Séance du 16 décembre 1998
M. le président. Nous en revenons à l'article 2, qui avait été précédemment réservé.
J'en donne lecture :
« Art. 2. - L'article L. 337 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 337 . - L'effectif de chaque conseil régional est fixé conformément au tableau n° 7 annexé au présent code. »
Par amendement n° 5, M. Paul Girod, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit cet article :
« L'article L. 337 du code électoral est ainsi rédigé :
« Art. L. 337. - L'effectif des conseils régionaux et la répartition des sièges à pourvoir entre les sections départementales sont fixés conformément au tableau n° 7 annexé au présent code.
« La révision du nombre des conseillers régionaux a lieu au cours de la session ordinaire du Parlement qui suit la publication des résultats du recensement général de la population. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. L'article 2 traitait de l'effectif des conseils régionaux. Il était, selon le projet de loi, cohérent avec le système du scrutin dans la circonscription régionale.
A partir du moment où le Sénat s'orientait vers la création de sections départementales, il était logique que cet article fût harmonisé avec l'article 3. Voilà pourquoi la commission vous propose cet amendement n° 5, qui introduit, dès l'article 2, la notion de section départementale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement. En effet, d'après la présentation qui en a été faite par M. le rapporteur, par M. Raffarin et par M. Mercier, cet amendement vise à introduire des listes de sections départementales.
D'abord, on risque de neutraliser le principe de la prime majoritaire. En effet, les départements qui, de par leurs tendances politiques, s'opposeront, annuleront les effets destinés à donner une stabilité de gestion à la région.
Ensuite, et ce point me paraît important à ce niveau du débat, en passant à la circonscription régionale, nous allons donner à la région une dimension plus perceptible pour les électeurs.
L'élection a lieu au mode de scrutin départemental mais, nous l'avons vu lors des dernières élections, on s'intéresse de plus en plus à la dimension régionale, et la liaison entre le scrutin départemental et la dimension régionale n'est pas évidente pour les électeurs.
Aujourd'hui, si l'on veut que les régions s'affirment, il faut que la taille du scrutin de mode régional donne une véritable légitimité au suffrage universel exprimé dans ce cas.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 5.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je veux soutenir l'amendement de M. le rapporteur et dire à M. le ministre que j'ai un désaccord de fond avec lui sur ce sujet.
Si vous voulez affirmer le fait régional contre le département, dites-le tout de suite ! Vous croyez vraiment que notre démocratie sera viable avec des échelons qui se combattent et qui sont incapables d'avoir des politiques contractuelles ?
Si je comprends bien, le Gouvernement choisira les territoires avec qui il passera des contrats et la région choisira les départements avec qui elle passera des contrats ? Tout cela sera une chicaya généralisée ! Où allons-nous alors que, nous le savons très bien, l'avenir est au partenariat et donc au travail en commun ?
Dans la démarche proposée par M. le rapporteur, je trouve intelligent le fait que l'on affirme la région pour elle et pour ses projets, et non contre le département, et que l'on rapproche l'élu régional de son territoire. Voilà pourquoi je soutiens l'amendement n° 5 de la commission.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je voudrais également exprimer mon désaccord avec le point de vue de M. le ministre.
Le scrutin régional tel qu'on nous le présente actuellement est un mauvais scrutin. L'électeur ne s'y retrouve pas, car il ne connaît pas les candidats qui sont sur la liste, contrairement à ce qui se passe dans le cadre départemental. On l'a bien vu pour des scrutins proportionnels de plus en plus étendus ; je pense, par exemple, au scrutin européen. L'électeur ne s'y retrouve pas et, en fin de compte, tout lien direct est coupé entre l'électeur et l'élu.
Par conséquent, le cadre départemental doit subsister, ou alors, comme le disait M. Raffarin, qu'on affiche la couleur et qu'on dise clairement que l'on ne veut plus du département, et que l'on veut seulement de la région ! C'est une façon de faire !
Mais il en est une autre, monsieur le ministre, qu'on aurait pu utiliser, comme je l'ai déjà dit. On aurait pu prévoir un scrutin mixte au niveau régional, garder les circonscriptions uninominales, où chacun connaît son candidat, et répartir d'autres sièges à la proportionnelle. C'est ce qui se fait dans les Lander allemands et cela marche très bien ! On se reconnaît dans l'élu, parce qu'on le connaît et qu'on l'a choisi.
Mais, entre nous soit dit, vais-je vraiment connaître le dix-septième candidat de la liste issu d'un département distant de deux cents kilomètres de l'endroit où je suis ? Non !
En réalité, on va couper l'élu de l'électeur et, une fois de plus, c'est la porte ouverte à n'importe quelle manipulation en coulisse ! On connaît déjà tous les méfaits du scrutin proportionnel. Alors que l'on ne nous en chante pas ici les louanges ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. de Rohan. Je voudrais à mon tour soutenir l'amendement de la commission pour une raison qui n'a pas été développée par les orateurs qui m'ont précédé, bien qu'ils aient avancé des arguments tout à fait excellents en faveur du département : à mon sens, il ne faut pas couper les élus des territoires, et il faut assurer une représentation égale des territoires dans la région.
Je préside une région dont la superficie est étendue puisque la distance qui sépare Brest de Rennes est la même que celle qui sépare Rennes de Paris ! Il est extrêmement important que tous les territoires aient des défenseurs, des représentants, au sein du conseil régional. Or, dans votre système, monsieur le ministre, les partis chercheront naturellement à désigner des élus potentiels là où les électeurs sont les plus nombreux. On privilégiera ainsi les zones les plus peuplées au détriment de celles qui le sont moins.
On pourrait parfaitement aboutir à une situation, s'il y a une circonscription unique, - puisque vous avez inventé, monsieur le ministre, une loi électorale qui crée l'extrême diversité, l'extrême pluralité - dans laquelle les têtes de listes risquent d'être à peu près toutes élues dans les zones les plus peuplées. Ainsi, des territoires entiers ne seront pas représentés, parce que l'on n'aura pas jugé utile d'y désigner des élus potentiels, du fait qu'ils ne comptaient pas suffisamment d'électeurs.
Le second vice de votre système est inhérent à vos propres conceptions. Ce qui sous-tend votre loi, c'est la partitocratie : c'est l'idée, en définitive, qu'il faut détacher autant que faire se peut l'électeur de l'élu et rattacher l'élu au parti, lequel distribuera les investitures et dépendra de vous !
C'est d'ailleurs pourquoi on fait en sorte, sur de telles listes, de désigner très souvent des hommes d'appareil, des hommes de fonction, dont on sait très bien que, s'ils affrontaient directement l'électeur à l'occasion d'un scrutin cantonal, ils seraient battus !
Avec ce système, vous casez très souvent la plupart de vos idéologues, que nous avons le plaisir de retrouver dans nos assemblées régionales, où ils discutent et théorisent sur des faits qu'ils connaissent fort mal.
Ces deux points étant l'illustration de votre système, vous souffrirez que nous préférions le système de M. le rapporteur au vôtre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Claude Estier. Et pourquoi avez-vous refusé la réforme du scrutin proportionnel ?
M. Paul Girod, rapporteur. Vous aussi !
M. Michel Mercier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mercier.
M. Michel Mercier. M. le ministre vient de nous dire que cette loi électorale avait pour objet d'assurer l'émergence de la région au sein des collectivités territoriales. Je pense, personnellement, que la proposition qui nous est faite aujourd'hui est le fruit des non-choix du Gouvernement illustrés par les deux prochains textes dont nous allons avoir à discuter - celui qui sera soutenu par Mme la ministre de l'aménagement du territoire et celui qui le sera par M. le ministre de l'intérieur - textes qui me semblent procéder de philosophies différentes quant à l'organisation territoriale de notre pays.
Le fait que l'on ne fasse pas de choix clairs conduit à des résultats comme celui que nous observons dans la région Rhône-Alpes : honnêtement, dans une telle région, se trouver avec une liste de plus de 157 noms sera-t-il de nature à rapprocher véritablement l'électeur du conseiller régional ?
On voit bien que tout cela va complètement déconnecter les conseillers régionaux des électeurs, qui vont avoir un bulletin de vote grand comme un journal !
M. le président. 209 noms, en Ile-de-France.
M. Michel Mercier. Ils s'arrêteront de le lire au troisième ou au quatrième nom. En fait, ils ne regarderont que le titre.
On ne cherche pas véritablement à faire vivre la collectivité territoriale région. Si cela avait été le cas, vous auriez pu imaginer un scrutin prévoyant l'élection des conseillers régionaux dans le cadre des agglomérations, dont vous nous parlez régulièrement, ou dans celui des pays, dont vous nous parlez aussi régulièrement. On aurait pu ne pas être d'accord, mais au moins il y aurait eu un vrai choix sur l'organisation territoriale de notre pays.
Je crois que ce non-choix, solution qui nous est proposée pour rechercher une majorité, est tout à fait mauvais et que la proposition du rapporteur va permettre de donner une consistance concrète au bulletin de vote. C'est aussi ce que recherchent les électeurs s'ils veulent construire une vraie majorité.
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Vous pouvez contester le principe de la liste régionale mais, à partir du moment où vous voulez défendre les sections départementales. De grâce, trouvez d'autres arguments !
Quand j'entends M. de Rohan, je crois rêver ! Il appartient à une formation politique qui vient de découvrir les bienfaits du suffrage universel direct des militants après quarante années de centralisme démocratique, et il parle du rôle des partis !
M. Josselin de Rohan. Cela vole bas !
M. Guy Allouche. On découvre d'un coup les joies du suffrage des militants et dans le même temps on critique les partis politiques !
Je ne critique pas les partis politiques parce que nous en avons besoin !
M. Josselin de Rohan. Vous savez très bien ce que je veux dire !
M. Guy Allouche. D'ailleurs, ils font partie de notre droit fondamental !
Quant à M. Gélard,...
M. Patrice Gélard. Oui !
M. Guy Allouche. ... qui évoque la distance qui rapproche l'élu du citoyen, de l'électeur, qu'il me permette de dire que parfois les électeurs d'une même ville ne connaissent pas tous les candidats d'une liste municipale, les quartiers étant tellement dispersés.
Je serais étonné qu'à Rouen ou au Havre tous les électeurs des différents quartiers connaissent les différents candidats ! Si c'est possible, tant mieux pour eux !
M. Patrice Gélard. Mais ils font campagne !
M. Guy Allouche. Très bien !
J'invite M. Gélard à se rendre dans le département de mon ami Bel, l'Ariège ; il constatera que la distance est telle qu'on peut ne pas connaître tout le monde. Mais si l'exemple de l'Ariège ne le convainc pas, je l'invite chez moi, dans le Nord, un département qui s'étale sur 271 kilomètres et où l'on compte 2,6 millions d'habitants ! Votre argumentation tombe, monsieur Gélard !
M. Charles Descours. Avec votre système, c'est pis !
M. Guy Allouche. Même vos sections départementales ne rapprocheront pas davantage le candidat de l'électeur. Je crois qu'il faut trouver d'autres arguments.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 5, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 2 est ainsi rédigé.
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