RÉFORME
DE LA RÉGLEMENTATION COMPTABLE
Adoption d'un projet de loi en troisième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion, en troisième lecture, du projet de loi
(n° 241, 1997-1998), modifié par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture,
portant réforme de la réglementation comptable et adaptation du régime de la
publicité foncière. [Rapport n° 310 (1997-1998) et avis n° 322 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, le Gouvernement a souhaité reprendre la discussion sur ce texte
qui avait été lancé en 1996 par le précédent gouvernement. Je voudrais
expliquer brièvement les raisons qui ont conduit le Gouvernement à faire ce
choix.
Trois objectifs ont retenu l'attention du Gouvernement pour ce qui concerne le
titre premier, relatif à la normalisation comptable.
Le premier objectif, de transparence, est guidé par la satisfaction des
besoins des utilisateurs de l'information financière. Un référentiel comptable
doit être stable et compréhensible par tous sans risque d'erreur. Or nos
entreprises sont parfois critiquées pour les choix qu'elles font de normes et
d'options comptables pour améliorer telle ou telle année leur résultat. Il faut
redresser cette situation et introduire plus de rigueur dans notre droit
comptable.
Le deuxième objectif est de rendre leur cohérence aux méthodes d'élaboration
des normes comptables. Les sources internes du droit comptable sont aujourd'hui
dispersées, puisqu'il s'agit de décrets, d'arrêtés issus de différents
ministères, d'avis du Conseil national de la comptabilité ou encore de
règlements du Comité de la réglementation bancaire et financière. Le comité de
la règlementation comptable que ce projet de loi institue serait doté, sous
réserve de l'homologation interministérielle, du monopole de la réglementation
comptable, sur la base des travaux du Conseil national de la comptabilité.
Enfin, troisième objectif, l'utilisation de normes internationales par les
entreprises serait mieux encadrée. Le langage comptable est aujourd'hui un
langage international. Nos entreprises sont de plus en plus ouvertes sur
l'extérieur, déploient leurs activités à travers le monde entier et doivent
s'adresser à des partenaires étrangers qui ne reconnaissent pas toujours les
normes comptables françaises. C'est l'objet de l'article 6 du projet de loi
d'ouvrir une porte afin que soient utilisées des normes comptables
internationales pour la présentation des comptes consolidés.
Le texte que nous a laissé le gouvernement précédent a été sensiblement
amélioré et clarifié par l'Assemblée nationale, et la commission des lois ainsi
que la commission des finances, saisie pour avis, du Sénat, ont bien voulu
noter le caractère positif de ces modifications. J'ai noté également que ce
texte n'avait pas suscité d'amendement de la part des membres de la Haute
Assemblée.
Je me réjouis donc que les modifications apportées par l'Assemblée nationale,
notamment l'introduction de représentants des organisations syndicales au sein
du Comité de la réglementation comptable ainsi que la préférence donnée à
l'IASC,
l'International accounting standards committee,
en matière
d'harmonisation comptable internationale, soient ainsi approuvées par les
commissions du Sénat.
Quant aux dispositions du titre II, elles ont pour objet d'adapter le régime
de la publicité foncière.
Comme vous le savez, ce service a pour mission d'assurer la publicité des
droits sur les immeubles. La réforme proposée a deux objectifs : en premier
lieu, améliorer les délais de traitement des actes et de délivrance des
renseignements ; en second lieu, simplifier les obligations des usagers.
D'abord, les dispositions proposées concernant l'informatisation des bureaux
des hypothèques et la simplification des procédures permettront d'améliorer les
délais de formalité tout en renforçant la protection des droits des usagers.
Ensuite, pour simplifier les obligations des usagers, le texte instaure un
document hypothécaire normalisé, expérimenté en collaboration avec la
profession notariale, et améliore la procédure de recours contre une décision
de refus d'enregistrement d'un acte.
La date d'entrée en vigueur de ces dispositions, au 1er juillet 1998, laisse
un délai suffisant pour publier les textes réglementaires d'application et
informer les usagers.
Nous aurons ainsi grâce à vous, mesdames, messieurs les sénateurs, un service
public plus performant et répondant mieux aux besoins des usagers.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Comme vient
de l'indiquer M. le secrétaire d'Etat, la situation est originale : nous
examinons en troisième lecture, après l'Assemblée nationale en deuxième
lecture, le projet de loi portant réforme de la réglementation comptable et
adaptation du régime de la publicité foncière, déposé par le gouvernement
précédent, et ce après un changement de législature et de majorité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez dit ce qu'il fallait dire sur le
régime de la publicité foncière.
La discussion de ce texte ayant été interrompue, nous sommes bien entendu
contraints de reporter du 1er janvier au 1er juillet 1998 l'entrée en vigueur
de ces dispositions qui sont très importantes pour la modernisation du service
des hypothèques. En effet, elles devraient permettre de simplifier un certain
nombre de procédures et de mieux gérer ce service important de notre ordre
juridique.
S'agissant du titre premier, les débats entre l'Assemblée nationale et le
Sénat ont porté essentiellement sur l'article 6 puisque sur les autres
dispositions concernant l'organisation du Comité de la réglementation
comptable, sa structure et ses missions, nous étions tous d'accord.
L'Assemblée nationale, en deuxième lecture, a souhaité renforcer la
composition de ce comité en y ajoutant un membre de la Cour des comptes et deux
représentants des salariés, à l'instar de la composition du Comité de la
réglementation bancaire et financière. Nous n'y voyons pas d'objection
a
priori,
l'important étant que les pouvoirs publics demeurent majoritaires
au sein de ce comité. Tel est le cas et donc, sur ce point, la commission des
lois n'a pas formulé d'objection.
L'article 6 est à l'origine de divergences profondes entre l'Assemblée
nationale et le Sénat ; on avait l'impression qu'on ne voulait pas que les
sociétés intervenant sur les marchés financiers étrangers soient autorisées à
établir leurs comptes consolidés par référence aux règles internationalement
reconnues.
Le problème, bien entendu, c'est que les normes de l'IASC ne constituent pas
un corps complet de règles aujourd'hui.
Le butoir pour se référer aux normes de l'IASC avait été fixé au 1er janvier
1999 par l'Assemblée nationale, en première lecture ; le Sénat, pour sa part,
avait prévu que, dès lors qu'il n'existerait pas de règles internationales
établies par l'IASC et adoptées par le Comité de la réglementation comptable,
les sociétés pourraient se référer aux règles internationalement reconnues
adoptées selon la même procédure, étant entendu, bien sûr, qu'il s'agit
essentiellement des règles américaines élaborées par le FASB, le
Financial
Accounting Standard Board
.
Pour assurer aux entreprises françaises un certain dynamisme sur les marchés
financiers étrangers, il faut, selon moi, accepter, sous le contrôle du Comité
de la réglementation comptable que, tant qu'il n'y a pas un corps complet de
règles internationales, les sociétés puissent utiliser d'autres référentiels.
Je crois qu'il s'agit là d'une des conditions du dynamisme et du rayonnement de
nos entreprises.
Toutefois, l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, a corrigé sa position :
elle a ouvert le dispositif en prévoyant que celui-ci concernerait toutes les
sociétés cotées.
Pour notre part, nous avions été prudents, car nous sentions bien qu'il y
avait des réticences de la part de l'Assemblée nationale. Mais à partir du
moment où celle-ci nous dit qu'il s'agit des sociétés cotées au sens de la loi
du 2 juillet 1996 sur la modernisation des activités financières, ainsi que l'a
très bien noté M. le rapporteur de la commission des finances, nous ne saurions
bien entendu nous opposer à cette extension.
En ce qui concerne les règles internationales, on nous indique que d'ici à la
fin de 1998 - ce qui est peut-être un peu optimiste - nous disposerons d'un
corps de règles internationales. Souhaitons-le ! Pour notre part, nous
manifestons notre souhait, et celui de la France, que ces règles
internationales puissent être définies le plus rapidement possible.
L'Assemblée nationale a fixé au 31 décembre 2002 la limite au-delà de laquelle
aucune règle internationalement reconnue ne pourra plus être utilisée. Cela
nous paraît raisonnable, dans la mesure où les travaux de l'IASC avancent et
sont bien accueillis par l'ensemble des pays.
Cette réforme est capitale puisqu'elle tend à moderniser les normes comptables
applicables aux sociétés françaises cotées.
Beaucoup a déjà été fait, mais il convenait d'instituer un organisme
régulateur qui puisse édicter des règles.
Comme, sur l'article 6, il n'existe plus de divergence entre les deux
chambres, notre commission des lois vous propose, mes chers collègues, de voter
conforme le texte qui nous a été transmis par l'Assemblée nationale.
Je ne conclurai pas sans rappeler que c'est notre collègue et ami M. Jean
Arthuis, à l'époque ministre de l'économie et des finances, qui, fort de sa
compétence en ce domaine et désireux de moderniser la comptabilité des
entreprises, avait déposé ce projet de loi. Il est heureux que le Gouvernement
poursuive sur cette voie.
Le Sénat unanime pourra adopter ce texte, qui améliorera la situation de nos
entreprises, ce qui est, bien entendu, un objectif que nous cherchons tous à
atteindre.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Marini,
rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la tâche est difficile car il s'agit de
présenter des remarques à propos d'un projet de loi que nous examinons en
troisième lecture, d'un texte qui est l'un des rares à avoir franchi, si j'ose
m'exprimer ainsi, le cap de la dissolution de la précédente Assemblée
nationale.
Vous vous souvenez, mes chers collègues, que la commission des finances avait
estimé devoir se saisir pour avis du titre 1er du projet de loi, ce qui nous
avait conduit à associer nos analyses à celles de la commission des lois et de
son excellent rapporteur.
Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale a été modifié sur deux
points.
A l'article 2, l'Assemblée nationale a étendu la composition du Comité de la
réglementation comptable et nous nous abstiendrons de formuler des objections
ou des remarques sur la modification qui a été apportée.
S'agissant de l'article 6, permettez-moi de rappeler le cheminement suivi afin
de parvenir, du moins je l'espère, à un accord.
S'agissant du champ d'application de la dérogation, la dernière mouture du
texte tel qu'il ressortait de l'examen par le Sénat en deuxième lecture
prévoyait que les entreprises autorisées à déroger au principe de
territorialité étaient celles dont les titres sont admis aux négociations sur
un marché réglementé de la Communauté européenne et sont négociés sur un marché
financier étranger.
Bien que plus large, comme l'a rappelé M. Hyest, que la définition suggérée
par l'Assemblée nationale en première lecture, cette rédaction présentait
l'avantage de supprimer toute référence aux marchés financiers étrangers «
organisés et réglementés », notions dont la pertinence juridique nous semblait
sujette à caution.
Dans un souci de simplification que nous saluons, l'Assemblée nationale a, en
deuxième lecture, opéré à la fois un élargissement du champ de la dérogation en
supprimant la deuxième condition et une restriction en réservant la faculté aux
seules sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché
domestique d'instruments financiers défini par la loi du 2 juillet 1996 de
modernisation des activités financières. Cette nouvelle rédaction ouvre le
régime comptable dérogatoire aux sociétés cotées sur un marché réglementé
français, qu'elles fassent ou non appel à l'épargne internationale.
Bien sûr, il convient de rappeler que cela ne s'applique qu'aux comptes
consolidés et non pas aux comptes individuels ou aux comptes sociaux des
entreprises.
Cette dérogation est strictement encadrée puisque les règles susceptibles
d'être utilisées auront dû préalablement être entérinées ou adoptées par un
règlement du Comité de la réglementation comptable et, en outre, homologuées
par le ministre chargé de l'économie.
Quelles seront les règles applicables ? C'est la question du référentiel sur
laquelle je voudrais revenir un instant.
Il convient, mes chers collègues, pour comprendre les différents stades du
raisonnement par lesquels nous sommes passés dans les lectures successives, de
bien faire la distinction entre les « règles internationales » et les « règles
internationalement reconnues ». Les premières sont élaborées par l'IASC,
organisme international de normalisation comptable, tandis que la notion de
règles internationalement reconnues, tout en incluant les précédentes, sont
d'origine nationale mais appliquées en vertu de l'usage et de l'acceptation des
acteurs économiques sur le plan mondial. En pratique, ce sont bien, comme l'a
rappelé M. le rapporteur de la commission des lois, les normes américaines
édictées par le FASB.
A l'origine, l'article 6 ouvrait aux entreprises françaises cotées sur un
marché européen et faisant appel à l'épargne sur une place étrangère la
possibilité de n'établir qu'un jeu de comptes consolidés conformes à des normes
comptables internationalement reconnues.
Bien que cette notion inclue en effet la notion de règles internationales,
l'Assemblée nationale avait souhaité, en première lecture, limiter la
dérogation aux seules règles internationales traduites en français et adoptées
par un règlement du CRC. Pour tenir compte de l'inachèvement du processus
d'harmonisation des règles entrepris par l'IASC, elle avait autorisé, au cours
de la première lecture, l'utilisation des règles américaines internationalement
reconnues pendant une période transitoire devant s'achever au 1er janvier
1999.
Ce dispositif transitoire était justifié par le fait que certains aspects
comptables sectoriels, relatifs notamment aux entreprises pétrolières ou aux
entreprises d'assurances, ne sont pour l'instant traités que par le référentiel
américain.
Le Sénat, en deuxième lecture, a quant à lui estimé qu'il convenait, d'une
part, de prévoir les cas pour lesquels il est très vraisemblable qu'il n'y aura
pas de règles internationales en permettant aux entreprises de se conformer aux
normes internationalement reconnues dès lors que celles-ci ne font que
compléter des règles internationales, et, d'autre part, de ne pas limiter la
possibilité d'utiliser ces mêmes règles dans le temps, compte tenu de possibles
retards dans le processus d'harmonisation. D'un commun accord, la commission
des lois et la commission des finances du Sénat ont ainsi supprimé la date
butoir du 1er janvier 1999.
Enfin, en deuxième lecture, l'Assemblée nationale a retenu une rédaction que
je n'hésite pas dans mon rapport à qualifier de consensuelle - une fois n'est
pas coutume ! - en adoptant un amendement du Gouvernement fixant au 31 décembre
2002 la date au-delà de laquelle les groupes français ne seraient plus admis à
établir leurs comptes consolidés par référence à ces normes internationalement
reconnues.
Mes chers collègues, il est raisonnable de penser que ce délai de presque cinq
ans permettra à l'IASC de parachever son oeuvre d'harmonisation de telle sorte
que l'on aboutisse à l'élaboration d'un corps complet de règles
internationales.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a souhaité préciser que les règles
internationales ainsi retenues par le Comité de la réglementation bancaire
devront respecter les normes communautaires, ce qui va de soi compte tenu de la
hiérarchie des normes de droit qui, je vous le rappelle, permettent aux
directives qui définissent le droit communautaire de s'imposer au législateur
national.
Naturellement, nous ne pouvons que souscrire à ce rappel d'une évidence
juridique car il n'est pas question que la France s'écarte des directives
communautaires, même si celles-ci sont parfois susceptibles de diverger des
règles de l'IASC.
Ainsi, mes chers collègues, par ce rappel rapide, je pense avoir montré que
l'Assemblée nationale a accompli en deuxième lecture un pas très significatif
vers l'approche technique que le Sénat avait défendue et, puisque telle est la
réalité, pourquoi nous priver du plaisir de vous proposer de ratifier ce qui a
été ainsi délibéré et d'adopter conformes les articles 2 et 6, toujours en
discussion, du présent projet de loi ?
Telle est la teneur de l'avis que la commission des finances tient à vous
soumettre et qui rejoint en tous points les conclusions du rapporteur de la
commission des lois.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la
discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du
Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
Article 2