Séance du 25 juin 1998
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Convocation du Parlement en session extraordinaire
(p.
1
).
3.
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
(p.
2
).
4.
Commission consultative du secret de la défense nationale.
- Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture (p.
3
).
Discussion générale : MM. Alain Richard, ministre de la défense ; Nicolas
About, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et
des forces armées ; Bertrand Delanoë.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er (p. 4 )
Amendement n° 1 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. -
Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 4 (p. 5 )
Amendements n°s 2 et 3 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre. -
Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.
Article 7 (p. 6 )
Amendement n° 4 de la commission. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 8 (p. 7 )
Amendement n° 5 de la commission. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Vote sur l'ensemble (p. 8 )
MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Jean-Luc Bécart, Jacques Habert, le
ministre.
Adoption du projet de loi.
5.
Débat d'orientation budgétaire.
- Débat sur une déclaration du Gouvernement (p.
9
).
MM. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de
l'industrie ; Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget ; Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances ; Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques ; Christian Poncelet,
président de la commission des finances ; Adrien Gouteyron, président de la
commission des affaires culturelles ; Jean-Pierre Fourcade, président de la
commission des affaires sociales ; Xavier de Villepin, président de la
commission des affaires étrangères.
M. le secrétaire d'Etat.
Suspension et reprise de la séance (p. 10 )
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
6.
Allocution de M. le président du Sénat
(p.
11
).
MM. le président, Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.
Suspension et reprise de la séance (p. 12 )
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
7.
Fixation de l'ordre du jour de la session extraordinaire
(p.
13
).
8.
Débat d'orientation budgétaire.
- Suite d'un débat sur une déclaration du Gouvernement (p.
14
).
MM. Jean-Philippe Lachenaud, René Régnault, Georges Othily, Mme Marie-Claude
Beaudeau, MM. Philippe Marini, Xavier de Villepin.
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Paul Loridant, Jacques Oudin, Denis Badré, Michel
Moreigne, Michel Mercier.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.
Clôture du débat.
9.
Livre VI du code rural.
- Adoption d'un projet de loi en troisième lecture (p.
15
).
Discussion générale : MM. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget ;
Alain Pluchet, rapporteur de la commission des affaires économiques.
Clôture de la discussion générale.
Article 1er et dispositions annexées. - Adoption (p. 16 )
Adoption de l'ensemble du projet de loi.
MM. Christian Poncelet, président de la commission des finances ; Pluchet le
secrétaire d'Etat.
10.
Transmission d'un projet de loi
(p.
17
).
11.
Dépôt d'une proposition d'acte communautaire
(p.
18
).
12.
Dépôt d'un rapport d'information
(p.
19
).
13.
Ordre du jour
(p.
20
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE
M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
CONVOCATION DU PARLEMENT
EN SESSION EXTRAORDINAIRE
M. le président.
M. le président a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M.
le Président de la République en date du 23 juin 1998 portant convocation du
Parlement en session extraordinaire.
Je donne lecture de ce décret.
« Le Président de la République
« Sur le rapport du Premier ministre
« Vu les articles 29 et 30 de la Constitution,
Décrète :
«
Art. 1er
. - Le Parlement est convoqué en session extraordinaire à
compter du 1er juillet 1998.
«
Art. 2
. - L'ordre du jour de la session extraordinaire comprendra
l'examen ou la poursuite de l'examen des projets de loi suivants :
« - projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions ;
« - projet de loi modifiant la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à
l'élection des représentants au Parlement européen.
«
Art. 3
. - Le Premier ministre est chargé de l'exécution du présent
décret, qui sera publié au
Journal officiel
de la République
française.
« Fait à Paris, le 23 juin 1998.
«
Signé :
Jacques Chirac.
« Par le Président de la République :
«
Le Premier ministre,
« Signé :
Lionel Jospin. »
Acte est donné de cette communication.
3
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président.
M. le président a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article
42 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre
sanitaire, social et statutaire, le rapport de l'Inspection générale des
affaires sociales pour 1997.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
4
COMMISSION CONSULTATIVE
DU SECRET DE LA DÉFENSE NATIONALE
Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n°
487, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en
nouvelle lecture, instituant une commission consultative du secret de la
défense nationale. [Rapport n° 501 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, le projet de loi que je vous présente au nom du Gouvernement, au
terme de trois lectures devant l'Assemblée nationale, de deux lectures devant
la Haute Assemblée et de l'échec de la commission mixte paritaire, vise à
parfaire la création de la commission consultative du secret de la défense
nationale.
Ce texte tend à renforcer et à mieux encadrer le régime juridique du secret en
lui donnant un nouvel équilibre, davantage axé sur la protection des citoyens,
même s'il y a consensus pour consolider l'existence du secret de la défense.
Le projet de loi vise à lever le doute sur des utilisations non conformes à
l'intérêt général du secret de la défense. Le Sénat comme l'Assemblée nationale
ont partagé avec beaucoup de clarté et de loyauté cet objectif du
Gouvernement.
J'exprime à nouveau ma satisfaction devant l'accueil qu'a reçu ce texte de la
part des deux chambres du Parlement qui, partageant l'orientation générale de
ce projet de loi, ont oeuvré utilement pour son amélioration en garantissant
l'efficacité de la commission.
Je me félicite notamment du consensus intervenu entre le Sénat et l'Assemblée
nationale sur la composition de la commission, puisqu'il a été précisé qu'un
parlementaire de chaque assemblée serait membre de la commission du secret de
la défense nationale.
Un accord s'est également établi sur la question de la présidence de la
commission. Bien que le Gouvernement ait toujours estimé que cette présidence
ne devait pas être distincte de celle de la commission nationale de contrôle
des interceptions de sécurité, la CNCIS, il a finalement été convaincu par les
arguments du Sénat et de l'Assemblée nationale, et s'est rallié à l'idée d'une
présidence séparée.
Toutefois, deux points de désaccord demeurent entre l'Assemblée nationale et
le Sénat pour parvenir à une rédaction totalement consensuelle, points sur
lesquels la commission mixte paritaire a achoppé. L'Assemblée nationale a
rejoint le Gouvernement sur l'inutilité d'étendre la présente réforme aux
commissions parlementaires lorsque le secret de la défense nationale leur est
opposé. En effet, le présent projet de loi n'a pas à interférer dans les
rapports entre les assemblées, dans le cadre de leur mission de contrôle, et le
Gouvernement. Les commissions parlementaires exercent un contrôle politique, et
il ne paraît pas de bonne administration que la commission consultative du
secret de la défense nationale tendant à faciliter l'oeuvre de justice concoure
à cette mission de contrôle politique.
Une seconde différence de position réside dans la saisine de la commission
soit dans le cas où l'autorité administrative ne souhaite pas déclassifier
l'information, soit, au contraire, de manière générale. Le Gouvernement ne
souhaite pas que la commission apparaisse comme une instance de recours de ses
décisions et désire donc, si le Sénat en est d'accord, que la commission soit
saisie automatiquement de toutes les demandes de déclassification émanant des
juridictions.
La discussion de ce matin permettra de débattre de ces deux points et de
conclure sur l'ensemble du projet de loi. Puisque nous sommes de toute manière
d'accord sur les orientations générales, je veux souligner que l'adoption de ce
texte de manière convergente par les deux assemblées permettra un progrès réel
dans l'ordonnancement juridique.
Bien entendu, cette réforme n'a rien de spectaculaire. Mais, à l'instar d'un
certain nombre de réformes visant à une plus grande transparence ou à un
partage plus équitable des responsabilités, entreprises dans les dernières
années et paraissant modestes au départ, réformes dont on s'aperçoit,
a
posteriori
lorsqu'on analyse l'évolution de notre système de droit et
l'exercice de notre pouvoir public, qu'elles ont contribué à renforcer et à
rendre plus équitable ce dernier, ce texte a une justification profonde.
En présentant cette réforme à votre approbation, mesdames, messieurs les
sénateurs, le Gouvernement souhaite restaurer un sentiment de confiance autour
de l'utilisation du secret de la défense nationale, en créant un meilleur
équilibre entre le maintien d'un secret efficace et la consolidation des droits
des citoyens.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, la commission mixte paritaire, qui s'est réunie au Sénat le mardi 2
juin 1998, n'est pas parvenue à un accord sur les dispositions restant en
discussion du présent projet de loi.
En effet, si les lectures successives dans chacune des assemblées ont permis
de rapprocher les points de vue sur certains points, sénateurs et députés n'ont
pu trouver un terrain d'entente sur l'une des dispositions principales
introduites par le Sénat, tendant à ne pas limiter aux seules juridictions le
bénéfice de l'instrument de transparence mis en place par le projet de loi,
mais à l'étendre également aux commissions parlementaires dans l'exercice de
leur pouvoir de contrôle.
Nous sommes donc invités à nous prononcer sur le texte voté, le mercredi 10
juin 1998, par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Nos deux assemblées se sont en effet rapprochées sur des dispositions
importantes, notamment à l'occasion de cette nouvelle lecture à l'Assemblée
nationale.
Tout d'abord, à l'article 2, l'Assemblée nationale a finalement adopté la
proposition du Sénat tendant à instaurer une présidence spécifique à la
commission consultative, alors que le projet de loi initial prévoyait, pour
cette nouvelle instance, une présidence commune, de droit, avec celle de la
commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
Toujours à l'article 2, l'Assemblée nationale a adopté la proposition du Sénat
tendant à prévoir un vice-président, appelé à suppléer, le cas échéant, le
président en cas d'indisponibilité.
Des divergences significatives subsistent cependant.
La première porte sur l'élargissement des compétences de la commission
consultative aux demandes de déclassification formulées par une commission
parlementaire.
Dès la première lecture, le Sénat avait inscrit dans le texte la possibilité,
pour une commission parlementaire, de bénéficier, à l'instar d'une juridiction
française, de la procédure de saisine de la commission consultative.
Nos collègues députés ont notamment objecté à cette proposition que les
commissions parlementaires pouvaient déjà obtenir directement, à leur demande,
la déclassification de certaines informations sensibles de la part de
l'autorité administrative.
Toutefois, si cette objection sous-entend que le recours à la commission
consultative au profit d'une commission parlementaire serait dès lors superflu,
reconnaissons qu'il en est de même aujourd'hui à l'égard d'une juridiction,
comme le démontre la récente décision du Premier ministre de lever directement
le secret défense sur les informations demandées par le juge d'instruction dans
l'affaire dite des « écoutes téléphoniques ». En réalité, la mise en place de
la commission consultative permettra de conforter la transparence et de
prévenir les abus au profit tant d'une juridiction que d'une commission
parlementaire.
Un tel dispositif ne contribuerait pas, contrairement à une critique
fréquemment avancée, à « politiser » la démarche de déclassification ou de
maintien de la classification. C'est bien davantage la nature du dossier qui
lui confère ou non son caractère politique que l'auteur de la demande de
déclassification, juridiction ou commission parlementaire.
Enfin, il ne s'agit pas d'accroître formellement les pouvoirs de contrôle du
Parlement tels qu'ils sont définis par l'ordonnance du 17 novembre 1958 ; le
dispositif permet simplement d'enrichir les modalités de ce contrôle et de
reconnaître, tant au service public de la justice qu'à la représentation
nationale, un égal accès à la transparence, qui traduirait un progrès équilibré
de l'Etat de droit.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission propose au Sénat de
réinscrire en nouvelle lecture cette disposition à l'article 1er du texte et,
par coordination, aux articles 4, 7 et 8.
En second lieu, le Sénat a voulu permettre à l'autorité administrative de
déclassifier directement une information.
L'Assemblée nationale n'a pas retenu la proposition du Sénat tendant à
permettre à l'autorité administrative de procéder directement à une
déclassification lorsque celle-ci serait demandée soit par une juridiction,
soit par une commission parlementaire.
L'existence d'une telle faculté n'empêcherait pas tel ou tel ministre de se
donner pour règle la saisine automatique de la commission consultative dès
qu'une demande de déclassification lui serait adressée. Le dispositif proposé
permettrait néanmoins, dans certains cas où la classification ne semblerait à
l'évidence plus justifiée aux yeux de l'autorité administrative elle-même, de
répondre favorablement et promptement à la demande qui lui est adressée.
Je vous proposerai donc, au nom de la commission des affaires étrangères, de
rétablir le dernier alinéa de l'article 4 dans la rédaction adoptée par le
Sénat en deuxième lecture.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
discussion du projet de loi instituant une commission consultative du secret de
la défense nationale a opportunément permis de rappeler que les deux assemblées
pouvaient, dans l'intérêt d'un travail législatif de qualité, se rejoindre sur
de nombreux points. Je n'en regrette pas moins que cette logique de convergence
n'ait pu aller jusqu'à son terme.
Les deux dispositions que la commission des affaires étrangères soumettra à
l'approbation du Sénat, dans la continuité de ses votes précédents, se résument
finalement aujourd'hui à un double objectif : enrichir, grâce à la nouvelle
instance qui nous est proposée, une des modalités du pouvoir de contrôle du
Parlement, et préserver, pour le Gouvernement, une faculté de déclassification
directe qui, loin de le contredire ou de le diminuer, renforce l'objectif de
transparence qui est à l'origine même de ce texte.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons
beaucoup travaillé les uns et les autres sur ce sujet et je me réjouis que le
travail parlementaire ait été si utile. En effet, il a permis des évolutions
positives sur un sujet très grave et essentiel pour la démocratie et le
fonctionnement de l'Etat.
Je ne reprendrai pas en cet instant ce que nous avons tous déjà dit sur la
philosophie qui sous-tend ce projet de loi et sur l'avancée que constituera son
adoption.
Le Sénat, l'Assemblée nationale et le Gouvernement sont donc parvenus à un
relatif consensus, même s'il reste des points de désaccord. Ainsi, sur
l'institution de la commission consultative du secret de la défense nationale,
sur sa composition, sur son rôle, nous avons su nous écouter pour faire avancer
les choses.
Le groupe socialiste du Sénat se réjouit de la convergence qui a ainsi été
obtenue sur un tel projet de loi, même si, depuis le début, par conviction, en
toute liberté mais aussi en grande solidarité avec le Gouvernement, il a
défendu ses points de vue. Nous avons montré de la sorte que, lorsque le
Gouvernement écoute le Parlement et que les parlementaires arrivent à trouver
entre eux des solutions consensuelles, le résultat est positif pour la
démocratie et pour le bon fonctionnement de l'Etat.
Par conséquent, quels que soient les amendements qui seront sans doute adoptés
tout à l'heure par la majorité du Sénat, le travail effectué me paraît
d'excellente qualité.
Sur ces amendements - qui, en fait, se résument à deux idées principales - le
groupe socialiste du Sénat confirme en tout cas son désaccord avec la
commission des affaires étrangères. En effet, adopter de telles mesures, ce
serait brûler les étapes et, en tout cas, ne pas conférer à la commission
consultative l'importance et l'indépendance qui lui sont nécessaires. Par
ailleurs, afin que puissent être réglées des difficultés telles que celles que
nous avons pu connaître au cours des années précédentes, la commission
consultative du secret de la défense nationale doit pouvoir donner un avis dans
toutes les circonstances.
Adopter aujourd'hui les dispositions qui vous sont proposées par la commission
des affaires étrangères, ce serait déformer le sens de la loi et, à tout le
moins, prendre une décision prématurée. Nous verrons bien, après dix ou quinze
ans d'application de cette loi, s'il faut étendre la saisine de la commission
du secret défense aux commissions parlementaires ! Pour l'heure, j'y suis
défavorable.
Nous donnerons plus de force à ce projet de loi, me semble-t-il, si nous nous
en tenons au point d'accord qui est intervenu entre l'Assemblée nationale et le
Sénat. Le groupe socialiste du Sénat souhaite donc que nous puissions adopter
aujourd'hui ce projet de loi sans modification. En effet, j'aimerais vraiment
convaincre M. le rapporteur de la commission des affaires étrangères que les
cinq amendements qu'il nous propose sont un peu contradictoires avec l'esprit
de la loi. Je préférerais donc qu'il les retire.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles
est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas
encore adopté un texte identique.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - Il est institué une Commission consultative du secret de la
défense nationale. Cette commission est une autorité administrative
indépendante. Elle est chargée de donner un avis sur la déclassification et la
communication d'informations ayant fait l'objet d'une classification en
application des dispositions de l'article 413-9 du code pénal, à l'exclusion
des informations dont les règles de classification ne relèvent pas des seules
autorités françaises.
« L'avis de la Commission consultative du secret de la défense nationale est
rendu à la suite de la demande d'une juridiction française. »
Par amendement n° 1, M. About, au nom de la commission, propose de compléter
in fine
le dernier alinéa de cet article par les mots : « , ou d'une
commission parlementaire exerçant sa mission dans les conditions fixées par les
articles 5
bis
, 5
ter
ou 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17
novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Comme je l'ai indiqué, il s'agit simplement de rétablir dans
le texte la possibilité pour une commission parlementaire de saisir la
commission consultative.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Le Gouvernement confirme son désaccord sur ce
point, pour les motifs qu'il a rappelés au début de la discussion générale.
Imaginons qu'une juridiction ait à se prononcer sur une accusation contre M.
Dupont ou Mme Durand : la personne visée est-elle ou non coupable de tel délit
ou de tel crime ? Pour le savoir, il peut arriver qu'une information
déterminante soit couverte par le secret défense. La commission consultative
aura alors à apprécier si ce secret, s'agissant de cette information
déterminante, peut être levé sans nuire à l'intérêt général. Elle remplira,
dans ce cas, son rôle.
A l'inverse, lorsqu'une commission parlementaire voudra étudier, par exemple,
la politique d'exportation d'armes de tel ou tel pays entre 1975 et 1990, il
sera beaucoup plus difficile à la commission consultative d'apprécier si la
levée du secret sur telle ou telle information est pertinente par rapport à un
objectif aussi général.
Le Gouvernement considère donc qu'il n'est pas judicieux d'étendre aux
commissions parlementaires la saisine de la commission consultative, lui
conférant ainsi une tâche de nature beaucoup plus politique.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er, ainsi modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 4
M. le président.
« Art. 4. - Une juridiction française dans le cadre d'une procédure engagée
devant elle peut demander la déclassification et la communication
d'informations, protégées au titre du secret de la défense nationale, à
l'autorité administrative en charge de la classification.
« Cette demande est motivée.
« L'autorité administrative saisit sans délai la Commission consultative du
secret de la défense nationale. »
Sur cet article, je suis saisi de deux amendements présentés par M. About, au
nom de la commission.
L'amendement n° 2 tend, dans la première phrase du premier alinéa de l'article
4, après les mots : « engagée devant elle », à insérer les mots : « , ou une
commission parlementaire dans les conditions fixées à l'article 1er, »
L'amendement n° 3 vise à rédiger comme suit le dernier alinéa de l'article 4
:
« Si l'autorité administrative ne procède pas directement à la
déclassification demandée, elle saisit sans délai la Commission consultative du
secret de la défense nationale. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur.
L'amendement n° 2 est un amendement de coordination avec
l'amendement n° 1, qui a été adopté à l'article 1er.
Quant à l'amendement n° 3, il a pour objet de permettre à l'autorité
administrative, si elle l'estime opportun, de déclassifier directement des
informations faisant l'objet d'une demande par une juridiction ou par une
commission parlementaire.
Il nous est apparu important de ne pas retirer au Gouvernement un pouvoir qui
lui appartient déjà. Pourquoi le déposséder de cette capacité de déclassifier
directement les informations s'il le juge utile ? Ne l'a-t-il d'ailleurs pas
encore fait ces dernières semaines ?
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 2 et 3 ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Par coordination, le Gouvernement est défavorable
à l'amendement n° 2.
Sur l'amendement n° 3, qui tend à permettre à l'autorité administrative de
déclassifier de façon spontanée, en quelque sorte, sans consultation, le
Gouvernement est également défavorable.
Son adoption nuirait à la construction cohérente d'une doctrine au sein de la
commission consultative du secret de la défense nationale, doctrine qui serait
pourtant à la fois un guide utile pour l'exécutif lui-même et une source
d'indications précieuses pour les juridictions.
De plus, aux termes du texte que le Sénat a adopté, la commission consultative
du secret de la défense nationale peut proposer au Gouvernement trois solutions
: déclassifier, ne pas déclassifier, ou déclassifier partiellement. Si le
Gouvernement se prononce spontanément sans attendre l'avis de la commission, il
a - sauf à préciser le contraire - le même choix. Que se passera-t-il alors si
le Gouvernement déclassifie partiellement alors que, si elle avait été saisie,
la commission aurait préféré déclassifier totalement ?
Il me semble donc vraiment préférable que la commission soit saisie dans tous
les cas.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 2, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux l'amendement n° 3, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 7
M. le président.
« Art. 7. - La commission émet un avis dans un délai de deux mois à compter de
sa saisine. Cet avis prend en considération les missions du service public de
la justice, le respect de la présomption d'innocence et les droits de la
défense, le respect des engagements internationaux de la France ainsi que la
nécessité de préserver les capacités de défense et la sécurité des
personnels.
« En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante.
« Le sens de l'avis peut être favorable, favorable à une déclassification
partielle ou défavorable.
« L'avis de la commission est transmis à l'autorité administrative ayant
procédé à la classification. »
Par amendement n° 4, M. About, au nom de la commission, propose, dans la
seconde phrase du premier alinéa de cet article, après les mots : « de la
défense », d'insérer les mots : « l'exercice du pouvoir de contrôle du
Parlement et ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Il s'agit, là encore, d'un amendement de coordination avec
l'amendement n° 1, qui a été adopté à l'article 1er.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Défavorable, par coordination.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 4, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 7, ainsi modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
M. le président.
« Art. 8. - Dans le délai de quinze jours francs à compter de la réception de
l'avis de la commission, ou à l'expiration du délai de deux mois mentionné à
l'article 7, l'autorité administrative notifie sa décision, assortie du sens de
l'avis, à la juridiction ayant demandé la déclassification et la communication
d'informations classifiées.
« Le sens de l'avis de la commission est publié au
Journal officiel
de
la République française. »
Par amendement n° 5, M. About, au nom de la commission, propose, dans le
premier alinéa de cet article, après le mot : « juridiction », d'insérer les
mots : « ou à la commission parlementaire. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Nicolas About,
rapporteur.
Il s'agit là encore d'un amendement de coordination.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Défavorable, par coordination.
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, l'article 8, ainsi modifié.
(L'article 8 est adopté.)
M. le président.
Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la nouvelle
lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M.
de Cossé-Brissac pour explication de vote.
M. Charles-Henri de Cossé-Brissac.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous
abordons la nouvelle lecture d'un projet de loi qui aurait dû suciter un large
consensus entre les deux assemblées.
Au contraire, nous n'avons pu que constater, pour la regretter, la position
très négative de l'Assemblée nationale à l'égard de dispositions qui vont
pourtant dans le sens d'une plus grande transparence.
La commission mixte paritaire, réunie le 2 juin dernier, a ainsi échoué sur la
question essentielle de la possibilité pour une commission parlementaire de
saisir la nouvelle commission consultative du secret de la défense
nationale.
Cette possibilité est pourtant une bonne chose, tant sont fortes les attentes
de nos concitoyens en matière de transparence.
Malgré cela, les députés ont souhaité limiter le pouvoir de saisine aux
juridictions françaises. Nous ne pouvons que le regretter.
Ils ont, en revanche, fini par accepter le principe d'une présidence
spécifique à la commission consultative, alors que le projet de loi prévoyait
une présidence commune, de droit, avec celle de la commission nationale de
contrôle des interceptions de sécurité.
Ils ont rejoint ainsi la position que notre rapporteur, M. Nicolas About,
défend depuis le début.
Notre excellent collègue a eu le souci de donner de larges compétences à la
nouvelle instance et d'en faire un organe de plein exercice avec une présidence
propre. Cette vision est la bonne, et le groupe des Républicains et
Indépendants se réjouit qu'elle finisse par triompher.
Le revirement des députés sur la question de la présidence ne doit cependant
pas nous faire oublier les points sur lesquels ils ne nous ont pas rejoints.
Un projet de loi de cette importance, et aussi sensible, ne doit pas laisser
subsister la moindre zone d'ombre. Les procédures permettant la levée du secret
doivent être transparentes et équilibrées.
Nos concitoyens comprennent bien la nécessité de préserver les secrets
stratégiques de la France, mais ils ont aussi besoin de savoir que rien ne leur
est caché pour de mauvaises raisons.
Il est donc indispensable de rétablir la possibilité pour une commission
parlementaire de saisir la commission consultative ainsi que la faculté pour
l'autorité administrative de déclassifier directement les informations dans les
cas les plus simples.
Ces deux dispositions, qui vont dans le sens d'une plus grande transparence et
d'une meilleure efficacité, viennent d'être adoptées sur proposition de la
commission.
Dans ces conditions, le groupe des Républicains et Indépendants votera le
projet de loi tel qu'il vient d'être modifié.
M. le président.
La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on peut
regretter que la commission mixte paritaire, réunie le 2 juin dernier, n'ait pu
aboutir à un accord sur le principal point de divergence qui continuait
d'opposer nos deux assemblées.
Je veux parler, bien évidemment, de la possibilité pour une commission
d'enquête parlementaire de bénéficier de la procédure de saisine de la
commission consultative, au même titre qu'une juridiction française.
Une telle disposition présente, selon nous, de nombreux avantages.
Elle valorise le rôle du Parlement, en lui donnant les moyens juridiques
d'exercer son pouvoir de contrôle grâce à une procédure qu'il a lui-même
approuvée par ce texte.
De surcroît, les prérogatives du pouvoir exécutif ne seraient absolument pas
entamées par cette mesure puisque le Gouvernement conserve
in fine
le
droit de décider de la déclassification d'où qu'elle vienne.
Je rappelle également l'attachement de notre groupe au principe d'automaticité
de la saisine de la commission consultative, toujours dans le même souci d'une
procédure unique quelle que soit l'institution demanderesse et quel que soit le
type de dossier concerné. Sur ce dernier point, notre avis diverge de celui de
la commission des affaires étrangères.
C'est pourtant, nous semble-t-il, la meilleure garantie pour la crédibilité et
l'indépendance de la future commission consultative.
Ces quelques éléments étant rappelés, le groupe communiste républicain et
citoyen émettra un avis favorable sur ce projet de loi.
M. le président.
La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert.
Sur ce texte, dont l'intérêt est évident, nous suivrons les recommandations de
la commission des affaires étrangères, à laquelle, d'ailleurs, M.
Durand-Chastel et moi-même appartenons.
Les observations faites tant par M. de Villepin, lors d'une séance précédente,
que par M. About aujourd'hui nous semblent tout à fait justifiées. Nous
voterons donc le texte tel qu'il ressort des travaux du Sénat.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard,
ministre de la défense.
Je me réjouis des appréciations positives qui
viennent d'être émises par les représentants de divers groupes. Je tiens
toutefois à revenir sur un point de l'explication de vote du groupe des
Républicains et Indépendants.
La navette est faite pour que les assemblées se convainquent mutuellement. Il
me paraît donc de mauvaise méthode de donner une image péjorative de l'autre
assemblée lorsqu'elle rejoint, sur un article, la position présentée par la
majorité du Sénat. Pour l'ancien sénateur que je suis, c'est là une approche
polémique qui n'est pas conforme à la vocation de cette assemblée.
Et si l'on doit parler de revirement, monsieur de Cossé-Brissac, il est
intéressant, alors, de se demander pourquoi, pendant les deux précédentes
législatures, alors que le problème de la transparence, que vous appelez
aujourd'hui de vos voeux, se posait tout autant, voire plus, aucune initiative
législative n'a été prise ni par les gouvernements de l'époque ni par la
majorité sénatoriale en faveur de dispositions qui vous paraissent tout à coup
absolument indispensables !
Par conséquent, en évoquant un petit revirement, vous me donnez l'occasion
d'en constater un grand !
(Sourires et applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
M. Bertrand Delanoë.
Le groupe socialiste s'abstient.
(Le projet de loi est adopté.)
5
DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat.
La parole et à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous livrons aujourd'hui à
un exercice que je crois bienvenu - qui n'a pas eu lieu l'année dernière, pour
des raisons que chacun comprend, tenant aux circonstances particulières liées
au renouvellement de l'Assemblée nationale - et qui vise à ce que, avant l'été,
un débat s'instaure dans les deux assemblées pour que le Gouvernement écoute
les représentants élus, définisse ses orientations budgétaires et fasse son
miel de ce que le Sénat, en l'occurrence, voudra lui transmettre.
Les quelques points que je souhaite développer, avant que Christian Sautter
entre dans un détail plus fin de la préparation budgétaire, sont les
suivants.
D'abord, dans quel contexte se situe ce débat ?
La principale caractéristique de la période dans laquelle nous sommes,
lorsqu'on la compare à la période équivalente de l'année précédente, c'est que
la confiance en matière économique et sociale est très largement revenue. Cela
ressort des enquêtes menées tant auprès des consommateurs que des chefs
d'entreprise, et comme vous êtes des observateurs avertis de ces choses vous
aurez constaté comme moi que nous atteignons, dans ces sondages d'opinion
réalisés régulièrement par l'INSEE, la Banque de France ou d'autres instituts,
des sommets qui ont eu, certes, leur équivalent dans le passé, mais dans un
passé lointain.
Voilà très longtemps - plus de dix ans - que nous n'avons pas connu dans notre
pays un tel sentiment de confiance dans l'avenir, même si l'on peut regretter
qu'il ne soit pas encore suffisamment élevé. Néanmoins, l'évolution est très
sensible, et je crois que c'est la principale caractéristique, tant il est vrai
que l'économie, c'est peut-être non pas avant tout mais assez largement de la
psychologie.
Associée à cette confiance - je ne m'aventurerai pas sur la question de savoir
quel est l'oeuf, quelle est la poule ! - la croissance est fortement de retour
et, bien évidemment, les deux phénomènes sont liés dans les deux sens : la
croissance induit la confiance, la confiance permet la croissance.
Cette croissance, la France n'est pas le seul pays européen à en ressentir les
bienfaits, fort heureusement. Il serait donc peu raisonnable, de la part du
Gouvernement, de s'en attribuer tous les mérites. Il est clair que l'ensemble
des pays européens connaissent aujourd'hui un retour à la croissance qui a été
bien long à obtenir, et bien tardif.
Mais il est vrai aussi que nous serons sans doute, pour autant que l'on puisse
le mesurer aujourd'hui, au mois de juin, parmi les grands pays non seulement
européens mais même du G 7, celui qui aura la croissance la plus élevée en
1998. Là, pour le coup, ce ne sont plus la chance et l'environnement qu'il faut
invoquer, mais sans doute la façon dont la politique économique qui a été
conduite a accompagné cette croissance. Seule, cette politique économique
n'aurait peut-être pas suffi. Mais, à l'inverse, le mouvement international
seul, non relayé par une politique économique adaptée, n'aurait sans doute pas
suffi non plus.
Chacun a à l'esprit cette période, pas tellement lointaine - je pense à 1995
et 1996 - où l'Europe aussi commençait à connaître un retour à la croissance et
où, en France, quelques mesures de politique économique, que je juge, pour ma
part, malencontreuses, ont, au contraire, cassé cette croissance.
Si bien que ceux qui voudront féliciter le Gouvernement et sa majorité pour la
politique économique suivie le feront sans que j'y voie malice ; les autres
auront au moins à coeur de reconnaître - ce qui est une version dégradée de la
félicitation, mais je m'en satisferai ! - que le Gouvernement n'a pas, par sa
politique, commis les quelques bêtises qui étaient concevables, qui ont été
faites par le passé et qui auraient entravé ce retour à la croissance. En
effet, s'ils ne reconnaissaient pas cela, ils seraient en contradiction avec
les faits, qui, comme je l'évoquais tout à l'heure, vont sans doute mettre en
évidence pour la France la plus forte croissance des pays du G 7 en 1998.
A cette croissance est associé un début de baisse du chômage, baisse
évidemment insuffisante mais tout de même sensible puisque, depuis le mois
d'août, le chômage baisse régulièrement et qu'au mois de mars, vous le savez,
nous avons franchi à la baisse le seuil symbolique des 3 millions de
chômeurs.
On ne peut pas s'en réjouir : trois millions de chômeurs, c'est encore
infiniment trop ! Mais ne gâchons pas tout de même notre satisfaction
collective, éprouvée sur toutes les travées du Sénat, j'en suis sûr, de voir
que, depuis maintenant neuf mois, mois après mois - un peu plus certains mois,
un peu moins d'autres - le chômage décroît régulièrement.
Tant et si bien que le taux de chômage, qui était de 12,5 % de la population
active au mois d'août dernier - il était d'ailleurs identique au mois de
janvier 1997 puisque, entre janvier et août 1997, il n'avait pas bougé - a
commencé à décroître au rythme de presque 0,1 point par mois et que nous sommes
passés sous la barre des 12 % après avoir approché les 13 %.
Il est clair que cette décrue est insuffisante, que d'autres actions doivent
être mises en oeuvre, que notre politique doit être renforcée.
Pour le moment, alors que, notamment, la politique de réduction du temps de
travail n'a pas encore produit ses effets, puisque la loi vient seulement
d'être votée et que les décrets d'application sont à peine signés, c'est
principalement la croissance qui est à l'origine de cette décrue du chômage, et
j'attends le relais qui, sans que la croissance diminue, sera pris, pour
augmenter cet effet, par la mise en oeuvre du texte sur la réduction du temps
de travail.
Au total, alors que 20 000 emplois marchands dans le secteur privé avaient été
créés en France au cours du premier trimestre de 1997, ce sont 95 000 emplois,
soit près de cinq fois plus, qui ont été créés au cours du premier trimestre de
1998.
Vous savez que la prévision que j'avais donnée au Sénat, lorsque nous avions
examiné ensemble le projet de loi de finances pour 1998, était de créer 200 000
emplois marchands en 1998. Eh bien ! au premier trimestre, la moitié de cet
objectif a déjà été atteint. On peut donc espérer que le seuil de 200 000 à la
fin de l'année sera dépassé.
Mais ne faisons pas trop de prévisions, les résultats sont encore aléatoires.
Nous mesurons mal, notamment, l'ensemble des conséquences que la crise
asiatique pourra avoir sur notre économie.
Deux mots pour informer le Sénat sur ce point.
Il y a eu une première crise aux mois d'octobre, novembre et décembre, dont
nous avons analysé ensemble les effets et dont chacun a pu penser, vers les
mois de janvier-février, que nous avions réussi - nous, c'est la collectivité
financière internationale - à la maîtriser.
En effet, en février, il apparaissait que la Thaïlande était sur la bonne
voie, que cela s'arrangeait en Corée et que, si la situation restait encore
très difficile en Indonésie, l'économie indonésienne n'avait cependant pas un
poids tel dans l'économie mondiale que les désordres mais aussi les difficultés
des populations qu'on pouvait y constater suffisaient à déséquilibrer
l'économie mondiale.
Donc, l'hypothèse de perdre 0,5 point de croissance en raison de la crise
asiatique, qui avait été faite très tôt - vers octobre-novembre - restait
solide vers février.
Finalement, le premier trimestre a révélé que la crise était sans doute un peu
plus profonde - je vais y revenir - et que l'effet sur la croissance était plus
proche de 0,6 point que de 0,5. A l'inverse, la croissance domestique en France
même s'est révélée un peu plus forte que prévue, si bien qu'au total la
prévision d'ensemble de 3 % pour 1998 reste solide, mais avec une composition
légèrement différente de ce qui avait été prévu : plus de croissance en France,
un peu moins de croissance provenant de la demande externe.
Aujourd'hui, la question est posée de savoir comment l'autre partie de la
crise, celle qui était sous-jacente, celle dont le Sénat se souvient sans doute
d'avoir discuté avec moi à la fin de décembre, celle qui était encore peu
visible à l'époque, mais qui l'est de façon flagrante aujourd'hui, c'est-à-dire
la situation japonaise, va évoluer dans les semaines ou les mois qui
viennent.
Nous voyons tous que cette situation est sérieuse, que c'est là que se
concentrent aujourd'hui les risques les plus importants non seulement pour le
Japon lui-même mais aussi pour les pays avoisinants, comme la Chine.
Vous connaissez comme moi les deux pôles sur lesquels nous attendons que le
gouvernement japonais mette en oeuvre les décisions qu'il a annoncées :
l'aspect macro-économique et la croissance de l'économie japonaise, d'une part
; la restructuration du système bancaire, d'autre part.
Des assurances très fortes ont été données tout récemment encore par le
gouvernement japonais à l'occasion de l'intervention qui a eu lieu sur le
marché des changes pour éviter que le yen ne dérape trop fort.
Il reste que, comme vous le savez, des élections auront lieu au Japon le 12
juillet prochain. Le système démocratique a beaucoup de vertus mais aussi
quelques défauts, notamment le fait qu'une période préélectorale ne prédispose
pas à la prise de décisions difficiles. Tout est donc quelque peu suspendu à
l'échéance du 12 juillet.
Le temps de l'économie, notamment celui des marchés financiers, coïncide assez
mal avec le temps plus lent du fonctionnement de la démocratie.
J'ai cependant bon espoir que l'ensemble des mesures qui ont été annoncées et
qui commencent à être mises en oeuvre - elles sont d'une ampleur considérable
puisque plusieurs points de PIB sont en cause - viendront à bout des
difficultés et que nous n'aurons donc pas à subir de répercussions trop
massives de cette crise asiatique dans sa version aujourd'hui japonaise sur
notre croissance. Ainsi, la prévision de 3 % faite au début de l'année, même si
elle est quelque peu « chamboulée » dans sa structure, restera en moyenne
cohérente avec le résultat que nous enregistrerons cette année.
Dès lors, et avec toutes les réserves qu'implique un exercice de prévision,
comment se présente notre budget pour 1999, puisque tel est l'objet de notre
débat d'aujourd'hui ?
Du côté des dépenses, vous le savez, le Gouvernement ne défend pas l'idée que
la dépense publique est mauvaise par nature. Au contraire, je soutiendrai
devant vous l'idée que la dépense publique peut être l'un des éléments majeurs
à la fois du soutien de la croissance et de la solidarité, mais que, pour
autant, toute dépense publique n'est pas obligatoirement efficace et bonne. Il
faut faire le tri ; il faut travailler fortement à une meilleure efficacité de
la dépense publique. Cela ne signifie nullement qu'il faille à tout prix
essayer de la faire décroître.
J'ai rencontré, encore récemment, des industriels américains venus investir en
France. Ils expliquaient les raisons pour lesquelles leur choix s'était
finalement porté sur la France : certes, en matière d'impôts, de cotisations
sociales, c'était un peu plus lourd que chez nos voisins ; mais, à l'inverse,
ils y trouvaient une population mieux formée, des infrastructures plus
développées, notamment dans le domaine des télécommunications, qui était celui
qui les intéressait. En définitive, dans la petite liste de pays qui restaient
au dernier moment du choix, à savoir, en l'occurrence, la Pologne, le
Royaume-Uni et la France, ils avaient décidé de venir en France. Et cela n'est
pas un cas isolé puisque nous sommes, vous le savez, le troisième pays au monde
pour l'importance des investissements étrangers directs qui viennent s'y
réaliser. Si c'est le cas - et c'est le cas ! - c'est bien que ceux qui peuvent
choisir, lorsqu'ils veulent venir en Europe, entre plusieurs pays, choisissent
plus volontiers la France que d'autres pays.
Cela montre, au total, qu'il faut bien faire - et j'invite le Sénat à le faire
avec moi - une comparaison raisonnable entre les recettes et les dépenses, à
savoir entre la charge fiscale et les services publics rendus, et non pas
simplement procéder à une évaluation de la dépense comme si, en elle-même, elle
devait toujours être mauvaise. Elle est souvent bonne !
C'est la raison pour laquelle, en 1999, le Gouvernement a choisi une
croissance modérée de la dépense publique, de 1 % en termes réels, quand le PIB
devrait augmenter de 2,8 %. Cette croissance de 1 % lui permet de financer
l'ensemble des priorités qui sont les siennes et dont je reprendrai la liste
tout à l'heure ; mais vous les connaissez assez largement : elles touchent à
l'emploi, à la solidarité, sous la forme des emplois-jeunes, de la réduction du
temps de travail, de la lutte contre les exclusions, etc.
Je connais bien les critiques émises par certains - c'est d'ailleurs normal -
contre cette croissance des dépenses publiques de 1 %, comme si le taux de 0 %
était magique. Je voudrais dire au Sénat que je ne trouve rien, dans l'analyse
économique, qui justifie l'idée que 0 % serait bien et que 1 % serait mal. S'il
est un critère qui a du sens, c'est la part de la dépense publique dans le PIB.
Certains pensent qu'elle doit augmenter - ils sont peu nombreux aujourd'hui.
D'autres pensent qu'elle doit se stabiliser. D'autres pensent qu'elle doit
décroître.
Elle décroîtra en 1999 puisque, comme je le disais, la dépense publique doit
augmenter de 1 % quand le PIB augmentera de 2,8 %. On peut bien sûr considérer
qu'elle devrait décroître plus ou moins ; chacun est libre d'avoir une opinion
sur ce point. Mais il n'y a pas de caractère magique à une dépense publique qui
« croîtrait » en volume 0 %.
Compte tenu de la phase de la conjoncture dans laquelle nous sommes, du
réglage assez fin - toujours aléatoire, bien sûr - que M. Sautter et moi-même
essayons de réaliser pour obtenir la croissance la plus forte possible, il a
semblé au Gouvernement que, dans le financement de ses priorités, ce soutien de
l'activité justifiait une croissance de la dépense publique faible, mais pas
nulle, donc fixée à 1 %.
Cela nous conduit évidemment à la définition du déficit souhaitable. Vous
savez que le Gouvernement a retenu un déficit de 2,3 %, à comparer à celui de 3
% pour 1998. C'est donc là une diminution très sensible. C'est même la plus
forte diminution du déficit des pays de la zone de l'euro. Certains diront - et
ils n'auront pas tort - que c'est la plus forte diminution, certes, mais que
nous sommes à des niveaux de déficit supérieurs et qu'il est plus facile pour
nous de diminuer que d'autres pays qui ont déjà beaucoup diminué. Cela est
exact aussi.
Le résultat, c'est que, à 2,3 %, nous serons, en 1999, le pays de la zone de
l'euro ayant encore le plus fort déficit. Ceux qui sont les plus ardents
défenseurs de la réduction du déficit verront là une critique et diront que
nous sommes les derniers de la classe. Les autres constateront que, si nous
sommes dans cette situation, c'est parce que le cycle économique, en France,
est en retard par rapport à celui des autres pays. Certains ont commencé leur
croissance avant nous. Je ne veux faire aucune remarque sur les politiques
économiques passées, mais il est vrai que nous sommes un peu en retard. Nous
entrons dans la croissance avec retard par rapport à l'Irlande, aux Pays-Bas et
à quelques autres pays. Cela explique que nous soyons aussi en retard pour ce
qui est de la diminution du déficit.
Il faut réduire celui-ci ; parce que ceux qui, comme moi, Christian Sautter
et le Gouvernement, pensent que la dépense publique est un soutien utile de la
croissance lorsque celle-ci vient à manquer, doivent avoir à l'idée que, pour
pouvoir utiliser la dépense publique lorsque la croissance ralentit, il faut,
dans les périodes de forte croissance, avoir pris de l'avance, avoir rechargé
les batteries. C'est parce qu'on diminue le déficit dans les périodes de forte
croissance que l'on peut l'augmenter à nouveau quand la croissance n'est plus
là ; on utilise justement le budget à contre-cycle, pour compenser les
mouvements naturels de l'économie et avoir une croissance plus régulière.
Ceux qui, comme certains sans doute au Sénat, pensent qu'il ne faut pas
utiliser le budget comme une arme conjoncturelle, parce qu'ils sont libéraux,
ceux-là n'ont aucune raison de vouloir diminuer le déficit.
En revanche, ceux qui, comme moi, pensent qu'il faut utiliser le déficit, que
nous en aurons besoin - pas maintenant, car nous sommes en phase de croissance,
mais dans trois ou quatre ans, le plus tard possible lorsque la croissance
viendra à manquer - ceux-là doivent aujourd'hui faire l'effort de revenir en
arrière, de réarmer la fronde, de recharger les batteries... - les images
possibles sont multiples ! - pour que nous puissions, le moment venu, utiliser
cette marge.
La seconde raison pour laquelle il faut que nous diminuions notre déficit,
c'est que le déficit, c'est de la dette ; il est financé par la dette
publique.
M. Denis Badré.
C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La dette
publique, ce sont des intérêts que l'Etat doit payer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en 1980, le service de la dette
représentait 5 % des recettes fiscales de l'Etat. Aujourd'hui, il représente
près de 20 % de ces recettes. Je ne veux pas faire le tri pour savoir qui l'a
plus ou moins augmenté au cours des dix-huit ou vingt dernières années. Le fait
est que le déficit a beaucoup augmenté, et chacun y retrouvera ses petits.
Aujourd'hui, je le répète, près de 20 % des recettes fiscales de l'Etat sont
utilisées à payer des intérêts.
Or, quand on y regarde bien, c'est sans doute l'une des choses les plus
injustes qui soit. En effet, les recettes fiscales de l'Etat, c'est ce que
paient tous les Français, y compris les plus modestes, qui paient de l'impôt
sur le revenu, qui consomment et paient de la TVA à 20,6 % tout cela pour
verser une rente à une partie de la population qui détient les emprunts d'Etat
et qui n'est pas la plus malheureuse du pays. On a donc un système
anti-redistributif, ou redistributif à l'envers pour près de 20 % du budget de
l'Etat, ce qui fait de ce budget un budget très inégalitaire.
Quand le service de la dette ne représentait que 5 % des recettes, passe
encore. Mais il s'élève aujourd'hui à près de 20 % et, si nous continuons dans
cette voie, il sera à 25 % ou à 30 % dans cinq ans ou dans dix ans, ce qui
voudra dire que le quart puis le tiers des impôts collectés sur tous les
Français sera redistribué à une catégorie très peu nombreuse de la population
qui détient les emprunts d'Etat.
Cette redistribution me semble absolument anormale et la seule manière de
l'éviter c'est de faire baisser la dette.
C'est pourquoi j'ai proposé, vous vous en souvenez sans doute, lors de la
présentation du projet de loi de finances pour 1998, un objectif : en l'an 2000
- ces choses-là bougent doucement - nous inverserons la croissance inexorable
depuis des années du ratio dette sur PIB. Vous vous souvenez sans doute de
cette promesse. Eh bien nous la tiendrons ! Avec 2,3 % de déficit en 1999, nous
ne sommes pas encore au sommet. En l'an 2000, pour la première fois depuis des
années dans notre pays, nous pourrons, si tout se passe comme je le prévois
aujourd'hui, réduire suffisamment notre déficit pour que le ratio de la dette
sur le PIB commence à décroître, ce qui, au-delà des problèmes que je viens
d'évoquer d'anti-redistribution ou de redistribution à contresens - induits par
une dette trop importante, permettra à l'Etat de retrouver des marges de
manoeuvre grâce à la diminution de la part du service de la dette dans son
budget. En effet, utiliser 20 % du budget à cette fin réduit d'autant les
possibilités d'action directe de l'Etat.
Par ailleurs, sur un plan plus éthique - et chacun, je pense, peut admettre
cet argument - cela reviendra à cesser, ou à commencer de cesser de faire payer
par les générations futures des dépenses qui sont les nôtres aujourd'hui. En
effet, ne nous y trompons pas : accumuler de la dette aujourd'hui, c'est créer
des impôts pour demain, car il faudra bien rembourser plus tard cette dette, et
ce sont alors nos enfants qui seront mis à contribution. Trouvons-nous normal
de laisser grimper notre dette par rapport à notre PIB et de reporter le
financement d'une part importante de nos dépenses d'aujourd'hui sur les impôts
que devront payer demain nos enfants ?
A l'évidence, ce n'est pas satisfaisant, et la seule manière de résoudre
l'ensemble de ces contradictions - un budget qui devient antiredistributif, des
marges de manoeuvre de l'Etat qui se réduisent et un report sur nos enfants
d'une part de nos dépenses - c'est de faire en sorte que notre dette diminue,
en pourcentage du PIB s'entend, et donc que notre déficit décroisse.
L'effort qui est fait par le Gouvernement dans ce sens trouve là sa triple
justification.
Certains estimeront sans doute, au vu de ces arguments, que l'on pourrait
aller plus loin. A ceux-là, je répondrai qu'il y a une bonne répartition de
l'effort dans le temps à trouver, et qu'aller trop vite présenterait d'autres
inconvénients, notamment en termes de soutien à la croissance, qui est
renaissante.
Mon objectif est de faire en sorte que la croissance ne se limite pas aux
seules années 1998 et 1999 pour faire place ensuite à un long cycle de
dépression, comme c'est malheureusement la tradition en Europe. En effet, ce
qui caractérise l'Europe par rapport aux Etats-Unis, c'est que nous connaissons
des phases de croissance peu durables, auxquelles succèdent des bas de cycle
qui durent de nombreuses années. Il faut que nous arrivions à inverser cette
tendance. Les Etats-Unis, qui ont d'autres avantages économiques, et d'autres
faiblesses, sont dans leur septième année de croissance ! Il n'y a pas de
raisons que nous n'arrivions pas à faire de même. Si l'Europe était capable
d'avoir, non pas deux ou trois ans de croissance mais quatre, cinq ou six ans
de croissance, alors, pour le coup, les effets en matière de chômage, en
matière de développement et en matière de pouvoir d'achat seraient,
considérables ! En effet, il est une vérité que nos concitoyens évaluent mal,
mais que vous connaissez : avec un demi-point de croissance supplémentaire
pendant plusieurs années, l'écart, à l'arrivée, est considérable !
Voilà la politique à suivre et voilà pourquoi il faut, certes, réduire notre
déficit mais ne pas le réduire trop, au risque de casser la croissance.
Le Gouvernement a choisi le seuil de 2,3 %, qui est évidemment contestable.
Personne ne peut prouver avec une rigueur mathématique que c'est juste ce seuil
de 2,3 % qu'il fallait retenir. Certains diront qu'il faut aller plus vite,
d'autres moins vite. Le Gouvernement a choisi ce point médian que je crois
juste et qui doit nous permettre d'avancer dans chacune des directions que
j'évoquais tout à l'heure.
Reste un dernier point et j'en aurai terminé : après les dépenses et le
déficit, j'en arrive aux recettes.
Bien sûr, le débat fiscal est toujours un débat fortement chargé de
considérations politiques, et c'est normal car la fiscalité est l'un des grands
instruments qui permettent à une politique de s'exprimer.
J'ai annoncé, avec Christian Sautter, lors de la discussion du projet de loi
de finances pour 1998, que nous ouvririons au premier semestre trois chantiers
fiscaux : le premier sur la fiscalité locale ; le deuxième sur la fiscalité du
patrimoine et le troisième sur la fiscalité écologique.
Ces chantiers ont été ouverts par l'administration. Des travaux importants ont
été conduits. Ils parviennent maintenant à une phase de concertation, à
laquelle j'invite l'ensemble des participants à la vie démocratique ou
économique de notre pays. Ces consultations ont d'ailleurs déjà commencé avec
les forces politiques, avec les syndicats patronaux, ouvriers...
J'insiste sur ce point, car, à ma connaissance, c'est la première fois que,
dans notre pays, un gouvernement, en matière fiscale, va décider certes seul ce
qu'il entend proposer à sa majorité, mais après avoir écouté les opinions des
différents partenaires. C'est là une forme de concertation qui est nouvelle et
à laquelle j'espère que chacun se prêtera avec détermination. Certes, si les
objectifs politiques sont différents, on ne peut aboutir aux mêmes mesures. Il
est néanmoins utile d'écouter chacun à l'occasion non seulement d'un débat
parlementaire, comme lors de la discussion à venir du projet de loi de
finances, mais avant même la préparation de ce débat.
Les orientations du Gouvernement sont claires : trois principes doivent guider
notre action en matière de fiscalité.
Le premier principe, c'est qu'on ne chamboule pas la fiscalité en une nuit
pour dire au matin que la réforme fiscale est faite. Le thème du « grand soir
fiscal » avec un grand dossier comprenant toute la réforme, avec un ruban rose,
diront certains, rouge, diront d'autres, autour est un thème qui ne convient
pas à la bonne marche de nos économies ni à celle de la démocratie.
Un projet fiscal doit être annoncé, se dérouler dans le temps,
progressivement, et, surtout, assurer la stabilité des règles fiscales au moins
pour une législature.
Lorsqu'un sujet a été traité, chacun peut estimer qu'il l'a été bien ou mal,
chacun est évidemment libre de son opinion, mais il ne faut pas y revenir
chaque année. L'instabilité des règles fiscales constitue pour les citoyens et
plus encore pour les entreprises, une source d'incertitude qui nuit
considérablement aux investissements, aux calculs économiques, que l'on ne peut
faire que lorsqu'on sait quelles seront les règles fiscales des années qui
viennent.
Il me semble donc de bonne politique fiscale que, pour une législature,
lorsqu'une majorité a souhaité modifier un impôt dans tel ou tel sens, cette
modification soit pérenne, quitte à ce qu'une autre majorité - c'est le jeu de
la démocratie ! - le change plus tard.
Le deuxième principe, c'est que tout ce que nous devons faire doit servir
l'emploi. Il n'y a pas aujourd'hui, je crois, un seul parlementaire qui
récusera l'idée que le principal fléau dans notre pays, c'est le chômage, et
que c'est donc bien l'emploi, avant tout, que nous devons servir. Toute réforme
fiscale qui, d'une manière ou d'une autre, viendrait nuire à l'emploi serait,
évidemment, contreproductive.
Le troisième principe, qui, évidemment, vient en parallèle avec l'emploi,
c'est la justice. Or la fiscalité est, par essence, un instrument qui permet
d'introduire plus de justice fiscale dans notre pays, et Dieu sait que c'est
nécessaire.
C'est donc en tenant compte de ce balancement entre ce qui peut servir
l'emploi et ce qui est nécessaire pour améliorer la justice fiscale que le
Gouvernement fera des propositions sur des sujets sur lesquels, évidemment, il
souhaite avant tout vous entendre, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous connaissons tous ici quelles sont les grandes composantes de notre
fiscalité. Chacun voit donc, au travers de mes propos, quels sont les impôts
qui peuvent éventuellement être en cause lorsqu'on veut agir pour l'emploi ou
pour la solidarité et la justice.
Nous aurons donc des propositions à examiner ensemble ; mais je suis - et M.
Christian Sautter avec moi - évidemment très désireux, avant même les
consultations et la concertation que j'évoquais, d'entendre les remarques que
vous voudrez bien faire à ce sujet.
Tel est donc le cadre de ce débat d'orientation budgétaire.
Je n'ai pas abordé les priorités et leur contenu, M. Christian Sautter le fera
après moi.
Et puis, nous aurons toute cette journée pour entendre les observations des
différents groupes représentés au Sénat et les remarques que voudront bien nous
adresser les experts que tous vous êtes individuellement.
(Applaudissements
sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain
et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Monsieur le président, mesdames, messieurs
les sénateurs, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie vient
de décrire l'orientation stratégique du Gouvernement en matière budgétaire.
Il a exposé que le budget de l'Etat doit, année après année, contribuer à
rendre la croissance plus durable et plus forte, les créations d'emplois
suffisamment nombreuses pour que le chômage recule continûment et massivement
et, enfin, mieux assurer la solidarité de la nation aux plus faibles de nos
concitoyens.
A sa suite, je ferai brièvement, tout d'abord, un bref retour sur le bilan
budgétaire de l'année 1997, puis un point sur l'exécution budgétaire durant les
premiers mois de l'année 1998 et, enfin, une analyse de la préparation du
budget pour 1999, principalement du point de vue des dépenses, puisque M.
Dominique Strauss-Kahn vient de préciser quelles étaient les grandes
orientations du Gouvernement en ce qui concerne la réforme de la fiscalité.
J'aurai l'occasion de me référer au remarquable rapport de M. le rapporteur
général, M. Lambert, dont la commission des finances a débattu sous l'autorité
sagace de son président, M. Poncelet.
Je ferai d'abord brièvement le point sur l'exécution du budget de 1997, dont
les deux lignes directrices étaient la réorientation et le rétablissement des
finances publiques.
La réorientation des finances publiques a consisté à donner un coup de pouce à
la consommation : 10 milliards de francs ont été engagés dès le mois de
juillet, par le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, l'aide
permettant à tous les enfants de manger à la cantine, le démarrage des
emplois-jeunes et la relance du logement social.
Permettez-moi à cet égard de formuler une critique à l'égard du rapport de M.
Lambert : son analyse de la conjoncture de 1997 ne distingue pas suffisamment
le premier semestre, qui a enregistré une croissance relativement « molle » et
principalement tirée par la demande extérieure, et le second semestre, au cours
duquel la reprise de l'investissement productif a contribué à équilibrer
davantage notre croissance, à la rendre plus vertueuse et, comme l'a dit M.
Strauss-Kahn, plus durable, puisque les exportations dépendent bien évidemment
au premier chef de notre environnement international et que, du côté de l'Asie,
sont apparus les nuages que vous savez.
S'agissant du rétablissement des finances publiques, vous vous souvenez que
l'audit du mois de juillet dernier prévoyait un déficit de l'ensemble des
finances publiques entre 3,5 % et 3,7 %. Or l'année s'est achevée avec un taux
de 3 %. Les dépenses ont été contenues car les orientations que j'ai évoquées
ont été entièrement gagées par des économies et les recettes fiscales ont été
conformes aux attentes.
Le montant des recettes fiscales nettes s'élevait à 1 395 milliards de francs
en loi de finances initiale. Elles ont été révisées à 1 403 milliards de francs
dans le collectif pour atteindre, en exécution, 1 416 milliards de francs. Par
rapport à la loi de finances initiale, on a donc enregistré une amélioration en
exécution de l'ordre de 21 milliards de francs.
Ces bons résultats en ce qui concerne l'équilibre des finances publiques,
principalement issus des mesures d'urgence dont le Sénat a débattu, ont apporté
un surplus de recettes de l'ordre de 22,8 milliards de francs.
En ce qui concerne la TVA nette, qui avait été sous-estimée dans la loi de
finances initiale, l'exécution s'est finalement faite à 5,9 milliards de francs
au-dessus des prévisions. Une des raisons de ce résultat, sur laquelle je
n'insiste pas, est l'amélioration du contrôle fiscal, auquel M. Dominique
Strauss-Kahn et moi-même nous sommes attaqués, si je puis dire, dès notre
arrivée au ministère.
En résumé, le budget de 1997 a remis la France sur la bonne trajectoire pour
atteindre la cible de l'euro, ce qui n'était pas évident voilà un an. Il a
manifesté la volonté du Gouvernement de s'engager dans une autre logique de
développement fondée sur trois principes simples.
Le premier, c'est qu'une croissance est plus forte et plus durable si elle est
tirée par une demande intérieure dynamique qui vient s'ajouter et non pas
remplacer une demande extérieure qui, elle, est fluctuante.
Le deuxième principe, c'est que le chômage diminue - M. Dominique Strauss-Kahn
a rappelé les chiffres : 156 000 chômeurs de moins depuis le mois d'août 1997 -
si la croissance est plus forte et si son contenu en emplois est enrichi par
des mesures telles que les emplois-jeunes et, bientôt, la réduction négociée du
temps de travail.
Enfin, le troisième principe, qui traduit un changement de politique, est que
la solidarité s'exerce en vers ceux qui en ont le plus besoin : les enfants qui
ont faim, les familles qui supportent le plus le coût de la rentrée scolaire,
les jeunes et les moins jeunes qui éprouvent des difficultés pour se loger.
Maintenant, je dirai quelques mots sur l'exécution du budget de 1998, qui se
fait sans à-coups. De plus, la croissance, M. Strauss-Kahn l'a dit, est de 3
%.
A ce sujet, je souhaite dire au président de la commission des finances du
Sénat, qui m'avait mis au défi de ne pas opérer de gels de dépenses publiques
durant le premier trimestre de 1998, qu'en dehors du milliard de francs, qui a
été entièrement gagé, à destination des chômeurs en situation de grande
détresse, pour la première fois depuis 1990, l'Etat n'a pas eu recours à cette
opération qu'il condamne à juste titre ; un gel des crédits bafoue en effet le
vote parlementaire, à peine sèche l'encre du
Journal officiel...
M. Denis Badré.
Ce sont surtout les annulations qui sont condamnables !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le secrétaire d'Etat, me permettez-vous
de vous interrompre un instant seulement.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances, avec
l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Monsieur le secrétaire d'Etat,
vous avez bien voulu reconnaître qu'il y avait déjà eu un milliard de francs de
gels. Mais l'exercice n'est pas terminé, et j'aurai l'occasion de vous demander
de nous fournir quelques explications sur l'avenir s'agissant précisément des
crédits affectés à l'emploi.
M. Denis Badré.
Très bien !
M. le président.
Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur Poncelet, je suis évidemment à votre
disposition pour répondre à vos interrogations.
Je voulais simplement noter en passant que cette petite catastrophe budgétaire
que vous anticipiez ne s'est pas produite et que cela dénote un changement de
comportement par rapport aux années antérieures. Mais nous aurons l'occasion
d'y revenir, semble-t-il.
J'en viens aux dépenses.
Les dépenses concernant la lutte contre l'exclusion seront financées par
redéploiements budgétaires en 1998.
En ce qui concerne le coût de l'accord salarial, qui est légèrement supérieur
aux sommes qui avaient été provisionnées dans la loi de finances initiale pour
1998, parce qu'un calendrier plus favorable aux salariés a été retenu lors des
négociations, il sera en bonne partie couvert par les disponibilités qui
existent traditionnellement sur les crédits de rémunération des divers
ministères. Cela ne devrait donc déboucher que très marginalement sur des
demandes de crédits nouveaux d'ici au collectif.
Du côté des recettes, sur lesquelles subsistent des interrogations, sachez que
la France publie des situations mensuelles, ce qui est un acte de transparence
démocratique qui n'est pas pratiqué dans tous les pays qui nous entourent. Si
ces situations mensuelles montrent des rentrées supplémentaires de TVA sur les
premiers mois de l'année, je tiens à souligner qu'il n'est pas possible
aujourd'hui d'en tirer des conclusions pour l'ensemble de l'année.
Comme l'a dit M. Strauss-Kahn, la croissance est conforme aux prévisions. N'en
déplaise aux sceptiques, elle est bien là. Il n'y a donc pas de raison qu'il y
ait des recettes supplémentaires par rapport à celles qui étaient inscrites
dans la loi de finances initiale.
La lutte contre la fraude fiscale continue certes à faire sentir ses effets.
Mais la grève des services des impôts à la fin de l'année 1997 et au début de
l'année 1998, et un certain nombre d'opérations techniques m'amènent à dire
qu'il serait prématuré de conclure à des écarts significatifs et durables en
matière de rentrées fiscales.
Par conséquent, je crois que l'on peut dire que, pour 1998, le plan de route
budgétaire qui a été tracé par la loi de finances adoptée par le Parlement est
suivi sans écart notable après cinq mois d'exécution.
Pour 1999 maintenant, je ferai un développement un peu plus détaillé, en
m'inscrivant dans la ligne des grands choix exposés par M. le ministre de
l'économie, des finances et de l'industrie.
La progression des dépenses a été de 1 % en volume et de 2,2 % en francs
courants. C'est beaucoup plus que ce que souhaitent les adeptes libéraux de la
croissance zéro, c'est nettement moins que la progression de la richesse
nationale, qui serait de 2,8 % plus 1,2 % d'inflation, soit 4 %.
A ce titre, dans le document qui vous a été transmis, un graphique montre que
le poids des dépenses de l'Etat dans le PIB diminue notablement entre 1998 et
1999.
Par ailleurs, nous avons opté pour la réduction du déficit de l'Etat d'une
vingtaine de milliards de francs avec - et j'y insiste parce que M. le
rapporteur général y consacre de longs développements - le retour à un excédent
budgétaire primaire. C'est la première fois, là aussi depuis 1990, que l'on
réalise cette performance et, comme M. Strauss-Kahn l'a expliqué, nous ne nous
arrêterons pas en si bon chemin.
Enfin, nous visons une stabilisation et, si possible, une réduction des
prélèvements obligatoires en 1999.
Je voudrais maintenant montrer que ces grands choix permettent de conserver
des marges de manoeuvre substantielles et plus importantes qu'en 1998 pour
financer les priorités que les Français ont choisies lors des élections
législatives qui se sont déroulées voilà plus d'un an.
Je voudrais par ailleurs, si vous le permettez, critiquer la logique que M. le
rapporteur général a développée dans son rapport écrit, tout à fait remarquable
dans la forme, mais peut-être moins sur le fond.
S'agissant du premier point, je souhaite développer un raisonnement qui est
largement hypothétique. Nous ne savons pas encore, en effet, ce que sera
l'année 1999, évidemmment, le Gouvernement n'a pas encore arrêté ses principaux
choix budgétaires. Cela interviendra au mois de juillet prochain, en avance sur
le calendirer normal, de façon que le Parlement dispose de plus de temps pour
travailler, ce qui me paraît important et répond au souhait exprimé à la fois
par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
Partons de l'hypothèse plausible que les recettes fiscales suivent
grosso
modo
l'évolution de la croissance, c'est-à-dire 2,8 % en volume et 1,2 % en
prix, soit 4 % en valeur. Cela dégagerait, dans l'hypothèse très
conventionnelle du même rendement des impôts, une masse de recettes
supplémentaires située entre 50 milliards et 60 milliards de francs en 1999. La
réduction du déficit - il a été question de 20 milliards de francs environ - en
absorbera un tiers. Il resterait donc de 30 milliards à 40 milliards de francs
de recettes nouvelles pour financer les grandes priorités du Gouvernement qui
sont, vous le savez, l'emploi, l'éducation, la justice, la solidarité, la
culture, l'environnement et la sécurité.
C'est un nombre limité de priorités sur lesquelles seront concentrés les
moyens budgétaires nouveaux.
Un tiers de réduction du déficit, deux tiers de dépenses nouvelles sur les
priorités gouvernementales, c'est là un premier exemple de l'équilibre
dynamique de la démarche gouvernementale.
Si l'on ajoute à cela que le Gouvernement va faire le même effort que l'an
dernier pour redéployer environ 20 milliards de francs de dépenses civiles de
budgets moins prioritaires vers des budgets prioritaires, vous voyez que, là
encore, nous avons réalisé un heureux équilibre, dynamique, entre les recettes
apportées par la croissance et le redéploiement des dépenses de l'Etat.
Ce qui est important dans l'esprit du Gouvernement, c'est qu'il faut dépenser
mieux, c'est-à-dire redéployer les moyens au sein de chaque ministère, en
fonction des priorités ou des domaines les plus prioritaires. Il faut également
réorienter les moyens selon la même logique, afin de respecter les trois
priorités indiquées par M. Strauss-Kahn : la croissance, l'emploi et la
solidarité.
Cela vaut pour les crédits de fonctionnement, pour les crédits d'équipement et
aussi pour les emplois budgétaires, qui s'inscrivent, vous le savez, dans une
perspective définie par M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique
générale, à savoir une stabilité du nombre des emplois civils : certains
ministères auront des postes budgétaires en plus, d'autres auront des postes
budgétaires en moins.
On constate là une différence de logique par rapport à ceux qui, à toute force
- j'en connais certains au sein de la Haute Assemblée - voulaient dépenser
moins parce que, dans leur esprit, toute dépense publique était nuisible. Le «
dépenser plus » ne consiste pas à tout laisser en l'état et à ne réformer qu'en
ajoutant des dispositifs aux dispositifs existants.
Je voudrais enfin m'intéresser à la logique développée, avec une certaine
constance, par votre rapporteur général, qui prône une autre politique. Je la
décrirai rapidement, certainement pas aussi bien qu'il le fera dans un
instant.
Cette politique n'est peut-être pas dépourvue d'un certain nombre
d'incohérences.
M. Lambert, et c'est son droit le plus strict, met sur un piédestal
nostalgique la politique budgétaire mise en oeuvre par M. Juppé en 1997,
politique qui visait à une progression des dépenses de l'Etat inférieure à la
hausse des prix.
M. le rapporteur général, je dois rendre hommage à votre grande honnêteté :
vous expliquez aussitôt que la vertu budgétaire que vous prêtez au budget pour
1997 n'est en fait qu'une apparence. Vous insistez sur le fait que, dans le
projet de loi de finances initiales pour 1997, les dépenses civiles de
personnel progressaient rapidement, de 2,8 % - ce qui n'est, je crois, pas
conforme à vos voeux - que les crédits à l'emploi augmentaient très
massivement, de 6,3 %, et que les dépenses d'investissement étaient sacrifiées,
puisqu'elles marquaient une diminution de 6 %.
Je passe sur le fait, dont nous nous souvenons tous, que ce budget pour 1997,
dans sa version initiale, n'était pas d'une sincérité parfaite, puisqu'il y
avait eu un certain nombre de débudgétisations..., sans parler de la soulte de
France Télécom, qui n'est peut-être pas renouvelable éternellement !
Pour 1999, vous formulez trois propositions.
Premièrement, vous proposez une action vigoureuse sur les dépenses de
personnel et, dans votre esprit, il s'agit d'un arrêt de tout recrutement net
dans la fonction publique. J'ai cru comprendre que cela voulait dire - mais
peut-être ai-je mal interprété vos propos - que les 60 000 fonctionnaires qui
vont partir à la retraite en 1999 ne seraient pas remplacés.
Il y a, certes, là une source d'économies, mais je me demande ce que la Haute
Assemblée penserait si l'on suivait ces propositions téméraires de M. le
rapporteur général, notamment en zone rurale. Combien d'instituteurs, combien
de gendarmes, combien de percepteurs devraient laisser leur place à la jachère
administrative !
La deuxième proposition formulée par M. le rapporteur général, pour qui j'ai
un immense respect,...
M. Adrien Gouteyron.
Ça se voit !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... est une réduction nette des aides à l'emploi.
Il est clair que la période de référence 1993-1997 n'est pas
extraordinairement probante pour ce qui est de votre démonstration, mais on
peut essayer de faire mieux que durant les quatre années écoulées.
Je crois surtout qu'en matière d'aides à l'emploi il y a entre nous une
véritable différence politique : dans l'esprit du Gouvernement, les
emplois-jeunes et la réduction négociée du temps de travail sont des
dispositifs complémentaires dont les effets s'ajouteront aux effets bénéfiques
d'une croissance durable pour accélérer le recul du chômage dans notre pays.
Si l'on vous suivait, monsieur le rapporteur général, combien de chômeurs
supplémentaires compterions-nous ? C'est une vraie question que je soumets à la
Haute Assemblée.
Par ailleurs, vous proposez, monsieur le rapporteur général, de préserver les
missions régaliennes de l'Etat.
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Absolument !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
On ne peut qu'être d'accord avec vous sur le fait que
les crédits des ministères de l'intérieur, de la justice, des affaires
étrangères et de la défense méritent une protection particulière.
Mais, si l'on raisonne en creux, cela signifie
a contrario
que les
missions non régaliennes de l'Etat, c'est-à-dire tout ce qui concerne la
recherche, l'éducation, la culture et l'environnement, subiraient, si l'on
suivait vos propositions courageuses, voire téméraires, le sort qui leur a été
réservé entre 1993 et 1997. Or notre pays souffre encore des réductions des
crédits destinés à la recherche, à la protection de l'environnement et à un
certain nombre de budgets auxquels nos concitoyens sont tout à fait
attachés.
M. Philippe Marini.
Si le secrétaire d'Etat fait le discours du rapporteur général, il ne restera
plus à ce dernier qu'à faire le discours du secrétaire d'Etat !
(Sourires.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Absolument !
J'aimerais - et j'en aurai bientôt terminé - aborder un dernier point, à
propos duquel M. le rapporteur général a introduit peut-être une touche de
paradoxe dans ses propositions.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
D'incohérence ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je n'oserais jamais parler d'incohérence à votre
propos, monsieur le rapporteur général !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est déjà fait !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Le paradoxe est le suivant : vous plaidez - et je sens
que vous rencontrerez un écho important dans la Haute assemblée - pour que
l'Etat majore ses transferts en direction des collectivités locales.
Il s'agit, à l'évidence, d'une mission qui n'est pas régalienne et cela
n'entre donc pas tout à fait, me semble-t-il, dans la logique que vous avez
développée antérieurement. Comment peut-on accroître massivement, comme vous le
souhaitez, les transferts de l'Etat vers les collectivités locales en
préconisant en même temps une stabilité en francs courants, voire une
diminution, des dépenses de l'Etat dans leur ensemble ?
Vous souhaitez aussi que l'Etat continue à prendre en charge une part
constante, voire croissante, de la fiscalité locale. Je rappelle que, pour la
seule taxe professionnelle - et je cite votre excellent rapport -, l'Etat a
payé 39 milliards de francs en 1992 et 57 milliards de francs en 1997.
J'ai quelque difficulté - mais c'est certainement dû à mon inexpérience ! - à
concilier la sollicitude que vous manifestez à l'égard des collectivités
locales en souhaitant que l'Etat leur apporte toujours plus,...
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
... qu'on cesse d'augmenter leurs charges !
M. Michel Mercier.
Oui, qu'on arrête d'augmenter leurs charges !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... avec votre souhait que l'Etat vive à la portion
congrue !
M. Paul Masson.
C'est de la caricature !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
J'évoquerai rapidement, en conclusion, deux points :
d'abord l'Europe ; ensuite, la perspective à long terme. Ce sera une conclusion
dans l'espace et dans le temps !
Sur l'Europe, il est clair que notre stratégie budgétaire s'inscrit dans un
cadre européen. Le conseil de l'euro s'est réuni pour la première fois et je
voudrais dire devant la Haute Assemblée qu'il serait important que le budget de
l'Europe, auquel la France apporte une contribution importante,...
M. Denis Badré.
Qu'on augmente moins le budget de l'Europe !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... suive les mêmes sages préceptes que ceux que l'on
applique en France. Or, vous savez qu'il y a pour 1999 un risque budgétaire
européen tout à fait sensible.
M. Denis Badré.
Il faut refuser le budget rectificatif !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Me permettez-vous de vous
interrompre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je vous en prie.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances, avec
l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il n'est pas dans mes habitudes
d'interrompre M. le secrétaire d'Etat lorsqu'il intervient dans cette enceinte.
Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, depuis quelques instants tout au moins,
vous semblez donner des leçons de vertu, de vertu budgétaire.
Je me suis fait communiquer quelques chiffres pour savoir comment, lorsque
vous étiez aux responsabilités, vous vous comportiez en matière de rigueur
budgétaire. Je vais donc me permettre de vous rafraîchir un peu la mémoire, au
cas où elle aurait quelques défaillances, monsieur le secrétaire d'Etat.
Pour 1991, le Gouvernement avait prévu un déficit de 81 milliards de francs :
le budget a été exécuté en déficit réel à 133 milliards de francs. Pour 1992,
le Gouvernement a fait mieux : il prévoyait un déficit de 91 milliards de
francs, le budget a été réalisé en déficit à 236 milliards de francs.
Quand on parle de sincérité et de cohérence - tout au moins est-ce mon
sentiment - il faut savoir de quoi on parle !
Je vais simplement prendre comme exemple le budget de 1993. Il avait été prévu
un déficit - écoutez bien ! - de 183 milliards de francs : le budget a été
exécuté avec un déficit de 345 milliards de francs ! Un tel déficit a été un
handicap pour le gouvernement qui a succédé à celui de 1993, la majorité de
l'époque ayant été sévèrement sanctionnée par le pays, qui était bien conscient
de la dérive budgétaire.
Par ailleurs, quand on commence un septennat en annonçant qu'il est excessif
et insupportable d'avoir un million de chômeurs et qu'on le termine avec trois
millions de chômeurs, il faut être modéré dans la critique à l'égard des autres
!
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président.
Poursuivez, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je voulais simplement dire que
personne n'a le monopole de la vertu budgétaire...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Merci !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
... et limiter mon intervention à ce point.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Dont acte !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je terminerai, monsieur Poncelet, en soulignant un
point commun entre M. le rapporteur général et le Gouvernement, à savoir le
souci du long terme.
Dans le rapport d'orientation budgétaire, sont mentionnés pour la première
fois des éléments d'information pluriannuelle qui posent, notamment, la
question - question que l'on pose à froid pour l'instant - de l'avenir des
régimes de retraite.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur
général, sur ce sujet de préoccupation, le Gouvernement a le souci de traiter
le problème dans la durée, et le Commissariat général du plan éclairera les
choix d'avenir sur cette question tout à fait essentielle.
Voilà ce que je voulais dire en introduction à ce débat.
(Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini.
Il va faire le discours du ministre !
M. Alain Lambert,
rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et
des comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, délivrer la
France des contraintes qui pèsent sur elle et sur son avenir, alléger le poids
des handicaps qui grèvent ses finances publiques, tel est l'enjeu du débat
d'orientation budgétaire qui s'ouvre ce matin devant le Sénat.
Vous poursuivez ainsi opportunément, monsieur le ministre, monsieur le
secrétaire d'Etat, la démarche engagée, en 1996, par le précédent gouvernement
pour préparer le budget de 1997. Le président Poncelet appelait depuis
longtemps de ses voeux la tenue d'un tel débat, et c'est donc un motif de
satisfaction de voir celui-ci s'ancrer désormais dans notre tradition
républicaine.
M. Philippe de Bourgoing.
Très bien !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Même s'il relève des prérogatives constitutionnelles
et organiques du Gouvernement de bâtir un projet de loi de finances et un
projet de loi de financement de la sécurité sociale, il est utile que le
dialogue se noue avec le Parlement avant l'envoi des lettres plafonds et avant
les arbitrages fiscaux qui interviendront à la fin du mois de juillet.
En fait de débat d'orientation budgétaire, nous tiendrons plutôt ce matin un
débat prospectif sur l'ensemble des finances publiques. En effet, d'une part,
nos engagements européens ne portent pas sur les finances du seul Etat, mais
aussi sur celles de la sécurité sociale et des collectivités locales ; d'autre
part, le contribuable fiscal, le contribuable local et le contribuable social
ne forment qu'une seule personne vers laquelle convergent de plus en plus de
prélèvements.
Pour donner plus de clarté à nos travaux, le président Christian Poncelet
reviendra plus particulièrement sur les questions de finances locales, Jacques
Oudin s'exprimant sur le financement de la sécurité sociale.
Vous vous êtes tout à l'heure posé la question de savoir, messieurs les
ministres, si je saurais reconnaître vos mérites. Je ne voudrais pas gâcher
votre plaisir et, certainement, je vais souligner certains mérites du
Gouvernement.
Depuis la nomination du Gouvernement actuel, la situation économique s'est
améliorée.
La croissance a atteint 2,5 % en 1997 ; elle n'était que de 1,2 % en 1996, et
les prévisions officielles retiennent 3 % pour 1998.
L'emploi progresse et, surtout, le chômage commence à refluer puisque l'on
compte 156 000 chômeurs de moins entre octobre et avril 1997. Le taux de
chômage a décru de 12,5 % de la population active en juillet 1997 à 11,9 % en
avril 1998.
M. René Régnault.
C'est bien !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Ces mérites sont d'autant plus grands que notre
Gouvernement a obtenu des résultats similaires et parfois même meilleurs à
l'étranger !
En Belgique, le chômage a reflué de 9,3 % en août 1997 à 7,3 % en mars dernier
; au Danemark, il a décru de 8,1 % en mai 1997 à 6,9 % en avril 1998 ; en
Irlande, il est passé de 10,3 % en juin 1997 à 9,4 % en avril 1998. La Suède a
connu une amélioration spectaculaire de sa situation de l'emploi depuis les
élections législatives françaises, le taux de chômage passant de 9,1 % en juin
1997 à 6,4 % en mars 1998.
L'Italie a vu son chômage se réduire de 60 000 personnes au premier trimestre.
Même l'Allemagne, dont la situation n'a cessé de se dégrader jusqu'à la fin de
1997, a vu, depuis, son chômage commencer à refluer. Son taux de croissance est
sur un rythme annuel de 3 %.
Bref, depuis l'installation du nouveau Gouvernement, le chômage a reculé dans
toute l'Union européenne. Il avait atteint 10,7 % en juin 1997, il n'est plus
que de 10,3 % en mars 1998.
Faut-il y voir une coïncidence ou les bienfaits de l'influence de notre
Gouvernement sur l'Union européenne ? Je vous laisse répondre à cette question.
Mais je tiens à vous dire que votre influence pourrait même devenir planétaire
si vous parveniez à retourner la conjoncture, comme vous en avez le secret, en
Asie du Sud-Est et au Japon !
Chacun l'aura compris, je ne crois pas que le Gouvernement - pas plus celui-ci
que tous les autres - ait une quelconque capacité à améliorer la situation
économique d'un pays et à retourner la conjoncture. Le destin de notre pays est
lié à celui du reste de l'Union européenne par quarante ans de volonté
politique. Lorsque la situation est mauvaise, les gouvernements incriminent «
l'héritage » et l'environnement international. Lorsqu'elle est bonne, ils s'en
attribuent le mérite. Nos gouvernants devraient se laisser gagner par
l'humilité en reconnaissant devant la nation que la conjoncture est une donnée,
dont la politique budgétaire doit tirer le meilleur parti mais qu'elle ne peut
plus réellement influencer.
Nous ne devons plus laisser croire aux Français que la politique économique
nationale peut infléchir sensiblement la conjoncture alors que ce n'est plus
vrai depuis longtemps. Les désillusions sont trop fréquentes et trop lourdes de
conséquences. Elles alimentent le doute des Français à l'endroit de la
politique. Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
convient-il d'être prudent.
Or le Gouvernement ne témoigne pas d'une prudence exemplaire. Bien qu'il s'en
défende, il continue pour 1999, me semble-t-il, de négliger les effets de la
crise financière asiatique, qui est pourtant, chacun le reconnaît, d'une
particulière gravité. Le Japon est entré en récession au premier trimestre de
1998, pour la première fois en vingt-trois ans.
Si je souhaite, comme chacun de vous, que cette crise ait peu d'effet sur
l'Union européenne, il me paraîtrait sage cependant d'en tenir compte dans les
prévisions de croissance et de plus-values fiscales pour 1999.
Le Gouvernement les affecte allègrement alors qu'elles ne sont encore
qu'hypothétiques. Ne vaudrait-il pas mieux être trop prudent aujourd'hui et
jouir ensuite de bonnes surprises, que se trouver demain devant une impasse
financière, comme ce fut le cas en 1992 et 1993, ainsi que M. Poncelet nous l'a
rappelé tout à l'heure ?
Je souhaite naturellement que l'avènement de l'euro ouvre en Europe, et donc
en France, une longue période de prospérité. Mais les incertitudes
conjoncturelles demeurent ; elles exigent une gestion précautionneuse de nos
finances publiques, car cette gestion reste sous très fortes contraintes,
malgré notre qualification pour l'euro.
Mes chers collègues, je résumerai ces contraintes sous la forme de trois
propositions : un impératif, réduire les déficits publics ; une nécessité,
réduire les dépenses publiques et un objectif, réduire les prélèvements
obligatoires.
J'ai qualifié ces trois propositions de contraintes, car je ne souhaite pas
leur donner de connotation idéologique.
La réduction de la place de l'Etat dans l'économie n'est pas un dogme pour
nous ; elle est simplement rendue nécessaire en France par l'hypertrophie de
cette place : plus de 58 % de dette publique dans le produit intérieur brut,
des dépenses à 55 %, des prélèvements obligatoires à plus de 46 %. Nous avons
atteint des niveaux d'intervention publique qui posent un vrai choix de
société.
J'observe d'ailleurs que le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée
nationale commencent à partager cette analyse. Pourtant, ce que vous proposez,
monsieur le secrétaire d'Etat, au nom du Gouvernement, n'est pas conforme à ces
trois propositions. J'aurai l'occasion de le montrer.
Si l'impératif de réduction des déficits publics nous est prescrit par nos
engagements européens, il l'est plus encore par notre situation interne.
Certes, nous sommes libérés de ce que certains appellent « l'obsession des 3 %
». Mais, contrairement à l'interprétation qui peut être faite de ces propos, la
qualification pour l'euro ne nous rend pas toute latitude dans nos choix
budgétaires. Le Gouvernement a adhéré au pacte de stabilité et de croissance à
Amsterdam en juin 1997, leque prévoit, pour les pays ayant adopté la monnaie
unique, un objectif « d'équilibre ou d'excédent à moyen terme ». Finis donc les
3 %. La prochaine étape, dans trois à cinq ans, c'est 0 % !
Toutefois, mes chers collègues, même si cet engagement européen n'avait pas
été pris, il conviendrait que nous le prenions vis-à-vis de nous-mêmes. En
effet, le niveau atteint par la dette publique dévore chaque année en intérêts
20 % des recettes fiscales. Notre devoir absolu est de faire refluer cette
dette, ce qui exige de dégager un excédent primaire des administrations
publiques, c'est-à-dire un excédent hors charges de la dette.
Le Gouvernement partage cette analyse et ces objectifs. Pourtant, il ne
propose pas de faire refluer la dette publique dès 1999 alors que ses
hypothèses de croissance le lui permettraient.
Avec 2,3 % du PIB, il se fixe un objectif de réduction du déficit des
administrations publiques insuffisant pour stabiliser la dette : 2,2 % auraient
été nécessaires, moins encore, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous aviez
voulu faire refluer la dette.
Vous faites reposer votre objectif de 2,3 % sur les excédents qui seront
dégagés par les administrations publiques autres que l'Etat, en particulier les
collectivités locales et la sécurité sociale.
Au fond, le Gouvernement ne fixe à l'Etat qu'un objectif de déficit de 2,7 %.
Il s'autorise en quelque sorte la facilité et il assigne la rigueur et la vertu
aux autres ; je pense en particulier aux collectivités locales. Il a pourtant,
me semble-t-il, moins de prise sur la situation des autres administrations
publiques que sur la sienne propre.
En réalité, mes chers collègues, le Gouvernement n'entreprend pas une
politique volontariste de réduction des déficits.
Sur les onze pays de la zone euro, il affiche l'objectif le plus mauvais,
l'Allemagne et l'Autriche faisant mieux avec 2,2 %. L'objectif du Gouvernement
français n'est, d'ailleurs, que la traduction des décisions déjà prises, fin
1997, en matière sociale : je pense à l'accord salarial dans la fonction
publique, aux emplois-jeunes, aux trente-cinq heures, à la loi sur les
exclusions. La direction de la prévision a simplement intégré les effets de ces
décisions. Loin d'être un objectif ou une orientation budgétaire, il ne s'agit,
en fait, que de la constatation de la politique décidée en 1997.
Le Gouvernement ne propose donc pas une réduction suffisante des déficits
publics. Il propose, au contraire, d'affecter une part de la croissance espérée
des recettes à une augmentation des dépenses publiques de 1 % en termes
réels.
Pourtant, je continue de croire, après vous avoir écouté avec beaucoup
d'attention, monsieur le secrétaire d'Etat, que la réduction des dépenses
publiques est une nécessité, et je souhaite que le Sénat veuille bien confirmer
cette orientation.
Je rappelle que cette affirmation n'est pas contingente ; ce n'est pas une
question de circonstances ; elle n'est pas liée au gouvernement en fonction.
Permettez-moi de citer le rapport élaboré par la commission des finances pour
le débat d'orientation budgétaire d'il y a deux ans : « C'est une diminution
sans précédent de la dépense publique qui devra s'opérer à partir de 1997. »
Mes chers collègues, il nous faut admettre que, depuis le début des années
soixante-dix, la dégradation de l'emploi est allée de pair avec l'augmentation
de la part des dépenses publiques dans la richesse nationale.
Nous disposons maintenant d'un recul de plus de vingt-cinq ans qui montre que
l'intervention publique n'a jamais réussi à faire refluer durablement le
chômage. Pourtant, le Gouvernement persiste à emprunter cette voie.
Bien sûr, la réduction des déficits pourrait résulter d'une augmentation des
recettes. Mais celles-ci sont un levier qu'il n'est plus raisonnable d'utiliser
: d'une part, l'augmentation des prélèvements obligatoires a un effet de plus
en plus incertain sur le niveau des recettes ; d'autre part, le niveau de ces
prélèvements a dépassé l'acceptable. Nous le disions déjà en 1996 : « Le poids
des prélèvements obligatoires - 45 % à l'époque - exclut de solliciter à
nouveau les recettes fiscales. »
Là encore, dans son discours, le Gouvernement paraît nous rejoindre. Mais il y
a loin du discours aux actes, car c'est bien sur un surcroît de recettes - 50
milliards à 60 milliards de francs - qu'il compte pour boucler le budget pour
1999 d'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, prévoit que,
si cette tendance devait se poursuivre, les prélèvements atteindraient 47 % du
produit intérieur brut en 2005.
Par conséquent, si je recommande au Sénat, au nom de la commission des
finances, de continuer à préconiser une réduction des dépenses publiques, comme
je le fais depuis 1996, ce n'est naturellement pas par hostilité au service
public, ce n'est sûrement pas par hostilité à l'Etat ou à la protection
sociale, mais parce que c'est la seule option possible pour faire refluer la
dette publique de façon significative.
Ce constat étant dressé, les difficultés commencent. En effet - nous l'avons
observé et vécu lors du débat sur le projet de loi de finances pour 1998 - s'il
est aisé de se convaincre du bien-fondé d'une baisse des dépenses publiques en
général, l'arbitrage entre les réductions à opérer est un art difficile dès que
l'on entre dans les détails.
Je préconise donc - vous avez un peu ironisé sur le sujet tout à l'heure,
monsieur le secrétaire d'Etat - la méthode du gel des dépenses, qui est
d'ailleurs celle que le ministre des finances demande d'appliquer aux ministres
dépensiers, en préalable aux arbitrages budgétaires.
M. Philippe Marini.
C'est un discours responsable de ministre !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Cette méthode a fonctionné, quoi que vous en disiez,
en 1997 : le gouvernement d'alors avait proposé une reconduction des dépenses
de 1996 en valeur et, pour la première fois, il en est résulté une stabilité
des dépenses de l'Etat en termes réels.
En outre, je préconise de commencer à s'attaquer aux composantes les plus
rigides de la dépense publique, car la réussite suppose une action opiniâtre,
durable et courageuse. Il s'agit en particulier des dépenses de la fonction
publique : il est urgent et nécessaire d'engager un mouvement progressif de
réduction des effectifs du secteur public...
M. Marc Massion.
Dans quelles administrations ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
... et une réforme des régimes de retraite de ce même
secteur. Je vise aussi les dépenses d'intervention en faveur de l'emploi, car
les pays qui ont le mieux réussi dans ce domaine sont aussi ceux qui ont fait
l'effort le plus significatif sur les dépenses.
Là encore, bien que le Gouvernement déplore la rigidité croissante des
dépenses, il l'accentue en augmentant sensiblement les charges de personnel et
les interventions publiques pour l'emploi, notamment par la création d'emplois
publics. Mais à quoi sert-il de créer toujours plus d'emplois publics lorsque,
pour faire des économies, l'Etat doit chaque année réduire les moyens dont
disposent les fonctionnaires pour accomplir leurs missions ?
Cette attitude est imprévoyante, et le Gouvernement semble découvrir
maintenant que les charges liées aux retraites publiques seront bientôt une
source majeure d'augmentation des dépenses.
Cette attitude est également contradictoire, car le Gouvernement prévoit de
stabiliser les effectifs de la fonction publique pour réserver, semble-t-il,
des crédits aux emplois-jeunes et au relèvement des salaires. Que
souhaitez-vous réellement, monsieur le secrétaire d'Etat ? S'agit-il de
précariser l'emploi public ? Ou bien s'agit-il d'augmenter la rigidité des
dépenses par une embauche massive de futurs fonctionnaires ? Nous voudrions le
savoir.
Inversement, il serait nécessaire d'interrompre le reflux des dépenses
d'équipement public.
Tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez en quelque sorte
ouvert un procès en sorcellerie sur la réduction des dépenses en laissant
croire que je trouvais toute dépense mauvaise.
(M. le secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)
Mais non ! il y a de bonnes dépenses : les dépenses d'investissement sont
excellentes, et je regrette vivement qu'elles régressent.
Le pari engagé par le Gouvernement sur l'excédent des collectivités locales
est risqué.
L'accord salarial dans la fonction publique va alourdir les charges des
collectivités locales.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
De 1,5 milliard de francs !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Tout à fait !
Or elles sont déjà contraintes de faire porter leurs efforts d'assainissement
sur la réduction de leurs investissements, lesquels ont pourtant atteint un
plancher.
La commission des finances propose, quant à elle, la préservation des crédits
régaliens, et je parle là sous le contrôle de M. Christian Bonnet, qui est très
attaché à ce que nous affirmions clairement notre volonté politique en la
matière.
(M. Bonnet opine.)
Préserver les crédits régaliens, c'est préserver les missions
fondamentales de l'Etat : la sécurité, la justice, la diplomatie et la défense.
Tout dans notre vie sociale montre que ce sont là les vraies missions de
l'Etat. Protéger la liberté des citoyens, voilà le devoir de l'Etat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous me demandiez tout à l'heure où nous
pourrions trouver des économies. Ne croyez-vous pas que l'Etat devrait cesser
de s'égarer dans des activités de banquier, d'assureur, de transporteur, au
prix d'une réduction des moyens qui lui sont nécessaires pour qu'il puisse
assumer ses missions régaliennes, lesquelles se trouvent ainsi sacrifiées ?
Enfin, notre objectif doit être celui de la réduction des prélèvements
obligatoires. Toutefois, je continue de poser en préalable la réduction des
déficits et celle des dépenses publiques, car la réduction des prélèvements
obligatoires ne doit pas entraîner un alourdissement supplémentaire de la dette
publique. Ce serait une faute contre le principe de bonne gestion et, pis
encore, une faute à l'endroit de nos enfants.
De ce point de vue, je trouve le discours majoritaire peu cohérent : il
appelle à une réduction des impôts et des cotisations, sans effort corrélatif
sur les dépenses. Parfois, mais fort rarement, les circonstances économiques
permettent, c'est vrai, de mener de front réduction des déficits et réduction
des impôts sans réduction des dépenses. Cependant, le plus souvent, c'est une
dangereuse illusion, car au premier retournement de conjoncture l'impôt et
l'emprunt s'envolent.
Dès lors qu'une démarche nette sera engagée pour réduire les dépenses, le
déficit et la dette publics, il deviendra possible de s'engager résolument sur
la voie de l'allégement des prélèvements obligatoires.
Le Gouvernement l'affirme aujourd'hui mais, une fois encore, il est en
contradiction avec lui-même, car c'est lui qui a décidé d'alourdir les
prélèvements obligatoires sur les entreprises par la loi portant mesures
urgentes à caractère fiscal et financier. Or l'exécution du budget de 1997
montre que l'augmentation de l'impôt sur les sociétés n'était pas nécessaire
pour que les recouvrements de recettes soient conformes aux prévisions.
De même, en 1998, le Gouvernement a choisi de ne pas maintenir l'allégement de
l'impôt sur le revenu. Il a préféré engager des dépenses nouvelles pour la
fonction publique. Et, pour boucler le budget pour 1999, il compte sur un
surcroît de recettes.
Quelles doivent être les priorités en matière de réduction de nos prélèvements
obligatoires ? J'en citerai trois.
La première est de réduire les charges sociales pesant sur le travail, en
particulier sur les bas salaires. Le passé récent nous a montré que ce combat
de Sisyphe consistant à dépenser toujours plus pour l'emploi et à prélever
toujours plus sur les salaires nous a placés parmi les Européens les moins
performants aussi bien sur le front du chômage que sur celui des finances
publiques.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Exact !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
On m'a objecté et on m'objectera encore que les
allégements de charges n'ont pas permis de créer des emplois. Mais les
allégements ponctuels ne doivent pas non plus masquer la tendance longue à
l'alourdissement des prélèvements.
La deuxième priorité est de reprendre le processus de réforme de l'impôt sur
le revenu engagé par le gouvernement précédent.
La troisième priorité est d'alléger la fiscalité de l'épargne et du
patrimoine, des ménages comme des entreprises. Dans la course à l'attractivité
fiscale, nous ne somme pas compétitifs. Cette situation nous fait perdre des
cerveaux, de l'activité et des emplois. Il convient donc d'y remédier au plus
vite.
Le Gouvernement commence, semble-t-il, à en prendre conscience. Mais que
pourra-t-il faire s'il ne s'engage pas dans la voie d'une réduction de la
dépense publique ? Il ne pourra rien faire et, comme le ministre de l'économie,
des finances et de l'industrie l'a dit à l'Assemblée nationale « les
prélèvements décroîtront... si la croissance le permet ».
Au fond, comme le Gouvernement, la commission des finances du Sénat vous
propose, mes chers collègues, de faire vôtres les objectifs de diminution des
déficits et des prélèvements obligatoires. Mais, au contraire du Gouvernement,
elle suggère, pour y parvenir, de mener une politique affirmée de maîtrise des
dépenses publiques. C'est de cette manière, et de cette manière seulement, que
notre pays pourra résorber sa dette publique, faire face aux charges de
l'avenir et éviter ainsi de compromettre l'avenir de nos enfants.
Vous avez tout à l'heure souhaité, monsieur le secrétaire d'Etat, dégager un
point de consensus, et je suis sensible à ce souci. Je crois que cet objectif
de réduction rapide de notre dette peut être partagé sur toutes les travées de
cette assemblée, car nul d'entre nous ne voudrait qu'il puisse être dit que la
France de notre génération n'a pas aimé ses enfants ou, pis, qu'elle a joué
contre ses enfants.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste,
du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
Avec l'accord de M. le président de la commission des finances, la parole est
à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques et du Plan.
Monsieur
le président, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais d'abord dire au
président Poncelet combien j'apprécie son geste de courtoisie : une obligation
familiale impérative me contraint à prendre un avion dans quelques minutes, et
il a bien voulu me permettre de parler avant lui. C'est une situation à
laquelle je ne connais pas de précédent ; je suis donc particulièrement
sensible à son geste.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le débat sur les orientations budgétaires a un
immense mérite, celui de mettre en évidence les grands choix qui sous-tendent
toute politique.
Ceux que vous nous proposez sont, pour simplifier, de deux ordres : d'une
part, un choix en faveur de la monnaie unique, auquel la quasi-unanimité de la
commission des affaires économiques souscrit ; d'autre part, un choix en faveur
de la dépense publique, que la majorité de la commission regrette parce qu'il
lui paraît contradictoire avec le premier, en opposition avec les exigences que
la monnaie unique porte en elle.
S'agissant tout d'abord de la monnaie unique, si les polémiques que l'euro a
longtemps suscitées ont, pour l'essentiel, cessé, c'est parce que son impact
sur l'économie s'avère dès aujourd'hui, avant même qu'il soit mis en
circulation hautement positif.
En vérité, sa contribution est triple.
L'euro apporte à l'Europe la stabilité monétaire dans un environnement
international caractérisé par la volatilité des taux de change, notamment en
Asie.
L'euro a ouvert la voie à des taux d'intérêt qui ne sont pas seulement les
plus bas de la planète, à l'exception du Japon, - un pays qui connaît au
demeurant une situation très particulière - mais aussi les plus bas que notre
continent ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale.
L'euro confère enfin à l'Europe une attractivité nouvelle aux yeux des
investisseurs internationaux.
Souvenons-nous : on dénonçait hier la réduction à marche forcée des déficits
budgétaires, qui était censée engendrer déflation et chômage. Or on constate
qu'en cette fin de siècle c'est au contraire, en Europe et dans le reste du
monde, l'assainissement des finances publiques qui est porteur de croissance et
d'emploi.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Très juste !
M. Jean François-Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
Le retournement de
conjoncture dont vous bénéficiez, monsieur le secrétaire d'Etat, doit beaucoup
au choix de l'euro fait par la France depuis Maastricht. En annonçant un
déficit ramené de 3 % à 2,3 % du PIB en 1999, vous vous inscrivez - et c'est un
fait heureux - dans cette continuité ; nous vous en donnons acte.
Mais on se tromperait gravement, mes chers collègues, en ne voyant dans la
monnaie unique qu'un simple carcan budgétaire. L'euro est beaucoup plus que
cela. Il ouvre en Europe une ère nouvelle de transparence économique et donc de
concurrence, à laquelle non seulement les entreprises mais aussi l'Etat doivent
se préparer.
Cela m'amène évidemment à votre deuxième choix, monsieur le secrétaire d'Etat,
en faveur de la dépense publique. Bien que je ne fasse pas partie de ceux que
vous décrivez comme des libéraux partisans de la croissance zéro - vous me
permettrez de ne pas m'inscrire dans cette cohorte - il n'en demeure pas moins
que, à mes yeux, votre choix en faveur de la défense publique ne prépare pas la
France à la concurrence européenne de demain.
La croissance de l'économie amènera avec elle, si tout va bien, entre 50
milliards et 60 milliards de francs de recettes budgétaires supplémentaires.
Vous proposez d'en consacrer un tiers à la réduction du déficit et deux tiers à
l'accroissement de la dépense publique. Tout en observant que la dette publique
est énorme - je cite M. Strauss-Kahn s'adressant à l'Assemblée nationale -,
vous proposez de l'augmenter de 10 milliards de francs en 1999.
La dépense publique est souvent nécessaire - on évoquait à l'instant les
dépenses régaliennes - et productive, j'en conviens. Mais où est la priorité
quand les dépenses de l'Etat ajoutées aux dépenses sociales représentent -
c'est le gouverneur de la Banque de France qui l'affirme - 54,1 % du PIB,
contre 48,2 % en moyenne dans les pays européens ?
Où est la priorité quand le niveau de la fiscalité pousse une partie de nos
élites à s'expatrier ?
Quand comprendra-t-on que l'impôt détruit plus d'emplois dans l'ensemble de
l'économie qu'il n'en crée ponctuellement à travers les programmes qu'il permet
de financer ?
Chacun d'entre nous le constate quotidiennement dans son département, un
nombre considérable de petites et de très petites entreprises qui pourraient
embaucher y renoncent, parce que, à force de réglementations et de charges, on
les en dissuade ou, pour être plus exact, on les en dégoûte. Nous sommes tous
depuis des années responsables de cet état de choses, c'est vrai. Raison de
plus pour, ensemble, changer radicalement de cap.
Et que dire de la création d'entreprises, dont on voit, notamment aux
Etats-Unis, qu'elle est le moteur de l'innovation et de la croissance mais qui,
en France, ne bénéficie, pour l'essentiel, que de bonnes paroles dans les
discours du dimanche ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le choix européen est un
choix fondamental.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est exact !
M. Jean-François Poncet,
président de la commission des affaires économiques.
De deux choses l'une
: ou bien nous en tirerons les conséquences fiscales, sociales, administratives
et universitaires qu'il implique, et la France surprendra l'Europe par la
vigueur de sa croissance et la force de son dynamisme ; ou bien, tout en ayant
fait le choix européen, nous nous replierons sur ce que nous appelons avec
fatuité « l'exception française », qui n'est, le plus souvent, rien d'autre que
le retard français, et nous mettrons tôt ou tard, par notre incapacité à nous
adapter, la construction européenne elle-même en danger. Car il n'y aura
d'Europe unie qu'avec une France forte et compétitive !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire
d'Etat, mes chers collègues, le débat sur les orientations budgétaires pour
l'exercice 1999 est notre quatrième rendez-vous de l'année avec le ministre de
l'économie et des finances. Je n'ai pas comptabilisé les rendez-vous que nous
avons eus avec vous, monsieur le secrétaire d'Etat, car nous avons l'habitude
de vous recevoir ; vous répondez d'ailleurs toujours aux invitations que nous
vous adressons.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a fait savoir,
voilà un instant, qu'il nous consacrerait sa journée. Je m'en réjouis et je
l'en remercie, sachant combien est particulièrement chargé son emploi du temps.
Je considère que sa présence
(Sourires)
marque tout l'intérêt qu'il porte, comme vous-même, au débat
d'orientation budgétaire, qui est une initiative sénatoriale. Nous avions
regretté que, l'an dernier, ce débat n'ait pas eu lieu.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Ce n'est pas de notre fait !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Après avoir manifesté notre très
large soutien à la mise en oeuvre de l'euro, modifié les statuts de la Banque
de France et débattu du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier, nous allons poursuivre ensemble notre réflexion sur la
politique économique de notre pays.
Je ne reviendrai pas sur l'excellente intervention de notre rapporteur
général, qui a très bien décrit la stratégie budgétaire que propose la
commission des finances, une stratégie, je le rappelle, qui n'a pas à être «
corrigée des variations politiques saisonnières »
(sourires.),
puisqu'elle est restée constante depuis de nombreuses années. Vous l'avez
fort justement rappelé, monsieur le rapporteur général. La position du Sénat,
en ce domaine, n'a pas varié, quels que soient les gouvernements en place.
Cette stratégie, je le souligne aussi, est très largement partagée par les
experts français et internationaux. Je n'en donnerai qu'un seul exemple, celui
de l'urgente nécessité de la maîtrise de la dépense publique, qui vient de
faire l'objet de quelques controverses, voilà un instant.
J'observe d'ailleurs que, si M. le ministre de l'économie se plaît à citer
régulièrement certains chiffres tirés de l'audit réalisé l'an dernier, au
moment de l'installation du Gouvernement, par MM. Bonnet et Nasse, magistrats
de la Cour des comptes, il ne reprend pas à son compte les conclusions de fond
de l'audit. Je devine que les contraintes inhérentes à la majorité plurielle,
dont nous avons eu quelques exemples tout récemment dans une autre assemblée,
ainsi que les promesses électorales récentes brident certainement le ministre
de l'économie, qui, j'en suis persuadé, serait sans doute tenté d'emprunter sa
pente naturelle de réduction des dépenses publiques, si j'en juge à ses
déclarations antérieures.
Mais que lit-on dans ce rapport d'audit des deux magistrats de la Cour des
comptes ? Tout simplement ceci : « Agir sur la dépense est le seul moyen de
réduire les déficits sans accroître des prélèvements obligatoires déjà très
lourds. » Et, plus loin : « Une maîtrise prolongée de la dépense publique
impose un réexamen en profondeur des missions de l'Etat. »
Autrement dit, la question est posée de savoir si l'Etat va demeurer dans le
secteur concurrentiel ?
Je pourrais également me référer à mon tour au Conseil de la politique
monétaire : « Un effort important de maîtrise des dépenses doit être poursuivi.
»
Le Gouvernement ne souhaite pas tenir compte de ces recommandations, pourtant
inspirées par la sagesse et le bon sens d'experts nationaux et internationaux.
C'est son droit, mais il en portera la responsabilité et il montrera peut-être
qu'il a des défaillances de mémoire. En effet, dès demain, sinon dès
aujourd'hui, les manuels d'histoire budgétaire retiendront comme question de
cours les conséquences désastreuses de la politique de « réhabilitation de la
dépense publique », comme on la baptisait à l'époque, conduite par M. Michel
Rocard, alors Premier ministre.
M. Michel Charasse.
Puis par M. Balladur !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Et si un sursaut ne s'opère pas
à bref délai, ils ajouteront un chapitre supplémentaire consacré, cette fois,
aux erreurs de la politique budgétaire du Premier ministre, M. Lionel
Jospin.
M. René Régnault.
Il ne faut pas rêver !
M. Michel Charasse.
Et entre les deux, rien ?
Quid
de M. Balladur ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ces vicissitudes budgétaires, si
elles restaient de portée franco-française, n'auraient d'autre conséquence - si
je puis dire - que de rétablir ce que nous avons connu dans le passé : le cycle
inflation-dévaluation. Mais le monde a changé plus vite que les éminents
experts budgétaires. Les retards que nous prenons aujourd'hui dans la maîtrise
de nos finances publiques se traduisent et se traduiront par des pertes de
compétitivité et des pertes d'emplois, car les facilités de l'inflation et de
la dévaluation nous sont aujourd'hui interdites du fait de notre entrée dans le
cercle des pays à monnaie unique.
Mes chers collègues, attention : nous prenons du retard dans la course à
l'euro, ce qui ne sera pas sans conséquences. Et les historiens ne comprendront
pas grand-chose à nos volte-face successives. En effet, pour préparer le grand
marché unique, nous avons accepté, parfois dans l'improvisation et la
précipitation, d'abaisser considérablement notre fiscalité, qu'il s'agisse de
TVA, de l'impôt sur les sociétés - le gouvernement de Pierre Bérégovoy avait
ramené son taux à 33 1/3 % pour l'harmoniser avec celui des autres pays
européens - ou qu'il s'agisse encore de la fiscalité de l'épargne.
Et aujourd'hui, pour préparer une échéance encore plus considérable, celle de
l'euro, nous procédons à un véritable « réarmement fiscal » - autorisez-moi
l'expression - dont seule la croissance, ô combien fragile, comme M. le
ministre et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, l'avez souligné à
l'instant, permet de masquer provisoirement l'importance, pendant que se creuse
l'écart entre nous et nos partenaires pour ce qui est de la maîtrise de nos
dépenses.
Je sais bien que les prélèvements obligatoires devraient « mécaniquement »
baisser en pourcentage de la richesse nationale, mais si leur part dans le
produit intérieur brut diminue, cela n'empêchera pas pour autant notre
fiscalité du revenu, de l'épargne et du patrimoine de demeurer aussi lourde
pour celles et ceux qui doivent l'acquitter. Les contribuables éprouveront
toujours quelque difficulté à oublier leur feuille d'impôt, elle bien réelle,
pour se consacrer à la lecture des tableaux de comptabilité nationale, eux bien
théoriques. Nous avons véritablement un double défi à relever - ce n'est pas
facile, j'en conviens ; il nous faut beaucoup de courage et de persévérance -
celui des dépenses et celui des recettes, indissolublement liées.
Le constat est simple : la part des dépenses publiques est de 54,1 % du
produit intérieur brut en France, contre 48,2 % dans l'Union européenne et loin
devant la moyenne du groupe des sept pays les plus industrialisés, qui
s'établit à 38,3 %.
Ces pourcentages semblent abstraits, traduisons-les en francs : pour
s'inscrire dans la moyenne de ses partenaires européens, la France devrait «
supprimer » ou « privatiser », sous une forme ou sous une autre, 480 milliards
de francs de dépenses publiques. Je sais bien que la nomenclature de l'OCDE est
critiquable, mais 480 milliards de francs, c'est une somme, et l'ordre de
grandeur doit nous faire réfléchir !
Quels que soient nos affrontements nationaux à venir, comme il est normal,
dans une démocratie, sur les trois réformes qui nous sont annoncées pour
l'automne - la fiscalité du patrimoine, la fiscalité écologique et la fiscalité
locale - j'en appelle solennellement à la lucidité : allons-nous continuer à
faire cavalier seul en Europe, alors que l'immense dossier de l'harmonisation
fiscale est ouvert, harmonisation fiscale qui devient chaque jour de plus en
plus urgente, notamment de l'avis des responsables de nos grandes entreprises
industrielles ?
J'attends d'ailleurs avec impatience que le Gouvernement tienne ses promesses
et diminue, comme il l'a annoncé, le taux de TVA de deux points. Le corps
électoral avait été sensible à cette annonce, qui vous a rapporté des voix,
monsieur le secrétaire d'Etat. Alors, dépêchez-vous de le faire...
Par ailleurs, il et techniquement difficile de modifier la taxe d'habitation
sans donner l'impression de créer un troisième impôt sur le revenu, qui serait
local, après l'impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée, On
serait tenté de dire : trop, c'est trop !
Mais il serait dangereux d'augmenter la taxe intérieure sur les produits
pétroliers appliquée au gazole sans abaiser à due concurrence celle qui frappe
le super sans plomb.
M. Philippe Marini.
Mais il faudrait choisir !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Voilà qui serait logique.
Enfin, il serait à proprement parler catastrophique - je n'hésite pas à
employer ce qualificatif - ...
M. René Régnault.
Un peu fort !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... pour nos petites et moyennes
entreprises d'inclure l'outil de travail dans l'assiette de l'impôt de
solidarité sur la fortune, comme cela est demandé par certains au sein de la
majorité plurielle.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est une folie !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
C'est nous qui le demandons, monsieur le président de la commission !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Vous voyez que je suis bien
informé !
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'attends une réponse. Mais elle ne saurait
tarder, s'agissant d'une question aussi importante. Oui ou non, êtes-vous
favorable à ce que l'outil de travail soit passible de l'impôt sur la fortune
?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Philippe Marini.
Il faut le savoir !
M. René Régnault.
Comme vous dites !
M. Jean Chérioux.
Que voilà une bonne idée économique !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Je suis convaincu que ni
vous-même ni M. le ministre ne souhaitez prendre une telle mesure. Comme nous
tous, vous savez que cela reviendrait à casser l'activité, à détruire ces
précieux emplois qui nous viennent des petites et moyennes entreprises et à
freiner, voire à détruire une croissance qui reprend à peine.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ne prenez pas une telle mesure !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
S'agissant précisément de la
politique de l'emploi, je me souviens que nous avaient été annoncées, l'année
dernière, des modifications considérables portant sur les aides à l'emploi afin
de financer les trente-cinq heures et les emplois-jeunes. Le rapport écrit du
Gouvernement, que nous pouvons consulter, est muet sur ce point. Comme il
s'agit d'une orientation essentielle et que, par ailleurs, les arbitrages sont
rendus, si j'en crois les informations données par les médias, nous aimerions
débattre avec le Gouvernement de ses orientations précises. Si je vous ai bien
compris, monsieur le secrétaire d'Etat, lors de votre audition devant la
commission des finances, le coût des trente-cinq heures et des emplois-jeunes
en 1999 serait de l'ordre de 20 milliards de francs, mais dans le cadre d'un
budget de l'emploi « maîtrisé » - je reprends le terme que vous avez employé -
ce coût serait gagé par des économies sur d'autres actions en faveur de
l'emploi, tout en préservant les prises en charge par l'Etat de cotisations
sociales afin d'abaisser le coût du travail. Sur ce dernier point, que je
partage, vous aurez l'occasion de manifester concrètement votre approbation,
puisque, lundi prochain, le Sénat examinera une proposition de loi tendant à
alléger les charges sur les bas salaires. Soyez donc assez aimable de dire à
Mme le ministre des affaires sociales que vous êtes d'accord, afin qu'elle
approuve cette disposition qui va dans le sens que vous avez indiqué.
Si mon interprétation est correcte, indiquez-moi, monsieur le secrétaire
d'Etat, les types d'actions - sans entrer dans le détail - qui verront leurs
crédits amputés, puisqu'il faudra réorienter, redistribuer 20 milliards de
francs.
Je poursuis mon analyse sur l'emploi en indiquant au Gouvernement
l'attachement du Sénat à l'abaissement du coût du travail peu qualifié, seul
moyen efficace de préserver et de créer des emplois dans les services de
proximité et les industries de main-d'oeuvre. Aujourd'hui, tous les experts
sont d'accord pour estimer qu'il s'agit de la seule piste d'action sérieuse et
efficace.
Tout récemment, j'ai lu une déclaration, que vous ne sauriez contredire, de M.
Fabius, président de l'Assemblée nationale, qui a occupé par ailleurs de hautes
responsabilités et qui sait donc de quoi il parle. Il disait : « Il faut
d'urgence, avec la croissance qui dégage quelques recettes nouvelles, abaisser
les charges sur les bas salaires dans le domaine des industries de
main-d'oeuvre. » Cette déclaration renforce encore notre démarche. Je regrette
que M. Fabius ne siège pas parmi nous, car il aurait pu nous aider lundi
prochain lorsque nous défendrons notre proposition de loi.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Cela prouve votre objectivité, monsieur le président
de la commission !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
La Commission de Bruxelles nous
enjoint même de consacrer toutes nos marges budgétaires retrouvées à cet
abaissement du coût du travail. Or - je le regrette - vous faites exactement le
contraire de ce qu'il faudrait faire : vous réduisez la ristourne dégressive
fusionnée ; vous augmentez le coût de la main-d'oeuvre par le décrochage du
SMIC de la réduction du temps de travail ; vous accordez des coups de pouce
répétés au SMIC, ce qui est socialement et humainement justifié,
disons-le,...
Mme Marie-Claude Beaudeau et M. Marc Massion.
Quand même !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Oui, mais on ne peut tout faire
à la fois, même si certains prétendent le contraire ; c'est une démarche
démagogique que je regrette.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
On ne peut pas tout avoir à la fois : le CAC 40 à plus de 4 000 points...
M. Jean Chérioux.
Aucun rapport ! C'est vraiment une assimilation absurde !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
On ne peut, en effet, à la fois
imposer l'outil de travail et lui demander un meilleur rendement !
Si c'est socialement et humainement justifié, cela a pour effet de détruire
des emplois existants et de freiner la création d'emplois nouveaux.
Toutes ces dispositions fiscales et sociales, prises au détour d'une
discussion budgétaire ou de l'élaboration d'un collectif, créent une
instabilité de la réglementation, dénoncée avant-hier, hier, aujourd'hui, et
peut-être encore demain. Mais il faudra y mettre un frein, car cette
instabilité de la réglementation ruine la confiance des chefs d'entreprise dans
la parole de l'Etat, et cela conduit parfois certains d'entre eux à profiter
des effets d'aubaine sans qu'apparaissent les conséquences positives liées aux
décisions prises par le Parlement et par le Gouvernement.
Il faudrait, en effet, convaincre nos brillants techniciens, ou technocrates -
mais je n'aime pas trop ce dernier mot - que les patrons de PME n'embauchent
que si le coût des salaires est prévisible à moyen terme. Dans le cas contraire
- on le constate en le regrettant - ils refusent des commandes et privilégient
l'automatisation des processus de production - ce que notre collègue Michel
Charasse évoquait l'autre jour en disant que la machine remplace l'homme dans
tous les domaines, ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis ou dans certains pays
d'Europe. En outre, les chefs d'entreprise ont tendance à délocaliser leurs
activités, surtout si celles-ci font appel à une main-d'oeuvre importante.
Je regrette donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que les orientations du
Gouvernement en matière tant de dépenses publiques que de prélèvements
obligatoires hypothèquent, de fait, l'avenir de l'emploi dans notre pays.
Les emplois-jeunes sont précaires. J'ignore quelle somme vous allez inscrire
dans le projet de budget pour 1999, mais, initialement, les emplois-jeunes
devaient entraîner une dépense de trente-cinq milliards de francs par an. Si on
ne retrouve pas ces 35 milliards de francs dans le projet de loi de finances
pour 1999, c'est donc que vous n'avez pas atteint le nombre d'emplois
espéré.
Je vais me laisser aller à évoquer une question qui me tient à coeur.
(Sourires.)
Les emplois-jeunes coûteront 35 milliards par an pendant cinq ans, la
politique de la ville - si j'ai bien lu le rapport de M. Sueur - quelque 30
milliards de francs sur une dizaine d'années et l'application de la loi
relative à la lutte contre les exclusions - qui était nécessaire - 52 milliards
de francs avec le concours des collectivités territoriales. Alors que l'on
trouve ces sommes extrêmement importantes pour financer ce que j'appellerai du
fonctionnement, des interventions, on ne trouve pas - tenez-vous bien ! - 2,5
milliards de francs pour finaliser le plan de financement du TGV
Paris-Strasbourg, qui est incontestablement une infrastructure très importante
pour l'avenir du pays.
(MM. Bernadaux, Chérioux et Trucy applaudissent.)
Je n'arrive pas à comprendre !
M. René Régnault.
Celui-ci ne desservirait-il pas les Vosges ?
(Sourires.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Bien sûr ! Vous n'êtes pas
chargé de défendre les Vosges, vous...
Je redoute même que les emplois-jeunes ne soient, en définitive, destructeurs
à terme d'emplois productifs.
J'en viens à la situation des finances locales. Elle appelle, de ma mart, un
certain nombre de commentaires, et plus encore d'interrogations.
Je remercie M. le ministre de l'intérieur, M. le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie, vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat au budget,
ainsi que M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de
la décentralisation d'avoir reçu, lundi dernier, les commissions des finances
du Parlement et les présidents des grandes associations nationales d'élus
locaux pour évoquer l'avenir des relations financières entre l'Etat et les
collectivités locales à la veille, nous ont-ils dit, du débat d'orientation
budgétaire.
Bien que les arbitrages soient presque tous effectués et les lettres plafond
dans quelques jours à la signature de M. le Premier ministre, cette première
réunion, disons-le, d'ailleurs cela a été reconnu - je parle sous le contrôle
de ceux qui participaient à cette réunion et qui sont parmi nous ce matin - ne
nous a guère éclairés sur les intentions du Gouvernement. Une telle
appréciation a en effet été partagée par tous les participants, quelle que soit
leur tendance. Je ne parle pas, bien sûr, des ajustements de détail, qui seront
débattus lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999, mais des
grandes options. En effet, si un tel débat dit d'orientation budgétaire a un
sens, c'est bien celui de nous éclairer sur les grandes orientations du
Gouvernement pour permettre d'établir un véritable dialogue.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les concours de l'Etat aux collectivités
territoriales seront-ils indexés sur la croissance, en tout ou partie ? En
effet, il a été admis, par tous les participants à cette réunion, que les
collectivités territoriales participent à l'augmentation de la croissance dont
chacun se félicite, à savoir entre 175 milliards et 200 milliards de francs,
soit à peu près 75 % de l'investissement public. Dans l'hypothèse selon
laquelle cette indexation aurait lieu, quelles contreparties seraient exigées
des collectivités locales ? Le versement du surplus des dotations résultant de
cette indexation serait-il conditionné par l'obligation pour les élus locaux de
prendre l'engagement, par exemple, de limiter, voire d'arrêter, toute
augmentation de la pression fiscale, ou de s'engager à investir, dans des
proportions à déterminer ?
Des mesures spécifiques - c'est un point qui nous préoccupe - sont-elles
envisagées pour assurer l'équilibre de la Caisse nationale de retraites des
agents des collectivités locales en 1999, ou bien ne restera-t-il aux
collectivités locales qu'à augmenter alors, faute d'interventions nouvelles,
les cotisations sociales ? Le principe de la surcompensation, décidé en 1985 et
qui a été par la suite terriblement combattu - M. Régnault ne me contredira
pas...
M. René Régnault.
Je continue à le combattre !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
M. Régnault appartient à votre
majorité, monsieur le secrétaire d'Etat !
Le principe de la surcompensation, disais-je, sera-t-il maintenu l'an prochain
dans toutes ses conséquences ?
Les dotations de l'Etat seront-elles recalibrées pour leur assurer un effet de
péréquation plus important ?
M. René Régnault.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Cette péréquation accrue
correspondrait-elle au franc le franc au produit de l'éventuelle indexation des
concours de l'Etat ?
Autant de questions que nous sommes légitimement en droit de nous poser au
moment où, dans nos collectivités territoriales, nous réfléchissons à la
construction de nos budgets pour l'an prochain. En outre, dans quelques
semaines, nous allons devoir, nous aussi, présenter nos orientations aux élus,
puisque lorsqu'on est maire ou président de conseil général, ou président de
conseil régional, c'est une obligation qui résulte de la loi.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, trois questions de fond, trois
orientations sur lesquelles le Sénat souhaiterait être informé dès à présent,
sans avoir à attendre les déclarations du Premier ministre, annoncées pour le 9
juillet, si j'ai bien compris ce qui nous a été dit l'autre jour.
Pour ce qui la concerne, la réflexion de la commission des finances est guidée
par quelques grands principes. J'ai la faiblesse de penser qu'ils sont simples
et efficaces.
Tout d'abord, le principe d'un engagement réciproque pluriannuel doit être
préservé. Ce pacte de stabilité entre l'Etat et les collectivités locales,
lorsqu'il a été instauré, a bien sûr été critiqué parce qu'il comportait des
imperfections, mais, aujourd'hui, aucun d'entre nous ne souhaiterait sa
disparition car il permet une prévisibilité des interventions de l'Etat et une
meilleure lisibilité de celles-ci. Il faut donc maintenir un engagement
réciproque pluriannuel.
M. René Régnault.
Réciproque, en effet !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ces dotations doivent être
indexées sur la croissance, à la fois au regard des dépenses dont les
collectivités locales n'ont pas la maîtrise et pour conserver à ces
collectivités leur rôle déterminant en termes d'investissement public ; je n'y
reviens pas, car j'ai donné tout à l'heure quelques indications sur ce
sujet.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si la réunion du 22 juin a eu un intérêt, c'est
bien celui d'avoir attiré votre attention sur la dérive des charges dont nos
collectivités locales ne peuvent assurer la maîtrise car elles leur sont
imposées : qu'il s'agisse, par exemple, de la mise aux normes européennes de
nombreux équipements et services, de la lutte contre les exclusions, de la
prestation spécifique dépendance, du contrat de plan de La Poste, qui
appellera, sans aucun doute, à contribution les communes, de l'aménagement des
lycées, ou des infrastructures. La liste est longue. Tous les participants à
cette réunion ont considéré qu'il y avait, dans chacun de ces domaines, des
dérapages au détriment des collectivités territoriales.
L'Etat, et il a tendance à l'oublier, est plus prompt à augmenter le coût de
la fonction publique locale qu'à indexer ses dotations aux mêmes collectivités.
On ne le soulignera jamais assez - M. le rapporteur général l'a fait mais j'y
reviens car la répétition peut avoir un effet pédagogique en permettant aux uns
et aux autres de retenir quelque chose.
(Sourires)
- le coût de l'accord
salarial de février 1998 sera, pour nos collectivités, de 4 milliards de francs
en 1999 et de 6 milliards de francs en l'an 2000. Pour fixer un ordre de
grandeur, je dirai simplement que le seul effet de cet accord salarial en 1998,
soit 1,5 milliard de francs, est à rapprocher de l'augmentation prévue pour
1998 de la dotation globale de fonctionnement, qui est de 1,45 milliard de
francs. Je serais tenté de dire que l'Etat reprend d'une main ce qu'il donne de
l'autre, encore que nous puissions débattre des chiffres, mais, dans le cas
présent, compte tenu de l'importance de ceux-ci, nous ne le pouvons pas.
Je conclurai mes observations relatives aux collectivités locales en faisant
justice des propos qui ont été tenus ici ou là, et qui sont parfois excessifs -
tout ce qui est excessif est insignifiant ! - sur la santé financière dite «
florissante » en 1997 de nos collectivités territoriales. Cette bonne santé
apparente tient aux décisions courageuses prises par le précédent gouvernement
en matière de rémunérations des fonctionnaires, aux effets de la renégociation
de la dette, à une compression des frais de fonctionnement, à des mesures non
reconductibles sur la CNRACL, et à des dépenses d'équipement limitées à 123
milliards de francs. Nous constatons déjà une réduction des investissements des
collectivités territoriales dans la mesure où une grande partie de leur budget
est dévorée par les mesures de fonctionnement qui incluent les mesures
sociales. Non, cette situation ne tient pas à une quelconque prodigalité
fiscale, puisque les taux des impôts locaux n'ont augmenté que de 1,3 % en
1997. Cette bonne santé apparente n'est que transitoire au regard des
évolutions prévisibles du coût de la fonction publique territoriale, des
charges de retraite, de l'achèvement de la restructuration de la dette, de
l'augmentation souhaitable de l'investissement et de la poursuite rampante des
transferts de charges.
Cette augmentation souhaitable de l'investissement local me conduit à
interroger le Gouvernement sur deux points.
Le premier point est de méthode : la commission des finances du Sénat, même si
elle est consciente des imperfections de l'exercice, souhaite vivement que la
présentation du budget de l'Etat en section de fonctionnement et en section
d'investissement, comme cela a été fait, soit fournie au Parlement à l'appui du
projet de loi de finances pour 1999. Le projet de budget apparaît ainsi, pour
la plupart d'entre nous, particulièrement lisible. Cette présentation montre
bien que nous continuons à financer des dépenses courantes par l'endettement,
ce qui est une facilité coupable dont les contribuables de demain - nos enfants
et petits-enfants - nous demanderont raison.
Cette facilité que se donne l'Etat de recourir à l'emprunt pour financer son
fonctionnement est fort heureusement interdite par la loi aux collectivités
territoriales, et il doit continuer à en aller ainsi. D'ailleurs, en cas de
manquement, une telle démarche serait à juste titre sanctionnée par les
chambres régionales des comptes.
Le second point est de fond : quelles sont les orientations du Gouvernement en
matière d'investissement civil de l'Etat ? En prenant en compte le budget
général de l'Etat, les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor, le
Gouvernement peut-il nous indiquer si, en volume ou en pourcentage, il entend
faire de l'investissement public une priorité ? Il me semble délicat de
discuter des options budgétaires de manière sereine et efficace si nous
n'obtenons pas une réponse précise, non sur les chiffres eux-mêmes, mais sur la
tendance, bref sur les choix politiques qui sous-tendent l'action du
Gouvernement. Pour la commission des finances, il ne saurait subsister aucune
ambiguïté : l'investissement doit cesser d'être la variable d'ajustement des
budgets successifs.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Très bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il doit être érigé au rang de
priorité, une bonne fois pour toutes. C'est la garantie de l'avenir des
générations futures.
Je conclurai mon propos en regrettant très sincèrement que le Gouvernement,
qui apparaît comme prisonnier d'engagements électoraux,...
M. Philippe Marini.
... contradictoires !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
... faits par certains des
membres de cette majorité plurielle, engagements d'un autre âge, se refuse,
pour le moment, à entendre nos conseils et nos suggestions. Le Gouvernement ne
procède pas, ou trop lentement, aux ajustements indispensables, que ce soit
pour la politique de l'emploi, pour la politique fiscale, pour les effectifs de
la fonction publique ou pour la maîtrise des dépenses.
Ainsi, M. le ministre de l'éducation nationale ayant dit qu'il fallait «
dégraisser le mammouth » - l'expression est de lui, non de moi ! - j'attends
ses propositions de dégraissage. Voilà un exemple !
M. Philippe Marini.
Ou alors, c'était une parole maladroite ! Il faudrait le savoir !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Or, l'opinion publique prend
bien sûr tout cela en compte.
Mes chers collègues, que cela plaise ou non, nous sommes tous « embarqués »,
si je puis dire, dans la grande aventure collective de l'euro. Seul le succès
de notre pays doit nous importer. Et il n'est pas besoin d'être grand clerc
pour deviner aujourd'hui que des bouleversements formidables vont s'opérer à
bref délai. Notre procédure budgétaire, nos petites astuces de présentation des
comptes, notre système fiscal et notre niveau de dépenses vont être soumis à de
fortes pressions.
Nous avons la chance depuis le dernier trimestre 1996 - j'insiste sur cette
date - d'avoir renoué avec une certaine croissance. C'est le moment ou jamais
d'entamer les ajustements indispensables qui ont été rappelés par M. le
rapporteur général. Nous ne devons pas rater cette « fenêtre de tir » à l'heure
même où des menaces sérieuses se profilent en Asie. Lors de la discussion du
projet de budget pour 1998, monsieur le secrétaire d'Etat, j'avais exprimé des
craintes à cet égard, et vous m'aviez alors répondu que les difficultés étaient
derrière nous ! Non ! Elles sont en fait devant nous ! Voyons la situation du
yen et du yuan, ainsi que tout ce qui va se passer : des difficultés
financières en Europe de l'Est. Pouvez-vous me garantir, monsieur le secrétaire
d'Etat, qu'il ne va pas y avoir un effondrement financier en Russie ? Tout cela
ne sera pas sans conséquences sur l'économie européenne.
Devant cette situation, je souhaite que le Gouvernement entende l'appel du
Sénat. Cet appel est dicté non par des considérations partisanes mais
simplement par la volonté de toutes et de tous, ici, de servir le pays dans son
destin européen.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le
président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parlant en tant
que président de la commission des affaires culturelles, je pense exprimer
l'opinion d'une large majorité de cette dernière.
Bien sûr, nous nous réjouissons tous - cela a déjà été dit et je l'indique à
mon tour - de l'amélioration de la conjoncture, de ses retombées positives sur
notre économie et sur nos finances. Mais nous ne devons pas pour autant
relâcher l'effort entrepris, dans une période moins faste, pour définir une
politique des finances publiques à la fois prudente et dynamique : prudente,
parce que l'union monétaire, une économie ouverte, les évolutions
démographiques auxquelles nous serons bientôt confrontés nous l'imposent ;
dynamique, parce que nos marges de manoeuvre toujours étroites doivent nous
inciter à faire preuve d'imagination et à rechercher l'efficacité.
Nous devons contenir les dépenses publiques mais peut-être surtout les «
optimiser » et en planifier l'évolution.
Ces objectifs sont inséparables Ils requièrent le même effort d'évaluation des
actions entreprises, de réflexion sur l'allocation des moyens entre les
départements ministériels ou au sein de chaque administration.
Ils exigent aussi une réflexion sur la notion même de priorité et sur sa
traduction budgétaire.
Relayant les propos de M. le président de la commission des finances et de M.
le rapporteur général, je prendrai l'exemple de l'éducation nationale :
personne, et surtout pas le président de la commission des affaires
culturelles, ne niera que l'éducation est et doit rester une priorité.
Mais cela implique-t-il, monsieur le secrétaire d'Etat, que le budget de
l'éducation nationale, qui est déjà, et de très loin, le premier budget de
l'Etat, doive automatiquement bénéficier chaque année de considérables
augmentations ?
Le problème du nombre et du redéploiement des postes d'enseignants doit-il
être considéré comme un sujet tabou, quelle que soit par ailleurs l'évolution
des effectifs d'élèves et d'étudiants ? Est-il impensable de remettre en
question le montant des crédits d'heures supplémentaires ? Est-il déplacé de
s'interroger sur le nombre et le coût des emplois-jeunes, sur leur utilisation
et sur le devenir de leurs titulaires ?
Nous assistons, dans le domaine de l'éducation, à un foisonnement de projets
de réforme, dont certains sont d'ailleurs sympathiques. Néanmoins, ne
devons-nous pas nous étonner, à ce moment de notre débat, que leurs incidences
budgétaires paraissent ignorées ou, en tout cas, ne soient jamais évoquées ?
Pour tout vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'avons pas
l'impression que l'on exige du ministère de l'éducation nationale le même
effort de rigueur que celui qui est demandé à d'autres ministères, pourtant
moins bien dotés.
Nous voudrions aussi vous rappeler que d'autres ministères concourent à
l'éducation et que toutes les dépenses d'éducation ne bénéficient pas d'un égal
traitement budgétaire. Je pense, bien sûr, à l'enseignement agricole, mais
aussi, par exemple, à l'enseignement maritime, qu'il ne faut pas négliger et
dont le devenir inquiète beaucoup les professionnels de la pêche.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes aussi conduits à nous
interroger sur la différence de traitement des « grands » et des « petits »
ministères lorsque nous constatons, par exemple, la situation du budget de la
jeunesse et des sports, qui apporte pourtant une contribution essentielle aux
priorités que sont l'intégration sociale et l'éducation à la citoyenneté.
L'optimisation de la dépense publique impose de privilégier, dans chaque
secteur de l'activité gouvernementale, les dépenses qui contribuent à la
réalisation des priorités économiques et sociales.
La priorité absolue est toujours l'emploi. Il faut donc privilégier les
dépenses créatrices d'emplois - de vrais emplois.
Pour m'en tenir aux domaines qui sont ceux de la commission des affaires
culturelles, je voudrais rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette
commission, en particulier sous l'impulsion et l'autorité de mon prédécesseur
Maurice Schumann, a toujours défendu les dépenses consacrées à la restauration
et à la mise en valeur du patrimoine, pour leur effet « démultiplicateur » en
termes d'investissement et pour l'enjeu qu'elles représentent en termes de
survie des entreprises et des métiers d'art.
Nous sommes confortés dans ce choix par une récente étude de la Commission
européenne qui met en évidence l'impact de la politique du patrimoine sur la
valorisation du tourisme, sur l'emploi et sur les rentrées fiscales.
La priorité accordée aux dépenses culturelles doit porter plus
particulièrement sur les crédits que je viens d'évoquer.
L'optimisation des dépenses impose aussi de veiller à la « productivité » des
services publics, et donc de réfléchir sur le meilleur emploi des moyens. Cette
réflexion progresse encore lentement, et l'éducation nationale en est un
exemple.
L'administration de l'éducation nationale invoque à juste raison, depuis un
certain nombre d'années, le principe de la « discrimination positive » qui
inspire notamment la politique des zones d'éducation prioritaire. Mais en
tire-t-on vraiment toutes les conséquences possibles dans les zones qui ne
relèvent pas de ce principe ? Je crains que non.
Je voudrais me féliciter, monsieur le secrétaire d'Etat, que les conclusions
du rapport de M. Philippe Meirieu, dont on a beaucoup parlé, posent à nouveau
la question de la définition des obligations de service des enseignants. Vous
conviendrez que ce sujet n'est pas sans incidence budgétaire quand on sait le
volume d'emplois et de crédits concernés !
Nous avions souhaité, dès 1989, que la revalorisation de la situation des
enseignants s'accompagne d'une révision de cette définition, qui est
manifestement obsolète et bien peu favorable - il faut le souligner - aux
enseignants des établissements « difficiles » et aux universitaires qui
s'investissent le plus dans leur mission.
Enfin, je voudrais rappeler que le Parlement devait débattre, ce printemps, du
plan social étudiant.
Je profite de ce débat d'orientation budgétaire pour vous indiquer, monsieur
le secrétaire d'Etat, que nous espérons disposer bientôt de quelques
indications sur les orientations de ce plan, dont nous souhaitons qu'elles
privilégient un meilleur « ciblage » des aides aux étudiants.
Mais nous souhaitons aussi être complètement informés des incidences
budgétaires de ce plan, dont l'application - nous n'en doutons pas - sera
étalée sur plusieurs années.
Cela m'amène, mes chers collègues, à évoquer la programmation des dépenses
publiques.
Le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire
propose, dans une de ces formules qu'affectionnent les technocrates, «
d'élargir l'horizon temporel de l'action publique ». L'idée est bonne, et nous
nous en félicitons. Nous espérons, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce souci
conduira le Gouvernement, en particulier l'administration des finances, à
surmonter ses réticences à l'égard des engagements pluriannuels et à développer
les efforts consentis en matière de planification des dépenses.
J'en reviens au patrimoine : pouvons-nous espérer qu'une nouvelle loi de
programme sur le patrimoine monumental sera présentée au Parlement ?
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Adrien Gouteyron,
président de la commission des affaires culturelles.
Même si elle n'a pas
toujours, hélas ! été strictement respectée, cette programmation a, nous
semble-t-il, fait la preuve de son utilité. Elle représente un gage de la
continuité de l'action de l'Etat, particulièrement pour les entreprises, elle
accentue l'effet multiplicateur de la dépense consacrée au patrimoine, elle
incite à une gestion plus efficace des crédits.
Enfin, je voudrais rappeler que la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 -
il y a déjà dix ans, monsieur le secrétaire d'Etat ! - prévoyait la publication
annuelle, par le ministère de l'éducation nationale, de plans de recrutement
des personnels sur cinq ans.
Cette disposition n'a jamais été appliquée. Elle n'est d'ailleurs pas, j'en
conviens, facile à mettre en oeuvre. Il paraît néanmoins tout à fait
indispensable de développer un effort sérieux de planification des recrutements
des personnels de l'éducation nationale, au moment où les départs à la retraite
vont s'accélérer, où les évolutions démographiques se stabilisent, où de
multiples réformes sont envisagées.
Il me semble, sur un sujet comme celui-là, que le Gouvernement n'a pas droit à
l'erreur et que le Parlement et les citoyens ont droit, eux, à une meilleure
information. Une planification susceptible de réduire les incertitudes et
d'éclairer les choix s'impose donc.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les marges de manoeuvre sont étroites, et cette
étroitesse peut être ressentie comme une contrainte. Mais, en nous interdisant
les délices d'un keynésianisme un peu simpliste, en nous imposant de nouveaux
efforts de rigueur et d'imagination, cette contrainte nous offre aussi une
chance nouvelle d'améliorer la gestion de nos finances publiques et la qualité
du service public.
La commission des affaires culturelles souhaite que le Gouvernement saisisse
pleinement cette chance !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après les excellentes
interventions de MM. Poncelet, François-Poncet, Gouteyron et Lambert, je
voudrais avancer une interrogation sur la nature du débat qui nous réunit et
vous soumettre trois observations de fond sur le rapport du Gouvernement et sur
les propos tenus par M. le ministre et par M. le secrétaire d'Etat.
Je formulerai d'abord une interrogation sur la méthode, car ce troisième débat
d'orientation budgétaire intervient dans un contexte très différent de celui
des deux premiers.
D'abord, notre participation à la mise en place de l'euro, tout comme les
engagements souscrits au titre du pacte de stabilité et de croissance de juin
1997, impose la référence au « besoin de financement des administrations
publiques », qui dépasse le cadre de la loi de finances et inclut les finances
des collectivités locales et de la sécurité sociale.
Ensuite, la réforme constitutionnelle du 19 février 1996 et la loi organique
du 22 juillet 1996 ont créé une seconde catégorie de lois de finances publiques
: les lois de financement de la sécurité sociale. Nous examinerons ainsi, à
l'automne, la troisième loi de financement de la sécurité sociale.
Le débat d'orientation budgétaire a donc changé de nature ; de fait, il est
devenu un débat d'orientation sur l'évolution des finances publiques.
Je constate que, parmi les quatre objectifs fixés par le Gouvernement pour
1999, trois concernent pleinement le domaine des finances sociales.
La stabilisation des prélèvements obligatoires est un voeu pieux si l'on
n'aborde pas les prélèvements sociaux, qui sont équivalents, en pourcentage du
PIB, à ceux de l'Etat et des collectivités locales réunis.
Quant à l'objectif consistant à ramener le besoin de financement des
administrations publiques à 2,3 % du PIB en 1999, il repose pour partie sur la
réalisation du quatrième objectif que s'est donné le Gouvernement, ramener à
l'équilibre le régime général de sécurité sociale.
Aussi, mes chers collègues, de deux choses l'une : soit ce débat reste un
débat d'orientation purement budgétaire, consacré aux dépenses et aux recettes
de l'Etat au sens strict et il est, à l'évidence, nécessaire d'organiser par
ailleurs un débat d'orientation sur le financement de la sécurité sociale - M.
Jacques Barrot, alors qu'il était ministre des affaires sociales, s'était
engagé à organiser un tel débat, qui n'a pas eu lieu en 1997 pour les raisons
que l'on sait et qui, à l'évidence, n'aura pas lieu non plus en 1998 - soit ce
débat d'orientation devient un véritable débat sur les finances publiques, et
il faut en tirer toutes les conséquences.
Pour ma part, je suis favorable à cette seconde solution, car elle est la
seule à prendre en considération le nouveau contexte dans lequel nous allons
entrer.
Mais l'organisation d'un tel débat d'orientation sur les finances publiques
supposerait que le Gouvernement puisse présenter de véritables orientations sur
ce que sera le projet de loi de financement de la sécurité sociale et que Mme
la ministre de l'emploi et de la solidarité, qui présente au nom du
Gouvernement ce projet de loi, soit partie prenante à ce débat.
Force est de constater que le débat d'aujourd'hui traduit une absence de choix
entre ces deux solutions possibles : les finances sociales y sont évoquées à de
nombreuses reprises, elles apparaissent même au coeur des objectifs fixés par
le Gouvernement, mais les analyses qui y sont consacrées sont très
insuffisantes. L'excellent document présenté par le rapporteur général de la
commission des finances souligne d'ailleurs les nombreuses « incertitudes » qui
demeurent, et, lorsqu'il emploie ce terme, c'est parce que son langage est très
châtié !
(Sourires.)
J'en viens à mes observations de fond, dont la
première, personne ne s'en étonnera, concerne l'emploi.
J'ai été très intéressé par la lecture des rapport que vous nous avez
transmis, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque la « stratégie budgétaire pour
1999 », évoquée dans le propos introductif à ces deux rapports, insiste sur les
trois axes de la politique économique du Gouvernement.
Deux de ces axes sont sociaux : rendre la croissance plus riche en emplois, et
favoriser l'insertion des plus fragiles. Il s'agit de la mise en oeuvre de
trois textes qui ont, autour des derniers mois - et tout récemment encore -
mobilisé la commission des affaires sociales : la loi emplois-jeunes, la loi
sur les 35 heures et le projet de loi contre les exclusions, dont, je l'espère,
nous viendrons à bout au cours de la session extraordinaire qui est
annoncée.
J'observe que le rapport du Gouvernement pour le débat d'orientation
budgétaire comporte un développement tout à fait intéressant concernant la
structure des dépenses de l'Etat, dont il est dit qu'elle s'est « rigidifiée au
fil des ans ».
Trois postes de dépenses - fonction publique, charge de la dette et
interventions pour emploi - représentent ainsi, à eux seuls, 88 % des recettes
fiscales. Or ce chiffre n'était que de 57 % en 1990.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Ces trois postes de
dépenses sont, certes, de nature différente, mais le Gouvernement a pris la
responsabilité de les agréger pour justifier la nécessaire « amélioration de la
qualité de l'intervention publique », faisant apparaître ainsi la réduction de
ces marges de manoeuvre.
Je relève, pour ma part, une contradiction entre ce constat et la
multiplication de dispositifs nouveaux. La charge future du plan emplois jeunes
ainsi que du dispositif qui accompagne l'abaissement de la durée légale du
travail aura d'ailleurs pour effet, hélas ! d'accroître cette rigidité que le
Gouvernement analyse pourtant avec tant de pertinence.
Quelle sera, dans ces conditions, l'ampleur des redéploiements qu'annonce le
Gouvernement pour financer ses priorités budgétaires ? Concerneront-ils
également le maquis des interventions pour l'emploi ?
Je relève au passage toute la signification politique qu'il y a à rapprocher
ainsi les dépenses de la fonction publique et les interventions pour
l'emploi.
De fait - et c'est là mon principal point de profonde divergence avec le
Gouvernement - je trouve que c'est une grave erreur pour le Gouvernement que de
privilégier l'emploi dans le secteur public et parapublic...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... - alors que nous
sommes, par rapport à nos partenaires de l'Union européenne, très surdotés de
ce point de vue - tout en négligeant les créations d'emplois dans le secteur
marchand.
Je regrette que la plupart des dispositifs qui ont été présentés depuis un an
favorisent le développement du secteur public alors qu'il faudrait, au
contraire, développer l'emploi marchand. L'application du plan emplois-jeunes
est, à cet égard, particulièrement révélatrice !
Quant à la loi sur les 35 heures, je ne veux pas y revenir, sinon pour vous
faire observer, mes chers collèges, que le dernier rapport présenté sur
l'application de la loi Robien a montré avec quel intérêt les chefs
d'entreprise et les partenaires sociaux avaient accueilli ce texte : près de 2
000 accords ont été conclus, intéressant plusieurs centaines milliers de
salariés et permettant des réorganisations, la sauvegarde d'un certain nombre
d'emplois et la création d'emplois nouveaux. Il est dommage que cette année
1997 soit ainsi isolée ! En 1998, en effet, les statistiques concerneront les
négociations liées à la loi sur les 35 heures. On a donc cassé là un
développement qui commençait à s'inscrire dans la réalité, changeant les
comportements, donnant un caractère dynamique à une création d'emplois liée à
la réorganisation des entreprises.
Je regrette, en un mot, que l'on en revienne à une logique du « tout service
public ».
Ma deuxième observation concerne l'équilibre du régime général de sécurité
sociale.
A trois lignes d'intervalle, le rapport du Gouvernement indique que
l'équilibre du régime général « doit être atteint en 1999 », puis que cet
équilibre « sera atteint en 1999 ». Aussi est-il difficile de déterminer si cet
objectif sera atteint tendanciellement - auquel cas il s'agirait d'une simple
prévision - ou si cet objectif sera atteint quoi qu'il arrive, c'est-à-dire au
prix de mesures de correction incluses dans le projet de loi de financement de
la sécurité sociale.
Certes, le rapport précise également que « l'amélioration prévue pour 1999
suppose que la maîtrise des dépenses sociales soit poursuivie », ce qui rend
hommage implicitement au plan Juppé et aux différentes mesures prises en
1996.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très juste !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
Or, depuis un an, le
Gouvernement s'est contenté de critiquer certaines de ces mesures, sans
d'ailleurs les remettre en cause. Le dialogue avec les professionnels de santé,
notamment avec les syndicats médicaux - on vient de le voir ! - n'a pas été
établi et la nécessaire réorganisation du tissu hospitalier a été retardée,
sous couvert d'un nouveau concept de « démocratie sanitaire » ; mais le poids
de l'hospitalisation publique pèse toujours autant sur nos chiffres.
Le Gouvernement a évoqué des « mesures de correction ». Quelles sont-elles,
mis à part le mécanisme tant décrié de reversement des honoraires ? Va-t-on
revenir aux mesures sectorielles « exceptionnelles » prises hors de tout cadre
conventionnel ou va-t-on, au contraire, réutiliser ce cadre ? Il y a là matière
à débattre, mais, comme il s'agit d'un des objectifs essentiels du rapport
économique et financier, il est bien clair que nous ne pouvons pas rester sur
notre faim.
Ma dernière observation a trait à la question des retraites.
Comme M. Gouteyron, qui l'a fort judicieusement relevée, j'ai trouvé très
intéressante la proposition tendant à élargir « l'horizon temporel de l'action
publique ». Quelle belle phrase ! Quel bel objectif, auquel on ne peut que
souscrire ! Il s'agit « d'anticiper les conséquences du choc démographique qui
se produira à partir de 2005 ». Et le rapport reprend, à cet égard, différents
tableaux d'un rapport publié en 1995 par le Commissariat général du Plan.
J'ai assisté, le 26 mars dernier, aux sixièmes rencontres parlementaires sur
la protection sociale, placées sous la présidence de M. Claude Evin, dont nul
ne conteste la compétence. S'y sont exprimés un certain nombre d'experts sur un
thème tout à fait d'actualité : « Comment assurer la pérennité de nos régimes
de retraite ? »
Après ce colloque et compte tenu de tout ce qu'ont dit ces experts, redemander
au Commissariat général du Plan un nouveau rapport sur les retraites me paraît
une démarche tout à fait inutile ! On connaît aujourd'hui parfaitement tous les
éléments de ce dossier, et nous savons qu'en 2005 le système explosera. Il
n'est plus question de faire des études : il faut maintenant passer à la
réalisation d'un certain nombre d'actions.
Le Gouvernement s'inquiète de la charge supplémentaire écrasante que
représenteront, dans dix ans, les pensions de retraite des fonctionnaires. Je
partage cette inquiétude, mais j'aurais souhaité qu'une esquisse de solution
soit présentée.
Je propose depuis plusieurs années la création d'un véritable régime de
retraite de la fonction publique distinct du budget de l'Etat, qui regrouperait
les trois fonctions publiques - Etat, hôpitaux et collectivités locales - et
qui permettrait de clarifier la situation en matière de prestations et de
cotisations. On me dit que cela aurait des conséquences tragiques, mais c'est,
à mon sens, une première réforme qui s'impose, car la clarification doit
précéder l'action.
Soucieux d'« anticiper l'avenir en France », le Gouvernement se réfère aux «
systèmes appropriés » qui ont été mis en place dans différents pays étrangers
sous la forme de « réserves pour les régimes de retraite par répartition ».
En revanche, rien n'est indiqué dans le rapport sur les fonds de pension et je
considère que ce n'est pas à l'honneur du Gouvernement actuel, monsieur le
secrétaire d'Etat, que de n'avoir ni abrogé ni appliqué la loi Thomas sur la
mise en place d'un certain nombre de ces fonds. Si le problème des retraites
est à ce point important et urgent, n'avoir rien fait depuis un an sur ce sujet
est certainement une faute dans un Etat de droit. Nous savons tous ici, quels
que soient les travées sur lesquelles nous siégons, que ce troisième étage est
nécessaire, moyennant, bien entendu, des frontières claires entre les régimes
complémentaires et ces régimes supplémentaires par capitalisation.
Quand je vois, aujourd'hui, l'importance des fonds de retraite étrangers dans
le capital de nos grandes entreprises,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... quand je vois
arriver dans ma commune des représentants des fonds de pension américains, qui
viennent acheter, créer ou développer des programmes de bureaux,...
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Dans la mienne aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade,
président de la commission des affaires sociales.
... je me dis que nous
sommes en retard, que nous ne prenons pas la voie de la mondialisation partagée
et que le Gouvernement doit donc agir, car on ne saurait se contenter de
dénoncer ce qui s'est passé avant ou de ne pas appliquer des textes votés par
le Parlement.
Si l'on veut apporter des solutions aux problèmes que posent nos régimes de
retraite, il faut aller à l'essentiel, à savoir aborder la question des
retraites des fonctionnaires, remettre à niveau tous les régimes particuliers -
chacun sait tout ce que recouvre ce concept de régime particulier ! - et, très
rapidement, mettre en place un troisième étage, car nous perdons du temps, et
plus nous perdons du temps, plus nous aurons du mal à équilibrer nos mécanismes
de retraite.
Il est en effet un point qui n'est pas abordé dans les documents officiels,
mais dont nous, parlementaires ou maires, connaissons la réalité, c'est que les
jeunes générations n'accepteront pas, dans cinq ou dix ans - soyez-en assuré -
de voir majorer leur taux de cotisation dans des conditions insupportables,
alors que la compétition sera plus vive, pour financer les retraites de leurs
aînés.
Nous serons alors face à un problème politique fondamental, et c'est parce que
j'en ai une claire conscience que je dis, aujourd'hui, que le projet dont vous
nous présentez les orientations n'est pas suffisant.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce que je voulais
dire en ma qualité de président de la commission des affaires sociales.
Je sais bien que nombre de nos concitoyens demandent à la fois la réduction du
poids des prélèvements publics et l'augmentation des dépenses publiques. Mais
c'est, précisément, lors de la discussion sur les orientations du budget qu'il
doit être possible de concilier ces deux aspirations. Or, ce qui manque dans
les orientations qui nous sont soumises, c'est l'indication d'un certain nombre
de réformes claires pour faire suite au diagnostic qui a été fait.
Sur le diagnostic, sur le constat, finalement, quelles que soient nos
orientations politiques, nous ne pouvons qu'être d'accord : et sur la
mondialisation, et sur l'importance de l'euro, et sur les problèmes cruciaux
qui se posent. Là où nous divergeons, c'est sur les méthodes. Le pire serait de
ne rien faire !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin,
président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes
chers collègues, ce débat revêt un intérêt tout particulier cette année, à
l'heure du lancement de la monnaie européenne. Au-delà de leurs difficultés
propres, les pays de la zone euro devront en effet démontrer leurs capacités à
gérer désormais leurs économies de façon coordonnée.
La mise en place d'une monnaie unique européenne constitue l'un des événements
majeurs de cette fin de siècle. Elle doit remédier à l'hégémonie du dollar et
limiter - nous l'espérons, tout au moins - les mouvements de spéculation.
Mais nous devons être conscients que l'euro appelle aussi une harmonisation
des politiques nationales européennes, en particulier - mes collègues l'ont
répété - des politique fiscales et sociales, afin d'éviter les distorsions de
concurrence.
La France et les pays européens doivent valoriser l'arrivée de l'euro sur la
scène monétaire internationale. La zone euro représentera environ 20 % de la
richesse mondiale et réalisera 20 % des échanges commerciaux dans le monde,
soit, je le rappelle, un poids comparable à celui des Etats-Unis.
Cette influence monétaire accrue devrait se traduire - je dis bien « devrait »
- par un accroissement du poids politique de cette zone euro dans le monde.
Mais il faut pour cela que la zone euro soit capable de faire entendre sa voix
sur la scène internationale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous indiquer, en particulier, dans
quelle mesure et selon quelles modalités l'Europe de la monnaie unique sera
désormais capable de s'exprimer d'une seule voix dans les forums économiques et
financiers internationaux tels que le G7 ?
L'élaboration du budget pour 1999 et la mise en place de la monnaie unique
bénéficient, malgré les fragilités qui demeurent et l'impact de la crise
asiatique, d'une conjoncture favorable.
Le retour de la croissance doit rapporter au budget de l'Etat, en 1999, plus
de 50 milliards de francs de recettes supplémentaires. Nous devons en profiter
non pas pour relâcher notre effort, mais, tout au contraire, pour poursuivre la
réduction des déficits et alléger le niveau très excessif - nos excellents
collègues de la commission des finances l'ont dit - des prélèvements
obligatoires.
Comment ne pas rappeler ici que les critères de Maastricht sont simplement des
règles de bonne gestion, des règles de bon sens que tout gouvernement devrait
appliquer ? Je pense aussi que la dépense publique ne devrait, en toute
hypothèse, pas augmenter plus rapidement que l'inflation et je regrette, à mon
tour, que telle ne soit pas l'orientation retenue par le Gouvernement.
Comment ne pas rappeler que l'endettement est une tentation dangereuse, qui
nous coûte chaque jour un milliard de francs pour régler les seuls intérêts de
notre dette, et que, bien entendu, toute augmentation du déficit budgétaire
accroît l'endettement public aux dépens des générations futures, qui devront en
assurer le remboursement ?
Pour l'heure, malgré les progrès accomplis au cours des dernières années, la
France demeure, en matière de réduction des déficits, à l'arrière du peloton
européen. Le retour de la croissance doit rendre plus aisée la poursuite des
efforts entrepris en la matière, tout en permettant l'indispensable réduction
de la charge fiscale, qui constitue une absolue nécessité.
Dans ce contexte, je tenterai très brièvement, monsieur le secrétaire d'Etat,
de tracer quelques pistes de réflexion dans le domaine des activités
régaliennes qui entrent dans le champ de la compétence de la commission des
affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
J'ai bien noté que ces activités ne figuraient pas parmi les secteurs
privilégiés constituant les priorités budgétaires retenues par le Gouvernement
pour 1999. Je ne conteste, naturellement, aucune de ces priorités. Je ne suis
pas davantage surpris - notre commission en a l'habitude ! - de ne pas y
trouver ce qui constitue la base de notre action internationale.
C'est malheureusement le cas depuis longtemps, monsieur le secrétaire d'Etat,
et je crains qu'il n'en aille encore ainsi dans l'avenir prévisible.
Mais, je le dis très tranquillement et très posément, il faudra bien un jour y
venir et accorder aux moyens essentiels de la présence de la France dans le
monde les ressources budgétaires qui lui sont indispensables, faute de quoi
nous aurons insidieusement, mais de manière irréversible, abandonné l'ambition
de notre pays dans le monde.
L'année 1999 verra, en ce domaine, la mise en oeuvre de l'importante réforme
de la coopération, qui doit se traduire par une véritable fusion entre les
affaires étrangères et la coopération.
Cette réforme d'envergure - nous en avons parlé ensemble, monsieur le
secrétaire d'Etat - est complexe puisqu'elle impose à la fois l'intégration des
services de la rue Monsieur et de ceux du quai d'Orsay, le regroupement
budgétaire qui en résulte, l'intégration des personnels, la transformation des
missions d'aide et de coopération, et, enfin, la transformation de la Caisse
française de développement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous savez les vives inquiétudes qui se sont
manifestées au sein de notre commission - toute sensibilités confondues, vous
avez pu le constater - quant aux conditions budgétaires de mise en oeuvre de
cette réforme.
Des économies sont naturellement attendues de ce regroupement, grâce à
l'élimination des doubles emplois et aux gains de productivité qui en
résulteront. Il me paraît toutefois évident que ces bénéfices ne seront pas
immédiats - c'est peut-être sur ce point que nous divergeons - et qu'il serait
donc très imprudent de vouloir en quelque sorte tirer les dividendes de la
réforme dès 1999.
(M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Je vous vois sourire, monsieur le secrétaire d'Etat. En fait, vous
m'inquiétez, vous le savez !
En tout cas - c'est ma conviction - il y aurait un risque majeur de fragiliser
d'emblée une réforme difficile, qui risquerait d'être d'autant plus mal
acceptée que sa mise en oeuvre s'effectuerait dans un contexte de pression
budgétaire accrue.
Mais notre inquiétude va au-delà de ces conditions immédiates de mise en
oeuvre de la réforme. Elle porte sur l'évolution globale des dotations
budgétaires du quai d'Orsay et de la rue Monsieur. Elle pourrait même toucher à
la logique de cette réforme s'il devait apparaître que l'intégration de nos
actions en Afrique dans le cadre d'une vaste direction générale de la
coopération internationale et du développement dissimulait, en réalité,
contrairement aux discours officiels, un certain désengagement de la France sur
ce continent.
Pouvez-vous nous assurer, monsieur le secrétaire d'Etat, que tel ne sera pas
le cas dans le projet de loi de finances pour 1999 ? Disposerons-nous, enfin,
d'un document de synthèse, compréhensible pour le sénateur de base, évaluant,
pays par pays, le poids de notre aide au développement et qui permettra au
Parlement d'apprécier tout à la fois les évolutions et les redéploiements
nécessaires ?
J'évoquerai enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, car j'aimerais beaucoup vous
entendre sur ce point, les crédits militaires. J'aurais peut-être pu m'en
dispenser, malgré le poids qu'ils représentent, puisque le Gouvernement a
conduit, pendant de longs mois, dans le silence de sa capacité de réflexion,
une revue des programmes d'équipement militaire.
Les conclusions de cet exercice interministériel, actées par le Président de
la République et par le Premier ministre, prévoient, je le rappelle, la
stabilisation, pour les quatre prochaines années, des crédits d'équipement
militaire à un niveau supérieur à celui de « l'encoche » très préoccupante qui
avait été faite par vous, en 1998, à l'exécution normale de la loi de
programmation militaire.
Je me contenterai de formuler brièvement pour terminer, trois observations,
étant entendu que j'escompte, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous
confirmerez que le projet de budget de la défense pour 1999 sera bien conforme
à ces conclusions de la revue des programmes, et cohérent avec les objectifs de
la loi de programmation.
Première observation : la stabilisation à 85 milliards de francs constants des
crédits d'équipement militaire est indispensable pour ne pas porter atteinte à
la réforme de notre défense dans son ensemble et à la cohérence entre les
missions assignées à nos armées et les moyens qui lui sont accordés.
L'équation sur laquelle repose l'équilibre de la loi de programmation est
ambitieuse, mais cet équilibre est aujourd'hui en danger. Il pourrait être
rompu par toute nouvelle réduction des crédits d'équipement. La marge de
manoeuvre dans l'exécution de la loi de programmation est d'autant plus faible
que le niveau des dépenses d'équipement retenu ne pourra être atteint que si
les crédits ouverts sont intégralement consommés. Et vous savez bien, monsieur
le secrétaire d'Etat, qu'atteindre un tel objectif est très difficile et
suppose un réglage extrêmement fin de la consommation des crédits militaires,
que seule une coordination entre services techniques et services gestionnaires
permettra d'obtenir.
Ma seconde observation sera pour vous demander, monsieur le secrétaire d'Etat,
les raisons de fond pour lesquelles le ministère de l'économie, des finances et
de l'industrie semble encore freiner le développement des commandes
pluriannuelles - j'en suis tout étonné - pourtant indispensables au bon
déroulement des programmes d'armement et largement pratiquées par nos
partenaires. L'exemple comparé de la gestion financière et des commandes de
l'
Eurofightet
- allemand, anglais, italien, espagnol - et de celles du
Rafale français, pour lequel nous attendons toujours la commande groupée de 48
avions annoncée par le précédent gouvernement, me paraît à cet égard tristement
éloquent pour mon pays.
Je conclurai enfin - et cela ne surprendra personne - en vous demandant encore
une fois, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque vous lisez, comme moi, le
grand journal du soir, que le Gouvernement s'engage à ce que les crédits
militaires ne soient pas affectés, en cours d'année, par des régulations
budgétaires. Si tel n'était pas le cas, en effet, l'engagement pris par le
Gouvernement à l'issue de la revue des programmes risquerait, naturellement, de
perdre toute valeur. De nouvelles annulations, source de mauvaise gestion,
compromettraient la réforme de notre défense dans son ensemble et ôteraient
toute crédibilité aux lois de programmation militaire. J'ajoute,
accessoirement, qu'elle réduirait également notre débat d'aujourd'hui à un
simple exercice de style.
J'ai, pour ma part, la conviction que le « décrochage » des budgets annuels
par rapport à la programmation et le « décrochage » des lois de finances
exécutées par rapport aux lois de finances initiales ne constituent pas,
monsieur le secrétaire d'Etat, une fatalité. C'est une affaire de volonté
politique. Je souhaite que ce soit celle du Gouvernement.
(Applaudissements
sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
Avant de vous donner la parole, monsieur le secrétaire d'Etat, je veux vous
indiquer que je devrai impérativement suspendre la séance à treize heures au
plus tard, car, à quinze heures, M. le président du Sénat doit prononcer son
allocution de fin de session.
Vous avez la parole.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, je veux dire aux cinq
présidents de commission qui se sont exprimés d'une façon ô combien argumentée
et ô combien sage, ainsi qu'à M. le rapporteur général, que je ne vois pas
comment, en quelques minutes, je pourrais rendre hommage à l'intelligence de
leurs propos.
Avec votre autorisation, je leur répondrai donc à la fin du débat ; ce sera
plus conforme au respect que je crois devoir à la qualité de leurs
interventions.
M. le président.
Nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze
heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures
cinq, sous la présidence de M. René Monory.)
PRÉSIDENCE DE M. RENÉ MONORY
M. le président. La séance est reprise.
6
ALLOCUTION DE M. LE PRÉSIDENT DU SÉNAT
M. le président.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, une
fin de session, c'est un moment important, émouvant, d'autant que, cette année,
un tiers de nos collègues sont renouvelables. Certains se représentent,
d'autres pas - j'y reviendrai tout à l'heure. C'est donc avec un sentiment
particulier que je m'exprimerai en cet instant.
Je veux vous faire part de quelques chiffres importants : au cours de cette
session, nous aurons siégé 101 jours, soit 597 heures de séance publique, dont
333 heures pour le législatif, 103 heures pour le contrôle et 146 heures pour
le budget.
Quarante textes ont été approuvé : vingt-sept ont été adoptés en termes
identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat et, sur treize textes,
l'Assemblée nationale a eu le dernier mot.
Tous les textes importants, sauf le projet de loi relatif aux trente-cinq
heures, ont été déclarés d'urgence. Monsieur le ministre, nous le déplorons et
souhaitons qu'à l'avenir beaucoup moins de textes soient déclarés d'urgence.
Sur les 3 106 amendements déposés par des sénateurs depuis le mois d'octobre,
1 692 ont été adoptés, 45 % d'entre eux étant finalement retenus par
l'Assemblée nationale, ce qui n'est pas négligeable.
Malheureusement, nous aurons eu à connaître deux sessions extraordinaires :
une première s'est tenue au mois de septembre dernier et une seconde, assez
courte d'ailleurs, aura lieu en juillet. Cette dernière permettra sans doute de
répondre au désir du Gouvernement de mettre quelque peu à jour la
Constitution.
Nous avons eu pourtant quelques semaines calmes. Il nous faudra, pour
l'avenir, améliorer l'organisation de nos travaux. Si, certaines semaines, nous
avons été, sinon inactifs, du moins peu actifs, à d'autres périodes, nous avons
dû siéger de nuit - encore que des progrès aient été accomplis en ce domaine,
notamment lors de la discussion budgétaire !
Dans un autre ordre d'idée, je dirai que, parfois, le bicaméralisme a été
malmené. Ainsi, seulement un projet de loi sur cinq a été déposé en première
lecture sur le bureau du Sénat.
Toutefois, sur certains textes importants, l'Assemblée nationale a retenu des
amendements émanant du Sénat : sur le projet de loi de finances, sur les
projets de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier,
ainsi que sur les dispositions relatives aux allocations familiales.
En ce domaine, nous avions prévu qu'il faudrait revenir sur la décision prise.
Le Sénat a, là, joué un rôle !
Nous avons entendu quelques déclarations de M. le Premier ministre sur le
Sénat qui s'inscrivaient plus dans un contexte politique que dans le cadre d'un
raisonnement institutionnel fondé. C'est dommage ! Mais les choses sont en
train de s'arranger.
Ces déclarations n'ont pas été du goût des Sénateurs ni, surtout, du président
du Sénat. Je le dis car il faut dire tout ce que l'on a à dire.
Nous avons, quant à nous, essayé de favoriser les voies du dialogue et nous
continuerons à agir ainsi.
Nous serons ouverts à toutes les modifications possibles. Mais nous ferons
preuve de fermeté. Nous souhaitons vivement que tout se passe dans la bonne
humeur, dans la clarté et, surtout, dans le respect des uns et des autres.
La mission de contrôle du Sénat - et je veux insister sur ce point - a été
plus affirmée que par le passé. Mais les commissions d'enquête et les missions
d'information ne sont pas encore assez nombreuses à mon goût. Je souhaite que
leur nombre s'accroisse, car c'est le rôle du Sénat que de contrôler l'action
du Gouvernement et d'apporter des éclairages, non seulement pour le présent,
mais ausssi pour l'avenir. En ce domaine, nous avons encore beaucoup à
faire.
Les commissions permanentes ont beaucoup travaillé. Elles ont tenu 505
réunions et siégé 975 heures, ce qui est considérable.
Je remercie les présidents de commission d'avoir tant travaillé et avec tant
d'intelligence.
Je pense, par exemple, à M. Fourcade, qui, lors de la préparation du projet de
loi relatif aux trente-cinq heures, a accompli un travail colossal ! Nous
verrons, au moment de l'application de ce texte, le bien-fondé de nombre de ses
observations !
Cette mission de contrôle est extrêmement importante, je souhaite que chacun
d'entre nous en prenne conscience et puisse s'y livrer encore davantage.
Son accomplissement est difficile et prend beaucoup de temps. Mais je vous
assure que j'en constate les répercussions dans le public.
Le travail du Sénat est très apprécié ; on m'en parle souvent. On trouve que
le Sénat sert vraiment à quelque chose qu'il apporte une touche de calme, de
sérénité et d'intelligence au débat politique.
Mers chers collègues, je vous incite beaucoup à participer à ces missions et
commissions...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On n'est jamais si bien servi que par soi-même !
M. le président.
C'est ce que l'on me dit. Alors, je vous en fait part !
Des améliorations doivent être apportées à l'organisation de nos travaux, je
le disais voilà un instant.
Monsieur le ministre des relations avec le Parlement, nous devons essayer de
nous rencontrer plus souvent encore. Il y a aujourd'hui trop de vides et de
pleins dans notre ordre du jour !
Le déroulement de la séance de questions d'actualité au Gouvernement doit être
revu, pas tant en ce qui concerne les interventions des sénateurs, qui sont
raisonnables et dépassent rarement les deux minutes et demie qui leur sont
allouées, qu'en ce qui concerne celles des ministres, qui sont souvent plus
bavards. Ils lisent généralement des textes préparés par leurs collaborateurs,
des textes trop longs. Du coup, ces séances manquent souvent de spontanéité.
M. Alain Gournac.
C'est très vrai !
M. le président.
Mais nous pourrons, je pense, remédier à ce défaut. Nous nous y appliquerons,
car nous portons un grand intérêt à ces séances.
Je veux maintenant insister sur les réformes institutionnelles, car c'est un
sujet extrêmement important.
Nous nous rendrons à Versailles dans quelques jours pour une première réforme
de la Constitution.
A ce propos, je suis quelque peu inquiet du nombre de réformes
constitutionnelles qui sont déposées sur le bureau des assemblées.
Une réforme constitutionnelle est un exercice difficile. Pour moi, la
Constitution, c'est une sorte d'objet d'art, qui a été ciselé dans le passé par
des artistes et qu'il ne faut pas trop défigurer, remanier. Il faut y aller
prudemment.
Sur ce point, le Sénat exercera sa mission de surveillance et, éventuellement,
il modifiera les textes qui lui seront présentés. Il ne faudrait pas que, de
modification en modification de la Constitution, nous finissions par nous
retrouver dans une nouvelle République. Et cela risque de nous arriver !
(Aplaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains
et Indépendants et sur certaines travées du RDSE).
Nous verrons bien ! Le Sénat, qui a certains pouvoirs, en a beaucoup dans ce
domaine-là, et il pourra faire valoir son point de vue.
Il n'est pas question, pour nous, de tomber dans une opposition systématique.
Il faudra un dialogue.
Il n'en demeure pas moins que je suis très inquiet de la multiplicité des
propositions de réformes constitutionnelles ; il y a là une permanence dans
l'esprit du Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Et du Président de la République !
M. le président.
Je voudrais maintenant dire quelques mots sur ce qui nous attend pour les
prochaines années, et dès l'année prochaine.
Je souhaiterais que le Sénat mette en place des groupes de travail, notamment
sur le thème de la mondialisation, qui aura des conséquences sur nos vies, sur
nos institutions, sur l'Europe.
Je relève à ce titre que le Sénat a adopté l'euro dans des conditions tout à
fait correctes.
J'ai tenu plusieurs réunions en province ces derniers temps : l'une à Vichy,
l'autre à Auch, et je me rendrais prochainement dans le Cher. Au cours de ces
réunions, je suis toujours étonné par les questions que posent les maires et
nos concitoyens. La mondialisation, ils ne connaissent pas encore. C'est
compréhensible : peut-être l'information n'a-t-elle pas été assez complète dans
ce domaine. Il faut donc la compléter. Leur curiosité est grande.
La mondialisation, c'est, à mon avis, un thème qu'il faut aborder avec
précaution, mais c'est un phénomène irréversible. Au Sénat, nous devons
travailler sur le sujet pour voir ses implications, ses conséquences, car nous
pouvons contribuer à informer nos concitoyens.
M. Paul Loridant.
On peut leur apprendre la Bourse !
M. le président.
Nous leur apprendrons tout ce qu'ils auront besoin de savoir, mon cher
collègue !
Il faut que le Sénat soit à la pointe de la réflexion sur une évolution qui
laissera certainement sur le bas-côté de la route bien des personnes ! En
effet, la mondialisation va remettre en cause beaucoup de métiers existants.
Mais elle va aussi en créer de nouveaux. A cet égard, le Sénat a beaucoup à
dire. Sans doute faudra-t-il travailler sur l'association de ces trois mots :
mondialisation, exclusion et formation.
Il faudra - et je ne veux pas nuire là au ministère de l'éducation nationale -
décentraliser la formation.
A ce propos, je veux dire que le Sénat est une institution politique qui
travaille étroitement avec les collectivités locales - qu'il s'agisse de la
formation continue ou de la formation initiale. C'est grâce à cette
décentralisation que nous réduirons l'exclusion. Le Sénat peut, dans ce
domaine, jouer le rôle important qui est le sien.
Enfin, de grands textes nous seront soumis, sur lesquels nous serons parfois
en désaccord avec le Gouvernement. Mais nous représentons, aux termes de la
Constitution, les collectivités locales et le territoire.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
La Constitution ne parle pas du territoire !
M. le président.
Il est dit dans la Constitution que nous représentons le territoire, monsieur
Dreyfus-Schmidt !
M. Jean-Pierre Fourcade.
Absolument !
M. le président.
A l'avenir, nous serons donc vigilants, car le territoire représente, au-delà
du Sénat, une richesse extraordinaire pour les institutions. Il ne faut pas
galvauder le territoire. Il ne faut pas concentrer tous les habitants au même
endroit. Le bonheur n'est pas nécessairement dans la concentration ; il est
aussi dans la dispersion. Nous avons, là encore, un rôle considérable à
jouer.
Un important projet de loi sur l'aménagement du territoire nous sera
prochainement soumis, qui, sans doute, nous occupera beaucoup. Je vous
demanderai, mes chers collègues, d'être très vigilants, car ce texte
constituera un point d'orgue et le Sénat devra montrer aux collectivités
locales qu'il les représente avec efficacité.
(Applaudissements sur les
travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
Je voudrais maintenant m'adresser à ceux de mes collègues qui vont se
représenter. Je leur souhaite de revenir parmi nous.
Je veux remercier ceux qui vont nous quitter. Je m'adresse là à tous ceux qui
ne se représentent pas, sur quelque travée qu'ils siègent, car ce qui
caractérise cette maison, c'est sa convivialité transversale. Et je souhaite
que ce climat perdure.
Je remercie les vice-présidents. Ils me remplacent beaucoup plus souvent
peut-être qu'à leur tour, et ils le font, je crois, avec plaisir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est vrai !
M. le président.
La modification de la Constitution votée voilà quelque temps a facilité leur
tâche, puisque nous avons réussi à ne pas siéger plus de trois jours par
semaine, à l'exception d'un vendredi parfois et d'un lundi, mais très rarement,
et à ne siéger que peu de nuits.
La tâche fut donc moins lourde. Quoi qu'il en soit, les vice-présidents ont
été très dévoués, et je veux leur donner un coup de chapeau particulier.
Je remercie également les questeurs, qui gèrent au jour le jour cette maison.
Ils ont préparé cette année un bon budget, qui a été accepté hier. Vraiment,
ils apportent beaucoup à cette maison.
Je remercie également le bureau, qui se réunit régulièrement tous les mois.
C'est finalement « le patron » de cette maison, c'est lui qui prend toutes les
décisions. Ses membres sont très ponctuels, et le bureau se réunit toujours au
complet.
Monsieur le ministre, je voudrais aussi vous remercier, ainsi que vos
collaborateurs. Vous avez fait, je crois, tout ce que vous pouviez pour que les
relations entre le Gouvernement et le Sénat soient bonnes. De temps en temps,
nous nous sommes un petit peu « accrochés », ce qui est normal, mais je dois à
la vérité de dire que vous avez toujours tenté de mettre de l'huile dans les
rouages. Soyez-en vraiment remercié.
Je voudrais dire aux présidents de groupe combien ils sont précieux quand il y
a des problèmes. En effet, quand je ne sais pas quoi répondre à telle ou telle
question qui se pose, je les réunis. Ils sont toujours disponibles pour
m'apporter leurs lumières.
Je ne suis là que pour représenter les présidents de groupe, particulièrement
ceux de la majorité, puisque les présidents des groupes de l'opposition ne
diront pas exactement comme moi... Ceux de la majorité éclairent bien mon
chemin.
Je voudrais bien entendu remercier aussi les présidents des commissions
permanentes, qui, comme je le disais tout à l'heure, ont fait, cette année, un
travail exceptionnel. Ils ne sont pas toujours payés de retour, quand le Sénat
n'est pas suivi par l'Assemblée nationale ou qu'il l'est avec un certain
retard.
Le travail des commissions a, cette année, vraiment permis au Sénat
d'influencer l'opinion publique, et parfois le Gouvernement. Je tiens à dire
aux présidents des commissions permanentes qu'ils ont été formidables !
Je veux enfin remercier les fonctionnaires de la maison, tous les
fonctionnaires, de tous grades, qui ont eu à subir, si je puis dire, des
réformes internes importantes ; en effet, à la fin de l'année dernière, onze
directeurs ont changé d'affectation, une direction générale et deux directions
ont été créées. Les fonctionnaires ont accepté ces transformations avec
beaucoup de gentillesse, beaucoup de compréhension et même un grand sourire. Je
m'en réjouis, car, ainsi, cette maison se dynamise, et c'est tout à fait
important. Sans le dévouement de chacun, nous n'aurions pas réussi à moderniser
le Sénat comme nous l'avons fait dans les domaines des technologies nouvelles,
de la communication...
Grâce au service des relations internationales, des sénats se créent un peu
partout. Les fonctionnaires de ce service ont aidé à la création de sept sénats
en Afrique et en Europe centrale, et ils ont encore cinq ou six projets de
sénats sous le coude ! Il est important que le Sénat soit présent dans le monde
entier par l'intermédiaire de ses fonctionnaires.
Je félicite également les personnels des groupes parlementaires. Ils ne
rechignent jamais à travailler la nuit s'il le faut. Ils apportent leurs
conseils au président et aux membres de leur groupe ; ils sont toujours sur la
brèche. Je veux leur dire combien j'apprécie leur présence.
Enfin, je voudrais dire un mot aux journalistes.
Je souhaite qu'ils participent encore plus souvent à nos travaux : bien au
courant de nos travaux, ils pourront bien les répercuter ; ils feront savoir
que le Sénat, c'est le lieu où l'on est indépendant, tout en étant respectueux
des autres.
Nous sommes effectivement indépendants. Nous n'avons pas de leçon à recevoir.
Nous faisons notre travail, sans influence extérieure, en toute liberté
d'action. Parfois, un conflit nous oppose à X ou à Y, au Gouvernement... Mais
ce n'est pas grave. Nous arriverons toujours à avancer si vous êtes, messieurs
les ministres, compréhensifs à l'égard de nos propositions.
Personne n'a la science infuse, pas plus vous que nous. Mais le dialogue
politique est important. Quand on refuse le dialogue, les choses ne marchent
pas.
Je souhaite vivement que l'année 1998-1999 soit l'exemple même du dialogue
politique que la Constitution prévoit entre l'Assemblée nationale et le Sénat,
entre le Premier ministre et le Gouvernement, et le Sénat. Vous verrez que
dialogue ne veut pas dire opposition. Il veut dire amélioration des textes.
Merci à tous et bonnes vacances ! Elles seront repoussées de quinze jours,
mais, après, vous pourrez en profiter. Ce n'est pas moi qui vous les accorde,
c'est la Constitution !
(Applaudissements sur l'ensemble des travées.)
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, dans quelques jours, la première session
parlementaire qu'a connue le Gouvernement issu des élections de juin 1997
s'achèvera. Nous ne serons pas encore en vacances pour autant, puisque vous
savez qu'une session extraordinaire, demandée par le Premier ministre au
Président de la République, doit permettre d'achever nos travaux et de voter
définitivement le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les
exclusions et, pour l'Assemblée nationale, d'engager la réforme du mode de
scrutin pour les élections européennes.
Cet ordre du jour reflète bien la méthode parlementaire de ce gouvernement.
Dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, le Premier ministre
avait évoqué le respect des engagements pris devant le peuple français et
l'exigence d'une action réformatrice progressive, maîtrisée et inscrite dans la
durée, à l'écoute des Français, condition de son efficacité.
C'est ce que le Gouvernement a entrepris au Parlement, qui est redevenu le
siège privilégié et naturel de la vie politique française, non seulement parce
que le Gouvernement y trouve la source de sa légitimité, mais également parce
que les parlementaires sont étroitement associés à l'élaboration de la décision
gouvernementale, par exemple avec le débat d'orientation budgétaire qui vient
d'être organisé dans les deux assemblées.
Dresser le bilan d'une session parlementaire appelle immanquablement la
comparaison avec la session précédente. Or - faut-il le rappeler ? - la
configuration institutionnelle n'est pas comparable. Les comparaisons
pertinentes devraient s'effectuer avec la période 1988-1993.
Comme tout nouveau gouvernement, celui auquel j'ai l'honneur d'appartenir a
engagé de nombreuses réformes, qui se sont traduites par de nombreux textes
législatifs. Comme tout gouvernement issu d'une majorité différente de celle du
Sénat, ce gouvernement s'est davantage appuyé sur l'Assemblée nationale pour
faire voter ses réformes, ce qui a eu plusieurs conséquences sur l'utilisation
des procédures parlementaires.
Lors de cette première session, le Gouvernement a essayé de concilier un
rythme dense de réformes et le rythme particulier du Sénat.
Mon ministère s'est efforcé ainsi de « lisser » l'examen des textes afin
d'éviter les traditionnelles bousculades de la fin du mois de décembre et de
juin. Le Sénat pourra, après son renouvellement, commencer la session 1998-1999
dès le 13 octobre avec des navettes diverses.
Mon ministère s'est par ailleurs attaché à programmer le travail du Sénat sur
quatre, voire cinq semaines. Je reconnais que, si nous avons fait des progrès,
il en reste à faire si nous voulons répondre à vos voeux, monsieur le
président, de voir les travaux du Sénat programmés sur deux ou trois mois, ce
que ne permet pas toujours l'action gouvernementale.
Le Gouvernement a par ailleurs respecté la nouvelle organisation de la semaine
parlementaire sur les mardi, mercredi et jeudi, et n'a, hors la période
budgétaire, demandé et obtenu du Sénat que deux lundi, y compris lundi
prochain, et un seul vendredi. Autant que possible, le Gouvernement a essayé de
ne pas faire siéger le Sénat la nuit.
De même, et surtout, la limite des jours de séance fixée, depuis la réforme
constitutionnelle de 1995, à 120 jours, sera loin d'être atteinte : au 30 juin,
le Sénat aura siégé 103 jours seulement.
Ces éléments montrent la possibilité de concilier une forte activité
réformatrice et législative et un rythme de travail régulier et maîtrisé.
Après un an, on peut constater une large application des engagements de la
déclaration de politique générale du Premier ministre du 19 juin 1997.
Le bilan législatif comporte des réformes entreprises par le précédent
gouvernement et qui n'ont pu être menées à bien en raison de la dissolution.
Ont ainsi été adoptées, dans une orientation légèrement différente, la réforme
du service national, la loi d'orientation sur la pêche maritime et, différente
de façon plus substantielle, la loi d'orientation de lutte contre les
exclusions.
A ce propos, le gouvernement précédent avait annoncé, en juin 1996, que cette
réforme devait aboutir à l'automne 1996. Ce gouvernement a réalisé cette
réforme en trois mois. Cela a été possible grâce aux efforts du Sénat,
notamment en termes de calendrier. Le Gouvernement ne l'ignore pas.
Parmi les principales réformes annoncées dans la déclaration de politique
générale du Premier ministre et adoptées, on peut recenser la loi relative au
développement d'activités pour l'emploi des jeunes, discutée en moins d'un
mois, la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier, la
réforme du droit de la nationalité, les lois relatives à l'entrée et au séjour
des étrangers, à la réduction du temps de travail, à la commission du secret de
la défense nationale, à la répression des infractions sexuelles, enfin, et
surtout, à la lutte contre les exclusions.
L'autre catégorie de réformes proposées par la nouvelle majorité à l'Assemblée
nationale correspond à l'actualité plus ou moins immédiate. Je citerai : la loi
tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur
routier, la loi prévoyant le recrutement exceptionnel de magistrats, la loi
relative à la sécurité des activités sportives, la loi relative au
fonctionnement des conseils régionaux ou la loi déterminant les conditions
juridiques de la profession d'artisan boulanger.
Enfin, la dernière catégorie de réformes concerne la construction de l'Europe
: outre la modification du statut de la Banque de France, je mentionne la loi
organique permettant aux citoyens de l'Union européenne de participer aux
élections municipales ou la transposition de plusieurs directives, parfois
anciennes.
Dans le passé, vous avez souvent critiqué, monsieur le président, et à juste
titre, les lois votées à crédit. Aucune de ces lois n'encourt ce reproche.
Pour tous ces textes, je tiens, au nom du Gouvernement, à remercier le Sénat
de sa participation à l'amélioration de la qualité de la loi.
Nul ne conteste l'utilité du bicamérisme lorsqu'il s'exprime ainsi.
L'initiative parlementaire a pris une part importante dans l'activité
législative.
Vous avez souvent dit, monsieur le président, qu'il ne fallait pas trop
légiférer. J'abonde dans votre sens, car peu légiférer facilite aussi mon
travail, et celui de mes collaborateurs.
Il faut surtout légiférer à bon escient. C'est ainsi que le bilan quantitatif
des lois adoptées s'inscrit dans la moyenne, comme pour toutes les premières
sessions qui suivent une nouvelle législature.
Je veux rendre un hommage à la qualité de l'initiative parlementaire, qui a
été particulièrement développée cette session.
Sur les quarante-six lois qui seront définitivement adoptées d'ici à la fin de
la session extraordinaire, et hors conventions internationales, seize sont
d'initiative parlementaire, soit 35 %, un pourcentage rarement atteint. Sur ces
seize lois d'origine parlementaire, six proviennent du Sénat. La plus marquante
réforme profondément la sécurité sanitaire du pays, à laquelle vous étiez très
attachés.
Trois lois dont la discussion a été entamée sous la précédente législature ont
été votées conformes par le Sénat dans le cadre de la séance mensuelle réservée
à l'initiative parlementaire par l'article 48, alinéa 3, de la Constitution, et
une proposition de loi issue de l'opposition à l'Assemblée nationale a été
adoptée sans modification par le Sénat. On est donc passé d'une maîtrise
absolue de l'ordre du jour par le Gouvernement à une maîtrise partagée, comme
l'a voulu le Constituant en 1995.
Bien entendu, en raison de sa légitimité parlementaire, le Gouvernement a
souvent donné la priorité d'examen et le dernier mot à l'Assemblée
nationale.
Cela est normal lorsque les majorités des deux assemblées sont différentes.
Nous savons tous que la force de la Constitution de 1958, c'est sa souplesse,
et cela implique une double lecture du bicamérisme suivant le vote des
électeurs.
La procédure d'urgence n'a pas été utilisée pour tous les textes importants,
je pense notamment à la réduction du temps de travail. Même si elle l'a été à
plusieurs reprises, le Gouvernement l'assume, car, pour chacun de ces textes,
elle était justifiée, notamment par l'attente, de la part de l'opinion, de
réformes, longtemps différées ou très attendues.
Au demeurant, avec treize déclarations d'urgence pour les projets de loi, la
session qui s'achève peut se comparer avantageusement aux sessions précédentes.
L'urgence a été invoquée onze fois en 1996-1997, pour une session écourtée,
quinze fois en 1995-1996, vingt-huit fois en 1994 ! Le Gouvernement n'a donc
pas abusé de cette procédure.
Enfin, si de nombreuses commissions mixtes paritaires ont échoué et si le
dernier mot a été donné à l'Assemblée nationale, certaines réformes ont
rencontré l'accord des deux assemblées.
Sur les quarante-six lois qui seront adoptées d'ici à l'été, trente et une ont
été adoptées dans les même termes par l'Assemblée nationale et le Sénat, dont
six après accord en commission mixte paritaire. L'Assemblée nationale a statué
définitivement sur treize projets de loi et deux propositions de loi.
Nul ne s'en étonnera compte tenu des majorités opposées des deux
assemblées.
On notera cependant que des textes importants ont rencontré un accord en
commission mixte paritaire, vous l'avez d'ailleur rappelé, monsieur le
président : les textes relatifs à l'institution des agences sanitaires, à la
répression de la délinquance sexuelle, à la réforme de la Banque de France, au
transport routier, à la pêche maritime.
Enfin, j'insisterai particulièrement sur le pourcentage d'amendements du Sénat
repris par l'Assemblée nationale. Avec 45 %, ce pourcentage, naturellement
inférieur à celui de la session précédente, montre que le dialogue constructif
entre les deux assemblées existe malgré les divergences politiques, normales en
démocratie.
Par ailleurs, le Sénat garde des instruments de contrôle et les a pleinement
utilisés. Il les utilise même davantage aujourd'hui qu'hier.
Le contrôle traditionnel exercé par le biais des questions orales sans débat
et des questions d'actualité n'a pas démenti son intérêt. Dans la session
parlementaire, 6328 questions écrites ont été posées par des sénateurs à ce
jour et 5 226 réponses ont été apportées. Je sais que les délais sont parfois
trop longs. Je le répète souvent à mes collègues ministres, dont les services
sont parfois débordés : le courrier parlementaire doit être traité en priorité,
car vous êtes les interlocuteurs privilégiés des ministères.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Pendant la même période, 264
questions orales sans débat ont été posées, ainsi que 185 questions d'actualité
au cours de dix-sept séances dans chaque cas. Je pense que la présence des
ministres a été satisfaisante, même si elle peut encore s'améliorer.
En matière européenne, outre l'adoption de deux résolutions en séance publique
et de six en commission, trois questions orales avec débat ont rythmé les
travaux du Sénat.
Outre trois débats prébudgétaires et le débat d'orientation budgétaire, promis
dans la déclaration de politique générale de juin 1997, quatre débats ont été
organisés : sur l'accord multilatéral sur les investissements, la réforme de la
justice, le financement du TGV-Est et la toxicomanie.
Je relève, en revanche, une rupture avec la législature précédente en matière
de création de commissions d'enquête. Alors qu'aucune n'avait été constituée
entre 1993 et 1997 - il me semble pourtant que certaines matières auraient pu
bénéficier de l'intérêt et de la sagacité du Sénat - quatre commissions
d'enquête ont fonctionné de décembre 1997 à juin 1998, soit autant qu'en 1990
et 1991, qui avaient déjà été des années record dans le domaine du contrôle
parlementaire sénatorial. Les commissions d'enquête fonctionnent beaucoup au
Sénat lorsque la gauche est au pouvoir.
M. Josselin de Rohan.
Parce qu'il y a lieu de le faire ! C'est normal !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Depuis 1958, il y en a eu
vingt-cinq sur la gestion des gouvernements de gauche et seulement neuf lorsque
la droite était au pouvoir.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Enfin, preuve que le Sénat
n'est pas marginalisé, le bicamérisme égalitaire a joué et va jouer pour la
discussion des lois organiques et des réformes constitutionnelles proposées par
le Gouvernement avec l'accord de M. le Président de la République.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Eh oui !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
S'agissant des premières, j'ai
noté l'accord entre les deux assemblées sur la loi organique du 25 mai 1998
déterminant les conditions d'application de l'article 88-3 de la Constitution
relatif à l'exercice, par les citoyens de l'Union européenne résidant en France
autres que les ressortissants français, du droit de vote et d'éligibilité aux
élections municipales, alors que les points de vue étaient, au départ, assez
éloignés. J'espère que le dialogue sera aussi fructueux pour la loi organique
relative au cumul des mandats !
M. Alain Vasselle.
Ah, ça !
M. Josselin de Rohan.
Dites cela à vos amis de l'Assemblée nationale !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
Je ne peux que me féliciter des
discussions engagées entre les présidents des commissions des lois des deux
assemblées sur la première réforme constitutionnelle relative à la
Nouvelle-Calédonie. Elles doivent permettre de satisfaire aux exigences du
calendrier tout en donnant l'occasion au Sénat de faire valoir son point de vue
juridique sur le « rapatriement » des dispositions de la loi constitutionnelle
dans le corps même de la Constitution du 4 octobre 1958. Ainsi, le Congrès
pourra, vraisemblablement, se réunir à Versailles le lundi 6 juillet afin
d'adopter définitivement cette révision, étape importante dans le processus de
paix en Nouvelle-Calédonie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Très bien !
M. Daniel Vaillant,
ministre des relations avec le Parlement.
D'autres réformes
constitutionnelles sont en cours ou seront entreprises.
Alors que l'Assemblée nationale avait voté à une très forte majorité, dans
tous les groupes politiques, la réforme du Conseil supérieur de la
magistrature, le Sénat vient d'y apporter des amendements qui nécessitent une
deuxième lecture du texte à l'automne.
Le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les
hommes, adopté la semaine dernière en conseil des ministres, constitue un
élément important de la modernisation de la vie politique puisqu'il favorisera
une meilleure participation des femmes au fonctionnement des institutions de la
République. Il sera également abordé par le Sénat cet automne.
Enfin, j'évoquerai la réforme constitutionnelle préalable à la ratification du
traité d'Amsterdam, dont le Parlement sera également saisi à l'automne.
Le Sénat donnera, pour toutes ces réformes, son point de vue, lequel devra
être concilié avec celui de l'Assemblée nationale, et le Gouvernement
s'efforcera de rapprocher les positions.
La modernisation de la vie politique n'est pas achevée ; elle est juste
entamée.
Moderniser, c'est remédier aux anachronismes, adapter les institutions aux
réalités politiques et sociales qui permettront à la France d'entrer dans le
troisième millénaire.
Je suis persuadé que le Sénat, soucieux de modernité, comme en témoigne le
développement de l'utilisation des technologies de l'information en son sein,
ne s'exclura pas, le moment venu, de ce processus de modernisation qui concerne
tous les pouvoirs, l'exécutif, le judiciaire, comme le législatif, et toutes
les institutions.
Permettez-moi en conclusion, monsieur le président, de m'associer aux
remerciements que vous avez adressés au personnel du Sénat. Il lui a été
beaucoup demandé, et même si le Gouvernement s'est efforcé d'éviter les débats
s'achevant au petit matin, quelques séances ont occupé certaines de ses
soirées.
Aux sénateurs qui vont entrer en campagne électorale, je souhaite bonne
chance.
A tous, j'adresse mes remerciements pour le dialogue pratiqué entre les
ministres et le Sénat, la recherche commune de l'intérêt général qui a
transcendé parfois les clivages politiques, sans concessions réciproques, mais
dans le climat de courtoisie et de sérénité qui caractérise la Haute Assemblée.
(Applaudissements.)
M. le président.
Le Sénat va interrompre ses travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à quinze heures
quarante-cinq, sous la présidence de M. Michel Dreyfus-Schmidt.)
PRÉSIDENCE
DE M. MICHEL DREYFUS-SCHMIDT
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
FIXATION DE L'ORDRE DU JOUR
DE LA SESSION EXTRAORDINAIRE
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le ministre des relations avec le
Parlement une lettre en date de ce jour par laquelle le Gouvernement demande
l'inscription à l'ordre du jour de la séance du mercredi 8 juillet, à quinze
heures et le soir, de la nouvelle lecture du projet de loi relatif à la lutte
contre les exclusions.
Acte est donné de cette communication.
Je vous rappelle, par ailleurs, que la conférence des présidents du 23 juin a
fixé :
- au mardi 7 juillet, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des
amendements à ce projet de loi ;
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront dans la discussion
générale de ce texte les orateurs des divers groupes ; les inscriptions de
parole devront être faites avant dix-sept heures, le mardi 7 juillet.
8
DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE
Suite d'un débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
Nous reprenons le débat d'orientation budgétaire.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 57 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je
n'ai pas l'intention d'épuiser les trente-six minutes qui sont imparties au
groupe des Républicains et Indépendants, mais je tenais à m'exprimer au nom de
celui-ci, tout particulièrement en concertation avec mon collègue Roland du
Luart, qui devait intervenir cet après-midi mais qui a été retenu dans son
département.
Après avoir lu avec attention le rapport pour le débat d'orientation
budgétaire et après avoir écouté ce matin avec tout autant d'attention
l'intervention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
ainsi que la vôtre, monsieur le secrétaire d'Etat, je confirme que j'apporte
mon entier soutien à l'analyse faite par la commission des finances, à laquelle
j'ai l'honneur d'appartenir, et que je fais miens les propos tenus par M. le
président de la commission des finances et par M. le rapporteur général.
M. Fourcade, en particulier, a présenté tout à l'heure beaucoup des
observations que je souhaitais faire moi-même. Je ne les reprendrai donc pas,
même si ma modeste voix pouvait donner encore plus de force aux convictions
énoncées par le président de la commission des affaires sociales.
Ma contribution à ce débat s'articulera en quatre points.
En premier lieu, je ferai part de quelques réflexions sur la portée et la
signification du débat lui-même.
En deuxième lieu, j'aborderai la question de l'adéquation entre la proposition
d'équilibre budgétaire qui nous est soumise et la conjoncture. Cette adéquation
existe-t-elle réellement ?
En troisième lieu, rejoignant entièrement les propos de M. le rapporteur
général, j'évoquerai l'insuffisante maîtrise de la dépense publique, du déficit
et de la dette. C'est sur ce point que porte notre critique majeure et, comme
la République, monsieur le secrétaire d'Etat, elle est une et indivisible. Car
tout se tient : c'est évidemment parce que vous maîtrisez de manière
insuffisante les dépenses publiques que le déficit atteint un niveau excessif,
ce qui explique que la dette, malheureusement, n'amorce pas un mouvement de
régression.
Enfin, en quatrième lieu, je traiterai de ce que l'on pourrait appeler la «
vraie fausse réduction des prélèvements obligatoires ».
Ce débat, le Sénat l'a demandé. Un tel débat avait déjà eu lieu en 1990, ainsi
qu'au printemps de 1996. En cette fin du moi de juin 1998, nous nous
interrogeons cependant sur sa portée.
Je n'irai pas jusqu'à me demander, comme certains à l'Assemblée nationale ou
dans la presse, à quoi sert le débat d'orientation budgétaire. On a même parlé
de « débat de désorientation budgétaire » ! Mais c'est peut-être là une
critique excessive.
Disons tout de même que, pour une part, il intervient trop tôt et, pour une
autre part, trop tard.
Il intervient trop tôt puisque nous ne savons rien de la stabilité des
relations entre les collectivités locales et l'Etat : nous n'en serons informés
que le 9 juillet.
Il intervient trop tôt aussi en matière de recettes puisque nous ne saurons là
encore qu'en juillet quelles seront les orientations de la réforme fiscale et
des différents impôts.
Par ailleurs, il intervient trop tard puisque, d'après ce qui m'est indiqué,
les lettres de cadratage budgétaire sont à la signature. Or elles déterminent
complétement la physionomie du budget de l'année 1999.
Mais il y a plus grave, monsieur le secrétaire d'Etat : ce débat, on l'a déjà
souligné, porte sur l'« orientation budgétaire », au singulier. Cela signifie
qu'on ne vous présente pas des alternatives de choix politiques, avec les
avantages et les inconvénients respectifs des différentes solutions
envisageables. C'est d'ailleurs ce qui explique l'insatisfaction de la gauche
plurielle face à ce débat. A l'Assemblée nationale et en commission, plusieurs
représentants de cette gauche plurielle ont expliqué que l'on avait escamoté le
débat sur l'utilisation des ressources fiscales supplémentaires.
Pour nous, c'est-à-dire l'opposition, cette « petite musique » que nous
entendons, « cette politique budgétaire, la mienne, c'est la meilleure, et
c'est même la seule », est tout le contraire d'une invitation au débat
démocratique, où l'on présente des options et où l'on discute des avantages et
des inconvénients des différentes possibilités.
A cet égard, le débat sur les orientations budgétaires au niveau national est
en quelque sorte inférieur en qualité à ce qu'il peut être dans beaucoup de
collectivités régionales. Et si je dis cela, monsieur le secrétaire d'Etat,
c'est au fond pour vous inciter à faire mieux l'année prochaine, afin que le
débat soit encore plus riche.
Par ailleurs, on ne peut pas dire, comme je l'ai entendu ce matin : «
l'opposition aurait fait pire » ou « l'opposition ferait-elle mieux ? ». Cet
argument n'est pas recevable, car c'est vous qui assumez la responsabilité de
la politique économique et de la politique budgétaire, avec les atouts comme
les risques et les handicaps.
J'en arrive à mon deuxième point : l'adéquation par rapport au cycle
conjoncturel.
En résumant les explications très techniques qui figurent dans le rapport
déposé par le Gouvernement, on pourrait dire que votre doctrine et votre
pratique s'inspirent d'un néo-keynésianisme contra-cyclique. Sans doute est-ce
là langage de technocrate.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Académique !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
En clair, et pour faire simple, cela signifie que vous estimez qu'il faut
continuer à soutenir un peu la croissance, qu'il ne faut probablement pas aller
trop loin dans la réduction des déficits, tout en se recréant cependant une
petite marge de manoeuvre pour faire face au retournement de la conjoncture,
lorsque le taux de croissance atteindra, comme beaucoup d'experts le prévoient,
un niveau inférieur à celui que nous connaissons actuellement.
J'entendais encore ce matin à la radio que, selon certains experts, le
retournement du cycle allait intervenir dans les douze mois qui viennent et que
le taux de croissance descendrait jusqu'à 2,5 %. Vous avez retenu l'hypothèse
selon laquelle il serait plutôt de 2,7 %, et vous proposez donc d'utiliser
l'élasticité des finances publiques pour aller à contre-cycle, afin d'éviter un
ralentissement trop important.
Nous partageons, pour l'essentiel, cette analyse conjoncturelle, qu'il
s'agisse de 1997, de 1998 ou de 1999.
Nous pensons qu'il faut manifester une certaine prudence en raison de la crise
asiatique et de la crise en Russie.
Nous pensons aussi que l'investissement industriel ne progresse encore que
très lentement puisque la demande intérieure qui soutient la croissance résulte
plus de la consommation que de l'investissement.
Sur cette analyse de la conjoncture et sur l'objectif de réaction
contra-cyclique, nous pouvons tomber d'accord. Mais nous considérons que vous
n'allez pas jusqu'au bout de votre logique : vous faites preuve de beaucoup de
timidité et vous réduisez les marges de manoeuvre dont vous pourriez
disposer.
Pourquoi ne pas pousser plus loin la réduction du déficit ? Cela vous
donnerait tout de même des atouts supplémentaires et des armes plus efficaces
lorsque interviendra, hélas ! la phase du retournement conjoncturel.
Ne prenez pas prétexte de cette mise en garde que nous vous adressons pour
faire à l'opposition un procès d'intention en nous accusant de ne pas nous
réjouir suffisamment de l'amélioration conjoncturelle, d'accepter d'un coeur
léger l'existence du chômage ou de ne pas conforter tous vos efforts pour
redresser la situation des finances publiques.
En vérité, toutes les propositions que nous formulons sont inspirées par un
seul objectif : créer les conditions d'une croissance durable. Comment obtenir
cette croissance durable, au-delà du cycle conjoncturel ? En amorçant les
réformes structurelles susceptibles, à terme, de la garantir.
S'agissant maintenant de l'insuffisante maîtrise de la dépense publique, du
déficit et de la dette, dont il a déjà été beaucoup question, il est clair que
1 % de croissance en volume, c'est trop.
Vous aviez d'ailleurs fait beaucoup mieux en 1997. Pourquoi ne récidivez-vous
pas en 1998 ? Vous aviez réussi avec un budget que vous estimiez mauvais,
puisque c'était celui de votre prédécesseur, mais vous attribuez à votre
extraordinaire efficacité ce résultat tout à fait remarquable. Ce résultat,
nous le validons en vous invitant à faire aussi bien !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Très bien !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Et nous ne comprenons absolument pas pourquoi cette hypothèse de la
stabilisation des dépenses en volume n'a pas été étudiée et présentée dans les
orientations budgétaires, avec ses avantages et ses inconvénients. Voilà qui
donnerait lieu à un véritable débat d'orientation budgétaire !
Les rigidités de la dépense publique sont soulignées mais il n'est pas
question des moyens de les remettre en cause. Sur ce point, j'adhère totalement
à l'argument de M. le président Fourcade : comment pouvez-vous écrire que trois
postes de dépenses, l'emploi, la dette et la fonction publique, représentaient
57 % du budget en 1990 et qu'ils en représentent 88 % en 1998 sans en tirer la
moindre conclusion, la moindre proposition de réforme structurelle et d'action
? Je dois dire que la lecture de cette page de votre rapport nous a laissés
quelque peu pantois !
Pour ce qui est des redéploiements, tous ceux qui ont exercé des
responsabilités importantes et géré des budgets savent qu'il en existe trois
sortes : les redéploiements que l'on fait en silence - ce sont les meilleurs -
les redéploiements que l'on annonce mais que l'on ne fait pas, les
rédéploiements douloureux et qui ne sont pas acceptables politiquement.
Je crains fort, monsieur le secrétaire d'Etat, que les redéploiements que vous
annoncez dans le secteur de l'emploi, on ne les voie jamais. Or ils portent sur
24 milliards à 26 milliards de francs puisque c'est la réforme des systèmes et
des politiques d'aide à l'emploi qui est en cause.
S'agissant du déficit, ou plutôt du besoin de financement des administrations
publiques, la grande incertitude qui règne a été soulignée par le président de
la commission des affaires sociales et elle le sera tout à l'heure à nouveau
par mon collègue et ami Jacques Oudin : je veux évidemment parler du dérapage
des dépenses de la sécurité sociale.
Vous écrivez dans le rapport, et nous en sommes tout à fait d'accord, que la
signification de l'objectif de 3 % n'est plus la même aujourd'hui : c'est un
plafond. L'idée est sans doute d'arriver à 0 %, monsieur le rapporteur général.
Mais pour arriver à ce 0 %, il faut se donner comme objectif de passer par
l'étape de 1 % ! Franchement, dans les orientations budgétaires qui nous sont
présentées aujourd'hui, nous ne voyons pas pourquoi on s'arrête en chemin,
c'est-à-dire à 2,3 %.
Quant à la dette, pour la première fois, et j'en donne acte au Gouvernement,
elle est bien caractérisée : elle est trop lourde, elle est injuste, elle est
improductive, elle a un côté « boule de neige ». L'analyse est parfaite et,
monsieur le secrétaire d'Etat, évidemment, nous y souscrivons totalement. Mais
encore faudrait-il amorcer sa réduction, ce qui, vous le savez, ne serait
possible qu'à un taux voisin de 1,5 %. Rien n'est fait en ce sens et
l'endettement continuera donc à financer entre 90 milliards de francs et 100
milliards de francs de dépenses de fonctionnement, sans que l'on sache
exactement à quelle hauteur, puisque la distinction entre budget de
fonctionnement et budget d'investissement n'est pas établie, ce qui est
d'ailleurs normal, au stade actuel des orientations budgétaires. Nous vous
interrogerons de nouveau sur ce point au moment de la discussion du budget,
mais, d'ores et déjà, on peut estimer que ces dépenses continueront, en 1999, à
être financées par de l'endettement et de l'emprunt.
Au fond, on a une exception française ; on la trouve tout à fait satisfaisante
et l'on continue dans ce sens, alors que six pays européens ont à la fois
maîtrisé la dépense, réduit les déficits et diminué les impôts.
Transition immédiate et évidente pour le dernier point que j'aborderai
maintenant : la « vraie-fausse » réduction des prélèvements obligatoires.
Nous vous en donnons acte, monsieur le secrétaire d'Etat, les prélèvements
obligatoires sont réellement stabilisés. Vous allez peut-être y arriver ! Mais
ce sera une apparence statistique qui va se heurter à la réalité vécue par nos
concitoyens et au bon sens.
A supposer même que le taux des prélèvements passe de 46,1 points à 45,7
points, force est de reconnaître que nous ne sommes pas les meilleurs de la
classe et que, par rapport au taux moyen des pays de l'Union européenne - 41,8
points - il nous reste encore du chemin à faire.
Mais, quand on analyse la façon dont on parvient à ce résultat, on voit
immédiatement qu'il est dû à la croissance fiscale et aux bons résultats
escomptés de la sécurité sociale et des collectivités locales.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Pour l'instant !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
C'est quand même très aléatoire !
Dans son rapport écrit, M. Lambert dresse la liste des majorations successives
des impôts d'Etat : de l'ordre de 24 milliards de francs en 1997, 56 milliards
de francs en 1998, sans doute autant l'année prochaine. Telle est la réalité
!
Le plan relatif à l'impôt sur le revenu a été abandonné, la TVA n'a pas été
diminuée...
M. Claude Estier.
Par qui a-t-elle été augmentée ?
M. Jean-Philippe Lachenaud.
... et le quotient familial majoré, soit toute une série de modifications qui
vont dans le même sens : l'alourdissement des impôts. C'est ainsi que le
ressentent nos concitoyens. On a beau leur dire que, dans la comptabilité
nationale, le pourcentage des prélèvements obligatoires a baissé, ils
constatent que non seulement la masse des impôts a augmenté mais aussi que
chaque impôt pris un par un a augmenté.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ils le voient à leur feuille
d'impôt !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Effectivement ! C'est la raison pour laquelle il s'agit pour moi d'une «
vraie-fausse » réduction des prélèvements obligatoires.
A cela vient s'ajouter l'incertitude de la réforme fiscale.
Il est de tradition, dans les cours de finances publiques - nous avons
quelques souvenirs ! - de dire qu'il existe une contradiction entre trois
objectifs en matière de politique fiscale. M. le ministre n'en a donné que deux
ce matin : l'objectif de l'équité et l'objectif de l'efficacité économique.
Quant à l'objectif de rendement, je suis convaincu que vous ne l'auriez pas
oublié, vous, monsieur le secrétaire d'état !
Je n'ai rien entendu ce matin, en dehors d'une déclaration de principe de M.
Strauss-Kahn, qui puisse faire penser que l'on veillerait réellement à ce que
les nouvelles dispositions fiscales ne nuisent pas à l'emploi. Je n'ai pas non
plus ressenti une volonté dynamique de réforme fiscale, sur les trois chantiers
que vous avez annoncés, qui irait dans le sens de l'allégement des impôts.
M. Philippe Marini.
C'est le moins qu'on puisse dire !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Le premier objectif de la réforme fiscale est-il l'allégement des impôts et
donc des prélèvements obligatoires relevant de l'Etat ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Non, c'est le contraire !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Le Gouvernement manifeste-t-il une réelle volonté d'allégement fiscal ?
Plus fondamentalement encore, je m'interroge sur l'harmonisation des systèmes
fiscaux européens, harmonisation qui semble recueillir l'accord de tous. Au
fond, ce qu'il faudrait améliorer, ce sont les dispositifs favorables à
l'initiative individuelle, favorables aux entrepreneurs, favorables à la
création d'entreprises, à ceux qui créent réellement des emplois en France, à
ceux qui ont des possibilités de localisation, ou de délocalisation, qui ont
des possibilités de dynamisme et d'investissement. Plutôt que de rechercher une
équité fiscale qui pourrait conduire à des solutions contraires à l'efficacité
économique, je préférerais que l'on travaille sur les dispositifs qui doivent
être améliorés, notamment pour faciliter la recherche - vous l'avez fait l'an
dernier - ainsi que les initiatives des particuliers comme des entreprises.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, vous ne serez pas surpris que je
reprenne un des points essentiels, et très politiques, de la déclaration de M.
Strauss-Kahn. « J'ai de la chance », nous dit-il. Oui, et c'est tant mieux pour
la France. « Reconnaissez que je suis assez habile : j'aurais pu faire pire »,
poursuit-il. Nous le créditons, en effet, d'une très grande habileté.
M. René Régnault.
Comment l'interprétez-vous ?
M. Jean-Philippe Lachenaud.
M. le ministre a de la chance, il est très habile, et pas uniquement dans
l'expression. Mais fera-t-il quelque chose ? C'est la question que je pose.
Nous aimerions, nous, qu'il manifeste un degré supplémentaire d'activité. Mais,
pour ce faire, il ne doit plus être empêtré dans les contradictions de la
gauche plurielle, qu'il doit surmonter.
M. Michel Moreigne.
Cela n'ajoute pas grand-chose au débat !
M. Claude Estier.
Vous êtes bien placé pour parler de contradictions !
M. Paul Loridant.
Il n'y en a pas, à droite ?
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Il lui faut surmonter aussi quelques timidités et prendre résolument le chemin
d'une action budgétaire beaucoup plus dynamique.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez parlé d'équilibre dynamique, mais,
dans vos propositions, on ne trouve ni dynamisme ni équilibre ! Vous allez,
certes, dans le bon sens, mais pas assez vite, et pas assez loin.
M. René Régnault.
C'est déjà bien d'aller dans le bon sens !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
C'est mieux que de conduire les yeux fixés sur le
rétroviseur !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Un budget un peu plus équilibré, plus dynamique, c'est cela aller dans le bon
sens !
Nous considérerons le projet de budget, à l'automne, en toute liberté, mais
avec conviction, c'est-à-dire en cohérence avec les déclarations que nous
aurons faites aujourd'hui, à l'occasion de ce débat d'orientation budgétaire.
On nous a dit, ce matin, que nous allions plonger dans une contradiction. Il
est vrai qu'il serait délicat pour nous de préconiser, aujourd'hui, une baisse
de la dépense publique et de proposer, lors du débat budgétaire, des
augmentations sur tel ou tel chapitre. Mais ce ne sera pas mon cas !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il y a un précédent !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
Nous avons fait une première approche du prochain projet de budget. Nous
apprécierons, le moment venu, suivant quelles modalités, à quel niveau et
comment nous formulerons notre approche sur le projet de budget pour 1999, et
ce, encore une fois, en totale liberté.
Il y a un carré vertueux pour la croissance durable, dont un des éléments est
la stabilité de la monnaie, et, sur ce point, je vous donne acte de la
cohérence entre votre politique budgétaire et votre politique monétaire. C'est
important pour les taux d'intérêt, pour le financement de la dette et à
beaucoup d'autres égards encore.
Ce carré, c'est donc une monnaie stable, une dépense publique stabilisée, un
déficit et des prélèvements à la baisse. Monsieur le secrétaire d'Etat,
entrez-y carrément, dans ce carré vertueux !
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union
centriste.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous avons engagé aujourd'hui notre troisième débat d'orientation budgétaire,
le premier ayant eu lieu en 1990. La pérennisation d'un tel débat, demandée
depuis plusieurs années par les parlementaires, est une bonne chose, même si la
formule peut encore être améliorée.
La préparation d'un budget étant, bien sûr, étroitement dépendante du contexte
économique, je vais d'abord tenter d'analyser ce dernier.
Nous pouvons, je crois, considérer que la situation économique française est
aujourd'hui caractérisée par une croissance retrouvée et équilibrée, avec un
bon coefficient de pérennité.
La croissance a aujourd'hui clairement repris : après avoir été limitée à 1,2
% en 1996, elle a atteint 2,3 % en 1997 et elle devrait s'élever à 3 % en
1998.
La reprise européenne est l'une des causes de ce retour bienvenu de la
croissance, après plus de cinq années de conjoncture maussade, mais il est
évident que la politique suivie depuis un an a aussi sa part, et une grosse
part, dans cette évolution. Une seule série de chiffres l'atteste : en rythme
annuel, le taux de croissance s'établissait à 2,6 % au premier semestre de
l'année 1997 et atteignait 3,4 % au second semestre, alors même que, chez nos
cinq principaux partenaires européens, il ralentissait, passant de 3,2 % à 2,3
%.
Un ralentissement serait perceptible en ce début d'année 1998, qui serait la
conséquence d'une répercussion plus forte que prévue de la crise asiatique sur
le commerce mondial. Cependant, cela ne doit pas susciter de réelle inquiétude
s'agissant des trois points de croissance espérés, car la reprise de la demande
intérieure est aussi plus forte que prévue, en ce qui concerne aussi bien
l'investissement des entreprises que la consommation des ménages.
L'essentiel est que la croissance économique en France a, en effet, non
seulement changé de rythme, mais aussi de nature, de source. Au premier
semestre de 1997, le seul élément dynamique était constitué par les
exportations : la consommation croissait très faiblement et l'investissement
diminuait, alors qu'il augmentait déjà fortement chez nos partenaires
européens. Depuis l'automne, la consommation des ménages se consolide mois
après mois, alors que l'investissement des entreprises enregistre un sursaut
spectaculaire. La demande intérieure a ainsi progressé de 1,2 % au premier
trimestre de 1998.
Le gouvernement de M. Jospin mène, depuis un an, une politique qui a permis
d'introduire et d'accompagner ce changement de nature, alors que le
gouvernement précédent avait fait le choix de ponctionner les ménages français,
ce qui avait entraîné un essoufflement de la reprise en 1995.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Et vous poursuivez la même politique !
M. René Régnault.
Non, et la meilleure preuve en est que, depuis ce matin, vous ne cessez de
nous expliquer qu'il faudrait en changer !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Quel impôt avez-vous baissé ? Citez-m'en un seul !
M. René Régnault.
Le gouvernement socialiste a su, avec doigté, réussir un rééquilibrage en
faveur, monsieur le rapporteur général, du pouvoir d'achat et de la
consommation, tout en réduisant le déficit budgétaire. Les mesures de
redressement ont porté uniquement sur les grandes entreprises, qui
bénéficiaient de taux d'intérêt bas et d'un taux d'autofinancement élevé.
Plusieurs mesures de soutien au pouvoir d'achat et à la consommation ont été
prises telles que le transfert des cotisations sur la CSG ou la majoration du
SMIC, notamment.
Cette croissance retrouvée et équilibrée ainsi que les mesures volontaristes
prises par le Gouvernement ont d'ores et déjà des répercussions positives en
matière d'emploi : c'est l'objectif sur lequel nous devons réussir, car c'est
bien la priorité des priorités !
Le taux de chômage se réduit, il est déjà redescendu, passant de 12,4 %, en
1997, à 11,9 %. En tout, durant l'année 1998, on verrait 300 000 emplois
salariés créés, contre seulement 168 000 en 1997 et pratiquement aucun en
1996.
Pour 1999, l'ensemble des prévisionnistes prolongent, certes en les
infléchissant quelque peu, les tendances observées en 1998. Ainsi la croissance
serait-elle toujours soutenue par le dynamisme de la demande intérieure, mais
elle se ralentirait légèrement en moyenne annuelle, pour s'établir à 2,8 %,
selon le Gouvernement.
En fait, tout dépend des effets de la crise asiatique. Deux scénarios sont
possibles. Pour les uns, l'impact maximal du ralentissement résultant de la
crise asiatique est encore à venir, de sorte que la seconde moitié de l'année
1998 devrait être moins favorable que la première. Pour d'autres, et j'en fais
partie, l'effet ne serait guère plus important que celui que nous connaissons
déjà, de sorte que l'accélération de la croissance française devrait continuer
: l'année 1999 devrait être au moins aussi bonne en termes de croissance que
l'année 1998.
Permettez-moi alors un pronostic, tel que les prévisionnistes internationaux
l'ont formulé voilà quelques semaines au Sénat.
En effet, d'après un récent rapport intitulé « Perspectives à moyen terme de
l'économie mondiale », que j'ai pour ma part cautionné comme vice-président de
la délégation du Sénat pour la planification, il ressort que, sur la période
allant jusqu'à 2005, la croissance devrait demeurer constante et contenue dans
une fourchette de 2,5 % à 3 %, laquelle permet d'envisager un dégonflement du
nombre des chômeurs de l'ordre de 1 million.
Le contexte du budget 1999 est donc radicalement différent de celui des autres
budgets de la décennie, encore plus quand on sait que nous sommes désormais
dans l'euro, et donc dans une politique budgétaire coordonnée. Ce sera donc un
budget très important puisqu'il ouvre une nouvelle phase de l'action
gouvernementale.
Quels doivent être les principes susceptibles de guider notre politique
budgétaire ?
A court terme, il s'agit d'assurer la pérennité et l'équilibre de la
croissance - elle est aujourd'hui sur de bons rails - il faut financer les
actions prioritaires définies pour la législature, afin d'accroître l'emploi,
objectif principal et prépondérant de la politique économique.
A long terme, il s'agit de préparer nos finances publiques à des chocs
conjoncturels toujours possibles. Ce matin, M. le ministre de l'économie et des
finances y a d'ailleurs fait allusion, non pas avec habileté, mais avec un
esprit rationnel et une forte conviction.
M. Michel Mercier.
L'habileté n'est pas un défaut !
M. René Régnault.
Il s'agit aussi de préparer nos finances publiques à des enjeux structurels
tels que le financement des retraites, notamment, qui a été évoqué voilà
quelques instants.
C'est pourquoi le groupe socialiste du Sénat adhère sans réserve aux
orientations qui sont présentées par le Gouvernement.
La première d'entre elles, c'est la poursuite de la diminution des déficits
publics. Ceux-ci devront revenir à 2,3 % du PIB en 1999, dont 2,7 % pour le
budget de l'Etat, soit une baisse de 18 millions de francs correspondant à un
tiers des ressources nouvelles espérées. En l'an 2000, cet effort important
sera poursuivi afin que ces déficits passent sous la barre des 2 %.
Pour apprécier cet effort, il faut rappeler que voilà seulement un an le
déficit des finances publiques se tenait dans une fourchette allant de 3,5 à
3,7 %. Cette situation difficile avait d'ailleurs contraint - chacun s'en
souvient - le Président de la République à dissoudre l'Assemblée nationale.
Face à cette dégradation, qui n'était aucunement liée à la croissance, le
Gouvernement Jospin avait réagi et annoncé une série de mesures visant à
réduire le déficit de l'Etat de 0,4 % du PIB, soit la correction des dérapages
du budget de 1997.
L'objectif d'un déficit des finances publiques de 3 % avait ainsi été
conservé. Puis, la loi de finances pour 1998 a maintenu le déficit public à 3
%, ce qui, compte tenu de la disparition de la soulte de France Télécom - 35
milliards de francs, souvenez-vous-en - représente une nouvelle baisse de 0,5
%, c'est sensible, monsieur Lachenaud, et cela aurait mérité d'être signalé par
vous-même, voilà quelques instants.
Trois raisons militent en faveur de la poursuite de cette politique.
Première raison : il faut casser la tendance structurelle à la dégradation du
solde public apparue depuis vingt ans. Nos finances publiques basculent
rapidement, mais elles mettent de nombreuses années à se rétablir, et la
gestion du précédent gouvernement n'a pas amélioré la situation.
Deuxième raison : il est indispensable de stabiliser puis de baisser la charge
de la dette publique. Dès l'an 2000, le poids de la dette par rapport au PIB
diminuera. C'est important car elle absorbe aujourd'hui 20 % des recettes
fiscales, contre 12 % seulement en 1990. Cela réduit d'autant les actions
budgétaires et transfère aux générations suivantes une charge très lourde.
Troisième raison : il faut reconstituer nos « réserves » pour les périodes
plus difficiles - être un peu fourmi - en sachant que, du fait du pacte de
stabilité et de croissance, notre déficit public ne pourra plus dépasser 3
%.
Ainsi, en 1985, le déficit budgétaire était inférieur à 3 %, les dépenses de
l'Etat représentant 23 % du PIB. En 1998, il sera toujours de 3 %, mais les
dépenses de l'Etat représenteront 20,4 % du PIB.
En conséquence, il faut rechercher d'abord une croissance durable et soutenue,
qui permet une évolution suffisante des recettes et une réduction rapide et
pérenne des déficits. Les exemples étrangers le montrent aisément : après
combien d'années de croissance la situation des finances publiques des
Etats-Unis et du Royaume-Uni est-elle redevenue convenable ? Sept ans dans le
premier cas, cinq ans dans le second.
La France n'est qu'au début de son cycle de croissance : il ne faut donc pas
mener une politique budgétaire trop stricte, qui risquerait de réduire cette
croissance indispensable à la baisse des déficits.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Il n'y a pas de risque !
M. René Régnault.
D'autant que, comme le remarque d'ailleurs également M. le rapporteur général,
la politique monétaire, désormais conduite par la Banque centrale européenne,
pourrait se resserrer. Il faut donc poursuivre cet ajustement fin, excellement
réalisé par M. le ministre de l'économie et des finances, entre le soutien à la
croissance, la baisse du chômage et la réduction des déficits. Là réside un
retour durable à l'équilibre.
La deuxième orientation, c'est la stabilisation puis la réduction des
prélèvements obligatoires dans un contexte de fiscalité plus juste et plus
favorable à l'emploi.
Après avoir augmenté de plus de 2 points de PIB sous la précédente
législature, les prélèvements obligatoires devraient baisser de 0,4 point en
1998. L'objectif du Gouvernement serait de les stabiliser en 1999, pour les
réduire ensuite. Le groupe socialiste partage cet objectif réaliste. Les
baisses d'impôt non financées, comme celles de M. Juppé, doivent être
proscrites. En effet, on peut parler de baisse générale des impôts d'autant
qu'il en est question dans une loi de finances mais elle doit être financée. Il
est facile de promettre quand on ne prévoit pas les moyens correspondants !
En revanche, monsieur le secrétaire d'Etat, s'il y a des surplus de recettes
en 1998 - je crois qu'il en aura et c'est heureux - une baisse des impôts ne
pourrait-elle pas être engagée dès 1999 ? Reste à définir sur quels impôts ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Oui, lesquels ?
M. René Régnault.
Je pense qu'il faudrait faire un effort sur la TVA ou sur la taxe
d'habitation, c'est-à-dire sur les impôts les plus injustes.
Mais, le projet de loi de finances pour 1999 sera l'occasion de deux réformes
fiscales d'envergure : l'une sur la fiscalité du patrimoine,...
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
L'ISF ?
M. René Régnault.
... l'autre sur la fiscalité écologique.
S'agissant de la fiscalité du patrimoine, le groupe socialiste du Sénat
souhaite la réintégration dans l'assiette des oeuvres d'art et des biens
professionnels, avec des aménagements liés à leur spécificité.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Comme le Gouvernement ?
M. René Régnault.
Attendez ! Vous interrogez le Gouvernement depuis ce matin, il vous
répondra.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Nous sommes impatients de la réponse !
M. René Régnault.
Le groupe socialiste mène sa propre réflexion. Je vous ai dit ce matin qu'il
appartient à la majorité et que ses membres ne sont pas des « godillots ».
Ainsi, pour les oeuvres d'art, il serait possible de prévoir une imposition
forfaitaire au taux de 5 % de la valeur du patrimoine déclaré. Pour les biens
professionnels, il faudrait un taux forfaitaire très bas, après application
d'un abattement. Cette dernière réforme devrait s'accompagner d'un allégement
sensible des droits de mutation, et ce afin de faciliter la transmission des
entreprises au bon moment, pour assurer leur pérennité et donc celle de
l'emploi.
Les objectifs de la réforme seraient ainsi clairs : il s'agit non pas
d'augmenter les prélèvements, mais d'encourager la mobilité du capital et le
développement des entreprises, notamment petites et moyennes.
S'agissant de la fiscalité écologique, là encore, toute réforme fiscale devra
être réalisée à somme nulle. Si un nouveau prélèvement, dénommé éco-taxe, était
instauré sur le principe « pollueur-payeur », son produit devrait ainsi être
recyclé sous forme d'incitations fiscales en faveur des consommateurs ou des
entreprises.
Cela concerne notamment la fiscalité des carburants. Prenant acte des
conclusions du rapport de 1997 du Comité de la prévention et de la précaution,
relatif aux inconvénients sur la qualité de l'air et, partant, sur la santé des
Français d'une consommation de gazole excessive, nous soutiendrons la politique
visant à réduire le différentiel de taxation entre le supercarburant sans plomb
et le gazole.
Nous souhaitons également, comme nous l'avions proposé lors de l'examen de la
dernière loi de finances, que des aides fiscales soient prévues pour
l'équipement en véhicules propres.
Mais la fiscalité écologique, c'est aussi la fiscalité sur les ordures
ménagères. Je rappelle au Gouvernement qu'il est nécessaire d'instaurer un taux
réduit de TVA de 5,5 %, au lieu de 20,6 %, sur l'enlèvement et le traitement
des ordures ménagères, comme nous y autorise l'annexe H de la directive de
1992.
M. Philippe Marini.
Nous souhaiterions que cela soit prévu dans le prochain projet de loi de
finances !
M. René Régnault.
Voilà un point sur lequel nous pourrions être d'accord.
M. Philippe Marini.
Absolument !
M. René Régnault.
La troisième orientation, c'est le financement des priorités de l'action
publique dans un contexte d'amélioration de la qualité de l'intervention
publique.
En 1999, les dépenses de l'Etat augmenteront de 1 % en volume. Il s'agit de
financer les priorités mises en oeuvre depuis juin 1997 - emplois-jeunes,
réduction du temps de travail, lutte contre l'exclusion - et les choix
budgétaires. Les lettres de cadrage distinguent cinq ministères prioritaires
qui pourront voir leurs crédits augmenter plus vite que la moyenne des dépenses
de l'Etat : emploi et solidarité, justice, éducation, environnement,
culture.
L'opposition, qui critique fortement ce retour qu'elle qualifie de « laxisme
budgétaire », oublie que, sous la législature précédente, les dépenses
publiques ont augmenté, alors qu'elles baissent depuis 1997. En 1996, elles
sont passées à 55,2 % du PIB, contre 54,6 % en 1995. En 1997, elles sont
redescendues à 54,7 %.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Donnez-nous des chiffres en valeur !
M. René Régnault.
Les chiffres ? Je vous les donne, mais vous ne m'écoutez pas, monsieur le
rapporteur général !
Pour 1999, elles baisseront une nouvelle fois, et les dépenses de l'Etat
atteindront leur niveau le plus bas depuis vingt ans.
Là encore, l'opposition veut aller plus loin : il faut geler les dépenses. En
clair, il faut réduire les effectifs de la fonction publique. Mais M. le
rapporteur général omet de nous dire dans quels secteurs !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Cela viendra !
M. René Régnault.
Il ne fallait pas augmenter modestement les traitements des fonctionnaires, il
ne fallait pas financer des emplois-jeunes, il ne fallait pas financer la
réduction du temps de travail, il ne fallait pas financer les mesures contre
les exclusions... Et il ne faudra pas accroître les interventions pour la
ville, pour l'aménagement du territoire, pour le logement social... pour tant
de besoins encore mal satisfaits et que nos concitoyens expriment.
C'est un choix : le vôtre. Ce n'est pas le nôtre ! Son efficacité en termes de
réduction des déficits n'est pas certaine, je l'ai déjà démontré. En revanche,
son efficacité contre l'emploi, contre le pouvoir d'achat des Français, contre
la solidarité que nous devons aux plus fragiles, est certaine. Mais les
Français ont eu l'occasion de dire leur préférence, il y a un an, au vu des
résultats de votre politique.
Sauf à considérer que toute dépense publique est par nature improductive, il
faut maintenir une régularité dans l'évolution des dépenses...
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Il faut investir !
M. René Régnault.
... et savoir développer certaines dépenses quand celles-ci sont clairement
productives économiquement ou socialement. Il faut, et c'est ce que fait le
Gouvernement, réorienter les crédits afin que la dépense publique soit la plus
efficace possible.
Je voudrais, enfin, évoquer la situation des collectivités locales.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Ah !
M. René Régnault.
Dans ce domaine également, le budget pour 1999 est un budget de fondation
puisque le pacte de stabilité prend fin en 1998, alors que des réformes
fiscales devraient être élaborées.
Programmer pluriannuellement les évolutions des dotations aux collectivités
locales est une excellente idée. Mais, contrairement au pacte précédent, le
nouveau contrat devra être consensuel et permettre une évolution convenable et
suffisante des dotations de l'Etat aux collectivités locales.
Le contrat devra être consensuel, donc signé par les deux parties. Le diktat
imposé en 1995 a été une très mauvaise manière. L'Etat et les collectivités
locales doivent être partenaires confiants, de vrais partenaires, tant ils ont
à réaliser ensemble. D'ailleurs, ce contrat doit être complété par un
engagement de l'Etat sur la maîtrise des transferts de charges aux
collectivités locales et sur les ressources affectées en compensation.
Le contrat devra être convenable.
Il devra d'abord l'être dans sa définition. Un périmètre de pacte peut être
conservé, à condition qu'il n'incorpore plus des dotations passives, ce qui en
exclut la dotation de compensation de taxe professionnelle. De même, la
régularisation négative de la DGF doit être supprimée puisqu'elle contredit
l'objectif de stabilité assigné.
Mais un contrat convenable, c'est aussi un contrat qui permet aux
collectivités territoriales d'assumer leur rôle essentiel pour la cohésion
sociale, et de participer de façon déterminante aux investissements, aux
équipements publics, à la création d'emplois en soutenant des secteurs
importants comme le BTP ou l'environnement.
(Signes d'assentiment sur le banc des commissions.)
Vous voyez, nous
pouvons nous retrouver !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Il va voter avec nous !
M. René Régnault.
Non, c'est l'inverse, monsieur le président, mais j'apprécie tout de même !
Un contrat convenable, c'est encore un contrat qui redonnera à la péréquation
et à la solidarité entre les communes et entre les établissements publics de
coopération intercommunale une signification qu'elles n'auraient pas dû perdre,
et ce au travers de la dotation globale de fonctionnement des communes et des
intercommunalités, ou encore de la taxe professionnelle, en créant une taxe
professionnelle unique, en instituant un minimum de taxe professionnelle de 1 %
de la valeur ajoutée, en affectant la taxe professionnelle des grands
établissements, comme France Télécom et La Poste, au Fonds national de
péréquation.
Sans être exhaustif, un contrat convenable, c'est encore un contrat qui permet
de maîtriser les dépenses ; je pense ici, notamment, à la Caisse nationale de
retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, dont il conviendrait
de réduire la participation, non justifiée aujourd'hui, à la surcompensation
afin, notamment, de compenser la remontée des dépenses de personnel découlant
des accords salariaux intervenus.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ah !
M. René Régnault.
Un contrat convenable, c'est enfin un contrat par lequel l'Etat assume et
honore tous ses engagements en matière d'écrêtements, de dégrèvements,
d'exonérations sur les impôts locaux et s'engage, avant de faire peser toute
nouvelle charge sur les collectivités locales, à en étudier l'impact financier
et les moyens de les compenser.
M. Michel Mercier.
Comme avec la loi contre les exclusions !
M. René Régnault.
Le contrat devra être suffisant. Portant sur l'ensemble du périmètre, il devra
prévoir une indexation sur les prix,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. René Régnault.
... complétée par une part de la croissance d'au moins 50 %.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Michel Mercier.
De mieux en mieux !
M. René Régnault.
C'est cela qu'il faut faire ! Il faut défendre de bonnes causes pour avoir
raison au bon moment !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Si le Gouvernement ne le fait
pas, vous ne voterez pas pour lui !
(Sourires.)
M. René Régnault.
Si les collectivités locales doivent participer à l'effort de maîtrise des
dépenses publiques, il est indispensable qu'elles puissent remplir leurs
missions économiques et sociales et répondre aux nouvelles charges qu'elles
assument, notamment les emplois-jeunes, l'évolution salariale ou
l'environnement. Rappelons à cet égard que la rigueur du pacte précédent a eu
comme corollaire une baisse des investissements !
Le groupe socialiste est attaché à ce que les réformes touchant la fiscalité
locale soient menées à bien. La décentralisation devait ainsi être complétée
par la réforme d'impôts locaux qui cumulent de nombreux défauts, à savoir
l'injustice ou l'assiette anti-économique. Or rien n'est venu, sinon des
replâtrages constants qui ne satisfont personne, et surtout pas vous, monsieur
le secrétaire d'Etat au budget, qui êtes amené chaque année à prendre en charge
des compensations importantes.
Deux chantiers sont principalement ouverts : la taxe professionnelle et la
taxe d'habitation.
Sur le premier, il faudra toucher à l'assiette. Progressivement, car les
transferts risquent d'être importants, mais certainement, car il n'est pas
acceptable que les entreprises de main-d'oeuvre soient les plus lourdement
taxées. Ma préférence va en tout cas à une suppression de la part « salaires »
et à son remplacement par une part « bénéfices ».
Mais, surtout, il faut développer le prélèvement au niveau des structures
intercommunales. Ce sera l'objet d'un projet de loi qui sera prochainement
déposé. Je n'y insiste donc pas, sinon pour plaider en faveur de la mise en
place d'une taxe professionnelle unique pour les établissements publics de
coopération intercommunale à fiscalité propre.
Concernant la taxe d'habitation, je ne suis pas partisan de la multiplication
des exonérations et abattements divers, qui, un jour ou l'autre, risquent
d'être supportés par les collectivités locales.
Après avoir plaidé pour une taxe d'habitation au moins partiellement calée sur
le revenu, je dirai en conclusion que l'action du Gouvernement depuis un an,
telle qu'elle s'est traduite dans l'adaptation du budget de 1997 puis dans la
loi de finances initiale pour 1998, a su satisfaire simultanément réduction des
déficits publics, convergence avec les critères de Maastricht, relance sensible
et durable de la croissance et progrès social. Vous avez ainsi entraîné la
réconciliation de la France, notamment de ses forces vives, avec la
confiance.
Le groupe socialiste du Sénat vous soutient dans vos démarches. Il partage vos
choix. Il vous confirme sa volonté de vous accompagner de sa participation
constructive.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
pour la première fois depuis 1996, un véritable débat d'orientation budgétaire
permet aux parlementaires de s'exprimer sur la politique budgétaire et
économique menée par le Gouvernement.
Nous pouvons nous féliciter du renouveau de cette pratique, qui permet aux
deux assemblées de participer à l'élaboration du prochain budget. Une telle
initiative conduit, il est vrai, les parlementaires à être mieux informés des
perspectives gouvernementales pour 1999. C'est pourquoi nous profiterons du
temps qui nous est imparti pour formuler nos critiques et présenter nos
préférences.
En premier lieu, qu'il me soit permis d'attirer votre attention, mes chers
collègues, sur l'état général de nos finances publiques.
Aujourd'hui, la conjoncture économique paraît favorable : le rythme annuel de
croissance en France, qui s'établissait à 2,6 % au premier semestre de 1997, a
atteint 3,4 % au second semestre. De nombreux secteurs de la vie économique ont
vu leurs activités se dynamiser. C'est ainsi que l'on a pu assister non
seulement à une forte progression de nos exportations, mais aussi à un
redémarrage de la demande intérieure, c'est-à-dire de la consommation et de
l'investissement.
Pour que cela dure, encore faut-il restaurer plus encore la confiance des
ménages et celle de nos entreprises. Or ces dernières, malheureusement, sont
trop souvent la cible de politiques fiscales complexes, versatiles et
confiscatoires. L'outil de travail est surtaxé, freinant ainsi l'investissement
et l'emploi. Les lourdeurs administratives et le poids des charges sociales
n'encouragent pas véritablement l'innovation et la création d'entreprises,
seules garantes d'une croissance durable et profitable à tous.
Le redémarrage de l'investissement n'est que l'amorce d'un rattrapage car,
même si l'investissement industriel progressait de 10 % en volume cette année,
il resterait encore inférieur de 22 % à son niveau de 1990.
Néanmoins, si 1998 reste l'année de la reprise, 1999 risque de voir le taux de
croissance tomber à 2,8 % du PIB. Dans une telle perspective, il serait
souhaitable que le Gouvernement ne soit pas tenté par un alourdissement des
dépenses publiques et par une hausse des prélèvements fiscaux, qui méritent,
bien au contraire, une tout autre attention.
Les recettes pour 1998 seront en nette augmentation. Cette hypothèse est la
suite logique d'une croissance économique bien plus forte qu'elle ne l'avait
été les années précédentes. Au total, ces recettes auront progressé de 3,6
%.
Les mesures de redressement fiscal et financier ont permis de rétablir une
situation qu'un faible taux de croissance avait jusqu'à présent compromise. Les
recettes fiscales nettes ont été supérieures de 1,5 % aux prévisions
initiales.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il semble trop tôt pour
donner une explication précise à un tel résultat.
Il semblerait qu'il soit dû à de meilleurs encaissements de TVA et à la hausse
du produit de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Certes, nous ne
pouvons que nous en réjouir, mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt. En
effet, la structure des dépenses de l'Etat s'est fortement rigidifiée. Elle
s'est infléchie progressivement pour faire une part grandissante aux dépenses
obligatoires de fait ou de droit, tout en minorant la part des dépenses
discrétionnaires.
Ainsi, en 1999, les dépenses de l'Etat augmenteraient de 2,2 %, soit une
augmentation en volume de 1 %. Dans le cadrage préliminaire pour l'année
prochaine, six ministères verront cependant leur dotation augmenter plus vite
que la moyenne du budget général : la culture, l'éducation nationale, l'emploi,
l'environnement, la justice et la solidarité.
Pour ce qui concerne l'éducation nationale et la justice, cette perspective
s'inscrit dans une logique de hausse des crédits alloués à l'ensemble de la
fonction publique, qui verra ses charges de personnel augmenter de près de 15
milliards de francs.
En outre, ce cadrage préliminaire ne saurait trouver de meilleure efficacité
si l'on tient compte des réformes qui s'imposent pour l'avenir : celles de la
justice, de l'emploi et de la solidarité sont en cours ; l'éducation devra,
elle aussi, s'y soumettre.
Théoriquement, le déficit budgétaire devrait être ramené à 2,7 % du PIB. Si un
tel résultat demeure conforme aux exigences du pacte de stabilité, il n'en est
pas moins significatif du poids toujours trop lourd de la dette publique, qui
ne pourra être entravée que si l'on réduit le besoin de financement des
administrations publiques.
Rappelons que la dette publique a énormément progressé ces dernières années,
passant de 45,3 % du PIB en 1993 à 58,1 % en 1997. Les administrations
publiques doivent, par conséquent, contribuer au redressement des finances
publiques.
Mais doit-on pour autant faire l'impasse sur l'impressionnant déficit des
comptes sociaux ? Il est fort probable que celui-ci subira une hausse
caractéristique en 1999 si l'objectif de maîtrise des dépenses sociales n'est
pas tenu !
Le défi consistera désormais à assurer un retour à l'équilibre général sans
remettre en cause la qualité des prestations offertes par la sécurité
sociale.
L'amélioration prévue en 1999 ne doit pas nous faire oublier non plus le défi
du prochain millénaire, à savoir la répercussion dynamique des retraites qui,
dès 2005, pèsera lourdement sur les dépenses.
Enfin, il me semble opportun de vous rappeler, mes chers collègues, que seuls
les comptes des collectivités locales sont excédentaires. Pareille situation
requiert, à mon avis, une double explication.
D'une part, la pression fiscale reste, dans son ensemble, suffisamment
puissante pour assurer aux collectivités des recettes consistantes. Prenons
garde, toutefois, de ne pas asphyxier nos contribuables en cumulant
excessivement la charge des prélèvements locaux et nationaux.
D'autre part, les collectivités locales ont significativement diminué leur
capacité à investir, tout le monde le reconnaît. A défaut de dépenser plus,
elles s'appliquent, désormais, à dépenser mieux. Rationaliser les dépenses et
alléger la pression fiscale, tels semblent être les nouveaux objectifs.
Néanmoins, je ne vous cacherai pas mon inquiétude sur la fin du pacte de
stabilité dans les relations financières entre l'Etat et les collectivités
locales. Ces relations étaient indexées sur la croissance. Qu'en sera-t-il
demain ? J'ose espérer que le Gouvernement aura à coeur de développer une
meilleure péréquation financière sans accroître la pression de la fiscalité
locale !
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tels sont, en quelques
mots, le bilan provisoire et les perspectives à court terme que nous pouvons
dresser de nos finances publiques.
Le débat d'orientation budgétaire nous invite, en outre, à émettre certaines
propositions pour le prochain projet de loi de finances.
Je vous ferai part de deux séries d'observations relatives aux mesures
fiscales. Tout d'abord, nous sommes tous d'accord pour constater que les
prélèvements obligatoires ont atteint, dans notre pays, le seuil maximum de
tolérance, c'est-à-dire 46 % du PIB.
Les expériences étrangères, aux Etats-Unis en particulier, nous ont appris
l'efficacité, en termes de croissance, d'une baisse de l'impôt plutôt que de
nouvelles augmentations de la dépense publique. C'est pourquoi il paraît urgent
de diminuer l'impôt direct le plus confiscatoire qui soit, à savoir l'impôt sur
le revenu. Ce dernier, par sa pression constante et ses taux élevés, risque de
freiner sérieusement toute relance de la consommation, sans laquelle il n'est
de croissance saine et durable.
Chez nombre de nos partenaires européens souffle le vent de la réforme :
ainsi, l'Espagne et l'Italie n'ont pas hésité à diminuer ce taux pour ne pas
décourager l'initiative, le travail et l'esprit d'entreprise. La diminution de
l'impôt sur le revenu profiterait donc à tous, car elle stimulerait davantage
encore l'investissement et la création d'emplois.
Dès lors, pourquoi ne pas simplifier cet impôt en diminuant le nombre de ses
tranches et en atténuant sa progressivité ? Cette simplification profiterait à
tous, y compris à l'administration fiscale.
La seconde réflexion que m'inspire ce débat concerne le taux de TVA. Je ne
crois pas, mes chers collègues, qu'une baisse radicale du taux actuel soit
nécessaire, et ce pour deux raisons.
D'abord, parce que seuls les produits de première nécessité devraient, en
principe, bénéficier d'un taux très faible. Je vous rappelle à cet égard,
monsieur le secrétaire d'Etat, que mon collègue François Lesein avait
interpellé le Gouvernement sur un éventuel assujettissement à un taux
dérogatoire pour la distribution d'électricité sur tout le territoire
national.
Ensuite, parce que, pour appliquer des taux de TVA dérogatoires, encore
faut-il obtenir un avis conforme de la Commission europénne. Or souvenons-nous
qu'elle s'y était opposée après que le Président de la République lui-même
avait souhaité fixer un taux de 5,5 % à certains produits multimédia. Là aussi,
les difficultés soulevées par l'harmonisation fiscale européenne n'ont pas
encore trouvé de solution concrète et définitive pour la TVA.
En revanche, une diminution d'un point du taux normal de TVA aurait été
possible. Le coût pour l'Etat d'une telle réduction serait d'environ 30
milliards de francs.
Il est sûr que les consommateurs ne bénéficieront pas de l'intégralité de
cette diminution. En revanche, il serait tout à fait envisageable de consacrer
ces 30 milliards de francs à l'amélioration de la situation financière, souvent
catastrophique, des caisses de retraite.
En tout état de cause, avec l'avènement de l'euro, il paraît indispensable que
les différents pays européens rapprochent leurs taux de TVA. Cette coordination
s'inscrit dans une démarche de rééquilibrage de la construction européenne.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les quelques
suggestions budgétaires pour 1999 que je tenais à formuler au nom du groupe du
Rassemblement démocratique et social européen.
N'oublions pas, néanmoins, les priorités du prochain budget : l'encouragement
à la création d'emplois, la réduction des dépenses publiques et la baisse des
impôts.
Aussi serait-il judicieux de tirer parti de la croissance pour consolider
l'état de nos finances publiques. En effet, malgré la crise asiatique,
l'environnement international devrait continuer de soutenir nos exportations.
Par ailleurs, les conditions financières et monétaires restent favorables à
l'activité économique. Le Gouvernement devra désormais rétablir la confiance
des ménages et encourager la reprise des investissements par une baisse
significative des impôts. Dès l'automne prochain, le Parlement sera attentif
aux perspectives budgétaires pour 1999.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
débat sur les orientations budgétaires présente cette année un caractère
novateur qui peut se révéler plein de promesses.
Le Gouvernement a-t-il la volonté de nous entendre, alors qu'il s'agit de son
premier grand débat d'orientation ? Les orientations ne doivent pas être un
succédané de la politique de droite, qui marque encore le budget précédent,
fondé encore partiellement sur une politique engagée antérieurement,
ultralibérale, malthusienne, inégalitaire et mise au service des grandes
puissances d'argent.
Le Gouvernement a-t-il la volonté, bien au-delà du Parlement, de répondre à
l'espérance profonde de changement exprimée par une majorité de Français en
1997 ?
Si le Gouvernement a cette volonté d'écoute et de réponse, alors ce débat,
loin d'être un échange académique, devient annonciateur de mesures profondément
novatrices et de progrès.
Pour notre part, écoute et réponse doivent être axées autour de deux actions
principales : le budget pour 1998 doit traiter des vrais besoins des Français,
quels qu'ils soient, jeunes, chômeurs, smicards, femmes, personnes âgées, mal
logés, etc. ; le budget pour 1999 doit mettre en chantier une réforme fiscale
fondée sur la recherche de l'égalité entre les citoyens et sur l'efficacité
économique maximale des mesures prises.
Le rapport sur les orientations budgétaires que vous nous présentez, monsieur
le secrétaire d'Etat, est sous-tendu par trois grandes orientations.
Premièrement, vous proposez de concilier le financement de l'action publique
avec la maîtrise de la progression globale de la dépense, donc avec sa
diminution.
Deuxièmement, les prélèvements obligatoires doivent être stablilisés pour
consolider la croissance.
Troisièmement, le Gouvernement propose de réduire les déficits en période de
croissance pour rendre à la politique budgétaire toute son efficacité.
Ces trois grandes orientations ont une base identique : la baisse durable de
la charge de la dette - moins de 2 % du PIB à l'horizon 2000 - et la diminution
du poids des dépenses improductives.
Ces trois grandes orientations conduisent à ne plus proposer qu'une
progression de 1 % des dépenses de l'Etat, avec une nouvelle baisse du
financement des dépenses publiques attendue.
Nous craignons que cette baisse ne conduise à une sorte d'austérité larvée,
camouflée. Nous trompons-nous ?
J'observe, monsieur le secrétaire d'Etat, que, dans le domaine public, aucune
création d'emploi n'est prévue et que seulement 15 milliards à 20 milliards de
francs seront distribués au titre de la croissance.
Il y a peut-être une autre approche, partant de la notion de besoin en matière
d'emploi. Est-elle réaliste ? Nous le pensons.
Nous vivons, dans notre pays, un paradoxe : les experts et les analystes
s'accordent à reconnaître que les jeunes, les salariés eux-mêmes, disposent
d'un haut niveau de qualification et de formation, que leur pouvoir innovateur
est grand et souvent précurseur ; pourtant, malgré cette situation, persiste un
niveau de sous-emploi particulièrement élevé puisque le taux de chômage demeure
proche de 12 %.
Le Gouvernement a entamé, en ce domaine, deux réformes essentielles, celle de
la réduction du temps de travail et celle de la mise en oeuvre des
emplois-jeunes.
Il est encore trop tôt pour tirer les conclusions de ces deux lois votées
depuis le début de la session et, sans doute, pour croire les oiseaux de
mauvais augure qui nous ont annoncé, dans cette assemblée, l'échec prévisible
de l'une et de l'autre.
Il faut cependant être attentif, monsieur le secrétaire d'Etat. Des problèmes
sont à revoir sérieusement.
Une politique prioritaire en faveur de l'emploi ne peut s'accommoder plus
longtemps du flou et de l'opacité en matière d'attribution de fonds publics
pour l'emploi, comme de toutes les mesures qui ont pu, dans le cadre de la loi
quinquennale pour l'emploi, réduire les capacités d'intervention des salariés
sur la gestion de leur entreprise.
Elle ne peut pas se passer d'un secteur public puissant, cohérent, pour
atteindre une politique économique de haut niveau.
Elle ne peut pas non plus faire l'économie de la reconnaissance des droits des
salariés dans l'entreprise, avec des droits nouveaux, des possibilités
d'intervention et de décision dans la gestion.
La communauté des entreprises et sa gestion ne peuvent pas être laissées à la
seule appréciation des actionnaires ou de leurs représentants, désireux de
constater la progression de la rentabilité de leurs investissements. Il faudra
se résoudre à des changements de comportement.
Elles doivent aussi être ouvertes à l'intervention des salariés, et cela passe
par une modification sensible des règles de la négociation collective.
Cette négociation collective, si elle doit intégrer la réduction du temps de
travail ou la question de l'insertion des sans-emploi, doit envisager aussi le
développement de la formation des salariés et la mise en question des décisions
de gestion qui pénalisent l'emploi et le développement de l'entreprise.
La bataille du chômage ne peut pas être gagnée sur le seul front des effets de
la croissance ou des effets du développement de la demande mondiale adressée à
la France.
Elle peut et doit aussi être gagnée par le développement de la démocratie dans
l'entreprise. La bataille pour l'emploi doit, pour triompher, devenir l'affaire
d'un plus grand nombre.
Le problème du logement est une autre question à revoir. Le nombre des
logements HLM construits a en effet été en baisse sensible au cours de ces
dernières années, tandis que la mise en place du dispositif Périssol a
littéralement fait disparaître tout programme d'accession sociale à la
propriété.
Des mesures adaptées s'imposent, et nous ne devons pas nous tromper, monsieur
le secrétaire d'Etat.
Nous ne sommes pas convaincus, par exemple, que la réduction du taux de
rémunération du livret A constitue la meilleure réponse possible au problème du
financement du logement social. De même, nous ne pensons pas que la réduction
de la TVA, assortie de la réduction des taux de subvention PLA, puisse être le
meilleur choix.
La baisse du taux du livret A entraînera, à coup sûr, une baisse des
possibilités d'investissement en matière de logement social, tant il est à
craindre une diminution de la collecte.
Même si la baisse des taux d'intérêt peut permettre aux organismes d'HLM de
restructurer leur dette PLA, elle n'a encore que peu d'impact sur le niveau des
loyers de « sortie », qui demeure trop élevé dans les programmes neufs et qui
tend donc à solliciter, eu égard au niveau de ressources des locataires, les
aides personnelles au logement dans des proportions demeurant parfois
importantes.
Nous estimons, pour notre part, que des mesures de bonification de prêts
doivent être prises, tandis que le niveau de subvention doit être relevé.
Dans le même temps, il convient de redonner au 1 % logement toutes ses
potentialités et d'assortir sa gestion, comme nous avons pu le souligner plus
haut, d'une plus grande démocratie.
Il s'agit aussi de concevoir un nouveau circuit de financement de l'accession
sociale à la propriété, qui, laissant de côté ce qui a été pensé par le biais
du dispositif Périssol, parte de l'essentiel, à savoir répondre aux besoins des
demandeurs de logement avant de donner satisfaction aux seuls investisseurs et
aux banquiers.
S'agissant des besoins auxquels il conviendrait de répondre, je pourrais
parler encore des domaines de la santé, de la culture ou du développement du
sport.
Je me permettrai d'insister sur la question de la santé. Est-il vrai que le
Gouvernement envisage de légitimer par des décrets des plans sociaux de
licenciement dans les hôpitaux ? En matière d'emploi, il convient de rester
fidèle aux engagements pris par Mme la ministre de l'emploi et de la
solidarité, aux Assises régionales de la santé du 30 mars dernier, où elle
affirmait qu'il n'y aurait pas de licenciement dans le secteur hospitalier.
Pour moderniser notre système de santé, il faut investir et non licencier.
Il importe aussi, de notre point de vue, que la question de l'éducation soit
de nouveau posée de la manière dont elle a pu l'être par les jeunes, les
parents et les enseignants de Seine-Saint-Denis, au printemps dernier.
Je souhaite maintenant vous interroger sur la réforme fiscale, monsieur le
secrétaire d'Etat.
De 1993 à 1997, les orientations ont conduit à des choix pour le moins
discutables : baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, allégement de la
participation des plus hauts revenus au financement de la dépense publique,
dispositifs d'optimisation fiscale promotionnés et mis en oeuvre au nom, bien
souvent, de la réduction de la dépense publique.
Mon intervention ne suffirait pas, manifestement, à faire le tour de
l'ensemble des mesures fiscales qui ont pu être prises durant ces années et qui
n'ont pas, à l'examen de la situation économique du pays, permis de résoudre
les besoins collectifs, accompagnant même, soit dit en passant, une contraction
de la croissance et un relèvement du niveau des prélèvements obligatoires,
notamment au travers des impôts sur la consommation.
Le Premier ministre a ouvert plusieurs chantiers de réforme fiscale : la
fiscalité écologique, la fiscalité du patrimoine, la fiscalité locale.
La situation est claire pour nous : la portée des réformes que nous devons
entreprendre appelle des mesures plus audacieuses que ce qui a été entrepris en
1997 pour le budget de 1998 et que ce qui nous a été, pour le moment, annoncé,
monsieur le secrétaire d'Etat.
Nous pensons, en particulier, que, s'agissant de l'impôt sur le revenu, ce
n'est pas en mettant uniquement en question les réductions d'impôt ou la portée
du quotient familial que l'on trouvera une solution au problème.
Si nous voulons répondre aux besoins qu'expriment les salariés et les familles
de notre pays, il importe effectivement de mettre en question le traitement des
placements et des revenus financiers au regard des revenus d'activité et du
travail.
Nous pensons, notamment, que nous devons revoir le dispositif d'imposition des
plus-values et mettre en cause le système des prélèvements libératoires, qui
permet à des revenus particulièrement importants d'échapper au barème
progressif.
Par ailleurs, se pose la question du devenir de l'impôt sur les sociétés.
Nous sommes satisfaits de constater que le Gouvernement s'inscrit dans la
lutte contre le dumping fiscal qui existe en Europe, dans l'Europe de la
monnaie unique.
Nous pensons toutefois que, au-delà du débat sur le taux d'imposition qui doit
être retenu, se pose le problème de l'efficacité économique et sociale de cet
impôt. L'ensemble des dispositions actuelles qu'il faut modifier font que les
revenus financiers des entreprises échappent pour l'essentiel à toute
imposition et font porter l'effort uniquement sur la production.
Concernant l'imposition des patrimoines, il conviendrait de ne pas se laisser
impressionner par le discours alarmiste de certains devant toute réforme de
l'impôt de solidarité sur la fortune.
Soyons sérieux ! Voilà un impôt dont le poids politique est apparemment plus
important que le rendement puisqu'il ne représente que moins de 1 % des
recettes fiscales de l'Etat, alors même que les patrimoines imposées
représentent l'équivalent de la moitié du budget de l'Etat : dix milliards de
francs de rapport pour 600 milliards de francs de patrimoine.
Il est vrai que le simple fait de toucher aux patrimoines les plus importants
de notre pays constitue, en tant que tel, une véritable provocation pour tous
ceux qui ont pour mission et pour raison d'être de les défendre. Un
gouvernement voulant une politique de gauche doit s'interroger et se montrer
radical.
Nous continuons donc de considérer qu'il est nécessaire de remettre en
question l'exonération des biens professionnels, afin d'accroître le rendement
de l'impôt lui-même et surtout de rétablir l'égalité de traitement entre les
assujettis.
L'impôt de solidarité sur la fortune doit devenir, monsieur le président de la
commission des finances, cet impôt moderne sur le capital dont le pays a
besoin.
Nous estimons, par ailleurs, que les taux d'imposition du barème ne doivent
pas être réduits de manière significative et que l'augmentation du produit de
l'impôt de solidarité sur la fortune doit aller de pair avec la remise en
question de dispositions fiscales plus inégalitaires, notamment l'ensemble des
dispositions touchant à la consommation.
A ce titre, il est important que soit examinée dès la prochaine loi de
finances la perspective de la réduction du taux normal de la taxe sur la valeur
ajoutée, tandis que nous devons poursuivre, y compris à l'échelon européen,
toute démarche de réduction du taux d'imposition sur un certain nombre de biens
et de services. Je pense ici, en particulier, à ceux qui sont indispensables à
la vie quotidienne, comme l'énergie ou les services de télécommunication.
S'agissant de la fiscalité écologique, vous me permettrez de ne pas considérer
cette question comme tout à fait prioritaire, attendu que, bien souvent, cette
fiscalité s'assortit d'une sorte de droit à polluer qui ne résout en rien les
problèmes d'environnement.
La hausse régulière des taxes sur les carburants, pour le moins injuste, à
notre avis, n'a pas empêché, reconnaissons-le, le développement de désordres
particulièrement graves en matière d'environnement, comme en témoigne la
qualité de l'air.
Nous estimons donc nécessaire de repenser globalement la politique
d'aménagement urbain et d'aménagement du territoire, en vue notamment de
favoriser le développement des transports collectifs et les pratiques les moins
polluantes en ces matières.
Cela ne passe que de façon marginale, de notre point de vue, par une
incitation ou plutôt, en l'occurrence, une dissuasion fiscale.
On le voit : les chantiers qui nous sont offerts sont vastes, importants, et
imposent une volonté politique forte pour être menés à bien.
Nous vous proposons, monsieur le secrétaire d'Etat, de prendre en
considération les propositions découlant de notre analyse et que je résume.
La bataille pour l'emploi ne se gagnera pas sans engager de profondes réformes
de structure favorisant une autre utilisation de l'argent et entraînant une
politique active et novatrice véritablement de gauche.
Nous ne pensons pas que l'invitation de la Commission de Bruxelles à réduire
les déficits en diminuant les dépenses courantes soit d'une grande efficacité
économique.
Nous ne pensons pas non plus que la priorité de réduction de la dette puisse
être une fin en soi. Elle peut très bien être obtenue par une politique
budgétaire active, une action contre les inégalités, contre la spéculation et
non par une réduction des investissements.
Nous pensons, comme vous, qu'il ne convient pas d'augmenter le niveau global
des prélèvements obligatoires. Nous sommes d'accord, mais il ne faudrait quand
même pas oublier que le déséquilibre entre impôt - revenu du capital et impôt -
revenu du travail, s'il demeure au niveau actuel, est préjudiciable à une
politique de progrès.
Enfin, nous nous permettons d'insister pour que se réconcilient crédit et
politique industrielle, qui peuvent guider nos choix pour la croissance et
l'emploi, un grand projet industriel pour la France devenu nécessaire.
La réduction des charges patronales, dont parle Mme la ministre de l'emploi et
de la solidarité, l'expérience l'a montré, n'est pas efficace.
La France a besoin d'un crédit non inflationniste, pour investir, créer,
innover par le jeu d'un pôle bancaire public et semi-public.
Ces orientations nous semblent réalistes, susceptibles d'être fécondes. Elles
peuvent constituer l'armature d'une politique nouvelle de progrès social.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Cela nous a déjà coûté cher !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Telles sont, monsieur le secrétaire d'Etat, les orientations que nous retenons
avec le groupe communiste républicain et citoyen. Une telle politique sera
durable et de gauche.
M. le président.
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le
Gouvernement a de la chance, c'est vrai.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
De vous écouter !
M. Philippe Marini.
La conjoncture est favorable, la croissance repart... Tout cela forme un
tableau assez agréable, il faut en convenir. Mais cette chance crée des
devoirs, monsieur le secrétaire d'Etat, et mon sentiment est que le
Gouvernement n'utilise pas comme il convient la chance qu'il a.
Je voudrais montrer, en une brève intervention, que la politique esquissée au
stade des orientations budgétaires est une politique incertaine, incertaine car
votre majorité, monsieur le secrétaire d'Etat, n'a pas résolu ses
contradictions internes.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Ah ?
M. Marc Massion.
Et l'opposition ?
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat
La paille et la poutre !
M. Philippe Marini.
Cela me paraît évident, d'abord du point de vue de la politique européenne,
ensuite pour ce qui concerne le partage des fruits de la croissance et, enfin,
pour ce qui est des ressources de l'Etat et de la politique fiscale.
Après avoir rappelé les raisons pour lesquelles, à mon avis, votre politique
est encore trop indéterminée, incertaine - et je ne fais là que rejoindre
certaines des appréciations portées tout à l'heure par mon collègue
Jean-Philippe Lachenaud - après avoir tenté cette démonstration, je voudrais
rappeler qu'une autre politique est possible, nécessaire, une politique de
rupture par rapport au passé et au présent, et affirmer que le Sénat est le
lieu où peut s'incarner une telle politique pour l'avenir, pour un avenir sans
doute indéterminé mais qui viendra un jour ou l'autre.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Plutôt l'autre !
M. Philippe Marini.
Une politique incertaine en matière européenne.
Nous sommes plongés, de par notre volonté, dans un système compétitif ; l'euro
est le révélateur de compétitivité que nous nous sommes donné et qui nous
impose des disciplines en même temps qu'il nous ouvre des potentialités tout à
fait remarquables.
M. le rapporteur général a rappelé, parmi nombre d'autres choses, que la
dette, qui est un facteur limitatif de notre indépendance économique, par
définition, continue à s'accroître tant que le déficit public n'est pas tombé
en-dessous de 1,8 % environ de la production intérieure brute.
Il convient d'ajouter que la France sera sans doute en 1999 le seul grand pays
de l'Union européenne à voir ainsi progresser le stock de sa dette.
A la lecture de certains éléments des comparaisons internationales, on ne peut
pas dire, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'approche du Gouvernement soit
volontariste et de nature à servir la compétitivité de notre pays autant
qu'elle le pourrait.
Avec une dette qui continue à augmenter, et malgré l'effort de réduction des
déficits publics, qui reste insuffisant, nous ne figurons pas parmi les pays
qui affichent les meilleures performances. Il n'y a rien là de fétichiste, les
chiffres n'ont pas d'intérêt en eux-mêmes ; ce qu'il faut voir, ce sont les
conséquences de telles comparaisons.
La compétitivité, cela signifie qu'il faut être meilleur que les autres, et ce
dans notre propre intérêt, et ne pas borner ses ambitions à vouloir rejoindre
la moyenne. Si nous envisageons la politique financière européenne, et
l'harmonisation fiscale en particulier, comme un mouvement inéluctable pour
rejoindre des données moyennes européennes, nous ne servons pas la
compétitivité de notre pays. En effet, pour être meilleurs que les autres, il
importe d'anticiper et de s'efforcer, au moins sur certains sujets, d'aller
sensiblement plus loin que ne le font la moyenne de nos partenaires sur les
sujets en question.
Dans ce domaine de la politique européenne, si vous affirmez des choix et
prenez des engagements au nom de notre pays, je persiste à dire, monsieur le
secrétaire d'Etat, que vous n'en tirez pas toutes les conséquences
opérationnelles dans le cadre que vous avez estimé devoir être celui de la
politique économique de la France. Il en est ainsi parce que votre majorité a,
sur ce sujet, une approche souvent divergente des problèmes, qui vous contraint
à retenir une sorte de plus petit commun dénominateur.
M. Paul Loridant.
Il n'existe pas !
M. Marc Massion.
Et vous, avec votre alliance de moribonds !
M. Jean-Philippe Lachenaud.
C'est un peu faible comme argument !
M. Philippe Marini.
En tout cas, l'alliance n'est pas au Gouvernement !
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
L'Alliance, c'est la renaissance !
M. Philippe Marini.
Il en est de même en ce qui concerne le partage des fruits de la croissance -
car il y a croissance ; des marges de manoeuvre se dégagent.
Je le répète, l'alliance n'est pas au Gouvernement. Je m'adresse à M. le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui s'est exprimé ce
matin sur le ton d'un opposant, en l'occurrence un opposant à M. le rapporteur
général, qui me paraissait pourtant avoir une vision cohérente et responsable
des problèmes. C'était un peu « à fronts renversés » - pardonnez-moi cette
appréciation.
Pour revenir, monsieur le secrétaire d'Etat, au partage des fruits de la
croissance, quel est le débat ?
Pour 1999, vous nous proposez des dépenses publiques en augmentation de 2,2 %.
Je pense que cet affichage est un non-choix, une absence de choix. C'est une
dérive que vous acceptez pour ne pas faire trop de peine à tel ou tel, alors
qu'il eût été possible - d'autres l'ont dit avant moi - de se donner une
contrainte et de la gérer de manière sélective selon les domaines d'activité de
l'Etat, afin de faire prévaloir l'essentiel de ses missions.
Une augmentation de 2,2 % en 1999, c'est pour moi un mauvais indicateur et un
non-choix. Mais ce n'est pas si grave en soi ; ce qui importe, c'est le moyen
terme : que va-t-il se passer au-delà de 1999 ?
Toutes sortes d'hypothèques pèsent pour l'avenir sur les dépenses de
fonctionnement de l'Etat : la fonction publique, dont les effectifs continuent
de progresser et dont la masse salariale va être très sensiblement revalorisée
; les emplois-jeunes, utiles sans doute, mais qu'il faut supporter
financièrement et budgétairement au niveau de l'Etat ; les conséquences des 35
heures sur le rythme de travail des agents de l'Etat, donc sur le poids de
leurs rémunérations ; le financement de la lutte contre les exclusions... Et
puis, un sujet dont nous ne saurions, ni les uns, ni les autres, faire
l'économie, ni du point de vue intellectuel et du débat public, ni du point de
vue tout simplement financier : les retraites.
Comme notre collègue Jean-Philippe Lachenaud, qui relevait l'exactitude des
constatations figurant dans votre document d'orientation budgétaire, je dirai,
monsieur le secrétaire d'Etat, qu'après avoir énoncé des chiffres qui nous
interpellent très fort, j'ai le sentiment que vous ne tirez pas de conséquences
concrètes et que vous ne vous interrogez pas sur l'avenir ni sur la manière
dont vont évoluer les données structurelles de vos budgets au cours des
prochaines années.
En ce qui concerne le partage des fruits de la croissance, quel est le débat,
et le débat éternel ?
A mon avis, il se situe entre consommer aujourd'hui ces marges de manoeuvre ou
mieux maîtriser demain, quand la conjoncture sera plus difficile et quand on
sera à contre-cycle de l'économie.
Il faut savoir que la chance dont vous bénéficiez aujourd'hui ne se reproduira
pas forcément demain. Quels que soient au demeurant les majorités ou les
gouvernements, c'est une réalité physique, et une réalité que l'on a souvent
observée : la rigueur évitée dans l'instant peut fort bien être plus tard, à
moyen terme, simplement plus cruelle. Or je crois que nous demeurons sur la
pente d'une politique qui, d'une certaine manière, est une politique de
facilité, ou d'absence de choix suffisamment résolus.
Politique incertaine aussi, et je dirai peut-être surtout, en ce qui concerne
les ressources de l'Etat.
Tout d'abord, qu'en est-il de la pression fiscale ?
Vous nous parlez de stabilisation des prélèvements obligatoires en 1999.
Certes. Mais n'est-elle pas en trompe-l'oeil dès lors qu'on se réfère à un
produit intérieur brut en croissance de près de 3 % ? N'est-il pas vrai que la
pression fiscale sur les contribuables va continuer de croître ? N'est-il pas
vrai que l'on aurait pu, là encore, comme en matière de dépenses publiques,
s'assigner des objectifs plus ambitieux ?
Au vu non pas du niveau des prélèvements obligatoires, mais des choix en
matière de politique fiscale, à la vérité, monsieur le secrétaire d'Etat, on
serait tenté de parler non pas d'une politique fiscale de votre gouvernement,
mais d'une cacophonie fiscale.
S'agissant, notamment, de l'impôt de solidarité sur la fortune, faut-il ou non
taxer l'outil de travail et les oeuvres d'art ? Un débat a lieu sur ce point.
Il est des voix très autorisées qui s'expriment, d'un côté et de l'autre.
Bien entendu, pour ma part, sur le fond, je souscris tout à fait aux
préoccupations qui ont été exprimées à très juste titre par M. Christian
Poncelet. Mais, que je sache, les choses ne sont pas tranchées, et le débat se
poursuit.
Ainsi, voilà un instant, Mme Beaudeau exprimait une volonté idéologique que je
comprends fort bien, même si je ne la partage pas.
A cet égard, une clarification me paraît indispensable pour que les acteurs
du jeu économique sachent où ils en sont.
De même, pour ce qui est de la fiscalité locale, bien des sujets évoqués par
notre collègue René Régnault nécessiteraient des arbitrages, des arbitrages qui
ne sont pas rendus.
En matière de taux de TVA applicables à certaines prestations de nos
collectivités territoriales, en matière de taxe professionnelle et de réforme
de celle-ci, le projet de loi que nous annonce M. Chevènement - et dont il nous
a fait parvenir une première mouture - semble arriver bien tard par rapport aux
besoins ; il est, de plus, susceptible de susciter bien des débats et des
contradictions.
La taxe départementale sur le revenu, la nouvelle taxe d'habitation, est-ce
une idée morte ou une idée qui renaît ? J'aimerais bien le savoir, et les
contribuables aussi.
M. Christian Poncelet
président de la commission des finances.
Et les communes aussi !
M. Philippe Marini.
Absolument !
Nous sommes donc dans le flou et la cacophonie fiscale.
J'ose à peine évoquer l'aller et retour sur la politique familiale, car, là
aussi, on voit faseyer la voile gouvernementale.
On ne peut vraiment pas dire que les orientations soient déterminées. Il est
vraiment surprenant que, moins d'un an plus tard, on en soit à expérimenter une
seconde formule, alors qu'on avait exprimé une volonté réformatrice très claire
à l'automne dernier.
Je voudrais évoquer un autre thème de la politique fiscale : quel est votre
message, quelle est votre volonté en matière de fiscalité de l'épargne ? Où en
sont les discussions sur les fonds d'épargne retraite ? Envisagez-vous des
fonds partenariaux, comme le voudrait M. Fabius ? En restera-t-on au dispositif
de l'assurance-vie investie en actions, selon le processus, fort utile, des
produits « DSK », comme on les appelle ? Avez-vous l'intention de nous en dire
plus d'ici à l'examen de la loi de finances sur l'évolution de la fiscalité de
l'épargne ?
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
M. le secrétaire d'Etat nous en parlera tout à
l'heure !
M. Philippe Marini.
Ce sont des sujets, monsieur le secrétaire d'Etat, qui nécessitent une
politique claire, une politique à long terme, et qui supposent que la parole de
l'Etat soit affirmée puis respectée, car il convient d'assurer la stabilité des
cadres juridiques et fiscaux dans lesquels les agents économiques et financiers
sont susceptibles de se mouvoir, pour la gestion des marchés et le financement
de nos entreprises.
Cela a été fort bien formalisé par la commission des finances du Sénat, qui a
d'ailleurs énoncé les principes constants, presque intemporels, d'une politique
de la fiscalité de l'épargne. Il s'agit là de vérités physiques, de vérités qui
n'appartiennent à aucune majorité, à aucune opposition, et qui doivent
structurer le discours que l'on peut tenir sur ces sujets.
En matière de fiscalité de l'épargne, j'ai bien entendu Mme Beaudeau et M.
Strauss-Kahn - non pas au Sénat mais ailleurs - et je ne vois vraiment pas de
cohérence particulière entre leurs propos.
En matière de fiscalité indirecte, on parle de baisse de la TVA. C'est une
promesse électorale, une promesse opportune sans doute, puisque les résultats
vous ont été favorables. Mais que fait-on, compte tenu de l'ampleur des masses
financières en jeu ?
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Nous tiendrons notre promesse !
M. Philippe Marini.
Monsieur le secrétaire d'Etat, avez-vous l'intention de vous livrer à un
redéploiement de la politique fiscale pour permettre cette avancée au bénéfice
de toutes celles et de tous ceux qui paient la TVA lors des transactions ?
M. Marc Massion.
Une législature dure cinq ans !
M. Philippe Marini.
Certes, mais il y a déjà un an de passé ! Vous n'en avez donc plus que quatre
devant vous.
M. Paul Loridant.
Nous, nous n'allons pas dissoudre !
M. Philippe Marini.
Durant ces quatre ans, nous allons observer, affirmer nos idées et nos
valeurs.
Pour l'heure, nous n'avons toujours pas compris quelle est la politique
fiscale de l'actuel Gouvernement.
Enfin, qu'est-ce que la fiscalité écologique ? Quelqu'un est-il capable de
nous l'expliquer ? Quelqu'un peut-il nous dire quel va être « l'angle d'attaque
», si j'ose m'exprimer ainsi, qui sera choisi à l'égard du gazole ?
Pour ma part, depuis des années, je suis un partisan du rééquilibrage des
taxes sur les différentes catégories de produits pétroliers, et j'ai en ce
domaine des idées indépendantes - comme dans tous les autres domaines
d'ailleurs. J'aimerais bien, là encore, savoir si ce sont les propos de Mme
Voynet qu'il faut croire, ou si ce sont d'autres propos tout à fait
contraires.
Comment s'exprimer à l'occasion d'un débat d'orientation budgétaire si, sur
des questions aussi fondamentales touchant à la conception de la politique
fiscale de notre pays, le débat est sans cesse ouvert au sein de votre majorité
plurielle ?
Face à une politique incertaine, peu déterminée, quelles sont les
particularités qui peuvent s'exprimer dans cette enceinte ?
Certains critiquent nos neuf ans de mandat et la manière dont les sénateurs
sont élus. Cela répond pourtant à la tradition républicaine, qui nous permet
certainement de faire preuve de beaucoup plus de détachement, par rapport à des
choses immédiates qui suscitent des mouvements de l'opinion publique, que dans
l'autre chambre du Parlement.
A mon avis, ces neuf ans de mandat nous permettent et nous imposent, monsieur
le secrétaire d'Etat, d'exercer notre devoir d'anticipation, et lorsque nous
sommes quelques-uns à vous inciter à la prudence et à vous demander de ne pas
manger le blé en herbe...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
M. Philippe Marini.
... et d'être attentifs à la situation difficile dans laquelle nous pourrions
nous trouver les uns ou les autres dans quelques années,...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Oh oui !
M. Philippe Marini.
... que faisons-nous, sinon exercer notre mandat de sénateur, avec la durée
qui nous a été donnée ?
Ce n'est pas par plaisir de jouer les Cassandre que nous lançons de tels
avertissements. Même si tout, sauf au Japon et en Russie, paraît favorable, des
questions de fond doivent néanmoins être tranchées, et il faut avoir le courage
de mettre en chantier certaines réformes.
Il faudra ainsi que vous choisissiez entre, d'un côté, l'Europe, le
développement et la compétition, et, de l'autre, certains fantasmes, qui
existent et que vous avez encouragés, certaines demandes ou prétentions des
réseaux, des groupes sociaux et des syndicats qui vous soutiennent.
Vous devrez, d'une manière ou d'une autre, redéfinir le système fiscal, et
vous ne pourrez pas contenter tout le monde. Il faudra bien, ce jour-là, que
vous disiez si vous voulez mettre en oeuvre une politique de gauche, comme le
souhaitait Mme Beaudeau, ou faire un autre choix.
Il faudra bien que ce moment de vérité arrive. Vous ne pourrez pas tenir très
longtemps deux langages, l'un pour parler à Tony Blair dans les conférences
européennes, et l'autre à usage interne, pour vous adresser à Robert Hue ou à
Dominique Voynet. Il faudra bien choisir !
Quant à la commission des finances, monsieur le secrétaire d'Etat, elle est
dans son rôle quand elle affirme avec constance ses analyses et ses
convictions, dont je ne reprendrai que quatre éléments.
En premier lieu, la réforme de l'Etat est une nécessité. Elle ne doit pas être
abordée de façon purement quantitative. Elle ne se réduit pas à des
considérations d'effectifs et de masse salariale. Elle est affaire de
motivation, de restructuration interne, de mobilisation des ressources humaines
de l'Etat.
Il faut s'atteler à cette tâche. Vos prédécesseurs ne l'ont pas fait autant
qu'ils l'auraient dû, mais vous ne le faites pas du tout ! Pourtant, il faudra
le faire un jour.
En deuxième lieu, le dossier angoissant des retraites nécessite autre chose
que des concertations, des rapports et des études, aussi éminents et cultivés
que puissent être leurs auteurs. Là encore il faudra bien choisir !
Concernant les fonctionnaires - je ne parle pas du secteur privé - il faut
tenir compte d'un certain nombre de variables pour agir. Il s'agit de la durée
de la période de cotisation, c'est-à-dire l'âge du départ en retraite, et du
taux de cotisation, c'est-à-dire du prélèvement obligatoire sur les
bénéficiaires des futures retraites. Il s'agit aussi de l'effort budgétaire de
l'Etat. Mais nous savons que celui-ci est limité par toutes sortes de
contraintes, et nous connaissons la loi de progression des chiffres.
Il faudra agir sur cette variable. On ne pourra pas se borner à réduire ou non
les pensions, c'est-à-dire à agir sur le taux de remplacement - revenus de
retraite/revenus d'activité - inciter à la capitalisation, développer le
système PREFON, les méthodes de capitalisation qui se mettent en place
timidement et de façon encore confidentielle au profit des agents de l'Etat.
Mais quels seront les incitations fiscales, les moyens et le degré de
transparence ?
Tout cela, monsieur le secrétaire d'Etat, ce sont bien des questions
auxquelles vous devrez répondre ; et le temps presse.
Je répète que ce n'est pas parce que ces sujets n'ont pas beaucoup progressé
au cours des années récentes que, vous considérant comme de passage, vous devez
vous borner à laisser à vos successeurs des rapports et des livres blancs.
En troisième lieu, il faut lutter contre les délocalisations. Nous sommes, en
effet, menacés de voir partir de notre pays toutes sortes de détenteurs de
pouvoir économique et financier.
Il nous faut lutter contre les délocalisations de matière grise, car le
brain drain
dont parlaient les Anglais dans les années cinquante et
soixante, c'est nous qui le subissons aujourd'hui. Pour eux, hier, la menace
venait des Etats-Unis ; pour nous, elle vient de la Grande-Bretagne et de bien
d'autres pays. C'est une réalité, qu'on le veuille ou non, et il faut lutter
contre cette pratique par des dispositions fiscales, et économiques de nature à
développer la motivation de chacun.
Il nous faut aussi lutter contre les délocalisations de l'épargne et de
l'investissement, et donc poser le problème de la fiscalité de l'épargne.
Il nous faut encore lutter contre les délocalisations d'emplois, ce qui pose
le problème des charges salariales et de la nécessité qu'évoquait ce matin M.
Christian Poncelet.
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Une proposition de loi va venir en discussion
!
M. Philippe Marini.
Effectivement, une proposition de loi viendra en discussion lundi prochain.
Elle porte sur un sujet essentiel : les charges pesant sur les bas salaires.
Il faut donc lutter contre les délocalisations d'emplois et reconsidérer pour
ce faire la politique fiscale. Mais, je le répète, cela nécessite que des choix
soient faits.
Enfin, en quatrième lieu, il convient d'accroître la compétitivité de la
France en Europe.
Nous plaidons ainsi pour la diminution de la dette, pour la stabilisation de
la dépense, pour la diminution des prélèvements obligatoires. Non pas pour
obéir à je ne sais quel principe d'orthodoxie financière, qui n'existe pas,
mais parce que nous avons le sentiment qu'il y va de l'intérêt réel, quotidien,
de nos concitoyens. Nous avons le devoir de le dire. Et vous, monsieur le
secrétaire d'Etat, qui êtes aux affaires, qui avez cette chance dans une
conjoncture aussi belle, eh bien, vous avez le devoir de servir la
compétitivité de la France en Europe, dans cette Europe ouverte, dans cette
Europe de l'euro que vous voulez, comme la veut une grande majorité du
Sénat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il reste beaucoup à faire
d'ici à la discussion de la loi de finances. Nous pouvons faire confiance à
notre commission des finances pour assumer la continuité de ses positions.
Quant au Gouvernement, nous espérons que ce débat d'orientation budgétaire lui
permettra d'apporterla lumière dans nos esprits et de répondre à un certain
nombre d'interrogations fondamentales qui se sont exprimées.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission.
Très bien !
M. le président.
La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
prochaine loi de finances, sortie de son contexte, peut apparaître comme
vertueuse, avec la réduction des déficits en1999-2000. Or, au-delà des
apparences, votre politique économique et budgétaire, monsieur le secrétaire
d'Etat, souffre de trois défauts.
Elle renoue tout d'abord avec un certain laxisme au niveau de la dépense
publique. Parallèlement - vous êtes pourtant un grand expert de l'Asie - elle
ne tient pas compte d'un possible retournement de la conjoncture
internationale. Enfin, le Gouvernement se refuse à engager les réformes de
structure dont notre pays a un besoin urgent dans la perspective de son
intégration dans l'Union économique et monétaire.
En premier lieu, donc, le prochain budget pour 1999 se caractérise par une
augmentation en volume de la dépense publique, cela sur la base d'hypothèses
économiques favorables.
Le Gouvernement choisit d'assouplir la rigueur budgétaire, avec un budget en
augmentation de 1 % en francs constants. Ainsi, l'objectif de 2,3 % de déficits
publics en 1999, de 2,7 % pour le budget de l'Etat, nous est présenté, avec
toute la modestie qui vous caractérise, monsieur le secrétaire d'Etat, comme
ambitieux. Or, il est nettement en retrait par rapport à un pays comme
l'Italie, qui annonce un taux de déficits de 1,5 % dès l'année prochaine !
Le plus grave est l'augmentation des dépenses de la fonction publique, qui
devraient croître de 23 milliards de francs en 1999 compte tenu de l'accord
salarial et de l'augmentation automatique des charges de personnel de
l'Etat.
Ces 23 milliards de francs représenteraient près des deux tiers des nouveaux
crédits. Une grande partie de la marge budgétaire offerte l'année prochaine par
l'embellie de la croissance va être ainsi consommée par la section
fonctionnement du budget.
En refusant de réduire le nombre de fonctionnaires, le Gouvernement s'enferme
dans une logique dont la principale conséquence est une augmentation
automatique des charges de personnel et du poids relatif des dépenses de
fonction publique : ces dernières représentaient 671 milliards de francs en
1997, soit 50 % du budget de l'Etat, hors remboursement de la dette.
La « divergence » budgétaire voulue par le Gouvernement par rapport au reste
de l'Union européenne est sans doute - n'y voyez pas malice ! - le reflet
direct des ambiguïtés de la majorité « plurielle » : cette majorité est, dans
son ensemble - c'est bien normal - impatiente de percevoir les dividendes d'une
reprise économique venue de l'extérieur, et profondément divisée sur les
objectifs à long terme. Le projet de budget pour 1999 sera donc, très
probablement, un compromis entre les points de vue très contradictoires des
plus interventionnistes, le plus souvent « eurosceptiques », d'un côté, et, de
l'autre, de la tendance sociale-démocrate du parti socialiste.
En outre, la reprise économique à l'échelon international - ce sera le second
point de mon propos - reste fragile, et l'un des torts du prochain budget sera
peut-être de ne pas anticiper un éventuel retournement de conjoncture.
Certes, le fait de prévoir l'évolution de l'économie est devenu, j'en
conviens, un art difficile pour tous les gouvernements dès le début de la crise
en 1973-1974.
Malgré les bons indices actuels, tous les experts reconnaissent que les
conséquences de la crise asiatique sur les exportations françaises, et donc sur
la croissance, ont été sous-estimées. C'est le cas notamment de l'INSEE, qui
notait au premier trimestre 1998 une augmentation du produit intérieur brut en
France moins forte que prévu, puisqu'elle était de 0,6 % au lieu de 0,8 %, du
fait d'une contribution négative des échanges extérieurs.
Or, depuis le début du mois de mai, on assiste à une nouvelle dégradation de
la situation économique en Asie. L'économie japonaise est entrée en
récession...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh, oui !
M. Xavier de Villepin.
...et connaît de graves difficultés financières ainsi qu'une forte
augmentation du chômage. Le plan de relance du 24 avril pourrait permettre à
l'activité de reprendre à l'automne. Mais, en tout état de cause, le Japon ne
pourra pas, jusqu'à cette période, jouer son rôle normal d'entraînement dans la
région.
Pour l'instant, seuls la Chine, Taïwan et les Philippines peuvent espérer
conserver un taux de croissance positif en 1998.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Ce n'est pas certain pour la
Chine !
M. Xavier de Villepin.
Même Hongkong, symbole de prospérité et de dynamisme économique et financier,
paraît à présent menacé. Au même moment, deux autres zones géographiques
connaissent également de graves difficultés économiques : l'Amérique latine et,
ce qui est plus préoccupant encore, la Russie.
Ce dernier pays est confronté à une crise monétaire sans précédent : 80 % des
ressources publiques y sont consacrés au service de la dette.
Ces crises conjuguées ont pour effet direct de ralentir la demande mondiale
et, donc, influent négativement sur nos exportations et sur l'activité
économique.
Au-delà des incertitudes de la conjoncture, le tort majeur du Gouvernement est
de ne pas engager les grandes réformes structurelles dont notre pays a
impérativement besoin à la veille de la réalisation de l'Union économique et
monétaire.
La clef de la réussite de l'intégration de l'économie française dans la zone
euro sera l'investisement. L'objectif prioritaire des pouvoirs publics aux
niveaux national et local ces prochains mois et ces prochaines années doit donc
être d'accroître l'attractivité de la France vis-à-vis des investisseurs
étrangers. Pour cela, il faut, comme M. Marini l'a dit, et je l'approuve, non
seulement assainir durablement nos finances publiques, mais aussi réformer
l'Etat et réduire les prélèvements obligatoires.
A cet égard, les premiers signaux lancés par l'actuel pouvoir sont plutôt
mauvais, avec, en particulier, la majoration sur trois ans de l'impôt sur les
sociétés, le renforcement des effectifs du secteur public à travers la création
des emplois-jeunes et le projet de passage de 39 heures à 35 heures de travail
hebdomadaire.
Le Gouvernement a annoncé des allégements de charges dans un avenir proche.
Mais, en 1999, je crains qu'il ne dispose pas des marges financières
nécessaires à de telles mesures.
La réduction des charges en France reste une absolue nécessité, alors que la
concurrence s'intensifie encore au sein de l'Union.
Je pense, bien sûr, aux cotisations patronales, qui représentent le double des
cotisations acquittées en moyenne par les entreprises européennes et
américaines.
Parmi les autres prélèvements que la France va devoir impérativement réformer
et alléger figure évidemment la taxe professionnelle ; n'oublions pas non plus
l'impôt sur les sociétés. A l'heure actuelle, le différentiel de taux entre la
France et plusieurs de ses voisins constitue un facteur potentiel de
délocalisation des activités productives.
Si une politique fiscale différenciée est indispensable en faveur des PME-PMI,
des entreprises de main-d'oeuvre ou de haute technologie, la priorité doit être
d'abaisser globalement les prélèvements sur le secteur productif, sans
discrimination et avec le souci majeur d'éviter les transferts d'activités à
l'étranger et de rendre notre pays plus attractif pour le capital étranger.
Monsieur le secrétaire d'Etat, il suffit de parler d'un impôt sur l'outil de
travail pour être sûr que, par anticipation, des entreprises chercheront des
points de chute à l'étranger. Condition
sine qua non
de l'allégement des
charges, une modernisation de l'Etat doit être également engagée. Il est
nécessaire de réduire le poids de l'administration dans ce pays, même si je
reconnais qu'elle est de qualité.
Cette « révolution culturelle » pour un pays comme le nôtre, de tradition
plutôt centralisatrice, avait été esquissée sous de précédents gouvernements.
Mais elle est devenue obligatoire à la veille du troisième millénaire. C'est
l'ensemble du secteur public qui doit être profondément réformé et
restructuré.
Les privatisations doivent être évidemment poursuivies pour les entreprises du
secteur concurrentiel. La très bonne santé, peut-être anormale, du marché
boursier dans les pays occidentaux constitue, à ce propos, un facteur plutôt
favorable.
Monsieur le secrétaire d'Etat, un tel contexte aurait pu être l'occasion de
privatiser une entreprise comme Air France, qui doit faire face à des
concurrents particulièrement dynamiques et en cours de regroupement.
Les entreprises publiques n'ont pas besoin, seulement, d'une adaptation de
leur statut et de l'apport de capitaux extérieurs. Leur bonne santé financière
dépend également de la capacité de l'Etat actionnaire à prendre ses
responsabilités à leur égard en exerçant son pouvoir de contrôle.
En conclusion, il est primordial de réformer dès que possible nos structures
économiques et sociales, issues de l'après-guerre, afin de permettre à la
France de disposer d'un maximum d'atouts dans un contexte inédit : au moment
même de l'instauration de la monnaie unique européenne, le budget pour 1999,
dont vous allez bientôt nous présenter le projet, monsieur le secrétaire
d'Etat, vous en offre l'opportunité.
Il appartiendra donc à l'opposition et à sa représentation parlementaire au
sein du Sénat de présenter aux Français un projet économique alternatif. Ce
sera l'objet du débat budgétaire à l'automne prochain.
Enfin, je tiens à remercier vivement notre rapporteur général, mon collègue et
ami Alain Lambert, ainsi que le président de la commission des finances, de
l'excellent travail qu'ils ont effectué, comme toujours, dans la perspective de
ce débat.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Merci, cher collègue !
(M. Jean Delaneau remplace M. Michel Dreyfus-Schmidt au fauteuil de la
présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN DELANEAU
vice-président
M. le président.
La parole est à Mme Bergé-Lavigne.
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
chacun sait ici que la discussion budgétaire, si elle constitue théoriquement
le moment principal de la vie parlementaire, est, dans la pratique, ressentie
et vécue comme un rite, une coutume, un passage obligé qui ne change pas
grand-chose puisque, en réalité, les décisions sont prises par l'exécutif ; le
Parlement les officialise, sous réserve de quelques modifications de détail qui
représentent moins de 2 % des crédits.
Aussi, l'instauration d'un débat d'orientation budgétaire comme celui
d'aujourd'hui est-il une heureuse innovation puisque, en tant que
parlementaires, nous sommes associés à la préparation du budget, nous pouvons
nous exprimer sur les grandes orientations présentées par le Gouvernement et
nous avons ainsi la capacité de mieux défendre nos propositions budgétaires.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très, très bien !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Mais, pour que ce débat serve vraiment ses objectifs, encore faut-il que le
Gouvernement informe les parlementaires des prévisions économiques qu'il
retient pour l'élaboration de la loi de finances, ainsi que des évaluations
prévues pour les ressources et les charges. Dans ses choix, le Parlement est
dépendant dans ses choix des prévisions du Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce qui suit ne s'adresse ni à vous, ni au
Gouvernement ; c'est un problème qui tient à la Constitution et au partage des
pouvoirs entre l'exécutif et le législatif. Mais ne sommes-nous pas dans le
règne des faux-semblants ? Quel pouvoir peut être le nôtre, alors que nous
débattons dans le brouillard, que nous sommes dans l'incapacité d'évaluer le
coût, les conséquences et les retombées concrètes des propositions, des
orientations, notamment fiscales, formulées par le Gouvernement ou par la
commission des finances ?
Certes, nous disposons des rapports de la Cour des comptes, du rapport du
conseil des impôts... Mais tout cela
a posteriori,
quand les décisions
sont prises et sont traduites dans la vie quotidienne.
Il manque au Parlement un outil d'évaluation. Certes, l'office parlementaire
d'évaluation des politiques publiques devrait remplir ce rôle en amont, mais il
faudrait alors qu'il change de nature et devienne un véritable outil
d'expertise, avec ordinateurs, réseaux et techniciens, un peu comme le CBO
américain.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Très bien !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Ainsi doté, le Parlement pourrait alors prétendre exercer un réel et sérieux
pouvoir de proposition et d'orientation.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Après mon collègue René Régnault - c'est vous dire si ce sujet nous tient à
coeur ! - je vais évoquer la situation des collectivités locales, qui attendent
beaucoup de cette loi de finances.
Depuis 1993, les collectivités locales subissent un effet de ciseau entre des
dépenses de fonctionnement en croissance toujours plus rapide et des recettes
de plus en plus malmenées, notamment en ce qui concerne les dotations de
l'Etat.
Sous la précédente législature, les dotations de fonctionnement ont stagné et
les dotations d'équipement ont fortement baissé, alors que perduraient les
allégements décidés par l'Etat.
Au total, les modifications d'indexation et les ponctions diverses ont
entraîné plus de 25 milliards de francs de pertes financières pour les
collectivités locales. Les maires ont dû restreindre leurs efforts
d'équipement, qui ont baissé en 1995 et en 1996 et, de ce fait, augmenter
significativement la fiscalité locale. La situation est préoccupante.
Même si elles sont de plus en plus maîtrisées, les dépenses de fonctionnement
vont continuer d'augmenter du fait de l'accord salarial de la fonction
publique, de la poursuite des demandes sociales, des conséquences de la loi sur
l'exclusion et du financement des emplois-jeunes, toutes choses indispensables
sauf à considérer que les collectivités locales ne doivent plus assurer leurs
missions essentielles d'équilibre social, de lutte pour l'emploi, de
développement équilibré du territoire et de protection de l'environnement.
En outre, pour que les collectivités locales tiennent pleinement leur place
dans le développement de notre pays, une nouvelle dynamique doit être donnée
aux dépenses d'investissement. Rappelons que les communes, les départements et
les régions réalisent 80 % des investissements publics...
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est exact.
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
... et 12,5 % de l'ensemble des investissements de la nation. Derrière ces
chiffres, il y a des entreprises qui tournent et donc des emplois.
Au cours des prochaines années, les collectivités locales seront confrontées à
de lourds besoins d'investissement pour assurer l'entretien d'unpatrimoine de 2
300 milliards de francs, l'assainissement et le traitement des eaux, le
traitement des déchets ménagers, les travaux de rénovation et de sécurité des
locaux scolaires, les mises aux normes européennes, les investissements dans
les transports, etc.
Beaucoup l'ont rappelé à cette tribune, y compris certains de nos collègues
siégeant sur les travées de droite, depuis trois ans, les collectivités locales
ont subi les effets du « pacte » de stabilité imposé par le gouvernement
précédent.
Si l'idée d'un contrat passé entre l'Etat et les communes est bonne, cette
démarche contractuelle doit être négociée entre les partenaires. Elle doit être
acceptée par tous et déboucher sur un vrai pacte de développement apportant la
visibilité nécessaire aux élus pour leur permettre de programmer leurs propres
budgets locaux, pour contribuer à leur assurer les moyens budgétaires
maîtrisés, mais suffisants, nécessaires à leur mission et leur apporter des
assurances sur la question des transferts de charges.
Le Gouvernement - c'est heureux ! - a engagé une concertation avec les
différentes associations d'élus sur la sortie du pacte de stabilité. La méthode
tranche avec la pratique précédente, qui n'avait donné lieu qu'à une apparence
de concertation et avait fortement mécontenté les élus.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
L'essentiel, c'est la fin !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
La fin justifie les moyens !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Nous souhaitons vivement, monsieur le secrétaire d'Etat, que l'arbitrage rendu
aille dans le sens d'une prise en compte importante du taux de croissance pour
l'évolution des dotations et rompe ainsi avec trois années difficiles pour les
collectivités locales.
S'ils sont vigilants sur l'évolution des dotations d'Etat, les élus veulent
aussi une fiscalité locale qui permette aux collectivités qu'ils animent
d'assurer elles-mêmes, et dans de bonnes conditions, leur développement
économique et le bien-être de leurs administrés.
La fiscalité locale est archaïque et complexe. Ses coûts de gestion sont
exorbitants : trois fois plus élevés que ceux qui sont engendrés par les impôts
d'Etat. La notion de valeur locative cadastrale est fictive et subjective,
héritée d'une société rurale qui n'existe plus aujourd'hui, inadaptée aux
réalités économiques actuelles.
La fiscalité locale est mal acceptée et injuste. Les impôts locaux font
l'objet du plus grand nombre de réclamations : 3 millions environ par an. Elle
entraîne des différences injustifiées entre les contribuables locaux, entre les
entreprises, entre les collectivités locales.
Enfin, la fiscalité locale va à l'encontre des nécessités de l'aménagement du
territoire. On observe aujourd'hui une profonde inégalité entre les ressources
des différentes collectivités territoriales, qui sont pourtant les principaux
acteurs de l'aménagement du territoire. Plus le potentiel fiscal d'une commune
est important plus la pression fiscale est faible : les riches deviennent plus
riches et les pauvres s'appauvrissent.
Quant aux mécanismes péréquateurs mis en place, ils apparaissent largement
insuffisants.
La loi de décentralisation du 2 mars 1982 avait prévu qu'un texte ultérieur
fixerait « la répartition des ressources publiques résultant d'une nouvelle
règle de la fiscalité locale et des transferts de crédits aux collectivités
locales ». Il devait s'agir du complément indispensable à la décentralisation.
Cette loi n'a jamais vu le jour.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
C'est vrai !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Seules quelques mesures de plafonnement des taxes fiscales ont été accordées
aux contribuables les plus taxés.
La loi sur le développement et l'aménagement du territoire n'a pas non plus
apporté les réponses appropriées. Le « grand chambardement » cher à M. Pasqua
n'a pas eu lieu.
Le Gouvernement a manifesté son intention de réformer la fiscalité, notamment
la fiscalité locale. D'autres avant vous, monsieur le secrétaire d'Etat, qui
l'avaient annoncé, y ont renoncé.
M. Michel Mercier.
Ça, c'est une autre affaire !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Allez-vous le faire ? Cette réforme devient pourtant une urgente nécessité, et
elle est très attendue par les élus locaux.
La réforme la plus importante et la plus souhaitée est sans doute celle de la
taxe professionnelle.
Les fondements actuels de la taxe professionnelle sont unanimement jugés
compliqués, injustes et inadaptés. Cet impôt est très contesté : entre 1987 et
1995, les réclamations ont augmenté de 60 %. Il est également complexe du fait
des dérogations, allégements et passe-droits divers auxquels il donne lieu, ce
qui le rend incompréhensible, difficile à calculer, impossible à contrôler.
C'est une aubaine pour tous les conseillers en mal d'optimisation fiscale.
En outre, l'assiette de la taxe professionnelle est anti-économique, elle
pénalise l'investissement et l'emploi. Plus une entreprise embauche ou
investit, plus sa taxe professionnelle augmente. Cette taxe engendre des
inégalités géographiques dont sont victimes les zones rurales et les banlieues
pauvres.
Je pourrais allonger la liste des travers de ce malheureux impôt, monsieur le
secrétaire d'Etat, chacun les connaît. Mais, jusqu'à présent, je le répète,
aucun gouvernement n'a osé s'attaquer à une réforme globale de la taxe
professionnelle.
Notre système fiscal est ainsi fait que, comme un château de cartes de notre
enfance, si l'on touche trop brutalement à une carte, tout l'édifice
s'écroule.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Eh oui !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Pourtant, monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement ne peut faire
l'économie de cette réforme. Comme l'a déclaré M. Strauss-Kahn, nous ne
demandons pas de « grand soir fiscal », on ne « chamboule pas la fiscalité en
une nuit ». Mais, avec doigté, patience, sagesse et courage, il va bien falloir
faire bouger cet impôt.
M. le président.
Veuillez conclure, madame, sinon il ne restera plus que peu de temps de parole
à M. Moreigne !
Mme Maryse Bergé-Lavigne.
Je conclus, monsieur le président.
La commission des finances du Sénat avait organisé trois jours d'audition
réservés à la réforme de la taxe professionnelle. Fiscalistes de talent,
conseillers à la Cour des comptes, membres du conseil des impôts, représentants
des associations patronales, des associations d'élus locaux, chacun est venu
présenter ses critiques et ses propositions.
Pour quelqu'un qui n'évolue pas avec jubilation dans le maquis des taxes,
assiettes, bases, taux, liaisons et déliaisons ou qui n'a pas le dernier
rapport du conseil des impôts comme livre de chevet, faire le tri parmi toutes
les propositions qui furent formulées était difficile.
Cependant, avec la modestie qui convient, j'ai relevé quelques évidences qui
ont émergé de ces auditions et de ce que disent sur le terrain les élus locaux,
notamment les maires.
Personne ne défend la version actuelle de la taxe professionnelle ; il faut
donc la réformer.
Tous ont reconnu que son assiette pénalisait l'emploi et l'investissement. Il
faut donc changer cette assiette et peut-être passer à la valeur ajoutée, qui
présenterait l'avantage d'avoir une meilleure rentabilité, de taxer les
richesse une fois qu'elles ont été produites, non avant, et de préserver
l'emploi. Le premier principe énoncé ce matin par M. Strauss-Kahn, et que nous
partageons évidemment pleinement, n'est-il pas de tout faire pour l'emploi.
Enfin, la répartition de cette taxe doit être plus juste et mieux équilibrée
entre les communes qui ont les entreprises et la richesse, et celles, voisines,
qui ont les charges, les nuisances et... leurs yeux pour pleurer !
Jean-Pierre Chevènement et Dominique Voynet vont justement présenter l'un et
l'autre au Parlement deux projets de loi qui ne pourront « vivre » que portés
par une fiscalité locale mieux prélevée et plus équitablement répartie. Le
moment est donc propice, monsieur le secrétaire d'Etat, pour engager une vraie
réforme de la taxe professionnelle.
(Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, des
taux de croissance estimés à 3 % pour 1998 et à 2,8 % pour 1999 devraient
permettre à l'Etat de bénéficier, à fiscalité inchangée, d'un surplus de
recettes fiscales de l'ordre de 50 milliards à 60 milliards de francs.
Dans ces conditions, il est parfaitement normal que s'engage, entre le
Gouvernement et le Parlement, un débat sur l'utilisation des fruits de cette
croissance retrouvée, dans l'optique de la préparation du projet de budget pour
1999.
Ma collègue Marie-Claude Beaudeau a marqué la volonté des différentes
composantes du groupe communiste républicain et citoyen d'utiliser ces marges
de manoeuvre, d'une part, pour réduire les injustices fiscales, notamment en
matière de taxe sur la valeur ajoutée, laquelle grève inégalement la
consommation ou plutôt le budget des ménages qui consomment et pèse donc sur la
croissance, d'autre part, pour améliorer l'efficacité de l'action publique et
combler l'immense attente sociale de nos concitoyens.
Il s'agit de répondre à une nécessité sociale mais aussi à un impératif
économique.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1998, j'avais insisté sur
la fragilité d'une croissance essentiellement stimulée, à l'époque, par des
parités monétaires plus justes, notamment avec le dollar, et par la reprise
américaine, ces éléments favorables dopant temporairement nos exportations.
La crise asiatique, si elle devait se poursuivre, ne manquerait pas de
produire ses effets sur les économies européenne. Je pense d'ailleurs que ces
derniers sont largement sous-estimés. Dès lors, se pose pour notre pays la
question des moyens à mettre en oeuvre pour en atténuer les effets sur notre
économie.
Le bon sens voudrait que l'on mène une politique budgétaire active afin de
financer des grands travaux d'équipement en matière de transport et de
logement, et de répondre à la situation particulièrement préoccupante de nos
banlieues.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je souscris totalement à votre objectif de
réduction du déficit public et de l'endettement de l'Etat, mais on peut se
demander s'il ne serait pas socialement et économiquement plus efficace
d'atteindre cet objectif en amplifiant la croissance, génératrice de recettes
fiscales supplémentaires.
Les collectivités locales, sur lesquelles je ferai porter l'essentiel de mon
intervention, peuvent parfaitement jouer un rôle de multiplicateur de
l'investissement et de la croissance si l'Etat s'engage à négocier dans de
bonnes conditions un pacte de stabilité et de croissance ou, selon la
terminologie nouvelle, un contrat de progrès et de solidarité.
Le pacte de stabilité avait été imposé aux collectivités locales par le
gouvernement de 1995 et aucune association d'élus, je le rappelle, n'avait
accepté de le signer. Même s'il était censé répondre à une vieille
revendication, il avait laissé les élus locaux insatisfaits.
Afin de ne pas gaspiller les deniers publics et de procéder à une gestion
prévisionnelle de leurs budgets, les élus doivent disposer d'un environnement
stable.
Je rappellerai une nouvelle fois que le pacte de stabilité de 1995 reposait
sur une ambiguïté : les élus voulait une stabilité des règles et un cadre
recouvrant l'ensemble des recettes venant de l'Etat, alors que le gouvernement
de l'époque et les services de Bercy, eux, pensaient à une stabilité de
l'enveloppe financière.
La garantie triennale introduite par le pacte de stabilité en 1995 s'est en
quelque sorte traduite par un manque à gagner de 7 milliards de francs par
rapport aux règles qui s'appliquaient précédemment.
De plus, si les collectivités locales avaient bénéficié à égalité avec l'Etat
des fruits de la croissance, à laquelle elles contribuent puisqu'elles
financent 70 % de l'investissement public civil, elles auraient perçu 19
milliards de francs supplémentaires.
Autant dire que ce pacte de stabilité a été un véritable marché de dupes :
sans stabilité des règles, il a essentiellement permis à l'Etat d'utiliser les
dotations aux collectivités locales comme variable d'ajustement de son
budget.
De surcroît, il ne tenait pas compte des charges nouvelles assumées par les
collectivités territoriales.
Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que le ministre de l'intérieur, les
services de Bercy et vous-même êtes prêts à négocier un nouveau pacte avec les
collectivités locales.
Ce nouveau cadre des relations entre l'Etat et les collectivités locales
devrait, selon moi, s'appuyer sur trois éléments.
Le préalable me semble être la concertation avec les élus locaux et leurs
représentants. Ce dialogue, le gouvernement précédent n'avait pas cru bon de
l'entreprendre. Or, sans véritable implication des collectivités locales dans
la définition du nouveau plan triennal, rien ne sera possible.
Par ailleurs, il importe d'asseoir ce pacte sur la croissance, en tenant
compte de l'inflation. Nous proposons d'atteindre cet objectif en trois ans :
inflation plus un tiers du taux de croissance la première année, inflation plus
deux tiers du taux de croissance la seconde année, etc. Il faudra aussi tenir
compte, bien sûr, du volet des dépenses nouvelles qui grèvent les budgets des
collectivités locales.
M. le président.
Veuillez conclure, je vous prie, monsieur Loridant.
M. Paul Loridant.
J'en arrive presque à ma conclusion, monsieur le président.
Enfin, il convient de remédier aux injustices fiscales entre les collectivités
locales. La question essentielle porte sur la répartition de la taxe
professionnelle, principale recette fiscale pour les communes. La taxe
professionnelle pose, en effet, de sérieux problèmes d'équité dans les
agglomérations, où les égoïsmes communaux, exacerbés par la décentralisation et
la concurrence fiscale entre communes, ont abouti à une accentuation des
inégalités et de la fracture territoriale.
En conclusion, je dirai que la réussite de la politique du Gouvernement, que
ce soit en matière de soutien à la croissance ou en matière d'emploi - je
pense en particulier aux emplois-jeunes - suppose que l'Etat cesse de
considérer les concours qu'il accorde aux collectivités locales comme une
charge. Les collectivités locales participent à l'activité économique et au
bien-être social, et ces concours correspondent aussi à des prestations
qu'elles assurent pour le compte de l'Etat.
C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets d'insister sur
toute l'attention que, dans le budget pour 1999, le Gouvernement devra porter
aux collectivités territoriales.
(Applaudissements sur les travées du
groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, en
tant que rapporteur pour avis de la commission des finances sur les lois de
financement de la sécurité sociale, je souhaite apporter un éclairage
complémentaire dans un débat où beaucoup a déjà été dit.
Il est devenu commun de souligner que le volume des dépenses des régimes de
base de sécurité sociale, soit 1 730 milliards de francs pour 1998, dépasse
maintenant celui du budget général, soit 1 680 milliards de francs pour la même
année.
Cette comparaison n'est toutefois pas exacte, car elle repose sur les
conventions de présentation du budget général. Si l'on prend en compte les
opérations définitives des comptes spéciaux du Trésor, les fonds de concours et
les prélèvements sur recettes, les dépenses de l'Etat dépasseront largement 2
000 milliards de francs en 1998. Elles resteront donc supérieures à celles de
la sécurité sociale, ce qui n'est d'ailleurs pas nécessairement pour nous
réjouir.
Quoi qu'il en soit, l'importance des finances sociales n'est pas à
démontrer.
Le rapport présenté par le Gouvernement couvre d'ailleurs un champ plus large
que le seul budget de l'Etat. Cela me paraît d'autant plus justifié que je suis
convaincu de la nécessité de préserver une vision globale de prélèvements
obligatoires, qu'ils soient fiscaux ou sociaux. Cette vision globale est la
première condition de leur maîtrise effective.
Vous savez certainement, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un débat est
relancé chaque année à ce sujet, la commission des finances s'occupant des
prélèvements fiscaux et la commission des affaires sociales des prélèvements
sociaux. Peut-être de semblables problèmes existent-ils au sein du Gouverment ;
à moins que la coordination n'y soit meilleure qu'ici !
(Sourires.)
Il faut également rappeler qu'un montant considérable de crédits budgétaires
est en fait affecté au financement de la sécurité sociale. Depuis deux ans, une
annexe budgétaire, élaborée d'ailleurs à la demande du Parlement, retrace ces
crédits de nature très diverse. Ce document nous permet d'établir qu'en 1998 le
total des dépenses budgétaires affectées au financement de la sécurité sociale
s'élève à 220 milliards de francs, et à 378 milliards de francs si l'on y
inclut les charges de pension de l'Etat.
Ces dépenses sociales fondues dans les dépenses budgétaires correspondent à
des droits ouverts et possèdent une dynamique de progression autonome. Elles
contribuent donc à la rigidification des dépenses de l'Etat, que le
Gouvernement déplore, sans pour autant y remédier jusqu'à présent.
Pour 1998, le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale du
mois de mai confirme globalement le niveau du déficit de la sécurité sociale
prévu en loi de financement. Je rappelle que les mesures contenues dans cette
loi visent à ramener le déficit tendanciel de 33 milliards de francs à 12
milliards de francs. La croissance étant au rendez-vous - et nous nous en
réjouissons - l'hypothèse de progression des cotisations sociales et de la
contribution sociale généralisée n'est, pour une fois, pas démentie.
Toutefois, le niveau du déficit de la sécurité sociale n'est pas en soi très
significatif. En effet, l'essentiel de l'effort de redressement des comptes
sociaux en 1998 est fondé sur des recettes nouvelles et sur des mesures de
trésorerie non renouvelables, ce qui laisse présager, à terme, quelques
difficultés.
L'augmentation des prélèvements sociaux est une tendance lourde, qui explique
l'essentiel de la progression des prélèvements obligatoires.
En 1980, les prélèvements au profit de l'Etat représentaient 18,2 % du PIB,
tandis que les prélèvements au profit de la sécurité sociale en représentaient
18,1 %. En 1997, ces deux taux étaient respectivement de 15,7 % et de 21,6 %.
Ainsi, alors que la part de l'Etat dans l'économie s'est réduite en dix-sept
ans de 2,5 points de PIB, ce qui est considérable, celle de la sécurité sociale
a augmenté de 3,5 points, ce qui ne l'est pas moins.
On assiste donc à une véritable éviction de la dépense budgétaire par la
dépense sociale, dans un contexte d'augmentation globale des prélèvements
obligatoires, et avec, en toile de fond, la très grande difficulté qu'il y a à
maîtriser les dépenses sociales, c'est-à-dire celles qui représentent la plus
grande masse et qui ont la plus grande inertie.
C'est donc avec un grand intérêt que je note que le Gouvernement s'engage à ne
pas augmenter les prélèvements obligatoires l'an prochain. Cet engagement vaut
aussi, j'en suis certain, pour les prélèvements sociaux. Mais je crains que le
Gouvernement ne compte surtout sur les effets mécaniques de la croissance pour
pouvoir le tenir.
Pour 1999, le rapport présenté à l'appui du débat d'orientation budgétaire
prévoit un excédent représentant 0,1 % du PIB pour les administrations de
sécurité sociale en 1999, soit environ 8 milliards de francs. Cette prévision
reprend tout simplement la projection présentée lors de la réunion de la
commission des comptes de la nation du mois d'avril.
L'amélioration financière prévue l'an prochain résulterait du dynamisme des
recettes et de l'embellie de la situation de l'emploi.
Je veux toutefois rappeler une évidence : à la différence des crédits
budgétaires, les dépenses sociales ne sont pas limitatives. L'excédent prévu
pour 1999 résulte de la projection purement tendancielle des évolutions
passées. Or, sur le long terme, les dépenses sociales font preuve d'une
remarquable dynamique puisque leur part dans le PIB est passée de 16 % en 1970
à 25 % en 1997.
A court terme, les dépenses sociales apparaissent toujours non maîtrisées - et
je crains qu'il n'en soit de même à moyen terme - ce qui me conduit à rester
très prudent sur la perspective d'un retour des comptes sociaux à l'équilibre
en 1999.
Cela étant, on peut aussi s'interroger sur la fiabilité des comptes sociaux.
Dans cette enceinte, voilà quatre ans, nous avons demandé que la comptabilité
de la sécurité sociale soit réalisée en droits constatés, et non simplement en
encaissements-décaissements. Hier, il a été fait état devant la commission des
affaires sociales des difficultés qui surgissent lorsqu'il s'agit de réaliser
cette mise en conformité des comptes sociaux avec les principes élémentaires de
la comptabilité, quelle soit publique ou privée.
Il en ressort que nous avons quelque mal à connaître la totalité des comptes
et leur consolidation. Cela nous amène parfois à entendre des polémiques entre
le ministre des affaires sociales et le directeur de la caisse nationale
d'assurance maladie.
Je formulerai quelques observations sur ce sujet.
Premièrement, le ralentissement des dépenses d'assurance maladie est loin
d'être acquis. Le message brouillé du Gouvernement, qui n'a pas cru bon de
reprendre clairement à son compte la réforme de son prédécesseur, semble avoir
favorisé un redémarrage des dépenses de santé. La progression des honoraires
des médecins a été de 3,8 % sur les quatre premiers mois de l'année. Le
mécanisme de reversement risque de devoir être mis en oeuvre pour la première
fois à la fin de cet exercice.
Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité vient d'annoncer que des
mesures de redressement allaient être prises au cours de l'été. Nous voilà
revenus une fois encore à ces plans d'économies brutaux pour la sécurité
sociale, auxquels le Gouvernement précédent avait voulu mettre fin en réformant
en profondeur notre système de protection sociale.
Mais la volonté politique semble avoir fait défaut pour mettre en place
rapidement les outils de régulation et de restructuration prévus par la réforme
de 1996. Nous en voyons aujourd'hui les conséquences. Or seuls ces outils
peuvent rendre intelligible et acceptée la maîtrise comptable des dépenses de
santé, maîtrise comptable, qui, je ne crains pas de le dire, est à la fois
légitime et inéluctable.
Deuxièmement, en matière de prestations familiales, le Gouvernement a annoncé
un certain nombre de mesures, dont la principale est l'abandon du plafonnement
des allocations familiales ; nous l'avions demandé l'année dernière, mais en
vain. Le coût total de ces mesures serait supérieur à 4 milliards de francs.
Ces dépenses supplémentaires devraient être financées par un abaissement du
plafond du quotient familial. Cependant, cet aménagement fiscal se traduira
d'abord par une hausse de l'impôt sur le revenu et les modalités du transfert
de ce surcroît de recettes du budget de l'Etat vers la branche famille ne sont
pas encore connues ; je souhaite qu'elles le soient pour notre débat de
l'automne.
Troisièmement, les gestionnaires de l'assurance chômage sont d'ores et déjà
invités à engager des négociations pour utiliser l'excédent probable de
l'UNEDIC, en finançant soit l'extension de l'allocation retraite pour l'emploi,
soit l'amélioration des conditions d'ouverture des droits à indemnisation.
Quatrièmement, enfin, rien n'est décidé pour les retraites. Les régimes
spéciaux poursuivent leur dérive financière, qui hypothèque les comptes de
l'Etat et des collectivités locales. La branche vieillesse du régime général
n'est toujours pas équilibrée, en dépit des effets positifs de la réforme de
1993. Curieusement, d'après la commission des comptes de la sécurité sociale,
son déficit se creuse de manière inexpliquée en 1998, avec un surcroît de
dépenses de près de 2 milliards de francs par rapport aux prévisions initiales.
Là encore, c'est un problème de comptes !
A moyen terme, le rapport présenté par le Gouvernement confirme la gravité du
problème financier posé par le ressaut démographique de 2005. Toutes choses
étant égales par ailleurs, le montant des prestations de retraite devrait
augmenter de 251 milliards de francs entre 1995 et 2005, et de 413 milliards de
francs entre 2005 et 2015. Les recettes ne suivant pas, le taux de cotisation
devrait passer, en moyenne, de 20 % à 35 % pour maintenir le taux de
remplacement. Je crains que nous n'ayons là quelques difficultés.
Pourtant, tout en reconnaissant l'urgence de mesures structurelles
d'ajustement, le Premier ministre s'est contenté de confier au Commissariat
général du Plan une « mission destinée à élaborer un diagnostic précis et
concerté de la situation ». Je n'ai rien contre la concertation, mais que de
temps déjà perdu depuis le premier Livre blanc, qui date, si j'ai bonne
mémoire, de 1991 !
Dois-je rappeler que le précédent Premier ministre, loin de vouloir réformer
d'autorité les retraites des fonctionnaires, avait annoncé, à l'automne 1995,
une première étape de clarification ? Il s'agissait de mettre en place une
commission d'études sur les régimes spéciaux et de rendre comptablement
autonome le régime des agents de l'Etat.
Comme chacun le sait, ce premier pas mesuré vers une réforme justifiée, et
inéluctable, s'est heurté à un refus de principe. Je souhaite à M. Lionel
Jospin d'avoir plus de chance, mais je crains que, de Livre blanc en Livre
blanc, on ne parvienne à une situation particulièrement sombre à moyen
terme.
Votre gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, me paraît tenté de mettre à
profit l'amélioration conjoncturelle des recettes de la sécurité sociale pour
repousser les réformes structurelles. Comme en matière budgétaire, ce serait
une grave erreur. Pour l'essentiel, vous vous contentez de prendre acte des
tendances de l'économie, et de mesurer l'étroitesse de vos marges de manoeuvre
dès lors que vous repoussez toute décision susceptible de déplaire.
Cette attitude, que je qualifierai de laxiste, est d'autant plus erronée que
certains projets dont le coût est mal évalué risquent de remettre en cause
l'excédent annoncé pour l'an prochain. Ainsi, le financement du projet de loi
de couverture maladie universelle est encore indéterminé. Rien ne garantit
qu'il sera neutre pour la branche maladie. De même, le Gouvernement laisse
entendre que les exonérations de cotisations sociales destinées à encourager la
réduction du temps de travail, qui sont évaluées à 7 milliards de francs pour
1999, pourraient ne plus être intégralement compensées à la sécurité
sociale.
A priori
, ces mesures ne sont pas prises en compte dans l'excédent
purement tendanciel annoncé par la Commission des comptes de la nation.
De toute façon, même s'il devait se confirmer, l'excédent hypothétique des
administrations de sécurité sociale prévu pour l'an prochain risque fort d'être
dilapidé. L'expérience montre que, dès qu'un excédent apparaît dans un
organisme quelconque de sécurité sociale, le réflexe est toujours, soit de le
ponctionner au profit d'autres organismes en situation déficitaire, soit de
créer des dépenses nouvelles pour utiliser cette marge de manoeuvre.
Or une priorité absolue doit être donnée au remboursement de la dette de 227
milliards de francs cantonnée dans la Caisse d'amortissement de la dette
sociale, la CADES. Vous me permettrez, en tant que président du conseil de
surveillance de cette caisse, d'insister sur ce point.
Ce recours à l'endettement, que je n'ai jamais admis que comme un pis-aller,
reste en effet un aberration au regard de la logique même d'un système de
sécurité sociale fondé sur la répartition.
C'est pourquoi j'estime, monsieur le secrétaire d'Etat, que tout éventuel
excédent du régime général de sécurité sociale devra être aussitôt affecté à la
CADES, pour accélérer le remboursement de la dette sociale. Que votre
gouvernement refuse de faire les réformes structurelles que chacun sait
nécessaires est une chose ; qu'il engage des dépenses nouvelles avant de
rembourser les dettes passées en est une autre.
Pour réussir, le redressement de nos finances publiques doit être mené sur
deux fronts parallèles, le front budgétaire, dont il a déjà été longuement
question aujourd'hui, et le front social, que je me permets d'aborder. Une fois
encore, l'étranger nous donne l'exemple. Pour 1999, les Etats-Unis envisagent
d'affecter leur excédent budgétaire au provisionnement des charges futures de
leurs régimes de retraite. Ah, quelle époque !
Une telle proposition, transposée en France, semblerait relever de la
politique-fiction. Ce n'est pourtant qu'une mesure de saine gestion. C'est dire
à quel point la culture de la dépense publique et du déficit est profondément
ancrée dans les mentalités et dans le pays tout entier.
Je crois donc utile, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, de
rappeler aux Français cette vérité première : on ne doit pas financer un
système de protection sociale à crédit.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
nous sommes heureux de renouer aujourd'hui avec un débat d'orientation
budgétaire organisé avant l'été, donc lorsque les derniers arbitrages ne sont
pas encore rendus... même à l'intérieur de votre majorité, si j'ai bien
compris, monsieur le secrétaire d'Etat !
(Sourires.)
Il est bon que ce débat nous permette de travailler sur les orientations
à moyen terme qui vont guider la préparation du budget pour 1999, plutôt que
sur une sorte d'avant-projet de budget pour 1999.
S'agissant du moyen terme, cependant, les responsables politiques doivent
rester très modestes. Les marchés mondiaux, nous le savons bien, peuvent en
effet connaître de brusque variations, des évolutions imprévisibles.
En dépit de l'efficacité incontestable du Fonds monétaire international et de
progrès réalisés dans la coordination des politiques des principaux pays
industrialisés, nous ne sommes pas à l'abri de nouveaux soubresauts financiers
ou monétaires.
Par ailleurs, le marché européen va être radicalement transformé par
l'institution de la monnaie unique, mais, là, les changements sont prévisibles,
et leurs conséquences programmables.
Dans un tel contexte d'évolutions, les unes prévisibles, les autres beaucoup
plus aléatoires, le projet de budget peut favoriser ou contrecarrer la reprise
de la croissance.
Nous connaissons actuellement une embellie économique, comme dans la
quasi-totalité des autres pays européens, le rapporteur général l'a d'emblée
souligné. Tous les clignotants, ou presque, sont au vert ; c'est le cas du taux
de croissance, bien sûr, mais plus significatif encore, également de la
production industrielle et de l'investissement, donc de l'emploi.
Néanmoins, plusieurs dangers menacent une reprise encore fragile. Un nouveau
retournement de la conjoncture économique mondiale reste possible.
Un tel retournement de tendance pourrait être catastrophique si nous
poursuivions une politique budgétaire qui ferait la part trop belle à la
dépense publique ou si nous reportions à plus tard, c'est également important,
les grandes réformes de structure engagées courageusement par le gouvernement
précédent et qui restent plus que jamais indispensables, la plus importante
étant évidemment la réduction des prélèvements obligatoires. Nous ne devons pas
prendre ce risque.
Je n'insisterai pas sur les aléas de la conjoncture internationale : le niveau
du dollar doit, à cet égard, être suivi avec une attention toute particulière.
Qu'arrivera-t-il, demain, si la baisse des profits des entreprises américaines,
sensible depuis un semestre, finit par freiner la croissance aux Etats-Unis
?
Il est, de même, difficile de prévoir quelles seront les conséquences réelles,
pour nos économies européennes, de la crise que connaît actuellement la
Fédération de Russie sur les plans financier et politique.
En dehors de ces facteurs extérieurs, nous devons plus généralement nous
interroger sur la capacité de la France à s'inscrire actuellement dans un cycle
de croissance durable tel que celui que connaissent les Etats-Unis depuis
maintenant sept ans. Notre pays, plus que la plupart de nos partenaires de
l'Union européenne, souffre, en effet, de la persistance de facteurs de
rigidité économique.
A nouveau, ces rigidités résultent d'abord du poids de la dépense publique,
nous l'avons dit et j'y insiste. Celle-ci atteint un niveau tout à fait
excessif dans notre pays. A ce niveau, il ne peut plus être question de relance
de la consommation par une nouvelle augmentation de la dépense publique. Il ne
peut plus y avoir qu'une asphyxie générale, celle qui affecte déjà les
entreprises, les ménages et, bien entendu, l'Etat.
Nous sommes ici, monsieur le secrétaire d'Etat, au coeur du débat
d'orientation budgétaire. M. Strauss-Kahn reconnaissait tout à l'heure que l'on
peut avoir sur ce sujet des approches différentes : le Gouvernement estime que
la dépense publique sert la croissance ; quant à nous, nous ne le croyons
pas.
Approfondissons la réflexion sur ce sujet, car c'est bien, je pense, l'intérêt
d'un débat d'orientation budgétaire.
Monsieur le secrétaire d'Etat, notre dépense publique atteint un niveau
déraisonnable, je le disais à l'instant. Si votre thèse est exacte, si la
dépense publique nourrit la croissance, nous ne devons plus nous inquiéter, et
il est inutile d'en rajouter. Par conséquent, la question est alors de savoir
jusqu'à quel niveau et dans quel contexte votre thèse - la dépense publique
sert la croissance - peut l'emporter ou, plus simplement, si c'est son niveau
ou son augmentation, quel que soit le niveau d'où l'on part, qui sert la
reprise de la croissance.
Au niveau actuel, la dépense publique a, je le pense et je l'espère, un effet.
Mais elle a surtout un coût. Pire, elle détruit toute marge de manoeuvre dans
notre budget. Or il nous faut aujourd'hui d'abord redonner de l'oxygène aux
particuliers et aux entreprises, avant qu'ils aillent le chercher ailleurs ou
qu'ils se découragent. Et il nous faut également redonner de l'air à l'Etat.
Vous choisissez d'augmenter encore les dépenses publiques et de réduire le
déficit, en mobilisant donc, sur ces deux postes, les fruits d'une croissance
retrouvée. Nous préférerions très clairement que vous mobilisiez ces fruits
pour réduire plus vite le déficit et pour alléger les prélèvements
obligatoires, ce qui impliquerait évidemment que nous renoncions à voir la
dépense publique déraper à nouveau.
Ce matin, M. Strauss-Kahn entonnait un hymne à la stabilité fiscale. En des
temps plus difficiles, M. Juppé nous avait proposé un programme pluriannuel
d'allégement de l'impôt sur le revenu. Il faut vous en inspirer, monsieur le
secrétaire d'Etat !
Pour retrouver confiance et pour investir, nos compatriotes aspirent à plus de
lisibilité, à moyen ou à long terme. Ce qu'ils rejettent avant tout, ce sont
les changements incessants de cap.
Je ne vous étonnerai pas non plus, monsieur le secrétaire d'Etat, en revenant
sur notre déficit. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler longuement comment
certains de vos amis ironisaient sur le fait que M. Balladur avait laissé
augmenter la dette. Cette année, la dette va encore augmenter. Et c'est, pour
vous comme pour M. Balladur, le poids du déficit accumulé entre 1989 et 1993
qu'il s'agit de payer. Cela relativise les leçons que vous nous donniez voilà
trois ans. Il est temps de cesser de nous donner des leçons les uns aux autres
!
Vous l'avez compris, je crois, il est urgent de ramener le déficit à un niveau
où le poids de la dette cesse de croître, c'est-à-dire dans les conditions
actuelles, à un niveau compris entre 1,5 % et 2 % du PIB. Vous faites un
nouveau pas dans ce sens, et vous en annoncez d'autres pour les années
suivantes. C'est bien ! Ce serait mieux que vous choisissiez d'aller encore
plus vite dans ce sens en modérant davantage les dépenses.
A cet égard, je propose une réforme toute simple et peu coûteuse : nous
pourrions convenir d'appeler désormais « emprunt » ce « déficit » ; nous
l'inscririons en recette dans notre budget, comme tout le monde. Alors, nous
reviendrions peut-être plus facilement à des pratiques aussi saines que celles
qui interdisent d'emprunter pour couvrir des dépenses de fonctionnement !
Je souhaite maintenant revenir sur les effets de la mise en place de
l'euro.
Nous avons devant nous un vrai débat : faut-il aller vite et loin en matière
d'harmonisation fiscale ou, au contraire, devons-nous prendre notre temps et
respecter certaines différences ?
Un simple exemple permet d'illustrer les écarts excessifs de charges sociales
et fiscales entre les pays membres de l'Union : les charges sur les salaires
sont ainsi de 50 % environ en France, contre 18 % seulement en Espagne.
La divergence fiscale est inévitable au sein de l'Union europenne. Même un
pays fédéral comme les Etats-Unis conserve des différences de fiscalité, de
l'ordre de 5 % à 6 % entre les Etats.
En Europe, cependant, ces différences sont trop marquées. Une harmonisation
raisonnée et étalée sera nécessaire. C'est un grand chantier qui est ouvert
devant nous. Dans ce contexte, sachons cependant que, globalement, la France
figure parmi les pays européens qui ont la fiscalité la plus lourde.
Quelle que soit l'évolution du débat sur l'harmonisation fiscale, la France
doit s'y préparer en modérant sa fiscalité. Or cela ne me paraît pas être le
chemin que vous avez choisi. C'est vrai pour l'impôt sur les sociétés, l'impôt
sur le patrimoine, la taxation de l'épargne... C'est vrai aussi pour l'impôt
sur le revenu.
En l'absence d'une réelle harmonisation des règles d'imposition entre pays de
l'Union, gardons-nous de toute réforme hâtive motivée par des considérations
plus ou moins idéologiques, dont l'effet pourrait être catastrophique pour le
financement de nos entreprises comme pour notre économie.
Je note au passage que, pour effacer la mesure désastreuse que vous aviez
prise à l'automne en soumettant à condition de ressources les allocations
familiales, vous n'avez à nouveau rien trouvé de mieux que la voie fiscale.
Pour les familles donc, le bilan net de l'opération depuis votre arrivée en
juin 1997 reste négatif : elles sont moins aidées. Pour la fiscalité, le bilan
est simple également : elle est alourdie. Nous perdons sur les deux tableaux
!
Mais, dans l'immédiat, le danger d'une délocalisation des capitaux, plus
généralement au profit de pays comme la Grande-Bretagne, ou même l'Allemagne,
reste très réel. Globalement, la fiscalité de l'épargne est déjà plus lourde en
France que dans d'autres pays de l'Union, en raison de la superposition
d'impôts sur la détention, la cession, la transmission et les revenus de
l'épargne. N'aggravons pas ce phénomène par de nouvelles mesures « boomerang
».
Le rééquilibrage de la fiscalité qui pèse sur le revenu du travail et du
capital ne doit pas se faire en France par un alourdissement de celle qui pèse
sur le capital, alors que, dans leur quasi-totalité, nos partenaires européens
s'attachent, au contraire, et à juste titre, à alléger plutôt celle qui pèse
sur le travail. Nous serons de plus en plus isolés et nous prendrons de plus en
plus de retard sur nos partenaires à l'heure où l'euro ouvre l'ère d'un
véritable capitalisme européen.
Dans ce contexte, les entreprises françaises sont confrontées non seulement à
la lourdeur des prélèvements, mais également à un singulier défaut de sources
de financement. Un grand patron disait récemment devant notre commission des
finances qu'entre les fonds de pension américains et l'épargne administrée le
chef d'entreprise français se trouve devant une tragique absence de choix. Il
s'agit certes d'une formule, mais elle peut nous inciter à réfléchir.
Alors que l'inflation atteint dans notre pays, comme ailleurs en Europe, un
minimum historique, le coût du crédit reste généralement encore trop élevé.
Début avril, à défaut de l'application de la loi sur les fonds de pension,
vous évoquiez une mesure significative dans le cadre du projet de budget pour
1999 ? Qu'en est-il réellement, monsieur le secrétaire d'Etat ?
Nous ne voudrions pas que le projet de budget pour 1999 s'annonce orienté vers
le très court terme. Il nous faut préparer l'avenir.
En matière de fiscalité, M. Strauss-Kahn calait, ce matin, son discours sur
trois priorités : stabilité, emploi et justice. J'ajouterai l'harmonisation
fiscale en Europe. Elle me paraît également devoir être prioritaire.
En effet, à quoi bon laisser déraper aujourd'hui des impôts que nous devrons
soumettre demain à harmonisation ? Après nous avoir appelés à la sagesse en
1992, en rappelant que les déficits ne rapportaient rien, l'Europe va, je
l'espère, nous appeler à la sagesse fiscale. C'est bien cette sagesse qu'il
vous faut viser aujourd'hui pour ne pas avoir à payer demain budgétairement
trop cher un retour à une norme européenne qui, elle, serait restée plus sage.
Comment équilibrerions-nous alors notre budget ?
Notre choix est donc simple. Vous le trouverez peut-être simpliste, mais il me
semble clair : c'est moins de dépenses - je l'ai déjà dit - et, en recettes,
c'est beaucoup moins de déficit pour moins de dettes, et c'est moins de
prélèvements !
J'aborderai un dernier point.
Ce matin, M. Strauss-Kahn a évoqué le budget européen. J'insiste à nouveau
auprès de vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour que vous obteniez que le
budget de l'Europe donne l'exemple de la rigueur. Un dérapage de la dépense
européenne serait aujourd'hui incompréhensible, bien davantage encore que tout
dérapage de la dépense publique française. Il pèserait en effet sur nos budgets
nationaux, alors que l'Europe nous appelle précisément à être rigoureux. Plus
grave encore, il dresserait les Etats et les citoyens contre l'Europe, qui
retrouverait ainsi un statut de bouc émissaire que nous ne voulons plus lui
voir jouer.
Plus précisément, monsieur le secrétaire d'Etat, il vous faut refuser
aujourd'hui le budget supplémentaire et rectificatif préparé par la Commission,
qui prévoit d'augmenter encore un budget 1998 que nous avions déjà jugé
excessif. Il vous faut barrer la route à tout laxisme alors que nous préparons
le budget européen de 1999, lequel servira de référence pour les années qui
suivront. Il faut, enfin, faire prévaloir la plus grande rigueur pour préparer
les perspectives financières qui seront arrêtées pour les années suivantes. Il
faut le faire pour la France et pour l'Europe, et ceux qui connaissent un peu
le budget européen savent que c'est possible. Il est plus facile de construire
le budget européen que le budget français, je vous le concède, et nous le
savons tous.
En m'arrêtant sur ce sujet, je pense être bien dans le cadre d'un débat
d'orientation budgétaire. Il nous faut prendre l'habitude, dans ce genre de
débat, de raisonner en Français mais aussi en Européens.
Je ne veux pas terminer, bien sûr, sans remercier le président de la
commission des finances, M. Christian Poncelet, et le rapporteur général, M.
Alain Lambert, qui ont marqué la préparation de ce budget de leur empreinte
toujours forte, claire et constructive, empreinte que le groupe de l'Union
centriste apprécie tout particulièrement.
(Applaudissements sur les travées
de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Moreigne.
M. Michel Moreigne.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
dans quelques jours, le Gouvernement annoncera une série de mesures pour la
ville, à la suite du rapport Sueur.
Qu'il me soit permis de rappeler qu'une mobilisation particulière est
indispensable en faveur des zones rurales, tout particulièrement de celles qui
sont en perte de croissance.
Banlieues et zones rurales ne sont que les deux faces d'un même problème, la
redéfinition d'une politique d'aménagement du territoire doit en être la
conséquence.
La question est en effet non plus seulement « Paris et le désert français »,
mais l'accentuation des déséquilibres territoriaux dans le double mouvement de
métropolisation et de dévitalisation rurale, qui ne risquent que de s'aggraver
du fait de la concurrence entre les territoires dans l'Europe et de la
mondialisation, entre autres éléments.
Des mécanismes aboutissant au cumul des inégalités se sont donc mis en place
et leurs effets s'accentuent à raison d'une simple localisation territoriale.
Selon que l'on habite à Neuilly-sur-Seine ou dans un village de la Creuse,
l'égalité des chances et des droits n'existe plus.
Les gouvernements précédents ont beaucoup annoncé, mais très peu réalisé.
Ainsi, la loi Pasqua devait inventer la France du XXIe siècle, mais la majeure
partie de ses dispositions sont restées lettre morte et les engagements pris
ont été insuffisamment tenus ou pas tenus du tout.
De plus, les crédits dévolus à l'aménagement du territoire ont connu une
baisse, notamment sous la précédente législature. Ainsi, le budget de 1997
était inférieur à celui de 1993 : le recul atteignait 15 % pour les crédits de
paiement et plus de 25 % pour les autorisations de programme.
Le gouvernement actuel est en train de donner une priorité nouvelle à
l'aménagement du territoire, ou plutôt « au développement solidaire et durable
des territoires », expression qui reflète mieux sa volonté puisque les
objectifs seront la restauration de la cohésion territoriale, le développement
durable de tous les territoires et le renforcement des mécanismes de solidarité
en faveur des territoires les plus fragiles.
Des projets de loi relatifs à l'aménagement du territoire, à
l'intercommunalité et aux interventions économiques des collectivités locales
seront déposés très prochainement. Ils permettront la redéfinition d'une
véritable politique d'aménagement du territoire. Celle-ci devra être soutenue
financièrement de façon forte, et c'est là l'objet principal de mon propos.
Tout d'abord, en termes de moyens, l'aménagement et le développement du
territoire doivent être convenablement dotés, chacun en conviendra. Le budget
pour 1998 a mis fin à la dérive que j'ai énoncée tout à l'heure, mais il est
nécessaire que ce poste soit prioritaire pour les attributions au titre de
1999.
Les efforts doivent, par exemple, se poursuivre pour une meilleure desserte
par les infrastructures. Je prendrai un exemple que je connais bien : les
infrastructures transversales, qu'elles soient ferroviaires, telles que
Bordeaux-Lyon via Guéret et Montluçon, ou routières, telle la voie Centre
Europe-Atlantique, qui doit recevoir, au même titre que l'autoroute A-89 et
dans le même temps, les financements nécessaires.
J'insiste également sur la nécessité du maintien des services publics de
proximité dans les zones rurales, à conditions tarifaires égales pour tous, en
particulier pour EDF et pour - ce qui est plus d'actualité aujourd'hui - La
Poste.
Le contrat Etat-La Poste vient d'être signé ou va l'être. Il prévoit la mise
en place d'instances départementales regroupant les responsables de la Poste et
les élus locaux en vue de déterminer les conditions de maintien de la présence
postale en milieu rural.
Les sénateurs socialistes se félicitent de ce souci de concertation du
Gouvernement. Néanmoins, ils ont quelques inquiétudes, monsieur le secrétaire
d'Etat, et aimeraient avoir des précisions sur les modalités que le
Gouvernement entend mettre en oeuvre pour éviter la transformation, que je
qualifierai d'abusive, de bureaux de poste bien réels en agences communales et
sur la nécessaire clarification de leur statut.
Il en va de la responsabilité générale des maires, voire de leur
responsabilité pénale - la question est importante - et - ne l'oublions pas ! -
de l'avenir des budgets communaux.
L'agriculture est également une priorité pour le monde rural. Le budget qui
lui est consacré devrait figurer parmi les budgets prioritaires ; il devrait
donc augmenter, si mes informations sont bonnes, d'au moins 3,5 % par rapport à
1998, avec une traduction, dans le budget annexe des prestations sociales
agricoles, des engagements pris pour la revalorisation, et c'est une deuxième
étape, des retraites agricoles.
En 1998 déjà, 274 000 conjoints d'exploitant, aides familiaux ou exploitants
ont vu leur retraite majorée en application de l'article 102 de la loi de
finances, s'agissant des pensions liquidées avant le 1er janvier 1998. Il est,
à l'évidence, nécessaire d'étendre cette disposition aux personnes retraitées
après cette date afin d'assurer un traitement égalitaire.
De même, une deuxième étape de revalorisation globale des retraites agricoles,
comme s'y était engagé M. Louis Le Pensec, doit trouver sa traduction dans le
projet de loi de finances pour 1999.
Nous aurons bientôt à examiner le projet de loi d'orientation agricole. Il
devra, lui aussi, être accompagné de moyens suffisants pour mettre en
application, entre autres éléments, un slogan qui a sa valeur : plus de voisins
et moins d'hectares !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Très jolie formule !
M. Michel Moreigne.
C'est ce que souhaitent les jeunes agriculteurs pour s'installer. Je pense que
nous pourrons y arriver ensemble.
Les dotations aux collectivités locales ont été largement évoquées par les
collègues de mon groupe. Toutefois, il me paraît indispensable d'insister sur
la nécessité de la péréquation. Les sommes qui y sont affectées sont toujours
trop importantes à vos yeux, monsieur le secrétaire d'Etat, mais elles sont
toujours trop faibles pour ceux qui les recoivent. De plus, il y a souvent
absence de convergence entre la répartition des dotations et les priorités qui
sont affirmées dans le cadre de l'aménagement du territoire.
Aussi, permettez-moi de souhaiter que le rapport sur le dispositif organisant
la péréquation financière soit prochainement remis au Parlement, conformément à
l'engagement qui a été pris.
Pour les départements et les régions, il semble indispensable de renforcer les
dispositifs de péréquation horizontale. En effet, sans péréquation, certaines
collectivités ne pourront plus assumer leurs missions. Là encore, une inégalité
devant le service public est à redouter.
Au niveau des communes, la réponse la plus adaptée, la mieux appropriée semble
bien être le développement de l'intercommunalité, qui s'attaque aux sources
mêmes des inégalités financières et les traite par la mise en commun des bases
taxables et le choix d'un taux unique d'imposition.
L'intercommunalité a été fortement encouragée par la loi du 6 février 1992,
relative à l'administration territoriale de la République. On compte désormais
plus de 1 450 établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre
concernant, plus de 16 000 communes et 31 millions d'habitants.
Il est nécessaire de poursuivre dans cette voie par une définition et par un
renforcement de la notion, encore un peu floue, de pays, qui pourrait être une
bonne base, un bon niveau d'organisation des services en zone rurale, sur
lequel semblent vouloir se fonder les futurs contrats Etat-région pour la
répartition de crédits que je souhaiterais aussi importants que possible.
Dans le cadre du nouveau contrat de solidarité et de progrès - c'est ainsi
qu'il faut l'appeler et que nous l'appelons nous-mêmes - entre l'Etat et les
collectivités locales, cette spécificité de l'intercommunalité doit être prise
en compte.
On n'évitera sans doute pas la création d'une dotation spécifique pour
l'inercommunalité. Souhaitons, alors, que son indexation ne soit pas trop
stricte ou trop restrictive.
M. Régnault et Mme Bergé-Lavigne ont suffisamment traité de la réforme de la
taxe professionnelle ; je n'y reviendrai pas.
Je voudrais évoquer, dans le peu de temps qui me reste, une dernière
question.
A notre connaissance, un des axes du projet de loi de finances pour 1999
paraît tendre à ce que la fiscalité puisse encourager l'environnement et la
qualité de la vie. Nous partageons totalement cette orientation. De manière
générale, je me dois de vous dire que ces mesures fiscales devraient autant que
faire se peut être appliquées selon un principe de neutralité. En effet, cette
fiscalité n'a pas vocation à dégager des recettes supplémentaires pour
l'Etat.
Dans cet esprit, si ce que l'on appelle une éco-taxe était mise en place, elle
devrait s'accompagner de baisses d'impôts sensiblement équivalentes pour les
ménages et pour les entreprises. Par exemple, s'agissant de la taxe intérieure
sur les produits pétroliers, un rééquilibrage entre le gazole et le
supercarburant devrait, selon nous, être compensé pour les utilisateurs
professionnels, notamment les transporteurs et les agriculteurs.
En ce qui concerne les déchets et les ordures ménagères, qui ont déjà fait
l'objet des préoccupations exprimées par mes collègues, nous renouvelons notre
souhait de voir le taux de TVA passer le plus rapidement possible à 5,5 % pour
l'enlèvement et le traitement, ainsi que vous y autorise l'annexe H de la
directive de 1992.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers
collègues, les principales observations que je souhaitais formuler, en
regrettant que le temps de parole dont je disposais ne m'ait pas permis de
préciser davantage mon propos.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
j'ai bien conscience de l'incongruité qu'il y a à prendre la parole devant la
Haute Assemblée dans ce débat d'orientation budgétaire à cette heure.
Je dirai d'abord que je fais miens les propos tenus par les précédents
orateurs du groupe de l'Union centrise, le président Xavier de Villepin et M.
Denis Badré. Je reviendrai simplement sur les questions relatives à la
fiscalité locale. Il n'est probablement pas inutile que le dernier orateur
inscrit parle, précisément, de la situation financière des collectivités
locales, que représente notre Haute Assemblée.
M. le rapporteur général, dans son rapport, indique qu'il y a, pour lui, un
impératif : réduire les déficits pour résorber la dette et se préparer à
l'avenir. Chacun peut faire sien cet impératif. Il y met une condition : ne pas
transformer les collectivités locales en variable d'ajustement du déficit de
l'Etat.
Je ne suis pas sûr qu'il y ait lieu de s'interroger vraiment quand on lit ce
qu'écrit le Gouvernement à la page 49 du rapport qu'il nous a fourni pour
alimenter ce débat : « Les collectivités locales présentent une situation
exédentaire, fruit d'une évolution dynamique de leurs prélèvements et d'une
orientation plus modérée de leurs dépenses. »
On a l'impression, lorsqu'on rapproche ces deux textes, que les difficultés de
l'un pourraient trouver leur solution dans la situation idylliquement dépeinte
des autres.
L'année 1999 apparaît pour les collectivités locales comme une année
charnière. C'est en effet l'année qui marque la fin du pacte de stabilité,
celle du début annoncé d'une réforme de la fiscalité locale et peut-être,
monsieur le secrétaire d'Etat, celle qui verra l'introduction de bases que je
n'ose plus qualifier de « nouvelles » dans notre fiscalité... peut-être,
puisque vous-même, qui avez annoncé cette introduction voilà un an, n'en parlez
plus, si bien que je me demande si tout le monde n'a pas abandonné peu ou prou
cette idée.
A cette heure, je me bornerai à formuler quelques brèves remarques.
Je veux, à mon tour, insister sur la nécessité d'un engagement pluriannuel
entre l'Etat et les collectivités locales. Mais, contrairement à Mme
Bergé-Lavigne et MM. Régnault et Moreigne, je me demande si les jeux ne sont
pas déjà faits, si l'Etat n'a pas pris sa décision. J'espère, monsieur le
secrétaire d'Etat, que vous pourrez me répondre négativement sur ce point.
La nécessité d'un engagement pluriannuel est évidente. C'est ce qui évite de
chercher chaque année sur quelles règles doivent se fonder les relations
financières entre l'Etat et les collectivités locales ; c'est ce qui assure la
lisibilité des choix, au moins à moyen terme.
Un tel engagement pluriannuel pose, c'est évident, à la fois des questions de
forme et des questions de fond.
Nous avons souvent dit ce que nous pensions du premier et dernier pacte de
stabilité. Pour nous, c'était plus une charte octroyée, évocatrice de
l'histoire constitutionnelle de notre pays, qu'un véritable pacte.
Ce que nous voulons, c'est un véritable contrat, comme l'ont dit Mme
Bergé-Lavigne et M. Régnault. Souhaitons qu'ils aient raison et qu'ils
obtiennent de vous ce qu'ils nous ont annoncé, même si nous en doutons beaucoup
!
Au-delà des questions de forme, il y a les questions de fond.
Un pacte financier liant l'Etat et les collectivités locales doit prendre en
compte les recettes, c'est évident. Des questions se posent quant à l'évolution
de ces recettes : doivent-elles suivre simplement l'évolution des prix ou
l'évolution des prix et la croissance ? L'ensemble des orateurs qui se sont
exprimés sur ce point estiment que les collectivités locales doivent avoir leur
part de la croissance, croissance que le Gouvernement nous a annoncée forte,
soutenue et pérenne, ce que nous souhaitons tous pour notre pays.
Mais un tel pacte n'a de sens véritable que s'il prend également en compte les
dépenses. C'est sur ce point, monsieur le secrétaire d'Etat, que je
m'interroge.
A la page 45 du rapport que vous nous avez remis, au chapitre relatif aux
collectivités locales, vous ne nous laissez aucune illusion : « C'est pourquoi
le Gouvernement souhaite faire évoluer la structure des dépenses et des
recettes publiques pour améliorer la qualité de l'intervention des
administrations dans leur ensemble et assurer le financement de ses priorités.
» Vous annoncez très clairement les choses : le pacte que vous nous proposez
est destiné à assurer le financement des priorités arrêtées par le
Gouvernement.
Mme Bergé-Lavigne et ses collègues nous ont dépeint un pacte en quelque sorte
idyllique liant l'Etat aux collectivités locales : programmeraient les
collectivités locales leurs propres budgets locaux, c'est-à-dire leurs
priorités.
Naturellement, vous nous annoncez autre chose. Aussi, pour ne pas être trop
déçu, je rêve d'un pacte dans lequel l'Etat assurerait déjà aux collectivités
locales le financement des dépenses qu'il entend mettre à leur charge.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
C'est la sagesse même !
M. Michel Mercier.
Et puisque vous nous dites, monsieur le secrétaire d'Etat - on ne peut vous
critiquer il n'y a pas de surprise : les choses sont claires - que l'Etat
entend faire financer ses choix par les collectivités locales, je veux rappeler
un certain nombre de choix faits ces derniers mois qui auront des conséquences
extrêmement importantes sur les budgets locaux : l'accord salarial relatif à la
fonction publique ; le régime de travail pour les sapeurs-pompiers ; les
emplois-jeunes ; la loi relative à la lutte contre les exclusions, qui sera
bientôt votée et dont les conséquences financières seront lourdes du fait des
interventions du fonds d'aide aux jeunes et du fonds de solidarité logement. La
loi sur l'assurance maladie universelle, qui nous est annoncée pour le mois de
novembre, ne sera pas non plus sans conséquence.
Je citerai seulement pour mémoire le problème de la Caisse nationale de
retraites des agents des collectivités locales, dont on vous a déjà beaucoup
parlé.
Enfin, j'évoquerai ce dont la presse s'est fait longuement l'écho ce matin à
propos de La Poste : les petites communes qui veulent conserver un bureau de
poste devront assurer au moins une part du financement de ce service public.
Tout cela ne peut que nous inquiéter.
Vous avez - cela est à mettre à votre crédit - lancé une large concertation.
Vous avez réuni, voilà quelques jours, tout ce que la France compte de
spécialistes des finances locales, ou presque.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Pas tous puisque vous n'y étiez pas !
(Sourires.)
M. Michel Mercier.
En effet. Mais ce sera pour la prochaine fois, je n'en doute pas !
Cela étant, je me demande, si, en définitive, ce dialogue n'était pas plus
formel qu'approfondi et si l'annonce de la création de groupes de travail n'est
pas un moyen de renvoyer à plus tard les conclusions de ce dialogue alors que
l'essentiel est déjà arrêté.
Je souhaite que vous puissiez, sur ce point, nous apporter quelques
apaisement. J'attends au moins, je le répète, l'engagement que l'Etat financera
ce qu'il met à la charge des collectivités locales. Ce serait déjà très bien
et, d'une certaine façon, nous saurions nous en contenter.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Ce serait bien, effectivement, que le Gouvernement
prenne cet engagement !
M. Michel Mercier.
C'est vrai, ce serait un grand pas, même si ce n'est pas aussi beau que ce que
souhaite Mme Bergé-Lavigne. En tout cas, ce serait nettement mieux que ce à
quoi nous nous attendons.
Sur la réforme fiscale, je serai très bref.
Vous choisirez : ou bien la taxe professionnelle ou bien la taxe d'habitation.
Dans les deux cas, le sujet est complexe et l'on se doit de l'aborder avec
humilité. Personne ne sait vraiment faire et personne n'a de solution miracle.
D'ailleurs, si cette solution miracle existait, nul doute qu'elle aurait été
mise en oeuvre depuis longtemps !
A cet égard, j'éprouve deux craintes. Aujourd'hui, l'Etat est devenu le
premier contributeur de la taxe professionnelle : il supporte plus d'un tiers
de la taxe professionnelle. Cette situation est probablement anormale.
Mais, pour le moins, nous ne voudrions pas que le Gouvernement, en réformant
la taxe professionnelle, n'assure plus aux collectivités locales le niveau de
ressources qu'il leur assure actuellement par le biais de la compensation.
Des réformes modestes peuvent être menées à bien, notamment celle qui
s'orienterait vers un taux unique de taxe professionnelle dans le cadre
intercommunal. Ce serait déjà un progrès économique important, même si cela ne
correspond pas à un progrès fiscal réel.
J'en viens à ma seconde crainte.
L'idée selon laquelle les collectivités locales se trouveraient en situation
financière excédentaire me paraît être une fausse bonne idée. L'excédent est
lié essentiellement au ralentissement des dépenses d'investissement des
collectivités locales, ce qui est dommageable pour l'ensemble de la
collectivité nationale.
Il n'y a pas matière, dans les budgets des collectivités locales, à aider
l'Etat à diminuer son déficit.
Pour ma part, je souhaite que, grâce au dialogue que vous avez ouvert avec
l'ensemble des élus locaux, nous trouvions un pacte raisonnable, dans lequel on
ne promette pas la lune, mais qui assure au moins le maintien des équilibres
actuels.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et Indépendants.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, je vais m'efforcer de répondre brièvement à des interventions qui
ont montré l'utilité du débat d'orientation budgétaire, utilité qui a été
soulignée ce matin par chacun des présidents de commission ainsi que par M. le
rapporteur général.
Ce débat, qui a été utile pour la démocratie, l'a été également pour le
Gouvernement. Il a mis en évidence qu'il n'y avait pas « une » orientation
budgétaire, mais au moins deux familles d'orientations budgétaires clairement
affirmées.
S'agissant de la procédure, M. Lachenaud s'est interrogé sur le point de
savoir si ce débat ne venait pas trop tôt, ou trop tard.
Si ce débat avait eu lieu plus tôt, nous n'aurions pas bénéficié des
informations importantes que la Cour des comptes a fournies sur l'année
1997.
S'il était intervenu plus tard, alors, oui, les choix du Gouvernement auraient
été faits sur les grands postes de dépenses qui relèvent des lettres-plafonds :
les choix fiscaux et, sujet sur lequel nombre d'entre vous sont intervenus, les
choix en matière de relations entre l'Etat et les collectivités locales.
Sur chacun de ces grands sujets, le débat est donc arrivé au moment
opportun.
Toujours à propos de la procédure - mais pas uniquement - M. le président
Fourcade a dit qu'en fait ce débat portait non seulement sur le budget de
l'Etat, mais encore sur l'ensemble des finances publiques, y compris sur
l'avenir de la sécurité sociale, avenir auquel M. Oudin a consacré une analyse
tout à fait minutieuse.
Peut-être faudra-t-il qu'en 1999, dans le prochain débat d'orientation
budgétaire, nous trouvions ensemble une façon de traiter plus directement de la
question de la sécurité sociale.
En tout cas, pour 1999, l'orientation du Gouvernement est claire : l'équilibre
du régime général est atteint à la fois grâce à la croissance, qui apporte des
ressources suppplémentaires - c'est l'un des bons côtés de la croissance - mais
aussi grâce à la maîtrise des dépenses, qui sera poursuivie avec fermeté.
Cette fermeté - vous en avez été les témoins il y a peu de temps - le
Gouvernement en fera preuve pour que l'objectif national de progression des
dépenses d'assurance maladie de 2,2 %, fixé dans la loi de financement pour
1998, soit véritablement atteint. Vous avez vu que deux premières mesures ont
été prises à cette fin touchant la profession dentaire.
Donc, il y a eu un vrai débat d'orientation budgétaire, entre, d'une part, ce
que j'ai présenté et qui a été soutenu par la majorité issue des élections du
1er juin 1997, c'est-à-dire un équilibre dynamique - équilibre entre la
croissance et la réduction des déficits, équilibre entre le développement de
l'emploi et la justice sociale - et, d'autre part - sans vouloir caricaturer
des interventions qui ont été riches - une sorte de dogmatisme de la
soustraction - moins de dépenses, moins d'impôts... - développé parfois avec
nuances, mais fréquemment aussi avec une certaine redondance.
Je répondrai maintenant rapidement à M. le rapporteur général.
Selon lui, aucun gouvernement ne peut changer la conjoncture. C'est vrai que
la France ne fait pas lever le soleil et que, comme l'ont dit M. de Villepin,
M. Badré et d'autres orateurs, nous sommes soumis à des aléas
internationaux.
Tout de même, un exemple dans le passé prouve qu'un gouvernemennt peut changer
la conjoncture : en 1995, le gouvernement Juppé, alors que l'économie française
redémarrait, a donné un tel coup de bâton fiscal à la consommation des ménages
que le pouvoir d'achat des Français a régressé en 1996 et qu'une reprise qui
était en train de s'amorcer a été étouffée.
Aussi, je reprendrai volontiers à mon compte les propos de M. Strauss-Kahn :
si nous n'avons pas entièrement provoqué la reprise, je pense que nous l'avons
encouragée grâce à un certain nombre de mesures favorables à la consommation et
au logement social. En tout cas, nous n'avons pas renouvelé ce que je considère
comme des erreurs de nos prédécesseurs.
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Vous avez gardé les impôts !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Monsieur le rapporteur général, vous nous avez accusés
- sans employer un terme aussi vulgaire - de mollesse en matière de réduction
de déficits. Je vous rappelle que, de 1993 à 1997, le déficit de l'Etat a été
réduit de 50 milliards de francs, passant de 345 milliards de francs à 295
milliards de francs. Le Gouvernement, en deux ans, de 1997 à 1999, le réduira
de 57 milliards de francs, le faisant passer de 295 milliards de francs à 238
milliards de francs. Je n'en tire aucune gloire, mais, en la matière les
chiffres parlent d'eux-mêmes : nous réduirons le déficit de l'Etat plus
rapidement que nos prédécesseurs.
Je souhaite aborder un dernier point de votre propos, monsieur le rapporteur
général.
Vous avez accumulé ce que, dans notre jargon, nous appelons des « dépenses
fiscales », c'est-à-dire des réductions d'impôt, dont l'addition est, je dois
le dire, assez impressionnante - outre le fait que vous frappez
systématiquement les impôts progressifs et les impôts qui touchent le capital
ou l'épargne. S'agissant de l'impôt sur le revenu, vous proposez de revenir aux
mesures du gouvernement Juppé : 18 milliards de francs. Pour ce qui est de
l'impôt sur les sociétés, vous voulez abolir - c'est un remords que je
comprends - la surtaxe de 10 % sur les PME et les grandes entreprises qui a été
instaurée en 1995 - 20 milliards de francs ! - et la surtaxe de 15 % que nous
avons mise en place temporairement - 10 milliards de francs. J'y ajoute la
taxation de l'épargne : 23 milliards de francs. Vous souhaitez également
rétablir la ristourne de 6,5 milliards de francs.
Je ne veux pas allonger l'addition, mais cela représente au total plus de 70
milliards de francs ! Véritablement, je ne sais pas - mais nous aurons
l'occasion d'en reparler à l'automne - où vous allez trouver de quoi satisfaire
toutes vos promesses.
Cher Christian Poncelet, selon vous, nous prendrions du retard dans la course
à l'euro. Si je puis me permettre une métaphore qui est d'actualité, voilà un
an, nous n'étions pas dans la course, nous étions dans les vestiaires de l'euro
!
(Sourires.)
C'est grâce à l'action du Gouvernement que nous sommes qualifiés pour figurer
parmi les onze pays de l'euro. Nous en sommes tous fiers, me semble-t-il. En la
matière, la France joue aujourd'hui, au coeur des onze pays de l'euro, un rôle
tout à fait important, ce qui n'était pas évident voilà seulement un an.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Reconnaissez que notre marge est
encore très faible !
M. Xavier de Villepin.
Carton rouge !
(Sourires.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Certes, nous ne sommes pas encore en tête du peloton,
mais nous sommes dans le peloton. Nous pouvions en douter voilà quelque
temps.
Je vais peut-être centrer mes remarques, monsieur Poncelet, sur vos propos
relatifs aux finances locales, et je répondrai en même temps à d'autres
orateurs qui se sont exprimés.
Vous êtes parti du pacte de stabilité, qui, comme l'ont dit Mme Bergé-Lavigne,
M. Régnault et M. Loridant, était un faux pacte. En effet, pour reprendre
l'expression que je juge admirable de M. Mercier, c'était une « charte octroyée
» par un gouvernement omniscient en matière de collectivités locales, le
gouvernement de M. Juppé.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Nous l'avons dit à l'époque
ici-même !
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Tout à fait !
Nous voulons passer d'un faux pacte à un vrai contrat, dans lequel, après
discussions, négociations, on trouvera un équilibre dynamique entre les devoirs
et les droits de chacun.
Lorsque M. le Premier ministre recevra les représentants des collectivités
locales le 9 juillet, vous pourrez constater que les décisions ne sont pas déjà
arrêtées et que vos propos et vos suggestions auront été fort utiles pour
forger la conviction du Gouvernement, pour le conforter dans sa volonté de
conclure un contrat tout à fait sincère.
Je voudrais dire également - M. Moreigne en particulier a insisté sur ce point
- que les collectivités locales ne doivent pas tout attendre de l'Etat.
M. Mercier a parlé d'une année charnière pour les collectivités locales. C'est
vrai. En 1999, la croissance qui s'est manifestée en 1997 apportera son premier
zéphir de gain de taxe professionnelle - avec les deux ans de décalage que
chacun connaît - dans les caisses des collectivités locales. Nous connaîtrons
donc une participation directe, même si certaines collectivités locales en
bénéficieront plus que d'autres.
J'insisterai sur la notion de péréquation, qui a été développée par M.
Régnault, Mme Bergé-Lavigne, MM. Moreigne et Loridant.
Effectivement, les collectivités locales doivent aussi trouver entre elles les
termes d'une solidarité accrue pour que les zones rurales et les quartiers en
difficulté bénéficient non seulement des concours de l'Etat mais aussi du
soutien de l'ensemble des autres collectivités.
Telles sont les idées directrices du Gouvernement dans ce domaine.
Après mes remarques sur ce sujet très vaste, je répondrai maintenant à des
questions plus précises.
M. le rapporteur général, dans son rapport, et M. le président de la
commission des finances ont évoqué les déficits de fonctionnement. Ils
souhaitent une présentation séparée des dépenses de fonctionnement et des
dépenses d'investissement.
Cette distinction figure dans les documents budgétaires, mais elle est un peu
cachée.
Le déficit des opérations de fonctionnement s'établissait à 115 milliards de
francs en 1997 et à 98 millliards de francs en 1998. Nous continuerons sur la
même tendance de réduction vigoureuse en 1999. Comme je l'ai déjà dit, pour la
première fois en 1999 nous connaîtrons un excédent primaire des dépenses de
l'Etat. Voilà longtemps que l'on n'avait pas vu cela. Monsieur le président de
la commission, vous vous êtes inquiété des investissements publics. Dois-je
vous rappeler que ces investissements publics - cela figure dans le remarquable
rapport de M. Lambert - ont baissé de 1993 à 1997 et qu'en 1998 les
autorisations de programme sont en hausse de 5,5 % et les crédits de paiement
de 2,3 % ? Nous avons donc inversé la tendance en 1998 et nous continuerons en
1999.
M. Gouteyron va, me semble-t-il, avoir de bonnes surprises lorsqu'il
découvrira le projet de loi de finances qui lui sera soumis à l'automne :
l'éducation nationale en effet, comme la jeunesse et les sports, la culture,
sont des budgets prioritaires pour le Gouvernement. J'espère que, satisfait de
ces propositions, il approuvera l'ensemble du projet de budget qui lui sera
proposé !
Je répondrai à M. Villepin que la réforme ambitieuse et inédite visant à
rapprocher, voire à fusionner le ministère des affaires étrangères et celui de
la coopération signifie non pas que l'on va restreindre la présence française à
l'étranger - nous en avons déjà parlé - mais que l'on va l'adapter à
l'évolution du monde, à l'instar d'un certain nombre de nos voisins.
MM. Hubert Védrine et Charles Josselin auront à coeur, avec l'ensemble du
Gouvernement, de dépenser mieux, et non pas, comme vous l'avez un peu
soupçonné, de continuer à dépenser moins, comme cela a été le cas dans le
passé.
En ce qui concerne les crédits militaires, comment pouvez-vous soupçonner,
monsieur de Villepin - mais c'était une formule de rhétorique, j'imagine - que
le Gouvernement puisse ne pas respecter les engagements du Conseil de défense ?
Par conséquent, après ce que vous avez appelé l'« encoche » de 1998, il y aura
un « ressaut ». Vous aurez le plaisir de découvrir son ampleur, s'agissant des
investissements militaires, dans le projet de loi de finances.
Je ne veux pas revenir sur le débat entre M. Lachenaud et M. Régnault. Il
était de qualité et a bien montré qu'il existait deux orientations
différentes.
Je voudrais simplement dire à M. Régnault que j'ai été particulièrement
attentif aux suggestions fiscales qu'il a faites. Elles sont d'une très grande
variété et d'une très grande précision.
Je veux ajouter à son intervention que le Gouvernement a le souci à la fois de
l'équité - cela a été clairement affirmé - et de l'emploi. Il est évident que
c'est en fonction de ces deux critères qu'il faut définir les bonnes réformes
fiscales à faire dans la durée, parce que, comme l'a dit ce matin M.
Strauss-Kahn, il ne faut pas bousculer la fiscalité. A cet égard, je crois que
M. Régnault nous a établi un programme fiscal pour au moins une législature
complète !
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Nous n'avons pas de réponse sur l'ISF pour l'instant
!
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Rassurez-vous, monsieur le rapporteur général, vous
l'aurez d'ici à l'automne !
M. Othily a souhaité une meilleure péréquation financière. Je ne reviendrai
pas sur ce sujet, qui a déjà été évoqué.
Mme Beaudeau, pour sa part, a défini pour la réforme fiscale deux principes,
que le Gouvernement prend entièrement à son compte : l'égalité entre les
citoyens et l'efficacité économique. Nous avons la même grille de lecture, et
je ne doute pas que nous trouverons, par le dialogue, des propositions fiscales
qui répondent à ces deux impératifs.
J'ai noté, madame Beaudeau, l'importance que vous attachez, ainsi que le
groupe auquel vous appartenez, au logement social, à la santé, à la culture, à
la jeunesse et aux sports, et à l'éducation. Je suis sûr que vous trouverez vos
souhaits en grande partie exaucés dans le projet de loi de finances.
M. Moreigne a fait allusion au budget de l'aménagement du territoire. Il est
clair que c'est un budget tout à fait important !
M. Marini a marqué beaucoup de sollicitude pour la cohésion de la majorité -
non pas la majorité sénatoriale mais celle qui soutient le Gouvernement. Il m'a
rappelé, avec son style inimitable, la parabole de la paille et de la poutre.
Je le remercie de l'intérêt qu'il porte à la majorité...
M. Marini a parlé de « cacophonie fiscale ». C'est vrai qu'il a peut-être eu
l'habitude de l'exercice solitaire, silencieux et sourd du pouvoir durant la
période de 1995 à 1997. Pour ce qui nous concerne, nous ne pratiquons pas la
cacophonie : nous pratiquons la symphonie fiscale, où chacun dans la majorité,
et parfois même dans l'opposition, joue sa partition. Vous verrez que le
résultat, monsieur Poncelet, sera des plus harmonieux !
(Sourires.)
M. Alain Lambert,
rapporteur général.
Cela devient de la stéréophonie !
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
Mais certains musiciens ne
voudront pas jouer dans l'orchestre !
(Nouveaux sourires.)
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je terminerai - j'y ai fait allusion dans mon discours
initial - par l'Europe.
Je retiens les propos forts de M. François-Poncet sur le caractère fondamental
du choix européen.
Je dirai à M. Badré que nous attachons une très grande importance à
l'harmonisation fiscale européenne. Si un code de bonne conduite sur la
fiscalité des entreprises voit le jour, je pense que la France n'y sera pas
étrangère ; si une retenue à la source de 20 % doit être décidée, je pense que
la France y sera pour quelque chose.
Le Gouvernement reprend tout à fait à son compte les propos de M. Badré sur le
budget européen.
Veuillez m'excusez, monsieur le président, pour ces commentaires peut-être un
peu longs, mais nous avons vécu ensemble une journée tout à fait
passionnante.
Je veux remercier l'ensemble des membres de la Haute Assemblée d'avoir donné à
ce débat d'orientation budgétaire un contenu extrêmement riche, dont le
Gouvernement fera son profit.
(Applaudissements.)
M. le président.
Je constate que le débat est clos.
9
LIVRE VI DU CODE RURAL
Adoption d'un projet de loi en troisième lecture
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion en troisième lecture du projet de loi
(n° 498, 1997-1998), modifié par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture,
relatif à la partie législative du livre VI (nouveau) du code rural. [Rapport
n° 519 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat au budget.
Le projet de loi relatif à la partie
législative du livre VI nouveau du code rural, qui est intitulé « Production et
marchés », a déjà été examiné à deux reprises tant au Sénat qu'à l'Assemblée
nationale. Je ne vais pas le présenter dans tous ses détails, il est
parfaitement connu de la Haute Assemblée.
Les amendements dont il a fait l'objet lors de ces diverses lectures l'ont
très notablement amélioré, tant sur le plan rédactionnel qu'au regard de la
codification, et ce à droit constant.
Ce projet de loi est donc soumis à la Haute Assemblée en troisième lecture.
C'est une procédure quelque peu inhabituelle, puisque les gouvernements ont
coutume, après deux lectures dans chaque assemblée, de provoquer la réunion
d'une commission mixte paritaire.
Mais, en l'espèce, cette procédure paraît justifiée à deux titres.
Tout d'abord, il s'agit d'un projet de loi de codification qui a donc une
vocation essentiellement technique, les modifications apportées étant de forme
et s'appliquant à droit constant. Ensuite, nous sommes, me semble-t-il,
parvenus à un texte qui ne devrait plus être modifié.
J'ai donc l'honneur, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du
Gouvernement, en particulier de mon collègue M. Louis Le Pensec, retenu par un
marathon européen, ce qui lui est familier, de soumettre à nouveau à votre
approbation ce projet de loi, qui, grâce aux modifications apportées par les
deux assemblées, notamment par le Sénat, devrait procurer aux usagers du code
rural un document clair et sans ambiguïté.
(Applaudissements.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Pluchet,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Je n'ai
pas grand-chose à ajouter à ce que vient de dire M. le secrétaire d'Etat.
Je dirai simplement que la navette a parfaitement fonctionné.
Après une étude très attentive, en commission, du livre VI du code rural, qui
traite de la production et des marchés, nous avions déposé, en première
lecture, 125 amendements, qui ont été approuvés le 18 septembre dernier. A
l'Assemblée nationale, au cours de la première lecture, ce sont 70 amendements
qui ont été adoptés.
Restait une petite difficulté. Mais, le 29 avril, nous avons rédigé l'article
4 de façon telle qu'il a été accepté par l'Assemblée nationale.
Il n'y avait donc plus d'article en discussion.
Mais trois observations tout à fait justifiées ont été faites à l'Assemblée
nationale. Elles concernent, pour deux d'entre elles, des erreurs de
codification. C'est ainsi que nous avions cité le code de la consommation et un
article de la loi de 1927 qui se réfère à une loi de 1919, ce qui était
inutile. Par ailleurs, nous avions commis une erreur de référence concernant un
numéro de règlement communautaire.
La commission des affaires économiques approuve le travail réalisé par
l'Assemblée nationale et vous propose donc, mes chers collègues, d'adopter
conforme le texte qui nous est soumis.
(Applaudissements.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir
de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles
est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas
encore adopté un texte identique.
Article 1er et dispositions annexées
M. le président.
« Art. 1er. - Les dispositions annexées à la présente loi constituent la
partie législative du livre VI du code rural intitulé : "Production et
marchés". »
Je donne lecture des dispositions annexées :
LIVRE VI
(Partie législative)
PRODUCTIONS ET MARCHÉS
TABLE ANALYTIQUE
TITRE Ier
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
«
Art. L. 611-1 à L. 611-3. _ Non modifiés
. »
TITRE II
LES ORGANISMES D'INTERVENTION
Chapitre Ier
Les offices d'intervention
Section 1
Dispositions communes
«
Art. L. 621-1 à L. 621-11. _ Non modifiés
. »
Section 2
Dispositions spécifiques à l'Office national
interprofessionnel des céréales
«
Art. L. 621-12 à L. 621-38. _ Non modifiés
. »
Chapitre II
Les sociétés d'intervention
«
Art. L. 622-1 et L. 622-2. _ Non modifiés
. »
TITRE III
LES ACCORDS INTERPROFESSIONNELS
AGRICOLES
Chapitre Ier
Le régime contractuel en agriculture
Section 1
Dispositions générales
«
Art. L. 631-1 et L. 631-2. _ Non modifiés
. »
Section 2
Les accords interprofessionnels à long terme
«
Art. L. 631-3 à L. 631-11. _ Non modifiés
. »
Section 3
Les conventions de campagne
et les contrats types
«
Art. L. 631-12 à L. 631-18. _ Non modifiés
. »
Section 4
Dispositions communes
«
Art. L. 631-19 à L. 631-23. _ Non modifiés
. »
Chapitre II
Les organisations interprofessionnelles agricoles
Section 1
Dispositions générales
«
Art. L. 632-1 à L. 632-11. _ Non modifiés
. »
Section 2
L'organisation interprofessionnelle laitière
«
Art. L. 632-12 et L. 632-13. _ Non modifiés
. »
TITRE IV
LA VALORISATION DES PRODUITS AGRICOLES
OU ALIMENTAIRES
Chapitre Ier
Les appellations d'origine
Section 1
Définition
«
Art. L. 641-1. _ Non modifié
. »
Section 2
Procédure de reconnaissance
«
Art. L. 641-2 à L. 641-4. _ Non modifiés
. »
Section 3
L'Institut national des appellations d'origine
«
Art. L. 641-5 à L. 641-10. _ Non modifiés
. »
Section 4
Protection des aires d'appellation d'origine
«
Art. L. 641-11 à L. 641-13. _ Non modifiés
. »
Section 5
Dispositions particulières au secteur du vin
et des eaux-de-vie
«
Art. L. 641-14. _ Non modifié
.
«
Art. L. 641-15. _
Après avis des syndicats de défense intéressés,
l'Institut national des appellations d'origine délimite les aires de production
donnant droit à appellation et détermine les conditions de production
auxquelles doivent satisfaire les vins et eaux-de-vie de chacune des
appellations d'origine contrôlée. Ces conditions sont relatives, notamment, à
l'aire de production, aux cépages, aux rendements, au titre alcoométrique
volumique naturel minimum du vin, aux procédés de culture et de vinification ou
de distillation.
« Ne peuvent être vendus sous le nom de l'appellation contrôlée que les vins
réunissant les conditions exigées pour leur production dans chacune de ces
appellations contrôlées.
« Font l'objet de cette réglementation les appellations d'origine régionales,
sous-régionales et communales existant au 31 juillet 1935 et qui ont fait
l'objet d'une délimitation judiciaire passée en force de chose jugée ainsi que
celles qui, par leur qualité et leur notoriété, sont considérées par le comité
national comme méritant d'être classées parmi les appellations contrôlées.
« Une réglementation spéciale peut être édictée pour l'appellation
"champagne", afin de compléter ou de modifier le statut établi par la loi. Il
peut en être de même pour les vins récoltés dans les départements du Haut-Rhin,
du Bas-Rhin et de la Moselle.
« Les propositions de l'Institut national des appellations d'origine sont
approuvées par décret. Ce décret est pris en Conseil d'Etat lorsque ces
propositions comportent extension d'une aire de production ayant fait l'objet
d'une délimitation par une loi spéciale ou en application des dispositions
prévues aux articles L. 115-8 à L. 115-15 du code de la consommation, ou
comportent révision des conditions de production déterminées par une loi
spéciale ou en application des articles L. 115-8 à L. 115-15 du code de la
consommation.
«
Art. L. 641-16 à L. 641-22. _ Non modifiés
.
«
Art. L. 641-23. _
Par dérogation aux dispositions du quatrième alinéa
de l'article L. 641-17, peuvent être utilisés dans la désignation des vins de
pays admis au bénéfice d'une indication géographique en application de
l'article 72, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 822/87 du Conseil, du 16 mars
1987, portant organisation commune du marché viti-vinicole et des dispositions
prises pour l'application de cet article :
« _ les termes tels que "mont", "côte", "coteau" ou "val" pour désigner la
zone de production,
« _ les termes "domaine" ou "mas" pour désigner l'exploitation
individuelle,
« à condition que leur usage ne prête pas à confusion avec la désignation d'un
vin à appellation d'origine contrôlée ou d'un vin délimité de qualité
supérieure.
«
Art. L. 641-24. _
Les vins pour lesquels le bénéfice d'une
appellation d'origine non contrôlée a été revendiqué en vertu des articles L.
641-17 à L. 641-23 ne peuvent être mis en vente et circuler sous la
dénomination de vins délimités de qualité supérieure qu'accompagnés d'un label
délivré par le syndicat viticole intéressé.
« Les conditions auxquelles doivent répondre ces vins en vue de l'obtention du
label, ainsi que les modalités de délivrance de celui-ci, sont fixées pour
chaque appellation par des arrêtés du ministre de l'agriculture et du ministre
chargé de la consommation, sur proposition de l'Institut national des
appellations d'origine.
« Ces arrêtés sont publiés au
Journal officiel.
« Les conditions prévues ci-dessus portent en particulier sur les critères
définis pour les vins à appellation d'origine contrôlée par l'article L. 641-15
: aire de production, cépages, rendement à l'hectare, degré alcoolique minimum
du vin tel qu'il doit résulter de la vinification naturelle et sans aucun
enrichissement, procédés de culture et de vinification.
« La décision est prise par décret en Conseil d'Etat lorsqu'il y a lieu
d'étendre une aire de production ayant fait l'objet d'une délimitation par une
loi spéciale ou en application des articles L. 115-8 à L. 115-15 du code de la
consommation ou de réviser les conditions de production déterminées par une loi
spéciale ou en application des articles L. 115-8 à L. 115-15 du code de la
consommation.
Chapitre II
Les appellations d'origine protégées,
indications géographiques protégées
et attestations de spécificité
«
Art. L. 642-1 à L. 642-4. _ Non modifiés
. »
Chapitre III
Les labels et la certification
«
Art. L. 643-1 à L. 643-8. _ Non modifiés
. »
Chapitre IV
Les produits de montagne
«
Art. L. 644-1 à L. 644-4. _ Non modifiés
. »
Chapitre V
Les produits de l'agriculture biologique
«
Art. L. 645-1. _ Non modifié
. »
TITRE V
LES PRODUCTIONS ANIMALES
Chapitre Ier
La vaine pâture
«
Art. L. 651-1 à L. 651-10. _ Non modifiés
. »
Chapitre II
La production de semence des animaux domestiques
«
Art. L. 652-1. _ Non modifié
. »
Chapitre III
L'organisation de l'élevage
«
Art. L. 653-1. _ Non modifié
. »
Section 1
L'amélioration génétique du cheptel
«
Art. L. 653-2 à L. 653-10. _ Non modifiés
. »
Section 2
Les établissements d'élevage, les instituts techniques nationaux et le Conseil supérieur de l'élevage
«
Art. L. 653-11 à L. 653-14. _ Non modifiés
. »
Section 3
La recherche et la constatation des infractions
«
Art. L. 653-15 et L. 653-16. _ Non modifiés
. »
Section 4
Dispositions d'application
«
Art. L. 653-17. _ Non modifié
. »
Chapitre IV
Les animaux et les viandes
«
Art. L. 654-1. _ Non modifié.
Section 1
Les abattoirs
Sous-section 1
Dispositions générales
«
Art. L. 654-2 à L. 654-5. _ Non modifiés
. »
Sous-section 2
Inspection sanitaire
«
Art. L. 654-6 et L. 654-7. _ Non modifiés
. »
Sous-section 3
Gestion et exploitation des abattoirs publics
départementaux et municipaux
«
Art. L. 654-8 à L. 654-12. _ Non modifiés
. »
Sous-section 4
Suppression et reconversion de certains abattoirs publics
«
Art. L. 654-13 à L. 654-17. _ Non modifiés
. »
Sous-section 5
Taxes
«
Art. L. 654-18 à L. 654-20. _ Non modifiés
. »
Section 2
Commercialisation et distribution de la viande
«
Art. L. 654-21 à L. 654-24. _ Non modifiés
. »
Section 3
La production et la commercialisation
de certains produits animaux
«
Art. L. 654-25 à L. 654-27. _ Non modifiés
. »
Section 4
La production et la vente du lait
«
Art. L. 654-28 à L. 654-31. _ Non modifiés
. »
TITRE VI
LES PRODUCTIONS VÉGÉTALES
Chapitre Ier
Les productions de semences
«
Art. L. 661-1 à L. 661-3. _ Non modifiés
. »
Chapitre II
Les obtentions végétales
«
Art. L. 662-1 à L. 662-3. _ Non modifiés
. »
Chapitre III
Dispositions diverses
«
Art. L. 663-1 à L. 663-7. _ Non modifiés
. »
TITRE VII
DISPOSITIONS PÉNALES
«
Art. L. 671-1 à L. 671-11. _ Non modifiés
. »
«
Art. L. 671-12. _ Supprimé
. »
«
Art. L. 671-13 et L. 671-14. _ Non modifiés
. »
TITRE VIII
DISPOSITIONS APPLICABLES À L'OUTRE-MER
Chapitre Ier
Dispositions spécifiques
aux départements d'outre-mer
«
Art. L. 681-1 à L. 681-6. _ Non modifiés
. »
Chapitre II
Dispositions spécifiques à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon
«
Art. L. 682-1. _ Non modifié
. »
Chapitre III
Dispositions applicables aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte
«
Art. L. 683-1 à L. 683-3. _ Non modifiés
. »
Personne ne demande la parole ?
Je mets aux voix l'ensemble de l'article 1er et des dispositions annexées.
(L'ensemble de l'article 1er et des dispositions annexées est adopté.)
M. le président.
Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l'objet de la troisième
lecture.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.)
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet,
président de la commission des finances.
J'appelle l'attention du Sénat
sur le fait qu'il s'agissait de la dernière intervention de M. Alain Pluchet.
Notre collègue arrive en effet au terme de son mandat, et il a décidé de ne pas
solliciter le renouvellement de celui-ci auprès de ses électeurs.
En cet instant, je le remercie très sincèrement de tout ce qu'il a fait au
sein de la Haute Assemblée.
Alain Pluchet a été rapporteur pour l'agriculture de la commission des
affaires économiques et du Plan. Il a représenté le Sénat au sein du conseil
d'administration du Fonds national de développement pour les adductions
d'eau.
Par ses interventions, par ses propositions, il a marqué les activités du
Sénat.
Dans le même temps, tant en qualité de sénateur que de maire, il est resté
attentif aux préoccupations de ses concitoyens, qu'il s'agisse du logement
social ou de l'action au bénéfice de l'agriculture et de l'équipement rural.
Nous conserverons de notre excellent collègue le meilleur souvenir.
(Applaudissements.)
M. Alain Pluchet.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. Pluchet.
M. Alain Pluchet.
Je suis sensible aux paroles que vient de prononcer mon ami le président
Poncelet.
Je veux dire, monsieur le président, mes chers collègues, que, sénateur depuis
plus de quinze ans, je garderai un très grand souvenir des heures que j'ai
passées dans cette maison.
(Vifs applaudissements.)
M. le président.
Je tiens à associer la présidence aux propos qui ont été tenus. Effectivement,
mon cher collègue, vous avez bien rempli votre tâche, pour le plus grand bien
de vos administrés et de tous nos concitoyens.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter,
secrétaire d'Etat.
C'est avec un grand plaisir que, au nom du
Gouvernement, je m'associe aux compliments parfaitement mérités qui viennent
d'être adressés à M. Pluchet, dont mon collègue M. Louis Le Pensec m'a narré le
concours inlassable et rigoureux à la cause du développement rural.
(Applaudissements.)
10
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par
l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif au mode d'élection
des conseillers régionaux et des conseillers à l'Assemblée de Corse et au
fonctionnement des conseils régionaux.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 524 distribué et renvoyé à la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution
éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le
règlement.
11
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION
D'ACTE COMMUNAUTAIRE
M. le président.
J'ai reçu de M. le Premier ministre la proposition d'acte communautaire
suivante, soumise au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article
88-4 de la Constitution :
- communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil
et au Comité des régions. Premier programme-cadre de la Communauté européenne
en faveur de la culture (2000-2004). Proposition de décision du Parlement
européen et du Conseil établissant un instrument unique de financement et de
programmation en faveur de la coopération culturelle (programme « Culture 2000
»).
Cette proposition d'acte communautaire sera imprimée sous le n° E-1106 et distribuée.12
DÉPÔT D'UN RAPPORT D'INFORMATION
M. le président.
J'ai reçu de M. Alex Türk un rapport d'information fait au nom de la
commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel,
du règlement et d'administration générale par la mission d'information chargée
d'étudier le suivi, par les ministères intéressés, du processus européen de
coopération policière.
Le rapport d'information sera imprimé sous le n° 523 et distribué.
13
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au lundi 29 juin 1998, à quinze heures et le soir :
1. Discussion des conclusions du rapport (n° 500, 1997-1998) de M. Alain
Gournac, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition
de loi (n° 372 rectifié, 1997-1998) de MM. Christian Poncelet, Jean-Pierre
Fourcade, Josselin de Rohan, Maurice Blin et Henri de Raincourt tendant à
alléger les charges sur les bas salaires.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à onze
heures.
2. Discussion des conclusions du rapport (n° 521, 1997-1998) de M. Guy
Fischer, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition
de loi (n° 390, 1997-1998) de MM. Robert Pagès, Guy Fischer, Mme Marie-Claude
Beaudeau, M. Jean-Luc Bécart, Mmes Danielle Bidard-Reydet, Nicole Borvo, MM.
Jean Derian, Michel Duffour, Pierre Lefebvre, Paul Loridant, Mme Hélène Luc,
MM. Louis Minetti, Jack Ralite, Ivan Renar et Mme Odette Terrade, tendant à
accorder la retraite anticipée pour les anciens combattants chômeurs en fin de
droits, justifiant de quarante années de cotisations diminuées du temps passé
en Afrique du Nord.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à onze
heures.
3. Discussion des conclusions du rapport (n° 503, 1997-1998) de M.
Jean-François Le Grand, fait au nom de la commission des affaires économiques
et du Plan sur la proposition de loi (n° 194, 1997-1998) de M. Jean-François Le
Grand, Mme Janine Bardou, MM. Michel Doublet, Michel Souplet et Louis Minetti
relative à la mise en oeuvre du réseau écologique européen dénommé Natura
2000.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à onze
heures.
4. Discussion des conclusions du rapport (n° 504, 1997-1998) de M. Jean-Claude
Carle, fait au nom de la commission des affaires culturelles, sur la
proposition de loi (n° 391, 1996-1997) de M. Serge Mathieu relative à
l'obligation de scolarité et la proposition de loi (n° 260, 1997-1998) de M.
Nicolas About tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à onze
heures.
Délais limites pour les inscriptions de parole
et pour le dépôt des amendements
Projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à
la Nouvelle-Calédonie (n° 497, 1997-1998) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 29 juin 1998, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 29 juin 1998, à dix-sept
heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures vingt.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
DOMINIQUE PLANCHON
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1997-1998
Ordre du jour de la séance
du mercredi 8 juillet 1998
Mercredi 8 juillet 1998 :
A
15 heures
et le soir :
Nouvelle lecture, sous réserve de sa transmission, du projet de loi
d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions (AN n° 981).
(La conférence des présidents a fixé :
- au mardi 7 juillet 1998, à 17 heures, le délai limite pour le dépôt des
amendements à ce projet de loi ;
- à trois heures la durée globale du temps dont disposeront, dans la
discussion générale, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la
liste d'aucun groupe.
L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort auquel
il a été procédé au début de la session ordinaire et les inscriptions de parole
devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mardi 7
juillet 1998.)
NOMINATIONS DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ET DU PLAN
M. Francis Grignon a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 437
(1997-1998) de M. Jean-Jacques Hyest tendant à modifier l'article 31 de la loi
n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau.
COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LÉGISLATION, DU SUFFRAGE UNIVERSEL,
DU RÈGLEMENT ET D'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
Ont été nommés rapporteurs :
- M. Lucien Lanier sur le projet de loi organique n° 447 (1997-1998) relatif
au régime communal applicable dans le territoire de la Polynésie française ;
- M. Lucien Lanier sur le projet de loi n° 448 (1997-1998) relatif au régime
communal applicable dans le territoire de la Polynésie française ;
- M. Jacques Larché sur le projet de loi organique n° 463 (1997-1998) relatif
à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs
conditions d'exercice ;
- M. Jacques Larché sur le projet de loi n° 464 (1997-1998) relatif à la
limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs
conditions d'exercice ;
- M. Jacques Larché sur la proposition de loi organique n° 300 (1997-1998) de
M. Bernard Plasait et plusieurs de ses collègues tendant à renforcer la
limitation du cumul des fonctions exécutives locales et nationales ;
- M. Christian Demuynck sur le projet de loi n° 490 (1997-1998) portant
réforme du code de justice militaire ;
- M. Pierre Fauchon sur la proposition de loi n° 81 (1997-1998) de M. Michel
Barnier et plusieurs de ses collègues relative à l'élection des membres
français du Parlement européen ;
- M. Pierre Fauchon sur la proposition de loi n° 267 (1997-1998) de M. Michel
Barnier et plusieurs de ses collègues relative à l'élection des membres
français du Parlement européen ;
- M. Jean-Paul Delevoye sur la proposition de loi n° 184 (1997-1998) de M.
Francis Grignon et plusieurs de ses collègues relative aux compléments de
rémunération versés aux fonctionnaires territoriaux ;
- M. Pierre Fauchon sur la proposition de résolution n° 441 (1997-1998) de M.
Pierre Fauchon tendant à modifier l'article 24, alinéa 3, du règlement du
Sénat.