition de loi nous
permet de découvrir l'un des effets de la dernière réforme de la Constitution :
grâce à cette réforme, le Sénat peut aujourd'hui - c'est une première - voter
conforme un texte adopté par l'Assemblée nationale dans son ancienne
composition.
Depuis longtemps, nous étions unanimes, du moins, sur la gauche de
l'hémicycle,...
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
C'est une
unanimité limitée !
(Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Certes, monsieur le président !
... pour demander que l'on revienne sur le caractère quelque peu dirigiste de
la Constitution de 1958, qui donnait au Gouvernement une priorité absolue dans
la fixation de l'ordre du jour, que les droits du Parlement soient reconnus et
que donc, Gouvernement d'accord ou pas, des textes d'initiative parlementaire
puissent venir en discussion.
Est-ce le fruit d'un calcul machiavélique ou d'une simple erreur ? Toujours
est-il que, lors de cette réforme, pareille hypothèse n'avait pas été
envisagée. Si on l'avait fait, il aurait pu être prévu que les textes d'origine
parlementaire adoptés par l'Assemblée nationale avant les élections et devant
encore être soumis au Sénat devenaient caducs ou, au moins, que la nouvelle
Assemblée nationale devait automatiquement procéder à une lecture
supplémentaire.
Le problème que je soulève, à savoir qu'une loi soit adoptée alors qu'elle ne
correspond plus à l'état de l'opinion, ne risque pas de se poser dans l'autre
sens : le Sénat étant ce qu'il est, compte tenu du mode d'élection des
sénateurs, c'est-à-dire, on le sait bien, toujours « conservateur », si, par
hypothèse, il arrivait un jour que la majorité change de nouveau à l'Assemblée
nationale, il est évident que les textes qu'elle aurait précédemment adoptés et
qui ne plairaient pas au Sénat ne seraient pas votés conformes par celui-ci.
Une fois de plus, le Sénat se trouve avoir augmenté ses pouvoirs mais, cette
fois, je dois le dire, sans bruit.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Et peut-être sans s'en apercevoir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Puisqu'on parle une nouvelle fois de réforme constitutionnelle et qu'il est
question de nous faire encore prendre le chemin de Versailles, la solution
serait peut-être de revenir sur la précédente réforme et d'introduire le léger
correctif que j'ai suggéré tout à l'heure. Je le crains fort, cependant, le
Sénat s'y opposerait et, dès lors, nous ne disposerions pas de la majorité
nécessaire à une telle modification de la Constitution.
Au demeurant, il existe une autre solution. Si le texte adopté ne convient
absolument pas à la nouvelle majorité, le Gouvernement peut déposer un nouveau
projet de loi et, cette fois, donner le dernier mot à l'Assemblée nationale.
Mais cela ne peut que faire perdre beaucoup de temps à tout le monde. Or c'est
bien, j'en ai peur, ce qui va se passer en l'occurrence.
En effet, le problème qui est ici posé est bien réel, et les élus locaux,
depuis longtemps, attirent notre attention sur le caractère scandaleux de
certaines situations. Voilà des gens d'une absolue bonne foi qui avaient
emprunté parce que leurs moyens leur permettaient de rembourser des mensualités
données, mais qui, du fait de la crise économique, par exemple parce qu'ils se
sont retrouvés au chômage, subissent une baisse sensible de leurs revenus, sont
finalement poursuivis, voient leur maison vendue, et à très bas prix - ce qui
fait que, parfois, la vente ne permet même pas d'apurer la totalité de la dette
-, et qui, de toute façon, sont complètement ruinés.
C'est ce qui nous a amenés, les uns et les autres, à soutenir cette
proposition de loi. Pour autant, nous ne pensons pas que la réflexion sur cette
question ait été menée à son terme. D'ailleurs, le groupe socialiste de
l'Assemblée nationale avait voté contre le texte en deuxième lecture, sous
l'ancienne majorité.
Faudrait-il établir une distinction selon que le créancier est un organisme de
crédit - banque ou autre - ou non ? C'est une piste.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Ce serait contraire au principe d'égalité !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Il en est une autre : à défaut d'enchère au prix fixé par le juge, le choix
serait laissé au poursuivant ou bien d'accepter d'être déclaré adjudiciaire -
avec peut-être un abattement de 10 % ou de 15 %, parce que, dans la plupart des
cas, il voudra revendre, et en lui laissant ou non un délai de six mois pour
trouver quelqu'un qui le remplace comme adjudicataire - ou bien de remettre la
vente.
Ce système pourrait au moins être réservé aux banques et aux organismes de
crédit, qui ont la possibilité d'attendre. Tel n'est pas le cas, bien
évidemment, du petit créancier, lui aussi de bonne foi et lui aussi susceptible
de se trouver au chômage.
Ces quelques réflexions, qui font suite à celles de Robert Pagès, sont la
preuve que s'il faut, certes, trouver une solution rapidement, il convient d'y
réfléchir encore, car celle qui nous est proposée n'est pas satisfaisante.
La logique voudrait donc que la navette se poursuive, ce qui implique que les
amendements qui ont été déposés - l'un émane du Gouvernement, les deux autres
sont présentés par notre collègue Robert Pagès et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen - soient adoptés par le Sénat.
La navette se poursuivrait alors dans le meilleur des esprits, puisque nous
sommes tous décidés à trouver la meilleure solution.
Peut-être le Sénat pourrait-il s'inspirer de la méthode recommandée hier matin
par le président de la commission des lois à la majorité sénatoriale, à
laquelle il a suggéré de s'abstenir lors du vote des amendements de
l'opposition !
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois.
Vous êtes unanimes. Cela ne présente
donc aucun intérêt !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous le sommes, mais vous ne l'êtes pas !
Cela nous donnerait l'occasion de mettre ce texte au point, pendant la navette
ou tout au moins, à défaut, en commission mixte paritaire.
Les amendements qui nous sont proposés ne règlent pas, certes, le
problème...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
... de l'équilibre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
... nous en sommes tous d'accord mais si le Sénat les adoptait, il permettrait
que se poursuivre la recherche d'une solution non seulement équilibrée, certes,
mais surtout équitable.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - I. - Le deuxième alinéa de l'article 673 du code de procédure
civile (ancien) est complété par les mots : ", 8° l'indication que la
partie saisie a la faculté de demander la conversion de la saisie en vente
volontaire dans les conditions prévues à l'article 744 du présent
code".
« II. - Après le deuxième alinéa du même article 673, il est inséré deux
alinéas ainsi rédigés :
« Si le débiteur est une personne physique, le commandement comprend en outre
: 1° l'indication que le débiteur en situation de surendettement a la faculté
de saisir la commission de surendettement des particuliers instituée par
l'article L. 331-1 du code de la consommation ; 2° l'indication que le débiteur
peut bénéficier, pour la procédure de saisie, de l'aide juridictionnelle s'il
remplit les conditions de ressources prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet
1991 relative à l'aide juridique et le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991
portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 précitée ; 3°
l'indication que le montant de la mise à prix du logement principal du débiteur
fixé par le poursuivant peut faire l'objet d'un dire dans les conditions
prévues à l'article 690 du présent code.
« Le commandement reproduit, à peine de nullité, les dispositions de l'alinéa
précédent. »
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er
bis
M. le président.
L'article 1er
bis
a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Mais, par amendement n° 2 rectifié, M. Pagès et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent de le rétablir dans la rédaction
suivante :
« Après l'article 674 du code de procédure civile (ancien), il est inséré un
article ainsi rédigé :
«
Art. ... -
Sans préjudicier aux règles de publication, le débiteur
dont le logement principal est saisi disposera d'un délai de six mois à compter
de la signification du commandement pour procéder à la vente amiable de ce
bien. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès.
J'ai déjà insisté dans mon intervention générale sur l'intérêt de laisser au
débiteur dont le logement est saisi un délai de six mois à compter de la
signification du commandement.
Une vente de gré à gré ne peut être conclue en huit jours, chacun le comprend,
et on ne peut pas laisser le créancier attendre éternellement d'être remboursé,
chacun le comprend aussi.
Un délai de six mois me semble donc raisonnable, et l'argumentation de M.
Dreyfus-Schmidt a encore conforté mon point de vue.
Je souhaite donc que l'article 1er
bis
soit rétabli.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
La commission est défavorable à cet amendement.
Je rappelle que la disposition qu'il vise à rétablir avait été introduite par
le Sénat en première lecture, puis supprimée par l'Assemblée nationale, qui a
estimé qu'un délai de carence de six mois à compter de la signification du
commandement pour procéder à la vente amiable présentait plus d'inconvénients
que d'avantages, même pour le débiteur.
La vente forcée constitue une issue ultime lorsque aucune autre solution n'a
pu être trouvée.
Dans la pratique, les établissements créanciers essaient de parvenir, en
amont, à une vente amiable. Instaurer un délai de carence risque de les pousser
à anticiper la phase judiciaire en déclenchant la procédure dès le premier
impayé, ce qui aurait un effet inverse à l'objectif recherché.
De plus, la vente du logement principal s'impose dans le cas d'un
surendettement particulièrement grave. Or, attendre six mois de plus dans
l'espoir, très hypothétique, d'aboutir à une vente amiable risque de ne
provoquer qu'une aggravation de la situation du débiteur, les intérêts de la
dette continuant à courir.
Enfin, ce délai de carence pourrait créer l'illusion dans l'esprit de certains
débiteurs de pouvoir échapper à la saisie immobilière. Or, l'objet de la
présente proposition de loi est justement d'améliorer l'information et de
permettre au débiteur d'être en position pour réagir aux difficultés qu'il
rencontre.
C'est pourquoi, après mûre réflexion, et en dépit des intentions généreuses
qui le sous-tendent, la commission a émis un avis défavorable sur cet
amendement.
J'ajoute que, quoi qu'on en dise, la réflexion est tout de même engagée depuis
le début de l'année 1996, l'Assemblée nationale ayant été saisie en première
lecture au mois d'avril, et il nous paraît urgent que les dispositions que nous
examinons entrent en vigueur. Elles sont en effet de nature à réellement
faciliter le traitement de nombreux cas de surendettement, comme M. Loridant et
moi-même avons eu l'occasion de le souligner dans le rapport du groupe de
travail constitué sur ce thème.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement est également défavorable à cet
amendement.
En effet, il tend à imposer, au début de la saisie, un délai de six mois
suspendant la procédure, pour permettre au saisi de tenter de vendre à
l'amiable son bien.
Le Gouvernement n'est pas insensible au souci d'éviter au débiteur une vente à
la barre du tribunal, qui peut être ressentie comme traumatisante. C'est la
raison pour laquelle il poursuit lui-même ses réflexions sur une réforme
globale de la saisie immobilière afin, notamment, de lutter plus efficacement
contre les ventes forcées, qui interviennent trop souvent à vil prix, et de
rechercher les moyens propres à permettre la vente dans des conditions, comme
je le disais dans mon propos liminaire, humaines et économiques plus
satisfaisantes.
En revanche, le Gouvernement ne peux souscrire à un dispositif systématique et
automatique de report, sans aucune possibilité d'appréciation en fonction de la
situation concrète du débiteur et de sa volonté réelle de rechercher un
acquéreur pour vendre à l'amiable son bien.
M. Robert Pagès.
Tout à fait !
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
Par ailleurs, le dispositif proposé est incompatible
avec le déroulement actuel de la saisie. En effet, le report de six mois ne
s'inscrit pas dans l'enchaînement des délais et formalités qui doit être
respecté dans le cadre de la procédure de saisie immobilière actuelle.
Ces arguments conduisent donc à considérer qu'en l'état il n'est pas possible
de souscrire à la proposition d'un délai d'attente de six mois.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2 rectifié.
M. Guy Allouche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence les arguments exprimés
par M. Pagès, qui défend l'amendement, par M. le rapporteur et par M. le
ministre plaident en faveur des deux parties, ce qui prouve que nous ne sommes
ni les uns ni les autres tout à fait satisfaits et que la navette doit se
poursuivre ! Je fais miens les propos de mon ami Michel Dreyfus-Schmidt :
donnons-nous l'occasion de trouver une meilleure solution !
J'ajoute, monsieur le rapporteur, que l'amendement proposé par le groupe
communiste républicain et citoyen est pratiquement le même que celui que vous
aviez déposé en première lecture...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Certes ! Mais, justement, nous avons beaucoup réfléchi !
M. Guy Allouche.
... et défendu avec une ferme conviction.
Nous vous avions suivi parce que vous aviez démontré la nécessité du délai de
six mois pour permettre au débiteur de vendre dans les meilleures conditions,
et nous demeurons convaincus du bien-fondé de votre argumentation d'alors !
En effet, une fois de plus, ce qui nous occupe ici, c'est la protection des
personnes surendettées, et ce n'est pas pour autant que nous faisons de l'«
anti-créanciers », car il est normal aussi qu'ils défendent leurs intérêts.
Notre objectif est de protéger les personnes surendettées, et l'amendement n° 2
rectifié va bien dans ce sens.
J'ai d'ailleurs la conviction que le débiteur fera tout son possible pendant
le délai de six mois pour vendre son bien immobilier dans les meilleures
conditions car il saura qu'au-delà de ce délai une sentence tombera.
Nous approuvons l'amendement n° 2 rectifié non seulement sur le fond, mais
aussi parce que nous souhaitons ardemment que la présente proposition de loi
fasse l'objet d'une lecture supplémentaire ou, à tout le moins, qu'elle puisse
être améliorée en commission mixte paritaire.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Robert Pagès.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2 rectifié, repoussé par la commission et par
le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 1er
bis
demeure supprimé.
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - Après le cinquième alinéa de l'article 690 du code de procédure
civile (ancien), il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le montant de la mise à prix du logement principal du débiteur fixé par le
poursuivant peut faire l'objet d'un dire pour cause d'insuffisance manifeste.
Le tribunal tranche la contestation en tenant compte de la valeur vénale de
l'immeuble ainsi que des conditions du marché, le cas échéant, après
consultation ou expertise. » -
(Adopté.)
Article 3
bis
M. le président.
« Art. 3
bis.
- Après le dernier alinéa de l'article 706 du code de
procédure civile (ancien), il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Si le montant de la mise à prix a été modifié dans les conditions prévues au
sixième alinéa de l'article 690 et s'il n'y a pas eu d'enchère, le bien est
immédiatement remis en vente sur baisses successives du prix fixées par le
juge, le cas échéant jusqu'au montant de la mise à prix initiale. A défaut
d'adjudication, le poursuivant est déclaré adjudicataire pour la mise à prix
initiale. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par le Gouvernement.
L'amendement n° 3 est déposé par M. Pagès et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat.
J'ai le sentiment, monsieur le président, d'avoir,
dans mon propos liminaire, fourni toute l'argumentation en faveur de la
suppression de l'article 3
bis.
Je n'en dirai donc pas davantage.
M. le président.
La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 3.
M. Robert Pagès.
Tout le monde aura maintenant compris qu'avec la suppression de l'article 3
bis
il s'agit en fait d'empêcher que le prix le plus bas ne soit retenu,
grâce à une manoeuvre.
Certes, la suppression n'est pas une solution parfaite, mais, si nous avons
l'occasion de poursuivre notre réflexion, nous perdrons moins de temps que s'il
nous faut remettre un nouveau texte sur le métier !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 1 et 3 ?
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Je me suis déjà longuement expliqué sur ce point dans la
discussion générale, car il s'agit du principal point qui reste en discussion,
tout le monde s'accordant à reconnaître que les autres dispositions tendent à
améliorer sensiblement la situation des débiteurs surendettés.
Je veux toutefois rappeler la position de la commission des lois : rendre
adjudicataire un créancier poursuivant à un prix qui n'est pas fixé par lui est
impossible car contraire aux principes fondamentaux de notre droit civil.
Nous avons donc tenté de trouver un palliatif, mais, si certains d'entre vous,
ou le Gouvernement, avaient proposé un autre dispositif, nous l'aurions
volontiers accueilli !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
J'en ai proposé un !
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
Non, monsieur Dreyfus-Schmidt : la commission en a proposé un
!
Je rappelle tout de même qu'en droit civil on ne peut obliger quelqu'un à
acheter à un prix qu'il n'a pas fixé.
Si le juge estime que la mise à prix est insuffisante, la vente sera remise,
une autre saisie sera opérée dans les trois mois, et on pourra recommencer
indéfiniment sans que le problème soit jamais résolu.
Il faut donc trouver une issue, c'est-à-dire, s'il n'y a pas de nouvelle mise
à prix, un moyen intermédiaire qui permette de rapprocher l'offre et la
proposition, comme cela se pratique dans d'autres secteurs du droit, notamment
en matière de liquidation judiciaire.
Telle était la proposition qu'avait faite la commission des lois du Sénat en
première lecture.
Nous persistons à affirmer que l'article 3
bis
est indispensable à
l'équilibre du texte.
M. le président.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 1 et 3.
M. Guy Allouche.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Plusieurs raisons plaident pour la suppression de l'article 3
bis
proposée par le Gouvernement.
Je rappelle tout d'abord que cet article 3
bis
ne figurait pas dans le
texte initial. Il a été introduit en première lecture au Sénat, sur proposition
de notre rapporteur - et ce n'est nullement un reproche, car c'est le droit,
connu et reconnu, de tout rapporteur,...
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur.
... et de la commission !
M. Guy Allouche.
... et de la commission, bien évidemment.
Cet article prévoit la possibilité de remise en vente du bien saisi sur
baisses successives de prix si aucun acquéreur ne se présente.
En instaurant une telle mesure, M. le rapporteur a cherché, en quelque sorte,
à rééquilibrer, au profit du créancier de bonne foi - si tant est qu'il y en
ait de mauvaise foi ! - le nouveau dispositif qui ouvre la faculté de contester
la mise à prix fixé initialement par le poursuivant et établi désormais par le
juge si ce dernier reconnaît le fondement de la contestation du débiteur.
Je tiens tout de même à rappeler, s'agissant de l'intervention du juge, saluée
de manière positive, tout à l'heure encore, par M. le secrétaire d'Etat, que le
juge, qui n'est pas forcément un spécialiste en matière immobilière,
s'entourera d'experts. Le prix qu'il fixera pour la mise en vente résultera
d'une estimation qui lui sera fournie par un ou plusieurs experts. En fonction
de celle-ci, le juge sera à même d'apprécier, comme il se doit, la valeur
réelle du bien au moment où celui-ci est mis en vente.
L'article 3
bis
est contestable car, en organisant une baisse
successive du prix jusqu'au prix plancher fixé par le poursuivant, il revient à
appliquer le droit en vigueur et à ainsi vider de sa substance l'objet même de
la proposition de loi qui est spécifiquement relative à la protection des
personnes surendettées en cas de saisie immobilière, et elles seules.
La situation du débiteur de bonne foi et celle du créancier ne peuvent être
placées sur le même plan. Les intérêts en jeu sont opposés et rendent vaine la
recherche de l'équilibre évoqué à l'appui de cet article.
Sans esprit de provocation, il n'est même pas choquant de penser que le
créancier puisse devenir adjudicataire à un prix qu'il n'a pas fixé dans la
mesure où le déroulement de la procédure prévoit, dès le début, une telle
éventualité. En invitant les poursuivants à prendre leur responsabilité, on
favorise en amont la recherche d'une solution à l'amiable et on renforce ainsi
la protection du débiteur.
M. Robert Pagès.
Très bien !
M. Guy Allouche.
L'article 3
bis
recèle d'autres inconvénients.
En première lecture, j'avais déjà attiré l'attention du Sénat sur les risques
de collusion, risques qu'on ne peut écarter, entre les personnes intéressées
qui attendront systématiquement la baisse de la mise à prix.
Par ailleurs, chaque baisse de la mise à prix ne manquera pas d'apparaître
comme une sorte de désaveu pour le juge. Elle risque, comme le soulignait Mme
Neiertz à l'Assemblée nationale, « de faire perdre toute confiance dans la
procédure judiciaire, les juges faisant figure de complices ».
Enfin, j'ai pris connaissance avec attention des propositions formulées par le
groupe de travail sur le surendettement et qui figurent dans un remarquable
rapport d'information intitulé
Le surendettement : prévenir et guérir :
signé par nos deux éminents collègues MM. Hyest et Loridant. Ces derniers
préconisent l'adoption dans les meilleurs délais de cette proposition de loi.
Mais ils se contentent de souligner son intérêt par rapport à la coordination
de la procédure de saisie et à celle du surendettement. En aucun cas, ils ne
font référence à la protection du débiteur dans le cadre de la mise à prix du
bien saisi fixée par le juge en cas de contestation, et encore moins au
dispositif de l'article 3
bis
de la proposition de loi.
Compte tenu de ces observations, je demande au Sénat de bien vouloir adopter
les amendements visant à supprimer l'article 3
bis.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 1 et 3, repoussés par la
commission.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3
bis.
(L'article 3
bis
est adopté.)
Article 4
M. le président.
« Art. 4. - Les trois premiers alinéas de l'article L. 331-5 du code de la
consommation sont ainsi rédigés :
« La commission peut saisir le juge de l'exécution aux fins de suspension des
procédures d'exécution diligentées contre le débiteur et portant sur les dettes
autres qu'alimentaires. Toutefois, postérieurement à la publication d'un
commandement aux fins de saisie immobilière, le juge de la saisie immobilière
est seul compétent pour prononcer la suspension de cette procédure.
« Si la situation du débiteur l'exige, le juge prononce la suspension
provisoire des procédures d'exécution. Celle-ci n'est acquise que pour la durée
de la procédure devant la commission sans pouvoir excéder un an. Lorsque le
débiteur fait usage de la faculté que lui ouvre l'article L. 331-7, la durée de
la suspension provisoire est prolongée, jusqu'à ce que le juge ait conféré
force exécutoire aux mesures recommandées, en application de l'article L.
332-1, ou, s'il a été saisi en application de l'article L. 332-2, jusqu'à ce
qu'il ait statué.
« Lorsqu'en cas de saisie immobilière, la date d'adjudication a été fixée, la
commission peut, pour causes graves et dûment justifiées, saisir le juge aux
fins de remise de l'adjudication, dans les conditions et selon la procédure
prévues par l'article 703 du code de procédure civile (ancien). » -
(Adopté.)
Les autres dispositions de la proposition de loi ne font pas l'objet de la
deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. Allouche, pour explication de vote.
M. Guy Allouche.
En première lecture, le groupe socialiste a examiné avec bienveillance cette
proposition de loi déposée sur l'initiative de MM. Péricard, Miossec et Hamel,
et tendant à renforcer la protection des personnes surendettées en cas de
saisie de leur logement parce qu'elles ne peuvent plus rembourser les emprunts
qu'elles ont contractés en vue de son acquisition.
Toute mesure qui tend à protéger une personne du risque d'exclusion sociale
mérite d'être étudiée avec attention. La perte de la résidence principale
représente incontestablement un tel risque. Il est, à cet égard, significatif
que l'un des points forts du futur projet de loi contre l'exclusion soit
constitué d'un important volet relatif au logement. Nous connaissons dès à
présent la part que M. le secrétaire d'Etat prend dans la lutte contre
l'exclusion en matière de logement.
Dans sa recherche d'une meilleure coordination entre la saisie immobilière et
la procédure de surendettement, cette proposition de loi comporte des aspects
positifs ; M. le secrétaire d'Etat n'a pas manqué de les rappeler lors de son
intervention dans la discussion générale.
Tout d'abord, elle tend à améliorer l'information du débiteur en complétant
les mentions devant figurer dans le commandement à peine de nullité. Il s'agit
d'une première protection que l'on peut qualifier de préventive. La navette a
permis d'aboutir à un texte mieux écrit, plus équilibré et en phase avec
l'objectif que l'on cherche à atteindre. C'est l'article 1er.
De même, la mesure qui permet à la commission de surendettement de demander
la remise de l'adjudication pour disposer du temps nécessaire à l'examen de la
situation du débiteur offre une garantie supplémentaire à l'égard de ce
dernier. Je rappellerai que l'emprunt contracté est fonction des ressources. En
effet, lorsque les créanciers prêtent, ils tiennent compte des ressources de la
personne qui sollicite un emprunt. Il n'y a donc pas d'endettement abusif.
Surtout, l'instauration d'une possibilité de contestation par le débiteur de
la mise à prix fixée par le créancier lorsque celle-ci lui paraît manifestement
insuffisante mérite d'être soulignée car cette mesure constitue le point fort
de la proposition de loi.
Malheureusement, son objet a été altéré à plus d'un titre.
Tout d'abord, sachant que la procédure amiable est plus favorable au débiteur,
il est regrettable que le Sénat n'ait pas repris la disposition de l'article
1er
bis
supprimé par l'Assemblée nationale, qui offre au débiteur dont
le logement principal est saisi un délai de six mois pour procéder à la vente
de son bien.
Ensuite, le délai de deux mois permettant la réduction de la fraction des
prêts immobiliers restant dus après la vente aux enchères du logement principal
représente une amélioration qui demeure imparfaite car il est relativement
bref.
Enfin et principalement, en confirmant l'adoption du dispositif de remise en
vente du bien saisi avec baisses successives du prix fixé par le juge, proposé
par notre rapporteur devant notre assemblée en première lecture, le Sénat lui
retire tout son apport protecteur essentiel. Le débiteur de bonne foi que l'on
voulait mieux protéger courra toujours le risque de perdre son logement en
retirant de la vente de ce dernier un prix bien inférieur à sa valeur. Il
demeurera doublement perdant sans même parvenir à couvrir ses dettes.
Pour toutes ces raisons, bien que nous partagions les objectifs initiaux de
cette proposition de loi, et après le débat que nous venons d'avoir, le groupe
socialiste votera contre ce texte.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
M. Robert Pagès.
Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures,
sous la présidence de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président. La séance est reprise.
4
SOUHAITS DE BIENVENUE
À UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE
DU BURKINA FASO
M. le président.
J'ai le plaisir de saluer la présence dans notre tribune officielle d'une
délégation de la Chambre des représentants du Burkina Faso conduite par mon ami
le président Abdoulkader Cissé, qui est accompagné par M. Albert Yaro,
président de la commission des affaires étrangères et de la défense.
(Mmes et MM. les ministres, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et
applaudissent.)
Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite une chaleureuse bienvenue.
5
QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT
M. le président. L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
INSCRIPTION D'OFFICE
DES JEUNES SUR LES LISTES ÉLECTORALES
M. le président.
La parole est à M. Clouet.
M. Jean Clouet.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, je ne sais à qui
s'adresse ma question.
(Sourires.)
Je pensais que c'était à M. le ministre de l'intérieur. Il ne semble pas
qu'il soit là, ce qui me donne le privilège, en quarante-huit heures,
d'apprécier la polyvalence du Gouvernement !
(M. le ministre de l'intérieur gagne alors le banc du Gouvernement.)
Plusieurs sénateurs socialistes.
Le voilà !
M. le président.
M. le ministre de l'intérieur est arrivé !
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean Clouet.
C'est parfait. Qu'il soit le bienvenu. L'exactitude est la politesse des
ministres !
M. Jacques Mahéas.
Basse polémique !
M. Jean Clouet.
Monsieur le ministre, la loi n° 97-1027 du 10 novembre 1997 n'a pas annulé
l'obligation d'inscription sur les listes électorales figurant à l'article 9 du
code électoral. Elle a en revanche prévu que cette inscription s'effectuerait
d'office. De surcroît, les textes d'application ont disposé qu'elle serait
automatique.
« Obligatoire », « d'office », « automatique »,...
M. Jean-Louis Carrère.
C'est comme l'école de la République !
M. Jean Chérioux.
Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Louis Carrère.
Ce n'est pas celle que vous défendez.
M. Jean Clouet.
... s'y retrouve qui pourra, et, justement, personne ne s'y retrouve !
Les maires, nombreux ici, ont pour leur part reçu assez tardivement une liste
émanant de l'Institut national de la statistique et des études économiques,
l'INSEE, qui était le produit du croisement de plusieurs fichiers et qui était
présumée recenser les personnes inscriptibles de leur commune.
Dans le cas d'une ville de 43 000 habitants que je connais bien, la liste
comportait 360 noms, alors que l'annuité moyenne se situe autour de 650
jeunes.
Sur les 360 noms figurant sur la liste, 90, soit le quart, étaient portés deux
fois. Restent donc 270 primo-électeurs auxquels le maire a écrit pour les
convoquer à la mairie, leur demandant de se munir d'un nombre important de
justificatifs.
Destinée à faciliter la tâche des jeunes, la loi l'a en réalité fortement
compliquée, ainsi d'ailleurs que celle des maires et des services municipaux,
qui voient, de surcroît, leur responsabilité fortement engagée.
M. Claude Estier.
Deux minutes et demie !
M. Jean Clouet.
Devant une telle situation, on hésite entre Georges Courteline et Raymond
Devos !
(Sourires sur les travées du RPR.)
Quoi qu'il en soit, sur les 270 lettres envoyées, 50 sont revenues à la mairie
car leurs destinataires n'habitaient plus à l'adresse indiquée. Par conséquent,
360 moins 90 moins 50 égale 220 !
(Murmures sur les travées
socialistes.)
La liste de l'INSEE était donc fausse à près de 40 % et ne recensait
finalement qu'un tiers des personnes inscriptibles.
M. le président.
Posez votre question, monsieur Clouet.
M. Jean Clouet.
J'y viens, monsieur le président.
En définitive, elle n'a conduit qu'à 155 inscriptions alors qu'elle comportait
360 noms. On mesure l'importance de l'échec. C'était non pas une liste, mais
une passoire !
Au mois de mars prochain, nous risquons donc de nous retrouver confrontés à
des cas de jeunes qui, sur la foi d'une loi dont on leur a fait miroiter la
simplicité, se croiront inscrits d'office ou automatiquement, alors qu'ils ne
le seront pas et qu'ils ne pourront donc pas voter.
M. le président.
Posez votre question, monsieur Clouet.
M. Jean Clouet.
Voici la question, monsieur le président
(Protestations sur les travées
socialistes.)
: ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ça fait plus de deux minutes et demie !
M. Jean Clouet.
... qu'envisagez-vous donc, monsieur le ministre, d'abord, pour écarter cette
fâcheuse éventualité et, ensuite, pour faire en sorte que, à la fin de 1998, on
soit non plus au creux de la passoire, mais dans le droit-fil de la volonté du
législateur ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. Claude Estier.
La question a duré cinq minutes !
M. le président.
Non : trois minutes !
(Protestations sur les travées socialistes, ainsi que
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Un sénateur socialiste.
Nous avons trouvé le temps long !
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, la loi portant inscription
d'office sur les listes électorales des jeunes atteignant l'âge de dix-huit ans
est datée du 10 novembre 1997. Le décret d'application, pris le 28 novembre, a
été publié le 29 novembre.
Dès les tout premiers jours de décembre, des listes établies par l'Institut
national de la statistique et des études économiques, comme vous l'avez
rappelé, parvenaient dans les mairies.
L'application immédiate du principe de l'inscription automatique était
nécessaire, notamment en raison des élections cantonales et régionales de mars
prochain. Dans des conditions de rapidité exceptionnelle, que je tiens à
souligner, l'INSEE a pu recueillir les informations concernant les jeunes
garçons atteignant l'âge de dix-huit ans entre le 1er mars 1997 et le 28
février 1998 à partir du fichier du recensement pour le service national, qui,
dans l'état actuel des choses, n'englobe pas les jeunes filles.
L'INSEE a pu également, malgré les obstacles que vous imaginez, recueillir
pour les jeunes filles les mêmes données, issues des fichiers des organismes
servant les prestations de base de l'assurance maladie. Ces données ont été
collectées, traitées et adressées aux mairies dans un délai très bref. Je tiens
d'ailleurs à remercier tous ceux qui, au sein des organismes d'assurance
maladie, dans les services du recensement, à l'INSEE, dans les mairies, au sein
des commissions administratives, ont effectué ce travail remarquable.
Je n'ai d'ailleurs jamais dissimulé, monsieur le sénateur, que ces listes ne
pourraient être complètes dès la première année.
Je me souviens encore que, au moment de l'adoption de ce projet de loi par le
conseil des ministres, un hebdomadaire satirique avait considéré comme une
bévue de ma part le fait d'avoir dit, dans la cour de l'Elysée, que ces
inscriptions d'office n'impliqueraient pas l'accomplissement de quelques
démarches dans les mairies pour les jeunes, au moins pour les jeunes filles,
lesquelles auraient à faire connaître leur nationalité. On a considéré que
j'avais porté atteinte à l'esprit de Descartes !
Pourtant, telle est bien la réalité : les jeunes filles n'étant pas inscrites
sur le fichier du service national, et le fichier de l'assurance maladie ne
portant pas mention de la nationalité, il est nécessaire que la preuve de cette
dernière soit apportée.
Lors de l'examen du projet de loi par le Parlement - je vous renvoie, monsieur
le sénateur, au compte rendu des débats - je n'ai d'ailleurs jamais dissimulé
que ces listes ne pourraient pas être complètes dès la première année. Une
quasi-exhaustivité ne sera obtenue que pour la prochaine révision des listes
électorales, à la fin de la présente année, grâce notamment à l'amélioration de
la qualité des fichiers utilisés par les régimes d'assurance maladie.
Ultérieurement, la généralisation du recensement étendu aux jeunes filles à
compter de 1999 complétera ces garanties. Il s'agit donc d'une montée en
puissance progressive.
M. le président.
Veuillez conclure, monsieur le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
J'en termine, monsieur le président.
Une nouvelle classe d'âge représente 2 % de l'ensemble de la liste électorale.
L'Inspection générale de l'administration a été saisie pour étudier les
conditions de la mise en oeuvre du dispositif dans toutes les mairies, et son
rapport nous permettra d'envisager la prochaine opération d'inscription
d'office avec toute la sérénité qui est exigée.
Le vote de la loi crée, pour les jeunes ayant atteint l'âge de dix-huit ans,
un droit à l'inscription d'office. Si certains d'entre eux sont omis des listes
cette année et s'ils n'ont pas fait d'eux-mêmes la démarche de se rendre à leur
mairie, ils peuvent cependant - et je réponds ainsi à votre question monsieur
le sénateur - obtenir leur inscription du juge d'instance pour rectification
d'une erreur matérielle au titre de l'article L. 34 du code électoral, et ce à
tout moment, jusqu'à la date du scrutin.
La crainte que vous exprimez n'a donc pas lieu d'être. En revanche, des
centaines de milliers de jeunes vont pouvoir, dès cette année, bénéficier d'une
mesure dont je rappelle qu'elle avait été souhaitée tant par M. le Président de
la République que par M. le Premier ministre, voilà quelques mois.
Je vous confirme que l'année 1998 verra s'améliorer très sensiblement
l'ampleur et la qualité des informations transmises aux mairies. Je tiens donc
à vous rassurer.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que
sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite que les
prochaines questions, même si elles sont aussi intéressantes que celle qui
vient d'être posée, prennent moins de temps.
Je rappelle que le temps de parole est de deux minutes et demie tant pour
l'auteur de la question que pour le membre du Gouvernement qui lui répond. Or,
cette première question a duré huit minutes ! Il s'agissait là, évidemment,
d'une « mise en jambes », et je ne doute pas que le rythme s'accélère
maintenant.
ACTIONS À MENER POUR PRÉVENIR
LES VIOLENCES URBAINES
M. le président.
La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein.
Ma question s'adressait à M. le Premier ministre, mais je crois savoir que
c'est Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire qui doit me
répondre.
La réunion qu'a tenue avant-hier le Président de la République en compagnie de
douze maires de villes moyennes confrontées à la délinquance urbaine m'inspire
quelques réflexions que je souhaite vous faire partager.
Je suis particulièrement satisfait de relever la naissance d'un consensus
parmi les élus tant de la majorité que de l'opposition. Pour qu'il aboutisse,
il est en effet essentiel que ce débat s'engage en dehors de toute polémique
politicienne.
C'est volontairement que je n'aborderai pas les thèmes devenus classiques que
sont la prévention et la répression. Il me semble avant tout primordial de se
placer en amont, c'est-à-dire au moment où se construisent les modèles auxquels
se réfère notre jeunesse, quand il est question d'avenir.
Ne craignez-vous pas que les références parfois trop fréquentes à la
République en altèrent la substance et, surtout, qu'elles ancrent dans les
esprits l'idée selon laquelle réflexions, moyens et solutions
n'appartiendraient qu'à l'Etat ?
Certes, l'école joue un rôle essentiel dans le développement intellectuel,
social et moral des futurs citoyens. Pour autant, les missions que l'on confie
aujourd'hui à cette institution, en raison de son caractère profondément
républicain, ne dépassent-elles pas le champ de ses compétences ?
Je voudrais rappeler que l'éducation des enfants n'a jamais été, n'est pas et,
je l'espère, ne sera jamais une prérogative exclusive de l'Etat. Quelles que
soient les religions, les cultures ou les époques, l'éducation des enfants a
toujours appartenu en dernier ressort aux parents. Il doit en demeurer
ainsi.
Cela étant, il est vrai que, garant des valeurs universelles de la République,
l'Etat peut et doit participer indirectement à cette éducation, en aidant les
parents à transmettre à leurs enfants les principes fondateurs de notre
société.
M. le président.
Posez votre question, monsieur Lesein.
M. François Lesein.
J'y viens, monsieur le président.
Le message qu'il convient de leur adresser doit porter sur l'extraordinaire
importance de l'acquisition, par l'enfant, d'un modèle de société. Il devra
donner à ses destinataires les moyens de faire comprendre à nos enfants que le
héros moderne n'est pas le chanteur qui prétend devoir sa réussite à la
consommation de stupéfiants, qu'il n'est pas non plus le trafiquant de drogue
qui circule en voiture décapotable, qu'il n'est pas enfin le voyou cagoulé qui
regarde flamber au loin le véhicule qu'il vient d'incendier !
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. François Lesein.
Madame le ministre, la tâche qui incombe à l'Etat repose évidemment sur
l'action du Gouvernement, mais aussi sur celle des acteurs de la vie
publique.
M. le président.
Votre question, monsieur le sénateur !
M. François Lesein.
Ma question est la suivante : quel modèle souhaitez-vous transmettre à notre
jeunesse ? Quels moyens mettrez-vous en oeuvre pour que ce message soit entendu
?
(Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et
des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire.
Monsieur le sénateur,
je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser M. le Premier ministre, qui
est retenu à la séance solennelle de rentrée de la Cour des comptes.
Vous avez soulevé le problème des valeurs que nous défendons ensemble.
L'Europe s'est crue longtemps à l'abri de ce modèle de société que l'on a vu
naître aux Etats-Unis ou au Japon et qui a été marqué par la montée de la
délinquance de mineurs de plus en plus jeunes.
Aujourd'hui, notre pays, comme l'ensemble des pays européens, est touché par
ce phénomène et les questions que vous posez sont, en effet, tout à fait
essentielles.
La violence est, certes, dans la rue, mais elle commence également à entrer à
l'école et, en tant que ministre de l'enseignement scolaire, je suis
particulièrement préoccupée par cette situation.
A cet égard, je voudrais tout simplement vous parler de ce que je vois dans
les établissements scolaires pour vous dire comment et pourquoi le Gouvernement
agit.
Tout d'abord, nous constatons qu'arrivent à l'âge adolescent des enfants qui
n'ont jamais vu leurs parents travailler, et donc qui ne comprennent plus le
sens de l'effort scolaire, de la réussite scolaire. Ils le comprennent d'autant
moins lorsque le grand frère, qui a pourtant fait l'effort de réussir son
baccalauréat, est également au chômage.
C'est pourquoi je crois que notre premier devoir est de lutter contre le
chômage, en particulier contre le chômage de longue durée, parce qu'il concerne
les parents, mais aussi contre le chômage des jeunes, qui correspond à
l'exemple que peuvent donner les grands frères ou les grandes soeurs.
Ensuite, ce que j'observe, c'est une destructuration des familles. Nous le
savons, nous le voyons : des parents sont dépassés par les événements ou
renoncent à exercer leur autorité parce qu'ils doivent eux-mêmes faire face à
des difficultés profondes.
C'est la raison pour laquelle j'ai décidé, par exemple, que le fonds social
pour les cantines servirait également pour les petits déjeuners. En effet, en
lisant les rapports des assistantes sociales des écoles, on s'aperçoit que de
nombreux parents ne se lèvent même plus le matin pour préparer le petit
déjeuner de leurs enfants, tout simplement parce que, au chômage, ils n'ont pas
à se lever.
En troisième lieu, nous observons - vous l'avez évoquée - la montée des
contre-exemples qui déstabilisent les références élémentaires des enfants. Je
pense ainsi aux feuilletons où les caïds sont des héros, aux émissions de
variétés où l'on rit de tout : pas plus tard que samedi soir l'on riait, sur
TF1, au cours d'une émission de variétés...
M. le président.
Madame le ministre,...
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
... destinée à tout public, d'une femme violée ;
ailleurs, ce qui était censé être désopilant, c'était un policier assassiné.
M. Jean Chérioux.
C'est très juste !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Et je veux également citer les jeux vidéo où les héros
gagnent d'autant plus de points qu'ils assassinent plus de monde ou qu'ils font
brûler davantage de voitures.
M. François Lesein.
Très bien !
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Une demande d'interdiction de ces jeux vidéo a
d'ailleurs été adressée au ministre de l'intérieur.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du RDSE, de l'Union centriste
et du RPR.)
Le Gouvernement réagit, l'école...
M. le président.
Il vous faut conclure, madame le ministre.
(Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
Monsieur le président, la question est suffisamment
importante pour que je m'exprime encore une minute.
L'école, disais-je, réagit. Nous avons, hier, relancé les zones d'éducation
prioritaire, nous avons décidé de renforcer l'instruction civique de façon
extrêmement vigoureuse, et à tous les échelons à partir de l'école
maternelle.
Des contrats de droits et devoirs doivent être signés dans tous les
établissements scolaires et une formation des maîtres est actuellement en
préparation pour l'apprentissage des élèves et des adultes au respect
mutuel.
Des initiatives citoyennes ont été lancées dans les établissements scolaires,
en liaison avec les parents, car vous avez raison de souligner la nécessité de
valoriser le rôle de ces derniers, qui doivent mieux assumer leurs
responsabilités. J'observe, à ce sujet, que les carences à ce niveau sont
souvent telles que ce sont les enfants qui, à travers l'éducation civique,
éduquent à leur tour leurs parents et, à la limite, c'est déjà un résultat
positif qu'il faut considérer comme un élément de reconstruction du lien
social.
Je réfléchis actuellement, en liaison avec les associations de parents
d'élèves, à la création d'« écoles des parents » afin de donner à ceux-ci les
moyens, les bases, les références qui leur permettent d'assumer...
M. le président.
Madame le ministre, je vous en supplie : vous avez déjà parlé cinq minutes ;
il ne faut pas trop dépasser votre temps de parole, faute de quoi personne ne
pourra plus s'exprimer !
(Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Mme Ségolène Royal,
ministre délégué.
J'ai dit l'essentiel.
Je rappelle simplement que le Premier ministre présidera lundi un comité de
sécurité intérieure au sein duquel tous les ministères feront converger leurs
efforts pour répondre aux problèmes qui nous préoccupent tous.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
RÉPONSES AU MOUVEMENT DES CHÔMEURS
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Madame la ministre, acteurs d'un mouvement déterminé, digne et courageux, les
chômeuses et les chômeurs sont en train d'ouvrir une porte d'espoir, une porte
d'avenir pour eux et pour la France.
(Murmures sur les travées du RPR.)
M. Philippe François.
Avec la CGT !
Mme Hélène Luc.
Derrière la froideur des statistiques, il y a les souffrances de ces visages,
il y a ces détresses, ce sentiment insoutenable que la vie, le monde se
referment sur soi-même et, le pire de tout, sur ses propres enfants.
La revendication numéro 1 des chômeurs, c'est trouver un emploi très vite ;
sinon, comme le disent ces femmes dans le journal féminin
Elle,
« sans
travail rapidement, on nous trouvera déjà trop vieilles ». C'est insupportable
!
Aussi, quelle force - prenons-en toute la mesure, madame la ministre ! - dans
ce cri pour relever la tête, dans cette lutte pour rester dignes et exiger des
patrons l'emploi dont aucun être humain ne devrait être privé dans une société
développée.
Avec les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, je veux
redire, comme je l'ai fait aux ASSEDIC de Choisy-le-Roi, tout ce que nous
apportent ces femmes, ces hommes, ces jeunes qui ne veulent plus être
exclus.
Le Gouvernement a apporté des premières réponses avec l'attribution de 1
milliard de francs aux fonds sociaux pour l'urgence, avec la reconnaissance de
la situation et avec l'engagement d'un dialogue avec toutes les organisations
agissant avec les chômeurs, qu'il ne faut pas compromettre par un recours
injustifié aux forces de l'ordre.
Il faut aller plus loin - c'est la première partie de ma question - en
augmentant les minima sociaux, la réponse ne pouvant être la contrainte
budgétaire de la monnaie unique, car, avec le mouvement social, qui est le
meilleur soutien pour le Gouvernement et sa majorité, nous devons et pouvons
contraindre ceux qui refusent la solidarité : je pense au patronat, avec ses
416 milliards de francs de dividendes versés aux actionnaires alors que, dans
le même temps, il licencie sans retenue et sabote la création d'emplois, ainsi
qu'aux grosses fortunes, avec l'insolence de leurs milliards que nous proposons
de taxer beaucoup plus par l'impôt.
Madame la ministre, pour briser le carcan du « tout à l'argent », pour faire
réussir, comme le rediront les manifestants samedi, les orientations positives
engagées pour l'emploi...
M. le président.
Veuillez poser votre question, madame Luc.
Mme Hélène Luc.
... avec notamment les trente-cinq heures et les emplois-jeunes, comment
allez-vous mobiliser audacieusement, nous vous le demandons, l'argent qui est
disponible pour l'aide sociale, la croissance, la consommation, donc pour la
création d'emplois ?
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Madame le sénateur, vous avez
raison sur les deux points essentiels par lesquels vous avez commencé : au-delà
de l'égrènement que nous faisons depuis des années les uns après les autres des
statistiques des chômeurs, des exclus, des RMIstes, des jeunes en difficulté,
il y a d'abord des hommes et des femmes, ceux que nous entendons aujourd'hui et
ceux que nous entendons derrière ceux qui sont dans la rue ou qui ont été
amenés à occuper un certain nombre de lieux publics.
Nous savons aujourd'hui ce qu'est l'angoisse de ceux qui sont sans emploi :
l'angoisse de perdre son emploi, l'angoisse d'avoir des enfants qui ne trouvent
pas leur place, celle des jeunes qui ont l'impression que cette société ne veut
pas d'eux.
C'est la raison pour laquelle nous savons tous aujourd'hui - et vous l'avez
dit fortement - que, pour tous ceux-là, la priorité, c'est non pas
l'assistance, mais l'emploi. J'y reviendrai dans quelques instants, car il faut
aussi assister quand l'urgence est là, mais la priorité, c'est l'emploi.
Mme Hélène Luc.
Ce sont les deux !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Absolument, ce sont les
deux.
C'est pourquoi le Premier ministre, dès sa déclaration de politique générale,
a dit combien l'emploi était la priorité numéro 1 du Gouvernement.
Nous avons relancé la consommation et, je l'espère, commencé à relancer la
croissance. Les premiers chiffres sont là aujourd'hui : la consommation, qui
était étale depuis le début de 1995, a commencé à reprendre ; nous avons eu 20
% de plus d'offres d'emplois au dernier trimestre de 1997 par rapport à l'année
dernière, et moins 17 % de licenciements. Oh, il ne faut pas fanfaronner, tout
cela est fragile, mais ce sont sans doute des premiers signes.
Nous avons aussi fait en sorte, vous l'avez rappelé, que des nouveaux emplois
soient créés, notamment les 350 000 emplois-jeunes. Je serai d'ailleurs amenée,
dès la fin du mois de janvier, à faire devant vous tous le bilan de ces
premières créations d'emplois, qui ont permis au chômage des jeunes de diminuer
de 2 % au mois de décembre.
Enfin, nous allons engager dans quelques jours le grand débat sur la réduction
de la durée du travail, car nous savons tous que nous n'avons pas le droit de
laisser cette piste de côté, même si elle est difficile, même si elle est
délicate, même si elle doit entraîner beaucoup de discussions dans notre pays,
pour que la solidarité prenne effet dans les entreprises et donne place à
l'emploi.
Mais, vous l'avez dit aussi, l'emploi, cela prend du temps, et certains n'ont
pas le temps d'attendre. D'où les cris et les mains tendues que nous constatons
aujourd'hui.
Nous avons donc été conduits, depuis maintenant six mois, à préparer avec
dix-huit ministres un programme triennal de lutte contre les exclusions, qui
sera présenté au Parlement au printemps et qui doit viser non pas seulement à
assurer les droits théoriques auxquels nous sommes tous très attachés - droit
au logement, droit à la sécurité, droit à l'éducation, droit à l'emploi - mais
à mettre en place des moyens pour avancer véritablement et rendre concrets ces
droits.
Il y a aussi, vous l'avez dit, l'urgence sociale, l'urgence qui va nous
amener, dans le cadre de cette loi, à revoir l'ensemble, la cohérence et
l'articulation des minimas sociaux. Car nous savons aujourd'hui qu'il y a des
trous, des passages brutaux d'un seuil à un autre, qui rendent la vie
impossible.
Enfin, le Premier ministre a décidé la création d'un fonds d'urgence sociale
de 1 milliard de francs. L'Etat montre ainsi qu'il est capable de faire ce
signe de solidarité.
De la même manière que nous avons reconnu ce mouvement et ce qu'il signifie
profondément pour ce pays et pour nous tous - car nous avons finalement tous
échoué sur le chômage - nous devons y répondre fortement. Ce sera le cas grâce
aux dernières mesures qui ont été annoncées et à celles qui sont en préparation
avec le projet de loi contre les exclusions. Nous devons également faire
fonctionner les services publics, vous le savez bien, notamment les ASSEDIC.
Tout cela doit se faire correctement, dans la discussion, dans la concertation
- c'est la méthode du Premier ministre - car nous ne pouvons pas accepter, dans
notre pays, que des services ouverts au public ne puissent pas fonctionner dans
de bonnes conditions.
M. Alain Vasselle.
On a fait intervenir les CRS ! C'est cela, la concertation ?
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Je terminerai en disant, madame
Luc, que, comme vous, je pense que les chômeurs qui ont crié et nous ont tendu
la main attendent aujourd'hui de nous la solidarité. Cette solidarité, l'Etat
en a pris sa part dès maintenant, et il la prendra encore plus en vous
présentant le projet de loi contre les exclusions.
J'espère que, dès cette semaine, dès demain, les présidents de conseils
généraux qui, aujourd'hui, peuvent et doivent apporter, en vertu des
attributions qui sont les leurs, une aide sociale à ceux qui souffrent le plus
vont nous rejoindre...
Mme Hélène Luc.
Ils le font déjà !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité...
pour faire en sorte que cette
solidarité soit totale et générale.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Il faut créer des emplois immédiatement, madame la ministre !
VIOLENCES URBAINES
M. le président.
La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, mais
elle concerne également M. le ministre de l'intérieur.
Cinquante-trois voitures incendiées, des dizaines d'abribus et de cabines
téléphoniques détruits, plusieurs bâtiments publics endommagés, tel est le
bilan de la Saint-Sylvestre dans l'agglomération strasbourgeoise.
On assiste ainsi, à Strasbourg comme dans beaucoup d'autres villes et
villages, à une recrudescence des violences aux caractéristiques inquiétantes.
En effet, ce sont bien souvent des actes de dégradation gratuits, commis par de
très jeunes adolescents, très minoritaires, sur des voitures d'habitants de
leur quartier déjà fragilisés par le chômage et un environnement urbain
dégradé.
Face à ce type de délinquance, la politique de sécurité doit être prioritaire,
le sentiment d'impunité étant intolérable. Il est impératif, à mon sens, de
rétablir l'ordre et de redonner des repères à ces jeunes en déshérence,
notamment en matière de respect de l'autorité.
Pourquoi ne pas favoriser ainsi le développement de structures de réinsertion
en milieu fermé, la réinsertion en milieu ouvert ayant montré ses limites ?
La délinquance doit également faire l'objet d'un traitement plus global. C'est
le rôle de la politique de la ville.
Sur ce point, madame la ministre, vous avez récemment multiplié les
déclarations.
Il est toutefois regrettable qu'il ait fallu de tels incidents, et surtout une
aussi forte médiatisation, pour que le Gouvernement réagisse. En effet, depuis
l'annonce d'une réforme de la politique de la ville, au mois de juillet
dernier, peu a été fait.
Cela était, à mon sens, prévisible, la politique de la ville ayant été noyée
dans un gigantesque et tentaculaire ministère de l'emploi et de la
solidarité.
M. Jean Chérioux.
C'est vrai !
M. Joseph Ostermann.
Or, six mois plus tard, le Gouvernement annonce enfin la création d'un
secrétariat d'Etat. Aveu d'impuissance, sans aucun doute, mais que de temps
perdu !
M. Jean Chérioux.
Eh oui !
M. Joseph Ostermann.
En outre, au vu de vos récentes déclarations, votre désir de réorienter en
profondeur la politique de la ville se révèle n'être qu'un voeu pieux.
Ainsi, par exemple, en fait de remise en question, vous ne proposez qu'une
réactivation de certains dispositifs existants.
La sécurité des personnes et des biens ainsi que la justice relèvent, malgré
la décentralisation, de la responsabilité prioritaire de l'Etat.
Par conséquent, nous souhaiterions obtenir des précisions sur les aspects
réellement novateurs de votre politique, ainsi que sur le calendrier de leur
mise en oeuvre. Les habitants des quartiers en difficulté, qui perdent
patience, ne peuvent plus se satisfaire d'effets d'annonce contradictoires ou
de demi-mesures.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le sénateur, les faits de violence
urbaine ont vu leur nombre quadrupler depuis 1993, passant, pour toute la
France, d'un peu plus de 3 500 à 15 791 aujourd'hui !
A Strasbourg, le nouvel an donne traditionnellement lieu à certains
débordements. Le nombre de voitures brûlées était, si je ne me trompe, de dix
en 1995, de quinze en 1996 et il a été de 40 en 1997.
A la fin de l'année dernière, la médiatisation s'était déjà concentrée
plusieurs jours auparavant sur la ville de Strasbourg et sur l'agitation qui
régnait dans certains de ses quartiers. On peut penser, d'après tous les
renseignements dont je dispose, qu'il y a un rapport entre cette médiatisation
et le niveau atteint par les violences urbaines.
(C'est vrai ! sur les travées du Rassemblement pour la République.)
Eh oui ! Cela correspond d'ailleurs à un creux de l'actualité, entre Noël
et le nouvel an. Les caméras se braquent sur ces incidents, car une voiture qui
brûle, c'est très spectaculaire ! On en tire des conséquences qui, quelquefois,
n'ont pas lieu de l'être, et la concurrence s'exacerbe entre ces quartiers que
vous connaissez bien - la Meinau, Haute-Pierre, Neuhof et d'autres encore -
pour savoir qui fera le mieux, ou plutôt le pire.
Nous sommes donc en présence d'un phénomène qui, naturellement, n'existe pas
seulement à Strasbourg, même s'il a revêtu cette année, dans cette ville, une
importance particulière, et qui renvoie, bien sûr, à d'autres problèmes - la
précarité, le chômage, l'absence de repères - que vous avez justement soulignés
et sur lesquels chacun, parent, enseignant, éducateur, citoyen, doit
s'interroger.
Pourquoi ne transmettons-nous pas nos valeurs ? Pourquoi n'en sommes-nous plus
capables ? Peut-être par ce que ces valeurs se transmettent surtout par
l'exemple, et que l'exemple qui est donné à travers les médias de masse n'est
pas toujours le meilleur. Je ne veux naturellement pas dire par là que la
violence urbaine n'existerait pas sans les médias !
Par conséquent, il faut se concentrer sur quelques problèmes.
Vous avez abordé celui de la délinquance des mineurs. Une mission a été
confiée à deux parlementaires, Mme Lazerges et M. Balduyck, qui va rendre ses
conclusions. J'ai moi-même évoqué au colloque de Villepinte, qui a posé
fermement une équation de la sécurité que je crois juste, la question de savoir
s'il n'y avait pas entre l'éducation ouverte et la prison, souvent criminogène,
des formules intermédiaires.
Je ne prétends pas apporter la réponse à moi tout seul. La question doit
néanmoins être posée de savoir si une poignée de mineurs multirécidivistes ne
doivent pas être éloignés au moins temporairement de leur quartier et faire
tout de même l'objet d'un rappel à la loi.
De manière générale, même les primodélinquants devraient faire l'objet d'un
rappel à la réalité et à la loi, parce que cela est nécessaire
(Murmures
d'approbation sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
sans que pour autant on perde de vue les causes, le terreau sur lequel
prospèrent ces violences, à savoir la misère, le chômage, la dualisation de
notre société, autant de phénomènes gravement préoccupants qui sont la
conséquence, à bien des égards, de plus de vingt années de laisser-aller
social, pour dire les choses clairement.
(Vives exclamations sur les mêmes
travées.)
M. Jean Chérioux.
Tournez-vous vers la gauche !
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
Non, monsieur Chérioux, je suis tourné vers vous
et je vous regarde.
En fait, je regarde M. Ostermann, mais vous êtes dans ma ligne de mire, si je
puis dire.
(Sourires.)
M. Jean Chérioux.
Je suis très flatté !
M. le président.
Monsieur le ministre, veuillez conclure, je vous prie.
M. Jean-Pierre Chevènement,
ministre de l'intérieur.
J'en termine, monsieur le président.
Le Gouvernement entend également mettre sur pied partout des contrats locaux
de sécurité, avec des moyens substantiels et sur la base de diagnostics aussi
précis que possible.
J'organise, avec Mme le ministre de la justice, Mme le ministre de l'emploi et
de la solidarité et M. le ministre de la défense, patron de la gendarmerie, le
19 janvier prochain, une réunion avec des maires des vingt-six départements qui
concentrent 80 % de la violence et de la délinquance. Ainsi, 350 maires seront
réunis avec des procureurs de la République et des préfets.
Nous allons donc nous atteler à cette tâche : faire en sorte qu'il y ait des
contrats locaux de sécurité, dans lesquels je vous invite à vous investir, avec
des adjoints de sécurité mais aussi avec des agents locaux de médiation, qui
pourront être recrutés par les collectivités locales, les bailleurs sociaux ou
les compagnies de transport.
Je ne développerai pas davantage, cédant aux objurgations, d'ailleurs
parfaitement justifiées, de M. le président.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et
sur certaines travées du RDSE.)
DROIT À L'EMPLOI
M. le président.
La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
la mobilisation des chômeurs vient rappeler au pays et à tous ceux qui ont été
responsables de sa gestion la réalité toute humaine, la détresse et, parfois,
le dénuement le plus complet qui est celui de tant et tant de nos
compatriotes.
Elle témoigne, en même temps, de l'irréductible volonté de justice et de
dignité qui anime nos concitoyens.
La solidarité qu'expriment les Français avec ce mouvement montre que ce
sentiment est partagé par l'immense majorité de notre peuple.
Il est temps de rappeler avec force le préambule de la Constitution qui nous
gouverne : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi.
» Et, plus loin : « Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état
physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de
travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables
d'existence. »
Pour ce qui concerne les moyens convenables dont il faut doter chacun, vous
avez, madame la ministre, de considérables rattrapages à opérer compte tenu de
l'impéritie du gouvernement qui vous a précédé...
(Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Un sénateur socialiste.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Combien de chômeurs en 1981 ? Allons, arrêtez !
M. Jean-Luc Mélenchon.
... et que les Français ont sanctionné en le renvoyant.
Vous avez ouvert les dialogues nécessaires et validé aussi, pour cela, des
interlocuteurs venus du mouvement social lui-même.
(Nouvelles protestations
sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Les nouveaux pauvres !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Vous avez mobilisé des fonds d'urgence. Vous nous proposerez bientôt une loi
contre l'exclusion. Nous vous en donnons acte.
Pour ce qui concerne le droit d'obtenir un emploi pour souscrire au devoir de
travailler pour subvenir à ses besoins, dans la mutation cruelle que vit notre
économie, le peuple français a aussi été consulté au cours de l'élection
législative récente. Il a choisi de vous suivre dans la voie de la réforme
majeure que vous lui avez proposée, c'est-à-dire la réduction massive du temps
de travail, les trente-cinq heures hebdomadaires sans perte de salaires, pour
créer des milliers d'emplois.
M. Alain Joyandet.
Sans perte de salaire !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Voici ma question.
Le groupe socialiste s'exaspère des refus répétés du CNPF d'entrer dans les
négociations qui doivent permettre la mise en oeuvre rapide de cette mesure.
Le groupe socialiste s'indigne des menaces de déstabilisation du Gouvernement
proférées par le CNPF, dont il n'est pas prouvé qu'il soit aussi représentatif
qu'il le dit en cette circonstance.
Il s'indigne des démarches entreprises pour exiger que vous renonciez à votre
projet.
Le groupe socialiste s'indigne du privilège de blocage dont jouissent les
représentants de cette catégorie socioprofessionnelle au détriment des devoirs
de solidarité que la situation impose.
Un sénateur socialiste.
Bravo !
M. Jean-Luc Mélenchon.
Jusqu'où et jusqu'à quand cela sera-t-il toléré ?
Les socialistes récusent l'opposition que l'on voudrait entretenir entre ceux
qui ont du travail et ceux qui n'en ont pas et récusent l'idée que les minima
sociaux soient l'horizon indépassable du revenu de tant de Français. Nous
voulons du travail pour tous et un revenu convenable pour chacun. Nous voulons
les trente-cinq heures hebdomadaires sans perte de salaire.
Madame le ministre, nous voulons que le CNPF, clairement responsable du
blocage actuel, soit ramené au respect du vote des Français !
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le sénateur, vous avez
raison de dire que le droit à l'emploi doit, jour après jour, être l'objet de
notre combat permanent et devenir un droit de la réalité.
Finalement, la société que nous voulons construire n'est pas une société où
ceux qui sont sur la route sont toujours plus forts et toujours plus riches,
alors que sont sans cesse plus nombreux ceux qu'on laisse sur le côté en leur
envoyant, parfois, par moments, une allocation d'assistance qui leur permet
tout juste de survivre mais en aucun cas de vivre.
La dignité, c'est l'emploi, c'est-à-dire l'autonomie de l'homme, l'utilité
sociale, la reconnaissance par les autres. Aussi est-ce l'objectif numéro 1 que
le Gouvernement s'est fixé dans toutes les décisions qu'il a prises.
Vous avez choisi, monsieur le sénateur, de mettre l'accent sur les
entreprises. Je vous répondrai donc sur ce terrain.
Les entreprises nous disent, et, dans le fond, elles ont globalement
raison,...
(Exclamations sur les travées du Rassemblement pour la
République.)
Attendez !
Les entreprises nous disent donc que ce sont elles qui créent des emplois.
Malheureusement, depuis des années, ce sont elles qui en ont détruit. Elle
l'ont fait parfois à cause des difficultés de la concurrence. Ces difficultés,
nous les comprenons et nous nous efforçons de les combattre en réduisant les
charges sociales sur les bas salaires, en changeant - la mesure est en cours -
l'assiette des cotisations patronales, en travaillant à la réforme de la taxe
professionnelle...
M. Alain Vasselle.
En taxant les entreprises !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... ou en transférant les
charges sociales des cotisations payées par les salariés vers la CSG.
Mais les suppressions d'emplois résultent aussi souvent, nous le savons, d'un
manque d'anticipation, d'une absence de réflexion sur l'organisation du
travail, du défaut de qualification de nos salariés, tout ce qui fait que,
aujourd'hui, nos entreprises sont moins compétitives qu'ailleurs.
Il faut gagner en innovation et en réactivité. Il faut savoir mieux répondre à
l'attente des consommateurs et des clients.
Pour notre part, nous avons pris nos responsabilités. Nous avons relancé la
consommation, qui stagnait depuis 1995. Les entreprises doivent maintenant y
répondre dans les meilleures conditions.
Alors que, nous l'avons déjà dit, les charges sociales sont fortes sur les bas
salaires, nous faisons en sorte, aujourd'hui, en accompagnant la réduction de
la durée du travail par une aide forfaitaire aux entreprises fortement
utilisatrices de main-d'oeuvre, de créer encore plus d'emplois par le partage
du travail.
Il faut que ce partage du travail ait lieu, car il n'y a pas, aujourd'hui,
d'autre solution que d'emprunter toutes les pistes qui permettront
effectivement de créer des emplois.
M. Jean-Pierre Schosteck.
C'est répartir la pénurie !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
J'ajoute, car, si les discours
sont importants, les faits sont rares
(Marques d'approbation sur les travées
du Rassemblement pour la République.)
que nous n'accepterons pas - je l'ai
dit dès le mois de juillet - que certaines entreprises, notamment celles qui
font aujourd'hui des bénéfices importants, fassent porter sur la collectivité
le coût de leur restructuration.
J'ai donné des directives, dès le mois de juillet, pour que l'on essaie
d'éviter les plans sociaux, pour que l'on fasse de la gestion prévisionnelle,
pour que l'on n'accorde pas des préretraites à des grandes entreprises qui
gagnent énormément d'argent et qui, par ailleurs, ne font aucun effort pour
développer l'emploi, pour reconvertir et reclasser leurs salariés.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
De la même manière, le président sortant du CNPF a dit, le 10 octobre dernier,
qu'il entrerait dans le dispositif des 350 000 jeunes dans le secteur privé.
Je vous le dis, monsieur le sénateur, car je sais que ce sujet vous intéresse
tout particulièrement, il a pris l'engagement d'un bilan par branche sur le
nombre de jeunes actuellement dans les entreprises, le pourcentage dans les
embauches, la formation en alternance et la révision de la précarité du statut
des jeunes.
Il a dit qu'un diagnostic serait fait avant la fin de janvier et que, dans
toutes les branches, serait lancé un programme d'embauche et un véritable
programme pour les jeunes d'ici au mois de juillet.
Les patrons doivent prendre leurs responsabilités ; nous prendrons les nôtres.
Dès le mois de janvier - je l'ai écrit à l'ensemble des présidents des chambres
patronales - je réunirai des commissions mixtes. Autrement dit, je convoquerai
le patronat et les organisations syndicales partout où cela sera nécessaire. En
effet, on ne peut à la fois dire que l'on crée des emplois, que l'on est les
seuls à le faire, qu'on souhaite le faire, et ne pas donner une place aux
jeunes. Là aussi, que chacun, prenne ses responsabilités !
J'en terminerai en rappelant, vous l'avez dit, que l'emploi doit tous nous
réunir. Moi non plus, je n'apprécie pas que les chefs d'entreprise, qui sont là
pour créer des richesses et pour faire en sorte que demain nous vivions mieux
dans notre pays, tiennent des propos qui sont d'un ordre autre
qu'économique.
Pour ma part, je ne renonce pas à ce que le Gouvernement s'adresse directement
aux entreprises. En effet, aujourd'hui, dans notre pays, nombre de chefs
d'entreprises se battent sur les marchés, innovent, ont envie de créer des
emplois parce qu'ils savent mieux que quiconque qu'ils ne se développeront pas
dans une société qui est en train de se désagréger par les violences, par la
ghettoïsation et par le chômage.
M. Jean-Pierre Raffarin.
Protégez-les !
M. Christian Demuynck.
Aidez-les !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Eh bien, nous allons nous
adresser à ces chefs d'entreprise, non pas pour leur dire, comme certains,
qu'il ne faut pas bouger, qu'il ne faut rien faire, mais pour les inciter à
s'engager avec nous dans cette bataille des trente-cinq heures !
M. Jean-Pierre Raffarin.
Ce n'est pas crédible !
M. Christian Demuynck.
C'est une erreur !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
C'est une opportunité offerte à
l'entreprise pour regagner en compétitivité, pour gagner des marchés, pour
réduire l'exclusion et le chômage, qui grèvent aujourd'hui notre société...
M. Alain Vasselle.
C'est voué à l'échec ! Les trente-cinq heures auront le même effet que les
trente-neuf heures !
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
... et qui, demain, empêcheront
l'entreprise de se développer.
J'ai la conviction que ce combat, qui est un combat politique au vrai sens du
terme, et non pas au sens politicien, qui permet de préparer l'avenir, un
avenir plus radieux pour tous, beaucoup peuvent en comprendre la portée. Aussi,
je souhaite que, ce combat, la plupart d'entre vous - je crains,
malheureusement, qu'ils ne soient pas très nombreux sur toutes les travées -
nous aident à le gagner.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées
socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
SITUATION DE LA COMMUNAUTÉ HARKIE
M. le président.
La parole est à M. Bécot.
M. Michel Bécot.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
cette question s'adresse à Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité.
Ignorés ou rejetés, les harkis et leurs descendants, aujourd'hui encore, plus
de trente-cinq ans après la fin du conflit en Algérie, continuent de vivre un
drame.
Parce qu'ils ont fait le choix de la France, pays de la liberté et des droits
de l'homme, ces hommes et ces femmes ont dû tout abandonner.
Bien que partie intégrante de la communauté nationale, les harkis éprouvent
des difficultés, et ce pour des raisons liées à leur histoire, à s'insérer
socialement, malgré leur désir farouche d'y parvenir.
On constate en effet, au sein de cette communauté, un taux de chômage
particulièrement important, dû à un taux d'échec scolaire élevé, un manque de
formation professionnelle et des conditions de logement peu propices à
l'intégration.
Leur fort regroupement dans des régions aujourd'hui sinistrées économiquement
ne facilite nullement cette insertion qu'ils appellent de leurs voeux.
De plus, les harkis n'ont de cesse de réclamer la reconnaissance de leur
véritable identité et leur appartenance à la France, désir qui ne peut
qu'apparaître légitime et qui doit être pris en compte.
Certes, depuis 1975, des dispositions ponctuelles ont été prises en leur
faveur ; tous n'ont pu cependant en bénéficier et, à l'évidence, ces mesures
n'ont pas été suffisantes.
Seule la volonté de mettre en place un projet global, destiné à régler ce que
l'on appelle communément « le problème harki » et qui doit cesser d'en être un,
pourra remédier à cette situation.
A l'heure où vous avez annoncé comme l'une de vos priorités la lutte contre
les exclusions, je vous remercie de bien vouloir me faire part des mesures que
vous entendez prendre en faveur des harkis.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Monsieur le sénateur, je
voudrais d'abord vous remercier d'avoir posé une question sur les difficultés
d'insertion des harkis et de leurs enfants.
Vous l'avez dit, ils vivent depuis trente-cinq ans, comme l'ensemble
d'ailleurs des rapatriés, mais plus douloureusement que d'autres, les
conséquences de leur soutien à la France.
Il a fallu attendre, vous le savez, la loi du 11 juin 1994 pour que, à
l'unanimité, la France témoigne la grande reconnaissance qu'elle leur devait et
affirme la dignité dans laquelle ils doivent vivre.
Les problèmes sont très divers.
A la première génération, nous devons qu'elle vive dans des conditions
décentes, notamment de logement, alors que, aujourd'hui encore, perdurent sur
notre territoire des camps inacceptables.
J'ai chargé M. Lagarrigue, inspecteur général des affaires sociales, de
visiter l'ensemble de ces sites. Il en a déjà vu les deux tiers. Cela a
d'ailleurs permis de régler un certain nombre de cas individuels et collectifs.
Je disposerai dans les délais les plus brefs d'un rapport global, dont je vous
donnerai bien évidemment communication.
Les harkis, surtout ceux de la seconde génération, qui ont vécu dans des camps
et n'ont pu être scolarisés, ont besoin d'une aide à l'emploi et à la
formation.
A cet effet, j'ai demandé aux préfets, par une circulaire du 22 octobre 1997 -
elle commence d'ailleurs à porter ses fruits - de mettre en place, partout où
les harkis sont en nombre, des cellules de reclassement. Elles ont pour
mission, d'abord, d'établir un diagnostic des harkis et de leurs enfants qui
sont au chômage, ensuite, de leur proposer des emplois ou des mesures de
formation lorsque c'est nécessaire. Ils sont actuellement reçus les uns après
les autres. Dans deux mois, nous disposerons d'un bilan complet, que je rendrai
public.
S'agissant des emplois-jeunes, j'ai demandé que les harkis bénéficient d'une
priorité. A titre d'exemple, dans le Rhône, quinze fils de harkis ont été
engagés comme agents de sécurité, une dizaine dans la région parisienne, et la
ville de Roubaix vient d'en engager cent.
S'agissant de l'endettement immobilier, qui est le problème majeur de ces
familles, en vertu de la loi du 11 juin 1994, les harkis de la première
génération bénéficient d'une subvention de l'Etat au désendettement immobilier.
Afin que les procédures conduites par les commissions départementales se
déroulent convenablement, l'article 101 de la loi de finances pour 1998 vient
de prévoir une suspension provisoire des poursuites jusqu'à la décision de
l'octroi de l'aide. Ainsi, un certain nombre de situations dramatiques pourront
être améliorées.
J'ajoute que le travail accompli par le nouveau délégué aux rapatriés, qui a
réparti avec un peu d'impartialité les crédits entre harkis et rapatriés, a
calmé globalement le jeu.
Certes, il subsiste encore quelques petits foyers de contestation. Mais nous
nous en occupons en essayant de trouver des réponses en matière d'emploi pour
les jeunes, qui sont à la base de ces mouvements.
J'espère que, dans les jours qui viennent, les choses se calmeront, parce que
des réponses concrètes auront été apportées.
(Applaudissements sur les
travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen.)
ENSEIGNEMENT FRANÇAIS A L'ÉTRANGER
M. le président.
La parole est à M. Maman.
M. André Maman.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
ma question aurait dû, en toute logique, s'adresser à M. le ministre de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ; mais les mystères
de l'organisation administrative française me conduisent à la poser à M. le
ministre des affaires étrangères.
Elle concerne, en effet, un problème lié à l'enseignement français à
l'étranger, lequel relève de la compétence du Quai d'Orsay. Cette question est
double.
Je rappelle que Claude Allègre a présenté, le 17 novembre dernier, un plan
triennal visant à développer l'utilisation des nouvelles technologies à
l'école.
Cette mesure, destinée à accélérer l'intégration du multimédia dans les
projets pédagogiques, est naturellement une priorité importante pour l'école de
demain, car nous sommes tous conscients que nos enfants ne pourront pas faire
l'économie de ce type d'apprentissage s'ils veulent réussir leur insertion
sociale et professionnelle.
Sans préjuger le contenu précis qu'aura ce plan - et sans préjuger, surtout,
les éventuelles difficultés qui pourraient être liées à son financement - je
souhaiterais savoir si des contacts ont été pris entre le Quai d'Orsay et les
services de l'éducation nationale pour que notre réseau d'établissements
scolaires à l'étranger puisse également bénéficier de ce dispositif.
Je rappelle en effet - et nous en sommes très fiers - que, de tous les pays,
la France possède le réseau scolaire le plus dense du monde, puisqu'il compte
quelque 440 établissements accrédités par le Gouvernement français répartis sur
tous les continents. Ce réseau joue un rôle fondamental pour toutes les
familles expatriées, et il serait particulièrement inéquitable que tous les
jeunes Français qui étudient hors de France se voient privés des retombées
positives de ce plan,
Enfin, seconde partie de ma question, je souhaiterais savoir, monsieur le
secrétaire d'Etat, si, comme le demandent de nombreux représentants des
Français établis hors de France, vous n'estimeriez pas logique que la gestion
des problèmes liés à l'enseignement français à l'étranger revienne dans le
giron de l'éducation nationale, comme c'était le cas jusqu'en 1990, date à
laquelle a été créée l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR
et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Charles Josselin,
secrétaire d'Etat à la coopération et à la francophonie.
Monsieur le
sénateur, votre question a plusieurs mérites et, en particulier, celui de
souligner la densité et la qualité du réseau d'établissements scolaires
français à l'étranger, qui est essentiel aux expatriés et qui, bien au-delà,
joue un rôle essentiel également en matière de présence française.
L'importance et le rôle des nouvelles techniques de communication n'ont pas
échappé à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger ; elle y voit les
relais efficaces aux techniques d'apprentissage et de communication
actuellement en usage, et je précise que vingt établissements français ont déjà
pris l'initiative d'ouvrir un site Internet.
L'agence s'est rapprochée, comme vous le souhaitez, du ministère de
l'éducation nationale afin d'étudier dans quelle mesure elle pourrait
bénéficier des dispositions déjà mises en oeuvre ou attendues, afin de faire
profiter les enfants français, et les autres, des mêmes dispositions.
Il est en effet normal, il est juste, que les établissements scolaires
français à l'étranger se développent et se modernisent de la même façon que les
établissements français en métropole. En tout cas, l'agence a prévu, dans son
budget pour 1999, une ligne spécifique de crédits pour financer ces nouvelles
techniques.
A la seconde partie de votre question, je répondrai simplement qu'un groupe de
travail conjoint affaires étrangères-éducation nationale a été mis en place
pour examiner dans quelle mesure la relation entre ces deux ministères pourrait
être resserrée afin que soit mieux géré le dispositif que vous évoquez.
Je précise, pour compléter votre information, monsieur le sénateur, que le
dispositif d'enseignement français à l'étranger n'était pas, avant la création
de l'agence, sous la tutelle du ministre de l'éducation nationale ; avant 1990,
il était déjà sous celle du ministre des affaires étrangères.
Au demeurant, l'administration française n'est pas si mystérieuse.
Je regrette que M. Allègre n'ait pas été présent pour vous répondre - vous
escomptiez sa venue - ni M. Védrine, qui est à l'étranger. Le fait que je sois
également chargé de la francophonie pourra, je l'espère, légèrement atténuer
votre déception.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - Mme
Dusseau applaudit également.)
CONSÉQUENCES DE LA CRISE ASIATIQUE
M. le président.
La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances et n'a
aucun caractère polémique.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Enfin !
M. Joël Bourdin.
Je connais les limites d'une question relative aux conséquences de la crise
asiatique sur l'évolution de notre pays. Cependant, monsieur le ministre, les
réponses que vous avez données, hier encore, quant au taux de croissance
prévisionnel retenu pour le budget de 1998, qui a été fixé, compte tenu des
critères de convergence, à 3 %, m'ont un peu laissé sur ma faim.
La crise asiatique, avez-vous l'habitude de dire, existe et elle aura sans
doute des conséquences, mais un phénomène de compensation va se produire :
grâce à la reprise de la consommation et de l'investissement,
grosso modo,
ce qui est perdu d'un côté sera gagné de l'autre. En conséquence, vous
maintenez ce taux prévisionnel. C'est important car, effectivement, 1998 est
une année cruciale pour nous et nous ne pouvons pas nous permettre de fantaisie
dans ce domaine.
Des économistes ont estimé que la crise asiatique - qui a commencé il y a six
mois - par le biais des exportations directes et indirectes et des
importations, entraînerait une baisse de 0,3 à 0,5 point du taux de croissance.
Le problème n'est pas de savoir exactement ce qu'il en est, mais je ne vois pas
en quoi la reprise de la consommation et de l'investissement compensera cette
baisse.
Je souhaite savoir, monsieur le ministre, sur quels éléments vous vous fondez.
J'imagine que la direction de la prévision vous a donné des éléments. Peut-être
pourrait-elle également nous les communiquer ; cela nous serait utile. Nous
préférerions avoir des informations complémentaires plutôt que des arguments
donnés d'autorité.
Quel sera l'effet de l'accroissement de la consommation et de l'investissement
?
Dans un pays qui se veut transparent, avec une bourse qui fonctionne bien, les
épargnants ont le droit d'être informés. C'est un devoir. La Commission des
opérations de bourse insiste sur ce point.
Nous souhaiterions savoir quel impact peut avoir la crise asiatique sur
l'évolution des risques de nos banques. En effet, un certain nombre d'entre
elles sont engagées en Asie du Sud-Est.
Un certain nombre de journaux ont fait état d'estimations. Les épargnants sont
en droit de disposer d'informations précises pour agir en toute conscience sur
la bourse de Paris.
J'aborderai pour finir le problème de la COFACE, la Compagnie française
d'assurance pour le commerce extérieur.
Cet organisme doit, sur ce sujet, disposer d'estimations. Il fonctionne bien
depuis un certain nombre d'années...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La question est trop longue !
M. Joël Bourdin.
... puisqu'il a rapporté au budget de l'Etat 7 milliards de francs en 1996, 10
milliards de francs en 1997, et le prélèvement effectué sur la COFACE
rapportera selon les prévisions 7 milliards de francs en 1998.
Qu'en est-il, monsieur le ministre, de ces différents aspects ?
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La question a été trop longue. La réponse du ministre ne pourra pas être
diffusée par la télévision !
M. le président.
Monsieur Dreyfus-Schmidt, ne protestez pas. Tout à l'heure, quand vos amis
sont intervenus, c'était bien pis !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En l'espèce, la question aura été retransmise par la télévision alors que la
réponse ne le sera pas ! Il y a déséquilibre.
M. le président.
J'ai essayé de mener ces débats sans blesser personne. Mais personne n'a été
sérieux aujourd'hui, non pas sur le fond, mais dans le respect des temps de
parole.
La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
sénateur, vous connaissez ces questions mieux que quiconque, et vous les avez
parfaitement résumées.
En effet, s'agissant de la crise asiatique telle qu'on l'apprécie aujourd'hui
- personne ne sait de quoi seront faits la fin du mois de janvier et le mois de
février - on peut penser que, au moins s'agissant de la Corée, la situation
aujourd'hui est beaucoup plus stable qu'elle ne l'était voilà quelques
semaines. Nous sommes donc plutôt sur la bonne pente. Mais, comme il est normal
en la matière, je veux pouvoir émettre toutes les réserves sur ce que nous
prépare l'avenir.
Telle que nous connaissons aujourd'hui la situation, l'effet sur la croissance
économique de la France est de l'ordre de ce que vous avez évoqué, encore que
les prévisionnistes fassent toujours un travail difficile : 0,3 à 0,5 point de
croissance en moins, cela me paraît une estimation raisonnable. Donc, la
prévision que le Gouvernement a fournie lors de l'examen de la loi de finances,
au cours de l'automne, peut sembler aujourd'hui surestimée.
Mais, comme vous l'avez rappelé à juste titre, monsieur le sénateur, le
dernier trimestre de l'année 1997 nous a réservé une bonne surprise en termes
de croissance interne. Le résultat - là il ne s'agit plus de prévision - est
que la pente de croissance de l'économie française à la fin de l'année 1997 est
de 3,5 %, conformément à l'estimation de l'INSEE. Il n'y a donc pas de mystère,
ni de grande arithmétique à engager pour penser raisonnablement que, après
imputation d'un effet de la crise asiatique compris entre 0,3 % et 0,5 %, nous
continuerons l'année 1998 avec une croissance de 3 %.
Evidemment, cette croissance n'a pas la même structure que celle que nous
avions prévue. Elle sera moins tirée par l'extérieur, plus par l'intérieur :
moins tirée par l'extérieur, c'est la conséquence de la crise, plus par
l'intérieur, c'est la bonne surprise d'une reprise interne plus forte que ce
qui avait été anticipé.
Deux éléments doivent soutenir cette croissance en 1998, comme nous l'avions
prévu : d'abord, un dollar qui se maintient à des valeurs élevées, au-dessus de
six francs ; ensuite, des taux d'intérêt à long terme qui sont aujourd'hui les
plus bas que nous ayons connus depuis extrêmement longtemps, puisqu'ils se
situent à environ 5 %.
Il est donc raisonnable de continuer à penser, au point où nous en sommes
aujourd'hui et sous réserve de ce que sera l'avenir, que la croissance sera bel
et bien de 3 %. D'ailleurs, dans une certaine mesure, c'est une meilleure
croissance que celle qui était prévue puisque, ayant plus de composantes
internes, elle rapportera plus de ressources fiscales. Ces 3 % de croissance-ci
plutôt que les 3 % de croissance initialement prévus, c'est plus de ressources
fiscales car, comme vous le savez, la croissance qui découle de l'exportation
n'est pas à l'origine de recettes de TVA.
Pour ce qui est de la situation de nos banques, il est clair que la crise,
notamment coréenne, mais aussi dans les autres pays émergents de l'Asie, aura
des conséquences financières pour nos banques, qui sont chacune en train de les
estimer et de les provisionner.
Il n'y a pas, me semble-t-il, de difficulté majeure. Les banques françaises
sont suffisamment capitalisées ou ont des actionnaires suffisamment puissants
pour fournir les ressources nécessaires pour compenser les pertes qui,
inévitablement, découleront des situations asiatiques.
Pour le moment, il est difficile de les estimer totalement. Les provisions qui
ont été faites par les principales banques françaises sont importantes,
peut-être même surestimées par rapport à un risque qui pourrait finalement se
révéler moins grave que prévu.
Ce que nous observons, c'est une chute très forte des bourses asiatiques.
Mais, comme vous le savez, dans ces cas-là, la chute est souvent d'autant plus
forte que l'optimisme avait été trop fort avant. Quand la situation se
rétablit, on revient à des niveaux un peu moins bas que ceux qui ont été
atteints au creux de la crise. Si c'était le cas, il est probable que les
anticipations de pertes qui ont été faites par les banques françaises, comme
d'ailleurs par les banques européennes, se révéleraient plus que
suffisantes.
Quant à la COFACE, il est clair, là encore, qu'on ne peut pas espérer qu'une
crise aussi importante en Asie n'ait pas d'incidences sur cette compagnie
d'assurance. Au demeurant les chiffres que vous avez évoqués relatifs à ce que
la compagnie a rapporté au budget de l'Etat pour 1996 et 1997 sont exacts,
monsieur le sénateur.
Pour 1997, les résultats n'ont pas été affectés par la crise, ils sont même un
peu supérieurs à 10 milliards de francs : ils avoisinent en effet les 11
milliards de francs.
Pour 1998, il est évidemment beaucoup trop tôt pour se prononcer, mais il y
aura inévitablement un impact de la crise asiatique à hauteur de ce que
représentent ces marchés pour nos exportations. Cela représente, selon la
manière de compter, de 6 % à 10 % de nos exportations, c'est-à-dire près de un
point du PIB. S'il y a des sinistres industriels ou commerciaux importants, ils
auront évidemment des répercussions sur les bénéfices de la COFACE. Nous en
reparlerons, si vous le voulez bien, un peu plus tard dans l'année, car il est
un peu trop tôt pour traiter cette question maintenant.
Ce qui est important, en revanche, c'est qu'au point où nous en sommes
aujourd'hui, et même si cela peut paraître surprenant à un certain nombre
d'entre vous, dans la mesure où nous nous sommes montrés trop prudents dans
notre prévision sur la croissance domestique et où elle se révèle meilleure que
prévu, il est probable, je le crois tout à fait, que notre croissance, en
moyenne, se maintiendra en 1998 aux 3 % qui avaient été prévus.
(Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen.)
RÉVISION CONSTITUTIONNELLE
M. le président.
La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon.
Monsieur le président, mesdames messieurs les ministres, mes chers collègues,
la décision constitutionnelle rendue le 31 décembre 1997, déclarant contraires
à la Constitution les dispositions du traité d'Amsterdam relatives aux visas, à
l'asile et à la libre circulation, nécessite, comme chacun le sait, une
révision constitutionnelle.
Le 13 janvier dernier, le Premier ministre se livrait, devant la presse, à une
interprétation pour le moins floue de notre Constitution.
Selon lui, en effet, la révision constitutionnelle doit résulter « d'une
initiative du Président de la République, même si celle-ci nécessite
l'approbation du Premier ministre ».
Il ajoutait qu'il ne provoquerait pas lui-même une initiative qui « revient au
Président de la République, quant au choix entre l'approbation référendaire et
la voie du Congrès ».
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
C'est vrai !
M. Serge Vinçon.
De tels propos entretiennent la confusion dans les esprits entre les modalités
de la révision constitutionnelle, à savoir son approbation par la voie
référendaire ou par le Parlement réuni en Congrès, et le fond de cette
révision, autrement dit son contenu.
Je ne veux pas voir dans ces propos une manoeuvre pour, le cas échéant,
repousser au plus tard possible une révision qui gêne manifestement la majorité
plurielle.
Aussi, j'aurais aimé demander à M. le Premier ministre s'il pouvait nous
éclairer.
Le choix entre la procédure du référendum ou celle du Parlement réuni en
Congrès est une prérogative exclusive du chef de l'Etat, contrairement à ce que
les propos du Premier ministre pouvaient laisser penser.
M. Emmanuel Hamel.
Qu'il choisisse le référendum, comme cela, il pourra partir !
M. Serge Vinçon.
Concernant, en revanche, le fond, il appartient bien au Premier ministre,
conformément à l'article 89 de la Constitution, de faire une proposition au
Président de la République.
Aussi, j'aimerais que l'on puisse nous indiquer quand le Premier ministre
compte la faire, et sur quelle base précise.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, conformément à l'article 54 de la
Constitution, le Président de la République et le Premier ministre ont demandé
conjointement - et c'était la première fois qu'une telle procédure était
utilisée - au Conseil constitutionnel, le 4 décembre 1997, si, compte tenu des
engagements souscrits par la France et des modalités d'entrée en vigueur du
traité d'Amsterdam, l'autorisation de ratifier ce traité devait être précédée
d'une révision de la Constitution.
Dans sa décision rendue le 31 décembre, le Conseil constitutionnel a jugé
contraires à la Constitution certaines dispositions du titre III A insérées par
le traité d'Amsterdam dans le traité instituant la Communauté européenne.
Ces dispositions intéressent le franchissement des frontières extérieures et
intérieures des Etats membres, la politique de l'asile et la politique de
l'immigration.
Je rappellerai, en premier lieu, que cette décision était attendue et qu'elle
est conforme à la jurisprudence qui avait été établie dès la décision du
Conseil constitutionnel du 9 avril 1992 relative au traité de Maastricht.
Quant au traité d'Amsterdam, il a été négocié par le Président de la
République et par le précédent gouvernement, et c'est bien parce que le
Président de la République et le Premier ministre souhaitaient avoir
l'assurance que ce traité ne comportait pas de contradiction avec notre loi
fondamentale qu'ils ont saisi ensemble la Haute Juridiction.
Je rappellerai en deuxième lieu que le Conseil constitutionnel ne censure pas
le traité d'Amsterdam, mais qu'il se borne à dire, comme l'y autorise l'article
54 de la Constitution, que certaines stipulations du traité sont contraires à
la Constitution de 1958.
Par conséquent, comme pour le traité de Maastricht, si la France veut ratifier
ce traité, elle doit au préalable réviser sa Constitution. Cette révision n'est
juridiquement pas obligatoire, mais, tant qu'elle n'est pas intervenue, le
traité ne peut pas être ratifié.
Je rappellerai en troisième lieu qu'aux termes de l'article 89 de la
Constitution l'initiative de la révision constitutionnelle appartient
concurremment au Président de la République, sur proposition du Premier
ministre, et aux membres du Parlement.
En ce qui concerne cette perspective de révision constutitionnelle, monsieur
le sénateur, j'observe qu'elle est requise en vue d'un transfert de compétences
à échéance lointaine - à terme minimum de cinq années - et aléatoire, puisque
suspendu à l'accord unanime des Etats membres.
Mais il va de soi que ce délai de cinq ans, qui est celui de la mise en oeuvre
des transferts de compétences sur ce point précis, n'implique pas un délai
identique pour l'autorisation de ratification, qui doit, elle, intervenir dans
un temps beaucoup plus rapproché.
En vertu de l'article 89 de la Constitution, cette révision doit résulter
d'une initiative du Président de la République, même si celle-ci nécessite la
proposition du Premier ministre.
Les dispositions concernées du traité ont été négociées, d'ailleurs de manière
insatisfaisante aux yeux du Gouvernement actuel, par le précédent gouvernement,
seule la protection constitutionnelle du droit d'asile ayant pu être préservée,
sur l'initiative du Premier ministre, dans les derniers jours ayant précédé la
conclusion de l'accord. Dès lors, chacun comprendra qu'il ne provoque pas
lui-même l'initiative qui revient au Président de la République.
Quant au choix entre l'approbation référendaire et la voie du Congrès, il
relève du seul Président de la République.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
POLITIQUE DE LA VILLE
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Ma question s'adresse à Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.
Elle porte sur un sujet qui est aujourd'hui au coeur de l'actualité : la
politique de la ville.
Un constat s'impose : la cause de la misère et de la violence est bien connue,
c'est le chômage.
Face au chômage de masse, le Gouvernement a fait le juste choix, celui de
placer l'emploi au coeur de son action. Les 35 heures hebdomadaires sans perte
de salaire pour créer des milliers d'emplois est une voie essentielle pour
sortir de l'impasse et réussir une politique de la ville. Elle s'impose à tous,
et le patronat français doit le comprendre et l'accepter.
Je sais que c'est également la position du Gouvernement et de Mme la ministre.
Mais je crois qu'il faut toujours le répéter, car c'est là l'essentiel.
A côté d'une politique ambitieuse pour l'emploi, vous élargissez, madame la
ministre, le chantier de la lutte contre l'exclusion, en liaison avec dix-huit
ministères, avec les maires, avec les acteurs de terrain.
Chaque ville doit prendre sa part d'habitat social afin de réussir la mixité
sociale. La ville doit pouvoir organiser le retour à une urbanité et une
sécurité élémentaires dans les transports en commun. La ville doit pouvoir
renforcer sa police locale, en coordination étroite avec la police nationale.
Dans chaque ville, des moyens accrus doivent permettre de soigner les drogués,
en généralisant les produits de substitution. Dans chaque ville, doivent
pouvoir être créées les conditions d'une justice de proximité, afin de traiter
humainement mais fermement le problème des délinquants récidivistes et les
affaires classées sans suite.
Déjà, vous avez mis en place une politique courageuse et ambitieuse
d'emplois-jeunes, et nous soutenons cette politique.
Ma question est simple : quelles sont vos intentions en ce qui concerne la
politique globale de la ville ? Il est bien de réunir les maires, et je m'en
félicite. Mais il serait encore mieux de les associer autour d'objectifs précis
et de méthodes administratives simplifiées afin de répondre à l'exigence d'un
droit au travail, d'un droit à la ville pour tous et d'un droit à la sécurité
pour chacun.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Martine Aubry,
ministre de l'emploi et de la solidarité.
Vous nous avez rappelé, à juste
titre, monsieur le sénateur, que ces quartiers sont fragiles. Les problèmes qui
s'y posent ne peuvent être traités ni par des petites phrases ni par des
annonces médiatiques, ils doivent faire l'objet d'une politique de fond qui
commence par l'emploi. C'est, en effet, l'élément essentiel, et qui touche à
l'ensemble des droits de nos concitoyens : droit au logement, à la sécurité et
à l'éducation. C'est ce que nous nous efforçons de faire aujourd'hui.
Puisque nous avons beaucoup parlé des problèmes de sécurité, permettez-moi de
rappeler que, dans ces quartiers, il y a certes la délinquance, la violence et
la drogue, mais on y trouve parfois plus de solidarité que dans beaucoup
d'autres. Des gens s'y battent pour éviter que des enfants ne soient en contact
avec les dealers, certains assurent eux-mêmes la sécurité, d'autres participent
à des actions de soutien scolaire. Tout cela, il ne faut pas l'oublier.
Vous avez souligné, à juste titre, monsieur le sénateur, qu'il s'agit d'une
politique interministérielle. D'ailleurs, depuis que le Gouvernement est en
place, il travaille de cette façon.
S'agissant des emplois-jeunes, qui sont un élément essentiel de notre action,
j'ai demandé aux préfets qu'une priorité absolue soit accordée aux jeunes de
ces quartiers. Le bilan sera fait à la fin du mois de janvier.
Le travail que je mène avec les ministres de l'intérieur, de la défense et de
la justice pour mettre en place les contrats locaux de sécurité nous montre que
cette politique est ô combien ! de nature interministérielle.
Enfin, dans le cadre de la loi contre les exclusions - car l'exclusion est
souvent dans ces quartiers - nous travaillons avec dix-sept autres ministères,
je l'ai dit tout à l'heure, et surtout avec M. Louis Besson, pour faire en
sorte que tous nos quartiers deviennent de vrais quartiers de mixité sociale,
des quartiers où l'on vive mieux grâce à une politique de réhabilitation, où
l'on puisse non seulement aider les familles en grande difficulté, mais aussi
faire en sorte qu'elles rentrent dans les droits de notre société, et éviter
autant que faire se peut les expulsions, dont on sait combien elles sont
douloureuses.
Alors, au-delà des actions dont j'ai parlé, que faisons-nous pour cette
politique spécifique de la ville ?
Nous terminons un bilan de ces quinze années de politique de la ville qui ont
commencé avec M. Gilbert Bonnemaison et avec M. Michel Delebarre, qui fut le
premier ministre de la ville.
Nous savons qu'elles ont porté des fruits. Il ne faut pas, aujourd'hui, jeter
le bébé avec l'eau du bain, car beaucoup de ces quartiers connaîtraient une
situation encore plus explosive si des politiques de la ville n'avaient pas été
mises en place.
Ce que l'on demande c'est plus de politique de la ville, et non son abandon.
J'ai d'ailleurs fait en sorte que le budget consacré à cette politique soit,
dès 1998, en augmentation de un milliard de francs, passant de 14 milliards à
15 milliards de francs, que nous puissions envoyer, dès cet été, un million de
jeunes en vacances et que les actions dont j'ai parlé soient mises en place.
A partir de ce bilan, aujourd'hui terminé, nous allons réfléchir sur le mode
de conventionnement. Comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, c'est bien
avec les maires, parfois avec les agglomérations, que nous devons aujourd'hui
travailler.
Nous devons éviter que ces quartiers ne deviennent des zones de relégation, à
cause des transports par exemple. Nous devons accroître la mixité sociale et le
lien entre ces quartiers et les villes-centres.
Enfin, ces bilans sont actuellement « confrontés » - je le dis volontairement
de cette manière-là - aux habitants et aux acteurs de terrain.
Il y a aujourd'hui une première réunion à Lyon ; un certain nombre d'autres
auront lieu jusqu'au début du mois de février pour confronter notre bilan à
ceux qui vivent concrètement, jour après jour, cette politique de la ville.
Par ailleurs, j'ai demandé un rapport à M. Jean-Pierre Sueur, car nous sommes
tous convaincus que si les problèmes de ces quartiers nécessitent des réponses
immédiates, ils nous posent, plus globalement, le problème de nos villes.
Quelle forme devront-elles avoir au xxie siècle ? Comment faire en sorte que
nos centres-villes ne soient plus des centres-musées où plus personne ne vit et
que ne se constituent pas des quartiers pour riches et des quartiers pour
pauvres ? Comment organiser les entrées de nos villes alors que, aujourd'hui,
avec partout les mêmes enseignes, les mêmes couleurs et les mêmes volumes, on
casse l'esthétique de la ville, on casse la vie en ville, allant jusqu'à faire
pénétrer des autoroutes urbaines à l'intérieur du tissu urbain ?
Ce sont tous ces problèmes qu'il faudra traiter, et c'est à partir du rapport
de Jean-Pierre Sueur, réalisé en liaison avec des élus, des experts, des
historiens, des urbanistes, des architectes et des acteurs de terrain, que nous
proposerons, au mois de février, une grande politique de la ville. Elle
concernera ceux qui vivent dans les quartiers en difficulté, bien sûr, mais
aussi tous ceux qui, comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur, vivent dans
les villes. En effet, nous devons réintroduire la mixité sociale, faire en
sorte que les services publics soient partout présents, et que nous vivions
mieux ensemble, plus en sécurité et avec plus de cohésion sociale et de
solidarité. Bref, chacun doit trouver sa place dans la ville, et même dans les
quartiers en difficulté.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Mes chers collègues, il est seize heures vingt ! C'est la première fois que la
séance de questions d'actualité au Gouvernement se prolonge aussi tard.
Je demande à l'auteur de la dernière question et au membre du Gouvernement qui
lui répondra d'être brefs.
AMÉNAGEMENT DU RÉSEAU TGV
DANS LE DOUBS ET DANS LE JURA
M. le président.
La parole est à M. Pourchet.
M. Jean Pourchet.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues,
nous parlons beaucoup de nouveaux projets de train à grande vitesse, en
particulier de la ligne TGV Est, ainsi que de la ligne TGV Rhin-Rhône. Je
soutiens ces projets, ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Jean Pourchet.
... considérant que le développement sous toutes ses formes économique,
touristique et culturelle passe par les voies de la communication : créer de
nouvelles voies est bien, mais n'oublions pas les voies existantes !
A côté et dans le prolongement du TGV Rhin-Rhône, existent les lignes Paris -
Lausanne et Paris - Zurich, pour lesquelles les TGV empruntent l'ancienne voie
existante, qui n'a pas été conçue pour les trains à grande vitesse.
L'alimentation en électricité étant insuffisante, les TGV y roulent à la
vitesse d'un train ordinaire.
Plusieurs projets d'aménagement de cette voie ont été proposés et élaborés.
L'un d'eux, partant de Zurich, ferait gagner plus d'une heure aux usagers
suisses - et ils sont nombreux - et vingt-cinq minutes aux usagers venant de
Lausanne ! Les Francs-Comtois qui utilisent cette ligne en bénéficieraient
également. Je vous rappelle, en effet, que c'est la seule voie transversale du
Jura, entre le territoire de Belfort et Genève, nous reliant à la Suisse.
Je demande donc à M. le ministre de l'équipement, des transports et du
logement de bien vouloir reprendre ce projet et mettre en oeuvre tous les
moyens nécessaires à sa réalisation, ce qui garantirait l'essor des
départements du Jura et du Doubs, tout en confirmant et en confortant nos
relations avec la Suisse.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson,
secrétaire d'Etat au logement.
Je me permets, monsieur le sénateur, de
répondre à votre question au nom de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de
l'équipement, des transports et du logement, qui, empêché, vous demande de bien
vouloir l'excuser.
Comme vous le savez, le Gouvernement est très attaché à la qualité du réseau
des dessertes ferroviaires et du service rendu aux usagers. Dans cette
perspective, il entend donner une priorité à l'adaptation et à la modernisation
du réseau classique, qui doit être complémentaire du réseau à grande vitesse et
être adapté dans une optique d'aménagement du territoire. J'ajoute que
l'articulation du réseau ferroviaire français avec celui de nos voisins
européens constitue également une dimension forte de l'action du Gouvernement
quant à l'évolution de ce réseau.
S'agissant en particulier de la ligne Paris-Dole-Frasne-Pontarlier, la SNCF,
après la mise en service, le 28 septembre dernier, du TGV Paris-Zurich,
via
Pontarlier, a réaménagé la desserte sur cet axe afin de mieux
répondre aux besoins de sa clientèle. Cela a notamment permis d'augmenter, vous
le savez, monsieur le sénateur, le nombre de dessertes du Jura et du
Haut-Doubs.
Par ailleurs, un groupe de travail franco-suisse sur les questions
ferroviaires, réunissant les administrations et les réseaux de chacun des deux
pays, a été constitué pour traiter des projets de lignes nouvelles, mais aussi
de l'amélioration des performances de l'axe existant Dole-Frasne-Lausanne.
Cette opéraiton fait l'objet d'une étude de la SNCF et de Réseau Ferré de
France ainsi que des Chemins de fer fédéraux en Suisse.
Engagée en septembre 1997, cette étude devrait aboutir très prochainement -
dans moins de trois mois - et constituera une contribution importante aux
réflexions sur l'amélioration de la ligne Paris-Frasne-Lausanne, mais aussi
Paris-Frasne-Pontarlier grâce, notamment, à un relèvement de la vitesse des
trains entre Dijon et Frasne.
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
(M. Michel Dreyfus-Schmidt remplace M. René Monory au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
6
DIMINUTION DES RISQUES SANITAIRES
LIÉS À L'EXPOSITION À LA MUSIQUE AMPLIFIÉE
Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 187,
1997-1998) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires
sociales, sur la proposition de loi (n° 194, 1996-1997) de MM. Louis Souvet,
Louis Althapé, Roger Besse, Paul Blanc, Jean Bizet, Jacques Braconnier, Mme
Paulette Brisepierre, MM. Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Gérard César,
Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Michel Doublet, Daniel Eckenspieller,
Yann Gaillard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Daniel Goulet,
Alain Gournac, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel, Bernard
Hugo, Roger Husson, André Jourdain, Lucien Lanier, Edmond Lauret, Jacques
Legendre, Maurice Lombard, Pierre Martin, Victor Reux, Roger Rigaudière,
Jean-Jacques Robert, Jean-Pierre Schosteck, Martial Taugourdeau, René Trégouët,
Alain Vasselle et Jean-Pierre Vial tendant à diminuer les risques de lésions
auditives lors de l'écoute de baladeurs et de la fréquentation des
discothèques.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après l'adoption d'une
réglementation protégeant les salariés contre l'exposition à des niveaux
sonores quotidiens dépassant 85 décibels et le vote de l'article 2 de la loi
portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire du 28 mai 1996
limitant à 100 décibels la puissance sonore des baladeurs, la proposition de
loi de notre collègue M. Louis Souvet constitue une troisième étape dans
l'émergence d'une législation ayant pour objet exclusif la protection de la
santé contre les risques liés à l'exposition à des niveaux sonores élevés. Ces
risques, en effet, ne se limitent pas, notamment pour la jeunesse, à ceux qui
résultent de l'écoute des baladeurs musicaux.
Certes, il existe déjà un arsenal législatif et réglementaire très complet
pour limiter les nuisances sonores. Mais, en schématisant un peu, on est en
train de passer d'une législation ayant pour objet la protection de la
tranquillité publique à une législation protégeant la santé publique, et
notamment celle de la jeunesse. Je pense, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, qu'il convient de s'en féliciter.
Les jeunes sont en effet de plus en plus exposés à des niveaux sonores élevés
: ils subissent le caractère bruyant, non seulement du mode de vie urbain, mais
aussi des pratiques musicales et de loisirs - discothèques, concerts,
rave-parties
- qui, toutes, présentent des dangers pour la santé si
elles sont fréquentes et prolongées.
Les musiques qui y sont écoutées se caractérisent, le plus souvent, par leur
niveau sonore constamment élevé.
Ainsi, alors que la musique classique se caractérise par une dynamique de
grande amplitude, soit une différence de 40 à 50 décibels entre les passages
pianissimo et fortissimo, où l'oreille a le temps de se reposer, les musiques
du type hard rock ou techno ont une dynamique très faible et leur niveau sonore
est constamment élevé.
Les risques encourus sont non seulement des atteintes ou des lésions
auditives, mais aussi des troubles des systèmes nerveux, cardio-vasculaire ou
visuel.
Dès lors, il ne s'agit plus de protéger seulement le voisinage ; il faut aussi
protéger les clients des discothèques, les spectateurs assistant à des
concerts, à des répétitions ou a des projections cinématographiques, les
consommateurs dans les grands magasins et les centres commerciaux ou les
clients de bars musicaux.
Si les risques encourus sont certains, il est cependant très difficile de les
relier avec précision à des niveaux sonores et à des durées d'exposition. En
effet, non seulement ces risques varient fortement selon les individus, mais,
en dehors des accidents auditifs, il est difficile d'établir une corrélation
scientifiquement rigoureuse, c'est-à-dire quasiment mathématique, entre des
pratiques bien caractérisées - niveau et durée d'exposition au bruit - et un
chiffre précis de la dégradation des performances auditives.
En fait, on sait globalement trois choses.
On sait que l'on assiste à l'augmentation des dégradations précoces des
performances auditives chez les jeunes. Elle a été démontrée par plusieurs
études, notamment scandinaves, réalisées à l'occasion de l'incorporation dans
l'armée. Une étude française réalisée par le professeur Buffe sur un régiment
d'appelés montre que 56 % seulement d'entre eux avaient une audition normale,
et que la perte moyenne subie par ces jeunes gens âgés de vingt ans
correspondait à celle d'une personne de vingt-cinq ans exposée quotidiennement
pendant cinq ans à un niveau sonore de 80 décibels huit heures par jour.
On sait aussi que l'oreille moyenne est lésée par le bruit à des niveaux
sonores très élevés, de l'ordre de 120 décibels.
On connaît, enfin, les résultats d'une étude réalisée à Nancy auprès de 1 500
jeunes volontaires par le docteur Meyer-Bisch. Elle montre que l'usage intensif
de baladeurs et la fréquentation régulière de concerts de rock ou de variétés
est à l'origine de pertes auditives significatives. Par ordre croissant, les
comportements les plus dangereux sont : la fréquentation de discothèques,
l'écoute prolongée de musique sur un baladeur et la fréquentation assidue de
concerts.
Cela étant dit, que peut-on donc considérer comme une bonne législation en la
matière ?
Tout d'abord, une bonne législation est une législation qui protège la santé
des jeunes. Il faut donc définir des niveaux sonores en retrait significatif
par rapport à ceux que l'on constate aujourd'hui dans les discothèques et les
concerts. Il faut que cette législation affiche clairement sa finalité de santé
publique.
Ce souci pédagogique doit aussi se traduire par la multiplication des messages
sanitaires à l'intention des personnes qui fréquentent les discothèques ou les
concerts.
Ensuite, une bonne législation est une législation applicable et qui respecte
tous les types de musique : avec un baladeur à 85 décibels, on ne peut plus
vraiment entendre convenablement de la musique classique.
Une bonne législation en la matière est, enfin, une législation qui laisse au
décret le soin de définir les modalités précises de mesure du niveau sonore,
ces modalités ne faisant pas l'objet d'une normalisation suffisante et étant
appelées à évoluer rapidement.
J'évoquerai, maintenant, les conclusions adoptées par la commission : elles
satisfont, selon moi, à ces exigences. Le premier volet de ces conclusions
concerne les baladeurs pour enfants.
Pour ce type de baladeurs, qui correspondent en fait à des jouets, nous avons
souhaité limiter leur puissance sonore à 85 décibels. Il s'agit donc d'un
niveau en retrait de 15 décibels par rapport aux « vrais » baladeurs, si l'on
peut dire. Il correspond aux recommandations formulées par le Conseil supérieur
d'hygiène publique de France.
Le second volet de ces conclusions, le plus important, concerne les lieux de
diffusion et de production de musique amplifiée.
J'évoquerai d'abord les dispositions de la proposition de loi initiale qui
visaient à limiter le niveau sonore dans les concerts et les discothèques, puis
celles des conclusions de la commission des affaires sociales qui ont une
portée beaucoup plus large.
Le texte initial de la proposition de loi imposait que les essais de
sonorisation avant les concerts permettent de s'assurer que le niveau sonore ne
dépassait pas 100 décibels, avec une marge de 2,5 décibels. Il prévoyait aussi
des amendes en cas d'infraction, sans toutefois préciser quels agents seraient
chargés d'établir les procès-verbaux.
Il n'existe pas actuellement de réglementation concernant les concerts en
dehors de la législation de droit commun qui, en premier lieu, définit les
pouvoirs de police des maires. Ainsi, l'article L. 2212-2 du code général des
collectivités territoriales leur donne pouvoir de réprimer les « atteintes à la
tranquillité publique telles que (...) le tumulte excité dans les lieux
d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de
voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants...
».
Pour les discothèques, la proposition de loi initiale avait retenu un niveau
sonore inférieur, soit 90 décibels en moyenne.
Un projet de décret concernant les discothèques et les concerts est
actuellement devant le Conseil d'Etat. Pris sur la base de la loi de 1992
relative à la lutte contre le bruit, il s'applique à tous les lieux clos de
diffusion de musique amplifiée, à l'exception des salles de spectacle ; le
ministère de la culture a souhaité cette limitation, de même que l'exclusion
des concerts en plein air. Ce projet de décret fixe à 105 décibels le niveau
sonore maximal.
J'en viens maintenant aux conclusions de la commission. Elles ont un champ
plus large que celui qui a été retenu par les auteurs de la proposition de loi
et par le projet de décret, puisqu'elles tendent à fixer un niveau sonore
maximal non seulement dans les salles de concerts et les discothèques, mais
aussi dans tous les lieux de production et de diffusion de musique amplifiée, y
compris les salles de spectacle et les concerts en plein air. Elles visent
aussi, par exemple, les centres commerciaux et les grands magasins, ainsi que
les salles de cinéma.
La commission des affaires sociales a choisi de fixer le niveau sonore maximal
à 90 décibels en tout endroit où peut se trouver le spectateur. Cette valeur
est très inférieure aux pratiques actuelles. Le Gouvernement, par amendement,
proposera tout à l'heure de fixer cette valeur à 95 décibels ; je vous annonce
d'ores et déjà que la commission a donné un avis favorable à cet amendement.
Elle suggère aussi que des décrets puissent prévoir, dans une limite de 10
décibels, des valeurs supérieures en fonction des risques pour la santé.
Dans la mesure où les précisions contenues dans le texte initial de la
proposition de loi concernant la fréquence des contrôles et « l'endroit le plus
défavorable pour le client » pourraient être de nature à susciter des
contentieux inutiles, la commission ne les a pas retenues.
Elle a préféré faire référence à « tout endroit où peuvent se trouver le
public ou les clients ». Cette notion emporte les mêmes conséquences que celle
qui était suggérée par la proposition de loi, mais ne se prête pas aux mêmes
contestations.
En ce qui concerne le contrôle du respect de la loi et les sanctions, la
commission a choisi de renvoyer aux dispositions de la loi de 1992 relative à
la lutte contre le bruit, qui prévoit des dispositions très complètes en la
matière, à la fois pour confier les pouvoirs de vérification aux agents de
l'Etat ou des communes et pour définir les sanctions pénales et administratives
applicables : il ne nous a donc pas semblé utile d'y déroger.
Enfin, la commission propose d'imposer la détention d'un sonomètre dans tous
les lieux de diffusion de musique amplifiée, ainsi que l'apposition d'un
message sanitaire à l'entrée de ces lieux : pour un investissement modique, les
organisateurs de concerts et les exploitants de discothèques seront ainsi en
mesure de vérifier par eux-mêmes qu'ils respectent bien la législation en
vigueur. Ce dispositif, dont il n'était pas fait mention dans le texte initial
de la proposition de loi, nous est apparu de nature à faciliter les
contrôles.
Dans la mesure où il s'agit d'un texte de santé publique, j'espère que les
conclusions de la commission des affaires sociales susciteront le consensus
qu'appelle la protection de la santé, notamment celle des jeunes.
(Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel.
Défendons-nous contre le bruit !
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, cette proposition de loi déposée par M. Louis Souvet traduit
l'intérêt des membres de votre assemblée pour les problèmes de santé publique
et pour l'avenir de la jeunesse.
Les risques auditifs dus à l'écoute de la musique à haut niveau sonore
constituent bien une préoccupation sanitaire que partage entièrement le
Gouvernement. Je tiens ici à saluer la qualité et l'esprit de synthèse de
l'intervention de M. le rapporteur, Jean-Louis Lorrain.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Oui, monsieur le rapporteur, on constate que
l'évolution des pratiques musicales et des techniques d'amplification
conduisent parfois à une escalade des niveaux sonores, préjudiciables à la
santé des auditeurs.
L'écoute prolongée et à haut niveau sonore de la musique amplifiée peut
provoquer des lésions auditives irréversibles.
En effet, si, habituellement, les pertes auditives légères constatées à la
sortie des discothèques ou des concerts sont temporaires et récupérées
rapidement, il peut malheureusement arriver que des pertes auditives soient
irréversibles. En l'état actuel des connaissances médicales et techniques, il
n'existe aucun moyen d'y remédier.
On peut estimer que le risque croît en fonction de la durée d'écoute et du
niveau sonore, mais il est difficile de fixer des seuils précis de danger en
raison de la très forte variabilité des effets sur les individus.
Par ailleurs, il faut noter l'existence, dans certains cas, de traumatismes
sonores pour des niveaux très élevés lors de concerts ; ils touchent de manière
aléatoire des personnes peut-être fragiles, mais dont la fragilité - permanente
ou temporaire - ne semble pas décelable préalablement. Ces traumatismes sonores
sont rares, mais constituent des atteintes irréversibles très importantes ; des
procès sont en cours actuellement en France au sujet de ces accidents.
Mon ministère s'est donc préoccupé de ce problème avec l'aide notamment du
Conseil supérieur d'hygiène publique, qui a souhaité en particulier que les
limitations soient accompagnées d'une sensibilisation des jeunes aux risques
auditifs.
En effet, il s'agit d'un problème sanitaire, mais aussi d'un enjeu social, car
des pertes auditives définitives même légères constituent un handicap sérieux
pour des jeunes, tant professionnellement que sur le plan des relations
humaines. Cela deviendra un problème de société si un effort important
d'information bien adapté n'est pas mené.
Sans sous-estimer ces risques et avec la volonté d'y répondre, je voudrais
toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, rappeler le rôle essentiel de la
musique dans la vie des jeunes. L'écoute individuelle et surtout collective
constitue un espace de vitalité et de liberté qui prend toute son importance,
notamment et peut-être même surtout lorsque le quotidien est difficile.
La multiplication des groupes amateurs, l'engouement pour les techniques, les
évolutions de la musique amplifiée et les manifestations musicales montrent
l'attachement de la jeunesse à cette activité.
Dans ce cadre, s'il convient de répondre aux préoccupations sanitaires, et
c'est bien là mon propos, il faut aussi tenir compte des enjeux musicaux, si
l'on veut que ces règles soient acceptables et appliquées.
En ce qui concerne plus précisément l'étude des risques auditifs, des travaux
partiels semblent montrer chez les lycéens des pertes auditives assez
significatives, qui pourraient être mises en corrélation avec les loisirs
bruyants. Mon ministère vient de lancer une première phase d'enquête en région
Rhône-Alpes sur l'audition des jeunes afin d'évaluer la situation de façon
précise.
Mais, au-delà du constat, les pouvoirs publics sont actifs dans la lutte
contre le bruit.
Les services santé-environnement des directions départementales des affaires
sanitaires et sociales, les DDASS, sont équipés et formés pour effectuer des
mesures acoustiques, pour lancer des actions de réduction des nuisances sonores
et pour pouvoir conseiller les maires, qui sont chargés prioritairement des
problèmes de bruit. Ces services spécialisés des DDASS pilotent dans de
nombreux départements les pôles de compétences « bruit », qui, sous l'impulsion
des préfets, regroupent tous les services chargés de la lutte contre le bruit
en y associant d'autres services, tels que les services communaux d'hygiène et
de santé, également très actifs sur le terrain.
Actuellement, plus de vingt pôles sont créés et une trentaine sont en cours de
création. Cette organisation novatrice interservices permet de mieux répondre à
la demande du public et des élus, de simplifier les circuits et de lutter plus
efficacement contre les nuisances sonores. Ainsi, le pôle de compétence « bruit
» de la Savoie a publié récemment un cédérom,
l'Oreille interactive,
pour favoriser la sensibilisation aux risques auditifs.
Le ministère chargé de la santé, qui a participé à cette opération, assure
actuellement une large diffusion de ce cédérom.
Comme je l'ai indiqué précédemment, la proposition de loi rejoint donc,
monsieur le rapporteur, les préoccupations du Gouvernement.
Le premier article de cette proposition de loi vise à ajouter un titre de
chapitre dans le code de la santé publique permettant de regrouper les articles
qui concernent « la prévention des risques sanitaires liés à une exposition
sonore ». Il s'agit là d'une excellente idée.
Le second article concerne les baladeurs destinés aux jeunes enfants et vise à
modifier l'article du code de la santé publique inséré par l'article 2 de la
loi n° 96-452 du 28 mai 1996 sur les baladeurs, qui, je vous le rappelle, est
d'initiative parlementaire.
Un décret et un arrêté ont été préparés pour l'application de cette loi. Il
s'agissait d'innover puisque aucun pays n'avait encore fixé de limites pour les
baladeurs, qu'il n'existait pas de normes spécifiques et que nous ne disposions
que de réflexions d'experts. Aussi mes services se sont-ils attachés à obtenir
un consensus entre les experts, les fabricants et les autres ministères
concernés. Les projets de décrets et d'arrêtés sont actuellement à Bruxelles
pour avis. Nous attendons la réponse communautaire. La position française, en
pointe dans le domaine de la protection sanitaire, est donc assez délicate.
Le Gouvernement est très attaché, comme vous le savez, à faire aboutir
l'application d'une loi d'origine parlementaire. Un consensus a été réalisé en
France entre toutes les parties et, croyez-moi, cela n'a pas été facile.
Au risque de me répéter, je dirai que nous attendons la réponse de Bruxelles
pour soumettre ensuite le décret au Conseil d'Etat, c'est-à-dire que nous
sommes assez proches de la mise en oeuvre. Par conséquent, il serait
regrettable, tant au regard du travail parlementaire que pour l'ensemble des
acteurs concernés, que ces dispositifs soient remis en cause par une nouvelle
modification législative.
Pour ces raisons, le Gouvernement n'est pas favorable à l'article 2.
L'article 3 concerne les lieux produisant ou diffusant de la musique
amplifiée, notamment les discothèques et les concerts. Le Gouvernement a déposé
un amendement qui a été repris, ce matin, par la commission, et je m'en
félicite, monsieur le rapporteur.
En acceptant cet amendement, vous en revenez au texte initial de la
proposition de loi, et je crois pouvoir dire que nous atteignons ainsi un
équilibre satisfaisant.
En effet, les travaux qui ont été menés avec les divers partenaires concernés,
notamment dans le cadre de la préparation d'un décret sur le bruit dans les
discothèques, ont permis de constater que la limite de 105 décibels A - 95 plus
10 - en niveau continu équivalent, était acceptable et qu'il n'était pas
possible de descendre au-dessous, sous peine de ne pouvoir actuellement en
assurer le respect.
Ce dispositif rejoint les préoccupations des pouvoirs publics, puisque mon
ministère et celui de l'environnement préparent une réglementation qui prévoit,
en particulier, de fixer à 105 décibels A la limite du niveau sonore acceptable
dans les discothèques.
En ce qui concerne les contrôles proposés aux frais des établissements ou des
organisateurs, la solution retenue est satisfaisante. Selon les réflexions qui
ont présidé à l'élaboration de ces propositions, il semble qu'une partie au
moins des vérifications impromptues pourraient être effectuées par des
organismes agréés, sous l'autorité des services compétents, notamment des
DDASS.
L'équipement en sonomètres normalisés des lieux de diffusion de la musique
destinés essentiellement à cet objet ou dans les lieux où les risques auditifs
sont importants est envisageable. Il s'agirait en quelque sorte de « boîtes
noires » enregistrant les niveaux sonores et accessibles seulement aux services
chargés du contrôle.
Enfin, l'affichage d'un message sanitaire à l'intention du public est une
excellente proposition rejoignant le souci d'information qui anime le
Gouvernement.
En définitive, mesdames et messieurs les sénateurs, le Gouvernement prend acte
de l'amendement voté en commission, mais, comme je l'ai indiqué tout à l'heure,
il ne peut accepter le dispositif relatif aux baladeurs-jouets pour les raisons
que je viens d'indiquer.
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
bruit, c'est la vie, mais il peut constituer une grave nuisance.
M. Emmanuel Hamel.
Oh oui !
Mme Dinah Derycke.
Dans le passé, cette constatation a conduit le législateur à prendre des
mesures pour limiter les effets néfastes des bruits excessifs, afin de mieux
garantir la tranquillité publique et, dans le monde du travail, de protéger la
santé des travailleurs.
Aujourd'hui, une meilleure connaissance - même si elle reste imparfaite - des
traumatismes causés par le bruit nous permet d'appréhender cette question dans
une perspective de santé publique. Cette prise de conscience est récente mais
elle n'est pas nouvelle puisque des lois ont été votées en 1992 et 1996.
Par le présent texte, nous sont proposées des mesures d'autorité tendant à
réduire le niveau sonore de certains appareils et, par voie de conséquence, les
risques de lésion auditive chez les enfants et, surtout, chez les
adolescents.
Il s'agit, en effet, d'une question préoccupante. Toutefois, si le texte
proposé est pertinent sur le fond, il me semble réducteur en ce qu'il ne traite
que des troubles causés par l'écoute de la musique amplifiée, c'est-à-dire
qu'il ne s'adresse qu'au comportement des jeunes que l'on veut en quelque sorte
protéger malgré eux. Il ne s'attaque en rien à des nuisances extérieures qui
sont tout aussi graves mais qui n'ont pas de lien avec le comportement des
jeunes.
Or des études récentes, auxquelles le rapport de l'Office parlementaire des
choix scientifiques et technologiques fait référence, portant sur les liens
entre la santé et l'environnement, notamment chez l'enfant, montrent que les
troubles auditifs ont des origines très diverses.
C'est ainsi que des enfants peuvent être atteints de lésions auditives
irréversibles du fait de bruits excessifs subis par la mère durant la
grossesse. De même, les cantines scolaires et salles de classe peuvent
constituer des environnements préjudiciables à la santé auditive de l'enfant,
avec des incidences non négligeables sur les résultats scolaires.
On estime que 15 % des enfants seraient, dès l'âge de dix ans, atteints de
déficience auditive. Or, à cet âge, la fréquentation des concerts et des
discothèques ne peut être incriminée.
Certes, pour des enfants, les jouets musicaux peuvent constituer un danger ;
j'approuve donc la disposition les concernant.
En revanche, pour ce qui concerne les lieux de diffusion et de production de
musique amplifiée, il ne me semble pas opportun de légiférer aujourd'hui, et
cela pour plusieurs raisons.
D'une part, il convient d'observer que la loi de 1992 n'est pas encore
totalement appliquée, ainsi que vient de le rappeler M. le secrétaire d'Etat ;
les décrets d'application sont actuellement en préparation. La mise en oeuvre,
notamment, d'un décret actuellement au Conseil d'Etat, devrait constituer une
première avancée.
D'autre part, M. le secrétaire d'Etat nous l'a rappelé également, une
réglementation européenne, qui fait suite aux initiatives de la France en la
matière, est actuellement en cours d'élaboration.
A mon sens, il serait plus sage d'attendre de connaître le contenu précis de
ces dispositions.
Par ailleurs, il me semble dangereux de réduire au seul problème de la musique
amplifiée la portée de la proposition de loi. En effet, ces mesures risquent
d'être mal perçues par ceux-là mêmes, les enfants et les adolescents, qu'elles
sont censées protéger en quelque sorte contre eux-mêmes. Les jeunes risquent de
les considérer comme la manifestation d'un rejet de leur culture, voire d'un
rejet de la jeunesse elle-même.
Un récent débat télévisé sur la musique techno et les
rave parties,
auquel participait un membre éminent de notre assemblée - il a avoué, à
cette occasion, sur passion pour le
hard rock,
et certains le
reconnaîtront peut-être - a montré qu'il y avait une totale incompréhension
entre les jeunes et les adultes présents, alors même que les propos de ces
derniers étaient empreints de bon sens et ne témoignaient en rien d'un rejet
systématique des pratiques musicales des jeunes.
En fait, il apparaît que les jeunes vivent comme une agression tout jugement
sur leurs pratiques musicales.
Dans ces conditions, ce texte risque d'être rejeté comme édictant un interdit
de plus, et l'on sait qu'à l'adolescence l'interdit a toujours quelque chose
d'attractif.
Pour être applicable, a souligné M. le rapporteur, une législation doit être
comprise, c'est-à-dire acceptée. Or tel ne serait pas le cas, je crois, pour
les deuxième et troisième parties de ce texte.
Pour autant, je ne nie pas qu'il y a là un vrai problème, qui nécessite un
travail en profondeur d'éducation et de prévention en direction du public, de
tous les publics. M. le secrétaire d'Etat nous a indiqué qu'un tel travail
était actuellement entrepris sur ces questions, et je m'en félicite.
Il conviendrait également d'établir un dialogue avec tous les professionnels
concernés, en particulier avec les musiciens, qui sont les premières victimes
de ces pratiques.
Ainsi, nous avons affaire à un véritable problème de santé publique, mais la
proposition de loi en discussion ne me semble pas le traiter de la manière la
plus adaptée. Au contraire, elle pourrait susciter des effets pervers de rejet,
tant il est délicat de vouloir modifier par la loi des comportements privés,
surtout lorsqu'il s'agit d'adolescents. En outre, ce texte me paraît prématuré,
même si nous devons collectivement nous préoccuper des dégâts causés par les
bruits excessifs, par tous les bruits excessifs, qu'ils tiennent à des
pratiques personnelles ou qu'ils viennent de l'extérieur.
Pour ces différentes raisons, les sénateurs socialistes ne voteront pas contre
la proposition de loi, mais ils s'abstiendront.
(Applaudissements sur les
travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
tout le monde s'accorde sur le fait que le bruit excessif représente un
véritable fléau.
L'oreille ne peut supporter sans douleur ni séquelle un son dont l'intensité
serait supérieure à une centaine de décibels.
Evidemment, le bruit agresse, énerve ; grande source de nuisance, il affecte
tant la qualité de vie que la santé.
Diverses études, notamment celles qui ont été réalisées auprès des appelés
lors de leur incorporation, révèlent que les effets du bruit, en particulier
sur les facultés auditives, sont indiscutables ; selon leur intensité, leur
fréquence, leur amplitude, les sons perçus vont entraîner indéniablement un
vieillissement plus ou moins important de l'oreille interne et, par conséquent,
une baisse de l'audition.
Il y a une certaine perversité du phénomène dans la mesure où, sur le moment,
la personne ne ressent généralement pas de dommage. La détérioration est
progressive, perceptible seulement aux infléchissements de l'audiogramme.
Lorsque la personne perçoit effectivement les symptômes, les lésions sont déjà
importantes et, pour certaines d'entre elles, irréversibles.
Face à de telles incidences sur la santé, les pouvoirs publics ont pris leurs
responsabilités et, en 1992, la loi sur le bruit a été votée, une loi
résolument préventive.
Mon amie Mme Hélène Luc était intervenue pour témoigner de notre souci de voir
appréhender le bruit sous un angle non seulement environnemental mais aussi
sanitaire.
Je rappellerai également toute l'importance que nous accordons aux règles
édictées dans le cadre de la réglementation du travail en vue de protéger
spécifiquement la santé du salarié contre les nuisances sonores.
Certes, nous n'ignorons pas la place prise sur le marché par les baladeurs ni
les effets de cet engouement sur la santé des jeunes. Mais, là aussi, un texte
existe : la loi du 28 mai 1996 portant diverses dispositions d'ordre sanitaire
et social limite déjà la puissance sonore maximale de sortie des baladeurs
musicaux commercialisés en France.
Dans la proposition de loi qui nous est soumise, il est proposé d'établir un
seuil distinct pour les baladeurs « adultes » et les « jouets pour enfants » et
d'abaisser pour ceux-ci le seuil à 85 décibels. L'intention d'établir un seuil
spécifique pour les appareils destinés aux enfants est certes louable.
Toutefois, dans la pratique, comment empêcher un jeune de moins de quatorze ans
de se servir d'un objet qui ne lui est pas destiné ?
Sur l'article 2, nous sommes réservés, estimant que l'arsenal juridique
existant et les décrets en préparation devraient normalement permettre de
traiter le problème.
S'agissant de l'article 3, la mesure qu'il prévoit nous apparaît comme une
sorte de surenchère par rapport à la loi de 1996, une surenchère quelque peu
réductrice, comme vient de le souligner notre collègue Mme Dinah Derycke.
Parce que nous souhaitons que cette loi de mai 1996 puisse s'appliquer
pleinement, tout en reconnaissant la valeur de certaines des dispositions
contenues dans la présente proposition de loi, nous nous abstiendrons.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - L'intitulé du chapitre V-II du titre Ier du livre Ier du code de
la santé publique est ainsi rédigé : "Prévention des risques sanitaires
liés à l'exposition à un niveau sonore élevé". »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - I. - Il est inséré, après le premier alinéa de l'article L. 44-5
du code de la santé publique, un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les jouets musicaux, cette valeur est limitée à 85 décibels SPL. »
« II. - Dans le troisième alinéa de cet article, les mots : "ou
jouets" sont insérés après les mots : "Les baladeurs". »
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur.
Je souhaite répondre à la remarque qu'a faite M. le
secrétaire d'Etat concernant cet article.
Vous avez justifié, monsieur le secrétaire d'Etat, votre opposition à son
dispositif par le fait que la loi de 1996 sur les baladeurs est actuellement
examinée par Bruxelles, conformément aux directives exigeant la notification à
la Commission des projets de norme technique.
Je me permets de vous faire remarquer que votre argumentation ne me paraît pas
tout à fait fondée : d'une part, notre dispositif ne modifie pas en substance
la loi du 28 mai 1996 mais il la complète pour les seuls jouets ; d'autre part,
ce n'est pas tant la loi que le décret qui est notifié à Bruxelles. Autrement
dit, le texte dont nous discutons actuellement le bien-fondé est détachable des
dispositions notifiées. Je ne pense donc pas qu'il soit nécessaire de modifier
le projet de texte réglementaire actuellement notifié.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - Après l'article L. 44-6 du code de la santé publique, il est
inséré deux articles L. 44-7 et L. 44-8 ainsi rédigés :
«
Art. L. 44-7. -
En vue de prévenir les risques pour la santé, le niveau sonore dans les lieux
de production ou de diffusion, permanente ou non, de musique amplifiée, ne peut
dépasser des niveaux continus équivalents de pression sonore de 90 décibels A
pendant une durée déterminée par décret et en tout endroit où peuvent se
trouver le public ou les clients.
« Dans la limite de 10 décibels, des décrets peuvent prévoir des valeurs
supérieures ou inférieures pour certains lieux en fonction des risques induits
pour la santé.
« Les contrôles de l'application du présent article sont effectués, aux frais
des établissements ou des organisateurs, dans les conditions prévues aux
articles 21 et 22 de la loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992 relative à la lutte
contre le bruit. Les mesures judiciaires et administratives applicables sont
celles prévues au titre V de ladite loi.
« Un décret précise les modalités de mesure du niveau sonore dans les lieux de
production ou de diffusion de musique amplifiée.
«
Art. L. 44-8. -
Les lieux de diffusion de musique amplifiée sont équipés de sonomètres
normalisés, dont les caractéristiques sont prévues par décret.
« Un message sanitaire destiné aux clients ou au public est affiché à l'entrée
de ces lieux. »
Par amendement n° 1, le Gouvernement propose, dans le premier alinéa du texte
présenté par cet article pour l'article L. 44-7 du code de la santé publique,
de remplacer les mots : « 90 décibels A » par les mots : « 95 décibels A ».
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
La proposition de loi indique un niveau de principe de
90 décibels A, en niveau continu équivalent de pression sonore, plus ou moins
10 décibels, ce qui donne une fourchette de 80 à 100 décibels.
Il paraît indispensable de relever légèrement ces niveaux de manière à avoir
une limite haute de 105 décibels A.
En effet, les travaux qui ont été menés avec les divers partenaires concernés,
notamment dans le cadre de la préparation d'un décret sur le bruit dans les
discothèques - c'est-à-dire là où il est indiscutablement le plus difficile de
régenter le niveau sonore - ont permis de constater que la limite de 105
décibels A, en niveau continu équivalent, était acceptable et qu'il n'était pas
possible de descendre au-dessous, sous peine de ne pas pouvoir, actuellement,
en assurer l'application.
M. Emmanuel Hamel.
Pourquoi ?
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Cette limite peut être acceptable, s'agissant d'un
domaine non réglementé jusqu'à présent, compte tenu, d'une part, des impératifs
de santé, d'autre part, de pratiques musicales habituelles qui constituent,
pour les jeunes, des espaces d'expression et de liberté auxquels ils sont très
attachés, et nous avec eux.
M. Emmanuel Hamel.
Il y a des libertés qui détruisent !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Louis Lorrain,
rapporteur.
La commission a donné un avis favorable sur cet
amendement.
En effet, le niveau de 95 décibels, qui n'a pas été retenu au hasard et qui
résulte d'un consensus obtenu à l'issue de longs débats, est certes plus élevé
que celui qui avait été initialement envisagé par la commission, mais il
demeure très inférieur à celui qui est généralement constaté tout en étant
acceptable pour les jeunes.
J'insiste une nouvelle fois sur le fait que les dispositions que nous adoptons
doivent être acceptées par les jeunes puisque c'est à ceux qu'elles sont
destinées.
Une législation fondée sur le respect de cette valeur de niveau sonore sera
donc tout à la fois protectrice de la santé - et la protection ne doit pas
passer nécessairement par la contrainte - et effectivement applicable.
La modification proposée par le Gouvernement nous paraissant tout à fait
réaliste, nous ne pouvons que l'approuver.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 2, le Gouvernement propose de compléter le second alinéa du
texte présenté par l'article 3 pour l'article L. 44-7 du code de la santé
publique par les mots : « et des pratiques musicales. »
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je retire cet amendement, dont l'application serait,
selon les informations qui nous ont été communiquées, un peu trop complexe pour
le moment.
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. le président.
L'amendement n° 2 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Intitulé
M. le président.
La commission propose de rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de
loi : « Proposition de loi tendant à diminuer les risques sanitaires liés à
l'exposition à la musique amplifiée. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé est donc ainsi rédigé.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission, je donne
la parole à M. Hamel, pour explication de vote.
M. Emmanuel Hamel.
Je souhaite évoquer devant M. le secrétaire d'Etat à la santé le problème du
bruit à l'hôpital.
Grand médecin, grand chirurgien dont le dévouement à l'étranger a fait la
fierté de la médecine française, il sait aussi ce que sont les hôpitaux.
Mais il est le chirurgien, le médecin qui arrive, qui soigne et qui repart.
Lorsque l'on est hospitalisé ou que l'on se rend au chevet d'une personne
malade, le bruit dans les hôpitaux prend une autre réalité : bruit des équipes
du matin qui arrivent à six heures du matin et manifestent le plaisir de
retrouver leurs amis qui ont assuré le service de nuit, vous réveillant au
moment où vous commencez à vous endormir ; bruit des chariots dans les cours
des hôpitaux qui vous réveille de jour comme de nuit ; bruits ayant toutes
sortes de cause...
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Vous avez entièrement raison !
M. Emmanuel Hamel.
Pourriez-vous engager une action, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que,
dans les années à venir, nos hôpitaux soient performants et le soient dans le
silence et le calme ?
(M. Carrère applaudit.)
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat.
Votre préoccupation est doublement la mienne, monsieur
Hamel : c'est la mienne car c'est celle de tout ministre de la santé qui se
respecte ; c'est la mienne parce que j'ai été hospitalisé pendant quelques
semaines.
Comme tous les malades de France, j'ai été confronté à la situation que vous
avez décrite, et non sans une certaine surprise : j'étais le ministre
hospitalisé, on faisait peut-être un peu plus attention, et malgré tout j'ai
été réveillé par les bruits de six heures du matin !
J'ajoute que ce réveil s'accompagne de l'intéressante pratique de la
distribution des thermomètres.
(Sourires.)
Médecin, je me suis demandé avec intérêt pourquoi la
température de six heures du matin était tellement importante ! La réponse
tient tout simplement dans les consignes qui régissent tout changement
d'équipe.
Tout cela est grotesque. Mais si, ce n'était que grotesque, ce ne serait rien.
Hélas ! c'est aussi très dommageable à la quiétude du malade.
Je suis donc entièrement d'accord avec vous, monsieur Hamel, et j'envisage de
prendre des mesures au cours des prochaines semaines, ou tout au plus des
prochains mois, dans le cadre de la réforme hospitalière interne, c'est-à-dire
de l'aménagement de l'hôpital.
Je me suis d'ailleurs demandé en vous écoutant s'il ne serait pas possible que
l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé, l'ANAES, prenne en
compte le niveau sonore des établissements pour leur évaluation, et leur
accréditation. Vous m'avez fourni là une très bonne idée !
La pose de moquette dans les couloirs, solution qu'avait envisagée la
prestigieuse équipe de chirurgie cardiaque de l'hôpital Broussais - équipe qui
a pourtant d'autres sujets de préoccupations - peut-être pas la solution
idéale, car la moquette abrite des parasites et peut générer des infections
iatrogènes. Mais ce qui avait motivé cette équipe à agir, c'est l'habitude
qu'ont prise les infirmières de se chausser de sabots, contre lesquels je n'ai
rien, sauf que, dans ce pays, ils sont bruyants, alors que, dans les pays
nordiques, ils ne le sont pas parce qu'il y a du caoutchouc.
L'équipe de Broussais a dû se rebeller pour obtenir la pose d'un revêtement
étouffant le bruit dans ce service qui abrite des malades opérés du coeur.
Même si le bruit n'est pas seul responsable - l'angoisse joue aussi - la
consommation majorée de neuroleptiques et d'hypnotiques à l'hôpital montre que
l'on y dort mal. Le sommeil est pourtant important pour le rétablissement des
malades.
Je vous remercie donc, monsieur Hamel, d'avoir soulevé ce problème, même si le
texte dont nous discutons n'est pas le cadre pour le résoudre.
D'ailleurs, légiférer serait sans doute en la matière délicat, car les équipes
hospitalières ont des habitudes qui ne sont pas le fait du hasard ; elles ont
des horaires et des contraintes pesantes qu'il est difficile d'alourdir encore.
Par exemple, il faut bien que les équipes hospitalières, au moment de la
relève, se transmettent les consignes.
En tout état de cause, je retiens l'idée de demander à l'ANAES de tenir compte
dans l'évaluation des hôpitaux de leur niveau sonore.
M. Emmanuel Hamel.
Je vous remercie de votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. le président.
La parole est à Mme Heinis.
Mme Anne Heinis.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au
terme de ce débat, l'objectif de santé publique que constitue la diminution des
risques de lésions auditives, notamment chez les jeunes, est atteint.
Le sensible accroissement des troubles de l'audition relevé parmi la
population jeune pourrait en effet trouver sa source dans diverses pratiques
actuelles d'écoute de la musique à de hauts niveaux sonores et pendant de
longues durées, collectivement ou individuellement.
Les atteintes auditives, parfois irréversibles, qui sont constatées soulèvent
une question de santé publique en même temps qu'un problème sanitaire et social
pour les jeunes concernés.
Le conseil supérieur d'hygiène publique de France s'en était préoccupé ; un
groupe de travail avait étudié la possibilité de limiter le niveau sonore des
baladeurs et examiné les mesures qui lui semblaient les mieux adaptées pour
réussir une campagne d'information et de sensibilisation auprès des jeunes.
Le groupe des Républicains et Indépendants se félicite donc que notre collègue
M. Louis Souvet ait pris toute la mesure de ce problème et ait proposé au Sénat
d'adapter la législation.
Les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales élargissent
encore la portée du texte initial : les jeunes - et plus largement le public -
seront mieux informés et la législation existante est utilement complétée par
la fixation d'un niveau sonore maximum, quels que soient les lieux, dans le
respect des goûts et des loisirs, en particulier du jeune public.
Aussi le groupe des Républicains et Indépendants votera-t-il les conclusions
du rapport de la commission des affaires sociales, tout en espérant que ce
texte pourra être rapidement examiné et adopté par l'Assemblée nationale.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des
affaires sociales sur la proposition de loi n° 194 (1996-1997).
(La proposition de loi est adoptée.)
7
COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT
M. le président.
M. le président a reçu le 15 janvier 1998 de M. le Premier ministre une
communication relative à la consultation des assemblées territoriales de la
Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis-et-Futuna sur le
projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre, par ordonnances,
les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du
droit applicable outre-mer.
Acte est donné de cette communication.
Ce document a été transmis à la commission compétente.
Mme le ministre de l'environnement ne pouvant nous rejoindre que vers dix-huit
heures pour la discussion des conclusions du rapport de la commission des
affaires économiques sur les trois propositions de loi relatives aux dates
d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs, le
Sénat va interrompre ses travaux jusqu'à son arrivée.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-huit heures
cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
8
DATES D'OUVERTURE ANTICIPÉE
ET DE CLÔTURE DE LA CHASSE
AUX OISEAUX MIGRATEURS
Adoption des conclusions modifiées du rapport d'une commission
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 177,
1997-1998) de Mme Anne Heinis, fait au nom de la commission des affaires
économiques et du Plan sur :
- la proposition de loi (n° 346 rectifié, 1996-1997) de MM. Roland du Luart,
Michel Alloncle, Bernard Barbier, Philippe de Bourgoing, Jean-Claude Carle,
Jean-Patrick Courtois, Désiré Debavelaère, Fernand Demilly, Marcel Deneux,
Michel Doublet, Alain Dufaut, Jean-Paul Emorine, Philippe François, Jean
Grandon, Mme Anne Heinis, MM. Gérard Larcher, Pierre Martin, Serge Mathieu,
Louis Mercier, Henri de Raincourt, Michel Souplet et Alain Vasselle, relative
aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux
migrateurs ;
- la proposition de loi (n° 359, 1996-1997) de M. Michel Charasse relative aux
dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs
;
- la proposition de loi (n° 135, 1997-1998) de M. Pierre Lefebvre, Mmes
Marie-Claude Beaudeau, Nicole Borvo, M. Jean-Luc Bécart, Mme Danielle
Bidard-Reydet, MM. Jean Derian, Michel Duffour, Guy Fischer, Paul Loridant, Mme
Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Robert Pagès, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme
Odette Terrade relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la
chasse des oiseaux migrateurs ainsi qu'à la réglementation de la chasse les
concernant.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, madame le ministre, mes chers collègues, les trois propositions
de loi que nous examinons ce soir ont un objet identique. Elles visent en effet
à résoudre un contentieux juridique qui n'a fait que s'aggraver : il s'agit de
l'application des dispositions de la directive du Conseil du 2 avril 1979 sur
la conservation des oiseaux sauvages relatives à la pratique de la chasse.
Ces propositions de loi traitent, en effet, des procédures de fixation des
dates d'ouverture et de fermeture de la chasse au gibier d'eau et au gibier de
passage. Elles prévoient, d'une part, de fixer par voie législative les dates
d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau, alors qu'elles étaient
jusqu'à présent décidées par arrêté ministériel selon l'article R. 224-6 du
code rural, et, d'autre part, en ce qui concerne la clôture de la chasse, de
modifier l'article L. 224-2 du code rural issu de la loi n° 94-591 du 15
juillet 1994, fixant les dates de clôture de la chasse aux oiseaux
migrateurs.
En 1994, l'adoption de cette loi, issue de plusieurs propositions de loi
identiques, avait déjà eu pour objet de lever les incertitudes juridiques qui
pesaient sur la détermination des périodes de chasse des oiseaux migrateurs et
qui avaient suscité un contentieux abondant à l'époque.
En effet, se fondant sur les données scientifiques et la méthode proposée par
le comité Ornis, c'est-à-dire le comité d'adoption de la directive de 1979, la
loi du 15 juillet 1994 a fixé un calendrier échelonné de clôture de la période
de chasse selon les espèces, tenant compte tout à la fois de la période du
début des migrations de chacune des espèces et de leur état de conservation.
De plus, pour assurer la souplesse du dispositif juridique ainsi proposé, le
dernier alinéa de l'article L. 224-2 du code rural prévoit que l'autorité
administrative peut avancer les dates de clôture, sous réserve que ce soit
avant le 31 janvier.
Hélas ! Loin de s'éteindre, comme on l'espérait, le contentieux s'est alors
déplacé sur l'interprétation du pouvoir dérogatoire reconnu au préfet et sur
l'étendue du pouvoir d'appréciation de ce dernier. Ce sont ces constatations
qui conduisent les auteurs des propositions de loi à déposer aujourd'hui de
nouvelles modifications à ce texte.
Je crois utile de faire le point sur les contentieux juridiques en cours et
sur les difficultés qui subsistent quant à la compréhension des phénomènes de
migration. En effet, nous devons disposer de tous les éléments d'appréciation
nécessaires à l'adoption d'une solution équilibrée et raisonnable pour la
chasse, solution qui soit conforme aux objectifs définis par la directive du 2
avril 1979 sur la conservation des oiseaux sauvages. Cette solution, en
application du principe de subsidiarité, doit être définie au niveau de chaque
Etat membre.
Je rappellerai tout d'abord que la directive du 2 avril 1979 sur la
conservation des oiseaux sauvages a pour objectif la conservation de tous les
oiseaux vivant naturellement à l'état sauvage en Europe, soit plus de quatre
cents espèces, « à un niveau » - ce sont les termes mêmes de la directive - «
qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et
culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ».
Les mesures propres à atteindre cet objectif de conservation s'appliquent bien
sûr aux différents facteurs qui peuvent agir sur le niveau des populations
d'oiseaux : l'interdiction de la destruction des nids et des oeufs, la
protection des habitats et, bien entendu, la réglementation de la pratique de
la chasse, qui n'est qu'un facteur parmi d'autres.
Cependant, il faut savoir - ce point est très important - que la chasse
constitue très explicitement, selon la directive, une activité admissible qui
contribue à la régulation des espèces et qui a des effets secondaires positifs
à travers les actions des chasseurs sur la préservation des milieux.
M. Roland du Luart.
C'est la vérité !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Par ailleurs, l'architecture même de la directive repose sur
la distinction entre espèces protégées et espèces chassables puisque l'annexe
II répertorie soixante-douze espèces chassables et que la France, en raison de
sa diversité biologique, en compte cinquante-neuf.
A ce propos, madame le ministre, j'attire votre attention sur le fait que, en
cas de contestation sur la traduction du nom des espèces, ce sont les annexes
de la directive qui font foi.
L'encadrement de la pratique de la chasse découle du paragraphe 4 de l'article
7 de la directive, qui interdit de chasser les espèces reconnues comme gibier
pendant la période nidicole et aux différents stades de reproduction et de
dépendance ; pour les espèces migratrices, l'interdiction s'applique en
particulier à la période de reproduction et à leurs trajets de retour vers leur
lieu de nidification.
Dans la pratique, la situation est assez complexe.
Dans son arrêt du 14 janvier 1994, la Cour de justice européenne explicite le
principe de protection complète des espèces qui s'applique pendant ces
différentes périodes. Mais cet arrêt n'interdit pas le principe de fermeture
échelonnée des périodes de chasse, à condition que l'Etat membre apporte la
preuve que cet échelonnement n'empêche pas la protection complète des espèces
concernées.
La loi du 15 juillet 1994 a donc fixé les dates de clôture de la chasse ;
mais, depuis, une trentaine de contentieux ont fait l'objet de jugements par
les tribunaux administratifs.
M. Jean-Louis Carrère.
C'était une mauvaise loi !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Il faut observer que ces jugements présentent des conclusions
divergentes sur la nature du pouvoir reconnu au préfet de déroger ou non au
calendrier échelonné des fermetures de chasse intégré dans l'article L. 224-1
du code rural par la loi. La jurisprudence est donc loin d'être unanime.
A l'échelon européen, la Commission est consciente des difficultés
d'interprétation posées par l'article 7 de la directive. Ces difficultés
résident dans la définition de termes de référence comme « trajets de retour »,
« reproduction » ou « dépendance ». La Commission a donc proposé de modifier le
texte pour y intégrer le principe d'une fermeture échelonnée de la chasse, qui
serait fonction de la précocité de la migration et de l'état de conservation
des espèces chassées.
Mais, en 1996, le Parlement européen a rejeté ce dispositif et, à une très
faible majorité, adopté un amendement beaucoup plus restrictif imposant une
date unique de fermeture de la chasse, fixée au 31 janvier. C'est l'amendement
van Putten.
Néanmoins, la Commission européenne ne souhaite pas aller dans ce sens, et
elle pourrait prochainement proposer d'instituer un régime dérogatoire de
chasse sur quatre semaines, au-delà du 31 janvier, à la condition que soient
mis en place des plans de gestion pour les espèces concernées.
M. Roland du Luart.
Tout à fait !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
En attendant, la Commission recommande d'appliquer la méthode
de la fermeture échelonnée.
Au regard de cette opportunité encore ouverte à l'échelon européen et qu'il
faut appuyer, on ne peut qu'être très inquet de la position du gouvernement
français. En effet, ce dernier semble s'être laissé volontairement entraîner
dans la voie d'une condamnation par la Cour de justice européenne, après un
recours en manquement introduit par la Commission sur la base des articles 169
et 171 du traité de Rome.
En effet, lors d'une réunion sur les précontentieux environnementaux, tenue à
Paris en mai 1997, les services de la Commission ont demandé communication du
rapport au Parlement prévu par la loi du 5 juillet 1994 et des rapports
scientifiques servant de base à ce rapport.
Certes, il faut constater et regretter que, faute d'avoir été rédigé en temps
voulu, le rapport au Parlement n'ait pas été transmis. Mais les deux rapports
respectivement établis par l'Office national de la chasse, en décembre 1996, et
par le Muséum national d'histoire naturelle, en mars 1997, eux, étaient prêts.
Or ils n'ont jamais été communiqués, bien qu'ils soient d'une grande valeur
scientifique et technique et qu'ils fondent la règle relative au régime des
périodes d'ouverture et de fermeture de la chasse en France. Ils constituaient
donc de très bons éléments de négociation vis-à-vis de Bruxelles qui, à juste
titre, les réclame.
Il est incompréhensible et très dangereux que le gouvernement français ait
refusé de les transmettre depuis mai dernier, ce qui nous vaut une lettre de
mise en demeure de la Commission européenne.
M. Philippe François.
C'est très grave !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Alors, faut-il en conclure que le Gouvernement a renoncé
volontairement à se défendre ? Et que, dans l'intention d'imposer en droit
interne une date unique de fermeture de la chasse, il attend une condamnation
de la Cour de justice européenne ?
Les chasseurs français jugeraient inacceptable une telle mesure, qui, de plus,
apparaîtrait comme terriblement réductrice eu égard à la diversité du phénomène
des migrations d'oiseaux.
Il faut rappeler à ce sujet que la chasse au gibier d'eau et aux oiseaux
migrateurs concerne la plupart des 1 600 000 chasseurs répertoriés en France,
et qu'elle se déroule sur tout le territoire national.
En outre, s'agissant de la compréhension du phénomène des migrations et de la
difficulté à définir les termes utilisés par la directive, il faut savoir
prendre en compte les marges de variation des phénomènes biologiques, qui n'ont
pas un caractère « mécanique ». Il faut repérer les mouvements de l'espèce ou
d'une population, et non de quelques individus isolés qui ne sont pas
significatifs, c'est-à-dire raisonner sur des moyennes. Enfin, il faut ne pas
oublier que, pour la plupart des migrateurs, le territoire français constitue
une zone de recouvrement entre les zones d'hivernage et les zones de
reproduction, ce qui ne permet pas de savoir
a priori
, face à tel
individu isolé, s'il a passé l'hiver en France ou s'il vient d'y arriver.
L'identification des mouvements migratoires est, pour cette raison, très
complexe à réaliser, mais, pour autant, on ne peut pas imposer une date unique
de fermeture en arguant du risque de confusion en février entre les espèces
encore chassables et celles qui ne le sont plus, alors que ce risque existe,
bien évidemment, toute l'année et à une plus grande échelle entre espèces
protégées et espèces chassables.
Par ailleurs, signalons que ce risque a été accepté dès l'origine par la
directive du 2 avril 1979.
De plus, on rappellera que les chasseurs sont bien formés, qu'ils savent quel
gibier ils ont le droit de tirer, et que, en cas de doute, un bon chasseur ne
tire pas. C'est une règle de base élémentaire. De toute façon, le code pénal
sanctionne les erreurs de tirs.
Compte tenu de ces observations, je vous proposerai donc de reprendre le
contenu des deux propositions de loi n°s 346 rectifié et 359, en y ajoutant un
dispositif qui rend obligatoires les plans de gestion pour certaines des
espèces chassées entre le 31 janvier et le dernier jour du mois de février.
Cette proposition tendant à instituer des plans de gestion est d'ailleurs
soutenue dans l'exposé des motifs de la proposition de loi n° 135, déposée par
nos collègues communistes.
Il s'agirait, pour les espèces d'oiseaux dont les populations évoluent
défavorablement, d'aller au-delà du principe d'une fermeture de la chasse
avancée au 10 ou au 20 février, en instituant des plans de gestion de ces
espèces. Ces derniers, en se fondant sur des données scientifiques et
techniques fiables, autoriseraient une exploitation dynamique - j'insiste sur
ce mot - des populations d'oiseaux concernées.
A ce titre, il faut d'ailleurs noter que la proposition de la commission des
affaires économiques s'inspire très directement de l'amendement proposé par la
commission de l'agriculture du Parlement européen en mars 1996 et qu'elle
pourrait être reprise à son compte par la Commission européenne.
En conclusion, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues,
je voudrais insister sur notre volonté de proposer un dispositif permettant de
concilier, d'une part, les obligations de la France découlant du respect de la
directive du 2 avril 1979 sur la protection des oiseaux sauvages et, d'autre
part, le respect du principe de subsidiarité s'agissant de la mise en oeuvre de
cette directive. Nous pourrons ainsi, en accord avec les objectifs européens,
prendre en compte les spécificités de l'exercice du droit de chasse sur le
territoire national, qui est - je le rappelle - un héritage de la Révolution
française et auquel tous les chasseurs de notre pays sont très attachés.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule à
mon intervention, je souhaiterais présenter mes remerciements à tous ceux qui
ont oeuvré pour que ce texte soit discuté en séance publique devant la Haute
Assemblée.
Ma gratitude ira, tout d'abord, aux membres du groupe « Chasse et pêche » du
Sénat, que j'ai l'honneur de présider, car ils ont travaillé activement à
l'élaboration d'un texte d'ensemble sur la chasse aux oiseaux migrateurs.
Je dois préciser que notre texte a fait l'objet, au sein de ce groupe, du plus
large consensus, à la recherche duquel les apports de notre collègue Michel
Charasse, pour ne citer que lui, ont été particulièrement utiles.
Mes remerciements iront, ensuite, au président Henri de Raincourt, dont
l'intervention décisive a permis l'inscription à l'ordre du jour des trois
propositions de loi qui nous sont soumises en discussion commune.
Ils iront, enfin, à la commission des affaires économiques et du Plan, à son
président, Jean François-Poncet, et à son rapporteur, Anne Heinis. Le rapport
qu'ils ont établi et les modifications qu'ils ont adoptées sur le texte initial
de la proposition de loi constituent un ensemble remarquable, tant par sa
précision que par son objectivité et sa modération. Je lis dans l'unanimité qui
a conclu les travaux de leur commission le présage que ce texte recueillera le
plus large consensus au Palais du Luxembourg comme au Palais-Bourbon.
Je ne reviendrai pas dans le détail sur le dispositif tel qu'il ressort des
travaux de la commission saisie au fond. Les explications que vient de
présenter à la tribune notre éminente collègue Anne Heinis et les
développements contenus dans son remarquable rapport écrit ont, si je puis
dire, assez largement épuisé le sujet. Je souhaiterais toutefois apporter
quelques appréciations d'ensemble sur l'évolution du droit de la chasse en
France depuis un certain nombre d'années.
Nous allons aujourd'hui, mes chers collègues, parachever une évolution de long
terme, à savoir le passage de la chasse-cueillette à la chasse-gestion. Après
les plans de chasse au grand gibier, après les groupements d'intérêt
cynégétique et les plans de chasse départementaux du petit gibier, nous allons
voter le principe de plans de gestion de certaines espèces d'oiseaux dont
l'état de conservation ne serait pas favorable.
Il s'agit là d'une évolution tout à fait remarquable, souvent mal connue de
nos compatriotes, qui parachève les actions de gestion des espèces et des
espaces conduites sur leurs territoires par les détenteurs de droits de
chasse.
Ma deuxième remarque sera brève et portera sur l'articulation entre le droit
interne, d'une part, et le droit communautaire et international, d'autre part.
Elle sera d'une tonalité moins optimiste.
Sur les vingt dernières années, je constate en effet que le droit externe, si
je puis employer ce terme, a été plus une source de perturbation qu'un facteur
d'enrichissement. Les gouvernements successifs ont toujours abdiqué, je dois le
reconnaître - même si le terme est un peu fort - devant les autorités
communautaires.
Ils ont accepté successivement des textes illégaux par manque de fondement
juridique - je pense à la directive de 1979 - des textes qui ne pouvaient être
pris qu'à l'unanimité et auquel le ministre de l'époque était officiellement
défavorable - je songe au règlement sur les pièges à mâchoires - puis des
textes qui étaient en contradiction manifeste avec le principe de subsidiarité
qui nous est particulièrement cher. La liste est malheureusement longue, et les
rapports successifs de nos collègues Hubert d'Andigné, Philippe François et
Jean-François Le Grand sont là pour nous le rappeler.
Alors que l'Europe devrait, à mon sens, parachever les réglementations
nationales en les inscrivant harmonieusement dans l'espace communautaire, elle
semble s'efforcer, au contraire, de les affaiblir et de les uniformiser. Cette
situation n'est pas convenable, c'est le moins que l'on puisse dire.
M. Philippe François.
Elle n'est pas acceptable !
M. Roland du Luart.
Ma troisième remarque portera sur le principe de la fixation par la loi de
l'échelonnement des dates de clôture. D'une part, il faut rappeler que ce
principe a été reconnu comme pertinent par toutes les autorités scientifiques
compétentes. D'autre part, et en démentant ainsi les critiques apportées à la
loi de 1994, sa fixation par la loi et non par un texte réglementaire a
constitué un système souple et efficace.
C'est ainsi que ma proposition de loi, se fondant sur les observations
ornithologiques les plus récentes, tend à apporter quelques modifications à la
loi de 1994 pour plusieurs espèces : certaines d'entre elles verront leur
période de chasse allongée, tandis que d'autres verront raccourcir leur période
de chasse autorisée après le 31 janvier. Bref, cet échelonnement constitue, à
mes yeux, le moyen le plus efficace pour assurer une exploitation équilibrée
des espèces.
Les plans de gestion, dont je voudrais dire maintenant quelques mots,
viendront compléter ce dispositif. Lorsqu'ils s'avéreront nécessaires pour
rétablir les effectifs de certaines espèces, ils devront faire l'objet d'une
élaboration fondée sur la concertation et le pragmatisme.
La concertation implique que les associations de chasseurs - je pense
notamment à l'Association nationale des chasseurs de gibier d'eau, qui
accomplit un travail scientifique remarquable - aient voix au chapitre.
Le pragmatisme commande de ne pas concevoir des plans uniformes, département
par département, mais au contraire de mettre au point des outils de gestion
performants et adaptables. Ils devront donc tenir compte des dates de trajet de
retour et de l'état des populations pour contrôler la validité scientifique de
l'échelonnement des dates de fermeture.
Compte tenu du manque de recul et du caractère nécessairement expérimental de
ces plans, il convient donc de ne pas les surcharger dès à présent de
dispositions trop pointillistes. Soyons modestes et patients, car c'est le
meilleur moyen d'être efficace à long terme.
Bien entendu, nous pourrons progresser avec le temps et l'expérience
accumulée. C'est dans cet esprit que j'ai déposé l'amendement n° 1 rectifié,
que j'aurai ainsi défendu par anticipation.
Je suis persuadé - disant cela je me fais l'écho de l'ensemble du groupe «
Chasse et pêche » du Sénat, qui regroupe les sensibilités les plus diverses -
que le texte que nous allons voter aujourd'hui est un texte qui consacre une
chasse moderne, une chasse fondée sur les meilleures connaissances
scientifiques, soucieuse de préserver et de reconstituer les habitats, orientée
ves la gestion raisonnée et dynamique des espèces.
Mais cette avancée juridique doit s'accompagner d'une révision de la directive
de 1979.
Cette directive - nous devons en être conscients - n'est pas un texte
rationnel fondé sur l'objectif de préservation des espèces. C'est un texte
politique orienté vers la suppression progressive de la chasse et inspiré par
des idéologues. C'est la raison essentielle pour laquelle sa modification se
révèle si difficile : les intégristes de l'écologie craignent, en effet, le
débat scientifique et se réjouissent de l'existence d'un texte obscur, vague et
contradictoire qui permet toutes les exégèses.
M. Philippe François.
Très bien !
M. Roland du Luart.
L'Office national de la chasse, l'Union nationale des fédérations de chasseurs
et l'Association des chasseurs de gibier d'eau ont avancé des propositions de
modification que je juge excellentes.
La directive doit comporter un mécanisme fixant l'échelonnement des périodes
d'ouverture de la chasse pour chaque pays, adapté aux particularismes locaux.
C'est la raison pour laquelle nous souhaitons tous, au Sénat, qu'un dialogue
fructueux soit établi avec la Commission de Bruxelles.
La gestion des prélèvements apparaîtra comme le seul critère adapté à cette
obligation. Conjuguée à des dates de fermeture de la chasse définies par pays
et adaptées aux exigences des oiseaux, la fixation d'un « potentiel gibier »,
par référence aux tendances d'évolution et à la composition qualitative de
chaque population d'oiseaux, est en effet le seul mécanisme adapté à une
gestion véritablement rationnelle des oiseaux migrateurs.
Voilà, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais
développer à cette tribune. En complimentant de nouveau la commission pour
l'excellence de ses travaux, je forme le voeu que ses conclusions puissent être
adoptées à l'unanimité. Seule l'unanimité du Sénat, j'insiste sur ce point,
garantira l'avenir de ce texte.
M. Philippe François.
Absolument !
M. Roland du Luart.
Certains amendements, qui s'écartent de son objectif initial, mériteraient
d'être analysés plus en détail. Je peux prendre l'engagement solennel, à cette
tribune, que le groupe « Chasse et pêche », en harmonie, bien sûr, avec la
commission, les étudiera avec minutie, dans le souci permanent qui est le sien
de dégager un consensus entre tous, amoureux de la nature et amoureux de la
chasse.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, qu'arrive-t-il
pour que le Sénat débatte, ce soir, de questions aussi importantes ?
M. Philippe François.
Pour vous !
(Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère.
Pour nous, mon cher collègue !
(Nouveaux sourires.)
J'ai le souvenir d'un débat, en 1994, où je m'étais ému en m'apercevant
que les intentions qui animaient les promoteurs d'une loi risquaient de se
retourner contre eux. Je leur avais dit alors : « Attention, le remède peut
être pire que le mal, surtout si, concomitamment, la modification souhaitée de
la directive "oiseaux" n'intervient pas ».
Force est de constater, madame la ministre, mes chers collègues, que les
craintes que j'exprimais à l'époque se sont révélées exactes. Qu'est-il arrivé
en effet ? Nous n'avons cessé d'aller d'arrêté cassé en arrêté cassé, de
frustration en frustration, de dépit en dépit et, jour après jour, se sont
amplifiées, dans nos régions, la grogne, l'incompréhension et les
manifestations de mécontentement légitime des chasseurs.
Car enfin, madame la ministre, mes chers collègues, comment pourrait-on dire
sans s'émouvoir à ces femmes et à ces hommes qui peuplent nos campagnes : «
Vous n'êtes plus nombreux, vous ne représentez que 10 % de la population, vous
n'avez plus voix au chapitre. Vous êtes bons, mesdames et messieurs, à cultiver
les champs, à entretenir vos campagnes. Les traditions, les possibilités de
distraction, ce qui vous permettait d'avoir une qualité de vie, c'est terminé !
C'est nous, les citadins, nous qui avons quitté nos campagnes, qui allons
décider pour vous, qui allons réguler les espèces, qui allons vous dicter vos
comportements, qui allons vous expliquer comment vous devez vous conduire,
quand vous devez chasser, ce que vous devez chasser et en quelle quantité, tout
cela sans vous y associer ! » ?
M. Roland du Luart.
Très bien !
M. Jean-Louis Carrère.
C'est inacceptable ; il faut que l'on rompe avec cette méthode et, sans faire
de démagogie, que tous les intéressés se mettent autour d'une table pour
trouver les solutions adaptées à cette légitime préoccupation.
M. Roland du Luart.
Tout à fait !
M. Jean-Louis Carrère.
Qu'on me pardonne de m'enflammer ainsi, mais je suis passionné à la fois par
la vie rurale, le monde rural, et par la chasse et la pêche.
J'ai enseigné l'instruction civique à plusieurs générations d'enfants. Je leur
ai appris à se comporter avec respect envers l'environnement, envers la nature.
Aussi, je ne souris pas lorsqu'on ne me reconnaît pas le droit, ainsi qu'à bien
des femmes et des hommes de ma trempe qui vivent dans ces régions-là,
d'affirmer que je respecte la nature, au prétexte que nous pratiquerions - quel
délit ! - qui la chasse, qui la pêche, fût-elle à la mouche, que beaucoup
d'entre ceux qui voudraient nous l'interdire ne connaissent absolument pas
parce qu'ils n'ont jamais su faire la différence entre une poule et un coq,
entre un coq de trois ans et un coq moins âgé, parce qu'ils ne reconnaissent
pas une plume qui se tient à la surface de l'eau et qui permet de construire
une mouche efficace...
M. Philippe François.
Exactement !
M. Jean-Louis Carrère.
J'arrête là ma démonstration !
M. Philippe Madrelle, président du conseil général de la Gironde, et M.
Bernard Dussaut, sénateur de ce même département, profondément inquiets au
regard de ce qui se passe en ce moment en Aquitaine à ce sujet et qui n'ont pu
être des nôtres cet après-midi, se joignent à moi pour exprimer, par ma voix,
la colère des Girondins et la frustration qu'ils nourrissent compte tenu des
préoccupations qui sont les leurs.
En quelques mots, madame la ministre, je veux vous dire avec beaucoup de
solennité ce que je demande au gouvernement que je soutiens.
Je lui demande quelle est sa stratégie, quel est son choix. En clair, je lui
demande trois choses qui, pour les hommes et les femmes qui peuplent les
campagnes de l'Aquitaine, sont très importantes.
D'abord, je lui demande de prendre l'engagement d'oeuvrer à la modification de
la directive 79/409/CEE du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux
sauvages. Sans cette modification, madame la ministre, quelles que soient les
bonnes intentions, et le texte proposé par M. du Luart, et le texte proposé par
M. Charasse, et le texte proposé par mon ami M. Lefebvre, que je défendrai,
resteront sans effet.
Je demande, ensuite, au Gouvernement de défendre la loi Verdeille.
Madame la ministre, j'habite dans les Landes, département rural qui compte 310
000 habitants. Dans ce département, toutes les communes connaissent une
association communale de chasse agréée, une ACCA, et j'ai la ferme volonté de
vous démontrer, à cette tribune, que je défends la pratique de la chasse
populaire, une pratique de la chasse responsable.
Sans ACCA - je pèse mes mots - il n'y aurait plus de chasse dans ce
département peu peuplé et immense. On voit déjà fleurir, sur des aires très
importantes de son territoire, des chasses qui ne correspondent pas du tout à
la loi Verdeille, qui ne correspondent pas du tout à l'établissement des ACCA,
qui ne correspondent pas du tout à nos habitudes et aux chasses populaires.
En quelque sorte, je demande que la loi Verdeille soit, pour le Gouvernement,
une loi d'airain, et que tout soit fait pour la défendre, sans méconnaître les
difficultés juridiques et d'ordre pratique auxquelles nous serons
confrontés.
S'agissant d'une chasse très spécifique et très particulière dont je n'aime
pas beaucoup parler parce que je considère que moins on en parle, mieux on se
porte, je veux être très clair.
L'occasion m'est en effet donnée ici, ce soir, de parler - mes amis landais ne
comprendraient pas que je ne le fasse pas - de la chasse au bruant ortolan.
Je ne ferai pas une longue digression sur ce sujet - encore que cela pourrait
présenter un certain intérêt d'expliquer comment elle se pratique, quelles sont
ses origines et ce à quoi elle peut concourir.
Cela pourrait également permettre à des scientifiques de se rendre compte que,
lorsqu'on veut procéder à des comptages, il vaut mieux essayer de le faire de
nuit - encore que ce soit très difficile et que l'on n'y soit pas bien parvenu
- que, lorsqu'on recherche des zones de nidification, il ne faut pas exclure
certains zonages pour arriver à démontrer qu'une population d'oiseaux serait,
par exemple, en voie non pas d'extinction mais de diminution.
Il serait également intéressant de connaître la durée de vie moyenne du bruant
afin de ne pas se tromper en disant qu'un oiseau de trois ans est un oiseau
jeune. Non, à cet âge, il est presque au terme de sa vie puisque, si mon
enseignement a été bon, la moyenne de vie de l'espèce n'est pas beaucoup plus
longue.
Soucieux de ne pas m'étendre sur cette chasse au bruant, je dirai simplement,
madame la ministre, que, depuis longtemps, nous demandons un moratoire - le
temps nécessaire, pas trop long pour qu'il soit crédible - avec des commissions
d'experts indiscutables, pour, ainsi que nous l'avons toujours dit, pouvoir
nous conformer, après que nous aurons pris connaissance du rapport, en cas de
diminution de l'espèce, à une limitation des prélèvements, en cas de mise en
danger, à un arrêt de ces prélèvements et, en cas de stagnation ou
d'accroissement de la population, à une légalisation de cette pratique qui pose
de nombreux problèmes... dont je ne veux pas abreuver le Sénat.
Madame la ministre, mes chers collègues, tout cela constitue - je le dis pour
que ce soit bien clair - ce que j'appellerai une stratégie diplomatiquement
correcte, non pas de contournement, mais qui part de la réalité des choses, qui
va jusqu'à une modification de la directive et qui propose une législation
adaptée pour rompre avec cet environnement cahotique qu'est la législation sur
la chasse.
Mais je veux dire très solennellement aussi que, si nous y étions contraints,
nous n'hésiterions pas à contester la légalité même de la directive. Telle
n'est pas notre intention première, mais sachez que, si nous n'étions pas
entendus, ce serait notre stratégie ultime.
M. Philippe François.
On la suivrait !
M. Jean-Louis Carrère.
Que dire des propositions de loi, que ce soit celle de M. du Luart ou celle de
M. Charasse, qui sont parvenus à une harmonie ?
Je comprends leurs objectifs. Elles procèdent d'une bonne intention et d'un
bon sentiment. C'est pour corriger les insuffisances de la loi Lang que nos
collègues nous proposent un cadre général relatif aux ouvertures et aux
fermetures qui devrait permettre aux chasseurs de savoir en quelque sorte à
quelle date ils peuvent commencer à chasser et à quelle date ils doivent
cesser.
Tout aussi intéressante est l'idée des plans de gestion. Objectivement, j'y
souscris. Mais, dans le même temps, je pense à cette image qu'utilisait un
vieil ami de Gironde.
Cet ami me disait : « Ecoute-moi, mon garçon : imagine un seul instant que tu
construises une maison et que tu fasses appel pour cela à un architecte » -
n'ayez crainte, je n'en veux pas à la profession d'architecte, bien au
contraire. « Un an après, ta maison s'effondre. Feras-tu appel au même
architecte pour la reconstruire ? »
Je crains que la démarche très respectable qui vous conduit, après la loi
Lang, à déposer une proposition de loi un peu de la même veine ne nous conduise
de la même manière dans le mur. C'est la crainte que j'évoque devant vous, même
si je n'ai pas l'intention de m'opposer à ce que vous qualifiez d'« avancée.
»
M. Roland du Luart.
Vous dialoguez avec la commission ?
M. Jean-Louis Carrère.
Tout à fait !
Il me semble, moi, Aquitain, que la proposition de loi initiée par nombre de
chasseurs membres ou sympathisants d'une association que je n'ai jamais entendu
citer, et je le regrette, à savoir l'Union nationale de défense des chasses
traditionnelles, et présentée par mes amis du groupe communiste républicain et
citoyen correspond beaucoup mieux à la défense des chasses traditionnelles en
général et à leur défense en Aquitaine en particulier. C'est, vous le
comprendrez, quelque chose à quoi je suis et je reste très attaché.
C'est la raison pour laquelle, si j'en avais la possibilité, je vous dirais
madame le rapporteur, mes chers collègues : « Vous choisissez cette stratégie,
très bien ! Je l'accepte avec vous. Mais alors, pourquoi ne pas discuter de la
proposition de loi n° 135 plutôt que des deux autres ? » Je ne rejette pas ces
dernières, mais elles sont loin d'être complètes et de nature à résoudre une
partie des problèmes qui se posent.
De surcroît, cette proposition de loi n° 135 règle des problèmes qui sont très
importants pour la région Aquitaine et pour le département des Landes. Je sais
que vous avez travaillé avec les chasseurs de gibier d'eau : elle règle, par
exemple, le problème de la chasse de nuit, qui n'est pas résolu dans la
proposition que vous avez faite vôtre. Je ne vais pas entrer plus dans le
détail, car je ne veux pas allonger ce débat qui, pourtant, me passionne.
De même, l'idée de comités locaux, placés, bien sûr, sous la tutelle de
scientifiques, réunissant chasseurs et non-chasseurs, qui fixeraient les dates
d'ouverture et de fermeture de la chasse, me paraît intéressante.
Mme Heinis, tout à l'heure, a évoqué des phénomènes migratoires. Vous le savez
tous, vous qui êtes des hommes et des femmes de la nature, ces phénomènes
migratoires sont étroitement liés à la climatologie et à la reproduction des
espèces. C'est-à-dire que des dates fixées une fois pour toutes pour la France
entière n'auraient guère de signification aux niveaux locaux.
Je souris lorsque j'entends dire qu'on va autoriser la chasse à la palombe de
telle date à telle date. A Paris, on ne l'appelle pas la palombe ; pourtant, il
y en a partout. Les Parisiens ne savent pas ce que c'est. Il y en a dans le
jardin du Luxembourg ! Il s'agit du pigeon ramier, ce bel oiseau qui a des
bandes blanches et qui, quand il vieillit un peu, a un collier magnifique
autour du cou. Il a une apparence beaucoup plus belle que le pigeon
ordinaire.
Je pourrai donc chasser la palombe dans les Landes à partir de l'ouverture de
la chasse. Mais, mesdames, messieurs, il n'est jamais passé une palombe dans
les Landes, ni d'ailleurs sur l'Aquitaine, avant... soyons honnêtes... la
première décade d'octobre. On peut donc donner une autorisation de chasser.
Mais à quoi cela sert-il ?
On nous dit aussi que nous pourrions chasser la bécasse -
scolopax
rusticola
-, celle qui a un grand bec et une plume de peintre et qui se
laisse difficilement attraper. (
Sourires.
) Certes, on peut chasser la
bécasse ! Mais depuis trente-cinq ans que je m'intéresse à ces gibiers, j'ai
peut-être assisté à un ou deux envols de bécasses dans nos régions avant le
mois de novembre !
M. Philippe François.
Exactement ! Comme partout ailleurs !
M. Jean-Louis Carrère.
Il faut donc se méfier de ces espèces d'offres un peu candides qui ne riment à
rien et qui ne résolvent aucun problème.
En résumé, madame la ministre, mes chers collègues, outre les trois demandes
que j'ai présentées avec beaucoup de solennité et de gravité au Gouvernement,
je voudrais insister sur le fait que, si vous acceptez d'examiner la
proposition de loi n° 135 signée par mon ami Pierre Lefebvre et les membres du
groupe communiste républicain et citoyen, je participerai au débat. Dans le cas
contraire, et bien que je reconnaisse objectivement les bonnes intentions qui
sous-tendent les conclusions de la commission, le groupe socialiste serait
conduit non pas à s'opposer au texte, mais à s'abstenir.
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il existe
actuellement un profond mécontentement parmi les chasseurs, que l'on aurait
tort de sous-estimer. La manifestation nationale du 14 février prochain, à
Paris, par son importance attendue et par son organisation, sera un indicateur
de la grogne qui monte au sein de la population des chasseurs, grogne qui n'est
d'ailleurs pas nouvelle mais qui s'exprime depuis plusieurs années.
Le problème qui nous est posé est d'ordre juridique ; mais, au-delà de cet
aspect, c'est bien l'avenir de la chasse française et la pérennité de ses
traditions, y compris régionales, qui doivent nous préoccuper.
La non-conformité de notre droit avec les objectifs d'une directive européenne
pose la question du partage des responsabilités entre l'échelon national et
l'échelon communautaire, de l'autre.
Malgré l'existence du principe de subsidiarité, force est de constater que
cette directive de 1979, qui concerne la conservation des oiseaux sauvages,
sert de référence aux attaques contre le droit de la France à décider elle-même
des conditions de la politique de la chasse aux oiseaux migrateurs.
De surcroît, la légalité de cette directive reste tout à fait à démontrer,
dans la mesure où l'environnement, à cette époque, ne relevait, au moment de sa
signature, ni de la politique communautaire ni du traité de Rome. Nous
n'échapperons donc pas, tôt ou tard, à une nécessaire modification de cette
directive, ce sur quoi je demande au gouvernement que je soutiens de s'engager,
quel que soit, par ailleurs, le texte définitif qui sera adopté par notre
assemblée.
Fondamentalement, est-il acceptable que la Commission européenne, au mépris de
nos coutumes, de nos traditions, du droit français, dont nous sommes les
garants, soit en mesure d'imposer un modèle de chasse uniforme dépourvu de
toute référence à notre identité nationale ? Non, ce n'est pas acceptable !
Certes, nous devons adapter notre règlement aux objectifs européens dans la
concertation, puisque les oiseaux migrateurs n'appartiennent à personne ; mais
il nous faut le faire de façon intelligente, démocratique et transparente. Le
respect de la diversité de nos pratiques de chasse constitue une condition et
non un obstacle à la nécessaire protection des oiseaux migrateurs.
C'est la raison pour laquelle notre proposition de loi a été élaborée en
concertation avec les associations de chasseurs, dans le souci d'actualiser, de
moderniser et de simplifier le code rural. Nous souhaiterions promouvoir une
chasse tout à la fois traditionnelle, gestionnaire, raisonnable et
transparente.
Le texte proposé par le groupe communiste républicain et citoyen présente
aussi, me semble-t-il, une vertu pédagogique. Des mesures exclusivement
restrictives infantilisent le chasseur au lieu de le responsabiliser. Nous
pensons que celui-ci doit être partie prenante pour l'élaboration des règles de
chasse. Une règle imposée et incomprise ne peut susciter que la méfiance et
l'indiscipline. Pour qu'elle soit respectée, une concertation préalable,
démocratique et contradictoire, est nécessaire. En somme, nous militons pour un
chasseur citoyen au lieu d'un chasseur coupable et injustement montré du
doigt.
La défense de notre proposition de loi ne m'amène pas pour autant à jeter le
discrédit sur les deux autres propositions de loi, de nos collègues MM.
Charasse et du Luart.
Les uns et les autres, nous sommes d'accord sur le calendrier des ouvertures
anticipées de la chasse. Certes, pour ce qui nous concerne, nous avions fait
une exception pour le Calvados, mais nous n'avions fait, en cela, que
reprendre, pour la respecter, une dérogation qui avait été accordée à ce
département par Mme Lepage, ministre de l'environnement du précédent
gouvernement, et par l'Office national de la chasse.
On entend dire ici ou là qu'il n'est pas raisonnable de fixer par voie
législative un calendrier aussi précis des dates d'ouverture et de fermeture.
Certes, les conditions climatiques, météorologiques, ont une influence sur les
conditions des migrations. Mais les données scientifiques en notre possession
nous confirment que leurs périodes sont toujours sensiblement identiques. Les
dates que nous proposons d'adopter par voie législative visent donc à
rationaliser la chasse, à préserver des espèces, étant précisé que, comme
aujourd'hui, les préfets peuvent modifier ces dates si la nécessité s'en fait
sentir.
En outre, nous proposerons des amendements sur des points que nous paraissent
essentiels.
Madame la ministre, la position de notre groupe se veut ouverte et
constructive. Nous ne faisons pas le choix de tel camp contre tel autre. Je ne
suis d'ailleurs pas du tout convaincu que l'opposition entre chasseurs et
défenseurs de la nature soit fatale, bien au contraire. Les chasseurs ont tout
intérêt à ce que la nature soit sauvegardée et la population d'oiseaux sauvages
protégée ; ils y contribuent d'ailleurs par leurs prélèvements et en
entretenant des habitats naturels.
Nous voudrions contribuer à ouvrir un espace de dialogue et de concertation
entre les différentes parties concernées pour que soient sauvegardées et la
pratique de la chasse traditionnelle et la préservation des espèces.
La chasse n'est donc pas, comme on tente de la caricaturer, une activité
sportive où le chasseur réalise un score qu'il tentera de battre à la prochaine
expédition. Il s'agit véritablement d'une pratique culturelle, sociale et
écologique. J'oserai dire, au risque de choquer certaines susceptibilités, que
la chasse est un art, une passion, qui se pratique avec honneur, droiture et
une certaine noblesse d'esprit.
M. Philippe François.
Exactement !
M. Pierre Lefebvre.
Que l'homme participe au mouvement perpétuel de création - destruction de la
nature n'est-il pas essentiel à sa propre survie ? Isolé de ce mouvement
cyclique, l'homme devient un être abstrait. Les chasseurs contribuent ainsi à
perpétuer ce rapport particulier et primordial.
Ils contribuent aussi, selon moi, à entretenir ces traditions qui imprègnent
notre sol natal et l'histoire de nos ancêtres. Si le législateur n'intervient
pas en faveur d'une chasse rationnelle et transparente, il risque de se
développer des chasses privées, réservées à quelques fortunés, parallèlement à
une montée des pratiques illégales.
Que des exactions existent ici ou là, nul ne le nie, mais elles demeurent
individuelles et très minoritaires. Les principales victimes en sont d'ailleurs
les chasseurs eux-mêmes.
Madame la ministre, vous ne pouvez pas ne pas entendre cet appel à la
responsabilisation et la réglementation lancé par les associations de
chasseurs. Nous vous invitons à saisir cette opportunité.
Certes, par notre proposition de loi, nous ne prétendons pas apporter la
solution miracle, mais elle peut constituer une base sur laquelle des
orientations et des méthodes nouvelles pourront être explorées.
Il est nécessaire, madame la ministre, de dépasser les divergences stériles
d'hier. Vous avez déclaré cette semaine, dans une interview à un grand journal
national, que toute aventure collective supposait le débat. C'est bien ce à
quoi nous vous invitons pour ce qui nous préoccupe en cet instant.
L'opposition n'est plus entre tradition et modernité, entre pratique
culturelle et protection de la nature, elle serait plutôt entre diversité et
uniformité, entre respect des principes républicains, démocratiques, et retour
au féodalisme.
La chasse est un droit acquis de la Révolution française. C'est à l'Etat
français qu'il revient d'en garantir l'exercice dans les principes de liberté
et d'égalité.
Telle est la philosophie de notre proposition qui doit vous aider, madame la
ministre, ainsi que le Gouvernement, à défendre à Bruxelles, dans ce domaine,
l'identité française.
Cette proposition répond bien à l'attente de tous les chasseurs, qui ne
veulent pas d'une loi Lang dont ils ont déjà fait l'expérience, sans résultat
positif, puisqu'aujourd'hui des chasseurs et des associations de chasse sont
traduits en justice.
En outre, notre proposition prend en considération la diversité des situations
des différentes chasses et des différentes régions, avec chacune leur
tradition, ce qui en fait son intérêt et sa force.
Enfin, notre proposition permet à la France d'engager tout de suite la
négociation avec l'Europe et de faire respecter la volonté et l'originalité
françaises.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter la
proposition n° 135 que vous propose le groupe communiste républicain et
citoyen.
(M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. le président.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Monsieur
le président, messieurs les sénateurs, madame, c'est un texte délicat que nous
examinons aujourd'hui.
Depuis qu'elle n'est plus motivée par des besoins alimentaires, la chasse est
devenue pour beaucoup une passion et donc l'objet de contestations.
Déjà dans la Grèce antique, Solon, un homme d'Etat athénien, avait cru bon
d'interdire la chasse parce qu'elle détournait des activités utiles à la
cité.
Plus près de nous, en France, les possédants s'en arrogèrent le privilège avec
quelquefois des arguments similaires à ceux qui avaient été avancés par Solon.
Ainsi, l'ordonnance de 1515 signée par François Ier réserve la chasse aux
nobles et bourgeois vivant de leurs rentes ou héritages. En effet, en chassant,
ne perd-on pas un temps précieux qui pourrait être utilement employé aux
travaux des champs ? Henri IV et Louis XIV renforcèrent ce privilège qui fut
heureusement aboli le 4 août 1789. La chasse pour tous, en tout temps et
partout devenait possible.
Mais les privilèges abolis, tous les excès furent permis. C'est pourquoi, dès
avril 1790, l'Assemblée nationale décidait de poser des limites à la liberté
illimitée du droit de chasse. Les quatre grands principes fondateurs des
différentes législations qui encadrent l'exercice de la chasse datent de cette
époque.
Il s'agit de la défense de chasser sur le terrain d'autrui sans son
consentement, de la sécurité publique, de la protection des récoltes et de la
conservation du gibier. La loi du 3 mai 1844 relative à la police de la chasse
formalisera ces principes visant à promouvoir une chasse acceptable pour tous,
en demandant notamment aux préfets de fixer des dates d'ouverture et de
fermeture de la chasse qui doivent varier, ce que soulignent des commentateurs
de l'époque, en fonction du climat, de la configuration du sol, du mode de
culture adopté dans chaque département et de la conservation du gibier. Notre
débat d'aujourd'hui n'est donc pas vraiment nouveau, puisqu'il dure depuis 150
ans !
Comme l'écrivaient, en 1851, le député Gillon et l'avocat de Villepin : « La
chasse doit cesser d'être un objet d'amusement dès lors qu'elle peut porter
quelque préjudice à un tiers, la raison seule, autant que l'équité, devrait
donc alors en interdire l'usage ; mais, comme la raison ne produit pas toujours
son effet sur ceux que la passion de la chasse domine, il a fallu que
l'autorité des lois y suppléât. » Vous apprécierez ces propos.
Depuis cette époque, il est communément admis, pour le gibier sédentaire, que
l'on ne chasse pas des oiseaux en période de reproduction et que l'on doive
tenir compte de facteurs locaux pour asseoir les périodes de chasse. Il en va
curieusement autrement pour les oiseaux migrateurs. La loi de juillet 1994
comme vos propositions de loi et les conclusions du rapport fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan tendent à démontrer que les
oiseaux ne seraient pas soumis aux mêmes contraintes selon qu'ils seraient
sédentaires ou migrateurs. Cela ne laisse pas d'étonner lorsque la passion pour
la chasse ne vous anime pas.
Alors qu'il est nécessaire, si l'on souhaite assurer une chasse durable, de ne
pas chasser des oiseaux en période de reproduction, ce principe admis pour le
gibier sédentaire ne s'appliquerait pas aux oiseaux migrateurs. La loi du 15
juillet 1994, en ce qu'elle permet des dates de clôture trop tardives, autorise
le tir d'oiseaux venant se reproduire. C'est là une aberration si l'on raisonne
en termes de gestion de populations. Il est en effet justifié de prélever sur
des migrateurs qui regagnent leurs secteurs d'hivernage, car l'on sait qu'une
part de ces oiseaux est vouée à disparaître avant la fin de la migration de
retour. Le prélèvement s'effectue donc statistiquement sur une partie d'une
population ne jouant pas de rôle dans le maintien des effectifs de l'espèce. En
revanche, prélever sur des reproducteurs qui viennent assurer la survie de
l'espèce, c'est en rester au stade de la cueillette alors qu'une bonne gestion
du gibier voudrait que l'on ne prélève pas sur le capital. Certains chasseurs
le reconnaissent depuis longtemps.
Les propositions de dates d'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau
préconisées dans les propositions de loi participent de la même logique de
cueillette. Comme le montrent les travaux des biologistes, la reproduction
n'est pas achevée à ces dates pour de nombreuses espèces lorsque la chasse est
ouverte. Les chasseurs de gibier d'eau migrateur ne devraient-ils pas demander
eux-mêmes, comme les chasseurs d'oiseaux sédentaires, qu'il n'y ait pas
d'ouverture avant la fin de la période de reproduction. Que je sache, on ne
chasse pas les perdrix, le coq de bruyère, le faisan ou le merle au mois de
juin !
Souhaiter fixer des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse par voie
législative va à l'encontre de toute gestion raisonnable des réalités de
terrain. L'étude des migrations montre que de multiples facteurs interviennent
à toutes les étapes du cycle biologique des oiseaux migrateurs.
Les conditions climatiques lors de la période d'hivernage, les modalités de
migrations en fonction des conditions météorologiques du moment, la réussite de
la reproduction sont autant d'éléments qui influent sur la dynamique des
populations et qui peuvent changer d'une année sur l'autre. Vouloir fixer par
la loi les périodes d'ouverture et de fermeture de la chasse dans chaque
département, c'est s'interdire toute possibilité d'adaptation en fonction des
réalités de terrain.
Ce qui est vrai localement l'est
a fortiori
à l'échelon de l'Europe. On
a trop tendance à oublier que les oiseaux migrateurs, à la différence des
oiseaux sédentaires, ne font que passer sur notre territoire. Ils
n'appartiennent pas plus aux Etats africains, où ils hivernent, qu'à la France,
où certains ne font que passer, qu'aux pays du nord de l'Europe, où ils se
reproduisent. Il s'agit d'un patrimoine commun, qu'il convient de gérer comme
tel. C'est une idée que nous devons avoir à l'esprit quand nous invoquons le
principe de subsidiarité, comme Mme le rapporteur nous y a invités.
Nous nous trompons de terrain. Nous nous trompons aussi d'époque.
Au moment où l'opinion publique s'interroge sur la légitimité de l'Etat à
légiférer sur tout, il semble pour le moins déplacé de vouloir établir un
carcan là où il faudrait de la souplesse. Trouveriez-vous normal que le
législateur veuille fixer, de manière arbitraire et pour des années, les dates
de début et de fin de la récolte du foin, des moissons, ou du ramassage des
fruits, sans tenir compte des conditions climatiques, qui sont susceptibles de
varier d'une année sur l'autre ?
Ce débat était déjà d'actualité lors de l'adoption de la loi de 1844. Le
législateur s'était alors préoccupé, en confiant aux préfets le soin de fixer
les dates d'ouverture et de clôture, de tenir compte des réalités de terrain.
On était alors parfaitement conscient que la fixation uniforme de dates
d'ouverture et de clôture « léserait une foule d'intérêts » et qu'il convenait
donc de savoir s'adapter aux circonstances. Il était alors même question de
proposer des dates différentes par arrondissement, voire par commune !
Sans aller jusque-là, une solution équilibrée voudrait que soit fixée au
niveau national, par le ministre en charge de la chasse, une fourchette tenant
compte des dates extrêmes de migration et de reproduction, fourchette qui
serait susceptible d'être modifiée en fonction des paramètres influant sur les
migrateurs. Les préfets, tenant compte de cette fourchette, pourraient alors
définir la période de chasse locale au vu des conditions particulières des
départements et des régions.
Certaines fédérations départementales de chasseurs, qui avaient demandé le
recul de l'ouverture anticipée de la chasse au gibier d'eau pour tenir compte
des conditions de reproduction de certaines espèces, ont été fort marries des
modalités de fixation des dates d'ouverture anticipée arrêtées par mon
prédécesseur. Ayant demandé une ouverture au 31 août ou au 15 septembre, ces
fédérations ont eu la surprise de voir qu'une décision nationale avait autorisé
la chasse à des dates beaucoup plus précoces... et qu'elles récusaient.
C'est le cas par exemple dans le département de l'Ain, dont le préfet m'a fait
savoir dès le mois de juin 1997 que la date du 31 août ne convenait pas du tout
à la fédération départementale des chasseurs, qui souhaitait une ouverture plus
tardive parce qu'elle avait constaté une régression des effectifs de canards
nicheurs dans les Dombes.
Cela m'amène à m'interroger sur les motivations réelles de cette demande de
centralisme. La lecture de l'exposé des motifs des différentes propositions de
loi, tout comme le rapport de la commission des affaires économiques et du
Plan, montre que ces propositions visent beaucoup plus à régler un contentieux
juridique avec certains tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat qu'à
asseoir des pratiques de chasse durables.
Ce contentieux tire son origine de l'application de la directive « oiseaux »,
adoptée en 1979, grâce, notamment, à l'action forte de la France et à
l'engagement du ministre de l'environnement d'alors, Michel d'Ornano, que
chacun a connu ici comme l'un de ces « intégristes de l'écologie » que M. du
Luart a cru pouvoir reconnaître dans les amoureux de la nature que nous sommes
tous ici.
M. Roland du Luart.
Pas d'amalgame !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Cette
directive, qui admet parfaitement que des espèces d'oiseaux puissent être
chassées, stipule que l'on ne peut chasser les oiseaux en période de
reproduction et lors de leur trajet de retour vers les lieux de nidification
pour les migrateurs. Elle ne fait donc que transcrire un principe de bon sens
qui devrait animer tous les promoteurs d'une chasse durable. Ce principe n'est
d'ailleurs qu'une formulation anticipée du principe de précaution mis en
exergue lors du sommet de Rio en 1992 et traduit par la loi Barnier.
Pour des raisons qui me sont peu compréhensibles, les chasseurs de gibier
migrateur se sont refusés à mettre en oeuvre ce principe, qui est pourtant
communément admis pour le gibier sédentaire. Faut-il y voir une certaine
insouciance vis-à-vis d'oiseaux n'appartenant en définitive à personne alors
que le gibier sédentaire est plus attaché à un territoire particulier ? Je ne
peux l'affirmer.
La fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux
migrateurs a entraîné de nombreux contentieux, vous le savez. Ils sont dus à
des associations de protection de la nature qui ne sont pas, dans leur grande
majorité, malgré ce qu'on en dit parfois, hostiles par principe à la chasse.
Elles souhaitent simplement que les pratiques cynégétiques soient des pratiques
gestionnaires et tiennent compte de la faune qui n'est paschassée.
Désireux de sortir d'un imbroglio juridique, les gouvernements précédents ont
proposé pour les dates de clôture de la chasse une méthode d'échelonnement qui
satisfaisait aux demandes des chasseurs de gibier migrateur même si elle
apparaissait d'un maniement difficile, d'une part, parce qu'il est difficile de
chasser certains oiseaux sans déranger les autres, ceux qu'on ne chasse pas ;
d'autre part, parce qu'il peut y avoir des confusions. Sans exagérer ce
problème, madame le rapporteur, on ne peut nier que les pratiques de chasse
crépusculaire et nocturne dans certaines régions nous exposent à ce risque.
Ces méthodes étaient de plus peu propices à une bonne gestion, comme en
conviendra d'ailleurs, ici même, votre collègue M. le sénateur Louis Althapé,
en juin 1994 : « Une fermeture échelonnée de la chasse aux gibiers d'eau et aux
oiseaux de passage ne correspond pas à une bonne gestion de ces espèces non
menacées. De plus, cette fermeture échelonnée générerait de nombreux conflits
et des recours qui, une fois de plus, créeraient un climat insupportable. » On
ne peut être plus clair !
Cette méthode conduisait à admettre qu'une partie des oiseaux en migration
prénuptiale puisse ne pas être protégée. Elle a été reprise sous forme de
recommandations par le comité d'adaptation de la directive « oiseaux », dit
comité ORNIS. Sans attendre qu'une modification de la directive valide ces
recommandations, le Gouvernement a incité les préfets à en tenir compte dans la
fixation des dates de clôture.
Le 19 janvier 1994, la Cour de justice des Communautés européennes réaffirmait
l'obligation d'une protection complète des oiseaux migrateurs pendant la
période de migration prénuptiale et condamnait la France pour n'avoir pas tenu
compte de cette obligation.
En avril 1994, le Gouvernement essayait, en vain, d'obtenir une modification
de la directive en intervenant auprès de la Commission européenne et du Conseil
des ministres. Le Parlement français voulut mettre un terme aux contentieux et
anticiper sur une éventuelle modification de la directive. Il adoptait, le 15
juillet 1994, la loi dite « loi Lang ».
Comme le déclarait alors à l'Assemblée nationale ma collègue Ségolène Royal,
il s'agissait de fixer par la loi des dates de période de chasse relevant du
domaine réglementaire. Elle précisait que la proposition était en contradiction
avec la directive « oiseaux », et avec l'interprétation qu'en avait donnée la
Cour de justice des Communautés européennes. Elle déclarait : « Le droit
communautaire n'est donc pas respecté. Le vote par le Parlement français de la
proposition de loi constituera une pression exercée sur le Parlement européen
en anticipant sur une modification non encore acquise de la directive. Elle
est, en fait, destinée à priver les associations pour la protection de la
nature du bénéfice de l'arrêt de la Cour de justice qui leur a donné raison.
C'est si vrai que le Gouvernement n'a pas osé présenter lui-même un texte, mais
il a invité un parlementaire à déposer une proposition de loi. »
Les prévisions de Ségolène Royal se sont vérifiées. Mais la pression exercée
sur le Parlement européen a eu l'effet inverse de celui qui était attendu. Le
15 février 1996, le Parlement européen adoptait le rapport vanPutten qui
concluait à la nécessité d'une fermeture unique de la chasse aux oiseaux
migrateurs le 31 janvier.
Cette rigidité, vous l'aurez noté, est discutable et d'ailleurs discutée, mais
il est difficile d'invoquer ici la subsidiarité, qui, par nature - je l'ai
expliqué tout à l'heure -, s'adresse à des espèces d'oiseaux migrateurs qui ne
dépendent d'aucun pays particulier.
De plus, l'adoption de la loi du 15 juillet 1994 n'a pas amoindri les
contentieux, ce qui a conduit les promoteurs du texte que nous examinons à
vouloir rigidifier le système et à s'écarter un peu plus encore du droit
communautaire. Ce n'est certainement pas le meilleur moyen de s'en sortir...
En effet, les condamnations et les mises en demeure sont en nombre croissant :
23 des 38 arrêtés préfectoraux fixant les dates de clôture de chasse au gibier
migrateur au-delà du 31 janvier attaqués ont été annulés par des tribunaux
administratifs ; 65 arrêtés ministériels d'ouverture anticipée de la chasse au
gibier d'eau sur 68 arrêtés attaqués ont été annulés par le Conseil d'Etat.
La France est sous le coup, d'une part, d'une mise en demeure de la Commission
européenne pour non-transposition de la directive « oiseaux » et, d'autre part,
d'un avis motivé complémentaire après une condamnation en 1988 pour protection
insuffisante de diverses espèces d'oiseaux, dont certaines sont migratrices.
Une condamnation définitive, avec une forte sanction pécuniaire en application
de l'article 171 du traité européen, semble maintenant inéluctable si la France
ne donne pas satisfaction aux requêtes de la Commission européenne.
En ce qui concerne la fixation des périodes de chasse aux oiseaux migrateurs
et, d'une manière plus générale, les problèmes liés à l'application de la
directive « oiseaux », j'ai fait valoir à Ritt Bjerregaard, commissaire
européen à l'environnement, qu'il était nécessaire d'ouvrir des discussions sur
une proposition d'adaptation de la directive « oiseaux ».
C'est que, voyez-vous, l'idée d'un plan de gestion ne me choque pas.
M. Roland du Luart.
Encore heureux !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
La
commissaire m'a répondu en décembre dernier que si la prochaine présidence de
l'Union européenne était prête à proposer la réouverture des débats sur la
directive, elle serait disposée, dans la perspective d'un compromis équitable,
à envisager une solution qui assure un bon état de conservation des espèces
concernées pour la fixation des dates de fermeture de la chasse. Je suis prête
à entamer des discussions avec la Commission.
Cela étant, on ne peut oublier les contentieux communautaires en cours. Il
apparaît donc peu réaliste de vouloir traiter avec la Commission tant qu'ils ne
seront pas éteints.
Vous avez souhaité, madame Heinis, évoquer le rapport sur l'application de la
loi du 15 juillet 1994 qualifiant d'incompréhensible et de dangereux le
comportement du Gouvernement que vous suspectez de s'être laissé entraîner
volontairement dans un conflit - un de plus - avec la Commission.
Ce rapport, il faut le savoir, aurait dû être remis au Parlement par le
Gouvernement précédent en juillet 1996. S'il ne l'a pas été, c'est à lui qu'il
faut en faire grief. Mon ministère n'avait bien entendu pas les moyens de
réaliser en six mois ce qui ne l'avait pas été en deux ans.
Une première version de ce rapport m'a été proposée par mes services à la fin
du mois de décembre. La version définitive sera vraisemblablement prête en
février et elle sera alors adressée au Parlement.
La Commission nous a fait grief de ne pas lui avoir transmis ce rapport. Nous
aurions certes pu lui adresser les éléments préliminaires ; nous nous serions
alors exposés à la critique de ne pas avoir réservé, comme il est normal, la
primeur de ce rapport au Parlement français.
Quant aux rapports de l'Office national de la chasse et du Muséum national
d'histoire naturelle, il faut savoir que s'ils répondaient en partie aux
questions posées, celui du Muséum allait très au-delà de ce qui nous était
demandé. Par ailleurs, ces rapports étaient contradictoires. Il me semble qu'il
était donc difficile d'exposer à la Commission les divergences des experts
français en la matière.
L'adoption de la loi du 15 juillet 1994 a été un chiffon rouge pour le
Parlement européen et pour la Commission. Un nouveau texte allant dans le même
sens aura le même effet. C'est que, voyez-vous, la patience de la Commission et
de la commissaire à l'environnement est singulièrement émoussée après vingt
ans, ou presque, de manoeuvres dilatoires, de négociations ardues, de promesses
non tenues.
Il serait vain pour mon ministère de vouloir dialoguer avec la Commission en
venant avec des lois votées par le Parlement français qui seraient en
contradiction avec l'esprit et la lettre de la directive « oiseaux ». Une fois
de plus, je dois répéter qu'avec les oiseaux migrateurs nous devons penser
européen, international. La mise en place de plans de gestion coordonnés à
l'échelle européenne pour le gibier migrateur, telle qu'elle a été proposée
lors du vote du rapport van Putten au Parlement européen, est une piste à
explorer.
Je veux enfin rappeler aux membres du groupe socialiste que, lors de
l'adoption de la loi du 15 juillet 1994, leur groupe à l'Assemblée avait
souligné qu'il n'acceptait cette loi qu'à la condition qu'elle soit
transitoire. Il n'était pas question qu'elle soit un geste contre l'Europe et,
surtout, une renonciation à la solution pérenne qu'il était indispensable de
mettre en place.
La voie européenne, déclarait leur représentant, est donc certainement celle
de la sécurité ; elle est celle de la durée. Quant à ceux qui défendent une
exception française, qui déplorent, comme M. de Luart, que le Gouvernement
français « abdique devant les institutions communautaires »,...
M. Philippe François.
C'est vrai !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
... je les
renvoie aux propos tenus par le Président de la République lors de la
présentation de ses voeux, le 31 décembre 1997 : « Et puis il y a l'Europe.
Cette Europe qu'après d'autres, et avec d'autres, je contribue à bâtir. (...)
Il n'y a pas d'exception française qui nous permettrait de nous soustraire aux
règles qui valent pour les autres. »
M. Philippe François.
L'un n'empêche pas l'autre !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
C'est
parce que le Gouvernement croit à la construction européenne, c'est parce qu'il
pense que la discussion permet l'évolution et l'amélioration qu'il ne peut pas
accepter la proposition de loi de la commission en l'état. Une idée comme celle
des plans de gestion va pourtant dans le bon sens, notamment pour le maintien
et la restauration de la qualité des milieux et le suivi des effectifs des
populations.
Pour avoir travaillé au Parlement européen, je sais l'importance de l'action à
mener pour que les institutions européennes ne financent pas des opérations
aboutissant à la destruction des milieux. Le groupe auquel j'ai appartenu y a
consacré beaucoup d'énergie, avec d'autres, ainsi qu'au soutien à des pratiques
agricoles respectueuses de l'environnement. Nous savons que ce point est
également très important pour le sujet qui nous occupe aujourd'hui.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est la promotion d'une chasse raisonnable
et durable que, m'a-t-il semblé, vous appelez de vos voeux. C'est aussi comme
cela que je conçois les choses.
J'ai bien entendu l'argumentation passionnée, toute empreinte de la tradition
rurale du Sud-Ouest, de Jean-Louis Carrère, qui a manifesté son attachement à
la chasse de l'Ouest et la légère tendance à l'exagération que l'on prête
parfois aux gens du Sud.
Il n'est pas question, monsieur le sénateur, d'opposer ici les chasseurs et
les protecteurs des oiseaux, les ruraux et les citadins, ni même les modernes
et les traditionnels. Il n'est même pas question d'appeler à une énième table
ronde, d'une part, parce que la concertation est la règle depuis toujours et
que les chasseurs participent déjà à l'élaboration des règles qui encadrent la
chasse, à tous les niveaux, national, régional et départemental, en particulier
au sein des conseils départementaux de la chasse et de la faune sauvage et,
d'autre part, parce qu'il est hautement improbable que, sur cette question,
nous puissions jamais nous vanter d'avoir trouvé la solution miracle.
Il n'existe pas de solution permettant de trancher définitivement ce débat et
d'inscrire dans notre droit « la » solution. J'ai d'ailleurs donné tout à
l'heure des exemples montrant qu'une solution intelligente serait celle qui se
rapprocherait le plus possible du terrain et des contextes locaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez
compris, pour tous les motifs que j'ai exposés, le Gouvernement ne peut
soutenir les propositions que vous avez formulées.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
M. le président.
«
Article unique. -
L'article L. 224-2 du nouveau code rural est ainsi
rédigé :
«
Art. L. 224-2. -
Nul ne peut chasser en dehors des périodes
d'ouverture de la chasse fixées par l'autorité administrative.
« Les dates d'ouverture anticipée et de clôture temporaire de la chasse des
espèces de gibier d'eau sont fixées ainsi qu'il suit sur l'ensemble du
territoire métropolitain, à l'exception des départements du Bas-Rhin, du
Haut-Rhin et de la Moselle.
AUTRES TERRITOIRES |
|||
---|---|---|---|
DÉPARTEMENT |
DOMAINE PUBLIC MARITIME |
Canards de surface et limicoles |
Autres espèces |
Ain | . | Premier dimanche de septembre. | Premier dimanche de septembre. |
Aisne | . | Quatrième dimanche de juillet. | Deuxième samedi d'août. |
Allier | . | Deuxième dimanche d'août. | Troisième dimanche d'août. |
Ardèche | . |
15 août. Nette rousse : ouverture générale. |
15 août. |
Ardennes | . | 15 août. | 15 août. |
Aube | . | Premier samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
Aude | Troisième dimanche d'août. | . | . |
Bouches-du-Rhône | 15 août. |
15 août. Nette rousse : ouverture générale. |
15 août. |
Calvados | Troisième samedi de juillet. | Quatrième dimanche de juillet. | Premier dimanche d'août. |
Charente-Maritime | Troisième samedi de juillet | . | . |
Cher | . | Premier samedi d'août. | Premier samedi d'août. |
Haute-Corse | . |
15 août. Nette rousse : 1er septembre |
15 août. |
Corse-du-Sud | . |
15 août. Nette rousse : 1er septembre |
15 août. |
Côte d'Or | . | 15 août. | Quatrième samedi d'août. |
Côtes-d'Armor | Quatrième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. |
Eure | Troisième samedi de juillet |
Troisième samedi de juillet pour le Marais Vernier. Quatrième samedi pour le reste du département. |
Premier samedi d'août. |
Eure-et-Loir | . | Deuxième samedi d'août. | Deuxième samedi d'août. |
Finistère | Quatrième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. |
Gard | . |
Quatrième dimanche de juillet. Nette rousse : ouverture générale. |
Premier dimanche d'août. |
Haute-Garonne | . | 15 août. | 15 août. |
Gironde | Troisième samedi de juillet. | Premier samedi d'août. | Deuxième samedi d'août. |
Hérault | Troisième samedi de juillet. |
Quatrième dimanche de juillet. Nette rousse : ouverture générale. |
Premier dimanche d'août. |
Ille-et-Vilaine |
Troisième samedi de juillet. 1er septembre dans la vallée de la Rance. |
Troisième samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
Indre | . |
15 août. Clôture temporaire : 15 septembre. |
15 août. Clôture temporaire : 15 septembre. |
Indre-et-Loire | . |
Troisième dimanche d'août. Clôture temporaire : 15 septembre. |
Troisième dimanche d'août. Clôture temporaire : 15 septembre. |
Landes | Troisième samedi de juillet. | Premier samedi d'août. | Deuxième samedi d'août. |
Loir-et-Cher | . | Premier samedi d'août. | Premier samedi d'août. |
Loire | . | Troisième dimanche d'août. | Troisième dimanche d'août. |
Loire-Atlantique | Troisième dimanche de juillet. | Troisième dimanche de juillet. |
Foulque : troisième dimanche de juillet. Autres espèces : premier dimanche d'août. |
Loiret | . | Premier samedi d'août. | Premier samedi d'août. |
Lot-et-Garonne | . |
Colvert : ouverture générale. Autres espèces : quatrième dimanche d'août. |
Quatrième dimanche d'août. |
Maine-et-Loire | . | 15 août. | 15 août. |
Manche | Troisième dimanche de juillet. | Quatrième dimanche de juillet. | Premier dimanche d'août. |
Marne | . | Premier samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
Haute-Marne | . | Deuxième dimanche d'août. | Troisième dimanche d'août. |
Mayenne | . | 15 août. | 15 août. |
Meurthe-et-Moselle | . | Deuxième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. |
Meuse | . | Deuxième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. |
Morbihan | Quatrième dimanche d'août. |
Colvert : du quatrième dimanche de juillet au premier dimanche d'août. Autres espèces : quatrième dimanche d'août. |
Quatrième dimanche d'août. |
Nièvre | . | Premier samedi d'août. | Premier samedi d'août. |
Nord | Troisième samedi de juillet. | Quatrième samedi de juillet. | Premier samedi d'août. |
Oise | . | Quatrième samedi de juillet. | Premier samedi d'août. |
Orne | . |
Premier samedi d'août. Premier dimanche d'août sur les communes de Bellou-en-Houlme et Briouze. |
Troisième samedi d'août. |
Pas-de-Calais | Troisième samedi de juillet. | Quatrième samedi de juillet. | Premier samedi d'août. |
Puy-de-Dôme | . | Quatrième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. |
Pyrénées-Atlantiques | Troisième samedi de juillet. | Troisième samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
Hautes-Pyrénées | . | Troisième samedi d'août. | Troisième dimanche d'août. |
Pyrénées-Orientales | Troisième dimanche d'août. | . | . |
Rhône | . | Troisième dimanche d'août. | Troisième dimanche d'août. |
Haute-Saône | . | 15 août. | Quatrième samedi d'août. |
Saône-et-Loire | . | Deuxième dimanche d'août. | Troisième dimanche d'août. |
Sarthe | . | Troisième samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
Paris | . | Deuxième samedi d'août | . |
Seine-Maritime | Troisième samedi de juillet. | Quatrième samedi de juillet. | Premier samedi d'août. |
Seine-et-Marne | . | Deuxième samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
Yvelines | . | Deuxième samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
Deux-Sèvres | . | 15 août. | Premier dimanche de septembre. |
Somme | Troisième samedi de juillet. | Quatrième samedi de juillet. | Premier samedi d'août. |
Tarn | . |
Colvert : 15 août. Autres espèces : ouverture générale. |
. |
Vendée | Dernier dimanche d'août. | Dernier dimanche d'août. | Dernier dimanche d'août. |
Vosges | . | Deuxième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. |
Yonne | . | 15 août. | 15 août. |
Territoire de Belfort | . | Quatrième dimanche d'août. | Quatrième dimanche d'août. |
Essonne | . | Deuxième samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
Hauts-de-Seine | . | Deuxième samedi d'août. | . |
Seine-Saint-Denis | . | Deuxième samedi d'août. | . |
Val-de-Marne | . | Deuxième samedi d'août. | . |
Val-d'Oise | . | Deuxième samedi d'août. | Troisième samedi d'août. |
« Pour les espèces de gibier d'eau et d'oiseaux de passage, sur l'ensemble du territoire métropolitain, à l'exception des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, les dates de clôture sont les suivantes :
« - canard colvert : 31 janvier ;
« - fuligule milouin, fuligule morillon, vanneau huppé : 10 février ;
« - oie cendrée, canard chipeau, sarcelle d'hiver, sarcelle d'été, foulque, garrot à oeil d'or, nette rousse, pluvier doré, chevalier gambette, chevalier combattant, barge à queue noire, alouette des champs : 20 février ;
« - autre espèces de gibier d'eau et d'oiseaux de passage : dernier jour du mois de février ;
« Pour assurer une exploitation équilibrée et dynamique des espèces d'oiseaux ne bénéficiant pas d'un statut de conservation favorable et chassées entre le 31 janvier et le dernier jour du mois de février, il est institué des plans de gestion.
« Les plans de gestion visent à maintenir ou à rétablir les espèces concernées dans un état favorable de conservation. Ils sont fondés sur l'état récent des meilleures connaissances scientifiques et sur l'évaluation des prélèvements opérés par la chasse.
« Les plans de gestion comprennent notamment et en tant que de besoin les dispositions suivantes :
« - encouragement aux mesures de sauvegarde des biotopes,
« - établisements de réserves de chasse et de faune sauvage,
« - indication de zones interdites à la chasse,
« - suspension de la chasse en cas de calamités graves,
« - fixation d'heures de chasse,
« - instauration du poste fixe pour la chasse de certains gibiers,
« - mise en oeuvre de quotas de prélèvement,
« - limitation de la vente, de l'offre aux fins de vente et de toute activité commerciale,
« - mise en oeuvre d'un système de recherche et de suivi des espèces concernées. »
Par amendement n° 1 rectifié, M. du Luart propose de remplacer les douze derniers alinéas du texte présenté par cet article pour l'article L. 224-2 du nouveau code rural par trois alinéas ainsi rédigés :
« Cet échelonnement des dates de fermeture entre le 31 janvier et le dernier jour du mois de février vise à assurer l'exploitation équilibrée et dynamique des espèces d'oiseaux concernées. Toutefois, pour les espèces ne bénéfiant pas d'un statut de conservation favorable et chassées pendant cette période, des plans de gestion sont institués.
« Ces plans visent à contrôler l'efficacité de l'échelonnement des dates de fermeture. Ils contribuent également à rétablir ces espèces dans un état favorable de conservation. Ils sont fondés sur l'état récent des meilleures connaissances scientifiques et sur l'évalutation des prélèvements opérés par la chasse.
« Les modalités d'élaboration de ces plans de gestion sont déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage. »
La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Cet amendement vise à harmoniser le dispositif des dates d'échelonnement avec la mise en oeuvre de plans de gestion. Il tend également à préciser les modalités d'élaboration de ces plans.
Ainsi, nous reprenons, sur le fond, la proposition de la commission s'agissant de l'institution de plans de gestion pour les espèces chassables au-delà du 31 janvier et qui ne bénéficieraient pas d'un statut favorable.
Nous souhaitons également, par ce dispositif, assurer l'exploitation dynamique des espèces concernées.
Nous pensons, enfin, que les plans de gestion permettront notamment de contrôler l'efficacité de l'échelonnement des dates de fermeture sur le niveau des populations d'oiseaux. Cette précision nous paraît essentielle.
Tel est, monsieur le président, l'esprit de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne Heinis, rapporteur. Cet amendement reprend sur le fond la proposition de la commission s'agissant de l'institution des plans de gestion pour les espèces chassées au-delà du 31 janvier et ne bénéficiant pas d'un statut favorable.
De plus, il réaffirme dans le premier alinéa l'objet du dispositif d'échelonnement des dates de fermeture, qui vise à assurer une exploitation dynamique des espèces concernées.
Il précise que ces plans de gestion permettront notamment de contrôler l'efficacité de l'échelonnement des dates de fermeture sur le niveau des populations d'oiseaux, et cette précision est utile.
Enfin, plutôt que d'énumérer les différentes mesures qui pourraient être arrêtées dans ces plans de gestion pour assurer une meilleure conservation de ces espèces, l'amendement prévoit que les modalités d'élaboration de ces plans seront déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
Cette proposition est plus conforme à notre ordonnancement juridique, qui veut que la loi fixe les objectifs et les principes en laissant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les moyens. Ces moyens vont varier selon les espèces considérées et pourront faire l'objet d'une application spécifique selon tel ou tel département. Il est plus sage de permettre une application souple du principe des plans de gestion introduit par notre texte.
De plus, ce texte prévoit expressément - ce dont je me réjouis - la consultation des organismes compétents en matière de chasse à travers le Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
La consultation de l'Office national de la chasse est de droit, puisqu'il s'agit d'un établissement public administratif.
Je rappellerai, enfin, les principales mesures énumérées initialement dans la proposition de la commission et qui pourront donc, en tant que de besoin, être décidées par voie réglementaire après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
Il s'agit de l'encouragement aux mesures de sauvegarde des biotopes, de l'établissement de réserves de chasse, de la création de zones interdites à la chasse, de la fixation d'heures de chasse, de l'instauration du poste fixe pour la chasse de certains gibiers et de la mise en oeuvre de quotas de prélèvements, ces mesures pouvant être diversement utilisées selon les besoins et non pas automatiquement.
J'indiquerai également que des mesures de gestion spécifiques aux oiseaux migrateurs sont d'ores et déjà en vigueur dans la quasi-totalité des départements. Elles sont mises en oeuvre par les préfets sur l'initiative des chasseurs.
Ainsi, la pratique du prélèvement maximum autorisé, PMA, se retrouve dans la réglementation locale de la chasse, puisque trente-cinq départements y souscrivent pour la saison 1997-1998. Cela concerne les bécasses, les grives et, dans une moindre mesure, les oiseaux d'eau.
Par ailleurs, la règle du poste fixe s'impose dans presque tous les départements pour la chasse de certains oiseaux de passage - pigeon ramier ou palombe, grive, alouette. Le poste fixe est obligatoire soit après la date de fermeture générale de la chasse, soit à compter du mois de janvier.
De très nombreux départements appliquent des limitations horaires pour le gibier d'eau et les oiseaux de passage. C'est le cas dans mon département.
Enfin, l'obligation de ne chasser la bécasse que dans les bois de plus de trois hectares après la fermeture générale ou après le début ou la mi-janvier jusqu'au 28 février constitue une règle très répandue.
Ces accords sont élaborés par les chasseurs, et je peux certifier que ce système fonctionne très bien dans le département que je représente, la Manche, où il est mis en pratique depuis déjà de nombreuses années.
La commission a donc donné un avis favorable à l'amendement n° 1 rectifié, qui me semble très heureusement compléter la proposition de loi.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que je l'ai expliqué, je suis opposée au principe même de cette proposition de loi ; je ne souhaite donc pas me prononcer sur le contenu de tel ou tel amendement ni même en demander le retrait.
M. le président. Madame la ministre, il n'y a que trois possibilités : ou le Gouvernement est défavorable, ou il est favorable, ou il s'en rapporte à la sagesse du Sénat. Il faut que vous formuliez l'une de ces trois réponses.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Disons alors que l'avis du Gouvernement est défavorable, monsieur le président.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
M. Philippe François. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Dans cet amendement, il est précisé que les modalités d'élaboration des plans de gestion sont déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage. Cela répond parfaitement au souhait exprimé par Mme le ministre tout à l'heure à la tribune de délocaliser la responsabilité des opérations de chasse.
En l'occurrence, le ministre compétent pourra parfaitement donner aux préfets la responsabilité des choix.
Une fois le texte adopté, la décision appartiendra au ministre et non plus au Parlement.
Par conséquent, la question qui vous préoccupait, madame le ministre, est à mon avis résolue.
M. Jacques Habert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Je comprends mal, monsieur le président, l'opposition de Mme le ministre. En effet, cet amendement, extrêmement modéré, complète fort heureusement, me semble-t-il, la proposition de loi.
Dans la ligne de la proposition de loi, il vise avant tout à assurer la protection des oiseaux migrateurs - des palombes, en particulier - pour faire en sorte que leur nombre ne diminue pas ; en même temps, il prévoit certaines restrictions dans certaines conditions.
Mais il ne touche pas à vos prérégatives, madame le ministre, dans la mesure où vous resterez maîtresse des plans de chasse, puisque leurs modalités seront déterminées par un arrêté ministériel, après consultation du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage.
M. Philippe François. Avec possibilité de délégation, si elle le souhaite !
M. Jacques Habert. Par conséquent, nous ne voyons pas en quoi il irait à l'encontre de vos convictions. Il me paraît un peu rapide de dire simplement, pour une question de principe, que vous êtes contre ; un examen plus approfondi serait peut-être nécessaire.
Pour notre part, de ce côté-ci de l'hémicycle, nous voterons l'amendement n° 1 rectifié.
M. Jean-Louis Carrère. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Bien évidemment, logique avec moi-même, je ne voterai pas contre l'amendement n° 1 rectifié. Il me serait, en effet, difficile de souscrire philosophiquement et objectivement à l'élaboration des plans de gestion et de m'opposer immédiatement après à la méthode qui permet de les mettre en place.
Je suis toutefois un peu étonné que M. du Luart nous demande de nous associer à l'élaboration d'un texte de cette importance après avoir balayé d'un revers de main une proposition de loi que nous considérions comme plus complète et susceptible d'obtenir des effets au moins identiques sinon meilleurs.
Compte tenu de la manière dont je me suis exprimé tout à l'heure, je croyais que vous m'auriez entendu, mon cher collègue.
Dans ces conditions, nous nous abstiendrons sur le vote de l'amendement.
M. Roland du Luart. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. du Luart.
M. Roland du Luart. Je ne peux pas laisser sans réponse les propos que vient de tenir M. Carrère.
Mes chers collègues, le groupe « Chasse et pêche » a travaillé en liaison étroite avec les instances représentatives de la chasse française.
Celles-ci considérant qu'il y avait urgence en matière de gibier migrateur, nous avons déposé une proposition de loi relative aux dates d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs. Nous l'avons fait, je le répète, en liaison avec le groupe « Chasse et pêche », mais aussi en concertation avec notre collègue Michel Charasse.
Par ailleurs, j'ai déposé une proposition de loi n° 385 portant sur l'organisation de la chasse en France.
C'est dans le cadre de la discussion de ce dernier texte que seront examinées les propositions fort pertinentes qu'a formulées notre collègue Lefebvre et que nous nous emploierons notamment à verrouiller les attaques dirigées contre les associations de chasse communales agréées, les ACCA, vous avez eu raison, mon cher collègue, de dire qu'il fallait être vigilant sur ce point.
En tout cas, je ne comprends pas qu'après avoir adopté le présent texte en commission vous ayez une position différente aujourd'hui en séance publique. A moins que ce ne soit sur ordre du Gouvernement ! Mais je n'ose pas envisager une telle hypothèse.
M. Jean-Louis Carrère. Je n'ai pas l'habitude de recevoir d'ordre !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifié, l'article unique.
(L'article unique est adopté.)
Articles additionnels après l'article unique
M. le président.
Par amendement n° 2, M. Lefebvre et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article unique, un article
additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa de l'article L. 224-4 du code rural est ainsi rédigé :
« Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière
sélective, la chasse, la capture, la prise de certains oiseaux de passage en
quantité raisonnable, le ministre de la chasse, après avis des instances
nationales de la chasse et des représentants d'associations nationales de
chasseurs traditionnels de migrateurs, autorise, dans les conditions qu'il
détermine, l'utilisation des modes et moyens de chasse consacrés par les usages
traditionnels, dérogatoires, à ceux autorisés par l'alinéa précédent à
condition que la ou les dérogations ne nuisent pas à la survie de la population
et du cheptel concerné. »
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
L'amendement que nous proposons vise essentiellement deux objectifs.
Il s'agit, tout d'abord, de trouver un équilibre entre la préservation de la
pratique de la chasse traditionnelle, d'une part, et la nécessaire protection
des espèces d'oiseaux migrateurs, d'autre part.
Notre opinion est que le respect des usages coutumiers de la chasse ne
constitue en rien une menace pour la reproduction des espèces de migrateurs.
Au contraire, la chasse traditionnelle, dès lors qu'elle est rationnelle et
raisonnable, garantit la survie des populations de migrateurs. C'est donc aux
conditions de sa pérennité qu'il faut réfléchir et non à sa remise en cause. Le
rôle du législateur est de donner à la chasse traditionnelle les moyens
d'exister dans un cadre juridique clair, simple et transparent.
Ensuite, il convient d'associer les instances nationales de la chasse ainsi
que les associations de chasseurs aux décisions du ministre chargé de la
chasse. Les chasseurs doivent participer à l'élaboration des règles de chasse.
Il ne s'agit pas de leur dire, comme j'ai cru l'entendre dans les propos de Mme
la ministre : « Si vous êtes sages et gentils, tout ira mieux ».
Je le répète, une règle est d'autant mieux appliquée qu'elle est légitime,
comprise et acceptée de tous.
En adoptant nos propositions, nous contribuerons à responsabiliser les
chasseurs et à démocratiser le processus décisionnel.
J'ajouterai enfin que les prérogatives du ministre chargé de la chasse en
matière d'utilisation des techniques de chasse traditionnelle ne sont en aucune
façon remises en cause par cet amendement, qui répond, me semble-t-il, au
souhait que Mme la ministre, malgré toutes ses réserves, a exprimé tout à
l'heure dans son intervention.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Cet amendement reprend une partie du dispositif de la
proposition de loi n° 135 déposée par nos collègues communistes et que la
commission n'a pas cru devoir adopter en décembre dernier, non pas pour des
raisons de principe, mais parce que nous estimions qu'il fallait la portée de
la présente proposition de loi à des objectifs extrêmement précis.
Je souscris tout à fait aux propos que notre collègue vient de tenir, comme à
ceux qu'a émis M. Jean-Louis Carrère.
Cela étant, la commission a estimé que le traitement de la chasse
traditionnelle, qu'il sera particulièrement important d'étudier ultérieurement,
relevait plus d'une loi générale sur la chasse, dont l'examen, je l'espère,
sera inscrit le plus rapidement possible à notre ordre du jour, que d'une loi
limitée à la fixation des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux
oiseaux migrateurs et au gibier d'eau. La commission des affaires économiques
s'était fixé pour but de franchir une étape et de permettre, par la
transposition de la directive, l'ouverture de négociations avec la Commission
européenne.
M. Roland du Luart.
Tout à fait !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Nos collègues ne doivent donc pas prendre ombrage du fait que
les problèmes qui les préoccupent à juste titre ne sont pas traités
aujourd'hui. Si nous ne procédions pas par étape, nous n'aurions que bien peu
de chances d'éviter les contentieux et de rouvrir avec la Commission européenne
les négociations que nous semblent nécessaires.
Je regrette beaucoup que nos collègues ne jugent pas opportun de voter le
texte que je défends ce soir. Quoi qu'il en soit, je serai présente lors de la
discussion du texte portant sur l'organisation de la chasse. A ce moment-là,
les problèmes qu'ils ont soulevés et qui revêtent une grande importance sur le
plan culturel pourront être traités.
La directive précisant d'ailleurs que l'on peut et même que l'on doit prendre
en compte l'aspect culturel de certaines pratiques de chasse, nous pourrons les
aborder alors de façon plus positive, et cela dans la concertation.
M. Philippe François.
Très bien !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
J'en reviens à l'amendement n° 2, qui vise à conforter la
pratique des chasses traditionnelles en France.
Comme je l'ai expliqué, il ne semble pas que les modifications que ses auteurs
proposent constituent véritablement des améliorations, d'autant que le texte
issu de la loi du 30 décembre 1988 a permis, dans le domaine qui nous occupe
aujourd'hui, de préserver dans des conditions convenables certains modes de
chasse traditionnels tels que le gluau en Provence, la tenderie aux grives dans
les Ardennes ou encore la chasse au filet pour les tourterelles.
Il est intéressant de noter que, dans deux arrêts du 16 novembre 1992, le
Conseil d'Etat a jugé que cet article L. 224-4 du code rural ne méconnaissait
pas l'article 9 de la directive sur les oiseaux sauvages, qui, sous certaines
conditions, autorise les chasses traditionnelles.
Je signale en outre que les défenseurs des chasses traditionnelles sont
représentés au Conseil national de la chasse et de la faune sauvage par
l'intermédiaire des présidents des fédérations de chasse des départements où se
pratiquent ces modes de chasse. Il n'y a donc pas lieu de prévoir dans un texte
législatif la représentation de telle association plutôt que de telle autre.
Si les fédérations estiment que leur représentation est insuffisante, elles
pourront saisir l'occasion de l'examen du futur texte sur la chasse pour
demander que cette question soit examinée en concertation avec elles ; elles
pourront peut-être alors faire des propositions.
Bref, il ne nous a pas semblé justifié de modifier la rédaction actuelle de
l'article L. 224-4 du code rural, et je serais particulièrement heureuse que
mes collègues acceptent de retirer leur amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Comme je
l'ai indiqué précédemment, et bien que je sois critique et même hostile à son
principe, je dois dire que la conformité du texte de l'article L. 224-4 du code
rural, qui encadre l'exercice des chasses traditionnelles, avec les
dispositions de la directive « oiseaux » a été confirmée par la Cour de justice
des Communautés européennes.
Il me semble inopportun de modifier une rédaction consensuelle et de prendre
le risque de remettre en cause l'exercice de ces chasses, notamment en
substituant la notion de « quantité raisonnable » à celle de « petite quantité
», qu'on retrouve à la fois dans la loi et dans la directive.
Il ne me semble donc ni justifié ni souhaitable de réformer un dispositif qui
a fait l'objet d'une très large consultation au moment de son élaboration il y
a dix ans.
Monsieur Lefebvre, je vous suggère donc, moi aussi, de retirer l'amendement n°
2.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
M. Jacques Habert.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
De toute évidence, ce qu'a dit Mme le ministre est la logique même et j'espère
que notre collègue retirera son amendement.
En tout état de cause, la majorité de cette assemblée votera contre cet
amendement, comme nous le recommandent le commission et Mme le ministre, que
nous remercions d'avoir adopter cette position.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 3, M. Lefebvre et les membres du groupe communiste
républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article unique, un article
additionnel ainsi rédigé :
« L'article L. 224-6 du code rural est ainsi rédigé :
«
Art. L. 224-6. -
La mise en vente, l'achat, le transport ou le
colportage du gibier sédentaire pendant le temps où la chasse n'est pas permise
dans le département sont réglementés par l'autorité administrative. Il en sera
de même pendant le temps où la chasse y est permise. Sur tout le territoire
français, il est interdit en toutes saisons, en tout temps, de vendre,
d'acheter, d'importer ou d'exporter tout oiseau migrateur, vivant ou mort,
classé gibier. »
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
C'est encore dans le souci de moraliser la chasse que nous avons déposé cet
amendement.
Alors que, dans ma région, les chasseurs de canards sont menacés d'être
traînés en justice, des canards colverts sont régulièrement abattus en
Hollande.
De même, les tourterelles et les ortolans, qui sont protégés en Aquitaine,
sont abattus au Maroc ou au Sénégal.
Cependant, dans un élan de générosité et parce que je ne veux pas être accusé
d'être un « anti-salmis de palombe », j'ai décidé de retirer cet amendement.
M. Philippe François.
Très bien !
M. le président.
L'amendement n° 3 est retiré.
Intitulé
M. le président.
La commission des affaires économiques propose de rédiger comme suit
l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi relative aux dates
d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs. »
J'avoue, bien que je sorte ainsi de mon rôle, que l'article « des » m'étonne.
Ne doit-on pas plutôt dire : la chasse « aux » oiseaux migrateurs ?
M. Jean-Louis Carrère.
Vous avez raison : les oiseaux ne chassent pas !
M. le président.
C'est ce qu'il me semble. On dit : la chasse « à » la bécasse.
La commission souhaite-t-elle modifier la rédaction de cet intitulé ?
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
C'est une coquille, monsieur le président, et la commission
souhaite évidemment la corriger.
M. le président.
La commission des affaires économiques propose donc de rédiger comme suit
l'intitulé de la proposition de loi : « Proposition de loi relative aux dates
d'ouverture anticipée et de clôture de la chasse aux oiseaux migrateurs. »
Il n'y a pas d'opposition ?...
L'intitulé de la proposition de loi est donc ainsi rédigé.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à M. du Luart, pour explication de vote.
M. Roland du Luart.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je veux
rappeler devant la Haute Assemblée que le groupe « Chasse et pêche » s'est
engagé - et il tiendra ses engagements - à examiner, à fin d'expertise, les
amendements du groupe communiste républicain et citoyen dans un esprit de
consensus : voilà vingt ans que je suis parlementaire et quinze ans que je
préside le groupe « Chasse et pêche », et les textes que ce dernier a rédigé
ont toujours fait l'unanimité dans cette assemblée.
Les apports du groupe communiste républicain et citoyen peuvent être très
intéressants ; ils pourront alors être intégrés dans la proposition de loi n°
385.
Certes, monsieur Carrère, le groupe socialiste est libre de s'abstenir sur ce
texte, mais, mon cher collègue, après la négociation que j'ai menée avec notre
ami Michel Charasse, il aurait été souhaitable qu'il soit adopté à l'unanimité
si nous voulons véritablement qu'il soit inscrit à l'ordre du jour de
l'Assemblée nationale.
Sans l'unanimité, nous allons perdre du temps, ce que je regrette, car trop
d'arrêtés d'ouverture et de fermeture risquent encore d'être cassés.
Votre attitude me surprend d'autant plus que vous avez voté ce texte en
commission. Je ne comprends pas pourquoi vous émettez un vote différent en
séance publique !
Je souhaite pour ma part qu'une avancée soit réalisée dans la voie de la
résolution des problèmes liés à la chasse aux gibiers migrateurs et que l'on
cesse de mélanger les choses.
Je me suis efforcé de parvenir à un consensus global pour éviter tout amalgame
avec les élections de mars prochain. J'aurais en effet souhaité que, grâce à
notre action, la chasse ne soit pas un enjeux dans ces élections, car ce n'est
pas l'intérêt de la démocratie.
Si nous parvenions à un consensus dans cette assemblée, nous démontrerions à
tous les chasseurs de France, qu'ils soient d'Aquitaine, de Haute-Normandie, du
Centre, de la Sarthe ou d'ailleurs, la volonté du Parlement de trouver une
solution à leurs problèmes.
Que des arrêtés de fermeture et d'ouverture continuent à être régulièrement
cassés n'est ni sérieux ni conforme aux intérêts qui s'attachent à
l'aménagement du territoire et à la nature.
Certains d'entre vous jugeront notre texte insuffisamment complet. J'ai
expliqué tout à l'heure pourquoi il l'était : il a été établi en liaison avec
les associations représentatives et nous avons voulu être modestes et efficaces
plutôt qu'ambitieux et inefficaces.
Notre objectif est de rétablir le contact avec la Commission de Bruxelles et
d'être constructifs.
Mme le ministre a dit tout à l'heure que les rapports destinés à Bruxelles
n'étaient pas prêts. Je signale, madame, que le rapport de l'Office national de
la chasse a été déposé à votre ministère en septembre 1996 et que le rapport du
Muséum national d'histoire naturelle l'a été en février 1997 ! Il me semble que
vos services aurait pu, depuis votre arrivée au Gouvernement, faire la synthèse
de ces deux rapports et donc les transmettre à Bruxelles.
Pourquoi y a-t-il aujourd'hui une requête contre nous de la part de Bruxelles
? Parce que le Gouvernement n'a pas répondu à ses différentes injonctions.
Dès lors qu'on ne jouera pas double jeu avec elle, qu'on répondra à ses
injonctions et qu'on instituera des plans de gestion, la Commission pourra être
amenée à revoir ses positions.
Je souhaite donc très sérieusement, mes chers collègues, que nous parvenions à
un consensus, dans l'intérêt de la chasse en France, car il nous faut avant
tout éviter une excessive « politisation » - dans le mauvais sens du terme - du
sujet.
M. le président.
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre.
Nous aurions, nous aussi, souhaité aboutir à un consensus. Nous y sommes bien
parvenus en ce qui concerne les dates d'ouverture anticipée, mais un certain
nombre d'éléments nous semblent faire défaut dans la proposition de loi.
Ainsi, il n'est fait aucune allusion à un problème qui tient à coeur aux
habitants de l'Aquitaine, dont Jean-Louis Carrère s'est très bien fait l'écho :
je veux parler de la chasse aux colombidés.
Le même problème se pose, s'agissant de la chasse de nuit, pour les huttiers
et les sauvaginiers de la région Nord - Pas-de-Calais.
Dans les deux cas, les chasseurs concernés demeurent aujourd'hui en
infraction.
Vous comprendrez, monsieur du Luart, que notre démarche ne soit pas la même
que la vôtre, même si nous nous rejoignons sur un certain nombre de points.
En ce qui nous concerne, nous pensons qu'il faut faire part à Bruxelles, une
bonne fois pour toutes, de la volonté de la France d'organiser la chasse sur le
fondement de textes correspondant aux besoins exprimés par les chasseurs et par
tous les amoureux de la nature.
Votre démarche consiste au contraire à ne pas faire trop de vagues pour tenter
de faire admettre quelques avancées. Ce n'est pas à notre sens la bonne
méthode, même si Mme la ministre la qualifie de « chiffon rouge ». Je n'ai pas,
en ce qui me concerne, de craintes à ce sujet !
M. Roland du Luart.
Cette couleur ne vous fait pas peur en effet !
(Sourires.)
M. Pierre Lefebvre.
Telle est la différence qui nous sépare.
J'ajouterai, monsieur du Luart, que nous éprouvons quelque difficulté à mêler
nos voix à celles des promoteurs de cette directive, qui nous préoccupe. Il ne
faudrait pas que certains oublient les responsabilités qui sont les leurs à cet
égard !
Voilà pourquoi, en ce qui nous concerne, sans critiquer plus avant les
conclusions du rapport de la commission des affaires économiques, nous ne
voterons pas contre mais nous nous abstiendrons.
M. Roland du Luart.
Les chasseurs jugeront !
M. Pierre Lefebvre.
Comme vous le dites : les chasseurs jugeront !
M. le président.
La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère.
Madame la ministre, certes, le concept de « trajet migratoire » est délicat à
manier ; certes, en période prénuptiale - vous avez usé d'un terme plus exact,
mais il m'échappe - on doit protéger les oiseaux migrateurs afin de protéger
les espèces. Mais alors, il faudrait fermer toutes les chasses ! En effet, tous
ces oiseaux sont des géniteurs potentiels et, quel que soit le lieu où ils se
trouvent, ils se rapprochent fatalement de leur trajet de retour, d'un trajet
migratoire !
M. Roland du Luart.
Il ne faut pas exagérer !
M. Jean-Louis Carrère.
D'accord ! Je veux bien admettre qu'il y ait, à un moment donné, un trajet de
retour. Mais je sais bien aussi que ce n'est pas sur le trajet de retour, en
vol, que les oiseaux s'accouplent !
En tout cas, je ne veux pas qu'une trop longue période d'interdiction de
prélèvements soit imposée. En effet, en poussant à l'extrême la logique, on en
arriverait bientôt à interdire toute pratique de chasse aux oiseaux
migrateurs.
Donc, faisons attention !
En revanche, madame la ministre, s'agissant de la méthode de fixation des
dates d'ouverture et de fermeture, je suis plutôt tenté de dire que vos propos
vont dans le bon sens.
Monsieur du Luart, vous nous parlez d'unanimité et de perte de temps. S'il est
un sujet sur lequel je souhaite moi aussi qu'il y ait unanimité et que l'on ne
perde pas de temps, c'est bien celui-là ! Néanmoins, vous comprendrez que je
m'interroge quelque peu quand l'Union française des fédérations de chasseurs
m'appelle cinq minutes avant l'examen de ces textes en séance publique... Bien
que n'ayant pas participé au vote en commission, j'ai défendu au sein du groupe
auquel j'appartiens la position que j'ai adoptée ici, et ce sans que cela
soulève de problèmes particuliers.
Vous nous dites qu'il y a urgence. Dont acte, et je suis d'accord sur ce
point. Mais, contrairement à ce que vous avez indiqué, toutes les instances
n'ont pas été consultées ! En effet, l'association qui est à l'origine de la
proposition de loi que vous qualifiez de « communiste » et que, pour ma part,
je décris comme « présentée par les membres du groupe communiste républicain et
citoyen » ...
M. Roland du Luart.
Ne jouons pas sur les mots !
M. Jean-Louis Carrère.
Mais les mots comptent, et la sensibilité en la matière est réelle. Par
conséquent, faisons attention !
Je répète donc que cette association à l'origine de la proposition de loi
présentée par les membres du groupe communiste républicain et citoyen n'a
jamais fait partie des instances consultées ! Ce ne sont d'ailleurs pas les
pouvoirs publics qui s'y opposent ! Les chasseurs eux-mêmes, par leur
ostracisme, écartent quelquefois les bons et les mauvais chasseurs. C'est là
une erreur, car, dans ce domaine, il faut que, tous ensemble, nous trouvions
une méthode nous permettant de légiférer pour le bien de la chasse.
En conclusion, je dirai que nous ne nous opposerons pas à ce texte ;
néanmoins, eu égard à la région que j'entends défendre, qui m'a élu et à qui je
rendrai des comptes, je ne puis le voter, car il ne tient compte ni des
particularismes locaux ni des chasses traditionnelles de l'Aquitaine.
M. le président.
La parole est à M. François.
M. Philippe François.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'intérêt de
ce texte est précisément de regrouper les deux propositions de loi déposées
respectivement par M. du Luart et par M. Charasse et, en conséquence, de
rassembler la totalité du Sénat. C'est l'une des raisons pour lesquelles le
groupe du RPR le votera.
Je ne reviendrai pas sur le détail des propos qui ont été tenus. Je
soulignerai simplement l'importance capitale de ce qu'a dit tout à l'heure M.
du Luart, à l'adresse de Mme le ministre : pourquoi, en effet, le Gouvernement
a-t-il mis autant de temps pour communiquer à la Commission de Bruxelles les
documents exigés ?
La condamnation ne vous offrirait-elle pas indirectement une arme puissante
pour faire pression sur les chasseurs, madame la ministre ? Je le crains. En
tout état de cause, si l'on en arrivait à une condamnation par la Commission de
Bruxelles, j'en ferais alors porter la responsabilité au Gouvernement
français.
M. Jean-Louis Carrère.
Lequel ?
M. Philippe François.
Quoi qu'il en soit, le groupe du RPR votera les conclusions modifiées du
rapport de la commission.
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Je souhaite adresser des remerciements, tout d'abord, à Mme Heinis, ainsi qu'à
la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'excellent rapport qui
a été présenté, et, ensuite à M. Roland du Luart, pour sa proposition de loi et
pour les arguments intéressants qu'il a développés.
M. Jean-Louis Carrère.
Il y a des chasseurs parmi les Français de l'étranger ? Cela fait de grandes
migrations...
M. Jacques Habert.
Je remercierai enfin Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de
l'environnement, qui a compris les raisons de notre démarche.
Nous voterons, avec la majorité du Sénat, le texte issu des travaux de notre
assemblée.
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis.
On ne peut dire, je crois, que nous n'avons pas assuré la défense de la chasse
traditionnelle, même si nous n'avons pas traité le problème de manière
exhaustive, dans la mesure où cela relève plutôt de la loi future sur la
chasse.
L'article L. 224-4 du nouveau code rural a permis la reconnaissance d'un
certain nombre de chasses traditionnelles. Par définition, nous sommes donc
sensibles à ce problème, et nous défendons ces chasses.
Je suis personnellement tout à fait favorable à une révision réglementaire de
l'article 1er de l'arrêté du 27 avril 1972 afin de permettre à l'association
dont M. Lefebvre a parlé de faire partie du Conseil national de la chasse et de
la faune sauvage. Cela me semble même nécessaire dans la mesure où il faut, si
nous voulons parvenir à une entente, que l'ensemble des grandes associations
soient représentées.
Je m'adresserai maintenant à Mme le ministre : votre discours était fort
habile, ce qui ne m'étonne pas. Mais si j'ai admiré l'habileté, je suis loin
d'avoir approuvé la plupart des propos ! Je ne reprendrai que deux ou trois
points.
En définitive, madame le ministre, tout l'objet de votre intervention était
malheureusement de condamner, avec habileté certes, mais avec beaucoup
d'efficacité, la chasse !
M. Philippe François.
Exact !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
En fait, vous avez brocardé - on peut le dire ! - le fait que
nous rigidifions le système. Or, vous savez très bien que ce n'est pas de
gaieté de coeur que nous le faisons.
Vous savez également que laisser le dispositif en l'état conduirait à
multiplier les sources de contentieux et, par là même, à condamner la
chasse.
La fixation des dates pendant un certain temps, pour éviter les contentieux,
pour se mettre en règle avec la Commission européenne et pour ne pas s'entendre
reprocher de n'avoir pas procédé à la transposition constitue donc tout de même
la première étape par laquelle il nous faut passer.
La solution n'est pas parfaite, j'en conviens ; mais il faut bien un début.
Disons qu'elle présente l'avantage d'ouvrir la porte du futur, ce que,
personnellement, je souhaite.
Notre objectif était de franchir cette étape, de supprimer les motifs de
contentieux, de permettre en fait aux chasseurs de chasser comme ils l'ont
toujours fait ces derniers temps et de reprendre nos négociations avec la
Commission européenne.
A ce titre, j'ai eu de nombreux contacts avec la Commission ; or, madame le
ministre, les propos qui m'ont été tenus - je regrette de le dire - ne sont pas
exactement ceux dont vous avez fait état !
Vous savez très bien que, si nous avions fourni les deux rapports réclamés,
rapports que vous avez en votre possession, tout comme moi, et qui ne sont pas
aussi différents que vous avez bien voulu le dire, nous aurions eu une base de
négociation. La Commission était prête à admettre que, compte tenu du
changement de gouvernement, le second rapport n'était pas encore rédigé. Mais
nous aurions au moins disposé d'un élément. Là, il n'y a rien, et c'est un
reproche que l'on nous adresse. Par conséquent, il serait inexact de prétendre
que l'on pourrait reprendre la négociation avec la Commission sans faire quoi
que ce soit. En effet, il m'a bien été dit que, pour que les négociations
reprennent, la Commission avait besoin de quelques éléments.
Ces documents, madame le ministre, vous ne les avez pas fournis,
personnellement, je le déplore. J'estime qu'il n'est pas normal que le
Gouvernement français se mette systématiquement en tort aux yeux de la
Commission, alors que l'on sait pertinemment que leurs relations ne sont pas si
faciles !
Mme Dominique Voynet,
ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Il
s'agissait du précédent gouvernement !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Non, madame le ministre, ces rapports vous ont été réclamés,
à vous ! Cela m'a été dit !
M. Philippe François.
Le Gouvernement est permanent !
Mme Anne Heinis,
rapporteur.
Ces rapports étaient prêts, comme je l'ai indiqué tout à
l'heure !
Je terminerai ce propos en remerciant tous mes collègues qui m'ont aidée dans
la préparation de ce texte - mais il est très court, soulevait un certain
nombre de difficultés - l'ensemble de la commission des affaires économiques et
toutes les personnes auditionnées.
Je souhaite donc maintenant que le Gouvernement inscrive ce texte à l'ordre du
jour de l'Assemblée nationale et que cette dernière l'adopte. Cela marquerait
le début d'une excellente concertation avec les chasseurs, avec le
Gouvernement, avec la Commission européenne, pour que la chasse, qui est un art
noble lorsqu'elle est bien exercée, soit pratiquée en France dans de bonnes
conditions, tant pour les chasseurs que pour la conservation des espèces.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix, modifiées, les conclusions du rapport de la commission des
affaires économiques sur les propositions de loi n°s 346 rectifié (1996-1997),
359 (1996-1997) et 135 (1997-1998).
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public, émanant, l'une, de la
commission, l'autre, du groupe des Républicains et Indépendants.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président.
Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n°
72:
Nombre de votants | 318 |
Nombre de suffrages exprimés | 228 |
Majorité absolue des suffrages | 115 |
Pour l'adoption | 228 |
9
TRANSMISSION
D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. le président de l'Assemblée nationale une proposition de loi,
modifiée par l'Assemblée nationale, relative au renforcement de la veille
sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à
l'homme.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 222, distribuée et renvoyée
à la commission des affaires sociales.
10
DÉPÔT D'UN AVIS
M. le président.
J'ai reçu de M. Alain Vasselle un avis présenté au nom de la commission des
affaires sociales sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après
déclaration d'urgence, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France
et au droit d'asile (n° 188, 1997-1998).
Cet avis sera imprimé sous le numéro 221 et distribué.
11
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 20 janvier 1998 :
A neuf heures trente :
1. - Questions orales sans débat suivantes :
I. - M. Rémi Herment demande à M. le ministre de la défense de bien vouloir
l'éclairer sur les restructurations et compensations envisagées après le départ
des régiments de Verdun : 3e RAMA, arrondissement des travaux, subsistances,
dissolution du CM 62. Il apparaît en effet que les soutiens financiers et les
remplacements en personne n'ont pas été compensés à la hauteur des attentes et
de la dette morale de la nation à l'égard de l'agglomération verdunoise, qui
traverse actuellement une situation particulièrement difficile.
Considérant également que cette situation a été largement aggravée avec la
dissolution du 151e RI ;
Considérant, en outre, que sur les dossiers de compensation liés aux
restructurations militaires la plus grande transparence doit être de règle ;
Considérant enfin que la professionnalisation du 2e Chasseurs et la
perspective de l'accueil du char Leclerc sont des éléments positifs non
négligeables ;
Il lui demande :
Qu'un bilan chiffré et complet soit établi de la première phase de
restructuration mettant en exergue les pertes réelles de population de
l'agglomération verdunoise, les sommes dépensées par l'autorité militaire avant
le départ du 3e RAMA et d'autres unités et les compensations financières
réelles obtenues : FRED, KONVER, Etat, région et collectivités territoriales
concernées ;
Qu'un rapport précis soit réalisé à la suite de la dissolution du 151e RI -
sommes dépensées par l'autorité militaire, perte de population ;
Qu'un rapport détaillé des opérations et des financements soit établi sur les
projets dits de compensation après le départ du 151e RI - KONVER II, FRED...
;
Que soient recensées les perspectives de compensations en personnels au
travers de délocalisations de services nationaux. (N° 147.)
II. - M. Fernand Demilly attire l'attention de M. le ministre de la défense
sur l'avenir de l'avion de transport futur, l'ATF.
Dans une déclaration conjointe, le Président de la République, le Premier
ministre, le Chancelier allemand et le Premier ministre britannique ont
souhaité, début décembre, une réorganisation urgente des industries
aérospatiales, tant civiles que militaires, pour aboutir à une intégration
européenne fondée sur un partenariat équilibré.
La supériorité de l'ATF a été clairement démontrée. Six pays membres de
l'Union européenne se sont engagés à lancer un appel d'offres auprès des
industriels. Cependant, sans un engagement fort de la France dans les prochains
mois, avec une commande globale possible d'une cinquantaine d'appareils, ce
programme ATF serait compromis. C'est ce que prétend le rapport remis en juin
dernier par M. Pierre Lelong, président de chambre à la Cour des comptes, à M.
le Premier ministre.
Dans un tel contexte, il lui demande quel est l'avenir du futur avion de
transport de troupes ATF. (N° 149.)
III. - M. Charles de Cuttoli attire l'attention de M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie sur une mesure prévoyant qu'à partir
du 1er janvier 1998 les bons anonymes - bons de caisse, bons du Trésor, bons de
capitalisation - feront l'objet, dès leur souscription, d'une déclaration soit
d'anonymat, soit de souscription nominative. Dans ce dernier cas, le
souscripteur devra communiquer son identité et celle du bénéficiaire si elle
est différente.
Il lui demande de bien vouloir lui préciser si le propriétaire du bon
nominatif est le souscripteur ou le bénéficiaire, et si le bénéficiaire peut
être changé par le souscripteur. Il lui demande également si, en cas de décès
du bénéficiaire avant le souscripteur, le bon reste ou redevient la propriété
dudit souscripteur ou s'il est intégré dans l'actif de la succession du
bénéficiaire.
Enfin, il lui demande de bien vouloir lui préciser les références des textes
législatifs ou réglementaires servant de base juridique à ladite mesure. (N°
151.)
IV. - Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat
aux anciens combattants sur l'attribution des bénéfices de campagne double aux
fonctionnaires cheminots et agents de services publics anciens combattants en
Afrique du Nord. Elle lui rappelle que, le 9 décembre 1974, la loi n° 70-144 a
reconnu, dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des
conflits antérieurs, les services des anciens d'Afrique du Nord. Elle lui
rappelle également que la loi du 14 avril 1924 reconnaît les bonifications pour
les campagnes doubles comme un droit à réparation accordé aux anciens
combattants fonctionnaires et assimilés, ce bénéfice ayant été étendu
progressivement aux agents de certains services publics, tels les cheminots -
décision du ministère des transports du 31 mars 1964.
Elle lui demande quelles mesures il envisage pour accorder aux anciens
combattants fonctionnaires cheminots et agents des services publics ayant
combattu en Afrique du Nord le bénéfice de campagne double. (N° 12.)
V. - M. Dominique Braye attire l'attention de Mme le ministre de l'aménagement
du territoire et de l'environnement sur la délocalisation annoncée du siège
national de la SONACOTRA à Mantes-la-Jolie.
Cette décision avait été prise le 10 avril 1997 par le CIAT, le Comité
interministériel sur l'aménagement du territoire, parmi plusieurs mesures de
délocalisations d'administration ou d'établissements publics au profit de sites
en reconversion industrielle et de sites d'intervention prioritaire de la
politique de la ville.
La ville de Mantes-la-Jolie, cumulant ces deux critères, était
particulièrement éligible à bénéficier d'une telle mesure, qui permettait des
retombées économiques positives : arrivée dans la commune de plus de 200
emplois, sans compter les emplois induits, générant une taxe professionnelle
annuelle d'environ 5 millions de francs.
Mantes-la-Jolie et son agglomération sont en effet sinistrées au plan
économique et aux prises avec de graves difficultés financières - potentiel
fiscal inférieur de 40 % à la moyenne nationale - et d'importants problèmes
sociaux taux de chômage élevé, plus grande ZUP de France avec le Val-Fourré.
Ainsi, 800 emplois industriels y ont été supprimés ces deux dernières années,
et plusieurs autres sites industriels sont menacés à brève échéance. L'exercice
budgétaire de la commune, pour la seule année 1998, du fait de la diminution
des ressources fiscales et de certaines dotations, sera marqué par une perte
annuelle de 9 millions de francs, qu'aurait compensée pour moitié la taxe
professionnelle versée par la SONACOTRA.
Dans ce contexte, la délocalisation à Mantes-la-Jolie de la SONACOTRA était
une mesure particulièrement attendue, vitale pour cette ville et l'ensemble de
son agglomération, ce que l'ensemble des élus locaux du district urbain de
Mantes ont souligné à l'unanimité. Il leur a semblé indispensable de rappeler
que M. le Premier ministre lui-même a affirmé que les engagements pris par le
précédent gouvernement doivent être honorés, en vertu du principe républicain
de continuité, et ce d'autant plus que la survie économique d'une commune et de
tout un bassin d'emploi est en jeu.
En conséquence, il lui demande donc de maintenir la décision de délocaliser le
siège national de la SONACOTRA à Mantes-la-Jolie et de préciser la date à
laquelle cette délocalisation sera mise en oeuvre. (N° 119.)
VI. - M. Bernard Barraux attire l'attention de M. le ministre de la fonction
publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur l'avenir de la
Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la
CNRACL.
Compte tenu des prélèvements effectués sur les réserves de la caisse au titre
de la compensation et de la surcompensation en faveur des autres régimes
d'assurance vieillesse, la CNRACL connaît depuis plusieurs années un déficit de
trésorerie.
En effet, ces transferts atteignent 19,4 milliards de francs en 1997, soit le
tiers des recettes du régime et près de 50 % du montant des prestations servies
par le régime.
Conformément à l'article 30 de la loi de financement de la sécurité sociale
pour 1997, l'équilibre financier de la CNRACL est assuré cette année grâce à la
mobilisation d'une partie des réserves structurelles du fonds des allocations
temporaires d'invalidité.
Cependant, il s'agit d'un aménagement exceptionnel, qui ne résout pas le
problème de l'équilibre général de la caisse.
Par ailleurs, en 1998, il ne sera pas procédé à une augmentation des
cotisations pesant sur les collectivités locales. Une telle augmentation
apparaît, en effet, particulièrement inopportune, alors que les charges pesant
sur les collectivités vont connaître une augmentation très sensible l'année
prochaine avec, en particulier, la mise en place du plan emploi-jeunes.
Un éventuel allégement des contraintes liées à la surcompensation au profit
des autres régimes doit probablement être envisagé.
Il lui demande donc ce que le Gouvernement entend faire afin d'assainir de
façon durable la situation financière de la CNRACL. (N° 60.)
VII. - M. Daniel Hoeffel appelle l'attention de M. le ministre de la fonction
publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation sur la portée de
l'article 70 de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996, modifiant l'article 111
de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, relatif à la validation des compléments
de rémunération collectivement acquis par les agents titulaires d'un emploi
dans une collectivité territoriale.
La rédaction de cet article a en effet fait naître certains doutes quant à
l'application de ces dispositions.
Il lui demande donc s'il ne serait pas possible d'apporter dans les meilleurs
délais, et si possible avant la fin de l'année afin que les collectivités
locales concernées puissent verser sans risque leur prime de fin d'année, une
réponse claire aux questions suivantes :
Les régimes indemnitaires mis en place par certaines collectivités avant
l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 1984 et dont l'existence a été
légalisée par cette loi peuvent-ils concerner tous les agents de ces
collectivités, titulaires ou non titulaires, et cela indépendamment de la date
de leur recrutement, qu'elle soit antérieure ou postérieure au 26 janvier 1984
?
Compte tenu des inégalités pouvant exister entre les agents des diverses
collectivités, serait-il possible de régulariser la situation des collectivités
qui ont institué des primes de fin d'année après l'entrée en vigueur de la loi
du 26 janvier 1984, qui sont de ce fait illégales ?
Enfin, et par voie de conséquence, les établissements publics de coopération
intercommunale créés postérieurement pourraient-ils profiter de cette réforme
pour mettre en place un complément de rémunération ? (N° 117.)
VIII. - M. Alain Dufaut attire l'attention de M. le ministre de l'équipement,
des transports et du logement sur les préoccupations exprimées par les usagers
de la ligne aérienne Avignon-Paris, au regard du tarif élevé pratiqué sur cette
desserte régionale.
Un aller-retour Avignon-Paris, plein tarif, coûte en effet 2 354 francs, alors
que le même billet sur la ligne Marseille-Paris revient à 2 050 francs, soit
environ 15 % de moins pour une distance pourtant supérieure.
La longueur insuffisante de la piste de l'aéroport Avignon-Caumont nécessitait
jusqu'à présent l'octroi d'une dérogation pour l'atterrissage de certains
appareils, justifiant ainsi le maintien d'un tarif plus élevé.
Cette particularié n'existe désormais plus, puisque des travaux pour allonger
la piste de 200 mètres ont été réalisés récemment. C'est donc à bon droit que
les collectivités locales et la chambre de commerce et d'industrie d'Avignon et
de Vaucluse, dont l'effort financier pour mettre en oeuvre ces travaux s'est
révélé considérable, souhaitent ardemment que celui-ci se traduise par une
baisse conséquente des tarifs au profit des usagers de la ligne.
Compte tenu, par ailleurs, du rôle joué par cette desserte en matière
d'aménagement du territoire, et d'autant plus que celle-ci s'avère rentable, il
souhaite son intervention en faveur d'une baisse de tarif de la liaison
Avignon-Paris.
Aussi, il lui demande quelle est sa réaction face à cette requête et s'il
envisage de prendre des mesures en ce sens. (N° 121.)
IX. - M. Franck Sérusclat souhaite interroger Mme la ministre déléguée chargée
de l'enseignement scolaire sur la question des rythmes scolaires.
Il aimerait savoir ce que recouvre exactement ce terme : s'agit-il du temps
passé par l'enfant à l'école dans une journée ou dans une semaine, du rythme
annuel temps scolaire-vacances, du rythme propre de l'enfant, qui est
nécessaire à l'émergence de sa personnalité, avec prise en compte des activités
dites périscolaires ?
Il lui demande si, dans une perspective de modification des rythmes scolaires,
il ne serait pas souhaitable d'agir sur ces différents paramètres à la fois ?
S'il ne convient pas de repenser le temps scolaire hebdomadaire, des
expériences telle la semaine de quatre jours s'avérant être un échec pour
l'équilibre de la plupart des enfants - et arrangeant essentiellement quelques
parents aisés ? S'il ne convient pas de réorganiser la journée scolaire trop
longue en aménageant le déroulement de ses activités ?
Enfin, au cours d'une telle modification des rythmes scolaires, il lui demande
s'il ne serait pas utile de prendre en compte l'émergence des nouvelles
techniques d'information et de communication à l'école et d'y adapter les
rythmes en imaginant des lieux et temps d'accès en libre-service, pour une
familiarisation souple, ainsi qu'en aménageant des séances interdisciplinaires
et de travaux de groupes ? (N° 141.)
X. - M. Jean-Marc Pastor attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la
santé sur l'application de la législation relative aux prélèvements d'organes
et, en particulier, sur ceux qui sont réalisés
post mortem.
Une loi n° 76-1181 du 22 décembre 1976, dite loi Callaivet, a défini les
modalités du principe qui prévaut depuis en France : celui du consentement
présumé. Cela signifie que toute personne qui, de son vivant, n'a pas fait
connaître son opposition au prélèvement d'organes est considérée comme un
donneur potentiel. De ce fait, le prélèvement peut être effectué sans
recueillir l'autorisation de quiconque, sauf s'il s'agit du cadavre d'un mineur
ou d'un incapable : dans ce cas très précis, l'autorisation du représentant
légal est requise.
Sans remettre en cause le principe, sont intervenues en 1994 les lois n°
94-653 et n° 94-954 dites de bioéthique, lesquelles prévoyaient de faciliter
l'expression du refus en créant un registre national informatisé.
L'Etablissement français des greffes a d'ailleurs lancé, début novembre 1997,
une campagne d'information sur la mise en place de ce registre.
Ces lois s'inscrivaient dans un contexte de pénurie croissante de greffons,
due pour une grande partie à l'opposition des familles.
Toutefois, on peut légitimement se poser la question de l'utilité d'un tel
registre ; en effet, si le nom du défunt ne figure pas dans le registre,
l'équipe médicale pourra continuer, comme par le passé, à demander l'accord de
la famille et devra respecter sa décision.
En conséquence, il souhaiterait que lui soit précisée sa position sur ce sujet
; par ailleurs, considérant, d'une part, la pénurie de greffons et le nombre
croissant de receveurs en attente, et, d'autre part, les difficultés
psychologiques qui incombent aux familles confrontées à l'urgence des décisions
à prendre, il lui demande s'il n'est pas possible d'envisager le lancement
d'une vaste campagne d'information sur la législation en vigueur. (N° 152.)
XI. - Mme Marie-Madeleine Dieulangard souhaite interroger M. le secrétaire
d'Etat au logement sur les règles relatives à l'assujettissement des résidents
des foyers de travailleurs à la taxe d'habitation.
La mission de ces foyers est d'accueillir des personnes, notamment des jeunes,
afin de leur permettre d'accéder en toute autonomie à des logements
individuels. Cette mission accomplie génère, de ce fait, des séjours le plus
souvent inférieurs à une année. Or, en se fondant sur la seule date du 1er
janvier pour déterminer la personne assujettie à cette taxe, cette
réglementation fait abstraction de la durée effective du séjour et induit des
inégalités entre les différents occupants.
Elle souhaite connaître ses intentions pour remédier à cette inégalité de
traitement et s'interroge sur la possibilité d'appliquer à ces équipements
d'accueil collectif à vocation sociale le même régime que celui en vigueur pour
les cités universitaires. (N° 79.)
XII. - M. Jacques de Menou alerte M. le ministre de l'équipement, des
transports et du logement sur le problème de la nécessaire mise aux normes « U
» des maisons de retraite et des foyers-logements conventionnés à l'aide
sociale dont la vocation s'apparente de plus en plus à celle des maisons de
retraite.
Aujourd'hui, en effet, avec la mise en place de tous les services de maintien
à domicile : aides ménagères, aides-soignantes, infirmières, portage des repas,
les personnes âgées ne rentrent en maison de retraite qu'à un âge très avancé -
quatre-vingt-trois ans en moyenne dans mon département du Finistère - et de
plus en plus dépendantes.
Tous ces établissements, qui ont des conventions avec l'Etat ouvrant droit à
l'aide personnalisée au logement, l'APL, devraient pouvoir bénéficier d'un taux
de taxe sur la valeur ajoutée - TVA - réduit et, le cas échéant, de primes à
l'amélioration des logements à usage locatif et d'occupation sociale, ou
PALULOS. Cela vaut également pour les établissements accueillant des handicapés
et conventionnés.
Au cours du débat budgétaire, M. le secrétaire d'Etat au budget a déclaré,
suite à un amendement du groupe du RPR, cette demande satisfaite par l'article
II du présent budget qui s'applique « à tous les logements pour lesquels il y a
convention avec l'Etat ouvrant droit à l'APL ».
Il souhaite avoir confirmation de cette mesure qui signifierait, pour les
foyers-logements, maisons de retraite et établissements pour handicapés
conventionnés par l'Etat à l'APL, une TVA réduite sur les travaux de rénovation
et de mise aux normes « U » pour personne dépendante, et ce quel que soit le
propriétaire : organisme d'habitation à loyer modéré, ou HLM, Caisse centrale
d'action sociale CCAS ou association...
On pourrait également reconnaître que les mêmes établissements conventionnés à
l'aide sociale bénéficiaires de l'allocation logement sociale, l'ALS,
pourraient, en cas de rénovation, se trouver conventionnés à l'APL et
bénéficier de ce fait, pour ces mêmes travaux, du même taux de TVA. (N°
132.)
XIII. - M. Michel Mercier rappelle à M. le ministre de l'intérieur que la
situation statutaire des élus locaux et, notamment, celle des maires a été
considérablement modifiée par la loi de financement de la sécurité sociale.
En effet, d'une part, les indemnités des élus locaux vont désormais être
soumises au taux renforcé de la contribution sociale généralisée. En apparence,
ces indemnités sont soumises au droit commun, ce qui est bien. Mais, en
réalité, ces indemnités qui ne supportaient pas de cotisations sociales puisque
les élus locaux ne sont pas assujettis à la sécurité sociale sont désormais
traitées comme des produits d'épargne ! Les élus locaux sont la seule catégorie
sociale pour laquelle le transfert des cotisations sociales vers la CSG n'est
pas neutre.
D'autre part, il apparaît que les termes généraux de la loi de financement de
la sécurité sociale lorsqu'ils s'appliqueront auront pour conséquence d'inclure
les indemnités des élus locaux dans les ressources plafonnées pour déterminer
s'il y a lieu ou non de verser les allocations familiales. Ainsi, un maire qui
consacre beaucoup de temps à son mandat, qui perçoit une indemnité ne couvrant
qu'imparfaitement et le temps passé et les frais engagés par l'exercice d'un
mandat local pourrait, de ce fait, voir supprimer ses allocations
familiales.
Il lui demande s'il entend prendre des mesures destinées à pallier les
conséquences néfastes de ce texte pour les élus locaux et quelles seraient, le
cas échéant, ces mesures. (N° 144.)
XIV. - M. José Balarello demande à M. le ministre de l'intérieur de lui faire
connaître quelles mesures il entend prendre au niveau européen au sujet du
problème posé depuis peu de temps par les arrivées massives de réfugiés kurdes
aux frontières sud de l'espace Schengen et plus particulièrement en Italie,
pays où la réglementation prévoit que, si le réfugié n'obtient pas le droit
d'asile, il est expulsé dans les quinze jours du territoire.
Durant ce laps de temps, les populations réfugiées sont livrées à elles-mêmes
sans aucun contrôle et mettent à profit ces quelques jours pour transiter
clandestinement vers la France ou l'Allemagne.
Aussi, il lui demande s'il ne lui semble pas urgent de saisir INTERPOL afin
que tous les pays de l'espace Schengen recherchent les filières mafieuses qui
rackettent ces réfugiés pour l'organisation de transferts depuis la Turquie ou
l'Irak vers l'Europe occidentale. En effet, d'après les renseignements obtenus
auprès des autorités italiennes pour la seule année 1997, ce sont 4 500 Kurdes
qui ont été refoulés de la frontière française en territoire italien d'où ils
arrivaient.
Il lui demande en outre de lui faire connaître, les Kurdes étant en conflit
ouvert tant avec les autorités de la Turquie où ils représentent un cinquième
de la population, soit 12 millions, qu'avec les autorités de l'Irak où on en
dénombre environ 4 millions, s'il ne lui apparaît pas très urgent de définir
une politique commune de l'Union européenne, tout au moins des pays appartenant
à l'espace Schengen, vis-à-vis des flux migratoires, et ce dès avant
l'application du traité d'Amsterdam. Par ailleurs, si, au regard de l'article
31 du projet de loi sur l'entrée et le séjour des étrangers en France, tel
qu'il vient d'être voté à l'Assemblée nationale et qui doit venir en discussion
devant le Sénat, ces populations seront ou non considérées comme pouvant
bénéficier de l'asile politique.
Enfin, s'il ne lui apparaît pas opportun de saisir les instances
internationales et particulièrement l'ONU afin de faire pression sur la Turquie
et l'Irak pour les obliger à cesser les actes militaires qu'ils exercent envers
ces populations et engager une procédure de dialogue avec leurs représentants
modérés. Il est bon en effet de rappeler que les Kurdes représentent
actuellement une population de 25 millions d'habitants partagés entre la
Turquie, l'Irak, l'Iran, la Syrie et les républiques du Caucase, près de la
moitié vivant sur le territoire turc. (N° 150.)
XV. - M. Jean-Paul Delevoye appelle l'attention de Mme le ministre de la
culture et de la communication sur la question du financement de l'archéologie
préventive, destinée à sauver le patrimoine archéologique découvert à
l'occasion d'opérations de démolition, de construction de biens immobiliers, de
réalisation de routes... A l'occasion d'une récente déclaration, elle a annoncé
sans ambiguïté une réforme de la législation relative à cette question dans le
cadre de la convention européenne de Malte du 1er janvier 1992 ratifiée par la
France en 1994. Cela est effectivement nécessaire.
Il souhaite en conséquence connaître les principales orientations qui
résultent des assises nationales de l'archéologie récemment organisées, ainsi
que les principaux choix politiques qu'elle souhaite proposer au Parlement,
s'agissant du cadre juridique et financier de l'archéologie préventive. (N°
21.)
XVI. - M. René Marquès attire l'attention de Mme le ministre de la culture et
de la communication sur la réalisation de la nouvelle liaison
Perpignan-Canet.
L'itinéraire reliant Perpignan au littoral présente une accidentologie
particulièrement grave due au trafic très important y circulant, surtout la
nuit, à grande vitesse et à la jeunesse des conducteurs. En conséquence, le
conseil général des Pyrénées-Orientales a décidé, en 1989, d'aménager cette
liaison de sept kilomètres en la portant à deux fois deux voies. Le chantier a
démarré en 1995 et s'est trouvé retardé par les fouilles archéologiques du Mas
Miraflor, dont le montant, supérieur à 300 000 francs, a nécessité le recours à
une procédure d'appel d'offres.
Il lui précise que au bout de dix-huit mois de procédure, force est de
constater que la concurrence n'a pu s'exercer du fait du monopole détenu par
l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN, monopole
renforcé par le fait que l'autorisation indispensable au responsable de la
fouille archéologique est accordée par le ministère de la culture, qui rejette,
par l'intermédiaire des commissions interrégionales de recherche archéologique,
les propositions étrangères à l'AFAN.
Il lui indique que cette entrave à la concurrence paraît abusive et non
garante des meilleures conditions financières puisque, sur le chantier en
cause, le conseil général va devoir dépenser 160 000 francs de plus du fait du
recours à l'AFAN. En effet, une société espagnole, possédant d'excellentes
références en archéologie médiévale, était disposée à effectuer les mêmes
prestations que l'AFAN pour 391 000 francs TTC, au lieu de 552 000 francs.
En conséquence, il lui demande si elle envisage de remédier à cet état de
fait. (N° 89.)
A seize heures :
2. - Discussion du projet de loi (n° 161, 1997-1998), adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, tendant à améliorer les conditions
d'exercice de la profession de transporteur routier :
- Rapport n° 176 (1997-1998) de M. Jean-François Le Grand, fait au nom de la
commission des affaires économiques et du Plan.
- Avis n° 215 (1997-1998) de M. Lucien Lanier, fait au nom de la commission
des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du
règlement et d'administration générale.
- Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 19 janvier 1998, à
dix-sept heures.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale après
déclaration d'urgence, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France
et au droit d'asile (n° 188, 1997-1998) :
- Délai limite pour les inscriptions de parole de la discussion générale :
mardi 20 janvier 1998, à dix-sept heures.
- Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 26 janvier 1998, à
dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en
deuxième lecture, relative au fonctionnement des conseils régionaux (n° 207,
1997-1998) :
- Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 21 janvier 1998, à
dix-sept heures.
Débat consécutif à la déclaration du Gouvernement sur la réforme de la justice
:
- Délai limite pour les inscriptions de parole dans le débat : mercredi 21
janvier 1998, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quinze.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DU PLAN
M. Pierre Hérisson a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 139
(1997-1998) de Mme Danielle Bidard-Reydet et plusieurs de ses collègues tendant
à créer un comité national d'éthique du développement, dont la commission des
affaires économiques et du Plan est saisie au fond.
M. Jean-François Le Grand a été nommé rapporteur de la proposition de loi n°
194 (1997-1998) de M. Jean-François Le Grand et plusieurs de ses collègues
relative à la mise en oeuvre du réseau écologique européen, dénommé Natura
2000, dont la commission des affaires économiques et du Plan est saisie au
fond.
M. Alphonse Arzel a été nommé rapporteur de la proposition de résolution n°
164 (1997-1998) de M. Louis Minetti et plusieurs de ses collègues sur la
proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant le règlement n° 3094/95 et
prorogeant les dispositions pertinentes de la septième directive du Conseil
concernant les aides à la construction navale et la proposition de règlement
(CE) du Conseil établissant de nouvelles règles pour les aides à la
construction navale (n° E 936), dont la commission des affaires économiques et
du Plan est saisie au fond.
COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mme Nicole Borvo a été nommée rapporteur de sa proposition de loi n° 142
(1997-1998) visant à prévenir et réparer les conséquences de l'utilisation de
l'amiante.
M. Dominique Larifla a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 174
(1997-1998) de M. Rodolphe Désiré relative aux prestations familiales dans les
départements d'outre-mer.
M. Jean-Louis Lorrain a été nommé rapporteur du projet de loi n° 195
(1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, portant ratification et
modification de l'ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 relative à
l'amélioration de la santé publique à Mayotte.
M. Jean Madelain a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 220
(1997-1998) adoptée par l'Assemblée nationale tendant à ouvrir le droit à une
allocation spécifique aux chômeurs âgés de moins de soixante ans ayant quarante
annuités de cotisation d'assurance vieillesse.
COMMUNICATION RELATIVE À LA CONSULTATION
DES ASSEMBLÉES TERRITORIALES
M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une communication,
en date du 14 janvier 1998, relative à la consultation des assemblées
territoriales de la Polynésie française, de la Nouvelle-Calédonie et de
Wallis-et-Futuna sur le projet de loi portant habilitation du Gouvernement à
prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à
l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Ce document a été transmis à la commission compétente.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Statut des commissionnaires de transport
156.
- 14 janvier 1998. - Le décret n° 90-200 (
JO
du 7 mars 1990, p. 2800)
réglemente l'exercice de la profession de commissionnaire de transport. Est
visé par ce décret « tout commissionnaire établi en France qui, dans les
conditions fixées par le code de commerce, organise et fait exécuter, sous sa
responsabilité et en son propre nom, un transport de marchandises selon les
modes de son choix pour le compte d'un commettant ». Ledit commissionnaire doit
être inscrit à un registre des commissionnaires de transport, pour autant qu'il
remplisse certaines conditions d'honorabilité et de capacités financière et
professionnelle. En outre, si le postulant est un « étranger n'ayant pas la
nationalité d'un pays membre de la Communauté économique européenne »,
l'article 17 du décret pose une condition supplémentaire en exigeant qu'il soit
alors « ressortissant d'un pays avec lequel la France a conclu un accord de
réciprocité permettant son établissement sur le territoire national et dans les
conditions définies par cet accord ». Enfin, le décret a totalement abrogé
celui du 30 juin 1961 relatif aux professions auxiliaires de transports (dont
les commissionnaires de transport) qui exigeait, sous réserve du traité CEE,
que les dirigeants des personnes morales postulantes soient de nationalité
française (cf. l'article 6 A du décret de 1961). Le régime juridique
aujourd'hui applicable à l'inscription des commissionnaires de transport ne
prévoit donc plus aucune condition de nationalité concernant le dirigeant de la
société qui souhaite s'inscrire au registre, mais seulement une condition de
nationalité liée à la société elle-même prise en tant que personne morale. Dans
ces conditions,
M. Bernard Plasait
attire l'attention de
M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement
sur la pratique de certaines directions régionales de l'équipement (divisions
des infrastructures et des transports) qui subordonnent l'inscription d'une
société française au registre des commissionnaires de transport à une triple
condition d'honorabilité, de capacités professionnelle et financière -
conformément au décret - sous réserve en outre que la personne physique
responsable légal de ladite société française remplisse une condition
supplémentaire de nationalité qui n'est pas prévue par le décret. Il convient
de préciser que, dans les cas portés à l'attention de M. le ministre,
l'inscription demandée est celle d'une société française dont le gérant
ressortissant d'un Etat non communautaire et non lié à la France par un accord
de réciprocité, et non pas celle d'une personne physique en vue d'un exercice
en son nom propre ou en tant que titulaire de la capacité professionnelle
requise pour l'inscription de la société. La société à inscrire étant de droit
français, et non pas « un étranger n'ayant pas la nationalité d'un pays membre
de la Communauté économique européenne », il est légitime de s'interroger sur
la légalité du refus d'inscription au registre des commissionnaires des
transports opposé par les directions régionales de l'équipement en cause. En
posant une condition de nationalité du dirigeant de société qui n'est pas
prévue par la réglementation applicable et qui ne figure d'ailleurs pas non
plus dans la circulaire du 27 avril 1990 concernant l'application du décret du
5 mars 1990, les directions régionales de l'équipement ne sont-elles pas en
train d'enfreindre la légalité et d'excéder les pouvoirs dont elles disposent ?
ANNEXE AU PROCÈS-VERBAL
de la séance
du jeudi 15 janvier 1998
SCRUTIN (n° 72)
sur les conclusions du rapport de Mme Anne Heinis, fait au nom de la commission
des affaires économiques et du Plan, sur la proposition de loi présentée par M.
Roland du Luart et plusieurs de ses collègues, sur la proposition de loi
présentée par M. Michel Charasse et sur la proposition de loi présentée par M.
Pierre Lefebvre et plusieurs de ses collègues relatives aux dates d'ouverture
anticipée et de clôture de la chasse des oiseaux migrateurs.
Nombre de votants : | 318 |
Nombre de suffrages exprimés : | 228 |
Pour : | 228 |
Contre : | 0 |
Le Sénat a adopté.
ANALYSE DU SCRUTIN
GROUPE COMMUNISTE RÉPUBLICAIN ET CITOYEN (16) :
Abstentions :
16.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT DÉMOCRATIQUE ET SOCIAL EUROPÉEN (22) :
Pour :
22.
GROUPE DU RASSEMBLEMENT POUR LA RÉPUBLIQUE (95) :
Pour :
95.
GROUPE SOCIALISTE (75) :
Pour :
1. _ M. Michel Charasse.
Abstentions :
73.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. Michel Dreyfus-Schmidt, qui
présidait la séance.
GROUPE DE L'UNION CENTRISTE (58) :
Pour :
57.
N'a pas pris part au vote :
1. _ M. René Monory, président du Sénat.
GROUPE DES RÉPUBLICAINS ET INDÉPENDANTS (45) :
Pour :
45.
Sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe (9) :
Pour :
8.
Abstention :
1. _ M. André Maman.
Ont voté pour
François Abadie
Nicolas About
Philippe Adnot
Michel Alloncle
Louis Althapé
Jean-Paul Amoudry
Philippe Arnaud
Jean Arthuis
Alphonse Arzel
Denis Badré
Honoré Bailet
José Balarello
René Ballayer
Bernard Barbier
Janine Bardou
Michel Barnier
Bernard Barraux
Jacques Baudot
Jean-Michel Baylet
Michel Bécot
Henri Belcour
Claude Belot
Georges Berchet
Jean Bernadaux
Jean Bernard
Daniel Bernardet
Roger Besse
Jacques Bimbenet
Jean Bizet
François Blaizot
Paul Blanc
Maurice Blin
Annick Bocandé
André Bohl
Christian Bonnet
James Bordas
Didier Borotra
Joël Bourdin
Yvon Bourges
Philippe de Bourgoing
André Boyer
Jean Boyer
Louis Boyer
Jacques Braconnier
Gérard Braun
Dominique Braye
Paulette Brisepierre
Guy Cabanel
Michel Caldaguès
Robert Calmejane
Jean-Pierre Camoin
Jean-Pierre Cantegrit
Jean-Claude Carle
Auguste Cazalet
Charles Ceccaldi-Raynaud
Gérard César
Michel Charasse
Jacques Chaumont
Jean Chérioux
Marcel-Pierre Cleach
Jean Clouet
Jean Cluzel
Henri Collard
Yvon Collin
Charles-Henri de Cossé-Brissac
Jean-Patrick Courtois
Pierre Croze
Charles de Cuttoli
Philippe Darniche
Marcel Daunay
Désiré Debavelaere
Luc Dejoie
Jean Delaneau
Jean-Paul Delevoye
Jacques Delong
Fernand Demilly
Christian Demuynck
Marcel Deneux
Charles Descours
André Diligent
Jacques Dominati
Michel Doublet
Alain Dufaut
Xavier Dugoin
André Dulait
Ambroise Dupont
Hubert Durand-Chastel
Joëlle Dusseau
Daniel Eckenspieller
André Egu
Jean-Paul Emin
Jean-Paul Emorine
Hubert Falco
Pierre Fauchon
Jean Faure
Gérard Fayolle
Hilaire Flandre
Jean-Pierre Fourcade
Bernard Fournier
Alfred Foy
Serge Franchis
Philippe François
Jean François-Poncet
Yann Gaillard
Philippe de Gaulle
Patrice Gélard
Jacques Genton
Alain Gérard
François Gerbaud
Charles Ginésy
Jean-Marie Girault
Paul Girod
Daniel Goulet
Alain Gournac
Adrien Gouteyron
Jean Grandon
Francis Grignon
Georges Gruillot
Jacques Habert
Hubert Haenel
Emmanuel Hamel
Anne Heinis
Marcel Henry
Pierre Hérisson
Rémi Herment
Daniel Hoeffel
Jean Huchon
Bernard Hugo
Jean-Paul Hugot
Claude Huriet
Roger Husson
Jean-Jacques Hyest
Pierre Jeambrun
Charles Jolibois
Bernard Joly
André Jourdain
Alain Joyandet
Christian de La Malène
Jean-Philippe Lachenaud
Pierre Laffitte
Jean-Pierre Lafond
Pierre Lagourgue
Alain Lambert
Lucien Lanier
Jacques Larché
Gérard Larcher
Edmond Lauret
René-Georges Laurin
Henri Le Breton
Jean-François Le Grand
Edouard Le Jeune
Dominique Leclerc
Jacques Legendre
Guy Lemaire
Marcel Lesbros
François Lesein
Maurice Lombard
Jean-Louis Lorrain
Simon Loueckhote
Roland du Luart
Jacques Machet
Jean Madelain
Kléber Malécot
Philippe Marini
René Marquès
Pierre Martin
Paul Masson
Serge Mathieu
Jacques de Menou
Louis Mercier
Michel Mercier
Lucette Michaux-Chevry
Daniel Millaud
Louis Moinard
Georges Mouly
Philippe Nachbar
Lucien Neuwirth
Nelly Olin
Paul d'Ornano
Joseph Ostermann
Georges Othily
Jacques Oudin
Sosefo Makapé Papilio
Charles Pasqua
Michel Pelchat
Jean Pépin
Alain Peyrefitte
Bernard Plasait
Régis Ploton
Alain Pluchet
Jean-Marie Poirier
Guy Poirieux
Christian Poncelet
Jean Pourchet
André Pourny
Jean Puech
Jean-Pierre Raffarin
Henri de Raincourt
Jean-Marie Rausch
Victor Reux
Charles Revet
Henri Revol
Philippe Richert
Roger Rigaudière
Jean-Jacques Robert
Jacques Rocca Serra
Louis-Ferdinand de Rocca Serra
Josselin de Rohan
Michel Rufin
Jean-Pierre Schosteck
Maurice Schumann
Bernard Seillier
Raymond Soucaret
Michel Souplet
Louis Souvet
Martial Taugourdeau
Henri Torre
René Trégouët
François Trucy
Alex Türk
Maurice Ulrich
Jacques Valade
André Vallet
Alain Vasselle
Albert Vecten
Robert-Paul Vigouroux
Xavier de Villepin
Serge Vinçon
Abstentions
Guy Allouche
Bernard Angels
François Autain
Germain Authié
Robert Badinter
Marie-Claude Beaudeau
Jean-Luc Bécart
Jacques Bellanger
Maryse Bergé-Lavigne
Jean Besson
Pierre Biarnès
Danielle Bidard-Reydet
Marcel Bony
Nicole Borvo
Jean-Louis Carrère
Robert Castaing
Francis Cavalier-Benezet
Monique Cerisier-ben Guiga
Gilbert Chabroux
Marcel Charmant
Michel Charzat
William Chervy
Raymond Courrière
Roland Courteau
Marcel Debarge
Bertrand Delanoë
Gérard Delfau
Jean-Pierre Demerliat
Jean Derian
Dinah Derycke
Rodolphe Désiré
Marie-Madeleine Dieulangard
Michel Duffour
Josette Durrieu
Bernard Dussaut
Claude Estier
Léon Fatous
Guy Fischer
Aubert Garcia
Claude Haut
Roger Hesling
Roland Huguet
Philippe Labeyrie
Serge Lagauche
Dominique Larifla
Pierre Lefebvre
Guy Lèguevaques
Claude Lise
Paul Loridant
Hélène Luc
Philippe Madrelle
Jacques Mahéas
André Maman
Michel Manet
Marc Massion
Pierre Mauroy
Georges Mazars
Jean-Luc Mélenchon
Louis Minetti
Gérard Miquel
Michel Moreigne
Jean-Baptiste Motroni
Robert Pagès
Jean-Marc Pastor
Guy Penne
Daniel Percheron
Jean Peyrafitte
Jean-Claude Peyronnet
Louis Philibert
Bernard Piras
Danièle Pourtaud
Gisèle Printz
Roger Quilliot
Jack Ralite
Paul Raoult
René Régnault
Ivan Renar
Roger Rinchet
Gérard Roujas
André Rouvière
Claude Saunier
Michel Sergent
Franck Sérusclat
René-Pierre Signé
Fernand Tardy
Odette Terrade
Paul Vergès
André Vezinhet
Marcel Vidal
Henri Weber
N'ont pas pris part au vote
MM. René Monory, président du Sénat, et Michel Dreyfus-Schmidt, qui présidait
la séance.
Les nombres annoncés en séance ont été reconnus, après vérification, conformes à la liste de scrutin ci-dessus.