SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Responsabilité du fait des produits défectueux.
- Discussion d'une proposition de loi (p.
1
).
Discussion générale : Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la
justice ; MM. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois ; Claude
Huriet, Robert Calmejane, Marcel Charmant, Georges Othily, Mme Odette
Terrade.
Mme le garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er. - Adoption (p.
2
)
Article 2 (p.
3
)
Amendement n° 1 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 3. - Adoption (p.
4
)
Article 4 (p.
5
)
Amendement n° 2 de la commission. - M. le rapporteur, Mmes le garde des sceaux,
Odette Terrade, MM. Marcel Charmant, Philippe Marini. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 5. - Adoption (p.
6
)
Article 6 (p.
7
)
Amendement n° 3 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 7 (p. 8 )
Amendement n° 4 de la commission et sous-amendement n° 27 du Gouvernement. - M.
le rapporteur, Mmes le garde des sceaux, Odette Terrade. - Rejet du
sous-amendement ; adoption de l'amendement.
Amendement n° 32 de M. Charmant. - MM. Marcel Charmant, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux. - Retrait.
Adoption de l'article modifié.
Article 8 (p. 9 )
Amendements n°s 5 rectifié
bis
de la commission et 24 du Gouvernement. -
M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe
Marini. - Adoption de l'amendement n° 5 rectifié
bis,
l'amendement n° 24
devenant sans objet.
Amendement n° 17 de M. Hyest. - MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux. - Retrait.
Amendement n° 6 de la commission. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 9. - Adoption (p.
10
)
Article 10 (p.
11
)
Amendement n° 7 rectifié de la commission et sous-amendement n° 28 du
Gouvernement. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Jacques
Hyest, Marcel Charmant, Philippe Marini. - Retrait du sous-amendement ; rejet
de l'amendement.
Adoption de l'article.
Suspension et reprise de la séance (p. 12 )
3.
Droit applicable outre-mer. -
Adoption d'un projet de loi (p.
13
).
Discussion générale : MM. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer
; Jean-Marie Girault, rapporteur de la commission des lois ; Simon Loueckote,
Guy Allouche, Georges Othily, Daniel Millaud, Victor Reux.
M. le secrétaire d'Etat.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er (p. 14 )
Amendement n° 3 de M. Reux. - MM. Victor Reux, le rapporteur, le secrétaire
d'Etat. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Articles 2 et 3. - Adoption (p.
15
)
Article additionnel après l'article 3 (p.
16
)
Amendement n° 1 de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Article 4 (p. 17 )
Amendement n° de la commission. - MM. le rapporteur, le secrétaire d'Etat. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Vote sur l'ensemble (p. 18 )
Mme Odette Terrade.
Adoption du projet de loi.
4.
Responsabilité du fait des produits défectueux. -
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi (p.
19
).
Article 11. - Adoption (p.
20
)
Article 12 (p.
21
)
M. Jean-Louis Lorrain.
Amendement n° 18 de M. Hyest. - MM. Jean-Jacques Hyest, Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois ; Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux,
ministre de la justice. - Adoption.
Amendements n°s 8 de la commission, 25 rectifié du Gouvernement et
sous-amendement n° 34 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des
sceaux, MM. Jean-Jacques Hyest, Robert Calmejane, Philippe Marini, Claude
Huriet, Jean-Marie Girault, Mme Odette Terrade, M. Marcel Charmant. - Rejet de
l'amendement n° 8, du sous-amendement n° 34 et de l'amendement n° 25
rectifié.
Adoption de l'article modifié.
Article 12 bis (p. 22 )
Amendements n°s 19, 20 de M. Hyest, 23 de M. Calmejane et 9 rectifié de la
commission. - MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Marini, le rapporteur, Mme le
garde des sceaux. - Rejet de l'amendement n° 19 ; retrait des amendements n°s
20 et 23 ; adoption de l'amendement n° 9 rectifié.
Adoption de l'article modifié.
Article 13 (p. 23 )
Amendements identiques n°s 10 de la commission et 21 de M. Hyest. - MM. le
rapporteur, Jean-Jacques Hyest, Mme le garde des sceaux. - Adoption des deux
amendements.
Adoption de l'article modifié.
Article 14. - Adoption (p.
24
)
Article 15
(supprimé)
(p.
25
)
Article 16 (p.
26
)
Amendement n° 11 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 17 (p. 27 )
Amendement n° 30 de Mme Terrade. - Mme Odette Terrade, M. le rapporteur, Mme le
garde des sceaux. - Rejet.
Adoption de l'article.
Article 18. - Adoption (p.
28
)
Article 19 (p.
29
)
Amendement n° 12 de la commission. - M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 20 (p. 30 )
Amendement n° 26 du Gouvernement. - Mme le garde des sceaux, M. le rapporteur.
- Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 21 (p. 31 )
Amendement n°s 13 de la commission et 31 de Mme Terrade. - M. le rapporteur, Mmes Odette Terrade, le garde des sceaux. - Adoption de l'amendement n° 13 supprimant l'article, l'amendement n° 31 devenant sans objet.
Articles 22 à 24 (p. 32 )
Amendements n°s 14 à 16 de la commission. - Adoption des amendements supprimant les trois articles.
Article 25. - Adoption (p.
33
)
Article 26 (p.
34
)
Amendements n°s 33 rectifié du Gouvernement et 22 de M. Hyest. - Mme le garde des sceaux, MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur. - Adoption de l'amendement n° 33 rectifié supprimant l'article, l'amendement n° 22 devenant sans objet.
Vote sur l'ensemble (p. 35 )
Mme Odette Terrade.
Adoption de la proposition de loi.
5.
Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle
(p.
36
).
6.
Dépôt de propositions de loi
(p.
37
).
7.
Dépôt d'un rapport
(p.
38
).
8.
Ordre du jour
(p.
39
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à dix heures).
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
RESPONSABILITÉ
DU FAIT DES PRODUITS DÉFECTUEUX
Discussion d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 260,
1996-1997), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la responsabilité du
fait des produits défectueux. [ Rapport n° 226 (1997-1998) ].
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, l'Assemblée nationale a adopté en première
lecture, le 13 mars dernier, la proposition de loi relative à la responsabilité
du fait des produits défectueux.
Je n'entends pas revenir en détail sur la genèse de ce texte destiné à
transposer la directive n° 85/0374 du 25 juillet 1985 relative au rapprochement
des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats
membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.
Cependant, je souhaite souligner certains aspects propres à éclairer
l'importance fondamentale du débat d'aujourd'hui.
Je tiens d'autant plus à le faire que le texte qui vous est aujourd'hui soumis
a été voté et amendé par l'Assemblée nationale lors de la précédente
législature, sans que ses enjeux essentiels, si j'en juge par le compte rendu
des débats, aient été véritablement discutés.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel et d'administration générale.
C'est le moins que l'on
puisse dire !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Certes, le Parlement a déjà eu à connaître, au début
des années quatre-vingt-dix, d'une tentative de transposition de la directive,
qui, au demeurant, fut un échec.
Mais les choses ont sensiblement évolué depuis, je pense notamment au
développement des risques dits « sériels », c'est-à-dire de masse, et à la
spécificité de certains produits, aspects qui n'avaient sans doute pas été
complètement perçus il y a dix ans.
Une autre raison m'incite également à mettre l'accent, au seuil de cette
discussion générale, sur plusieurs dispositions du texte qui suscitent des
controverses, comme l'a mis en évidence le rapport de votre commission des
lois.
Le Gouvernement que je représente ne partage pas en effet tous les choix
reflétés par la proposition de loi.
Sans doute aurait-il été préférable pour les débats parlementaires que la
Chancellerie dépose un nouveau texte, mais vous n'ignorez pas l'importance qui
s'attache, pour la France, à ce que cette proposition de loi soit votée avec la
plus grande célérité et en parfaite conformité avec la lettre de la directive
qu'elle transpose.
Je rappellerai seulement à cet égard que la transposition aurait dû être
opérée avant le 30 juillet 1988 et que la France n'a échappé, au mois de
décembre dernier, à la saisine de la Cour de justice en vue d'une condamnation
à une astreinte pouvant atteindre 4 millions de francs par jour, qu'en échange
d'un engagement formel de transposer la directive au cours du premier trimestre
de cette année.
Je puis vous dire, étant personnellement intervenue sur ce point auprès de la
Commission européenne et du commissaire compétent, qu'il s'agit là de la
dernière chance à saisir.
La France, qui a pourtant été à l'origine des travaux communautaires en la
matière, est aujourd'hui le seul Etat membre à ne pas s'être acquitté de son
obligation de transposition.
Ce contexte particulièrement délicat a conduit le Gouvernement à souhaiter la
poursuite des travaux parlementaires sur la base de la proposition de loi
adoptée par l'Assemblée nationale au printemps dernier, tout en lui apportant
un certain nombre de correctifs.
Votre commission des lois suggère elle-même plusieurs modifications
substantielles.
Sur divers points, nos préoccupations se rejoignent, et je m'en félicite. Je
pense, en particulier, à la préoccupation manifestée par votre commission des
lois de ne pas figer la notion de faute de la victime en recherchant une
définition textuelle et, par là même, réductrice de celle-ci, ou encore à son
souci de différer la discussion de certains articles relatifs au régime
spécifique de la garantie due par le vendeur de meubles. Cette question, au
demeurant annexe à la responsabilité du fait des produits défectueux, fait en
effet l'objet d'une directive en négociation à Bruxelles, et certains choix
opérés par le texte qui vous est aujourd'hui soumis seraient de nature à gêner
le Gouvernement français dans les discussions communautaires qui se poursuivent
actuellement.
Sur d'autres points, en revanche, l'approche de votre commission des lois et
celle du Gouvernement, sans être identiques, ne s'opposent pas sur le fond.
Tel est le cas, pour ce qui concerne le louage, de l'exclusion du champ
d'application du texte des opérations de type purement financier, sans
détention matérielle du produit.
Il en est de même de la préoccupation de votre commission de mieux voir
clarifier le principe dit du cumul des responsabilités à l'égard du gardien de
la chose.
Il en est, enfin, ainsi de l'exclusion du champ de la loi de transposition,
des constructeurs dont la responsabilité est recherchée sur le fondement des
articles 1792 et suivants du code civil.
Dans l'ensemble de ces cas, la position du Gouvernement et celle de votre
commission des lois ne divergent réellement que sur la formulation.
En revanche, je ne peux souscrire à d'autres propositions formulées que je
souhaite maintenant aborder.
Pour éclairer pleinement le débat, je crois qu'il est, au préalable, utile de
rappeler les principes fondamentaux de la directive.
Ce texte institue une responsabilité de plein droit des producteurs pour les
dommages corporels et matériels causés par les biens qu'ils mettent en
circulation.
Je n'insisterai pas sur ce point, car ce régime est déjà, comme vous le savez,
celui du droit français, qui est très avancé dans le domaine de la sécurité des
consommateurs.
L'originalité du mécanisme vient plutôt de l'édiction d'un corps de règles
spécifiques et uniformes à la responsabilité des producteurs.
Par la même se trouve dépassée la distinction, traditionnelledans notre droit,
entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle. La victime
n'aura plus à se préoccuper du fondement de son action et le droit applicable
devrait être plus simple, plus clair, plus homogène.
Toutefois, cette simplification est loin d'être totale.
En effet, le nouveau régime issu de la directive ne se substitue pas au droit
national, il s'y ajoute, c'est là un aspect essentiel, car les règles de la
directive ne sont pas, dans leur intégralité, plus favorables à la victime que
celles du droit national.
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Si la victime le souhaite, elle pourra donc toujours se
prévaloir des régimes traditionnels du droit français, notamment de la
responsabilité objective du gardien ou de l'obligation de sécurité absolue du
fournisseur professionnel.
J'insiste particulièrement sur cet aspect, que traduit l'article 19 de la
proposition de loi. Il me semble en effet propre à relativiser un certain
nombre d'objections que la commission des lois a émises à l'encontre de la
proposition de transposition.
M. Jean-Jacques Hyest.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
C'est notamment à la lumière de l'option dont dispose
ainsi la victime qu'il faut envisager la question de l'exonération pour «
risque de développement ». Il s'agit incontestablement du point central du
texte.
Cette notion est inconnue du droit français. Elle exprime l'impossibilité pour
le producteur de connaître, en l'état des connaissances scientifiques et
techniques, le vice dont est atteint le produit qu'il met en circulation.
Il ne s'agit malheureusement pas d'une hypothèse d'école et les drames de la
contamination, par transfusion sanguine, des virus du sida et de l'hépatite C
sont là pour le démontrer.
La directive, vous le savez, laisse une option aux Etats membres pour faire du
risque de développement une cause d'exonération de la responsabilité du
producteur. La réponse à cette question est loin d'être simple.
D'un côté, l'exonération trancherait avec la jurisprudence française, qui a
toujours considéré que le caractère indécelable d'un vice ne permet pas au
producteur, pas plus qu'au vendeur professionnel, de s'exonérer de l'obligation
de sécurité absolue qui pèse sur lui.
De l'autre, les milieux économiques font observer à juste titre que la
consécration dans nos lois d'une responsabilité pour vice indécelable
jusqu'alors issue de la jurisprudence ne manquerait pas, par l'effet
d'affichage qui en résulterait, de pénaliser les producteurs français en leur
imposant, s'agissant du régime de garanties, des charges supérieures à celles
de leurs concurrents européens. En effet, tous les Etats membres, à l'exception
du Luxembourg, de la Finlande et de l'Espagne pour partie, ont prévu
l'exonération du producteur pour « risque de développement ».
Votre commission des lois estime qu'il s'agit là d'un faux problème puisque
les entreprises étrangères sont soumises, sur le marché national, aux mêmes
règles que les entreprises françaises en application des principes de droit
international privé. Je ne puis la suivre sur ce point.
La plupart des entreprises commercialisent leurs produits à la fois sur le
territoire où elles sont implantées et sur ceux d'Etats voisins ou autres. Les
charges auxquelles elles sont soumises en application de leur droit national
pèsent donc, d'une manière globale, sur le coût de leur production.
Or on ne saurait nier que les industriels français - soumis, à la différence
de bon nombre de leurs concurrents étrangers, à un régime de réparation
intégrale incluant l'ensemble des chefs de préjudice, sans plancher ni plafond
de responsabilité - ont d'extrêmes difficultés à s'assurer contre le risque de
développement et ne peuvent pas toujours, de ce seul fait, commercialiser leurs
produits avec les mêmes facilités que leurs partenaires européens.
Je relève une contradiction entre l'affirmation d'une responsabilité intégrale
et les obstacles économiques à une indemnisation effective.
C'est pourquoi le Gouvernement, après avoir - croyez le bien - analysé de
manière particulièrement approfondie cette délicate question et mûrement pesé
sa décision, ne croit pas pouvoir vous suivre dans la voie d'une consécration
législative générale de la responsabilité pour risque de développement.
Il n'est en effet pas possible de dire que la solution de l'exonération
pénalise les victimes dès lors qu'il y a maintien pour celles-ci de la
possibilité d'invoquer notre droit national et notre jurisprudence qui
consacrent l'obligation de sécurité absolue du producteur même en cas de vice
indécelable.
M. Marcel Charmant.
Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
De même, il n'est absolument pas possible, pour les
mêmes raisons et compte tenu des difficultés qu'auront les producteurs à
prouver que l'état des connaissances scientifiques et techniques ne leur
permettait pas de déceler l'existence du défaut, de dire que cette exonération
équivaut à une irresponsabilité.
M. Marcel Charmant.
Très bien !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Il n'en reste pas moins que j'ai conscience que
l'insertion dans le code civil d'un nouveau principe de non-responsabilité,
même tempérée par le droit d'option de la victime, peut apparaître
particulièrement choquante lorsque, par son ampleur et sa gravité, le dommage
ne peut manquer d'avoir des répercussions sociales. Je pense aux risques
sériels que peuvent générer certains produits par leur nature spécifique et
leur origine.
Il en est d'abord ainsi des éléments et produits du corps humain.
L'Etat s'est engagé, vous le savez, par la loi du 31 décembre 1991, à
indemniser les personnes contaminées par le virus de l'immunodéficience
humaine, le VIH, à la suite de transfusions sanguines. Tel est l'objet de la
loi du 31 décembre 1991.
Mais d'autres risques de masse demeurent. Je pense, dans l'immédiat, à
l'hépatite C. Demain, hélas ! d'autres encore se révéleront peut-être dans
l'utilisation de certaines thérapies.
La difficulté avait paru pouvoir être contournée, sous la précédente
législature, par l'exclusion des produits du corps humain du champ
d'application du texte de transposition de la directive. L'Assemblée nationale
s'est rangée à ce point de vue au printemps dernier.
Votre commission des lois n'y souscrit pas, et je partage son analyse à cet
égard car je ne crois pas - même si ce type de produits présente une
spécificité « éthique », pourrait-on dire - que la directive ait entendu les
exclure de son champ.
Le texte de l'Assemblée nationale ne me paraît donc pas respecter nos
obligations communautaires.
En revanche, il me semble à la fois possible et souhaitable de ne pas
soumettre ces produits à l'exonération pour risque de développement.
Sur le plan juridique, cette exclusion apparaît à l'abri de toute critique au
regard des impératifs de transposition de la directive. La technique a
d'ailleurs été utilisée, pour d'autres produits, par l'Espagne dans sa loi de
transposition du 6 juillet 1994.
L'exclusion apparaît évidemment tout autant justifiée au regard des attentes
de la société.
Le drame de la contamination sanguine a profondément marqué notre pays.
Il y a une force symbolique à afficher dans la loi un principe de
responsabilité absolue, fût-il déjà admis par la jurisprudence.
Tel est incontestablement le cas, dans le contexte actuel, pour les produits
du corps humain.
Mais tel me paraît être également le cas pour les autres produits de santé à
finalité préventive, diagnostique ou thérapeutique.
Comme les premiers, ils sont susceptibles de générer des risques de masse :
des exemples comme le distilbène ou les prothèses mammaires le révèlent, hélas
! tragiquement.
Comme les produits du corps humain, ils comportent intrinsèquement un risque
que les progrès de la science limitent, certes, mais ne peuvent totalement
exclure.
Comme eux, ils touchent à un domaine, la santé publique, pour lequel chacun se
sent profondément concerné et pour lequel les exigences sont légitimement
fortes.
Comme eux, enfin, les dommages qu'ils occasionnent sont d'autant plus
douloureusement ressentis et jugés inacceptables que la finalité de soin qui
est la leur est à l'opposé même des conséquences préjudiciables à la santé
qu'ils génèrent.
Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement a déposé un amendement excluant
formellement de l'exonération pour risque de développement les produits et
éléments du corps humain et, plus généralement, les produits de santé.
Par cette démarche, le Gouvernement rejoint, mais sans doute trop
partiellement à ses yeux, les préoccupations de la commission des lois en
consacrant pour les cas jugés les plus inacceptables, c'est-à-dire les risques
sériels, un mécanisme de sécurité absolue à deux volets alternatifs, l'un
jurisprudentiel issu du droit national existant, l'autre textuel résultant du
droit communautaire transposé.
Mais je voudrais rappeler une fois encore que, s'agissant de tous les autres
produits, la sécurité n'est pas moindre pour la victime puisqu'il lui sera
toujours loisible de se prévaloir du droit interne.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Merci !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
En conséquence, son droit à indemnisation sera en
toutes circonstances préservé.
Je terminerai, mesdames, messieurs les sénateurs, en évoquant deux autres
dispositions de la proposition de loi que votre commission des lois souhaite
amender dans un sens qui s'écarterait sensiblement, à mes yeux, de son texte
et, donc, des impératifs de transposition.
Il s'agit d'abord de la proposition de la commission des lois d'exclure du
champ du texte non seulement les constructeurs dont la responsabilité est
recherchée sur le fondement de la garantie décennale ou biennale, mais encore
leurs sous-traitants.
Je ne vois aucune raison à cette assimilation puisque ces derniers ne relèvent
pas du régime de cette garantie.
En second lieu, la commission des lois entend supprimer la notion d'unicité de
mise en circulation du produit en considérant que chaque dessaisissement de
celui-ci par les membres successifs de la chaîne de commercialisation opère
mise en circulation. Je vois dans ce choix une source d'insécurité juridique
et, au surplus, une transposition inexacte de la directive.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je
souhaitais formuler devant vous, au début de cette discussion générale.
Le texte dont vous avez à débattre, nous en sommes tous conscients, soulève
des questions extrêmement délicates qui débordent très largement le cadre
juridique.
Dans ce débat, les enjeux éthiques, sociaux, économiques et, il faut le dire,
médiatiques s'entremêlent.
La dimension européenne en renforce encore l'importance.
Par ses travaux, la commission des lois - et j'en remercie son président,
Jacques Larché, comme son rapporteur, Pierre Fauchon - a mis en évidence les
impératifs de sécurité et de protection des consommateurs auxquels, bien
évidemment, le Gouvernement souscrit pleinement.
Mais, pour y satisfaire, la voie choisie n'est pas nécessairement uniforme.
C'est parce que le Gouvernement n'entend occulter aucun des éléments du débat
qu'il vous propose la position équilibrée et respectueuse des droits des
victimes que je viens d'exposer.
C'est dans les termes d'une version ainsi amendée que le Gouvernement vous
demande d'adopter la proposition de loi.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste
républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc - je ne
doute pas que ce soit une joie, en tout cas pour les juristes - à nouveau aux
prises avec la directive européenne relative à la responsabilité du fait des
produits défectueux, que le présent texte veut transposer dans notre droit
positif, conformément - cela a été rappelé - à une obligation dont le
non-respect fait peser sur notre pays la menace de graves sanctions
financières.
On me permettra de rappeler - je suis peut-être plus à mon aise pour le faire,
puisque j'étais là en 1993 - qu'il n'eut pas été nécessaire de reprendre ce
travail si le gouvernement du début de l'année 1993 - le ministre de la justice
était alors M. Vauzelle - avait bien voulu nous inviter à voter le texte sur
lequel une commission mixte paritaire avait abouti à un accord, texte qui eut
été alors adopté sans la moindre difficulté.
Pourquoi ne l'a-t-il pas fait à l'époque ? Je n'ose pas vous poser la
question, madame la ministre, puisque vous n'êtes pas concernée : vous n'étiez
pas aux affaires, en tout cas pas à ces affaires-là ! Mais enfin, il est permis
de poser la question et il est même permis de penser - je le dis en passant et
à mi-voix - que les responsables de cette abstention n'ont aucunement lieu de
s'en vanter.
C'est déjà de l'histoire un peu ancienne, mais cela explique sans doute, en
tout cas pour partie, la mauvaise humeur témoignée par la commission des lois
de l'Assemblée nationale - dans sa composition du début de l'année 1997 - à
l'égard de la proposition de loi de Mme Catala, qui reprenait assez largement
les conclusions de cette fameuse commission mixte paritaire.
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée nationale est passée outre à la question
préalable imaginée par sa commission des lois, et elle a voté le texte qui nous
est maintenant soumis après un débat qu'il est permis de qualifier - j'utilise
une formule un peu différente de la vôtre, madame le garde des sceaux, mais
ellle revient au même - de quelque peu sommaire.
S'agissant d'un problème de santé et de sécurité publique qui dépasse
largement ce qu'il est convenu d'appeler le consumérisme - je le dis au passage
- s'agissant du danger potentiel créé par des produits en un temps où
l'innovation galopante rend ceux-ci de plus en plus sophistiqués et donc de
plus en plus porteurs de risques - les exemples sont quasi quotidiens, et
jamais, en ce qui concerne les innovations humaines, l'expression « jouer avec
le feu » n'a été aussi justifiée - et s'agissant, enfin, d'un domaine de notre
droit, le droit de la responsabilité, qui a un rôle essentiel dans le
développement de notre société et qui présente une complexité technique
particulière en même temps qu'un aspect social auquel le Gouvernement ne peut
pas être indifférent - vous venez d'en apporter dans votre propos, madame le
garde des sceaux, la preuve, au moins une preuve relative -, la commission des
lois du Sénat ne saurait réduire cette transposition à un simple exercice, à
une simple formalité.
Elle a eu à coeur de confronter la directive à notre droit positif actuel, de
la respecter - parce que nous avons l'obligation de la respecter là où elle est
impérative - et de vous proposer une transposition dont le caractère innovant
ne produise que des effets positifs et ne comporte pas, autant que possible,
ces éléments de contradiction qui livrent les justiciables aux aléas si couteux
et si longs de la jurisprudence.
Elle a eu aussi à coeur de maintenir équitable le rapport entre les
professionnels et le public.
M. Marcel Charmant.
Oh !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
L'examen des amendements apportera le témoignage de cette
préoccupation d'équilibre.
Sous le signe des aspects positifs de la directive, je citerai en premier lieu
le principe même d'une responsabilité de plein droit, encore que la formule ne
soit pas totalement élucidée.
Ce principe correspond en fait à l'état de notre droit - vous l'avez rappelé,
madame le ministre - qui, après un siècle de construction jurisprudentielle, a
clairement admis la responsabilité pour « risque » - employons la terminologie
traditionnelle pour les juristes français - créée, inaugurée en 1896 et
théorisée, à l'époque, par les illustres juristes Saleilles et Josserand.
Sans entrer trop avant dans l'analyse juridique, il convient de rappeler le
second considérant de la directive selon lequel : « seule la responsabilité
sans faute du producteur permet de résoudre de façon adéquate le problème,
propre à notre époque de technicité croissante, d'une attribution juste des
risques inhérents à la production technique moderne ; ».
En second lieu, il convient de saluer la fusion des approches contractuelle et
extracontractuelle de la responsabilité, ce qui correspond d'ailleurs aussi à
l'évolution de notre droit en permettant à la victime d'un dommage causé par un
produit de ne pas voir modifiées les conditions de son recours selon qu'elle se
trouve ou non à titre personnel dans la situation de client à l'égard du
producteur.
Il convient de rappeler à cette occasion qu'un aliment dangereux, par exemple,
peut causer un dommage non seulement à celui qui l'a acheté et qui est le
consommateur au sens juridique du terme, mais aussi à toutes les personnes
invitées à sa table, qui sont dans une situation différente puisqu'elles n'ont
pas acheté le produit.
En réalité, nous sommes donc dans un domaine qui relève non pas du droit de la
consommation, au sens strict du terme, mais plutôt de la santé publique,
puisque les produits peuvent, en certaines circonstances, atteindre des gens
qui n'en ont pas été les acquéreurs et qui n'ont donc pas choisi ces
produits.
On peut aussi considérer comme positives, ou en tout cas comme
simplificatrices, les dispositions qui concernent la définition du produit.
Nous suggérons, à cet égard, que celle-ci soit aussi extensive que possible
afin d'opérer une simplification réellement efficace, et nous rejoignons sur ce
point les préoccupations du Gouvernement.
On peut également considérer comme positive la définition du défaut de
sécurité du produit, notion essentielle - c'est peut-être la notion la plus
importante du texte, mais sur laquelle, me semble-t-il, on n'a pas suffisamment
attiré l'attention - dont j'aurai l'occasion à plusieurs reprises de rappeler
l'importance puisqu'il s'agit non d'une sécurité abstraite et absolue, mais,
beaucoup plus concrètement, de la « sécurité à laquelle on peut légitimement
s'attendre » compte tenu de « toutes les circonstances », en particulier « du
moment de la mise en circulation ».
Par cette formulation, la directive se trouve ici en filiation directe et
littérale avec notre loi du 21 juillet 1983 - comme avec la convention de
Strasbourg de 1977 - et répond par avance aux inquiétudes de ceux qui craignent
qu'un excès d'exigences n'aboutisse à une paralysie de l'innovation, si tant
est que l'on puisse jamais la paralyser.
Telles sont les principales dispositions que l'on peut considérer comme
positives, dans la mesure où, par leur précision, elles limitent les débats
éventuels, encore que, sur le fond, il faut le rappeler sans cesse, elles
n'améliorent pas significativement la situation actuelle de notre droit. Je
crois que nous sommes bien d'accord sur ce point. Nous aurons l'occasion de
revenir sur ces dispositions, quelquefois pour les amender, mais le plus
souvent pour les approuver.
Signalons cependant dès maintenant le problème du double délai institué par la
directive : dix ans pour le principe même de la responsabilité, et trois ans
pour l'exercice de l'action.
Si le second délai paraît raisonnable, le premier est beaucoup plus
contestable, dans la mesure où le caractère dangereux de certains produits peut
ne se révéler que plus de dix ans après leur mise en circulation et même leur
consommation. Rappelons l'exemple du distilbène, dont les très graves effets
nocifs frappent non pas les femmes auxquelles ce médicament a été administré,
mais leurs enfants, donc la génération suivante. On pourrait de même citer le
cas de l'amiante.
Cependant, le caractère impératif de la directive ne laisse place ici qu'à des
regrets, qu'il est nécessaire d'exprimer avec force étant donné ce que l'on est
en droit de craindre du caractère de plus en plus artificiel de certains
produits, en particulier de ceux qui intéressent directement le corps humain en
matière d'alimentation, d'hygiène ou de santé.
Il reste que la disposition qui prévoit expressément le maintien du système
légal en vigueur et donc la juxtaposition des deux systèmes apporte une
compensation importante puisque, dans notre système actuel, la responsabilité
civile extracontractuelle se prescrit aussi par dix ans, mais à compter de la
manifestation ou de l'aggravation du dommage et non pas à compter de la mise en
circulation du produit, ce qui est évidemment tout différent.
Je viens de rappeler le caractère impératif de la directive. Celle-ci ménage
cependant diverses hypothèses dans lesquelles s'ouvre une option pour les Etats
membres, et c'est précisément ces facultés d'option, il faut le rappeler, qui
ont permis la signature de la directive après de longs débats auxquels j'ai eu
l'honneur d'être quelquefois associé dans les années quatre-vingt.
Cette marge de choix concerne principalement la fameuse question dite du
risque de développement ainsi que la faculté d'exclure les produits du sol du
champ de la directive. Ce sont les deux principaux problèmes posés dans ce
débat.
La question de l'exonération, disons de l'irresponsabilité - appelons les
choses par leur nom - pour risque de développement suscite un intérêt, voire
une certaine tension, qui traduit son importance au niveau des principes
généraux du droit et même de la philosophie du droit, mais non, je tiens à y
insister, sur le plan des réalités concrètes. Je m'en tiendrai, pour le moment,
dans cet exposé liminaire, à ces considérations d'ordre général, me réservant
bien enten du d'entrer dans le détail de l'argumentation au moment de la
discussion des articles.
De quoi s'agit-il ?
Il s'agit de savoir si, dans un texte qui pose le principe général d'une
responsabilité sans faute des produits - j'ai rappelé tout à l'heure le texte
de la directive - il y a lieu ou non de poser un principe diamétralement
contraire, c'est-à-dire une exonération de responsabilité à l'égard des
produits les plus sophistiqués, c'est-à-dire potentiellement les plus
dangereux, au motif - je cite l'article 12 - que « l'état des connaissances
scientifiques et techniques, au moment où a été mis le produit en circulation,
n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ».
Ce dispositif exonératoire figure dans la directive, mais celle-ci,
simultanément, reconnaît aux pays membres la faculté de ne pas l'imposer, et
cela à la demande expresse de la France.
D'une manière générale, le principe d'exonération - vous l'avez rappelé,
madame la ministre - a été adopté sauf au Luxembourg mais avec des exceptions,
et notamment pour ce qui concerne les médicaments en Espagne et en Italie, mais
aussi en Allemagne, celle-ci ayant institué une loi spéciale pour la
responsabilité du fait des médicaments qui va dans le sens de notre position ;
je me permets de le signaler en particulier aux représentants du corps médical
qui nous font l'honneur de participer à nos débats.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ici, il n'y a que des sénateurs !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il n'est donc pas tout à fait exact de dire que l'ensemble
des pays n'a pas adopté cette option. Je rappelle d'ailleurs qu'aux Etats-Unis
- ce n'est pas un petit pays - les exigences de stricte sécurité des produits
sont extrêmes ; il est même question de les réduire tellement elles sont
extrêmes et créent une présomption tout à fait absolue. A supposer qu'on puisse
invoquer certains Etats européens, j'invoquerai, à mon tour, les Etats-Unis
d'Amérique, qui comptent tout de même plus de 200 millions d'habitants.
M. Marcel Charmant.
Ce n'est pas un exemple à suivre !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Disons encore que la jurisprudence française a fermement
écarté cette cause d'exonération, notamment par un arrêt de 1995 concernant le
sang contaminé, position qui, il faut bien le dire, n'était pas aussi
clairement connue lors de nos débats de 1993.
M. Jean-Jacques Hyest.
Raison de plus !
M. Marcel Charmant.
Cela n'a pas empêché les indemnisations !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Sans analyser les raisons de fond qui justifient cette
jurisprudence - nous y reviendrons - il convient de poser au préalable la
question suivante : pouvons-nous délibérément contredire l'état actuel de notre
droit par une disposition évidemment réductrice du niveau de sécurité alors que
l'article 13 de la directive qu'il s'agit de transposer dispose qu'elle « ne
porte pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au
titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle ou au
titre d'un régime spécial de responsabilité existant au moment de la
codification de la présente directive » ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Raison de plus !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Le problème ainsi posé ne relève pas seulement du Parlement
français, il relève aussi du contrôle que pourra exercer la Cour de justice des
Communautés saisie d'un recours en manquement par voie d'action ou par voie
d'exception devant n'importe lequel de nos tribunaux, ce qui ne manquera pas
d'arriver si nous adoptons une disposition qui abaisse, en fait, le niveau de
protection des Français.
Il semble que l'Assemblée nationale n'ait pas ignoré cette difficulté mais
que, dans sa précipitation, elle se soit rassurée en considérant que l'article
19 de la proposition de loi, qui transpose l'article 13 que je viens de citer,
pose le principe auquel je faisais allusion tout à l'heure, principe selon
lequel notre droit national actuel est intégralement maintenu, ce qui signifie
que les victimes qui se verraient opposer cette exception d'irresponsabilité
pourraient mettre en oeuvre les dispositifs juridiques classiques de notre
droit pour y échapper. Vous avez rappelé cette éventualité tout à l'heure,
madame le garde des sceaux, et vous l'avez présentée comme une garantie.
Cependant, madame le garde des sceaux, est-il possible de ne pas se rendre
compte de ce que notre système juridique aurait d'incohérent si le risque de
développement était admis comme principe général d'irresponsabilité dans les
actions fondées sur le présent texte mais non dans les actions fondées sur
l'actuel droit de la responsabilité ?
Une telle contradiction - je me permets de le souligner en tant que juriste et
praticien - me paraît impensable alors précisément que nous sommes dans le
domaine des risques les plus graves. Elle nous ramènerait - les historiens du
droit ne manqueront pas de faire le rapprochement - au premier droit romain
fondé sur la spécificité et la diversité des actions ; selon les actions ou les
procédures choisies on débouchait sur telle ou telle règle de droit et l'on
prenait un aiguillage. Voilà qui est d'un archaïsme affligeant ! Le droit
français fondé sur la raison et sur des principes généraux n'admet pas de
telles contradictions.
En tout cas, la commission des lois vous demandera de ne pas entériner une
telle incohérence d'autant plus que la situation de contradiction qui en
résulterait risquerait d'être résolue à terme - et vous ne l'avez pas envisagé
dans votre propos, madame la ministre - par un effacement de notre droit
actuel, parce qu'il est jurisprudentiel, devant la loi nouvelle, qui, elle,
serait écrite. On se rassure en évoquant l'état actuel du droit français, mais
celui-ci est évolutif puisqu'il est jurisprudentiel. A partir du moment où sera
introduite dans une autre partie du code une disposition positive admettant
l'exonération pour risque de développement, on risque de voir notre droit
jurisprudentiel évoluer. Cette évolution est d'ailleurs sur d'autres points
déjà commencée. Dès lors, quand, plus tard, car il faudra attendre plusieurs
dizaines d'années - merci pour les plaideurs ! - l'article 13 de la directive,
qui a pour effet d'exclure que la transposition puisse porter atteinte au droit
dont la victime peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité
existant, prendra effet, on constatera qu'en réalité, à la suite de l'évolution
de la jurisprudence, le niveau de protection des consommateurs s'est
abaissé.
On assistera alors à un rebondissement de contentieux et à des recours pour
manquement qui interviendront après une période, sans doute longue, de
jurisprudence contradictoire, l'expérience nous montre que, dans le domaine de
la responsabilité, il faut calculer en dizaine d'années.
Les observateurs les plus indulgents - et que dire des victimes qui n'ont pas
de raisons d'être indulgentes ! - penseront que nous avons fait un bien mauvais
travail.
Cependant - et je rassure immédiatement ceux dont les préoccupations sont
apparemment différentes - en vous demandant de ne pas entrer dans cette voie,
la commission ne méconnaît pas, je tiens à l'affirmer fortement, la
préoccupation des producteurs de ne pas être paralysés par la crainte du
risque, bien que ce risque soit évoqué d'une manière quelque peu artificielle,
comme je le démontrerai le moment venu.
La commission a d'abord constaté que, contrairement à ce que l'on avance
quelquefois - il faut savoir ce qui est vrai et ce qui relève du fantasme - ce
risque est couvert par l'assurance. En préparant ce dossier, j'ai demandé que
l'on veuille bien me communiquer des polices d'assurance qui excluraient ce
risque, mais on ne m'a rien communiqué. Le risque de développement des
producteurs est bien couvert par l'assurance, ce qui signifie qu'il est
mutualisé entre tous les clients et tous les acquéreurs du produit.
Une difficulté est apparue récemment en ce qui concerne le sang et la
transfusion sanguine pour les receveurs, mais je pense qu'elle devrait trouver
une solution. En tout cas, je ne peux pas traiter d'un problème qui n'a surgi
que depuis quelques semaines. Pour tout le reste, je le répète, les polices
d'assurance couvrent bien - je l'ai vérifié soigneusement auprès des intéressés
eux-mêmes - ce que l'on appelle actuellement le risque de développement.
Surtout, la commission a pris en compte l'article 5 de la proposition de loi,
selon lequel le juge saisi d'un cas concret devra apprécier si le produit
présente, non pas une sécurité absolue, mais « la sécurité à laquelle on peut
légitimement s'attendre ».
Ce même texte précise que cette appréciation tiendra compte de toutes les
circonstances, notamment « du moment de la mise en circulation ». Il est
évident qu'il y a là une allusion transparente au risque de développement.
D'ailleurs, la doctrine n'a pas manqué de le relever puisque le nouveau manuel
de Mme Viney, professeur de droit, dit expressément que, à travers cette
appréciation concrète du juge de la notion de sécurité à laquelle on peut
légitimement s'attendre en fonction de la date de mise en circulation du
produit, on verra réapparaître, non pas en règle générale, mais ponctuellement,
la prise en compte du risque de développement.
Autrement dit, en résumé, la commission des lois vous demandera de ne pas
inscrire le principe général d'irresponsabilité pour risque de développement
parce qu'il est contradictoire avec notre droit actuel, qu'il ne manquerait pas
en tant que principe général d'engendrer des dérives redoutables et qu'il
aurait un effet pédagogique très négatif, étant entendu que rien ne s'oppose à
ce que, dans une espèce déterminée, ce risque soit concrètement intégré dans
l'appréciation du degré de sécurité auquel on peut légitimement s'attendre.
Voilà très exactement ce que je croyais pouvoir appeler tout à l'heure la
position équilibrée et responsable - doublement responsable, à l'égard des uns
et des autres - de la commission des lois.
Une autre difficulté tient au champ d'application de la directive.
Cette dernière autorise en effet les Etats à exclure de ce champ les produits
du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. Cependant, à la suite de
l'affaire dite de la vache folle, une nouvelle directive invite les Etats à
opter pour l'inclusion. Telle était déjà l'option du Sénat en 1993, et le texte
qui nous est soumis, que nous vous demandons d'adopter et sur lequel j'ai
compris que le Gouvernement était d'accord, va dans ce sens.
En revanche, il prévoit curieusement une exception non prévue par la directive
: il s'agirait d'exclure les éléments du corps humain et les produits qui sont
issus de celui-ci.
C'est le garde des sceaux de l'époque, M. Jacques Toubon, qui avait demandé
cette exclusion, compte tenu de la nature très particulière de ces produits et
dans le souci de les maintenir dans le champ plus protecteur de nos règles de
droit traditionnelles ; cela s'explique par le fait que le Gouvernement était
favorable, à l'époque, comme il l'est aujourd'hui, à l'exonération du risque de
développement dans le présent texte.
Votre commission n'a jugé ni possible ni nécessaire cette exclusion
puisqu'elle est contraire à la directive et ne paraît pas justifiée sur le
fond. Nous reviendrons sur ce point s'il y a lieu, mais la question a été très
bien traitée tout à l'heure par Mme le garde des sceaux.
Je dois enfin, pour être complet, annoncer la position générale prise par la
commission à l'égard des articles 21 à 24 du texte. Il s'agit là de
dispositions étrangères à la directive et au problème de la sécurité des
produits puisqu'ils concernent les articles 1641 et suivants du code civil,
c'est-à-dire le droit de la vente.
Ce sont là des questions très différentes, et elles feront l'objet d'une
nouvelle directive, qui devrait normalement être adoptée en mai prochain. Nous
serons donc appelés à nous intéresser à ces questions à l'occasion de la
transposition de cette autre directive.
Dans ces conditions, et bien que certaines de ces dispositions soient fort
utiles - je pense en particulier à celle qui tend très opportunément à régler
le problème de la notion de « bref délai » en matière de vice caché - la
commission des lois a préféré, du moins au stade de cette première lecture,
proposer le rejet provisoire de ces articles, ce qui n'implique évidemment
aucune prise de position sur le fond.
Telles sont les réserves sous lesquelles la commission des lois vous propose,
mes chers collègues, d'adopter ce texte afin de mettre un terme à une situation
irrégulière dans laquelle notre pays se trouve depuis trop longtemps.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j'interviens
ce matin devant vous dans un domaine qui, à dire vrai, ne m'est pas familier.
En effet, je ne suis ni avocat ni même juriste ; vous voudrez bien me pardonner
!
(Sourires.)
Mais je suis médecin et, surtout, coauteur, avec notre
collègue M. Franck Sérusclat, de la proposition de loi dont est issue la loi du
20 décembre 1998 relative à la protection des personnes dans la recherche
biomédicale, ainsi que coauteur d'une proposition de loi, actuellement en cours
de discussion, relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle
de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme.
Voilà pourquoi mon propos ne portera que sur le 4° de l'article 12, qui
constitue, ainsi que Mme le ministre et M. le rapporteur l'ont précisé, l'un
des points importants du texte sur lequel nous débattons.
Cet alinéa, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, prévoit une
cause d'exonération relative au « risque de développement » ; M. le rapporteur
vient de souligner à l'instant la difficulté devant laquelle nous risquons de
nous trouver pour trouver la solution la plus équilibrée.
Aux termes de cet alinéa, le producteur est exonéré de sa responsabilité s'il
prouve que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il
a mis le produit en circulation ne lui a pas permis de déceler le défaut.
Cette cause d'exonération est prévue par le point
e
de l'article 7 de
la directive.
Cependant, le point
b
du paragraphe 1 de l'article 15 de la directive
ouvre aux Etats membres la faculté de maintenir la responsabilité du producteur
dans ce cas. Or ledit article 15 exige par ailleurs de l'Etat qui souhaite
faire usage de cette faculté qu'il communique au préalable le texte de la
mesure envisagée et que la Commission en informe alors les autres Etats
membres.
Cela suppose que nous fassions connaître à nos partenaires le texte envisagé
avant son adoption. Autrement dit, renoncer aujourd'hui à cette cause
d'exonération sans avoir respecté la nécessité, prévue par la directive, d'en
avertir nos partenaires de l'Union européenne me paraît difficilement
envisageable.
Pour ma part, je voudrais examiner cette question pour une catégorie de
produits que je considère comme spécifiques, à savoir les produits de santé
soumis à autorisation de mise sur le marché, produits qui sont exclus du champ
de l'exonération, si j'ai bien compris les propos de Mme la ministre et de M.
le rapporteur.
Concernant ces produits, la France s'est en effet dotée d'un ensemble de
procédures extrêmement rigoureuses et complexes, qui vise à en garantir la
qualité et la sécurité.
Aux termes de l'article L. 601 du code de la santé publique, aucun médicament
ne peut être mis sur le marché sans avoir obtenu une autorisation
administrative.
S'agissant de ladite autorisation, cet article dispose :
« Elle n'est accordée que lorsque le fabricant justifie :
« 1° Qu'il a fait procéder à la vérification de l'innocuité du produit dans
des conditions normales d'emploi et de son intérêt thérapeutique, ainsi qu'à
son analyse qualitative et quantitative ;
« 2° Qu'il dispose effectivement d'une méthode de fabrication et de procédés
de contrôle de nature à garantir la qualité du produit au stade de la
fabrication en série. »
Par conséquent, l'autorisation est accordée au regard de critères
d'efficacité, d'innocuité et de qualité, le critère principal demeurant le
rapport bénéfice-risque pour le patient.
Monsieur le rapporteur, dans votre propos, vous avez indiqué qu'il paraissait
contradictoire d'appliquer l'exonération à des recherches extrêmement pointues,
dans lesquelles, dites-vous à juste titre, peut exister un risque
particulier.
Mais ce risque, monsieur le rapporteur, est le prix à payer pour l'innovation.
Encore faut-il que ce risque soit calculé et que soit apprécié aussi
rigoureusement que possible le bénéfice que l'on attend du progrès par rapport
au risque que toute innovation comporte.
Nos procédures sont reconnues sur le plan international pour leur efficacité ;
certaines ont même largement inspiré les législations d'Etats voisins, ainsi
que la réglementation européenne.
L'ensemble des contrôles ainsi mis en place reçoit la sanction de l'Etat dans
la mesure où c'est ce dernier qui, par l'intermédiaire de l'Agence du
médicament, délivre une autorisation de mise sur le marché, laquelle atteste
que le produit autorisé présente les garanties maximales de sécurité.
Cette autorisation de mise sur le marché est accordée en général après de très
longs travaux de recherche et de développement : pour certaines molécules, ils
peuvent atteindre une quinzaine d'années.
Autant que l'industriel qui en fait la demande, l'autorisation de mise sur le
marché engage donc l'autorité de l'Etat, qui valide, en bout de chaîne, la
qualité et l'efficacité du produit.
Etant donné cette spécificité, il me semble que le texte adopté par
l'Assemblée nationale, en exonérant l'industriel de la responsabilité d'un
défaut qu'il ne peut en aucune manière maîtriser, alors même que, pour
s'assurer de l'absence de risques, il a mis en oeuvre tous les moyens qui sont
à sa disposition en l'état des connaissances scientifiques et techniques au
moment de la mise sur le marché - ce dont l'Etat, en lui donnant son
autorisation, se porte garant - représente une solution équilibrée.
En effet, d'une part, même si les risques de développement entrent dans le
champ de l'exonération de responsabilité, l'appréciation des connaissances
scientifiques et techniques permettant d'être exonéré reste sous le contrôle
des tribunaux qui sont, d'une manière générale, très sensibles à la défense des
victimes.
M. Philippe Marini.
Tout à fait !
M. Claude Huriet.
D'autre part, dans certains secteurs de la recherche - je pense tout
particulièrement à celle qui porte sur les maladies dites « orphelines », ces
maladies rares pour lesquelles le retour sur investissement de recherche est
très aléatoire du fait du faible nombre de patients par pathologie -
l'alourdissement du risque de responsabilité pourrait entraîner un
ralentissement des travaux de recherche, ce qui serait, à terme, extrêmement
préjudiciable aux malades, qui espèrent la découverte de nouveaux
traitements.
M. Philippe Marini.
Très bien !
M. Claude Huriet.
Je rappellerai en outre que la majorité des Etats membres ont retenu la cause
d'exonération liée au risque de développement et que la France ferait, si elle
y renonçait, cavalier seul, ce qui ne manquerait pas d'avoir des effets
négatifs en termes de délocalisation d'activités.
Monsieur le rapporteur, évoquant tout à l'heure les Etats membres qui ont
exonéré les producteurs de la responsabilité liée à ce risque, vous avez
toutefois précisé que, selon vous, en Allemagne, l'exonération ne s'appliquait
pas aux médicaments.
En Allemagne, l'exonération des risques de développement a été retenue dans le
cadre de la transposition de la directive mais une loi spéciale, ne prévoyant
pas une telle exonération, s'applique effectivement aux médicaments. C'est ce
qui vous permet d'affirmer que la France ne ferait pas cavalier seul.
Cependant, il convient de souligner que cette absence d'exonération est
atténuée par une limitation de responsabilité des fabricants à 200 millions de
deutsche Mark. Un pool d'assureurs a en outre été mis en place pour garantir
cette responsabilité à l'intérieur des plafonds de responsabilité définis par
la loi. Il ne faut surtout pas perdre de vue que le contexte est très
différent. En Allemagne, il existe, pour le médicament, un régime non
administré, c'est-à-dire que règne la liberté des prix. Cela permet aux
fabricants de répercuter dans leurs prix les charges induites par les primes
d'assurance. On ne peut pas faire l'impasse sur de telles considérations.
Monsieur le rapporteur, vous vous êtes ému à juste titre du sort des victimes
de ce genre d'accidents et de drames. Comment ne pas souscrire à de tels propos
? Toutefois, la solution que vous évoquez ne peut pas recevoir mon soutien.
En effet, le maintien de la cause d'exonération ne signifie pas que les
victimes d'un fait imprévisible ne seraient pas indemnisées, ainsi qu'elles
doivent l'être en toute justice. Se pose simplement la question de savoir qui
doit prendre en charge la réparation de certains dommages, en dehors du champ
de la responsabilité pour faute. Chacun s'accordera ici à reconnaître qu'elle
ne doit pas entrer dans le champ de nos préoccupations.
Cela m'amène à plaider une nouvelle fois, madame la ministre, pour l'adoption
d'une législation sur l'aléa thérapeutique,...
M. Marcel Charmant.
Très bien !
M. Claude Huriet.
... qui me paraît de plus en plus indispensable et qui, seule, représente la
bonne réponse à la question de la protection des victimes dans toutes les
situations où prévaut la responsabilité sans faute,...
M. François Autain.
Très bien !
M. Claude Huriet.
... telle que nous l'avons rencontrée si souvent, au cours des dernières
années, dans le domaine de la sécurité sanitaire.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la
France, en tant que membre de l'Union européenne, se doit de respecter et
d'appliquer l'article 189 du traité de Rome, qui nous impose de transposer les
directives européennes en droit interne.
La directive du 25 juillet 1985 vise à rapprocher les législations des Etats
membres en matière de responsabilité du producteur pour les dommages causés par
le caractère défectueux des produits, afin d'éviter que les disparités ne
faussent la concurrence, n'affectent la libre circulation des marchandises et
n'entraînent des variations dans la protection des consommateurs.
Pourquoi un pays comme la France a-t-il tant de mal à transposer cette
directive ?
Les raisons de ce retard semblent provenir du fait que la directive, d'une
part, prévoit, pour les producteurs et les fournisseurs, l'exonération de la
responsabilité liée au risque de développement et, d'autre part, inclut les
produits issus du corps humain dans son champ d'application. La complexité du
sujet ne constitue pas le moindre des écueils sur lesquels achoppe notre
réflexion, et le juridisme ne doit point faire oublier la réalité sociale et
économique des enjeux.
J'en veux pour preuve la divergence d'interprétation entre l'Assemblée
nationale et la commission des lois du Sénat à laquelle donne lieu l'article 4,
s'agissant de l'opportunité ou non d'inclure les éléments du corps humain.
Alors que la directive les considère, en droit, comme des produits, on peut
arguer, comme l'a fait le professeur Mattéi, s'exprimant au nom du Comité
consultatif national d'éthique, que le corps humain ne peut en aucun cas donner
droit à patrimonialité, être introduit dans le commerce ou donner lieu à
brevet. C'est là un sujet qui en appelle à la conscience de chacun, mais sur
lequel le présent texte nous interpelle.
Par ailleurs, madame le garde des sceaux, le régime de responsabilité prévu
par la proposition de loi doit-il être étendu aux matières premières agricoles
?
En effet, par rapport au système fermé de la production industrielle, la
production agricole, avant la première transformation, est dans une large
mesure tributaire des éléments de l'environnement, tels que le climat, l'eau et
la nature du sol, sur lesquels il n'est guère possible d'influer. Vous
semble-t-il opportun que la responsabilité des agriculteurs soit engagée pour
des défauts provenant de facteurs qui échappent à leur influence, selon des
enchaînements de causes qui sont encore largement inexplorés ?
De surcroît, le paiement des primes d'assurance permettant de couvrir une
responsabilité ainsi étendue représentera une charge pour l'agriculteur.
Contrairement à l'industriel et au commerçant, qui déterminent les prix à la
consommation, l'agriculteur n'est pas en mesure de répercuter ses coûts sur les
prix à la consommation.
J'aimerais connaître votre sentiment sur ce sujet, madame le garde des
sceaux.
L'article 10 de la proposition de loi, tel qu'il a été voté par l'Assemblée
nationale, prévoit que la charge de la preuve concernant le dommage, le défaut
et le lien de causalité appartient au demandeur, conformément à l'article 4 de
la directive.
La commission, en requérant l'existence d'un lien de causalité entre le
dommage et le produit, et non le défaut du produit - dans le souci, louable au
demeurant, de mieux protéger les consommateurs - ne propose pas, nous
semble-t-il, une transposition correcte de la directive, qui lie explicitement
le dommage au défaut du produit.
La directive institue un régime de responsabilité sans faute et prévoit que
tout producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit
lorsque la victime fournit des preuves sur l'existence du dommage, du défaut et
du lien de causalité entre le défaut et le dommage.
L'article 12 de la proposition de loi dispose que le producteur est
responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve que l'état des connaissances
scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation,
n'a pas permis de déceler l'existence du défaut.
Cette exonération pour risque de développement signifie qu'un producteur, en
ce cas particulier, peut s'exonérer de sa responsabilité.
La commission souhaite la suppression de cette disposition afin de préserver
plus largement les droits des consommateurs.
Mais, en allant dans le sens de la commission, ne risque-t-on pas d'aller
contre le droit communautaire ?
En effet, cette cause d'exonération a été consacréé par la Cour de justice de
l'Union européenne, qui a reconnu la nécessité de sauvegarder « une éventualité
effective d'une exonération du producteur » dans un arrêt du 29 mai 1997,
Commission contre Royaume-Uni.
D'après la Cour, « ne pas tenir compte des possibilités réelles de
connaissance du producteur eût été irréaliste et déraisonnable et reviendrait à
nier l'accessibilité des connaissances au moment de la mise en circulation
».
On est en droit de se demander si cette disposition n'est pas primordiale pour
certains secteurs de notre économie. Je pense en particulier aux industries de
la chimie et de la parachimie, mais aussi de la pharmacie et de la
cosmétologie, compte tenu de la spécificité de leurs produits, qui sont appelés
à des usages très divers et qui sont marqués par la rapidité d'évolution des
techniques et du niveau des connaissances qui s'y rapportent.
Comment une entreprise prendrait-elle le risque d'innover si sa responsabilité
n'était pas dégagée en fonction des connaissances scientifiques et techniques
accessibles au moment où le produit a été mis sur le marché ?
L'exonération pour risque de développement soulève un problème de poids.
En effet, elle n'est actuellement pas reconnue par notre jurisprudence.
Comme le fait remarquer le rapporteur, M. Fauchon, nous devons être prudents
et ne pas amoindrir les droits des victimes.
L'obligation de sécurité pèse sur tout fabricant ou vendeur d'un produit et
elle est indissociable de la liberté de créer et de vendre ; le fabricant ou le
vendeur ne peut s'exonérer de sa responsabilité qu'en faisant la preuve de
l'existence d'une cause étrangère.
Cependant, la transposition de la directive de 1985 nous permet de conserver
les deux régimes de réparation, donc les deux régimes de responsabilité civile
: celui qui ressortit à la directive et celui que nous connaissons
aujourd'hui.
L'exonération pour risque de développement est une innovation en droit
français. Elle n'est pas pour autant préjudiciable aux victimes.
Si, comme le propose la commission, la France se singularisait en refusant
cette cause d'exonération, ses entreprises devraient supporter seules des
risques qu'elles n'ont les moyens scientifiques et techniques ni de connaître
ni de maîtriser.
Comme le soulignait en effet récemment le délégué général de la Fédération
française des sociétés d'assurances, « l'absence totale de prévisibilité et de
possibilité d'évaluation, liée à l'énormité des dommages en cause, rend ces
risques inassurables ».
M. Pierre Fauchon.
Elles les assurent quand même !
M. Jean Chérioux.
Ça dépend !
M. Robert Calmejane.
C'est ma version !
Qu'adviendrait-il alors des intérêts du consommateur face à des indemnisations
théoriques que seules quelques multinationales pourraient assumer, alors que de
nombreuses PME, insolvables à hauteur des sommes en cause, se verraient
contraintes de se saborder ?
Quant à l'article 12
bis,
qui a été introduit en première lecture par
l'Assemblée nationale et qui concerne l'obligation de suivi des produits, il a
pour effet une atténuation de la cause d'exonération du producteur pour les
risques de développement, prévue par l'article 12.
En effet, l'exonération ne pourra jouer que si le producteur établit que, « en
présence d'un défaut qui s'est révélé dans le délai de dix ans après la mise en
circulation du produit », il a pris toutes les mesures propres à en prévenir
les conséquences dommageables.
Cette précaution, alors même que la directive communautaire n'en fait pas une
obligation, répond judicieusement aux intérêts des consommateurs pour autant
que soient clairement précisées les conditions constitutives du défaut.
Sans le maintien de cette cause d'exonération, la proposition de loi irait non
seulement à l'encontre du droit communautaire en vigueur, mais aussi de
l'objectif qu'il vise et qui est d'assurer l'indemnisation des victimes de
dommages résultant de produits défectueux en rendant impossible toute
couverture de ce risque et en menaçant de ce fait la survie même de la
compagnie à l'origine du dommage.
Permettez-moi d'insister sur le fait que, si nous ne voulons pas nous trouver
dans une situation telle que celle connaissent aujourd'hui les
Etats-Unis,...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Ils ne sont pas malheureux de leur situation !
M. Robert Calmejane.
... nous devons sauvegarder cette cause d'exonération.
Aujourd'hui, il ne reste plus qu'un seul laboratoire américain ! Résultat, le
prix du vaccin contre la polio, par exemple a doublé du fait du retrait des
autres producteurs.
Dans un tel cas, qu'en est-il du consommateur ? Il ne lui reste qu'un seul
choix, et ce choix est-il sans risque ?
Dès lors, permettez-moi de m'interroger : voulons-nous qu'un tel scénario se
déroule en France ?
Si tel était le cas, nous risquerions d'assister impuissants à la montée de la
crainte, puis à la frilosité d'entreprises qui pourraient être conduites soit à
retarder, soit à renoncer à l'innovation ou au lancement de nouveaux
produits.
Une telle perspective serait inquiétante, notamment dans les secteurs de
pointe comme l'industrie pharmaceutique, à une époque où l'apparition de
pathologies graves nécessite la mobilisation de toutes les compétences en vue
de la fabrication de produits actifs et innovants. Cela ne pourrait qu'aller à
l'encontre de l'intérêt général.
Par ailleurs, nous pouvons nous demander si cela n'aurait pas un effet négatif
sur l'emploi et l'investissement.
En effet, les grands groupes déjà implantés en France pourraient être tentés
de délocaliser leur recherche dans les autres pays de l'Union européenne, qui,
à l'exception de l'Espagne et du Luxembourg, ont tous conservé cette cause
d'exonération.
Jusqu'à aujourd'hui, aucun industriel n'agissait dans ce sens, car il
considérait que tôt ou tard nous serions obligés de nous conformer au droit
communautaire, et donc de transposer la directive de 1985. Mais
qu'adviendra-t-il demain si nous supprimons la cause d'exonération ?
La réponse est assez simple : les entreprises iront s'installer ailleurs. Il
faudra alors, d'une part, expliquer sereinement aux personnes concernées
pourquoi nous les avons laissées partir et, d'autre part, assumer la
responsabilité politique de leur départ.
C'est, par-delà la défense d'un secteur important de notre économie, la
préservation de tout un pan de notre recherche qui est en cause.
Il ne s'agit donc pas d'opposer industrie et consommateur de manière stérile,
comme certains élus de la gauche plurielle seront sans doute tentés de le faire
demain à l'Assemblée nationale.
(Protestations sur les travées socialistes.)
M. Marcel Charmant.
Tout de suite des procès d'intention !
M. Robert Calmejane.
Notre tâche de législateur, avec la sagesse qui caractérise le Sénat, consiste
à rechercher un juste équilibre sauvegardant les intérêts de tous, comme
avaient su le faire, en première lecture, nos collègues députés du RPR, de
l'UDF et du groupe socialiste réunis, pour une fois, dans une vision
constructive de l'avenir.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et
de l'Union centriste.)
M. Marcel Charmant.
Vous voyez que la gauche n'est pas toujours telle que vous la décrivez !
M. le président.
La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne
reviendrai pas sur les péripéties qui ont entouré, jusqu'à ce jour, la
transcription dans notre droit de la directive européenne relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux, élaborée le 25 juillet 1985.
Il devient urgent que la France, pays moteur de la construction européenne,
respecte ses engagements, d'autant qu'elle est sous le coup d'une condamnation
!
La présente proposition de loi, déposée à l'initiative de Mme Catala, a pour
finalité de relancer la procédure législative. Elle reprend pour l'essentiel
les termes de la directive et les travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat
lors de la première lecture en 1991.
Lors de la deuxième lecture, les deux chambres ont adopté des positions très
différentes et, bien qu'un texte ait pu être élaboré en commission mixte
paritaire, le Gouvernement n'y a pas donné de suite législative.
Le droit français, en matière de responsabilité du fait des produits
défectueux, se caractérise par une très grande complexité, généralement
dénoncée par l'ensemble des spécialistes.
En effet, la matière ne fait pas l'objet d'un régime spécifique, mais elle est
couverte par diverses dispositions législatives et par des constructions
jurisprudentielles très élaborées. Nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ce
sujet ; il n'est donc pas nécessaire de s'y attarder.
Il est manifeste que l'exonération possible de la responsabilité du producteur
pour risque de développement constitue le point le plus délicat. C'est
d'ailleurs sur ce point que le désaccord qui a empêché la transposition de la
directive est né.
Il convient de noter que la transposition de la directive n'a pas pour effet
de substituer la notion de responsabilité de plein droit qu'elle institue à
notre droit positif puisque la victime conserve la possibilité de se fonder,
selon son choix, ou sur la directive transposée, ou sur le droit français.
C'est là, je crois, la cause de l'ambiguïté qui entoure notre discussion.
Si le droit français est, comme le prétendent certains, plus protecteur, il
sera de l'intérêt de la victime - et ses défenseurs sauront la guider - de
l'utiliser. Si, au contraire, la victime trouve dans la transposition de la
directive une meilleure solution, elle sera libre d'y recourir.
En 1985, la Chancellerie avait constitué un groupe de travail sous la
présidence du professeur Ghestin, dont les travaux avaient guidé la réflexion
du législateur lors de l'examen en première lecture. C'est ainsi que M.
Thyraud, rapporteur au Sénat, et moi-même, rapporteur à l'Assemblée nationale à
l'époque, étions parvenus à un accord sur l'essentiel.
Concernant le risque de développement, le groupe de travail proposait de
conserver en l'état notre droit positif et les nuances de la jurisprudence.
En effet, la question ne se pose que rarement et la définition contenue dans
l'article 1387-1 du code civil, repris de la directive, pourra conduire dans
certains cas à une exonération pour risque de développement : le plus souvent,
pour apprécier la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, on se
référera à l'état des connaissances scientifiques et techniques.
Lors de la première lecture, les parlementaires, suivant en cela les
conclusions du groupe de travail, n'ont pas voulu préciser expressément que le
producteur ne saurait en aucune manière invoquer le risque de développement
pour s'exonérer.
Si le législateur revenait aujourd'hui sur ce principe, comme le propose M. le
rapporteur, nous empêcherions les producteurs d'invoquer cette cause
d'exonération. Je ne suis pas convaincu que tel soit le résultat que nous
recherchons !
L'Assemblée nationale a, dans la présente proposition de loi, fait du risque
de développement une cause d'exonération. M. le rapporteur s'y oppose. Il
semble que le Gouvernement proposera, quant à lui, d'exclure cette cause
d'exonération pour les produits de santé et les produits du corps humain, à
l'instar de l'Espagne, qui a adopté cette même attitude.
Je me rallierai volontiers à cette dernière proposition dans l'état actuel des
débats. Toutefois, s'agissant des produits soumis à homologation, je
m'interroge : qui, du producteur ou de l'autorité qui a délivré l'autorisation,
assumera la responsabilité ? En l'occurrence, l'autorité sera l'Agence du
médicament. Si cette dernière était mise en cause, l'Etat se trouverait
responsable.
En effet, l'article 7, paragraphe
c
de la directive précise que le
producteur n'est pas responsable s'il prouve que le défaut est dû à la
conformité du produit avec des règles impératives émanant des pouvoirs
publics.
Peut-être est-il imprudent de vouloir donner une réponse précipitée à un
problème aussi délicat et qui interpelle tant l'opinion publique !
Si la directive impose la transcription d'un certain nombre de règles, elle
laisse aux Etats membres la possibilité d'inclure ou non les produits du sol et
les produits de la chasse et de la pêche dans le champ d'application du nouveau
dispositif.
Si cette question était préoccupante lors de l'examen du premier projet de
loi, une nouvelle directive a eu précisément pour objet d'étendre le champ
d'application de la directive de juillet 1985 aux produits agricoles. Il n'y a
donc plus de débat à avoir sur ce point.
Il s'agit de trouver un équilibre satisfaisant entre les exigences de la
directive, les droits des consommateurs et les devoirs des professionnels. Je
ne doute pas que nous y parvenions.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes et sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la
proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à transposer, dans notre
droit national, une directive communautaire du 25 juillet 1985 relative à la
responsabilité du fait des produits défectueux.
Cette directive introduit un principe fondamental de responsabilité sans faute
des producteurs, responsabilité dite objective, entraînée par l'existence d'un
défaut du produit ayant occasionné un dommage. Le défaut du produit est entendu
comme un « défaut de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ». Le
pronom indéfini « on » comprend l'opinion publique en général, et non la
victime elle-même ou un groupe de personnes déterminé. L'évaluation de la
sécurité attendue doit être faite en fonction de « toutes les circonstances et
notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être
raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ». On peut
d'ores et déjà craindre que la notion de « raisonnable » ne fasse l'objet
d'interprétations différentes selon les juridictions lors de contentieux à
venir.
Le produit considéré pourra être tout meuble, même incorporé dans un immeuble.
La proposition de loi y inclut aujourd'hui, conformément à l'intention exprimée
par l'Union européenne, les produits agricoles et les produits de la chasse.
Une modification de la directive sur ce point est en effet actuellement en
cours ; elle sera examinée par le Parlement européen dans les mois à venir.
Prendre de l'avance au niveau national par cette disposition semble donc
souhaitable.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale avait choisi, en mars dernier, d'exclure
les éléments et produits issus du corps humain du domaine d'application de la
proposition de loi, au motif qu'un texte plus approprié devait être ensuite
élaboré pour tenir compte de la spécificité de ces produits. La proposition de
loi dans sa rédaction actuelle ne mentionne plus cette exclusion, la commission
des lois ayant rappelé que la directive communautaire ne comprend pas une telle
dérogation.
Sur ce point précis, on peut cependant craindre l'application du principe de
responsabilité pour risque de développement dans le cadre de techniques
médicales telles que des transplantations. En cette matière, étant donné
l'origine humaine de ces produits particuliers, les risques sont par définition
imprévisibles. Le transfert d'un organe se révélant par la suite « défectueux »
au sens de la directive, c'est-à-dire comportant un gène « perturbateur », par
exemple, entraînerait-il la responsabilité du donneur ou de ses ayants droit,
ou bien celle du praticien qui a conduit l'intervention chirurgicale permettant
la transplantation ?
Enfin, le dommage vise les atteintes à la personne sous forme de lésions
corporelles ou de décès, ainsi que celles qui sont portées aux biens autres que
le produit lui-même, conformément au texte communautaire.
Le producteur est défini de façon assez large. En effet, il peut s'agir du
fabricant du produit fini ou d'une partie composante du produit, ou de celui
qui se présente comme tel en apposant son nom, sa marque ou un autre signe
distinctif sur le produit, ou encore de l'importateur du produit dans l'Union
européenne. Toutefois, sont exclus du champ de la responsabilité les
constructeurs et leurs sous-traitants, ainsi que les crédits-bailleurs.
En vertu du texte communautaire initial, la victime doit prouver le dommage,
le défaut du produit et le lien de causalité entre les deux. La commission des
lois propose cependant de retirer la preuve du défaut du produit des
obligations du demandeur. Cette nouvelle rédaction, si elle devait être
entérinée, serait donc contraire aux termes de la directive. Rappelons ici
qu'une telle décision serait de nature à exposer la France à de nouvelles
poursuites de la part de la Commission de l'Union européenne pour avoir mal
transposé la directive, à l'instar de ce qui s'est produit pour certains autres
Etats membres, par exemple le Royaume-Uni, poursuivi devant la Cour de justice
depuis le 20 septembre 1995, et l'Italie. Il ne paraît pas souhaitable de
s'exposer à un tel risque dans la mesure où cette transposition, qui aurait dû
intervenir depuis longtemps, devra être faite rapidement et correctement.
Toutefois, s'agissant de ce texte, la discussion la plus importante porte sur
l'exonération ou non de la responsabilité du producteur pour risque de
développement, notion qui couvre les défauts imprévisibles, indécelables en
l'état de la science et de la technique au moment de la mise en circulation du
produit.
Lancée dès le début de l'élaboration de la directive communautaire, cette
discussion a fait l'objet d'une controverse importante et durable qui a
finalement conduit à proposer une option aux Etats membres entre exonérer ou
non les producteurs pour les risques de développement, lors de l'acte de
transposition.
Les enjeux considérés étaient importants. Pour leur part, les associations de
consommateurs se prononçaient en faveur de l'inclusion dans le texte de ce
nouveau degré de responsabilité du producteur, estimant qu'on ne pouvait leur
faire supporter individuellement les risques nés d'un produit. Face à elle, les
fabricants invoquaient les surcoûts d'assurance et leur répercussion sur les
prix des produits, les freins à l'innovation qu'une telle disposition ne
manquerait pas d'entraîner et le déséquilibre qu'elle instaurerait entre les
consommateurs et les producteurs.
Les institutions communautaires ont alors choisi de ne pas trancher
elles-mêmes et d'obliger les Etats membres à effectuer un choix sur
l'imputabilité de la responsabilité pour risque de développement.
Ainsi, tous les Etats de l'Union européenne se sont prononcés sur cette option
de la directive. Seuls trois pays ont choisi de ne pas exonérer le producteur
de la responsabilité pour risque de développement : le Luxembourg, la Finlande
et, dans une moindre mesure, l'Espagne, qui en a limité la portée aux seuls
produits pharmaceutiques et alimentaires.
La France se propose aujourd'hui de rejoindre ce petit groupe de pays car la
commission des lois a supprimé, dans l'article 12 de la proposition de loi,
l'alinéa tendant à exonérer le producteur « s'il prouve que l'état des
connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en
circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ». Pour ma part,
je ne peux adhérer à une telle aggravation de la situation des producteurs,
tant sur le plan juridique que sur le plan économique. Il me semble en effet
que certains produits, tels que les médicaments, ne devraient pas y être
soumis. Ces produits sont expérimentés, autorisés puis mis sur le marché sur la
base d'un rapport bénéfice-risques dont le consommateur est le premier
bénéficiaire. Les effets indésirables qui accompagnent parfois le traitement
sont ainsi considérés comme des désagréments inévitables, plus ou moins
importants, qui participent de la guérison.
Dans ces conditions, exiger que les fabricants se protègent, en souscrivant
des assurances très onéreuses, contre les indemnisations qui pourraient être
exigées du fait d'un de leurs médicaments reviendrait automatiquement à freiner
les investissements en recherche et, par voie de conséquence, à limiter les
progrès de la lutte contre les maladies. En croyant protéger le consommateur,
nous ne parviendrions, à terme, qu'à nuire à la santé publique. J'ajoute qu'une
telle disposition entraînerait, pour les producteurs français, une distorsion
de concurrence avec les autres producteurs de l'Union européenne non soumis à
cette responsabilité.
Enfin, il ne semble pas inutile de rappeler la procédure particulière qui est
prévue par la directive au cas où un Etat membre souhaite opter pour la
non-exonération du producteur de la responsabilité pour risque de
développement. L'article 15 dispose, en effet, que l'Etat membre, après avoir
informé la Commission de son intention de procéder à ce choix en lui
communiquant le texte de la mesure envisagée, doit surseoir à sa décision
pendant une certaine durée, de l'ordre de quelques mois, afin de permettre à la
Commission d'en informer les autres Etats membres, mais aussi d'envisager de
présenter une abrogation de l'exonération sur le plan communautaire. Je
souligne que cette dernière possibilité n'a pas été utilisée jusqu'à présent,
eu égard au succès limité rencontré par le principe de responsabilité du
producteur pour risque de développement dans l'Union européenne.
Enfin, la disposition relative au suivi des produits constitue une nouveauté
par rapport au texte original de la directive. Elle consiste à faire peser sur
le producteur une véritable obligation de réagir si l'existence d'un défaut de
ses produits a été constatée au cours des dix années qui suivent leur mise en
circulation. En effet, au cas où il n'aurait pas pris les mesures propres à en
prévenir les conséquences dommageables, il se verrait dans l'impossibilité
d'invoquer la cause d'exonération pour risque de développement, si elle devait
subsister.
Une fois de plus, le texte national se propose d'aggraver la situation du
producteur, et s'écarte ainsi des dispositions de la directive. Toutefois, en
ce cas précis, l'exigence imposée au producteur paraît de bon aloi. En effet,
en cas de révélation d'un défaut, il se doit d'intervenir de façon
proportionnée au danger, soit pour en informer le public, mais aussi les
professionnels concernés et éventuellement les autorités de l'Etat, soit pour
retirer des lots de produits à risques, soit, enfin, pour retirer totalement le
produit du marché. Sont à ce prix la protection du consommateur mais aussi la
réputation du fabricant. Rappelons-nous, à cet égard, le coup d'éclat de
Perrier, qui, voilà quelques années, avait procédé de façon massive à un
retrait de ses produits du marché.
Pour conclure, je rappellerai l'urgente nécessité, pour la France, de procéder
à la bonne transposition de la directive de 1985. Notre pays s'y est engagé,
nous y sommes contraints par le droit communautaire. Sur ce plan, nous sommes
soumis à une véritable obligation, à laquelle nous ne pouvons plus nous
dérober. Cependant, sur le plan du droit, il ne me semble pas que la
transposition apportera une vraie nouveauté. En effet, l'obligation de sécurité
imposée à nos producteurs couvre d'ores et déjà les exigences de la
responsabilité objective. L'invocation d'une meilleure protection du
consommateur, notamment par la responsabilité pour risque de développement, ne
me paraît pas fondée : un risque vraiment imprévisible le restera, et le
dommage occasionné ne pourra que donner lieu à l'octroi d'une indemnité à la
victime. Celle-ci sera donc non pas mieux protégée, mais seulement mieux
indemnisée.
En définitive, nous entrons dans des considérations économiques qui me
paraissent bien proches de l'esprit américain. Je forme le voeu que notre pays
ne s'expose pas aux dérives judiciaires que l'on constate outre-Atlantique et
qu'il conserve l'équilibre qui a prévalu jusqu'à présent entre les intérêts
bien compris des producteurs et ceux des consommateurs.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste. - M. Marini applaudit
également.)
M. Marcel Charmant.
Très bien !
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l'a
rappelé M. le rapporteur, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui
reprend largement les conclusions issues des travaux de la commission mixte
paritaire qui s'était réunie en 1992. Elle tend à transposer une directive
européenne adoptée en 1985.
Alors que la France dispose, en matière de protection des consommateurs, d'une
législation parmi les plus évoluées, nous sommes contraints de transposer, dans
notre droit interne, une directive plus laxiste, relative à la responsabilité
du fait des produits défectueux. M. Fauchon note d'ailleurs dans son rapport
que « cette directive n'améliore guère le droit français de la sécurité des
produits, déjà très protecteur ».
Nos réserves face à cette directive ne sont donc pas une position de principe.
Nous ne sommes pas hostiles, de façon systématique, à la transposition d'une
directive européenne dans notre système juridique, dès lors qu'elle le
complète, l'enrichit ou l'approfondit. En revanche, s'il s'agit d'introduire
des dispositions qui marquent une régression de notre droit, nous nous y
opposons catégoriquement.
Tous les intervenants s'accordent à le reconnaître, le système juridique
français en matière de responsabilité du fait des produits défectueux offre un
niveau de protection très élevé au consommateur, malgré sa complexité.
Ainsi, la prévention est mise en oeuvre par la loi du 21 juillet 1983 et
organisée par le code de la consommation. Les sanctions sont, elles, prévues
par la loi du 1er août 1905, par le code de la consommation et par le code
pénal. Quant à la réparation, elle est couverte par plusieurs dispositions
législatives du code civil et diverses jurisprudences.
Sous couvert d'une transposition de directive, cette proposition de loi
conduit à réduire et à désavouer notre dispositif juridique et son principe de
protection.
S'agissant de l'exclusion du champ d'application de la loi des éléments et
produits du corps humain, ajoutée par nos collègues de l'Assemblée nationale,
nous souhaitons réaffirmer notre attachement à cet alinéa, et ce pour des
raisons éthiques évidentes.
Les éléments et produits du corps humain ne doivent pas être considérés comme
des marchandises. Ils ne doivent pas donner lieu à un quelconque commerce. Ce
point est primordial. Je tiens d'ailleurs à rappeler que deux directives
européennes, prises depuis 1985, ont déjà exclu le sang, les cellules sanguines
et le plasma d'origine humaine d'un tel dispositif.
Au-delà des raisons théoriques, que nous a exposées M. le rapporteur, notre
fermeté sur ce point pourrait être un message fort adressé à Bruxelles : la
France sera intransigeante sur le respect de la dignité de la personne, ce qui
passe par l'exclusion du marché des éléments et produits du corps humain.
La directive à laquelle il nous est demandé de conformer nos textes laisse à
chaque Etat membre, selon l'article 189 du traité de Rome, toute liberté «
quant à la forme et aux moyens » nécessaires pour atteindre les objectifs
fixés.
Or, cette liberté, cette marge de manoeuvre est-elle suffisamment exploitée
dans la proposition de loi qui nous est soumise ? Nous pensons que non.
L'article 15 de la directive du 25 juillet 1985 précise que chaque Etat membre
peut, par dérogation à l'article 7, maintenir ou non la disposition concernant
l'exonération de la responsabilité du producteur sur le risque de
développement.
C'est l'une des principales faiblesses de ce texte. Comme M. le rapporteur,
nous ne sommes pas favorables à cette possibilité d'exonération. En effet, elle
pourrait conduire à des dérives technologiques et scientifiques sans que les
victimes aient les moyens de se défendre réellement.
La responsabilité du producteur nous paraît être l'un des facteurs de
moralisation de notre économie. Notre devoir de législateur est de protéger
avant tout les victimes tout en respectant les droits des producteurs. Nous
pouvons donc contribuer à assainir les relations entre producteur et
consommateur, car ce rapport, aujourd'hui, n'est pas équilibré. Pour un certain
nombre de fabricants peu scrupuleux, l'important est moins l'acte de consommer
que l'acte d'acheter le produit.
La défectuosité d'un produit résulte, le plus souvent, d'une volonté de
baisser au maximum les coûts de fabrication : on choisit des matières premières
de moins bonne qualité, on ne vérifie pas la mise aux normes des produits, on
diminue non seulement les budgets de recherche-développement, mais aussi le
coût du travail et les salaires.
Le nombre des produits défectueux augmente du fait des records de productivité
: il s'agit là de deux éléments d'une même logique, celle du libéralisme
sauvage.
Nous jugerons du texte final au regard du droit français en vigueur et non sur
la base d'une directive européenne dont la transposition pure et simple
contribuerait à léser les consommateurs.
Si le texte aboutit à atténuer notre système juridique en matière de
responsabilité du producteur et de droit de la victime, nous nous y
opposerons.
Madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes résolus à préserver et à
développer le niveau de protection des consommateurs.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je formulerai simplement quelques remarques à la suite des
interventions des différents orateurs.
Monsieur le rapporteur, il ne s'agit bien entendu pas d'instaurer
l'irresponsabilité. En effet, si la directive ne s'applique pas, le droit
national et notre jurisprudence mettent à la charge des producteurs une
obligation de sécurité absolue.
M. Marcel Charmant.
C'est sûr !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Si la directive s'applique, les producteurs devront
prouver l'impossibilité de connaître le vice en l'état des connaissances
techniques et scientifiques.
Le Gouvernement doit bien évidemment veiller à la protection des
consommateurs, mais il lui faut aussi prendre en compte l'intérêt général de
l'économie française.
Le texte proposé opère des choix tout en essayant de préserver un équilibre.
Il n'instaure pas une irresponsabilité, et ce pour deux raisons : tout d'abord,
en ce qui concerne les assurances, la question ne s'est posée que pour les
transfusions sanguines, et les assureurs ont refusé d'assurer les risques
encourus par les receveurs.
M. Marcel Charmant.
Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
D'une façon générale, il est impossible de s'assurer
contre un risque non déterminé et, par conséquent, illimité.
M. Marcel Charmant.
Absolument !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Actuellement, l'assurance visant à couvrir sa
responsabilité civile comporte des plafonds. Il faut bien avoir conscience de
ces problèmes.
M. Huriet a déclaré avec raison que ce texte mêlait étroitement des enjeux de
nature très différente. En effet, cette proposition de loi comporte des enjeux
éthiques, sociaux et économiques. C'est pourquoi il est difficile de prendre
une décision et d'instaurer un équilibre.
M. Huriet a mentionné l'innovation en matière de recherche. L'exonération de
responsabilité est-elle le prix à payer pour permettre de trouver des
traitements pour les malades ? Tel n'est pas le choix opéré par le
Gouvernement, car les dommages causés par l'application d'une thérapie sont
jugés d'autant plus inacceptables qu'ils sont opposés à la finalité du soin.
M. Calmejane a notamment souhaité une exonération totale du producteur pour
les risques de développement. La spécificité des produits du corps humain et
des produits de santé a justifié, pour le Gouvernement, la solution proposée,
qui me paraît constituer un bon équilibre entre les intérêts de chacun.
M. Calmejane est favorable à l'exonération du risque de développement dans
tous les secteurs confrontés à l'impossibilité de s'assurer. Le Gouvernement a
procédé à un autre choix, car il estime être en charge non pas des intérêts des
uns ou des autres, mais de l'intérêt général. C'est pourquoi il a choisi
l'exonération du risque de développement pour tous les produits, à l'exception
des produits à hauts risques.
Monsieur Charmant, je vous remercie d'avoir, à juste titre, souligné que la
directive ne se substitue pas à notre législation nationale et qu'elle apporte
une protection supplémentaire aux consommateurs victimes.
Vous avez tenu compte raisonnablement de la spécificité des produits du corps
humain. Il est exact que la question de l'indemnisation pour les produits de
santé soumis à autorisation se pose.
Des discussions sont en cours concernant aussi bien la veille sanitaire que
l'aléa thérapeutique.
Madame Terrade, ce texte ne peut en aucun cas constituer une régression,
puisqu'il vise non à une substitution de législation mais à l'ajout d'un
nouveau dispositif de protection pour les consommateurs victimes. L'exclusion
du champ d'application des produits du corps humain est conforme à notre
obligation de transposition.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - Il est inséré, dans le livre III du code civil, après l'article
1386, un titre IV
bis
ainsi rédigé :
« IV
bis
. - De la responsabilité du faitdes produits défectueux »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - Il est inséré, dans le titre IV
bis
du livre III du code
civil, un article 1386-1 ainsi rédigé :
«
Art. 1386-1. -
Le producteur est responsable du dommage causé par un
défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
« Ne sont pas considérés comme producteurs, au sens du présent titre, les
professionnels exposés au régime de responsabilité organisé par les articles
1792 à 1792-6 et 1646-1 du code civil. »
Par amendement n° 1, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer
le second alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article
1386-1 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Le second alinéa de l'article 2 exclut du champ d'application
du nouveau régime de responsabilité les professionnels du secteur de la
construction immobilière qui sont d'ores et déjà soumis au régime de
responsabilité de plein droit organisé par les articles 1792 à 1792-6 et 1646-1
du code civil, visant la responsabilité du constructeur d'un ouvrage et du
vendeur d'un immeuble à construire. Cette exclusion se veut conforme à l'esprit
de la directive qui exclut les immeubles de son champ d'application.
S'il est vrai que, dès lors, il pourrait paraître inutile de prévoir une telle
exclusion, celle-ci semble néanmoins nécessaire dans la mesure où l'article 4
de la proposition de loi intègre dans le champ d'application du nouveau régime
de responsabilité les meubles incorporés dans des immeubles, ce qui introduit
un doute et serait probablement source de difficultés d'application.
Cela étant, cette disposition, que nous croyons fondée, doit néanmoins figurer
non pas au présent article, mais à l'article 7 de la proposition de loi, qui
définit la notion de producteur.
C'est donc à l'occasion de l'examen de l'article 7 que nous exclurons du champ
d'application du nouveau dispositif, d'une manière générale, les constructeurs
ainsi que leurs sous-traitants.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement. En
effet, sur la forme, la commission des lois a raison de souhaiter évoquer le
régime de responsabilité applicable aux constructeurs à l'article 7 de la
proposition de loi. Sur le fond, j'émettrai des réserves sur la proposition de
la commission, mais je m'en expliquerai le moment venu.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2, ainsi modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-2 ainsi rédigé
:
«
Art. 1386-2. -
Les dispositions du présent titre s'appliquent à la
réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien
autre que le produit défectueux lui-même. » -
(Adopté.)
Article 4
M. le président.
« Art. 4. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-3 ainsi rédigé
:
«
Art. 1386-3. -
Est un produit tout bien meuble, même s'il est
incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l'élevage, de la
chasse et de la pêche. L'électricité est considérée comme un produit.
« Les dispositions du présent titre ne sont pas applicables aux éléments du
corps humain et aux produits qui sont issus de celui-ci. »
Par amendement n° 2, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer
le second alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article
1386-3 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Cet amendement vise à supprimer l'exclusion du nouveau régime
issu de la directive des éléments du corps humain et des produits issus de
celui-ci. Ces derniers ont été au centre de la discussion générale, et je vous
renvoie donc, mes chers collègues, aux explications que j'ai données dans mon
intervention liminaire.
L'Assemblée nationale, au début de l'année dernière, a voulu exclure les
éléments et produits du corps humain du système de la directive.
Or, la directive ne permet pas cette exclusion, et cet argument devrait se
suffire à lui-même puisque nous devons impérativement transposer la
directive.
En outre, je ne vois pas pourquoi exclure de ce nouveau système les éléments
et produits du corps humain. D'ailleurs, sur ce point, comme sur beaucoup
d'autres, on risque de se tromper, car, dans ce cas, les produits du corps
humain restent dans le système de droit français classique lequel est
probablement encore plus protecteur.
De toute façon, cela ne change pas grand-chose. La directive apporte
essentiellement une simplification dans la mise en oeuvre des responsabilités.
Il n'y a pas de raison de ne pas étendre cette simplification aux éléments et
produits du corps humain.
Nous pensons donc qu'il y a lieu de ne pas exclure les éléments et produits du
corps humain du nouveau régime issu de la directive.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet un avis favorable. Nous comprenons
que la commission ne souhaite pas opérer de distinction entre les produits et,
en conséquence, inclure dans le champ d'application de la loi de transposition
les éléments du corps humain et les produits qui sont issus de celui-ci.
Son choix s'explique par son souci de n'exonérer aucun producteur pour risque
de développement quelle que soit la nature des biens qu'il met en
circulation.
Si le Gouvernement n'entend pas faire du risque de développement une cause
générale d'exonération, du moins est-il, pour des raisons éthiques évidentes,
en accord avec la commission s'agissant des éléments et produits du corps
humain.
J'aurai l'occasion de m'expliquer sur ce point lors de l'examen de l'article
12. Dans l'immédiat, je me rallie à la suppression proposée.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 2.
Mme Odette Terrade.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Le second alinéa de l'article 4, tel qu'il est rédigé et tel que nous
voudrions le voir maintenu, nous paraît de nature à clarifier la volonté du
législateur de bien distinguer les éléments et produits du corps humain de
l'ensemble des autres produits. Introduire ceux-là dans le champ d'application
du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux conduirait
inéluctablement à leur donner un caractère industriel et commercial, ce que
nous refusons catégoriquement.
Nous redoutons une telle perspective. Or adopter cet amendement de suppression
constituerait un premier pas que nous ne voulons pas franchir.
De plus, il nous semble que le régime de responsabilité du fait des produits
défectueux est moins protecteur pour le consommateur que notre droit actuel.
Certes, M. le rapporteur nous explique que la victime aura le choix entre les
deux régimes. On risque, en réalité, de créer des confusions sur cette question
très délicate des produits du corps humain.
Un système cohérent et clair est la meilleure garantie pour l'exercice des
droits de la victime. Monsieur le rapporteur, le groupe communiste républicain
et citoyen est opposé à votre amendement n° 2 pour des raisons d'éthique et de
transparence.
M. Marcel Charmant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant.
Nous suivrons le Gouvernement et voterons donc l'amendement n° 2. J'indique
néanmoins que Mme le garde des sceaux et M. le rapporteur ne se situent pas
tout à fait dans la même perspective.
Lors de l'examen par l'Assemblée nationale du premier texte, dont j'étais le
rapporteur, la notion de produits du corps humain avait été introduite. En
effet, en 1991, le débat autour du sang contaminé mettait en exergue ce
point.
M. le rapporteur considère qu'il serait contraire à la directive de faire
figurer cette notion dans le texte de loi. Non ! En effet, la directive évoque
les produits, notamment les produits industriels, mais ne fait en aucun cas
référence au corps humain.
Par conséquent, nous voterons l'amendement n° 2 compte tenu non pas de
l'interprétation de la commission, mais de celle du Gouvernement, qui, par
ailleurs, propose de maintenir l'exonération du risque de développement.
(Mme le garde des sceaux opine.)
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je
suis favorable à l'amendement de la commission, car il nous appartient, me
semble-t-il, d'établir un régime de responsabilité homogène quelle que soit la
nature des activités et des branches industrielles concernées.
Cela ne doit pas s'opposer à la prise de conscience de l'existence de risques
spécifiques à certaines activités, et je pense ici à un problème de fond qui
est présent à beaucoup de nos esprits, à savoir le risque thérapeutique. En ce
domaine, bien des réflexions se sont exprimées et bien des propositions ont été
faites. Je crois important de rappeler l'urgence qu'il y a à prendre des
dispositions législatives en la matière, en instaurant en particulier un
système d'assurance bien spécifique compte tenu des besoins sociaux qui
s'expriment et de la complexité sans cesse croissante des techniques
biomédicales.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, ainsi modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
M. le président.
« Art. 5. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-4 ainsi rédigé
:
«
Art. 1386-4. -
Un produit est défectueux au sens du présent titre
lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement
s'attendre.
« Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement
s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment
de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement
attendu et du moment de sa mise en circulation.
« Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un
autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation. » -
(Adopté.)
Article 6
M. le président.
« Art. 6. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-5 ainsi rédigé
:
«
Art. 1386-5. -
Un produit est mis en circulation lorsque le
producteur s'en est dessaisi volontairement.
« Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation. »
Par amendement n° 3, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer
le second alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un article
1386-5 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Le second alinéa du texte proposé par l'article 6 pour
l'article 1386-5 du code civil prévoit que le produit ne fait l'objet que d'une
seule mises en circulation. Or cette disposition est contradictoire avec
l'article 8, qui admet la responsabilité non seulement du producteur, qui
effectue une première mise en circulation, mais aussi du vendeur, qui en fait
une deuxième et, éventuellement, du loueur, qui peut en faire une troisième. Il
peut donc, de toute évidence, y avoir plusieurs mises en circulation.
Par conséquent, il me semble nécessaire de supprimer cet alinéa.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. En
effet, pour des besoins de sécurité juridique, il lui paraît nécessaire de
maintenir la précision qui figure dans cet alinéa.
Comme l'a relevé la commission dans son rapport, la mise en circulation a des
effets juridiques importants, notamment en ce qui concerne l'extension, au bout
de dix ans, de la responsabilité du producteur, les causes d'exonération de
celui-ci, l'obligation de suivi du produit et l'application dans le temps du
régime intégrant la directive.
Il faut donc que la mise en circulation corresponde à un moment précis qui ne
soit pas susceptible de contestation. La succession de mise, en circulation à
chaque désistement d'un des membres de la chaîne de commercialisation
conduirait à un système complexe multipliant les difficultés de preuve et
pourrait induire la victime en erreur. Elle pourrait viser le fabricant alors
qu'il se serait dessaisi depuis plus de dix ans du produit dans les mains du
revendeur.
La conservation pendant un certain temps par l'un quelconque des membres de la
chaîne de distribution du produit modifierait le délai d'extinction, qui ne
répondrait plus alors à des critères objectifs.
Enfin, il est clair que la directive a entendu lier la responsabilité
objective qu'elle édicte à une période de durée raisonnable au terme de
laquelle la responsabilité doit s'éteindre.
Je voudrais, à cet égard, vous lire un considérant de la directive, qui me
paraît dépourvu d'ambiguïté : « Considérant que les produits s'usent avec le
temps, que des normes de sécurité plus strictes sont élaborées et que les
connaissances scientifiques et techniques progressent,... que la reponsabilité
du producteur doit donc s'éteindre après une période de durée raisonnable, sans
préjudice toutefois des actions pendantes... »
Compte tenu de cet éclairage et pour des raisons de sécurité juridique, je ne
peux être que défavorable à cet amendement.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Madame le garde des sceaux, j'avoue que je suis tout de même
un peu surpris !
L'article 8, que nous allons examiner dans un instant, prévoit que « le
vendeur, le loueur ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du
défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur ». Or
il peut fort bien arriver qu'un produit sorte de l'usine, soit donc mis une
première fois en circulation, puis soit livré à un grossiste avant de l'être à
un détaillant, et soit ensuite éventuellement loué. Il se sera écoulé alors un
certain nombre d'années entre le moment où le produit est sorti de l'usine,
date de la première mise en circulation, et le moment où il aura été vendu au
client. Or c'est ce dernier moment qui compte pour le client, qui peut être
victime d'un éventuel dommage ! Si quatre ou cinq ans se sont déjà écoulés
depuis la première mise en circulation, le client voit le délai dans lequel il
peut agir considérablement restreint !
Comme je disais tout à l'heure, le délai de dix ans qui est prévu constitue
déjà une restriction assez fâcheuse par rapport à notre droit commun. En effet,
si un tel délai existe bien dans notre droit, il part du moment où le dommage
est connu. Or, ici, ce n'est pas le cas ! En maintenant votre position, madame
le garde des sceaux, vous risquez donc de réduire considérablement les
possibilités d'action de la victime d'un dommage.
Je ne comprends pas : dès lors que l'on admet la responsabilité du vendeur, du
loueur et du fournisseur, il faut admettre qu'il y a une mise en circulation à
chaque niveau, étant bien entendu que celle qui compte, pour la victime d'un
dommage, c'est la dernière !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6, ainsi modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
M. le président.
« Art. 7. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-6 ainsi rédigé
:
«
Art. 1386-6.
- Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel,
le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le
fabricant d'une partie composante.
« Est assimilée à un producteur pour l'application du présent titre toute
personne agissant à titre professionnel :
« 1° Qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa
marque ou un autre signe distinctif ;
« 2° Qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente,
d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de
distribution. »
Par amendement n° 4, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de compléter
in fine
le texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-6
dans le code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Ne sont pas considérés comme producteurs, au sens du présent titre, les
professionnels, ainsi que leurs sous-traitants, exposés au régime de
responsabilité organisé par les articles 1792 à 1792-6 et 1646-1. »
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 27, présenté par le
Gouvernement, et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n° 4 pour
compléter l'article 1386-6 du code civil, à remplacer les mots : « les
professionnels, ainsi que les sous-traitants, exposés au régime de
responsabilité organisé par les », par les mots : « les personnes dont la
responsabilité peut être recherchée sur le fondement des ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il s'agit de préciser la notion de constructeur, que j'ai
évoquée tout à l'heure.
Les sous-traitants participent à l'action de construction, bien qu'ils ne
soient pas directement visés par les articles 1792 et suivants du code civil.
Il nous paraît donc souhaitable de préciser que « ne sont pas considérés comme
producteurs, au sens du présent titre, les professionnels, ainsi que les
sous-traitants, exposés au régime de responsabilité organisé par les articles
1792 à 1792-6 et 1646-1 ».
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour donner l'avis du Gouvernement
sur l'amendement n° 4 et pour présenter le sous-amendement n° 27.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur
l'amendement n° 4, à moins que la commission accepte le sous-amendement qu'il
propose.
J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer, lors de l'examen de l'amendement n° 1, que
la question de l'assimilation ou non des constructeurs et de leurs
sous-traitants aux producteurs relève de l'article 7.
Je ne peux souscrire totalement aux arguments de la commission. En effet, la
formulation utilisée à propos des constructeurs me semble de nature, par sa
généralité, à susciter des controverses, puisque la responsabilité des
constructeurs peut être recherchée sur un autre fondement que la responsabilité
de plein droit des articles 1792 et suivants du code civil. En outre, la
responsabilité des constructeurs ne vise pas uniquement les professionnels.
Je préfère donc une expression plus précise, de nature à faire apparaître que
les constructeurs n'échappent au champ du texte de transposition que lorsque
leur responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 et
suivants.
Ensuite, le Gouvernement est opposé à ce que les sous-traitants soient exclus
du champ de la responsabilité du fait des produits défectueux, car la
responsabilité prévue par les articles 1792 à 1792-6 du code civil, qui seuls
justifient cette exclusion en faveur des constructeurs, ne leur est pas
applicable. Ils sont en effet soumis à l'égard du maître de l'ouvrage à la
responsabilité délictuelle du droit commun, dont la mise en oeuvre suppose la
preuve d'une faute.
En outre, cette exclusion se traduirait par une inégalité entre les
sous-traitants, puisque seuls les sous-traitants du domaine de la construction
se verraient préservés de l'application des dispositions de la présente loi,
alors que rien ne justifie cette inégalité de traitement.
C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a déposé le sous-amendement n°
27, qui est propre à répondre aux deux préoccupations que je viens
d'évoquer.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 27 ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Avec ce sous-amendement, le Gouvernement propose, d'une part,
une modification d'ordre formel et, d'autre part, une modification de fond
consistant à ne pas prendre en compte les sous-traitants dans l'exclusion des
professionnels de la construction du régime issu de la directive.
La commission a, pour sa part, souhaité exclure du champ d'application du
nouveau régime de responsabilité tous les professionnels de la construction,
donc à la fois l'entrepreneur principal et les sous-traitants. Or ceux qui ont
la pratique du secteur du bâtiment savent que la plus grande partie des
constructions actuellement réalisées en France le sont par des sous-traitants.
On ne peut donc pas distinguer ces derniers du constructeur principal, car ce
sont bien des constructeurs, exactement comme le titulaire du marché.
Certes, les sous-traitants ne sont pas liés juridiquement avec le maître
d'ouvrage et ne sont donc pas tenus à la responsabilité décennale ou biennale.
Ils peuvent cependant être appelés en garantie par l'entrepreneur principal.
Ainsi, l'appel en garantie a souvent pour objet de faire supporter par le
sous-traitant des pénalités de retard encourues par l'entrepreneur
principal.
En outre, l'article 1792-4 du code civil prévoit un cas de responsabilité
solidaire qui concene certains sous-traitants en visant le « fabricant d'un
ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit
pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à
l'avance ».
Si nous avons exclu le secteur du bâtiment, madame le garde des sceaux, ce
n'est pas parce que la responsabilité des intéressés n'engage pas la sécurité -
au demeurant, les articles visés concernent ce que l'on appelle les garanties
biennale et décennale, qui sont des responsabilités techniques à l'égard des
malfaçons éventuelles de la construction - mais tout simplement parce que c'est
un moyen pratique de définir les personnes en cause.
Par ailleurs, la directive concerne les produits meubles ; or, par définition,
la construction n'est pas un meuble, et tous les constructeurs, y compris les
sous-traitants, doivent donc être concernés par cette exclusion. Cela me paraît
être une question de logique, de clarté et de bonne technique juridique. Ce
n'est pas un problème de fond !
Pour ces raisons, la commission a le regret de ne pas pouvoir être favorable
au sous-amendement du Gouvernement.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 27, repoussé par la commission.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 4.
Mme Odette Terrade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
L'amendement n° 4 vise à écarter de la définition du producteur les
sous-traitants et les professionnels de la construction immobilière. De plus,
les articles du code civil qui sont visés dans cet amendement et qui organisent
ce secteur apparaissent moins protecteurs pour les consommateurs, et
d'application difficile.
Pour ces différentes raisons, le groupe communiste républicain et citoyen
votera contre l'amendement de la commission.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Par amendement n° 32, M. Charmant et les membres du groupe socialiste et
apparentés proposent de compléter le texte présenté par l'article 7 pour
l'article 1386-6 du code civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Si le producteur ne peut être identifié, chaque fournisseur en sera
considéré comme producteur, à moins qu'il n'indique à la victime, dans un délai
raisonnable, l'identité du producteur ou de celui qui lui a fourni le produit.
»
La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant.
Cet amendement a pour objet d'introduire dans le texte de la proposition de
loi une disposition de la directive qui n'y figure pas et qui prévoit que,
lorsque le producteur ne peut être identifié, chaque fournisseur sera considéré
comme producteur, à moins qu'il ne fasse connaître à la victime l'identité du
producteur ou de celui qui a fourni le produit.
Il s'agit de protéger le consommateur en lui permettant d'atteindre assez
facilement le responsable du défaut du produit, que ce soit le producteur ou le
commerçant. Nous permettons également au commerçant de se décharger de sa
responsabilité sur le producteur en faisant connaître son identité.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission comprend les préoccupations de M. Charmant,
mais il lui semble que l'article 8 de la proposition de loi y répond : « Le
vendeur, le loueur ou tout autre fournisseur professionnel est responsable du
défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur. »
Je souhaite donc que M. Charmant accepte de retirer son amendement, faute de
quoi la commission y serait défavorable, car il est satisfait.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement n'est pas non plus favorable à cet
amendement. D'abord, parce qu'il ne paraît pas compatible avec le texte de
l'article 8 de la proposition de loi, qui n'établit pas de hiérarchie entre les
différents intervenants de la chaîne de production et de distribution. Ensuite,
parce que notre droit national permet à la victime de se retourner
indifféremment contre l'un quelconque des membres de cette chaîne.
M. le président.
Monsieur Charmant, l'amendement est-il maintenu ?
M. Marcel Charmant.
Comment ne pas se rallier à deux avis aussi éclairés ?
(Sourires.)
Je regrette que le texte de la directive ne soit pas pris en compte, mais
je retire mon amendement.
M. le président.
L'amendement n° 32 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
M. le président.
« Art. 8. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-7 ainsi rédigé
:
«
Art. 1386-7. -
Le vendeur, le loueur ou tout autre fournisseur
professionnel est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes
conditions que le producteur.
« Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la
demande émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans
l'année suivant le moment où il est lui-même cité en justice. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 5 rectifié, M. Fauchon, au nom de la commission, propose,
dans le premier alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un
article 1386-7 dans le code civil, après les mots : « le loueur », d'insérer
les mots : « ; à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilé au
crédit-bailleur, »
Par amendement n° 24, le Gouvernement propose, dans le premier alinéa du texte
présenté par l'article 8 pour l'article 1386-7 du code civil, après les mots :
« le loueur », d'insérer les mots : « lorsqu'il a eu la détention matérielle du
produit ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 5 rectifié.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission propose, par cet amendement, de ne pas
assimiler le crédit-bailleur au producteur. En effet, le crédit-bailleur, dont
l'intervention est purement financière, n'a pas à répondre des responsabilités
du producteur, du vendeur ou du loueur ; comme on le dit un peu sommairement,
le produit ne lui passe pas par les mains : il n'intervient ni dans le choix du
matériel, ni dans les pourparlers avec le fournisseur, ni, éventuellement, dans
les modalités du contrat. En pratique, la garantie due par le vendeur du
matériel est transférée au bénéfice du locataire.
C'est la raison pour laquelle nous proposons - notre rédaction nous paraît
préférable, je le dis immédiatement - qu'il y ait une exception pour le
crédit-bailleur. De plus, pour éviter que d'autres contrats du même type, que
nous aurions omis de mentionner, ne créent le même type de situation, nous
ajoutons les mots : « ou du loueur assimilé au crédit-bailleur », afin de
couvrir toutes les hypothèses.
Nos intentions sont claires. Je ne prétends pas que notre rédaction soit
parfaite, mais, comme nous sommes en première lecture, elle pourra
éventuellement être améliorée.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour donner l'avis du Gouvernement
sur l'amendement n° 5 rectifié et pour présenter l'amendement n° 24.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement souhaite exclure les bailleurs qui
n'ont qu'un rôle financier. Mais, à cet égard, la référence au crédit-bail
proposée par la commission lui paraît trop réductrice.
M. Jean-Jacques Hyest.
Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
C'est pourquoi il a déposé un amendement qui vise à
étendre l'exception à tous les loueurs qui ne fournissent pas matériellement le
produit et qui n'en ont donc jamais eu la détention.
La commission préfère une autre formulation, en raisonnant par analogie à
partir du crédit-bail. Je ne suis pas certaine que cette technique
d'assimilation soit plus explicite.
Je considère - sur ce point, je suis d'accord avec la commission des lois -
que ne peuvent être assimilés à des producteurs les loueurs qui n'ont qu'un
rôle purement financier dès lors qu'ils ne fournissent pas la chose.
La commission des lois, je l'ai dit, estime qu'il suffit d'exclure les
opérations de crédit-bail. Mais il existe d'autres formes de location
financière, et c'est pourquoi le Gouvernement préfère une formule générique qui
permet d'exclure l'ensemble des personnes qui n'ont pas eu, à quelque moment
que ce soit, la détention matérielle de la chose.
En fait, nous avons la même intention. Il s'agit simplement d'une question de
formulation.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 24 ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission, sans y mettre aucun entêtement, bien entendu,
préfère sa rédaction. La formulation « lorsqu'il a eu la détention matérielle
du produit » lui paraît en effet génératrice de contentieux, la question se
posant de savoir si l'on a eu ou non la détention matérielle du produit.
Il semble préférable de se référer à une notion intellectuelle et abstraite,
celle de contrat de crédit-bail, qui est plus large et de nature à éviter ce
genre de contentieux factuel sur la détention matérielle ou non duproduit.
Comme on nous a fait observer que ce genre de situation pouvait exister dans
d'autres contrats qui ne portent pas la dénomination de crédit-bail, nous avons
ajouté les mots : « ou du loueur assimilé au crédit-bailleur ». Cette rédaction
est plus convenable et répond mieux à la préoccupation qui nous est commune.
M. le président.
Les explications de M. le rapporteur sont-elles de nature à modifier l'avis du
Gouvernement, madame le ministre ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je m'en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Le Gouvernement et la commission ont, en fait, la même préoccupation. Hélas !
les deux formules pèchent.
Qu'est-ce qu'un contrat « assimilé » au crédit-bail ? Le crédit-bail est
quelque chose de précis. La location avec option d'achat est-elle assimilable
au crédit-bail ? J'en doute. De plus, de nouveaux produits vont, à l'évidence,
apparaître sur le marché, car les choses évoluent sans cesse. Il ne manquera
pas de se poser des problèmes d'interprétation.
La formule proposée par le Gouvernement est un peu large, un peu floue. Elle
me paraît toutefois préférable, quitte à y revenir.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je me permets de maintenir le point de vue de la
commission.
C'est vrai, on ne peut pas prévoir toutes les formes de contrat qui seront
inventées dans le domaine commercial ; on peut en inventer qui correspondront à
des interventions uniquement financières, mais ne seront pas du tout du type de
celles qui doivent être soumises au régime que nous sommes en train
d'instituer.
Mais, précisément, nous avons cru répondre par avance à cette hypothèse en
disant : « ou assimilé ». On ne peut pas prévoir autrement des choses qui
n'existent pas encore et qui apparaîtront peut-être dans deux ou trois ans !
M. Jean-Jacques Hyest.
Je préférerais « assimilable ».
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
J'accepte, si vous le souhaiter, le terme « assimilable ».
J'espère ainsi vous donner satisfaction, monsieur Hyest, puisque nous
partageons la même préoccupation et que nous cherchons une rédaction aussi
adaptée que possible.
Nous sommes en première lecture, et il est certain que tout cela est
perfectible.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 5 rectifié
bis,
présenté par M.
Fauchon, au nom de la commission, et tendant, dans le premier alinéa du texte
présenté par l'article 8 pour insérer un article 1386-7 dans le code civil,
après les mots : « le loueur », à insérer les mots : « , à l'exception du
crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ».
Quel est l'avis du Gouvernement sur cet amendement n° 5 rectifié
bis
?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement ne varie pas : il s'en remet à la
sagesse du Sénat.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5 rectifié
bis.
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Je persiste à penser, comme notre collègue M. Hyest, que la notion d'assimilé,
ou d'assimilable, est génératrice de contentieux. En effet, il s'agira bien de
porter un jugement sur la nature d'un produit financier. Or, qui va dire de
manière invariable que tel nouveau montage inventé en termes de technique
financière est assimilé ou assimilable au crédit-bail ?
Avec une intention identique, le Gouvernement me semble proposer une rédaction
plus large, de nature à éviter ces risques de contentieux et de jurisprudence
variable d'un tribunal à l'autre.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je continue de penser - on voudra bien m'en excuser - que la
notion d'assimilation, parce qu'elle est abstraite, est plus large, et
d'application plus aisée que celle de la détention matérielle, qui ne manquera
pas, je le répète, d'engendrer un débat factuel qui s'éloigne, me semble-t-il,
de nos préoccupations.
En tout cas, soutenant le point de vue de la commission des lois, je ne puis
qu'exprimer ma préférence pour sa rédaction.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5 rectifié
bis
, pour lequel le
Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'amendement n° 24 n'a plus d'objet.
Par amendement n° 17, M. Hyest propose, après le premier alinéa du texte
présenté par l'article 8 pour l'article 1386-7 du code civil, d'insérer un
alinéa ainsi rédigé :
« Ne sont pas considérés comme producteur, vendeur, loueur ou fournisseur
professionnel au sens du présent titre les professionnels exposés au régime de
responsabilité organisé par les articles 1792 à 1792-6 du code civil et leurs
sous-traitants, ainsi que le vendeur d'immeuble à construire défini par
l'article 1646-1 du code civil. »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Dans la mesure où la disposition qui était prévue par l'Assemblée nationale à
l'article 2 a été reportée à l'article 7, mon amendement a moins d'intérêt
puisque les articles 7 et 8 se complètent.
L'objectif que je poursuivais était qu'on ne puisse pas considérer comme
producteur ou loueur, dans cet article 8, et pour les mêmes motifs, les
professionnels exposés au régime de responsabilité organisé par les articles
1792 à 1792-6 du code civil et leurs sous-traitants.
Bien entendu, monsieur le président, je serai sans doute amené à retirer cet
amendement si l'on me précise bien que les deux choses sont liées, qu'on ne
risque donc pas d'engendrer des contentieux. Bien sûr, cela pourrait favoriser
le développer de certaines activités, mais ce n'est pas ce qui est
recherché.
Je retirerai donc mon amendement s'il est bien précisé que les professionnels
visés à l'article 7 le sont également à l'article 8.
M. le président.
La commission peut-elle assurer M. Hyest que tel est bien le cas ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Oui, monsieur le président. Notre collègue peut retirer son
amendement en toute sécurité.
M. le président.
Est-ce également l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Oui, monsieur le président.
De toute façon, je n'étais pas favorable à cet amendement.
M. Jean-Jacques Hyest.
Dans ces conditions, je retire l'amendement, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 17 est retiré.
Par amendement n° 6, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, après les
mots : « il doit agir dans l'année suivant », de rédiger comme suit la fin de
la seconde phrase du second alinéa du texte proposé par l'article 8 pour
insérer un article 1386-7 dans le code civil : « la date de sa citation en
justice ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il s'agit d'un amendement purement rédactionnel.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Favorable.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 6, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article 9
M. le président.
« Art. 9. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-8 ainsi rédigé
:
« Art. 1386-8.
- En cas de dommage causé par le défaut d'un produit
incorporé dans un autre, le producteur de la partie composante et celui qui a
réalisé l'incorporation sont solidairement responsables. » -
(Adopté.)
Article 10
M. le président.
« Art. 10. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-9 ainsi rédigé
:
«
Art. 1386-9.
- Le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le
lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
Par amendement n° 7, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, après les
mots : « doit prouver le dommage », de rédiger comme suit la fin du texte
présenté par cet article pour insérer un article 1386-9 dans le code civil : «
et le lien de causalité entre le produit et le dommage ».
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 28, présenté par le
Gouvernement, et tendant, dans le texte proposé par l'amendement n° 7, après le
mot : « produit », à insérer le mot : « défectueux ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 7.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La question est d'ordre purement juridique.
Le texte qui nous est soumis précise que : « Le demandeur doit prouver le
dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. »
Notre attention a été attirée sur le fait que, s'agissant d'une responsabilité
sans faute, selon les intentions des auteurs de la directive, il est dangereux
d'écrire que la victime doit prouver non seulement le dommage et le lien de
causalité entre le défaut et le dommage mais encore la réalité du défaut.
Je rappelle que, dans notre droit, selon l'article 1384 du code civil, on doit
prouver le dommage, la relation entre la chose et le dommage, c'est-à-dire le
lien de causalité, mais non pas que la chose est en elle-même fautive.
Par conséquent, cette disposition nous a paru contraire à la fois au texte
même de la directive, qui institue une responsabilité sans faute, et aux règles
générales de notre droit. D'où la rédaction de la commission.
J'ajoute immédiatement que le sous-amendement du Gouvernement, qui consiste à
préciser qu'il s'agit d'un produit « défectueux », introduit l'idée selon
laquelle il faut prouver le lien de causalité avec un produit défectueux, ce
qui rejoint la définition générale : « Est défectueux un produit qui ne répond
pas à l'attente légitime des consommateurs. » Je salue l'initiative du
Gouvernement, qui a imaginé cette rédaction.
Dans cette affaire délicate, on est tout de même - il faut bien le dire - un
peu à mi-chemin entre la responsabilité pour risque pure et simple et la
responsabilité pour défectuosité, c'est-à-dire pour une exigence de sécurité à
laquelle on peut légitimement s'attendre. Nous sommes là dans une ligne qui
sera jurisprudentielle un jour, mais qui n'est pas celle à laquelle nous sommes
habitués, qui se situe entre la responsabilité pour risque et la responsabilité
pour faute : c'est la responsabilité pour chose défectueuse.
Dans la mesure, donc, où j'accepte le sous-amendement du Gouvernement, pour
simplifier les débats, je rectifie l'amendement de la commission dans le sens
qu'il souhaite.
M. le président.
Je suis donc saisi d'un amendement n° 7 rectifié, présenté par M. Fauchon, au
nom de la commission, et tendant, après les mots : « doit prouver le dommage »,
à rédiger comme suit la fin du texte proposé par l'article 10 pour insérer un
article 1386-9 dans le code civil : « et le lien de causalité entre le produit
défectueux et le dommage. »
Quel est l'avis du Gouvernement sur cet amendement n° 7 rectifié ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
J'accepte, bien évidemment, l'amendement n° 7 rectifié
de la commission et je retire donc le sous-amendement du Gouvernement, qui n'a
plus d'objet.
M. le président.
Le sous-amendement n° 28 est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Il convient d'abord de rappeler que la directive est extrêmement précise :
elle indique bien qu'il doit y avoir un lien de causalité entre le défaut du
produit et le dommage. On n'a donc pas à interpréter, de ce point de vue, car,
ce faisant, on transforme complètement le texte de la directive, ce qui me
paraît tout de même curieux.
J'ajoute que la formulation proposée - je suis désolé de le dire à M. le
rapporteur - est dangereuse sur le plan juridique. Je vais essayer de vous
expliquer pourquoi.
Cette formulation est dangereuse car elle crée une véritable présomption de
responsabilité pour certains produits. Dès lors qu'il n'est plus nécessaire de
prouver le lien de causalité entre le défaut et le dommage, mais simplement le
lien entre le produit et le dommage, on ne parle plus de causalité, mais
simplement de corrélation. En effet, il suffirait de prouver que la victime a
subi un dommage en utilisant un produit pour que s'établisse, sans plus
d'explications, une causalité présumée attribuant le dommage au produit. En
d'autres termes, il suffirait d'avoir un accident de voiture pour que le
véhicule soit présumé défectueux.
De plus, si cette conception du lien de causalité est retenue, il est à
craindre que le régime de responsabilité du fait des produits, devenu le régime
de droit commun de responsabilité, n'entraîne une explosion contentieuse.
La simplicité du mode de preuve conduirait tous les plaignants à intenter des
actions éventuelles sur ce fondement plutôt que d'avoir à rechercher
véritablement l'existence d'un défaut ou la faute éventuelle d'un producteur
dans le cadre d'un régime de responsabilité pour faute.
A cette présomption de responsabilité déjà profondément contraire à toutes les
règles de preuve du droit français, s'ajouterait ainsi une multiplication des
actions rendues plus faciles, même dans les cas où elles sont manifestement
abusives.
Cette formulation n'est pas conforme au texte de la directive que la
proposition de loi transpose. La formulation retenue par l'Assemblée nationale
est exactement celle de la directive ; elle n'ouvre aucun droit d'option aux
Etats membres sur ce point, me semble-t-il. C'est pourquoi je pense qu'il faut
rejeter l'amendement.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Cette question de la responsabilité est, je le reconnais,
très délicate. La formulation de la directive, résultat de la négociation entre
de nombreux Etats membres, ne peut, par définition, être parfaite, car elle a
été, si je puis dire, coproduite par des professionnels du droit de cultures
juridiques fort différentes, puis traduite dans diverses langues.
La préoccupation de la commission a été de rendre ce texte intelligible, sans
en modifier le fond, dans le système juridique français.
Je relève dans la formulation de la directive une certaine contradiction entre
le fait d'exiger de la victime la preuve du défaut et le deuxième considérant,
aux termes duquel « seule la responsabilité sans faute du producteur permet de
résoudre de façon adéquate le problème... »
On ne peut pas demander au producteur de faire la preuve du défaut après avoir
affirmé qu'il s'agit d'une responsabilité sans faute. Il y a là une
difficulté.
Il me semble qu'avec notre texte nous surmontons cette difficulté - je dois
dire que le Gouvernement nous a grandement aidés - en proposant que la victime
soit tenue de prouver « le dommage et le lien de causalité entre le produit
défectueux et le dommage ». Il s'agit donc non pas de n'importe quel produit,
mais d'un produit défectueux, aux termes de la disposition que nous transposons
: « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la
sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. »
Je disais tout à l'heure, et je souhaite que certains de nos collègues y
soient attentifs, que c'est là qu'est apportée la réponse au risque de
développement. Il faudra prouver qu'il s'agit d'un produit défectueux au sens
de l'article 1386-4, c'est-à-dire d'un produit qui ne présente pas la
sécurité...
M. Jean-Jacques Hyest.
Donc qui a un défaut !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de
circonstances qui sont énumérées dans l'article.
Dans cette affaire, je le répète, aucune rédaction ne sera jamais parfaite. Je
continue de penser que nous devons nous efforcer et de suivre la volonté de la
directive et son inspiration et de retenir une formulation aussi praticable que
possible dans notre système juridique.
La formulation à laquelle nous sommes parvenus est sinon la meilleure de
toutes, du moins, en l'état actuel de nos réflexions, la meilleure que nous
ayons trouvée. Nous ne sommes qu'en première lecture, le débat n'est pas
clos.
M. Jean-Jacques Hyest.
Cette rédaction est moins pire que la première !
M. Marcel Charmant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant.
Je partage le sentiment de M. Hyest.
La directive est simple. L'article 4 stipule : « La victime est obligée de
prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le
dommage. »
Nous devons transcrire une directive et, sur ce point, la transcrire
intégralement. Je ne vois pas en quoi nous pourrions déduire de cette rédaction
la nécessité d'une faute du producteur. Il est simplement dit qu'il faut
prouver un défaut et, logiquement, le lien de causalité entre ce défaut et le
dommage. Cela me paraît le bon sens.
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Je suis tout à fait de l'avis de l'orateur précédent.
Nous avons le choix entre deux rédactions : d'une part, la rédaction qui est
celle de la directive et celle de l'Assemblée nationale en première lecture -
le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre
le défaut et le dommage - et, d'autre part, la rédaction issue de l'amendement
de la commission, rectifié sur l'initiative du Gouvernement, qui fait référence
au lien de causalité entre le produit défectueux et le dommage.
Or, si l'on y réfléchit, quelle est la relation importante ? C'est bien la
relation entre le défaut et le dommage, et il est bien évident que c'est le
produit qui est défectueux puisque nous parlons d'une responsabilité du fait de
produits défectueux.
Sans doute est-ce mon ignorance de ces sujets qui est en cause, mais j'avoue
ne pas comprendre quel progrès nous ferait faire la rédaction qui nous est ici
proposée par rapport à l'expression, extrêmement claire et simple, de «
causalité entre le défaut et le dommage », qui présente le grand avantage
d'être tout à fait conforme à notre droit traditionnel de la responsabilité
civile, lequel met l'accent sur les liens de causalité existant entre un
préjudice et un fait dommageable qui doit avoir été la cause génératrice du
dommage.
C'est bien de cela qu'il s'agit, et je ne pense pas que nous progresserons si
nous adoptions la proposition combinée de M. le rapporteur et de Mme le
ministre. Je préfère, pour ma part, en rester à la version de l'Assemblée
nationale.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je voudrais faire remarquer à M. Marini que l'image qu'il
donne de notre droit civil n'est pas exacte.
En effet, il affirme que, dans notre droit civil actuel, pour qu'il y ait
responsabilité, il faut qu'il y ait un dommage et une relation de causalité
entre une faute et le dommage.
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais non !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Monsieur Hyest, permettez-moi de terminer mon explication.
M. le président.
Ne vous laissez pas impressionner, monsieur le rapporteur !
(Sourires.)
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Le sujet que nous abordons est tellement délicat qu'il nous
faut fournir un certain effort de concentration !
Notre droit admet, depuis à peu près un siècle, qu'il existe des
responsabilités sans faute. C'est même ce principe qui s'applique la plupart du
temps,...
M. Philippe Marini.
Je n'ai pas parlé de faute !
M. Jean Chérioux.
Non, il a parlé de préjudice !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... et donc le droit civil est beaucoup plus large que ce qui
a été dit voilà quelques instants.
Or, l'inconvénient de la rédaction à laquelle se réfèrent MM. Marini et
Charmant, c'est qu'en isolant la nécessité de prouver le défaut - qui dit
défaut dit faute - elle nous ramène à la responsabilité pour faute, ou pour
défaut. Mais qu'est-ce qu'un défaut sinon une faute ?
MM. Marcel Charmant et Jean-Jacques Hyest.
Mais non !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il s'agit du même mot !
M. Marcel Charmant.
Non ! Ce n'est pas la même chose !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Mais si !
La directive reporte la charge de cette preuve sur la victime. Or la notion de
« produit défectueux » est définie dans le texte que nous transposons ; encore
une fois, c'est le produit « qui n'offre pas la sécurité à laquelle on peut
légitimement s'attendre ». On est donc plus près, en réalité, de ce texte
lorsque l'on demande à la victime de prouver le dommage et le lien de causalité
entre le dommage et le produit défectueux ; la victime aura tout de même une
preuve à fournir pour que l'on puisse considérer qu'il s'agit bien d'un produit
défectueux, et elle le fera en s'appuyant sur l'article précédent, qui définit
ce qu'est un produit défectueux : celui qui ne répond pas à la légitime attente
de sécurité de l'utilisateur.
Je persiste : notre rédaction est la plus adéquate.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 7 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Nous allons d'innovations juridiques en innovations juridiques ! Assimiler le
défaut à la faute, franchement, je dois avouer que, même si les deux mots ont
la même racine latine, c'est surprenant, monsieur le rapporteur !
En fait, quelle est la version du Gouvernement ? Le Gouvernement nous dit
qu'en définitive ce qui est important, dans cette affaire, c'est le lien de
causalité entre le défaut, donc le produit défectueux, et le dommage. Si l'on
supprime cette notion, cela n'a plus de sens, il n'y a plus rien, on peut
prouver n'importe quoi ! Donc, il faut absolument maintenir ce lien.
On parle de « produit défectueux ». Il faut donc prouver le lien avec le
produit défectueux, c'est-à-dire le défaut. Alors, soyons plus simples et
disons : le défaut... le lien entre le dommage et le défaut.
Ce qui est important, c'est le lien de causalité. Si on ne maintient pas cette
notion, toute la construction s'écroule.
Monsieur le rapporteur, cela ne supprime absolument pas la responsabilité sans
faute, pas du tout ! Dans la responsabilité sans faute, justement, il y a un
produit défectueux, mais pas forcément une faute. D'ailleurs, le sens même que
donne la directive au produit défectueux prouve bien qu'il faut maintenir le
lien de causalité, surtout dans ce texte.
C'est pourquoi je continue à être totalement défavorable à l'amendement, même
modifié par le Gouvernement.
M. Marcel Charmant.
Très bien !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je voudrais dire à M. Hyest que je ne le comprends pas du
tout.
En isolant la nécessité de faire la preuve du défaut, il est bien évident que,
concrètement, on contraint la victime à prouver le défaut.
Vous pouvez raffiner à l'infini ! Dans le mot « défaut », il y a le mot «
faute » et c'est évidemment - notion abstraite ou notion concrète - la victime
qui devra prouver le défaut pour être indemnisée. Or nous voulons créer une
responsabilité où la victime n'a pas à apporter la preuve directe d'une
faute.
C'est pourquoi je crois qu'il est bien meilleur de dire que la victime devra
prouver que le produit était défectueux au sens de la directive - nous sommmes
bien, là, dans la directive - et on appréciera s'il présentait ou non le degré
de sécurité auquel on peut légitimement s'attendre.
Je crois que c'est là la bonne et la seule bonne rédaction.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à quinze
heures.)
M. le président. La séance est reprise.
3
DROIT APPLICABLE OUTRE-MER
Adoption d'un projet de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 196, 1997-1998),
adopté par l'Assemblée nationale, portant habilitation du Gouvernement à
prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à
l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer. [Rapport n°
264 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat à l'outre-mer.
Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de présenter à la
Haute Assemblée un projet de loi portant habilitation du Gouvernement à prendre
par ordonnances les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à
l'adaptation du droit applicable outre-mer.
Je veux remercier tous les sénateurs qui ont participé à la préparation de ce
texte, M. Jean-Marie Girault, en particulier, car je connais son intérêt pour
l'outre-mer, et qui s'est livré à un examen juridique attentif dont son rapport
en témoigne.
Comme son titre l'indique, ce projet de loi présente une grande diversité.
Pourtant, son unité est bien réelle. Il s'agit en effet de poursuivre la
modernisation du droit qui est en vigueur outre-mer et de garantir le respect
de l'identité propre à chacune de ces collectivités.
Afin d'atteindre cet objectif, le Gouvernement propose une nouvelle méthode de
travail. Elle consiste, après avoir organisé une consultation des collectivités
concernées, à demander au Parlement l'autorisation de légiférer par ordonnances
dans dix-sept matières, et à bref délai.
Le recours à une loi d'habilitation en application de l'article 38 de la
Constitution n'est pas nouveau pour l'outre-mer. Depuis 1976, huit lois
d'habilitation ont été votées pour moderniser le droit des territoires
d'outre-mer ainsi que des collectivités territoriales de Mayotte et de
Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je vous propose aujourd'hui d'y recourir à nouveau pour l'ensemble des
départements et des territoires d'outre-mer et pour une grande variété de
sujets.
Je vous le propose dans le strict respect des prérogatives du Parlement. En
effet, je le rappelle, le Conseil constitutionnel a encadré la pratique de
l'habilitation en définissant des obligations. J'ai veillé à ce que ces
obligations soient respectées. Je me suis même attaché à ce que nous allions
au-delà.
Le Gouvernement doit d'abord indiquer avec précision au Parlement la finalité
des mesures qu'il envisage de prendre.
Le Conseil constitutionnel accepte de trouver ces précisions dans les termes
de la loi, éclairés par les travaux préparatoires, notamment par les
déclarations du Gouvernement.
En l'espèce, le Gouvernement indique dans l'exposé des motifs les dispositions
qu'il entend prendre. Ce document, révélateur de l'intention du Gouvernement,
constitue en quelque sorte un engagement qui a pour résultat de préciser
considérablement le domaine de l'habilitation.
Même si le Conseil constitutionnel a rappelé que le « Gouvernement n'est pas
tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de
cette habilitation », je tiens à préciser que, s'agissant de ce projet de loi,
un certain nombre d'avant-projets d'ordonnances sont d'ores et déjà prêts. Ces
documents de travail ont été transmis pour information aux assemblées locales.
Ils sont à votre disposition. La transparence est donc complète, et la
concertation que nous avons engagée devrait permettre d'aménager ou d'améliorer
le texte si nécessaire.
Ces avant-projets d'ordonnance ne sont, en l'état, que des documents de
travail. Leur exacte rédaction est suspendue à l'habilitation qui sera
donnée.
J'ajoute qu'un grand nombre de dispositions concernées par l'habilitation sont
connues, puisqu'il s'agit d'étendre à l'outre-mer, en les adaptant, des
dispositions législatives déjà en vigueur en métropole.
Il s'agit en particulier de dispositions de droit civil, de droit commercial,
de droit financier, de droit douanier, de droit électoral et de droit pénal. Je
vous propose d'étendre aux territoires d'outre-mer et aux collectivités
territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon des dispositions qui
sont déjà en application en métropole et dans les départements d'outre-mer.
Le délai de l'habilitation constitue une autre garantie essentielle des
prérogatives du Parlement. La brièveté de ce délai traduit, en l'espèce, un
évident respect de ces prérogatives.
Ce délai est fixé au 15 septembre 1998, ce qui est bref compte tenu du nombre
des textes qui devront être pris.
Le domaine dans lequel les ordonnances interviendront est celui de la loi. Il
n'est donc pas possible d'intervenir dans le domaine organique et, par
conséquent, de toucher aux statuts des territoires, dont l'article 74 de la
Constitution dispose qu'ils sont fixés par la loi organique et modifiée dans la
même forme.
C'est la raison pour laquelle il apparaît inutile de préciser dans la loi que
les mesures législatives concernant les territoires d'outre-mer interviendront
dans le respect des compétences statutaires des territoires. Cela va de soi
!
J'indique, de la même manière, que l'habilitation demandée n'a pas pour objet
de modifier la répartition des compétences à Saint-Pierre-et-Miquelon entre la
collectivité territoriale, les deux communes et l'Etat.
En tout état de cause, votre assemblée sera appelée à examiner la conformité
des ordonnances aux principes que je viens de rappeler lors de l'examen des
lois de ratification.
En effet - c'est le dernier point que je tiens à souligner d'une manière
générale - chacune des ordonnances fera l'objet d'un projet de ratification
permettant au Parlement de retrouver la plénitude de ses compétences.
Au-delà du respect des prérogatives du Parlement, je souhaite que la méthode
qui vous est proposée vous paraisse plus pratique et plus simple.
En effet, la technique de la loi portant diverses dispositions relatives à
l'outre-mer vous aurait obligé à examiner et à apprécier en une seule fois un
texte « fourre-tout » comportant de multiples dispositions sur des questions
très éparses. Parfois, il s'agit même d'un inventaire de sujets quelque peu
hétéroclites sur le plan juridique.
Les ordonnances sont un moyen plus simple de légiférer, à travers une loi
d'habilitation. Les différentes ordonnances seront promulguées en trois ou
quatre séries suivant leurs thèmes et elles seront soumises à ratification de
manière échelonnée. Mais, là encore, nous allons nous heurter à des problèmes
de calendrier parlementaire.
Après la méthode, j'en viens au texte lui-même. L'article 1er du projet de loi
précise les matières pour lesquelles il est demandé une habilitation.
Dix-sept rubriques sont classées par matière. Nous nous inscrivons dans la
logique de l'inventaire. Cette énumération est conforme aux exigences posées
par la Constitution en matière d'habilitation.
Tout l'outre-mer est concerné. Cependant, l'habilitation ne concernera les
départements d'outre-mer que pour sept des dix-sept rubriques, et pour des
dispositions très précises.
Sur le fond et au-delà de la modernisation du droit civil, du droit pénal, du
droit des douanes et du droit électoral, le Gouvernement s'est fixé trois
objectifs.
En premier lieu, le Gouvernement souhaite mettre l'accent sur le développement
économique de l'outre-mer. Sont ainsi notamment concernés par la loi
d'habilitation le droit commercial et les activités financières.
Il est également prévu d'étendre en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie
française le régime de l'épargne-logement et les dispositions qui régissent les
rapports entre propriétaires et locataires.
Le prêt à taux zéro et une réglementation de l'urbanisme commercial seront mis
en place à Mayotte.
En Guyane, le Gouvernement proposait, dans son projet initial, de clarifier la
situation des agriculteurs installés sur des terres domaniales pour permettre
la poursuite des investissements que ces agriculteurs font sur leurs
exploitations. Monsieur Othily, nous avons eu l'occasion d'en parler à
plusieurs reprises et je précise que le territoire de la Guyane est à plus de
90 % du domaine de l'Etat.
A la suite du vote d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, le champ
de l'habilitation a été élargi aux personnes physiques qui en font la
demande.
Lors de ma dernière visite avec le Président de la République en Guyane, cette
question, lancinante depuis plus d'une vingtaine d'années, a été à nouveau
abordée. Nous devons en effet réfléchir à la manière de permettre
l'installation sur les terres de nos compatriotes guyanais, qu'ils soient ou
non agriculteurs. De ce point de vue, il est bien évident que les discussions
avec le ministère des finances promettent d'être serrées !... Mais, avec le
soutien des deux assemblées, nous pourrons avancer dans le règlement de ce
dossier.
En deuxième lieu, le Gouvernement porte son attention sur le domaine social.
Son action est concentrée sur la modernisation du droit du travail et sur les
domaines de la santé publique et de la protection sociale.
Il est donc proposé de prendre diverses dispositions relatives à la
tarification des produits sanguins dans les départements d'outre-mer, au prix
des médicaments dans ces départements et à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la
révision des accords de coordination des régimes métropolitains et
néo-calédoniens de sécurité sociale, à l'affiliation des non-salariés résidant
à Saint-Pierre-et-Miquelon à un régime de retraite complémentaire et, à la
suite d'un amendement parlementaire, au remboursement des médicaments
indispensables en matière de prophylaxie et de thérapeutique contre le
paludisme.
En troisième lieu, le Gouvernement entend saisir l'occasion que lui offre ce
projet de loi pour proposer au Parlement des textes spécifiques à certains
territoires afin de garantir le respect de leur identité.
En Guyane, vous le savez, des problèmes se posent en matière d'état civil pour
des personnes - on les appelle parfois les « Français sans papiers » ; elles
sont au moins 6 000 - qui appartiennent à des populations d'origine
amérindienne ou noire marron et qui n'ont pas été déclarées à l'état civil dans
les délais, très courts, applicables sur le territoire métropolitain, ce qui
compromet leur assimilation à la communauté nationale.
Il est souhaitable de prévoir des dispositions législatives propres à la
Guyane en vue de doter ces populations d'un état civil. Il est donc envisagé
d'allonger le délai de droit commun de déclaration des enfants. En principe, ce
délai est de trois jours, mais il convient de le prolonger pour prendre en
compte l'isolement de certaines populations qui ne peuvent pas se rendre auprès
d'un officier d'état civil dans ce délai.
L'Assemblée nationale a souhaité que le champ de l'habilitation soit précisé
quant aux catégories de personnes qui seront concernées par cette disposition.
Cette précision est conforme au projet du Gouvernement de trouver une solution
pour résoudre le problème des « Français sans papier » du fleuve.
Mme le garde des sceaux m'a assuré à ce sujet que les moyens adéquats seraient
mis en oeuvre dans les meilleurs délais afin de régulariser les situations. Il
est pas possible, dans le cadre législatif, de procéder à une régularisation
automatique, mais les mesures qui permettent, avec l'appui du tribunal de
Cayenne, de procéder sur place aux vérifications et aux délivrances de
documents d'état civil, devraient contribuer à mettre fin à cette situation
insoutenable dans l'année.
En Nouvelle-Calédonie, la loi du 29 juillet 1994 relative au don et à
l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale
à la procréation et au diagnostic prénatal sera étendue après avoir été très
largement adaptée compte tenu des compétences du territoire en ce domaine.
L'extension de cette loi est le préalable à l'autorisation, sur le territoire,
des greffes de cornée et des prélèvements de reins.
A Mayotte, il est proposé de clarifier la situation des Mahorais qui ont omis
de souscrire la déclaration recognitive de nationalité française au moment de
l'indépendance des Comores. En effet, à Mayotte, de nombreux problèmes
d'identité se posent faute d'état civil fiable. Par conséquent, nous prenons
ainsi en compte les souhaits qui ont été émis par les parlementaires de
Mayotte.
En Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, le Gouvernement envisage
d'instituer deux universités qui succéderont à l'Université française du
Pacifique, favorisant l'épanouissement des cultures océaniennes ainsi, me
semble-t-il, que le rayonnement de ces universités sur le Pacifique Sud.
L'Assemblée nationale a ajouté une habilitation relative à l'adhésion à
l'assemblée permanente des chambres d'agriculture des territoires
d'outre-mer.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales mesures que le
Gouvernement entend prendre par voie d'ordonnances.
Je précise, en outre, que le dernier alinéa de l'article 1er institue une
nouvelle procédure de consultation des assemblées des collectivités
d'outre-mer.
Si la consultation de ces assemblées pour le projet de loi d'habilitation
s'impose au regard des textes constitutionnels ou statutaires, ou encore du
décret de 1960 pour les départements d'outre-mer, il n'y a pas de texte
prévoyant une procédure de consultation préalable et obligatoire des projets
d'ordonnance qui sont pris en application d'une loi d'habilitation.
Les textes précités ne prévoient une telle procédure que pour les lois, voire
pour les décrets, et non pour les ordonnances.
Le Gouvernement a néanmoins souhaité prévoir la consultation des assemblées
élues de toutes les collectivités territoriales ultramarines sur les projets
d'ordonnances en tant qu'ils les concernent. La consultation sur les
ordonnances a, en effet, plus de portée, vous en conviendrez, que la
consultation sur la loi d'habilitation, qui porte simplement sur des intitulés
de chapitres.
Tel est donc l'objet du dernier alinéa de l'article 1er du projet de loi, qui
permettra à toutes les assemblées élues de l'outre-mer de se prononcer sur
chaque ordonnance.
Le projet de loi assortit la procédure de consultation d'un délai d'une durée
raisonnable. Il s'agit en effet de ne pas prévoir un délai trop long, qui
retarderait la prise des ordonnances, ni un délai trop court, qui priverait les
assemblées territoriales de la possibilité d'examiner sérieusement les
textes.
L'article 2 a pour objet de fixer le délai de l'habilitation, qui, je le
rappelle, sera court compte tenu du nombre d'ordonnances et de la date de dépôt
des projets de loi de ratification.
L'article 3 a pour objet de proroger de quinze mois la période transitoire qui
avait été prévue pour mettre en place les organes de fonctionnement de
l'Université française du Pacifique. Cela relevait des dispositions de la loi
du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer.
Cette seconde période transitoire permettra au Gouvernement de régler, selon
des modalités différentes de celles qui sont prévues par la loi, la situation
de l'enseignement supérieur dans les territoires d'outre-mer. Je vous ai
indiqué l'esprit dans lequel nous agirons en vous parlant des deux nouvelles
universités, l'une en Nouvelle-Calédonie et l'autre en Polynésie française, qui
permettront de prendre en compte les réalités du développement de
l'enseignement supérieur dans les départements d'outre-mer.
L'Assemblée nationale a ajouté un article 4, qui a pour objet de valider les
concessions d'endigage sur le domaine public maritime sis dans les limites du
port autonome de Nouméa. Cet article résulte d'un amendement déposé par M.
Pierre Frogier, pour lequel je m'en suis remis à la sagesse de l'Assemblée
nationale, sachant que le Gouvernement - je l'avais indiqué à cette occasion -
recherchait aussi des modes de règlement par la voie administrative pour
régulariser la situation.
Tel sont donc l'esprit et la teneur de ce projet de loi d'habilitation que
j'ai l'honneur de vous proposer et des ordonnances qui en découlent.
Il s'agit, par une méthode nouvelle, de moderniser et d'adapter le droit de
l'outre mer. C'est un effort indispensable pour le développement économique et
social, dans le respect de l'identité de chacune des collectivités d'une part,
du pouvoir du Parlement et des assemblées élues d'autre part.
Je vous remercie de vouloir bien adopter ce projet de loi qui a été soumis en
première lecture à l'Assemblée nationale.
(Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe
communiste républicain et citoyen. - M. Loueckhote applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, de règlement et d'administration générale. Adopté par
l'Assemblée nationale en première lecture le 18 décembre 1997, le projet de loi
d'habilitation aujourd'hui soumis à notre examen est destiné à permettre au
Gouvernement de prendre par ordonnances un vaste ensemble de mesures
législatives concernant des domaines juridiques très divers, mesures «
nécessaires », selon l'intitulé du projet de loi, « à l'actualisation et à
l'adaptation du droit applicable outre-mer ».
Les mesures envisagées concerneront aussi bien les départements
d'outre-mer que les territoires d'outre-mer et les deux collectivités
territoriales à statut particulier de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon,
qui obéissent à des régimes juridiques distincts.
Je rappelle brièvement que les départements d'outre-mer et la collectivité
territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon sont soumis au principe dit de «
l'assimilation législative » : les lois métropolitaines s'y appliquent de plein
droit, l'article 73 de la Constitution prévoyant seulement que « le régime
législatif et l'organisation administrative des départements d'outre-mer
peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation
particulière ». On le verra tout à l'heure à propos d'un amendement qui a été
déposé par notre collègue M. Reux concernant Saint-Pierre-et-Miquelon.
Il est un autre régime auquel sont soumis les territoires d'outre-mer et
Mayotte, c'est celui de la spécialité législative.
L'article 74 de la Constitution dispose en effet que « les territoires
d'outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de
leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République ».
Ainsi, à l'exception des lois dites « de souveraineté », selon l'expression
consacrée par la doctrine, l'applicabilité des textes législatifs est
subordonnée, pour les territoires d'outre-mer, à l'adoption d'une disposition
expresse d'extension. Depuis l'arrêt du Conseil d'Etat du 9 février 1990 «
Elections municipales de Lifou », cette exigence vaut également pour toute
disposition modifiant une loi en vigueur dans un territoire d'outre-mer.
En outre, les dispositions législatives qui doivent faire l'objet d'une
extension expresse nécessitent en principe une consultation préalable des
assemblées territoriales intéressées, sauf lorsque la disposition concernée «
n'introduit, ne modifie ou ne supprime aucune disposition spécifique » à ces
territoires « touchant à » leur « organisation particulière ». Je cite en
l'occurrence le texte d'une décision du Conseil constitutionnel en date du 7
juillet 1994.
Je me permets un instant de liberté, monsieur le secrétaire d'Etat, pour dire
un mot de ces terres Australes et Antarctiques françaises, qui nous sont chères
et qui ne comportent pas d'habitants.
S'agissant des procédures de consultation, s'il n'y a pas d'habitants...
(Sourires.)
La terre ou la glace parlent-elles ? La commission
souhaitait vous interroger - c'est une façon de parler ! - sur la définition
qu'il convient de donner de la catégorie juridique des territoires d'outre-mer.
Il faudra peut-être y songer. L'observation m'en a été faite par certains
membres de la commission des lois, et elle est fondée. Mais je ne prétends pas
qu'il s'agisse d'un problème d'une extrême urgence...
(Nouveaux
sourires.)
Les terres Australes et Antarctiques françaises, placées dans cette catégorie
par la loi du 6 août 1955, constituent un territoire d'outre-mer bien singulier
puisque, en effet dépourvu d'habitants, il n'est pas doté d'une assemblée
territoriale.
Pourriez-vous également nous indiquer, monsieur le secrétaire d'Etat, si les
travaux du groupe de réflexion sur l'avenir des terres Australes et
Antarctiques françaises, qui devait initialement rendre son rapport au mois de
septembre dernier, ont abouti et si la commission des lois, à laquelle est
rattaché le groupe d'étude sur l'Arctique, l'Antarctique et les terres
Australes, présidé par notre passionné collègue Lucien Lanier, pourrait en
avoir communication ?
Mais, habitants ou pas, s'agissant toujours de ces terres Australes et
Antarctiques françaises, alors que les instituteurs m'enseignaient, lorsque
j'étais enfant, qu'il y avait cinq continents, que vous connaissez, l'un de mes
petits-fils, son livre de géographie à la main, m'a récemment appris que l'on
en comptait maintenant six. J'ai découvert que le sixième continent était
l'Antarctique ! Il est vrai que, sous la glace, il y a des terres, et ces
immensités doivent susciter la réflexion, même si elles ne comportent pas les
habitants. Je vous demande donc de réfléchir à ce problème du point de vue
statutaire, et cette loi d'habilitation me semble être l'occasion d'en dire
quelques mots.
Le particularisme des procédures qui conditionnent l'application du droit à
l'outre-mer conduit fréquemment, dès lors que des adaptations se révèlent
nécessaires, à différer, pour des collectivités régies par le principe de
spécialité législative, l'entrée en vigeur des actualisations concernant la
métropole. C'est pourquoi, pour bien des textes, nous sommes en retard. C'est,
dirai-je, la faute à tout le monde. Mais je constate aujourd'hui que le texte
qui nous est proposé tend à réduire ce décalage temporel dont nous souffrons
tous.
Bien sûr, on essaie, par des circulaires, d'accélérer les processus, mais il
faudra, je pense, beaucoup de temps encore pour que ces mêmes processus
deviennent des réalités quotidiennes.
Il est possible cependant de constater que, de plus en plus souvent, les
projets de loi comportent des dispositions qui portent extension à l'outre-mer
des mesures proposées. Sans présumer que les recommandations commencent à
porter leurs fruits, il demeure cependant qu'elles restent trop fréquemment
lettre morte - on le verra tout à l'heure à propos de l'université française du
Pacifique -, en particulier lorsque l'application des mesures outre-mer
nécessite des adaptations. En outre, le retard enregistré depuis des dizaines
d'années au détriment des citoyens de l'outre-mer demeure important en dépit de
nombreuses et volumineuses lois balais et des multiples ordonnances prises en
vertu d'habilitations législatives.
Aussi, la commission comprend-elle que le Gouvernement est aujourd'hui conduit
à saisir le Parlement d'un nouveau projet de loi d'habilitation, pour procéder
à l'actualisation, la modernisation et l'adaptation du droit applicable
outre-mer.
Dans le cas présent, l'effort est considérable. La démarche choisie par le
Gouvernement a paru à la commission parfaitement justifiée, même si - je
n'apprendrai rien au ministre et aux sénateurs présents -, ce système de loi
d'habilitation qui appelle des ordonnances est parfois ressenti par le
législateur comme un dessaisissement. Il convient donc que ces procédures
restent exceptionnelles, mais nous devons aussi savoir nous adapter à ces
territoires et départements d'outre-mer.
La commission des lois est donc favorable à ce projet de loi. Elle observe
qu'il se caractérise par un champ particulièrement vaste de l'habilitation, ce
qui est tout à fait inhabituel. L'application de cette procédure aux
départements d'outre-mer est également inhabituelle puisque - je voudrais le
rappeler à mes collègues - les quelque cinquante-cinq ordonnances relatives à
l'outre-mer dénombrées depuis 1958 concernent presque exclusivement les
territoires d'outre-mer et les deux collectivités territoriales à statut
particulier, et, tenez-vous bien, près des trois-cinquièmes portent adaptation
du droit applicable à Mayotte ! Cela mérite réflexion.
Cependant, le champ d'habilitation que vous souhaitez n'est pas contraire aux
exigences définies par la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière
d'habilitation législative.
Le Conseil constitutionnel impose seulement au Gouvernement, afin de préserver
les prérogatives du Parlement, de préciser la finalité des mesures qu'il entend
prendre par voie d'ordonnance.
Sa décision du 12 janvier 1997 - je crois que c'est le moment de le rappeler -
à une époque où le Conseil constitutionnel n'avait pas l'emprise qu'il a
aujourd'hui sur la République - énonce que, s'il est spécifié a l'alinéa 1er de
l'article 38 de la Constitution que c'est pour l'exécution de son programme que
le Gouvernement se voit attribuer la possibilité de demander au Parlement
l'autorisation de légiférer par voie d'ordonnance, ce texte doit être entendu
comme faisant obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au
Parlement, lors du dépôt d'un projet de loi d'habilitation, et pour la
justification de la demande présentée par lui, quelle est la finalité de la
mesure qu'il se propose de prendre.
Dans une décision plus récente, de juin 1986, le Conseil constitutionnel
précise que le Gouvernement a également l'obligation d'indiquer le domaine
d'intervention des mesures envisagées tout en rappelant que le Gouvernement
n'est pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra.
Je dois dire qu'à l'occasion du présent projet de loi le rapporteur de la
commission des lois a reçu les avant-projets d'ordonnances, à une exception
près, celui qui concerne le régime de l'enseignement supérieur dans les
territoires du Pacifique. J'ai proposé à mes collègues de les consulter. La
commission peut donc ainsi mieux cerner le champ de l'habilitation demandée et
mesurer, avant l'étape ultime de la ratification, l'ampleur de la mise à niveau
juridique qui sera ainsi opérée dans les collectivités d'outre-mer. Je vous
donne acte de tout cela bien volontiers, monsieur le secrétaire d'Etat.
Je tiens à préciser que, pour la plupart des décisions envisagées, les
extensions et adaptations répondent à des demandes formulées par les
collectivités d'outre-mer. D'ailleurs, l'ensemble des avis rendus par les
assemblées territoriales, dont la consultation a été mise en oeuvre au mois
d'octobre dernier, sont favorables, à l'exception, me semble-t-il, de celui qui
émane de Saint-Pierre-et-Miquelon, au motif, notamment, que les extensions
d'articles du code de la construciton et de l'habitation proposées ne
respectent pas les compétences statutaires de cette collectivité en matière
d'urbanisme.
Selon les informations communiquées, seul un département d'outre-mer n'aurait
pas répondu expressément à la consultation : il s'agit de la Martinique.
Peut-être que, depuis, les informations ont été données.
Les domaines du droit concernés par la demande d'habilitation sont nombreux,
vous les avez rappelés tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, et les
extensions et adaptations envisagées sont d'importance variable. L'article 1er
vise ainsi seize blocs de matières juridiques qui doivent correspondre à autant
d'ordonnances.
Je tiens à vous signaler, mes chers collègues, que, lorsque les ordonnances
auront été prises, ce n'est pas la seule commission des lois qui sera saisie
lors des procédures de ratification, ce sera chaque commission du Sénat selon
la nature traitée par chacune des ordonnances.
Certains de ces seize blocs concernent l'ensemble des collectivités
d'outre-mer, notamment celui qui figure en tête de l'énumération. Ainsi,
l'ordonnance relative à la modernisation du droit du travail, qui devrait être
la plus volumineuse, intégrera des dispositions modifiant le code du travail
dans les départements d'outre-mer, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, et
procédera à une actualisation de ce même droit dans les territoires
d'outre-mer. Il s'agira là d'un des devoirs les plus importants incombant au
Gouvernement.
S'agissant de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie,
d'importantes avancées en la matière ont déjà été réalisées à l'occasion de la
loi du 5 juillet 1996 portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer.
Cependant, les lois statutaires de ces deux territoires ne donnent compétence
à l'Etat que pour définir les « principes généraux » et les « principes
directeurs » du droit du travail ; aussi les ordonnances devront-elles
respecter cette répartition des compétences, la frontière - je le reconnais -
étant parfois malaisée à tracer.
D'autres blocs ont un objet ponctuel et ne visent qu'une collectivité, tels le
régime de la pêche dans les terres Australes et Antarctiques françaises et la
réglementation de l'urbanisme commercial à Mayotte.
Deux d'entre eux concernent des problèmes spécifiques au département de la
Guyane, comme vous l'avez rappelé tout à l'heure, monsieur le secrétaire
d'Etat. Une ordonnance devra définir des mesures appropriées pour remédier aux
déficiences actuelles de l'état civil et régler la situation de quelques
milliers de Français dépourvus de documents d'identité.
En matière foncière, une autre ordonnance est prévue afin d'élargir les
possibilités de cession gratuite de terres relevant du domaine privé de l'Etat,
qui est aujourd'hui propriétaire de 90 % du territoire guyanais ; je l'ai
découvert en travaillant sur ce rapport. Vous avez raison de souligner,
monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il faudra l'accord du Sénat et de l'Assemblée
nationale car, si nous ne comptons que sur la grande administration de Bercy,
nous nous heurterons à de graves problèmes. Je vous donne donc rendez-vous
ultérieurement.
L'Assemblée nationale a, en outre, élargi le champ de l'habilitation en
ajoutant un nouveau point relatif à l'adhésion des chambres d'agriculture des
territoires d'outre-mer à l'assemblée permanente des chambres d'agriculture.
Quelque chose me dit que, s'agissant du Conseil supérieur de la magistrature,
les magistrats de l'outre-mer voudraient bien avoir une représentation de droit
au sein de cette haute instance. Je ne vous demande pas de réponse aujourd'hui,
monsieur le secrétaire d'Etat : je me fais simplement l'écho d'une
revendication.
Sous réserve de ces observations et de l'adoption d'un amendement présenté par
notre collègue Victor Reux, la commission proposera au Sénat d'adopter
l'article 1er du projet de loi.
L'article 2 répond aux exigences prescrites par la Constitution en fixant un
délai d'habilitation - les ordonnances devront être prises avant le 15
septembre 1998, et je vous souhaite bien du courage, monsieur le secrétaire
d'Etat, car c'est demain ! - ainsi qu'une date butoir, celle du 15 novembre
1998, pour le dépôt des projets de loi de ratification. Le Gouvernement s'est
en effet engagé, à la demande de la commission des lois de l'Assemblée
nationale, à déposer plusieurs projets de loi de ratification afin de permettre
au Parlement d'exercer plus aisément son contrôle.
Les délais sont courts. Vous allez consulter les différentes assemblées des
territoires et départements d'outre-mer. Indépendamment des cyclones - et l'on
nous en annonce un en Polynésie française - même si Internet fonctionne bien,
le délai d'un mois peut paraître bref.
D'un autre côté, je reconnais que, si nous voulons que le dépôt des projets de
loi de ratification intervienne avant le 15 novembre, il faut faire vite. Je
souhaite que le ministère soit très compréhensif quant aux délais laissés aux
différentes assemblées des territoires et départements d'outre-mer pour donner
leur avis sur les projets d'ordonnance.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler à propos de l'article
2, que la commission vous proposera d'adopter.
L'article 3 concerne l'université française du Pacifique ; très beau sujet
!
Rappelons que l'article 14 de la dernière « loi balai » du 5 juillet 1996
avait défini un nouveau statut de cette université tout en différant de quinze
mois sa mise en oeuvre pour permettre l'élaboration des décrets d'application
et l'installation des nouvelles structures. Ce délai délimitait ainsi une
période transitoire pendant laquelle l'université devait continuer à
fonctionner sous l'empire des dispositions antérieures du décret du 29 mai
1987. Or, le délai de quinze mois expirait le 9 octobre 1997, monsieur le
secrétaire d'Etat, et les décrets d'application de l'article 14 n'ont pas été
publiés ! Je ne ferai pas de procès, mais il s'agit maintenant de savoir
comment remédier à la situation.
Toujours est-il que l'université française du Pacifique est, depuis le 9
octobre 1997, confrontée à un vide juridique. Mais je n'ai crainte, il n'y a
pas de vide culturel ! Je pense donc que l'on saura remédier à une imperfection
de nature juridique dans les meilleurs délais.
L'article 3 du projet de loi propose de modifier la loi du 5 juillet 1996 pour
substituer au délai initial de quinze mois un délai de trente mois en attendant
que l'ordonnance relative au « régime de l'enseignement supérieur dans les
territoires d'outre-mer du Pacifique » soit prise.
La commission des lois regrette, bien sûr, que des dispositions législatives
adoptées il y a moins de deux ans soient restées lettre morte en créant, de
surcroît, un vide juridique. Il est normal que le Parlement s'en émeuve.
Sur le problème du vide juridique, je voudrais vous dire, monsieur le
secrétaire d'Etat, que l'expression « prorogation de la période transitoire »,
qui figure dans l'exposé des motifs tendant à justifier l'article 3, est
inadaptée. On va voter la prorogation mais, vous n'y pouvez rien, la période
transitoire ouverte initialement s'est achevée. Il est possible d'ouvrir une
nouvelle période transitoire, mais on ne peut pas proroger celle qui a expiré.
Aussi paraît-il nécessaire, afin d'éviter une multiplication des recours
contentieux contestant la régularité des actes pris entre cette date et
l'adoption de l'ordonnance, d'insérer dans le dispositif une mesure de
validation, à titre préventif, mesure à laquelle, je pense, le Gouvernement ne
s'opposera pas.
Si la commission considère que des mesures d'une telle nature doivent rester
exceptionnelles, une validation apparaît nécessaire en l'occurrence pour
garantir la continuité du service public de l'enseignement supérieur en
Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Le projet de loi s'arrêtait là. Et voilà qu'un article 4 a été introduit à
l'Assemblée nationale, sur l'initiative de M. Pierre Frogier, député de la
Nouvelle-Calédonie, territoire très cher à la commission des lois. Je puis vous
dire que nous avions prévu que la commission des lois fût présente en
Nouvelle-Calédonie du 3 au 12 février. Le voyage est remis mais il se fera, et
vous savez pourquoi nous avons été une première, puis une deuxième fois, amenés
à reporter cette mission qui, pour moi, sera la sixième. On attendait, bien
sûr, la conclusion de l'accord minier.
J'en reviens à l'article 4, qui est incontestablement un cavalier. Mais, en
cette année 1998, qui est une année prépondérante pour la Nouvelle-Calédonie,
on ne peut pas « cavalièrement », traiter d'un problème qui concerne ce
territoire et discuter de la recevabilité d'une disposition. C'est pourquoi la
commission des lois du Sénat accepte de bon gré cet article sous réserve d'une
modification qui ne change rien quant au fond mais qui tient compte de
décisions du Conseil constitutionnel que j'évoquerai dans un instant.
De quoi s'agit-il ?
L'article 4 vise à valider les concessions d'endigage qui ont été délivrées
par les autorités territoriales sur le domaine du port autonome de Nouméa,
ainsi que les actes pris sur leurs fondements.
On s'est en effet aperçu que le territoire n'était pas compétent pour accorder
de telles autorisations, l'Etat ayant seul compétence en matière de domaine
public maritime : c'est le droit depuis 1926. Or, depuis bientôt soixante-douze
ans, il est superbement ignoré.
C'est ainsi que, aujourd'hui, des contentieux apparaissent. Des recours ont
été portés devant la juridiction administrative. Récemment, la cour
administrative d'appel de Paris a rendu une décision excipant de l'illégalité
des concessions.
La validation qui est demandée a pour objet d'éviter que ne soient remis en
cause les actes ayant permis l'édification de certains bâtiments sur les terres
exondées, notamment des bâtiments d'intérêt public, au nombre desquels figurent
les halles du marché municipal de Nouméa ou la capitainerie du port autonome ;
des bâtiments privés se trouvent cependant également concernés.
La commission des lois vous proposera une nouvelle rédaction de cet article
afin de le rendre conforme aux exigences définies, en matière de validation,
par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui manifeste son souci de
respecter la séparation des pouvoirs et rejette toute remise en cause de
décisions juridictionnelles devenues définitives.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais, en conclusion, évoquer brièvement
l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Il s'agit d'un sujet dont nous aurons
certainement l'occasion de reparler.
C'est un territoire qui m'est personnellement très cher, où je me suis rendu
cinq fois depuis 1983, parfois en des moments difficiles.
J'ai été un partisan des accords de Matignon, et cette position n'était pas
partagée par tous mes amis politiques.
Après le drame d'Ouvéa, j'avais le sentiment qu'allait s'enclencher une sorte
de guerre de libération, d'indépendance, au cours de laquelle inéluctablement,
tous les leaders, de tous bords, seraient retrouvés - la Nouvelle-Calédonie
n'est pas si impénétrable ! - et massacrés.
Par ailleurs, je ne connais pas de guerre d'indépendance qui n'ait pas mené à
l'indépendance.
Lorsque les accords de Matignon ont été proposés à la ratification du peuple
français, celui-ci s'est largement abstenu.
Représentant la commission des lois du Sénat à la demande de son président,
j'avais été conduit, en 1988, à accompagner le Premier ministre, M. Michel
Rocard, et plusieurs membres du Gouvernement pour, en quelque sorte, consacrer
sur place les accords qui venaient d'être signés. Je découvris alors une
ambiance très différente de celle que j'avais connue en 1985, à la suite des
graves troubles qui s'étaient produits sur le territoire. Je pus constater
qu'une sorte de réconciliation s'opérait, qui pouvait aboutir à quelque chose
de positif.
Je suis persuadé que les dix années écoulées ont effectivement été positives,
même si je ne sais pas sur quoi tout cela débouchera finalement.
Je disais hier à mes collègues de la commission des lois que, si un accord
était trouvé avec le FLNKS, il faudrait modifier la loi référendaire, dont l'un
des articles prévoit de soumettre aux Néo-Calédoniens une alternative qui peut
être formulée ainsi : « Souhaitez-vous rester rattachés à la République
française ou souhaitez-vous être indépendants ? » Il n'est pas sûr que les
discussions qui vont s'engager permettent de maintenir une telle
alternative.
Le temps vous est et nous est compté, monsieur le secrétaire d'Etat. J'espère
que la patience, l'intelligence et la sagesse des uns et des autres nous
conduiront à une solution positive.
En tout cas, monsieur le secrétaire d'Etat, sachez que la commission des lois
du Sénat vous aidera à trouver la meilleure solution pour tous les habitants de
la Nouvelle-Calédonie, qu'ils soient d'origine métropolitaine ou d'origine
canaque ; ce sont tous des citoyens et nous les respectons tous au même
titre.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Loueckhote.
M. Simon Loueckhote.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
volonté de moderniser le droit applicable à l'outre-mer est une intention tout
à fait louable, et je veux saluer l'initiative de ce projet de loi, dont
certains éléments répondent à des attentes précises, notamment au sein de la
population calédonienne.
Je citerai en particulier l'extension à la Nouvelle-Calédonie de la
législation relative aux dons d'organes, l'application du dispositif de
l'épargne logement et la révision des accords de coordination entre les régimes
métropolitain et calédonien de sécurité sociale.
Il est cependant des domaines dans lesquels l'application de la législation
métropolitaine ne serait, à notre sens, pas du tout opportune, car elle ne
ferait aucun cas des spécificités locales : je veux parler du projet
d'extension à la Nouvelle-Calédonie de certaines dispositions de la loi de 1978
sur la responsabilité et l'assurance des constructeurs.
L'ensemble des professionnels calédoniens concernés est fermement opposé à
l'application du principe de présomption de responsabilité des constructeurs,
qui aurait pour conséquence de renchérir considérablement les tarifs
d'assurance et qui pourrait déstabiliser le marché de la construction.
Il n'est pas dans mon intention de revenir sur l'ensemble des projets de
réforme dont seul le principe nous est soumis aujourd'hui. Néanmoins, je veux
attirer votre attention sur un dossier particulier, auquel nous attachons
beaucoup d'importance : il s'agit de la validation des concessions d'endigage
sur le domaine maritime accordées par le territoire de la Nouvelle-Calédonie ;
M. le rapporteur y a fait assez longuement allusion.
Toute la façade maritime de Nouméa, soit plusieurs centaines d'hectares, sur
lesquels sont installés de nombreux équipements publics et privés, est en effet
concernée par ces concessions d'endigage, qui ont été récemment contestées par
la cour administrative d'appel de Paris, cette juridiction estimant que la
compétence en revient à l'Etat.
Une régularisation de cette situation au moyen d'une disposition législative
s'avère donc urgente.
Toutefois, vous n'ignorez pas que notre préoccupation va, aujourd'hui, bien au
delà de ces questions, car la Nouvelle-Calédonie est désormais entrée dans une
période décisive de son évolution statutaire.
C'est en effet en 1998 que les Calédoniens feront le choix de leur avenir
puisque nous arrivons au terme des dix années de stabilité institutionnelle
voulue par les signataires des accords de Matignon.
A la veille de cette échéance capitale, il est de mon devoir d'informer les
membres de la Haute Assemblée de la situation politique actuelle sur le
Territoire.
En 1988, les signataires des accords de Matignon ont fait le pari de dix
années de paix, de stabilité institutionnelle et de développement, à l'issue
desquelles la population serait consultée sur son maintien ou non au sein de la
République française.
Ce pari, nous l'avons gagné.
Au lendemain des troubles politiques graves qui ont secoué notre territoire,
c'était un formidable défi et nous l'avons relevé.
Grâce à ces accords et avec l'adoption de la loi référendaire de 1988, qui a
fait naître un nouveau statut, un équilibre a pu émerger en Nouvelle-Calédonie,
et il est aujourd'hui incontestable que la poignée de main entre Jacques
Lafleur et Jean-Marie Tjibaou a permis de construire les fondements d'une
société pluriethnique, avec un réel partage du pouvoir.
La paix retrouvée, la stabilité institutionnelle, la volonté et le sens des
responsabilités des différents partenaires, qui ont fait vivre ce nouveau
statut, ont rendu possible l'amorce d'un rééquilibrage de l'activité économique
en faveur du nord du Territoire et des îles Loyauté.
Ce processus n'aurait pu être enclenché sans le soutien qui nous a été apporté
par l'Etat, à travers les contrats de développement.
Arrivant au terme de cette période, nous sommes tout naturellement amenés à en
dresser un bilan.
Force est d'abord de constater que, si le rééquilibrage n'est pas négligeable,
il est encore nettement insuffisant.
On peut d'ailleurs difficilement imaginer que la province Nord et la province
des îles Loyauté ne puissent plus, du jour au lendemain, bénéficier de la
solidarité nationale dans un domaine où tout reste à faire.
Par ailleurs, la pratique des institutions issues de la loi référendaire et
les événements politiques qui ont marqué le Territoire au cours des dix
dernières années donnent à penser que la stabilité que nous avons connue doit
être rapidement consolidée si l'on veut que se poursuive cette oeuvre de
construction d'une société prospère et solidaire.
C'est pourquoi Jacques Lafleur a, le premier, parlé de la nécessité d'une
solution consensuelle, de façon à éviter le scrutin d'autodétermination qui, en
laissant inévitablement un vainqueur et un vaincu, risque de replonger le
Territoire dans une période d'incertitude, ce que personne ne souhaite. Nous
avons pris cette initiative dès la fin de 1995.
Toutefois, la mauvaise volonté de certains leaders indépendantistes, qui ont
utilisé le prétexte du projet de construction d'une usine de transformation du
nickel dans la province Nord et de l'accès à la ressource minière nécessaire à
sa réalisation, a fait rapidement échouer ces discussions.
La Nouvelle-Calédonie est alors entrée dans l'ère des « préalables », les
indépendantistes faisant de ce dossier un préalable à la reprise des
discussions, le fameux « préalable minier », qui a duré plus de deux ans.
Comme vous le savez, un protocole d'accord permettant l'échange de massifs
miniers a été signé, voilà quelques jours, entre le Gouvernement, la société
Eramet et la SMSP, la société minière du Sud-Pacifique.
Le FLNKS a bien annoncé la levée de ce préalable minier, mais pour aussitôt le
remplacer par un autre préalable. Il exige désormais des discussions
bilatérales avec le Gouvernement, prétendument pour régler le contentieux
colonial : pure construction idéologique, destinée à habiller la véritable
intention de certains leaders indépendantistes d'imposer à tous leur propre
vision de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. A les entendre, le contentieux
colonial, qui serait né de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie en
1853, est exclusivement l'affaire du FLNKS et de l'Etat.
En tant que Mélanésien et au nom de tous les Mélanésiens qui, face à cette
attitude hégémonique du FLNKS, revendiquent leur droit à la différence et au
respect, j'affirme devant la Haute Assemblée que nous ne reconnaissons par au
seul FLNKS la faculté de discuter de cette question avec l'Etat.
Je veux aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'Etat, mettre en garde le
Gouvernement contre les risques encourus par la population calédonienne si l'on
persiste à différer la reprise des discussions avec l'ensemble des partenaires
des accords de Matignon.
Il est grand temps de dénoncer la véritable manipulation orchestrée par
certains responsables indépendantistes, qui font encore croire à leurs
militants que le seul langage possible est celui des barricades, de la pression
exercée sur l'économie, sur les institutions et sur les hommes de ce pays.
Le FLNKS crie victoire en s'attribuant la paternité de ce protocole d'accord
qui adopte le principe et les modalités d'un transfert de massifs miniers. Il
en fait un véritable événement, qui marquerait le début d'un rééquilibrage
effectif de l'activité économique en Nouvelle-Calédonie.
Mais l'hypothèse de la construction, dans le nord, d'une usine de
transformation du nickel par le groupe canadien Falconbridge, en partenariat
avec la SMSP, est malheureusement de plus en plus improbable.
Il est grand temps, monsieur le secrétaire d'Etat, d'annoncer la vérité aux
Calédoniens. Nous n'avons aujourd'hui aucune assurance quant à la réalisation
du projet d'usine au nord, en tout cas avec Falconbridge.
En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons perdu
tout ce temps pour n'obtenir du groupe canadien qu'une lettre d'engagement à
effectuer, dans un délai de sept ans, des études de faisabilité. Au bout de ces
sept années, Falconbridge aura toute latitude pour annoncer son refus
d'investir en Nouvelle-Calédonie. En définitive, les seuls qui vont être
pénalisés par le protocole seront les Calédoniens, en particulier la société Le
Nickel et la SMSP, qui se voient imposer, pendant sept années, des contraintes
pesant sur l'utilisation de leurs ressources et donc sur leurs propres
programmes d'investissement.
Voilà la vérité dans toute cette affaire, que le FLNKS présente comme l'unique
promesse d'un rééquilibrage en faveur du nord.
On ne peut, par conséquent, que déplorer l'irresponsabilité de tous ceux qui
ont bloqué la recherche d'une solution consensuelle pour de telles raisons.
Si nous avons toujours soutenu le projet de construction d'une usine
métallurgique dans le nord - le Congrès du territoire avait d'ailleurs adopté à
l'unanimité, en novembre 1996, un voeu demandant au Gouvernement de mettre tous
les moyens en oeuvre pour sa réalisation - nous n'avons cependant jamais été
dupes. C'est pourquoi nous avons repris l'initiative de la négociation il y a
un mois.
C'est ainsi que des responsables politiques indépendantistes, regroupés au
sein d'un comité de coordination, qui sont, eux aussi, exaspérés par le
préalable minier et qui ont su tirer les enseignements de dix années de travail
en commun, ont accepté de s'asseoir autour d'une table de négociation avec le
Rassemblement pour la Calédonie dans la République pour construire un véritable
projet de société.
Notre souhait, dès lors, est que le scrutin d'autodétermination prévu par la
loi référendaire de 1988 soit transformé en scrutin de ratification d'une
solution consensuelle.
Je veux insister sur le fait que cette démarche est loin d'être anodine dans
un territoire qui a connu maints soubresauts et bouleversements majeurs.
N'oublions pas qu'il y a dix ans certains voulaient imposer le langage des
armes pour, prétendument, parler d'avenir !
Nous ne retrouvons malheureusement pas chez l'ensemble de nos partenaires,
dont certains veulent nier cette avancée notable et exigent la dissolution du
comité de coordination, une attitude aussi responsable politiquement.
Le résultat de toute cette confusion est le retard considérable qui a été pris
pour aborder la question essentielle de l'évolution statutaire de la
Nouvelle-Calédonie.
Si la conviction qu'il est nécessaire de s'accorder sur un projet d'avenir
n'est pas unanime chez nos partenaires, si aucune solution politique ne
parvient à émerger d'ici au 31 mars, nous adopterons, pour notre part, une
position très claire : nous exigerons l'organisation du scrutin
d'autodétermination.
Ce sera, pour la Nouvelle-Calédonie, l'instant de vérité. Mais nous sommes
prêts à assumer cette responsabilité, car nous refusons de tromper le peuple
français, qui s'est prononcé en 1988, par voie référendaire, sur l'avenir de la
Nouvelle-Calédonie.
Vous n'ignorez pas cependant, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, qu'il ne peut y avoir, en Nouvelle-Calédonie, de solution qui n'ait
qu'un caractère institutionnel.
La loi référendaire de 1988 nous a dotés de nouvelles institutions, dont le
fonctionnement a en grande partie été lié à l'attitude de ceux qui les ont fait
vivre et à leur conception de la démocratie.
La multiplication, ces mois derniers, des barrages dressés sur les routes
calédonniennes nous interpelle, de même que le mépris affiché des libertés
fondamentales telles que la liberté de circulation mais aussi la liberté
d'expression, car les responsables indépendantistes qui ont manifesté leur
volonté de négocier ont été l'objet de menaces et d'agressions.
C'est pourquoi les Calédoniens sont en droit d'avoir des réponses claires aux
questions qu'ils se posent sur leur avenir.
A l'aube du troisième millénaire, face au poids des grandes puissances de ce
monde, pouvons-nous, nous tous, assumer la responsabilité politique et
économique du repli d'une population de 250 000 habitants sur son territoire,
au nom de la revendication d'une indépendance qui ne relèvera que de
l'idéologie et jamais de la réalité quotidienne ?
Le Gouvernement va-t-il accepter, monsieur le secrétaire d'Etat, l'exigence de
la reconnaissance de la souveraineté du « peuple kanak », considéré comme le
premier occupant du territoire ?
L'application de ce concept de souveraineté à une partie de la communauté
calédonienne n'est-elle pas, en effet, une attitude foncièrement
discriminatoire portant en elle les germes de la division et de l'inégalité
?
Allons-nous reproduire, dans le pays des droits de l'homme, l'expérience de
l'île Fidji, où l'on a institutionnalisé la suprématie de la communauté
mélanésienne sur les autres groupes ethniques ?
Nous sommes tout à fait d'accord pour qu'un débat sur la souveraineté soit
engagé, mais il doit porter sur les rapports de la France avec l'ensemble de la
population calédonnienne, qui veut, en toute légitimité, voir reconnaître sa
différence.
Contrairement aux idées reçues, ce but peut être atteint sans sortir du cadre
constitutionnel de la France.
Nous souhaitons même que la spécificité de notre territoire puisse être
reconnue au plus haut niveau, celui de la Constitution.
Dans le même esprit, nous voulons qu'une redistribution des compétences soit
opérée entre l'Etat et les collectivités locales, au vu du bilan que nous
tirons des dix ans de pratique des institutions issues de la loi référendaire
de 1988.
Tous ces objectifs n'ont cependant de sens qu'à l'intérieur d'une solution
négociée qui, pour l'instant, reste encore envisageable.
Mais le temps nous est désormais compté.
En réponse aux exigences de ceux qui veulent couper les liens avec la France,
ne faut-il pas souligner le caractère unique des territoires français dans
l'océan Pacifique, et plus particulièrement de la Nouvelle-Calédonie dans
l'espace mélanésien, pour rappeler que nous ne saurions être assimilés à
n'importe quel autre micro-Etat insulaire de cette partie du monde, alors que
la population calédonienne, dans sa majorité, est profondément attachée à son
appartenance à la République française ?
Sachez que les Calédoniens ne veulent pas renoncer aux valeurs et aux
principes républicains qui sont les leurs depuis tant d'années.
Ils n'accepteront pas d'adhérer à un modèle de société pour le moins
aventureux, à un Etat dont ils ignorent la véritable nature et qui peut fort
bien s'éloigner des règles de l'Etat de droit.
La France acceptera-t-elle de les abandonner à leur sort ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'avenir statutaire de la
Nouvelle-Calédonie ne peut être que l'expression de la volonté populaire et le
résultat d'un fait majoritaire, car tels sont les principes fondateurs de la
République française.
Dans cette lutte pour la défense de nos droits et de nos valeurs communes, la
population calédonienne a besoin de votre soutien.
Aujourd'hui, l'espoir des Calédoniens, dans leur immense majorité, est de ne
pas perdre l'acquis considérable des dix années de paix et de développement qui
leur ont été données par les accords de Matignon et de pouvoir préparer leur
avenir dans l'harmonie et la sérénité.
(Applaudissements sur les travées du
RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
sollicite l'indulgence de mes collègues MM. Simon Loueckhote, Georges Othily,
Daniel Millaud et Victor Reux, car je m'introduis au sein d'un débat entre «
ultra-marins », même si je puis moi-même revendiquer, si je puis dire, cette
nature !
M. Simon Loueckhote.
C'est la France !
M. Guy Allouche.
Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest.
Nous, nous sommes en Ile-de-France...
(Sourires.)
M. Guy Allouche.
Mes chers collègues, en application de l'article 38 de la Constitution, et en
conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, le Gouvernement
sollicite du Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances les mesures
législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation à l'outre-mer du
droit applicable en métropole et ce dans le respect de chacune des
collectivités.
Concernant l'outre-mer, le recours aux ordonnances est assez fréquent. Mais la
particularité du projet de loi qui nous est soumis est que l'habilitation
demandée n'a jamais été aussi vaste - je ne reprendrai pas ici l'énumération
des domaines concernés, qui viennent d'être rappelés tant par M. le secrétaire
d'Etat que par notre excellent rapporteur - et qu'elle concerne aussi bien les
territoires et les collectivités territoriales d'outre-mer que les départements
d'outre-mer.
L'article 74 de la Constitution nous rappelle que les territoires d'outre-mer
sont régis par le principe de la spécialité législative. Les règles en vigueur
dans ces territoires ne peuvent résulter que de textes qui leur sont
spécifiques ou de textes généraux dont l'applicabilité outre-mer est
expressément mentionnée.
Quant aux départements d'outre-mer, les lois s'y appliquent de plein droit
sans mention spécifique.
Toutes ces modalités particulières d'application de textes législatifs
expliquent le retard du droit en vigueur outre-mer. Périodiquement, le
Gouvernement dépose des projets de loi portant diverses dispositions relatives
à l'outre-mer - projets de loi « fourre-tout » - avec des dispositions
hétéroclites et souvent techniques.
Nous savons tous que les projets de loi portant diverses dispositions
relatives à l'outre-mer ne suscitent guère l'enthousiasme du législateur, qui
s'en accommode tant bien que mal. En la circonstance, c'est par voie
d'ordonnances que le Gouvernement entend procéder à la modernisation du droit
applicable outre-mer.
Ce projet de loi est-il conforme la Constitution ? Nous le pensons, car il
répond à toutes les exigences rappelées par le juge constitutionnel.
C'est notamment le cas de l'article 1er, qui précise que la finalité de
l'habilitation est « l'actualisation et l'adaptation du droit applicable
outre-mer » et les domaines d'intervention qu'il énumère font l'objet d'une
description détaillée.
Les seize domaines d'intervention sont, certes, d'importance variable, mais
ils sont essentiels pour les populations concernées.
En outre, les délais pendant lesquels le Gouvernement est habilité à prendre
ces ordonnances sont bien délimités : le délai de dépôt des ordonnances est
fixé au 15 septembre 1998 et celui des projets de loi de ratification au 15
novembre 1998.
De fait, le législateur est en droit de s'interroger sur le bien-fondé d'une
telle habilitation qui le dessaisit d'une partie importante de ses compétences.
Ajouterai-je que, pour des raisons aisées à comprendre, le législateur
n'apprécie que fort peu le recours à cet « outil législatif », dont l'usage,
même modéré, prête à controverse ?
A cet égard, il y a lieu d'admettre que le Parlement a souvent débattu des
sujets traités et la seule question réside dans l'opportunité d'une application
outre-mer.
Je note également que vous avez pris soin de déclarer, monsieur le secrétaire
d'Etat, que le Gouvernement n'entend rien imposer par voie d'ordonnances, mais
compte, au contraire, faciliter l'introduction du droit dans des domaines qui
ne sont actuellement pas couverts.
Il nous faut aussi reconnaître que la méthode retenue, outre sa commodité, est
un gage de rapidité de la transposition des dispositions concernées.
L'encombrement du calendrier législatif plaide donc en faveur de cette
méthode.
Nous constatons enfin que le Gouvernement marque le souci de respecter le
pouvoir de contrôle du Parlement : les avant-projets d'ordonnance sont prêts et
ils ont été transmis à la commission des lois - M. le rapporteur en a fait état
hier en commission et, voilà un instant, à cette tribune - il n'y aura pas un
projet de loi de ratification mais plusieurs, et ceux-ci seront renvoyés aux
commissions compétentes au fond et non à la seule commission des lois, comme
c'est souvent le cas pour les projets de loi portant diverses dispositions
relatives à l'outre-mer. C'est une innovation que je souligne avec plaisir.
Par ailleurs, les prérogatives des assemblées des collectivités d'outre-mer en
matière de consultation sont étendues aux ordonnances, ainsi que le prévoit le
dernier alinéa de l'article 1er.
Les ordonnances visées par ce projet de loi d'habilitation fort bien présenté
par notre excellent collègue Jean-Marie Girault, que je tiens à féliciter pour
la qualité, la densité et la précision de son rapport, ont été rappelées à
cette tribune : elles illustrent parfaitement la diversité des domaines
couverts par ce texte, dont l'importance, certes inégale, est toujours en
rapport direct avec les préoccupations qu'expriment souvent nos collègues élus
des départements et territoires d'outre-mer. Aussi faisons-nous nôtre l'urgence
mise à actualiser la législation, puisque le souci de l'efficacité doit être
prioritaire.
En marge de ce texte, je veux avant de conclure évoquer l'évolution - positive
- du dossier calédonien, et témoigner de l'intérêt que nous portons à la
Nouvelle-Calédonie et à ses habitants.
Juste avant moi, notre collègue Simon Loueckhote a fait état de la situation
de ce territoire qu'il connaît parfaitement, et pour cause : il en est l'élu.
Je veux aussi remercier notre excellent rapporteur des propos qu'il a tenus à
ce sujet : nous savons tous que M. Jean-Marie Girault est un fin connaisseur de
l'outre-mer, particulièrement du dossier néo-calédonien. Nous n'avons pas
manqué de noter la gravité du propos qu'il a tenu en rappelant les événements
qui se sont déroulés voilà dix ans maintenant - dix ans déjà ! - et qui ont
marqué l'opinion publique tant française qu'internationale.
Après une longue période de difficultés et de tensions, le préalable minier a
été levé. Les accords de Bercy marquent un tournant. La presse, surtout écrite,
a rendu compte de cet événement politique important intervenu le week-end
dernier. La conclusion de l'accord entre l'Etat et les opérateurs miniers en
Nouvelle-Calédonie permettra aux forces politiques calédoniennes d'engager
enfin les pourparlers politiques et institutionnels.
Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous préciser le sens et toute la
portée de cet accord ? Quel en est l'enjeu dans le domaine industriel, dans le
cadre plus global des accords de Matignon ? Le débat relatif à l'outre-mer ne
peut faire abstraction de la nouvelle situation en Nouvelle-Calédonie.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe socialiste
émettra un vote favorable sur ce projet de loi, auquel M. le rapporteur
propose, fort pertinemment, d'apporter deux modifications, l'un des amendements
déposés par la commission étant un amendement de précaution visant l'université
française du Pacifique, l'autre tenant compte de la situation à Nouméa et ayant
trait aux concessions d'endigage.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste, républicain et citoyen.
- M. Othily applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
Gouvernement demande au Sénat de l'habiliter à prendre, par ordonnances, les
mesures nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable
outre-mer.
Lors du débat sur le budget de l'outre-mer, j'ai indiqué que le législateur
était toujours frustré de se voir enlever l'essentiel de sa mission, à savoir
faire la loi.
Ce projet de loi d'habilitation arrive, je crois, à point nommé.
Je voudrais simplement vous rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que si la
spécificité des départements et territoires d'outre-mer était prise en compte
lors de l'adoption de la loi, et non
a posteriori
comme nous le faisons
maintenant, les difficultés auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés
seraient certainement moins nombreuses.
Cela étant, l'urgence qu'il convient d'accorder au traitement de certaines
situations délicates ne nous permet pas de retarder le processus de
modernisation du droit applicable outre-mer et, pour la circonstance,
j'apporterai donc mon soutien à votre initiative.
Pour autant, monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'abandonnerons pas sans
concession les prérogatives qui sont les nôtres et c'est la raison pour
laquelle je souhaite vivement que les élus locaux soient associés à la
rédaction des ordonnances que le Gouvernement sera habilité à prendre.
Parmi les mesures qui sont proposées, trois concernent particulièrement la
Guyane.
Le paragraphe 5°, de l'article 1er, dans sa rédaction issue de l'Assemblée
nationale, envisage - enfin ! - le remboursement des médicaments indispensables
en prophylaxie et en thérapeutique palustre.
Monsieur le secrétaire d'Etat, de l'aveu même des services du ministère de la
santé, 10 % de la population guyanaise est très gravement concernée par
l'endémie palustre, puisque l'existence de sources chloroquinorésistantes est
aujourd'hui confirmée. En clair, cela signifie que seules deux spécialités,
l'Halfan et le Lariam, sont de nature à endiguer ce fléau.
Or les deux produits que je viens de citer ne sont pas remboursés par la
sécurité sociale, ou plutôt ils le sont à condition d'être prescrits par un
médecin hospitalier dans le cadre d'un traitement initié à l'hôpital et d'être
délivrés par les pharmacies des hôpitaux.
En pratique, il est impossible de se procurer ces médicaments en pharmacie :
la Guyane ne compte que trois hôpitaux pour une superficie équivalant à 25 % du
territoire métropolitain et, de plus, la prescription d'un traitement
antipaludéen doit être renouvelée tous les mois.
Pourtant, il existe une solution simple, de nature à mettre fin à cet état de
fait : l'inscription du Lariam et de l'Halfan sur la liste des spécialités
remboursables aux assurés sociaux.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pour être ratifiée l'année prochaine,
l'ordonnance que le Gouvernement proposera devra impérativement prendre en
compte cette considération.
Pour ce qui concerne l'état civil en Guyane, j'ai pris connaissance avec
satisfaction du projet d'ordonnance que le Gouvernement a soumis aux autorités
locales.
Pour l'avenir, le délai de déclaration des naissances serait porté de trois
jours à un mois. Cette mesure semble particulièrement adaptée à la spécificité
géographique de la Guyane et devrait faciliter considérablement la tâche des
autorités préfectorales et judiciaires.
Pour autant, je regrette que le Gouvernement n'ait pas poursuivi cette logique
plus en profondeur. Cette seule modification de l'article 55 du code civil
prend en considération la situation des personnes à naître, mais ne règle en
rien les difficultés que rencontrent les Guyanais dépourvus d'état civil.
On estime à environ 7 000 le nombre de Français qui ne disposent d'aucun
document d'identité et qui, de ce fait, sont dans l'incapacité de participer à
la vie en société.
Fort heureusement, l'Assemblée nationale a introduit un amendement qui devrait
permettre de trouver des solutions heureuses à cette difficulté. Dans ce cas,
une commission chargée d'étudier la situation de chaque Français sans papiers
devra voir le jour dans les meilleurs délais.
Je rappelle que cette commission devra être composée des différents acteurs de
la vie locale. Je pense évidemment au procureur de la République et au préfet.
Mais, surtout, il est primordial que soient présents au sein de cette
commission le maire de la commune où réside l'intéressé ainsi que deux
personnalités - deux sages de la commune - réputées pour leur connaissance des
populations autochtones, qui sont les plus concernées.
La troisième disposition qui concerne le département de la Guyane est relative
au problème foncier. A l'heure actuelle, vous l'avez rappelé, monsieur le
secrétaire d'Etat, l'Etat possède, à titre privé, 90 % des terres du
département.
De nombreuses réformes foncières ont été effectuées. Malheureusement, les
résultats ne sont pas à la hauteur des espérances. Nous devons, monsieur le
secrétaire d'Etat, profiter de l'occasion qui nous est donnée pour mettre en
place un système efficace de gestion des transferts de propriété.
D'abord, il faut chercher à éviter toute démarche spéculative de la part des
futurs propriétaires fonciers. Je crois savoir que l'ordonnance que vous
prévoyez de prendre subordonnera ces transferts à la condition d'une
exploitation agricole trentenaire. J'aurais préféré que ce fût inscrit dans la
loi d'habitation, mais je suis certain que vous saurez nous apporter des
garanties au sujet de cet élément de stabilité.
Par ailleurs, je relève que le texte, dans sa rédaction émanant de l'Assemblée
nationale, prévoit que ces transferts pourront bénéficier aux « agriculteurs
installés », ce qui est logique, mais également « aux personnes physiques qui
en font la demande ».
Cette dernière acception n'est pas sans m'inquiéter. Que faut-il entendre par
là ? Je souhaiterais que l'ordonnance relative à cette question précise bien
que la condition d'accès à la terre est son exploitation, et rien d'autre.
Par ailleurs, la méthode d'attribution des terres devra nécessairement
entraîner une refonte du décret portant création de l'établissement public
d'aménagement de la Guyane, l'EPAG, en faisant entrer au conseil
d'administration la chambre de commerce et d'industrie, la chambre de métiers,
la chambre d'agriculture et les communautés de communes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis certain que les réponses que vous nous
adresserez sauront apaiser les inquiétudes de certains d'entre nous.
S'agissant de la mise en place des ordonnances, j'invite le Gouvernement à
prendre attache avec les élus de l'outre-mer, afin que l'adoption d'une
législation future fasse l'objet de la concertation la plus large.
C'est seulement dans ces conditions qu'une ratification pourra intervenir.
Dans cette attente, j'apporte mon soutien au projet de loi d'habilitation, qui
permettra certaines avancées indispensables pour nos collectivités.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Millaud.
M. Daniel Millaud.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
voudrais, au début de mon propos, attirer une nouvelle fois l'attention du
Gouvernement et, bien entendu, de la Haute Assemblée, sur la diversité
politique de l'outre-mer français, qui s'exprime dans trois catégories de
collectivités « constitutionnelles » : les départements, les territoires et les
collectivités territoriales.
Chacune de ces catégories représente des spécificités institutionnelles,
géographiques, confrontées trop souvent à l'application de lois et de traités
internationaux, sans réflexion commune préalable, et malgré l'avis du Conseil
d'Etat à ce sujet. J'étais tenté de passer sous silence la confusion entre
association et annexion dans les rapports entre l'Union européenne et les
territoires d'outre-mer français, mais je vais tout de même en parler un peu. A
ce sujet, il faudra, dans les ordonnances, appliquer le principe de
non-discrimination prévue par le traité de Rome et par les décisions
d'association dans le cadre du droit d'établissement et des activités salariées
et autres, dont les autorisations ne pourront être données que par les
autorités du territoire auxquelles devront se soumettre également les candidats
métropolitains.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est la conclusion unanime du
récent débat du conseil économique, social et culturel de Polynésie française.
C'est pourquoi, puisque vous avez l'intention de modifier les principes
généraux du droit du travail, je vous demande de prévoir des dispositions
assurant le droit au travail aux personnes originaires de mon territoire.
En tout état de cause et compte tenu de la diversité que j'ai rappelée, je
préférerais que les ordonnances traitent séparément des aménagements
législatifs qui doivent être apportés à chacun des départements, territoires et
collectivités territoriales. Ainsi, chaque département, chaque territoire,
chaque collectivité territoriale aura sa propre ordonnance.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous hochez la tête. J'ai consulté cet ensemble
d'ordonnances et je vous assure que, pour quelqu'un qui n'a jamais fait de
droit, pour un simple dentiste de quartier comme moi, il n'est pas facile
d'éliminer ce qui s'applique à Saint-Pierre-et-Miquelon et de ne conserver que
ce qui doit être appliqué aux îles Marquises. Nous en discuterons peut-être une
autre fois.
Par ailleurs, se pose la question des délais. Le Parlement, qui dispose de
conseillers techniques performants, pourra se prononcer dans le cadre des lois
de ratification au cours de la prochaine session budgétaire, puisque les
ordonnances seront connues au plus tard le 15 septembre et déposées le 15
novembre.
En revanche, les assemblées locales consultées ne disposeront que d'un délai
d'un mois pour donner leur avis, sans doute à partir du 15 septembre. Je
voudrais, monsieur le secrétaire d'Etat, vous rappeler que l'article 69 de la
loi organique n° 96-312, portant statut de la Polynésie française, prévoit que
l'assemblée « dans tous les cas où son avis doit être recueilli » dispose d'un
délai de deux mois pour se prononcer. Certes, ce délai est réduit à un mois,
comme le précise l'article 73, « par dérogation », car le haut-commissaire «
peut faire inscrire par priorité à l'ordre du jour une question sur laquelle
l'assemblée de Polynésie française ou la commission permanente doit émettre un
avis ».
Encore faut-il que l'assemblée soit en session, et si elle ne l'est pas, un
certain temps est nécessaire pour réunir ses membres car ils sont dispersés sur
un territoire beaucoup plus grand que l'Europe, dont plusieurs aéroports, vous
ne l'ignorez pas, ont été détruits par de récents cyclones.
Mais, et c'est grave, se pose la question de fond, que vous avez voulu
éliminer en disant que la consultation des assemblées n'était pas prévue en ce
qui concerne les ordonnances. En réduisant d'autorité, par une loi simple, à un
mois le délai pour rendre l'avis, on modifie les dispositions d'une loi
organique relative à mon territoire.
Je vois que certains disent non et que l'on continuera à appliquer un système
colonial. Ayant eu un grand-père qui a été gouverneur par intérim des colonies,
je connais un peu le système.
(Sourires.)
En tout état de cause, il faudra respecter les compétences de chacune de
nos collectivités d'outre-mer et, d'ores et déjà, tenir compte des avis et des
souhaits qu'elles auront pu exprimer sur le projet de loi d'habilitation que
nous examinons aujourd'hui et dont l'exposé des motifs est relativement
explicite. Bien entendu, comme l'a dit tout à l'heure M. le rapporteur, il ne
faudra pas omettre - car c'est une obligation qui résulte de l'article 74 de la
Constitution - de transmettre l'avis de l'assemblée des pingouins des terres
Australes et Antarctiques françaises au Parlement !
(Sourires.)
C'est ainsi que l'assemblée de Polynésie française - et je ne cite que
quelques extraits de son rapport - est réservée sur les modifications
susceptibles d'être apportées dans le droit du travail, défavorable à des
modifications de la loi de 1965 relative à la copropriété, favorable à
l'épargne logement, à la modernisation du code des douanes, à la procédure
contentieuse et de recouvrement en matière d'impôts.
On constate donc que le territoire est favorable à de nombreuses
améliorations, ou même à des dispositions nouvelles dans le secteur des
compétences de l'Etat.
C'est ainsi qu'il souhaite, comme cela est du reste prévu par les articles 62
et 63 de la loi statutaire, l'homologation des dispositions pénales adoptées
mais non homologuées de l'assemblée de la Polynésie française. De même, il
conviendrait d'attribuer aux policiers municipaux, comme à ceux de
Nouvelle-Calédonie, le pouvoir de constater par procès-verbal certaines
infractions. Cela pose également le problème de l'amélioration du code des
communes, dont de nouvelles dispositions devaient être promulguées voilà plus
d'un an. Quant à l'Université française du pacifique, le Gouvernement propose
de prolonger sa situation illégale. Je pense que, sur l'initiative de M. le
rapporteur, le texte sera bien amélioré.
Mais monsieur le secrétaire d'Etat, si vous pensez d'ores et déjà à doubler
cette université, encore faudrait-il donner aux deux entités une personnalité
autonome, comme les autres universités françaises.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Bien sûr !
M. Daniel Millaud.
Il faudra qu'elles aient la possibilité de passer des conventions avec les
universités de la zone. C'est très important.
Mais avant toute chose, avez-vous pris seulement l'avis de son président, des
collaborateurs de ce dernier et de l'association des étudiants ?
Pour toutes les raisons que je viens d'évoquer - mais je pourrais en exposer
d'autres - et parce que les délais, je le crains, seront insuffisants, je
m'abstiendrai dans le vote du projet de loi d'habilitation dont nous
discutons.
M. le président.
La parole est à M. Reux.
M. Victor Reux.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce
projet de loi d'habilitation concerne seize ou dix-sept matières dont plusieurs
visent Saint-Pierre-et-Miquelon.
Je me réjouis de voir enfin s'ouvrir une réelle perspective d'évolution
positive et moderniste dans certains secteurs importants.
C'est le cas précisément, sans être exhaustif et sans entrer dans les détails,
des dispositions visant la médecine vétérinaire, la modernisation du code des
douanes, la protection complémentaire vieillesse des travailleurs non salariés
de l'archipel, la restructuration de l'organisation juridictionnelle locale et
la modernisation des activités financières.
Je souhaiterais que, dans les ordonnances à venir, la question des retraites
des personnels hospitaliers locaux soit prise en considération, afin d'en finir
avec une discrimination déjà trop ancienne.
Toutefois, je regrette que, contrairement aux souhaits exprimés par les
parlementaires et par le conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon, la mise
en place d'un registre d'immatriculation des navires propre à l'archipel n'ait
pas été intégrée dans ce projet de loi. L'occasion était belle, lorsque l'on
mesure les potentialités de développement des activités maritimes qui
s'annoncent dans toute la région en liaison avec la recherche et l'exploitation
présente et à venir, notamment dans notre zone économique exclusive, des
gisements sous-marins de pétrole et de gaz, pour lesquels nos voisins
nord-américains s'engagent largement. Le gouvernement auquel vous appartenez,
monsieur le secrétaire d'Etat, ne devrait pas négliger cette question.
Je dirai deux mots sur les pages 7 et 8 de l'exposé des motifs concernant le
prétendu souhait des maires des communes de l'archipel de vouloir s'impliquer
davantage dans les dossiers de sécurité puisque, en fait, les correspondances
qu'ils ont adressées au président du conseil général et au préfet indiquent
tout le contraire.
En ce qui concerne l'application à Saint-Pierre-et-Miquelon de la
réglementation nationale en matière de sécurité et des risques d'incendie, je
ne suis pas favorable au texte initial, et l'assemblée locale consultée s'est
prononcée contre.
A ce sujet, j'ai déposé un amendement pour l'application de l'alinéa 3° de
l'article 1er.
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, des précisions que vous avez
apportées au sujet de l'ordonnance qui éviterait les conflits de compétences, à
Saint-Pierre-et-Miquelon, entre l'Etat, la collectivité et les communes, ainsi
que, plus généralement, des procédures de consultation des projets
d'ordonnances par les assemblées locales, en espérant, comme mes autres
collègues, que nous pourrons respecter les délais prévus.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je voudrais tout d'abord remercier les différents intervenants, qui
ont marqué leur intérêt pour la démarche nouvelle proposée dans ce texte, ainsi
que pour le contenu de ce dernier.
Je traiterai ensuite du sujet d'actualité qui nous préoccupe tout
particulièrement et que M. le rapporteur, MM. Allouche et Loueckhote ont
abordé, c'est-à-dire la situation en Nouvelle-Calédonie.
S'agissant de notre démarche, je vous confirme que l'intention du Gouvernement
dans ce domaine est de travailler à actualiser l'application du droit
outre-mer. Autant que nous le pouvons, et comme cela se pratique, je crois,
depuis quelques années, les projets de loi soumis au Parlement prévoient les
conditions d'application outre-mer.
Mais de nombreux textes ne connaissant pas de telles dispositions
d'application subsistent encore. D'où l'idée de réaliser ces fameuses «
lois-balais » - l'expression est un peu péjorative ! - qui tendent à refonder
le droit outre-mer sur la base du droit national élaboré par le Parlement.
L'ensemble des textes concernant cette loi d'habilitation, qui se traduiront
en ordonnances, représentent plus de trois cents pages. C'est donc là encore un
véritable monument législatif que nous aurions à construire, d'où le choix de
la formule des ordonnances, et donc d'une loi d'habilitation. Je comprends bien
d'ailleurs, pour avoir moi-même été parlementaire, qu'une telle loi
d'habilitation suscite des réserves et des réticences de la part de M. Allouche
en raison du désaississement du Parlement qu'elle induit. J'ai été étudiant en
droit dans les années soixante, et je sais bien que les professeurs de la
faculté de droit considéraient avec beaucoup de suspicion les ordonnances. Nous
avons toujours conservé cette culture juridique.
De ce point de vue, le Parlement ne doit pas se sentir tenu à l'écart des
textes que nous avons ainsi à élaborer et ensuite à promulguer.
En effet, la démarche nouvelle que nous proposons vise à associer au maximum
le Parlement et les collectivités territoriales à l'élaboration de ces
ordonnances et non pas à les déposséder. Nous travaillons ici dans l'intérêt
général, pour essayer de faire en sorte que la législation soit la mieux
adaptée possible aux situations particulières de l'outre-mer.
Ainsi, les avant-projets ont déjà été présentés aux assemblées locales. Seule
la Martinique n'a pas encore répondu, mais ce n'est, à mon avis, qu'une
question de délai. Une fois la loi d'habilitation adoptée, les projets
d'ordonnances seront transmis aux assemblées, de même qu'un échange aura lieu
avec les parlementaires, de façon à mieux adapter les dispositions
législatives. Enfin, interviendront les lois de ratification, qui permettront,
en ce domaine, un débat utile.
Ce souci de transparence et d'efficacité législative me paraît reconnu par
tous les sénateurs qui se sont exprimés ici, même si M. Millaud a formulé des
réserves, invoquant des problèmes de délais. Mais nous essaierons de faire au
mieux avec l'assemblée de Polynésie française de façon à associer tout le
monde.
Je souhaite maintenant apporter quelques précisions en réponse aux questions
qui m'ont été posées.
Tout d'abord, M. Loueckhote a évoqué la réaction qui se manifeste en
Nouvelle-Calédonie concernant l'extension de la garantie décennale en matière
de construction. M. le député Frogier m'a également écrit récemment à ce sujet.
S'agissant de ce texte, nous aurons à déterminer si le dispositif doit ou non
être inclus dans l'ordonnance puisqu'un projet de loi de Mme Guigou abordant
ces questions est en cours de discussion. Nous disposons donc de quelque temps
pour ajuster les dispositions en tenant compte de la spécificité de la
Nouvelle-Calédonie.
En ce qui concerne la Guyane, je partage les préoccupations de M. Othily.
S'agissant tout d'abord des problèmes de santé, la Guyane est à ma
connaissance le seul territoire national où les problèmes de paludisme se
posent et où nous devons donc mener une action préventive en cette matière. En
conséquence, il me paraît légitime que les produits destinés à assurer la
protection contre le paludisme soient remboursés dans toutes les circonstances
: c'est en effet un principe d'égalité, et l'ordonnance devra donc se situer
dans cette perspective.
S'agissant des citoyens français n'ayant pas d'état civil, j'ai demandé à Mme
le garde des sceaux que l'opération soit accélérée par la mise à disposition de
personnels.
De la même façon, je viens d'écrire au directeur de cabinet de Mme Guigou pour
lui demander d'envisager d'associer les élus locaux, voire les personnalités de
la commune - « les sages », comme vous l'avez dit, monsieur le sénateur - lors
de la venue sur place du magistrat, de façon à constater les états civils. Je
souhaite que cette opération se déroule sur l'année 1998, pour que ce problème
soit enfin réglé.
Comme vous le savez, la justice s'était opposée, pour des raisons
constitutionnelles, aux régularisations administratives, puisque l'état civil
des personnes fait partie des garanties des justiciables.
Nous devons donc nous situer dans un cadre juridique qui donne la prééminence
au tribunal de grande instance de Cayenne et au procureur général. Les moyens
vont être renforcés, sur le plan juridique, pour permettre d'accomplir cette
tâche.
Enfin, sur le plan foncier, l'ordonnance demande à être précisée, car l'on
comprend bien l'intérêt que les Guyanais éprouvent à être propriétaires des
terres qu'ils cultivent, voire sur lesquelles ils exercent des activités ; en
effet, certains sont non pas des cultivateurs à temps plein, mais ce que l'on
appelle aujourd'hui des « pluriactifs ».
Comme vous, monsieur le sénateur, je considère, d'une part, que cette
opération ne doit pas donner lieu à un processus spéculatif et, d'autre part,
que le transfert du domaine public de l'Etat vers le domaine privé de
particuliers exerçant une activité soit agricole, soit tout autre, doit se
faire avec une garantie de maintien dans le domaine public. Il ne s'agit pas
que des terres soient transférées pour être vendues selon un processus
spéculatif avant, à mon avis, un délai de prescription trentenaire, qui me
paraît constituer un élément indispensable.
Nous aurons à discuter de ce problème avec l'administration des domaines. La
discussion sera bien évidemment difficile, comme elle l'est d'ailleurs déjà
depuis plus de vingt ans. Mais je pense que nous pourrons parvenir, dans
l'intérêt général, à une solution acceptée par tous.
J'en viens maintenant à l'Université française du Pacifique, évoquée par M.
Millaud.
A cet égard, nous nous sommes trouvés devant une difficulté : en effet, le 9
octobre, l'Université française du Pacifique ne disposait plus de statut,
puisque la période transitoire était révolue.
Le Gouvernement, notamment le ministre de l'éducation nationale, souhaite
maintenant favoriser l'existence de deux universités distinctes. Nous aurons
donc, à mon avis, deux établissements publics ; cette création interviendra
sans doute, compte tenu du délai nécessaire, à la fin de l'année 1998.
Monsieur Millaud, je retiens votre suggestion tendant à consulter les
personnels et les étudiants des universités ; mais mon souhait le plus fort,
dans ce projet, est que ces universités aient une capacité de rayonnement dans
toute la zone du Pacifique Sud.
Quand nous avons établi, au mois d'août dernier, le bilan de l'application du
contrat de développement, nous avons constaté que, malheureusement,
l'université du Pacifique de Papeete accueillait peu d'étudiants en provenance
de pays voisins. C'est dommage pour le rayonnement de la Polynésie et pour la
culture francophone ! L'érection de deux universités en établissements publics
devrait leur permettre de passer des conventions et, probablement, d'étendre
leur capacité à accueillir des étudiants étrangers du Pacifique Sud.
La validation législative prévue à l'article 4 pour la concession d'endigage
se révèle complexe : elle vise des opérations qui ont déjà eu lieu et pose un
problème de domanialité de l'Etat - qui est confirmée - par rapport à des
travaux qui ont été autorisés par le territoire. Une proposition de M. Frogier,
appuyée par M. Loueckhote, tend à aplanir cette situation et à en finir avec un
contentieux qui perdure. Nous avons nous-mêmes cherché une solution par la voie
administrative de la régularisation et je vous proposerai une autre démarche de
coordination, que vient appuyer l'amendement de M. le rapporteur. J'espère que
nous pourrons, de la sorte, parvenir à une solution satisfaisante.
En ce qui concerne les terres Australes et Antarctiques françaises, les TAAF,
le rapport qui avait été commandé à plusieurs personnalités m'a été
officiellement remis voilà deux jours. Je l'ai communiqué aux membres du groupe
de travail qui réfléchit actuellement à l'avenir de ce territoire d'outre-mer,
qui est un territoire de la République depuis 1955 et qui présente la
particularité de ne compter aucun habitant permanent, puisque les deux cents ou
deux cent cinquante personnes qui y vivent n'y sont établies que de façon
temporaire, en tant que scientifiques ou personnels d'assistance.
Le conseil consultatif des TAAF comprend différentes personnalités ou
autorités administratives et son rôle est d'appuyer les travaux de
l'administrateur des TAAF.
Nous devons consolider le principe de notre souveraineté à l'égard des terres
Australes et Antarctiques françaises. En effet, s'il s'agit de territoires
lointains, ils n'en présentent pas moins un intérêt scientifique et économique
à travers la zone de pêche, même si celle-ci n'est pas encore aujourd'hui très
étendue. Notre souveraineté n'y est certes pas remise en cause, mais elle doit
nous permettre, par le biais de la zone économique exclusive, de disposer en
plein coeur de l'hémisphère Sud d'une zone importante dont l'avenir économique
doit être préservé.
Hier, à l'Assemblée nationale, M. Gérard Grignon a interrogé mon collègue
Christian Pierret sur l'éventuelle découverte de champs pétroliers et gaziers
dans la zone économique de Saint-Pierre-et-Miquelon. On peut donc imaginer que
le maintien de la souveraineté française au travers des îles du Pacifique Sud
sur une vaste zone économique peut présenter un intérêt à l'avenir. C'est
pourquoi il faut préserver cette souveraineté, quitte peut-être à en adapter
les modalités, encore que, sur ce point, nous avons moins besoin de solutions
juridiques que de sens pratique pour préserver l'essentiel.
J'en viens maintenant à la Nouvelle-Calédonie, et je remercie les orateurs qui
se sont préoccupés de l'avenir de ce territoire.
Nous sommes parvenus, le 1er février, à régler le problème minier, le «
préalable minier », comme l'a appelé le FLNKS : voilà un peu plus d'un an et
demi que ce sujet donnait lieu à des discussions politiques et le FLNKS posait
comme condition de son entrée dans la négociation la levée de ce préalable.
La question de la construction de l'usine Nord est très ancienne. Les
premières promesses avaient été formulées en 1964 par le général de Gaulle,
mais aucune traduction de ce projet de rééquilibrage de l'activité de la
Nouvelle-Calédonie n'était intervenue en termes d'investissement.
Le Gouvernement, depuis sept mois, a essayé de sortir d'une situation enlisée
et de créer les conditions de réalisation de cette usine, afin de mettre à sa
disposition les gisements susceptibles d'en permettre l'exploitation. Je ne
sais pas, monsieur Loueckhote, si l'usine sera construite, mais je le souhaite
ardemment, parce que tout ce travail accompli, toute cette énergie dépensée
devraient être concrétisés dans l'intérêt de tous ceux qui vivent en
Nouvelle-Calédonie.
Lorsque je me suis rendu dans ce territoire, j'ai entendu toutes les opinions.
Tout le monde souhaite effectivement la construction d'une usine au nord pour
un rééquilibrage du territoire, puisque la seule usine de transformation
métallurgique se trouve au sud, à Doniambo, aux portes de Nouméa.
Nous avons créé les conditions de cette réalisation. Je pense que les
opérateurs industriels, dont la SMSP et son partenaire, Falconbridge, se
saisiront donc de cette occasion, dans le calendrier prévu, pour réaliser cet
instrument industriel qui me paraît indispensable. Il est en effet porteur de
créations d'emplois et générateur d'activités induites dans le nord.
Nous avons en tout cas pesé de tout notre poids pour que l'usine soit
réalisée.
Eramet a participé à la négociation, mais a présenté il y a quelque temps un
projet pour une autre usine au nord, utilisant un autre procédé
hydrométallurgique, avec une société australienne, Queensland Nickel. Après
tout, si ce projet voit lui aussi le jour dans des délais rapides, ce sera bien
pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Pour ce qui est des discussions politiques, la Nouvelle-Calédonie vient de
vivre dix années de paix, de développement, de pouvoir partagé entre
communautés, avec des succès mais aussi des réserves et des difficultés, comme
cela se passe toujours sur le terrain dans ce genre d'accords. Je crois
cependant que l'appréciation unanime des gens qui vivent en Nouvelle-Calédonie
comme de ceux de la zone périphérique, qui ont été souvent critiques vis-à-vis
de la France - je pense à certaines grandes puissances - est positive.
Je souhaite que aussi bien la représentation nationale que, au-delà, le peuple
calédonien dans son ensemble mesurent ce qui a été accompli au cours de ces dix
ans.
Il faut maintenant franchir une nouvelle étape. Le référendum
d'autodétermination prévu par les accords de Matignon entre dans le cadre des
textes constitutionnels : il s'agit de se prononcer pour le maintien du
territoire dans la République française ou pour son accession à
l'indépendance.
L'idée qui prévaut en Nouvelle-Calédonie depuis quelques années est non pas
d'aller vers ce référendum avec le risque de diviser la population, mais
d'essayer de trouver une nouvelle solution juridique pour vivre ensemble une
nouvelle étape. Le Gouvernement est fermement attaché à cette démarche et il
souhaite, dans les prochaines semaines, tout mettre en oeuvre pour qu'elle se
réalise, sachant que le calendrier est aujourd'hui impératif et qu'il nous
amènera à l'option du 31 décembre.
Dans l'immédiat, nous allons reprendre contact avec les deux partenaires des
accords de Matignon, le RPCR et le FLNKS, d'abord pour mesurer le chemin qui a
été parcouru et ensuite pour s'assurer que ceux-ci, à travers leur
représentation, sont le plus possible à l'image de la société calédonienne ;
nous essaierons alors de définir une méthode et un calendrier qui devraient
permettre de tracer les voies d'un accord politique.
Loin de vouloir opposer telle ou telle communauté, telle ou telle solution
politique, le Gouvernement veut au contraire s'efforcer, dans l'esprit des
accords de Matignon, de trouver une voie partagée par les deux communautés.
Nous aurons sûrement beaucoup d'efforts à faire et le problème sera difficile à
traiter sur le plan juridique, monsieur le rapporteur. Il nous faudra donc
imagination, sérénité et volonté d'aboutir.
J'ajoute que cette volonté d'aboutir correspond non pas simplement à une
dimension juridique, mais à un objectif de stabilité. Il est légitime qu'en
Nouvelle-Calédonie les investisseurs, ceux qui exercent des activités, mais
aussi les personnes qui y vivent, se demandent quel est l'avenir pour leurs
enfants et ce que nous leur proposons. On ne peut pas bâtir, regarder vers
l'avenir si l'on ne sait pas ce qui se passera d'ici à la fin de 1998 !
Mon souhait, c'est que nous puissions rapidement entamer la discussion,
déterminer les points de divergence - qui sont d'ailleurs déjà connus en grande
partie - et essayer de cheminer ensemble. Je crois que nous aurons l'occasion,
en Nouvelle-Calédonie, de construire avec des hommes et des femmes de bonne
volonté un avenir qui soit un avenir de paix, de développement et de respect
mutuel.
J'espère que le Gouvernement y contribuera, mais je souhaite aussi que le
Parlement y participe parce que je crois que l'image de notre pays nous
commande de construire un avenir de fraternité entre toutes les populations qui
vivent sur ce territoire.
Voilà ce que je souhaiterais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs.
Mais nous aurons, bien évidemment, l'occasion de reparler de ce dossier
important de la Nouvelle-Calédonie.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. _ Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution,
le Gouvernement est autorisé à prendre, par ordonnances, les mesures
législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit
applicable outre-mer dans les domaines suivants :
« 1° Droit du travail ;
« 2° Droit commercial, droit civil et droit applicable à certaines activités
libérales ;
« 3° Règles acoustiques et thermiques dans les départements d'outre-mer,
protection contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements
recevant du public dans la collectivité territoriale de
Saint-Pierre-et-Miquelon et régime de l'épargne-logement en Nouvelle-Calédonie
et en Polynésie française ;
« 4° Dispositions relatives à la déclaration périodique douanière entre les
départements d'outre-mer, à la modernisation des codes des douanes et au
contrôle des transferts financiers avec l'étranger dans les territoires
d'outre-mer et les collectivités territoriales de Mayotte et de
Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 5° En matière de santé publique et de sécurité sociale, dispositions
relatives à la tarification des produits sanguins dans les départements
d'outre-mer, au prix des médicaments dans ces départements et à
Saint-Pierre-et-Miquelon, à la révision des accords de coordination des régimes
métropolitain et néo-calédonien de sécurité sociale et à l'affiliation des
non-salariés résidant à Saint-Pierre-et-Miquelon à un régime de retraite
complémentaire et au remboursement des médicaments indispensables en
prophylaxie et en thérapeutique palustre ;
« 5°
bis
Etat civil en Guyane pour les futurs nouveau-nés, les enfants,
les adolescents et les adultes actuellement sans état civil et à Mayotte ;
« 6° En matière de domanialité, dispositions relatives au régime du domaine
privé de l'Etat en Guyane en vue de cession gratuite en propriété aux
agriculteurs installés ainsi qu'aux personnes physiques qui en font la demande
;
« 7° Organisation juridictionnelle dans les territoires d'outre-mer et les
collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 8° Régime des activités financières dans les territoires d'outre-mer et les
collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 9° Droit pénal et procédure pénale dans les territoires d'outre-mer et les
collectivités territoriales de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon ;
« 10° Droit électoral dans les territoires d'outre-mer et la collectivité
territoriale de Mayotte ;
« 11° Régime de la pêche dans le territoire des terres Australes et
Antarctiques françaises ;
« 12° Régime de l'enseignement supérieur dans les territoires d'outre-mer du
Pacifique ;
« 13° En matière fiscale, régime des privilèges et sûretés du Trésor et
procédure contentieuse, en Polynésie française ;
« 14° Dispositions relatives à l'action foncière, aux offices d'intervention
économique dans le secteur de l'agriculture et de la pêche et à l'aide au
logement dans la collectivité territoriale de Mayotte ;
« 14°
bis
Dispositions permettant aux chambres d'agriculture des
territoires d'outre-mer d'adhérer à l'Assemblée permanente des chambres
d'agriculture ;
« 15°
Supprimé
;
« 16° Réglementation de l'urbanisme commercial dans la collectivité
territoriale de Mayotte.
« Les projets d'ordonnances pris en application du présent article sont soumis
pour avis aux assemblées des territoires d'outre-mer intéressées, dans les
conditions prévues pour leur consultation sur les projets de loi visées à
l'article 74 de la Constitution. Ils sont également soumis pour avis aux
conseils régionaux et aux conseils généraux intéressés des départements
d'outre-mer et des collectivités territoriales de Saint-Pierre-et-Miquelon et
de Mayotte ; ces avis sont émis dans le délai d'un mois ; ce délai expiré, ils
sont réputés avoir été donnés. »
Par amendement n° 3, M. Reux propose, dans le quatrième alinéa (3°) de cet
article, de remplacer les mots : « protection contre les risques d'incendie et
de panique dans les établissements recevant du public dans la collectivité
territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon » par les mots : « règles de sécurité
et d'accessibilité des bâtiments dans la collectivité territoriale de
Saint-Pierre-et-Miquelon ».
La parole est à M. Reux.
M. Victor Reux.
Le quatrième alinéa de l'article 1er du projet de loi d'habilitation, tel
qu'adopté par l'Assemblée nationale, conduirait à étendre à l'archipel de
Saint-Pierre-et-Miquelon la réglementation nationale en matière de sécurité et
de protection contre les risques d'incendie. Or cette réglementation apparaît
largement inadaptée au contexte de l'archipel, compte tenu notamment des
conditions géographiques, climatiques ou économiques propres à
Saint-Pierre-et-Miquelon. En effet, la plupart des matériaux de construction
étant importés du Canada, ils ne répondent pas aux normes européennes.
L'introduction à Saint-Pierre-et-Miquelon des prescriptions actuellement en
vigueur en métropole aurait pour conséquence de renchérir très fortement le
coût de la construction en obligeant les propriétaires d'établissements
recevant du public à recourir aux matériaux et systèmes de construction en
provenance de l'Union européenne. Le marché local du bâtiment serait
complètement déstabilisé et l'application sur place des règles métropolitaines
aurait des répercussions importantes sur l'emploi en entraînant la fermeture de
nombreux établissements, notamment des petits commerces.
Ainsi, même si l'élaboration de règles de protection contre les risques
d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public apparaît
nécessaire pour que la commission de sécurité et d'accessibilité puisse
fonctionner dans des conditions satisfaisantes, des adaptations importantes à
la réglementation métropolitaine en vigueur doivent être apportées par des
dispositions particulières à Saint-Pierre-et-Miquelon afin de tenir compte de
cette situation spécifique de l'archipel.
Les risques de conflits de compétences entre les communes, d'une part -
lesquelles n'ont d'ailleurs jamais manifesté leur volonté de s'impliquer
davantage dans les dossiers de sécurité - et la collectivité territoriale,
d'autre part, qui a compétence en matière d'urbanisme et de logement, devront
également être évités lors de l'élaboration de ces textes spécifiques.
Le présent amendement a finalement pour objet de préciser les domaines dans
lesquels le Gouvernement pourra intervenir afin d'élaborer des mesures adaptées
à l'archipel.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Favorable.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Favorable.
Nous devons concilier, en effet, deux éléments : nous devons élaborer des
règles de sécurité concernant les bâtiments recevant du public, mais nous
devons aussi tenir compte des normes de construction locales, qui sont plus
proches des normes canadiennes, en termes de matériaux, que des normes
métropolitaines.
La proposition de M. Reux permet de préciser le contenu de l'ordonnance. Il
est bien évident que nous agirons en concertation avec la collectivité
territoriale.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 3, accepté par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, ainsi modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Articles 2 et 3
M. le président.
« Art. 2. - Les ordonnances prévues à l'article 1er devront être prises avant
le 15 septembre 1998.
« Des projets de loi de ratification devront être déposés devant le Parlement
au plus tard le 15 novembre 1998. » -
(Adopté.)
« Art. 3. - Le III de l'article 14 de la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996
portant dispositions diverses relatives à l'outre-mer est ainsi rédigé :
« III. - Pendant un délai qui expirera au plus tard trente mois après la
publication de la présente loi, les missions dévolues aux établissements visés
au titre III de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984 précitée seront prises en
charge par l'établissement créé par le décret n° 87-360 du 29 mai 1987 précité,
selon les règles fixées par ce texte. » -
(Adopté.)
Article additionnel après l'article 3
M. le président.
Par amendement n° 1, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose
d'insérer, après l'article 3, un article additionnel ainsi rédigé :
« Sous réserve des décisions juridictionnelles passées en force de chose
jugée, les décisions, les délibérations et les conventions relatives à
l'Université française du Pacifique, aux personnels et aux usagers de cet
établissement public, intervenues entre le 9 octobre 1997 et la date de
publication de la présente loi, sont validées en tant que leur régularité
serait contestée sur le fondement de leur absence de base légale tirée de la
caducité du régime juridique résultant du décret n° 87-360 du 29 mai 1987
relatif à l'Université française du Pacifique. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Cet amendement, que j'ai annoncé en présentant mon rapport,
vise à valider les actes relatifs à l'organisation et au fonctionnement de
l'Université française du Pacifique intervenus depuis le 9 octobre 1997, date à
laquelle a expiré le régime transitoire mis en place par la loi du 5 juillet
1996 portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer.
Il s'agit de prévenir les recours contentieux tendant à l'annulation de ces
actes pour défaut de base légale et de remédier au vide juridique résultant de
la caducité du régime transitoire instauré en 1996. Cet amendement ne contredit
pas le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, il le complète.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement émet un avis favorable.
Cet amendement permet en effet de donner une base juridique aux actes qui ont
été pris depuis le 9 octobre 1997, et ce jusqu'à la date de promulgation de
l'ordonnance. C'est donc un élément de sécurité juridique supplémentaire.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, après l'article 3.
Article 4
M. le président.
« Art. 4. - Sont validés les concessions d'endigage sur le domaine public
maritime sis dans les limites du port autonome de Nouméa fixées par les arrêtés
n°s 534 et 535 du 8 juillet 1926, étendues par l'arrêté n° 60/338 CG du 4
novembre 1960, modifiées par la délibération n° 16 des 3 et 4 août 1967, et les
actes translatifs de propriété sur les terrains exondés pris par le territoire
de la Nouvelle-Calédonie postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n°
76-1222 du 28 décembre 1976 relative à l'organisation de la Nouvelle-Calédonie
et dépendances. »
Par amendement n° 2, M. Jean-Marie Girault, au nom de la commission, propose
de rédiger comme suit cet article :
« Les concessions d'endigage sur le domaine public maritime sis dans le
périmètre du port autonome de Nouméa défini par les arrêtés n°s 534 et 535 du 8
juillet 1926 du Gouverneur de la Nouvelle-Calédonie et dépendances et n° 60-338
CG du 4 novembre 1960 du Haut-Commissaire de la République dans l'océan
Pacifique et aux Nouvelles-Hébrides et par la délibération n° 16 des 3 et 4
août 1967 de l'Assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie, sont
validées.
« Sous réserve des décisions juridictionnelles passées en force de chose
jugée, les actes pris sur le fondement des concessions d'endigage visées au
premier alinéa depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 76-1222 du 28 décembre
1976 relative à l'organisation de la Nouvelle-Calédonie et dépendances sont
validés en tant que leur régularité serait contestée par le moyen tiré de
l'incompétence de l'autorité ayant autorisé ces concessions. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marie Girault,
rapporteur.
Dans le même esprit que précédemment, nous proposons là une
nouvelle rédaction de l'article 4, introduit par l'Assemblée nationale sur
l'initiative de M. Frogier, député de la Nouvelle-Calédonie, pour réserver le
cas des décisions juridictionnelles devenues définitives et qui le demeureront,
et répondre à une exigence fixée par la jurisprudence du Conseil
constitutionnel.
Cet amendement ne contredit pas non plus le dispositif prévu par M. Frogier ;
il le complète, pour les raisons que je viens d'indiquer.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne,
secrétaire d'Etat.
Comme à l'Assemblée nationale, je m'en remets à la
sagesse du Sénat.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 4 est ainsi rédigé.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme
Terrade pour explication de vote.
Mme Odette Terrade.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les
sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront ce projet de
loi.
Je tiens cependant à exprimer une réserve, apparemment de forme, mais qui, en
fait, porte sur le fond des relations entre l'Etat et les départements et
territoires d'outre-mer.
La procédure d'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance n'est
pas, selon nous, conforme à la nécessaire décentralisation des pouvoirs entre
métropole et départements et territoires d'outre-mer. Pourquoi ne pas avoir
conféré, dans de nombreux domaines concernés par ce texte, un pouvoir
décisionnel, au moins consultatif, dans certains cas, aux autorités locales
représentantes des populations concernées ? Nous espérons qu'à l'avenir cette
démarche prévaudra.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
4
RESPONSABILITÉ DU FAIT
DES PRODUITS DÉFECTUEUX
Suite de la discussion et adoption
d'une proposition de loi
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la responsabilité du fait des
produits défectueux.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l'article 11.
Article 11
M. le président.
« Art. 11. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-10 ainsi
rédigé :
«
Art. 1386-10. -
Le producteur peut être responsable du défaut alors
même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de
normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative.
»
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 11.
(L'article 11 est adopté.)
Article 12
M. le président.
« Art. 12. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-11 ainsi
rédigé :
«
Art. 1386-11. -
Le producteur est responsable de plein droit à moins
qu'il ne prouve :
« 1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;
« 2° Que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où il a mis
le produit en circulation ;
« 3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de
distribution ;
« 4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il
a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du
défaut ;
« 5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles
impératives d'ordre législatif ou réglementaire.
« Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il
établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel
cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de
ce produit. »
Sur l'article, la parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission
des lois propose la suppression de la cause d'exonération prévue à l'alinéa 4
de l'article 12 de la proposition de loi relative à la responsabilité du fait
des produits défectueux.
Cela implique que tout industriel pourrait être considéré comme responsable de
dommages postérieurs à la commercialisation d'un produit, alors même qu'il a
mis tous les moyens en oeuvre pour s'assurer de l'absence de risque, en l'état
des connaissances, au moment de la mise sur le marché. Cela signifie, en clair,
que l'industriel pourra être responsable de risques qu'il ne peut, en aucune
manière, maîtriser.
Même si l'on peut comprendre le souci de protection du consommateur, une telle
disposition apparaît extrêmement dangereuse. Outre le problème d'assurabilité
qu'elle ne manquera pas de poser aux industriels, elle constitue
indiscutablement une atteinte à l'innovation et à la compétitivité de nos
entreprises.
Ainsi, contrairement à leurs homologues européens, à l'exception du
Luxembourg, dont le marché et les capacité de production et de recherche ne
sont pas de même niveau, et de l'Espagne, pour certains produits - nous
comprenons le traumatisme important après l'affaire des huiles frelatées - les
entreprises pourront se voir pénalisées pour leur contribution au progrès des
sciences et des techniques, ce qui, de fait, pénalisera également le
consommateur.
Comment demander à des entreprises de développer des recherches très pointues,
dans des pathologies sensibles ou rares, en utilisant des moyens sophistiqués
et coûteux tels que les biotechnologies, si l'on n'assure pas à ces entreprises
un minimum de sécurité juridique ?
D'autant qu'il convient de souligner que, en application de la directive
européenne, ce sera au fabricant d'apporter la preuve que « l'état des
connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en
circulation, n'a pas permis de déceler l'existence d'un défaut ».
En ce qui concerne les risques, grâce aux autorisations et aux règles de la
pharmaco-vigilance, les effets indésirables, répertoriés et cités, d'un produit
n'entraîneraient pas, en cas d'accident, la responsabilité du producteur ; en
revanche, la faute du producteur pourrait être invoquée pour des risques
méconnus et antérieurs.
Nous pouvons affirmer que le risque zéro correspondant à une sécurité absolue
est inconcevable en l'état.
Le maintien de cette cause d'exonération ne signifie pas, pour autant, qu'il
ne convient pas de rechercher les moyens de réparer des dommages individuels en
dehors du champ de responsabilité des industriels. Néanmoins, une telle
démarche relève du choix de notre société de réparer ce qu'il convient
d'appeler des « risques de collectivité », grâce à des moyens de financement
adaptés.
Quant à l'assurabilité, j'aimerais relever les importantes difficultés que
vont rencontrer les industriels du médicament et surtout les chercheurs dans le
cadre d'essais thérapeutiques en phases précoces, confrontés qu'ils sont à des
risques non définis.
Autre souci : l'autorisation temporaire d'utilisation va devoir redéfinir la
répartition des risques entre l'administration d'Etat et le producteur.
Les chercheurs vont être soumis, dans le cadre d'essais thérapeutiques, à des
pressions, suite à leurs résultats. Un ralentissement des procédures pourrait
leur être reproché, comme cela a été le cas pour les trithérapies.
S'agissant de l'innovation, nous risquons de stériliser notre recherche, en
particulier, on l'a déjà souligné, dans le cas des maladies orphelines
nécessitant des investissements lourds, sans retour financier.
La situation sera particulièrement caractéristique dans le domaine des
produits de santé, qui font l'objet, avant leur mise sur le marché, de longs
travaux de recherche et de développement dans le cadre de la loi du 20 décembre
1998, qui assure la protection des personnes. Il n'apparaît pas logique
d'alourdir la responsabilité des industriels pour des dommages qu'ils ne
peuvent pas, par nature, maîtriser, alors que la collectivité et le corps
médical ont de plus en plus besoin, dans ce domaine, de produits innovants.
J'aimerais soulever aussi le cas particulier de malades frontaliers qui
pourraient utiliser des médicament achetés à l'étranger et non soumis à notre
législation mais conforme à la directive européenne.
Je souhaite évoquer enfin les difficultés d'importation de molécules nouvelles
en vue d'essais thérapeutiques ; les contraintes réglementaires sont telles que
des industriels ont renoncé à s'implanter chez nous.
Nous tenons à nous élever contre tout laxisme, mais le « tout sécuritaire » ne
semble pas non plus représenter une orientation réaliste.
(Applaudissement sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président.
Par amendement n° 18, M. Hyest propose de rédiger comme suit le troisième
alinéa (2°) du texte présenté par l'article 12 pour l'article 1386-11 du code
civil :
« 2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut
ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en
circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ; »
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je me suis demandé pour quelle raison l'Assemblée nationale n'avait pas repris
le texte de la directive. Elle a simplifié : on ne parle pas du défaut qui est
né postérieurement ; on dit simplement que « le dommage n'existait pas au
moment où le produit a été mis en circulation ».
Le texte de la directive est plus global. Même si, comme c'est souvent le cas,
sa rédaction n'est pas parfaite sur le plan juridique parce qu'il s'agit d'une
traduction - ainsi, l'expression « mis en circulation par lui » n'est pas très
heureuse - je propose de le réintroduire parce qu'il me paraît dommageable de
ne retenir qu'une partie de ce que prévoit la directive.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
La
commission n'a pas cru devoir contester le texte de l'Assemblée nationale, mais
je dois reconnaître que la rédaction de M. Hyest est plus conforme à la
directive.
En tant que rapporteur de la commission, je ne puis qu'être défavorable, même
si, à titre personnel, j'estime que la rédaction proposée par l'amendement
pourrait rallier la sagesse du Sénat.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Certes, la différence entre les deux versions est
d'ordre rédactionnel. Il me semble toutefois que la formulation adoptée par
l'Assemblée nationale est plus concise. C'est pourquoi elle a ma préférence.
Cela étant, je m'en remets sur ce point à la sagesse du Sénat.
M. le président.
Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, repoussé par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 8, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de supprimer
le cinquième alinéa (4°) du texte présenté par l'article 12 pour insérer un
article 1386-11 dans le code civil.
Par amendement n° 25 rectifié, le Gouvernement propose de compléter
in
fine
le texte présenté par l'article 12 pour l'article 1386-11 du code
civil par un alinéa ainsi rédigé :
« Le producteur ne peut invoquer la cause d'exonération prévue au 4° lorsque
le dommage a été causé par un élément du corps humain, par les produits qui
sont issus de celui-ci, ou par tout autre produit de santé destiné à l'homme à
finalité préventive, diagnostique ou thérapeutique. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 8.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Nous arrivons là, mes chers collègues,...
M. Jean-Jacques Hyest.
Au coeur du débat !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... probablement, en effet, au coeur du débat, ou, peut-être,
à la minute de vérité, dans la mesure où certains - je ne parle pas de ceux qui
sont en séance et dont je ne doute pas de la sérénité face à ce texte - en
dehors de cette maison voient dans l'adoption de la directive une occasion
inespérée de modifier assez profondément notre système de responsabilité.
Avant de défendre l'amendement n° 8, je voudrais faire amende honorable, car
j'ai l'impression d'avoir un peu exagéré le désaccord qui a opposé tout à
l'heure la commission à différents intervenants, en particulier à notre
collègue M. Hyest, quant à la preuve du défaut. Mais j'étais lié par la
rédaction présentée par la commission et l'expression « produit défectueux »
m'a paru plus élégante. Toutefois, après réflexion, je conviens maintenant que
la rédaction retenue par le Sénat dans sa sagesse est satisfaisante.
Je tiens à dire que la lecture du texte faite par M. Hyest n'est pas contraire
à celle de la commission puisqu'elle repose sur l'idée qu'apporter la preuve
d'un défaut n'est pas apporter la preuve d'une faute, mais faire la preuve
objective d'un défaut, ce qui est une notion objective. Effectivement, mon cher
collègue, un produit peut présenter un défaut sans que celui-ci résulte d'une
faute. Je n'avais pas suffisamment perçu, tout à l'heure, cette différence
entre ces deux notions de défaut et de faute.
J'en viens maintenant à l'amendement n° 8.
Je tiens à dire d'emblée que, contrairement à l'idée que l'on peut se faire de
la position de la commission des lois et, bien sûr, de ma position personnelle,
on a tort de croire que nous opposons un refus absolu à la prise en compte du
risque de développement. Ce n'est pas exact. En réalité, nous admettons -
peut-être moins que certains d'entre vous, mais c'est une question de degré -
qu'il y a une certaine part de vérité dans l'idée selon laquelle un producteur
ne peut pas répondre de tout et qu'il ne peut pas être accablé parce qu'il n'a
pas tout prévu.
La voie proposée par la commission des lois pour répondre à cette
préoccupation me paraît meilleure que celle qui figure dans le texte.
En effet, quels sont - nous touchons ici au fond du débat - les arguments en
faveur de l'exonération de responsabilité ou, pour être plus clair, de
l'irresponsabilité ?
On nous dit - et on nous l'a redit ici tout à l'heure - que, dorénavant, on va
gêner, ou paralyser - M. Calmejane, en particulier, a souligné cet aspect des
choses - la recherche et l'innovation.
A cela, je répondrai qu'on ne va certainement pas gêner la recherche puisqu'il
va falloir faire encore plus de recherche pour prévenir les dommages. Ce qui
limitera la recherche, c'est le sentiment d'irresponsabilité. Par conséquent,
en ce qui concerne la recherche, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.
Cela va-t-il réduire l'innovation ? Je répondrai tout simplement par un fait :
voilà vingt ans que ce problème se pose. J'ai déjà participé - j'y ai fait
allusion tout à l'heure - à des discussions à Bruxelles dans les années
quatre-vingt et celles qui précédaient, il y a donc à peu près vingt ans, et à
ce moment-là les professionnels tenaient le même langage que M. Calmejane, à
savoir que, s'ils n'obtenaient pas l'exonération pour risque de développement,
eh bien ils allaient cesser d'innover et délocaliser, avec toute
l'argumentation que vous imaginez.
Or, à cette époque, et pendant les vingt ans qui ont suivi, il n'y a pas eu
d'exonération pour risque de développement.
M. Lorrain a fondé toute son intervention sur l'idée que quelque chose allait
changer et qu'un risque nouveau allait peser sur les fabricants de médicaments.
Mais non !
Ce que nous voulons, en réalité, c'est maintenir le
statu quo
et donc
ne pas retenir le risque de développement. En effet, il n'est pas sérieux de
prétendre que le système actuel, qui dure depuis plus de vingt ans, autant que
je sache, a gêné l'innovation et la création de produits sur notre
territoire.
Quand les professionnels évoquent les entraves qu'ils peuvent connaître, il
est question, madame le ministre, entre autres, de certaines mesures
d'actualité dont le patronat se soucie non sans faire quelque bruit : j'entends
parler des charges fiscales, bien entendu, éventuellement des contraintes
environnementales. Je rencontre assez souvent - voilà une semaine encore à
l'occasion d'un voyage officiel - des chefs d'entreprise, des fabricants
d'automobiles ou autres produits, et je ne les ai jamais entendus dire que
cette menace de risque de développement était paralysante. Ils peuvent d'autant
moins l'affirmer qu'en fait elle existe depuis, je le répète, des dizaines
d'années et qu'elle ne les a pas paralysés. Il est donc tout à fait excessif de
déclarer - et on se laisse un peu aller à le faire - que l'on va paralyser
l'innovation.
On dit également que l'on va créer des distorsions de concurrence. Mais, sur
le marché français, tout produit étranger comme tout produit français doit
respecter la réglementation française. Par conséquent, si des étrangers
prennent le risque de fabriquer des produits susceptibles de se révéler
insuffisamment fiables, ils seront condamnés.
J'ai lu dans une publication du patronat français, au demeurant très
intéressante, une réflexion selon laquelle il allait y avoir distorsion de
concurrence et que ce texte allait améliorer la position des producteurs
français - qui sont conscients d'être soumis à cette sujétion - et, en quelque
sorte, défavoriser les producteurs étrangers, qui, eux, ne subissant pas cette
contrainte - la plupart sont des Européens, bien entendu, cela ne vaut pas pour
les Américains - risquent de se trouver gênés sur le marché français.
Que je sache, nous n'avons pas à regretter que nos lois soient meilleures que
celles d'autres pays et que cela puisse gêner l'entrée en France de produits
étrangers. Je ne pense pas que nous puissions sérieusement partager ce souci
que j'ai cependant trouvé exprimé formellement dans une publication
professionnelle. Je ne vois pas où est la distorsion de concurrence.
Vous avez dit, madame le ministre, qu'elle pourrait exister du fait que, pour
les producteurs français, le marché français est plus important
quantitativement que pour les producteurs étrangers. Il faut faire des calculs
bien savants pour arriver à trouver qu'il y a là une différence probante. On
peut aussi bien répondre que le caractère plus exigeant de la protection
accordée en France décourage l'implantation de produits étrangers. Je trouve
qu'il n'y a pas lieu de s'en plaindre.
Par ailleurs - je le dis immédiatement, mais j'y reviendrai tout à l'heure -
d'autres réponses peuvent être apportées, qui permettent d'être tout à fait
rassurés en ce qui concerne les perspectives de délocalisation.
Enfin, on nous a dit qu'il y a des difficultés d'assurance. Je supplie que,
sur cette question d'assurance, on soit clair et positif.
On ne peut pas se contenter, dans ce débat, de dire qu'on ne peut pas assurer
un risque qu'on ne connaît pas, que vous allez voir ce que vous allez voir, que
d'ores et déjà les compagnies d'assurance ne couvrent pas ce risque.
Le problème se pose depuis des années. Nous l'avons examiné ici en 1992. Déjà,
alors, je demandais à votre prédécesseur, M. Vauzelle, de me produire une
police d'assurance de responsabilité civile qui, dans ses clauses -
c'est-à-dire dans la liste des cas de non-assurance - énumérait le risque de
développement.
J'ai reposé cette question lors des consultations auxquelles j'ai procédé de
manière très consciencieuse au cours des derniers jours. On m'a répondu
qu'aucune police d'assurance de responsabilité civile ne contenait une telle
clause. J'ai demandé qu'on m'en communique une seule qui contienne une clause
de non-assurance ! Je n'en ai reçu aucune. Si M. Marini, qui a évoqué ce
problème, en a une, qu'il me la communique afin que j'en aie au moins un
exemple sous les yeux et que je puisse voir comment elle est formulée. On ne
peut pas évoquer ainsi un fantôme ! Il faut apporter la preuve de la
non-assurance.
M. Philippe Marini.
Je peux vous en communiquer une !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Peut-être aboutira-t-on à une difficulté d'assurance ;
peut-être est-ce déjà le cas, mais attendons un peu que les choses se calment
après la décision rendue voilà quelques semaines sur le risque concernant le
sang contaminé et les receveurs.
N'oublions pas qu'il y a quand même la direction des assurances et des moyens
réglementaires de surmonter ce genre de difficultés, comme toutes les
difficultés d'assurance d'ailleurs - et il en existe de nombreuses autres.
Mais si la situation évolue ainsi un jour, je suis convaincu que nous ferons
ce que nous avons toujours fait dans le passé lorsqu'est apparu un risque trop
important auquel l'assurance ne pouvait pas, selon les mécanismes classiques,
faire face, car, bien sûr, nous n'avons pas l'intention de laisser supporter
aux producteurs de tels risques.
Le progrès technologique dans notre société est réalisé grâce aux systèmes
d'assurance. Il faut donc que ceux-ci fonctionnent. S'il apparaît un jour - tel
n'est pas le cas aujourd'hui - des blocages d'assurance, nous ferons - j'en
suis convaincu - ce que nous avons fait pour les accidents de la circulation et
de la construction, ainsi que dans de nombreux autres domaines : nous mettrons
en place un système d'assurance obligatoire. Les Allemands ont procédé ainsi
pour le médicament, vous l'avez rappelé tout à l'heure, mon cher collègue.
C'est la solution raisonnable. Sinon, qui paie lorsqu'un malheur frappe des
centaines de personnes ? C'est l'Etat.
Je crois préférable, plutôt que de traiter l'Etat comme une vache à lait qui
doit faire face à toutes les difficultés, de s'en remettre à notre système
d'assurance. Peut-être faudra-t-il rendre celle-ci obligatoire, avec un statut
spécifique, en mutualisant alors le risque. Son coût sera répercuté sur celui
du produit et assumé par ceux qui utiliseront ce produit.
Pour le moment, il n'existe pas de problèmes d'assurance, sous réserve de
l'exception que j'ai citée, à laquelle, je pense, sera apportée une solution.
Mais il est trop tôt pour en tirer une quelconque conclusion.
D'une manière générale, je l'ai déjà dit à M. Jean-Louis Lorrain,
l'argumentation selon laquelle l'adoption de cet amendement imposerait des
charges et des risques nouveaux aux entreprises est contraire à la réalité.
Nous souhaitons simplement maintenir le système tel qu'il fonctionne et non pas
l'aggraver.
Ce qui remettrait en cause le système, c'est la disposition qui nous est
présentée. D'ailleurs, la jurisprudence est constante pour reconnaître que, en
l'état actuel de notre droit, le risque de développement n'est pas une cause
d'exonération de responsabilité.
J'en arrive maintenant aux arguments contre l'exonération de
responsabilité.
Il s'agit d'abord d'une question de principe.
Notre jurisprudence a élaboré en un siècle une responsabilité pour risque
couru. Il me paraîtrait tout à fait incohérent, pour les raisons que j'ai
indiquées dans la discussion générale, compte tenu de l'article 13 de la
directive, de revenir sur cette construction jurisprudentielle. Peut-être ne
sommes-nous pas beaucoup de juristes professionnels dans cet hémicycle, mais,
pour un praticien du droit, il s'agit là de quelque chose de tout à fait
fondamental, qui est la réponse, depuis la fin du xixe siècle, de la société
civile face aux dangers que présentent toutes les inventions de produits, qui
n'ont cessé de se multiplier, de se développer et qui sont, semble-t-il, dans
une voie d'expansion galopante.
Le doyen Carbonnier, qui n'est pas suspect de fanatisme consumériste, a dit
que c'est la réponse à l'angoisse des hommes face au développement des
technologies. La responsabilité est l'angoisse des hommes. La majorité de cette
assemblée est libérale, autant que je sache ; en tant que libéral moi-même, je
n'imagine pas que le champ de la liberté ne puisse pas être équilibré par le
champ de la responsabilité. Je n'imagine pas qu'on puisse être libre de créer
et de vendre des produits tout en affirmant et en faisant proclamer dans une
loi que l'on ne sera pas responsable de ce que l'on crée, de ce que l'on vend
et de ce que l'on distribue.
Je fais appel à ceux qui s'inspirent de la philosophie libérale autant que moi
- il y en a quelques-uns sur ces travées - pour qu'ils prennent conscience du
fait que introduire un hiatus entre la notion de liberté et la notion de
responsabilité c'est porter une atteinte grave aux principes sur lesquels
reposent les sociétés libérales, les sociétés occidentales auxquelles nous
appartenons.
Il faut donc y regarder à deux fois. Il me paraît en effet infiniment
préférable d'éviter tout hiatus.
Il faut aussi rechercher les conséquences d'une telle disposition dans la
pratique.
Une fois le principe de l'exonération pour risque de développement posé, les
premières victimes ne seront pas indemnisées. Il n'y aura d'indemnisation
qu'une fois que l'on saura avec certitude qu'il y a un danger. Nous avons connu
une telle situation pour le sang contaminé. Les premières victimes risquent
d'être en quelque sorte des « avertisseurs » - je n'ose pas dire des « cobayes
».
J'ai d'ailleurs entendu - mais je ne suis peut-être pas le seul - sur Europe
1, voilà quinze jours, un producteur de maïs transgénique dire : « Il ne semble
pas qu'il y ait de danger. On peut essayer. On verra bien ce qui se passera.
»
M. Claude Huriet.
Cela n'a rien à voir !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Mais si ! C'est exactement le problème !
Selon ce producteur : « Tant qu'on n'a pas de certitude, on peut essayer ; on
verra bien ce qui se passera. »
Je ne connais pas le fond du problème du maïs transgénique. Je n'incrimine pas
ce type de maïs, qui est peut-être parfaitement fiable. Mon propos est non pas
de mettre ce produit en accusation, mais d'expliquer que, si le danger se
révèle, les premières victimes ne seront pas indemnisées. En effet,
l'exonération pour risque de développement sera invoquée et ce n'est qu'au bout
d'un certain temps que les victimes seront indemnisées.
Est-ce tenable, moralement ? Je laisse à chacun de vous le soin de répondre à
cette question en son âme et conscience.
J'ajoute aussitôt que la reconnaissance de l'exonération pour risque de
développement, la reconnaissance de cette irresponsabilité ouvrira évidemment
un contentieux énorme.
Là encore, que va-t-il se passer ? Le professionnel dira : « Je ne pouvais pas
savoir ! » Nous avons déjà eu l'exemple du sang contaminé. Mais il en est
quelques autres qui font quelque peu froid dans le dos, notamment du côté de
l'électronique. Désormais, des ordinateurs assurent le pilotage des avions, des
voitures, gèrent des blocs opératoires. Et des fabricants et des utilisateurs
de ces matériels sont venus me prévenir du fait qu'il y avait là un champ de
risques pour le xxie siècle, dont on n'imagine pas l'ampleur. Toute erreur dans
les prévisions concernant de tels appareils, peut entraîner des conséquences
extrêmement dangereuses, extrêmement regrettables.
Les fabricants déclarent : « On ne pouvait pas savoir ! » Cela ne manquera pas
d'ouvrir un contentieux d'une ampleur considérable - ce dont tout avocat peut
se réjouir. Bien entendu, je dis cela pour plaisanter, parce que les avocats
n'ont pas le goût du contentieux pour le contentieux.
Il y aura des expertises et des contre-expertises. Il faudra rechercher quel
était l'état de la science et l'état de la connaissance à l'époque des
faits.
Sachez à ce propos que l'on discute déjà du point de savoir s'il s'agit de
l'état de la science au plan local, ou au plan européen, ou au plan mondial.
Une communication faite dans tel congrès de savants à Sydney et signalant un
danger met-elle fin à l'ignorance du risque ou pas ?
Ayez en outre bien présent à l'esprit le fait que les recherches dans les
technologies avancées sont l'oeuvre de professionnels et qu'elles sont donc
naturellement couvertes par le secret professionnel.
Nous avons ainsi le souvenir de l'accident d'un avion, dont je préfère ne pas
citer la marque, au-dessus d'Ermenonville. On a découvert que la porte arrière
de cet avion ne tenait pas. Mais les Américains, qui ont eu accès à des
quantités d'informations, ont aussi découvert que des responsables de la firme
savaient parfaitement, et ce depuis longtemps, que la porte de la soute avait
une défaillance et qu'un agent spécial était chargé de la surveiller en vol
!
Mais le rapport qui signalait ce danger était dans le fond d'un tiroir ! Il
était couvert par le secret professionnel.
M. Claude Huriet.
Ce n'est pas cela l'exonération pour risque de développement !
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est autre chose !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
C'est la même situation, mais ce n'est effectivement pas un
cas de risque de développement !
M. Philippe Marini.
Amalgame !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Non, je ne pratique pas l'amalgame ! Mais faites un effort
pour bien me comprendre !
Le problème de fond, c'est l'accès aux informations. La question porte en
grande partie sur le point de savoir si le producteur savait ou s'il ne savait
pas.
En parallèle, monsieur Marini, pour ce qui est du risque de développement, je
veux dire que l'accès aux informations est en grande partie couvert par le
secret professionnel, que ce ne sont pas toujours des documents publics qui
permettent de révéler tel ou tel danger éventuel, potentiel.
Vous mesurez donc la difficulté des expertises, en particulier pour les
premières victimes qui seront demanderesses.
Il est déjà difficile pour une firme, pour un producteur d'apporter une telle
preuve. Mais que dire de la victime qui est quelquefois, voire le plus souvent,
une personne très modeste. Demain, cela pourra être vous ou moi. En effet,
aucun d'entre nous n'échappera à ce genre de risques. Il est peut-être bon de
le savoir.
Ouvrir un tel contentieux d'une manière tellement officielle, ce n'est pas
souhaitable, selon moi.
Enfin, je tiens à présenter quelques observations à ceux qui se rassurent et
qui nous rassurent en disant : « Ne vous inquiétez pas ! Pourquoi faites-vous
un aussi long discours ? Rassurez-vous, puisque, de toute façon, le droit
actuel reste en vigueur. Donc, au bout d'un certain temps - à supposer que la
prescription ne soit pas acquise ; mais le délai est assez court, je vous le
signale ! - on pourra toujours dire que l'on change de voie, que l'on fait
marche arrière, que l'on revient à l'aiguillage pour engager une nouvelle
action sur le fondement du droit français classique. A ce moment-là, on ne se
heurtera pas à l'exonération ! »
Mais, mes chers collègues, le droit français classique résulte de la
jurisprudence ! Il a été discuté, il est discuté, il est fixé. Or, à partir du
moment où l'on introduit dans notre droit écrit un principe selon lequel le
risque de développement est exonératoire, il est bien évident - et je crois que
c'est la pensée profonde des collègues avec lesquels je ne suis pas en accord -
que la jurisprudence sera obligée d'évoluer.
En effet, une construction jurisprudentielle ne peut pas tenir très longtemps
devant un texte de loi. Les plaideurs feront remarquer qu'il n'est pas possible
que, dans une voie, on leur dise qu'il n'y a pas d'exonération et que, dans
l'autre voie, il y en a une !
Le droit jurisprudentiel tient d'autant moins devant le droit normatif qu'il
résulte des consignes de la Cour de justice européenne et des orientations de
la Cour de cassation que, une fois qu'une directive est introduite - c'est
maintenant un principe dont les premiers effets sont enregistrés, y compris
dans le domaine dont je parle et avant même que la directive ne soit transposée
- la jurisprudence commence à se relire elle-même à la lumière de la
directive.
La jurisprudence est donc entrée dans une évolution qui, me semble-t-il - cela
prendra du temps et demandera beaucoup de litiges et bien des procès ; mais
est-ce souhaitable ? je pose une fois encore la question - risque d'aboutir à
la disparition des décisions protectrices actuelles.
Et nous aurions donc aujourd'hui établi un principe général : l'exonération
pour risque de développement !
La commission des lois est consciente de ses responsabilités, consciente du
fait qu'il s'agit d'un débat dont la portée dépasse ce que nous croyons. Elle
sait par ailleurs que le monde du droit de la responsabilité, français et
étranger, est extrêmement attentif à ce que nous disons. Le rapporteur que je
suis est donc obligé d'être très complet. Ensuite, chacun prendra ses
responsabilités.
Ce point, l'exonération pour risque de développement, est d'une très grande
importance. Selon nous, il ne faut pas inscrire au fronton de notre droit de la
responsabilité que, dès lors qu'on ne pouvait pas savoir, on n'est pas
responsable de ce qu'on a fait.
La formule « ne pas pouvoir savoir » est quelque peu incertaine. Elle sera
ressentie - il faut en être bien conscient - comme une provocation non pas
seulement par les défenseurs des victimes, mais aussi par les juristes en
général. Etant donné la construction juridique de notre droit, poser un tel
principe relève de la régression morale, selon la conception libérale qui nous
anime les uns et les autres.
Défendre cette position ne signifie pas que nous ignorions - je le disais tout
à l'heure, et je vais en revenir à mon point de départ - les éléments positifs
de l'argumentation présentée par certains de nos collègues, notamment par M.
Calmejane et par nos collègues médecins. C'est vrai qu'un problème se pose et
que nous ne pouvons l'ignorer.
Mais, j'en reviens à mon exposé général que certains de mes collègues n'ont
peut-être pas pu entendre : il existe une solution et elle figure dans la
proposition de loi.
Le texte n'est pas fermé à la prise en compte du risque de développement. Il
n'institue pas une responsabilité absolue. Il ne prévoit pas que vous serez
garanti contre tout dommage. La garantie ne joue que lorsque le produit est
défectueux.
En effet, aux termes de l'article 5 de la proposition de loi, l'article 1386-4
du code civil dispose : « Un produit est défectueux au sens du présent titre
lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement
s'attendre.
« Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement
s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment
de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement
attendu et du moment de sa mise en circulation. »
Il est bien évident que la formulation « la sécurité à laquelle on peut
légitimement s'attendre », sécurité qui est appréciée en fonction du moment de
la mise en circulation, répond, précisément, à notre souhait commun,
c'est-à-dire qu'il existe une certaine possibilité de prise en compte du risque
du développement.
Je peux d'ores et déjà vous dire que la doctrine - j'ai eu connaissance, en
effet, de la nouvelle édition de l'ouvrage de responsabilité civile, le
classique des professeurs Ghestin et Viney - signale que cette rédaction permet
à un juge saisi d'un cas concret de dire : « Etant donné la date à laquelle
l'accident s'est produit, vous ne pouvez pas être indemnisé parce que vous
prétendez à une sécurité » - je rejoins là, me semble-t-il, tout à fait vos
préoccupations - « à laquelle on ne peut pas légitimement s'attendre. »
Cette formulation me paraît bonne. Elle a été introduite dans notre droit par
la loi de 1983 et elle figurait déjà dans la convention de Strasbourg de 1977.
Elle permet précisément au juge de tenir compte de l'argumentation que l'on
peut tirer du risque de développement.
Je formule une appréciation personnelle : en tant que praticien du droit,
j'estime que c'est une bien meilleure voie, un dispositif bien plus efficace
que celui qui consiste à ouvrir une porte au juge et à lui laisser le soin de
savoir s'il veut ou non l'emprunter.
Selon moi, c'est une voie beaucoup plus raisonnable que celle qui consiste à
imposer au juge de prendre en compte l'exonération pour risque de
développement.
Je parle là compte tenu de mon expérience personnelle, et ceux qui ont la même
expérience que moi voient sans doute bien ce que je veux dire, parce qu'ils
connaissent bien les juges.
En inscrivant dans la loi l'exonération pour risque de développement, nous
faisons fausse route. Avec cet effet d'affichage, nous faisons une erreur,
parce que tout juge pourra toujours dire que la preuve que le producteur ne
savait pas n'est pas suffisamment rapportée.
Nous devons chercher à être efficaces. Nous sommes tous soucieux, je pense,
d'aboutir à une solution satisfaisante. Or tel juge qui n'admettra pas le
principe général d'irresponsabilité admettra que, dans l'appréciation de la
sécurité à laquelle chacun de nos concitoyens peut légitimement s'attendre, il
se trouve en présence d'une victime exigeant une sécurité à laquelle elle ne
pouvait pas légitimement s'attendre.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des lois vous
invite à voter cet amendement n° 8. Vous choisissez ainsi la voie qui nous
paraît la mieux fondée au plan des principes et, j'en suis convaincu, la plus
efficace au plan de la pratique.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 25
rectifié et pour donner l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 8 de la
commission.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, je préfère, si vous le voulez
bien, répondre aux arguments utilisés par M. le rapporteur pour présenter
l'amendement n° 8. Ainsi les raisons qui ont conduit le Gouvernement à déposer
l'amendement n° 25 apparaîtront-elles évidentes.
Nous sommes, vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, au coeur du
débat.
La commission des lois souhaite exclure, en toutes circonstances, le risque de
développement comme cause d'exonération de la responsabilité du producteur.
Le Gouvernement considère que la situation est beaucoup plus complexe.
Je tiens à souligner d'emblée que je suis évidemment sensible à la démarche de
votre rapporteur, qui ne veut pas voir régresser le droit des victimes à être
indemnisées et que le Gouvernement partage bien évidemment son souci.
En l'état actuel de notre droit positif, je le répète, les victimes
bénéficient d'une garantie de sécurité absolue, garantie qui n'est pas
susceptible d'être battue en brèche par le caractère indécelable du vice.
Cette garantie, je le rappelle, continuera à s'appliquer dès lors que la
victime se placera sur le terrain du droit national.
Mais je n'ignore pas non plus que le fait de consacrer d'une manière générale
dans la loi la responsabilité pour « risque de développement », et ce quels que
soient le produit et l'ampleur de ses conséquences dommageables, va placer les
entreprises dans une situation plus difficile que celle qui est actuellement la
leur pour obtenir des assureurs une couverture suffisante.
Je ne voudrais pas que la consécration législative d'une responsabilité
générale pour risque de développement ait un effet contre-productif en rendant
plus aléatoire la possibilité d'une indemnisation effective par manque de
solvabilité.
J'attire l'attention sur ce point, parce que ce risque me semble en effet non
négligeable.
Nous savons tous que les entreprises d'assurance se montrent extrêmement
réticentes pour couvrir ce type de risque. En effet, tout le métier de
l'assurance consiste à couvrir des risques évaluables. La probabilité du risque
est calculée ; elle permet l'établissement du tarif et le calcul de la prime
égale au pourcentage de risque de réalisation d'un sinistre.
Dès lors que le risque ne peut pas être déterminé, et c'est le cas du risque
sériel, il ne peut y avoir d'assurance, sauf si la loi oblige les fabricants à
prendre une assurance, ce qui suppose, comme en Allemagne, un plafonnement de
l'indemnisation. Mais je ferai observer qu'en Allemagne l'indemnisation est
plafonnée et, de surcroît, le prix du médicament est libre.
M. Claude Huriet.
Voilà !
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je crois que nous ne pouvons pas, s'agissant du risque
dont nous parlons, raisonner de manière absolue et globale, comme le fait la
commission des lois, sauf à ne pas prendre en compte les réalités
économiques.
La question qui nous est posée appelle par conséquent une réponse nuancée.
J'ai bien conscience qu'aucune solution ne pourra être pleinement
satisfaisante. Mais je crois que c'est en ne sacrifiant ni les droits des
victimes ni les intérêts de nos entreprises face à la concurrence que nous
opérerons un choix réaliste, acceptable et durable.
Le Gouvernement vous propose - j'ai déposé un amendement en ce sens - de ne
pas faire de l'exonération pour risque de développement une cause générale
d'exonération. Je vous propose, en revanche, de l'exclure pour les nouveaux
risques sériels liés à l'utilisation des éléments du corps humain, des produits
qui sont issus de celui-ci et, plus généralement, des produits de santé,
c'est-à-dire les médicaments, les dispositifs médicaux et les réactifs de
laboratoire.
Pourquoi une telle exception ?
Une obligation de sécurité absolue doit être formellement inscrite dans les
textes concernant ces produits en raison des caractéristiques qu'ils présentent
: d'abord, l'ampleur des préjudices qu'ils sont susceptibles d'engendrer donne
une dimension sociale particulière à la question que poserait à leur égard
l'exonération du risque de développement ; ensuite, leur nature spécifique fait
que le risque zéro n'existe pas pour eux, malgré les progrès de la science -
c'est là, évidemment, un point très important - enfin, ils touchent à la santé
publique, domaine pour lequel chacun se sent à l'évidence, profondément
concerné et dans lequel notre pays a connu, au cours des années passées, un
certain nombre de drames qui sont encore présents dans les esprits et que je
rappelais dans mon discours d'introduction : ceux du distilbène, du VIH, de
l'hépatite C et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Par conséquent, il n'est pas possible, pour des risques de ce type, d'inscrire
dans nos textes un principe de non-responsabilité.
Pour les autres produits soumis à l'exonération pour risque de développement,
je souligne que le régime proposé ne présentera pas les inconvénients que
redoute M. le rapporteur.
D'abord, la victime aura toujours le choix, conformément à l'article 19 de la
proposition de loi, d'opter pour les régimes traditionnels du droit français
excluant toute exonération. Rien ne sera donc changé par rapport à la situation
actuelle.
Par là même, et en deuxième lieu, la victime n'aura pas à craindre les actions
dilatoires du producteur sur la détermination de l'état des connaissances
scientifiques ou le recours intempestif à des mesures d'instruction, puisque,
en tant que défendeur à l'action, il n'appartiendra pas à celui-ci de se placer
sur le terrain de la directive.
A supposer, en troisième lieu, que la victime choisisse ce régime, l'ensemble
de la charge de la preuve reposera sur le producteur, et cette preuve sera
d'autant plus difficile à établir qu'il s'agira pour le producteur de prouver
un fait négatif, à savoir son impossibilité de connaître le vice.
A l'inverse, si l'exonération est admise pour les risques dits de type
traditionnel, il ne sera pas possible aux entreprises d'invoquer les problèmes
concurrentiels par rapport à leurs partenaires européens - qui ont
majoritairement, je le rappelle, retenu l'exonération - ou des difficultés de
solvabilité liées aux réticences des assureurs.
En définitive, la solution que je propose consiste à ce que chacun fasse
finalement un pas l'un vers l'autre pour essayer de trouver la solution la plus
équilibrée possible, le Sénat en renonçant à consacrer de manière législative
un principe de réparation absolue, sans prendre en compte les limites
financières des systèmes d'indemnisation, le Gouvernement en se ralliant à un
mécanisme de responsabilité irréfragable dans les cas de risque majeur.
C'est précisément parce que je ne peux adhérer à la suppression proposée par
la commission des lois que j'ai déposé un amendement n° 25 rectifié opérant une
telle distinction.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 25 rectifié ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je voudrais que le Sénat se prononce d'abord sur l'amendement
n° 8 de la commission. En effet, s'il était adopté, l'amendement n° 25
recitifié tomberait.
M. le président.
Monsieur le rapporteur, dans le cas d'une discussion commune, il n'est pas
possible de mettre aux voix un amendement sans avoir préalablement entendu
l'avis de la commission sur les autres amendements.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je vous prie de m'excuser, monsieur le président, mais je
n'ai pas la même expérience que vous !
Pour les raisons qui font corps avec la position générale de la commission -
qui souhaite exclure le risque de développement comme cause d'exonération de la
responsabilité du producteur - nous préférons notre amendement de suppression
de cette cause d'exonération à l'exception proposée par le Gouvernement.
La commission ne peut donc qu'être défavorable à l'amendement n° 25 rectifié
du Gouvernement, sauf si l'amendement n° 8 n'était pas adopté, l'amendement du
Gouvernement devenant alors un amendement de repli.
La commission proposerait dans ce cas d'ajouter aux produits de santé les
produits alimentaires. Pour les mêmes raisons que celles qui ont été
développées tout à l'heure, ce qui me dispensera de revenir sur l'argumentaire,
il nous semble qu'il faut à tout prix mettre à l'abri de cette exonération les
produits alimentaires.
Je regrette de faire sourire mon collègue M. Marini et quelques autres.
J'espère qu'il ne leur arrivera jamais de manger quelque chose de fâcheux pour
leur santé !
M. Philippe Marini.
Je vous remercie !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
M. Marini me permettra néanmoins d'avoir ce souci. Il s'agit
d'autant moins d'une plaisanterie par les temps qui courent que l'une des
grandes inconnues du monde d'aujourd'hui est bien l'alimentation, laquelle est
devenue de plus en plus artificielle et recèle des risques aussi dangereux que
les médicaments. C'est pourquoi il me paraît souhaitable d'exclure aussi les
aliments.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 8.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je conçois fort bien la logique de la commission des lois, mais il faut alors
l'appliquer à l'article 13. En effet, il n'y a pas d'intérêt à exclure le
risque de développement si les autres régimes de droit de la responsabilité
subsistent.
Mme le garde des sceaux l'a très bien expliqué, il n'y a pas, pour les
justiciables français, diminution des garanties apportées par la
jurisprudence.
Monsieur Fauchon, je vous le dis franchement, je ne regrette pas que le droit
de la responsabilité en France soit jurisprudentiel. C'est même une des
caractéristiques de notre droit. Au lieu de faire beaucoup de lois pour tout
prévoir, il vaudrait mieux conserver les grands principes retenus par le code
civil en matière de responsabilité et, ensuite, développer une jurisprudence
qui, elle, est fixée.
M. Jean-Marie Girault.
Oh oui !
M. Jean-Jacques Hyest.
Je ne pense donc pas que ce soit une amélioration d'être obligé de se battre
sur un mot et ensuite de vouloir tout prévoir, comme on tente de le faire à
l'occasion de la transposition de directives. Je pense, monsieur Fauchon, que
vous serez d'accord avec moi ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je suis tout à fait d'accord avec vous, mon cher collègue,
mais il faut bien transposer !
M. Jean-Jacques Hyest.
Dès lors que l'on admet le droit de la responsabilité pour risquer
l'obligation de sécurité, il faut admettre le risque de développement et
l'exonération de responsabilité.
Effectivement, on ne connaît pas encore bien le risque de développement :
pratiquement tous les cas que vous avez cités se rapportent à la santé ; ce
sont des cas nouveaux, des risques tellement importants qu'ils vont se
répercuter sur l'ensemble des producteurs, et les assureurs ne pourront pas
assurer parce qu'on n'assure pas ce qui n'est pas prévisible. Par conséquent,
soit les tarifs d'assurance vont augmenter dans des proportions considérables,
soit il n'y aura pas d'assureurs et il faudra alors se tourner vers la
collectivité !
Il faut donc prévoir le risque de développement. Mais le domaine de la santé
étant un domaine sensible, peut-être faut-il y renoncer ?
M. Claude Huriet.
Au contraire !
M. Jean-Jacques Hyest.
D'une manière générale, je pense qu'il ne faut pas supprimer l'exonération,
d'autant que, pour un certain nombre de cas, on oublie souvent qu'il y a aussi
le cinquième alinéa de l'article 12, qui porte sur tout ce qui est soumis à
autorisation. J'ajoute que, dans un certain nombre de domaines, les
autorisations n'ont pas toujours été exhaustives.
Bref, la proposition de loi telle qu'elle avait été élaborée sur l'initiative
de Mme Catala était équilibrée. Supprimer une chose et garder l'autre, cela n'a
pas de sens, cela déséquilibrerait complètement tous ceux qui entreprennent et
n'apporterait pas de garanties supplémentaires au justiciable, bien au
contraire.
M. Robert Calmejane.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane.
Avant mon explication de vote proprement dite, je tiens à redire à M. le
rapporteur, qui a évoqué l'attitude des industriels depuis vingt ans, le
paragraphe que j'avais cité dans la discussion générale : « Jusqu'à
aujourd'hui, aucun industriel n'a agi dans ce sens, car il considérait que, tôt
ou tard, nous serions obligés de nous conformer au droit communautaire, donc à
l'application de la directive de 1985. Mais qu'adviendra-t-il demain si nous
supprimons la clause d'exonération ? » Voilà le problème.
Comme il a été dit, nous voici au coeur du débat relatif à la transposition de
la directive communautaire du 25 juillet 1985 en droit français.
L'une des caractéristiques de la proposition de loi soumise à notre examen, et
assurément l'un de ses mérites, est de maintenir les deux régimes de
responsabilité : celui que nous connaissons aujourd'hui en droit français et
celui, qui est un peu différent, qui ressort de la directive européenne.
Ce cumul des responsabilités doit rassurer les personnes qui seraient
inquiètes des modifications apportées par cette directive. Celle-ci introduit
une notion de responsabilité objective et aboutit en conséquence à une
responsabilité de plein droit du producteur si un dommage a été causé par un
défaut de son produit.
Certes, la notion d'exonération pour risque de développement constitue une
première dans le droit français, mais elle n'est pas pour autant préjudiciable
aux victimes.
Sa suppression, comme le suggère la commission des lois, ferait peser sur les
industriels une insécurité juridique dont les conséquences seraient très
dommageables.
En premier lieu, elle handicaperait nos fabricants par rapport à leurs
concurrents européens, puisque seuls l'Espagne et le Luxembourg ont refusé la
cause d'exonération pour risque de développement.
Nous constaterions à terme des effets négatifs sur la recherche, plus
particulièrement sur la recherche appliquée, car tout produit nouveau peut
présenter un risque potentiel, inappréciable à son origine.
Sur le plan économique, l'investissement et l'emploi seraient menacés par la
tentation des grands groupes de délocaliser, comme ils le font déjà pour
échapper à la législation américaine.
Enfin, les PME et les PMI, nombreuses dans notre pays, se verraient bridées
dans leur activité par l'impossibilité de s'assurer contre les risques encourus
et leur mise en péril en cas de condamnation.
Cette situation, insoutenable sur le plan économique, ne garantirait pas
l'indemnisation des victimes éventuelles, démunies face à l'insolvabilité des
fabricants.
Les assurances refusant de couvrir des sinistres non évaluables
a
priori
, les entreprises devraient seules supporter des risques qu'elles
n'ont pas les moyens scientifiques et techniques de connaître ni de
maîtriser.
Sans le maintien de cette cause d'exonération pour risque de développement, la
proposition de loi irait à l'encontre du droit communautaire, lequel a reconnu
la nécessité de sauvegarder une exonération éventuelle du fabricant en
établissant que « ne pas tenir compte des possibilités réelles de connaissance
du producteur eût été irréaliste et déraisonnable et reviendrait à nier
l'accessibilité des connaissances au moment de la mise en circulation ».
Par ailleurs, la suppression de la cause d'exonération irait à l'encontre du
but recherché qui est d'assurer une indemnisation des victimes de dommages
résultant de produits défectueux en rendant impossible toute couverture de ce
risque.
Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir
vous en tenir au texte de la proposition de loi, qui réalise un juste équilibre
des intérêts de chaque partie.
M. Philippe Marini.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
L'un des problèmes importants que soulève cette proposition de loi est la
possibilité ou non d'assurer le risque de développement.
Il se trouve que je représente le Sénat au sein du Conseil national des
assurances et, à ce titre, je me suis livré à une petite enquête. J'ai
interrogé un certain nombre de responsables et de représentants de la
profession.
Voici, mes chers collègues, le résultat de cette démarche.
Il est souvent avancé que les contrats d'assurance de responsabilité civile
n'excluent pas le risque de développement, ce qui conduit à reconnaître qu'il
est assurable et effectivement assuré.
Mais cette observation donne, me semble-t-il, une idée fausse sur la
problèmatique du risque de développement au regard de l'assurance. Celle-ci
mutualise des risques quantifiables dont on peut connaître
a priori
la
fréquence et le coût, ce qui correspond, ainsi que l'a rappelé Mme le garde des
sceaux, à la base même de l'opération d'assurance.
A l'inverse, les risques inconnus, imprévisibles en l'état actuel des
connaissances techniques et scientifiques, échappent en principe à toute
possibilité de mutualisation par l'assurance, puisque le coût du risque est,
par définition, impossible à chiffrer.
Prenons l'exemple des contaminations par transfusion sanguine. Le montant des
primes qu'il aurait fallu percevoir dans les années quatre-vingt pour
indemniser les conséquences du risque de développement qui s'est ensuite révélé
aurait dû être, me dit-on, au moins mille fois supérieur à celui qui a été
effectivement perçu, c'est-à-dire de l'ordre du chiffre d'affaires total des
centres de transfusion sanguine. Il s'agissait bien d'une impossibilité
économique !
Avant ce dossier tristement célèbre, les assureurs français n'étaient pas
concrètement confrontés au problème du risque de développement. En effet, la
jurisprudence retenant une responsabilité dans cette hypothèse était rarissime
et n'avait pas de répercussions financières majeures sur l'assurance. Cette
jurisprudence était d'ailleurs nuancée, nombre de décisions écartant la
responsabilité lorsque le producteur ne pouvait prévoir et déceler le défaut du
produit.
La réaction des assureurs, après les premières décisions retenant la
responsabilité d'établissements hospitaliers ou de centres de transfusion
sanguine alors même que le virus du sida était indétectable au moment de la
transfusion, a été rapide : dès 1992, les assureurs ont exclu expressément le
risque de développement dans le contrat couvrant les centres de transfusion
sanguine. S'il faut une démonstration, je crois que la voilà !
Les contrats d'assurance spécifiques couvrant les risques de responsabilité
liés aux atteintes à l'environnement comportent maintenant l'exclusion du
risque de développement. C'est ce qui m'a été dit, et je pense qu'il s'agit
bien d'une réalité factuelle.
Devant l'évolution, préoccupante pour eux, que marque la proposition de loi
que nous examinons, les assureurs envisagent de généraliser l'exclusion du
risque de développement dans les contrats d'assurance.
La question est compliquée en France par la jurisprudence constante de la Cour
de cassation, qui, depuis 1990, impose à l'assureur de responsabilité de donner
une garantie dont la durée est identique à celle de la responsabilité encourue
: c'est l'impossibilité de limiter l'engagement de l'assureur dans le temps.
Si les assureurs, qui ont l'impérative obligation à l'égard de leurs assurés
de préserver les équilibres financiers afin de faire face à leurs engagements,
se trouvaient devant des règles de responsabilité compromettant la sécurité
financière de l'opération d'assurance, il faudrait s'attendre à ce que les
garanties d'assurance de responsabilité civile ne soient plus délivrées ou
qu'elles le soient avec des plafonds de garantie extrêmement bas.
Ainsi, le souci de protection intégrale de la victime, qui inspire, à juste
titre, notre rapporteur, pourrait paradoxalement aboutir à une impossibilité
d'assurer et donc pourrait priver les victimes d'une indemnisation
effective.
Je crois, mes chers collègues, qu'il faut tenir compte de cette réalité
économique du secteur de l'assurance, et c'est une raison supplémentaire, après
toutes celles qui ont été excellement exposées, pour ne pas, hélas ! être en
accord, cette fois-ci, avec la proposition formulée par la commission des
lois.
M. Claude Huriet.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Madame le garde des sceaux, outre le fait que vous n'avez pas répondu à mes
interrogations concernant l'application de l'article 15 de la directive relatif
à la communication préalable à l'information des Etats membres, je dois vous
dire que je ne comprends pas la position du Gouvernement sur le problème dont
nous sommes en train de débattre, alors que je comprends, sans l'adopter, la
position excellemment défendue par mon collègue et ami Pierre Fauchon.
Je conçois en effet que l'on puisse refuser d'appliquer l'exonération au nom
des principes développés à l'instant par M. le rapporteur. Mais que l'on
accepte le principe de l'exonération en excluant les médicaments et les
produits de santé, cela n'est pas pour moi explicable !
En effet, il s'agit d'un domaine dans lequel l'innovation est nécessaire, pour
la santé de la population. Elle est source de progrès, personne ne peut le
contester.
A contrario,
vous laissez dans le champ de l'exonération des
produits qui ne font pas l'objet d'un encadrement aussi rigoureux et qui ne
jouent pas un rôle aussi important pour nos concitoyens.
Il y a donc quelque chose de contradictoire dans votre argumentation d'autant
que, pour défendre l'amendement n° 25 rectifié, vous avez fait référence à
plusieurs reprises aux médicaments pour en reconnaître les spécifités. Je
m'attendais donc à ce que vous retiriez cet amendement, ce que vous n'avez pas
fait.
Madame le ministre, monsieur le rapporteur, pourquoi imaginer que
l'exonération inciterait les professionnels à faire preuve de moins de
vigilance ? C'est leur faire une sorte de procès auquel je ne peux
m'associer.
Pourquoi en outre imaginer que l'exonération de la responsabilité des
producteurs conduise à une non-indemnisation des victimes de drames tels que
ceux que nous avons connus ?
Comme je l'indiquais dans la discussion générale, les produits de santé font
l'objet, en France en particulier, mais aussi dans d'autres Etats membres, de
mesures de plus en plus draconiennes et rigoureuses. Si elles ne l'étaient pas,
il faudrait prononcer des sanctions. Mais si elles le sont, tirons-en les
conséquences.
Monsieur le rapporteur, vous avez invoqué le
statu quo.
Mais dois-je
rappeler que le
statu quo
n'existe plus, dans la mesure où, transposant
la directive à leur façon, les Etats membres ont plus ou moins appliqué la
cause d'exonération ?
Vous avez cité un certain nombre d'exemples, tels que celui du sang contaminé
ou de l'hormone de croissance.
Mais ce sont d'excellents exemples, monsieur le rapporteur, car ils se situent
en dehors des conditions législatives et réglementaires, qui - hélas - ont été
mises en place
a posteriori.
La position que je continue de défendre consiste donc à souligner qu'en
France des dispositions très rigoureuses régissent l'autorisation de mise sur
le marché et qu'il faut en tirer les conséquences.
De surcroît, madame le ministre - vous l'avez dit - dans le domaine des
produits de santé et, plus précisément, dans le domaine du médicament, la
sécurité absolue n'existe pas. Et pourtant il faut reconnaître que l'innovation
est nécessaire. Nous sommes donc bien confrontés à un véritable dilemme.
Comment sortir d'une telle situation sans évoquer la notion de bénéfice-risque
? Je reprocherai amicalement à M. le rapporteur de ne pas avoir évoqué ce point
dans son argumentation à propos des produits de santé et du médicament.
Mon cher collègue, dans un domaine comme celui-là, où le concept de progrès
est primordial, on ne peut faire abstraction de cette notion, sauf, au nom du
principe de responsabilité appliqué de façon perverse, à limiter les efforts
d'innovation,...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je l'ai reconnu !
M. Claude Huriet.
... avec toutes les conséquences que cette attitude peut entraîner.
Avant de terminer mon intervention, je me permettrai de vous donner lecture
d'un court extrait de «
La Lettre de la santé
»...
M. le président.
Monsieur Huriet, vous avez pratiquement épuisé votre temps de parole !
M. Claude Huriet.
Oui, mais je n'en aurai plus besoin après !
M. le président.
Peut-être, mais vous aviez droit à cinq minutes, pas plus ! Concluez
rapidement, je vous prie !
M. Claude Huriet.
Il y a trois pages, je ne lirai qu'un court paragraphe !
(Sourires.)
M. le président.
Ce sera plus compatible avec le règlement !
(Nouveaux sourires.)
M. Claude Huriet.
Merci de votre tolérance, monsieur le président.
Voici donc l'extrait de
La Lettre de la santé
que je veux porter à
votre connaissance, mes chers collègues :
« Il est intéressant de noter que l'Etat de Californie, qui est l'un des plus
libéraux en matière de responsabilité civile du fait des produits, et qui est à
l'origine de l'application de la responsabilité sans faute, s'est refusé à
appliquer celle-ci à l'industrie pharmaceutique dans le cadre des médicaments
sur prescription dès lors que le médicament ne présentait aucun défaut de
fabrication [...] Il a en effet été tenu compte des répercussions des coûts
d'assurance sur ceux de la recherche et développement, et donc sur le coût
final pour le consommateur de l'application de ce type de responsabilité. »
Je ne peux pas développer plus avant mon argumentation, mais vous comprendrez,
mes chers collègues, que je ne puisse voter ni l'amendement de la commission ni
celui du Gouvernement.
M. Jean-Marie Girault.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Marie Girault.
M. Jean-Marie Girault.
J'ai suivi la discussion de ce texte en commission des lois et, bien sûr,
aujourd'hui en séance publique.
Ce matin, je donnais clairement raison à notre collègue Jean-Jacques Hyest sur
les notions de produit défectueux et de responsabilité avec ou sans faute, ce
qui m'a amené à émettre un vote contraire à celui du rapporteur. Heureusement,
il ne m'en a pas voulu ; il disait tout à l'heure qu'après tout le vote acquis
n'était pas si mauvais.
Dans le débat présent, je suis cette fois du côté du rapporteur.
Je ne savais pas trop, en entrant dans l'hémicycle, si j'allais maintenir la
conviction qui m'était apparue en conscience lors des délibérations de la
commission. Eh bien si ! Je n'ai pas changé d'opinion.
En effet, comme l'a dit notre collègue M. Fauchon, l'article 1386-4, qui
dispose : « Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il
n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre », est
fondamental.
Et là je reprendrai, mais en les utilisant dans un sens inverse pour appuyer
mon vote, les propos que tenait M. Hyest : de grâce, laissons faire la
jurisprudence ! Nous vivons une époque détestable, où l'on passe son temps à
créer des catégories de responsabilités. Plus on énonce, plus on oublie, plus
on complique la fonction jurisprudentielle, sans parler de la tâche des avocats
et des conseils juridiques !
Au demeurant, on ne peut pas dire que, dans le domaine qui nous occupe
aujourd'hui, soient intervenues des décisions scandaleuses, qui justifieraient
une réforme législative. Laissons donc les juges apprécier les cas d'espèce
!
C'est pourquoi je maintiens mon ralliement à la proposition de M. Fauchon. Ne
laissons pas entendre - on ne veut pas le laisser entendre paraît-il, mais
c'est ce que le texte implique - que, après la mise sur le marché d'un produit
nouveau, auquel sera faite la plus grande publicité, il faudra ensuite que le
consommateur prouve qu'il a acquis un produit qui lui a causé préjudice, le
producteur pouvant alors rétorquer : « Ah ! mais on ne savait pas que... ».
L'expression : « lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut
légitimement s'attendre » est suffisamment explicite.
Encore une fois, laissons donc faire l'exercice jurisprudentiel !
Tout à l'heure, j'entendais dire qu'on n'allait plus oser produire ou
imaginer. Rassurez-vous, mes chers collègues ! Les chercheurs, qui ont pour
mission de découvrir de nouveaux médicaments, d'imaginer de nouveaux produits,
trouveront toujours le moyen de vendre les fruits de leur intelligence, de leur
génie à des sociétés commerciales, qui feront grand cas de ces nouveaux
produits à proposer au public.
M. Claude Huriet.
En France de préférence !
M. Jean-Marie Girault.
Peut-être ! Mais je vous signale que le présent débat a déjà eu lieu lorsqu'il
s'est agi d'élaborer la directive européenne puisque l'article qui est évoqué
ouvre une option : on a entendu, sur ce point, laisser aux Etats membres le
soin de décider. Il y avait bien des raisons à cela !
Et pour ce qui est des assureurs, là aussi, rassurez-vous : les groupes
d'assurance sauront toujours dire qu'ils peuvent couvrir le risque du
développement.
M. Claude Huriet.
A quel prix !
M. Jean-Marie Girault.
C'est la raison pour laquelle je voterai le texte que nous propose la
commission. Si par malheur il était rejeté, je voterais, bien entendu, le texte
du Gouvernement.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je ne répondrai pas dans l'immédiat aux observations de mon
collègue Claude Huriet, qui portent sur la question des médicaments. Ce sujet
aura davantage sa place lorsque nous aborderons l'examen de l'amendement du
Gouvernement, si toutefois nous sommes conduits à en parler. A cet égard, je
dois, bien sûr, être extrêmement prudent dans mes prévisions !
(Sourires.)
Ainsi que M. Jean-Marie Girault l'a fort bien dit en une
formule à la remarquable concision, il n'est pas besoin de s'inquiéter : les
assureurs trouveront toujours le moyen d'assurer.
M. Claude Huriet.
A quel prix !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Monsieur Marini, vous avez cité un long texte. J'ai
l'habitude de ce genre de citation et, chaque fois, je demande qu'on me procure
une police où ce cas soit expressément exclu. Une police énumère des cas de
non-assurance : il y en a même de plus en plus dans les contrats ! Il n'est
tout de même pas difficile d'ajouter un énième cas, où il serait précisé que le
contrat ne couvre pas la responsabilité civile dans les cas de risque de
développement.
Une telle police, aujourd'hui, n'existe pas. Depuis vingt ans, on me dit
qu'elle va exister. On me dit : « Attention ! On ve va pas pouvoir tenir ! »
Or, depuis vingt ans, on tient ! Et je soutiens même que l'on peut continuer à
tenir.
Je signale au passage à M. Calmejane qu'on ne peut pas dire que les
professionnels continuent de produire mais qu'ils s'attendent à la
transposition de la directive avec la faculté d'exonération pour risque de
développement. Cela fait quinze ans qu'ils s'y attendent ! Mais ils ont
produit, et tout ce qu'ils ont produit avant la transposition de la directive
dans les termes que vous souhaitez leur fait tout de même encourir de sérieuses
responsabilités.
Mais surtout, ils ne peuvent pas s'y attendre puisque, lors de la deuxième
lecture au Sénat du précédent projet de loi de transposition, je le rappelle,
nous avions refusé l'exonération pour risque de développement. En 1992, en
commission mixte paritaire, nous avions, je m'en souviens parfaitement, refusé
de voter l'exonération pour risque de développement. Alors, qu'on ne dise pas
que les professionnels s'y attendent !
Cher collègue Hyest, ne nous dites pas non plus que l'on va déséquilibrer le
système qui existe actuellement. Le système actuellement en vigueur fait peser
totalement ces risques sur les producteurs, et cela ne les empêche pas de
produire, d'être assurés, d'innover, de créer des médicaments ou tous autres
produits.
Il est donc tout à fait inexact d'affirmer : « Si vous n'adoptez pas le texte
en l'état, on ne pourra plus continuer à innover. » Pourquoi ne pourrait-on pas
continuer à faire demain ce que l'on fait depuis des années ?
Car, ce que souhaite la commission des lois, c'est le maintien du droit dans
son état actuel, alors que l'Assemblée nationale, elle, veut le modifier. Le
facteur de déséquilibre, c'est le texte de l'Assemblée nationale, auquel,
semble-t-il, vous êtes favorable, et non pas l'amendement de la commission, qui
tend au contraire à rétablir l'équilibre.
Je répète à M. Marini que j'attends avec intérêt de savoir si des polices
d'assurance excluent le risque de développement et, dans l'affirmative, dans
quels termes.
En vérité, tout cela relève de la menace, presque du chantage. Voilà des
années que j'entends cet argument et que je ne vois rien venir. Je finis par
penser que la menace n'est pas sérieuse et, surtout, qu'elle n'est pas prise au
sérieux par ceux-là mêmes qui la mettent en avant. M. Jean-Marie Girault nous a
dit tout à l'heure avec talent ce qu'il fallait en penser.
Si, un jour, on s'aperçoit que l'on ne peut pas assurer ce risque, on créera
un système d'assurance obligatoire. Je fais même le pari que, dans les dix ou
quinze ans qui viennent, comme on ne pourra pas proclamer l'irresponsabilité
face à des périls qui vont grandissants, car il n'y a pas de trimestre qui ne
nous en apporte de nouveaux, on créera, ce qui est tout à fait logique, un
système d'assurance obligatoire, et tout le monde sera alors unanime pour le
créer, car ce sera la bonne solution. J'espère vivre assez longtemps et voir
mon mandat suffisamment renouvelé pour pouvoir assister à ce débat. Peut-être
pourrai-je même être le rapporteur du texte !
(Sourires.)
Madame le
ministre, vous dites, vous - et d'autres ont repris cet argument - qu'il faudra
introduire des limitations, faute de quoi on ne pourra plus indemniser, à moins
de laisser les assurances aller à la déroute.
Mais, encore une fois, pour le moment, tout cela est de l'ordre du fantasme !
Le problème ne se présente pas !
Il est tout de même curieux que les mêmes me disent d'un côté : « On ne peut
plus assurer, c'est terrible ! », et, de l'autre côté : « Ne vous inquiétez
pas, cette responsabilité pour risque de développement n'est pas couverte dans
le droit classique. » Mais alors, pour être logique, on devrait nous demander
de transposer la directive dans ce sens et aussi d'étendre le dispositif à
notre droit classique. Or on nous affirme que, sur le terrain du droit
classique, tout va continuer comme avant.
N'y a-t-il donc pas quelque chose de profondément contradictoire dans les
argumentations qui nous sont présentées, car le problème concernant l'assurance
se pose de toute façon, quel que soit le vote que, mes chers collègues, vous
allez émettre dans quelques instants ?
Vous avez fait allusion, madame le ministre, au plafonnement de
l'indemnisation qu'intègre le système allemand. Cela est envisageable, je le
reconnais. Sans doute a-t-on effectivement connu certains excès, non pas tant
chez nous que dans la jurisprudence américaine. Cela dit, ce sont généralement
des décisions de première instance qui sont visées à cet égard, car, en appel,
les décisions sont le plus souvent ramenées à une échelle plus raisonnable.
En France, on n'a pas retenu cette option parce qu'elle n'existe pas dans
notre tradition juridique. Mais nous n'en sommes qu'à la première lecture : la
discussion va se poursuivre et quelqu'un, à l'Assemblée nationale,
éventuellement au Sénat, pourra faire une proposition tendant à introduire un
système de limitation. Se poserait alors le problème de savoir quelle
limitation choisir.
Ce qui me choque dans le système de type allemand, c'est qu'il s'agit d'une
limitation globale : on a l'impression que l'on va indemniser les premières
victimes assez largement et que, une fois l'enveloppe épuisée, on dira
simplement aux victimes suivantes qu'il n'y a plus rien pour elles. Cela me
paraît tout de même assez barbare ! Je pense qu'il faudrait instituer une sorte
de tarification par accident, de manière à réserver des fonds pour
l'indemnisation des victimes qui se révéleraient ultérieurement.
En tout cas, je ne serais pas hostile à un système de limitation. Mais nous
avons encore le temps d'étudier sérieusement un point aussi important.
Je conclurai en reprenant ce que disait M. Jean-Marie Girault avec la grande
sagesse et la grande expérience qui sont les siennes : ne prononcez pas, mes
chers collègues, ce principe général d'irresponsabilité, qui se retournera, on
le verra un jour, contre ceux qui l'auront imaginé. Laissez donc, grâce à la
notion de sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de la
date à laquelle le produit a été mis en service, à la jurisprudence - sa
sagesse est certainement supérieure à celle des textes que nous imaginons sans
cesse - le soin de résoudre ce problème.
C'est dans cet esprit, et avec le souci d'apporter la plus sage des solutions
à ce problème du risque de développement, que je vous demande d'adopter
l'amendement de la commission des lois.
Mme Odette Terrade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Souscrivant à l'argumentation aussi pertinente que documentée de M. le
rapporteur, nous voterons l'amendement n° 8.
M. Marcel Charmant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant.
Nous ne pouvons, sur ce point, suivre M. le rapporteur, pas plus d'ailleurs
que Mme le ministre.
Tout d'abord, je le rappelle, le texte actuel prévoit que les dispositions
traditionnelles de notre droit sont maintenues. Ainsi, toute victime a la
possibilité de choisir entre le dispositif du texte qui nous est soumis et
celui qui est déjà en vigueur.
Or, M. le rapporteur le disait lui-même, le système français actuel est très
protecteur. La victime n'aura donc aucune difficulté à faire valoir ses
droits.
Par ailleurs, introduire une disposition expresse dans notre législation ne
permettrait en aucune manière au producteur d'invoquer le risque de
développement pour s'exonérer de sa responsabilité.
S'agissant des produits de santé, avec mon collègue François Autain et
l'ensemble de mon groupe, je pense qu'ils sont fondamentalement différents des
autres parce qu'ils ne peuvent être distribués qu'après obtention par les
producteurs d'une autorisation.
M. Jean-Jacques Hyest.
Exactement !
M. Marcel Charmant.
En outre, il existe un paragraphe 5°, qui permet au producteur d'invoquer les
prescriptions qui lui ont été imposées.
J'ajoute que ne pas faire comme nous le propose M. Fauchon ou comme nous le
propose le Gouvernement, ce n'est pas ne rien faire. En effet, si nous
adoptions l'amendement de M. Fauchon ou celui de Mme le garde des sceaux, nous
n'avancerions pas vers une voie où il faudra bien que nous nous engagions un
jour, à savoir, dans la perspective de l'indemnisation d'un ensemble de
victimes du fait d'un défaut lié au développement d'un produit, celle d'une
mutualisation de ce risque.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Du fait du rejet de cet amendement, M. Fauchon, au nom de la commission, me
saisit d'un sous-amendement n° 34, tendant, dans le texte présenté par
l'amendement n° 25 rectifié pour compléter l'article 1386-11 du code civil,
après les mots : « lorsque le dommage a été causé », à insérer les mots : « par
un produit alimentaire, ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je souscris entièrement aux raisons qui ont été invoquées par
Mme le ministre. Nous venons de décider que, dans les cas les plus graves, il
n'y aurait pas de responsabilité. En effet, on transpose une directive qui est
supposée protéger les victimes de produits défectueux, et on leur dit : dans
les cas où vous courrez le plus grand risque, eh bien, vous n'aurez pas de
protection ! C'est le résumé des dispositions que nous venons - dans notre
grande sagesse ! - de voter.
Dès lors, il serait quand même prudent de se ressaisir et de se rendre compte
que, pour tout ce qui touche au corps humain, il y a un risque. Et le corps
humain, ce n'est pas seulement la santé, c'est aussi l'alimentation !
C'est pourquoi je propose, avec le sous-amendement n° 34, qu'après les mots :
« lorsque le dommage a été causé » soient ajoutés les mots : « par un produit
alimentaire ».
Nous savons en effet que l'alimentation est, elle aussi, porteuse de risques
considérables. D'ailleurs, d'ores et déjà, les intoxications alimentaires ont
tendance à se multiplier ; elles ne sont pas toujours graves, mais elles
pourraient l'être.
Il y a donc place, dans le domaine de l'alimentation aussi, pour les risques
de développement.
M. Jean-Jacques Hyest.
Cela n'a rien à voir !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Prenons l'exemple du maïs transgénique, dont nous vivons le
développement « en temps réel ». S'il apparaît dans un ou deux ans que le maïs
transgénique est porteur de je ne sais quel mal, par exemple, comme on le dit
assez souvent, qu'il annule l'efficacité des antibiotiques sur nos organismes,
nous serons alors en présence d'un cas concret de risque de développement.
Il est évident que notre alimentation de plus en plus artificielle laissera de
plus en plus place à des risques de développement. Or, monsieur Huriet, les
sécurités auxquelles vous faites allusion n'existent pas en la matière.
M. Claude Huriet.
Ça vient !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
De deux choses l'une, mon cher collègue ! Ou on parle de
productions parfaitement sûres, et vous n'avez rien à craindre des risques de
développement puisque, par hypothèse, elles sont parfaitement sûres. Ou vous
craignez que l'exonération pour risque de développement ne joue pas, et c'est
que, intérieurement, vous reconnaissez que, malgré toutes les précautions qui
sont prises, il pourrait tout de même arriver malheur.
Ne seriez-vous pas en contradiction avec votre conscience, que je sais aiguë ?
Vous dites tantôt qu'il n'y a rien à craindre,...
M. Claude Huriet.
Je n'ai pas dit ça !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
... tantôt qu'il faut une protection. S'il n'y a rien à
craindre, la protection ne servira jamais et, partant, ne saurait vous gêner
!
M. Jean-Marie Girault.
Il y a aussi les risques dus aux boues d'épandage !
M. le président.
S'il vous plaît, n'entamez pas le dialogue !
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Les risques sont en effet multiples, et, si j'osais,
j'ajouterais aussi l'électronique, pour les raisons que j'ai évoquées tout à
l'heure.
Nous sommes des apprentis sorciers : nous quittons ce siècle en créant, en
inventant, en innovant, sans nous soucier de ce qui se passera, et, s'il se
passe quelque chose, personne ne sera responsable.
Je dis que c'est une folie, et je suis étonné que son habituelle sagesse
n'éclaire pas notre assemblée.
Je souhaite que Mme le ministre en tout cas veuille bien émettre un avis
favorable sur ce sous-amendement à l'amendement du Gouvernement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 34 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je tiens, d'abord, à rappeler que le producteur est et
sera tenu d'une obligation de sécurité absolue de ses produits.
Le débat qui nous oppose est juridiquement limité au fait de savoir s'il faut
ou non afficher dans les textes une jurisprudence constante.
Le Gouvernement a choisi de répondre « oui » pour les éléments du corps
humain, les médicaments, les dispositifs médicaux et les réactifs de
laboratoire, qui constituent une catégorie particulière de produits, car ils
présentent, de par leur origine, leur nature et leur destination, des risques
particuliers et, surtout, une symbolique forte, étant destinés à soigner.
Il n'en est pas de même des denrées alimentaires : ce sont des produits
d'usage courant, quotidien, tout comme de nombreux biens de consommation.
Il m'apparaît injustifié de frapper un seul secteur industriel de l'économie
française d'une suspicion
a priori
sur la sécurité des produits qu'il
commercialise.
Il serait pour le moins paradoxal qu'un fabricant artisanal de fromages au
lait cru puisse voir sa responsabilité engagée s'il provoque une intoxication
alimentaire en raison d'une nouvelle bactérie jusque-là inconnue alors qu'un
fabricant d'amiante verra sa responsabilité exonérée pour risque de
développement.
Or votre assemblée a refusé de supprimer d'une façon générale l'exonération
pour risque de développement et il serait contradictoire de commencer une
énumération dont on voit mal le terme.
J'ajoute que supprimer l'exonération pour risque de développement pour les
produits alimentaires n'accroîtra pas en soi la sécurité des consommateurs ni
leur protection juridique.
Le consommateur victime s'adressera à son vendeur, l'« épicier du coin », par
exemple, sur le fondement de la législation nationale.
D'ailleurs, compte tenu de la multiplication des intermédiaires dans la
filière agroalimentaire, il sera dans les faits très difficile de mettre en
évidence la responsabilité individuelle d'un producteur, non identifiable
immédiatement.
En revanche, une telle disposition posera aux professionnels de ce secteur des
difficultés pour contracter une assurance responsabilité civile, la majorité
des assureurs refusant de couvrir un risque qu'ils ne connaissent pas.
Le Gouvernement est donc défavorable au sous-amendement n° 34.
M. le président.
Je vais mettre aux voix le sous-amendement n° 34.
M. Claude Huriet.
Je demande la parole contre le sous-amendement.
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
J'ai trop d'estime et d'amitié pour M. le rapporteur...
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Pas assez !
(Sourires.)
M. Claude Huriet.
... pour laisser subsister entre nous quelque malentendu que ce soit.
Je n'ai pas dit, monsieur le rapporteur, qu'il n'y avait rien à craindre en
matière de développement s'agissant des produits de santé ou des médicaments.
Au contraire...
M. le président.
Monsieur Huriet, nous examinons le sous-amendement n° 34 !
M. Claude Huriet.
Pour en venir aux produits alimentaires, vous venez, madame le ministre, de
vous opposer à ce sous-amendement, et je vous approuve.
Cependant, la raison que vous donnez pour justifier votre opposition m'étonne
: il s'agirait, avez-vous dit, de ne pas frapper de suspicion systématique tel
ou tel secteur de l'économie. Vous pourriez appliquer ce même principe, auquel
j'adhère, à d'autres secteurs et dire, par exemple, qu'on ne doit pas frapper
de suspicion systématique de un secteur comme celui des produits de santé et
des médicaments.
Pour ma part, je voterai contre le sous-amendement n° 34 !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 34, repoussé par le Gouvernement.
(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25 rectifié.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Avant que le Sénat ne se prononce sur cet amendement,
je souhaite apporter une précision concernant l'indemnisation en cas de dommage
causé par des produits soumis à autorisation.
Dans le système actuel, comme dans celui qui est proposé dans le cadre de la
transposition, il n'y a pas d'exonération pour risque de développement pour les
produits de santé.
Le titulaire d'une autorisation de mise sur le marché est donc responsable des
préjudices causés par son produit même s'il ne pouvait pas en déceler le vice
compte tenu de l'état des connaissances scientifiques.
L'article L. 601 du code de la santé publique, relatif à l'autorisation de
mise sur le marché des médicaments, dispose : « L'accomplissement des
formalités prévues au présent article n'a pas pour effet d'exonérer le
fabricant ou, s'il est distinct, le titulaire de l'autorisation de mise sur le
marché de la responsabilité que l'un ou l'autre peut encourir dans les
conditions du droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le
marché... "du médicament ou produit". »
Cette rédaction reprend une jurisprudence ancienne, selon laquelle
l'autorisation n'exonère pas le fabricant de sa responsabilité. Le même
raisonnement doit s'appliquer aux réactifs de laboratoire et aux dispositifs
médicaux soumis à autorisation.
Il n'en demeure pas moins que la question ne se posera vraisemblablement pas
de la même façon dans le cas de risques sériels dans la mesure où les
producteurs auront des difficultés à être couverts par une assurance, exemple
tristement illustré par le sinistre du sang contaminé.
C'est pourquoi une réflexion est engagée aussi bien dans le cadre de la
proposition relative à la sécurité sanitaire que dans celui de la proposition
de loi concernant l'aléa thérapeutique.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Comme je l'ai dit tout à l'heure, la commission souhaite que
l'amendement n° 25 rectifié soit adopté.
Je veux seulement faire part à M. Huriet de ma surprise quant à la position
qu'il adopte sur ce point particulier, au regard de l'action qu'il mène en
général en matière de protection de la santé publique, car c'est bien de cela
qu'il s'agit ici.
Si j'ai bien compris, monsieur Huriet, votre thèse est la suivante :
l'autorisation de mise sur le marché n'est délivrée qu'après maintes
précautions et, dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'avoir de craintes.
Je constate cependant que, par ailleurs, vous avez demandé, et nous vous avons
bien volontiers suivi, la création d'offices de veille sanitaire, ce qui me
donne à penser que la situation n'est pas si sûre ! En effet, si notre système
était tout à fait parfait, il n'y aurait pas lieu de créer de tels offices.
Vous rétorquerez que ces offices - auxquels je suis tout à fait favorable -
ont d'autres compétences. J'avais pourtant cru comprendre qu'ils avaient une
compétence très générale, qui les amenait à connaître de tous les problèmes, et
donc d'éventuelles distributions hasardeuses d'autorisations de mise sur le
marché.
Vous avez vanté les mérites du système français et vous avez dit qu'il ne
fallait d'ailleurs pas s'inquiéter du fait que l'hormone de croissance n'ait
pas reçu d'autorisation de mise sur le marché. Mais nous avons été saisis du
cas concret d'un jeune homme de vingt ans décédé par suite de l'administration
de cette hormone de croissance !
J'ai tenu à recevoir ici ses parents et j'ai passé avec eux une des heures les
plus émouvantes de ma carrière de sénateur.
J'ai aussi appris beaucoup de choses sur la façon de faire dans les hôpitaux :
il semble en effet que l'hormone de croissance, bien qu'elle n'ait pas fait
l'objet d'une autorisation de mise sur le marché, ait tout de même été
administrée. Elle a même tant été administrée à ce jeune homme qu'il a
contracté la maladie de Creutzfeldt-Jakob et qu'il en est mort !
Or les victimes, dans ces circonstances, sont déjà pratiquement dépourvues de
recours, tant le système est complexe. Qu'adviendrait-il de ces victimes si
l'on vous suivait, monsieur Huriet ?
C'est encore une raison pour moi de vous demander de ne pas prêter l'oreille
aux sirènes extérieures. Mon cher collègue, entendez plutôt l'appel à la
sécurité la plus élémentaire et votez l'amendement du Gouvernement !
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 25 rectifié.
M. Claude Huriet.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Huriet.
M. Claude Huriet.
Monsieur Fauchon, je n'ai pas dit qu'il n'y avait rien à craindre !
Quant à vous, ne dites pas qu'il n'y a pas de protection dans ce domaine où le
risque est maximal ! C'est intenter un procès auquel je ne peux pas
souscrire.
Nous avons multiplié les précautions, en particulier depuis que sont survenus
les drames que vous avez évoqués. Certes, chacun reconnaît qu'il est
catastrophique que nous ne soyons pas intervenus à titre préventif. Mais
depuis, nous avons su tirer les leçons de ces drames.
Nous disposons maintenant en France, je peux en témoigner, de dispositions
législatives et réglementaires d'une rigueur supérieure à celle des
dispositions dont se sont dotés nos voisins, qui d'ailleurs commencent à
s'inspirer de notre législation.
Je ne dis pas qu'il n'y a pas de risque et donc pas de protections nécessaires
! Je dis que, précisément parce qu'il y a des protections, qu'il faut
d'ailleurs sans cesse renforcer, il faudra à un moment donné cesser d'alourdir
les responsabilités de ceux qui, de par la loi, mais aussi de par leur propre
conscience, ont tout fait pour assurer la garantie maximale.
Je voudrais d'ailleurs que l'on se mette d'accord pour faire le lien -
certains d'entre nous l'ont d'ores et déjà fait - entre les risques d'accident,
la nécessité d'indemniser les victimes et l'aléa médical, à propos duquel on
attend depuis près de dix ans qu'une position soit arrêtée !
M. Philippe Marini.
Exact !
M. Claude Huriet.
Lorsque nous aurons enfin réglé la question de l'aléa médical, alors,
peut-être, ces problèmes que nous abordons avec passion, ce qui est bien
normal, auront-ils trouvé une solution qui ira dans le sens de l'équité et qui
permettra d'apporter un juste dédommagement aux victimes de l'aléa, lequel
veut, par définition, que les responsabilités de tels ou tels ne soient pas
déterminées.
Soyons attentifs à concilier ces aspects qui, souvent, semblent difficilement
conciliables : d'une part, l'intérêt des victimes et leur juste indemnisation
et, d'autre part, le respect dû à ceux qui agissent en toute conscience en vue
de permettre le progrès médical et d'assurer la protection maximale aux
consommateurs, qui, finalement, sont les bénéficiaires.
M. Marcel Charmant.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Charmant.
M. Marcel Charmant.
Je remercie Mme le ministre des informations qu'elle nous a apportées.
Notre discussion le montre, nous sommes confrontés à un certain nombre de
questions. Vos explications, madame le ministre, sont la preuve que vous avez
fait un pas dans le sens de la réponse.
M. Jean-Jacques Hyest.
D'un côté !
M. Marcel Charmant.
La discussion n'est pas terminée - une deuxième lecture aura lieu - mais pour
vous témoigner notre confiance, nous adopterons l'amendement n° 25 rectifié.
(Mme le garde des sceaux remercie l'orateur.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 25 rectifié, accepté par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Article 12
bis
M. le président.
« Art. 12
bis.
- Il est inséré, dans le même titre, un article
1386-11-1 ainsi rédigé :
«
Art. 1386-11-1.
- Le producteur ne peut invoquer les causes
d'exonération prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut qui s'est
révélé dans le délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il n'a
pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables.
»
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Les deux premiers sont présentés par M. Hyest.
L'amendement n° 19 tend à supprimer cet article.
L'amendement n° 20 vise à rédiger comme suit le texte présenté par ce même
article pour l'article 1386-11-1 du code civil :
«
Art. 1386-11-1.
- Le producteur ne peut invoquer les causes
d'exonération prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut
clairement établi qui a été porté à la connaissance du producteur au cours de
la période d'usage normal du produit, il est prouvé qu'il n'a pas pris les
dispositions propres à tenter d'en prévenir ou d'en limiter les conséquences
dommageables. »
Par amendement n° 23, MM. Calmejane et Marini proposent de rédiger comme suit
le texte présenté par l'article 12
bis
pour l'article 1386-11-1 du code
civil :
«
Art. 1386-11-1.
- Constitue une faute du producteur de nature à
engager sa responsabilité civile, le fait, en présence d'un défaut de sécurité
grave, avéré et dûment porté à sa connaissance dans le délai de dix ans après
la mise en circulation du produit et de nature à justifier, en fonction de la
gravité de ce défaut et du degré d'urgence, l'information du public, la reprise
pour modification ou le retrait du produit, de ne pas avoir pris en temps utile
les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables. »
Par amendement n° 9 rectifié, M. Fauchon, au nom de la commission, propose,
dans le texte présenté par l'article 12
bis
pour insérer un article
1386-11-1 dans le code civil, de remplacer les mots : « les causes
d'exonération prévues à l'article 1386-11 » par les mots : « les causes
d'exonération prévues aux 4° et 5° de l'article 1386-11 ».
Par amendement n° 29, Mme Terrade, M. Pagès et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent, dans le texte présenté par
l'article 12
bis
pour l'article 1386-11-1 du code civil, de remplacer
les mots : « dix ans » par les mots : « trente ans ».
La parole est à M. Hyest, pour défendre les amendements n°s 19 et 20.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je propose de supprimer l'article 12
bis,
car, selon la directive de
1985 telle qu'elle est transposée par la proposition de loi, la responsabilité
du producteur est engagée à raison du dommage causé par le défaut de
sécurité.
Le producteur peut s'exonérer de sa responsabilité ou la limiter en invoquant
un certain nombre de défenses énumérées à l'article 1386-11 du code civil.
Nous venons d'évoquer longuement l'une d'elles.
Cependant, ces causes d'exonération sont réduites à néant par l'article
1386-11-1, introduit par l'Assemblée nationale, alors qu'aucune disposition
équivalente ne figure dans la directive communautaire.
Cet article est d'abord problématique par son imprécision. En effet, le verbe
« révéler » ne correspond à aucun concept juridique précis et soulève des
questions multiples. Quels sont les critères de « révélation » d'un défaut ?
Comment la preuve d'une telle « révélation » sera-t-elle apportée ?
Cet article est aussi problématique à cause de l'impossibilité d'apporter la
preuve qu'il requiert. Le producteur ne peut en effet invoquer les défenses
prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut révélé dans les dix ans
suivant la mise en circulation du produit, « il n'a pas pris les dispositions
propres à en prévenir les conséquences dommageables ». Prévenir, dans ce
contexte, signifie empêcher. Le producteur ne pourra jamais parvenir à
démontrer qu'il a pris les mesures propres à prévenir les conséquences
dommageables d'un défaut puisque, par hypothèse, il ne sera amené à rapporter
cette preuve que devant un tribunal, c'est-à-dire après que le dommage se sera
effectivement produit. Le producteur se trouverait ainsi confronté à un
problème de preuve impossible : le seul fait d'être devant un tribunal pour y
répondre d'un dommage causé par le défaut de son produit le priverait
automatiquement de toute défense.
L'article 12
bis
est donc superflu. Il est même contraire à tout ce que
nous avons voté par ailleurs.
Quant à l'amendement n° 20, c'est un amendement de repli, qui vise à donner un
sens à l'article concerné afin qu'il ne soit pas totalement privé d'effet.
M. le président.
La parole est à M. Marini, pour défendre l'amendement n° 23.
M. Philippe Marini.
Cet amendement est présenté dans le même esprit que l'amendement de repli n°
20. Il s'agit de mieux rédiger l'article 12
bis
.
Toutefois, comme M. Hyest, je préférerais que le problème ne se pose pas, ce
qui serait le cas si l'article 12
bis
était supprimé.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 9 rectifié.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Il s'agit toujours de l'article 12
bis
, que certains
souhaitent supprimer, ce qui est pousser à l'extrême l'exonération de
responsabilité. En effet, si on les suit, même après avoir appris que le
produit est dangereux, il sera parfaitement possible de ne rien faire et de
continuer à le laisser sur le marché, et, une fois de plus, tant pis pour les
victimes ! Position admirable !
Quoi qu'il en soit, la commission considère que « l'obligation de suivi » -
retenons cette formule qui est plus simple - prévue par cet article impose tout
de même à un producteur de suivre ce qui se passe en ce qui concerne son
produit, après la mise en circulation de celui-ci.
Cet article, posé d'une manière générale, est un peu étranger à la directive.
En revanche, il trouve sa raison d'être dès lors que la directive comporte
certaines causes d'exonération, qui, à l'évidence, ne peuvent pas jouer si, le
danger du produit étant apparu après coup, on ne fait rien. Il faut tout de
même admettre que le professionnel qui aura constaté le danger devra prendre
des mesures de nature à le prévenir. C'est pourquoi nous sommes favorables à
l'article 12
bis
.
Dans un premier temps, nous avions proposé de le modifier afin qu'il ne
s'applique qu'au cinquième cas d'exonération. En effet, en ce qui concerne les
trois premiers cas, c'est-à-dire lorsque le produit n'a pas été mis en
circulation, quand le dommage n'existe pas au moment de la mise en circulation,
ou lorsque le produit n'est pas destiné à la vente, le problème ne se pose pas
; peu importe ce qui se passe après.
Or, dans le cas où « le défaut est dû à la conformité du produit avec des
règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire », si on apprend après
que le produit est dangereux, il faut tout de même qu'il y ait une obligation
de faire attention.
Mais nous avons rectifié notre amendement n° 9, afin de tenir compte du
quatrième cas d'exonération, pour les mêmes raisons.
A supposer que, initialement, et comme vous le souhaitez, il y ait exonération
de responsabilité pour risque de développement, c'est-à-dire parce qu'on ne
pouvait pas savoir, à partir du moment où on sait, le producteur a tout de même
l'obligation d'avertir.
Je serais surpris que nous ne soyons pas d'accord pour adopter cette mesure,
sinon ce serait la déresponsabilisation totale du professionnel ! Il faut donc
maintenir cette obligation de suivi.
La rédaction est-elle parfaite ? Peut-être pas. Elle ne me paraît pas
mauvaise.
Celle qui est proposée par M. Marini...
M. le président.
Monsieur le rapporteur, avant que vous donniez l'avis de la commission, tous
les amendements doivent être présentés.
L'amendement n° 29 est-il soutenu ?...
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur, pour donner l'avis de la
commission sur les amendements n°s 19, 20 et 23.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Pour les raisons que je viens d'énoncer, nous ne souscrivons
pas à l'amendement n° 19.
Nous ne souscrivons pas non plus à l'amendement n° 20, dans lequel le défaut
doit être « clairement établi ». En effet, il s'agit d'un défaut tout
simplement, et on doit dès lors le prendre en compte.
Nous souscrivons encore moins, si je puis dire, à la rédaction proposée par
MM. Calmejane et Marini. En effet, emportés par leur enthousiasme, ils
remettent pratiquement en cause tout ce que nous venons de voter.
Aux termes de leur amendement, le défaut de sécurité devrait être « grave,
avéré, dûment porté à la connaissance... » Ainsi, on verrouille au maximum !
La rédaction générale qui nous est proposée par le texte de la proposition de
loi est tout de même convenable. Elle prévoit une obligation de suivi, qui
relève des obligations les plus élémentaires du producteur. En effet,
l'expression retenue est la suivante : « si, en présence d'un défaut qui s'est
révélé... » Si vous avez une autre expression à proposer, je suis ouvert. La
navette permettra peut-être de trouver une autre formulation. Il m'a semblé que
le terme « révélé » n'était pas mal choisi. Si l'on en trouve un meilleur, je
m'inclinerai, mais c'est tout de même cela la bonne idée.
La formulation « si, en présence d'un défaut qui s'est révélé dans le délai de
dix ans après la mise en circulation du produit » - j'observe que l'on respecte
le délai de dix ans - « il n'a pas pris les dispositions propres à en prévenir
les conséquences dommageables... » instaure une obligation de moyens, et non de
résultat, bien sûr. Je tiens à le dire, pour que ce soit clair. Le producteur
ne peut pas non plus prévoir tout ce qui va survenir, mais il doit prendre des
mesures propres à prévenir les conséquences. C'est tout simplement une question
de bon sens.
Je vous demande donc, mes chers collègues, d'adopter l'amendement n° 9
rectifié, à l'exclusion de tous les autres.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble des amendements ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
S'agissant de l'amendement n° 19, je ne partage pas les
craintes de M. Hyest à propos de l'obligation dite de suivi des produits après
leur mise en circulation. Si une telle obligation ne figure pas expressément
dans le texte de la directive, rien n'interdit au législateur national de la
prévoir. Certaines législations la connaissent déjà, je pense notamment à
l'Allemagne.
Cela étant, je ne crois pas que le texte pose problème par son imprécision.
En ce qui concerne la révélation du défaut, il est clair que l'on doit
entendre par là le fait que la connaissance a été rendue publique et que,
s'agissant d'un élément de fait, sa preuve peut en être rapportée par tout
moyen. Le texte se réfère, sur ce point, à la pratique suivie en matière de
vice caché.
Quant à l'impossibilité que le producteur aurait de prévoir les conséquences
dommageables, elle procède d'une conception purement abstraite et beaucoup trop
stricte des obligations mises à la charge du producteur. Il ne lui est demandé
que de mettre en oeuvre des moyens préventifs adaptés à chaque type de
situation sans qu'il soit exigé de lui en quelque sorte une obligation de
réussite. L'amendement n° 19 n'est donc pas fondé.
En ce qui concerne l'amendement n° 23, l'avis du Gouvernement est, là aussi,
défavorable, parce que, comme d'ailleurs pour l'amendement n° 20, le texte
proposé entend limiter de manière extrêmement restrictive l'obligation du suivi
du produit. La logique, il est vrai, est un peu différente de celle de
l'amendement n° 20, puisque son auteur se place non plus sur le terrain de la
responsabilité objective, mais sur celui de la faute. Dès lors, le texte perd
toute utilité, car il est d'ores et déjà établi, en droit positif, qu'un
producteur qui resterait passif sachant que son produit est susceptible de
causer un préjudice commettrait une négligence qui entraînerait sa
responsabilité.
L'obligation de suivi ne présente d'originalité que dans le cadre de la
responsabilité objective où s'opère un renversement de la charge de la preuve,
même si, comme le propose la commission des lois, le producteur dispose de
clauses d'exonération.
Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° 20.
J'en viens à l'amendement n° 9 rectifié.
L'article 12
bis
impose au producteur une obligation de suivi des
produits qu'il commercialise et, à ce titre, le rend responsable des dommages
qu'ils occasionnent dès lors que, connaissant le danger de ses produits, il ne
prend pas de dispositions propres à éviter la survenance des accidents que
ceux-ci pourraient causer. Son attitude peut en quelque sorte être qualifiée de
fautive.
Néanmoins, il n'a pas semblé souhaitable de se placer sur le terrain de la
faute car la charge de la preuve aurait alors incombé à la victime.
En revanche, il a paru choquant de permettre à un producteur, averti du danger
présenté par ses produits, de s'exonérer du seul fait, par exemple, que ceux-ci
n'ont pas été mis en circulation par ses soins ou que le défaut dont ils sont
atteints est postérieur à leur mise en circulation, alors qu'il est resté
passif tout en ayant parfaitement conscience du risque de survenance d'un
accident.
C'est pourquoi le texte voté par l'Assemblée nationale prive, dans une telle
hypothèse, le producteur de la possibilité de s'exonérer en application des
règles de la directive.
La commission des lois souhaite ne pas aller aussi loin en distinguant parmi
les causes d'exonération et en permettant au producteur de se décharger de sa
responsabilité lorsqu'il n'a pas commercialisé le produit ou lorsque le défaut
est apparu après la mise en circulation de celui-ci.
Bien que je ne sois pas réellement convaincue de la pertinence de cette
distinction, je comprends que, dans un souci d'équilibre des intérêts en
présence, la commission des lois ait entendu nuancer le choix fait par
l'Assemblée nationale.
C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 9
rectifié.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 20.
M. Jean-Jacques Hyest.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Si l'article 12
bis
précisait tout ce que Mme le ministre a dit, ce
serait très bien. Mais la rédaction ne m'a pas semblé satisfaisante et c'est
pourquoi j'ai présenté d'abord un amendement de suppression, avant de proposer
une rédaction plus pertinente. Au cours de la navette, nous ferons d'autres
propositions.
Je persiste à penser que la notion de « défaut qui s'est révélé... » n'est pas
pertinente sur le plan juridique. Mme le ministre a apporté un certain nombre
de précisions ; je pense que je reprendrai dans leur intégralité certaines des
phrases qu'elle a prononcées. C'est pourquoi, en cet instant, je retire mon
amendement.
M. le président.
L'amendement n° 20 est retiré.
Qu'en est-il de l'amendement n° 23, monsieur Marini ?
M. Philippe Marini.
Je le retire également, monsieur le président.
M. le président.
L'amendement n° 23 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié, pour lequel le Gouvernement s'en
remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12
bis
, ainsi modifié.
(L'article 12
bis
est adopté.)
Article 13
M. le président.
« Art. 13. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-12 ainsi
rédigé :
«
Art. 1386-12. -
La responsabilité du producteur peut être réduite ou
supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est
causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou
d'une personne dont la victime est responsable.
« Constitue une faute de la victime l'utilisation du produit dans des
conditions anormales qui n'étaient pas raisonnablement prévisibles par le
producteur. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par M. Fauchon, au nom de la commission.
L'amendement n° 21 est proposé par M. Hyest.
Tous deux tendent à supprimer le second alinéa du texte présenté par l'article
13 pour insérer un article 1386-12 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 10.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Cet amendement est un exemple intéressant de la sagesse de la
commission des lois, ce que j'ai appelé tout à l'heure son double sens de la
responsabilité.
L'article 1386-12 du code civil, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée
nationale, dispose que : « la responsabilité du producteur peut être réduite ou
supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est
causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou
d'une personne dont la victime est responsable.
« Constitue une faute de la victime l'utilisation du produit dans des
conditions anormales qui n'étaient pas raisonnablement prévisibles par le
producteur. »
On m'a fait observer qu'il existe des conditions qui ne sont pas
raisonnablement prévisibles et contre lesquelles le producteur ne peut rien
faire. Prenons l'exemple d'une personne qui conduit un véhicule équipé de pneus
à moitié gonflés certes, le producteur peut le prévoir, mais il ne peut
l'empêcher.
Dans un premier temps, nous avions pensé retenir la notion de « conditions
inévitables pour le producteur », ce qui paraissait raisonnable.
Mais il m'a semblé - je rejoins ici la philosophie déjà exprimée sans succès,
hélas ! par M. Jean-Marie Girault et par moi-même, selon laquelle il faut s'en
rapporter à la sagesse des tribunaux et qu'il est inutile de chercher à définir
la faute de la victime, car nous n'y parviendrons pas - il m'a semblé,
disais-je, que mieux vaut supprimer cet alinéa et ne laisser subsister que la
notion de faute de la victime, étant entendu que, comme cela figure dans le
texte, le juge pourra apprécier si elle est de nature à réduire ou à supprimer
la responsabilité du producteur.
C'est dans cet esprit que nous avons présenté cet amendemment. On pourra
observer que la commission a adopté une démarche qui prouve son sens de
l'équilibre.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, pour défendre l'amendement n° 21.
M. Jean-Jacques Hyest.
M. le rapporteur a expliqué mieux que je n'aurais su le faire les motifs pour
lesquels cet ajout de l'Assemblée nationale paraît dangereux. Mieux vaut
laisser à la jurisprudence le soin de préciser ce qui constitue une faute de la
victime.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 10 et 21 ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur ces deux
amendements identiques, qui visent à supprimer la définition de la faute de la
victime. Cette position est sage. Une telle démarche, qui n'est pas usuelle
dans le droit de la responsabilité, pourrait en effet être perçue comme
réductrice au sens où elle figerait une notion alors que l'objectif recherché
est, au contraire, de souligner la diversité des situations.
M. le président.
Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 10 et 21, acceptés par le
Gouvernement.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'article 13, ainsi modifié.
(L'article 13 est adopté.)
Article 14
M. le président.
« Art. 14. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-13 ainsi
rédigé :
«
Art. 1386-13. -
La responsabilité du producteur envers la victime
n'est pas réduite par le fait d'un tiers ayant concouru à la réalisation du
dommage. » -
(Adopté.)
Article 15
M. le président.
L'article 15 a été supprimé par l'Assemblée nationale.
Article 16
M. le président.
« Art. 16. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-15 ainsi
rédigé :
«
Art. 1386-15.
Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la
responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non
écrites.
« Toutefois, pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par
la victime principalement pour son usage ou sa consommation privée, les clauses
stipulées entre les personnes agissant à titre professionnel sont valables, à
moins qu'elles n'apparaissent imposées à l'un des contractants par un abus de
la puissance économique de l'autre et confèrent à ce dernier un avantage
excessif. »
Par amendement n° 11, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, après les
mots : « les clauses stipulées », de rédiger comme suit la fin du second alinéa
du texte présenté par cet article pour insérer un article 1386-15 dans le code
civil : « entre professionnels sont valables. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Nous retrouvons ici une démarche qui rappelle un peu celle
que nous avions adoptée s'agissant de la définition de la faute de la
victime.
Le texte proposé pour l'article 1386-15 concerne « les clauses qui visent à
écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux »,
prévoyant, ce qui est habituel, qu'elles « sont interdites et réputées non
écrites ».
Cependant, le texte proposé pour le second alinéa est ainsi rédigé : «
Toutefois, pour les dommages causés aux biens qui ne sont pas utilisés par la
victime principalement pour son usage ou sa consommation privée, les clauses
stipulées entre les personnes agissant à titre professionnel sont valables, à
moins qu'elles n'apparaissent imposées à l'un des contractants par un abus de
la puissance économique de l'autre et confèrent à ce dernier un avantage
excessif. »
Nous croyons que, s'agissant des relations entre les professionnels, la notion
de puissance excessive de l'une des parties sur l'autre, qui se comprend dans
les relations entre consommateurs et producteurs - c'est la théorie des clauses
abusives - n'a pas lieu d'être.
En vérité, je suis même réservé - nous reviendrons peut-être sur ce point lors
de la deuxième lecture - sur le caractère admissible des clauses entre les
professionnels. Cela ne me paraît pas tellement évident. J'ai peur que l'on
n'ouvre un contentieux difficile, notamment sur le point de savoir s'il s'agit
de biens qui ne sont pas utilisés par la victime principalement pour son usage
ou sa consommation privés. Quelle discussion sur l'utilisation privée
principale des biens !
Mais, la commission ne m'ayant pas mandaté pour revenir sur cet alinéa, je
propose donc simplement de modifier la rédaction de la fin du texte proposé
pour le second alinéa de l'article 1386-15 afin d'en rester à une formulation
générale qui reconnaît simplement la validité des clauses stipulées entre les
professionnels, laissant à la jurisprudence le soin d'apprécier.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet
amendement.
Le texte de transposition de la directive ne vise qu'à régir les rapports
entre les professionnels et les consommateurs. Il n'y a donc pas lieu d'aborder
la question des clauses contractuelles relatives à la responsabilité dans les
relations entre les professionnels. De toute façon, il me paraît difficile
d'introduire dans les contrats entre professionnels un mécanisme conçu pour les
rapports entre les professionnels et les consommateurs, par définition
inégalitaires, alors qu'il n'en est pas en principe de même, me semble-t-il,
entre les professionnels.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 11, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 16, ainsi modifié.
(L'article 16 est adopté.)
Article 17
M. le président.
« Art. 17. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-16 ainsi
rédigé :
«
Art. 1386-16
. - Sauf faute du producteur, la responsabilité de
celui-ci, fondée sur les dispositions du présent titre, est éteinte dix ans
après la mise en circulation du produit même qui a causé le dommage à moins
que, durant cette période, la victime n'ait engagé une action en justice. »
Par amendement n° 30, Mme Terrade, M. Pagès et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent, dans le texte présenté par cet
article pour l'article 1386-16 du code civil, de remplacer les mots : « dix ans
» par les mots : « trente ans ».
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Cet amendement répond à la même logique que l'amendement n° 29, que nous
avions déposé à l'article 12
bis
, et concerne les délais de prescription
pour mettre en cause la responsabilité du producteur. Pour les mêmes raisons,
nous vous demandons de l'adopter.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La commission comprend le souci qui a animé le groupe
communiste républicain et citoyen. Mais ce texte n'est pas raisonnable : il va
trop loin. Compte tenu du rythme de la vie moderne, les choses doivent
s'arrêter ; elles peuvent difficilement durer trente ans.
De toute façon, nous sommes en présence d'une directive qui s'impose. Nous
n'avons pas le choix à cet égard. La commission, comme sur tous les autres
points qui relèvent de la directive, est obligée de demander au Sénat de
respecter ce texte qu'il s'agit de transposer. Elle émet donc un avis
défavorable sur l'amendement n° 30.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement ne peut pas être favorable à cet
amendement, car le délai de trente ans est contraire au texte même de la
directive.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 30, repoussé par la commission et par le
Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 17.
(L'article 17 est adopté.)
Article 18
M. le président.
« Art. 18. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-17 ainsi
rédigé :
« Art. 1386-17
. - L'action en réparation fondée sur les dispositions du
présent titre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à
laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du
défaut et de l'identité du producteur. »
(Adopté.)
Article 19
M. le président.
« Art. 19. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-18 ainsi
rédigé :
«
Art. 1386-18
. - Les dispositions du présent titre ne portent pas
atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du
droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un
régime spécial de responsabilité.
« Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des
personnes dont il répond.
« Cependant, après la mise en circulation du produit défectueux, la
responsabilité du producteur ne peut plus être recherchée à raison de la garde
du produit. »
Par amendement n° 12, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de
supprimer le dernier alinéa du texte présenté par cet article pour insérer un
article 1386-18 dans le code civil.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Nous demandons la suppression d'un alinéa un peu
singulier.
Alors que le maintien du droit commun est prévu, cet alinéa vise à supprimer
la notion de garde, qui en est l'un des éléments essentiels ! On ne peut quand
même pas supprimer cette notion sans réflexion et sans explication ! En effet,
cela reviendrait à donner un coup de pied dans un système juridique dont on
nous a dit tout à l'heure qu'il était maintenu. C'est une bizarrerie.
Mais nous savons que, à l'Assemblée nationale, les choses se sont passées
beaucoup plus rapidement qu'ici ! Dans ces conditions, nous demandons au Sénat
d'écarter le dernier alinéa de l'article 19, qui aurait un effet perturbateur
et des conséquences difficiles à prévoir mais certainement assez fâcheuses.
Certains disent que la notion de garde est périmée et que l'on pourrait
peut-être s'en débarrasser. C'est possible.
Mais, dans l'état actuel de notre droit, cela ne me paraît pas raisonnable.
C'est la raison pour laquelle nous avons proposé de ne pas bousculer
celui-ci.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je comprends que la commission ne veuille pas voir
apporter de restriction au principe dit « du cumul des responsabilités », qui
laisse à la victime le choix entre les différents régimes de responsabilité
applicables aux producteurs résultant du droit en vigueur ou de la
directive.
La commission considère que la rédaction de l'alinéa qu'il est proposé de
supprimer empêche les victimes de se prévaloir de la responsabilité fondée sur
la garde de la chose. Je ne crois pas que cet alinéa aboutirait à une telle
conséquence.
Pourtant, une lecture rapide de cet alinéa pourrait effectivement laisser
penser que la responsabilité de l'un quelconque des membres de la chaîne de
distribution ne peut plus être recherchée sur le fondement de l'article 1384 du
code civil posant le principe de la responsabilité du gardien. Ce serait alors
une régression de la protection de la victime. C'est la raison pour laquelle je
me rallie à la proposition de la commission.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 12, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ? ...
Je mets aux voix l'article 19, ainsi modifié.
(L'article 19 est adopté.)
Article 20
M. le président.
« Art. 20. - Les dispositions du titre IV
bis
du livre III du code
civil sont applicables aux produits dont la première mise en circulation est
postérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, même s'ils ont
fait l'objet d'un contrat antérieur. »
Par amendement n° 26, le Gouvernement propose, dans cet article, de supprimer
le mot : « première ».
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer lors de la
discussion de l'amendement n° 3 de la commission à l'article 6, la sécurité
juridique impose qu'un produit fasse l'objet d'une seule mise en circulation.
Or le terme « première » laisse entendre qu'il y a d'autres mises en
circulation. Telle est la raison du dépôt de cet amendement.
J'en profite pour préciser à M. le rapporteur mon raisonnement sur la
question du délai, point sur lequel il est longuement intervenu ce matin.
La directive a entendu faire de l'existence d'un délai de garantie raisonnable
la contrepartie de la responsabilité objective créée à l'encontre du
producteur. C'est pourquoi elle a fixé à dix ans à compter de la mise en
circulation du produit la durée de cette responsabilité en référence au
caractère consomptible des biens de consommation qui s'usent avec le temps.
Admettre qu'il y a une nouvelle mise en circulation à chaque fois qu'un des
membres de la chaîne de distribution se désaisit du produit entre les mains
d'un autre conduit à reculer le point de départ du délai de dix ans et donc à
allonger d'autant celui-ci, contrairement à l'objectif de la directive.
Cela conduit également à rendre incertain le point de départ de la durée de la
responsabilité à l'égard du consommateur, qui est dans l'impossibilité de
connaître le déroulement du processus de distribution. Or la sécurité juridique
impose que les délais de responsabilité soient fixés objectivement.
Voilà les précisions que je voulais apporter.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
La notion de mise en circulation unique a été exclue par
l'adoption de l'amendement n° 3 à l'article 6.
Je ne répondrai pas sur le fond, madame le ministre, mais j'ai déjà fait
observer que le délai de dix ans n'est tout de même pas très long. Dans notre
droit commun, il s'agit de dix ans à compter du dommage tandis que, en
l'occurrence, c'est dix ans à compter de la mise en circulation.
Or, en province, un produit sorti de l'usine, par exemple en 1990, peut être
vendu finalement en 1998. Pitié pour l'utilisateur qui n'a plus que deux ans
pour exercer son recours !
La disposition votée tout à l'heure me paraît tout à fait raisonnable. Il y
aura des mises en circulation successives et donc une première mise en
circulation.
C'est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur l'amendement n°
26.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 26, repoussé par la commission.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 20, ainsi modifié.
(L'article 20 est adopté.)
M. Jean-Jacques Hyest.
C'est incohérent !
M. le président.
Effectivement ! Mais ce ne sera pas la première fois qu'il y a une incohérence
dans un texte de loi !
Article 21
M. le président.
« Art. 21. - Il est inséré, après l'article 1641 du code civil, un article
1641-1 ainsi rédigé :
«
Art. 1641-1.
- L'acheteur doit prouver que le défaut existait au
moment de la fourniture de la chose.
« Lorsqu'il est stipulé une garantie conventionnelle, le défaut qui se révèle
dans le délai de cette garantie est présumé, sauf preuve contraire, avoir
existé au moment de la fourniture.
« En l'absence d'une telle garantie, cette présomption joue pendant un an à
compter de la fourniture.
« La présomption n'a pas lieu dans les ventes entre personnes agissant à titre
professionnel. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 13, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de
supprimer cet article.
Par amendement n° 31, Mme Terrade, M. Pagès et les membres du groupe
communiste républicain et citoyen proposent, dans le troisième alinéa du texte
présenté par l'article 21 pour l'article 1641-1 du code civil, de remplacer les
mots : "un an" par les mots : "deux ans".
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 13.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
A ce point du débat, nous en venons, après un vote quelque
peu décourageant, à des sujets que je me réjouis de ne pas avoir à aborder. En
effet, la commission des lois considère que les articles 21, 22, 23 et 24, sur
lesquels je ne reviendrai pas tout à l'heure, sont hors sujet puisqu'ils
concernent la garantie de la chose vendue.
Sur ce point, il y a certes des choses à dire et à faire. Je pense notamment
au bref délai pour les vices cachés, qui constitue à la fois l'une des pommes
de discorde de notre jurisprudence et une source de difficultés fâcheuses. L'un
des articles vise d'ailleurs à y remédier en fixant ce délai à un an. Il serait
effectivement souhaitable et même urgent de s'engager dans cette voie.
Cependant, dans sa sagesse, la commission des lois a considéré qu'il
s'agissait ici de transposer la directive du 25 juillet 1985, et qu'il n'était
donc pas raisonnable d'entrer dans une autre voie. Compte tenu du vote qui
vient d'intervenir, je me réjouis d'ailleurs de ne pas avoir à ouvrir un débat
sur les articles qui suivent...
Nous attendons maintenant la nouvelle directive qui, d'après les informations
dont je dispose, doit être adoptée à Bruxelles par les ministres compétents au
mois d'avril. Cette nouvelle directive donnera lieu elle-même à une
transposition qui, je l'espère, interviendra plus vite que l'actuelle
transposition concernant la sécurité des produits. Nous pourrons donc reprendre
ce débat dans de meilleures conditions lorsque nous examinerons la directive
relative à la vente, au suivi de la vente, et particulièrement aux vices
cachés.
M. le président.
La parole est à Mme Terrade, pour défendre l'amendement n° 31.
Mme Odette Terrade.
Porter le délai de présomption à deux ans au lieu d'un an nous paraît plus
adapté et plus favorable au consommateur.
Parallèlement, ce délai de deux ans aura pour effet d'inciter les
professionnels à augmenter la durée de la garantie contractuelle et conduira
ceux qui proposent des garanties supérieures à ne pas être tentés de les
réduire.
Ainsi, nous contribuons à renforcer la protection du consommateur sans
astreindre le producteur outre mesure.
Cet amendement a donc, pensons-nous, toutes les chances d'obtenir votre
approbation, mes chers collègues !
(Sourires.)
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Le Gouvernement accepte l'amendement n° 13.
En revanche, il est défavorable à l'amendement n° 31, car - je l'ai dit dans
mon propos introductif - il me paraît prématuré d'aborder la question de la
garantie du vendeur de biens de consommation en raison des discussions qui ont
actuellement lieu à Bruxelles sur ce sujet.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
Mme Odette Terrade.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade.
Nous sommes opposés par principe au fait d'attendre l'adoption d'une directive
européenne pour commencer à légiférer.
Ce n'est pas à la législation française de s'adapter par le bas à la
réglementation européenne, mais à celle-ci de tenir compte des juridictions
nationales pour les tirer vers le haut.
Nous souhaitons qu'il y ait un vote sur le fond sur l'article 21 et sur chacun
des articles suivants, quitte à les amender, comme nous souhaitons le faire de
cet article 21.
Nous ne pouvons donc pas être favorables aux amendements de suppression des
articles 21 à 24.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, accepté par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 21 est supprimé et l'amendement n° 31 n'a plus
d'objet.
Article 22
M. le président.
« Art. 22. - Il est inséré, après l'article 1644 du code civil, un article
1644-1 ainsi rédigé :
«
Art. 1644-1. -
Lorsque la vente a été faite par un vendeur
professionnel, l'acheteur a le choix d'exiger soit le remboursement du prix
contre la restitution du produit, soit la diminution du prix, soit, à moins que
cela ne soit manifestement déraisonnable, la réparation du produit, sauf si le
vendeur offre de le remplacer, ou le remplacement du produit.
« Toutefois, l'acheteur ne peut exiger le remboursement du prix, ni le
remplacement du produit, s'il s'est mis, sans motif légitime, dans
l'impossibilité de restituer ce dernier. »
Par amendement n° 14, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de
supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
Nous sommes dans la même situation, monsieur le président, et
il en sera de même pour les amendements n°s 15 et 16 visant les articles 23 et
24.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Même avis que précédemment.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, accepté par le Gouvernement.
Mme Odette Terrade.
Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 22 est supprimé.
Article 23
M. le président.
« Art. 23. - Le premier alinéa de l'article 1648 du code civil est remplacé
par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le droit de se prévaloir d'un vice est prescrit si l'acheteur n'a pas fait
connaître ce vice au vendeur dans un délai d'un an à partir du moment où il l'a
constaté ou aurait dû le constater.
« Toutefois, cette durée peut être modifiée entre vendeurs professionnels par
les usages ou la convention des parties. »
Par amendement n° 15, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de
supprimer cet article.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, accepté par le Gouvernement.
Mme Odette Terrade.
Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 23 est supprimé.
Article 24
M. le président.
« Art. 24. - L'article 1649 du code civil est ainsi rédigé :
«
Art. 1649. -
La garantie n'a pas lieu dans les ventes imposées par
une décision de justice. »
Par amendement n° 16, M. Fauchon, au nom de la commission, propose de
supprimer cet article.
La commission et le Gouvernement se sont déjà exprimés sur cet amendement.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 16, accepté par le Gouvernement.
Mme Odette Terrade.
Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 24 est supprimé.
Article 25
M. le président.
« Art. 25. - La présente loi est applicable dans les territoires d'outre-mer
et dans la collectivité territoriale de Mayotte, à l'exception du dernier
alinéa de l'article 7. » -
(Adopté.)
Article 26
M. le président.
« Art. 26. - L'article 4 de la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967 relative aux
ventes d'immeubles à construire et à l'obligation de garantie à raison des
vices de construction, les articles 1er, 2 et 3 de la loi n° 78-12 du 4 janvier
1978 relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la
construction et les articles 1601-1 à 1601-4, 1642-1, 1646-1, 1792-1 à 1792-6
du code civil sont applicables dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie,
des îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale de Mayotte. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Par amendement n° 33, le Gouvernement propose, dans cet article, de supprimer
les mots : « dans les territoires de la Nouvelle-Calédonie, des îles
Wallis-et-Futuna et ».
Par amendement n° 22, M. Hyest propose, dans cet article, de supprimer les
mots : « de la Nouvelle-Calédonie, ».
La parole est à Mme le garde des sceaux, pour défendre l'amendement n° 33.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Monsieur le président, je préférerais que M. Hyest
présente d'abord son amendement n° 22.
M. le président.
La parole est à M. Hyest, pour défendre l'amendement n° 22.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, en fait, j'aurais dû proposer la suppression de
l'article 26.
Nous examinons actuellement un texte qui concerne les produits défectueux.
L'étendre au régime des ventes d'immeubles à construire ne me semble pas
souhaitable. On peut, certes, tout faire, mais cela ne me paraît pas de bonne
législation.
De nombreuses ordonnances devant être prises s'agissant des territoires
d'outre-mer, cette disposition me semble y avoir plus sa place.
Je voterai donc contre l'article 26.
M. le président.
Je vous redonne la parole, madame le garde des sceaux, pour défendre
l'amendement n° 33.
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Je ne serais pas opposée à la suppression pure et
simple de l'article 26.
M. Jean-Jacques Hyest.
Ce serait bien plus simple !
M. le président.
Souhaitez-vous, madame le garde des sceaux, modifier votre amendement ?
Mme Elisabeth Guigou,
garde des sceaux.
Oui, monsieur le président : je le transforme en
amendement de suppression.
M. le président.
Il s'agit donc de l'amendement n° 33 rectifié.
Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 33 rectifié et 22
?
M. Pierre Fauchon,
rapporteur.
L'article 26 résultant d'un amendement présenté par le
Gouvernement à l'Assemblée nationale, la commission souhaitait connaître l'avis
de Mme le garde des sceaux sur ce point.
Nous sommes maintenant en présence du Nouveau Testament, si j'ose dire, qui
diverge en l'occurrence de l'Ancien Testament.
(Sourires.)
La commission propose donc au Sénat de statuer dans sa sagesse sur cette
proposition de suppression de l'article 26.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 33 rectifié, pour lequel la commission s'en
remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, l'article 26 est supprimé et l'amendement n° 22 n'a plus
d'objet.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la
parole à Mme Terrade pour explication de vote.
Mme Odette Terrade.
Le texte final tel qu'il a été amendé par notre assemblée marque un progrès
dans la protection du consommateur sur certains aspects, mais contitue une
véritable régression de notre droit actuel sur des questions qui nous
paraissent déterminantes.
Je pense ici, bien entendu, à l'introduction des éléments et produits du corps
humain dans le champ de la définition du produit au titre de l'article 1386-3
du code civil.
Nous considérons que la volonté du législateur de confondre les produits du
corps humain avec les autres types de produits peut donner lieu à des dérives
inacceptables et atténuer sensiblement la protection des consommateurs.
J'insisterai également sur la volonté, exprimée ici, d'exonérer le producteur
de la responsabilité des risques de développement, contre l'avis même du
rapporteur et de la commission des lois du Sénat.
On transfère, de fait, la charge du risque de développement sur le
consommateur alors que le producteur peut instrumentaliser les études
scientifiques à son avantage.
Enfin, au nom du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que de
l'ensemble des associations de consommateurs de notre pays, je regrette que le
Sénat n'ait pas adopté nos différents amendements relatifs au délai de
prescription à l'occasion de la discussion des articles 12
bis
et 17 ;
de même, le délai de présomption n'a pas été porté à deux ans, comme nous le
proposions, lorsqu'il n'existe pas de garantie contractuelle.
Je l'ai dit dans la discussion générale et je le répète, notre appréciation
globale se fonde sur l'état actuel de notre législation et non par rapport aux
dispositions de la directive n° 85-374.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera
contre la présente proposition de loi, car elle comporte des éléments qui
tendent à menacer le niveau actuel de protection des consommateurs.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
5
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
CONSTITUTIONNELLE
M. le président.
J'ai reçu de M. Claude Huriet une proposition de loi constitutionnelle tendant
à garantir la stabilité du régime électoral des assemblées parlementaires et
des assemblées des collectivités territoriales.
La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le numéro 277,
distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les
conditions prévues par le règlement.
6
DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI
M. le président.
J'ai reçu de M. Jean Pourchet une proposition de loi visant à supprimer la
répartition intercommunale des dépenses de fonctionnement des écoles publiques
accueillant des enfants de plusieurs communes.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 271, distribuée et renvoyée
à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage
universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la
constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues
par le règlement.
J'ai reçu de M. Bernard Barraux une proposition de loi visant à diminuer le
taux de la contribution sociale généralisée applicable aux indemnités des élus
locaux non affiliés au régime général de la sécurité sociale.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 272, distribuée et renvoyée
à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
J'ai reçu de M. André Egu une proposition de loi visant à accorder aux
collectivités territoriales le remboursement de la TVA sur leurs dépenses de
fonctionnement.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 273, distribuée et renvoyée
à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques
de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission
spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Philippe Arnaud une proposition de loi tendant à organiser le
remboursement immédiat de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) aux collectivités
territoriales.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 274, distribuée et renvoyée
à la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques
de la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission
spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Alphonse Arzel une proposition de loi visant à baisser le taux
de recouvrement de la surcompensation versée par la Caisse nationale de
retraite des agents des collectivités locales.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 275, distribuée et renvoyée
à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
J'ai reçu de M. Alain Joyandet une proposition de loi tendant à utiliser
partiellement les cotisations d'assurance chômage dues par les employeurs au
titre de l'article L. 351-3-1 du code du travail pour recruter des personnes
visées par l'article L. 351-1 du code du travail.
La proposition de loi sera imprimée sous le numéro 278, distribuée et renvoyée
à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
7
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. François Lesein, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au
nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les
dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative à la
sécurité et à la promotion d'activités sportives.
Le rapport sera imprimé sous le numéro 276 et distribué.
8
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au mardi 10 février 1998, à neuf heures trente et à seize heures.
1. Discussion des conclusions du rapport (n° 314, 1995-1996) de M. Jean-Paul
Delevoye, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
sur la proposition de loi (n° 239, 1995-1996), de MM. Serge Vinçon, Michel
Alloncle, Louis Althapé, Jean Bernard, Roger Besse, Paul Blanc, Jacques
Braconnier, Gérard Braun, Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Auguste
Cazalet, Jacques Chaumont, Jean-Patrick Courtois, Désiré Debavelaere, Philippe
de Gaulle, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Michel Doublet, Alain
Dufaut, Patrice Gélard, Alain Gérard, Daniel Goulet, Georges Gruillot, Bernard
Hugo, Jean-Paul Hugot, Roger Husson, André Jourdain, Alain Joyandet, Edmond
Lauret, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Pierre Martin, Mme Nelly Olin,
MM. Charles Pasqua, Alain Pluchet, Victor Reux, Roger Rigaudière, Michel Rufin,
Jean-Pierre Schosteck, Maurice Schumann, Louis Souvet et Jacques Valade tendant
à autoriser les élus des communes comptant 3 500 habitants au plus à conclure
avec leur collectivité des baux ruraux.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 9 février 1998, à dix-sept
heures.
2. Discussion des conclusions du rapport (n° 20, 1997-1998) de M. Daniel
Hoeffel, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale,
sur :
- la proposition de loi (n° 151, 1996-1997) de M. Nicolas About tendant à
modifier les dispositions du code civil relatives à la prestation compensatoire
en cas de divorce ;
- et la proposition de loi (n° 400, 1996-1997) de MM. Robert Pagès, Michel
Duffour, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle
Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM. Guy Fischer, Pierre Lefebvre, Paul Loridant,
Mme Hélène Luc, MM. Louis Minetti, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette
Terrade relative à l'attribution de la prestation compensatoire en cas de
divorce.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 9 février 1998, à dix-sept
heures.
3. Discussion de la proposition de loi (n° 185, 1997-1998), adoptée par
l'Assemblée nationale, permettant aux organismes d'habitations à loyer modéré
d'intervenir sur le parc locatif privé en prenant à bail des logements vacants
pour les donner en sous-location.
Rapport (n° 262, 1997-1998) de M. Gérard Braun, fait au nom de la commission
des affaires économiques et du Plan.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 9 février 1998, à dix-sept
heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements
Projet de loi relatif à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur
l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de
l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction (n° 291, 1996-1997).
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 10 février 1998, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGE`RES,
DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES
M. André Rouvière a été nommé rapporteur du projet de loi n° 258 (1997-1998)
autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de la République de Cuba sur l'encouragement et la
protection réciproques des investissements (ensemble un protocole).
M. Daniel Goulet a été nommé rapporteur du projet de loi n° 259 (1997-1998)
autorisant la ratification de l'accord-cadre de coopération destiné à préparer,
comme objectif final, une association à caractère politique et économique entre
la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la République du
Chili, d'autre part (ensemble une annexe).
COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mme Nicole Borvo a été nommée rapporteur de sa proposition de loi n° 122
(1997-1998) relative à l'assurance contre le risque de non-paiement des
cotisations des employeurs au régime général de la sécurité sociale.
Le Directeur du service du compte rendu intégral, DOMINIQUE PLANCHON QUESTIONS ORALES REMISES À LA PRÉSIDENCE DU SÉNAT (Application des articles 76 à 78 du réglement)
Délais de paiement appliqués aux produits cuisinés
186.
- 5 février 1998. -
M. Yann Gaillard
attire l'attention de
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
sur les délais de paiement appliqués aux plats cuisinés et aux conserves. Il
apparaît en effet anormal que les industriels soient assujettis à un délai de
paiement de 30 jours (art. 35 nouveau de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er
décembre 1986 modifié par la loi n° 92-1442 du 31 décembre 1992 et par la loi
n° 96-588 du 1er juillet 1996) pour les produits périssables à partir desquels
ils produisent des plats cuisinés et ne soient payés qu'à un délai compris
entre 120 et 150 jours par les centrales de restauration hors foyer et les
distributeurs qui revendent ces produits. Il apparaît clairement que dans cette
situation les industriels jouent un rôle de banquier à l'égard de leurs
clients, ce qui ne se justifie pas. Il serait donc normal, aux yeux de ces
industriels, d'aligner les conditions de l'épicerie (conserves de légumes, de
viande, plats cuisinés...) sur celles des produits frais. Il lui demande donc
ce qu'il compte faire pour rétablir une certaine logique et une certaine équité
dans ce domaine et ne soit pas tenté d'exercer en plus une activité d'organisme
financier.
Statut des animateurs de la mission d'insertion
de l'éducation nationale
187. - 5 février 1998. - M. Yann Gaillard attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur le statut des animateurs de la mission d'insertion de l'éducation nationale. Mise en place en 1986 pour accompagner pendant un an les jeunes en rupture scolaire et/ou sociale, la mission d'insertion doit, comme le précise un Bulletin officiel de mars 1992, leur permettre de faire le point sur leur situation hors du cadre scolaire et choisir, avec l'aide de l'équipe éducative, la voie la plus appropriée à la concrétisation de leur démarche d'entrée dans la vie active. Les animateurs-formateurs au nombre de 700 au total - 17 sur l'académie de Reims - ont été embauchés sous contrats à durée déterminée renouvelables. Or depuis près de douze ans maintenant leur statut n'a pas évolué. Précarité, angoisse du non-renouvellement, de la suppression de budget, tel est le lot de ces contractuels spécialistes de l'insertion. En 1993, les animateurs se sont vu appliquer une grille indiciaire, signe encourageant allant dans le sens d'une amélioration de la situation pensait-on alors, mais depuis septembre 1997, cette grille a été supprimée. Il lui demande donc de bien vouloir examiner les revendications légitimes de ces personnels : titularisation et mise en place d'une véritable évolution de carrière. Ces mesures semblent d'ailleurs s'inscrire dans les priorités du Gouvernement : lutte contre la précarité, aide à l'émergence de nouveaux métiers et efforts en faveur de l'insertion.