Séance du 3 décembre 1998
Par amendement n° II-22, M. Ostermann, au nom de la commission des finances, propose de réduire ces crédits de 10 337 763 173 francs.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Cet amendement s'insère également dans la stratégie d'ensemble déjà présentée et sur laquelle je ne reviens pas.
Il s'agit de proposer, outre la réduction forfaitaire des crédits, deux économies ciblées.
La première consiste à supprimer les 3,7 milliards de francs de crédits consacrés au financement des trente-cinq heures. Comme je vous l'ai indiqué, la dotation prévue pour 1998 n'a pas, et de loin, été entièrement consommée. Il existe, en effet, d'importants reports de crédits de 1998 à 1999, que l'on peut chiffrer entre 2 milliards de francs et 2,5 milliards de francs. Ces importants reports de crédits sont dus au succès mitigé rencontré, à ce jour, par la loi sur les trente-cinq heures.
La seconde mesure tend à réaliser une économie de 5,1 milliards de francs sur l'ensemble du titre, afin de gager la progression des crédits consacrés au financement de cent mille nouveaux emplois-jeunes.
Permettez-moi de vous rappeler deux choses : d'une part, la dotation totale du titre IV sur lequel porte notre effort d'économie s'élève à 152 milliards de francs ; d'autre part, le Gouvernement a lui-même réalisé 11 milliards de francs d'économie sur ce ministère, afin de financer ses priorités politiques.
Enfin, je vous indique que l'économie que nous vous proposons ne portera pas sur le stock des emplois-jeunes qui existent déjà. Je le dis de manière solennelle : aucun emploi-jeune existant ne sera supprimé si notre amendement est adopté ; de même, nous ne porterons pas atteinte au niveau du flux d'emplois-jeunes que le Gouvernement entend créer l'année prochaine.
Nous disons simplement au Gouvernement que, s'il souhaite financer les cent mille nouveaux emplois-jeunes prévus pour 1999, il doit le faire en réalisant des économies sur les 152 milliards de francs de crédits inscrits sur ce titre IV.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je serai très brève sur cet amendement, car, en fait, j'ai déjà largement répondu à M. le rapporteur spécial. Le Gouvernement croit beaucoup à la réduction du temps de travail et à la création d'emplois-jeunes pour enrichir la croissance en emplois.
Pour ne prendre que l'exemple du département du Bas-Rhin, qui est très cher au coeur de M. le rapporteur spécial, je vois avec grand plaisir que 1 078 emplois ont été créés et que ce département, qui compte 7 500 chômeurs de moins de vingt-six ans, grâce aux emplois-jeunes, a déjà pu en supprimer un sur sept.
Je me félicite également que le conseil général du Bas-Rhin, dont vous êtes vice-président, monsieur le rapporteur spécial, soutienne le programme en finançant les emplois créés dans les associations et en recrutant un certain nombre directement pour les transports scolaires.
Et je me suis laissé dire qu'en tant que maire vous veniez de décider la création d'un emploi-jeune dans votre commune. Comment pourrais-je accepter de supprimer des crédits destinés à financer cet emploi-jeune ? (Sourires et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cela ne nous empêche pas du tout de le financer !
M. Jean Chérioux. C'est la carotte après le bâton !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cela me paraît absolument impossible, monsieur le rapporteur général ! Aussi, je souhaite vraiment conserver ces crédits.
Par ailleurs, et vous l'avez souligné tout à l'heure, nous avons procédé à des redéploiements importants au sein du projet de budget. Je m'y étais engagée, je l'ai fait !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-22.
M. Roland Huguet. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Huguet.
M. Roland Huguet. Le groupe socialiste votera, bien évidemment, contre cet amendement.
Comme tous les amendements qui sont proposés par le rapporteur spécial de la commission des finances, celui-ci est supposé apporter une contribution à l'effort de maîtrise des dépenses du budget de l'Etat.
C'est une intention toujours louable, mais il convient, surtout en matière sociale, de faire preuve de beaucoup de prudence et de discernement. Le risque est, en effet, de provoquer des difficultés telles qu'il nous faudrait ensuite engager des dépenses beaucoup plus élevées.
L'amendement n° II-22 vise, tout d'abord, à supprimer la totalité des crédits inscrits pour l'application de la loi relative à la réduction du temps de travail.
Je rappellerai simplement que plus de six cent cinquante accords ont déjà été signés au moment où nous parlons et que l'adoption d'un tel amendement aurait pour conséquence d'en empêcher l'application. Je ne suis pas sûr que les chefs d'entreprise et les salariés concernés verraient cela d'un bon oeil !
Je ne suis pas sûr, non plus, qu'il soit très démocratique de tenter d'empêcher ainsi l'application d'une loi votée.
En réalité, cet amendement est purement idéologique et va à l'encontre des intérêts des entreprises et des salariés. En effet, vous oubliez que, sur le terrain, l'ensemble des organisations syndicales s'impliquent dans les négociations.
Les chefs d'entreprise mettent à profit cette opportunité de réflexion en commun et de dialogue avec les salariés pour s'efforcer de négocier des accords « gagnant-gagnant », selon la nouvelle formule consacrée : des accords qui favorisent, d'une part, la réorganisation, l'amélioration de la productivité et la compétitivité des entreprises et, d'autre part, la création ou le maintien d'emplois et l'amélioration des conditions de vie des salariés.
Cet amendement correspond, finalement, à une vision figée de l'entreprise, beaucoup plus idéologique que réelle. Il est le reflet d'une conception dépassée des rapports sociaux.
Mais la commission des finances propose également la suppression de plus de 5 milliards de francs sur les crédits consacrés aux emplois-jeunes, c'est-à-dire que, sur cent mille emplois-jeunes dont nous voulons soutenir la création, elle propose d'en supprimer la moitié !
Je soulignerai simplement deux éléments : d'abord, l'ensemble des régions participent aujourd'hui aux emplois-jeunes et en financent plusieurs milliers ensuite, trente-cinq départements ont signé des contrats d'objectifs. sur les 152 000 conventions signées, plus du tiers sont le fait des collectivités territoriales et des associations. Est-ce à dire que nos collègues de la majorité sénatoriale sont, comme le disait à l'instant Mme la ministre, en citant des chiffres irréfutables, contre les emplois-jeunes à Paris alors qu'il y sont favorables dans leurs collectivités locales, où ils signent des conventions pour créer des emplois ?
M. Philippe Marini, rapporteur spécial. Trop facile !
M. Roland Huguet. D'ailleurs, on ne peut que les en remercier ! Que comptent-ils dire aux collectivités et aux associations qui leur demandent une aide pour ces emplois ?
Je rappellerai aussi que, parmi les jeunes auxquels nous mettons ainsi le pied à l'étrier avec un contrat de travail de cinq ans, 20 % étaient chômeurs de longue durée et 30 % ont un niveau CAP ou inférieur. Ils avaient donc un risque de difficulté durable d'insertion professionnelle.
Nos collègues qui siègent à droite de cet hémicyle s'apprêtent-ils à dire aux jeunes et à leur famille qui attendent avec impatience la deuxième vague d'emplois-jeunes qu'ils ont voté à Paris un amendement pour en limiter le nombre ?
En fait de contribution à l'effort de maîtrise des dépenses du budget de l'Etat, nous craignons que cet amendement ne soit plutôt une contribution au chômage et à l'exclusion.
M. le président. J'ai omis tout à l'heure - et je le prie de m'en excuser - de donner la parole à M. Fischer, qui était inscrit sur les crédits du titre IV. Je la lui donne maintenant... disons pour explication du vote.
M. Guy Fischer. Par cet amendement, la commission des finances nous propose de procéder à des coupes franches dans les crédits du titre IV du budget de l'emploi, titre qui retrace la teneur des interventions publiques pour l'emploi.
Contrairement aux budgets précédents des gouvernements de droite privilégiant les exonérations massives de charges sociales, notamment sur les bas salaires, pour inciter les entreprises à créer de l'emploi en baissant le sacro-saint coût du travail, le Gouvernement a fait le choix d'utiliser d'autres outils plus volontaristes, tels que la réduction du temps de travail et les emplois-jeunes. Le budget de l'emploi de cette année traduit nettement ces orientations nouvelles.
La majorité sénatoriale qui s'est opposée à ces deux textes lors de leur adoption s'apprête à torpiller les crédits destinés à les financer.
Après avoir baissé l'impôt sur la fortune de 4,5 milliards de francs et l'avoir fiscal de 1 milliard de francs, on nous propose d'économiser 26 milliards de francs cette année sur le budget de l'Etat ; la moitié des réductions de crédits sont ciblées sur les budgets emplois et solidarité. Cela, nous ne pouvons l'admettre.
Les choix sont clairs, la démarche est idéologique.
Après, on peut se plaindre de la situation des jeunes dans notre pays !
Vous doutez de l'utilité de cette loi pour dynamiser le marché de l'emploi. Pour ma part, je me félicite que la réduction du temps de travail, revendication sociale majeure, ait été traduite juridiquement.
Certes, des améliorations doivent être apportées. Nous avons formulé un certain nombre de critiques. Nous seront très attentifs à l'élaboration de la deuxième loi et je ne surprendrai personne en souhaitant fortement qu'elle soit plus normative, qu'elle cadre plus fermement le contingent annuel d'heures supplémentaires, qu'elle traite du travail des cadres, que la question du SMIC soit réglée, enfin, qu'elle permette d'articuler temps de travail et formation, ce qui est au coeur de nos interrogations.
Aujourd'hui, à la lumière du débat qui est engagé depuis déjà de très nombreuses heures, nous ne pouvons que formuler notre franche opposition à l'amendement qui nous est proposé.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je ne veux pas allonger un débat qui me semble quelque peu irréel et un peu trop convenu.
Qu'il me soit cependant permis de dire, madame le ministre, que, l'année dernière, nous vous demandions de faire 6 milliards de francs d'économies et que vous en avez réalisé près de 8 milliards de francs. Par conséquent, vous étiez d'accord avec nous ! Vous nous avez donné des explications comptables. En réalité, vous aurez quand même réalisé 7,75 milliards de francs d'économies sur votre budget de 1998 !
Il est un autre sujet qui nous préoccupe beaucoup, à juste titre ; nous l'avons presque tous évoqué : il s'agit de la précarité de certains contrats de travail, du fait que le développement de l'économie et la croissance créent relativement peu d'emplois stables et pérennes et génère surtout du travail temporaire et des situations précaires.
A cela, vous répondez - sans doute approuvez-vous un peu les propos que vient de tenir M. Fischer - qu'il faut plus de contraintes pour les entreprises. Nous, membres de la majorité sénatoriale, répondons qu'il faut moins de charges pour les entreprises, en particulier sur les bas salaires.
A cet égard, et ce sera ma conclusion, le Sénat a voté - vous vous en souvenez sans doute - la proposition de loi Poncelet. Nous avons pu, depuis lors, nous référer à l'excellent rapport de M. Malinvaud. Lorsque ce texte a été examiné en séance publique, si je ne m'abuse, vous l'avez balayé du revers de la main. Or dans le collectif budgétaire, dont nous allons aborder la discussion d'ici peu, figurent 5,3 milliards de francs supplémentaires au titre du rattrapage de l'effort accompli en faveur des bas salaires.
Finalement, madame le ministre, au-delà de ces débats annuels sur le fond, nous partageons peut-être certaines préoccupations. Mais la majorité sénatoriale a sans doute la franchise de dire des choses que vous n'osez pas dire. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Franchement, monsieur Marini, je ne vous comprends pas ! Vous avez fait adopter la loi sur la ristourne dégressive. M. Barrot a sous-estimé les crédits. Pour ma part, j'applique la loi votée par le Parlement !
M. Michel Mercier. Vous n'étiez pas là !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Nous avons prélevé des crédits sur le budget de 1998 afin de rattraper le retard résultant de la sous-évaluation par M. Barrot en 1997. J'avais été amenée à l'indiquer l'année dernière !
Vous prétendez qu'il s'agit d'un débat convenu. Il n'est pas convenu, puisque vous dites des choses qui ne sont pas réelles. Je veux bien que l'on évoque des arguments de fond, mais j'applique les lois ! Je ne suis pas favorable à cette ristourne dégressive. Le Parlement l'a votée, je l'applique !
M. Barrot a fait adopter une loi sans prévoir, je le répète, les crédits nécessaires à son financement. J'ai donc été obligée de la financer sur mon budget de 1998 et d'affecter des crédits supplémentaires pour continuer à l'appliquer tant que nous ne l'aurons pas modifiée.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, un projet de loi sera soumis au Parlement au cours du premier semestre de 1999 ; il tendra à régler ce problème de la ristourne dégressive. Ce dispositif sera, me semble-t-il, plus favorable à l'emploi, avec des contreparties « emploi » moins coûteuses, sans incidence sur les crédits publics. J'espère qu'un consensus se dégagera sur ce texte.
Telle est la réalité de ces 5 milliards de francs ! Je suis prête à vous en donner le détail si vous le souhaitez. Mais M. Barrot l'ayant lui-même reconnu à l'Assemblée nationale, il suffit que vous vous référiez à ses propos.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Madame la ministre, il est un domaine dans lequel le débat est inévitablement convenu. Nous ne parlons que des mesures nouvelles et vous n'y pouvez rien puisque c'est l'ordonnance relative aux lois de finances qui nous y condamne tous.
Mes chers collègues, ce qui m'étonne, depuis le début de la discussion des articles de la deuxième partie du projet de loi de finances, c'est que nous nous disputons sur une part infime des crédits utilisés par les différents ministères.
Je note en effet que 93 % des budgets qui nous sont proposés sont inscrits au titre des services votés.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est à l'article 44, que nous examinerons la semaine prochaine, que le Sénat se prononcera, par un seul vote, sur les services votés. Ainsi, 1 800 milliards de francs, mes chers collègues, seront mis aux voix sans débat !
L'objet de nos discussions avec les ministres concerne les mesures nouvelles et les moindres augmentations que nous proposons sont calculées sur ces dernières et non sur l'ensemble des crédits des ministères.
Madame la ministre, prenons l'exemple du volet « emploi » de votre ministère. Si je ne me trompe pas, ce sont, en fait, 161,8 milliards de francs qui sont inscrits pour vous permettre de mener votre politique. C'est donc de ces 161,8 milliards de francs que nous devons débattre. Nous souhaitons que vous puissiez optimiser ces crédits pour mener la politique que vous avez choisie. C'est l'honneur de la démocratie qu'il en soit ainsi.
Lorsque nous vous proposons des réductions de crédits, nous souhaitons non pas ouvrir une veule querelle avec vous, mais simplement traduire, avec les seuls moyens mis à notre disposition, c'est-à-dire la fameuse ordonnance relative aux lois de finances, la politique que le Sénat estime sage et qui consiste à cesser de tirer des chèques sur le compte de nos enfants !
Nous avons la possibilité, cette année, en suivant la proposition de M. le rapporteur général, de limiter un petit peu l'augmentation des dépenses proposée par le Gouvernement, afin de stabiliser, enfin, la dette que nos enfants auront à rembourser. Il s'agit bien de cela, monsieur le rapporteur général ?... (M. le rapporteur général opine.)
Nous ne vous faisons pas une mauvaise manière, madame la ministre : nous appliquons à votre ministère la réduction proportionnelle qui nous semble nécessaire, sauf que nous l'appliquons à une politique que nous n'apprécions pas.
Je souhaite vous voir prendre en considération le soin que nous avons néanmoins apporté à examiner la politique que vous comptez mener avec ces crédits qui s'élèvent, je le rappelle, mes chers collègues, à plus de 161 milliards de francs alors que la réduction qui est proposée par l'amendent n° II-22 n'est que de 10 milliards de francs ! En conséquence, mes chers collègues (M. le président se tourne vers la gauche de l'hémicycle) les exemples que vous avez cités ne sont pas rigoureux. Vous feignez d'ignorer que notre débat est centré exclusivement sur des mesures nouvelles.
M. Guy Fischer. Mais non !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Si vous vous étiez donné la peine de prendre en considération la totalité des crédits mis à la disposition de Mme la ministre pour mener la politique du Gouvernement, vous vous apercevriez que la proposition qui vous est faite par M. le rapporteur spécial est très modérée. Elle vise à ce que notre génération ait enfin la fierté de ne pas continuer à tirer des chèques sur le compte de nos enfants. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-22, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifiés, les crédits figurant au titre IV.
(Ces crédits sont adoptés.)
ÉTAT C
M. le président. « Titre V. - Autorisations de programme : 75 000 000 francs ;