Séance du 30 novembre 1998
M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant la sécurité.
La parole est à M. le rapporteur.
M. André Vallet, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes observations porteront sur les crédits alloués à la sécurité, qui englobent bien entendu ceux de la police nationale et de la sécurité civile, mais également les crédits des administrations centrales et territoriales du ministère.
Ces quatre « agrégats », comme on dit dans le jargon budgétaire, rassemblent environ les deux tiers des crédits du ministère de l'intérieur, qui s'établissent pour 1999, dans ce projet de loi de finances, à 53,2 milliards de francs, en hausse de 2 %. Hors dépenses électorales, la progression est de 3 %.
Monsieur le ministre, afin que vous interprétiez les éventuelles observations critiques que je pourrais être amené à formuler comme des remarques constructives, je ne ferai pas durer le mince suspense : au nom de la commission des finances, je vais recommander au Sénat d'adopter ces crédits.
Ce vote conforme s'inscrit dans la stratégie globale de la commission des finances, qui a décidé de « sanctuariser » les budgets régaliens, le vôtre au premier chef.
En outre, contrairement à mes collègues députés de la majorité de l'Assemblée nationale et à certains autres observateurs avisés, je ne trouve pas que des défauts à votre projet de budget.
En effet, malgré les effets néfastes de l'accord salarial dans la fonction publique de février dernier, qui conduit à consacrer près de 90 % des crédits supplémentaires disponibles pour 1999 aux dépenses de personnel, vous parvenez à préserver l'effort d'investissement de votre ministère sans trop pénaliser les moyens de fonctionnement, qui, cette année comme les années précédentes, jouent le rôle de variable d'ajustement des crédits du ministère de l'intérieur.
Par ailleurs, je me félicite de la démarche de votre ministère qui, en matière immobilière, recherche des solutions économes des deniers publics pour réaliser certaines opérations. Je pense en particulier au recours à la location-acquisition pour la construction de quelques commissariats et aux accords avec les organisations de propriétaires immobiliers, procédé qui permet aux fonctionnaires de police de bénéficier de loyers intéressants, évitant ainsi au ministère de devoir participer à la construction de ces logements.
Je me permets ici de rappeler la position constante de la commission des finances et de la Haute Assemblée tout entière : une bonne politique n'est pas une politique dépensière, c'est une politique qui utilise efficacement l'argent des contribuables.
J'en reviens à votre projet de budget, monsieur le ministre. Pour arriver à en dégager les lignes directrices - c'est la première fois que je rapporte ces crédits - quel jeu de piste !
Vous le savez, il existe un décalage entre les données contenues dans les documents budgétaires et la répartition des crédits à laquelle vous procédez chaque année en début d'exercice, dans le cadre du programme d'emploi des crédits de votre ministère.
Je ne conteste pas les indéniables avantages de ce mode de gestion qui vous permet d'ajuster les dépenses au plus près des besoins mais, pour les parlementaires que nous sommes, il pose le problème de la sincérité des documents budgétaires et de la fiabilité des informations qui nous sont transmises.
Je m'interroge également sur le procédé qui consiste à inscrire des dépenses pour 1999 dans la loi de finances rectificative pour 1998. Je ne m'attarderai pas sur la conformité de cette pratique au regard de la règle de l'annualité budgétaire car, vous nous le direz sans doute, l'essentiel est que des crédits soient disponibles pour financer des actions prioritaires.
Cependant, monsieur le ministre, il faut dire ce que vous faites et l'assumer, au risque de méprise.
Ainsi, au vu du seul bleu budgétaire, l'Etat n'honorera pas le remboursement de la dette contractée à l'égard de France Télécom en 1999. En effet, les 90 millions de francs correspondants se trouvent inscrits dans le collectif budgétaire que nous examinerons avant la fin de l'année.
Cet exemple montre que la répartition des crédits pour 1999 entre le projet de loi de finances que nous examinons aujourd'hui et le collectif n'a pas été improvisée. Croyez moi, il aurait été vraiment plus simple de tout faire figurer dans le même texte.
Mais, à quelque chose, malheur est bon, car l'inscription de ces crédits dans la loi de finances aurait contribué à gonfler les taux de progression des différents postes de dépenses, qui sont déjà, parfois, surévalués.
Prenons par exemple les crédits de la sécurité et de la défense civiles, qui augmentent de 9,6 %, après une baisse de plus de 7 % l'année dernière. Eh bien, si la baisse de l'année dernière était avant tout comptable, la forte augmentation de cette année l'est tout autant : elle résulte, d'une part, de la reprise du programme d'équipement de la flotte aérienne, après une année 1998 de transition et, d'autre part, de la régularisation, au sein de la présentation budgétaire, des effectifs professionnels. Ces emplois n'avaient en effet jamais été inscrits dans les documents budgétaires.
De même, la forte augmentation - 14,5 % - des crédits d'investissement de la police nationale s'explique par le montant de la dotation de l'année dernière, qui avait été délibérément faible de manière à permettre la consommation des crédits reportés. Cette année, les reports ont été largement consommés. L'augmentation des crédits d'investissement permet donc de stabiliser le montant de la dépense, mais certainement pas de conclure à un accroissement de l'effort.
En somme, sur ce budget, vous n'avez pas eu beaucoup de marges de manoeuvre, puisque vos priorités ont été dictées par l'évolution des rémunérations et la nécessité de rétablir la tendance en matière de dépenses d'investissement.
Après avoir établi ce point, je voudrais à présent formuler quelques remarques « en vrac ».
S'agissant de la sécurité civile, je voudrais tout d'abord adresser mes félicitations aux unités qui se sont rendues récemment en Amérique centrale apporter un premier secours aux populations victimes du cyclone Mitch.
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel et d'administration générale, pour la sécurité civile. Très bien !
M. André Vallet, rapporteur spécial. Ces unités, qui interviennent partout dans le monde, sont la fierté de notre pays, et font beaucoup pour l'image de la France dans le monde.
Dans un registre différent, je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous fassiez devant nous le point sur la nouvelle flotte de Canadair dont notre pays s'est doté.
Ces avions, faut-il le rappeler, coûtent 120 millions de francs l'unité, et l'on dit - des techniciens disent, notamment dans des conférences de presse - qu'ils souffrent de graves défauts techniques...
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. André Vallet, rapporteur spécial. ... leur interdisant même de voler.
A quoi sont-ils dus ? La flotte sera-t-elle, comme me l'ont assuré vos services, en ordre de marche pour la prochaine campagne de lutte contre le feu ?
Question subsidiaire, mais fort importante, monsieur le ministre, qui paiera ?
S'agissant des services départementaux d'incendie et de secours, vous avez déclaré à l'Assemblée nationale que la contribution de certains départements devrait sans doute être majorée. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J'en viens maintenant à la police nationale. Je constate que votre souci, comme celui du gouvernement précédent, est d'assurer une meilleure présence policière sur l'ensemble du territoire.
Le gouvernement précédent avait lancé une série de réformes dont l'objectif était, entre autres, d'augmenter le nombre de policiers affectés à des missions de sécurité publique. Ainsi, la réforme des corps et des carrières permet, progressivement, d'accroître le nombre de policiers en tenue en réduisant à due concurrence les effectifs des corps de commandement.
La réforme des horaires, en réorganisant les brigades, a permis un gain d'effectifs de 5 % à 6 %. Dans le même esprit, la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité comportait une disposition relative à la suppression progressive des « tâches indues ». Celle-ci n'a pas connu, c'est le moins qu'on puisse dire, le succès escompté.
A ce sujet, monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous renouer un dialogue avec les autres administrations concernées. Il convient en effet d'exploiter au maximum toutes les solutions sans coût budgétaire.
Le gouvernement précédent a donc dégagé des effectifs en procédant à des réformes de structures. Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a choisi un chantier plus délicat, celui de la réforme de la carte policière.
C'est un sujet sensible, ce qui explique - pourquoi le nier ? - que les dispositions de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité et du pacte de relance pour la ville portant sur le même sujet n'aient été que marginalement appliquées.
Monsieur le ministre, vous avez choisi de passer en force, et vous avez été contraint de reculer.
Pourtant nos collègues MM. Hyest et Carraz avaient fait du bon travail. Par ailleurs, personne ne nie que les zones urbaines sensibles souffrent d'un déficit de présence policière, et que la France dispose d'un nombre de policiers par habitant dans la moyenne des pays européens.
En outre, la gendarmerie bénéficie d'une excellente image de marque auprès de nos concitoyens. Cette réforme aurait donc dû aboutir, d'autant plus qu'elle ne concerne que 1,3 million d'habitants. Mais vous l'avez mal expliquée et mal préparée.
Vous n'êtes pas allé étudier les implantations au cas par cas. Comme l'on rappelé certains de nos collègues en commissions des finances, vous n'avez pas tenu compte des besoins spécifiques des zones rurales. Surtout, vous avez agi en contradiction avec un principe pourtant rappelé à de multiples occasions lors du colloque, si j'ose dire « fondateur », de Villepinte : l'insécurité provient autant de la réalité des menaces que du sentiment d'insécurité éprouvé par les personnes.
Aujourd'hui, vous êtes dans l'impasse. Vous avez envoyé un préfet sillonner la France. Mais, si j'en crois les échos qui me parviennent, si j'en crois les manifestations qui se multiplient, les choses ne se passent pas bien. Qu'en est-il, monsieur le ministre ?
En attendant, vous avez décidé d'affecter les adjoints de sécurité prioritairement dans les zones sensibles. Je m'en félicite, mais il faut garder présent à l'esprit que les adjoints ne sont pas de vrais policiers. Cette mesure ne saurait donc exonérer le Gouvernement de la mise en oeuvre d'un véritable redéploiement d'effectifs.
S'agissant des adjoints, j'ai été heureusement surpris d'apprendre que certains d'entre eux avaient d'ores et déjà réussi des concours de la police nationale. L'année dernière, nous formions le voeu que le statut d'adjoint devienne un tremplin vers d'autres métiers de la sécurité. Ce processus semble en bonne voie.
Il n'en va pas entièrement de même s'agissant des contrats locaux de sécurité. Ces contrats s'inscrivent dans une longue lignée de dispositifs partenariaux. A chaque fois, le bilan est inégal, et dépend surtout, monsieur le ministre, de la qualité de la relation entre les hommes, particulièrement entre les services de police, de justice et les élus locaux.
A cet égard, monsieur le ministre, permettez-moi de vous suggérer de transmettre un message à vos fonctionnaires : les élus locaux sont les premiers intéressés par une baisse de la délinquance, ils sont même, souvent, les premiers saisis. Par conséquent, les commissaires ne devraient pas éprouver de réticence à travailler en bonne intelligence avec eux. Or ce n'est pas toujours le cas !
M. Jean-Jacques Hyest. Les juges aussi !
M. André Vallet, rapporteur spécial. J'ai mentionné les élus locaux. Afin de boucler la boucle avec notre premier débat de ce matin - sur les crédits de la décentralisation - je voudrais, monsieur le ministre, que vous nous en disiez un peu plus sur ce programme « Sécurité 2002 », dont nous savons peu, sinon que les collectivités locales y seront de leur poche.
L'idée, si j'ai bien compris, est de faire participer les collectivités locales au financement de la construction et de la rénovation des commissariats.
Quand comptez-vous annoncer quelque chose ? Quel degré de formalisme comptez-vous donner à ce dispositif ?
Je vous ai posé beaucoup de questions, monsieur le ministre, et mes collègues feront sans doute de même. Nous attendons tous vos réponses avec impatience.
Toutefois, sous le bénéfice des observations que j'ai formulées, je propose au Sénat, comme je l'ai dit au début de mon propos, au nom de la commission des finances, l'adoption des crédits de la sécurité figurant au budget du ministère de l'intérieur. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Courtois, rapporteur pour avis.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la police et la sécurité. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de présenter l'avis de la commission des lois sur les crédits de la police et de la sécurité pour 1999, je tiens à saluer notre collègue M. Paul Masson, à qui j'ai le redoutable honneur de succéder et qui a montré douze années durant sa très large compétence en la matière.
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. Hommage justifié !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. Il m'appartient de souligner les conditions périlleuses dans lesquelles les policiers remplissent leur noble mission au service de la sécurité de nos concitoyens et les conditions d'exercice d'un métier de plus en plus éprouvantes.
Mes premiers propos seront pour rendre hommage aux vingt-cinq policiers décédés ou blessés durant l'année 1998 lors d'opérations de police, qui ont payé de leur sang leur exemplaire dévouement.
Cependant, dans leur vie quotidienne, les Français n'ont pas ressenti d'amélioration, et c'est plutôt un sentiment d'insécurité qui a persisté, alimenté par la recrudescence de la violence urbaine, du trafic de drogue et de la délinquance des mineurs.
Voilà un an, le Premier ministre avait rappelé que chaque citoyen a le droit à la sécurité, socle nécessaire à l'exercice des libertés. Plus récemment, le chef du Gouvernement a fixé comme priorité la lutte contre les actes d'incivilité afin que les transports en commun deviennent plus sûrs.
On ne peut que se féliciter d'entendre le Gouvernement s'exprimer ainsi et rejoindre une perception de la sécurité, qui avait inspiré la loi de programmation et d'orientation de 1995.
Si le projet de budget de la police et de la sécurité augmente de 2,9 % par rapport à 1998, cette progression n'est pas satisfaisante et ne répond pas aux attentes légitimes des Français en matière de sécurité.
Elle ne permettra pas d'atteindre les objectifs fixés par cette loi en matière de personnel, d'équipement et de police de proximité.
La dernière année pour laquelle nous disposons de résultats complets est 1997. Durant celle-ci, la criminalité globale a baissé de 1,86 % grâce à une diminution générale des vols, particulièrement des vols de véhicules grâce aux conséquences des progrès techniques des systèmes antivols.
Au-delà de ces données chiffrées, il convient de noter que la délinquance a été multipliée par six depuis 1950 et que le sentiment d'insécurité dans notre pays est alimenté par la recrudescence et la violence de la délinquance de proximité. Ainsi, les coups et blessures volontaires ont progressé de 8,6 % et les vols avec violence de 3,1 %.
On en peut que regretter la faiblesse du taux d'élucidation de ce type de délinquance et le trop grand nombre d'affaires classées par les parquets, qui renforcent le sentiment d'impunité chez les délinquants et démotivent à l'évidence les forces de police.
Depuis quelques mois se pose avec une certaine acuité le problème de la violence dans les transports en commun. Les mesures préventives nécessaires doivent être prises. La commission des lois considère, à l'unanimité, qu'il y a lieu de renforcer les sanctions des infractions commises à l'encontre des personnels des entreprises de transports publics.
Ces phénomènes de délinquance urbaine se concentrent dans les banlieues et les quartiers défavorisés dont les habitants développent le sentiment d'être des citoyens de deuxième rang, vivant dans des zones de non-droit au contact permanent de la violence urbaine, loin des services mis à la disposition des citoyens par l'Etat.
Votre commission des lois s'est tout particulièrement inquiétée de l'évolution de la délinquance juvénile. Déjà, l'an dernier, mon prédécesseur, M. Paul Masson, faisait part de sa préoccupation quant au caractère de plus en plus violent de délinquants de plus en plus jeunes. Sur les six premiers mois de l'année, la part des mineurs impliqués dans des crimes et délits a atteint 22 %.
Cette situation relève à l'évidence de la faillite des modes de régulation habituels, l'approche de l'éducation classique n'a plus de prise sur les jeunes délinquants, l'emprisonnement ne conduisant qu'à donner des récidivistes.
Les moyens de lutter contre cette délinquance existent. Il convient, tout d'abord, le plus tôt possible d'initier un véritable apprentissage de la citoyenneté chez ces jeunes.
Par ailleurs, les petites infractions ne devraient pas rester sans réponse. Les moyens nécessaires devraient être déployés pour responsabiliser les parents des mineurs concernés et pour éloigner de leur quartier d'origine les délinquants identifiés afin de soustraire leurs camarades à leur mauvaise influence.
A l'occasion de l'examen du projet de budget de 1998, le ministre de l'intérieur avait annoncé au Sénat une modification de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante.
En fait de modification, c'est à une programmation pluriannuelle que procède le Gouvernement. Le plan présenté affiche la volonté de trouver un équilibre entre prévention et sanction et propose une réponse systématique et adaptée à chaque acte de délinquance.
Votre commission des lois a rappelé l'attachement qui est le sien à voir se développer une lutte efficace et déterminée contre le fléau de la drogue. La baisse du nombre de décès liés à l'usage de drogue en 1997 s'explique par la profonde désaffection constatée pour l'usage de l'héroïne, qui a comme contrepartie la forte progression de nouvelles drogues de synthèse.
Nous demandons au Gouvernement d'agir avec toute la fermeté nécessaire tant au plan interne qu'au niveau international pour mener une lutte sans complaisance contre la toxicomanie, fléau qui touche trop de jeunes.
Pourtant, cette ambiguïté existe lorsque certains membres du Gouvernement font preuve d'indulgence à l'égard de la dépénalisation de l'usage du cannabis,...
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. C'est scandaleux !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. ... ce qui peut générer une démobilisation des services en charge de la répression.
Les forces de police concernées ont été particulièrement mobilisées par la lutte contre le terrorisme en 1998. Les investigations menées à la suite du lâche assassinat du préfet de la région Corse, Claude Erignac, ont permis l'interpellation de 152 personnes durant le premier semestre. Ces services spécialisés ont par ailleurs mené des actions efficaces contre les groupes armés islamistes au moment de la Coupe du monde de football et procédé à l'arrestation d'activistes de l'ETA militaire basque.
Le problème de l'immigration clandestine a évolué, ces derniers mois, suite à la circulaire du 24 juin 1997 et avant la loi du 11 mai 1998 relatives à l'entrée et au séjour des étrangers. Il a été procédé à une vaste opération de régularisation des étrangers vivant en situation irrégulière sur le territoire français. Ainsi que l'avaient prévu nos collègues José Balarello et Paul Masson dans le rapport, au nom de la commission d'enquête sur les régularisations, cette opération a abouti à une impasse pour les 60 000 personnes ayant essuyé un refus de régularisation.
Ce sont des « clandestins officiels », des personnes en situation irrégulière, connues des services de police, mais ne pouvant pas faire l'objet, de par leur nombre, d'une mesure de reconduite à la frontière.
Je ne peux que regretter cette situation inextricable due aux faux espoirs suscités par le Gouvernement.
Celui-ci a souhaité relancer une politique de sécurité de proximité à travers les contrats locaux de sécurité. Ces contrats déterminent les objectifs à atteindre et les actions à engager sur la base d'un diagnostic local de sécurité. Une mission interministérielle d'évaluation de ces contrats a souligné, le mois dernier, le caractère sommaire de ces diagnostics en regrettant que, le plus souvent, l'urgence de signature de contrat prévalait sur le diagnostic. De plus, cette mission à dénoncé l'insuffisante concertation entre les services de l'Etat et les conseils généraux.
L'autre instrument utilisé par le Gouvernement dans sa politique de sécurité de proximité, ce sont les emplois-jeunes. Jusqu'en l'an 2000, 20 000 adjoints de sécurité et 15 000 agents locaux de médiation seront recrutés dans le cadre fixé par la loi relative aux emplois-jeunes et dans des conditions qui ne peuvent que susciter des inquiétudes.
Les adjoints de sécurité sont recrutés sans condition de diplôme et armés après seulement deux mois de formation. En région parisienne, des difficultés ont été constatées dans les recrutements, et le niveau scolaire des candidats recrutés est nettement inférieur à celui du reste de la France.
Le ministère de l'intérieur a annoncé que 40 % des postes de policiers mis au concours seraient réservés aux adjoints de sécurité. Cette annonce peut faire craindre une régression du niveau de recrutement dans la police.
La commission des lois demande qu'un soin particulier soit porté à la sélection des candidats et que soit assurée la qualité de la formation et de l'encadrement de jeunes peu expérimentés qui, il faut le répéter, seront dotés d'une arme.
Des difficultés équivalentes de formation et d'encadrement sont apparues pour les agents locaux de médiation sociale.
On ne peut que regretter les conditions dans lesquelles a été mis en oeuvre le projet de redéploiement territorial des forces de police et de gendarmerie, qui risque fort de s'effectuer au détriment de la sécurité des communes intéressées.
Face à une concertation à l'évidence insuffisante sur ce projet, mission a été donnée à un préfet de mener les consultations complémentaires.
Plutôt que de supprimer des effectifs dans des zones les moins criminogènes, il serait préférable de les renforcer dans les zones où la délinquance est la plus élevée.
Le projet de budget du ministère de l'intérieur pour 1999 ne répond pas aux légitimes attentes des Français en termes de sécurité.
Il convient de noter, pour le regretter, que l'évolution des dépenses de personnels, qui représentent 84 % du total, est conditionnée par l'accord salarial de la fonction publique de février 1998.
Pour 1999, ce sont 7 600 postes d'adjoints de sécurité qui seraient créés et 4 500 postes de policiers auxiliaires qui seraient supprimés.
Nous sommes très inquiets de la gestion prévisionnelle des effectifs pratiquée par le Gouvernement, qui se révèle insuffisante au regard des 25 000 départs à la retraite de policiers dans les années à venir. Pour éviter les vacances de postes pendant la durée de formation des nouveaux personnels, il conviendrait de procéder à des recrutements anticipés. L'annonce faite par le Gouvernement de 1 400 agents recrutés en surnombre sera largement insuffisante.
On ne saurait prendre le risque, du fait des départs à la retraite, de faire reposer la sécurité des Français sur des emplois-jeunes, dont les titulaires sont sans expérience, peu formés et recrutés dans des conditions telles que la qualité de leur action n'est pas assurée.
Il est légitime de s'interroger sur les effets d'annonce du Gouvernement en termes de formation des personnels, alors que, dans le même temps, le niveau des crédits alloués est en baisse. C'est même paradoxal, alors que des moyens supplémentaires sont nécessaires pour la création de la direction de la formation et la mise en place des adjoints de sécurité.
Les crédits consacrés au fonctionnement et à l'équipement devraient permettre la poursuite des programmes informatiques en cours, tels que le système de traitement automatisé de l'information criminelle, le fichier automatisé des empreintes digitales et le système d'information Schengen.
Le réseau de communications cryptées numérique ACROPOL devrait être achevé en 2007. On peut regretter cependant qu'un développement plus rapide n'en permette pas un achèvement plus rapide. Il convient, par ailleurs, de s'assurer de la coordination de ce système avec celui qui est mis en place par la gendarmerie.
La commission s'inquiète des retards importants pris dans l'équipement matériel et immobilier des forces de police. Ainsi, la situation du parc automobile est particulièrement préoccupante. Force est de constater que les dotations allouées au renouvellement du parc automobile sont trop souvent considérées comme des variables d'ajustement des crédits de fonctionnement, fortement mis à contribution à l'occasion de la Coupe du monde de football et du plan Vigipirate.
En dépit de l'assurance que vous nous avez donnée, monsieur le ministre, relativement à l'inscription des 500 millions de francs de crédits supplémentaires dans le collectif budgétaire au titre du fonctionnement et de l'équipement des services, dont on ne connaît d'ailleurs pas la répartition exacte, nous vous faisons part de notre vive préoccupation.
Faute de moyens suffisants, la police risque de ne plus fonctionner qu'en amateur face à une délinquance toujours plus professionnalisée. Pour lutter contre des délinquants se déplaçant dans de puissants véhicules, équipés des appareils de communication les plus perfectionnés, les policiers ne disposent que des véhicules de gamme moyenne souvent âgés, dotés de moyens de communication obsolètes. Cette situation ne saurait perdurer ; il convient maintenant de réagir.
Le dossier des équipements immobiliers nous inquiète car le Gouvernement souhaite combler le retard pris par une participation des collectivités locales pour l'aménagement des locaux de police. Le Sénat prendra toute sa part pour contrôler que cette opération « sécurité 2002 » ne se traduise pas par un nouveau transfert de charges pour les collectivités locales.
Nous ne pouvons que regretter l'abandon des objectifs de la loi d'orientation de 1995, d'une part pour l'équipement de la police pour lequel il n'y aura pas les crédits prévus d'autre part pour le recrutement de 5 000 personnels administratifs devant permettre aux policiers de retourner sur le terrain. En fait, ce sont plus de 900 emplois administratifs qui sont supprimés sur la période.
Un certain nombre de décrets sur le gardiennage des locaux d'habitation, le contrôle du respect du code de la route et le marquage électronique des véhicules ne sont toujours pas publiés. On peut légitimement s'interroger sur la volonté du Gouvernement de procéder à ces publications.
S'agissant de la coopération policière européenne, je regrette que le suivi en soit à l'évidence insuffisant en dépit de rappels fréquents sur l'importance de cette coopération comme instrument privilégié de lutte contre la criminalité, qui tire avantage de la libre circulation des personnes et des capitaux.
Il convient, dans cette optique, que soient déposés au plus vite devant le Parlement les projets de loi de ratification des conventions policières et douanières transfrontalières conclues avec nos partenaires européens, en application de la convention de Schengen.
On ne peut que regretter enfin, alors que la convention Europol est entrée en vigueur, qu'un accord n'ait pas été trouvé sur l'autorité de contrôle et que sept pays, dont la France, n'aient pas encore ratifié le protocole sur les privilèges et les indemnités des fonctionnaires.
Le budget de la police pour 1999 ne traduit pas réellement la priorité annoncée par le Gouvernement en matière de sécurité. A défaut d'un effort important et urgent de formation du personnel et d'équipement des services, la police est en passe de ne plus pouvoir remplir correctement ses missions.
La politique poursuivie par le Gouvernement repose sur des emplois-jeunes dont l'avenir est incertain et sur un redéploiement territorial contestable et contesté.
Dans ces conditions, la commission des lois aurait souhaité une augmentation notable des crédits de la section « police et sécurité ». Toutefois, elle a décidé de s'en remettre à l'appréciation de la commission des finances. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Laurin, rapporteur pour avis.
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la sécurité civile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'analyser brièvement les crédits de la sécurité civile, je voudrais rendre un hommage particulier - cela ne vous étonnera pas - au personnel des unités de sécurité civile qui exportent dans le monde leur courage et leur technicité ; ils l'ont encore fait voilà peu.
Ayons une pensée pour nos hommes du feu qui, cette année, au péril de leur vie et souvent en la perdant, sont intervenus dans les différents sinistres.
J'en viens au budget de la sécurité civile qui nous est présenté cette année.
Trois observations principales s'imposent.
Tout d'abord, les crédits progressent de 9,59 %, soit près de 10 %.
Cette évolution, qui fait suite à une baisse de 7,70 % en 1998, provient de deux facteurs.
D'abord, elle traduit les conséquences de la professionnalisation des armées. En effet, au cours des trois prochaines années, le personnel militaire sera remplacé par des engagés et des volontaires du service national. Cela concernera, en 1999, 367 emplois dans les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile. Le recentrage des effectifs conduira à la dissolution de l'unité de Rochefort-sur-Mer.
Pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, dont - je le rappelle - l'Etat assure 25 % des dépenses de fonctionnement, 442 emplois d'engagés et de volontaires seront créés en 1999.
Autre facteur d'augmentation des crédits : le renouvellement de la flotte d'hélicoptères sera enfin entrepris.
On se souvient que, pendant quatre années consécutives, la commission des lois a réclamé l'engagement de ce programme. L'opération portera sur trente-deux appareils et, cette fois-ci, elle se concrétisera.
Par ailleurs, le plan de remotorisation des bombardiers d'eau de type Tracker, interrompu en 1998, sera repris en 1999, avec le traitement d'un appareil qui, d'ores et déjà, est prévu.
Le programme d'acquisition des Canadair CL 415 s'est, je rappelle, achevé en 1998.
Après M. le rapporteur spécial, je voudrais attirer l'attention du Sénat et la vôtre, monsieur le ministre, sur le fait que certains Canadair livrés ont connu des problèmes techniques. Cet été, certains d'entre eux ont éprouvé des difficultés pour embarquer l'eau. Le ministère a dû réagir.
A la suite des réclamations, le groupe fournisseur Bombardier a accepté de prendre en charge le coût financier des réparations, hors main-d'oeuvre. La flotte des Canadair devrait donc, selon vos informations, monsieur le ministre, être complètement opérationnelle en mai 1999.
Nous sommes encore un peu inquiets, mais je pense que vous nous donnerez tout à l'heure, monsieur le ministre, toutes les informations susceptibles de nous rassurer.
En effet, nous n'avons plus de commandes en cours chez Bombardier. Nous entretenons donc avec la firme Bombardier des rapports de client mécontent sans pouvoir faire jouer nos futurs achats de matériels.
Nous avons déjà beaucoup dépensé. On se souvient des discussions homériques qui ont opposé la haute assemblée et les différents ministres de l'intérieur sur le financement de ces Canadair.
Nous étions les seuls à pouvoir en commander à l'époque. Nous avons un moment envisagé de procéder nous-mêmes à la construction de ces appareils, mais nous n'avons pas trouvé chez nos amis européens les encouragements suffisants.
Nous souhaitons donc avoir la certitude que ces Canadair ne poseront plus aucune difficulté l'été prochain, car ils constituent des instruments de lutte incomparable contre le feu dans les régions les plus vulnérables.
Les services de sécurité civile continuent à faire preuve d'une grande efficacité. J'en donnerai deux exemples traditionnels.
La moyenne annuelle des superficies détruites par des incendies de forêt a été réduite de moitié en deux ans. Elle est passée de 36 000 hectares entre 1988 et 1992 à 18 000 hectares sur les cinq dernières années.
Je tiens à évoquer aujourd'hui, monsieur le ministre - et ce n'est pas un hasard -, un point que je n'avais pas abordé dans mes précédents rapports : l'action de l'unité de déminage.
Sans doute parce qu'elle n'est pas suffisamment spectaculaire aux yeux des médias, cette action est injustement méconnue.
J'ai donc plaisir à rappeler que l'unité de déminage est intervenue sur 2 991 objets suspects en 1997, dont 181 contenaient réellement de l'explosif et qu'elle a procédé à la neutralisation de 539 tonnes de munitions.
Sur le plan strictement financier, monsieur le ministre, il convient de prendre garde au transfert de charges et responsabilités aux collectivités territoriales sans attribution de ressources nouvelles, transfert qui est opéré discrètement, à l'occasion de la mise en oeuvre des lois du 3 mai 1996.
Vous avez affirmé à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, que le départementalisation des services d'incendie et de secours n'entraînait pas de hausse mécanique des dépenses. Vous avez cependant ajouté que certains départements allaient devoir consentir un effort financier plus important que d'autres pour se mettre à niveau. Ce sont là, à mes yeux, des propos optimistes. Quoi qu'il en soit, c'est le coeur du problème.
Je ne vous cache pas que, lors du congrès des maires de France - j'en parlais encore récemment avec son président - ce problème a été abordé de manière sous-jacente, quand il ne l'a pas été de manière explicite.
Dans la loi sur laquelle j'avais eu l'honneur de rapporter et sous le régime de laquelle nous vivons, un délai de cinq années est prévu pour permettre aux communes et aux services d'incendie et de secours - les petits et les grands - de prendre leur décision quant à l'adhésion au service public départemental.
Il faut savoir que l'atmosphère qui prévaut actuellement, compte tenu notamment des difficultés qu'a suscitées dans les communes l'installation des services départementaux d'incendie et de secours, n'est plus du tout celle qu'on pouvait observer au moment du vote de la loi.
Je me souviens d'avoir eu, à l'époque, des conversations intéressantes et productives avec tous les colonels du corps des sapeurs-pompiers.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. Il y en a beaucoup ! (Sourires.)
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. En effet !
Ils exprimaient la confiance que leur inspiraient alors l'initiative gouvernementale et la loi que nous votions, car ils estimaient que les problèmes allaient ainsi être résolus. Or, aujourd'hui, on ne saurait faire un tel constat : au contraire, un mal profond s'est répandu dans le milieu des sapeurs-pompiers. Ce malaise ne tient pas tant aux petits problèmes de vétérance dont nous débattrons dans quelques jours qu'au fait que les maires - on assiste déjà à un regroupement des maires mécontents dans le Var - n'acceptent pas de voir de nouveau des charges leur être imposées.
Devant la commission des lois, monsieur le ministre, vous avez évalué à 240 francs en moyenne le coût des services départementaux d'incendie et de secours. A considérer le nombre d'habitants d'une commune moyenne, cette évaluation n'a aucun rapport avec la réalité.
M. Jean-Jacques Hyest. En moyenne, c'est vrai !
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. Bien entendu, je ne mets pas vos chiffres en doute. J'observe simplement que l'avis des services d'incendie et de secours fait ressortir un chiffre moins modeste.
Vous avez déclaré à l'Assemblée nationale que les dispositions indemnitaires et statutaires adoptées pour l'application de ces lois pourraient induire des augmentations de charges. C'est bien de cela qu'il s'agit !
Ainsi, le nouveau régime indemnitaire des sapeurs-pompiers professionnels entraînera une progression de 5 % de la masse salariale.
La généralisation de l'allocation de vétérance pour les sapeurs-pompiers volontaires devrait, quant à elle, entraîner une charge de 38 millions de francs, auxquels s'ajouteront 36 millions de francs si la proposition de loi sur laquelle je rapporterai dans huit jours est adoptée.
Par ailleurs, devant les difficultés rencontrées pour définir le régime du travail des sapeurs-pompiers professionnels, le ministre de l'intérieur a préféré laisser aux autorités d'emploi le soin de prendre les décisions. Rappelons que, aux termes de la loi du 3 mai 1996, ces décisions auraient dû être prises par décret, ce qui n'a pas été fait. Cela tient sans doute à différentes raisons qui ne sont pas sans lien avec la situation que j'ai décrite tout à l'heure, mais il faudrait tout de même envisager d'y mettre bon ordre.
Ces observations me conduisent à poser deux questions.
Tout d'abord, les collectivités territoriales, sensibles à l'amélioration de l'efficacité de la sécurité civile, sont en droit de se demander si elles devront indéfiniment supporter les conséquences financières des décisions prises par l'Etat, auxquelles s'ajoutent maintenant, je dois le dire, les décisions prises par les tout nouveaux services d'incendie.
Vous étiez très averti de ces problèmes, monsieur le ministre, puisque vous avez laissé entendre devant l'Assemblée nationale que vous étiez disposé à engager une réflexion sur la recherche de moyens financiers supplémentaires pour la sécurité civile. Je souhaiterais donc connaître vos pistes de réflexion à cet égard et le calendrier prévisionnel que vous envisagez d'adopter.
Par ailleurs, la commission des lois attire chaque année l'attention du Gouvernement sur le financement des opérations de secours aux victimes d'accidents liés à la pratique d'activités sportives à risque, accidents provoqués dans 80 % des cas par des imprudences.
Ce financement incombe, là encore, aux communes, qui ne peuvent en demander le remboursement aux victimes ou à leurs ayants droit que si l'accident est consécutif à la pratique du ski alpin ou du ski de fond.
L'élu maritime que je suis est très perturbé par le fait qu'il ne puisse, lui, prendre de décisions en ce qui concerne les accidents nautiques, si fréquents et dont le nombre ne cesse d'augmenter.
Compte tenu de la diversification des activités sportives à risque, ne pourriez-vous pas, monsieur le ministre, accorder aux communes, qui sont responsables dans la zone des 300 mètres, un droit d'initiative plus large ? Eu égard, notamment, à ce que coûte le balisage aux communes maritimes - c'est-à-dire, maintenant, une fortune - il conviendrait peut-être de permettre aux maires d'édicter des arrêtés.
Oserai-je dire que, en cette matière, je parle d'or ? J'avais en effet interdit les scooters des mers,...
MM. Philippe de Gaulle et Christian Demuynck. Très bien !
M. René-Georges Laurin. ... considérant que ces engins constituent un terrible danger.
Mon arrêté est toujours en vigueur à l'échelon municipal, et je tiens à souligner que la gendarmerie maritime met beaucoup de bonne volonté à le faire respecter. Mais il y a toujours autant de scooters des mers sur la côte varoise et toujours autant d'accidents graves malgré les deux procès qui ont donné tort aux vendeurs de mort que sont ceux qui font commerce de ces engins. Car c'est essentiellement une histoire de gros sous !
Je crois donc que le ministère de l'intérieur devrait prendre des mesures spécifiques concernant les scooters des mers et faire en sorte que les maires concernés puissent prendre des dispositions efficaces contre ces engins très dangereux.
Sous le bénéfice de ces observations, monsieur le ministre, la commission des lois est favorable à l'adoption de votre projet de budget. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 32 minutes ;
Groupe socialiste, 17 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 15 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'augmentation des agressions avec violence constatées dans la capitale a été de 9,2 % en 1997 : voies de fait sur des personnes âgées, vandalisme, attaques à main armée chez les commerçants sont désormais le lot quotidien des Parisiens.
Certes, on ne peut que se réjouir de la diminution, au demeurant toute relative et très contrastée, des délits de voie publique, tels que vols à la roulotte ou à la tire, vols de voiture, et de la grande criminalité en général.
Mais l'inquiétude gagne devant l'accroissement des dégradations et destructions par vandalisme, de l'ordre de 8 % depuis le début de l'année à Paris.
Cette insécurité se fait plus particulièrement sentir sur l'ensemble des arrondissements périphériques, la palme, si j'ose dire, revenant au XVe arrondissement. Ces arrondissements sont victimes d'incursions d'individus ou, plus souvent, de bandes de jeunes venus des banlieues. La recrudescence de la délinquance des mineurs est, d'ailleurs, un phénomène particulièrement inquiétant.
Outre les actes de violence commis à l'encontre des agents des services publics, j'évoquais récemment, à cette tribune, le pillage à grande échelle des horodateurs dont est victime la Ville de Paris ; j'expliquais notamment que, dans cette « entreprise », les mineurs sont l'instrument de bandes organisées.
Il est clair, monsieur le ministre, que le « tout préventif » a montré ses limites. Aussi ai-je lu avec grand intérêt, dans l'excellent rapport de notre collègue Jean-Patrick Courtois, que, dans le cadre du plan gouvernemental de lutte contre la délinquance des mineurs, sera apportée une réponse systématique adaptée à chaque acte de délinquance et que « automatiquement convoqués à chaque stade des procédures concernant leurs enfants, les parents pourront, de plus, voir prononcer à leur encontre des mesures existantes de suspension ou de mise sous tutelle des prestations familiales ».
Le Gouvernement découvre, enfin, que les lois existent pour réprimer la délinquance juvénile. Encore faut-il les faire appliquer. Nous jugerons aux actes.
Je veux également insister sur l'implantation de bandes organisées dans la capitale. Le journal Le Parisien, dans son édition du 6 octobre dernier, en dénombrait une trentaine.
Elu du XIVe arrondissement, je ne peux que partager l'inquiétude de ses habitants qui voient s'affronter deux bandes rivales. Outre les rixes quotidiennes, cette rivalité s'est traduite, le 2 octobre, par une fusillade, dans l'église Notre-Dame-du-Rosaire, en plein mariage, fusillade dont le bilan est de trois blessés, l'un étant dans un état grave. Les règlements de compte au fusil à pompe sont désormais monnaie courante.
Ces faits illustrent une autre réalité : la prolifération des armes illicites. Les interpellations pour port d'armes prohibé dans le métro ont augmenté de 46 % sur les huit premiers mois de 1998.
Monsieur le ministre, ce constat est accablant. La loi républicaine a-t-elle encore un sens ?
A l'heure où Paris se dote d'un contrat local de sécurité et où la préfecture de police tente de réformer ses services sans moyens spécifiques, on constate une diminution dramatique des effectifs policiers dans la capitale.
Ce n'est pas l'arrivée de 7 600 adjoints de sécurité supplémentaires en 1999 qui rétablira une situation à la dérive sur tout le territoire national. Permettez-moi d'ailleurs de formuler les plus grandes craintes quant à leur sélection, leur formation et, plus encore, leur recrutement quantitatif, si j'en juge par l'important déficit de candidatures constaté dans la région parisienne.
Dans ces conditions, le budget de la police pour 1999 est un budget en trompe l'oeil : sous une augmentation apparente des crédits, il révèle un appauvrissement sans précédent des services.
Outre l'absence totale de gestion prévisionnelle des effectifs, alors que 28 000 départs en retraite sont attendus d'ici à 2003, et la diminution incompréhensible des crédits de la formation, ce budget accroît dramatiquement les retards en équipements matériels et immobiliers.
Plus grave encore, il consacre l'abandon de certains objectifs fondamentaux de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité. Les conclusions du rapport Danilet relatives à la nécessité de décharger les policiers des trop nombreuses tâches indues qui les accaparent, en particulier des tâches purement administratives ou parajudiciaires, sont jetées aux orties. Alors que la loi de 1995 prévoyait le recrutement de 5 000 personnels administratifs, 918 emplois administratifs ont, en fait, été supprimés au cours de cette période.
Les policiers accomplissent leurs missions avec le sens du devoir et de l'honneur. Je veux ici rendre hommage aux vingt-cinq fonctionnaires tués ou blessés en opérations lors de l'année écoulée et dire à leurs familles, à leurs amis ainsi qu'à tous leurs collègues que le groupe des Républicains et Indépendants tient à leur témoigner toute sa confiance et son soutien alors que des événements récents tendraient à instiller le doute dans leurs rangs et dans l'opinion.
L'immense majorité des policiers fait bien son travail et nous leur en savons gré. Hélas ! ce budget démontre que le Gouvernement ne leur porte pas la considération qu'ils méritent. Monsieur le ministre, hélas ! trois fois hélas ! je considère que ce budget consacre un véritable Munich de la sécurité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité constitue aujourd'hui l'une des préoccupations prioritaires des Français car elle conditionne ce sentiment de liberté que l'on a lorsqu'on pense vivre dans une société où l'on peut aller et venir sans être agressé, où les enfants peuvent se rendre à l'école sans être rackettés, où les automobilistes peuvent garer leur véhicule sans crainte de le retrouver vandalisé, où les chauffeurs d'autobus ne sont plus transformés en cible facile des caïds de banlieue, où les Français n'ont plus la psychose du cambriolage en pensant « à quand mon tour ? ».
Bien sûr, l'insécurité « zéro » ne pourra jamais exister. Mais entre ce que nous connaissons et ce qui pourrait être une réalité meilleure, la marge est grande.
Et pourtant, assurer une meilleure sécurité à nos concitoyens n'est pas une mission impossible. Je prendrai simplement l'exemple des grandes villes américaines, comme New York, où le nombre des délits et des crimes a substantiellement baissé. Mais les responsables se sont donné les moyens de réussir.
En France, que constate-t-on ?
Le budget est notoirement insuffisant et les réformes n'ont pas la faveur des fonctionnaires et des élus. Bien sûr, vous nous redirez sans doute, monsieur le ministre, que les crédits consacrés à la sécurité progressent de 3 % en 1999, hors dépenses électorales, et que la loi de finances rectificative pour 1998 contient l'ouverture de 400 millions de francs supplémentaires qui serviront à financer des dépenses dans le cadre de l'exercice 1999.
Les crédits de la police nationale augmentent de 2,9 %. Toutefois, les dépenses en personnel absorberont les trois quarts des crédits supplémentaires de la police. Elles resteront néanmoins insuffisantes lorsque l'on connaît l'accumulation chronique des heures supplémentaires non payées que les fonctionnaires ne peuvent d'ailleurs pas récupérer.
Le ministère de l'intérieur devra également prendre à sa charge, en 1999, les 20 % de salaire des 7 600 nouveaux adjoints de sécurité, qui, rappelons-le, n'ont ni les mêmes pouvoirs, ni les mêmes compétences, ni les mêmes statuts que les effectifs professionnalisés, ce qui crée un véritable problème en termes d'efficacité sur le terrain.
Il est également surprenant de constater une baisse de 4,7 % des crédits de formation des écoles, alors que la qualité des hommes constitue un facteur déterminant pour une bonne police.
Enfin, la croissance des crédits ne sera pas non plus suffisante pour atteindre les objectifs en matière d'équipements de la loi d'orientation et de programmation de 1995 qui arrive, en 1999, dans sa dernière année d'exécution.
S'agissant du renouvellement du parc automobile, l'enveloppe prévue accroît d'un an le retard déjà pris. Dans le département de la Seine-Saint-Denis dont je suis l'élu, le parc théorique de 3 453 véhicules, tout service confondu, est jugé gravement insuffisant par les fonctionnaires. Leur état se dégrade rapidement. La sous-dotation, qui est déjà alarmante, deviendra vite catastrophique.
Le Gouvernement pensait résoudre une partie du problème des effectifs par le redéploiement des forces de police et de gendarmerie. Il a été obligé de battre en retraite en reportant ses décisions au début de 1999, après la mission confiée au préfet, Guy Fougier.
Je devrais pourtant me réjouir, en tant que parlementaire d'un département difficile, du projet de faire coïncider la carte d'implantation des forces de sécurité avec celle de la délinquance dans les zones urbanisées.
Mais comment peut-on accepter la fermeture de 94 commissariats qui couvrent 193 communes rurales de moins de 20 000 habitants ?
Ce projet ne tient pas compte de la spécificité de chacun de ces deux corps, de leur disponibilité et de la manière dont ils s'acquittent de leurs missions.
Par ailleurs, je tiens à préciser qu'il me paraît périlleux d'enlever trop d'effectifs des secteurs jugés tranquilles. N'est-ce pas justement lorsque la police est très présente qu'elle peut maintenir une délinquance à un bas niveau ?
Je déplore souvent l'insuffisance des effectifs dans les villes de banlieue. En Seine-Saint-Denis, comme dans d'autres départements, malheureusement, les machinistes de la RATP sont régulièrement agressés. J'ai été amené, en tant que maire, à intervenir à deux reprises auprès du préfet pour demander la protection des chauffeurs. Mes démarches sont restées sans réponse alors que le problème est gravissime. Monsieur le ministre, est-il normal qu'un préfet ne réponde pas sur un tel sujet ?
Grâce, fort heureusement, à l'efficacité et à la bonne volonté des commissaires concernés, certains autobus ont pu être escortés par la police nationale. Mais faute d'effectifs suffisants, c'est à présent notre police municipale qui est amenée à exercer une surveillance. Dans ces circonstances, les maires se trouvent démunis. Ils doivent pourtant assumer la sécurité de proximité, alors que la loi ne leur en accorde pas le pouvoir. Trouvez-vous cette substitution normale ? Est-ce le début d'un nouveau transfert de charges et d'attributions ?
Par ailleurs, le taux de criminalité est le plus important du territoire national. Les conditions de travail des fonctionnaires se dégradent alors que la délinquance augmente. Il faut toutefois reconnaître que certaines villes ont obtenu, au cours des dernières années, la construction de commissariats. Mais beaucoup reste encore à faire.
A Saint-Denis, par exemple, les effectifs de police sont débordés. Le commissariat promis aux abords du Stade de France n'est toujours pas construit. Monsieur le ministre, il est urgent de faire accélérer les choses. Il est également regrettable que ce département possède une direction départementale, qui date de 1971, construite en préfabriqué. Je vous invite, d'ailleurs, monsieur le ministre, à vous y rendre. Vous verrez à quel point elle est vraiment infâme. Les policiers l'ont même surnommée « le trou à rats ».
Quant à la délinquance juvénile, elle a effectué un bond impressionnant : elle représente aujourd'hui 27 % des mis en cause contre 19 % en 1995. Face à elle, la police est démunie. Mais elle l'est également et surtout car ces jeunes ont compris toutes les « ficelles » du système répressif français et se savent invulnérables du fait de leur âge.
Tant qu'aucune réponse judiciaire adaptée ne sera trouvée, nous traînerons derrière nous ce lourd fardeau de la délinquance de rue. Faut-il abaisser l'âge de la responsabilité pénale ? Faut-il suspendre les allocations familiales des familles de délinquants ? Faut-il rétablir et multiplier les maisons de redressement ? Faut-il appliquer la règle « à chaque délit, une peine » ? De telles mesures, si elles étaient effectivement appliquées, seraient de nature à remotiver les services de police, à faciliter leur travail et surtout à faire baisser la délinquance.
La discussion en termes de budget de la police prendrait alors une autre tournure. L'objectif serait non plus de faire face à l'urgence, mais de gérer une situation plus saine où le taux de délinquance serait revenu à une moyenne acceptable et où la police serait davantage respectée.
Mais nous n'en sommes pas là et c'est à une autre réalité que nous sommes confrontés. Malheureusement, le budget de l'intérieur ne correspond ni aux nécessités actuelles, ni aux préoccupations des fonctionnaires de police, ni aux attentes des Français. Ceux-ci veulent que l'Etat, en dépit des contraintes budgétaires, donne à la police d'autres moyens que ceux que vous proposez pour sortir de ce cercle infernal de la délinquance galopante que nous connaissons aujourd'hui. Je le dis haut et fort, monsieur le ministre, il y a urgence à agir fermement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'année dernière, tout en votant les crédits relatifs à la sécurité, nous avions considéré le premier budget du gouvernement de gauche comme un budget transitoire, marqué par une réelle volonté de répondre aux préoccupations des citoyens en matière de sécurité publique.
C'était au lendemain du colloque de Villepinte, au cours duquel le concept « citoyenneté, proximité, efficacité » avait été affirmé avec force comme orientation de la politique gouvernementale dans le domaine de la sécurité. Nous nous en étions alors félicités. Où en sommes-nous plusieurs mois après ?
Force est de constater, au-delà des interprétations sur les chiffres donnés par les uns et par les autres, que ni la criminalité, ni la délinquance, ni surtout le sentiment d'insécurité n'ont diminué depuis lors. Faute de temps, je ne ferai pas le lien entre la sécurité et la crise sociale, mais il est clair que c'est là que se situe le noeud du problème.
Nous savons tous ici que les problèmes de sécurité ne sont pas récents. Ce qui augmente particulièrement, c'est le sentiment d'insécurité, dû notamment à la médiatisation de certains événements.
Les citoyens ont l'impression que la police est débordée et la justice éloignée. Il est donc vraiment temps que la politique menée par le ministère de l'intérieur en matière de sécurité publique se concrétise mieux dans les faits et soit plus lisible par nos concitoyens dans leur vie de tous les jours.
Ainsi, je partage pleinement les commentaires de M. Melchior, directeur de l'Institut des hautes études de sécurité intérieure. Il déclarait, dans le Parisien, que le sentiment d'insécurité « est d'abord le reflet d'une situation objective, mais aussi l'image qu'a la population de l'action des forces de l'ordre et de la justice. Si vous avez un problème et l'assurance que l'on sera là vous aider à le traiter tout de suite, ce problème va vous paraître moins lourd et vous aurez moins peur. Il est important que la police et la justice traitent avec dextérité le délit dont le citoyen a été victime, qu'il soit tenu au courant de l'évolution de l'enquête, qu'on lui donne des conseils de prévention. L'expérience montre que tous les pays qui ont misé sur une police de proximité efficace ont fait baisser le sentiment d'insécurité, avant même qu'ils soient parvenus à faire baisser la délinquance. »
La mise en oeuvre d'une sécurité de proximité et le droit à la sécurité pour tous, tels qu'ils ont été affirmés lors du colloque de Villepinte, doivent nous guider et nous devons, pour y parvenir, nous doter des moyens nécessaires. Mais les avez-vous, monsieur le ministre ? Les 8 250 adjoints de sécurité, prévus dans le budget de 1998, auront été recrutés d'ici au 31 décembre, en priorité dans les vingt-six départements dits très sensibles. L'année prochaine, leur nombre sera porté à près de 16 000, pour arriver à 20 000 en l'an 2000.
Nous ne dirons jamais assez que, en ce domaine, il faut être vigilant quant aux modalités de recrutement des adjoints, de leur affectation, de leur formation - qui nous paraît trop brève - ainsi que leur devenir. Il ne faudrait pas, en effet, qu'à terme ces recrutements mettent à mal l'avenir d'un service public de sécurité de qualité. Mais votre orientation, globalement, monsieur le ministre, a notre soutien.
Je poursuis le raisonnement. Si l'on ajoute aux adjoints de sécurité les policiers municipaux et, sur un autre plan, les 6 000 gradés et gardiens qui auront bientôt la qualification d'officier de police judiciaire et dont les tâches vont certainement évoluer, on peut légitimement s'interroger sur l'importance de la présence policière régulière et quotidienne sur le terrain, où un trop grand nombre de policiers titulaires seraient absents. Vos moyens ne risquent-ils pas d'être très en deçà de vos intentions ?
Quant au redéploiement des forces de police et de gendarmerie, nous approuvons le fait que le Gouvernement, face à l'inquiétude générale engendrée par ce plan, ait gelé celui-ci.
Pour autant, nous considérons qu'il est indispensable de mener une nouvelle réflexion sur une question si importante pour la vie de nos concitoyens, en assurant une réelle prise en compte des avis des élus, des syndicats de police et des intérêts de la population.
Nous partageons les inquiétudes qui ont été formulées sur la situation du parc automobile, de l'équipement immobilier, des logements, du régime indemnitaire des personnels, de la formation. Pour pallier toutes ces insuffisances budgétaires, vous avez annoncé, monsieur le ministre, que, dans le projet de loi de finances rectificative sera prévue une rallonge de crédits de 500 millions de francs. Nous ne pouvons, bien sûr, qu'apprécier cette démarche, qui doit en appeler d'autres.
Notre groupe votera, bien entendu, les crédits de votre ministère.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons le budget de la sécurité, plus par résignation que par enthousiasme.
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. Voilà ce que c'est que d'être au Gouvernement ! Ce n'est pas facile !
M. Jean-Claude Peyronnet. En tout cas, pas par discipline ! Nous prenons en considération le fait que le collectif budgétaire, qui est important, permettra d'améliorer de façon significative ce budget et d'en atténuer en partie les insuffisances.
Nous le voterons en considérant qu'il s'agit d'un budget de consolidation, avec une progression améliorée de 2,1 %, contre 1,1 % l'an passé, qui sauvegarde tant bien que mal l'essentiel. Mais nous le voterons sans enthousiasme parce que nous considérons qu'il lui manque le souffle et l'ampleur qu'aurait nécessités le souci annoncé par le Gouvernement lors du colloque de Villepinte, auquel il a été fait allusion à plusieurs reprises, d'assurer la sécurité, comme un droit, à chaque citoyen de la République sur l'ensemble du territoire.
Certes, les effectifs de la police ont augmenté de près de 9 500 personnes en dix ans, tous personnels confondus. C'est loin d'être négligeable et cela explique les pesanteurs de ce budget puisque 83 % des crédits sont consacrés aux charges de personnels.
Il n'en demeure pas moins que tous les syndicats que j'ai rencontrés, toutes tendances confondues, se souviennent de la loi Joxe comme d'une espèce d'âge d'or, voulant signifier par là que le gouvernement de l'époque avait entamé une forte modernisation de la police en y consacrant des moyens financiers très élevés, de l'ordre de 9 milliards de francs.
Ils opposent à la loi Joxe la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité, la LOPS, qui a été votée par le Parlement, dans un quasi-enthousiasme, en 1995 ; mais les inscriptions budgétaires pour la mettre réellement en application n'ont pas suivi, loin s'en faut.
Cette loi fixe, en particulier, des objectifs de réduction des personnels commissaires et officiers, au profit, dans la même masse budgétaire, de la création de postes dans les corps de maîtrise et d'application, ce qui aurait permis d'avoir plus de policiers de terrain. La loi prévoyait aussi la création sur cinq ans de 5 000 emplois administratifs, ce qui aurait permis à un certain nombre de policiers de revenir à des tâches de sécurité. Cela n'a pas été fait ou a été mal fait, puisque seulement un quart de ces postes administratifs ont été créés. Ajouter cela à la baisse du nombre des policiers auxiliaires - il y en avait 8 500, il en reste un peu plus de 4 000 à l'heure actuelle - on comprend que l'on puisse parler d'un véritable déficit en effectifs de la police, que ne viennent compenser que de façon partielle les embauches d'adjoints de sécurité, en raison, notamment, de la nécessité de l'important encadrement dont doivent bénéfier ces jeunes.
L'inquiétude porte enfin et, semble-t-il, légitimement sur les années à venir, s'agissant des personnels, sur la gestion prévisionnelle des effectifs qui ne paraît pas prévue de façon satisfaisante.
Il est impératif, monsieur le ministre, d'élaborer un plan pluriannuel de recrutement pour faire face au très grand nombre de départs en retraite qui interviendront au cours des dix prochaines années.
Même si les avancées du projet de budget pour 1999 dans ce domaine ne sont pas négligeables, un effort particulier doit être consenti en faveur des locaux et des matériels, en particulier les matériels de transport, motos ou voitures, dont le parc est un peu vieillissant. Malgré tout, je me félicite, en particulier, des efforts qui permettront de développer, dans le projet de budget pour 1999, le système de transmission numérique cryptée ACROPOL.
La véritable question soulevée à travers nos débats est la suivante : quelle police pour aujourd'hui et pour demain ? Vaste programme, que je ne prétends pas, vous le comprenez, traiter dans les quelques minutes dont je dispose ! Quelle police ou plutôt quelle sécurité, parce que l'on ne peut passer sous silence le rôle majeur joué par les gendarmes en milieu rural, dans certaines petites villes et à la périphérie de nombreuses agglomérations, et parce que cette sécurité ne peut se réduire à l'action policière.
Le constat est connu, il a été rappelé, mais j'y reviens très brièvement. La réalité est la suivante : malgré une maîtrise assez bonne de la très grande délinquance, on enregistre, hélas ! une augmentation de la petite et moyenne délinquance de proximité, des actes d'incivilité, notamment chez les jeunes, les auteurs de ces faits étant de plus en plus jeunes.
Que tout cela se nourrisse de la crise sociale, c'est une évidence, mais cela ne rend pas la tâche de la police plus facile, bien au contraire. De surcroît, cette tâche est rendue encore plus difficile par l'accroissement du sentiment d'insécurité qui amplifie le phénomène, en partie de façon subjective.
Face à cela, la répression est certes nécessaire, mais elle ne saurait répondre à toutes les situations. Il n'y a, je crois, qu'une vraie solution, malgré la difficulté de la tâche, c'est la prise en compte globale de la sécurité, en prenant en considération globalement la situation des familles, notamment des enfants. C'est un travail difficile et lourd, un travail de Sisyphe. Cela implique et nécessite un rôle de veille, une façon de montrer sa présence et sa force en essayant de ne pas s'en servir ou d'y recourir le plus tard possible. Mais cela nécessite aussi une véritable prise en compte de la situation sociale des quartiers dans leur spécificité et dans leur globalité.
Je me permets de relater une petite expérience qui se déroule dans mon département et qui donne de bons résultats. Une assistante sociale est basée au commissariat central de la ville de Limoges, où elle voit tout ce qui arrive à la main courante. Policiers et travailleurs sociaux n'ont apparemment pas la même culture et pourtant, cela se passe bien. L'objectif est, vous l'avez bien compris, de déceler, à travers de menus larcins ou de divers actes d'incivilité, les problèmes rencontrés par les familles. L'alerte est ensuite donnée aux travailleurs sociaux de secteur, aux enseignants, etc., qui se rapprochent des familles concernées.
Je ne donne pas cet exemple en modèle. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'il soit transposable partout, encore que je sache que le commissaire avec lequel j'avais travaillé à l'époque a été nommé en région parisienne, où il a repris cette expérience. C'est, je crois, par ce type de méthodes et par cette large concertation entre les différents intervenants appartenant à des disciplines très diverses que l'on obtiendra les meilleurs résultats en matière de sécurité.
Certes, il faut revenir à l'îlotage, certes il faut organiser des patrouilles en voiture et si possible à vélo, et même - mais il faut des effectifs - à pied, mais il faut aussi instaurer une véritable collaboration entre les différents acteurs de terrain.
De quel type d'intervenants disposons-nous ? Ils sont tout de même très nombeux.
Il y a, d'abord, la police et la gendarmerie, je reviendrai d'un mot tout à l'heure sur la question du redéploiement.
Il y a, ensuite, les polices municipales ; je ne suis pas très favorable à l'extension des missions de ces dernières, mais j'ai bien compris que M. le ministre de l'intérieur avait sagement décidé qu'il fallait prendre acte de leur existence et, puisqu'elles existent, autant les utiliser dans l'optique d'une juste répartition des tâches entre police nationale et forces municipales, les secondes étant affectées, de façon privilégiée, à l'îlotage, en freinant, autant que possible, leur judiciarisation.
Nous disposons aussi des services des adjoints de sécurité, les ADS. Je suis très favorable au recrutement de ces jeunes mais je m'interroge sur la façon dont ils sont employés. Je suis persuadé qu'il faut leur assurer une formation renforcée, mais, selon moi - je crains que cet avis ne soit pas partagé par tout le monde - il doit s'agir non pas forcément d'une formation au tir au pistolet - en tout cas celle-ci ne doit pas être dispensée à tous - mais plutôt, pour un certain nombre d'entre eux, d'une formation à la sociologie, à la psychologie et à l'art de détecter les troubles du comportement. Ils doivent remplir un rôle de présence et de prévention, en relation avec ceux qui sont au contact des habitants et qui sont, eux aussi, nombreux, qu'il s'agisse des enseignants, qui sont de plus en plus sensibilisés à ces problèmes, notamment aux problèmes de drogue, des animateurs de rue ou des travailleurs sociaux, qu'ils dépendent des départements, des centres communaux d'action sociale ou des associations, et qui travaillent en relation étroite avec les services de la protection judiciaire de la jeunesse.
Les adjoints de sécurité et les travailleurs sociaux doivent assurer l'interface entre familles et administration, la police, dans sa fonction répressive, n'intervenant que le plus tard possible, en cas d'urgence, lorsque tout le reste a échoué.
J'aborderai rapidement, si vous le permettez, monsieur le ministre, deux autres questions.
La première, c'est le redéploiement, qui a été largement évoqué par mes collègues. A cet égard, je serai très bref.
Oui ! cette affaire n'a pas été bien conduite, quelles que soient par ailleurs les justifications de cette opération qui, selon moi, sont pourtant évidentes. Mais on ne peut pas sans réelle préparation annoncer au maire d'une petite ville de 10 000 ou 12 000 habitants que le commissariat de trente-six policiers va être remplacé par une caserne de douze gendarmes, sauf à lui faire tout de suite poser la question : ces gendarmes sont-ils des surhommes ? Ce qui, mais je ne mets pas en doute leurs qualités, n'est évidemment pas tout à fait vrai. Le maire ne peut donc accepter un tel échange qui aurait dû être préparé longuement par l'étude des congés, des permanences, des veilles et des moyens, notamment. Je crains qu'au stade où nous en sommes nous n'échappions pas - je sais bien que ce n'était pas l'objectif et que ce n'est pas souhaitable - à la création d'un certain nombre de postes de fonctionnaires pour faire simplement accepter l'idée d'une redistribution des tâches entre police et gendarmerie.
Ma seconde question, qui est aussi une inquiétude, porte sur le fonctionnement des services départementaux d'incendie et de secours, notamment l'évolution financière des établissements publics créés récemment, qui est préoccupante. Je le dis d'autant plus volontiers que j'étais de ceux qui, sans approuver toutes les modifications de la loi, ne pensaient pas qu'elle générerait des charges supplémentaires. Je me trompais. Force est de constater l'erreur que peut constituer la mise en oeuvre d'une loi sans réelle étude d'impact préalable. Une telle étude aurait sans doute été nécessaire.
Quoi qu'il en soit, les charges nouvelles sont effectivement lourdes pour la plupart des établissements publics, et donc pour les communes. Et même si c'est, pour une part, une anticipation - je suis d'accord avec M. le rapporteur spécial, nous avions cinq ans - la pression est très forte,...
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. Eh oui !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... et les établissements publics ne savent peut-être pas aussi bien résister que les présidents de conseils généraux auparavant.
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. Jean-Claude Peyronnet. Nous constatons donc l'apparition d'un certain nombre de charges : charges de structure sans allégement ni pour les communes ni pour les départements, mise en oeuvre précipitée de mesures certes positives mais financièrement lourdes concernant la carrière des sapeurs-pompiers professionnels, le régime indemnitaire et de travail, la formation et la gestion des sapeurs-pompiers volontaires et, enfin, la réflexion sur l'organisation et l'élaboration des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques, les SDACR, qui contribuent à l'évolution des normes - encore des normes ! Tout cela engendre par conséquent des programmes extrêmement coûteux de mise à niveau.
Il est donc de plus en plus urgent de dégager des moyens supplémentaires. L'Etat doit faire son devoir. Je l'ai dit souvent, cette décentralisation n'est pas réussie parce qu'il n'est pas sain que l'Etat commande alors que les collectivités paient. S'il y a cogestion, il doit y avoir cofinancement,...
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. ... et pas simplement de façon exceptionnelle, que ce soit dans le temps ou dans l'espace. (Très bien ! et applaudissements au banc des commissions.)
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis. On ne peut pas mieux dire !
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nombre d'orateurs l'ont noté après MM. les rapporteurs, la sécurité est certainement une des exigences les plus fortes de nos concitoyens. Elle a d'ailleurs été mise au rang de ses priorités par le Gouvernement, comme l'ont montré le colloque de Villepinte et la création du conseil de sécurité intérieure, toutes choses que nous ne pouvons, bien sûr, qu'approuver.
Cependant, nos collègues l'ont indiqué aussi, la criminalité augmente, et, à cet égard, le tableau brossé par M. Plasait, sénateur de Paris, est effrayant, surtout quand l'on considère qu'il y a, à Paris, un policier pour soixante-quinze habitants. On comprend que nos concitoyens aient un sentiment d'insécurité !
Toutefois, Paris est un cas particulier, et l'on constate dans notre beau pays que le nombre de policiers ou de gendarmes est inversement proportionnel à la délinquance.
Tous les rapports le montrent, le ratio population-policiers va de un à huit selon les agglomérations : il est parfois de un pour cent habitants mais, en grande banlieue, il est de un pour huit cents habitants !
Pourra-t-on indéfiniment repousser la mise en oeuvre de la réorganisation des effectifs de police et de gendarmerie, comme l'a noté M. le rapporteur spécial ?
C'est une tâche difficile et, sans doute, les propositions du conseil de sécurité intérieure n'ont-elles pas fait l'objet d'une concertation assez large, d'une réflexion assez poussée et d'une communication suffisante à destination des élus.
Je ne veux pas rouvrir la guerre entre la gendarmerie et la police - guerre qui, je le dis en passant, n'a pas été engagée par la gendarmerie puisque cette dernière n'a pas le droit de parler ! - mais certains syndicats de police ont eu des propos excessifs. Il est ainsi tout à fait regrettable d'entendre que la police devrait être assurée par des forces civiles et non par des forces militaires : la gendarmerie est aussi républicaine que la police, que je sache !
Mieux vaudrait en tout cas, à mon avis, une meilleure répartition des forces, plutôt que leur superposition, trop fréquente aujourd'hui.
Je constate, à la lecture de la presse - j'ai l'honneur d'y voir mon nom souvent cité, associé à celui de Roland Carraz, ce qui me réjouit particulièrement, mais pas forcément tous les jours - que certains souhaitent à la fois la présence de policiers et de gendarmes. Dans un Etat moderne, il faut, à mon avis, mieux répartir les zones de compétences héritées de l'histoire, et engager une réorganisation.
Mais ce ne sera pas suffisant, monsieur le ministre - vous le savez d'ailleurs bien -, car se pose aussi la question de l'emploi des forces de police.
Est-il bien nécessaire, aujourd'hui, d'avoir des gardes statiques en grand nombre ? Les autres pays européens ne recourent pas à ce système, mais utilisent des moyens modernes, avec des centres de commandement, centres qui existent d'ailleurs également dans notre pays : il suffit, pour s'en convaincre, d'apprécier les équipements extraordinaires dont dispose la préfecture de police pour surveiller tous les ministères et toutes les grandes administrations. Malgré cela, les gardes statiques subsistent. Il serait peut-être préférable d'instituer des unités mobiles.
On pourrait multiplier cette réflexion à l'infini. La meilleure utilisation des personnels me paraît aussi une nécessité. Ainsi, beaucoup d'agents sont encore affectés à des tâches administratives et techniques. Comme l'ont noté MM. les rapporteurs, la LOPS, de ce point de vue, n'a absolument pas été mise en oeuvre sérieusement. Alors que 5 000 emplois administratifs et techniques devaient être créés entre 1995 et 1999, une diminution du nombre des agents administratifs et techniques de la police nationale est constatée et, en conséquence, leurs tâches sont toujours effectuées par des policiers.
Le meilleur exemple en est encore une fois la préfecture de police, et son garage, dans lequel travaillent des policiers alors que, de par son statut, un policier coûte plus cher qu'un technicien ou un mécanicien. Tout cela n'est pas tout à fait normal !
Par ailleurs, une importante modernisation des transmissions est nécessaire pour une plus grande efficacité de la police. Dans certaines grandes villes, telles Paris et Lyon, il a été constaté - vous le savez bien, monsieur le ministre - que les salles de commandement opérationnel modernes renforcent l'efficacité de la police. Toutes les grandes villes de France devraient donc être dotées de ces salles de commandement opérationnel. En effet, on observe, à Lille et dans d'autres grandes agglomérations, que l'absence de coordination des forces de police diminue leur efficacité. Dans certains commissariats, hélas ! quand la patrouille se trouve à plus de trois kilomètres, on ne peut ni lui dire ce qui se passe ni l'envoyer ailleurs ; c'est encore ainsi que les choses se passent dans notre beau pays !
Voilà pourquoi il importe de réaliser dans des délais très courts le programme ACROPOL, pour lequel des crédits supplémentaires ont été dégagés. Prévu à l'origine pour 2003, le terme a été reporté, si bien que les équipements seront obsolètes à l'achèvement du programme !
La police a connu des périodes fastes : il en est ainsi de la période 1985-1989, puisque le programme lancé à l'époque a donné des résultats. Entre 1990 et 1994, on ne s'est plus tellement préoccupé de la situation. Puis, la LOPS est intervenue, mais elle n'a pas été appliquée. Nous sommes donc en retard. Ce retard vaut également pour les équipements : les véhicules sont anciens, ce qui entraîne un affaiblissement de la capacité. Et nous allons nous trouver à peu près dans la situation dans laquelle était Pierre Joxe lorsqu'il a réalisé le plan de modernisation.
Il est donc dommage que des moyens supplémentaires n'aient pas été prévus d'ores et déjà, sans attendre le collectif budgétaire, dans ce projet de budget. En effet, alors que la sécurité et le budget du ministère de l'intérieur, comme celui de la justice, sont des priorités affichées, la progression des moyens correspond uniquement à l'augmentation des salaires et des traitemens mais ne permettra pas de réelle avancée.
Il en va de même de la formation : alors que 25 000 policiers vont partir dans les cinq ans et qu'il faut former les titulaires d'emplois-jeunes, le budget de la formation est en diminution ! Tout cela n'est pas très réaliste, et un tel budget ne permettra donc pas au ministre de l'intérieur, en fin de compte, d'adapter la police aux missions modernes qui sont les siennes.
Monsieur le ministre, je regrette vivement que la priorité affichée ne se traduise pas par une priorité budgétaire.
En conclusion, permettez-moi de faire un rappel historique, s'agissant de la réorganisation des forces de police et de gendarmerie.
M. Raymond Courrière. Il faut y renoncer !
M. Jean-Jacques Hyest. Raymond Poincaré, alors qu'il était président du Conseil, en 1926, a supprimé 103 sous-préfectures ainsi qu'un certain nombre de tribunaux d'instance et de perceptions, pensant qu'il fallait adapter les moyens à l'évolution de notre pays.
M. Raymond Courrière. C'était une erreur !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur pour avis. Ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux !
M. Jean-Jacques Hyest. On peut toujours dire que c'était une erreur ; mais, à mon avis, on ne pourra pas se permettre de laisser indéfiniment en l'état des structures datant de cinquante ans, voire d'un siècle, aboutissant à laisser sans police un certain nombre de nos concitoyens les plus fragiles, vivant dans les zones les plus défavorisées. Ou alors, il faut accepter d'augmenter considérablement les crédits. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. Jean-Claude Peyronnet applaudit également.)
M. Raymond Courrière. C'est cela qu'il faut faire !
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, attaché à la possibilité pour l'Etat d'assumer ses attributs régaliens, singulièrement ceux de sécurité et de justice, réduits, au plan budgétaire, à la portion congrue par rapport à la masse des crédits consacrés à une politique d'assistance généralisée, je me suis toujours fait un devoir, quelle que soit la sensibilité du gouvernement en place, de voter le projet de budget du ministère de l'intérieur.
Par ailleurs - prudence ou vertu ? A vous d'en juger ! - je ne suis jamais intervenu dans la discussion de ce projet de budget.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est vrai !
M. Christian Bonnet. Il est en effet trop facile, lorsqu'on a soi-même vécu la difficulté des débats avec le ministère du budget, de paraître reprocher à ses successeurs de n'avoir pu les maîtriser.
Si je romps aujourd'hui très brièvement avec cette règle de conduite, c'est sur un point particulier, qui concerne un problème qui m'angoisse et de la solution duquel dépend l'avenir de la sécurité en France : celui du recrutement et de la formation du personnel.
A cet égard, je formulerai deux observations seulement.
La première tient à l'inquiétude que je ressens face à la réduction incompréhensible pour moi des crédits consacrés à la formation, au moment même où une nouvelle école de police - celle de Nîmes, si ma mémoire est bonne - va prendre sa vitesse de croisière.
J'éprouve une égale inquiétude devant la contradiction qui existe, d'une part, entre les départs massifs à la retraite de fonctionnaires de police dans les toutes prochaines années et, d'autre part, le fait qu'apparemment, mis à part quatre cents recrutements annoncés, aucune véritable politique n'ait encore été mise en place pour assurer leur remplacement, notamment en qualité.
Si je dis « en qualité », c'est que, très ancien parlementaire, j'ai gardé le souvenir de l'affaiblissement de celle-ci lors des recrutements massifs des années qui ont suivi les événements de mai 1968, et que je ne voudrais pas voir se reproduire un tel phénomène.
Ma seconde observation est dictée par la perplexité dans laquelle me laissent le caractère paradoxal du recrutement trop souvent sujet à caution - ce n'est pas par hasard, j'imagine, que M. Duffour a employé tout à l'heure, à cet égard, le terme « vigilance », et je me garderai d'avoir la cruauté de citer certains cas qui font le bonheur des chansonniers - et la formation quasiment toujours insuffisante des adjoints de sécurité, dont vous avez très bien souligné, monsieur Peyronnet, qu'il n'était peut-être pas nécessaire de leur confier les armes les plus percutantes.
Or, si 20 % de leur rémunération sont assurés par le ministère de l'intérieur, le budget de l'Etat, considéré in globo, en assume 100 %, les 80 % restants figurant au budget du ministère de l'emploi.
N'aurait-il pas été plus raisonnable, plus conforme à l'impératif d'une police de qualité, d'inscrire dès le départ ces 100 % dans le cadre du budget de votre ministère et de recruter à partir de ce crédit global d'authentiques fonctionnaires de police ?
Serait-ce trop vous demander, monsieur le ministre, que de vouloir bien m'expliquer le pourquoi de ce que je tiens pour une fâcheuse anomalie - oh ! le vilain mot dans cet hémicycle ! (Sourires.) Je me refuse à croire qu'elle ait pour origine le souci d'augmenter les crédits affectés au budget de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité en vue d'afficher le succès de la politique dite des « emplois-jeunes ». (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le ministre, vous nous dites agir dans le sens d'une sécurité pour tous. Je vais modestement tenter de vous démontrer le contraire.
Je ne voudrais pas, ce faisant, froisser mes collègues maires de grandes villes en laissant croire que je m'abandonne au « tout rural », mais je suis l'élu d'un département rural, l'Eure-et-Loir, et, en tant que tel, je m'interroge sur le devenir de la sécurité de l'ensemble de nos territoires. Et, quand je dis « l'ensemble de nos territoires », je pense aussi bien aux secteurs qui relèvent de la police que de ceux qui relèvent de la gendarmerie.
La progression de l'insécurité en milieu rural est nette. Ruralité ne rime malheureusement plus forcément avec sécurité ! Une étude réalisée sur le département de l'Ain par un groupe de travail de l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure, l'IHESI, démontre ainsi que la moyenne des crimes et délits commis en zone rurale connaît une progression supérieure à celle qu'enregistre le reste du territoire.
Dans ces conditions, le même groupe de l'IHESI s'inquiète du fait que les zones rurales ne fassent pas l'objet de traitements spécifiques par le Gouvernement. Alors que celui-ci envisage un redéploiement des effectifs de police et de gendarmerie, je crains que cela ne se traduise, en fait, par un abandon pur et simple de votre louable souhait, monsieur le ministre, de sécurité pour tous.
J'ai d'ailleurs quelques raisons d'être inquiet. En effet, sur mon département, pas moins de trois suppressions de brigades de gendarmerie sont envisagées. Même si nous attendons tous le rapport de la mission d'audit de M. Fougier, conseiller d'Etat, sur ce sujet, nous sommes obligés de constater que redéploiement équitable signifie, en fait, pour vous, déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Ce projet de redéploiement concernerait donc 3 000 policiers et 1 200 gendarmes, aboutissant à la fermeture de 94 commissariats qui couvrent 193 communes rurales de moins de 20 000 habitants.
Lors du colloque de Villepinte, le Premier ministre rappelait que « tout citoyen, toute personne vivant sur le territoire de la République a droit à la sécurité ».
Mais c'est un droit à la sécurité à deux vitesses que nous propose le Gouvernement ! Sécurité à deux vitesses, cela signifie contrôle de l'espace à deux vitesses, et donc capacité de réaction à deux vitesses. Cela s'appelle, monsieur le ministre, un « traitement différencié de la sécurité », là où nous aurions, au contraire, besoin de plus de présence.
Les gendarmes et leurs familles sont des maillons essentiels de la vie des collectivités locales. Implantés au milieu de la population, dont ils partagent les préoccupations et les aspirations par leur écoute, grâce au dialogue, par le contact quotidien, ils créent la base du renseignement, la base d'une conduite appropriée et rationalisée de la sécurité.
Alors, si, comme le rappelait le Premier ministre en août dernier, « le service public représente une valeur », il est « au coeur du lien social », force est de constater que les actes ne sont pas en conformité avec le discours.
Les forces de police et de gendarmerie doivent être des réducteurs d'incertitudes, un repère fixe de sécurisation, et nous en avons tous cruellement besoin, à la fois en tant qu'élus et en tant que citoyens. Or c'est le contraire qui nous est proposé.
Vous risquez de provoquer une insécurité plus grande dans certaines parties du territoire, qui sera bientôt relayée par une violence plus extrême dans certaines zones dites de repli. Tout cela ne manquera pas de se reporter dans le vote extrême, que vous nous accusez volontiers de ne pas combattre. Vous dressez ainsi le lit des aspirations sécuritaires de nos concitoyens, lit dans lequel vous les accusez ensuite de vouloir se coucher !
Vouloir une gendarmerie et une police redéployées est, certes, un exercice difficile. L'équilibriste a toujours peur du vide, et vous nous demandez de travailler sans filet ! Quid de la prévention sur le terrain ? Quid du lien social ? Quid du sentiment de vivre en paix ?
On parle volontiers de revitalisation du monde rural, d'aménagement du territoire, mais quel chef d'entreprise viendra s'implanter dans une zone rurale ouverte ? Quelle famille aura envie de s'installer dans un périmètre vidé de services publics, sans bureau de poste, sans commissariat ou sans brigade de gendarmerie ? Et je n'aurai garde d'oublier une population plus vulnérable, comme les personnes âgées, qui demandent également une sécurité accrue.
Quand on assiste quotidiennement au triste spectacle de la dégradation de la sécurité dans les transports en commun, dans les lycées, sur la voie publique, on se demande si tous les Français voient d'un bon oeil votre projet de recrutement d'adjoints de sécurité ou d'agents locaux de médiation. Vous mettez des pansements là où un traitement ferme s'imposerait !
Le redéploiement des forces de police et de gendarmerie me fait penser à un pyromane qui crierait « au feu » ! Nulle trace dans votre budget du traitement de la délinquance des mineurs, qui attaquent les zones de non-droit et y font régner la loi du plus fort. Et les plus forts sont aujourd'hui âgés de quatorze, quinze ou seize ans. Est-ce cela que vous appelez la sécurité pour tous ?
Quels moyens possèdent finalement les forces de l'ordre pour remplir correctement leur mission ? Des adjoints de sécurité sont embauchés à la place de véritables professionnels, ils reçoivent un temps de formation extrêmement court. Quelle force de dissuasion auront-ils en face d'une bande organisée ?
Aucune commune, aujourd'hui, ne peut se prétendre à l'abri de la violence et de la délinquance, aucune région ne peut se sentir épargnée face à ce type d'insécurité incontrôlable.
En conclusion, ce budget ne me semble pas répondre aux exigences que nous sommes en droit d'attendre aujourd'hui pour notre sécurité. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Guy Allouche.)