Séance du 23 novembre 1998
M. le président. « Art. 2. _ I. _ Les dispositions du I de l'article 197 du code général des impôts sont ainsi modifiées :
« 1° Le 1 est ainsi rédigé :
« 1. L'impôt est calculé en appliquant à la fraction de chaque part de revenu qui excède 26 100 F les taux de :
« _ 10,5 % pour la fraction supérieure à 26 100 F et inférieure ou égale à 51 340 F ;
« _ 24 % pour la fraction supérieure à 51 340 F et inférieure ou égale à 90 370 F ;
« _ 33 % pour la fraction supérieure à 90 370 F et inférieure ou égale à 146 320 F ;
« _ 43 % pour la fraction supérieure à 146 320 F et inférieure ou égale à 238 080 F ;
« _ 48 % pour la fraction supérieure à 238 080 F et inférieure ou égale à 293 600 F ;
« _ 54 % pour la fraction supérieure à 293 600 F ; ».
« 2° Au premier alinéa du 2, la somme : "16 380 F" est remplacée par la somme : "11 000 F" » ;
« 3° Au 4, la somme : "3 300 F" est remplacée par la somme : "3 330 F" ».
« II. _ Le montant de l'abattement prévu au deuxième alinéa de l'article 196 B du code général des impôts est fixé à 20 370 F.
« III. _ Au troisième alinéa de l'article 199 quater F du code général des impôts, avant les mots : "Le bénéfice de la réduction d'impôt", sont insérés les mots : "Lorsque les enfants sont au plus âgés de seize ans révolus au 31 décembre de l'année d'imposition et fréquentent un collège, le bénéfice de la réduction d'impôt est accordé sans justification préalable. Dans les autres cas,". »
« IV. _ Le 1° de l'article 81 du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les rémunérations des journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux perçues ès qualités constituent de telles allocations à concurrence de 30 000 F ; ».
Sur l'article, la parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, par une tradition déjà assez largement installée, l'article 2 du projet de loi de finances porte sur le barème de l'impôt sur le revenu, impôt dont on connaît le caractère assez fortement symbolique pour la grande majorité de nos concitoyens.
Cela n'empêche pas, à vrai dire, que notre discussion sur cet impôt permette sinon d'en faire le tour, du moins d'en dégager les caractères les plus fondamentaux.
La meilleure preuve de l'importance de ce débat ne se situe-t-elle pas dans le dépôt, sur cet article 2, de plusieurs amendements dont nous ne partageons pas, cela ne surprendra personne, tous les tenants et aboutissants ?
Comment se profile en effet cette année notre impôt sur le revenu ?
Il conserve, de notre point de vue, une qualité fondamentale que l'on aimerait d'ailleurs retrouver plus souvent dans notre fiscalité : son caractère progressif, témoignage, quoique imparfait, de l'application de l'un des principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui veut que chacun contribue aux charges publiques selon ses capacités.
Cette progressivité est cependant, de notre point de vue, quelque peu malmenée par ceux qui, feignant d'oublier qu'ils n'ont plus la majorité au sein de l'Assemblée nationale, tendent à nous proposer la poursuite de la mise en oeuvre de la réforme Juppé, en réduisant les taux d'imposition appliqués aux diverses tranches de revenu.
Cependant, elle est surtout battue en brèche par la persistance préoccupante de nombreuses et multiples exemptions d'application du barème progressif, qui ne peuvent manquer de poser des problèmes quant à la justice fiscale, qui devrait procéder de l'application d'un barème progressif et de fait, et quant à la faculté redistributrice et à l'efficacité sociale de l'impôt sur le revenu.
Il y a un débat que nous voudrions d'ailleurs clore immédiatement, celui de la persistance d'un nombre important de personnes exonérées du paiement de l'impôt sur le revenu.
Je sais que certains de nos collègues de la majorité sénatoriale se sont émus de cette situation, dans le passé et encore aujourd'hui.
Il n'en demeure pas moins qu'il nous faut revenir en la matière à l'essentiel : notre impôt sur le revenu est fondamentalement parisien et urbain, ce qui traduit, de manière assez spectaculaire parfois, les profondes inégalités de revenu existant dans notre pays.
Dans certaines régions - je pense, par exemple, à la région Midi-Pyrénées - on peut trouver entre le département siège de la préfecture de région - ici, la Haute-Garonne - et les autres départements de la région des écarts entre niveau de revenu et proportion de contribuables imposés particulièrement significatifs, allant jusqu'à pratiquement 15 points.
Et que dire de la situation de la direction des services fiscaux de Paris-Ouest, où les contribuables connaissent pourtant toutes les « ficelles » de l'optimisation fiscale et où la moyenne des revenus est plus de deux fois supérieure à la moyenne nationale ?
La persistance d'un nombre important de contribuables non imposés réside, de notre point de vue, dans la persistance d'une faiblesse des rémunérations accordées aux salariés, dans la modicité d'une part importante des pensions et retraites, tous éléments dont nous ne devons jamais négliger l'impact, autant d'ailleurs sur le niveau de recettes fiscales générées par l'impôt sur le revenu que sur d'autres impôts et taxes.
Pour autant, le principal obstacle à l'efficacité pleine et entière de l'impôt sur le revenu vient du traitement particulier accordé aux revenus selon leur origine.
En la matière, force est de constater que nous ne pouvons - et nous en reparlerons - que nous interroger sur l'opportunité d'accroître l'assiette de l'impôt sur le revenu uniquement en frappant les éléments qui constituent l'essentiel de son assiette, à savoir les traitements, les salaires, les pensions et les retraites ou assimilés.
Comment comprendre en particulier que l'essentiel des revenus financiers des ménages, quelle que soit leur provenance, continuent de bénéficier d'avantages spécifiques de traitement - prélèvements libératoires, exemptions diverses, etc. - alors même que cette situation contribue à « surtaxer » le travail, salarié ou non, au profit essentiel des placements et des produits du patrimoine et du capital ?
La véritable réforme de l'impôt sur le revenu passe donc de notre point de vue, monsieur le secrétaire d'Etat, par un traitement plus équitable de l'ensemble des composantes du revenu des ménages, offrant par là même des marges de manoeuvre quant au niveau des taux du barème progressif, pour réduire d'autres impôts, singulièrement les impôts proportionnels, et permettant de renforcer la capacité de redistribution et l'efficacité de l'impôt.
Une telle réforme revêt d'autant plus d'importance que d'autres contribuables - notamment pour la contribution sociale généralisée - ne connaissent pas les dispositifs complexes d'optimisation qui s'appliquent à l'impôt sur le revenu et dont l'ensemble doit être soumis à une approche critique quant à son efficacité.
Il importe à notre sens de rendre à l'impôt sur le revenu toutes ses qualités intrinsèques. C'est ce que nous attendons des années à venir, les orientations inscrites cette année nous paraissant encore bien trop timides.
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la diminution de 16 380 francs à 11 000 francs du plafond du quotient familial prévue à l'article 2 du projet de loi de finances pour 1999 est présentée par le Gouvernement comme la contrepartie indispensable du rétablissement des allocations familiales pour toutes les familles.
En tant que rapporteur pour la branche famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, j'ai eu l'occasion de montrer que la mise sous condition de ressources des allocations familiales n'était pas nécessaire, d'un strict point de vue financier, et qu'il eût été possible, d'une part, de se dispenser de prendre cette mesure en 1998, d'autre part, de l'abandonner en 1999 sans prévoir pour autant une nouvelle forme de pénalisation des familles par la diminution du plafond du quotient familial.
L'abaissement du plafond du quotient familial se traduira par une augmentation d'impôt d'environ 6 400 francs par foyer et par an pour 500 000 familles.
En contrepartie, seules certaines de ces familles retrouveront le bénefice des allocations familiales.
La diminution du plafond du quotient familial porte un coup sévère au principe d'équité horizontale et à la politique fiscale en faveur des familles menée depuis 1945.
Je l'ai déjà dit et je le répète, le système du quotient familial ne fournit en soi aucune aide, aucun avantage aux familles ; il garantit seulement que le poids de l'impôt est équitablement réparti entre des familles de tailles différentes, mais de niveau de vie équivalent, selon un principe d'équité horizontale familiale.
Le quotient familial constitue un moyen de mettre en oeuvre le principe de contributivité posé par l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
La diminution du plafond du quotient familial est une réforme injuste.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est exact !
M. Jacques Machet. A revenu primaire identique, les familles ont toujours un niveau de vie inférieur à celui des couples sans enfant et des célibataires. Fallait-il, par conséquent, choisir de faire porter sur les seules familles une augmentation de la pression fiscale ? Pourquoi augmenter l'impôt des familles avec enfants en épargnant les couples et les célibataires sans enfant ayant le même niveau de vie ? Je dis cela sans juger personne.
En outre, rien ne justifie d'avoir fixé le nouveau plafond du quotient familial à 11 000 francs, si ce n'est le souci d'engranger une recette fiscale à peu près équivalente à la dépense que représentera pour l'Etat la prise en charge de l'allocation de parent isolé.
M. Yves Fréville. Très bien !
M. Jacques Machet. Parallèlement, le Gouvernement envisage de faire voter par le Parlement la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité, le PACS, qui permettrait à tout couple de concubins déclarant partager leurs revenus de bénéficier du quotient conjugal. Il serait particulièrement malvenu, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'une telle mesure soit financée par une augmentation des impôts prélevés sur les familles.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. En effet !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Jacques Machet. Il serait également très regrettable que, du fait du plafonnement du quotient familial, les personnes seules avec enfant à charge paient plus que les couples de concubins.
Depuis 1945 - date que j'ai déjà rappelée la semaine dernière - le principe du quotient familial n'a jamais - je dis bien jamais - été remis en cause, bien que l'avantage fiscal en résultant ait été plafonné. Il ne faudrait donc pas que, par l'abaissement du plafond, il devienne progressivement une coquille vide - cela veut bien dire ce que ça veut dire.
La suppression de la mise sous condition de ressources des allocations familiales apparaissait comme la correction d'une erreur. Il est regrettable que la correction de cette erreur se fasse au prix d'une nouvelle erreur au détriment des familles.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Cela devait être dit !
M. Jacques Machet. Le bilan de ces aller et retour est accablant pour les familles : leur situation, en 1999, restera plus défavorable qu'elle ne l'était en 1997, avant la mise sous condition de ressources des allocations familiales ; beaucoup de familles auront ainsi perdu les allocations familiales en 1998 et verront leur impôt sur le revenu augmenter en 1999 ; or chacun sait que le calcul de l'impôt arrive bien après, et quelle surprise pour les familles ! Enfin, dans un contexte de prétendue stabilisation des prélèvements obligatoires, seules les familles subiront une augmentation de leur charge fiscale.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à adopter l'amendement de suppression de cette disposition proposé par le groupe de l'Union centriste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Je souhaitais intervenir sur le contexte de cet article 2. Traditionnellement, il est d'usage, pour nos collègues de la majorité sénatoriale, de considérer que l'impôt sur le revenu est trop élevé et de penser que la baisse des prélèvements doit donc s'illustrer par une baisse de cet impôt.
M. Michel Charasse. C'est le contraire ! Il doit être doublé et l'on doit abaisser en même temps la TVA.
M. Bernard Angels. C'est pourquoi notre rapporteur général nous explique dans son rapport tout l'intérêt de reprendre la baisse initiée par M. Juppé, en dépit des pertes fiscales induites, pratiquement 100 milliards de francs. Il nous le proposera d'ailleurs en seconde partie.
Au groupe socialiste, nous pensons que la baisse des prélèvements doit porter sur d'autres impôts, pour plusieurs raisons.
La première est que cet impôt est bien moins élevé que d'autres dans la structure de nos prélèvements, par là même déjà très déséquilibrée et en dysharmonie avec les structures observées au niveau européen.
La deuxième raison pour ne pas réduire l'impôt sur le revenu est que, étant un impôt direct, il doit être considéré comme l'impôt le plus juste, puisqu'il est lié aux revenus.
La troisième raison vient du fait que, indiscutablement, les efforts à accomplir en matière de réforme fiscale doivent porter, à produit constant, sur les impôts qui visent le plus grand nombre, cela pour des raisons d'intérêt général, et non sur ceux qui visent seulement une partie de nos concitoyens.
Or, si chaque Français s'acquitte de la TVA, par exemple, plus de 14 millions de foyers fiscaux ne paient aucun impôt sur le revenu.
Enfin, la majorité sénatoriale critique l'impôt sur le revenu au motif que celui-ci pèse trop sur le revenu. Il est fréquent d'entendre dire à ce sujet que cet impôt ampute plus de la moitié du revenu des assujettis. Cela est abusif, car le taux marginal d'imposition d'un contribuable n'est pas son taux d'imposition effectif.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Heureusement !
M. Bernard Angels. A titre d'exemple, les foyers fiscaux qui se voient appliquer le taux maximal ont, en fait, une imposition moyenne de 40 %. Je rappelle, au passage, que ce taux ne concerne que 217 000 foyers fiscaux sur les plus de 15 millions de foyers imposés aujourd'hui.
De plus, on oublie que, dans la pratique et, surtout, dans les tranches les plus hautes, les taux sont le plus souvent virtuels. Pourquoi ? Parce que les contribuables réalisent ce que l'on appelle communément de « l'optimisation fiscale », celle-ci étant d'autant plus importante que les tranches sont élevées, chez les contribuables qui ont par définition les moyens de réaliser des dépenses ou des placements leur permettant d'échapper à l'impôt.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il faut baisser les taux ! Il n'y aura plus d'optimisation !
M. Bernard Angels. Chacun se souvient ici des déclarations de M. Sarkozy, en 1993, qui assurait que le très lourd déplafonnement du dispositif pour frais d'employés de maison aboutissait au même résultat qu'une suppression du taux maximal marginal d'imposition.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela a créé beaucoup d'emplois et en a sorti beaucoup de l'économie souterraine !
M. Bernard Angels. Voilà pourquoi - je tenais aujourd'hui à en rappeler les raisons - il nous semble nécessaire de faire en sorte que le produit de cet impôt soit inchangé. Je conclurai en ajoutant que la baisse des prélèvements doit donc se réaliser sur les impôts indirects.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. En un mot, il faut augmenter l'impôt sur le revenu !
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, mon intervention portera sur la décision du Gouvernement de diminuer le plafond du quotient familial.
En décidant, l'année dernière, de mettre sous condition de ressources les allocations familiales, le Gouvernement a remis en cause l'universalité de ces prestations, principe fondateur de la politique familiale, comme l'a dit tout à l'heure notre collègue M. Machet.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Le Gouvernement n'aime pas les familles !
M. Alain Vasselle. Faut-il rappeler que les allocations familiales sont un droit ouvert à l'enfant indépendamment du statut et de la situation de ses parents ? Il s'agit donc d'exprimer la reconnaissance par la société du rôle irremplaçable que joue la famille pour assurer le renouvellement des générations,...
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Alain Vasselle. ... indépendamment des ressources dont dispose le foyer qui l'héberge.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Alain Vasselle. En imposant la mise sous condition de ressources, le Gouvernement a donc fait le choix de transformer la politique familiale en une politique d'aide sociale à vocation redistributive. Il y a confusion des genres.
Je vous rappelle que notre groupe avait dénoncé avec force cette décision lourde de menaces pour l'avenir de notre système de protection sociale. D'ailleurs, c'était l'ensemble des membres de la majorité sénatoriale qui l'avait dénoncée.
Certes, aujourd'hui, le Gouvernement corrige l'erreur majeure qu'il avait commise - une fois n'est pas coutume - en rétablissant l'universalité des allocations familiales en 1999. Il n'est jamais trop tard pour bien faire ! Cependant, je dois rappeler, mes chers collègues, qu'à l'époque Mme Aubry avait justifié non seulement devant la commission des affaires sociales, mais également devant la Haute Assemblée, cette initiative prise par le Gouvernement par le fait que la branche famille aurait été déficitaire de plus de 4 milliards de francs à la fin de l'année 1997, qu'il ne fallait donc en aucun cas laisser dériver le déficit de la sécurité sociale et qu'une mesure permettant à la branche famille d'être de nouveau en équilibre s'imposait.
La mesure a été facile à trouver par le Gouvernement : il s'est agi de la suppression du bénéfice des allocations familiales pour un certain nombre de familles en plaçant ces allocations sous condition de ressources.
Le Gouvernement a habillé cette opération comptable de façon idéologique en taxant les familles qui trichent, en faisant croire que cela aurait un effet redistributif sur les familles les moins aisées, socialement en difficulté, ce qui n'a pas été le cas.
Que constatons-nous aujourd'hui ? La branche famille sera excédentaire à la fin de l'exercice 1998 - M. Machet en a fait état à la fois lors de son intervention et dans son rapport - d'environ 3 milliards de francs, ce qui montre bien que le Gouvernement aurait pu faire l'économie d'une telle opération comptable.
Cet abandon témoigne du manque de préparation qui a entouré cette mesure, et il est frappant d'observer le contraste entre cette décision importante, qui a été prise sans concertation et qui a abouti à un échec, et les hésitations du Gouvernement à prendre des mesures courageuses pour l'avenir des retraites. De ce point de vue, le chantier est resté entier en 1997.
Cependant, le mal a été fait. Ce sont 351 000 familles qui ont été privées de prestations l'année dernière et 35 000 qui ont perçu une allocation différentielle.
La solution que vous nous proposez en contrepartie, et qui est aussi contestable, consiste à diminuer le plafond du quotient familial.
Certes, la concertation avec les associations familiales a eu lieu, mais ces dernières avaient-elles le choix ?
Nous rejetterons cette mesure pour quatre raisons.
Premièrement, elle entérine une diminution des ressources consacrées à la famille qui se traduit par une hausse du poids et de la progressivité de l'impôt, ce qui, en particulier, pénalise une fois de plus les classes moyennes.
Deuxièmement, cette réforme pénalise deux fois plus de familles, à savoir 425 000 au lieu de 225 000.
Troisièmement, en renforçant les avantages reconnus aux parents isolés - M. Machet y a fait référence tout à l'heure - même si l'on peut y être favorable, vous prenez le risque de favoriser à nouveau la situation des couples non mariés par rapport à ceux qui le sont.
Quatrièmement, cette mesure pénalise fortement les couples avec un enfant ne percevant pas d'allocations familiales et les couples dont les enfants sont dans la tranche d'âge située entre vingt et vingt-six ans, c'est-à-dire l'âge auquel prennent respectivement fin les allocations familiales et le bénéfice de la demi-part supplémentaire.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RPR propose la suppression de cet article.
Je ne doute pas que l'avis de la commission des finances et de son rapporteur général sera favorable, puisque j'ai noté que ce dernier avait déposé un amendement allant dans le même sens que le nôtre, et que notre Haute Assemblée, dans sa sagesse habituelle, saura suivre les propositions qui seront faites, à la fois par le groupe du RPR, celui de l'Union centriste et par le rapporteur général. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Lors de la discussion générale, un débat a eu lieu opposant deux logiques en matière de dépenses, celle de la majorité sénatoriale et celle du Gouvernement, appuyée par sa majorité à l'Assemblée nationale et par de valeureux sénateurs.
Dès le début de cette discussion sur la fiscalité, nous constatons que deux logiques s'affrontent également en matière de recettes.
Il y a ceux qui pensent - c'est le point de vue du Gouvernement - que ce sont les impôts indirects, qui pèsent uniformément sur toutes les familles et donc davantage sur celles qui ont moins de revenus que les autres, qui méritent d'être allégés au fur et à mesure qu'apparaissent des marges de manoeuvre. Il y a ceux qui considèrent - c'est la majorité sénatoriale et je la respecte évidemment - qu'il faut mettre l'accent sur les impôts progressifs.
Lors de la discussion générale, il a été fait référence à des pays étrangers.
Regardons ce qui se passe en Allemagne. L'impôt sur le revenu y est beaucoup plus élevé qu'en France, puisqu'il est l'équivalent de la TVA. La majorité sénatoriale, soucieuse d'uniformité fiscale à l'échelle européenne, veut-elle relever l'impôt sur le revenu pour qu'il atteigne le même niveau que chez nos voisins d'outre-Rhin ?
En France, l'impôt sur le revenu rapporte 350 milliards de francs et la TVA 800 milliards de francs. L'impôt sur le revenu rapporte donc relativement moins que dans beaucoup de pays développés. S'agissant de la question du quotient familial, comme l'ont dit très honnêtement MM. Machet et Vasselle, le dispositif proposé par le Gouvernement résulte d'une concertation qui a eu lieu au mois de juin avec les associations familiales.
En diminuant le quotient familial, le Gouvernement a donc mis en place une mesure acceptée et même demandée par ces associations.
M. Vasselle a dit qu'elles n'avaient pas le choix. Pour ma part, je respecte la liberté de ces associations en la matière.
Je voudrais faire une deuxième remarque.
Effectivement, comme M. Vasselle l'a dit, 425 000 familles seront pénalisées par la baisse du plafond du quotient familial alors que 225 000 familles seront avantagées par le rétablissement des allocations familiales sans condition de ressources. Mais rappelons-nous que 2, 3 millions de familles avaient été pénalisées par la suppression de la réduction d'impôt sur les frais de scolarité qui avait été votée par la précédente majorité et que nous avons rétablie.
M. Claude Estier. Il ne faut pas l'oublier !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le gouvernement actuel fait donc preuve de sympathie à l'égard d'un plus grand nombre de familles. J'en veux pour preuve les différentes mesures prises en faveur des familles et notamment le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire.
J'ajouterai un dernier mot à propos des concubins.
Le concubinage est un fait de société qu'il n'y a pas lieu de juger.
Ainsi, 2 millions de concubins ont des enfants en France, et ces couples ont droit me semble-t-il à la même sollicitude que les autres. La famille se fait autour de l'enfant : un tiers des naissances ont lieu hors mariage et les enfants concernés méritent le même traitement fiscal que les autres.
Tels sont, monsieur le président, les quelques commentaires que je voulais formuler après les interventions générales faites sur l'article 2.
Quant à Mme Beaudeau et M. Angels, ils ont défini une philosophie et une stratégie de réforme fiscale qui est celle du Gouvernement. Mme Beaudeau trouve que cela ne va pas assez vite, mais au moins allons-nous dans la bonne direction, et j'espère que nous continuerons ensemble dans cette bonne direction. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. Sur l'article 2, je suis d'abord saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° I-1 est présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° I-74 est déposé par MM. Machet, Badré et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° I-168 est présenté par M. Vaselle et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous trois tendent à supprimer le 2° du paragraphe I de cet article.
La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° I-1.
M. Philippe Marini, rapporteur général. En fait, la commission souhaite la suppression de l'article 2, qui lui semble présenter toutes sortes de risques, risques qu'ont énumérés mes collègues Jacques Machet et Alain Vasselle mais sur lesquels je vais revenir pendant quelques instants.
Nous souhaitons tout d'abord supprimer le 2° du paragraphe I de cet article 2, lequel a pour objet d'abaisser à 11 000 francs par demi-part l'avantage maximal d'impôt résultant du quotient familial.
Il s'agit également de supprimer par coordination le paragraphe II, qui tend à réduire à 20 370 francs le montant de l'abattement accordé aux contribuables qui rattachent à leur foyer fiscal des enfants mariés ou célibataires et chargés de famille.
Je me bornerai, après les excellents propos qui ont été tenus, à faire valoir cinq arguments.
En premier lieu, le Gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le secrétaire d'Etat, est manifestement très gêné vis-à-vis de la famille. (M. le secrétaire d'Etat fait un signe de protestation.) Il a vraiment bien de la peine à trouver sa voie et il nous paraît être encore un peu dans le domaine de l'expérimentation. On expérimente d'un côté, on expérimente de l'autre...
Le nouveau régime que vous nous proposez, et qui constitue une volte-face par rapport à la vision initiale des choses du Gouvernement, atténue largement les effets de seuil et peut être considéré en première analyse comme techniquement préférable au plafonnement des allocations familiales. Il entérine toutefois une diminution des ressources globales consacrées à la famille. Cela, je pense que vous n'en disconviendrez pas.
Il y a manifestement hausse du poids et de la progressivité de l'impôt...
M. Michel Charasse. Au détriment des riches et des patrons !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les riches ? Quels riches ? Il est bien clair que ceux qui sont spécialement visés par cette mesure, ce sont les cadres, c'est l'encadrement, et c'est une population...
M. Michel Charasse. Et alors ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est une réalité sociale, cher collègue !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ce sont les classes moyennes qui sont visées !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il ne peut y avoir de société dynamique sans classe moyenne et il ne s'agit pas de démotiver ceux qui, en général, n'ont pas de moyens de réaliser efficacement la fameuse optimisation fiscale qu'évoquait tout à l'heure notre collègue M. Angels. En effet, je ne vois pas à quelle optimisation fiscale peut se livrer un salarié dont les revenus sont totalement déclarés !
Or c'est bien, en effet, cette catégorie des classes moyenne et de l'encadrement qui est spécialement visée par la mesure gouvernementale.
En deuxième lieu, selon des indications fournies par le rapport de notre collègue rapporteur général de l'Assemblée nationale, il y aurait presque deux fois plus de perdants - 425 000 - que de gagnants - 225 000 - avec cette mesure.
Cela montre bien que, globalement, l'enveloppe des ressources publiques consacrée à la politique familiale diminue.
En troisième lieu, ce dispositif renforce encore les avantages reconnus aux parents isolés.
Vous dites, monsieur le secrétaire d'Etat - et nous sommes ravis de l'entendre de la bouche d'un membre du Gouvernement - que la famille se construit autour de l'enfant. Certes, mais mieux vaut qu'un enfant ait deux parents pour faire son chemin dans la vie, trouver son équilibre à la fois psychologique, social et affectif.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. C'est absurde ! Ce n'est pas sa faute s'il n'en a qu'un !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il est clair que donner des avantages supplémentaires aux parents isolés ne va pas dans le sens des intérêts de l'enfant et donc d'une politique familiale. Il n'est pas question, bien entendu, de jeter la pierre à quiconque ; ce n'est d'ailleurs pas dans nos habitudes.
En quatrième lieu, il faut souligner - je voudrais appeler l'attention sur ce point qui a été peu évoqué jusqu'ici - que certains subiront une double pénalité.
En effet, les mêmes personnes vont à la fois être atteintes par le plafonnement des allocations familiales dix mois sur douze et se situer dans la « fenêtre de tir », si je puis dire, de la baisse du quotient familial. Ce sont vraisemblablement quelques centaines de milliers de familles qui seront ainsi pénalisées deux fois sur la même année, ce qui véritablement est spoliateur.
Payer d'un côté parce qu'on ne percevra pas les allocations familiales, mesure « Aubry-première génération », puis payer, de l'autre côté, parce que le quotient familial aura été abaissé, mesure « Sautter-deuxième génération », si je puis dire, c'est beaucoup pour les mêmes familles !
Au moins, monsieur le secrétaire d'Etat, faudrait-il trouver une solution pour éviter cette double pénalisation, qui n'est peut-être pas voulue, vous allez sans doute nous le dire. Dans ce cas, vous pourriez manifestement y remédier.
Enfin, il y a les perdants absolus dans cette affaire, qui sont les couples avec un enfant ne percevant pas d'allocations familiales et les couples avec enfants âgés de vingt à vingt-six ans, c'est-à-dire aux âges auxquels prennent fin respectivement les allocations familiales et le bénéfice de la part supplémentaire.
Il s'agit donc d'une mesure mal équilibrée, contraire à la politique familiale et qui induit toutes sortes d'effets pervers, comme cela a été fort bien démontré.
Pour toutes ces raisons, monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des finances demande au Sénat d'adopter ses amendements n°s I-1 et I-2 visant à supprimer ce dispositif, et ce par scrutin public.
M. le président. La parole est à M. Machet, pour défendre l'amendement n° I-74.
M. Jacques Machet. Etant intervenu sur l'article, je n'ai rien à ajouter aux propos de M. le rapporteur général.
M. le président. La parole est à M. Vasselle, pour défendre l'amendement n° I-168.
M. Alain Vasselle. Cet amendement se justifie en dehors même de l'argumentation développée précédemment par M. le rapporteur général, M. Machet et moi-même.
Je voudrais, pour ma part, rappeler que cette mesure portera un coup sévère au principe d'équité horizontale respecté par la politique familiale menée en France en faveur des familles depuis 1945.
En effet, le système du quotient familial garantit que le poids de l'impôt est équitablement réparti entre des familles de taille différente mais de revenus équivalents. En dehors de ce système, à revenu identique, les familles auraient toujours un niveau de vie inférieur à celui des couples sans enfant et des célibataires, il faut le rappeler avec force. Le quotient familial, les allocations familiales permettent de corriger ce décalage.
Voilà quelques instants, M. le rapporteur général s'est vu interpellé par un de nos collègues du groupe socialiste qui lui faisait remarquer que cette mesure n'allait toucher que les familles les plus aisées. M. le rapporteur général, à juste raison, a rappelé qu'une fois de plus c'était la classe moyenne qui serait touchée à travers les cadres. La classe moyenne est devenue la vache à lait de ce pays : elle est taxée sur tout !
M. Jacques Oudin. C'est vrai !
M. Alain Vasselle. Si, demain, cette classe était appelée à disparaître, on peut se demander comment serait assuré l'équilibre d'un certain nombre de dépenses qui sont engagées sur l'initiative de l'Etat.
Prenons l'exemple d'une famille de cadres moyens avec un enfant qui perçoit un revenu de 36 290 francs par mois. C'est déjà un revenu tout à fait raisonnable par rapport au SMIC, certes, mais cette famille doit supporter les frais de garde fixes de l'enfant chaque mois ; souvent, elle accède à la propriété et elle doit rembourser ses emprunts. De plus, elle doit payer le loyer de son habitation.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le smicard aussi !
M. Alain Vasselle. Cette famille à revenus moyens, de par la mise en place de cette disposition dans la loi de finances, va devoir supporter un impôt supplémentaire de 3 000 francs. Ce sont donc bien les classes moyennes, qui sont déjà très sollicitées par ailleurs sur le plan fiscal, qui vont une fois de plus « trinquer » dans cette affaire.
J'ose espérer que la raison l'emportera à un moment donné sur ce dossier, car cette mesure qui découle d'une préoccupation purement idéologique ne répond ni à l'intérêt, ni à l'avenir démographique de notre pays.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces trois amendements identiques ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, vous comprendrez que le Gouvernement est hostile à ces trois amendements de suppression.
Je ne reprendrai pas les arguments que j'ai développés tout à l'heure, mais je voudrais répondre sur un certain nombre de points.
M. Marini a prétendu que le Gouvernement était gêné je ne sais par quoi.
En réalité, un gouvernement peut adopter deux attitudes : il y a d'abord celle du Gouvernement auquel j'ai l'honneur d'appartenir, qui écoute, qui dialogue et qui corrige éventuellement sa politique, si cela apparaît indispensable ; puis il y a celle du gouvernement précédent qui pensait avoir la science infuse et qui allait, en tout dogmatisme, droit dans le mur, ce qui le conduisit vers l'expérimentation hasardeuse des élections de juin 1997.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous ne sommes plus dans le sujet, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Claude Estier. C'est cela qui vous gêne !
M. Philippe Marini, rapporteur général. On peut en parler, mais c'est un autre débat !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, vous dites que le Gouvernement est gêné. Je dis simplement que le Gouvernement écoute et dialogue.
Je reviens sur la question des cadres.
Le Gouvernement a un grand respect pour les cadres. Seulement - et je reprendrai les termes utilisés par M. Machet, qui a cité l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui est affichée dans mon bureau et que je lis chaque fois que nécessaire - chacun doit contribuer à raison de ses facultés.
Eh bien, les cadres, qui jouent un rôle indispensable dans notre économie, ont plus de faculté que d'autres familles. M. Vasselle a cité l'exemple d'une famille qui a un revenu de 36 000 francs en parlant de classe moyenne. Non, on ne peut parler en la matière de classe moyenne. Si les Français avaient en moyenne un revenu de 36 000 francs par famille, cela se saurait ! Je pense que le véritable chiffre se situe plutôt autour de 9 000 francs par mois.
Cela ne signifie pas qu'un revenu de 36 000 francs soit un revenu excessif. Cela signifie seulement que, lorsqu'on gagne 36 000 francs par mois, on doit contribuer un peu plus que lorsqu'on gagne 5 000 francs ou 13 000 francs.
M. Michel Charasse. C'est constitutionnel !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Nous parlons là de familles dont le revenu dépasse 600 000 francs par an. On ne peut pas dire que ces familles appartiennent à la classe moyenne. Elles apportent, certes, une contribution importante au développement du pays, mais on ne peut pas nier qu'elles disposent d'un revenu élevé.
Monsieur Vasselle, lors de la discussion générale, j'ai déjà indiqué que, cotisations sociales comprises, le même cadre - l'un de ces cadres dont vous vous souciez beaucoup, tout comme le Gouvernement, d'ailleurs, croyez-le bien - serait davantage taxé en Allemagne qu'en France. Ne faites donc pas de la fiscalité française une sorte de référence diabolique. En matière d'impôt sur le revenu, elle est plutôt moins lourde que ne l'est celle de beaucoup de nos voisins.
En ce qui concerne les parents isolés, M. le rapporteur général a dit que nous allions encore les favoriser, alors qu'il vaut mieux que les enfants aient deux parents plutôt qu'un seul.
M. Michel Charasse. Ça, c'est évident !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je suis, bien entendu, d'accord avec vous, mais je n'oublie pas que, du fait des vicissitudes de la vie, certains parents se retrouvent isolés. Or, chacun peut le constater dans la vie quotidienne, un parent isolé a plus de difficultés, sur le plan pécuniaire, à élever un enfant que deux parents ensemble.
Il ne s'agit donc pas d'accorder, monsieur le rapporteur général, un privilège aux parents isolés. Il s'agit, au nom de l'idée même qu'a mise en avant M. Machet, de donner à chaque enfant la même chance dans la vie.
Enfin, on a évoqué une double pénalisation. Je ne crois pas qu'elle existe. En 1998, les familles aisées n'auront pas perçu de prestations familiales et, en 1999, elles paieront un impôt...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Sur leurs revenus de 1998, justement !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Vous, vous faites du droit, moi, je regarde concrètement ce que les gens perçoivent et ce qu'ils versent. En 1998, ils n'auront pas reçu d'allocations familiales. En 1999, ils paieront un peu plus au titre de l'impôt sur le revenu, mais ils percevront des allocations familiales. Autrement dit, si l'on examine concrètement ce qu'ils touchent et ce qu'ils paient, il n'y a pas doublon. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s I-1, I-74 et I-168.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole contre les amendements.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous nous proposez, monsieur le rapporteur général, monsieur Machet, monsieur Vasselle, de ne pas retenir la mesure de réduction du niveau de l'avantage en impôt procuré par l'application du quotient familial.
Je voudrais simplement relever que cette réduction du quotient familial fait suite, si l'on peut dire, à la mise en oeuvre de mesures de politique familiale assez spécifiques.
Ainsi, revenant sur une disposition votée lors de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, le Gouvernement a décidé d'annuler le plafonnement des allocations familiales, ce dont nous nous félicitons, d'autant que nous n'étions absolument pas convaincus du bien-fondé de ce plafonnement.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Le Gouvernement aurait mieux fait de nous écouter au départ !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Dans le même temps, il a décidé de faire supporter par le budget général le financement de l'allocation de parent isolé, dont le coût pour la caisse d'allocations familiales est de plus de 4 milliards de francs aujourd'hui.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, de revenir sur une question que je vous ai posée au cours de la discussion générale, mais sur laquelle je n'ai pas obtenu de réponse, concernant la budgétisation de l'allocation de rentrée scolaire exceptionnelle de 1 600 francs par enfant que perçoivent certaines familles dès les mois de juillet et d'août. Je sais que, dans le collectif budgétaire que vous allez nous soumettre prochainement, est incluse l'allocation de rentrée scolaire exceptionnelle versée en août 1998.
En vue d'équilibrer l'opération de plafonnement des allocations familiales, le Gouvernement a procédé à cette remise en question du quotient familial, quotient dont, chacun le sait, les effets ne jouent à plein que pour les ménages dont les ressources sont les plus élevées, du moins en ce qui concerne l'impôt sur le revenu.
Cette situation appelle plusieurs observations.
La première vise le coût de l'application du quotient familial, dépense fiscale par nature universelle et donc sujette à des applications pour le moins différenciées. Il n'y a en effet guère de commune mesure entre la situation d'un ménage de cadres supérieurs et celle d'une personne retraitée qui a consacré toute sa vie à élever, parfois seule, ses enfants.
Il n'empêche que le quotient familial coûte aujourd'hui aux alentours de 70 milliards de francs, c'est-à-dire près du quart du montant global des recettes procurées par l'impôt sur le revenu.
Il convient d'ailleurs de souligner que notre pays est le seul à inclure un tel élément dans le calcul de l'impôt.
Par ailleurs, je ne peux m'empêcher de mettre une nouvelle fois en évidence le fait que l'efficacité et le rendement de notre impôt sur le revenu sont beaucoup plus affectés par toutes les autres mesures de dépense fiscale existantes, notamment par celles qui font que moins de 20 % des revenus financiers des ménages sont compris dans l'assiette de cet impôt.
Force est de constater que les ménages qui bénéficient aujourd'hui à plein des effets du quotient familial sont aussi bien souvent ceux qui sont les plus instruits des possibilités d'optimisation fiscale dont notre législation, il faut bien le reconnaître, est truffée et qui s'en servent abondamment.
Nous pourrions presque suivre la commission des finances dans sa volonté de ne pas remettre en cause le quotient familial si elle faisait preuve de la même bonne volonté pour qu'enfin l'ensemble des revenus des ménages soient traités à égalité au regard du barème de l'impôt sur le revenu.
Voilà pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas les trois amendements en discussion. M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Il est vrai, madame Beaudeau, que, malgré ma longue intervention de vendredi matin, je ne vous ai pas répondu sur la prise en compte de l'allocation de rentrée scolaire.
Cette allocation est passée de 430 francs à 1 600 francs. La règle que nous appliquons cette année et que nous appliquerons l'année prochaine est la suivante : la caisse nationale d'allocations familiales effectue le versement aux familles et l'Etat rembourse. Ainsi que vous l'avez dit, dans le collectif budgétaire de fin d'année, nous vous proposerons d'inscrire la somme correspondante au titre de 1998, et il en ira de même pour 1999.
M. Jean-Pierre Demerliat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Demerliat.
M. Jean-Pierre Demerliat. L'amendement de la commission des finances ainsi que ceux de MM. Machet et Vasselle tendent à supprimer l'abaissement du quotient familial.
Pourtant, cette disposition, qui s'inscrit au demeurant dans une ligne que nous avons toujours défendue, résulte de la réflexion engagée à l'occasion de la conférence sur la famille tenue en juin dernier.
Elle répond d'ailleurs aux souhaits exprimés par les familles via leurs confédérations, qui préfèrent une solution fiscale à la mise sous condition de ressources des allocations familiales.
Cette dernière mesure avait touché 386 000 familles. Le coût de sa suppression est estimé à 4,8 milliards de francs, ce qui correspond au versement en moyenne de 12 435 francs par an et par famille. En contrepartie, le dispositif qui nous est proposé avec cet article rapportera à l'Etat seulement 3,2 milliards de francs. Ces seuls chiffres suffisant à montrer que, au total, les familles ne seront pas lésées.
Si l'on examine les chiffres en détail, on s'aperçoit même que, pour l'immense majorité d'entre elles, elles seront gagnantes. D'ailleurs, la réduction du plafonnement ne s'appliquera qu'aux familles dont le revenu mensuel est supérieur, selon le nombre d'enfants, à une somme comprise entre 36 290 francs et 50 266 francs. Il s'agit tout de même de revenus qui ne sont pas modestes. Seules certaines familles avec un seul enfant seront perdantes, c'est vrai, puisqu'elles ne toucheront pas d'allocation en contrepartie. Il reste que cela ne s'applique qu'à partir de revenus assez importants.
De plus, il faut mettre cette réforme en regard des nombreuses mesures prises en faveur de la famille par le Gouvernement depuis son arrivés : majoration de l'allocation de rentrée scolaire, extension de cette allocation aux familles qui n'ont qu'un seul enfant, report d'un an de l'âge de perception des allocations pour les enfants non scolarisés et non salariés, rétablissement de la réduction d'impôt pour frais de scolarisation.
J'ajouterai que nous nous félicitons de la mesure qu'a votée l'Assemblée nationale et qui permet de ne pas faire porter le poids de la réforme sur des contribuables qui bénéficient de demi-parts à un titre autre que la politique familiale.
Pour toutes les raisons que je viens d'exposer, le groupe socialiste votera contre ces trois amendements.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le secrétaire d'Etat, permettez-moi d'abord de vous remercier d'avoir réagi à chacune de nos interventions : cela montre tout l'intérêt que vous y portez, y compris lorsqu'elles émanent de sénateurs de l'opposition, même si nous ne sommes d'accord ni sur la philosopohie ni sur les modalités.
Cependant, vous avez laissé entendre que le gouvernement précédent n'avait rien fait, ou presque, pour les familles. Je tiens donc à rappeller une mesure que vous avez, à l'époque, dénoncée très vigoureusement et sur laquelle Mme Aubry s'est d'ailleurs appuyée pour justifier la mise sous condition de ressources des allocations familiales décidée l'année dernière : il s'agit de la disposition adoptée sous le gouvernement de M. Balladur, alors que Mme Veil était en charge des affaires sociales, et qui a consisté à mettre en place l'allocation parentale pour le deuxième enfant.
Il est vrai que, dans un premier temps, cette mesure a provoqué le déficit de la branche famille. Mais l'équilibre a été vite retrouvé à partir du moment où la mesure a trouvé son point de stabilité. La branche famille a d'ailleurs dégagé à nouveau un excédent en 1998 de 3 milliards de francs. Même si vous ne changiez rien à la politique familiale, cet excédent perdurerait dans les années futures.
Il est donc clair que la branche famille n'est plus financièrement menacée.
Et cela fait l'affaire du Gouvernement puisque, au lieu de raisonner branche par branche, Mme Aubry soutient qu'en 1999 l'équilibre global de la sécurité sociale sera atteint. Elle oublie simplement de dire que la branche retraite est toujours déficitaire et qu'elle le restera tant que des mesures structurelles n'auront pas été prises pour en redresser les comptes. Mais, la branche maladie ne devant pas être trop loin de l'équilibre, on affirme que, à partir de 1999-2000, la sécurité sociale va dégager des excédents.
Et le Gouvernement de se féliciter : Zorro est arrivé ! Comme si les mesures prises par les gouvernements de M. Balladur et de M. Juppé n'avaient eu aucun effet sur l'amélioration de la situation de la sécurité sociale.
Il est évident que les gouvernements précédents ne sont pas restés inactifs : ils ont pris des mesures parfois impopulaires, mais qui ont été acceptées par le pays, car ce ne sont pas nécessairement elles qui ont conduit à un changement de majorité.
Au risque de passer pour caricatural, j'affirme, moi, que le gouvernement actuel n'a rien fait et ne fait rien pour la famille.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il fait le PACS, pour la famille ! C'est cela, sa politique familiale !
M. Alain Vasselle. Sa préoccupation est essentiellement comptable et toutes les initiatives qu'il prend le montrent.
Mme Beaudeau vient de rappeler à l'instant que vous avez, pour des raisons que je comprends tout à fait, parce que ce sont des mesures de solidarité, ôté de la charge de la branche famille l'allocation accordée aux parents isolés, à travers une mesure de budgétisation. C'est dans l'esprit de ce qu'avait fait M. Balladur en distinguant le non-contributif et le contributif en ce qui concerne la branche retraite. C'est une logique que l'on peut comprendre mais cela relève tout de même d'un souci strictement comptable.
Il en sera de même quand, pour trouver les 4 milliards de francs dont vous avez besoin, vous manipulez la notion de quotient familial, ainsi que Mme Beaudeau l'a reconnu tout à l'heure. On retire une charge de la branche famille, on la transfère sur le budget de l'Etat et on la finance par la remise en question du quotient familial.
Il s'agit donc non d'une mesure de politique familiale mais d'une mesure comptable.
Cependant, cette mesure comptable est aussi teintée d'idéologie. C'est toujours le même raisonnement : on veut taxer les familles dites « les plus aisées » et prétendument en faire profiter les familles les moins aisées. Mais celles-ci n'en profiteront que très peu puisqu'on a parlé de 225 000 familles bénéficiaires contre 425 000 familles pénalisées.
Quoi qu'il en soit, une approche purement fiscale est-elle susceptible de donner à notre pays une véritable politique familiale, clef de son avenir ?
Quand, en France, la relève des générations ne sera plus assurée et que la survie même du pays sera en cause, il sera trop tard pour réagir ! C'est aujourd'hui que le mal est fait. On n'en sentira les effets qu'à la troisième ou quatrième génération, et vous en porterez alors la lourde responsabilité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ce gouvernement ne travaille pas à l'avenir de la France ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je trouve ce débat un peu ahurissant. Récemment, pour une chronique que je dois faire dans quelque temps, je relisais les débats sur la loi Caillaux : j'avais le sentiment que l'on était revenu en 1909 ou 1914, puisque l'adoption de l'impôt sur le revenu a nécessité un accouchement aux forceps qui a duré un certain temps.
En France, l'aide aux familles relève essentiellement de deux systèmes : les allocations familiales, c'est-à-dire l'aide directe, et les dispositifs d'allégement en matière d'impôt sur le revenu. Il existe d'autres aides aux familles - les bourses, etc. ; je n'entre pas dans le détail - mais, ce sont les deux principaux systèmes.
Qu'est-ce qui doit guider le législateur en matière d'allocations familiales ? Le respect du principe constitutionnel d'égalité. Cela veut dire qu'un enfant est égal à un autre enfant et que, si l'on veut subordonner l'octroi des allocations familiales à un revenu, chaque bénéficiaire devant être traité de la même manière, c'est-à-dire tous ceux qui sont dans la même situation devant percevoir la même somme, on n'imagine pas que, demain, pour reprendre certains raisonnements, on dise : « un enfant de riche vaut 3 000 francs et un enfant de pauvre 1 000 francs ». Ce serait alors la révolution !
En ce qui concerne l'impôt sur le revenu et le quotient familial, le raisonnement est le même : il s'agit du respect non seulement du principe d'égalité, mais également de l'article XIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, puisque l'impôt sur le revenu a pour objet non pas d'aider les familles, mais de recueillir de l'argent, afin de financer les dépenses publiques.
Si l'on veut appliquer normalement tous les grands principes, on doit veiller, en ce qui concerne l'impôt sur le revenu, à bien respecter le principe « à raison de leurs facultés respectives ». Par conséquent, là encore, notre marge de manoeuvre constitutionnelle est limitée.
Jusqu'à présent, le Conseil constitutionnel ne s'est jamais prononcé sur la formule : « à raison de leurs facultés respectives », sauf peut-être, monsieur le rapporteur général, lorsqu'en 1981 il a statué sur l'affaire des donations et de l'usufruit en matière d'impôt sur la fortune. Mais c'était très allusif. Il faudra bien qu'un jour il se prononce clairement sur ce point !
Un enfant étant égal à un autre enfant, peut-il, mes chers collègues, représenter une charge différente pour le Trésor public, selon que ses parents sont riches ou pauvres ? Avec un tel raisonnement, on finira par moduler le montant des allocations familiales en fonction des revenus, le môme de riche touchant plus que le môme de pauvre. Horresco referens !
Je dirai en plus à notre collègue Alain Vasselle, que j'écoute toujours avec beaucoup d'intérêt et d'attention, que, lorsqu'il parle de préoccupations comptables, il ne faut pas mélanger deux choses : il y a une politique familiale ou il n'y en a pas !
M. Alain Vasselle. Il n'y en a pas !
M. Michel Charasse. La nation décide librement de ce qu'elle veut consacrer, dans sa richesse, dans son produit intérieur brut, dans les ressources publiques, à la politique familiale. Fait-on assez, pas assez ? Cela est discutable, monsieur Vasselle !
Mais, une fois que le montant est arrêté, il est une question qui n'est pas discutable : c'est la répartition, qu'elle s'effectue directement par le biais des allocations familiales, où un enfant est égal à un autre enfant, ou par le biais de l'impôt sur le revenu, où un enfant doit être, autant qu'on peut le faire, compte tenu de la complexité du barème, etc., égal à un autre enfant. Cela ne se discute pas, mes chers collègues. Ou alors, il faut remettre en cause les principes fondamentaux de la République !
C'est la raison pour laquelle, je ne voterai pas, on s'en doute, les amendements qui nous sont présentés. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. Je souhaite également répondre à M. Charasse.
Nous nous trouvons, effectivement, face à deux logiques qui s'opposent : celle de la majorité sénatoriale et celle de la majorité de l'Assemblée nationale.
Il y a ceux qui pensent que l'enfant est une personne...
M. Michel Charasse. Ah !
M. Yves Fréville. Voilà bien le problème ! En effet, selon la logique de M. Charasse, l'enfant est considéré comme une charge.
M. Michel Charasse. Oui !
M. Yves Fréville. En revanche, la logique de 1945, monsieur Charasse, qui avait été adoptée à l'unanimité - par les communistes, par les socialistes et par nous-mêmes - tendait à considérer que, dans le revenu d'un foyer fiscal, il fallait réserver une part égale au couple - il s'agit du quotient conjugal dont vous demandez, d'ailleurs avec une certaine logique, l'application à tous les couples - et qu'il convenait d'attribuer aux enfants un part de revenu du foyer fiscal et d'appliquer à tout le monde, enfants et parents, le même barème de progressivité : la progressivité du barème de l'impôt sur le revenu doit être identique pour chacun des membres du couple et pour chacun des enfants, à hauteur d'une demi-part, pour des raisons économiques ; il s'agit de l'échelle d'Oxford, que M. Sautter connaît aussi bien que moi.
Selon votre logique, nous devons traiter tout le monde de la même façon, parce que l'enfant est une charge. Selon la nôtre, l'enfant est une personne qui a droit à une part du foyer fiscal. C'est la raison pour laquelle nous lui reconnaissons le droit à cette application de la progressivité, qui est la même pour tous. Et c'est là où l'on retrouve, monsieur Charasse, l'égalité pour tous. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est parfaitement logique !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Très bien !
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Je souhaite tout d'abord répondre à M. Vasselle et à un certain nombre de nos collègues de la majorité sénatoriale.
A vous entendre, mes chers collègues, on ne fait de l'idéologie que dans la partie gauche de l'hémicycle. Dans la partie droite, il n'y a jamais d'idéologie !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il y a une pensée politique !
M. Jean Chérioux. Notre idéologie, c'est de ne pas avoir d'idéologie !
M. Paul Loridant. Il est quand même quelques corps de doctrines sur lesquels nous nous combattons suffisamment régulièrement pour reconnaître que n'a pas de grande portée votre argument selon lequel ce texte aurait été préparé au nom d'une idéologie de la majorité gouvernementale.
Pour ma part, je veux retenir deux choses.
L'an passé, le Gouvernement a pris des mesures qui ont soulevé l'émoi des familles. J'étais de ceux qui, modestement, dans leur coin, indiquaient au Gouvernement que les mesures qui étaient prises étaient trop rudes à l'égard de ces familles.
M. Alain Vasselle. Ces mesures ont surtout été prises dans la précipitation et sans concertation !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous avions mis en garde le Gouvernement et il ne nous a pas écoutés, pas plus qu'il ne vous a écoutés !
M. Paul Loridant. Effectivement il ne nous a pas écoutés ! Il n'empêche que, cette année - c'est une différence par rapport au gouvernement de M. Juppé - après avoir entendu les associations, les familles et les parlementaires, le Gouvernement est revenu sur un certain nombre de dispositions et il a rétabli les allocations familiales pour un grand nombre de familles des classes moyennes.
M. Alain Vasselle. Le mal a été fait ! Cela nous a fait perdre un an !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le Gouvernement n'est pas infaillible !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. La majorité sénatoriale non plus !
M. Paul Loridant. Mes chers collègues, les associations familiales, dont l'objet essentiel est de défendre les familles, ont discuté avec les pouvoirs publics, avec le Gouvernement, ont admis le bien-fondé des mesures proposées, et les ont soutenues !
M. Alain Vasselle. Elles n'avaient pas le choix !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il fallait nous écouter l'année dernière !
M. Paul Loridant. Mes chers collègues, vous ne faites pas d'idéologie, mais vous prenez des positions qui vont au-delà et qui, en tout cas, ne sont pas conformes aux attentes de ceux qui sont légitimement fondés pour défendre les familles, à savoir les associations familiales.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh bien ! commencez par refuser le PACS ! (Protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Claude Estier. Vous êtes obsédé !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Non, c'est le critère !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s I-1. I-74 et I-168, repousés par le Gouvernement.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, de la commission des finances, l'autre, du groupe du RPR.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 7 : :
Nombre de votants | 319 |
Nombre de suffrages exprimés | 317 |
Majorité absolue des suffrages | 159 |
Pour l'adoption | 218 |
Contre | 99 |
Par amendement n° I-93, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - Dans le texte présenté par le 3° du I de l'article 2 pour modifier le 4 de l'article 197 du code général des impôts, de remplacer la somme : « 3 330 francs » par la somme « 4 500 francs ».
B. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du A ci-dessus, de compléter cet article 2 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Les pertes de recettes résultant de l'extension de la décote sont compensées par le relèvement à due concurrence du taux prévu au 6° du paragraphe III bis de l'article 125 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cet amendement porte sur l'une des questions posées par notre impôt sur le revenu : celle de la capacité réelle des contribuables à s'acquitter d'une contribution, fût-elle relativement faible.
Voilà plusieurs années, en effet, qu'a été mis en place un dispositif de décote pour les contribuables les plus modestes. A l'origine, un tel dispositif concernait les contribuables célibataires, pour lesquels la non-application du quotient familial n'était pas été susceptible de générer une réduction sensible du montant de leur imposition.
Etendu à l'ensemble des contribuables, le système de décote vise, en fait, à permettre à ceux dont les revenus sont les plus modestes de bénéficier d'une exonération d'impôt sur le revenu.
La décote, qui s'applique pour l'essentiel à des jeunes salariés, des familles monoparentales et des salariés faiblement rémunérés, allège leur contribution tout en mettant en évidence que la modicité de leurs revenus, d'origine essentiellement salariale, ne leur permet pas d'être dispensés de tout impôt par simple application du barème progressif.
Cette décote est d'un coût fiscal relativement faible au regard du nombre de foyers fiscaux qui en bénéficient - foyers fiscaux qui, de façon générale, ne disposent pas, de fait, des moyens suffisants pour bénéficier des mesures d'optimisation fiscale propres aux revenus les plus élevés.
Dans la foulée de la réforme de l'impôt, le gouvernement de M. Juppé avait mis en oeuvre une sensible réduction de la décote, arguant de la variation des taux du barème progressif pour justifier l'abandon de ce dispositif.
L'interruption de cette réforme - dont nous ne rappellerons jamais assez qu'elle doit présenter d'autres caractéristiques portant sur l'assiette des revenus soumis au barème et non sur le barème lui-même -, nous conduit à penser qu'il faut rendre à la décote toute son efficacité et favoriser ainsi l'allégement des contraintes fiscales qui pèsent sur les revenus les plus modestes.
Le nombre important, trop important encore sans doute, de salariés faiblement rémunérés, le montant souvent modique des pensions et retraites qui sont directement concernées par l'application de la décote sont autant de justifications qui fondent cet amendement.
Relancer par le biais d'une telle mesure la capacité de consommation des ménages les plus modestes apparaît, par ailleurs, conforme aux objectifs de croissance économique, associés à la conception de ce projet de loi de finances.
C'est donc sous le bénéfice de ces observations que le groupe communiste républicain et citoyen vous propose, mes chers collègues, d'adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il s'agit en effet de l'un des dispositifs qu'il convient de faire évoluer dans la perspective d'une réforme de l'impôt sur le revenu. Le Gouvernement ne nous propose pas, cette année, de réforme significative de cet impôt, en dehors de la mesure spécifique sur le plafonnement du quotient familial, dont nous venons de débattre. La commission des finances en est assez déçue, considérant que l'impôt sur le revenu a beaucoup vieilli ou, pour reprendre - pardonnez-moi de le faire - une terminologie inspirée de notre collègue Michel Charasse, qu'il est quelque peu fripé.
Il serait sans doute opportun qu'une réflexion d'ensemble débouche sur une véritable réforme mais faire un sort à part à la décote ne paraît pas nécessairement la bonne formule.
La commission des finances souhaite réaffirmer, à propos de l'impôt sur le revenu et de sa réforme, la position de fond qui avait été la sienne l'année dernière, qui trouvera sa concrétisation lors de l'examen de la seconde partie du projet de loi de finances. Il s'agit tout simplement de reprendre le cours de la réforme de l'impôt sur le revenu telle qu'elle avait été lancée par le précédent gouvernement. M. Loridant l'a rappelé, cette réforme tenait compte de la nécessaire évolution de la notion de « décote », en prévoyant sa réduction progressive sur un certain nombre d'années.
Nous plaçant donc dans le cadre de cette réforme à réaliser, mais restant bien entendu attentifs à l'avis du Gouvernement, nous sommes défavorables à l'amendement n° I-93, d'autant que le gage ne nous paraît pas très réaliste.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le mécanisme de la décote que M. Paul Loridant veut améliorer a été créé en 1983 pour amortir le poids du barème progressif sur les contribuables de condition modeste.
Depuis cette date, la décote évolue parallèlement au barème. C'est pourquoi le Gouvernement propose, cette année, de fixer le niveau de la décote à 3 330 francs, en progression donc de 0,8 %, comme le barème de l'impôt sur le revenu par rapport à l'année antérieure. Il ne convient pas de déroger à ce principe de parallélisme.
J'ajoute que la mesure aurait un coût de 3,3 milliards de francs, ce qui ne paraît pas compatible avec le respect de l'équilibre général du budget que le Gouvernement présente.
Je demande donc à M. Paul Loridant de bien vouloir retirer son amendement. A défaut, je serais obligé d'en demander au Sénat le rejet.
M. le président. Monsieur Loridant, l'amendement n° I-93 est-il maintenu ?
M. Paul Loridant. Vous l'avez compris, le groupe communiste républicain et citoyen n'a d'autre préoccupation que de soutenir la consommation et donc de favoriser les salariés les plus modestes pour les inciter à consommer davantage. De toute façon, personne n'ignore que ces salariés-là consomment quasiment l'intégralité des revenus supplémentaires qui sont mis à leur disposition.
Vous nous permettrez de réaffirmer que notre souci est de favoriser la consommation des plus modestes mais, pour répondre à l'appel de M. le secrétaire d'Etat, qui a invoqué le coût de cette mesure, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° I-93 est retiré.
Par amendement n° I-2, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose de supprimer le paragraphe II de l'article 2.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il s'agit d'un amendement de coordination avec l'amendement n° I-1, qui a été adopté précédemment.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Défavorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-2, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis maintenant saisi de sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune ; mais, pour la clarté du débat, je les appellerai successivement.
Par amendement n° I-94, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et Renar, Mme Luc, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De rédiger comme suit le IV de l'article 2 :
« IV. - Les articles 87, 88 et 91 de la loi de finances pour 1997 (n° 96-1181 du 30 décembre 1996) sont abrogés. »
B. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du A ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'abrogation des articles 87, 88 et 91 de la loi de finances pour 1997 est compensée à due concurrence par le relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. La question abordée ici traverse si l'on peut dire, depuis plusieurs discussions budgétaires, l'activité parlementaire.
Il s'agit des déductions supplémentaires accordées, sous conditions, aux salariés membres de certaines professions, déductions prenant en compte, dans les faits, les spécifités de l'exercice de ces professions.
Il existe aujourd'hui, dans une annexe au code général des impôts, une liste de ces professions. Chacun sait ici que ce document présente certains aspects « folkloriques », voire baroques, c'est selon, même si l'on ne peut oublier, en l'espèce, que le total des salariés concernés dépasse un million cent mille personnes, soit pratiquement un salarié du secteur privé sur dix...
Certaines des professions concernées par ce traitement particulier sont bien connues. Les artistes, les artistes-musicens, les journalistes, les voyageurs représentants placiers, les ouvriers du bâtiment fournissent, en effet, les effectifs les plus importants des professionnels concernés par ces mesures.
De façon générale, la déduction supplémentaire apparaît clairement comme un élément du statut même de ces salariés dont on ne peut oublier, par ailleurs, qu'ils sont parfois victimes de la tendance effrénée à la précarisation du travail que notre pays connaît depuis plusieurs années.
Dans les faits, on sait que ces déductions supplémentaires ont été remises en question dans le cadre de la réforme de l'impôt sur le revenu telle qu'elle avait été conçue par le gouvernement de M. Juppé.
J'observe d'ailleurs, non sans intérêt, que les députés de l'opposition parlementaire à l'Assemblée nationale, qui avaient approuvé les grandes lignes de cette réforme, notamment cette suppression des déductions supplémentaires, sont aujourd'hui les premiers à défendre - sans la moindre hésitation - le statut fiscal particulier dont elles découlent !
De même, le Sénat, qui n'avait pas manqué, alors, de soutenir la réforme de l'impôt sur le revenu, demande aujourd'hui, à la majorité de la commission des finances, de procéder à un report supplémentaire de la pleine application des nouvelles règles du jeu.
Nous constatons tout à fait concrètement que le dossier pose problème.
Le premier, et non le moindre, vient de ce que la suppression des déductions supplémentaires, censée dégager environ deux milliards et demi de francs de recettes fiscales supplémentaires, est, en fait, beaucoup moins productrice de produit fiscal que prévu.
Le passage au régime des frais réels est, en effet, susceptible d'entraîner à la fois une hausse du coût de traitement des déclarations fiscales et de dégager quelques moins-values fiscales à terme, comme cela a déjà pu se produire.
En outre, s'il y a surcroît d'imposition pour un certain nombre de salariés, cela pourrait se traduire par une demande nouvelle, et d'ailleurs légitime, en matière de rémunérations, la hausse de la rémunération venant, pour ces salariés, compenser les effets de la suppression de la déduction supplémentaire.
Par exemple, il convient de le souligner, pour un salarié bénéficiant d'une déduction supplémentaire qui se verrait appliquer une imposition au taux de 33 %, le cheminement fiscal découlant du processus d'extinction de la déduction conduirait, dès l'an prochain, à une majoration non négligeable de sa cotisation, majoration se situant à plus de 2 400 francs par an pour les années 2000, 2001 et 2002.
De manière générale, nous pensons plutôt nécessaire de ne pas remettre en question les dispositifs existants. Ils ont en effet le mérite de la simplicité et ils prennent en compte assez fidèlement la réalité des conditions d'exercice des professions concernées.
M. Michel Charasse. Oui ! Les pilotes de ligne !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous estimons, de plus, que pour dégager un peu plus de deux milliards et demi de francs de recettes fiscales nouvelles, et peut-être, finalement un peu moins d'un milliard et demi de francs, voire moins d'un milliard de francs, il existe d'autres moyens plus adaptés en termes d'impôt sur le revenu.
Je ne peux encore une fois manquer ici de souligner à quel point l'assiette de notre impôt sur le revenu demeure une représentation infidèle de la capacité contributive des ménages, en ce qu'elle ne taxe réellement que les revenus d'activité ou assimilés, et ne fait qu'égratigner les revenus financiers, les revenus du capital, de la propriété et du patrimoine.
Un point de majoration de la taxation des plus-values financières des particuliers aurait, par exemple, le mérite de produire le même rendement fiscal que celui résultant de l'application des articles 87, 88 et 91 de la loi de finances pour 1997 tout en permettant de répondre, je le dis en passant, de manière plus précise aux exigences de justice fiscale et sociale dont nous pensons qu'elles doivent animer toute réforme de l'impôt sur le revenu.
C'est sous le bénéfice de ces observations que je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
M. le président. Par amendement n° I-167, MM. Gerbaud et Vinçon proposent :
A. - De rédiger ainsi le paragraphe IV de l'article 2 :
« IV. - Les dispositions de l'article 88 de la loi de finances pour 1997 (n° 96-1181 du 30 décembre 1996) et de l'article 10 de la loi de finances pour 1998 (n° 97-1269 du 30 décembre 1997) sont abrogées. »
B. - Pour compenser la perte de recettes résultant de l'application du A ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant du maintien de l'intégralité de l'abattement pour frais professionnels est compensée à due concurrence par un relèvement des droits figurant aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle à celle prévue à l'article 403 du code général des impôts. »
Cet amendement est-il soutenu ?...
Par amendement n° I-3, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose :
A. - De rédiger comme suit le IV de l'article 2 :
« IV. - L'article 87 de la loi de finances pour 1997 (n° 96-1181 du 30 décembre 1996) est ainsi modifié :
« 1° Dans le second alinéa du I, les années : "1998, 1999 et 2000" sont remplacées par les années : "1999, 2000 et 2001" ;
« 2° A la fin du II, l'année : "2001" est remplacée par l'année : "2002". »
B. - Pour compenser la perte de recettes résultant pour l'Etat de l'application des dispositions du A ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« V. - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant du report d'un an de la réforme des abattements professionnels sont compensées par le relèvement, à due concurrence, des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement a pour objet, d'une part, de supprimer le paragraphe IV de l'article 2, lequel tend à créer un régime spécifique - et complexe - de prise en compte des frais professionnels des journalistes ; d'autre part, de lui substituer un texte reportant d'une année l'entrée en vigueur du processus d'élimination des déductions spécifiques, ou niches fiscales, notamment des déductions pour frais professionnels dont bénéficient un assez grand nombre de professions, parmi lesquelles figurent les journalistes et assimilés.
Mes chers collègues, dans cette affaire, il convient de préserver la cohérence d'ensemble de l'impôt sur le revenu. La loi de finances pour 1997 avait prévu un mécanisme d'élimination progressive des avantages professionnels spécifiques. Le plafond de déduction devait successivement passer à 30 000 francs, puis à 20 000 francs, puis à 10 000 francs et, pour les revenus de l'an 2000, la déduction aurait été totalement supprimée. Encore faut-il rappeler que cette évolution s'inscrivait dans une vision d'ensemble de la réforme de l'impôt sur le revenu conduisant à la baisse de tous les taux du barème et qu'il y avait symétrie absolue entre cette baisse nécessaire de la pression fiscale au titre de l'impôt sur le revenu et l'élimination des niches fiscales et des déductions spécifiques dont bénéficient, pour des raisons tout à fait honorables, un certain nombre de professions.
M. le secrétaire d'Etat nous disait tout à l'heure que les comparaisons internationales en matière d'impôt sur le revenu étaient, à son avis, de nature à relativiser les besoins de réforme. Certes, monsieur le secrétaire d'Etat, mais, lorsqu'on aborde un sujet de cette nature, il est indispensable de considérer chacun des systèmes fiscaux dans son ensemble et la structure des différents prélèvements obligatoires.
Or notre pays a accumulé, depuis très longtemps, toutes les strates fiscales possibles et imaginables et n'a jamais vraiment choisi une approche claire et déterminée.
Si nous nous référons, par exemple, à la taxation des plus-values, à l'impôt sur le revenu et à la fiscalité de l'épargne, nous constatons parfois, voire assez souvent, que les taux de pression fiscale ne sont pas plus élevés en France que chez nos partenaires, mais ces derniers n'ont pas nécessairement, toutes les strates fiscales qui se sont accumulées chez nous au fil des ans.
L'anomalie fiscale française réside bien plus dans cet empilement de dispositifs que dans le caractère particulièrement pesant de tel ou tel impôt pris individuellement. Je le repète, nous disposons de tout un arsenal pour frapper toutes les assiettes fiscales possibles et imaginables, que ce soit proportionnellement ou progressivement, quels que soient les modes d'appréhension de la réalité économique.
Pour en revenir à l'amendement n° I-3, je rappelle qu'il ne fait que reprendre la démarche que le Sénat avait approuvée l'an dernier sur l'initiative du président Poncelet. En effet, nous avions décidé de reporter d'un an la suppression des déductions pour frais professionnels en raison de l'absence de vision d'ensemble de la réforme de l'impôt sur le revenu. Il en va de même cette année. Nous estimons qu'il faut à nouveau reporter cette mesure.
Au demeurant, l'article 10 de la loi de finances pour 1998 prévoyait que le report, dont le Sénat avait été à l'origine, devait être mis à profit « pour engager une concertation avec les pouvoirs publics et les professions concernées afin de dégager une solution équitable et durable ».
Force est de constater que la volonté du législateur n'a pas été suivie d'effet et que les professionnels ne sont pas satisfaits de la mesure que vous leur proposez. De plus, ils sont sensibles à la fragilité juridique et constitutionnelle du mécanisme complexe qui a été créé.
L'article 81 du code général des impôts, dans sa rédaction actuelle, dispose : « Sont affranchis de l'impôt : "1° Les allocations spéciales destinées à couvrir les frais inhérents à la fonction ou à l'emploi et effectivement utilisées conformément à leur objet ;" ».
Le Gouvernement propose de compléter ce paragraphe par la phrase suivante : « Les rémunérations des journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux perçues ès qualités constituent de telles allocations à concurrence de 30 000 F ; ».
Ce dispositif, qui viendrait se substituer à la déduction forfaitaire antérieure, est discutable, monsieur le secrétaire d'Etat. D'abord, est-il réellement de nature à respecter le principe d'égalité entre les différentes professions ? Est-ce vraiment une bonne formule que de se retourner vers le contrôle fiscal pour dire que certaines catégories de dépenses sont réputées être faites conformément à leur objet ? Je me permets de poser cette question.
En fait, nous avons le sentiment que vous vous êtes raccroché à une méthode technique consistant à aménager, pour des raisons de circonstances, une solution fragile qui ne semble pas répondre aux voeux des professionnels de la presse et assimilés.
Mes chers collègues, en guise de conclusion, la commission des finances, souhaitant que l'on renoue avec la réforme d'ensemble de l'impôt sur le revenu, estime qu'il est bien préférable d'en rester au statu quo s'agissant des déductions forfaitaires, notamment celle des journalistes, en reportant d'une année supplémentaire le début de la suppression de l'avantage fiscal dont il s'agit.
Nous sommes parfaitement cohérents avec nous-mêmes puisque nous envisageons, par les votes qui seront suggérés lors de l'examen de la deuxième partie du projet de loi de finances, de renouer, non pas en 1999 mais en 2000, avec la réforme de l'impôt sur le revenu et, dans ce cadre, il sera éventuellement temps, après concertation et discussion, monsieur le secrétaire d'Etat, d'envisager, s'il le faut, un abaissement progressif des différentes déductions concernées, dont celle de la profession des journalistes et assimilés.
M. le président. Par amendement n° I-95, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
A. - De rédiger comme suit le paragraphe IV de l'article 2 :
« IV. - L'article 87 de la loi de finances pour 1997 (n° 96-1181 du 30 décembre 1996) est ainsi modifié :
« 1° Dans le second alinéa du I, les années : "1998, 1999 et 2000" sont remplacées par les années : "1999, 2000 et 2001".
« 2° A la fin du II, l'année : "2001" est remplacée par l'année : "2002".
B. - Pour compenser la perte de recettes résultant pour l'Etat de l'application des dispositions du A ci-dessus, de compléter cet article par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant du report d'un an de la réforme des abattements professionnels sont compensées par le relèvement, à due concurrence, du taux prévu à l'article 978 du code général des impôts. »
La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Mon intervention porte sur la suppression des abattements fiscaux pour frais professionnels, sous l'éclairage particulier de trois professions : les artistes musiciens, les journalistes et les voyageurs représentants placiers.
De manière plus générale, on peut légitimement s'interroger sur la remise en cause de déductions fiscales portant sur le fruit du travail.
Est-il nécessaire de rappeler que, pour l'essentiel des professions concernées par lesdits abattements fiscaux, hors la traditionnelle liste parfois caricaturée, ces abattements, loin de constituer un avantage particulier, font, à l'inverse, partie intégrante d'un salaire le plus souvent modeste.
Pour en revenir aux journalistes et aux artistes musiciens, la suppression sans compensation des abattements pour frais professionnels à ces secteurs d'activité aurait des conséquences néfastes et mal mesurées tant pour les salariés que pour les secteurs eux-mêmes. Les négociations menées par le Gouvernement avec ces professions corroborent d'ailleurs cette analyse.
Nous évoquions ici même, l'an dernier, les incidences, pour les orchestres de notre pays, de la suppression des abattements pour les musiciens.
Certes, la possibilité d'invoquer l'existence de frais réels existe toujours. Pour autant, les déductions forfaitaires offraient une souplesse permettant aux artistes de faire face à l'ensemble de leurs frais professionnels, tels que l'achat d'instruments, la formation et les frais de représentation.
La crise traversée par la presse écrite dans notre pays réclame, quant à elle, qu'aux difficultés des entreprises de presse ne viennent pas s'ajouter celles qui sont causées aux journalistes.
En outre, la suppression des abattements pour frais professionnels aura des conséquences directes pour les entreprises de presse qui verront augmenter très sensiblement leur part de cotisations sociales.
Loin de l'image surfaite du présentateur en vogue du journal télévisé, la réalité de la profession de journaliste est fort composite. Du jeune débutant pigiste ou en situation précaire, ayant dû acquérir sur ses deniers propres matériel informatique, matériel de télécommunications et documentation, au présentateur vedette, vous savez bien qu'il y a loin.
A cet égard, l'allocation pour frais d'emploi déductible du salaire annuel d'un montant de 30 000 francs se révèle insuffisante et pénaliserait de fait les salaires nets fiscaux au-dessus de 7 000 francs.
En ce qui concerne les VRP, un certain nombre d'entre eux ont opté pour l'imputation des frais réels, mais un nombre encore plus important d'entre eux ne peut que tirer parti, pour des raisons de commodité administrative assez évidentes, de l'existence de la déduction supplémentaire.
La tenue d'une comptabilité extrêmement précise constitue en effet une charge particulièrement lourde, dès lors que se multiplient les déplacements professionnels, les nuitées d'hôtels ou encore les repas pris à l'extérieur du domicile.
Soulignons, enfin, que le contrôle de la déclaration fiscale de ces salariés, dès lors qu'aurait été retenue la suppression de la déduction supplémentaire, représenterait une charge assez importante pour l'administration fiscale, et ce pour un rendement pour le moins limité.
On ne peut, dès lors, que se rallier à la position la plus sage qui consisterait à ne rien changer, c'est-à-dire à maintenir dans son intégralité la déduction pour frais professionnels.
En outre, ce dispositif d'allocation ne touche, parmi les professions concernées par les abattements fiscaux, que les seuls journalistes. Autant dire que le dispositif est fragile et qu'il pourrait faire l'objet d'une remise en cause par le Conseil constitutionnel au nom de l'égalité devant l'impôt.
Unanimement, l'an dernier, la Haute Assemblée attirait votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur la nécessité d'aboutir à une solution concertée avec l'ensemble des professions concernées par les abattements fiscaux, avant de rendre caduc un dispositif trouvant son origine dans l'histoire de ces professions.
Tout témoigne en effet que ces abattements pour frais professionnels, loin de constituer un avantage particulier, font désormais partie intégrante du salaire.
L'ensemble de ces motifs nous amène à rejoindre dans sa sagesse la Haute Assemblée qui, par la voix de la commission des finances, propose de surseoir durant une année supplémentaire à l'application d'un dispositif visant à terme à la suppression de ces abattements.
Nul ici ne songe sérieusement à contester le principe républicain de l'égalité devant l'impôt. Tout au plus s'agit-il, pour nous, d'attirer votre attention sur quelques professions qui seraient de fait sinistrées sans l'existence desdits abattements.
J'ai évoqué brièvement la situation de trois des professions concernées par le sujet. Peut-être aurais-je pu en citer d'autres. Je pense notamment aux ouvriers du bâtiment sur les chantiers. Que je sache, nul ne songerait à dire qu'il s'agit, en l'espèce, de rentes de situation.
Pour toutes ces raisons, l'amendement que nous soumettons à vos suffrages, mes chers collègues, vise à instituer un sursis supplémentaire d'une année afin d'aboutir dans ces délais à des solutions concertées avec les professions bénéficiant d'abattements fiscaux pour frais professionnels. Il y va, selon nous, d'une équité justifiée pleinement par l'existence de frais particuliers inhérents aux métiers que je viens d'évoquer.
M. le président. Par amendement n° I-209 rectifié, MM. Estier, Angels, Mmes Pourtaud, Bergé-Lavigne, MM. Demerliat, Haut, Lise, Massion, Iquel, Moreigne, Sergent et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent :
A. - De rédiger comme suit le paragraphe IV de l'article 2 :
« IV. - Le I de l'article 87 de la loi de finances pour 1997 (n° 96-1181 du 30 décembre 1996) est ainsi modifié :
« 1° Dans le second alinéa du I, les années : "1998, 1999 et 2000" sont remplacées par les années : "1999, 2000 et 2001" ».
B. - Pour compenser la perte de recettes résultant pour l'Etat de l'application des dispositions du A ci-dessus, de compléter l'article 2 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant du report d'un an de la réforme des abattements professionnels sont compensées par le relèvement, à due concurrence, des droits prévus à l'article 885 U du code général des impôts. »
La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Cet amendement, qui rejoint l'amendement n° I-3 de la commission des finances, correspond effectivement à une position que nous avions déjà exprimée l'année dernière et dont M. le secrétaire d'Etat au budget se souvient.
Nous approuvons l'objectif du Gouvernement de réformer l'assiette de l'impôt sur le revenu afin de supprimer les régimes dérogatoires.
Simplement - et c'est le cas notamment pour les journalistes ainsi que pour les artistes musiciens - ces régimes, qui existent depuis fort longtemps, ont eu un effet déterminant dans la fixation des niveaux de revenus pour les professions concernées. Il convient donc d'accompagner la réforme de mesures leur permettant de ne pas perdre de pouvoir d'achat.
C'est pourquoi nous avions déposé l'année dernière un amendement analogue visant à proroger d'un an le dispositif afin de permettre l'ouverture de négociations avec le Gouvernement. Le Sénat avait d'ailleurs adopté cet amendement avec l'accord de M. le président Poncelet.
Nous constatons aujourd'hui que ces négociations, si elles se sont engagées, n'ont pas véritablement abouti. Nous estimons donc nécessaire de prévoir un nouveau délai d'un an afin qu'elles puissent déboucher sur des résultats satisfaisants pour les intéressés.
Tel est donc l'objet de l'amendement n° I-209 rectifié, qui réécrit en outre le dispositif initialement prévu par le Gouvernement car il pourrait comporter des incertitudes juridiques et constitutionnelles.
M. le président. Par amendement n° I-70, M. Arnaud propose :
A. - A la fin de la phrase présentée par le paragraphe IV de l'article 2 pour compléter le 1° de l'article 81 du code général des impôts, de remplacer la somme : « 30 000 F ; » par la somme : « 50 000 F ; ».
B. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du A ci-dessus, de compléter in fine l'article 2 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'accroissement de la déduction pour frais d'emploi est compensée à due concurrence par l'augmentation des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Cet amendement est-il soutenu ?...
Par amendement n° I-73, MM. Baylet et Collin proposent :
A. - A la fin de la phrase proposée par le paragraphe IV de l'article 2 pour compléter le 1° de l'article 81 du code général des impôts, de remplacer la somme : « 30 000 F ; » par la somme : « 40 000 F ; ».
B. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du A ci-dessus, de compléter in fine l'article 2 par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - La perte de recettes résultant de l'accroissement de la déduction pour frais d'emploi est compensée à due concurrence par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin. Cet amendement vise à relever, pour les journalistes, le plafond de la déduction forfaitaire à 30 000 francs, comme le proposait le Gouvernement dans la version initiale du projet de loi de finances.
Les débats qui se sont déroulés à la fin de l'année dernière, à l'occasion de la loi de finances pour 1998, avaient conduit le Parlement à prévoir, dans l'article 10, que l'année 1998 serait « mise à profit pour organiser une concertation avec les pouvoirs publics et les professions concernées afin de dégager une solution équitable et durable ».
Le dispositif qui est aujourd'hui présenté par le Gouvernement résulte, effectivement, d'une négociation nourrie avec l'intersyndicale des journalistes.
Par rapport aux dispositions prévoyant l'extinction progressive de la déduction fiscale traditionnelle, il apporte, en effet, une solution durable aux difficultés causées à la profession et s'inscrit bien, de ce point de vue, dans l'esprit de l'article 10.
En revanche, le montant de 30 000 francs proposé par le Gouvernement et, tel que l'Assemblée nationale l'a adopté, aboutirait, s'il était appliqué en l'état, à faire subir à la majorité des journalistes des pertes de pouvoir d'achat pouvant dépasser 3 % de leur revenu net.
Cela engendrerait inévitablement des tensions sociales dans les entreprises du secteur de la communication, en particulier dans les entreprises de presse. Une telle situation serait pour le moins paradoxale, si on la rapproche de la priorité affirmée qui est la modernisation de la presse écrite, objectif auquel, si j'ai bien compris, le Parlement a tenu à s'associer l'an dernier par la création du fonds de modernisation de la presse quotidienne, financé par l'instauration d'une taxe sur les dépenses hors média.
On peut, enfin, ajouter que l'enjeu de cette proposition est inférieur à 100 millions de francs pour l'Etat.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-94, I-95, I-209 rectifié et I-73 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ces différents amendements sont inspirés par le même souci que celui de la commission : notre analyse est clairement convergente et elle est partagée par tous les groupes de cette assemblée.
Nous estimons que la concertation n'a pas été suffisante, qu'elle n'est pas arrivée à son terme et qu'elle n'a pas abouti à une solution satisfaisante. En effet, le dispositif proposé est, d'une part, très spécifique à une profession alors qu'il faut aussi se soucier des autres et, d'autre part, très fragile, ainsi que je me suis efforcé de le démontrer, notamment sur les plans juridique et constitutionnel. Par conséquent, un autre dispositif doit être élaboré.
Ce dispositif doit-il être à terme indéfini, comme le propose, par exemple, Mme Beaudeau dans son amendement I-94, ou doit-il être considéré comme transitoire, en attendant que soit élaborée une bonne solution ?
La commission des finances - l'amendement n° I-3, que j'ai présenté précédemment, le montre - préfère la seconde hypothèse, considérant qu'un an de plus doit nous permettre de bien poser tous les éléments de ce débat et de le replacer dans le cadre d'ensemble de la réforme de l'impôt sur le revenu.
Ces considérations me conduisent à solliciter des auteurs des différents amendements qu'ils se rallient à la position de la commission. Je le dis en particulier à Mme Beaudeau, dont l'amendement vient en premier dans l'ordre d'appel.
Si nous avons tous ensemble satisfaction dans le cadre d'un seul et même dispositif - comme ce fut le cas, d'ailleurs, l'an dernier - je pense que nous aurons fait preuve de réalisme. Nous aurons contribué à ce que le dialogue se poursuive avec les représentants des professions concernées, en particulier avec les journalistes et assimilés, pour aboutir à un dispositif qui soit considéré de part et d'autre comme satisfaisant.
Tel est le souhait de la commission des finances, qui demande à chacun de bien vouloir s'y rallier. S'il n'était pas possible, pour une raison ou une autre, aux auteurs de ces amendements de les retirer, la commission y serait, bien entendu, défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s I-94, I-3, I-95, I-209 rectifié et I-73 ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Il a été très bien rappelé par M. le rapporteur général, par MM. Estier et Collin et par quelques autres, que la Haute Assemblée avait demandé l'an dernier un sursis dans l'application brutale de la suppression progressive des déductions forfaitaires supplémentaires, afin que puisse être engagée une concertation avec les professions concernées.
Le Gouvernement, conformément au voeu de la Haute Assemblée, a engagé non pas une concertation, mais plusieurs concertations avec chacune des professions. A la page 60 du rapport élaboré par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale figure ainsi la liste de toutes les réunions qui ont été tenues avec les différentes professions.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Quel bon rapporteur général ! (Sourires.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Comme cela avait été fait, il n'y avait peut-être plus de raison de le faire !
Quoi qu'il en soit, huit réunions successives se sont, par exemple, déroulées avec l'intersyndicale des journalistes et un certain nombre de syndicats de journalistes. La concertation a donc eu lieu, et le Gouvernement l'a engagée avec la volonté de trouver des solutions.
Au terme de cette concertation se dégagent deux cas distincts.
Pour la quasi-totalité des professions qui bénéficient de déductions forfaitaires supplémentaires, il a été possible de trouver des modalités de prise en compte des frais réels. Je pense aux artistes, aux écrivains, aux pilotes, aux voyageurs représentants placiers. La solution à laquelle nous avons abouti est consignée dans une instruction fiscale qui a été soumise aux intéressés. Les professions concernées sont en train d'examiner ce document, qui devrait être publié d'ici à la fin de l'année.
Pour toutes ces professions, au terme d'une concertation qui a été vraiment approfondie, le Gouvernement a proposé des solutions pour que les frais réels, qui constituent tout de même un des principes fondamentaux de notre impôt sur le revenu, puissent être pris en compte de façon équitable et durable, selon l'expression qui figurait dans la loi de finances de l'an dernier.
Reste le problème des journalistes, sur lequel M. Estier a attiré particulièrement notre attention. Même si Mme Beaudeau a parlé des matériels utilisés par les jeunes journalistes pigistes, il demeure néanmoins difficile de calculer précisément les frais réels de cette profession, afin qu'ils ne soient pas trop éloignés du montant de la déduction forfaitaire supplémentaire qui existait antérieurement.
Devant cette difficulté, le Gouvernement vous propose la disposition qui fait l'objet du paragraphe IV de l'article 2. Il s'agit de prendre en compte, à hauteur de 30 000 francs, les frais engagés.
Cette solution, qui résulte, je le répète, de huit réunions de concertation, me paraît équitable et durable, répondant ainsi, je l'ai dit, à un principe fondamental de notre impôt sur le revenu.
A ce sujet, je tiens à dire devant la Haute Assemblée - c'est une évidence, mais il est sans doute bon de le redire - que ce n'est pas aux professions de juger ce qui est équitable et durable, mais que c'est à la Haute Assemblée, au Parlement d'en décider.
Le Gouvernement considère donc que la concertation pour laquelle il avait été mandaté par le Parlement voilà un an a eu lieu et la solution qu'il propose lui paraît, je le répète une nouvelle fois, équitable et durable.
Maintenir ces déductions forfaitaires supplémentaires ad vitam aeternam, comme le propose Mme Beaudeau, ne serait pas, à mes yeux, conforme à la justice car, même si certaines de ces déductions sont héritées d'un passé lointain - l'un d'entre vous a parlé de « niche fiscale », mais je crois qu'il ne faut pas exagérer sur ce point - elles constituent quand même des avantages, et ces avantages sont, dans certains cas, injustifiés.
Différer d'un an la mise en oeuvre de la disposition proposée, comme le propose la commission, ne paraît pas non plus opportun au Gouvernement : la concertation a eu lieu, et la reprendre devrait déboucher à peu près sur le même résultat. De plus, cela pourrait donner au Conseil constitutionnel le sentiment que - et je réponds là à un argument juridique de M. Marini - à force de repousser d'année en année leur mise en oeuvre, on maintiendra indéfiniment ces dispositions, ce que Mme Beaudeau a d'ailleurs ouvertement souhaité. Nous prendrions un risque juridique, me semble-t-il, en différant l'application de la suppression de l'ensemble des déductions forfaitaires supplémentaires.
Reste l'amendement n° I-73, qui vise à remplacer la somme de 30 000 francs, jugée insuffisante, par la somme de 40 000 francs.
Je crois que la proposition du Gouvernement répond - et je me tourne particulièrement, disant cela, vers Mme Beaudeau - aux difficultés des jeunes journalistes pigistes, c'est-à-dire de ceux qui auraient, avec le système brutal prévu par le gouvernement antérieur, le plus souffert de la suppression progressive des réductions forfaitaires supplémentaires.
Je pense donc que le montant de 30 000 francs proposé par le Gouvernement est raisonnable.
Vous ayant fourni ces explications peut-être un peu longues, j'invite les auteurs de ces cinq amendements à bien vouloir les retirer : le dispositif proposé par le Gouvernement est concerté, équitable et durable.
M. le président. Madame Beaudeau, les amendements n°s I-94 et I-95 sont-ils maintenus ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je rappelle que notre amendement n° I-94 a pour objet d'abroger trois articles de la loi de finances de 1997, c'est-à-dire d'une loi de finances élaborée et adoptée par M. Juppé et sa majorité.
Nous considérons, monsieur le secrétaire d'Etat, que, s'il faut s'attaquer aux niches fiscales, il en est bien d'autres qui pourraient être supprimées. En l'occurrence, je ne retirerai donc pas l'amendement n° I-94.
Quant à l'amendement n° I-95, il est effectivement similaire à celui de la commission, auquel M. le rapporteur général me demande de me rallier...
M. Philippe Marini, rapporteur général. De le rejoindre !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... tout en me faisant savoir que, si je ne le retirais pas, il y serait défavorable. Dans la mesure où l'amendement de la commission sera vraisemblablement voté et où nous obtiendrons, de la sorte, satisfaction, je retire l'amendement n° I-95.
M. le président. L'amendement n° I-95 est retiré.
Monsieur le rapporteur général, l'amendement n° I-3 est-il maintenu ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bien entendu !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-94.
M. Michel Charasse. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai promis à mon président de groupe de ne pas intervenir sur le fond, et je ne le ferai donc pas. (Sourires.) Je voudrais simplement attirer l'attention sur un point de forme, parce que je n'aime pas que l'on essaie de prendre les gens pour des naïfs.
Nous savons tous que le dispositif actuel des déductions fiscales supplémentaires forfaitaires, dont la suppression est prévue sur trois ans, est inconstitutionnel, mais qu'il ne peut plus être déclaré tel - le Conseil constitutionnel l'a encore redit l'année dernière ou il y a deux ans - parce que le juge constitutionnel n'a pas été saisi de ce texte avant sa promulgation, il y a fort longtemps. Par conséquent, l'inconstitutionnalité du dispositif ne peut plus être mise en cause. Il n'empêche qu'il est inconstitutionnel !
Cela étant, si l'on supprime ce dispositif pour toutes les professions sauf pour une, alors, par le biais du principe d'égalité dans l'inconstitutionnalité - l'inconstitutionnalité étant supprimée pour tout le monde sauf pour un - le Conseil constitutionnel annulera cet article 2.
La disposition proposée par le Gouvernement - et je m'abstiendrai de dire pour qui - est donc fortement menacée, d'autant plus que je ne suis pas certain qu'avec les pressions qui s'exercent en ce moment sur le Conseil constitutionnel ce dernier soit très enclin à être gentil avec la profession concernée. Mais c'est un autre problème ! (Murmures sur de nombreuses travées.) Je le dis comme ça en passant, je ne suspecte rien !
Essayer de faire croire le contraire n'est quand même pas très correct : ce qu'on a trouvé pour protéger une profession, c'est vous proposer de maintenir l'inconstitutionnalité pour toutes les autres. Mais les larmes de crocodile versées sur certaines professions ne peuvent impressionner que ceux qui ont la naïveté d'y croire !
Moi, monsieur le président, je n'y crois pas, j'ai parfaitement compris. Je remercie donc mon président de mon groupe de me laisser le loisir de voter comme je l'entends.
Nous sommes, cela dit, dans un débat extraordinaire, à la limite de la démarche jésuistique. Vous l'interpréterez comme vous le voudrez : un seul être vous manque et tout est dépeuplé.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Moi, je n'ai pas les larmes aux yeux : je me rappelle les promesses !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 1-94, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-3, repoussé par le Gouvernement.
M. Michel Charasse. Je vote contre.
M. Yves Fréville. Je m'abstiens.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements n°s I-209 rectifié et I-73 n'ont plus d'objet.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2, modifié.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le groupe communiste vote contre.
M. Claude Estier. Le groupe socialiste également.
(L'article 2 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 2