Séance du 16 décembre 1998






MODIFICATION DES ARTICLES 88-2 ET
88-4 DE LA CONSTITUTION

Suite de la discussion d'un projet de
loi constitutionnelle

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblé nationale, modifiant les articles 88-2 et 88-4 de la Constitution.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion sur le projet de modification constitutionnelle, préalable à la ratification du traité d'Amsterdam, nous amène donc à débattre une nouvelle fois de l'Europe et de sa construction.
Il y a, entre nous, des divergences importantes sur la construction européenne. Nous ne l'avons jamais caché au sein de la gauche plurielle. Nos choix, ces dernières années, ne furent pas, en règle générale, les mêmes ; nos votes, cette fois-ci encore, ne seront pas identiques. Mais l'écoute est réciproque. Nous avons ensemble l'ambition que les questions sociales prennent le pas sur la politique ultra-libérale de régression.
Je ne crois pas qu'il en soit tout à fait ainsi dans l'opposition. La droite a fait le maximum pour escamoter les enjeux. N'êtes-vous pas nombreux, sur les travées de la majorité sénatoriale, à ne pas mener ce débat de fond de peur de réveiller de vieux démons ? N'est-il pas étonnant de constater à quel point M. Séguin, notamment, craint ses propres propos d'hier ?
Nous pensons, pour notre part, qu'il n'y aura pas d'avancées progressistes majeures en France sans avancées analogues en Europe.
Si nous avons été très sévères avec le contenu du traité de Maastricht et si nous le restons, c'est bien parce que ce traité érige, avec la monnaie unique, la soumission des pays de l'Union européenne et de leurs peuples aux dogmes d'une Europe libérale et nous prive d'une partie de nos libertés de choix.
J'entends déjà des réactions : « Amsterdam n'est pas Maastricht ! » Certes, et nous ne nous trompons ni de traité ni de rendez-vous ; mais nous ne sortons toujours pas, avec ce traité, des logiques dominantes.
Que personne ne compte sur une quelconque frilosité de notre part dans notre volonté de construire une autre Europe.
Mais l'unification monétaire, sous sa forme actuellement engagée, est un handicap pour tous ceux qui rêvent d'un projet européen qui soit une construction volontaire où l'un ne cherche pas à dominer l'autre. Pour nous, la contradiction est si patente entre, d'une part, les nécessités de la lutte contre le chômage et, d'autre part, la logique récessive du pacte de stabilité et des missions de la Banque centrale européenne qu'il faut cesser à tout prix de faire dépendre un projet européen de la toute puissance des marchés financiers.
Nous estimons qu'il est indispensable de réorienter en profondeur la construction européenne.
Nous sommes preneurs de tout ce qui peut amorcer une progression, même minime, d'une prise en compte par l'Europe des problèmes les plus cruciaux.
Après le sommet de Luxembourg, nous avions souligné que, pour la première fois, les chefs d'Etat et de Gouvernement se reconnaissaient une part de responsabilité dans les solutions à mettre en oeuvre pour promouvoir l'emploi, et nous avions appuyé en particulier l'engagement qu'ils avaient pris afin de faciliter aux jeunes chômeurs l'accès à un emploi, à une formation ou à une aide à l'insertion au bout de six mois de chômage.
Est-on quitte avec ce qui s'est déroulé depuis ?
Alors que l'Europe a été, elle aussi, secouée par la crise financière, le sommet de Vienne aurait dû afficher de l'ambition. Les modifications politiques intervenues dans plusieurs pays de l'Union européenne permettaient de l'espérer. Il faut bien admettre qu'il n'en a rien été.
« Il n'y eut certes pas de mauvaise surprise », a dit Jacques Delors, « en ce sens qu'aucun chef des gouvernements n'a prononcé de parole définitive qui aurait gâché le climat, mais pas de bonne surprise concédé, non plus », a-t-il concédé « pour ceux qui espéraient que les pays européens, prenant acte des conséquences négatives de la crise financière sur le cycle de croissance, décideraient de mesures prises à l'échelle européenne pour renforcer les chances d'une expansion assez forte pour réduire le chômage et bénéficier à plein de la vague de progrès techniques. »
D'autres options pourtant sont possibles qui créeraient une toute autre dynamique européenne.
Le traité d'Amsterdam, malheureusement, ne s'inscrit pas dans cette voie.
Il faut être très partisan pour trouver dans ce traité de grands motifs de satisfaction. Les différents orateurs qui m'ont précédé hésitent d'ailleurs beaucoup pour dégager des priorités. Je ne provoquerai pas nos amis alsaciens, mais le bilan d'Amsterdam est bien maigre pour que M. Barnier place, lors d'une très récente intervention dans Valeurs actuelles , le maintien du Parlement à Strasbourg au premier rang des avancées importantes du traité !
Oui, nous critiquons ce traité, car il vise à valider Maastricht et à opérer des abandons importants de souveraineté sans que notre peuple ait son mot à dire ! Notre position n'a rien de défensive, bien au contraire. Les accents d'assiégé de M. de Villiers ne sont pas les nôtres. Mais en quoi les dispositions d'entrée et de séjour des étrangers ont-elles à gagner à être communautaires ? Pourquoi accepter les principes de « normes minimales » qui ne sont pas définies ? Pourquoi notre pays, avec ses fortes traditions démocratiques, accepterait-il de limiter un droit d'aide que nous avons redéfini voilà un an ? Pourquoi tout cela doit-il en fait échapper au contrôle des peuples ?
Nous ne sommes pas, par principe, opposés à tout partage consenti de souveraineté, mais ce partage ne doit pas s'exercer sur n'importe quel sujet et doit être réversible et décidé dans le cadre de consultations populaires.
Il est possible de faire l'Europe en s'appuyant sur les aspirations des peuples au changement.
Cela nécessite une réorientation de cette construction en utilisant autrement l'argent pour l'emploi et le progrès social, un contrepoids politique à la Banque centrale ainsi qu'une redéfinition de ses pouvoirs et de ses missions, la taxation des capitaux financiers et des mouvements internationaux pour soutenir une politique monétaire et de crédit socialement et économiquement efficace et, enfin, des droits nouveaux pour les citoyens dans le processus d'élaboration et de mise en oeuvre des décisions communautaires.
Sur de grandes questions, sur des défis communs, les rapports avec l'hémisphère Sud, le désarmement, l'environnement, l'immigration, la sécurité, l'espace, la recherche, l'énergie, les transports, nous sommes favorables à une collaboration étroite au sein de l'Union européenne.
Travailler ensemble, mais sur un pied d'égalité. Qui décide aujourd'hui ? Les citoyens et leurs représentants élus ? Personne ne peut soutenir cela.
L'Europe est un processus qui appelle l'intervention des peuples, qui appelle des citoyens acteurs partie prenante des décisions qui conditionnent l'avenir.
Quand il s'agit de décisions concernant la souveraineté nationale, c'est au peuple souverain d'en décider. Ce n'est ni une question technique ni une question tactique. Un peuple, notre peuple, ne peut accepter un abandon ou un transfert de souveraineté sans le décider en toute connaissance de cause.
Mme Hélène Luc. Très bien ! M. Michel Duffour. J'en viens à l'article 88-4 de la Constitution et aux possibilités de contrôle qui s'offrent au Parlement.
Madame la ministre, vous nous avez dit que le Gouvernement était d'accord pour renforcer le rôle du Parlement. Je vous en donne acte.
La rédaction choisie par l'Assemblée nationale reste toutefois bien floue. Je ne crois pas d'ailleurs que les amendements proposés par le groupe du RPR échappent à cette faiblesse. L'un d'entre eux prévoit que le Gouvernement prenne en considération les résolutions qui seraient votées. C'est la moindre des choses !
Nous vous proposons, pour notre part, d'être beaucoup plus clairs et contraignants. Le Gouvernement, disons-nous dans notre amendement, s'exprime et vote au Conseil des Communautés dans le respect des résolutions adoptées dans le cadre des deux alinéas précédents par le Parlement. Mais est-ce là vraiment quelque chose de contraignant, ou est-ce un renforcement de la vie parlementaire ? Quel sens donnons-nous à cela ?
Nous considérons que les ministres concernés devraient venir avant chaque conseil des ministres européens devant la commission compétente de l'Assemblée nationale et du Sénat pour présenter la politique qu'ils entendent mener dans les négociations sur les grands dossiers.
La commission devrait pouvoir voter une résolution, valant mandat de négociation et fixant le cadre que le ministre doit respecter et les points dont l'acceptation ou le refus seraient déterminants pour la France. A la suite du Conseil européen, le ministre viendrait rendre compte des négociations devant la même commission.
Nous allons voter « non » au projet de loi constitutionnelle qui nous est proposé aujourd'hui, parce que la révision constitutionnelle prépare la ratification du traité d'Amsterdam qui poursuit, à nos yeux, la logique libérale actuelle de la construction européenne, parce que, aussi, nous voulons construire une Europe capable de répondre aux grands défis de notre temps et parce que, enfin, il appartient au peuple de consentir ou non à partager telle ou telle compétence qui relève de sa souveraineté. C'est la cohésion nationale, quand on l'oublie, qui est en jeu. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, discuter d'une révision constitutionnelle à cette heure tardive relève du paradoxe. Je m'en tiendrai donc à l'essentiel.
Il s'agit d'abord, chacun le sait, d'une révision qui est nécessaire. Je veux dire par là que, si la majorité de la Haute Assemblée est décidée à voter la ratification du traité d'Amsterdam, il lui faut passer par cette étape de la révision constitutionnelle, conformément à la décision qui a été rendue par le Conseil constitutionnel le 31 décembre 1997.
Donc, cette révision était nécessaire. Mais c'est aussi une révision qui ne semble apparemment pas devoir susciter de grandes passions.
Je ne parlerai pas ici du traité d'Amsterdam : demain, notre excellent ami M. Estier s'exprimera plus longuement sur les avantages et les mérites du traité, sur l'avenir européen qu'il offre et sur ce que nous devrons faire ensuite.
S'agissant, donc, d'une révision nécessaire, il est quand même paradoxal de noter que ce traité a été pour l'essentiel négocié par l'ancienne majorité. Ensuite, vous l'avez trouvé, madame la ministre, non pas dans la « corbeille de mariage » (Sourires), mais dans les affaires en cours. Par conséquent, l'actuel gouvernement, le vôtre, l'a signé.
Le Président de la République, de par sa mission institutionnelle, n'a évidemment pas cessé d'être partie prenante aux négociations et à la conclusion. De plus, la saisine du Conseil constitutionnel a été conjointe, puisque et le Président de la République et le Premier ministre en sont à l'origine.
A partir de là, on aurait pu penser qu'aucune difficulté ne viendrait perturber la révision en cours. J'ai pourtant le sentiment que, comme toujours, il y a çà et là des arrière-pensées et que l'occasion paraît belle à certains d'aller bien au-delà de la révision.
Je me souviens aussi qu'il n'y a pas si longtemps je saluais l'alizé qui emportait la révision constitutionnelle relative au Conseil supérieur de la magistrature vers le port. Depuis lors, le vent est tombé, nous sommes en panne. Espérons que, ce soir, il se renforcera.
Si cette révision est nécessaire, elle était aussi prévisible, car quiconque avait en mémoire la décision du 9 avril 1992 pouvait décrypter ce que serait la décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997. C'était évident !
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 avril 1992, avait donné de la souveraineté une conception ouverte et avait marqué aussi dans quels cas, s'agissant de transferts de compétences susceptibles d'affecter les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'on pouvait être amené à considérer qu'il y avait lieu à révision constitutionnelle.
L'application de cette grille de décryptage était simple, il suffisait d'étudier les derniers considérants de la décision d'avril 1992. Dès l'instant où l'on passait de la règle de l'unanimité à la règle de la majorité qualifiée, à la procédure de codécision, il y avait lieu de procéder à la révision de la Constitution.
Dans la mesure où, s'agissant du troisième pilier, on faisait passer une partie de celui-ci - je dirai même l'essentiel de celui-ci - sous le signe de la même procédure que celle qui est applicable au premier pilier, c'est-à-dire à ce qui avait été déjà visé dans le traité de Maastricht, la décision devait être la même. Elle l'a été.
Révision nécessaire, révision prévisible, c'est aussi une révision limitée. J'approuve ce choix. En effet, comme l'a dit M. de Villepin avec éloquence, on aurait très bien pu concevoir une révision constitutionnelle telle que nous aurions accepté par principe et par une clause générale les transferts de compétences nécessaires pour la réalisation de l'Union. Il est bien évident, cependant, qu'une décision aussi importante aurait appelé un très grand débat d'ampleur nationale et probablement, à mon sens, la soumission au référendum, car nous aurions pris, en l'occurrence, une décision riche en perspectives d'avenir. La voie parlementaire, fût-ce au Congrès, n'aurait pas été suffisante.
En effet, s'agissant de ce qui est la conséquence évidente du traité de Maastricht, c'est-à-dire son prolongement dans le traité d'Amsterdam, il valait mieux tailler au plus serré, travailler sur mesure et ajuster la révision constitutionnelle très exactement aux besoins de la ratification du traité d'Amsterdam. Tel a été le choix du Gouvernement et, pour ma part, j'y souscris pleinement. Cela permet par surcroît au Parlement de mieux apprécier pas à pas l'évolution de la construction européenne.
Cette révision nécessaire, prévisible et limitée, est aussi équilibrée, soulignons-le, parce que vous avez eu le souci, madame la garde des sceaux - et, là aussi, je vous en fais compliment - de ne point aller au-delà de l'indispensable, de ne point entreprendre, à cette occasion, quelques avancées, anticipations ou innovations constitutionnelles de nature à compromettre l'équilibre fondamental de nos institutions.
Cette question, nous la reprendrons demain, lors de l'examen des amendements présentés par M. Gélard. Mais, d'ores et déjà, madame la garde des sceaux, vous avez dit l'essentiel, et notre excellent rapporteur s'en est également très bien expliqué. En effet, ce qui nous est proposé dans ces amendements, et qui n'est pas utile pour pouvoir procéder à la ratification du traité d'Amsterdam, laisse perplexe sur l'idée que certains se font de ce que devraient être les pouvoirs respectifs, dans la Constitution, du Président de la République, du Gouvernement et du Parlement s'agissant de la ratification des traités et de la conduite des relations extérieures.
Tout le monde s'emploie à dénoncer, à grand luxe d'adjectifs, le déficit démocratique de l'Union européenne. Je dis très clairement que, si déficit démocratique il y a, on ne doit pas trouver sa solution dans un retour en arrière, par un contrôle de plus en plus étroit exercé par les parlements nationaux de chaque évolution de cette construction : ce n'est pas ainsi que vous rapprocherez la construction européenne des citoyens européens ; vous la ramènerez, au contraire, vers des tendances nationalistes qui aboutiront tout simplement à arrêter sa marche. C'est la direction opposée à celle qu'il faut prendre ! Il faut, en effet, une construction européenne plus démocratique, mais c'est au niveau des institutions européennes et non pas en amont que vous devez chercher ce surcroît de démocratie.
Mme Hélène Luc. De quelle démocratie parlez-vous ?
M. Robert Badinter. A cette heure tardive, je n'irai pas plus loin, mais chacun comprendra.
Dès lors consistant à prévoir qu'il faudrait retourner devant le Parlement, afin que le Gouvernement - le Président de la République aussi d'ailleurs : l'exécutif tout entier ! - puisse compter le passage de l'unanimité à la majorité qualifiée, cette idée est, je dois le dire, tout à fait singulière pour moi.
Elle l'est d'abord au regard de la position arrêtée par le Conseil constitutionnel. Ce dernier a en effet estimé qu'il s'agissait là d'un acte qui n'était susceptible en aucune manière d'être soumis à un contrôle quel qu'il soit, qu'il soit parlementaire ou constitutionnel.
On ne peut vous demander de dire aujourd'hui que peut-être demain on décidera ! Il convient dès maintenant de savoir si l'on ouvre à l'autorité compétente, au regard des articles 52 et 20 de la Constitution - qui ne peut être que celle que nous connaissons - le pouvoir de prendre cette décision dans le cadre de la négociation européenne à venir. C'est tout !
Ce n'est pas pour autant que le Parlement soit sans pouvoir : il a, dans ce domaine, bien des prérogatives, qu'il s'agisse des questions qu'il posera, des débats qu'il suscitera ou encore des résolutions qu'il votera. Et l'on peut même évoquer jusqu'à la perspective de la motion de censure ! Mais là, j'ai le sentiment que l'on évoque les armes ultimes, qui ne servent, chacun le sait, jamais sous la Ve République, ou qui n'ont pas servi depuis si longtemps qu'on en a oublié l'usage.
Disons-le clairement, nos institutions ne prévoient pas de mandat impératif donné par le Parlement à l'exécutif pour négocier les traités.
On nous répondra que l'Union européenne n'est plus un traité, que c'est autre chose. Non !
Nous nous trouvons là dans un domaine qui, d'un point de vue constitutionnel, demeure celui de la politique extérieure. Il n'y a donc pas lieu d'accepter cette sorte de révision constitutionnelle uniquement destinée, en réalité, à permettre ensuite de ralentir la construction européenne sous le prétexte qu'il faudrait permettre au Parlement d'exercer un contrôle qui n'a pas de raison d'être. Le Parlement, je le répète, a déjà d'autres moyens d'exercer ce contrôle.
Quant à la suggestion - je n'ose pas dire la proposition - aux termes de laquelle le Conseil constitutionnel recevrait du constituant le pouvoir d'apprécier la constitutionnalité des projets ou propositions - car il ne s'agit que de cela - d'actes de droit communautaire dérivé, je dois dire qu'elle me laisse fort étonné, et j'emploie ici une litote.
Je n'ai pas besoin de rappeler que le Conseil constitutionnel n'est jamais consulté pour donner un simple avis sur la constitutionnalité d'un futur projet de loi. C'est au Conseil d'Etat qu'incombe cette mission. Le Conseil constitutionnel, pour sa part, examine les textes définitivement votés, mais avant leur promulgation.
Par ailleurs, je voudrais que l'on mesure bien ce que cela signifierait si nous entrions dans cette voie. Le Conseil constitutionnel serait conduit à apprécier la conformité à la Constitution française de la législation européenne. Non ! Cette compétence appartient à la Cour de Luxembourg et à elle seule, et ce pour une raison qu'il faut garder en mémoire : il s'agit de conserver l'unité d'interprétation nécessaire à la construction européenne. C'est d'ailleurs pourquoi ses pouvoirs ont été accrus en matière de subsidiarité.
Si cet exemple était suivi par les autes Etats membres, chacun voit où nous irions ! Chaque cour constitutionnelle européenne serait conduite à apprécier la conformité du droit communautaire dérivé à la Constitution de chacun des Etats européens. Je n'ai pas besoin de dire quelle tour de Babel juridique s'élèverait promptement au sein de l'Union européenne ! La cacophonie serait totale. Je rappelle d'ailleurs que, aux termes du traité de Maastricht, la Cour de justice doit prendre en compte la conformité de ces actes à ce que l'on considère être les principes généraux du droit communautaire tels qu'ils résultent de la tradition constitutionnelle des Etats de l'Union. C'est une garantie nécessaire.
Donc, cette charge que l'on voudrait donner au Conseil constitutionnel, rien ne la justifie, ni au regard de nos institutions ni au regard des institutions de l'Union européenne elle-même.
Reste, alors, la question de l'extension de l'article 88-4. Il est évidemment souhaitable qu'une meilleure communication soit assurée, afin que le Parlement soit parfaitement informé de tout ce qui se prépare, de tout ce qui s'élabore au sein de l'Union européenne.
A cet égard, vous l'avez justement rappelé, monsieur le rapporteur, un protocole annexé au traité prévoit que les documents - on pense, en particulier, aux Livres blancs ou verts et aux communications - doivent être transmis par l'Union européenne aux différents gouvernements pour qu'ils les communiquent aux fins d'information à leurs parlements. Cette obligation est donc déjà inscrite dans le traité d'Amsterdam.
Pour ce qui est du reste, c'est-à-dire les actes qui n'ont pas cette nature législative, disons que le choix fait par l'Assemblée nationale et accepté par le Gouvernement est le bon : il n'y a aucune raison de surcharger, d'accabler les parlements, voire la délégation du Sénat pour l'Union européenne, avec tout ce qui se prépare au niveau de tels actes.
De ce point de vue, il revient effectivement au Gouvernement de choisir les documents de consultation susceptibles de faire l'objet d'une résolution. Veillons, nous parlementaires, à ce qu'on nous donne l'information qui convient, conformément au traité d'Amsterdam, et tenons-nous-en là. Nous avons déjà assez à faire à vérifier de très près, comme il convient, l'évolution de la législation communautaire dérivée.
Résumons-nous : ce n'est pas une grande affaire que nous réglons ce soir. C'est, je le répète, une révision dictée par la nécessité : nous ne pouvons pas procéder autrement sans méconnaître nos règles constitutionnelles. Le Gouvernement a travaillé au plus juste, et il a bien fait.
La vraie question n'est pas, ce soir, l'étendue de la révision constitutionnelle ; tout ce que l'on veut y ajouter n'a pas sa place dans ce débat. La vraie question, c'est de savoir si nous voulons ou non ratifier le traité d'Amsterdam.
Si oui, il faut procéder à la révision constitutionnelle dans la limite fixée très exactement par la décision du Conseil ; si non, ceux qui veulent arrêter à la construction européenne n'auront qu'à voter contre la révision, et l'on aura compris. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

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