ENTRÉE ET SÉJOUR DES ÉTRANGERS
EN FRANCE ET DROIT D'ASILE

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 188, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile. [Rapport n° 224, 1997-1998) et avis n° 221 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis membre du parti radical, ce parti dont les convictions républicaines, sociales et européennes sont anciennes et me mettent très à l'aise, tant au sein de mon groupe du Rassemblement démocratique et social européen qu'au Sénat, qui pratique souvent, voire presque toujours, tolérance et ouverture.
Je me complais aux débats concernant l'essentiel de l'avenir, à savoir l'éducation, la recherche, le développement économique, les nouvelles technologies, l'aménagement du territoire, bref tout ce qui, à mes yeux, est du domaine de l'avenir commun de la nation et qui est souvent de nature consensuelle.
La volonté d'intégration des étrangers me paraît entrer dans cette catégorie. Dans mon département, les Alpes-Maritimes, c'est une pratique historique ancienne. De nombreux villages, après pestes ou guerres, ont été repeuplés par le comte de Barcelone, la reine Jeanne, le roi René, les abbés de Lérins à partir de populations diverses.
Au début de l'ère mussolinienne, le flux migratoire venu du Piémont s'est enrichi de réfugiés politiques. Les travailleurs tunisiens en situation régulière contribuent, aujourd'hui, à l'activité économique. Cependant, des problèmes se posent maintenant.
Les jeunes générations, en particulier dans les quartiers difficiles, qu'il s'agisse de Français, de jeunes issus de l'immigration récente ou de jeunes appartenant au milieu des gens du voyage, soulèvent certaines difficultés, chacun le sait.
La sagesse populaire estime clairement que « trop c'est trop » et l'intégration risque fort de se trouver en panne. Or il y a là une priorité nationale : mieux intégrer les populations qui ne sont pas socialement intégrées. Autrement dit, ce n'est pas le moment de compliquer encore les choses en favorisant l'arrivée de nouveaux immigrants.
Monsieur le ministre, la notion de seuil de rupture doit vous être aussi familière qu'à ceux de vos prédécesseurs au ministère de l'intérieur qui se sont exprimés à cette tribune.
Ce problème n'est pas spécifiquement français : il est européen. D'ailleurs, il en est beaucoup question dans le traité d'Amsterdam.
Ce traité, qui a été signé par le gouvernement actuel après avoir été négocié par le gouvernement précédent, convient à mon groupe comme à moi-même, mais je sais que tout le monde ne partage pas ce point de vue.
Il y est fait mention de mesures concernant la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'Europe, la délivrance de visas, le droit d'asile, l'immigration, tous sujets dont nous traitons aujourd'hui dans l'urgence, alors que le traité prévoit, en la matière, un transfert de compétences vers l'Europe.
Or, depuis la déclaration d'urgence par le Gouvernement et surtout depuis l'examen de ce texte par l'Assemblée nationale, un fait nouveau est intervenu : le Conseil constitutionnel, dans une décision du 31 décembre 1997, a émis un avis fortement motivé concernant la ratification du traité d'Amsterdam. S'agissant, en particulier, des mesures relatives à l'asile, à l'immigration, au franchissement des frontières intérieures et extérieures de l'Union, aux visas, à la libre circulation des personnes, le Conseil constitutionnel estime que la ratification du traité exige au préalable une révision de la Constitution.
Un débat portant notamment sur ces divers points devra donc bientôt se tenir dans le cadre du Congrès, à Versailles, ainsi que l'a confirmé, hier soir, le Premier ministre à la télévision.
La plupart d'entre nous auront d'ailleurs noté, je pense, que, à l'occasion de cette intervention télévisée, le Premier ministre, s'il a parlé de beaucoup de choses, n'a absolument pas évoqué le projet de loi que nous sommes en train de discuter.
M. Guy Allouche. Ce n'était pas l'objet de son intervention !
M. Pierre Laffitte. Pas l'objet direct, sans doute, mais il a abordé de très nombreux thèmes !
Quoi qu'il en soit, il m'apparaît que ce débat pourrait très bien être reporté à la réunion du Congrès et que, à cette occasion, se dégagerait vraisemblablement une majorité d'idées, selon l'expression d'Edgar Faure, susceptible d'effacer des clivages traditionnels qu'il me paraît dommage de renforcer.
Voilà pourquoi, à mes yeux, le Gouvernement ferait preuve de sagesse en retirant ce texte de notre ordre du jour et en reportant ce débat au Congrès de Versailles.
Comme beaucoup d'entre nous dans cette enceinte, j'ai écouté le Premier ministre, hier soir. La volonté de conciliation et de recentrage qu'il a manifestée devant les caméras tranchait, selon moi, sur la tonalité des propos qu'il a tenus à l'Assemblée nationale lorsqu'il a divisé la France en deux camps irréductiblement ennemis : les bons à gauche et les mauvais à droite ! Je note au passage qu'il avait alors volontairement oublié le centre.
A droite, les esclavagistes, les racistes et les antidreyfusards !
Membre d'un groupe qui est le successeur de celui dont ont fait partie, en leur temps, Victor Schoelcher - une plaque est apposée à la place qu'occupe mon collègue et ami Guy Cabanel - et Georges Clemenceau, directeur de L'Aurore lors de la publication du J'accuse de Zola, j'ai donc été, avec mes collègues du RDSE , fortement choqué par ces propos.
Devant l'ampleur des démentis d'historiens citant, parmi d'autres, Alexis de Tocqueville, Henri de Gaulle - père de Charles de Gaulle et grand-père de notre collègue ici présent - le Premier ministre a présenté ses regrets, mais non ses excuses.
Au demeurant, personne n'a songé à citer certains propos antisémites de toute une série de personnalités et de penseurs de gauche tels que Blanqui, Marx, Engels, Drumont, Jaurès ou Guesde. Le président Dreyfus-Schmidt a fait d'autres citations. Je tiens à sa disposition des documents qui montrent qu'on ne peut pas dire, en matière de racisme notamment, qu'il y a d'un côté les bons, la gauche, et de l'autre les mauvais, la droite. Cela dit, il y a des pages d'histoire qu'il faut oublier ; « esclavagistes », « racistes », c'est du passé, du moins je l'espère.
La volonté de diviser la nation en deux clans - et en oubliant, bien sûr, le centre, alors qu'une majorité de nos concitoyens espèrent le voir reprendre de l'importance - est-elle fortuite ?
Le débat que vous nous imposez, monsieur le ministre, procède-t-il d'une même volonté ?
Alors que la compétition internationale fait rage sur le plan économique, alors que l'avenir de notre vieux continent est en jeu, alors que, dans le domaine des nouvelles technologies, l'hégémonie nord-américaine s'affirme, alors qu'au-delà des soubresauts financiers qui ébranlent l'Asie en ce moment, la compétitivité de cette région du monde va se trouver renforcée et que son agressivité commerciale et industrielle risque d'accroître nos difficultés, alors que la bataille de l'emploi - une priorité pour nous tous- est loin d'être gagnée en France et en Europe, alors que les problèmes de sécurité intérieure, les zones de non-droit, les difficultés de certaines banlieues préoccupent les populations - et ce dans les villes de gauche, du centre ou de droite - est-il nécessaire de diviser nos forces vives en ranimant l'archaïque division entre la droite et la gauche ?
De cette division, la France sortira-t-elle grandie ? Ne sont-ce pas les extrêmes qui risquent d'en sortir renforcés ? Je n'affirmerai pas que c'est ce que vous désirez. Certes, ils sont, dans certaines conditions des alliés objectifs qui permettent d'obtenir une majorité plurielle à l'Assemblée nationale, mais je sais que, lorsque c'est nécessaire, les électeurs savent toujours choisir.
Monsieur le ministre, s'agissant d'un projet de loi qui touche à un sujet auquel la population est extrêmement sensible - le contrôle des flux migratoires - n'aurait-il pas mieux valu attendre plutôt que de proposer les dispositions déjà amplement évoquées à cette tribune ?
N'aurait-il pas mieux valu concentrer les efforts que vous êtes en train d'entreprendre sur l'évolution du statut des polices municipales et leur nécessaire coopération avec la police nationale et la gendarmerie, coopération qui fonctionne très bien dans certaines villes, notamment dans les Alpes-Maritimes, à la satisfaction générale ?
Voilà moins d'un an, la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen apportait son soutien au projet de loi présenté par votre prédécesseur. Il lui semblait de nature à résoudre les difficultés liées à l'immigration clandestine, sans pour autant remettre en cause les valeurs républicaines.
Le vote de ce texte a permis d'accroître le taux des reconduites aux frontières, mesures en faveur desquelles il me semble vous avoir entendu vous prononcer, contrairement à ce que nous avons lu sur le discours de Bamako, déjà évoqué à cette tribune. Comme le rappelait mon ami André Vallet à ce sujet, l'article 27 de l'ordonnance de 1945, toujours en vigueur, dispose que le fait de se soustraire à une mesure de reconduite à la frontière est puni de trois ans d'emprisonnement. Il ne s'agit donc effectivement pas d'un crime, mais ce type d'infraction est bel et bien constitutif d'un délit.
La voie choisie par le Gouvernement pour aborder le problème de l'asile me semble bien singulière. Certes, la France ne peut pas abandonner ceux qui luttent pour leur liberté - c'est d'ailleurs inscrit dans notre Constitution et cela fait partie de l'honneur de la France - mais est-il véritablement nécessaire de débattre ici de ces problèmes, alors que nous les aborderons bientôt à l'occasion de la révision de la Constitution, puisque aussi bien le Président de la République et le Premier ministre sont d'accord pour soumettre cette révision au Congrès ?
Monsieur le ministre, je dis donc de nouveau mon espoir de voir le Gouvernement retirer ce projet de l'ordre du jour, en ne me faisant cependant guère d'illusions sur mes chances d'être entendu. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plus de quinze ans, l'immigration est l'otage d'un débat droite-gauche, posé dans des termes souvent manichéens.
Deux logiques se sont trop longtemps affrontées.
Pour la droite, il suffirait de fermer les frontières, nationales ou européennes, de former une nouvelle police des migrants, de contrôler à large échelle identités, cartes de séjour et certificats d'hébergement, de rationaliser dans un sens répressif ou « juridisant » les procédures d'expulsion pour résoudre la question de l'immigration. Simpliste !
A cette logique répressive et de suspicion a priori à l'égard de l'immigré, la gauche a parfois réduit son action à un choix moral, négligeant peut-être trop souvent de mener une réflexion politique de fond sur la nation, la République et la citoyenneté.
Obsession technocratique, d'un côté, obsession moralisante, de l'autre, ont conduit à une superposition de textes législatifs, à la non-application de la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers et, trop souvent, hélas ! à des situations inextricables.
Cette dialectique infernale, dont le seul bénéficiaire a été l'extrême droite, ne laisse qu'une place tout à fait insuffisante, à nos yeux, tant à l'analyse des causes et des conséquences de l'immigration qu'à une réflexion sur l'avenir de l'intégration républicaine et à une action menée en ce sens.
Le projet de loi soumis à l'examen de la Haute Assemblée marque la volonté de sortir l'immigration, et surtout l'immigré, de ce débat pourri en posant enfin les bases d'une politique équilibrée, c'est-à-dire une politique humaine et généreuse, conforme à la tradition d'ouverture et de tolérance de notre pays, en même temps que réaliste et ferme, prenant en compte la dimension internationale du problème et la capacité de la France à intégrer, capacité réelle mais, aujourd'hui, non illimitée. Il en ira sans doute différemment dans dix ou quinze ans, quand sera nécessaire, pour des raisons démographiques, un apport de population active.
Il s'agit donc d'un projet de loi conforme à la tradition d'accueil de la France.
Nous sommes tous attachés au rayonnement international et scientifique de la France, à son ouverture au monde. Personne ne conteste la nécessité de stabiliser et d'intégrer, conformément à notre tradition républicaine, les étrangers qui le souhaitent et qui sont durablement installés sur notre sol. Nul ne songe sérieusement à priver les étrangers des garanties de l'état de droit.
Aussi est-ce favorablement que nous devons accueillir les dispositions de ce projet de loi, qui marque une rupture avec la logique répressive antérieure.
Désormais, les familles ne peuvent plus être séparées ; les cas absurdes, mais trop nombreux, des personnes « non expulsables, non régularisables » seront enfin résolus.
De nouveaux droits au séjour sont prévus pour les étudiants et les chercheurs qui assureront à la France un rayonnement culturel et scientifique.
Mes chers collègues, vous le savez bien, et vous, monsieur le ministre, je sais que vous en êtes convaincu, nombre d'étudiants ou de chercheurs de pays francophones, ne pouvant, dans les faits, venir poursuivre leurs études chez nous, se rendent dans d'autres pays, ce qui, à terme, risque de se révéler très grave.
Le projet de loi apportera des simplifications sensibles : pour tous les étrangers légalement installés sur notre sol, il marquera la fin de certaines tracasseries administratives inutiles.
Enfin, un droit d'asile exemplaire, qui donnera à la France la législation la plus avancée en la matière, verra le jour.
L'autre volet du projet de loi traduit une politique d'immigration ferme.
A l'heure de la mondialisation - mondialisation dont il convient de noter qu'elle est plutôt financière - et du concept de village planétaire, certaines belles âmes jugent dérisoire l'existence de frontières et demandent des papiers pour tous. Dans leur élan de générosité, ils feignent de ne pas comprendre que l'ouverture des frontières entraînerait l'implosion des équilibres économiques et sociaux de la France, remettrait en cause l'intégration républicaine et affaiblirait notre législation sociale par le développement du travail clandestin.
Notre pays peut légitimement se flatter d'accorder l'égalité des droits aux étrangers établis légalement sur notre sol. Mais, pour que ces droits soient garantis, nous devons faire la différence entre étrangers en situation régulière et étrangers en situation irrégulière.
Ceux qui n'ont pas droit au séjour doivent être raccompagnés, humainement certes, dans leur pays, car une nation se définit aussi par des frontières matérielles et par des règles. Il est donc légitime que quiconque les viole s'attende à une sanction.
Le présent projet de loi ne méconnaît pas cette réalité puisqu'il vise : premièrement, à renforcer la lutte contre le travail clandestin - dont on sait, au demeurant, qu'il ne concerne pas uniquement les étrangers ; deuxièmement, à assurer l'éloignement effectif des immigrants illégaux en augmentant la durée de la rétention administrative, qui restera cependant l'une des plus courtes en Europe ; troisièmement, à reconduire à la frontière les étrangers sans attaches avec la France ayant commis des crimes ou délits graves.
L'immigration illégale prend sa source dans la misère et le sous-développement. Nous pouvons parfaitement comprendre que des hommes et des femmes cherchent à venir chez nous pour sortir de leur misère.
Cependant, ce n'est pas par des frontières ouvertes que l'on aidera le Sud. C'est, au contraire, par une politique de codéveloppement et par un soutien à celles et à ceux qui, dans ces pays, se réclament des valeurs républicaines et sont porteurs de projets politiques susceptibles de les sortir du sous-développement.
Je pense ici, en particulier, à nos amis démocrates algériens. Nous ferions bien plus pour leur pays en dénonçant clairement les menées criminelles de l'intégrisme et en renforçant la coopération plutôt qu'en accueillant massivement sur notre sol tous les Algériens qui voudraient y venir.
Dans votre propos introductif, monsieur le ministre, vous avez évoqué le rôle des collectivités locales en matière de codéveloppement. Vous avez eu raison, car il s'agit là d'une voie dans laquelle nous devons nous engager bien davantage que nous ne l'avons fait jusqu'à présent.
Monsieur le ministre, j'aurais donc voté le présent projet de loi tel que l'a adopté l'Assemblée nationale. Je l'aurais voté, car il nous invite à sortir de ce débat empoissonné où les seules victimes sont les immigrés eux-mêmes, et le seul gagnant l'extrême droite.
Hélas ! ce texte subira de profondes modifications au Sénat.
C'est d'autant plus regrettable que, dans sa forme actuelle, il pourrait faire l'objet d'un consensus de la part de nos concitoyens, tant il repose sur un équilibre entre humanisme et fermeté.
Dès lors, toute polémique révélerait ceux qui sont hostiles au consensus républicain et préfèrent entretenir une culture de la peur ou de la honte de soi.
Ainsi, monsieur le ministre, je m'opposerai au texte qui sera issu des travaux du Sénat, mais, vous-même, vous pouvez compter sur mon soutien ferme et déterminé ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu du temps qui m'est imparti, je limiterai mon propos au droit d'asile, prévu par l'article 31 du présent projet de loi.
Mes chers collègues, pour régler un problème délicat et difficile, encore faut-il en avoir à l'esprit les données essentielles. Or quelles sont-elles ?
Tout d'abord, un large consensus s'est établi dans notre pays pour considérer que la population française, qui s'élevait à 56 millions d'habitants au dernier recensement de 1990, ne serait pas à ce niveau si le pays n'avait pas bénéficié, à partir des années vingt, d'apports continus d'étrangers provenant principalement des pays de la future Union européenne, tout au moins jusqu'à la fin des années soixante-dix, période à partir de laquelle les immigrés d'Afrique du Nord, d'Afrique noire francophone et d'origine asiatique vont représenter un peu plus de la moitié de ces apports.
L'accord est unanime pour considérer que l'assimilation a été complète et bénéfique pour la France, et pour souhaiter que les nouveaux immigrés, comme leurs prédécesseurs l'ont fait jusqu'à ce jour, s'intégreront rapidement à la nation française en adoptant sa culture, son mode de vie, sa tolérance religieuse et son instruction laïque.
Un large consensus s'est également établi pour refuser la « ghettoïsation » - terme barbare mais grammaticalement exact - phénomène qui empêche toute intégration, laquelle implique que l'immigration s'opère à faible dose. M. Weil a ainsi écrit dans son rapport : « La porte de l'immigration de travail non qualifié doit rester fermée. »
Les autres données principales du sujet qui nous occupe sont, d'une part, la mondialisation, apparue avec la rapidité sans cesse accrue des communications et qui est inévitable, même si elle n'a pas que des aspects positifs, et, d'autre part, la construction européenne, les Français préférant l'Europe des nations, chère au général de Gaulle, à l'Europe supranationale, bien que la France soit liée, en matière de circulation des personnes, par les traités de Schengen et, bientôt, d'Amsterdam, ainsi que par les protocoles de Luxembourg et de Dublin.
Je veux, en outre, relever un dernier élément d'importance : les flux migratoires s'accélèrent sous la pression des disparités considérables de niveaux de vie et des conflits internes - guerres de religion la plupart du temps, dont nous avons d'ailleurs donné le mauvais exemple il y a quatre siècles - conflits qui voient s'affronter les Serbes chrétiens et les Bosniaques musulmans ou les ultra-religieux de l'islam algérien et l'armée, qui se veut gardienne d'un Etat laïque.
Le même phénomène se produit tant en Turquie qu'en Irak, où un grand nombre des douze millions de Kurdes turcs et des quatre millions de Kurdes irakiens se déclarent victimes des militaires, lesquels se veulent, dans ces deux pays aussi, les défenseurs de la laïcité et de l'unité du territoire.
Telle est la situation à laquelle nous sommes confrontés - et je ne parle pas des problèmes spécifiques aux départements d'outre-mer.
On pourrait penser que cette situation fait apparaître un consensus au sein du Parlement afin de préserver notre identité nationale, car, comme l'écrivait Pindare, « il y a une mesure en toute chose ». On pourrait penser aussi que, la France et l'Union européenne ne pouvant accueillir toute la misère du monde, elles se donnent les moyens de contrôler les flux migratoires en adoptant une législation uniforme.
En est-il ainsi ? Nullement !
En effet, si les articles 2 et 17 du traité de Schengen prévoient la liberté de circulation des personnes à l'intérieur de l'Union européenne, si la convention de Dublin du 15 juin 1990 détermine où la demande d'asile doit être effectuée et si le traité d'Amsterdam précise que le Conseil doit arrêter dans les cinq ans de son entrée en vigueur des mesures relatives à l'asile, il n'en reste pas moins vrai, mes chers collègues, que les conditions actuelles d'examen et d'obtention du droit d'asile sont disparates au sein même de l'espace de Schengen.
Or, ces disparités, vous le savez, monsieur le ministre, sont la source de situations ingérables que le présent projet de loi ne va pas tendre à simplifier, bien au contraire.
C'est ainsi, mes chers collègues, que l'Allemagne a procédé à une réforme de sa législation sur le droit d'asile en 1993 et a exclu de ce droit les demandeurs ayant transité par un pays présumé sûr.
Aux termes de l'article 16 a-2 de la loi fondamentale, on entend par « pays sûr » un pays où n'existent ni persécutions politiques ni atteintes aux droits de l'homme.
Il en résulte qu'une personne arrivant illégalement en Allemagne, de Grèce ou d'Italie par exemple, sera reconduite d'office à la frontière ou dans un pays tiers qualifié de sûr - qui sera généralement un autre pays européen - sans qu'aucun recours ne puisse y faire obstacle et sans que ladite personne bénéficie d'une autorisation provisoire de séjour.
Encore faut-il, pour que ce système fonctionne, que d'autres pays européens aient une législation plus accueillante !
Or, les Pays-Bas, suivant l'exemple allemand, ont adopté le 2 février 1995 une loi relative aux pays tiers sûrs et excluent pareillement toute demande d'asile d'un étranger ayant séjourné dans un pays tiers sûr.
De même, en Italie, la loi Martelli du 28 février 1990 va être modifiée puisqu'un projet de loi a été déposé au Sénat italien, en septembre 1997, visant à instaurer un système identique au système allemand.
Le demandeur serait, si cette loi est adoptée, immédiatement refoulé à la frontière s'il provient d'un Etat signataire de la convention de Genève, alors que, à l'heure actuelle, pendant l'examen des demandes d'asile par la police des frontières, les étrangers reçoivent un permis de séjour temporaire de quinze jours.
Précisons d'ailleurs que ce délai leur permet d'entrer en France, généralement par les Alpes-Maritimes - j'ai déjà évoqué cette situation devant vous, monsieur le ministre, dans une question orale - où ils séjournent ensuite irrégulièrement, les territoires de l'Allemagne ou des Pays-Bas, leur destination à l'origine, leur étant interdits.
C'est le cas actuellement avec les Kurdes, qui débarquent par milliers dans le sud de l'Italie, mais que l'Allemagne refuse d'accueillir. Beaucoup les croient en transit sur notre territoire, alors qu'ils pourront y séjourner plus facilement encore, mes chers collègues, si la jurisprudence de certains de nos tribunaux administratifs sur le droit d'asile est confirmée par le Conseil d'Etat.
Le tribunal administratif de Nice ne vient-il pas de décider, le 13 janvier dernier - il n'y a que quelques jours donc - qu'un agriculteur algérien de la région de Relizane, entré en France irrégulièrement, ne pouvait être reconduit à la frontière au motif que, dans cette région, un massacre important venait de se produire et qu'il pouvait invoquer l'article 27 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ?
Alors qu'un tel signal vient d'être adressé à tous les demandeurs d'asile, on perçoit, mes chers collègues, l'impérieuse nécessité de la mise en place d'une réglementation uniforme commune à l'ensemble des pays faisant partie de l'espace Schengen !
M. Pierre Laffitte. Eh oui !
M. José Balarello. A défaut, c'est l'entente européenne qui risque d'être mise à mal, avec le risque qu'émergent, ici et là, dans les pays aux législations les plus permissives, des mouvements xénophobes.
C'est cette lourde tâche qui nous incombe aujourd'hui.
Or, nous faisons cavalier seul, alors que l'immigration et le droit d'asile deviendront des matières communautaires si le traité d'Amsterdam est entièrement avalisé. C'est mon opinion, même si, sur nos travées, plusieurs orateurs ont exprimé un avis contraire, et l'ont fait brillamment.
M. Pierre Laffitte. Pas tous !
M. José Balarello. Aussi, monsieur le ministre, pour quelle raison modifier l'article 31 bis actuel dans un sens plus laxiste, lors que tous nos voisins font le contraire ? Ne vaudrait-il pas mieux les suivre dans cette voie ?
Alors que le chômage sévit et que les déficits sociaux s'aggravent dangereusement, alors que, depuis l'entrée en application de la circulaire du 24 juin 1997, le nombre des demandes de titre de séjour de personnes en situation irrégulière sur le territoire français n'a cessé de s'élever pour atteindre 179 531 à la date butoir du 1er novembre 1997 - chiffre qui dépasse sensiblement vos prévisions, monsieur le ministre ! - le Gouvernement prend là une lourde responsabilité au regard de la cohésion du pays.
Comme l'a écrit dans son rapport M. Masson, « il n'est pas acceptable que la France puisse devenir l'instance d'appel offerte aux déboutés du droit d'asile dans les autres pays européens. »
En revanche, la France se doit de contribuer, j'en suis totalement d'accord, à l'éradication des causes de l'immigration, à savoir l'insécurité et les drames économiques, qui jettent sur les routes ou sur les mers - dans des bateaux si vétustes que les Italiens qui les saisissent ne peuvent que les mettre à la ferraille - de pauvres familles auxquelles nous ne pouvons assurer des emplois.
L'Union européenne seule est en mesure de s'atteler à cette tâche immense, qui consiste, comme elle commence à le faire en Algérie, à aider au retour à la paix et à la prospérité dans des pays qui ne sont pas démunis de ressources naturelles par ailleurs.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi méritait donc mieux qu'une discussion après déclaration d'urgence et, pour ma part, je suivrai les propositions de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons concerne la politique d'immigration. Si j'apprécie certaines des évolutions qu'il comporte par rapport aux textes précédents, textes que nous avions légitimement combattus, il demeure que nous avons besoin d'autre chose que d'une politique d'immigration. Nous avons besoin d'une politique des migrations internationales, élaborée sur la base des droits de l'homme. C'est de cette question que je souhaite traiter.
L'année 1998 est une année à fortes commémorations d'événements historiques. J'en rappellerai quatre, essentiels : 1598, l'Edit de Nantes ; 1848, la suppression de l'esclavage ; 1898, le « J'accuse » de Zola ; 1948, la Déclaration universelle des droits de l'homme.
A ces quatre événements vont les mots de Victor Hugo qui, à propos de l'abolition de l'esclavage, déclarait : « Le moment actuel sera compté dans ce siècle : c'est un point d'arrivée, c'est un point de départ. » Il ajoutait : « Le moment est venu de donner au vieux monde cet avertissement : il faut être un nouveau monde. »
C'est ainsi que ces quatre dates ont toujours une phosphorescence citoyenne et militante. Leurs constructeurs ont pensé à neuf dans des situations neuves, ont donné un point de départ, un nouveau monde.
Nous sommes dans une situation neuve appelant à des sauts de pensée, à une nouvelle fraternité humaine.
Précisément, il fallait, il faut mettre son tablier de travail républicain. La première tâche était, est de remplacer l'ordonnance du 2 novembre 1945, dont on ne peut pas dire qu'elle est bien parce qu'elle fut rédigée par de grands résistants. Certes, c'était le contexte de la Libération, mais aussi celui de l'empire colonial qui ne connaissait que des indigènes.
Ce texte, « proprement baroque », comme le qualifie Monique Chemiller-Gendreau, juriste internationale, dans un livre à paraître : L'injustifiable, les politiques françaises de l'immigration, il fallait le remettre en question. J'ai d'ailleurs lu, monsieur le ministre, que, dans une instance qui vous est légitimement chère, vous l'aviez évoqué. C'est notre tâche nouvelle, incontournable.
On nous parle sans cesse de mondialisation. Mercredi 14 janvier, j'étais au Parlement européen pour une audition sur l'AMI, l'accord multilatéral sur l'investissement, négocié à l'OCDE, accord qui concerne les seuls pays les plus riches - je rappelle qu'ils représentent 20 % de la population et qu'ils entendent garder durablement 80 % du revenu mondial. Les autres pays devront se rallier ultérieurement ; singulière conception de la coopération, du codéveloppement si nécessaire, avec le Sud notamment.
L'objet de l'AMI est de constituer une « république mercantile universelle », dominée par les entreprises transnationales qui auraient tous les droits et aucun devoir. Le droit privé dominerait le droit public et les Etats, de protecteurs et redistributeurs, ne deviendraient que contrôleurs et assistants. On a pu parler à propos de l'AMI d'un « totalitarisme doux ».
Bien entendu, je récuse - et j'imagine que je ne suis pas le seul - cette démarche parce que le marché sans conscience ni miséricorde y laisse, avec la coopération de nombreux Etats, aller et venir capitaux et marchandises alors que nombre d'Etats y trient, avec la coopération du marché, dans la circulation des personnes.
La vraie question neuve qui nous est posée n'est ni la fuite en avant, ni l'impuissance démissionnaire, ni le repliement identitaire, c'est celle de la liberté de circulation qui, jumelée au principe d'égalité, doit pouvoir s'étendre au plus grand nombre en amont des Etats, à charge pour eux d'en préciser les conditions d'exercice. Si vous me permettez une comparaison, le code de la route succède au droit et à la liberté de conduire sans discrimination.
J'habite Aubervilliers, ville plurielle depuis longtemps : 30 % de la population est d'origine étrangère, comme en 1914. Il y a donc une profonde expérience toujours vivante du « vivre ensemble » mais aussi, face au développement de la pauvreté, comme un frémissement mauvais qui vise l'autre, l'étranger, et nourrit une sorte de « racisation » de la question sociale. Vous savez bien qu'une demande sociale non traitée risque de s'abolir, à terme, dans l'exacerbation de références identitaires.
Au passage, je dirai que les problèmes sociaux des villes comme Aubervilliers demandent une considération concrète d'un tout autre niveau que ce qui s'est fait dans le passé.
Mais ce qui se noue et se dénoue à Aubervilliers existe partout en Europe et au-delà, à des degrés divers et avec des spécificités.
L'Europe ne peut exister sans la reconnaissance concrète de la diversité des peuples qui la composent et des hommes et des femmes d'autres pays qui y viennent pour un séjour ou pour y vivre.
Or l'Europe qui s'est réjouie de la chute du mur de Berlin n'existera pas avec le mur des accords de Schengen, véritable police des étrangers. L'Europe et la France, en premier lieu, ont un besoin et un devoir de « relancer les dés de l'universel ».
« L'universel, selon Torga, c'est le local sans les murs », et d'ailleurs les multiples histoires des composantes culturelles de l'Europe sont non pas des identités pures mais une mêlée ; ces multiples histoires sont des rencontres, des altérations, des reconfigurations, des irrigations, des greffes.
Aujourd'hui, cette mêlée rencontre une donne historique inédite posant une question brûlante, la nécessité d'une nouvelle articulation entre le national et l'international, entre le droit à la ressemblance et le droit à la différence, dépassant les étroitesses nationales comme les universaux stéréotypés conciliant le besoin de cohérence et le respect de la diversité.
C'est, par exemple, le problème « citoyen d'une nation » et « citoyen dans une nation ». Je pense qu'est en train d'émerger une citoyenneté transnationale source d'une unité nouvelle comme une et diverse. La Méditerranée terrestre que sont l'Europe et ses nations a besoin de dépasser ce que Pessoa appelait « l'impolitesse nationale ».
Elles ont besoin de droits fondamentaux - le droit d'asile, quel que soit l'auteur des persécutions, en est un - « d'égalité de l'épiderme », selon l'expression d'un conventionnel, la veille de la première suppression de l'esclavage, le 3 février 1793.
Finalement, c'est la grande question de l'altérité, de l'option d'autrui, de la conscience que l'on existe par l'autre et réciproquement qui est posée centralement et concerne chaque individualité. La plénitude de la vie, ses espérances et ses désirs, comporte toujours l'autre. Jacques Brel signifiait bien cette problématique en disant que la misère pour un enfant, c'est quand il ne rencontre pas un regard d'adulte. Dès la petite école, il y a nécessité d'apprendre au bambin « à taper de ses dix doigts sur le clavier du piano du monde », disait Rosa Luxemburg dans sa lutte contre le nationalisme, débouchant toujours sur des communautés restreintes.
L'élan du pluralisme est à l'ordre du jour à condition de ne jamais se pétrifier - il peut exister une intolérance de l'harmonie - à condition qu'en son sein les vérités diverses aient de l'hospitalité pour les autres vérités. Travail inouï qui rejette le bouc émissaire, l'exclusion, l'excommunication, l'irruption de l'insensé et l'attentisme quand l'essentiel est en cause. La vie ne peut court-circuiter la dissonance, l'inaccoutumance et doit recourir à des pensées passerelles, à une « fertilisation croisée » ; « Si je diffère de toi, loin de te léser je t'augmente », disait Antoine de Saint-Exupéry.
Eh bien, ce projet de loi aurait dû nous augmenter en n'oubliant jamais que notre propre langue s'est augmentée avec des mots venus d'ailleurs et qu'exprime ce « petit poème d'occasion » de Bernard Chambaz, qui nous fait beaucoup penser aux sans-papiers, avec qui je suis solidaire :
« S'il fallait renvoyer chez eux
« Les mots arabes ou arabo-persans
« Ça ferait du monde
« Et un drôle de vide sur notre carte de séjour :
« Azur hasard
« D'algèbre à zénith
« Jupe (ce serait dommage) & matelas & nuque (mon amour)
« Abricot & sirop & sorbet & sucre & tambour
« Sans oublier la famille (tambourin, tambour battant) & guitare lilas luth nénuphar orange
« Maboul comme azimut qui va bien & comme
« Zéro qui nous résume
« Et on serait bien ennuyé ».
Alors - c'était l'objet de mon propos - je nous appelle à ne pas être ennuyés par un empilement de lois et de circulaires, mais à oser ouvrir le débat pour penser autrement, comme le dit Jacqueline Costa-Lascou, non pas l'immigration, mais les migrations internationales, ces mobilités transfrontières qui tissent déjà un nouveau lien social et qui marqueront le xxie siècle. Point de départ, un nouveau monde, disait Victor Hugo ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Mathieu.
M. Serge Mathieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois, un projet de loi relatif à l'immigration est présenté au Parlement.
Mais, le texte que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, est assurément malvenu et inapproprié. Il intervient dans un contexte particulier, qui aurait dû vous amener à rechercher en amont le dialogue avec tous les acteurs de la vie politique, et notamment au niveau européen. Préférant faire cavalier seul, vous allez amener le Parlement à légiférer une fois de trop sur ce thème.
Pourquoi votre projet de loi est-il inopportun ? Je formulerai trois remarques.
Tout d'abord, je rappellerai que, voilà même pas un an, nous avons discuté de ce sujet et adopté la loi du 24 avril 1997, dite loi Debré. Or, cette dernière, que le présent projet de loi entend modifier, n'aura connu dans son ensemble qu'une application brève, ce qui n'est donc pas satisfaisant pour juger pleinement ses résultats.
De plus, il est assez déplorable pour la société française que le législateur, au gré des alternances politiques, revienne constamment sur les textes qui sont en vigueur en matière d'immigration. Cette attitude, telle une girouette, n'est pas propice à une véritable action déterminée et responsable visant à maîtriser les flux migratoires.
Ensuite, je citerai un certain nombre de chiffres très révélateurs de la politique qui a été menée au cours des dernières années ; ils parlent d'eux-mêmes.
Entre 1992 et 1996, le nombre de visas est passé, en France, de 2,6 millions à 1,8 million. Pour la période qui s'étend de 1992 à 1995, le nombre des demandeurs d'asile est descendu de 28 872 à 20 415 et celui des réfugiés reconnus par l'O.F.P.R.A., l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, est passé de 10 266 à 4 742.
Ces exemples sont bien significatifs de l'efficacité des textes de 1993 et 1997. Ils prouvent que la politique menée par les gouvernements de droite en la matière est allée dans le bon sens, c'est-à-dire la maîtrise de l'immigration.
L'action entreprise a donc été positive. Pourquoi la remettre en question ?
D'ores et déjà, on constate que la France va pâtir de la politique du Gouvernement.
Pour 1997, le nombre des demandes d'asile est supérieur à celui de 1996. L'OFPRA estime que cette hausse est en partie due au débat actuel sur l'immigration et le droit d'asile, et aux attentes qu'il suscite. C'est bel et bien un appel d'air que vous créez, monsieur le ministre.
Enfin, le projet de loi que vous nous soumettez intervient dans un contexte singulier. Soulignons en effet que le traité d'Amsterdam a été signé le 2 octobre 1997. Celui-ci ne prévoit-il pas, au terme d'une période transitoire de cinq ans, le transfert aux instances européennes de la politique de libre circulation des personnes ? Or ce transfert inclut notamment les mécanismes de contrôle aux frontières, la procédure des visas, la surveillance de l'immigration clandestine et les règles d'attribution du droit d'asile.
Alors qu'une décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997 impose une réforme de la Constitution pour ratifier ce traité, et donc un important débat dans notre pays, pourquoi maintenez-vous un tel projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile ? Pourquoi s'entêter dans cette mauvaise réforme, alors que les faits prouvent qu'il faut agir dans le sens inverse et que ce thème devra être abordé sereinement et de façon constructive dans quelques mois ?
Vous serez alors bien obligé de rechercher un consensus qui ne se limitera pas à votre majorité plurielle.
N'est-il donc pas préférable d'envisager dès à présent la discussion de ce texte dans l'optique de cette échéance européenne ?
Aujourd'hui, la seule explication à ce projet de loi est politicienne : il s'agit, ni plus ni moins, d'une démarche idéologique et d'une manoeuvre démagogique, à la veille des élections de mars prochain.
Après le développement de telles réflexions, vous comprendrez, monsieur le ministre, que je suis bien évidemment opposé à votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les semaines se suivent et, hélas ! se ressemblent.
A peine huit jours après avoir débattu du texte sur la nationalité, la Haute Assemblée est aujourd'hui saisie du projet de loi relatif à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile.
Nul ne peut en douter, mes chers collègues, il fallait bien deux textes distincts pour porter une aussi funeste idéologie.
Par le premier, le Gouvernement a péché gravement contre l'identité même de la nation française. Par le second, il en programme la dislocation.
Comme l'écrivait fort justement le professeur Zorgbibe, « les nouveaux pharisiens se félicitent : le gouvernement verdo-socialo-communiste renonce à abroger les lois Pasqua-Debré ! » Dans le même temps, les préfectures étaient submergées par les demandes de régularisation, plus nombreuses que prévu.
Quelle surprise ! Les signaux lancés vers les émigrants potentiels n'ont pourtant pas manqué ; et ils ont, par avance, vidé de leur contenu les lois honnies.
Le Gouvernement a cru devoir demander un rapport à un « expert ». Un nouveau rapport... comme si la question de la nation était affaire d'expertise technique,...
M. Raymond Courrière. Parce que vous, des rapports, vous n'en avez pas fait ?
M. Bernard Plasait. ... comme si elle ne devait pas figurer au premier plan des réflexions de ceux qui ont l'ambition de gouverner.
En effet, parler de l'immigration, c'est tout simplement et avant tout parler de la France.
A quoi s'intègre-t-on et s'identifie-t-on ? Telle est la question essentielle qui nous est posée et nous amène à nous interroger sur notre histoire, nos capacités d'accueil, notre culture, nos valeurs, la nature même de notre identité.
La France est incontestablement un pays d'accueil qui doit beaucoup à l'immigration.
Mais la question de l'immigration est devenue emblématique des difficultés de la société française. Deux mouvements contraires expliquent le blocage de cette machine à intégrer qu'elle a été au fil des décennies.
Le passage d'une immigration de travail, donc essentiellement individuelle, à une immigration de peuplement, à caractère familial, au moment même où la croissance diminuait, a provoqué un profond trouble.
Plus grave encore est le développement d'un phénomène de plus en plus réel de dérive communautariste, qui se traduit par le désir de certains de vivre selon leurs propres normes, leurs propres pratiques sociales et non selon les normes fondées sur les valeurs de la République, qui s'imposent à tous et à chacun.
Cette confrontation entre les uns et les autres est potentiellement explosive.
Ne pas vouloir se rendre à cette évidence relève, je crois, de la plus absolue cécité. L'attiser par des dispositions permissives, c'est jouer dangereusement avec le feu. Ce gouvernement jouerait-il aux pompiers pyromanes qu'il n'agirait pas autrement. Enfin, pyromane sans doute, car, devant le brasier, ce serait plutôt « courage, fuyons ! »
Or, il est du devoir de tous les républicains responsables d'opposer aux tenants d'une France communautariste un refus ferme et sans équivoque.
La vie communautaire peut jouer un rôle de lien social ; mais nous ne pouvons pas tolérer que les valeurs républicaines et le droit français cèdent aux règles d'une communauté existant plus ou moins légitimement sur notre territoire et dans notre société.
Quelle France voulons-nous ? Notre réponse doit réaffirmer notre attachement aux principes de l'égalité des sexes, de la dignité de la femme, de la laïcité - une laïcité de réconciliation - mais surtout notre attachement à une France qui a une conception de ses valeurs et les place au-dessus de toute communauté.
Force est de constater, monsieur le ministre, que votre texte va à l'encontre de ces principes et met gravement en péril la cohésion sociale. C'est là, je crois, toute sa perversité.
En effet, quatre types de dispositions sont principalement de nature à aggraver considérablement nos problèmes d'immigration.
Sur la base du rapport Weil, il est proposé d'autoriser l'OFPRA à délivrer un titre de réfugié politique aux « combattants de la liberté » au-delà du statut de réfugié politique actuel et d'étendre notre droit d'asile aux victimes des persécutions.
En fait, de tradition et de tout temps, l'asile est un droit régulier que la France s'honore d'offrir, des Chiliens aux boat people, avec beaucoup plus de générosité que bien d'autres démocraties. C'est notamment cette tradition qui a fait de Paris la capitale de la Pologne anti-satriste, le refuge des libéraux espagnols ou des opposants italiens.
Cependant, en instituant deux nouvelles voies juridiques menant à la protection du droit d'asile, le présent texte en élargit l'accès, ce qui exposera immanquablement notre pays à une inflation des flux de réfugiés et des recours contentieux.
Monsieur le ministre, notre capacité d'accueil a toutes les chances d'être largement dépassée.
De même, la dépénalisation de l'aide à l'entrée et au séjour irréguliers constitue une mesure fondamentalement pernicieuse.
En effet, l'entrée irrégulière sur notre territoire ne saurait être considérée comme une infraction mineure, sauf à l'encourager et à heurter l'idée que se font nos compatriotes du nécessaire respect de la loi.
Tout aussi inquiétantes sont les dispositions visant à favoriser le regroupement familial et à délivrer de plein droit une nouvelle carte de résident portant la mention « situation personnelle et familiale ».
Jusqu'à présent, ce regroupement était accordé si le demandeur disposait tant de ressources financières suffisantes pour faire vivre la famille que d'un logement satisfaisant pour l'accueil de celle-ci. En instituant une « appréciation dynamique » des ressources du demandeur du regroupement familial, le texte ouvre la voie de l'intégration dans ce revenu de diverses prestations familiales et sociales.
Dans le même esprit, il est prévu que le regroupement familial ne peut être refusé que si, notamment, « le demandeur ne dispose ou ne disposera à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant en France ».
Cela revient à la proposition inscrite dans le rapport Weil selon laquelle il est exigé non plus de disposer effectivement d'un logement normal, mais simplement « d'être à même de disposer d'un logement considéré comme normal ». Il est donc permis de penser qu'entrent dans cette catégorie ceux qui ont simplement fait la demande d'un logement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Aux HLM de Paris, par exemple !
M. Bernard Plasait. En l'occurrence, le regroupement familial permettra à des familles nombreuses de devenir prioritaires sans que l'on dise comment on satisfera cette demande supplémentaire.
Enfin, comment ne pas voir dans la suppression des certificats d'hébergement, ou plus exactement dans leur remplacement par une simple attestation d'accueil, la plus éclatante traduction de la volonté du Gouvernement d'ouvrir grandes les portes de notre pays aux flux d'immigration clandestine ?
J'arrêterai là l'énoncé des effets pervers de ce texte tant ils ont été excellemment exposés par nos éminents collègues de la commission des lois MM. Paul Masson et Christian Bonnet.
J'entendais, hier, M. Allouche parler avec son coeur. Mais il se trompe : quels que soient notre générosité, notre humanisme, notre attachement à la liberté et au droit de vivre librement, nous ne pouvons accepter l'idée d'un droit à l'immigration, car seul l'intérêt de la France peut guider sa politique.
M. Henri de Raincourt. Bien sûr !
M. Bernard Plasait. Par tradition et par vocation, notre pays accorde un droit d'asile généreux aux personnes persécutées ; mais sa politique d'immigration ne peut être que proportionnelle à sa capacité d'intégration, et je dirai même à sa capacité d'assimilation.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Bernard Plasait. Toute politique d'immigration laxiste affaiblit la capacité d'assimilation républicaine.
M. Guy Allouche. Mon cher collègue, m'autorisez-vous à vous interrompre ?
M. Bernard Plasait. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. Allouche, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Guy Allouche. Monsieur Plasait, je ne crois pas qu'il faille porter une appréciation lorsque quelqu'un parle avec son coeur.
Par ailleurs, je me permets de relever que vous commettez une erreur : vous reprenez en effet un écho de presse de ce matin. Or, je n'ai jamais parlé, ni hier - vous pourrez lire le Journal officiel des débats pour vous en convaincre - ni auparavant, d'un quelconque droit à l'immigration.
M. Charles Pasqua. Oui, mais c'est ce à quoi on aboutit !
M. Bernard Plasait. Monsieur Allouche, j'en prends acte et je m'en réjouis.
Une politique d'immigration laxiste affaiblit sans aucun doute la capacité d'assimilation de notre pays. Elle renforce donc les communautés, elle affaiblit la nation et elle renforce la xénophobie.
C'est la raison pour laquelle je crois vraiment que cette politique est un mauvais coup pour la France ; mais elle l'est aussi pour les immigrés eux-mêmes auxquels nous ne saurons pas, dans l'avenir, offrir des conditions de vie décentes.
Monsieur le ministre, je croyais connaître votre attachement à la nation et aux droits de l'homme réellement respectés beaucoup plus que proclamés. Je ne comprends donc vraiment pas que vous nous présentiez aujourd'hui un tel texte. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. le ministre m'a fait savoir qu'il répondra aux divers intervenants mardi prochain.

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