M. le président. « Art. 1er. _ Après l'article L. 212-1 du code du travail, il est inséré un article L. 212-1 bis ainsi rédigé :
« Art. L. 212-1 bis . _ Dans les établissements ou les professions mentionnés à l'article L. 200-1 ainsi que dans les établissements agricoles, artisanaux et coopératifs et leurs dépendances, la durée légale du travail effectif des salariés est fixée à trente-cinq heures par semaine à compter du 1er janvier 2002. Elle est fixée à trente-cinq heures dès le 1er janvier 2000 pour les entreprises dont l'effectif est de plus de vingt salariés ainsi que pour les unités économiques et sociales de plus de vingt salariés reconnues par convention ou décidées par le juge, l'effectif étant apprécié dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 421-1. »
Sur l'article, la parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 1er est le reflet du caractère le plus critiquable, le plus détestable même de ce projet de loi, en ce qu'il est d'application contraignante et uniforme.
La réduction du temps de travail n'est pas en soi condamnable ; c'est la méthode que vous nous proposez d'adopter qui l'est, madame la ministre.
Pour créer des emplois, nos entreprises ont besoin de liberté et non d'un carcan législatif supplémentaire.
L'attitude de nombre d'entre elles à l'égard de la loi Robien l'atteste. En effet, le nombre d'accords signés dans le cadre souple et négocié de cette loi a littéralement bondi, passant de cent trente-huit en octobre à cent soixante en novembre pour atteindre deux cent quatre-vingt-neuf en décembre.
Votre projet de loi ne fait pas l'unanimité, loin de là, parmi nos chefs d'entreprise, ce qui est compréhensible, notamment de la part des petites entreprises sur lequelles je souhaite centrer mon propos.
Non seulement votre texte n'est pas adapté à leur situation, mais, plus grave encore, il risque de menacer leur santé économique et financière dans un environnement extrêmement concurrentiel.
Tout d'abord, le Gouvernement a récemment annoncé un plan de simplification des formalités administratives. Or, force est de le constater, ces bonnes intentions auront fait long feu : le dispositif d'aide financière proposé va accroître encore la complexité d'une législation du travail qui a pourtant besoin de clarification. Il prévoit, en effet, de nombreux cas de figure que l'Assemblée nationale a encore multipliés. Seules les entreprises dotées de services juridiques seront à même de décoder ce dispositif et donc d'en bénéficier. Or seules les grandes entreprises disposent de tels services, alors qu'elles ne sont plus créatrices d'emplois, contrairement aux petites.
Ainsi ne vous apprendrai-je probablement rien, madame la ministre, en vous rappelant que, entre 1976 et 1995, les entreprises de moins de vingt salariés ont connu une croissance de leurs effectifs de 1,8 % par an, tandis que les entreprises de plus de cinq cents salariés enregistraient une baisse de 3 % par an.
Quand comprendrez-vous, madame la ministre, que les petites entreprises en ont assez de cette superposition successive de mesures prétendument incitatives, mais qui demeurent inappliquées faute de lisibilité ? Elles aspirent, au contraire, à davantage de flexibilité ainsi qu'à moins de charges. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je viens de déposer une proposition de loi visant à exonérer de charges patronales les petites et moyennes entreprises qui s'engagent à embaucher des jeunes.
Votre texte, madame la ministre, est donc inacceptable, sur ce point comme sur d'autres, malheureusement. Il souffre en effet d'un autre défaut majeur : il n'est absolument pas incitatif pour les petites et moyennes entreprises.
Tout d'abord, la date butoir de 2002 pour le passage aux 35 heures des entreprises de moins de vingt salariés, censée faciliter la réorganisation de ces entreprises, leur est, en fait, défavorable, car elles ne bénéficieront plus des aides.
Auront-elles donc intérêt à embaucher ? Rien n'est moins sûr. Elles risquent, au contraire, de voir leur compétitivité diminuer et leurs coûts salariaux augmenter de 11,4 % sans aucune compensation.
Vous avouerez que cette perspective n'est nullement réjouissante dans le contexte actuel de forte concurrence internationale, plus particulièrement dans les régions frontalières comme l'Alsace. La pesante « exception française » risque encore de favoriser les entreprises étrangères.
Il existe également un problème de seuil de déclenchement de l'aide de l'Etat. Il faut que l'entreprise ait au moins dix-sept salariés pour que le taux de 6 % corresponde à un emploi supplémentaire. Là encore, les petites entreprises sont défavorisées par rapport aux grandes.
Le dernier danger sur lequel je souhaite attirer votre attention a trait au fait que les entreprises artisanales, qui sont souvent de très petite taille, ne compenseront certainement pas la réduction du temps de travail par une création d'emploi pour quelques heures seulement. Le travail au noir risque de progresser, ce qui menace également de réduire à néant les efforts entrepris par le gouvernement de M. Juppé pour lutter contre ce fléau.
Vous prouvez une fois encore, madame la ministre, par un texte discutable et inacceptable à leur égard, que les petites entreprises et les artisans ne font nullement partie de vos préoccupations. Vous avez tort.
Pour conclure, madame la ministre, permettez-moi de vous poser une question simple : les hypothétiques créations d'emplois envisageables dans le cadre contraignant et uniforme de votre projet de loi seront-elles à même de compenser les nombreux effets dévastateurs, eux prévisibles, qu'un tel texte risque d'entraîner ? Je n'en suis nullement convaincu.
C'est pourquoi je ne voterai pas l'article 1er et suivrai la position de la commission, que résument très bien les récents propos du chef de l'Etat sur lesquels, madame la ministre, je vous invite à réfléchir : « Soutenir les PME dans le monde d'aujourd'hui, où la concurrence est terrible, c'est sans cesse veiller à leur compétitivité. C'est leur donner les armes de leur développement et les encourager à explorer de nouveaux marchés. C'est aussi veiller à ce que l'aspiration naturelle à travailler moins soit compatible avec la bonne santé de l'entreprise. La solution est donc dans l'aménagement du temps de travail qui, dans le monde d'aujourd'hui, doit non pas être imposé mais négocié, au cas par cas, au sein des entreprises. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Marini. M. Philippe Marini. L'article 1er est, en effet, le noeud gordien de la discussion, l'article qui résume toute la démarche que nous propose le Gouvernement, celle d'une législation contraignante et d'application générale. Ce n'est évidemment pas la philosophie qui anime la majorité du Sénat. Celle-ci se reconnaîtra sans nul doute dans les positions de la commission des affaires sociales, en particulier dans l'amendement de suppression de l'article 1er qu'elle a déposé.
A la suite de notre collègue M. Ostermann, je voudrais insister, madame le ministre, sur le fossé qui ne cesse de s'approfondir parmi les entreprises, entre, d'une part, les grandes entreprises ayant vocation à se développer sur différents territoires nationaux, qui peuvent arbitrer les législations et leur localisation selon leur opportunité, et, d'autre part, la masse, le tissu des petites et moyennes entreprises que vous emprisonnez dans un nouveau réseau de contraintes.
M. Alain Gournac. Absolument !
M. Philippe Marini. On peut comprendre que certaines de nos grandes entreprises, habituées à arbitrer entre les législations, puissent, en définitive, ne pas considérer ce texte comme une contrainte insupportable ou insurmontable. A l'inverse, il est bien clair, notamment en ce qui concerne les activités de services, les entreprises naissantes ou en développement et les entreprises petites et moyennes, qu'à l'échéance que vous avez fixée interviendra un changement complet de règles du jeu.
Madame le ministre, comprenez bien que les sénateurs de la majorité sénatoriale ne sont pas du tout des ennemis de la négociation.
M. Alain Gournac. Surtout pas !
M. Raymond Courrière. Ce sont des rétrogrades !
M. Philippe Marini. Ils sont, bien au contraire, très ouverts à tous les développements modernes de cette négociation.
Nous avons conscience de la nécessité de disposer d'une meilleure base sociale, d'une meilleure représentativité pour les partenaires sociaux. Nous savons bien que c'est à partir de la négociation d'entreprise, si elle est bien conçue, si elle est suffisamment globale, que l'on retrouvera des bases larges et plus convaincantes pour une juste représentation des intérêts sociaux. Telle est bien la démarche de la commission des affaires sociales.
Dans notre monde moderne, une meilleure organisation du travail, évenuellement la réduction du temps de travail, la préparation de la retraite, l'évolution des qualifications ou encore l'évolution des salaires, tout cela peut et doit être globalisé à un moment donné dans le cadre d'une négociation raisonnée et raisonnable entre partenaires représentatifs et mandatés pour cela.
Tel est bien l'objectif que nous cherchons à atteindre. C'était, en particulier, celui qui sous-tendait la proposition de loi que j'avais préparée, voilà quelques années déjà, sur le contrat collectif d'entreprise.
Il est clair également que la loi Robien, même si l'on peut lui faire grief d'avoir été dispendieuse pour les fonds publics, a créé des réflexes, voire des habitudes, de négociation et que cela représente un acquis sur lequel nous pouvons aujourd'hui nous appuyer.
Madame le ministre, en nous proposant de supprimer l'article 1er, la commission des affaires sociales est dans le vrai et sa vision est lucide.
M. Alain Gournac. Bonne !
M. Raymond Courrière. Vision réactionnaire !
M. Philippe Marini. Elle a utilisé à bon escient les éléments d'information réunis par la commission d'enquête que nous avons créée récemment et que présidait, fort bien, notre collègue M. Alain Gournac et que M. Jean Arthuis a rapporté avec beaucoup de talent.
M. Guy Fischer. Ses conclusions étaient écrites d'avance !
M. Philippe Marini. Il en résulte que nous n'avons aucune certitude sur l'efficacité de la recette que vous nous proposez en matière de création d'emploi. Au contraire, nous savons que la souplesse doit être très grande et que la négociation doit s'ajuster, par rapport aux faits, à la nature des entreprises et aux différences très importantes qui existent entre branches et types d'entreprises.
Pour l'ensemble de ces raisons, madame le ministre, je suis profondément hostile,...
M. Alain Gournac. Moi aussi !
M. Philippe Marini. ... je tiens à le redire, à cet article 1er. En effet, il s'agit d'un article de contrainte, qui est vraiment la négation de l'engagement européen que vous prétendez être celui du Gouvernement. A un moment où, nous le savons bien, il faut une règle du jeu commune et où la compétition doit s'exercer à armes égales, vous préparez, pour nos entreprises, de lourds handicaps, sur lesquels, un jour, il nous faudra revenir. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jourdain.
M. André Jourdain. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'article 1er du présent projet de loi pose le principe de la réduction du temps de travail d'une manière unilatérale et donc arbitraire. En effet, alors que la durée du travail en France est déjà peu élevée, nous sommes le seul pays où l'on décrète les 35 heures de façon autoritaire et étatisée.
Malgré ce diktat , vous voulez nous faire croire, madame le ministre, à l'existence d'un dialogue entre les partenaires sociaux.
M. Alain Gournac. Il n'y a aucun dialogue !
M. André Jourdain. Mais comment la négociation sera-t-elle possible dès lors que l'essentiel du dispositif est déjà décidé et imposé par le Gouvernement ? La question de la compensation des salaires, entre autres sujets, sera négociée sous la contrainte, au mépris des salariés et des employeurs, que cette loi renvoie dos à dos. Quant aux cadres, pour qui les 35 heures sont une hérésie, leurs inquiétudes sont tout à fait légitimes, dans la mesure où ils risquent de travailler autant pour gagner moins !
Le passage aux 35 heures va enfermer le monde du travail dans un carcan uniforme, alors qu'il est composé de situations économiques et sociales très hétérogènes. En outre, les entreprises ne sont pas sur un pied d'égalité face à cette loi. Les plus petites rencontreront en effet davantage de difficultés pour diviser leurs emplois, pour compenser les heures perdues et pour rentabiliser leurs équipements, contrairement aux plus grandes. En effet comment, par exemple, un seul chef d'atelier, quand ce n'est pas le patron, pourra-t-il assumer son rôle dans une petite entreprise qui entend utiliser ses équipements sept jours sur sept ?
Quant aux entreprises qui exercent des activités saisonnières, et tout autant pour celles qui pratiquent une sous-traitance très fluctuante, parfois d'une semaine à l'autre, il est bien évident que seule l'annualisation du temps de travail peut répondre à leur mode de fonctionnement. Or, aucune disposition ne figure dans le texte qui nous est soumis. Il faut de la flexibilité, de la souplesse.
En effet, sans cette souplesse, les entreprises qui ont un fort taux de main-d'oeuvre, comme c'est le cas dans le Jura pour les lunetiers, seront pénalisées par le coût salarial de cette loi, malgré le dispositif institué par l'Assemblée nationale mais qui est si compliqué à utiliser. A cela s'ajoute une concurrence internationale de plus en plus aiguë, et alors, bonjour les délocalisations, l'automatisation à outrance et, par conséquent, les pertes d'emplois !
L'emploi dépend en effet de deux facteurs essentiels : le taux de croissance et le coût du travail. Or, vous ne tenez compte ni de l'un, ni de l'autre. D'ailleurs, pourquoi ne pas chercher d'autres pistes, en autorisant, par exemple, des expérimentations de paiement des cotisations chômage « en nature », c'est-à-dire en créations d'emplois nouveaux pour les entreprises qui ont des perspectives de développement ? Il y aurait alors simultanément croissance et abaissement du coût du travail.
Encore une fois, cette loi est inspirée par l'idéologie malthusienne du rationnement, idéologie selon laquelle le travail serait en voie de disparition. Synonyme de résignation et d'échec, les 35 heures légales visent surtout à partager le chômage, et non l'emploi.
Pour toutes ces raisons, je voterai la suppression de l'article 1er proposée par le rapporteur, M. Louis Souvet, au nom de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Calmejane.
M. Robert Calmejane. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je ne prolongerai pas inutilement le débat, car les arguments politiques ont tous été excellemment développés par mes collègues de la majorité sénatoriale, notamment dans le rapport très élaboré de mon ami Louis Souvet. Néanmoins, je tiens à expliquer les raisons de notre refus du principe même de l'article 1er, car il porte atteinte, de manière irrémédiable, aux PME, qui sont nombreuses dans le département de Seine-Saint-Denis.
Cet article 1er a pour effet de systématiser l'instauration des 35 heures, sans tenir compte des possibilités structurelles et des spécificités des entreprises. Peut-être telle ou telle société peut-elle trouver intérêt à une réduction du temps de travail si sa production le permet. Déjà, la loi Robien avait ouvert, dans le cadre d'accords contractuels, des possibilités en ce domaine. Toutefois, elle prévoyait une aide financière proportionnelle à la masse salariale, ce qui était certes coûteux, mais bien plus incitatif que le présent projet de loi qui, au nom du dogme économico-politique, privilégie la contrainte.
Les 35 heures pour tous, c'est méconnaître les difficultés dans lesquelles se débattent les PME-PMI, dont la visibilité commerciale n'est souvent que de deux à trois mois, qui n'ont pas de trésorerie et qui ont souvent reporté leurs investissements depuis plusieurs années ; il n'est que de constater le nombre de dépôts de bilan au cours de l'année 1997 en Seine-Saint-Denis.
L'obligation d'appliquer au plus tard en 2002 les 35 heures va constituer, pour la plupart d'entre elles, un coût financier important qu'elles ne pourront supporter, engendrant un effet inverse de celui qui est recherché par le Gouvernement. Le risque pour l'emploi est réel. En effet, le système de prime proposé est un leurre, car l'embauche de 6 % de personnels supplémentaires se traduira, compte tenu de la dégressivité des aides, par une augmentation sensible de la masse salariale, charges sociales comprises. Et s'il s'agit d'employés qualifiés, payés très au-dessus du SMIC, le coût sera bien supérieur encore, les primes étant plafonnées à 5 000 francs à partir de 2002.
Mais ce coût salarial n'est pas seul en cause. Les conditions d'activités peuvent induire des charges supplémentaires, comme les véhicules pour le personnel itinérant. De plus, le type d'emploi nouveau sera difficile à définir selon les aptitudes requises, notamment pour les toutes petites entreprises qui auront du mal à compenser efficacement les heures non accomplies par les employés en place.
Une fois de plus, on enferme l'économie dans un carcan idéologique et technocratique, on étouffe les possibilités de développement, et donc d'emploi, qu'offrent les PME pour peu que leur soit assurée la liberté de s'adapter aux conditions du marché et la possibilité d'être performantes et dynamiques.
C'est pourquoi je soutiendrai la suppression de l'article 1er. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous sommes nombreux à prendre la parole sur cet article 1er. Il s'agit en effet, comme l'a rappelé notre collègue Philippe Marini, du coeur du dispositif du projet de loi.
L'obligation de la réduction du temps de travail est une mesure contestable et néfaste, même si, hier après-midi, lors de la discussion générale, on a essayé, une nouvelle fois, de nous expliquer qu'elle se situait dans la tradition française et que sans mesures législatives visant à forcer le destin on ne serait pas parvenus à s'engager plus avant dans l'aménagement et la réduction du temps de travail.
Comme l'a rappelé le rapporteur M. Souvet, les 35 heures sans perte de salaire constituaient une promesse électorale. Il n'est, hélas ! plus temps de savoir s'il fallait tenir cette promesse ; il est désormais temps de se demander comment éviter qu'elle n'aille à l'encontre de l'objectif que l'on cherche à atteindre.
Nous croyons aux vertus du marché, de la libre initiative porteuse d'idées et d'emplois réels. C'est elle qu'il faut accompagner, c'est elle qu'il faut encourager, et c'est en favorisant l'allégement des charges des entreprises, des contraintes administratives et en évitant que l'Etat n'impose le dialogue social en ayant au préalable arrêté lui-même le terme de la négociation.
Nous sommes des élus de terrain. Nous savons bien que l'application de ce texte handicapera les petites et moyennes entreprises sur la voie de leur développement. Et pourtant, elles représentent la majorité des salariés et sont le vivier de l'emploi.
Quand on sait qu'un Français sur quatre travaille pour l'exportation et que le grand enjeu des années à venir est de gagner des parts de marché sur le plan international, on a tout lieu de regretter la direction prise.
Toutes les personnes de bon sens vous le diront, et le bon sens est une qualité partagée puisque même les économistes d'une sensibilité proche de la vôtre, madame le ministre, le reconnaissent, Thomas Piketty : « Les 35 heures obligatoires sont soit antiéconomiques, soit antisociales. Dans tous les cas, elles diffèrent le moment où se poseront les vraies questions sur le chômage en France et où on lui apportera les vraies solutions. »
M. Bernard Piras. Pas aujourd'hui !
M. Raymond Courrière. En tout cas, vous, vous ne les avez pas apportées !
M. Henri de Raincourt. Les expériences qui ont été menées à l'étranger n'ont pas été probantes. La baisse de la durée du temps de travail décidée en France en 1982 a été une erreur économique, qui a entraîné le blocage de l'évolution de la législation sociale et la perte de compétitivité des entreprises.
M. Bernard Piras. Pourquoi n'avez-vous rien fait ?
M. Henri de Raincourt. Les leçons du passé, cher monsieur Piras, vous qui appartenez à la petite cohorte de ceux qui interromptent sans cesse les orateurs, n'ont pas été retenues. Cet article 1er est une parfaite illustration de l'inadaptation des méthodes dirigistes au fonctionnement de notre économie. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du RPR.) Ces méthodes sont obsolètes.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt. Censé présenter toute la philosophie du projet de loi, cet article 1er révèle bien des contradictions.
D'abord, avec l'intitulé même de ce projet de loi puisque, à l'orientation et à l'incitation, il oppose une réduction obligatoire et autoritaire de la durée du travail.
M. Alain Gournac. Malheureusement oui !
M. Henri de Raincourt. Cet article 1er est également source de nouvelles inégalités entre les salariés d'une même entreprise. Et je ne parle pas du SMIC - M. Jean-Pierre Fourcade a excellement évoqué ce point hier - où tout est, aujourd'hui encore profondément mystérieux.
M. Alain Gournac. Dans un grand flou !
M. Henri de Raincourt. La vie économique et sociale actuelle nécessite souplesse et adaptation.
Nous ne sommes pas opposés par principe à la réduction du temps de travail, chaque fois qu'elle peut permettre de créer des emplois dans l'entreprise. Nous l'avons prouvé en votant la loi Robien, et je n'ai d'ailleurs pas le souvenir que, dans cette enceinte, elle ait été votée à l'unanimité,...
M. Alain Gournac. Moi non plus !
M. Henri de Raincourt. ... en particulier par ceux qui assument aujourd'hui les responsabilités gouvernementales. Alors, merci pour les leçons !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Henri de Raincourt. C'est cette obligation que nous contestons, cette intervention générale de l'Etat, toutes entreprises confondues, quelles que soient leur taille et leur activité.
Le dialogue social que vous appelez de vos voeux, madame le ministre, ne peut être établi par la contrainte.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Pour nous, la responsabilité des pouvoirs publics consiste à encourager la modernisation de nos relations sociales, de façon que chacun soit acteur de son propre destin.
Je sais qu'il faut du temps et de la persuasion. Mais on ne peut quand même aborder le XXIe siècle avec des méthodes du XIXe siècle.
M. Serge Vinçon. Tout à fait !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Pour nous, généraliser les 35 heures en les décrétant et imaginer obtenir une réduction macroéconomique du chômage par ce moyen est illusoire.
En présentant la semaine de 35 heures comme une solution novatrice au chômage et à la fracture sociale, on fait rêver les Français. Or - cela a été rappelé - cette vision est malthusienne et risque d'être source de bien des désillusions.
Le groupe des Républicains et Indépendants votera - vous l'aurez compris - l'amendement de suppression présenté par la commission des affaires sociales. Il le votera avec d'autant plus de conviction qu'il soutient résolument l'ensemble des dispositions proposées par son rapporteur et son président. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Fischer. M. Guy Fischer. Le 10 octobre dernier, à l'issue de la conférence sur l'emploi, M. Jospin annonce le dépôt d'un projet de loi-cadre pour permettre la mise en oeuvre rapide des 35 heures. Au CNPF, on s'élève alors contre cette méthode autoritaire !
L'effervescence règne rue Pierre-Ier-de-Serbie. M. Seillière, récemment installé, essaie par tous les moyens de faire comprendre au pays, mais surtout aux chefs d'entreprise, que « les 35 heures sont une profonde erreur économique » et qu'il n'entend pas se laisser faire.
Depuis ce « vendredi noir », selon l'expression du président de l'Union patronale de Paris, résolu à en découdre, le patron des patrons n'a eu de cesse de vous défier, madame la ministre.
Toutes les critiques, les attaques, tant du CNPF que de la droite, se sont focalisées sur l'article 1er du présent projet de loi, ...
M. Alain Gournac. Eh oui ! C'est normal !
M. Guy Fischer. ... qui, exprimé très schématiquement, rendait obligatoire le passage aux 35 heures.
Sans toutefois être étonné, je suis désolé qu'un tel raccourci, utilisé pour mobiliser les troupes, ait pu être choisi. J'entends, par mes développements, rétablir un peu de vérité sur le contenu même du dispositif incriminé.
M. Hilaire Flandre. Vous allez avoir du mal !
M. Guy Fischer. L'article 1er abaisse de quatre heures la durée légale hebdomadaire du travail. Il stipule que celle-ci passera à 35 heures au 1er janvier 2000 pour les entreprises de plus de vingt salariés, les autres ayant jusqu'à 2002 pour s'adapter à la législation. Sont concernés les entreprises du secteur marchand et les établissements agricoles.
S'il fixe une date butoir, un seuil, cet article posant les conditions générales de mise en oeuvre du projet de loi attend tout de la dynamique des négociations collectives.
Face à l'immobilisme ambiant, au rythme lent auquel les réductions du temps de travail sont négociées et surtout au prix auquel elles le sont, je partage tout à fait cette démarche.
La baisse du temps de travail proposée n'est pas négligeable : c'est au moins une demi-journée par semaine. Seulement, tout le monde n'y aura pas droit ! Sur les 19,8 millions de salariés potentiellement concernés, dans un premier temps, la loi n'en touchera que 9,5 millions. Ainsi, 4 millions de salariés environ, soit 30 % d'entre eux, devront attendre 2002.
Aucune date précise n'avait été fixée pour que la réduction du temps de travail soit applicable à la fonction publique. (Exclamations sur les travées du RPR.) Nous le regrettions, ce qui n'était pas le cas de la majorité sénatoriale. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Le Gouvernement s'est engagé à examiner cette question, ce dont nous prenons acte.
M. Philippe Marini. Il faudrait que vous soyez cohérent avec vous-même !
M. Guy Fischer. Contrairement aux arguments avancés par le CNPF, la réduction du temps de travail est loin d'être générale !
Vous connaissez notre position sur le choix du seuil de vingt salariés, madame la ministre : prévu au départ à dix salariés, il a été porté à vingt salariés ; ce relèvement a quelque peu transformé la présente mesure réservée de fait aux plus grosses structures. Evidemment, il convenait de laisser un peu de marge aux plus petites entreprises et, quoi qu'il en soit, ce processus en deux temps s'imposera.
Il fallait aussi garder à l'esprit les nombreux liens existants entre ces PME et les grands groupes. Je note comme très positif l'amendement adopté à l'Assemblée nationale, sur l'initiative du groupe communiste et apparenté, qui permet d'inclure dans le champ de la loi sur la réduction du temps de travail les unités économiques et sociales.
Au sujet de cet article 1er, l'attitude de la droite du Palais-Bourbon et celle du Palais du Luxembourg est quasi identique. Des amendements visant à apporter des exceptions à l'application de la nouvelle durée légale, nous sommes passés à des amendements de suppression pure et simple de l'article, vidant ainsi la loi de sa substance.
La droite et le CNPF se sont rassemblés sur ce point ; mais en d'autres temps, lors des discussions autour de la loi Robien, ne s'étaient-ils pas divisés ? N'avaient-ils pas rejeté cette loi qui, pourtant, n'avait qu'un caractère facultatif ?
M. Philippe Marini. C'est nous qui l'avons votée !
M. Guy Fischer. Une première percée a été tentée pour fixer à 35 heures la durée hebdomadaire du travail. Il s'agit maintenant de transformer ce premier pas en abaissant la durée réelle et effective du temps de travail, seule solution pour créer de nombreux emplois.
Selon l'INSEE, la durée réelle de la semaine de travail est supérieure à 41 heures pour les salariés à temps plein. La loi n'oblige en rien l'employeur à réduire le temps de travail ; elle lui impose seulement de rémunérer en heures supplémentaires toutes les heures travaillées au-delà de la trente-sixième heure. L'enjeu est de taille !
La solution est simple. C'est en réduisant le volume de ces heures supplémentaires et en augmentant leur taux de rémunération que nous rendrons effective la réduction du temps de travail.
C'est un point crucial, une revendication forte des syndicats que nous avons largement consultés. Je tenais, à ce stade de la discussion, à rappeler avec force notre position, notre attachement au principe même de la réduction du temps de travail.
De fait, nous sommes en désaccord profond avec la commission des affaires sociales, qui souhaite supprimer l'automaticité de la réduction du temps de travail prévue à l'article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Madame le ministre, je suis intervenu hier soir dans la discussion générale ; or je crains que nous ne nous soyons pas très bien compris et qu'il n'y ait entre nous une divergence de diagnostic.
J'avais évoqué le cas des artisans, des commerçants et des petites entreprises - mais les grandes entreprises sont parfois confrontées au même problème - qui cherchent désespérément des personnels qualifiés leur permettant de répondre aux offres de service qui leur sont soumises, autrement dit aux débouchés qui leur sont offerts.
Vous m'avez répondu « délocalisation » et « Toyota ». J'ai été quelque peu étonné.
Il est vrai que j'avais souligné que, compte tenu des rigidités excessives du marché du travail dans notre pays, nos jeunes trouvaient peut-être plus facilement du travail en Grande-Bretagne qu'en France, ce phénomène s'accentuant d'ailleurs avec le niveau de formation. (Marques d'approbation sur les travées du RPR.)
Mais le problème n'était pas là. Vous avez parlé d'hémorragie, alors que j'évoquais, pour ma part, une thrombose ! Je crains en effet que l'article 1er, en raison de sa rigidité, n'entraîne de véritables thromboses dans un grand nombre d'entreprises. Si la seconde loi aboutit à un plafonnement du nombre des heures supplémentaires de ceux qui, actuellement, travaillent 39, 40 ou 43 heures alors que leur présence dans l'entreprise pendant cette durée est nécessaire, parce qu'ils ne sont pas remplaçables, c'est toute l'entreprise que l'on arrêtera en même temps ! Madame le ministre, le côté autoritaire général, non raisonné, de l'article 1er aboutit, qu'on le veuille ou non, à cela !
Comment voulez-vous que les entreprises négocient pendant deux ans ou quatre ans selon leur taille avec une épée de Damoclès non définie au-dessus de leur tête ? Cela me semble tout à fait impossible !
Un petit point me séparera de M. de Raincourt, et j'espère qu'il me le pardonnera.
M. Henri de Raincourt. On va voir ! (Sourires.)
M. Paul Girod. Pour ma part, je crois non pas aux vertus du marché, mais à la réalité de ce dernier. Je ne pense pas que le marché soit moral ou immoral.
M. Guy Fischer. Alors, ça...
M. Paul Girod. Mais je sais qu'il est impossible à une entreprise d'assurer du travail à ceux qui collaborent avec elle si elle ne s'inscrit pas dans les réalités du marché.
Je crains que l'article 1er, pour des raisons intellectuelles - j'allais presque dire « charitables », au sens de l'amour général que nous avons les uns pour les autres, de la solidarité - n'introduise des rigidités supplémentaires conduisant les entreprises à ne plus s'inscrire dans les réalités du marché, ce fait étant probable pour le marché interne et certain pour le marché extérieur.
Hier, madame le ministre, vous avez dit - c'est peut-être le plus grave - que la réduction du temps de travail peut être et doit être un élément ou un moyen de lutter contre le chômage, même si ce n'est pas le seul.
M. Philippe Marini. Les premiers bémols !
M. Paul Girod. A partir du moment où l'article 1er est un article absolu dans son inspiration et dans sa rédaction, je crains que vous n'apportiez la preuve que, dans votre esprit, c'est « le » moyen de lutter contre le chômage.
Malheureusement, je crains que ce ne soit le moyen de lutter contre l'efficacité d'un certain nombre d'entreprises et qu'il ne détruise plus d'entreprises qu'il ne créera d'emplois ce qui, à terme, se révélerait catastrophique.
C'est donc avec tristesse que je voterai contre le texte que vous avez présenté. Je suis persuadé de la pureté de vos intentions, mais aussi de la nocivité de leurs effets ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Sur l'article 1er, je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 1, M. Souvet, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
Par amendement n° 38, M. Fischer, Mme Borvo et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit la seconde phrase du texte présenté par l'article 1er pour l'article L. 212-1 bis du code du travail :
« Elle est fixée à trente-cinq heures dès le 1er janvier 2000 pour les entreprises dont l'effectif est de plus de vingt salariés, pour les unités économiques et sociales de plus de vingt salariés reconnues par convention ou décidées par le juge, l'effectif étant apprécié dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 421-1 ainsi que pour les entreprises membres d'un groupe de sociétés au sens de l'article 223 A du code général des impôts ».
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 1.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Je ne reprendrai évidemment pas le débat d'hier. Le fait que sept orateurs soient intervenus à l'instant sur l'article 1er, qui prévoit l'abaissement de la durée légale du travail, démontre qu'il s'agit là de l'article le plus contesté du projet de loi.
Cet abaissement ne correspond à aucune nécessité dictée par des impératifs de santé publique ou d'amélioration décisive des conditions de travail, comme cela a pu être le cas par le passé.
L'impact d'une telle disposition sur l'emploi est discuté. Pour sa part, votre rapporteur est convaincu qu'il pourrait être négatif dans le prolongement des expériences de 1936 et de 1982.
Si la réduction du temps de travail peut être une bonne chose, la commission considère cependant qu'elle doit être négociée par les partenaires sociaux, notamment comme une contrepartie à des progrès en termes d'organisation du temps de travail.
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, la commission des affaires sociales vous propose de supprimer l'article 1er. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade, pour présenter l'amendement n° 38.
Mme Odette Terrade. Cet amendement est, à l'image d'autres propositions que nous développerons dans la suite de la discussion, le produit de la réflexion de notre groupe sur le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale. Nous avons en effet procédé à une analyse la plus serrée possible de ce texte et nous avons convenu qu'il importait d'apporter une précision, même si elle s'avère mineure, au texte de l'article 1er.
Dans le contexte de la discussion sénatoriale, il en ira cependant autrement, puisque la commission des affaires sociales de notre Haute Assemblée nous propose en effet de procéder à la suppression pure et simple de cet article 1er, qui fixe, pour le moyen terme, les conditions de la réduction généralisée de la durée du travail.
Pour autant, et étant donné que le texte que nous examinons fera l'objet d'une nouvelle navette, il nous paraît utile de définir le plus précisément possible le cadre de la discussion.
Par rapport au texte original, le texte qui a été voté à l'Assemblée nationale a élargi le champ de l'application dès l'an 2000 des 35 heures de travail hebdomadaire aux entreprises faisant partie d'une « unité économique et sociale », cette définition recouvrant, en fait, les petites et moyennes entreprises de moins de vingt salariés implantées dans des zones d'activités pluri-industrielles et dont les salariés rencontrent de façon générale les mêmes problèmes et vivent les mêmes conditions de travail.
Fort de cette précision, le texte du projet de loi doit, à notre sens, intégrer également le cas des entreprises de moins de vingt salariés faisant partie d'un groupe de sociétés au sens fiscal du terme, c'est-à-dire au sens de l'article 223 A du code général des impôts.
On sait, à ce propos, que l'une des évolutions de ces dernières années, dans le secteur marchand, a touché l'organisation juridique des groupes des sociétés, par le biais notamment d'une séparation juridique de fonctions différentes dans le circuit de production.
On sait ainsi que de nombreuses sociétés à vocation industrielle ont créé des filiales de propriété immobilière, ou encore ont « externalisé » sous cette forme le traitement informatique de leur comptabilité ou le suivi de leur activité commerciale.
De même, dans un secteur comme le bâtiment, des sociétés ont souvent procédé à la création d'une filiale d'achat par crédit-bail des matériels utilisés par les équipes de chantier.
Cette réflexion sur les liens que peuvent entretenir entre elles des entreprises membres d'un même groupe nous conduit donc à proposer cet amendement.
Au cas où il ne serait pas adopté, nous favoriserions, même si cela demeure marginal, la non-application de la loi dont nous débattons, par un jeu subtil sur les effets de seuil.
Bien que cet amendement ait peu de chances d'être adopté en l'état ici et maintenant, nous tenions, dans la perspective de la seconde lecture, à apporter cette précision.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 38 ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Cet amendement se situe dans la logique du projet de loi, que rejette la commission. Elle ne peut donc qu'y être défavorable.
Au demeurant, cet amendement deviendra sans objet si l'amendement n° 1 de la commission est adopté.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 1 et 38 ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous avons longuement évoqué hier l'objet de l'amendement n° 1.
Je tiens à redire combien le Gouvernement est convaincu que la négociation entreprise par entreprise est la meilleure façon de faire en sorte que la réduction de la durée du travail soit créatrice d'emplois. Convaincus qu'il s'agit d'un outil indispensable, il nous semble important de nous engager avec détermination dans cette voie. C'est pourquoi l'article 1er fixe ce cap des 35 heures.
Qu'il me soit permis de rappeler que, même avant la loi Robien et alors que 3 500 accords sont signés chaque année dans notre pays, seuls 5 % d'entre eux ont entraîné une baisse véritable du temps du travail.
Le fait que la loi Robien ait donné lieu à la signature un peu plus de 2 000 accords - et une accélération se manifeste d'ailleurs, ce qui montre bien que notre projet de loi stimule le processus, ce dont je me réjouis personnellement - prouve que, quand un cap est fixé, les entreprises suivent.
En dépit de cette accélération, il nous faudrait cependant soixante-dix ans pour généraliser le processus de la loi Robien. Alors que 5 millions de personnes sont à la recherche d'un emploi dans notre pays, je crois donc qu'il est nécessaire de recourir à la réduction de la durée du travail.
Quand on fait confiance à la négociation et que l'on est déterminé à agir, on ne peut que souhaiter le maintien de cet article 1er.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ai entendu les explications de Mme Terrade sur l'amendement n° 38.
Son argumentaire touche largement l'unité économique et sociale telle qu'elle a été instituée par l'Assemblée nationale. Or nous voulons éviter la création de structures juridiques distinctes susceptibles de détourner la loi, comme cela a été le cas à de multiples reprises, et pas seulement pour les 35 heures.
Je ne suis pas convaincue que nous ayons intérêt à porter la négociation au niveau du groupe, où les entreprises sont des entités distinctes, fonctionnellement indépendantes, avec des ressources humaines et des organisations du travail différentes.
Je suis donc défavorable à cet amendement, tout en considérant que l'amendement voté par l'Assemblée nationale et instituant l'unité économique et sociale répond à une large partie de l'argumentaire développé.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 1.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. La différence d'approche que reflète cet amendement entre le Gouvernement et les parlemenaires de gauche, d'une part, la majorité du Sénat, d'autre part, nous renvoie à un débat de fond : la place de la loi, de l'intervention législative et réglementaire par rapport à celle de la négociation collective et du contrat. Cette question a été abondamment traitée hier, mais je souhaiterais y revenir brièvement.
En matière de droit du travail, en Europe, seules la France et la Belgique ont fixé une durée légale du travail. Cette règle n'est, en fait, qu'une mesure, puisqu'il est possible, et même prévu par la loi, que l'on puisse y déroger. Il arrive même que la loi encourage ces dérogations : ce fut le cas lorsque cette dernière est intervenue pour encadrer le temps partiel.
Dans les autres pays, cette question est régie par une durée maximale légale et par des durées conventionnelles négociées par les partenaires sociaux des branches professionnelles. S'il y a des différences - et nous en connaissons tous - elles tiennent davantage à des choix macro-économiques et à des choix de politique sociale opérés par les gouvernements en fonction des rapports de force au sein du monde du travail qu'à l'existence ou non d'une législation précise sur la durée du travail, qui s'impose à tous.
Dès lors, fallait-il une loi pour réduire la durée du travail en France ?
Si l'on fait le choix d'aller vers la réduction du temps de travail, cela passe nécessairement par une impulsion législative, d'où le choix équilibré fait par le Gouvernement de nous présenter un texte qui clarifie l'objectif et fixe une finalité.
Ce projet de loi est un texte d'incitation et d'orientation à destination des partenaires sociaux.
Dans le passé - Mme le ministre vient de l'évoquer et nous devons le reconnaître - la négociation collective n'a obtenu que peu de résultats, particulièrement en matière de durée du travail. Elle a permis le développement du temps partiel, de la flexibilité, mais la réduction du temps de travail s'est diluée. Pensons, notamment, au peu de résultats de l'accord interprofessionnel de 1995 !
Vous parlez vous-même, monsieur le rapporteur, d'une dynamique lente et de longue haleine. C'est un euphémisme ! Cela exprime bien la déception que nous avons tous éprouvée.
Il est donc nécessaire de revenir aux enjeux fondamentaux que sont la réduction du temps de travail et la création d'emplois, nul ne contestant plus le rapport entre les deux, même si ce rapport n'est pas exclusif.
Il importe de donner cette nouvelle impulsion, non seulement en matière de temps de travail, d'emploi et d'organisatin du travail, mais également pour la négociation elle-même si l'on veut pousser cette logique à son terme.
Il est clair que nous n'obtiendrons rien de déterminant sans impulsion législative. La loi Robien a, certes, permis la conclusion de 1 700 accords, mais que pèsent ces accords, qui ne concernent finalement que 1 % des salariés, et aussi satisfaisants et exemplaires soient-ils, au regard de l'ensemble de notre tissu économique, au regard surtout de l'ampleur du chômage ?
Ce projet de loi n'est pas, comme certains l'ont décrit abusivement, un texte autoritaire. C'est d'abord, comme son titre l'indique - et c'est ainsi qu'il faut le comprendre - un texte d'incitation et d'orientation qui fixe un objectif fort : une durée légale de 35 heures. Cela représente une norme ; ce qui compte ensuite, c'est l'action sur cette norme. Elle est du ressort des partenaires sociaux, et elle offre un dispositif de soutien important.
Renoncer à tenir cet objectif, c'est renoncer à mobiliser l'ensemble du pays, l'ensemble des acteurs, dans la lutte pour l'emploi.
C'est pourquoi nous voterons contre l'amendement de la commission des affaires sociales, et nous demandons sur ce point un scrutin public. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Chérioux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tout a été dit, et bien dit, sur cet article 1er.
Le Gouvernement nous propose d'établir à 35 heures la durée obligatoire du travail. Permettez-moi à ce sujet de vous faire part d'une inquiétude sur un point particulier, qui concerne le champ d'application de ce texte. En effet, s'il était adopté, il s'appliquerait non seulement aux entreprises, mais également à tous les établissements du secteur associatif qui travaillent dans les domaines hospitalier, social et médico-social, ce qui représente pas loin de 400 000 salariés : 120 000 dans le secteur sanitaire, 180 000 dans le secteur médico-social et 60 000 dans le secteur social. C'est donc très important ! Je sais, madame la ministre, pour vous avoir interpellée en commission sur ce point, que vous nous objectez la forte pratique du travail à temps partiel dans ce secteur. En fait, 71 % de ces salariés sont employés à temps plein.
Puis-je vous renvoyer, mes chers collègues - même si c'est peut-être un peu prétentieux de ma part - au rapport pour avis que je vous ai présenté à l'occasion de l'examen du budget des affaires sociales ?
A l'évidence, nous assistons à une dérive des dépenses sociales, notamment à travers le secteur associatif. Nous connaissons déjà une dérive structurelle, de l'ordre de 2 % par an, due au contenu actuel des conventions collectives. Or le présent projet de loi ne pourra pas générer des résultats très positifs en termes de réorganisation interne et de gains de productivité. En conséquence, une réduction autoritaire de la durée du travail à 35 heures se traduira nécessairement par une augmentation du coût du travail de l'ordre d'au moins 10 %.
Qui paiera, sinon la collectivité publique, l'Etat et, surtout, les collectivités territoriales et la sécurité sociale, et donc encore les contribuables ? Ce serait déraisonnable et, de surcroît, extrêmement dangereux.
J'ajoute qu'il existe une très grande porosité entre le secteur associatif qui relève du secteur privé et le secteur public. Au demeurant, chaque fois que des mesures ont été prises dans le secteur public, elles ont été étendues, par de simples arrêtés ministériels, au secteur associatif. Je pense notamment aux accord Durieux-Durafour.
A l'évidence, madame la ministre, si vous étiez amenée à faire voter ce texte très rapidement et que, demain, vous deviez engager des discussions avec les fonctionnaires du secteur public, notamment du secteur public hospitalier, dans quelle situation vous retrouveriez-vous ? Vous seriez le dos au mur, parce que vous ne pourriez pas refuser au secteur public ce qui aurait été donné aux salariés du secteur associatif.
Je considère qu'une décision de ce genre est extrêmement dangeureuse, et cela renforce mon désir de voter l'amendement de suppression présenté par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Pierre Laffitte. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je m'exprime ici au nom de la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen : nous sommes défavorables à l'article 1er et favorables à l'amendement n° 1 de la commission.
Si nous ne sommes pas contre la réduction du temps de travail, nous sommes contre le caractère autoritaire et obligatoire de cette réduction. Nous pensons en effet que passer de 39 heures à 35 heures de façon obligatoire, compte tenu des augmentations de productivité que nous connaîtrons d'ici à quelques années, ne conduira absolument pas, malheureusement, à une augmentation massive du nombre des emplois.
Nous considérons, au contraire, qu'il y a d'autres méthodes, qui ont d'ailleurs déjà fait leurs preuves : je pense en particulier à la semaine de quatre jours, déjà largement plébiscitée par une grande partie des salariés et expérimentée par un certain nombre de patrons dans des structures qui, tout en conservant la masse salariale, permettent un accroissement de l'ordre de 10 % à 15 % du nombre des emplois.
Nous voterons donc l'amendement de la commission, et nous présenterons un amendement complémentaire signé par MM. Barnier et Cabanel.
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Nous sommes, bien entendu, partisans du maintien de l'article 1er, et donc défavorables à l'amendement. Je m'en suis longuement expliqué dans mon intervention, il y a quelques instants.
Dans la lutte contre le chômage, qui est la préoccupation majeure des Françaises et des Français, la réduction du temps de travail, que nous appelons de nos voeux pour permettre la création de nombreux emplois, répond à une attente manifeste de nos concitoyens.
Ce vote marquera donc un moment important dans la législation du travail. Il aura notamment un caractère historique dans la définition d'une nouvelle durée légale.
M. Alain Gournac. Il ne faut tout de même pas pousser !
M. Guy Fischer. Mais si, il faut pousser !
Ce n'est pas parce que vous avez préétabli, relayé par la commission, que c'était une mauvaise loi que nous devons l'admettre !
M. Alain Gournac. Je l'ai prouvé !
M. Guy Fischer. Aujourd'hui, oui, il faut pousser. Il faut voter cette loi, et, en l'instant, le groupe communiste républicain et citoyen s'opposera donc à la suppression de l'article 1er. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous avons beaucoup discuté, hier, de ce sujet. En l'instant, je veux rappeler les trois raisons fondamentales pour lesquelles la commission propose la suppression de l'article 1er.
La première raison, c'est que le projet de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale confond la réduction effective de la durée du travail, capable de créer des emplois supplémentaires, et la réduction de la durée légale du travail, qui, nous le savons bien, non seulement en est incapable en soi, mais qui, au contraire, est génératrice d'une majoration du coût du travail.
Je n'ai pas eu, hier, pendant tout le débat, d'indication précise sur l'évolution du salaire minimum. Si le fait de passer de 39 heures à 35 heures se traduit par une majoration du salaire minimum de croissance de 11,4 %, il y aura destruction d'emplois et, par conséquent, nous serons passés à côté de l'objectif.
La deuxième raison, c'est que nous croyons au développement de la négociation. Depuis la loi de 1993, les partenaires sociaux peuvent, par la négociation, réduire et réguler la durée du travail, que cette durée soit hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. Si, aujourd'hui, dans le cadre d'un accord d'entreprise ou d'un accord collectif, on veut travailler effectivement 32 heures, on le peut.
M. Pierre Laffitte. C'est exact !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Simplement, il faut un accord avec l'ensemble des partenaires.
En 1993, dans la loi-cadre, nous avons voté cette disposition à titre expérimental ; il y a eu quelques essais, quelques tentatives. En 1996 sont intervenues des modifications, et nous avons aujourd'hui des accords de réduction de la durée effective du travail qui portent celle-ci soit de 39 heures à 35 heures, soit de 39 heures à 32 heures, voire de 39 heures à moins de 30 heures, accords qui se sont traduits soit par des préservations, soit par des augmentations d'emplois.
Le fait pour le Gouvernement d'utiliser comme arme la réduction de la durée légale du travail va, comme on l'avait fait en 1982 - M. Mauroy l'a rappelé en termes très généreux mais, hélas ! strictement littéraires et pas du tout économiques - bloquer le processus de cette nécessaire réduction.
Enfin, troisième raison, comme l'a très bien dit tout à l'heure notre excellente collègue Mme Dieulangard - même si c'était dans un sens différent du mien - peu nombreux sont les pays de l'Union européenne à disposer d'une législation fixant la durée hebdomadaire du travail. Dans la plupart des cas, en effet, il existe un plafond de la durée hebdomadaire du travail, qui constitue une protection des salariés, après quoi on laisse aux partenaires sociaux le soin d'organiser librement le fonctionnement de l'entreprise, que ce soit sur le plan hebdomadaire, mensuel, saisonnier ou annuel, et ce dans le cadre d'un accord collectif.
C'est vers ce système que nous devons aller pour que la compétition entre nos différentes entreprises à l'intérieur de l'Union européenne soit la plus fructueuse possible et permette d'enregistrer le maximum de créations d'emplois. En recourant, au contraire, à la réduction autoritaire de la durée légale du travail, nos nous mettons à l'écart de l'ensemble du mouvement de nos partenaires européens.
Telles sont, mes chers collègues, les trois raisons pour lesquelles le texte du Gouvernement nous paraît mauvais et pour lesquelles la commission vous demande de rejeter l'article 1er. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 79:
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 316 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 219 |
Contre | 97 |
M. Alain Gournac. Il a bien fait !
M. le président. En conséquence, l'article 1er est supprimé et l'amendement n° 38 n'a plus d'objet.
Article additionnel après l'article 1er