Séance du 8 décembre 1998







M. le président. Par amendement n° II-131, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, avant l'article 71, un article additionnel ainsi rédigé :
« A. - L'article 1727 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« A compter du 1er janvier 2000, le taux de l'intérêt de retard est égal au taux de l'intérêt légal majoré de 50 %. Il s'applique sur le montant des sommes mises à la charge du contribuable ou dont le versement a été différé.
« B. - Pour compenser la perte de recettes résultant des dispositions du A ci-dessus, les droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts sont relevés à due concurrence. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Cet amendement vise à indexer le taux de l'intérêt de retard sur le taux de l'intérêt légal.
Actuellement, le taux de l'intérêt de retard est régi par l'article 1727 du code général des impôts et fixé à 0,75 % par mois. Il s'applique, je le rappelle, sur le montant des sommes mises à la charge du contribuable ou dont le versement a été différé. De plus, il n'est pas assimilable à une pénalité, ce n'est pas une sanction fiscale.
Aujourd'hui, cet intérêt de 0,75 % par mois ne correspond plus à l'objectif recherché initialement par le législateur, à savoir la compensation du préjudice financier subi par le Trésor. Avec un taux d'inflation de 1,2 % pour 1998 et un taux légal de 3,85 %, ce taux s'est éloigné de l'évolution du loyer de l'argent et apparaît disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi. Il est même supérieur à certains taux considérés comme usuraires par le code de la consommation : 8,67 % pour les prêts immobiliers à taux fixe, 8,19 % pour les prêts immobiliers à taux variable, puisque 0,75 % par mois équivaut à 9 % par an.
Le dispositif que nous proposons vise à modifier la règle de calcul du taux de l'intérêt de retard en l'indexant sur le taux du marché, afin d'éviter que ce taux de l'intérêt de retard ne puisse apparaître comme une sanction, ce qu'il n'est pas et ne doit pas être, je le rappelle.
Le taux de l'intérêt légal est, quant à lui, défini par l'article 1er de la loi du 11 juillet 1975. Il est fixé par décret pour toute la durée de l'année civile. Il est égal, pour l'année considérée, à la moyenne arithmétique des douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement actuariel des adjudications des bons du Trésor à taux fixe à treize semaines. C'est donc une définition très précise.
Toutefois, nous n'avons pas souhaité établir une symétrie parfaite entre le taux des intérêts moratoires et le taux de l'intérêt légal. En effet, la commission estime qu'il faut choisir un taux suffisamment élevé pour éviter que la recherche de l'optimisation fiscale n'incite les contribuables et les entreprises à ne pas payer leurs impôts en temps et en heure.
J'espère, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous apprécierez ce souci de la commission.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je l'apprécie pleinement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est pourquoi nous avons choisi de fixer le taux de l'intérêt de retard à un taux égal à celui de l'intérêt légal majoré de 50 %.
On obtient ainsi 5,78 %, ce qui reste, vous en conviendrez, très supérieur au taux de l'inflation et au taux de l'argent à court terme.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement émet un avis défavorable, bien que l'intention de la commission et la sienne soient identiques.
L'intention est clairement de faire en sorte, comme l'a dit avec son vocabulaire extrêmement précis M. le rapporteur général, que les contribuables ne puissent faire de l'optimisation fiscale. Cela signifie, en clair, que les contribuables doivent être incités à payer leurs impôts à l'heure dite plutôt qu'à profiter d'un délai pour se livrer à des opérations financières.
Voilà pourquoi le taux d'intérêt de retard doit être sensiblement supérieur au taux du marché.
Et c'est là qu'il y a une petite divergence entre nous. Le taux actuel est effectivement de 9 % par an. La commission propose le taux de l'intérêt légal majoré de 50 %, ce qui ferait un taux de 5 % en 1998.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Non, 5,78 % !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. En effet, c'est un peu plus de 5 %. Ce taux est de toute façon inférieur à celui d'un certain nombre de crédits à la consommation ou de crédits ouverts aux PME-PMI, ce qui, je le crains, pourrait inciter des contribuables à différer leur paiement.
J'ajoute que l'amendement a un coût estimé à 3 milliards de francs, ce qui n'est pas rien.
Le taux de l'intérêt de retard, qui, par définition, doit être payé le moins possible par les contribuables, doit assurer un niveau dissuasif, être simple et ne pas changer chaque année. De ce point de vue, le taux de 9 % actuel me paraît tout à fait convenable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-131.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous avons eu, ce matin, un débat particulièrement intéressant sur la lutte contre la fraude fiscale, dont nous pourrions dire, en dernière instance, qu'elle est l'un des obstacles à la mise en oeuvre d'une réforme plus complète de notre système de prélèvements.
Et voilà que, par la voix de son rapporteur général, la commission des finances nous invite à oublier nos bonnes intentions, notre détermination, et à baisser la garde !
En effet, cet amendement vise ni plus ni moins à réduire une partie de la facture infligée aux contribuables qui se voient notifier un redressement pour défaut de déclaration ou dissimulation d'éléments imposables.
L'article 1727 du code général des impôts fait, en effet, expressément référence aux infractions commises en matière de taxes, droits et impôts, infractions commises de plein gré, si je peux dire.
Cet intérêt de retard est aujourd'hui de 9 % par an.
Il importe d'ailleurs de souligner qu'il trouve, de façon générale, à s'appliquer à l'impôt sur le revenu des personnes non salariées et aux impositions recouvrées auprès des entreprises, en matière de TVA notamment.
Le réduire à 5,78 %, comme le propose M. le rapporteur général, nous semble donc pour le moins contradictoire avec toute conception responsable et citoyenne de l'impôt.
Nous ne pouvons, dans les faits, admettre que, d'une certaine façon, les fraudeurs se trouvent exemptés de quelques-unes de leurs obligations vis-à-vis de la collectivité.
Telle est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cet amendement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je tiens à préciser deux choses.
D'abord, madame Beaudeau, les intérêts de retard dont il s'agit ne sont pas des sanctions. Il ne faut pas confondre intérêts de retard et pénalités ; ce sont deux choses différentes, bien clairement distinguées, chacun le sait, par le code général des impôts.
De plus, le taux des intérêts de retard ne s'applique pas seulement dans le cas de redressement. Il peut s'appliquer à toute somme due par un contribuable ou par un débiteur de l'Etat, quelle que soit la cause de cette dette.
Ensuite, monsieur le secrétaire d'Etat, la comparaison que vous faites avec les taux du crédit à la consommation m'apparaît totalement inadéquate. En effet, les taux du crédit à la consommation, vous le savez, peuvent atteindre des niveaux beaucoup plus élevés que ceux dont nous parlons, en fonction des systèmes financiers et des systèmes de crédit dont il s'agit.
La comparaison pertinente et équitable me semble devoir être faite avec les situations respectives de l'Etat débiteur et du particulier débiteur : lorsque le particulier est débiteur vis-à-vis de l'Etat, on lui demande 9 % ; lorsque l'Etat est débiteur, pour quelle que cause que ce soit, vis-à-vis d'une particulier, il paye l'intérêt légal, c'est-à-dire 3,5 %.
Mes chers collègues, je voudrais que l'on réfléchisse à cette iniquité. Dans un Etat de droit, il doit y avoir un rapport compréhensible, équitable, entre les intérêts appliqués dans un sens et dans l'autre.
Vous l'avez bien vu, monsieur le secrétaire d'Etat, la commission majore l'intérêt légal de 50 %. Elle marque donc bien une différence, mais une différence dont l'ordre de grandeur est défendable, est compatible, je le répète, avec la notion d'Etat de droit.
La question avait déjà été soulevée lors de l'examen du texte portant diverses dispositions d'ordre économique et financier de 1998. Vous aviez alors répondu, monsieur le secrétaire d'Etat - cela figure au Journal officiel - que vous n'étiez pas hostile à une réflexion sur le sujet.
Or, vous venez de nous faire une réponse beaucoup plus fermée qu'il y a quelques mois, je dirai même totalement fermée. Je ne me l'explique pas ! Je ne m'explique pas ce retour en arrière dans votre analyse de la question.
Si vous nous aviez dit que vous étiez prêt à rouvrir le dossier et à entamer une discussion responsable sur le sujet, la commission aurait pu envisager le retrait de l'amendement.
En l'instant, j'aimerais que vous nous précisiez votre position exacte et la raison pour laquelle vous êtes revenu sur les intentions que vous aviez exprimées il y a seulement quelques mois.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, vous avez fait un faux jardin à la française, en mettant en symétrie les intérêts de retard dus par les contribuables qui ne paient pas leurs impôts à l'heure - payer ses impôts est de même une des obligations les plus importantes de la citoyenneté ! - et les intérêts que l'Etat paie lorsqu'il ne respecte pas ses délais de paiement.
Les deux phénomènes ne sont absolument pas comparables. Les intérêts de retard, s'ils n'ont pas le caractère d'une sanction - vous l'avez dit à juste titre - doivent toutefois avoir un caractère dissuasif pour empêcher - vous l'avez dit aussi - la pratique de l'optimisation fiscale.
Si je m'en tiens aux chiffres - je laisse de côté les principes - un taux inférieur à 6 % n'est pas suffisant au regard du caractère dissuasif que, me semble-t-il, nous souhaitons l'un et l'autre voir attribué aux intérêts de retard.
Ce n'est pas une question d'attitude ouverte ou fermée. En passant de 9 % à 6 %, vous affaiblissez considérablement, trop, de mon point de vue - mais vous pouvez penser l'inverse, c'est votre droit ! - l'incitation faite aux contribuables de payer leurs impôts à l'heure.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'Etat, pourriez-vous nous donner un éclairage de nature à permettre au Sénat de se déterminer ?
M. le rapporteur général vient, à juste titre, d'expliquer qu'il ne s'agissait en aucune façon de permettre à des contribuables de faire de l'optimisation fiscale. Il se préoccupe, en fait, des redevables d'un impôt qui n'ont pas la liquidité immédiate pour l'acquitter.
Le troisième alinéa de l'article 1727 du code général des impôts est ainsi rédigé : « Le taux de l'intérêt de retard est fixé à 0,75 % par mois. Il s'applique sur le montant des sommes mises à la charge du contribuable ou dont le versement a été différé. »
Pourriez-vous nous indiquer, dans les versements différés, ce qui est coupable et ce qui est sanctionnable, en effet, d'un taux d'intérêt aussi élevé que celui du taux d'intérêt légal ? Cela éclairerait le Sénat sur la nature des contributions pour lesquelles un paiement différé a pu être obtenu.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-131, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, avant l'article 71.
Mes chers collègues, la conférence des présidents, ce midi, a prévu que, dans toute la mesure du possible, nous en terminerions avec l'examen des amendements et la seconde délibération avant dix-huit heures trente, heure à laquelle M. le secrétaire d'Etat sera contraint de partir, et que les explications de vote interviendraient après le dîner, à vingt et une heures.
J'appelle donc chacun de vous à la raison pour que nous puissions respecter les délais qui ont ainsi été fixés.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Monsieur le président, nous sommes tous sensibles à votre appel.
Je tiens toutefois à rappeler au Sénat que, hier soir, nous étions réputés avoir de l'avance et que, pour ce motif, nous avons suspendu nos travaux assez tôt dans la soirée.
Nous ne connaissions pas, il est vrai, les obligations de M. le secrétaire d'Etat, mais il ne faudrait tout de même pas que, maintenant, on nous demande d'aller à marche forcée, et je le dis d'autant plus volontiers que j'ai toujours été, je crois, de ceux qui n'ont pas abusé de la parole et qui ont souhaité que nos travaux se déroulent à un certain rythme.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !

Articles 71 et 72