M. le président. « Art. 3 quinquies . - La violation d'une obligation de prudence ou de sécurité, au sens de l'article 223-1 du code pénal, matérialisée par une infraction aux réglementations des transports, du travail et de la sécurité routière commise à l'aide d'un véhicule de transport routier entraîne l'immobilisation et le retrait de la circulation dudit véhicule, qu'il soit en charge ou à vide, jusqu'à ce que tous les éléments de nature à établir les responsabilités de l'infraction puissent être recueillis.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans lesquelles a lieu l'immobilisation, notamment concernant la sauvegarde du chargement et l'imputation des frais de gardiennage-stockage liés à l'immobilisation. »
Sur cet article, je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 13 est présenté par M. Lanier, au nom de la commission des lois.
L'amendement n° 21 est déposé par M. Hérisson.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
Par amendement n° 30 rectifié, le Gouvernement propose de rédiger ainsi l'article 3 quinquies :
« I. - Après l'article L. 9-1 du code de la route, sont insérés deux articles ainsi rédigés :
« Art. L. 9-2. - Est puni de 25 000 F d'amende le fait, par le conducteur d'un véhicule de transport routier de marchandises ou de voyageurs :
« 1° Soit de dépasser de plus de 20 km/h la vitesse maximale autorisée sur les voies ouvertes à la circulation publique ou la vitesse maximale autorisée par construction pour son véhicule ;
« 2° Soit de dépasser de plus de 20 % la durée maximale de conduite journalière ;
« 3° Soit de réduire à moins de six heures la durée de repos journalier.
« Est puni de six mois d'emprisonnement et 50 000 F d'amende le fait de donner au conducteur d'un véhicule de transport routier de marchandises ou de voyageurs, directement ou indirectement, des instructions que ce dernier ne peut exécuter qu'en commettant les faits prévus au 1°, 2° ou 3° du présent article. Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal, des infractions prévues par le présent alinéa. La peine encourue par les personnes morales est l'amende, selon les modalités prévues par l'article 131-39 du code pénal.
« Sans préjudice des dispositions des articles L. 25 et L. 26 en cas d'infraction aux dispositions du présent article, le véhicule et son chargement doivent obligatoirement faire l'objet d'une décision d'immobilisation immédiate lorsqu'il n'est pas satisfait à l'obligation relative à la présence à bord du document prévu par l'article 26 de la loi n° 95-96 du 1er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d'ordre économique et commercial ou, pour les transports qui ne sont pas soumis aux dispositions de cet article, de la lettre de voiture prévue par la convention de Genève du 19 mars 1956 relative aux transports internationaux de marchandises par route exécutés à l'aide de contrat CMR. Cette immobilisation est maintenue tant qu'il n'est pas satisfait à cette obligation.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions dans lesquelles a lieu l'immobilisation du véhicule et de son chargement.
« Art. L. 9-3. - En cas de commission d'un délit ou d'une contravention concernant les conditions de travail dans les transports routiers, constatée sur le territoire national, le dépassement des temps de conduite et la réduction des temps de repos sont calculés, pour la période de temps considérée, en incluant les périodes de temps de conduite et de repos effectuées à l'étranger. »
« II. - a) Dans le deuxième alinéa (a) de l'article L. 11-1 du code de la route, après la référence : "L. 9", est insérée la référence : "L. 9-2 1°".
« b) Dans le deuxième alinéa de l'article L. 11-2 du code de la route, après les mots : "Pour les contraventions", sont insérés les mots : "ou le délit prévu par l'article L. 9-2 1°".
« c) Dans le deuxième alinéa (1°) de l'article L.14 du code de la route, après la référence : "L. 9", est insérée la référence : "L. 9-2". »
Par amendement n° 8, M. Le Grand, au nom de la commission des affaires économiques, propose, à la fin du premier alinéa de l'article 3 quinquies , de supprimer les mots : « , jusqu'à ce que tous les éléments de nature à établir les responsabilités de l'infraction puissent être recueillis ».
Par amendement n° 9, M. Le Grand, au nom de la commission des affaires économiques, propose de rédiger comme suit le second alinéa de l'article 3 quinquies :
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les règles relatives à la durée de l'immobilisation ainsi que les conditions dans lesquelles sont assurées la sauvegarde du chargement ainsi que l'imputation des frais de gardiennage-stockage. »
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 13.
M. Lucien Lanier, rapporteur pour avis. Je me suis largement expliqué tout à l'heure sur cet article, en insistant notamment sur le fait que l'article R. 278 du code de la route énumère déjà dix-huit cas graves - la conduite en état d'ivresse, par exemple - de manquement à la prudence qui peuvent tous être sanctionnés par une immobilisation du véhicule. Ces dix-huit cas, je tiens à le dire, sont bien plus précis que le renvoi général aux obligations de prudence !
Le pouvoir réglementaire peut compléter cette liste si cela lui semble nécessaire ! Pourquoi alourdir constamment la loi par ce qui peut être traité par le règlement ? La loi doit être dégagée de tous les détails qui l'encombrent et qui, finalement, aboutissent à la situation que vous dénonciez vous-même, monsieur le rapporteur, dans votre propos liminaire : l'alourdissement et la sédimentation des textes est telle que ceux-ci finissent par se contredire les uns les autres.
C'est la raison pour laquelle cet article 3 quinquies ne me paraît pas nécessaire, d'autant qu'il méconnaît le principe de la responsabilité pénale pour son propre fait. Ce point est important car, si la sanction devient automatique, l'immobilisation, peine grave, pourrait être prononcée alors même que le propriétaire du véhicule n'aurait rien à se reprocher, notamment en cas d'ivresse du conducteur.
M. le président. La parole est à M. Hérisson, pour défendre l'amendement n° 21.
M. Pierre Hérisson. Seul le juge pénal a le pouvoir d'apprécier si les faits constatés par un officier de police judiciaire constituent un délit en violation d'une obligation de prudence ou de sécurité au sens de l'article 223-1 du code pénal.
L'article 3 quinquies dessaisissant le juge pénal de son pouvoir souverain d'appréciation, nous en demandons la suppression.
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour défendre l'amendement n° 30 rectifié.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Lors du débat à l'Assemblée nationale, les députés ont proposé des sanctions nouvelles tendant à l'immobilisation des véhicules selon des modalités qui sont apparues fragiles au Gouvernement. C'est la raison pour laquelle, à la demande des parlementaires, un groupe de travail a été mis en place pour revoir ce dispositif.
Les objectifs visés par les parlementaires étaient, d'une part, la mise en place d'une immobilisation immédiate supplémentaire et, d'autre part, la possibilité de poursuivre le donneur d'ordre quand celui-ci se révélait responsable des infractions commises par le conducteur.
Le groupe de travail a réfléchi à une solution permettant d'atteindre ces objectifs, et c'est cette solution qui est proposée dans le présent amendement.
Les dépassements de vitesse et de temps de conduite ainsi que le non-respect des temps de repos sont plus sévèrement réprimés. En outre, une possibilité d'immobilisation immédiate est prévue lorsque l'un de ces délits est commis et qu'il est assorti du défaut de documents de transport. Par ailleurs, une sanction plus lourde est prévue pour le donneur d'ordre. Enfin, la responsabilité pénale de la personne morale peut être engagée.
Bien sûr, je précise que l'objectif de ce texte - je réponds là aux remarques qui ont été faites tout à l'heure au cours de la discussion générale - est non pas de sanctionner le conducteur en dehors des cas normalement prévus par les codes en vigueur, mais de remonter au donneur d'ordre.
S'agissant des nouveaux délits commis par le conducteur et pouvant être sanctionnés, les peines sont des peines maximales. Le juge appréciera en fonction des circonstances et des responsabilités en cause. On a parfois évoqué le montant de 25 000 francs, mais c'est la règle en matière de délits !
Cet amendement constitue un premier élément de réponse au problème soulevé par les députés à l'Assemblée nationale. Il appartient maintenant au Sénat de se prononcer sur un dispositif nécessairement complexe, j'en ai conscience, mais qui a pour objet de mieux responsabiliser l'ensemble des intervenants dans le domaine du transport routier.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter les amendements n°s 8 et 9.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Je retire ces amendements, monsieur le président, dans la mesure où la commission est favorable aux amendements identiques n°s 13 et 21, qui tendent à supprimer l'article.
M. le président. Les amendements n°s 8 et 9 sont retirés.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 13 et 21 ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je suis favorable aux amendements identiques n°s 13 et 21 tendant à supprimer l'article 3 quinquies.
M. le président. Permettez-moi, monsieur le ministre, d'attirer votre attention sur le fait que, si ces amendements sont adoptés, l'amendement n° 30 rectifié n'aura plus d'objet !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je le sais, monsieur le président, mais je propose un texte alternatif !
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 13 et 21.
M. Pierre Lefebvre. Je demande la parole contre ces amendements.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Le groupe communiste républicain et citoyen est contre ces amendements, pour les mêmes raisons que tout à l'heure. Pour ne pas fâcher M. le rapporteur pour avis, je ne répéterai pas, qu'il veuille bien m'en excuser, l'argumentation développée précédemment, même si je la garde à l'esprit.
S'agissant de l'amendement n° 30 rectifié, monsieur le ministre, l'amende de 25 000 francs requise à l'encontre du conducteur d'un véhicule de transport nous paraît lourde, voire excessive, parce qu'il peut s'agir d'un salarié. Nous avons donc une certaine réticence et nous nous interrogeons beaucoup à propos d'une amende d'un tel niveau.
M. Jacques Bellanger. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bellanger.
M. Jacques Bellanger. Pour ma part, je ne suivrai pas M. le rapporteur pour avis et je comprends mal que la commission des affaires économiques se rallie à des amendements de suppression de l'article alors qu'elle a elle-même déposé des amendements sur ledit article. Mais il s'agit sans doute de la joute parlementaire !
Cela étant, si nous voulons empêcher un certain nombre d'abus, ce n'est pas vers le salarié qu'il faut se tourner ! Quand celui-ci commet des infractions, c'est souvent parce qu'il y a eu pression de la part de son employeur. Quant au transporteur indépendant, il n'a pas le choix : ou il perd son client, ou il commet des infractions.
Face à cela, l'immobilisation immédiate du véhicule me paraît être la seule sanction capable d'atteindre le donneur d'ordre. Si les délais impartis sont trop courts, c'est que nous sommes dans une politique de flux tendus, et la seule vraie sanction est l'immobilisation du véhicule, qui ne vise pas le transporteur mais le donneur d'ordre qui conduit le transporteur à transgresser la loi.
M. le rapporteur pour avis a fourni un certain nombre d'arguments juridiques, mais je crois qu'il est plus important de réorganiser la profession et d'assurer la sécurité routière.
Je constate que nous ne jouons pas dans la même cour, puisque les amendements n°s 13 et 21 suppriment le dispositif proposé. Cela n'est pas acceptable. Nous nous prononcerons donc contre.
J'attire votre attention, mes chers collègues : tout ce que nous allons voter, si nous ne mettons pas en cause le donneur d'ordre, se résumera à des voeux pieux et, dans un an ou deux, il y aura de nouvelles manifestations sur les routes et des grèves qui toucheront l'économie de nos entreprises.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. J'entends bien les observations que vous avez formulées, mesdames, messieurs les sénateurs, et vos craintes face à la mise en oeuvre d'un dispositif qui pourrait pénaliser lourdement les salariés conducteurs routiers. Bien entendu, telle n'est l'intention ni du Gouvernement ni des parlementaires.
Dans ces conditions, étant donné les difficultés que nous rencontrons ce soir, je préfère retirer l'amendement n° 30 rectifié pour que la réflexion puisse se poursuivre au cours de la navette.
M. le président. L'amendement n° 30 rectifié est retiré.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 13 et 21, acceptés par la commission et par le Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 3 quinquies est supprimé.
Article 3 sexies