PROFESSION DE TRANSPORTEUR ROUTIER

Adoption d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 161, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier. [Rapport n° 176 (1997-1998) et avis n° 215 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier constitue l'un des engagements que j'ai pris, au nom du Gouvernement de Lionel Jospin, lors du conflit routier qui, vous le savez, s'est déroulé à l'automne dernier. J'ai donc l'honneur de présenter ce texte aujourd'hui devant vous.
On me permettra, d'abord, de remercier pour leur travail M. Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan, et M. Lucien Lanier, rapporteur pour avis de la commission des lois.
Vous le savez, nous traitons d'une profession dont les caractéristiques sont particulièrement difficiles et complexes.
Dans un secteur économique longtemps administré, le Gouvernement a décidé, en 1987, de prendre des mesures de libération et de déréglementation. Il a répondu ainsi aux attentes, d'une partie de la profession. La tarification routière obligatoire, la TRO, a alors été supprimée brutalement.
Certains, dont je fais partie, voient dans ces décisions une explications des trois conflits de 1992, 1996 et 1997. En tout cas, cela témoigne d'un problème, d'un malaise persistant dans un secteur pourtant vital pour l'activité nationale et internationale du pays et qui, c'est une chance, est assuré d'une croissance durable.
Le transport routier n'a pas encore réussi à substituer à l'ancienne réglementation administrative de nouveaux modes de régulation. Tel est le constat unanime qu'ont fait les observateurs lors du dernier conflit et à sa suite.
Mon objectif, vous vous en doutez, est non pas de revenir en arrière, mais de contribuer à une modernisation économique, sociale, nationale et européenne de ce secteur. Cela suppose que l'on prenne en compte la spécificité de la profession, qui ne peut pas toujours, aujourd'hui, adapter l'offre à la demande, créant ainsi les conditions d'un risque de sous-tarification permanente.
La libéralisation que je viens d'évoquer s'est traduite par un double mouvement de concentration des entreprises autour des sociétés les plus dynamiques et de fragilisation des unités les plus petites, voire des unités moyennes. Cette libéralisation ne s'est toutefois pas accompagnée de la mise en place d'outils de régulation sociale et économique efficaces. Tel est le constat que j'ai fait et qu'a fait la profession elle-même.
La modernisation nécessaire doit être le résultat d'un vrai dialogue entre les représentants des entreprises et ceux des salariés mais aussi d'un assainissement économique de la profession. J'observe, même si je sais que tout est loin d'être réglé, que le dernier conflit a, dans une certaine mesure, permis d'avancer dans ce sens. C'est un encouragement à s'engager dans la voie du paritarisme.
Je ne dis pas cela pour dédouaner l'Etat, qui a un rôle important à jouer. Ses institutions doivent, me semble-t-il, garantir les accords conclus, le respect de la réglementation, mais aussi la reconnaissance du rôle indispensable des transports et des échanges dans tout progrès de civilisation.
Cette dimension, posée avec force lors du dernier conflit, appelle, outre le texte que nous allons examiner, d'autres avancées convergentes mais complexes. Je pense, en particulier, aux relations entre transporteurs et chargeurs et à l'harmonisation à l'échelon européen.
Les relations entre les transporteurs et les chargeurs concernent l'évolution des prix de transport, les conditions de paiement des prestations, l'organisation des opérations de livraison, la prise en charge des délais d'attente et bien d'autres aspects encore.
Dans un certain nombre de cas, tout le monde le sait, des chargeurs peuvent exercer une pression anormale sur les prix du transport. L'autorégulation par la profession et l'unité de cette dernière devraient concourir à une résistance au dumping économique et social.
Certains dysfonctionnements, comme les paiements tardifs, par exemple, mettent en péril certaines entreprises. D'autres, comme la manutention par les conducteurs ou les délais d'attente non rémunérés, contribuent à aggraver les conditions sociales et à exacerber les tensions.
N'attendons pas que les conflits surgissent. Ecoutons ce que disent les uns et les autres. Sur tous ces sujets, je propose d'ouvrir une concertation avec l'ensemble des partenaires intéressés. J'ai d'ailleurs convoqué une table ronde avec les chargeurs le 13 février prochain.
Le second volet, tout aussi déterminant, est celui de l'Europe, et plus spécialement des conditions d'une harmonisation sociale européenne.
J'ai remis, le 19 novembre dernier, à M. Neil Kinnock, commissaire européen aux transports, au nom du Gouvernement français, un mémorandum reprenant la position française.
Les débats au conseil européen des transports de décembre dernier laissent penser - c'est en tout cas la position qui a été arrêtée - que cette question sera inscrite au programme de travail de la Commission dès le premier trimestre de cette année. C'est une bataille à gagner !
J'ajoute que la bonne régulation dans le transport routier participe de mon objectif prioritaire, qui est d'améliorer la sécurité routière.
Vous connaissez la situation peu enviable qui est la nôtre sur le plan européen. Avec plus de 8 000 morts par an, nous restons, malgré les progrès réalisés depuis vingt ans, parmi les pays les moins sûrs d'Europe.
Il importe que nous agissions sur tous les plans possibles pour changer la donne. Nous connaissons la plupart des causes, difficilement tolérables, des accidents. Nous avons pris une orientation claire visant à agir sur les comportements en privilégiant l'éducation et la formation. Cette priorité donnée à l'éducation ne doit pas nous faire fermer les yeux sur le rapport direct qui existe trop souvent entre les conditions de travail dans le transport routier et la sécurité sur les routes.
J'en viens au projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis.
Ce projet se caractérise par deux grands types de dispositions qui affirment mes priorités : le renforcement des conditions d'accès à la profession et l'amélioration des dispositifs de contrôle et de sanction.
Concernant le premier point, le renforcement des conditions d'accès à la profession, l'action du Gouvernement ne se limite pas, là encore, au cadre du projet de loi important qui vous est soumis.
Il y a quelques semaines a en effet été publié un décret renforçant les conditions financières et d'honorabilité requises pour l'accès à la profession, et ce conformément, j'y insiste, à un voeu émanant de toutes les parties concernées de la profession.
Le projet de loi lui-même prévoit d'ailleurs des dispositions dans ce sens, qui complètent et modifient diverses lois en vigueur.
La première d'entre elles, prévue à l'article 1er du projet, consiste à généraliser l'obligation de formation professionnelle pour l'ensemble des conducteurs de véhicules de transport routier.
La formation professionnelle, vous le savez, est actuellement obligatoire pour une seule catégorie de conducteurs routiers : les salariés qui exercent leur activité dans les entreprises de transport routier de marchandises pour compte d'autrui, en application d'un accord collectif de branche signé le 20 janvier 1995 et du décret n° 97-608 du 31 mai 1997. Il en résulte une différence de traitement entre les travailleurs indépendants et entre les salariés des entreprises effectuant du transport routier de marchandises pour compte propre.
Les mesures proposées étendent donc cette obligation de formation professionnelle à tous les conducteurs de transport routier de marchandises et de voyageurs. Elles ont pour objet de conférer une qualification professionnelle minimale aux conducteurs routiers professionnels, et, par là même, d'introduire une plus grande égalité dans les règles de concurrence, de renforcer la sécurité et de favoriser l'insertion professionnelle.
La qualification des conducteurs devra porter sur les règles de sécurité, notamment de sécurité routière, et sur la connaissance des réglementations sociales dans lesquelles s'exerce l'activité du conducteur, en particulier des règles relatives à la durée du travail ainsi qu'aux temps de conduite et de repos. Elle contribuera ainsi, j'en suis convaincu, à améliorer la qualité des prestations des entreprises de transport, dans une perspective européenne positive.
Ces nouvelles mesures concerneront : les conducteurs non salariés exerçant une activité de transport routier, principalement de marchandises, mais aussi de voyageurs, en qualité de travailleurs indépendants.
Elles concerneront aussi, bien sûr, les conducteurs salariés exerçant leurs fonctions dans les entreprises effectuant du transport routier de marchandises pour compte propre.
Elles concerneront, enfin, les conducteurs salariés exerçant leur activité dans le transport de voyageurs, même si des modalités spécifiques devront être retenues en ce qui les concernent.
Pour les non-salariés, un décret en Conseil d'Etat précisera les dispositions applicables. Pour les salariés, les branches visées disposeront d'un délai d'un an pour négocier le dispositif le mieux adapté à leur activité. A défaut d'accords de branche étendus satisfaisant aux objectifs fixés par la loi, un décret en Conseil d'Etat y suppléera.
La seconde disposition du projet de loi, l'article 2, concerne la modification du régime des autorisations en matière de transport routier.
L'achèvement du marché unique du transport dans l'Union européenne est prévu pour cette année, précisément le 1er juillet 1998, date de la libéralisation du cabotage. En conséquence, le régime de l'accès au marché du transport intérieur doit être revu.
Il ne sera plus possible, en effet, d'astreindre les transporteurs à un régime d'autorisations alors que le cabotage sera librement autorisé avec la seule licence communautaire.
Il avait été envisagé que l'inscription des entreprises au registre des transporteurs ou des loueurs donne lieu, pour toutes les entreprises, à la délivrance de la licence communautaire. Les copies conformes auraient alors valu attestation d'inscription au registre au sens de la loi d'orientation des transports intérieurs, la LOTI.
Cette solution n'a pas été retenue car le règlement européen de 1992 ne concerne que les transports effectués par des véhicules dont le poids total en charge autorisé dépasse six tonnes.
Le Gouvernement a donc proposé de modifier l'article 36 de la LOTI pour créer une licence de transport intérieur pour les véhicules compris entre 6 tonnes et 3,5 tonnes de poids total en charge.
Mais, dans le même temps, le conseil européen des ministres des transports a retenu le principe en vigueur en France d'un abaissement du seuil de 6 tonnes à 3,5 tonnes et demandé à la Commission de préparer un règlement communautaire dans ce sens.
Ainsi, dans cette situation qui est en évolution - mais à titre temporaire - les véhicules dont le poids dépasse 3,5 tonnes mais est inférieur à 6 tonnes détiendront une licence de transport intérieur. Ils relèveront ensuite du régime de la licence communautaire.
Par ailleurs, un amendement adopté par l'Assemblée nationale a étendu aux véhicules d'au moins deux essieux, quel que soit leur tonnage et, assurant du transport pour compte d'autrui, l'obligation de détenir une licence de transport intérieur.
Un décret d'application précisera que les copies conformes de la licence de transport intérieur seront utilisées pour les transports assurés par des véhicules dont le poids est actuellement inférieur à 6 tonnes puis à 3,5 tonnes après abaissement du seuil. Les copies conformes de la licence communautaire couvriront les transports assurés par des véhicules dépassant ce poids.
Ces dispositions instaureront ainsi la présence dans chaque véhicule d'un titre administratif de transport similaire, quel que soit le trafic effectué, en national ou en intracommunautaire. Il s'agira donc soit de la licence communautaire, soit de la licence de transport intérieur. C'est une mesure de simplification.
Parallèlement, le champ de compétences des commissions des sanctions administratives va être adapté à l'instauration de la licence communautaire. Ces commissions auront la possibilité de retirer ces licences, non seulement aux 12 000 entreprises qui effectuent des trafics internationaux ou de zone longue, mais à l'ensemble des entreprises inscrites au registre. Il s'agit là d'une mesure d'équité !
J'aborderai maintenant la deuxième orientation de mon action en direction des transports routiers, à savoir l'amélioration du contrôle et des sanctions.
Le projet de loi vise, par ses articles 3 et suivants, à renforcer les mesures de contrôle et de sanction.
Dans son projet de loi initial, le Gouvernement avait proposé la création d'une sanction administrative d'immobilisation de véhicule - article 3 - la création d'une commission des sanctions administratives dans la région d'Ile-de-France - article 4 - enfin, le renforcement des pouvoirs d'investigation des contrôleurs des transports - articles 5 et 6.
Ces dispositions ont été renforcées par la définition de motifs supplémentaires d'immobilisation immédiate des véhicules, en particulier en cas d'absence des documents de route ou de non-conformité de ces derniers - articles 3 ter et 3 quinquies.
Lors de l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale, le Gouvernement, considérant que le débat ne faisait que s'amorcer et que les propositions des parlementaires étaient pertinentes, a proposé la mise en place d'un groupe de travail afin de rendre plus opératoires et juridiquement plus fiables les dispositions des articles 3 ter et 3 quinquies.
Ce groupe de travail a permis de déboucher sur des textes équilibrés dont votre commission a eu connaissance. Avec ce dispositif, s'il est retenu, la responsabilité du donneur d'ordre, le transporteur ou le chargeur, pourra être recherchée pour une infraction commise par un conducteur.
Comme je l'ai dit, notre action en matière de contrôle et de sanctions ne se résume pas aux dispositions prévues dans ce projet de loi. D'autres mesures ont déjà été prises ou sont en voie de l'être et, afin que vous ayez une vision d'ensemble du dispositif, je veux vous informer de plusieurs décisions.
Les mesures portant sur les moyens de contrôle sont les suivantes.
Le nombre des contrôleurs des transports terrestres a été accru de 23 dans la loi de finances pour 1998, ce qui portera leur nombre à 405 et, avec la création de 35 autres postes, les contrôleurs seront 440 en l'an 2000.
L'inspection du travail est également renforcée. Des moyens supplémentaires ont été dégagés pour 1998 avec la création de quinze nouveaux postes de contrôleurs et cinq nouveaux postes d'inspecteurs. Ultérieurement, trente nouveaux postes de contrôleurs et d'inspecteurs seront créés d'ici à l'an 2000.
Par ailleurs, une meilleure coordination entre les corps de contrôle relevant du ministère des transports sera mise en oeuvre.
Un observatoire des conditions économiques et sociales du transport routier sera créé au sein du Conseil national des transports. Il m'informera de l'évolution des relations sociales au sein des entreprises de transport routier ainsi que des conditions économiques dans lesquelles les entreprises évoluent. Ces informations seront, bien entendu, communiquées à l'ensemble des parlementaires.
Cet observatoire fera toutes propositions permettant le développement, la compétitivité et la modernisation du transport routier dans le respect des règles de concurrence qui garantissent, au plan européen, une rémunération normale du service de transport.
Les rapports de la profession vis-à-vis des donneurs d'ordres et des chargeurs ainsi que vis-à-vis des autres modes de transport seront examinés.
Enfin, une circulaire interministérielle concernant l'application des dispositions de l'article R. 278 du code de la route, relatif à l'immobilisation des véhicules de transport de marchandises et de voyageurs, a été adressée aux préfets à la fin du mois de décembre dernier.
Elle a pour objet, d'une part, d'actualiser les instructions applicables en matière d'immobilisation conservatoire des véhicules de transport de marchandises et de transport en commun de personnes, d'autre part, de renforcer, auprès des corps de contrôle, le recours à la procédure d'immobilisation.
En effet, il s'agit d'un moyen efficace pour lutter avec fermeté contre les pratiques qui tendent à fausser les conditions de la concurrence dans ce secteur d'activité.
L'immobilisation des véhicules permet de responsabiliser les différents acteurs de la chaîne transport : chargeurs, commissionnaires, transporteurs, conducteurs et destinataires.
Vous le voyez, les dispositions législatives que je vous propose d'adopter aujourd'hui font partie d'un plan d'action plus vaste. L'ensemble de ces mesures devrait nous permettre d'améliorer la situation du transport routier en France. En disant cela, je pense à la fois à la situation de nos transporteurs et à celle des salariés du secteur.
Le transport routier, c'était, enfin, un certain retard dans les négociations paritaires. Des efforts importants ont récemment été accomplis par les partenaires sociaux. Il s'agit, notamment, de la question du congé de fin d'activité pour les conducteurs voyageurs, du futur décret en cours de préparation concernant les temps de travail de la courte distance, des classifications et du droit syndical.
Je conclurai, enfin, en rappelant que l'article 7 du projet de loi prévoit la présentation au Parlement à la fin de cette année d'un bilan sur les conditions d'exercice de la profession.
Le Parlement pourra ainsi apprécier le respect des engagements pris par le Gouvernement au cours du récent conflit et l'effet des mesures annoncées. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le ministre, tout d'abord, vous m'avez inquiété ; puis, vous m'avez rassuré, et, enfin, j'ai loué votre sagesse.
Vous m'avez tout d'abord inquiété, parce que, lors du conflit des transporteurs routiers qui s'est déroulé voilà maintenant quelques semaines, vous vous êtes rendu sur le terrain pour rencontrer ceux qui étaient en grève et vous avez annoncé qu'un projet de loi serait soumis au Parlement. J'étais inquiet parce que les lois de circonstance sont rarement bonnes.
Mais j'ai été aussitôt rassuré. En effet, le texte a été déposé sur le bureau du Sénat, la commission des affaires économiques et du Plan a été saisie au fond et m'a nommé rapporteur. Je l'ai alors étudié et je me suis aperçu qu'il était pour l'essentiel pertinent, qu'il traitait le conflit de façon convenable, qu'il proposait des solutions à certaines difficultés et qu'il n'y avait lieu que d'y apporter quelques modifications pas forcément fondamentales et de corriger quelques omissions.
J'ai enfin été tenté de louer votre sagesse. Je me suis en effet aperçu, en étudiant les archives, que vous vous étiez largement inspiré d'un travail réalisé par vos prédécesseurs. Le fait est suffisamment rare pour qu'on le souligne.
Je recommanderai donc au Sénat de voter votre projet de loi sous réserve de l'adoption d'un certain nombre d'amendements que j'aurai l'honneur de vous présenter au nom de la commission des affaires économiques et du Plan et d'amendements pertinents proposés par la commission des lois, qui vous seront exposés par mon excellent collègue M. Lucien Lanier.
Parler de la pertinence des réflexions de la commission des lois tend au pléonasme. C'est la raison pour laquelle, mon cher collègue, je n'insisterai pas sur les légères divergences qui nous séparent et à propos desquelles nous aboutirons, j'en suis sûr, à un accord au terme de la discussion. Il s'agit plus particulièrement, à l'article 3 ter, de l'amendement n° 6 rectifié bis, présenté par la commission des affaires économiques, et de l'amendement n° 12, déposé par la commission des lois.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de préconiser un traitement, il est nécessaire de connaître les origines du mal et donc, en la matière, la situation du secteur des transports routiers.
Je traiterai très brièvement de l'historique législatif et des préoccupations des gouvernements successifs et des divers organismes du secteur du transport routier. Je le ferai essentiellement non pas pour relever des contradictions mais pour souligner les évolutions.
En 1934, les pouvoirs publics ont encadré le développement de la profession de transporteur routier uniquement pour protéger les transports ferroviaires, la SNCF en l'occurrence, il n'est pas inintéressant de le souligner. Un régime de contingentement a notamment été mis en place.
Ce système a ensuite été modifié en 1949 puis en 1973 et les classes A, B et C correspondant à différents tonnages ont été instituées.
Il y avait deux catégories : la licence en zone courte et la licence en zone longue, qui correspondaient en fait chacune à un transport routier spécifique et qui témoignaient de la fixité de ce secteur économique à cette époque par rapport au fort caractère évolutif qu'il a acquis de nos jours.
Des exceptions étaient déjà également prévues par la loi : le transport pour compte propre, le transport réalisé par les intermédiaires du commerce, le transport assuré par des véhicules légers, des véhicules agricoles et des engins de travaux publics. Les locations de véhicules de longue durée n'étaient pas soumises au contingentement et elles étaient souvent utilisées en compte propre.
Toujours est-il que les transports en zone courte et les véhicules de 3,5 à 6 tonnes n'étaient soumis qu'à un certificat d'inscription.
L'autorisation de transport ne concernait que les véhicules de 6 tonnes des transporteurs professionnels et dont l'activité s'effectuait en zone longue.
En 1986, un certain nombre de modifications ont été introduites. Tout d'abord, le décret du 14 mars 1986 a substitué au contingentement l'attribution d'autorisations de transport en zone longue fondées sur les besoins des entreprises et les catégories de transports. C'était déjà une première évolution.
En 1990, c'est l'ensemble de l'encadrement quantitatif de la délivrance des autorisations qui a été abandonné.
Rappelons par ailleurs pour mémoire - mais c'est toujours d'actualité - qu'en 1995 on comptait 91 500 autorisations de transport, dont plus de 62 000 pour la classe A, près de 21 000 pour la classe B et 8 344 pour la classe C.
Je rappelle très brièvement que la classe A correspond à tous les véhicules ou ensembles routiers dont la circulation est autorisée par le code de la route, c'est-à-dire jusqu'aux véhicules de 44 tonnes, que la classe B regroupe les ensembles autorisés inférieurs ou égaux à 26 tonnes et que la classe C représente la catégorie des véhicules inférieurs ou égaux à 13 tonnes.
Il convient de ne pas confondre ce classement avec celui qui est retenu sur le plan européen. Vous avez fait allusion à cette question, monsieur le ministre, et j'abonde totalement dans votre sens : il est nécessaire de procéder dès maintenant à une harmonisation.
S'agissant de la tarification, il convient de remarquer qu'en 1961 celle-ci a été rendue obligatoire à la demande de la profession des transporteurs.
En 1988, c'est exactement l'inverse qui s'est produit, puisque les mêmes intervenants ont réclamé une libéralisation des prix et l'abrogation de la tarification obligatoire.
Cette disposition a plutôt entraîné les prix vers le bas, contrairement à ce que l'on pouvait imaginer, et la tendance à la baisse a été constante.
Je n'ai procédé à ce rappel que pour mémoire, sachant, mes chers collègues, que vous pouvez vous référer au rapport pour obtenir plus de précisions.
Je traiterai maintenant de la situation des transports routiers.
A cet instant de mon exposé, je m'adresserai tout particulièrement à tous les professionnels du secteur que j'ai rencontrés, qu'il s'agisse des entrepreneurs du transport routier, des loueurs de véhicules industriels, des commissionnaires de transport, des représentants des syndicats de salariés du transport routier, des représentants de la profession des « chargeurs » et des contrôleurs des transports terrestres. Je tiens à leur dire à tous un grand merci, d'abord pour leur parfaite connaissance de leur secteur d'activité, ensuite pour leur extrême sens des responsabilités. Je tenais d'autant plus à leur adresser ces remerciements qu'un certain nombre d'entre eux sont dans les tribunes.
Les responsables de ce secteur que nous avons reçus se sont toujours préoccupés, à chaque instant, de l'intérêt général, faisant abstraction des intérêts particuliers, corporatistes, qui sont quelque peu réducteurs quand il s'agit d'élaborer un texte législatif.
Grâce à eux, grâce aussi à nos collaborateurs, j'ai pu découvrir le transport routier, domaine que j'ignorais dans une large mesure.
La situation des transports doit être appréciée non seulement par rapport au contexte économique, mais aussi par rapport à l'environnement législatif et réglementaire d'aujourd'hui, ainsi qu'au regard de l'aspect géostratégique de notre pays et du transport routier, ce qui me conduira à présenter des considérations européennes.
Pour situer l'ampleur de cette activité, je citerai quelques chiffres. Ce secteur emploie 260 000 personnes, salariées et non salariées, pour un chiffre d'affaires d'environ 140 milliards de francs, soit quatre fois le chiffre d'affaires des transports urbains et routiers de voyageurs, y compris les taxis, 36 000 entreprises sont concernées par le transport routier, 25 000 d'entre elles emploient de un à cinq salariés et représentant 16 % du chiffre d'affaires de la profession et 90 d'entre elles emploient 200 salariés et plus, représentant 31 % de ce montant.
Immédiatement pour situer l'ampleur de la difficulté, je me permets d'attirer votre attention sur le fait qu'il y a 14 % de faillites dans ce secteur contre 8 % dans le secteur marchand en général.
Je note par ailleurs que 10 000 nouvelles entreprises se sont créées dans les dix dernières années.
Il s'agit donc d'un secteur en pleine croissance, à propos duquel, compte tenu des difficultés - M. le ministre l'a rappelé et cela avait été déjà la préoccupation de ses prédécesseurs - on risque de voir une certaine opacité, s'installer, d'où la nécessité d'assainir la profession.
Sachez encore que le transport routier achemine 1 400 millions de tonnes de marchandises contre 125 milliards de tonnes pour le transport ferroviaire et 27 millions de tonnes par le réseau fluvial.
L'environnement législatif, vous en avez parlé, monsieur le ministre, et il me paraît inutile de revenir sur les différents textes qui sont en préparation à l'échelon européen ou sur ceux qui ont été élaborés dans un passé tout récent. Je formulerai simplement une observation d'ordre général.
Nous avons affaire à un véritable empilage de textes. (M. le ministre fait un signe d'approbation.) D'ailleurs, certains d'entre eux se contredisent, ce qui les rend totalement inapplicables. On constate, en outre, une opacité de ces textes et une inadaptation de certaines dispositions.
En toile de fond, se profile une évolution du secteur du transport routier du fait de l'ouverture de nos frontières au 1er juillet 1998. Cela fait partie de ce que l'on a appelé le « troisième paquet ».
En tant que rapporteur pour avis du budget annexe de l'aviation civile, j'ai d'ailleurs eu l'honneur, au mois de décembre dernier, de rappeler que les transports aériens, eux aussi, sont soumis à cette même règle de la libéralisation.
Par conséquent, à compter du 1er juillet 1998, c'est-à-dire dans quelques mois, les dispositifs de protection qui avaient étés mis en place voleront en éclat.
C'est la raison pour laquelle vous avez rappelé tout à l'heure, à juste titre, monsieur le ministre, qu'un certain nombre de dispositions devaient être prises dès maintenant, afin de pouvoir répondre à la situation législative ou réglementaire qui sera la nôtre à compter de ce 1er juillet 1998.
Les lois se sont succédé ; je n'y reviendrai pas. Toutefois, l'une d'entre elles a plus particulièrement marqué les esprits : il s'agit de la loi d'orientation des transports intérieurs du 30 décembre 1982, la LOTI.
Les dispositions qui ont été mises en place à cette occasion sont aujourd'hui caduques ; je ne reviens pas sur ce phénomène. Je voudrais plutôt insister sur les trois ou quatre derniers textes parus depuis 1992 : la loi du 31 décembre 1992, qui régit la sous-traitance et le prix minimum ; la loi du 1er février 1995, qui rend obligatoire la « lettre de voiture » à bord des véhicules - document de suivi dont on parlera beaucoup lors de la discussion des articles - et la rémunération du « temps de service » en dehors du temps de conduite ; le décret du 5 juin 1992, qui a transposé les dispositions de la directive européenne du 9 novembre 1987, et le décret du 3 juillet 1992, qui a défini les conditions d'accès à la profession. Je parle de tous ces textes simplement parce qu'ils illustrent bien que toute loi inapplicable est inutile.
Evitons les gaspillages de temps et d'efforts en nous dotant aujourd'hui d'un texte qui soit applicable par tous et qui apporte une solution aux différentes difficultés qui ont été exposées.
M. Lucien Lanier, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Merci, mon cher collègue !
Je citerai enfin le décret du 6 novembre 1997, qui a renforcé les conditions de capacités professionnelles et financière pour l'accès à la profession de transporteur.
Je mets cette dernière disposition à part, car elle est à l'origine de la réflexion qui est menée, et c'est l'une des dispositions, parmi les plus importantes, sur lesquelles il conviendra de revenir.
Selon les professionnels que j'ai auditionnés, tous ces textes sont, dans une large mesure, inappliqués - par 60 % à 90 % de la profession, selon certains - à voire inapplicables. C'est énorme ! Alors, évitons, de grâce, d'aboutir à un texte qui aurait le même défaut.
Ma dernière observation porte sur l'aspect géostratégique de notre pays et du transport routier.
D'un point de vue géographique, force est de constater que la France est au centre de l'Europe de l'Ouest. Pour aller du nord vers le sud, vers le sud-ouest ou vers le sud-est, lorsque l'on vient de Grande-Bretagne ou des pays nordiques, on est le plus souvent amené à traverser notre pays.
La loi française doit donc s'appliquer non seulement à nos concitoyens et aux transporteurs de notre pays, mais aussi aux transporteurs étrangers. Pour y parvenir, monsieur le ministre - des observations ont déjà été faites en ce sens et je suis persuadé que mes collègues reviendront sur ce point à l'occasion soit de la discussion générale, soit de la discussion des articles - il est nécessaire de traiter ce sujet à l'échelle européenne.
M. Jacques de Menou. Bravo !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Cette observation vaudra également pour d'autres aspects.
Une note que l'on m'a fait parvenir tout à l'heure précise que le Conseil européen a fixé des règles communes aux quinze pays membres concernant le temps minimal de conduite, le temps minimal de repos et les modalités de contrôle de la vitesse. C'est un début d'harmonisation. Mais, encore faut-il que les contrôleurs des transports terrestres - j'y reviendrai dans un instant, parce qu'ils sont directement concernés par cette observation - aient la possibilité d'intervenir. Appliquer une décision est une chose ; contrôler l'application d'une décision en est une autre !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est une question de nombre !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Il s'agit, vous avez raison, d'un problème de nombre. Vous avez décidé de créer vingt-trois postes. C'est bien, mais j'ai presque envie de dire, peut mieux faire, parce que cela reste insuffisant.
Je sais bien qu'il y a le problème du financement. Toutefois, monsieur le ministre, l'augmentation des contrôles devrait majorer le produit des amendes de police. Je ne veux pas dire qu'on va alimenter la caisse de cette façon. Ce serait tout de même un peu excessif.
Outre le nombre, il y a d'abord et avant tout un problème de champ de compétences qui est crucial. J'y reviendrai dans un instant, mais j'attire d'ores et déjà votre attention sur un point tout à fait particulier : il faut doter ces contrôleurs, quels qu'ils soient, qu'ils aient ou non un uniforme, de compétences élargies qui sont indispensables pour être efficaces.
Une autre considération vient immédiatement à l'esprit du fait de l'« européanisation » des échanges : c'est la législation sociale battue en brèche, à moins, bien évidemment, que des dispositions sociales harmonieuses ne soient retenues au niveau européen. Je reviendrai sur ce point dans ma conclusion. Mais, pour faire un pronostic - pardonnez cette comparaison avec le domaine médical due à ma profession - encore faut-il être sûr que le traitement sera non seulement bon, mais également mis en oeuvre.
Voilà donc ce que l'on pouvait dire sur la situation du transport économique.
J'en viens maintenant aux causes et au traitement.
Les causes, vous les avez rappelées. Je n'y reviendrai que brièvement, car je partage totalement vos observations, qui sont marquées au coin du bon sens et qui n'ont échappé à personne.
La difficulté majeure réside dans la complexité de la chaîne du transport : interviennent expéditeurs, chargeurs, commissionnaires, transporteurs, sous-traitants et, enfin, clients !
Cette difficulté est encore accrue si l'on prend en compte la sécurité des usagers de la route, certaines pratiques pouvant en effet les mettre en danger, et, bien évidemment, la sécurité des chauffeurs routiers eux-mêmes, problème que j'ai toujours à l'esprit, même si je n'ai pas, d'emblée, cité les chauffeurs routiers, qui sont pourtant aux premières loges, si je puis dire, et qui subissent en premier les risques.
Nous devons tenir compte de la complexité de la chaîne des transports et des impératifs de sécurité que la société impose.
Quatre thèmes que nous retrouvons dans les amendements que j'aurai l'honneur de vous présenter ont très souvent, et même presque toujours, fait l'objet d'un consensus de la part non seulement des professionnels qui ont été auditionnés par la commission des affaires économiques et du Plan, mais aussi des commissaires eux-mêmes.
Premièrement, la solution passe d'abord par une meilleure sélection dans l'accès à la profession. Tous les intervenants l'ont souligné, et cela est incontournable. De l'avis général, le décret du 6 novembre 1997 va d'ailleurs dans le bon sens.
Une meilleure sélection dans l'accès à la profession, cela signifie à la fois une certaine honorabilité, des capacités professionnelles, une capacité financière ; on comprendra pourquoi lorsque l'on parlera de la sous-traitance en cascade et de certains comportements si je puis dire « esclavagistes ». Il convient donc de moraliser l'accès à la profession sous cet aspect.
Le deuxième thème concerne la reprise par ce projet de loi des dispositions du projet de loi présenté antérieurement.
Il s'agit d'abord de la formation professionnelle des chauffeurs routiers. Nous souffrons, en France, d'un déficit de formation par rapport à ce qui existe dans d'autres pays. Je ne prendrai que l'exemple des Pays-Bas, où les chauffeurs routiers sont obligatoirement bilingues et disposent d'un certain nombre de formations initiales qui les rendent compétitifs sur le marché. Cela représente, certes, un certain nombre d'efforts financiers, mais, in fine , cela se retrouve dans la qualité du service et de la prestation. Il nous faut nous aligner sur ce qui nous tire vers le haut et non sur ce qui nous tirerait vers le bas.
Il s'agit encore de la création d'une sanction d'immobilisation administrative du véhicule. Que n'a-t-on entendu sur ce sujet ! La disposition que vous avez proposée, qui a été modifiée par l'Assemblée nationale et que nous améliorerons encore par les amendements que je vous présenterai, va également dans le bon sens.
Il s'agit enfin du renforcement des pouvoirs des contrôleurs des transports terrestres. Je me réserve cette question pour ma conclusion.
Le troisième thème porte sur l'harmonisation du droit des transports routiers avec le droit européen par la substitution au régime actuel d'autorisation préalable de deux licences : une licence communautaire pour les véhicules de plus de six tonnes, une licence intérieure pour les véhicules de 3,5 tonnes à 6 tonnes. C'est la proposition que vous aviez faite.
L'Assemblée nationale a bien travaillé. Je ne suis pas comme M. Mazeaud, qui a dit que le Sénat n'était là que pour corriger les virgules. Je ne dirai pas : « Une fois n'est pas coutume. » Elle a apporté au texte deux innovations essentielles.
La première, vous l'avez dit tout à l'heure, c'est la généralisation de la licence intérieure pour tous les véhicules de transport public de marchandises, même ceux de moins de 3,5 tonnes, pourvu qu'ils aient quatre roues. Il conviendra, sur ce point, de prévoir un régime adapté, notamment au regard des règles des capacités professionnelles et financière. Je vous proposerai un amendement à ce sujet.
La seconde innovation est la création de deux cas nouveaux d'immobilisation immédiate du véhicule et de son chargement : d'abord l'absence du document de suivi dûment signé à bord du véhicule ; ensuite, la mise en danger d'autrui créée par le véhicule au sens de l'article 223-1 du code pénal. La plupart de ces dispositions constituent une avancée.
Nous vous proposerons un dispositif un peu différent, notamment à propos du fait générateur. Nous sommes partis de la préoccupation de l'usager de la route. Or, manifestement, l'absence d'un document de bord n'est pas, en elle-même, une mise en danger de l'usager de la route. En revanche, l'infraction au code de la route en est une.
Mais, compte tenu de notre volonté de transparence, nous vous proposerons certaines modalités sur l'association de ces deux éléments, qui sera le fait générateur. Nous reviendrons sur la mise en danger de l'usager de la route, voire sur la suspicion qui pèserait sur d'autres intervenants.
Enfin, quatrième et dernier thème consensuel : la transposition de cet ensemble au niveau européen. Tout le monde en a parlé et je l'évoquerai dans ma conclusion sous forme de pronostic.
Ce projet de loi, dont les dispositions vont toutes dans le bons sens, ne sera un succès que s'il s'accompagne d'une volonté politique forte de mette en oeuvre les dispositions qu'il contient. C'est la volonté du Sénat, et je n'ose pas imaginer que ce pourrait ne pas être celle du Gouvernement. Mais une chose est de l'affirmer, une autre chose est de le faire.
Une loi n'est efficace que si elle est applicable à tous et que si l'on peut en surveiller l'application. Je reviens donc, comme je l'avais annoncé, sur les contrôleurs des transports terrestres.
J'ai hésité quelque temps à proposer à la commission et au Sénat d'introduire des dispositions élargissant le champ de compétences de ces contrôleurs. Monsieur le ministre, comme vous avez confirmé qu'une table ronde aurait lieu sur le transport routier, je souhaite qu'à cette occasion soit abordé ce problème spécifique afin que ces contrôleurs deviennent réellement efficaces.
Je ne vais pas citer d'exemple, mais vous savez très bien ce qu'il en est lorsqu'un transporteur étranger qui se rend de Bruxelles à Brest est en infraction : les contrôleurs des transports terrestres ne peuvent pas pénétrer dans la cabine. Il faut que le chauffeur leur donne lui-même le document de bord.
Le document étant vierge, il est aisé pour le chauffeur de le remplir et d'affirmer qu'il est respecteux de la réglementation française.
Il est donc nécessaire de pouvoir intervenir. Mais les contrôleurs n'ont pas la compétence pour le faire, pour des raisons que je n'évoquerai pas ici, mais qui sont d'ordre technique et, parfois aussi, il faut le dire, qui relèvent de la défense corporatiste de certains secteurs d'activité liés au contrôle.
Abandonnons cette réflexion verticale par corps de métier, par corps d'intervenant, pour une réflexion transversale qui permette de globaliser l'ensemble du problème, sachant que sa finalité est, bien évidemment, la recherche permanente et pertinente de l'efficacité.
Je souhaite que cet enjeu figure à l'ordre du jour de cette future table ronde. Il vise non seulement la sécurité, mais aussi la lutte contre le dumping, puisque la loi doit être applicable à tous.
Le dumping économique, dont vous avez parlé, est évident. Le dumping social l'est tout autant. Il existe une autre forme de dumping beaucoup plus insidieuse, mais que l'on rencontre de plus en plus fréquemment, le dumping écologique, environnemental.
Il faut faire respecter un certain nombre de normes anti-pollution destinées à éviter de nuire à l'environnement. J'ai eu l'honneur de présenter à Bucarest, voilà quelques mois, des propositions relatives au management environnemental des entreprises et aux éco-audits en espérant que les pays qui ont une économie de transition - les pays d'Europe centrale et orientale, mais aussi les pays périphériques de la Méditerranée - en viendront à une normalisation de type européen ; je pense, notamment, aux normes ISO 9 000 et ISO 14 000, la norme ISO 14 000 correspondant à la volonté de tendre non pas vers la perfection - elle n'est pas de ce monde - mais vers une amélioration de la situation. Il faudrait donc que ces propositions soient prises en compte à l'échelon européen. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser se dégrader le transport routier comme s'est dégradé, voilà déjà, malheureusement, quelques années, le transport maritime.
Pour ma part, j'ai eu l'honneur d'être rapporteur pour avis du budget des ports maritimes, mais également de rapporter un certain nombre de dispositions concernant la sécurité maritime. J'ai siégé par deux fois à l'Organisation maritime internationale à Londres, où j'ai formulé des propositions en ce sens.
Il faut tout faire pour que le transport routier ne connaisse pas la dérive qu'a subie le transport maritime. Je ne parlerai pas des pavillons bis , ni de ces commandants de bord qui demandent leur qualification au Philippines en joignant un chèque dans l'enveloppe, ce qui leur permet de recevoir, par retour du courrier, leur certificat de commandant. C'est ce qui fait que des équipages complets ne parlant pas la même langue, ne connaissant rien en matière de sécurité viennent dériver sur nos côtes et nous inondent soit de pesticides, soit de détonateurs, soit de matières dangereuses qui mettent à mal l'économie de nos pays. Je ne parle même pas de ces bateaux de la honte où les équipages ne sont pas payés. Tout cela est parfaitement inadmissible.
Je crains que si nous ne prenons pas en compte cette dimension du problème, le transport routier ne soit entraîné dans une dérive très rapide. Il est très facile de s'installer quelque part en dehors de l'Union européenne - je ne citerai pas de pays - et d'avoir une flotte de camions résidant dans l'Union, moyennant quoi on peut réaliser des bénéfices, casser le marché, affronter de plein fouet des entreprises qui sont saines et compétitives et, ce faisant, détruire un secteur entier d'activité. Je vous ai rappelé les chiffres, les tonnages et les enjeux financiers et humains que cela concerne.
Monsieur le ministre, ce danger est très important. Il faut toujours tirer les choses vers le haut, ce qui n'est pas facile : il est beaucoup plus facile de les ramener vers le bas. Il y va de notre avenir, de celui des transporteurs routiers et de tout ce secteur d'activité. Je suis persuadé que nous sommes tous conscients de cette difficulté.
La multimodalité est un sujet bien connu, ce n'est pas la panacée, mais elle s'applique parfaitement au long cours.
L'optimisation des moyens de transports doit être notre objectif et notre préoccupation permanente. Cette optimisation doit passer non pas par des actions coercitives mais par des actions positives. Il est urgent de traiter cette question, et d'abord parce que l'assainissement de la profession et des pratiques de transport routier peut permettre des rééquilibrages entre les transports ferroviaire, aérien et fluvial, l'assainissement de la profession diminuant la pression exercée par un certain nombre d'intervenants peu respectueux des dispositions législatives qui ont été évoquées tout à l'heure.
Il faut promouvoir le tranport multimodal aux grandes portes d'entrée de notre pays, telles que les ports, les aéroports, ce qu'on appelle les ports « en sec », et les grandes plates-formes frontalières. Je crois - c'est même une litote car j'en suis persuadé - qu'en la matière le Gouvernement a un rôle à jouer et qu'il doit montrer l'exemple.
Il doit prendre des dispositions dans ce secteur du multimodal en aidant les collectivités candidates à s'organiser, à s'équiper, pour faire disparaître les obstacles, même si les financements ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Prenons l'exemple de la plate-forme de Cherbourg, dans la Manche, exemple pris totalement au hasard. (Sourires.) Il suffirait que le réseau ferroviaire soit légèrement modifié pour que l'on dispose d'une plate-forme multimodale compétitive et non encombrée.
Cette multimodalité doit être prise en compte. Elle le sera grâce à ce que j'appelle de mes voeux l'organisation des états généraux du transport qui traiteront du transport en général, dans ses aspects divers et variés : multimodalité, complémentarité des différents modes de transport, harmonisation des conditions sociales, règles de sécurité, évolution du fret aérien ou du trafic maritime. Il faut savoir que 20 % du trafic mondial maritime traverse la Manche et la mer du Nord et, par conséquent, passe devant chez nous. C'est énorme !
Il est nécessaire de prendre en compte les contraintes qui pèsent sur les différents secteurs. Vous en êtes parfaitement conscient, monsieur le ministre ; j'ai eu l'occasion de vous en parler à propos du fret aérien.
Il y a une ardente nécessité à organiser ces états généraux tant du point de vue franco-français, parce qu'ils doivent déboucher sur une réflexion qui nous soit propre, que sur le plan européen, de manière que l'harmonisation nécessaire puisse être sinon imposée du moins fortement suggérée à nos partenaires.
Permettez-moi d'insister aussi sur l'ardente obligation de réfléchir à un mode durable de transport. Le mode durable, le transport durable, le développement durable : cette « durabilité » est un peu la tarte à la crème, tout le monde en parle, mais je ne suis pas sûr qu'on sache la définir. Si j'osais tenter une définition, je dirais qu'elle résulte de la conjugaison de trois obligations : une obligation d'ordre économique, une obligation d'ordre sociopolitique et une obligation d'ordre environnemental. Si vous prenez un triangle dont chaque côté représente une de ces obligations, le jour où ce triangle devient équilatéral c'est que l'objectif de développement durable est atteint.
Ce n'est pas parce qu'on va construire des autoroutes que le problème du transport sera réglé. Je ne suis pas sûr que, considéré sous l'angle de la société, la multiplication des autoroutes soit une bonne chose. Je ne sais pas, je me pose la question, mais en tout cas la notion de « durabilité » doit être absolument présente à votre esprit, au nôtre et à l'esprit de tous ceux qui ont à connaître du secteur.
Monsieur le ministre, j'en ai terminé. Je vous prie d'excuser la longueur de mon exposé, mais la passion l'a emporté sur la raison.
Pour conclure, je dirai que la loi, pas plus que l'intérêt général, ne peut être une simple addition d'intérêts particuliers. En démocratie, la loi est l'écriture nécessaire des codes et des règles de vie de notre société. Elle se doit de mettre en place des garde-fous : elle doit prévoir la sanction à tout manquement à ces codes. Mais notre monde est loin d'être figé, il est en évolution permanente, et cette évolution doit aussi être prise en compte.
La loi doit favoriser les évolutions sans figer le secteur, sans détruire les espaces de respiration nécessaires, liés à la nature de chaque activité.
La commission des affaires économiques et du Plan a tenté d'affirmer une fois de plus qu'il est toujours préférable de privilégier le contrat plutôt que la contrainte, d'encourager la vertu plutôt que de pénaliser le vice. J'espère, monsieur le ministre, qu'aujourd'hui et demain vous tiendrez compte de la volonté exprimée par le Sénat. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur les travées du RDSE et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Lucien Lanier, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a procédé à l'examen pour avis du projet de loi tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier.
Cet avis ne saurait, bien entendu, donner lieu à une appréciation de l'opportunité des dispositions prévues par le texte qui vous est soumis. Cette appréciation relève, en effet, de la compétence de la commission des affaires économiques et du Plan, dont le rapporteur, notre excellent collègue Jean-François Le Grand, vient, avec talent et clarté, de nous exposer le fond du sujet.
La commission des lois s'est donc limitée à une analyse strictement juridique du projet, s'attachant à vérifier si telle ou telle disposition ne contrariait pas certains principes fondamentaux du droit pénal, qu'il s'agisse de la nécessité et de la proportionnalité des peines, ou du non-cumul des sanctions, ou encore du principe de la responsabilité pénale pour son propre fait.
Le projet de loi qui nous est soumis contient en effet certaines dispositions qui relèvent du droit pénal, et notre devoir est bien de veiller au respect des principes fondamentaux applicables en la matière.
Il n'est donc pas de notre propos de reprendre l'ensemble des dispositions du projet de loi qui viennent de nous être parfaitement exposées et qui se regroupent en trois catégories, à savoir : les dispositions non pénales, qui sont de la compétence de la commission saisie au fond, les dispositions pénales qui ne paraissent pas soulever de difficultés juridiques et, enfin, les dispositions pénales qui semblent devoir être mises en concordance avec certains principes fondamentaux du droit.
C'est sur ce troisième aspect que la commission des lois proposera trois amendements.
Le premier concerne l'article 3 ter du projet de loi, inséré, je le rappelle, par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement, et dont l'objet est de prévoir l'immobilisation d'un véhicule en cas d'absence à son bord de tout ou partie du document déjà exigé par la loi retraçant l'exécution des prestations prévues aux contrats de transport routier, à savoir essentiellement les date et heure d'arrivée du véhicule ou de l'ensemble routier.
La modification proposée par l'article 3 ter consiste à prévoir que l'absence de ce document « dûment rempli et signé » par les commettants constitue une infraction au code de la route entraînant l'immobilisation du véhicule telle que l'a définie l'article L. 25 dudit code.
Ainsi conçu, cet article 3 ter aggrave, en l'absence d'une seule signature sur le document, la sanction d'immobilisation du véhicule et alourdit la gamme des sanctions déjà large retenue par la loi ou le règlement.
La commission des lois a considéré que cet article semblait contraire au principe de l'individualisation des peines dans la mesure où la sanction deviendrait automatique sans qu'il soit tenu compte des circonstances. L'expression « entraînant l'immobilisation » confère à l'évidence l'automaticité alors que l'article L. 25 du code de la route énumère les cas, combien plus importants, qui « peuvent entraîner l'immobilisation ».
En outre, cet article 3 ter semble contraire au principe de proportionnalité des peines. L'immobilisation du véhicule est une sanction grave, très grave même - elle peut être mortelle pour une petite entreprise - pour une infraction mineure, puisque le seul oubli d'une seule signature entraînerait son application.
Rappelons que les dix-huit cas d'infraction prévus par l'article R. 278 du code de la route qui entraînent l'immobilisation du véhicule sont bien plus graves : il s'agit notamment de l'ivresse du conducteur, de l'absence du permis de conduire, de la manipulation du limitateur de vitesse ou encore de l'utilisation d'un véhicule dont l'état crée « un danger important pour les autres usagers ».
Enfin, cet article 3 ter semble contraire au principe de la nécessité des peines puisque l'absence de document de bord est déjà passible d'une amende de 5 000 francs, en application de l'article 2 du décret du 25 mai 1963.
Telles sont les raisons pour lesquelles il a paru nécessaire à la commission des lois de proposer la suppression de cet article 3 ter.
Un deuxième amendement est également déposé à l'article 3 quinquies inséré, comme le précédent, par l'Assemblée nationale malgré l'avis du Gouvernement.
Cet article prévoit l'immobilisation immédiate du véhicule en cas de violation d'une obligation de prudence ou de sécurité mettant en danger la vie ou l'intégrité physique d'autrui au sens de l'article 223-1 du code pénal, l'immobilisation se prolongeant « jusqu'à ce que tous les éléments de nature à établir les responsabilités de l'infraction puissent être recueillis ».
La commission des lois constate que l'article 3 quinquies présente des difficultés au regard de trois principes fondamentaux du droit pénal.
D'abord, il est, lui aussi, contraire au principe de l'individualisation des peines puisqu'il rend la sanction automatique.
Ensuite, il paraît également contraire au principe de la nécessité des peines puisque l'article R. 278 du code de la route énumère déjà dix-huit cas rendant possible les immobilisations du véhicule et que ceux-ci paraissent couvrir les manquements graves à la prudence tels que l'ivresse, l'absence de permis de conduire, la violation des règles relatives au transport des matières dangereuses, le mauvais état du véhicule. Ces dix-huit cas sont bien plus précis que le renvoi général aux obligations de prudence, du reste, le pouvoir réglementaire peut parfaitement apporter les compléments qui se révèleraient éventuellement nécessaires.
Pourquoi alourdir la loi de dispositions qui relèvent manifestement du règlement ? Je ne rappellerai jamais assez que la loi doit être courte, claire, précise et facilement applicable. Qu'on laisse donc au règlement le soin d'envisager les détails de son application ! La loi n'est pas faite pour contenir le règlement !
Enfin, l'article 3 quinquies paraît méconnaître le principe de la responsabilité pénale pour son propre fait.
Si la sanction devient automatique, l'immobilisation, peine grave, je le rappelle, pourrait être prononcée alors même que l'entreprise, en l'occurrence le propriétaire du véhicule, n'aurait rien à se reprocher : par exemple, en cas d'ivresse du conducteur. Or l'immobilisation touche directement le propriétaire. Il y aurait donc violation du principe selon lequel, en matière pénale, nul n'est responsable que de son propre fait.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des lois propose la suppression de l'article 3 quinquies.
Un troisième amendement est en outre proposé à l'article 3 sexies, qui concerne l'obstacle à l'immobilisation du véhicule et le refus d'obtempérer.
Il s'agit là, sans doute, de sanctionner un acte particulièrement répréhensible de la part du professionnel de la route, et la commission des lois comprend parfaitement le souci ainsi manifesté. Elle constate toutefois un défaut de parallélisme entre la définition de l'infraction elle-même, qui vise le conducteur du véhicule, et la définition proposée pour la circonstance aggravante, qui concerne aussi bien le conducteur que le propriétaire du véhicule. Or, dans la mesure où ce dernier, sauf complicité, ne peut être l'auteur de l'infraction, il paraît juridiquement inexact de prévoir qu'il peut commettre la circonstance aggravante.
Il y a là une incohérence et, pour l'éviter, la commission des lois propose de supprimer la référence au propriétaire dans la définition de la circonstance aggravante.
En conclusion, sous réserve des observations qui précèdent et de l'adoption de ses amendements, la commission des lois émet un avis favorable sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le grave problème posé par la profession de transporteur routier dépasse manifestement les clivages politiques. Le texte que nous examinons aujourd'hui en est la preuve puisqu'il reprend, pour une large part, les dispositions du projet de loi relatif à l'enseignement, la formation et la sécurité dans les transports déposé au mois de mars dernier par Bernard Pons et Anne-Marie Idrac.
Ce texte ainsi que les mesures d'ordre réglementaire prises récemment constituent des avancées non négligeables, auxquelles on ne peut qu'adhérer.
Il en est ainsi, tout d'abord, des dispositions visant à restreindre les conditions d'accès à la profession.
Concernant la capacité financière, le décret du 6 novembre dernier, qui a repris les recommandations du rapport Dobias, va évidemment dans le bon sens. En attendant l'entrée en vigueur de ce décret en 1999, une des caractéristiques du secteur des transports de marchandises demeure : il est possible d'y créer une entreprise avec très peu de capital. La loi économique fondamentale selon laquelle, pour créer une entreprise, il faut risquer des capitaux et donc réfléchir à la viabilité du projet n'est que très peu respectée.
Pour ce qui est de la formation professionnelle, les dispositions de l'article 1er constituent certainement un progrès en mettant l'ensemble des professionnels sur un pied d'égalité.
Toutefois, monsieur le ministre, permettez-moi, à ce sujet, de me faire le porte-parole de certaines catégories de transporteurs en compte propre qui ne sont pas soumis à la convention collective ou qui ne relèvent pas d'une convention collective de branche et qui sont exonérés de l'obligation de formation, notamment au titre de l'article 4 du règlement européen. Il en est ainsi, par exemple, des collecteurs de lait.
Le projet adopté par l'Assemblée nationale ne semble pas envisager un tel cas. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous souhaiterions une clarification du dispositif, ainsi qu'un engagement de votre part dans la perspective de la prochaine renégociation de ces dispositions communautaires. Dans votre propos d'introduction, vous y avez fait allusion.
Le second domaine dans lequel votre projet de loi tend à réaliser des avancées concerne le régime des sanctions.
La création d'une sanction d'immobilisation immédiate du véhicule constituera un moyen supplémentaire mis à la disposition de l'appareil répressif, même si cette mesure nouvelle paraît très difficile à appliquer.
Il est très important que cette sanction, si elle est maintenue, soit appliquée avec discernement. C'est la condition du maintien de l'article en cause.
Il convient, par exemple, d'adopter la plus grande fermeté à l'égard des transports de matières dangereuses. Un comportement laxiste dans ce domaine pourrait constituer une menace pour l'environnement ainsi que, en cas d'incident, un risque inutile pour les sapeurs-pompiers et les autres intervenants.
En revanche, une immobilisation trop hâtive pourrait se révéler extrêmement pénalisante pour le transport de denrées périssables ou encore pour les transporteurs appelés à respecter des délais impératifs, notamment en vue d'alimenter des chaînes de montage.
Il convient donc de bien distinguer le simple incident de la fraude volontaire, ce que certains de nos voisins européens font mieux que nous.
Enfin, la mesure proposée par la commission visant au paiement direct du transporteur routier par le donneur d'ordre initial ne peut qu'être salutaire pour lutter contre le mal endémique que constitue la sous-traitance « en cascade », comme le souligne notre collègue Jean-François Le Grand dans son excellent rapport.
La surcapacité dont souffre la profession, source de sous-tarification, conduit à une sous-traitance d'exploitation et non à une véritable sous-traitance de compétence, de savoir-faire et de spécialisation, la finalité étant souvent, compte tenu des prix pratiqués, de faire porter sur d'autres l'obligation de transgresser les normes.
Il convient toutefois, à mon sens, d'engager une réflexion approfondie sur les conséquences fâcheuses qu'une telle mesure risque d'avoir pour la profession de commissionnaire-organisateur de transport et, plus généralement, sur les relations contractuelles dans la chaîne logistique.
Malgré le caractère positif de ces dispositions, il est permis de douter qu'un texte ne comportant que sept articles puisse régler l'ensemble des difficultés dont souffre la profession.
Ainsi, le problème n'est sans doute pas tant d'introduire une réglementation supplémentaire que de faire appliquer les règles existantes, règles qui sont constamment bafouées.
Par exemple, selon le rapport Doguet, qui date de 1990, 40 % des semi-remorques dépassent le poids maximal autorisé sur autoroutes.
Selon une étude du Comité national routier réalisée en 1992, certaines entreprises parviennent à afficher un prix inférieur de 30 % à la tarification routière de référence, prix qu'elles ne peuvent pratiquer sans transgresser le code de la route et la législation sociale.
Pour assainir la profession, il convient donc de faire en sorte que la législation en vigueur soit appliquée, ce qui n'est pas le cas actuellement. En effet, malgré les récentes créations de postes, le nombre de contrôleurs est bien trop faible par rapport aux besoins. Par conséquent, un grand nombre d'entreprises, notamment les plus petites, échappent à tout contrôle.
Vérifier et contrôler, oui, mais avec le souci d'aider et de comprendre plutôt qu'avec la volonté de sanctionner de manière quasi aveugle. Ne soyons pas plus sévères à l'égard des entreprises françaises qu'à l'égard des entreprises étrangères dont les véhicules circulent sur notre territoire.
En outre, la plupart des entreprises qui fraudent sont connues ; elles devraient donc faire l'objet d'un contrôle ciblé.
En matière de législation sociale, qui constitue le premier domaine de fraude - insuffisance de repos journalier, dépassement des durées de conduite journalières -, plutôt que de réglementer sans cesse, l'Etat devrait accompagner le processus contractuel d'assainissement que la profession mène elle-même en son sein.
Si l'article 6 bis va dans le bon sens en permettant l'identification des véhicules arrivant à proximité de l'aire de chargement ou de déchargement, il faut veiller à ne pas mettre en place un système compliqué, impossible à appliquer et extrêmement contraignant.
Enfin, il convient de regretter le caractère tardif de ce projet de loi, dont les effets n'auront pas le temps de se faire sentir avant l'entrée en vigueur de la libéralisation du cabotage, en juillet prochain. Toute entreprise européenne pourra ainsi exercer son activité librement sur notre territoire sans titre de transport.
Je m'associe d'ailleurs pleinement aux fermes propos qu'a tenus M. le rapporteur au sujet de la réglementation européenne.
Je vous invite, monsieur le ministre, à engager les négociations avec nos partenaires en vue d'une harmonisation des conditions sociales et des conditions de concurrence au sein de l'Union européenne. L'harmonisation est particulièrement nécessaire en matière de retraite, d'horaire, de salaires et de véhicules, la France étant toujours à l'avant-garde dans ces domaines.
Ces disparités sont particulièrement inquiétantes pour les entreprises de mon département, le Bas-Rhin, et des autres départements frontaliers, qui craignent l'arrivée sur le marché de transporteurs des autres pays, crainte largement justifiée en matière de dépassement des durées de conduite et de repos journalier.
Alors qu'en France le chef d'entreprise assume seul la responsabilité d'un dépassement d'horaire, en Allemagne, celle-ci est partagée entre le chauffeur et le chef d'entreprise, les dépassements n'étant pas toujours imposés par l'entreprise.
L'harmonisation européenne est également nécessaire en matière de normes dimensionnelles, car la France risque aussi d'être pénalisée à cet égard. Ainsi, les remorques immatriculées aux Pays-Bas sont carrossées à 16,50 mètres, contre 15,40 mètres pour les françaises, ce qui leur permet de charger trois palettes de plus. De même, les bus allemands peuvent circuler avec une longueur de 14 mètres, contre 12 mètres pour les bus français, ce qui leur permet de transporter de quinze à vingt personnes de plus dans des véhicules carrossés à deux étages, comme cela est autorisé en Allemagne.
Les distorsions de concurrence entre les deux rives du Rhin sont donc flagrantes et pèsent fortement sur la compétitivité de nos entreprises par rapport à celles des pays voisins et des autres pays susceptibles d'intégrer prochainement l'Union européenne.
Je souhaiterais enfin attirer votre attention sur le fait que les trente-cinq heures appliquées de façon contraignante et exclusivement en France à la profession du transport routier sonneront le glas pour de nombreuses entreprises dont les dirigeants, accablés par les charges diverses et la suréglementation, sont déjà fortement démobilisés et ne pourront plus lutter à armes égales.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Les trente-cinq heures, on en est loin dans les transports routiers !
M. Joseph Ostermann. Dépôts de bilan, arrêts d'exploitation et délocalisations vont encore gonfler les chiffres alarmants des demandeurs d'emploi. L'Etat-providence sera-t-il capable de faire face, une fois de plus, à ce manque total de réalisme ?
Pourriez-vous nous exposer vos objectifs ainsi que la position que vous allez défendre à l'égard de nos partenaires européens ?
Dans cette perspective, un rapport sur les principales distorsions au sein de la Communauté pourrait vous être adressé, si vous le souhaitez.
Monsieur le ministre, en dépit des zones d'ombre que je viens d'évoquer et sous réserve des réponses que vous voudrez bien apporter à nos interrogations, mes collègues du groupe du RPR et moi-même voterons votre projet de loi, qui va dans le sens de la politique engagée par le précédent gouvernement. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Mon intervention, monsieur le ministre, portera sur une modification de la LOTI, mais elle concernera un autre article que ceux qui sont visés par le projet de loi.
Pour ce qui est du projet de loi en tant que tel, mon groupe et moi-même, comme vient de l'annoncer mon collègue Joseph Ostermann, serons solidaires des conclusions de nos deux excellents rapporteurs, tout en sachant que bien d'autres problèmes se posent dans le transport routier, notamment en ce qui concerne le carburant et le transfert sur le rail. Mais ces sujets donneront lieu à d'autres débats et à d'autres textes.
Je centrerai mon propos sur le transport de voyageurs et, plus particulièrement, sur les difficultés rencontrées par les autorités organisatrices de transport.
En effet, depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 15 avril 1996 rendu à propos d'un contrat relatif à la collecte et au transport d'ordures ménagères, une grande insécurité juridique pèse sur les autorités organisatrices : celles-ci ne savent pas avec certitude sur quels textes s'appuyer, loi Sapin ou code des marchés publics, pour leurs contrats conclus avec des tiers lorsqu'il s'agit d'exploiter le service public de transport.
Avant que cet arrêt n'ait été rendu, les autorités organisatrices de transport appliquaient systématiquement la procédure issue de la loi du 29 janvier 1993, dite « loi Sapin », indépendamment du mode de rémunération de l'entreprise et donc quel que soit l'aléa financier supporté par l'entreprise.
Les modifications de la loi Sapin intervenues en 1994 et en 1995 - introduction de seuils en dessous desquels une procédure simplifiée peut être mise en oeuvre - concernaient explicitement les transports publics et plus particulièrement les transports scolaires. Je rappelle les débats parlementaires de l'époque. Le législateur considérait donc que les transports publics étaient clairement dans le champ de la loi Sapin et que l'introduction de seuils permettait d'appliquer cette législation, y compris aux petits contrats.
Or, l'arrêt Préfet des Bouches-du-Rhône, apparemment contre l'avis du législateur, avance le seul critère financier pour discriminer les contrats relevant de la délégation de service public de ceux qui relèvent du marché public. En effet, sont des marchés publics, selon cet arrêt, je cite, « les contrats dans lesquels la rémunération du cocontractant de l'administration n'est pas substantiellement assurée par les résultats d'exploitation ». Que signifie le mot « substantiellement » ? Cela représente-t-il 20 %, 50 % ou 80 % ?
Or, la jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de délégation de service public fait habituellement référence à un faisceau de critères parmi lesquels figure, certes, le critère financier, mais non exclusivement d'autres critères, à savoir une activité de service public susceptible de faire l'objet d'une délégation, une délégation comportant un véritable transfert de gestion, un délégataire réputé agir pour le compte du délégant et une entreprise en contact direct avec l'usager.
En l'occurrence, les différents critères n'étaient pas remplis. Voilà pourquoi cet arrêt ne définit pas à lui seul la délégation du service public.
D'ailleurs, dans un avis en date du 7 octobre 1986, le Conseil d'Etat précisait le champ d'application de la gestion déléguée, précision reprise par une circulaire du 7 août 1987 : « le contrat nommé ou innommé par lequel un entrepreneur est chargé de l'exécution même du service public n'est pas un marché et, par suite, n'est pas soumis au code des marchés publics ».
A contrario, le projet de la loi relatif au code des marchés publics, déposé sous la législature précédente et non discuté, précisait que le code des marchés publics s'appliquerait aux contrats par lesquels les personnes de droit public se procurent des fournitures, des prestations de service et réalisent des travaux.
La nature même du contrat par lequel une autorité organisatrice confie l'exploitation du service public de transport, que ce soit un réseau urbain, un réseau départemental ou les services mis en place à titre principal pour les scolaires, à une entreprise qui sera directement en relation avec l'usager - prise et dépose à des points d'arrêt - et percevra pour son propre compte ou celui de la collectivité des titres de transport auprès desdits usagers relève, à l'évidence, de la délégation de service public, et donc de la loi Sapin.
Pourquoi faut-il clarifier très rapidement le choix de procédure ? Je signale que je parle pour les élus de toutes tendances, au nom du GART, le groupement des autorités responsables de transport, et des présidents de conseils généraux, quelle que soit leur sensibilité politique. Les fonctionnaires de votre ministère, monsieur le ministre, comme ceux du ministère de l'intérieur et du ministère des finances sont très informés de cette affaire qui s'est produite sous le gouvernement précédent.
Après l'arrêt du Conseil d'Etat, une circulaire du ministère des transports et une réponse de Mme Anne-Marie Idrac, alors secrétaire d'Etat, à une question écrite que j'avais posée reconnaissaient les difficultés d'interprétation introduites par cet arrêt mais préconisaient de continuer à appliquer la loi Sapin en attendant la transposition des directives européennes sur les services, et plus particulièrement de la directive 96/38 concernant les opérateurs de réseaux. Or cette directive doit être transposée d'ici peu. Un projet de décret de transposition est en cours de finalisation. Il a été transmis aujourd'hui au GART pour nous demander notre avis. Je vous remercie de nous l'avoir transmis ; je n'en ai pas encore pris connaissance.
Monsieur le ministre, j'étais intervenu sur ce sujet au cours de la discussion budgétaire. Vous vous étiez engagé à examiner sérieusement le problème qui, aviez-vous ajouté, devra être résolu rapidement.
Aussi, j'attire votre attention sur le fait que ce décret, même lorsqu'il sera paru, ne sera pas applicable immédiatement et qu'il ne pourra pas résoudre les problèmes de qualification juridique des contrats.
Des positions prises tant au niveau national par la commission centrale des marchés et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, qu'au niveau local par les représentants de cette dernière, il ressort clairement la volonté de ne retenir que le critère financier pour déterminer le choix de procédure. Cette position a déjà été exprimée localement lors de la procédure lancée par des autorités organisatrices, notamment par la ville de La Rochelle qui a dû changer le statut juridique de son entreprise de transport afin de ne pas passer sous les fourches Caudines de la DGCCRF. Des informations recueillies auprès de Bercy, il apparaît qu'une circulaire devrait préciser, sitôt le décret de transposition signé, que le critère financier est essentiel pour déterminer la procédure.
Pour les autorités organisatrices de transport, c'est-à-dire les cent soixante-dix agglomérations, départements ou régions organisatrices de transport du GART, pour l'association des présidents de conseils généraux, qui sont autorité organisatrice de transport dans leur département, notamment pour les transports scolaires, il est indispensable de contrecarrer ce mouvement visant à réduire le champ d'application de la délégation de service public, et ce pour plusieurs raisons.
Les collectivités locales doivent être fixées au début de 1998 sur la procédure à suivre pour les contrats de transport scolaire qui arrivent à échéance à la rentrée 1998. Compte tenu de la longueur de la procédure, nous devons être fixés en février.
L'expérience montre que l'application du code des marchés publics conduit bien souvent à retenir le moins-disant, alors que tout le monde s'accorde en matière de transport public - c'est vrai pour le transport de voyageurs comme pour le transport de marchandises - sur les dangers du moins-disant en matière tant de respect du droit social et de sécurité que de qualité du service et de sa pérennité. A cet égard, l'application de la loi Sapin semble avoir apporté des résultats probants.
Les modifications fréquentes du service, en particulier à chaque rentrée scolaire, nécessitent des avenants pour lesquels la loi Sapin est mieux adaptée que le code des marchés publics.
L'investissement de l'entreprise dans la gestion du service nécessite une certaine durée du contrat, de l'ordre d'au moins cinq ans. Le principe d'adaptation du service public est parfaitement pris en compte par la délégation de service public, qui autorise de manière plus libérale, tout en respectant la transparence prévue par la loi Sapin, la prise en compte de nouveaux besoins, et ce contrairement à la conception classique des marchés publics.
Par ailleurs, un contrat passé selon la procédure des marchés publics mais dont l'objet serait différent de celui d'un marché public poserait à l'évidence des problèmes juridiques, notamment en cas d'accident et de recours de tiers à l'encontre de l'exploitant ou de l'autorité organisatrice.
Enfin, une entreprise évincée lors de cette procédure relevant du code des marchés publics, qui peut déposer un recours et le gagner, a toutes les chances de devenir titulaire du contrat, et ce quelle que soit sa capacité à exploiter le réseau.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, au nom de ces élus, toutes tendances confondues, issus pour la plupart de la province puisque la LOTI ne s'applique pas en Ile-de-France - c'est la raison pour laquelle je suis un peu inquiet de constater que le ministre des finances et le ministre des transports sont des élus d'Ile-de-France -...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Avec mon accent...
M. Charles Descours. C'est pourquoi, disais-je, au nom de tous les élus de province, toutes tendances confondues, qui s'occupent de transport, je vous assure que l'insécurité juridique dans laquelle nous sommes est grave. Compte tenu de l'arrêt du Conseil d'Etat, tout tribunal administratif ou toute chambre régionale des comptes pourra nous épingler.
Sur ce point, la transposition par décret qui est imminente et surtout la circulaire de Bercy qui pourraient lui succéder nécessiteront - je le dis très sincèrement mais vous le savez - un arbitrage du Premier ministre. Tous les élus qui s'occupent de transport vous seront reconnaissants de votre intervention, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n'est-il pas paradoxal qu'un secteur économique en plein essor comme celui du transport routier soit dans un tel état de crise ? N'est-il pas aberrant, alors que la branche des transports routiers connaît un tel développement, de voir les chauffeurs routiers travailler dans des conditions aussi indignes pour notre pays ?
C'est bien la preuve, selon nous, que lorsqu'une économie, si performante soit-elle, est soumise aux objectifs de rentabilité financière maximale et immédiate, elle se nourrit de l'exploitation des hommes et génère le sous-développement et la précarité.
En effet, qui profite de la croissance des transports routiers de marchandises ? Certainement pas les routiers, qui travaillent entre 200 heures et 250 heures par mois pour un salaire à peine plus élevé que le SMIC, et ce au risque de leur vie. Serait-ce les patrons du transport routier ? A coup sûr ! Et encore faut-il distinguer, d'une part, les petites et moyennes entreprises et les artisans, qui subissent les conditions du marché, et, d'autre part, les grands transporteurs, qui régissent la profession et refusent le progrès social dans ce secteur, ainsi que les chargeurs et les principaux clients, notamment les groupes de la grande distribution dont l'opulence financière et boursière n'est plus à démontrer, qui soumettent les transporteurs au régime des flux tendus.
Ce paradoxe apparent n'est en vérité que le résultat du fonctionnement même du capitalisme par lequel la richesse accumulée profite au grand patronat au détriment de ceux qui la créent.
D'aucuns prétendent que les conflits des routiers qui ont eu lieu ces dernières années s'expliqueraient essentiellement par l'absence de dialogue entre les partenaires sociaux. Mais peut-il exister une quelconque culture de la négociation quand il y a un tel degré de subordination et d'exploitation dans cette profession ? A cet égard, on a reproché à M. le ministre des transports sa position durant le dernier conflit - cela vient d'être rappelé par M. le rapporteur - en particulier sa visite nocturne, voire matinale, d'un barrage au Mans.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Très matinale !
Mme Hélène Luc. C'était bien, pourtant !
M. Pierre Lefebvre. Que la droite s'offusque lorsqu'un gouvernement de gauche apporte son soutien aux victimes du système économique ne me surprend pas. Mais, au fond, messieurs de la droite, que vaut-il mieux : une partialité affichée en faveur des exploités ou une partialité peut-être plus discrète mais bien réelle en faveur des exploiteurs ?
Au nom du libéralisme et de son pendant, la déréglementation tous azimuts, l'Etat a déserté ce secteur parmi tant d'autres pour laisser place à une véritable jungle économique. Le droit du travail, la réglementation du transport et le code de la route sont souvent sacrifiés sur l'autel du dumping économique et social.
C'est pourquoi il est, selon nous, primordial de ne pas dissocier la question de l'assainissement de la profession des transporteurs routiers de celle de la régulation du trafic routier en général. Il est inacceptable qu'un accident de la route soit provoqué par un conducteur de poids lourd n'ayant pas eu son quota de repos journalier pour satisfaire aux exigences des donneurs d'ordre. Un routier mieux payé, plus reposé présente logiquement moins de risque pour lui-même et pour tous les usagers de la route.
Notre souci - je sais que vous le partagez, monsieur le ministre - est que le conducteur routier, première victime de cette déréglementation, ne soit plus le coupable désigné de l'insécurité sur les routes de France.
M. Fernand Tardy. Très bien !
M. Pierre Lefebvre. La colère des routiers est donc doublement compréhensible. D'une part, elle a sa source dans leur refus d'être les instruments flexibles d'intérêts économiques et financiers à court terme. D'autre part, elle a sa source dans le fait d'être directement exposés, jusque dans leur chair, aux conséquences de la concurrence sauvage incontrôlée. L'appel à la réglementation dans ce secteur, lancé par les grévistes avec le soutien de l'opinion publique, y compris par une certaine catégorie des patrons, tranche avec le discours libéral des dernières années. Il ne s'agit pas pour autant de revenir à une gestion administrative semblable à celle qui prévalait avant 1986 ; il s'agit d'aller vers une régulation démocratique et équilibrée.
Le groupe communiste républicain et citoyen se félicite du fait que ce projet de loi, tel qu'il a été amendé par l'Assemblée nationale, crée de nouveaux cas d'immobilisation immédiate de véhicule. Ce type de mesure a la vertu d'être dissuasif, de responsabiliser les chargeurs et concerne tout camion, français ou non, qui traverse notre territoire.
A cet égard, le rapport pour avis présenté au nom de la commission des lois par notre collègue Lucien Lanier, qui préconise de supprimer purement et simplement ce type de mesures, me laisse perplexe. Comment se fait-il que la droite, pourtant si soucieuse de la fonction répressive de l'Etat, se montre ici plus laxiste et juge disproportionnée la sanction d'immobilisation immédiate ?
Le discours de la droite pourrait se résumer à ceci : « La sécurité est la première des libertés... après la liberté économique ! » ; « L'intérêt général, après les intérêts patronaux ! »
Un autre argument avancé en faveur de l'immobilisation immédiate était de pallier les lacunes des commissions de sanctions administratives, dont on a remarqué le peu d'efficacité et le manque d'assiduité en leur sein. C'est pourtant, à notre avis, un outil essentiel à l'autorégulation de la profession.
L'amendement déposé par le groupe communiste républicain et citoyen vise à fixer une périodicité aux réunions de ces commissions. L'objectif est de crédibiliser et ainsi de pérenniser une telle structure. Renforcer les contrôles et les sanctions et s'en donner les moyens matériels, humains et juridiques répondent aux exigences de la profession elle-même.
Ce projet de loi ainsi que l'ensemble des mesures qui l'accompagnent ne peuvent que contribuer à remettre de l'ordre dans une profession très hétérogène. Ainsi, nous souhaitons que la question épineuse de l'identification du véhicule à proximité du lieu de chargement ou de déchargement soit résolu le plus rapidement possible. Une telle incertitude ne peut qu'inciter des donneurs d'ordre peu scrupuleux à profiter plus encore de l'élasticité du temps de travail des conducteurs.
Le mérite de votre dispositif, monsieur le ministre, est de saisir le problème des transports routiers dans sa globalité. Cela dit, le retard pris par ce secteur en matière de législation sociale est tel qu'il ne peut, à lui seul, suffire à le combler. C'est pourquoi il nous semble que l'Etat doit réinvestir ce secteur au côté des partenaires sociaux pour réorienter la politique des transports dans ce pays en faveur du progrès social, de l'emploi et d'un aménagement équilibré du territoire.
L'avenir du transport routier est plein de promesses, mais il est aussi chargé d'inquiétudes profondes.
La libéralisation du cabotage prévue pour le 1er juillet 1998 nous préoccupe tout particulièrement. Il est évident que le dumping social et économique qui existe déjà se trouvera décuplé dans le cadre d'un marché européen totalement ouvert. Quelles garanties avons-nous que les digues que nous construisons aujourd'hui ne seront pas, demain, englouties par une vague libérale dévastatrice ?
Plutôt que de colmater les brèches en attendant cette échéance, comme l'a fait le gouvernement précédent, vous avez, quant à vous, monsieur le ministre, multiplié les démarches auprès de vos collègues pour tenter d'harmoniser par le haut la réglementation sociale dans le transport routier. Le mémorandum que vous avez adressé au conseil des ministres des transports des différents Etats membres est à notre sens offensif et anticipateur. En effet, vous avez raison de dire que l'harmonisation doit précéder la libéralisation. Toute réglementation postérieure à cette échéance ne pourrait se faire qu' a minima et serait préjudiciable à la cohérence de notre propre législation. Le développement des échanges de marchandises entre la France et l'Union européenne depuis quelques années est une chance pour l'économie de nos régions ; encore faut-il qu'il ne se traduise pas par une exacerbation de la concurrence entre routiers européens.
En outre, il est à craindre que la libéralisation n'accentue encore la tendance actuelle du transport français à faire assurer l'essentiel du trafic par la route au détriment de techniques moins utilisées, telles que les voies navigables ou le chemin de fer. Les gouvernements successifs ont eu trop tendance à considérer ces différents modes de transport comme exclusifs et interchangeables. L'idée selon laquelle la croissance de l'un ne peut se faire qu'aux dépens d'un autre est une idée fausse. Il est au contraire de l'intérêt même des transporteurs routiers de voir émerger d'autres options.
Si la route demeure le principal moyen de transport, c'est parce qu'elle présente effectivement des avantages que les autres modes de transport n'ont pas. L'Etat, conformément aux orientations préconisées par la Commission de Bruxelles, a jusqu'ici cautionné un tel état de fait. C'est donc à lui qu'il revient, dans le cadre communautaire si besoin est, de favoriser l'exploitation du rail, des canaux et la complémentarité entre ces différents modes de transport.
Les entreprises de transport doivent désormais intégrer dans leur gestion les variables sociales et environnementales et non plus les seuls critères financiers. La loi du marché ne peut que conduire à terme à une situation de quasi-monopole de la route, parallèlement à une atomisation anarchique du secteur routier que le système de contrôles et de sanctions ne pourra seul contenir.
Cette profession a trop longtemps été mise à l'écart du progrès social ; aussi veillerons-nous à la bonne mise en oeuvre des dispositions annoncées qui vont dans ce sens.
Monsieur le ministre, nous pouvons vous assurer que votre projet de loi aura notre soutien, sous réserve, bien évidemment, qu'il ne soit pas dénaturé par la droite. Mais cela, nous le verrons lors de la discussion des articles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un décret du 6 mai 1988, pris en application de l'ordonnance du 15 décembre 1986, le gouvernement de M. Jacques Chirac mettait un terme à la tarification routière obligatoire. La mode était déjà à la déréglementation.
Le résultat ne s'est pas fait attendre : les prix ont baissé de 25 à 30 % en dix ans dans un marché pourtant en pleine expansion. Mais dans quelles conditions !
Huit mille sept cents sociétés nouvelles sont apparues ou, plutôt, se sont succédé, puisque leur taux de survie après cinq ans est inférieur à 50 %. Voilà un record qui n'a rien d'étonnant puisque les marges sont souvent inférieures à 2 %. Dès lors, la course au prix de revient met en cause la sécurité sur nos routes et plonge toute une partie de la profession, que ce soit les salariés ou les petits patrons, qui, dans bien des cas, partagent la même misère, dans un état que certains auraient appelé, hier encore, un sous-prolétariat.
En face d'eux se trouvent des donneurs d'ordre, très divers dans leur statut et leur comportement, mais dont on sait très bien que certains tirent beaucoup plus de profits de leur position d'intermédiaire que de l'exercice du métier de transporteur routier. La sous-traitance a progressé, en dix ans, de 40 % et les dividendes distribués dans les grands groupes, rapportés aux fonds propres, ont doublé depuis 1985.
Dans le même temps, l'appareil de l'Etat, lui aussi paupérisé, n'a pu faire face à la montée en activité du secteur. Non seulement les contrôles sont insuffisants, mais ils sont mal organisés et régis par des textes souvent inapplicables et parfois obsolètes, ainsi que l'a indiqué M. le rapporteur. Les tribunaux, comme à l'habitude, sont débordés. Les amendes sont peu dissuasives : en moyenne vingt francs par an et par véhicule !
Les résultats sont connus : une profession auparavant citée en exemple et aujourd'hui désignée comme l'un des principaux responsables de l'insécurité routière ; un secteur économique dont la majorité des entreprises n'est pas viable ; un groupe social contraint à transgresser la loi pour survivre ; enfin, des désordres sociaux inévitables, mais avec des conséquences économiques importantes dans un système de production souvent tributaire du système de flux tendu.
Cet exemple nous montre bien les conséquences du choix libéral dans l'économie. Si le marché doit exister - nous le croyons - il doit en permanence être corrigé, régulé par l'Etat au profit de l'intérêt commun.
Depuis la déréglementation de 1987, le transport routier n'a pas réussi à substituer à la réglementation administrative ancienne un nouveau mode de régulation.
Trois grèves dures - en 1992, en 1996 et en 1997 - ont secoué la profession et l'économie du pays. Les mesures acceptées pour mettre fin aux conflits en 1992 et en 1996 n'ont pas été appliquées. Les décrets de 1992 et de 1993, ramenant la durée de conduite hebdomadaire à quarante-huit heures sur douze semaines, sont des voeux pieux. Les engagements de 1996, tels le versement d'une prime de 3 000 francs et le dispositif de fin de carrière, n'ont été appliqués que par une minorité d'entreprises.
Le conflit de 1997 n'a pu se régler rapidement que par une intervention dès sont commencement du gouvernement Jospin, et le Président de la République a d'ailleurs salué cette diligence. Dès le 10 novembre, vous annonciez, monsieur le ministre, une série de douze mesures.
Six sont d'ores et déjà réalisées : le durcissement des conditions d'accès à la profession - c'est le décret du 6 novembre 1997 - le renforcement des effectifs de contrôle dans la loi de finances de 1998 - vous venez de nous informer de son importance, monsieur le ministre - un abattement de 800 francs par mois pour les poids lourds de plus de 16 tonnes - cette mesure figure dans la loi de finances rectificatives de 1997 - et le dépôt d'un mémorandum pour une harmonisation européenne des règles sociales dans les transports routiers. A cet égard, monsieur le ministre, quel calendrier pensez-vous possible pour l'avenir ? Quelles autres mesures sont-elles envisageables pour une meilleure régulation à l'échelon européen ? En particulier, ne pourrait-on pas rendre obligatoire un document comparable à celui qui a été défini en France par la loi du 1er février 1995, document qui mentionnerait les dates et heures d'arrivée aux lieux de chargement et de déchargement, ainsi que les dates et heures de départ ? Il y aurait ainsi une harmonisation européenne, que vous avez raison de souhaiter, monsieur le rapporteur. J'ai cru comprendre en écoutant votre intervention, monsieur le ministre, que vous annonciez cette concertation pour le premier trimestre de cette année.

Les deux dernières mesures déjà réalisées sont le projet de loi tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier, que nous examinons aujourd'hui, et l'extension du protocole salarial du 7 novembre à toutes les entreprises de transport, que vous avez décidée par arrêté.
Six autres mesures doivent intervenir rapidement : la mise en place d'une table ronde transporteurs-chargeurs que notre débat a reportée. Mais vous avez dit qu'elle se tiendrait le 13 février prochain ; la création d'un observatoire des conditions économiques et sociales ; une hausse de 4 % de la taxe parafiscale sur les cartes grises affectée à la formation ; la prolongation du dispositif de réduction des charges sur les bas salaires pour les entreprises qui respectent le contrat de progrès ; l'extension au transport de zone courte des dispositions du contrat de progrès applicable à la longue distance pour le décompte du temps de travail. Sur ce dernier point, monsieur le ministre, où en sont les négociations ? Ces dispositions s'appliqueront-elles à la petite messagerie qui, aujourd'hui, se développe un peu dans l'anarchie et parfois sous couvert de franchise ?
Enfin, la dernière mesure est l'extension du congé de fin d'activité aux conducteurs de transport interurbain de voyageurs.
Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui reprend largement les dispositions du projet élaboré par Mme Idrac et par M. Pons en mars 1997, mais qui n'a jamais pu être discuté par le Parlement. Vous les avez, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, largement exposées, et mon collègue M. Fatous y reviendra tout à l'heure.
Je souhaite simplement insister sur deux points.
S'agissant de l'immobilisation du véhicule, toutes les parties sont, me semble-t-il, unanimes pour considérer que cette sanction est l'une des seules qui puisssent dissuader les donneurs d'ordre d'exiger des conditions de transport abusives.
L'Assemblée nationale avait proposé une rédaction qui n'avait pas reçu l'accord du Gouvernement. La commission des affaires économiques et du Plan propose un amendement et vous-même, monsieur le ministre, en avez déposé un autre. Cette rédaction appelle trois questions.
Tout d'abord, nous comprenons parfaitement que les différents aspects de ce texte soient solidaires les uns des autres. Mais infliger une amende de 25 000 francs à un conducteur, qui peut être un salarié, pour un dépassement de la vitesse autorisée à la suite d'une pression de son employeur - pression qui n'est pas toujours prouvable - ne peut que conduire à s'interroger. Bien sûr, c'est une arme pour le salarié, mais pourra-t-il l'utiliser ?
Ensuite, rendre le conducteur responsable d'un dépassement de la durée et des conditions légales de conduite lorsqu'il est salarié me paraît une nouveauté en matière de droit social et, là aussi, je m'interroge. Je sais que la seconde partie du texte vise la responsabilité de l'employeur et que celle-ci est encore plus durement sanctionnée, y compris par une peine de prison ; je sais aussi que les juges pourront apprécier les conditions de l'infraction. Il n'empêche que je m'interroge toujours !
Enfin, la pièce qui va servir de référence pour la responsabilité du donneur d'ordre est le document de suivi. Ce sera le moyen de contrôler si la réglementation en matière de droit du travail et de sécurité routière est respectée. Cependant, même s'il est encadré par la loi, ce n'est qu'un document contractuel. Je m'interroge encore : ne serait-ce pas plus simple d'en faire un document administratif ?
Par ailleurs, la commission des affaires économiques et du Plan propose un article additionnel à la loi relative à la sous-traitance dans le domaine du transport routier de marchandises. Il s'agit d'instituer le paiement direct du sous-traitant par le donneur d'ordre. J'approuve totalement l'esprit de ce texte, qui tend à moraliser la profession d'intermédiaire. Je m'interroge beaucoup, cependant, sur sa mise en oeuvre effective : pour avoir longtemps travaillé dans le secteur privé, je crains que les échappatoires ne soient extrêmement nombreuses.
Vous aurez compris, monsieur le ministre, que le groupe socialiste du Sénat approuve sans détour l'action du Gouvernement. Nous voterons donc le texte qui nous est proposé, sauf si notre assemblée décidait de le dénaturer. Mais pourquoi le ferait-elle s'agissant d'un texte issu du gouvernement d'Alain Juppé ? Après avoir entendu M. le rapporteur, j'éprouve d'ailleurs plutôt un certain optimisme.
Trois mois après la fin du conflit de 1997, le Gouvernement a donc tenu plus de la moitié de ses engagements : le fait est assez inhabituel pour être souligné. Nous ne sommes pourtant pas à l'abri de nouveaux conflits dans les mois à venir. En effet, l'atomisation de cette profession, les intérêts contradictoires qui la divisent, la situation économique et sociale de beaucoup de ses salariés et de ses travailleurs indépendants, la concurrence européenne à venir, tout dans ce secteur en fait un terrain particulièrement sensible - y compris à la démagogie politique - et nous voyons tous qui pourrait en tirer profit.
Notre vigilance doit donc être constante : les engagements doivent être tenus et le secteur restructuré. Le temps et la manière de le faire compteront sans doute beaucoup. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fatous.
M. Léon Fatous. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous féliciter d'avoir, enfin, un large débat - après celui qu'ont connu nos collègues de l'Assemblée nationale - sur l'avenir de la profession de transporteur routier.
En effet, les conflits et les grèves ont montré à quel point le secteur du transport routier connaissait une crise interne sans précédent. Il fallait absolument qu'un recadrage soit effectué, d'autant que 1998 se marquera, dans ce secteur, par un grand changement au sein de l'Union européenne avec ses nouvelles donnes, notamment la libéralisation du cabotage le 1er juillet 1998.
Plusieurs objectifs s'imposent à nous.
Il s'agit, tout d'abord, d'améliorer les conditions de travail des conducteurs routiers par un plus grand respect du code du travail et de la sécurité routière, avec une rémunération reflétant davantage l'effort et le temps de travail réel.
Il s'agit, ensuite, d'harmoniser la législation de la profession de transporteur routier, tant dans le renforcement des conditions d'accès à la profession que dans ses règles de fonctionnement et ses rapports internes.
Il s'agit, enfin, de permettre à nos entreprises de satisfaire aux conditions de l'Union européenne pour leur garantir des chances identiques à celles de nos voisins.
Ce sont là des objectifs capitaux, mais ils ne doivent pas nous faire perdre de vue que ce projet de loi n'est qu'un élément d'une politique globale des transports. En effet, il nous faudra prochainement, dans le cadre des discussions sur l'aménagement du territoire, réfléchir à la manière de rééquilibrer les parts respectives du rail et de la route.
Cette réflexion est quasi nécessaire pour notre territoire qui, malgré le recentrage de l'Europe vers l'Est, restera l'épine dorsale des flux Nord-Sud. Mais nous aurons l'occasion d'en rediscuter.
Améliorer le sort des conducteurs routiers, n'est-ce pas là notre objectif principal ? N'est-ce pas là, encore, le motif des malaises et des conflits successifs que nous avons connus ?
Nous savons tous que la loi qui sera adoptée concernera directement les 220 000 chauffeurs. Ce sont eux qui, volontairement ou involontairement, sont au coeur du dispositif. Ce sont eux, en tout cas, que nous souhaitons protéger et responsabiliser. En effet, les chauffeurs sont ceux qui se retrouvent au centre des enjeux d'entreprise et qui font les frais du dumping et de la concurrence acharnée à laquelle se livrent certains.
Aussi, même si certaines dispositions du projet de loi peuvent paraître assez contraignantes parce qu'elles imposeront un changement de comportement et une attention plus particulière vis-à-vis des règles élémentaires de sécurité, il n'en reste pas moins vrai que ce sont les chauffeurs qui bénéficieront des améliorations apportées.
Une formation obligatoire leur permettra de maintenir et de renforcer leurs connaissances, mais ausi d'être sensibilisés encore et toujours au respect du code de la route, des règles de sécurité et des règles d'hygiène.
L'harmonisation de la législation de la profession de transporteur routier, non seulement par l'obtention obligatoire de la licence européenne pour les véhicules de plus de 6 tonnes, mais aussi - et c'est là une avancée considérable - par l'obtention d'une licence intérieure pour un tonnage inférieur, y compris pour ceux de moins de 3,5 tonnes - à condition, bien sûr, qu'il y ait deux essieux - était une demande forte de l'ensemble des responsables, car, aujourd'hui, chacun peut s'improviser transporteur avec de simples camionnettes, sans pour autant devoir se soumettre aux règles régissant la profession.
L'harmonisation passe encore par des rapports entre donneurs d'ordre et transporteurs plus clairs, et surtout respectueux du droit.
Les prix abusivement bas imposés par les chargeurs, les délais anormalement courts exigés pour permettre la politique des flux tendus entraînent les entreprises de transport vers le bas. Dès lors - et puisque, chacun le sait, c'est toujours vers les salariés que l'on se retourne - les chauffeurs routiers sont obligés de « jouer à l'élastique » pour respecter les engagements. Or cela constitue un risque pour leur vie et la vie d'autrui !
Le projet de loi vise responsabiliser l'ensemble de la chaîne par des mesures particulièrement sévères.
L'immobilisation du véhicule et de son chargement sera très dissuasive ; grâce au document de suivi, il sera possible d'établir la responsabilité entre donneur d'ordre et entreprise de transport. Cette lourde sanction aura pour conséquence - nous l'espérons tous - d'assainir les relations commerciales de cette branche et d'éviter que des petites entreprises, que des chauffeurs artisans à qui l'on a fait miroiter les bienfaits de la création d'entreprise, ne soient obligés de bafouer la législation pour pouvoir survivre.
Bien entendu, ce projet de loi ne réglera pas le problème du temps d'attente entre chargement et déchargement, mais je pense, monsieur le ministre, que, lors de votre rencontre avec les chargeurs, cette question sera soulevée.
Voilà autant de points positifs qui amélioreront les conditions de vie des chauffeurs routiers, et il faut s'en féliciter d'autant plus fortement que le renforcement des contrôles, le respect de la législation - notamment en termes de repos quotidien - et le respect du code de la route auront des conséquences largement bénéfiques sur la sécurité routière.
Ainsi, monsieur le ministre, je suggère de prendre exemple sur nos voisins européens en créant à chaque péage important des aires de contrôle équipées. Par ailleurs, la structuration intelligente d'un secteur d'activité en pleine croissance ne peut qu'être positive pour son économie et son développement.
Ce projet de loi est un bon projet, car il marque de façon significative de grandes avancées fondées sur la responsabilité de chacun, sans enfeindre les libertés commerciales. Même si, demain, il faudra aller encore plus loin, ce projet constitue une étape vers le progrès souhaité par tous.
Ainsi que l'a dit mon collègue M. Bellanger, le groupe socialiste votera ce texte, à condition, bien entendu, qu'il ne soit pas dénaturé par les amendements qui seront adoptés par le Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. J'informe le Sénat que la commission des affaires économiques et du Plan m'a fait connaître qu'elle a d'ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu'elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d'une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi actuellement en cours d'examen.
Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)