M. le président. « Art. 12 bis. - Il est inséré, dans le même titre, un article 1386-11-1 ainsi rédigé :
« Art. 1386-11-1. - Le producteur ne peut invoquer les causes d'exonération prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut qui s'est révélé dans le délai de dix ans après la mise en circulation du produit, il n'a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables. »
Je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont présentés par M. Hyest.
L'amendement n° 19 tend à supprimer cet article.
L'amendement n° 20 vise à rédiger comme suit le texte présenté par ce même article pour l'article 1386-11-1 du code civil :
« Art. 1386-11-1. - Le producteur ne peut invoquer les causes d'exonération prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut clairement établi qui a été porté à la connaissance du producteur au cours de la période d'usage normal du produit, il est prouvé qu'il n'a pas pris les dispositions propres à tenter d'en prévenir ou d'en limiter les conséquences dommageables. »
Par amendement n° 23, MM. Calmejane et Marini proposent de rédiger comme suit le texte présenté par l'article 12 bis pour l'article 1386-11-1 du code civil :
« Art. 1386-11-1. - Constitue une faute du producteur de nature à engager sa responsabilité civile, le fait, en présence d'un défaut de sécurité grave, avéré et dûment porté à sa connaissance dans le délai de dix ans après la mise en circulation du produit et de nature à justifier, en fonction de la gravité de ce défaut et du degré d'urgence, l'information du public, la reprise pour modification ou le retrait du produit, de ne pas avoir pris en temps utile les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables. »
Par amendement n° 9 rectifié, M. Fauchon, au nom de la commission, propose, dans le texte présenté par l'article 12 bis pour insérer un article 1386-11-1 dans le code civil, de remplacer les mots : « les causes d'exonération prévues à l'article 1386-11 » par les mots : « les causes d'exonération prévues aux 4° et 5° de l'article 1386-11 ».
Par amendement n° 29, Mme Terrade, M. Pagès et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le texte présenté par l'article 12 bis pour l'article 1386-11-1 du code civil, de remplacer les mots : « dix ans » par les mots : « trente ans ».
La parole est à M. Hyest, pour défendre les amendements n°s 19 et 20.
M. Jean-Jacques Hyest. Je propose de supprimer l'article 12 bis, car, selon la directive de 1985 telle qu'elle est transposée par la proposition de loi, la responsabilité du producteur est engagée à raison du dommage causé par le défaut de sécurité.
Le producteur peut s'exonérer de sa responsabilité ou la limiter en invoquant un certain nombre de défenses énumérées à l'article 1386-11 du code civil.
Nous venons d'évoquer longuement l'une d'elles.
Cependant, ces causes d'exonération sont réduites à néant par l'article 1386-11-1, introduit par l'Assemblée nationale, alors qu'aucune disposition équivalente ne figure dans la directive communautaire.
Cet article est d'abord problématique par son imprécision. En effet, le verbe « révéler » ne correspond à aucun concept juridique précis et soulève des questions multiples. Quels sont les critères de « révélation » d'un défaut ? Comment la preuve d'une telle « révélation » sera-t-elle apportée ?
Cet article est aussi problématique à cause de l'impossibilité d'apporter la preuve qu'il requiert. Le producteur ne peut en effet invoquer les défenses prévues à l'article 1386-11 si, en présence d'un défaut révélé dans les dix ans suivant la mise en circulation du produit, « il n'a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables ». Prévenir, dans ce contexte, signifie empêcher. Le producteur ne pourra jamais parvenir à démontrer qu'il a pris les mesures propres à prévenir les conséquences dommageables d'un défaut puisque, par hypothèse, il ne sera amené à rapporter cette preuve que devant un tribunal, c'est-à-dire après que le dommage se sera effectivement produit. Le producteur se trouverait ainsi confronté à un problème de preuve impossible : le seul fait d'être devant un tribunal pour y répondre d'un dommage causé par le défaut de son produit le priverait automatiquement de toute défense.
L'article 12 bis est donc superflu. Il est même contraire à tout ce que nous avons voté par ailleurs.
Quant à l'amendement n° 20, c'est un amendement de repli, qui vise à donner un sens à l'article concerné afin qu'il ne soit pas totalement privé d'effet.
M. le président. La parole est à M. Marini, pour défendre l'amendement n° 23.
M. Philippe Marini. Cet amendement est présenté dans le même esprit que l'amendement de repli n° 20. Il s'agit de mieux rédiger l'article 12 bis .
Toutefois, comme M. Hyest, je préférerais que le problème ne se pose pas, ce qui serait le cas si l'article 12 bis était supprimé.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 9 rectifié.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit toujours de l'article 12 bis , que certains souhaitent supprimer, ce qui est pousser à l'extrême l'exonération de responsabilité. En effet, si on les suit, même après avoir appris que le produit est dangereux, il sera parfaitement possible de ne rien faire et de continuer à le laisser sur le marché, et, une fois de plus, tant pis pour les victimes ! Position admirable !
Quoi qu'il en soit, la commission considère que « l'obligation de suivi » - retenons cette formule qui est plus simple - prévue par cet article impose tout de même à un producteur de suivre ce qui se passe en ce qui concerne son produit, après la mise en circulation de celui-ci.
Cet article, posé d'une manière générale, est un peu étranger à la directive. En revanche, il trouve sa raison d'être dès lors que la directive comporte certaines causes d'exonération, qui, à l'évidence, ne peuvent pas jouer si, le danger du produit étant apparu après coup, on ne fait rien. Il faut tout de même admettre que le professionnel qui aura constaté le danger devra prendre des mesures de nature à le prévenir. C'est pourquoi nous sommes favorables à l'article 12 bis .
Dans un premier temps, nous avions proposé de le modifier afin qu'il ne s'applique qu'au cinquième cas d'exonération. En effet, en ce qui concerne les trois premiers cas, c'est-à-dire lorsque le produit n'a pas été mis en circulation, quand le dommage n'existe pas au moment de la mise en circulation, ou lorsque le produit n'est pas destiné à la vente, le problème ne se pose pas ; peu importe ce qui se passe après.
Or, dans le cas où « le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire », si on apprend après que le produit est dangereux, il faut tout de même qu'il y ait une obligation de faire attention.
Mais nous avons rectifié notre amendement n° 9, afin de tenir compte du quatrième cas d'exonération, pour les mêmes raisons.
A supposer que, initialement, et comme vous le souhaitez, il y ait exonération de responsabilité pour risque de développement, c'est-à-dire parce qu'on ne pouvait pas savoir, à partir du moment où on sait, le producteur a tout de même l'obligation d'avertir.
Je serais surpris que nous ne soyons pas d'accord pour adopter cette mesure, sinon ce serait la déresponsabilisation totale du professionnel ! Il faut donc maintenir cette obligation de suivi.
La rédaction est-elle parfaite ? Peut-être pas. Elle ne me paraît pas mauvaise.
Celle qui est proposée par M. Marini...
M. le président. Monsieur le rapporteur, avant que vous donniez l'avis de la commission, tous les amendements doivent être présentés.
L'amendement n° 29 est-il soutenu ?...
Vous avez la parole, monsieur le rapporteur, pour donner l'avis de la commission sur les amendements n°s 19, 20 et 23.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pour les raisons que je viens d'énoncer, nous ne souscrivons pas à l'amendement n° 19.
Nous ne souscrivons pas non plus à l'amendement n° 20, dans lequel le défaut doit être « clairement établi ». En effet, il s'agit d'un défaut tout simplement, et on doit dès lors le prendre en compte.
Nous souscrivons encore moins, si je puis dire, à la rédaction proposée par MM. Calmejane et Marini. En effet, emportés par leur enthousiasme, ils remettent pratiquement en cause tout ce que nous venons de voter.
Aux termes de leur amendement, le défaut de sécurité devrait être « grave, avéré, dûment porté à la connaissance... » Ainsi, on verrouille au maximum !
La rédaction générale qui nous est proposée par le texte de la proposition de loi est tout de même convenable. Elle prévoit une obligation de suivi, qui relève des obligations les plus élémentaires du producteur. En effet, l'expression retenue est la suivante : « si, en présence d'un défaut qui s'est révélé... » Si vous avez une autre expression à proposer, je suis ouvert. La navette permettra peut-être de trouver une autre formulation. Il m'a semblé que le terme « révélé » n'était pas mal choisi. Si l'on en trouve un meilleur, je m'inclinerai, mais c'est tout de même cela la bonne idée.
La formulation « si, en présence d'un défaut qui s'est révélé dans le délai de dix ans après la mise en circulation du produit » - j'observe que l'on respecte le délai de dix ans - « il n'a pas pris les dispositions propres à en prévenir les conséquences dommageables... » instaure une obligation de moyens, et non de résultat, bien sûr. Je tiens à le dire, pour que ce soit clair. Le producteur ne peut pas non plus prévoir tout ce qui va survenir, mais il doit prendre des mesures propres à prévenir les conséquences. C'est tout simplement une question de bon sens.
Je vous demande donc, mes chers collègues, d'adopter l'amendement n° 9 rectifié, à l'exclusion de tous les autres.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'ensemble des amendements ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant de l'amendement n° 19, je ne partage pas les craintes de M. Hyest à propos de l'obligation dite de suivi des produits après leur mise en circulation. Si une telle obligation ne figure pas expressément dans le texte de la directive, rien n'interdit au législateur national de la prévoir. Certaines législations la connaissent déjà, je pense notamment à l'Allemagne.
Cela étant, je ne crois pas que le texte pose problème par son imprécision.
En ce qui concerne la révélation du défaut, il est clair que l'on doit entendre par là le fait que la connaissance a été rendue publique et que, s'agissant d'un élément de fait, sa preuve peut en être rapportée par tout moyen. Le texte se réfère, sur ce point, à la pratique suivie en matière de vice caché.
Quant à l'impossibilité que le producteur aurait de prévoir les conséquences dommageables, elle procède d'une conception purement abstraite et beaucoup trop stricte des obligations mises à la charge du producteur. Il ne lui est demandé que de mettre en oeuvre des moyens préventifs adaptés à chaque type de situation sans qu'il soit exigé de lui en quelque sorte une obligation de réussite. L'amendement n° 19 n'est donc pas fondé.
En ce qui concerne l'amendement n° 23, l'avis du Gouvernement est, là aussi, défavorable, parce que, comme d'ailleurs pour l'amendement n° 20, le texte proposé entend limiter de manière extrêmement restrictive l'obligation du suivi du produit. La logique, il est vrai, est un peu différente de celle de l'amendement n° 20, puisque son auteur se place non plus sur le terrain de la responsabilité objective, mais sur celui de la faute. Dès lors, le texte perd toute utilité, car il est d'ores et déjà établi, en droit positif, qu'un producteur qui resterait passif sachant que son produit est susceptible de causer un préjudice commettrait une négligence qui entraînerait sa responsabilité.
L'obligation de suivi ne présente d'originalité que dans le cadre de la responsabilité objective où s'opère un renversement de la charge de la preuve, même si, comme le propose la commission des lois, le producteur dispose de clauses d'exonération.
Le Gouvernement est également défavorable à l'amendement n° 20.
J'en viens à l'amendement n° 9 rectifié.
L'article 12 bis impose au producteur une obligation de suivi des produits qu'il commercialise et, à ce titre, le rend responsable des dommages qu'ils occasionnent dès lors que, connaissant le danger de ses produits, il ne prend pas de dispositions propres à éviter la survenance des accidents que ceux-ci pourraient causer. Son attitude peut en quelque sorte être qualifiée de fautive.
Néanmoins, il n'a pas semblé souhaitable de se placer sur le terrain de la faute car la charge de la preuve aurait alors incombé à la victime.
En revanche, il a paru choquant de permettre à un producteur, averti du danger présenté par ses produits, de s'exonérer du seul fait, par exemple, que ceux-ci n'ont pas été mis en circulation par ses soins ou que le défaut dont ils sont atteints est postérieur à leur mise en circulation, alors qu'il est resté passif tout en ayant parfaitement conscience du risque de survenance d'un accident.
C'est pourquoi le texte voté par l'Assemblée nationale prive, dans une telle hypothèse, le producteur de la possibilité de s'exonérer en application des règles de la directive.
La commission des lois souhaite ne pas aller aussi loin en distinguant parmi les causes d'exonération et en permettant au producteur de se décharger de sa responsabilité lorsqu'il n'a pas commercialisé le produit ou lorsque le défaut est apparu après la mise en circulation de celui-ci.
Bien que je ne sois pas réellement convaincue de la pertinence de cette distinction, je comprends que, dans un souci d'équilibre des intérêts en présence, la commission des lois ait entendu nuancer le choix fait par l'Assemblée nationale.
C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° 9 rectifié.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 20.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Si l'article 12 bis précisait tout ce que Mme le ministre a dit, ce serait très bien. Mais la rédaction ne m'a pas semblé satisfaisante et c'est pourquoi j'ai présenté d'abord un amendement de suppression, avant de proposer une rédaction plus pertinente. Au cours de la navette, nous ferons d'autres propositions.
Je persiste à penser que la notion de « défaut qui s'est révélé... » n'est pas pertinente sur le plan juridique. Mme le ministre a apporté un certain nombre de précisions ; je pense que je reprendrai dans leur intégralité certaines des phrases qu'elle a prononcées. C'est pourquoi, en cet instant, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 20 est retiré.
Qu'en est-il de l'amendement n° 23, monsieur Marini ?
M. Philippe Marini. Je le retire également, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 23 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 9 rectifié, pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 12 bis , ainsi modifié.
(L'article 12 bis est adopté.)
Article 13