Séance du 16 décembre 1998
MODIFICATION DES ARTICLES 88-2 ET 88-4
DE LA CONSTITUTION
Suite de la discussion
d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 92,
1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale, modifiant les articles 88-2 et
88-4 de la Constitution.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe,
7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes
chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le projet de
révision constitutionnelle rendu nécessaire par la décision du Conseil
constitutionnel, qui a estimé que le traité d'Amsterdam contenait des
dispositions exigeant une révision de la Constitution.
Ce n'est ni en spécialiste du droit communautaire ni en exégète du traité
d'Amsterdam que j'entends, au nom du groupe du RPR, m'exprimer maintenant. Ce
n'est pas non plus en tant que porte-parole d'un programme ou en fonction
d'échéances électorales que je m'exprimerai. Je tiens seulement à attirer votre
attention sur le fait que nous discutons d'une révision constitutionnelle ;
c'est donc sur le plan constitutionnel que je vais me situer.
Par deux fois déjà, nous avons été tenus de réviser notre loi fondamentale, en
1992, pour permettre la ratification du traité de Maastricht et, en 1993, de
Schengen. Nous n'avons pas fait, alors, ce qu'il aurait fallu faire : nous
avons continué de bâtir la construction européenne en utilisant les règles de
ratification des traités vieilles de près de deux siècles. En d'autres termes,
nous continuons d'utiliser les outils du maréchal-ferrant pour réparer une
formule 1.
Les traités qui ont édifié, les uns après les autres, l'Union européenne,
depuis le traité de Rome de 1957, ont été ratifiés selon les règles de
ratification des traités classiques. Or, les traités classiques, même ceux qui
mettaient en place des organisations internationales, comme l'ONU, l'OTAN, le
Conseil de l'Europe ou l'Union de l'Europe occidentale, se différencient
fondamentalement de ceux qui instituent l'Union européenne : ils ne soulèvent
pas de problème de souveraineté et n'impliquent pas de délégation de
souveraineté.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Et voilà !
M. Patrice Gélard.
Nous sommes toujours, en matière de traité, des monistes. Cela signifie que
les traités régulièrement ratifiés ont, en vertu de l'article 55 de la
Constitution, une autorité supérieure aux lois sous réserve de réciprocité.
Certes, nous avons, dans le passé, atténué ce principe moniste en soumettant la
ratification à l'autorisation du Parlement depuis la IIIe République, pour les
matières jugées les plus importantes et, depuis la Constitution de 1958, pour
celles qui relèvent maintenant du domaine de la loi.
Tout cela est parfaitement défendable dans un cadre classique mais devient
inopérant, inefficace, critiquable voire attentatoire aux attributions et aux
droits du Parlement lorsqu'on est appelé à effectuer une construction nouvelle
encore inclassable, atypique comme la construction européenne. L'Union
européenne n'est ni une confédération ni une organisation régionale, générale
ou spécialisée. Elle n'est pas non plus une forme encore à déterminer de
fédéralisme.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Cela viendra.
M. Patrice Gélard.
Elle est une union d'Etats
sui generis
qui emprunte aux règles de
fonctionnement d'une organisation régionale et d'une confédération ainsi qu'à
certains éléments du fédéralisme. Mais, en même temps, elle souffre d'une
extraordinaire carence de démocratie et d'une montée en puissance d'une
technostructure naturellement européenne parce que actuellement
irresponsable.
M. Jacques Legendre.
Très juste !
M. Patrice Gélard.
Bien sûr, il y a un Parlement européen que le traité d'Amsterdam va renforcer,
mais il demeure profondément éloigné des électeurs compte tenu d'un mode de
scrutin totalement inadapté. Je regrette, comme l'a fait tout à l'heure M.
Barnier, que nous n'ayons pas soumis à l'approbation du Parlement la
proposition de loi qu'avec d'autres il avait déposée.
Bien sûr, il y a le Conseil des ministres et le Conseil des chefs d'Etat et de
gouvernement, mais ils ont trop souvent tendance, à l'issue de négociations
marathon, à suivre
in fine
les recommandations des fonctionnaires de
Bruxelles, qui eux, au moins, bénéficient de la permanence et de la
technostructure.
Il faut donc inventer des règles nouvelles pour assurer la construction
européenne dans le respect de nos règles juridiques qui découlent de notre
Constitution et en même temps combler un déficit démocratique qui risque
d'accentuer le hiatus entre l'idéal européen que nous partageons tous et la
réalité sur le terrain, où l'on ne peut que constater qu'une part croissante de
notre droit est dorénavant d'origine communautaire.
Nos partenaires européens ne sont pas aussi démunis que nous. Soit, comme en
Grande-Bretagne, ils demeurent dualistes, ce qui signifie que le droit
communautaire ne peut s'intégrer dans leur droit interne qu'en vertu d'une loi
; soit leur Constitution permet de mieux associer leur Parlement national à
chacune des étapes de la construction européenne grâce à des procédures
spécialement mises en place ; soit, ils sont tenus, constitutionnellement, de
requérir à chaque étape l'accord de leur Parlement.
Nous sommes en retard, madame le garde des sceaux, par rapport à tous les
autres Etats européens en matière d'association du Parlement à la construction
européenne.
(Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Nous avons donc eu le tort de ne pas mettre en place, dès le
traité de Maastricht, des dispositions constitutionnelles qui auraient permis
de mieux associer notre Parlement.
Il faut se féliciter de l'article 88-4 mais, comme nous le savons tous, il est
encore notoirement insuffisant et je m'interroge toujours sur la valeur
juridique des résolutions.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Elles n'en ont aucune !
M. Patrice Gélard.
Le Parlement - faut-il le rappeler ? - assure la représentation nationale et
il est, par voie de conséquence, le délégataire de la souveraineté nationale
lorsque le peuple souverain ne l'exerce pas par voie de référendum.
Aujourd'hui, le Gouvernement et la commission nous demandent d'accepter
conforme la révision de la Constitution en avançant deux arguments.
Le premier serait que le traité n'a pas expressément prévu d'associer le
Parlement, représentant, je le rappelle, de la souveraineté nationale, à
chacune des étapes qu'il a prévues. Or, il n'a pas expressément prévu que, lors
du passage au vote à la majorité qualifiée, les Parlements nationaux devraient
intervenir. Dès lors, qu'il me soit permis de répondre.
Tout d'abord, un traité, quel qu'il soit, ne peut en aucun cas limiter le
pouvoir constituant ni se mêler du fonctionnement interne de nos
institutions...
MM. Josselin de Rohan et Michel Barnier,
président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.
Très bien
!
M. Patrice Gélard.
... du moins tant qu'il n'a pas été ratifié.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Exactement !
M. Patrice Gélard.
Il y aurait un scandale juridique attentoire aux règles les plus élémentaires
de la souveraineté des Etats s'il était passé outre à ce principe.
Le second argument qu'a présenté tout à l'heure Mme le garde des sceaux serait
que tout amendement porterait atteinte à la répartition des compétences entre
le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement. Mais, là
encore, madame le garde des sceaux, il n'est pas possible de limiter le pouvoir
du constituant.
Il est d'ailleurs étonnant de constater que, dans ce domaine, le Parlement
français soit celui qui dispose de moins de pouvoirs et qui reçoit le moins de
documents.
Tout veut donc que le Parlement soit mieux informé et mieux associé à la
construction européenne. Nous ne sommes pas moins Européens que d'autres, mais
nous n'acceptons pas que, au nom de la sacro-sainte nécessité de ratifier le
traité d'Amsterdam dans les plus brefs délais, nous ne prenions pas le temps de
réfléchir au fait qu'il est impératif d'envisager, dans le cadre de cette
construction européenne, un meilleur respect de la souveraineté nationale, donc
des électeurs et du Parlement qui les représente. (
Très bien ! et
applaudissements sur les travées du RPR.)
Je m'étonne qu'on ait prêté au Président de la République des propos qu'il n'a
jamais tenus. Il s'est en effet toujours déclaré favorable à la ratification du
traité d'Amsterdam, mais, à ma connaissance, il ne s'est jamais opposé à ce que
nous améliorions, au cours de ce débat, les règles de fonctionnement et
d'association du Parlement à la construction européenne. Je mets donc mes
collègues en garde contre les dangers que représente la mise à l'écart du
Parlement dans le processus de construction européenne.
Alors que des pans entiers de notre vie quotidienne sont maintenant gérés à
l'échelon communautaire, alors que des habitudes, des usages, des traditions
sont bousculés, malmenés voire supprimés par Bruxelles, pourra-t-on toujours
répondre à nos électeurs que nous avons un jour ratifié un traité au nom des
grands principes, que par voie de conséquence nous ne sommes plus responsables
de ce qui se passe, que c'est le Gouvernement et Bruxelles qui décident ?
Pourra-t-on leur dire que tout n'est pas parfait, bien sûr, mais que nous n'y
sommes pour rien et que, sûrement demain, on rasera gratis.
C'est pourquoi le groupe du RPR a déposé trois amendements auxquels il est
très attaché. Ils ne remettent nullement en cause le traité lui-même mais ils
visent seulement à améliorer la place du Parlement dans la construction
européenne.
Mes chers collègues, dans cette construction européenne, nous ressemblons trop
au voyageur perdu dans un labyrinthe. Il sait qu'il existe quelque part une
sortie, mais il a perdu sa boussole et la carte lui permettant de la
trouver.
Soyons lucides et conscients dans cet effort commun. Un plus grand respect de
la hiérarchie des normes en restituant les normes européennes par rapport à
notre norme constitutionnelle, une meilleure association du Parlement à la
construction européenne, la rénovation et la démocratisation des institutions
européennes sont autant de repères dans la construction européenne que nous
voulons mettre en place pour faire face aux difficultés que nous rencontrerons
dans les étapes suivantes, telles que l'élargissement et la réforme
institutionnelle.
Je suis certain que ceux qui, aujourd'hui, rejettent nos amendements le
regretteront demain.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Durand-Chastel.
M. Hubert Durand-Chastel.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le présent
projet de loi constitutionnelle, rédigé sur l'initiative du Président de la
République, Jacques Chirac, sur proposition du Premier ministre, Lionel Jospin,
a été juridiquement recommandé par le Conseil constitutionnel afin de permettre
la ratification du traité d'Amsterdam. Ce traité a été négocié, pour
l'essentiel, par le gouvernement de M. Alain Juppé, notamment par notre
excellent collègue, M. Michel Barnier, avant d'être conclu par le Président de
la République et le Premier ministre qui, côte à côte à Amsterdam, se sont
engagés à le faire ratifier.
Aujourd'hui, le Sénat examine le texte adopté par l'Assemblée nationale qui,
s'il est voté en l'état, pourra être soumis au Congrès à Versailles en janvier
prochain. Ainsi, après le traité de Maastricht, la seconde étape de la
construction de l'Union européenne aboutira avec le traité d'Amsterdam, dont
l'innovation essentielle est la « communautarisation » des matières liées à la
circulation des personnes, en permettant les transferts de compétence
nécessaires.
L'action isolée des Etats-Unis est, en effet, devenue de plus en plus
laborieuse depuis l'institution du traité de Rome voilà plus de quarante ans,
et il s'avère indispensable d'établir, pour y remédier, un partage de
souveraineté efficace, avec une condition de réciprocité des autres Etats
participants. La pleine souveraineté des Etats se trouve d'ailleurs très
largement réduite par l'interdépendance existant de fait entre tous les Etats,
à la suite notamment du développement considérable des communications et des
transports, ainsi que de l'intensification des pressions migratoires au sud
comme à l'est de l'Europe.
En cette matière, la France ne peut rester une exception. Il s'agit non pas
d'un abandon de souveraineté,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ça, c'est faux !
M. Hubert Durand-Chastel.
... mais d'une délégation de compétences que notre pays continuera d'exercer
en commun et en plein accord avec ses partenaires ; il y aura, au contraire, un
meilleur exercice de notre souveraineté pour des résultats tangibles.
Durant les deux années de négociation du traité d'Amsterdam, c'est la France,
traditionnellement rétive en matière de transferts de souveraineté, qui s'est
le plus battue pour les changements, notamment pour l'extension du champ des
décisions pouvant être arrêtées à la majorité qualifiée, car l'obligation de
recueillir l'unanimité conduit inéluctablement à la paralysie.
Des décisions prometteuses sur un espace judiciaire européen, sur le
renforcement de la politique de sécurité intérieure, de la lutte contre le
crime organisé, le trafic de drogue, la corruption, le terrorisme avaient bien
été prises, mais elles exigent une action collective, inexistante dans le
traité de Maastricht.
Si les Belges, les Néerlandais et les Italiens étaient favorables à la «
communautarisation », les Britanniques, les Irlandais et les
Länder
allemands insistaient, au contraire, sur le maintien des contrôles à leurs
frontières. Un compromis a dû être trouvé et, heureusement, quelques avancées
figurent dans le traité d'Amsterdam, telles qu'un chapitre social dans un
protocole, ainsi que des dispositions sur la santé, l'environnement, les droits
de l'homme et l'action humanitaire.
Le reproche qui peut donc être adressé au traité est d'avoir été trop timoré
et, surtout, de ne pas avoir inclus la réforme institutionnelle de l'Union
européenne, lacune qu'il va falloir combler rapidement, si l'on veut poursuivre
dans la voie de l'élargissement dans des conditions efficaces de fonctionnement
des rouages européens.
Un aspect important dans le traité est l'accroissement des prérogatives du
Parlement européen. La procédure de codécision entre le Parlement et le Conseil
européen est étendue à tous les domaines dans lesquels le Conseil statue à la
majorité qualifiée, excepté pour la politique agricole commune et la politique
commerciale commune, ainsi qu'à quelques domaines dans lesquels le Conseil
statue à l'unanimité. Le Parlement européen peut donc rejeter définitivement un
texte et, dans ces domaines précis, le Conseil et le Parlement sont désormais
placés à égalité. Cette extension du rôle du Parlement va dans le sens d'une
démocratisation des institutions et d'une construction européenne plus proche
des citoyens.
Enfin, le législateur peut se demander s'il est judicieux de ne modifier la
Constitution que par petites touches à chaque ratification de traités
européens, comme cela a été le cas pour le traité de Maastricht, comme c'est le
cas aujourd'hui pour le traité d'Amsterdam, et comme ce sera certainement le
cas à l'avenir pour les prochaines avancées de l'Union européenne. Une formule
plus générale permettant de couvrir de nouveaux traités n'aurait-elle pas été
préférable, d'autant que le caractère quasi sacré de notre Constitution,
véritable bible de notre vie politique, la rend presque intouchable, sauf
nécessité impérieuse et limitée ? Il en a été décidé autrement, et c'est une
révision strictement limitée aux seuls besoins du traité d'Amsterdam qui a été
choisie. La contrepartie positive de ces révisions à répétition est qu'elles
instaurent un débat dans notre représentation nationale sur la construction
européenne, ce qui est plutôt sain pour la démocratie.
Avec un grand nombre de mes collègues, nous profitons de l'occasion de cette
révision constitutionnelle pour présenter un amendement dont l'objet est
d'inscrire la défense de la francophonie dans notre loi fondamentale.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Hubert Durand-Chastel.
Il semble qu'un accord sur ce point soit possible, et je vous remercie donc de
confirmer votre assentiment, madame la garde des sceaux.
En conclusion, je ratifierai le traité d'Amsterdam, si insuffisant soit-il,
et, pour cela, je voterai le projet de loi constitutionnelle qui le
conditionne. Qu'arriverait-il, du reste, si le traité était refusé ? Une grave
crise s'ensuivrait avec tous nos partenaires qui l'ont tous déjà ratifié et on
assisterait à un recul sérieux de l'Union européenne, dont nous avons été les
promoteurs. De même, qu'adviendrait-il de l'euro qui sera créé dans quelques
jours et qui est indispensable à notre époque de mondialisation ? Ce
renversement serait tout à fait contraire à notre politique ; aussi, je voterai
le projet de loi constitutionnelle.
(Applaudissements sur les travées du RPR
et de l'Union centriste.)
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